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En Hongrie, Viktor Orban prophète contesté en son pays

Le premier ministre hongrois Viktor Orban à son arrivée pour un sommet des chefs de gouvernement à Bruxelles, le 28 mai 2019. John Thys / AFP

Avec un taux de participation de 43,36 %, le plus élevé depuis l’adhésion du pays à l’UE (en 2004), le Fidesz-Magyar Polgári Szövetség de Viktor Orban, associé au KDNP (Kereszténydemokrata Néppárt), s’est imposé comme le principal vainqueur du scrutin, remportant 52,33 % des suffrages exprimés le 26 mai dernier.

Il s’agit là d’une légère augmentation par rapport aux élections de 2014, le Fidesz-KDNP ayant obtenu 51,48 % à l’époque. Suspendu du Parti populaire européen (PPE), le Fidesz consolide sa place au sein de cette famille politique grâce aux 13 sièges décrochés dans la nouvelle législature du Parlement européen (PE).

Plusieurs facteurs expliquent ce succès.

Le vote des Hongrois de l’étranger

Tout d’abord, la mobilisation du Fidesz pendant la campagne électorale a été massive, le mot d’ordre étant « chaque vote compte ». Le parti a bénéficié d’une importante couverture dans la presse, majoritairement acquise à sa cause.

Profitant du sommet européen à Sibiu (Roumanie), le 9 mai 2019, Viktor Orban a également mené campagne en Transylvanie, où les Magyars de Roumanie disposent du droit de vote pour les élections dans ce pays voisin.

Si les ressortissants hongrois vivant dans un autre État membre ont dû s’inscrire dans le registre de l’Office électoral national afin de pouvoir voter depuis l’étranger et se présenter au bureau de vote de leur pays de résidence, les Hongrois de Transylvanie ont, quant à eux, eu la possibilité de voter par e-mail.

Ils seraient 99 628 en Roumanie, 29 144 en Serbie et seulement 4 194 dans les pays où la double nationalité n’est pas reconnue (comme en Slovaquie) – soit un total de 115 324 d’électeurs sans adresse permanente dans le pays contre 20 290 Hongrois à l’étranger ayant l’unique possibilité de voter dans les bureaux de vote de l’ambassade.

Famille, religion et immigration

Plus fondamentalement, l’ancrage du Fidesz dans la société est le résultat d’un processus de long terme. Dans l’opposition de 2002 à 2010, ce parti a pu consolider sa base électorale, en rassemblant autour de lui tous les partis de droite.

Déterminante est aussi sa politique économique, initialement soutenue par l’extrême droite hongroise et mise en place dans le contexte particulier de la crise économique en Europe. Grâce aux fonds européens ainsi qu’à une politique monétaire à la fois stratégique et laxiste, le gouvernement de Viktor Orban a pu donner l’impression que l’économie hongroise prospérait, alors que ses performances ont été souvent remises en question par l’opposition.

Ainsi, depuis 2010, près d’un demi-million de Hongrois, insatisfaits de leurs conditions de vie au pays, ont quitté leur patrie pour s’installer dans d’autres États membres. La Hongrie se trouve ainsi confrontée à une relative pénurie de main-d’œuvre.

À cela s’ajoute le discours de Viktor Orban enraciné dans une forme d’hégémonie culturelle, qui consiste à mettre l’accent sur un certain nombre de thèmes, parmi lesquels la famille et la religion, chers aux citoyens hongrois.

Outre sa nouvelle rhétorique contre l’immigration et le discours sur la démocratie « illibérale », le gouvernement de Budapest a considérablement restreint l’espace d’expression de l’opposition, que ce soit parmi les partis politiques ou la société civile.

Le moment Momentum

Même si le Fidesz est le grand gagnant de ces élections, le succès de l’opposition, certes à une échelle beaucoup plus modeste, mérite d’être également souligné. L’opposition a ainsi réussi à assurer sa représentation au Parlement européen, et ce malgré son accès limité aux médias, notamment dans les zones rurales.

Les partis qui ont proposé un renouvellement de la classe politique hongroise, mettant en avant de nouveaux candidats (surtout des femmes) et promouvant le discours d’une Europe fédérale, ont réussi leur pari. C’est le cas de Momentum, qui remporte 9,89 % des suffrages pour sa première participation aux élections européennes.

Inspiré par la République en Marche d’Emmanuel Macron, depuis sa création, Momentum s’est présenté comme un mouvement pro-européen. Il s’est érigé contre les dérives autoritaires du gouvernement et la détérioration des conditions de vie dans le pays, notamment à propos de la situation des écoles et des hôpitaux, rongés par le manque d’investissement et (souvent) la corruption.

Le succès de Momentum s’explique en partie par l’intégration à son agenda des sujets comme le climat et de la question sociale, surtout depuis que le gouvernement a adopté une loi dénommée « le droit à l’esclavage » : pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre, ce projet de gouvernement prévoyait l’augmentation du nombre d’heures supplémentaires de 250 à 400, accordant aux employeurs un délai de trois ans pour leur paiement. La mesure a été fortement contestée dans les rues de Budapest.

L’effacement des Verts et de l’extrême droite

Les sociaux-démocrates ont remporté 5 sièges au total, l’un revenant au MSZP (une alliance constituée du Magyar Szocialista Párt et du Párbeszéd Magyarországért), les 4 autres étant octroyés à la Coalition démocratique (DK). Le score obtenu par la DK a été la grande surprise du scrutin. Si le MSZP, affaibli depuis 2009, a perdu un peu plus de 4 % par rapport aux élections européennes de 2014, passant de 10,90 % à 6,66 %, la DK de Ferenc Gyurcsány parvient en revanche à s’imposer comme le deuxième parti du pays : elle progresse de 9,75 % des voix en 2014 à 16,19 % en 2019.

L’ancien premier ministre et président de la Coalition démocratique (DK) Ferenc Gyurcsany le 26 mai, à Budapest. Ferenc Isza/AFP

À l’heure où dans de nombreux pays européens les jeunes se mobilisent et marchent pour le climat, en Hongrie les Verts (Lehet Más a Politika – LMP) ont quant à eux perdu leur représentation au Parlement européen, sanctionnés pour leur stratégie de non-coopération avec Momentum et la DK.

Le Jobbik (Mouvement pour une Hongrie meilleure) – à l’origine un parti d’extrême droite qui a évolué depuis 2016 vers le centre avec un discours pro-européen – s’était hissé au deuxième rang aux élections européennes de 2014 avec 14,67 % des votes. Cette fois, il obtient seulement 6,41 % en mai 2019. Les leaders du Jobbik ont imputé leur échec à la stratégie du gouvernement, accusé de les avoir empêchés de faire campagne. Selon le candidat du Jobbik, Péter Jakab, sa simple survie serait déjà une victoire.

Cap sur les municipales

Dans un pays où la presse n’est plus indépendante et où l’espace d’expression de l’opposition est systématiquement restreint, les résultats du pouvoir méritent d’être nuancés. À Budapest, le Fidesz n’a obtenu que 41 % des suffrages, où il a été devancé par le vote en faveur de la Coalition démocratique (DK), des Sociaux-démocrates du MSZP et de Momentum. Ce dernier s’est imposé à Budapest.

S’ils parviennent à coopérer, ces trois partis d’opposition (MSZP, DK et Momentum) peuvent influer sur le résultat des élections municipales qui auront lieu en octobre, en premier lieu à Budapest mais aussi dans d’autres villes du pays.

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