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Entre le Rassemblement national et la Russie, une longue lune de miel

Vladimir Poutine reçoit Marine Le Pen au Kremlin à Moscou, le 24 mars 2017. Mikhail Klimentyev/AFP

À quelques jours du second tour des élections présidentielles françaises, Marine Le Pen a explicité son programme de politique étrangère : limiter le soutien militaire à l’Ukraine et ne pas voter de nouvelles sanctions contre la Russie, quitter le commandement intégré de l’OTAN, et dès que la paix est possible entre Moscou et Kiev, relancer un « rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie ».

Avec la guerre en Ukraine, Marine Le Pen a dû adoucir son discours prorusse afin de rester en ligne avec l’opinion publique, mais elle n’en continue pas moins à proposer une politique étrangère qui détonne avec une large part du paysage politique français – et européen.

Une relation avec la Russie établie du temps de Jean-Marie Le Pen

Cette fidélité à la Russie s’explique par de multiples raisons.

Les liens du Front national (FN)–Rassemblement national (RN) avec la Russie sont anciens : dès les années 1960, Jean-Marie Le Pen avait reçu le peintre nationaliste et antisémite soviétique Ilya Glazounov, venu à Paris au sein d’une délégation soviétique dans l’espoir (déçu) de faire le portrait du général de Gaulle et qui avait au final peint celui de Le Pen – un signe avant-coureur de l’instrumentalisation de l’héritage gaulliste par le FN afin de parler à la Russie.

Ces liens anciens s’expliquent par le fait qu’une partie de la droite catholique, monarchiste et collaborationniste française n’a cessé de cultiver l’image d’Épinal de la Russie éternelle, tsariste et orthodoxe. En outre, des liens personnels entre émigration russe et extrême droite française se sont tissés au fil des années : Jean-François Chiappe, l’un des membres du comité central du FN, écrivant des billets pour Rivarol et venant d’une famille proche de l’association monarchiste des Camelots du Roi, a par exemple épousé Maria Denikina (plus connue sous son nom de plume Marina Grey), la fille du général Anton Denikine, l’un des héros « blancs » (antibolcheviques) de la guerre civile russe.

La mouvance du FN dite solidariste, dirigée par Jean-Pierre Stirbois, était quant à elle en partie inspirée par le solidarisme russe, un mouvement corporatiste à la Mussolini luttant contre l’Union soviétique et le communisme.

Ces liens se sont poursuivis dans les années 1980 quand une figure de l’émigration culturelle russe comme l’écrivain Eduard Limonov, futur chantre du national-bolchévisme, fréquentait les milieux contre-culturels d’extrême droite et présenta Vladimir Jirinovski, l’excentrique politicien impérialiste russe, à Jean-Marie Le Pen.

Les deux hommes avaient tenté de lancer une sorte d’« Internationale des patriotes » mais leurs caractères ombrageux et des divergences de vues avaient fait capoter le projet. Le jeune idéologue Alexandre Dougine, alors inconnu mais déjà bien connecté, avait interviewé Jean-Marie Le Pen pour le principal journal national-conservateur russe Den’. L’ancien diplomate et chef du KGB Vladimir Krioutchkov, l’un des leaders du putsch conservateur d’août 1991 qui tenta de renverser Mikhail Gorbatchev, aurait lui aussi été l’un des instigateurs de ces contacts avec l’extrême droite française.

Jean-Marie Le Pen (ainsi que son numéro deux de l’époque, Bruno Gollnisch) s’est ensuite rendu à plusieurs reprises en Russie, au moins en 1996, puis en 2003, tandis que des figures de la droite nationaliste russe telle que Sergueï Babourine ont participé à des conventions du FN.

Jean Marie Le Pen rend visite à Vladimir Jirinovski (AP Archive).

L’officialisation de la relation russe avec Marine Le Pen

Une fois Marine Le Pen à la tête du FN en 2011, les relations de la famille Le Pen avec la Russie, jusque-là principalement du domaine du privé, s’officialisent et deviennent la ligne directrice du parti sur les questions de politique étrangère.

De nombreux proches de la nouvelle présidente (Emmanuel Leroy, Frédéric Chatillon, Jean-Luc Schaffhauser, ou encore son ex-conseiller international, Aymeric Chauprade) ont des liens étroits, à différents niveaux, avec la Russie.

L’attirance entre le FN/RN et la Russie est mutuelle et fondée sur des valeurs partagées. Le mot clé de ce mariage idéologique est celui de souveraineté, décliné sous différentes formes :

  • politique et géopolitique : l’État-nation doit être au-dessus des législations internationales et des organisations supranationales,

  • économique : le protectionnisme économique est légitime pour s’opposer à une globalisation déstructurante et dominée par les corporations internationales,

  • culturelle : la nation comme entité ethnoculturelle homogène dans laquelle les minorités ou migrants sont acceptés s’ils acceptent de s’assimiler et intègrent l’idée d’être des citoyens de seconde zone.

Mais ce mariage idéologique entre le FN/RN et la Russie dispose également de facettes plus opportunistes. Dès son arrivée à la tête du FN, Marine Le Pen est en quête de reconnaissance internationale afin de consolider sa stature de potentielle cheffe d’État et travaille ardemment à se faire recevoir par Vladimir Poutine, ce qui sera fait en mars 2017.

Marine Le Pen : « On ne peut pas traiter par le mépris Vladimir Poutine » – INA Politique.

Son entrisme en Russie s’est effectué en grande partie grâce à l’oligarque orthodoxe et monarchiste Konstantin Malofeev, introduit auprès de Jean-Marie et Marine Le Pen par Ilya Glazounov, et dont la chaîne Internet Tsargrad TV fait régulièrement la part belle à Marine.

Les intérêts réciproques d’une alliance Russie–Rassemblement national

Le FN est également à la recherche de soutiens financiers, et là encore, c’est la Russie qui offrira à Marine un prêt d’un montant de 9 millions d’euros, nécessaire pour sa campagne en vue des présidentielles de 2017 (Jean-Marie Le Pen obtient quant à lui 2 millions d’euros pour son microparti), en échange d’un soutien appuyé à l’annexion de la Crimée par Moscou comme l’ont révélé les enquêtes de Mediapart.

Du côté russe, on cherche des alliés influents, capables d’accéder à des postes de décision et de servir de chambre de résonance à la vision du monde avancée par le Kremlin. Moscou a longtemps considéré la France comme un pays clé à cause de son positionnement géopolitique en partie autonome des États-Unis, son statut de puissance nucléaire, son siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, ses entreprises du CAC40 très implantées en Russie et donc aptes à faire du lobbying en faveur de Moscou, et une forte présence culturelle russe due à l’histoire de l’émigration russe.

Marine Le Pen : sa passion russe qu’elle veut faire oublier (Mediapart).

Mais la présidence de François Hollande n’est pas favorable à la Russie, et le Kremlin s’engage alors clairement aux côtés de Marine Le Pen. Moscou n’est pas nécessairement un amant fidèle : lorsque la candidature de François Fillon se précise, la perspective d’un candidat de droite classique, capable de rallier les milieux conservateurs catholiques et des cercles économiques influents, fait basculer les médias russes en faveur de François Fillon contre Le Pen, avant de revirer en direction du FN une fois François Fillon mis en échec.

Dans le champ médiatique et politique russe, Marine Le Pen est présentée comme une patriote de l’Europe authentique, digne héritière du gaullisme et de l’idée d’une Europe des nations, non inféodée aux intérêts américains et transatlantiques et fondamentalement tournée vers une identité européenne continentale et conservatrice. Marine a fait l’objet de plusieurs livres en russe écrits par des publicistes et est régulièrement célébrée à la télévision russe comme l’une des figures majeures du monde politique européen.

Une victoire de Marine Le Pen aux élections de dimanche serait bien évidemment une bonne nouvelle pour Moscou, dont les soutiens européens se sont réduits comme peau de chagrin avec la guerre, se limitant principalement à la Hongrie et la Serbie. Une voix sympathique aux intérêts russes au cœur de l’Europe occidentale serait donc inespérée.

Mais même en cas d’échec, le succès de la politique de normalisation du RN, ainsi que la présence de multiples voix prorusses dans l’ensemble du champ politique du souverainisme de droite (mais également, avec plus de nuances, de gauche) – de Philippe de Villiers à Marion Maréchal et Éric Zemmour – garantissent à Moscou que ses points de vue continueront à être reflétés dans les débats français.

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