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En vert et contre tout : quels freins pour les entreprises soucieuses de l’environnement en Kabylie ?

Le levier des aides de l'État, quand il existe, reste souvent difficile à actionner.

Devant les grands défis du changement climatique, les entreprises semblent devoir jouer un rôle majeur pour adresser ses enjeux sous-jacents chargés d’incertitudes. Dès le début du XXe siècle, l’économiste Frank Knight définissait l’entrepreneur comme celui guidé par un profit rémunérant des décisions prises dans un monde incertain. De ce point de vue, les questions environnementales semblent représenter de grandes opportunités pour les entreprises.

Et pourtant, peu sont celles qui semblent l’avoir intégré. Selon une étude récente de l’ONG Carbon Disclosure Project, seuls 2 % des firmes françaises ont un plan de transition suffisamment avancé pour être jugé crédible dans la perspective de limiter à 1,5 °C le réchauffement climatique.

Certes, de jeunes actifs portent le développement d’un entrepreneuriat vert cherchant à apporter des solutions pratiques et souvent innovantes aux préoccupations sociales et environnementales. Innover et entreprendre dans ce domaine semble de plus en plus en vogue, investir dans la green tech pour proposer des technologies à émissions négatives également.

L’enthousiasme est cependant souvent freiné par plusieurs obstacles. Nos travaux l’ont en particulier montré à partir de l’étude d’un pays en développement, étude locale mais éclairante y compris pour nos politiques publiques.

Manque d’accompagnement et méconnaissance

Il existe trois grands types de motivations pour les entrepreneurs à s’engager sur les questions environnementales. Il y a ceux convaincus par l’importance de l’enjeu et qui souhaitent contribuer à sa résolution (l’environnementalisme axé sur les valeurs) ; il y en a d’autres qui cherchent à exploiter les pressions institutionnelles, les nouvelles lois et les normes, pour créer de nouveaux modèles d’affaires (l’environnementalisme de conformité) ; d’autres enfin exploitent les imperfections du marché à adresser les externalités négatives générées par l’économie grise (l’environnementalisme axé sur le marché).

Parmi les freins habituels auxquels les entrepreneurs se confrontent, on relève – quel que soit l’endroit du monde – des accès au marché rendus difficiles, parfois car la demande de produits verts peut être insuffisante pour générer des rendements durables. La consommation de produits bio n’en est, par exemple, qu’à ses balbutiements dans les pays en développement. Il n’est pas toujours certain que l’entreprise trouve un marché suffisant pour être rentable. Bien souvent, de plus, la consommation responsable souffre encore d’une image trop négative.

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Un autre obstacle concerne l’accès au financement des projets entrepreneuriaux verts. Devant trop d’incertitudes ou des perspectives de rendements peu sûres, les banques s’avèrent parfois frileuses au moment d’octroyer des crédits. Dès lors, il pourrait apparaître souhaitable que, en compensation, les pouvoirs publics prennent le relai.

Notre étude s’est intéressé à des entrepreneurs verts qui rencontrent encore bien d’autres obstacles. Nous avons procédé à des entretiens en Algérie, dans un territoire kabyle pourtant précurseur en termes de développement durable. L’économie du pays repose encore largement sur des ressources fossiles (elles constituent près de la moitié des recettes fiscales) mais leur rente s’effrite. Il lui faudra bientôt trouver des alternatives mais l’État s’engage pourtant peu sur des politiques alternatives pour favoriser la transition écologique et accompagner les entreprises dans ce sens.

De nombreux entrepreneurs nous ont, par exemple, fait part d’un manque d’accompagnement d’un point de vue administratif, technique et financier alors qu’ils souhaitent vivement s’engager dans le développement durable.

« Je ne savais pas à quelle porte frapper. Et puis j’ai rapidement découvert que rien n’était fait pour encourager les entrepreneurs à investir le champ de l’environnement », déplore l’un d’entre eux.

Or, les enjeux environnementaux ne sont pas moins prégnants dans les économies en développement et émergentes quand bien même la responsabilité serait à attribuer aux économies industrialisées.

De leur côté, les structures accompagnatrices ne se sentent pas non plus à la hauteur en termes de moyens, de capacités et de compétences. Elles n’estiment pas pouvoir accompagner au mieux ces startupers verts, à l’image de cet employé :

« Je me suis senti bien seul. Je n’avais pas grand-chose à proposer et puis je n’y connais vraiment pas grand-chose là-dedans ».

Nous montrons, par ailleurs, que le financement participatif reste un dispositif peu voire pas connu alors qu’il peut représenter une source de financement particulièrement bénéfique dans les projets.

L’outil de la plate-forme unique

Comment progresser par conséquent ? Tout d’abord, étant donné que la question centrale reste celle du financement, il est important de rappeler qu’investir dans des projets « verts » ne signifie pas renoncer à leur rentabilité. Les investissements verts semblent même surperformer et il est vraisemblable que cette tendance va durer dans le temps.

Il semble aussi que les gouvernements et les instances publiques régionales et locales doivent intensifier leurs efforts pour améliorer les connaissances, compétences et expériences des personnes en charge de l’accompagnement des projets en entrepreneuriat vert. En l’état, notre étude montre que ces personnes, c’est particulièrement vrai pour les pays en développement, ont une relative méconnaissance des enjeux du développement durable. Elles rencontrent ainsi des difficultés au moment d’appréhender les innovations vertes. Dans ce cadre, il pourrait être envisagé d’organiser des rencontres avec des accompagnateurs de projets d’autres pays afin d’échanger sur leurs bonnes pratiques et de favoriser l’apprentissage.

Cela fait notamment que les startupers verts peinent à identifier les aides dont ils pourraient bénéficier. Des politiques de création d’une plate-forme unique qui rassemblerait et présenterait des informations consolidées à destination des éco-entrepreneurs sur la nature et le type d’instruments de soutien (financiers mais pas que) à leur disposition ne s’avèreraient ainsi pas vaines.

Y inclure des processus de demande standardisés afin de réduire davantage la charge administrative serait également tout à fait pertinent. La chose représente, aux dires des enquêtés, un réel frein à la mobilisation des programmes de soutien.

« Stop à la paperasse ! On croule sous les dossiers à remplir. Comment voulez-vous qu’on travaille sur le fond ? », s’emporte l’un d’entre eux.

La France, a, il y a un an, su franchir cette étape avec un site dédié. Reste à savoir si celui-ci atteindra les objectifs fixés et répondra aux attentes de nos entrepreneurs verts.

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