Menu Close

En orthographe, le niveau baisse : faut-il vraiment s’en inquiéter ?

Deux élèves écrivent sur leurs cahiers
Entre 1873 et 2005, le nombre de fautes en orthographe aurait doublé chez les élèves de CM2. Shutterstock

En orthographe, les élèves d’aujourd’hui seraient-ils moins performants que leurs aînés ? Oui, répondent les rapports qui se succèdent sur la question. Selon une enquête de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), publiée fin 2022 par le ministère de l’Éducation, les élèves de CM2 feraient environ neuf fautes d’orthographe de plus que ceux de 1987, soit une hausse de 81,3 % sur un intervalle de 35 ans. Ce constat suscite souvent des cris d’orfraie sur l’état de l’école et le niveau scolaire des nouvelles générations.

Mais, quelle est la portée de ce diagnostic ? Que nous dit-il des apprentissages, des savoirs et des compétences des élèves de manière plus globale ? L’augmentation du nombre de fautes d’orthographe a-t-elle une réelle incidence sur les capacités de lecture et de compréhension des textes ?

Au-delà des enquêtes centrées sur la France permettant de mesurer les évolutions en orthographe, les évaluations internationales comme PISA (Programme for International Student Assessment) nous aident à mieux situer ces enjeux dans un contexte où les programmes scolaires eux-mêmes se sont étoffés sur le long terme.

Des programmes scolaires plus vastes aujourd’hui

En effet, inscrites dans le temps, les inquiétudes concernant l’orthographe ne sont pas inédites. Dès 1996, une étude prémonitoire compare le niveau de français des élèves sur le temps long. Elle mobilise une enquête réalisée dans les années 1920 auprès d’élèves ayant participé à l’examen du certificat d’études primaires (CEP) de 1923 à 1925.

En répliquant cette expérience historique, les auteurs du rapport ont mis en avant une baisse du niveau en orthographe au long du XXe siècle. Soumis aux mêmes dictées, les élèves de collège de 1996 ont commis, en moyenne, environ 2,5 fois plus de fautes que ceux des années 1920. Alors que, dans les années 1920, près d’un quart des élèves faisaient 0 ou 1 faute d’orthographe, cela ne concerne plus que 5 % des élèves en 1996.

Ces résultats sont largement confirmés par les récents travaux de la DEPP. Dans le tableau ci-dessous, l’on observe clairement une hausse des fautes d’orthographe de 81,3 % entre 1987 et 2021.

Une autre analyse de l’évolution du niveau en orthographe confirme ces données en comparant les fautes d’orthographe des jeunes élèves en 1873, 1987 et 2005. L’étude utilise une dictée basée sur un court texte de Fénelon et montre que le nombre de fautes des élèves de CM2 double sur la période 1873-2005 (voir encadré).

Pourtant, si le rapport Thélot de 1996 cité plus haut étaye par des éléments concrets la baisse du niveau en orthographe, il invite aussi à nuancer cette tendance. En effet, si les élèves font davantage de fautes, leur niveau en vocabulaire et en compréhension de texte est équivalent à celui des élèves des années 1920, précise-t-il. Qui plus est, à tort ou à raison, les élèves d’aujourd’hui ne sont plus vraiment soumis avec intensité au rituel de la dictée.

Il apparaît également, en toute logique, que les élèves des années 1920 devaient intégrer moins de contenus d’enseignement que ceux d’aujourd’hui. En d’autres termes, l’étendue des connaissances transmises en français, mais aussi en mathématiques par exemple, nous invite à ne pas déconsidérer les compétences de la nouvelle génération, bien au contraire. Dès lors, il n’est sans doute pas déraisonnable de se demander si les formats actuels d’évaluation, en orthographe notamment, sont propres à les mesurer efficacement.

En primaire, des scores sous la moyenne de l’OCDE

Les évaluations internationales sur la lecture, PISA (Programme for International Student Assessment) et PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) éclairent sous un autre angle la complexité de la situation. En effet, contrairement à une dictée classique, PISA n’est pas un test de connaissances, mais une évaluation des compétences des jeunes de 15 ans, PIRLS se focalisant les jeunes de CM1. Leur objectif est d’estimer leur capacité à analyser un texte et à produire des inférences (c’est-à-dire à combiner des informations pour comprendre ce qui n’est pas dit explicitement dans le texte), et non de juger s’ils maîtrisent les règles d’orthographe ou de grammaire.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

De ce point de vue, la France présente un retard vis-à-vis des autres pays riches. En primaire, le niveau en lecture des élèves français se situe dans le groupe des pays les moins performants en 2016. Le Danemark ou l’Italie affichent des scores qui avoisinent les 550 points, lorsque la France aboutit à une performance moindre avec 511 points. Transformé en équivalents d’années d’apprentissage, cet écart équivaut à un peu plus d’une année d’acquis scolaires. Au collège, les élèves français affichent également une performance au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE avec 493 points, alors que des pays comme la Finlande ont un score de 520 points.

Ces résultats ne permettent toutefois pas d’apprécier les tendances de long terme. Aussi, forts de nos travaux précédents, nous effectuons des analyses complémentaires dans le but d’obtenir des données comparables sur la performance en lecture des élèves français entre 1970 et 2020.


Read more: Orthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves


Nos résultats soulignent que, depuis 1970, le niveau des élèves français progresse en lecture et en mathématiques malgré une tendance à la baisse sur les vingt dernières années. En comparant les évolutions respectives de la performance en orthographe et en lecture aux deux niveaux scolaires entre 1985 et 2021, les résultats montrent également l’absence d’une relation entre la chute du niveau en orthographe et le niveau général des élèves : alors que la part des élèves faisant moins de 10 fautes à la dictée passe de près de 60 % à moins de 25 % sur cette période, la performance des élèves en lecture augmente de 1 % en primaire et de 8 % au niveau secondaire.

Plus de fautes de grammaire, moins de rigueur ?

Mais pourquoi, finalement, évalue-t-on davantage l’orthographe que la capacité rédactionnelle ou la posture réflexive des élèves ? Comme le soulignaient en 2007 Danièle Manesse et Danièle Cogis, la maîtrise de l’orthographe est perçue comme un, si ce n’est « le » préalable à la réussite des élèves.

En extension, la baisse du niveau en orthographe se traduit-elle par une moindre performance de la France vis-à-vis d’autres pays ? Notre base de données montre que la position française en lecture et en mathématiques est en retrait des autres pays de l’OCDE. Alors que la plupart des pays ont une performance proche de 540 points en lecture, la France ne parvient à obtenir que 500 points. La situation n’est guère meilleure en mathématiques où le retard français apparaît même de manière plus aggravée.

Le niveau en orthographe des élèves français diminue depuis maintenant un siècle au moins. Par-delà l’orthographe, c’est l’augmentation des fautes de grammaire qui semble poser un problème majeur. En effet, ces erreurs laissent supposer un manque de rigueur, un défaut de logique et donc un moindre niveau de compétence en lecture et en mathématiques. La baisse observée en orthographe peut ainsi suggérer une baisse plus généralisée des compétences en primaire et dans le secondaire. Quoi qu’il en soit, elle ne devrait pas laisser de marbre, au seul titre que la langue française serait plus complexe que d’autres langues, comme l’anglais par exemple, et donc plus sujette aux fautes d’orthographe.

En définitive, ces résultats s’apparentent à des signaux d’alerte sur l’état de la transmission des connaissances, à l’heure où tous les pays tentent de renforcer les savoirs et savoir-faire de leur population, décisifs pour leur avenir économique.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now