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Engagement environnemental et sociétal : des pistes pour faire une vraie place aux femmes

Les femmes sont largement sous-représentées dans les conseils d’administration. Shutterstock

Les exigences en matière d’engagement sociétal et de développement durable sont de plus en plus fortes pour les organisations. Les multinationales de la « mode jetable », épinglées et boycottées sur les réseaux sociaux – avec dépôt de plaintes de collectifs d’ONG en raison de pratiques non éthiques – en donnent une récente illustration.

Les parties prenantes poussent les organisations à s’impliquer dans leur démarche RSE et à en structurer la gouvernance. Aussi, la performance RSE est devenue un enjeu majeur pour les conseils d’administration (aussi appelés « boards »), chargés de définir les orientations stratégiques des organisations.

Toutefois, les sujets qui relèvent de la gouvernance RSE (stratégies de croissance soutenable, de sortie de crise…) restent majoritairement portés par des hommes ; les femmes sont largement sous-représentées dans les boards.

L’entre-soi masculin, les stéréotypes de genre, l’argument du « manque de vivier » de femmes et l’immobilisme de certaines entreprises, satisfaites de leurs résultats, demeurent de puissants freins à ce processus de féminisation.

La justice sociale et l’égalité entre les sexes sont souvent invoquées pour justifier des mesures interventionnistes, visant à accroître cette présence, à l’image de la loi Copé-Zimmermann relative aux quotas.

Pourtant, des études toujours plus nombreuses révèlent que féminisation des boards et performance environnementale et sociétale sont liées.

De nombreux travaux de recherche sur le sujet

Depuis une dizaine d’années, des travaux de recherche montrent que la féminisation des boards a des effets positifs sur la performance RSE-DD (développement durable) des organisations.

Les boards comptant des femmes administratrices affectent positivement la performance environnementale, comme le montre une étude sur des entreprises américaines.

Les boards féminisés montrent une meilleure prise en compte des parties prenantes et des questions de RSE, selon une étude sur des firmes canadiennes. Ils contribuent aussi, selon des travaux réalisés au Royaume-Uni, à une meilleure réputation de la firme.

Une récente étude espagnole, portant sur des sociétés cotées, montre qu’un nombre élevé de femmes dans les boards influence de façon positive la communication volontaire de rapports RSE conformes aux directives de la Global Reporting Initiative, ainsi que l’intégration dans l’indice DJSI – Dow Jones Sustainability Index.

Selon une étude américaine, la présence des femmes a un effet positif sur les notations RSE des entreprises, ce qui, à son tour, renforce leur réputation.

Ce serait à la fois l’expérience et les valeurs portées par ces administratrices qui impacteraient positivement les pratiques RSE et la réputation de ces organisations.

30 % de femmes pour faire la différence

Mais nommer une seule femme dans un board relève de l’effort symbolique et ne suffit pas.

Plusieurs études évoquent ainsi la nécessité d’une « masse critique » de femmes, de l’ordre de 30 %, pour qu’elles puissent peser sur les décisions et les orientations stratégiques, et que les effets sur la gouvernance RSE se fassent sentir.

Une étude espagnole montre qu’un pourcentage plus important, avec un minimum de 3 femmes, entraîne davantage de divulgation d’informations en matière de RSE et, selon une autre étude espagnole, un rapport RSE de meilleure qualité lorsque le conseil comprend a minima trois administratrices.

Les organisations auraient ainsi tout intérêt à accueillir davantage de femmes dans leurs instances de gouvernance. Reste un risque majeur inhérent à cette approche : une forme de feminism washing, consistant à récupérer la cause des femmes à l’avantage des organisations.

Aussi, des voix s’élèvent pour proposer une réponse radicale : les femmes doivent s’emparer des questions stratégiques et transversales de gouvernance RSE au sein des organisations.

Repenser la gouvernance RSE

Mobiliser la pensée écoféministe permet d’envisager des réponses possibles aux enjeux stratégiques de développement durable.

L’écoféminisme se situe à la confluence des mouvements écologiste et féministe. Selon ce courant de pensée, la cause écologique et celle des femmes sont inextricablement liées : la destruction de la nature au nom du profit et du progrès et les inégalités sociales que subissent les femmes, procèdent de la même violence patriarcale. La défense de l’environnement et celle des droits des femmes doivent ainsi converger au sein de la société.

À l’échelle des organisations, les femmes doivent devenir de véritables actrices de la transition vers une gouvernance RSE, plus responsable et plus écologique.

Elles peuvent créer une dynamique nouvelle au sein des boards pour que la RSE ne se développe pas en parallèle de la stratégie d’entreprise, mais qu’elle l’irrigue en permanence.

Six propositions pour faire de la place aux femmes

Afin d’accélérer l’inclusion des opinions féministes dans les processus décisionnels, et contribuer à la refonte de la gouvernance RSE des organisations, nous formulons six propositions :

  1. Revaloriser les valeurs dites « féminines » au sein des boards (empathie, bienveillance, intuition, intelligence émotionnelle) ; celles-ci peuvent faire évoluer les orientations stratégiques en matière de développement durable ;

  2. Dans les boards – mais aussi dans les organes de direction de type CODIR, COMEX, etc. – mettre fin à la surreprésentation des hommes pour tendre vers « un mode de développement qui soit autre qu’occidental et patriarcal » ;

  3. S’attaquer à la ségrégation genrée dans les conseils en revalorisant les comités RSE, souvent considérés comme non stratégiques et où les femmes sont historiquement nombreuses – alors qu’elles sont minoritaires à la tête des comités d’audit, de nomination et de rémunération ;

  4. Former les femmes aux fonctions d’administratrices, les accompagner dans leur montée en compétences (confiance, prise de parole, posture, assertivité), en particulier lors de leurs premiers mandats ;

  5. Repenser le rapport RSE sur le fond et la forme, dans une approche moins financière et experte, plus accessible aux différentes parties prenantes ;

  6. Enfin, dénoncer et combattre avec davantage de vigueur les affichages hypocrites et opportunistes de type greenwashing et gender washing, qui consistent à se donner de façon opportuniste une image d’entreprise soucieuse de RSE sans que cela ne soit suivi dans les faits.

Ces propositions font écho aux déclarations du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, du 27 février 2020 :

« L’égalité des sexes est une question de pouvoir. C’est la question du pouvoir jalousement gardé par les hommes depuis des millénaires. […] Nous devons de toute urgence transformer et redistribuer le pouvoir si nous voulons préserver notre avenir et notre planète. »

Cette redistribution du pouvoir doit se faire non contre les hommes, mais avec eux. Œuvrer à la défense de l’environnement et à plus d’égalité peut constituer un projet fondateur et enthousiasmant pour la société, en particulier pour la jeunesse malmenée par la crise actuelle.

Cela peut être l’occasion d’engager la révolution à la fois écologique et sociale que l’écoféminisme appelle de ses vœux depuis des décennies pour « faire de la Terre, notre demeure, un jardin planétaire ».

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