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En Italie, la vie urbaine se réinvente au cœur du confinement

Une rue vide à Turin, en mars 2020. Mike Dotta/Shutterstock, CC BY-SA

Ces derniers jours, en Italie, la population étant soumise à un confinement très strict, villes et les villages sont désertés.

Spécialiste de l’environnement urbain vivant et travaillant dans le nord de l’Italie, je constate que l’usage des espaces urbains y est complètement bouleversé. Les lieux habituellement associés à la vie publique, comme les rues, les places du centre-ville, les quartiers commerciaux – à l’intérieur et à l’extérieur des villes – sont vides. L’espace urbain a perdu toute forme de structuration, toute hiérarchie. Sans magasins ouverts ni personne aux heures de pointe, toutes les rues se ressemblent.

Malgré les différentes alertes venues de l’étranger visant à prévenir les Italiens des dangers liés à la propagation rapide du nouveau coronavirus, cette désertification s’est faite progressivement, une partie de la population ayant opposé une certaine résistance à l’interruption de la vie sociale et à l’interdiction de fréquenter les espaces publics.

Repenser l’espace urbain

Pourtant, les villes italiennes ont déjà vécu de nombreuses épidémies par le passé – comme de nombreuses villes d’Europe. L’île de quarantaine du Lazaretto Vecchio (vieux Lazaret), dans la lagune de Venise, en est témoin. Au XVIIe siècle, on y isolait les malades de la peste. De même, l’église de la Madonna della Salute (Notre-Dame de la Santé), emblème de la cité des Doges, fut construite au XVIIe siècle comme offrande votive, afin de libérer la ville de la peste.

L’église Madonna della Salute, Venise. Andrea Mangoni/Shutterstock

Les musées et les sites culturels ont fermé. Des concerts ont été annulés et les salles de cinéma sont fermées aussi. Dans ce contexte, il est nécessaire de repenser les espaces publics, de les recréer autrement. De nouvelles initiatives numériques ont été développées pour faire face au manque de vie culturelle.

Les musées rouvrent leurs portes en ligne. La galerie Brera, à Milan, propose des visites virtuelles à sa collection. La Galerie des Offices, à Florence, a mis en ligne le projet « Hypervisions », un moyen pour les visiteurs de découvrir ses chefs-d’œuvre en ligne. Parmi les autres projets culturels, citons cet événement en direct qui a permis à des philosophes de discuter des outils permettant de faire face à la quarantaine de 10h à minuit, le 21 mars.

Tandis que les Italiens sont confinés, les interactions publiques se déplacent en ligne. Sous le hashtag partagé #iorestoacasa (Je reste à la maison), des célébrités enregistrent des messages pour encourager les gens, en particulier les jeunes, à ne pas sortir.

« Restez chez vous, tout ira bien. Pasquale Senatore/Shutterstock, CC BY-NC-ND

Nouveaux rituels

Le web permet également des rencontres sociales virtuelles. Dans des circonstances normales, les habitants de Milan et d’autres villes italiennes se retrouvent en début de soirée pour l’aperitivo : autrement dit, pour boire un « spritz » avant le dîner, pendant une demi-heure, en grignotant des canapés.

Le rituel de l’aperitivo a été l’un des premiers à disparaître, avec l’ordre de fermer les cafés à 18 heures. Aujourd’hui, tous les cafés sont totalement fermés. Mais ce rituel se déplace en ligne, avec la diffusion de nouvelles habitudes en provenance de Milan : un aperitivo qui se déroule dans le salon, à la maison. Des groupes d’amis sont invités à rejoindre l’apéritif et se réunissent en ligne avec un verre de vin ou de bière à la main pour discuter.

Ce rituel de l’aperitivo est peut-être plus régulier que d’habitude, et peut-être même plus inclusif. En raison de la petite taille de certains appartements, il n’est pas toujours possible de créer un espace totalement privé, et cet aperitivo d’un nouveau genre inclut donc potentiellement les enfants et les personnes âgées qui partagent le foyer.

L’espace physique « ouvert » continue cependant à jouer un rôle. La vie en société ne se joue plus au niveau de la rue mais sur les balcons et aux fenêtres, qui sont non seulement un filtre entre les espaces intimes d’isolement et l’espace public, mais aussi les composantes d'un nouveau type d’espace urbain et de vie collective. Le besoin de sociabilité et d’appartenance à une communauté est devenu quelque chose que l’on a envie de raconter et de montrer. Il y a quelque temps, nous avons vu des vidéos dans lesquelles es citoyens de Wuhan se parlaient en criant par leurs fenêtres, créant un nouvel environnement sonore pour leur communauté. Aujourd’hui, les gens se postent également plus souvent à leurs fenêtres dans les rues italiennes.

Les villes italiennes peuvent être très bruyantes ; le silence qui y règne aujourd’hui est inédit, et totalement surréaliste. Et les rares sons que l’on entend sont tout à fait inhabituels : ce sont, par exemple, les haut-parleurs qui encouragent les passants à rester chez eux.

Surviennent aussi des sons positifs et réconfortants. Un nouveau type de flash mob rassemble les gens à leur fenêtre à heure fixe : pour illuminer l’Italie, pour applaudir ensemble en l’honneur des médecins et des infirmières qui travaillent sans relâche, pour jouer de la musique, pour chanter l’hymne national ou une chanson, ensemble.

Lors d’un récent aperitivo virtuel avec des invités de toute l’Europe, nous avons appris que la pratique des applaudissements par les fenêtres s’est déplacée vers d’autres pays, comme l’Espagne – et à présent, la France. C’est une façon de rencontrer des voisins qui, en temps normal, n’ont jamais échangé un mot : simplement en souriant ensemble pour interrompre le silence.

This article was originally published in English

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