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En finir avec une idée reçue : le dividende n’enrichit pas les actionnaires

Stock market figures.
Un mois après le début de la crise, le CAC40 perdait 39% de sa valeur. Thomas Samson/AFP

En pleine crise de Covid-19, les dividendes font l’objet de nombreux débats et contestations. Le 24 mars dernier, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire a incité les entreprises françaises à « la plus grande modération » dans le versement des dividendes en 2020, et a indiqué que « les entreprises où l’État est actionnaire » seraient invitées à « ne pas verser de dividendes, en tout cas à des particuliers », ajoutant que « le partage de la valeur, c’est aussi une solidarité ».

Le gouvernement peut tout à fait inciter, voire obliger, les entreprises à ne pas verser ou limiter leur dividende au prétexte de la solidarité dans le cas ou ces entreprises bénéficient d’aides financières de l’État. Il n’est pas nouveau que des aides gouvernementales soient versées sous réserve de conditions (bien qu’on puisse discuter la pertinence de ces conditions). Libre aux entreprises de choisir si elles souhaitent bénéficier d’un plan de sauvetage ou non, en échange de quoi elles s’engagent à ne pas verser de dividendes.

Cependant, les entreprises privées considérant avoir suffisamment de trésorerie pour verser des dividendes, comme Hermès ou Total, n’ont pas d’ordre à recevoir. Il appartient à l’entreprise et à ses actionnaires de décider s’ils souhaitent ou non mettre leur capital au service de la solidarité.

De plus, le renoncement au versement des dividendes n’est pas le seul moyen pour agir. Total par exemple a choisi de mettre à disposition des personnels soignants 50 millions d’euros en bons d’essence.

La conjoncture est particulièrement propice aux débats passionnés concernant le versement de dividendes. Ainsi, il apparaît nécessaire de se pencher sur la théorie financière et d’apporter quelques éclairages, notamment le suivant : distribution de dividendes n’est pas synonyme d’enrichissement systématique de l’actionnaire.

Le dividende est neutre pour l’actionnaire

Les actionnaires sont propriétaires de l’entreprise à hauteur de leur contribution dans le capital. Ils supportent l’ensemble des risques (risque de faillite, risque de liquidité ou risque de perte en capital), en échange de quoi ils espèrent obtenir une plus-value de leurs titres et se voient verser des dividendes (en argent ou en actions), fruit de leur investissement.

Un mois après le début de la crise, l’indice phare des valeurs françaises, le CAC 40, avait perdu 39 % de sa valeur, ce qui correspond à la perte moyenne subie par les actionnaires. Quand on considère les pertes subies sur l’ensemble des marchés boursiers, le versement d’un dividende apparaît symbolique.

La théorie financière nous indique que, si l’objectif d’un actionnaire est de maximiser sa richesse, alors le paiement ou non d’un dividende n’a aucune importance. En effet, le cours de bourse d’un titre baisse, toute chose étant égale par ailleurs, du montant du dividende versé.

Michel Albouy : pourquoi les dividendes n’enrichissent pas les actionnaires. (Xerfi Canal, 2019).

Si ce n’était pas le cas, il y aurait nécessairement un arbitrage, les investisseurs auraient intérêt à acheter des actions dont ils anticipent un versement de dividende afin de les revendre juste après. Il serait alors possible de gagner de l’argent sans prendre de risque. Or, tout initié sait bien qu’il n’y a jamais de repas gratuit sur les marchés financiers, sans quoi ils ne seraient pas efficients.

Ainsi comme le montrent les figures ci-dessous, la richesse de l’actionnaire n’est pas conditionnée au versement du dividende.

Figure 1a. Diminution du cours de l’action suite au versement d’un dividende et dans le cas d’une appréciation préalable. Auteur

Si aucun dividende n’est versé, la totalité de la richesse de l’actionnaire est concentrée sur la valeur de son action. Si un dividende est versé, sa richesse est répartie entre la nouvelle valeur du titre et le dividende.

Et le constat est le même, que le cours du titre se soit apprécié (Figure 1a) ou déprécié (Figure 1b).

Figure 1b. Augmentation du cours de l’action suite au versement d’un dividende et dans le cas d’une dépréciation préalable. Auteur

Dans le cas des sociétés cotées, si le dividende est versé en action, la richesse totale de l’actionnaire ne change pas non plus. La valeur totale de ses actions est alors répartie sur un plus grand nombre d’actions.

À quoi servent donc les dividendes ?

Bien qu’ils ne permettent pas de maximiser la richesse, les actionnaires restent attachés aux dividendes. Trois raisons psychologiques sont en cause.

La théorie des perspectives : en cas de gain (Figure 1a), le versement de dividende est mieux valorisé car l’actionnaire a psychologiquement la sensation de faire deux gains qu’il valorise séparément. Cela procure toujours davantage de satisfaction d’ouvrir ses cadeaux emballés séparément plutôt que de les avoir regroupés dans un seul paquet.

En cas de perte (Figure 1b), la préférence est encore au dividende. Ce dernier fait l’objet d’une valorisation psychologique positive qui est séparée de la moins-value. Une perte de 12 euros suivie d’un gain de 2 euros nous apparaîtra moins amère qu’une unique perte de 10 euros.

La comptabilité mentale : la comptabilité mentale peut se définir comme un ensemble d’opérations cognitives que nous utilisons pour organiser, évaluer et traiter les problèmes financiers. Nous traitons différemment nos revenus selon leur provenance. En découlent certaines règles qui nous aident à nous discipliner telles que « consommer les revenus du capital sans toucher au capital ». Il est en effet assez fréquent de dédier nos revenus courants au paiement de nos dépenses usuelles et d’affecter nos revenus « bonus » à des dépenses de loisirs ou de produits de luxe.

L’aversion au regret : recevoir un dividende est pour l’actionnaire une façon de percevoir de l’argent sans avoir à prendre la décision de vendre ses titres. Si, pour satisfaire ses besoins de liquidité, il avait dû vendre ses titres, son sentiment de regret aurait été d’autant plus intense en cas d’augmentation ultérieure la valeur du titre. Un regret davantage ressenti que procuré par le fait de pas avoir réinvesti le dividende. Le regret par omission est toujours moins désagréable que le regret par commission !

Pour revenir à la crise mondiale qui occupe nos esprits, il convient également de préciser que dividendes et relance économique ne sont pas contradictoires. Du point de vue de l’économie dans son ensemble, les versements de dividendes ou rachats d’actions par les entreprises permettent de redistribuer de l’argent aux actionnaires qui peut être ensuite réinvesti dans d’autres sociétés qui ont de meilleures perspectives de croissance.

Les actionnaires peuvent ainsi réinvestir cet argent dans des sociétés en croissance qui ont besoin de fonds pour se développer, et ainsi permettre le développement de l’économie. Le versement de dividendes fait donc partie des mécanismes de base qui permet aux économies de marché de fonctionner de manière efficace.

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