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Paris, le 19 mars 2022. Manifestation contre le racisme organisée par des associations, des syndicats et des partis. Photo AFP.

En France, le racisme se nourrit des paniques sur l'islam

L'acteur franco-sénégalais Omar Sy a récemment critiqué la politique de deux poids deux mesures de la France qui accueille les Ukrainiens tout en rejetant ou en stigmatisant les migrants et les réfugiés venus d'ailleurs. L'universitaire Foued Nasri, dont les recherches portent sur les mobilisations et le racisme en France, nous donne son point de vue sur les causes de cette situation.

Comment le racisme se manifeste-t-il dans la société française?

Depuis les années 1920, le racisme désigne une hostilité motivée par l’appartenance raciale, ethnique et/ou religieuse qui se matérialise, dans les interactions quotidiennes et au sein de l’espace public, par des préjugés, de la stigmatisation, des discriminations et potentiellement de la violence.

Entre les années 1960 et 1970, le racisme n’est plus nécessairement associé à des circonstances exceptionnelles (guerres) ou des législations spécifiques (code de l'indigénat, etc.). Il se manifeste plutôt dans les préjugés, les discriminations et les violences commises par des citoyens ordinaires.

Ainsi, Rachida Brahim recense 731 actes racistes entre 1970 et 1997 causant 353 morts et 610 blessés. Au-delà des faits divers visibles et remarquables, les discriminations constituent la modalité du racisme la plus courante. Elles désignent un traitement inégal à raison d’un critère (appartenance ethnique et/ou religieuse, couleur de peau, etc.) dans l’accès à des biens rares (logement, emploi, etc.) et les interactions avec certaines institutions.

Depuis les années 2000, la multiplication des déclarations d’acteurs publics (hommes politiques , intellectuels, journalistes), la circulation de « théories » racistes (« le grand remplacement ») et l’omniprésence de représentants de l’extrême-droite dans les médias dominants confirment la banalisation du racisme. Ces déclarations publiques, quelques fois condamnées par la justice, associent les minorités ethno-raciales à certains problèmes publics comme l'insécurité.

Pourtant, elles ne se résument pas à des outrances ponctuelles, au contraire, la rhétorique de la transgression recouvre une stratégie politique et médiatique visant à s’affirmer. La banalisation du racisme met en exergue un paradoxe : selon les sondages de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, en 2022, seuls 15 % des Français interrogés se disent “plutôt racistes” (40% en 2020). Pourtant, les préjugés demeurent. Les victimes du racisme peinent à se faire entendre et reconnaître et l’extrême-droite a réalisé, en 2022, une percée électorale sans précèdent.

Quel lien existe-t-il entre la montée de l'extrême droite et le racisme anti-immigré?

La rhétorique anti-immigré est un axe central du discours de l’extrême-droite française depuis la fin du XIXe siècle. Discrédité au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce courant politique se réactive dans le contexte de la chute de l’empire colonial sous la forme de groupuscules (Organisation de l'armée secrète, Occident, Ordre nouveau) puis d’un parti politique, le Front national, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen et d’anciens collaborationnistes. Mais les formes d’hostilité vis-à-vis des immigrés ne sont pas nécessairement associées à l’extrême-droite organisée à l’instar des “ratonnades” de l’été 1973 qui causèrent la mort de 17 personnes dans le sud de la France.

La visibilité croissante des descendants d’immigrés, les succès électoraux du Rassemblement national et la consolidation de l’antiracisme confèrent une place centrale au débat sur l’immigration. Les discours dénonçant l’immigration, les propositions de préférence nationale et les slogans du parti frontiste font régulièrement l’objet d’une condamnation morale et politique. Néanmoins, leurs cadrages et leurs solutions influencent les autres partis qui s’approprient certains thèmes (la restriction des flux migratoires, la refonte du code de la nationalité, l’adoption d’une politique pénale plus répressive).

A ce propos, les années 2000 marquent un tournant. La multiplication des paniques morales centrées sur l’islam et les banlieues et l’accès des personnalités d’extrême-droite aux médias dominants favorisent la diffusion et la légitimation d’un discours qui présente les immigrés et leurs descendants comme une menace pour l’ordre social, politique et racial.

Quelles approches pour prévenir la stigmatisation et le rejet des immigrés?

Si les autorités françaises ont cherché à édifier des politiques publiques et un cadre législatif pour lutter contre le racisme et les discriminations, les moyens et la volonté politique ont largement fait défaut. La première modalité, la plus usitée, a consisté en des actions éducatives et de formation. En dépit de leur diversité, elles reposent sur l’idée que le racisme et les discriminations sont le produit d’une déviance individuelle et/ou d’un contexte organisationnel causé par une forme d’ignorance.

L’action des pouvoirs publics a aussi pris la forme d'une politique pénale qui, depuis la loi Pleven de 1972, a surtout consisté à faire du racisme un délit et/ou une circonstance aggravante au moyen notamment de lois mémorielles ou des lois qui régissent les expressions publiques.

A la fin des années 1990, dans le champ législatif, cette action s’est concentrée sur les formes matérielles du racisme, en l’occurrence les discriminations. Elle s’est appuyée sur des lois (2001 et 2003), issues de la transposition de directives européennes. Le référentiel de la lutte contre les discriminations a été décliné dans une série de dispositifs et d’institutions chargés de recenser, de recueillir la parole des victimes et d'accompagner celles-ci avant d’être dépassé par des référentiels moins politiques (la diversité) et supplanté, à partir de l’arrivée de la gauche aux affaires, par la valorisation de la République et de l’égalité hommes-femmes. Toutefois, le défaut de volonté politique, de moyens et de visibilité institutionnelle confirme que la lutte contre le racisme ne constitue pas, en France, une priorité en dépit de quelques effets d’annonce autour de plans gouvernementaux.

Quelles politiques mises en place par la France sont perçues comme racistes?

L’accusation de racisme porte moins sur les politiques étatiques – l’État revendique une approche antiraciste – que sur les pratiques de certaines institutions vis-à-vis des membres des minorités ethno-raciales, telle que la police. L’exemple le plus frappant concerne les contrôles d’identité sur la voie publique que les agents de police peuvent mener à leur discrétion depuis la loi du 10 août 1983.

Fabien Jobard et René Lévy ont montré que les Noirs ont entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs là où les Arabes ont entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs. Si une partie du secteur associatif a précocement contesté ces dispositions, des campagnes plus spécifiques sont menées depuis les années 2000. Elles visent à dénoncer le racisme systémique et pointent le fait que des structures sociales et institutionnelles génèrent et entretiennent le racisme et les discriminations.

Dans les affaires de déviances policières, à l’instar de l’agression de Michel Zecler , en novembre 2020, les autorités condamnent les violences avérées et explicites, tout en ajoutant qu’il s’agit de fautes individuelles et récusent l’existence des violences policières et du racisme dans les pratiques institutionnelles.

En outre, si aucune disposition ne relève directement de comportements racistes et discriminatoires, la manière dont les pouvoirs publics répondent aux paniques morales sur l’islam, en particulier, contribue à accroître les préjugés et les discriminations à l’égard des musulmans français. La promulgation de certaines lois (15 mars 2004, 11 octobre 2010) répond à des débats médiatiques et politiques qui visent directement certaines pratiques à l’instar du voile et/ou du niqab.

Plus récemment, depuis le discours des Mureaux du 2 octobre 2020 qui a donné lieu à la controversée loi dite « contre le séparatisme », ce sont principalement les libertés associatives des organisations musulmanes qui ont été visées et limitées. Cette situation a conduit des chercheurs comme Jonathan Laurence, à considérer cette loi comme une « attaque à peine voilée contre la religion musulmane ».

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