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Solde des transferts selon les revenus annuels en France. Benoît Tonson / DataWrapper, CC BY-SA

En graphique : Contribuez-vous plus à l’État que vous n’en bénéficiez ?

Comme on peut le lire sur le site du ministère de l’Économie, « au fil de son histoire, la France a fait le choix d’un système solidaire de redistribution des richesses favorisant une meilleure équité entre les citoyens ».

La redistribution fait ainsi partie intégrante du pacte républicain. Il convient donc d’évaluer régulièrement l’impact des politiques de redistribution pour s’assurer qu’elles remplissent correctement leur objectif, à savoir réduire les inégalités de revenus entre les classes les plus favorisées et les plus défavorisées de la population française. Dans le cas d’espèce, la question de l’efficacité du système de redistribution se double d’une exigence de transparence à l’heure où les revendications de justice fiscale se répandent fortement dans l’opinion.

L’Insee publie régulièrement des études qui permettent de rendre compte de la façon dont la redistribution s’opère entre la population française, divisée en déciles, de telle sorte que le premier décile représente les 10 % de la population française disposant du niveau de vie le plus faible et le dernier décile, les 10 % les plus riches.

La méthode consiste alors à estimer la contribution nette d’un ménage représentatif de chaque décile à l’effort national de redistribution. Entre autres termes, il s’agit de faire le solde entre les transferts perçus et les transferts versés.

Changement de méthode

Traditionnellement, ce calcul ne tenait compte que des transferts dits « monétaires ». Ainsi, le graphique de « redistribution usuelle » tient compte des prestations familiales, des minima sociaux et de la prime d’activité du côté des transferts perçus, et les impôts directs (impôt sur le revenu, taxe foncière…) et les prélèvements sociaux type CSG ou CRDS du côté des transferts versés.

Or, en ne considérant que les transferts directs, cette méthode ignore une grande partie du système de redistribution qui s’opère de façon indirecte à travers de nombreuses prestations sociales, mais qui se finance également au moyen de prélèvements indirects. C’est précisément ce point aveugle que cherche à révéler la méthode de « redistribution élargie » proposée en mai dernier par un groupe d’experts de l’Insee.

La « méthode élargie » ajoute ainsi un certain nombre de transferts indirects – telles les retraites ou l’assurance chômage – aux transferts directs déjà pris en compte dans la « méthode usuelle ». Mais sa grande nouveauté réside indubitablement dans la monétisation des services publics en nature (éducation, santé, logement…) et des services publics collectifs (police, justice…) qui sont autant d’institutions qui contribuent à la réduction des inégalités.

Pour être complet, cette « méthode élargie » prend également en considération les prélèvements indirects, telles que les cotisations sociales ou les taxes (TVA, TICPE, accises sur le tabac et l’alcool…) et autres impôts de production.

Le ruissellement par la redistribution

La comparaison entre les deux méthodes permet de tirer plusieurs enseignements :

  1. Là où la « méthode usuelle » ne présente que les 3 premiers déciles comme bénéficiaires nets du système de redistribution, la « méthode élargie » démontre qu’une majeure partie des ménages français (6 déciles) disposent d’un solde bénéficiaire.

  2. La « méthode élargie » révèle également des soldes de transferts atteignant des montants supérieurs à ce qu’ils étaient dans le cadre de la « méthode usuelle ». Par exemple, le premier décile voit son solde porté de +3 900 euros à +17 900 euros lorsque la méthode élargie est appliquée ; la contribution des 10 % des ménages les plus riches est alourdie de 3 900 euros (passage de – 42,200 euros à – 46 100 euros).

La lecture plus détaillée du rapport fournit également quelques enseignements complémentaires d’importance :

  1. Ce sont les transferts en nature qui contribuent au premier chef à la réduction des inégalités (50 %). Suivent les prestations sociales (23 %), les services publics collectifs (16 %) et les autres transferts (4 %).

  2. Si la somme des différentes composantes excède 100 %, c’est qu’il faut souligner que les prélèvements (impôts, taxes, cotisations…) ont un effet négatif sur la réduction des inégalités (-5 %). Cela semble illustrer le caractère sous-optimal des prélèvements obligatoires tels que définis actuellement. En effet, le rapport révèle que, malgré la générosité nationale dont ils bénéficient, les 20 % des ménages les plus pauvres sont aussi ceux qui, au regard de leurs revenus primaires, ont la plus forte contribution aux prélèvements.

  3. En l’absence de redistribution, le revenu avant transferts du dernier décile est 13 fois plus important que celui des 10 % des ménages les moins riches. La « méthode usuelle » ramène ce ratio de 13 à 7 ; la « méthode élargie » de 13 à 3.

On pourrait alors déduire de ce dernier enseignement que nos politiques de redistribution sont très efficaces. Ou nous pourrions aussi rappeler à quel point notre pays est structurellement un creuset d’inégalités.

Cette deuxième façon de présenter les choses doit nous amener à la fois à marteler l’importance de notre système de redistribution dans une optique de cohésion sociale, mais aussi à questionner des politiques qui emprunteraient, sans forcément le dire, certains principes de la théorie du ruissellement. Car, si cette dernière est controversée faute de n’avoir su produire de résultats indéniables – notamment quand les réductions fiscales fléchées en faveur des plus riches ne sont pas assorties de contreparties –, l’analyse du groupe d’experts de l’Insee démontre clairement à quel point notre pays est performant quand il s’agit d’organiser la solidarité nationale. Et de faire ruisseler, par le jeu de la redistribution, les revenus des plus riches vers les classes les plus modestes.

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