tag:theconversation.com,2011:/es/topics/amerique-latine-28959/articlesAmérique latine – The Conversation2024-03-21T15:41:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2213742024-03-21T15:41:48Z2024-03-21T15:41:48ZAu Mexique, comment une épidémie du caféier a accéléré la déforestation<p>Le café et le <a href="https://theconversation.com/quand-le-boom-du-cacao-au-liberia-pousse-a-la-deforestation-212576">cacao</a> font aujourd’hui partie de notre quotidien, mais la hausse de la demande mondiale pour ces deux produits tropicaux a des conséquences environnementales majeures. Traditionnellement cultivés au sein même de la forêt tropicale, dans des systèmes agroforestiers où les arbres fournissent aux plants de café l’ombre nécessaire à leur développement, café et cacao <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11625-014-0282-4">contribuent désormais de manière importante à la déforestation</a>.</p>
<p>Dans les tropiques, <a href="https://www.cifor.org/knowledge/publication/5167/">l’extension des zones agricoles est la première cause de déforestation</a>. Or les régions tropicales hébergent la majeure partie des <a href="https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1890/070193">espèces animales et végétales</a> sur notre planète : la perte de forêts tropicales a bien entendu un impact sur le réchauffement climatique, mais elle représente aussi une érosion irrémédiable de la biodiversité.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-le-boom-du-cacao-au-liberia-pousse-a-la-deforestation-212576">Quand le boom du cacao au Liberia pousse à la déforestation</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les agroforêts <a href="https://www.profor.info/sites/profor.info/files/Coffee_Case%20study_LEAVES_2018.pdf">reculent depuis plusieurs décennies devant l’extension des monocultures</a>. Ces écosystèmes qui concilient production agricole et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0167880913001424">préservation d’une partie de la forêt et de la biodiversité</a> qu’elle héberge, sont-ils donc voués à disparaître ? Comprendre les menaces qui pèsent sur ces systèmes culturaux est essentiel afin de limiter la déforestation en zone tropicale, mais les politiques agricoles ont aussi une responsabilité dans ces évolutions.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="photo de traces oranges sur une feuille de café" src="https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570573/original/file-20240122-15-qbmsk7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La rouille du caféier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rouille_du_caf%C3%A9ier#/media/Fichier:Hemileia_vastatrix_uredinial_pustules.png">Par Carvalho et al./Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La crise de la rouille du caféier au Mexique est une illustration de la vulnérabilité des systèmes agroforestiers et des conséquences environnementales parfois malheureuses de politiques agricoles. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ajae.12441">Dans une étude récente</a>, nous nous sommes penchés sur les conséquences de cette maladie causée par un champignon microscopique (Hemileia vastatrix), sur la déforestation au Mexique, qui a augmenté en moyenne de 32 % par an entre 2012 et 2018, en particulier dans les zones où était pratiquée l’agroforesterie.</p>
<p>Mais la maladie n’est pas seule en cause : la déforestation accrue est aussi pour partie la conséquence de la stratégie de lutte sponsorisée par le gouvernement, qui repose sur le remplacement des caféiers traditionnels par des hybrides robustes à la rouille.</p>
<h2>Une épidémie massive</h2>
<p>Pour le comprendre, revenons sur la culture du café au Mexique. 9<sup>e</sup> producteur mondial en 2011, le pays produit principalement du café de qualité, de type arabica. Contrairement à ses voisins passés massivement à la monoculture de café de type robusta, le Mexique <a href="https://academic.oup.com/bioscience/article/64/5/416/2754235">comptait encore en 2012 80 % de plantations de café sous couvert arboré</a>, les plans d’arabica craignant le soleil à l’inverse des caféiers robusta.</p>
<p><a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12571-015-0446-9">En 2012, une épidémie de rouille massive</a> a affecté le pays, probablement favorisée par des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0261219419303928">températures minimales élevées</a> et un mauvais état d’entretien des plantations alors que les prix internationaux du café étaient très bas.</p>
<p>Le champignon pathogène était présent au Mexique depuis plusieurs décennies, mais son évolution était jusqu’alors contenue : la violence de l’épidémie de 2012 a pris de court l’ensemble des acteurs. Entre 2012 et 2018 la rouille a gagné la quasi-totalité des exploitations du pays. Cette maladie ne tue pas les caféiers mais réduit drastiquement et durablement leur production en limitant leur capacité de photosynthèse.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571464/original/file-20240125-23-wcfkkt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Propagation de l’épidémie au niveau des municipalités, à partir de 2012.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doi.org/10.1111/ajae.12441">Calculs des auteurs à partir de statistiques fournies par le SIAP, Mexique.</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des cultivars résistants pour répondre à la crise</h2>
<p>Face à la crise du secteur, la réponse du gouvernement mexicain a consisté à promouvoir, à partir de 2014, le remplacement des caféiers traditionnels de type arabica, sensibles à la rouille, par des cultivars issus de croisement d’arabica et de robusta. Ces hybrides héritent des robusta la caractéristique de résister à la rouille.</p>
<p>Dans le cadre de ce programme nommé PROCAFE, des aides financières ont été versées aux producteurs afin de subventionner l’achat de plans, et aux pépinières pour qu’elles produisent en masse les cultivars résistants.</p>
<p>Mais ce programme mis en place pour répondre à l’urgence présente deux limites majeures : d’une part la résistance des nouveaux cultivars peut être contournée par la rouille, comme cela <a href="https://apsjournals.apsnet.org/doi/10.1094/9780890546383.009">a déjà été observé au Honduras et au Costa Rica</a>, d’autre part ces caféiers croisés de robusta sont mieux adaptés aux conditions de plein soleil qu’au couvert arboré.</p>
<p>Le programme a ainsi contribué à l’accélération de la déforestation au sein des agroforêts et leur transition vers la monoculture.</p>
<h2>Estimation de l’infestation</h2>
<p>En théorie, un choc négatif sur la production agricole, climatique ou épidémique comme dans le cas de la rouille, a un effet ambigu sur la déforestation. Il peut dans certains contextes <a href="https://www.jstor.org/stable/26269558">limiter la pression sur les forêts</a> en réduisant la profitabilité des exploitations agricoles et en induisant plus d’exode rural, ou à l’inverse <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1910719117">inciter les agriculteurs à accroître la surface de leurs exploitations</a> pour retrouver un niveau de production comparable à celui d’avant le choc.</p>
<p>Pour montrer l’effet causal de l’épidémie de rouille sur la déforestation au Mexique, nous avons utilisé dans notre étude la variabilité locale et temporelle du déclenchement de l’épidémie.</p>
<p>Nous avons également exploité le délai de mise en place du programme PROCAFE afin de tenter de cerner la responsabilité de cette politique agricole dans la transformation des zones de production de café.</p>
<h2>Déforestation accrue</h2>
<p>Nous avons utilisé les données statistiques sur le volume de production de café par municipalité pour détecter le déclenchement local de l’épidémie, en l’absence de données de suivi phytosanitaire. Nous avons pris comme signal d’infestation le constat de deux années consécutives de production anormalement basse, puis avons mesuré la déforestation à l’aide de <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1244693">données satellites renseignant l’évolution du couvert forestier</a> à une résolution fine de 30m par 30m, et croisé ces données avec une carte d’utilisation des sols produite par l’institut national statistique mexicain.</p>
<p>Les données de déforestation utilisées définissent un seuil de 5 mètres de hauteur pour distinguer un arbre d’autres types de végétation. Les plants de café en monoculture ne dépassent pas 5 mètres et ne peuvent être confondus avec des forêts. En revanche, les agroforêts denses traditionnelles où les caféiers sont cultivés sous couvert arboré, sont considérées comme de la forêt.</p>
<p>Nos résultats révèlent une progression de la déforestation plus forte dans les municipalités affectées par l’épidémie. Elle ne s’accompagne pas d’une hausse de la superficie agricole, mais a lieu pour partie au sein de zones boisées déjà consacrées à l’agriculture, c’est-à-dire très probablement des agroforêts… de café.</p>
<p>La déforestation est plus marquée dans l’État de Oaxaca qui comptait avant la crise une plus forte proportion de café cultivé en agroforesterie. Il semble donc que la crise de la rouille ait contribué à la diminution du couvert forestier dans les agroforêts de café.</p>
<h2>Politiques agricoles et incitations</h2>
<p>La responsabilité du programme PROCAFE est difficile à quantifier, mais différents éléments convergent pour établir sa contribution dans l’accélération de la transition des systèmes de culture traditionnels vers de la monoculture.</p>
<p>La diminution de couvert forestier est plus marquée à partir de 2014, soit après le lancement du programme PROCAFE, et touche à partir de cette date toutes les municipalités dans lesquelles la culture du café est pratiquée, qu’elles soient ou non touchées par l’épidémie.</p>
<p>Sachant que les subventions du programme visaient aussi le remplacement préventif des plants de café arabica susceptibles d’être infectés, la promotion et la subvention de cultivars hybrides a ainsi sans doute contribué à intensifier la production caféière et la déforestation dans les zones de café.</p>
<p>Les épidémies frappant les cultures agricoles sont vouées à se multiplier avec le changement climatique, qui diminue les défenses naturelles des organismes en les soumettant à un stress accru. Pour protéger les agroforêts, il est nécessaire de mieux prendre en compte les conséquences de long terme et les effets environnementaux des politiques agricoles, et donc d’anticiper les prochaines crises.</p>
<p>Notre étude illustre la fragilité des systèmes agroforestiers, menacés par le développement des monocultures industrielles. Les agroforêts permettent pourtant de concilier agriculture et préservation d’une partie de la biodiversité et constituent une source de <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2023212118">moyens de subsistance diversifiés</a> pour les populations autochtones. Leur préservation va donc au-delà des aspects environnementaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221374/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’épidémie de rouille de 2012 et la stratégie de lutte du gouvernement ont accru la déforestation dans le sud du pays, en accélérant la transition des agroforêts de café vers la monoculture.Isabelle Chort, Professeur d'économie, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Berk Öktem, Doctorant en sciences économiques, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249902024-03-20T15:59:03Z2024-03-20T15:59:03ZCaraïbes, Amérique latine, Océan indien… Comment sortir de la double vulnérabilité climatique et financière ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579518/original/file-20240304-30-vpv6r4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C74%2C1997%2C1299&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La région des Caraïbes comportent plusieurs pays qui risquent de tomber dans une « spirale dette-climat ».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/a-goes-satellite-image-of-hurricane-maria-in-the-caribbean-sea-taken-at-915-60da3d">Picryl/US Navy</a></span></figcaption></figure><p>Un certain nombre de pays en développement font actuellement face à d’importants enjeux de soutenabilité financière dans un contexte économique international dégradé. Un certain nombre d’entre eux sont par ailleurs particulièrement vulnérables au changement climatique, aux conséquences des évènements climatiques extrêmes d’une part, et à la dégradation chronique des conditions climatiques d’autre part (hausse du niveau de la mer et hausse des températures notamment).</p>
<p>Ces deux types de vulnérabilités, climatique d’un côté et macrofinancière de l’autre, peuvent, dans certains contextes, se renforcer mutuellement. Notre <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/spirale-dette-climat-une-approche-empirique-pour-detecter-les-situations-de-double-vulnerabilite">récente étude</a>, fondée sur une base de données interne prenant en compte des données historiques et projetées pour plus de 160 pays, se propose ainsi d’identifier ceux dans laquelle une spirale de dégradation des finances publiques risque d’apparaître en raison d’une exposition critique aux conséquences du changement climatique.</p>
<p>Cette notion de « double vulnérabilité » a notamment figuré au cœur de trois initiatives politiques récentes. D’une part, <a href="https://pmo.gov.bb/wp-content/uploads/2022/10/The-2022-Bridgetown-Initiative.pdf">l’initiative de Bridgetown</a>, lancée à la COP 26 en 2021, appelle à un allègement de la dette publique des pays les plus vulnérables et à la mobilisation massive de financements concessionnels pour aider ces économies à faire face au changement climatique. D’autre part, la création du fonds <a href="https://unfccc.int/news/cop27-reaches-breakthrough-agreement-on-new-loss-and-damage-fund-for-vulnerable-countries">Pertes et Dommages</a>, lancé lors de la COP27 et entériné à la COP28 fin 2023, devrait permettre de mobiliser des ressources financières pour les pays les plus affectés par le changement climatique. Enfin, en juin 2023, le <a href="https://theconversation.com/pays-en-developpement-un-sommet-a-paris-pour-relever-le-defi-de-la-dette-et-du-climat-208079">Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier</a> a également appelé à une meilleure définition des vulnérabilités climatiques et financières.</p>
<h2>Une « spirale dette-climat »</h2>
<p>Chaque fois, l’idée sous-jacente est la même : les pays les plus vulnérables au changement climatique – ceux qui en subissent le coût humain et économique le plus élevé – sont aussi souvent les moins bien armés financièrement pour y faire face. Si la notion de vulnérabilité doit encore être définie avec précision au niveau international, un nombre croissant de <a href="https://ferdi.fr/publications/prendre-en-compte-la-vulnerabilite-dans-la-repartition-mondiale-des-financements-concessionnels">travaux</a> insistent sur l’importance de mesurer conjointement la vulnérabilité au changement climatique et la vulnérabilité macrofinancière :</p>
<ul>
<li><p>La <strong>vulnérabilité climatique</strong> se définit comme une situation dans laquelle un pays (i) est fortement exposé à des événements climatiques extrêmes et occasionnels, ou à une dégradation chronique des conditions climatiques, et (ii) est relativement plus sensible que d’autres pays à la matérialisation de ces chocs.</p></li>
<li><p>La <strong>vulnérabilité macrofinancière</strong>, quant à elle, est définie comme la capacité du gouvernement à mobiliser des ressources financières nationales ou internationales suffisantes pour éviter une dégradation excessive du solde budgétaire, et surtout, de la capacité de remboursement du service de la dette publique. Elle est mesurée à partir des notes de risque souverain produites par les trois principales agences de notation.</p></li>
</ul>
<p>En croisant ces deux catégories de vulnérabilité, on peut identifier les pays en situation de double vulnérabilité. Pour ces pays, le changement climatique est susceptible d’avoir des impacts multidimensionnels sur les populations, les écosystèmes et l’activité économique, entraînant une augmentation des déséquilibres budgétaires et une dégradation des indicateurs de soutenabilité de l’endettement public à court et moyen terme.</p>
<p>Réciproquement, cette dynamique défavorable limite la capacité du gouvernement à faire face efficacement aux conséquences du changement climatique, et en particulier à mobiliser des ressources supplémentaires pour financer les investissements destinés à l’adaptation au changement climatique. Ce cercle vicieux, supposé ou réel, est appelé « spirale dette-climat ».</p>
<h2>Deux groupes identifiés</h2>
<p>À partir de ces éléments, deux groupes de pays en situation de double vulnérabilité sont identifiés :</p>
<ul>
<li><p>Les pays les plus vulnérables aux <strong>phénomènes climatiques extrêmes et occasionnels</strong>, et qui présentent une vulnérabilité macrofinancière élevée (catégorie O++ dans le tableau ci-dessous). Cette catégorie comprend de nombreuses îles des Caraïbes, du Pacifique et de l’océan Indien. Certains pays très vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes, mais dont la vulnérabilité macrofinancière est moins forte (catégorie O+ voire O), peuvent également être mis en évidence. C’est par exemple le cas du Bangladesh, de la République dominicaine, de la Colombie ou du Vietnam.</p></li>
<li><p>Les pays les plus vulnérables à une <strong>dégradation chronique des conditions climatiques</strong>, et qui présentent une vulnérabilité macrofinancière élevée (catégorie C++ dans le tableau ci-dessous). Il s’agit notamment de certains pays insulaires des Caraïbes et de l’océan Indien qui sont vulnérables non seulement à l’élévation du niveau de la mer, mais aussi à une forte augmentation des températures. Cette catégorie comprend également certains pays côtiers d’Amérique latine, où l’activité économique et l’habitat sont parfois concentrés dans les zones côtières. Sont aussi concernés un certain nombre de pays de la région méditerranéenne particulièrement vulnérables à la hausse des températures et à la raréfaction des ressources en eau, ainsi que des pays de la zone côtière ouest-africaine exposés à l’élévation du niveau de la mer.</p></li>
</ul>
<p><strong>Récapitulatif des pays en situation de double vulnérabilité</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/579504/original/file-20240304-28-7v39u5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lecture du tableau : Les pays en situation de vulnérabilité macrofinancière la plus élevée sont dans les catégories « ++ ». Les PMA et les PEID sont marqués en vert. Les pays à revenu intermédiaire (PRI) qui n’appartiennent pas au groupe des petits États insulaires en développement (PEID) sont indiqués en bleu. Les pays à risque élevé de surendettement public, ou en situation de défaut selon le FMI, sont soulignés. Note : les données sont actualisées à août 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’intersection de ces deux catégories, l’étude identifie les pays qui présentent une vulnérabilité aux deux types d’aléas climatiques (évènements ponctuels et dégradation chronique des conditions climatiques), ainsi qu’une vulnérabilité macrofinancière.</p>
<p>Entrent dans cette catégorie un certain nombre de pays insulaires des Caraïbes (Antigua-et-Barbuda, Barbade, Dominique, Cuba, Grenade, Haïti, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines), de l’océan indien (Comores, Madagascar, Maldives et Sri Lanka), ainsi que certains pays côtiers d’Amérique latine (Belize, Nicaragua).</p>
<h2>Des outils financiers à adapter au cas par cas</h2>
<p>À partir de l’analyse de la double vulnérabilité, l’étude identifie un certain nombre de stratégies et instruments financiers susceptibles d’atténuer les principales conséquences du changement climatique sur la dynamique des finances publiques.</p>
<p>Pour le groupe O++ (les pays les plus vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes et qui présentent par ailleurs une forte vulnérabilité macrofinancière), la priorité serait d’atténuer le coût associé à un choc climatique à court terme, tout en prévenant l’augmentation de la dette publique afin de préserver la solvabilité publique à moyen et long terme.</p>
<p>Pour ce faire, un système d’assurance publique internationale pourrait apparaître comme un instrument adapté pour amortir le coût des chocs climatiques sans dégrader la dynamique d’endettement public.</p>
<p>Les « Climate Resilience Debt Clause » (CRDC) seraient aussi utiles à condition d’être déployés par un large éventail de créanciers. Ces « Climate Resilience Debt Clause » désignent un mécanisme contractuel par lequel le créancier accepte de renoncer temporairement au remboursement des intérêts (et parfois du principal) d’un prêt en cas d’événement climatique extrême.</p>
<p>Un certain nombre d’autres outils, tels que les prêts de contingence, dont le(s) décaissement(s) est/sont déclenché(s) par la survenance d’un choc climatique, peuvent être particulièrement adaptés dans certains cas. Ils doivent toutefois être utilisés avec précaution, car ils sont susceptibles de générer un endettement supplémentaire qui augmenterait la vulnérabilité macrofinancière des pays qui en bénéficient.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-financer-les-politiques-climatiques-en-amerique-latine-et-dans-les-cara-bes-220866">Comment financer les politiques climatiques en Amérique latine et dans les Caraïbes ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pour les pays de la catégorie C++ (vulnérables à une dégradation chronique des conditions climatiques et qui présentent une vulnérabilité macrofinancière élevée), la stratégie se concentrerait en priorité sur la reconstitution d’une marge de manœuvre budgétaire à court terme pour soutenir les efforts d’adaptation au changement climatique.</p>
<p>Pour les États les plus vulnérables financièrement, un processus concerté de restructuration de la dette publique peut parfois être le seul moyen de retrouver une dynamique soutenable de la dette publique. Pour des États qui présentent une vulnérabilité financière plus modérée, les « swaps dette-climat », mais aussi les « sustainability-linked bonds », parmi d’autres instruments, peuvent permettre de soutenir l’effort d’investissement dans l’adaptation au changement climatique.</p>
<p>Le mécanisme le plus courant de « swap dette-climat » consiste en un rachat de dette (généralement des obligations souveraines) par l’émetteur à un prix réduit. La différence entre les flux de trésorerie attendus avant et après le rachat est allouée (partiellement ou totalement) aux investissements d’adaptation ou d’atténuation. Quant aux « sustainability-linked bond », il s’agit d’un financement obligataire accordé en contrepartie de l’atteinte d’indicateurs de performance de type « durable » ou « climat » par l’émetteur.</p>
<p>Ces différents instruments peuvent devenir une composante d’une stratégie financière globale pour le financement de la transition.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224990/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Terrieux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude suggère une classification des pays en fonction de leur endettement et de leur exposition aux risques environnementaux pour adapter les outils financiers au cas par cas.Maxime Terrieux, Economiste risque pays, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2248972024-03-07T16:19:01Z2024-03-07T16:19:01ZL’assassinat des sœurs Mirabal : aux origines de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes<p>En août 1930, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1999/04/HABEL/2924">Rafael Leonidas Trujillo</a> arrive au pouvoir en République dominicaine au terme d’une campagne présidentielle marquée par de nombreuses violences. <a href="https://www.cairn.info/civilisation-hispano-americaine--9782200618711-page-119.htm">Un système reposant sur la terreur et la corruption</a> se met rapidement en place. Au cours des trois décennies suivantes (Trujillo sera <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/05/27/l-assassinat-de-rafael-trujillo_4168865_1819218.html">assassiné</a> en 1961), les <a href="https://identitescaraibes.org/2020/06/08/le-massacre-du-persil-doctobre-1937-la-manifestation-etatique-de-lanti-haitianisme/">crimes contre l’humanité</a> se multiplient.</p>
<p>Dans les dernières années de la dictature, l’opposition se structure et se renforce : parmi les résistants, les trois sœurs <a href="https://histoireparlesfemmes.com/2021/05/05/les-soeurs-mirabal-opposantes-a-la-dictature/">Patria, María Teresa et Minerva Mirabal</a>. Cette dernière est en 1959, avec son époux Manolo Tavárez, à l’origine de la création du mouvement révolutionnaire dit « 14 juin » ; elle avait en outre, dix ans plus tôt, tenu tête publiquement à Trujillo.</p>
<p>Le 25 novembre 1960, alors qu’elles allaient rendre visite à leurs maris emprisonnés pour des raisons politiques, les trois sœurs sont assassinées par des agents trujillistes.</p>
<p>Malgré le statut d’héroïnes nationales qui est aujourd’hui celui des sœurs Mirabal, peu d’études ont été réalisées à leur sujet. Or leur importance historique et leur dimension symbolique internationale sont indéniables : le jour de leur mort, le 25 novembre, a été choisi en 1999 par l’Organisation des Nations unies comme date de la <a href="https://www.un.org/fr/observances/ending-violence-against-women-day/background">Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes</a>.</p>
<h2>Contexte politique et familial</h2>
<p>Trujillo, né en 1891, connaît une ascension fulgurante dans le contexte de <a href="https://2001-2009.state.gov/r/pa/ho/time/wwi/108649.htm">l’occupation militaire de l’île par les États-Unis</a> (1916-1924). Durant cette période, il intègre la Guardia Nacional, destinée à former des militaires dominicains acquis aux intérêts étatsuniens. Il en gravit rapidement les échelons. Il est promu chef de l’état-major de la police nationale en 1924. Décidé à remporter les élections de 1930, sa campagne présidentielle se caractérise par une intimidation de ses adversaires politiques qui lui permet d’être finalement le seul candidat en lice. Dès son arrivée au pouvoir, il instaure, nous l’avons dit, un régime fondé sur une violence politique extrême, la corruption et le culte de sa personnalité.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vbsVtkKVLoU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>« Le Chef », comme il se fait appeler, établit une identification totale entre le pays et lui-même. En outre, de même qu’il se considère comme le Père de la Patrie, il a une dangereuse tendance à se considérer comme le mari de toutes les Dominicaines. Cette conjonction de violence politique et de violence de genre a dominé ses rapports aux sœurs Mirabal.</p>
<p>Celles-ci étaient quatre ; trois d’entre elles, Minerva, Patria et María Teresa, ont été assassinées le 25 novembre 1960. Minerva, éprise de liberté, fut l’une des premières femmes du pays à obtenir un diplôme d’avocate. Cependant, du fait de ses idées politiques, elle n’a jamais eu le droit d’exercer la profession dont elle rêvait. Assassinée à 34 ans, elle laissait derrière elle deux enfants. María Teresa avait elle aussi fait des études supérieures. Dans le sillage de sa sœur, elle s’est engagée dans la lutte contre la dictature, ce qui lui a coûté la vie, à 25 ans. Elle avait une petite fille. Patria s’était mariée à l’âge de 16 ans, et n’avait pas terminé ses études secondaires. Elle a lutté avec ses sœurs et est morte à leurs côtés, à 36 ans, laissant quatre enfants. La quatrième sœur, Dedé, n’était pas engagée en politique. Elle a vécu jusqu’en 2014 et a consacré sa vie à élever ses nièces et neveux, ainsi que ses propres enfants, et à entretenir la mémoire de ses sœurs.</p>
<p>L’histoire tragique des sœurs Mirabal peut être bien appréhendée en revenant sur trois années charnières : 1949, 1959 et 1999.</p>
<h2>1949 : la confrontation entre Minerva et Trujillo</h2>
<p>Trujillo adorait danser. Ses hommes de main lui organisaient donc régulièrement des fêtes auxquelles ils invitaient, ou plutôt convoquaient, de jeunes filles dont ils estimaient qu’elles pourraient susciter l’intérêt du chef de l’État – lequel, nous l’avons dit, estimait posséder une sorte de droit de cuissage sur l’ensemble de la population féminine de son pays.</p>
<p>En 1949, Minerva, alors âgée de 22 ans, a été invitée à un bal tenu en présence de Trujillo. D’après les témoignages, elle a été ce soir-là contrainte de danser avec un proche du dictateur qui, au milieu d’une danse, l’a placée dans les bras du « Chef ». La version populaire qui s’est forgée avec le temps est que ce dernier aurait alors fait des avances à la jeune femme, et que celle-ci l’aurait giflé. Cette version, peu réaliste étant donné le contexte et démentie par les témoins, montre cependant ce qui est resté de cette scène : l’attitude de défi de Minerva. Selon <a href="https://archivo-obrero.com/dede-mirabal-vivas-en-su-jardin/">Dedé</a>, la conversation entre Minerva et Trujillo a pris un tour politique :</p>
<blockquote>
<p>« Trujillo a perçu son mécontentement, il l’a vue telle qu’elle était : une belle femme de 22 ans, cultivée, pleine de capacités et… ennemie de son gouvernement. »</p>
</blockquote>
<p>La famille a quitté précipitamment la fête. C’était formellement interdit : nul n’avait le droit de partir avant « le Chef ». La lettre d’excuses adressée au dictateur par le père, Enrique Mirabal, n’y a rien fait : il a été convoqué par la police, emprisonné et torturé.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LYLu93MGm_E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du film « In the Time of the Butterflies », de Mariano Barroso, avec Salma Hayek (2001).</span></figcaption>
</figure>
<p>Minerva a été interrogée et incarcérée à son tour. Elle a rapidement été libérée mais assignée à résidence. Son père ne s’est jamais remis des tortures qu’il a subies et est mort en 1952. Ce bal a donc marqué un tournant décisif dans la vie des membres de la famille qui, à partir de ce moment, ont été considérés par le régime comme des opposants et constamment persécutés.</p>
<p>En 1953, Minerva a épousé Manolo Tavárez. Malgré le danger que cela représentait, tous deux étaient constamment en lien avec les mouvements d’opposition à la dictature.</p>
<h2>1959 : influence de la révolution cubaine et création du Mouvement 14 juin</h2>
<p>L’année 1959 a été marquée par le triomphe de la révolution cubaine qui a mis un terme à la dictature de Fulgencio Batista, <a href="https://www.cairn.info/l-amerique-latine-a-l-epoque-contemporaine--9782200622589-page-107.htm">changé les équilibres régionaux</a> et eu un impact direct sur le régime de Trujillo.</p>
<p>Peu après sa prise de pouvoir, Fidel Castro affirmait, en référence à la chute de Batista, que « le prochain sur la liste » serait Trujillo. Des exilés dominicains ont conflué à Cuba pour organiser une expédition visant à mettre un terme au régime de Trujillo : 225 hommes, entraînés à Cuba et soutenus par les gouvernements cubains et vénézuéliens, ont préparé une opération par avion et par bateau sur trois points du territoire dominicains : Constanza, Maimón et Estero Hondo.</p>
<p>L’expédition militaire, partie de Cuba le 14 juin 1959, a rapidement été anéantie par l’armée de Trujillo. Cependant, elle a eu un grand retentissement auprès des jeunes opposants dominicains. Un an après la victoire de la révolution cubaine, Minerva la prenait en exemple pour structurer au niveau national une opposition à Trujillo : le Mouvement 14 juin, qui s’inscrivait dans le prolongement de la lutte menée précédemment. Dans la clandestinité, les sœurs Mirabal ont commencé à être appelées par leur nom de code : « Las mariposas » (« Les papillons »).</p>
<p>Alors que le Mouvement s’étendait, une nouvelle recrue a dénoncé l’organisation aux autorités, provoquant une répression effroyable. Des vagues d’arrestation ont eu lieu. Minerva, María Teresa, leurs époux (Manolo Tavárez et Leandro Guzmán), ainsi que le mari et le fils de Patria, Nelson, âgé de 17 ans, comptèrent parmi les personnes qui se sont retrouvées derrière les barreaux.</p>
<p>Minerva et María Teresa ont été libérées en août 1960, mais elles furent assignées à résidence et ne pouvaient sortir que pour rendre visite à leurs maris. En novembre 1960, Tavárez et Guzmán ont été transférés à la prison de Puerto Plata. Une seule route permettait de s’y rendre.</p>
<p>Le 25 novembre 1960, lorsque Minerva et María Teresa revenaient d’une visite à Tavárez et Guzmán, accompagnées par Patria et conduites par le chauffeur Rufino de la Cruz, leur voiture a été interceptée. Les sœurs et Rufino de la Cruz ont été battus à mort, puis leurs corps ont été replacés dans la voiture, et celle-ci a été précipitée dans un ravin. La presse officielle a pu titrer le lendemain que les trois mères de famille et leur chauffeur étaient morts dans un accident de la route. Personne n’a été dupe : les opposants de Trujillo étaient très souvent victimes d’« accidents de la route ».</p>
<p>Cet assassinat a causé une grande émotion dans le pays, des chaînes de solidarité se sont créées pour rendre hommage aux « Papillons » ; il est considéré comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et accéléré la fin de la dictature. Le 30 mai 1961, Trujillo était à son tour assassiné.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"934523155166781440"}"></div></p>
<h2>1999 : la résolution de l’ONU</h2>
<p>Les premières commémorations du 25 novembre se sont déroulées dans un contexte politique chaotique marqué par la mort de Trujillo (1961), de <a href="https://www.nytimes.com/1962/12/20/archives/dominican-republic-vote-set-for-first-democratic-president-one.html">nouvelles élections démocratiques</a> (1962 ?), un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1963/10/03/comment-fut-prepare-le-coup-de-force-de-saint-domingue_2211525_1819218.html">coup d’État</a> (1963), une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1965_num_15_6_392905">guerre civile</a> (1965) et une <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/82">seconde occupation militaire américaine</a> (1965-1966).</p>
<p>C’est en 1981, lors du premier Congrès féministe pour l’Amérique latine et les Caraïbes, tenu en Colombie, qu’est née l’idée de créer une journée internationale contre les violences faites aux femmes. Étaient présentes, dans cette assemblée de 200 femmes de toute l’Amérique latine, plusieurs Dominicaines dont l’écrivaine Ángela Hernández, qui a proposé que la journée porte le nom des sœurs Mirabal.</p>
<p>Son idée a été retenue : le 25 novembre a commencé à être associé dans certains pays d’Amérique latine à la lutte contre les violences faites aux femmes. Au sein de l’ONU, d’autres personnalités, en particulier <a href="https://ihladi.net/en/ambassador-cristina-aguiar-passes-away/">Cristina Aguiar</a>, ont œuvré à leur tour pour que le 25 novembre soit déclaré Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Leur action a porté ses fruits et conduit à l’adoption, en 1999, de la <a href="https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n00/271/22/pdf/n0027122.pdf?token=DBOffC3w3rhQpVNxlG&fe=true">résolution 54/134 de l’ONU</a>, qui définit comme violence à l’égard des femmes « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin […] que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/579901/original/file-20240305-26-6qw3z8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Plaque commémorative installée place de la République dominicaine, Paris, inaugurée le 8 mars 2021. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://do.ambafrance.org/Une-plaque-en-l-honneur-des-soeurs-Mirabal-a-Paris#:~:text=Plus-,Une%20plaque%20en%20l'honneur,s%C5%93urs%20Mirabal%20%C3%A0%20Paris%20%5Bes%5D&text=Le%208%20mars%202021%2C%20%C3%A0,dominicaine%2C%20dans%20le%2017%C3%A8me%20arrondissement.">Ambassade de République dominicaine en France</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les sœurs Mirabal sont aujourd’hui considérées dans leur pays comme des héroïnes nationales. Le jardin de leur maison, où elles sont enterrées, est devenu une extension du Panthéon national. Pourtant, ces figures historiques, emblématiques des luttes au féminin, sont encore peu connues en France où l’on célèbre souvent le 25 novembre sans en connaître l’origine. Nous souhaitons donc finir cet article par une invitation à se rendre Place de la République dominicaine à Paris pour voir la plaque en l’honneur des sœurs Mirabal créée à la demande de l’ambassade. Cette plaque ancre pour la première fois l’histoire des sœurs Mirabal dans un espace français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224897/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Pélage ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces trois sœurs dominicaines assassinées le 25 novembre 1960 par le régime de Trujillo sont passées à la postérité : le 25 novembre est, depuis 1999, la Journée contre les violences faites aux femmes.Catherine Pélage, Professeure de littératures et cultures d'Amérique latine, Directrice de la Chaire d'études culturelles dominicaines Sœurs Mirabal, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228222024-02-06T14:38:22Z2024-02-06T14:38:22ZOù, quand et comment la syphilis est-elle apparue ? La réponse est dans l’ADN ancien<p>Il est rare que l’on dispose de données historiques aussi précises sur l’origine d’une maladie infectieuse que celles qui existent sur la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syphilis">syphilis</a> : en 1493, lors du siège de la ville de Naples par les troupes françaises. De là, la syphilis s’est rapidement propagée en Europe et en Asie, provoquant l’une des épidémies les plus dévastatrices pour l’humanité pendant plusieurs siècles. Cette épidémie prendra fin grâce à la pénicilline, qui permettra au XX<sup>e</sup> siècle de la traiter de manière efficace.</p>
<p><em>(La syphilis est une infection sexuellement transmissible très contagieuse qui est due à la bactérie Treponema pallidum. Si elle n’est pas dépistée et traitée, elle peut affecter tous les organes et avoir de graves conséquences, indique <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/syphilis">Santé publique France</a>, ndlr.)</em></p>
<p>La coïncidence temporelle entre le retour des Amériques de la première expédition de Christophe Colomb et certaines infections chroniques indirectes ont conduit à l’hypothèse selon laquelle cette maladie serait originaire du continent américain. Des travaux de recherche <a href="https://link.springer.com/article/10.1038/s41586-023-06965-x">que nous venons de publier dans la revue <em>Nature</em></a>, basés sur des squelettes provenant d’une nécropole vieille de 2 000 ans à Jabuticabeira (Brésil), pourraient éclairer cette controverse.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Génomes anciens et phylogénies modernes</h2>
<p>En collaboration avec des chercheurs des universités de Zurich, Bâle, Vienne, ETH Zurich, Autónoma de Barcelona et São Paulo, nous présentons l’analyse d’un génome de la bactérie <em>Treponema pallidum</em> obtenu à partir d’échantillons vieux de 2 000 ans provenant d’un monticule funéraire de la côte sud du Brésil (Jabuticabeira, Santa Catarina).</p>
<p>Ce génome, de grande qualité pour un génome aussi ancien, appartient au même groupe que les génomes modernes de <em>T. pallidum endemicum</em> (TEN), la lignée responsable du bejel, une infection actuellement limitée aux zones chaudes et arides et jusqu’alors non décrite dans les Amériques. Cette lignée, tout comme <em>T. pallidum pertenue</em> (TPE), responsable d’une autre infection tréponémique tropicale appelée pian, est étroitement liée à la lignée responsable de la syphilis, <em>T. pallidum pallidum</em> (TPA).</p>
<p><em>(Le bejel et le pian sont d’autres pathologies de la <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/syphilis/definition-evolution-transmission">famille des tréponématoses</a>, comme la syphilis. Toutefois, leurs modes de transmission diffèrent. En effet, le bejel et le pian se transmettent par contact avec des lésions cutanées ou muqueuses, ndlr.)</em></p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1550&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1550&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1550&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1948&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1948&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1948&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La syphilis selon Alberto Durero.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.historicalresearchupdate.com/stories/science-history-syphilis-and-christopher-columbus/">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’apparition soudaine de la syphilis à la fin du XV<sup>e</sup> siècle a conduit à l’hypothèse, connue sous le nom d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_syphilis">hypothèse colombienne</a>, d’une origine américaine. Mais ce n’est pas la seule hypothèse.</p>
<p>L’hypothèse précolombienne fait partie des propositions alternatives les plus populaires. D’après cette hypothèse, toutes les tréponématoses auraient accompagné l’humanité depuis ses origines, avec des manifestations différentes au fur et à mesure que ces maladies se répandaient dans différentes régions. On citera aussi l’hypothèse unitaire, qui est une légère variante de l’hypothèse précolombienne, selon laquelle l’apparition des différentes tréponématoses correspond à des adaptations d’une même bactérie à des conditions écologiques différentes.</p>
<p>Jusqu’à présent, ces hypothèses butaient face au manque de données concrètes pour les réfuter ou les valider, étant donné que les lésions cutanées spécifiques de ces maladies ne laissent aucune trace après la décomposition des corps et que les lésions osseuses qu’elles occasionnent sont communes à différentes infections. Cela a conduit à rechercher des traces biologiques de la bactérie dans des restes anciens.</p>
<h2>Utiliser les mêmes techniques que pour les restes de Neandertal</h2>
<p>La bactérie n’a pas été retrouvée jusqu’à présent. Mais grâce aux mêmes techniques de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sequencage-82916">séquençage</a> que celles appliquées aux restes des <a href="https://www.mpg.de/13894984/neandertal-genome-project">Néandertaliens</a> ou des <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/un-grand-pere-moderne-pour-les-neandertaliens">Dénisoviens</a>, certains génomes complets de <em>T. pallidum</em> ont été obtenus.</p>
<p>La plupart de ces génomes proviennent de <a href="https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.07.058">l’Europe centrale et septentrionale</a> et certains du <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0006447">Mexique</a>. Mais leur datation ne permet pas d’exclure la possibilité qu’ils datent d’après le retour de Christophe Colomb. Ces génomes appartiennent au même groupe que les lignées TPA et TPE, ce qui laisse ouverte la question de l’origine de la syphilis.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les maladies tréponémiques sont apparues environ 10 000 ans plus tôt qu’on ne le pensait.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nature</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le nouveau génome étend la portée géographique et temporelle de la distribution de <em>T. pallidum</em> au continent américain à l’époque précolombienne et avant les expéditions vikings qui ont atteint les côtes de l’Amérique du Nord. Notre analyse le place clairement dans la lignée TEN (<em>T. pallidum endemicum, ndlr</em>). En effet, sa faible distance génétique avec les quelques génomes disponibles de cette lignée est surprenante, un détail qui confirme son assignation à cette lignée.</p>
<p>La provenance de ces restes est également surprenante. Aujourd’hui, le bejel se trouve dans des régions chaudes et arides, très différentes sur le plan climatique et écologique, des rivages atlantiques du Brésil subtropical.</p>
<h2>Alors, Christophe Colomb a-t-il joué un rôle dans la propagation de la syphilis ?</h2>
<p>Que nous apprend le nouveau génome sur l’origine de la syphilis ? À la fois peu et beaucoup de choses. Son appartenance à la lignée TEN (<em>T. pallidum endemicum, ndlr</em>) signifie que des bactéries tréponèmes étaient présentes sur le continent américain avant l’arrivée de Christophe Colomb, mais pas nécessairement que l’un d’entre eux ait causé la syphilis.</p>
<p>De manière empirique, toutes les hypothèses énoncées ci-dessus se voient quelque peu renforcées. Les nouvelles datations repoussent légèrement l’origine de la lignée TPA (<em>T. pallidum pallidum, ndlr</em>) à environ 1 000 ans avant J.-C. Mais leur précision pourrait s’améliorer au fur et à mesure que de nouveaux génomes anciens seront intégrés aux analyses.</p>
<p>L’étude des génomes de cette bactérie a révélé la grande plasticité de <em>T. pallidum</em> pour échanger des gènes. En particulier, la lignée TPA a reçu de nombreux apports des autres lignées TPE et TEN.</p>
<p>Il est possible qu’à l’occasion d’un de ces cas de transfert horizontal de gènes, ait été incorporée à une lignée de tréponèmes la capacité de se transmettre plus facilement par voie sexuelle et de provoquer des symptômes inconnus jusqu’alors. Cela a-t-il pu se produire en Europe après le retour de Christophe Colomb ? C’est une possibilité fascinante que nous voulons explorer plus avant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222822/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fernando González Candelas a reçu des financements du ministère des universités et de la recherche et de la Generalitat Valencia (Conselleria de Educación y Ciencia, Conselleria de Sanidad).</span></em></p>Les génomes modernes et anciens du « Treponema pallidum », ont permis de situer cette bactérie, dont la lignée est responsable de la syphilis, dans l’Amérique précolombienne.Fernando González Candelas, Catedrático de Genética. Responsable de la Unidad Mixta de Investigación "Infección y Salud Pública" FISABIO-Universitat de València I2SysBio. CIBER Epidemiología y Salud Publica, FisabioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2218922024-01-24T17:15:18Z2024-01-24T17:15:18ZÉquateur : comment le « havre de paix » de l’Amérique du Sud est devenu l’un des pays les plus violents du monde<p>Qui l’eût cru ? La célèbre phrase prononcée en 1991 par le président équatorien de l’époque, Rodrigo Borja Cevallos (1988-1992), lors de la conférence « Paix pour le développement », et répétée dix ans plus tard par un autre président, Gustavo Noboa Bejarano (2000-2003), dans son rapport à la nation de 2002, selon laquelle l’Équateur serait un « havre de paix » dans le monde, a complètement perdu de son sens au début de la troisième décennie du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>En effet, ces dernières années, l’Équateur est devenu l’un des pays les plus violents du monde. Selon une <a href="https://globalinitiative.net/analysis/ocindex-2023/">étude</a> de la <a href="https://globalinitiative.net/about-us/our-story/">Global Initiative against Transnational Organized Crime</a>, il se classe au onzième rang des pays les plus violents du monde, non loin de la Syrie, de l’Irak ou encore de l’Afghanistan.</p>
<p>L’Équateur occupe également la 96<sup>e</sup> place sur 146 pays (23<sup>e</sup> sur 32 au niveau régional) dans <a href="https://worldjusticeproject.org/rule-of-law-index/">l’indice 2023 de l’État de droit établi par le World Justice Project</a>, qui suit et évalue des indicateurs tels que les limites du pouvoir étatique, l’absence de corruption, l’ouverture politique, les droits fondamentaux, l’ordre et la sécurité, l’application des lois et le fonctionnement de la justice civile et pénale.</p>
<p>Il y a moins de cinq ans, en 2019, l’Équateur était encore considéré comme l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine, avec un taux de 6,7 morts violentes pour 100 000 habitants. Aujourd’hui, ce ratio est passé à 45 pour 100 000.</p>
<p>Début janvier, le président Daniel Noboa, dont le mandat a démarré en novembre 2023, a <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-09-janvier-2024-9073446">proclamé l’état d’urgence</a> et annoncé la mise en place d’un couvre-feu dans l’ensemble du pays à la suite de <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-latine/chef-de-gang-homme-dangereux-qui-est-fito-le-narcotrafiquant-le-plus-recherche-d-equateur_AV-202401110428.html">l’évasion d’Adolfo Macias, alias Fito</a>, chef du plus important groupe criminel d’Équateur, Los Choneros. Se sont ensuivis des affrontements extrêmement violents entre les forces de l’État et les organisations criminelles.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_s8GSsZGnqs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce fut une démonstration éclatante de la puissance de feu dont disposent les gangs. Il ne s’agit pas d’incidents isolés : ce à quoi on assiste ne peut être qualifié que de guerre entre les groupes criminels et l’État, avec pour enjeu le contrôle du territoire et des populations.</p>
<h2>L’économie du trafic de drogue alimente la criminalité</h2>
<p>Si les mafias se livrent aux activités criminelles les plus diverses, c’est le trafic de drogue qui se trouve à la racine du cycle de violence actuel. Il ne s’agit pas seulement de cocaïne, mais aussi d’héroïne et, plus récemment, de cette drogue synthétique destructrice qu’est le fentanyl.</p>
<p>La « narcotisation » de l’économie criminelle est due à plusieurs facteurs : la situation géographique du pays, puisque l’Équateur se trouve dans le voisinage des plus grands États producteurs de cocaïne au monde ; le fait que l’économie soit <a href="https://books.openedition.org/pur/46393">dollarisée</a>, donc plus attrayante pour le blanchiment d’argent sale ; la capacité limitée de l’État à surveiller les différents itinéraires aériens, maritimes et terrestres d’acheminement de la drogue à destination et en provenance du pays ; les causes structurelles, telles que le chômage et les inégalités sociales ; et la forte influence des médias, en particulier des réseaux sociaux, sur une jeunesse de plus en plus séduite par la « culture du trafic de drogue » en tant que modèle de leadership, de pouvoir et d’argent facile.</p>
<p>Les barons de la drogue locaux ont également formé des alliances stratégiques avec les cartels transnationaux. Outre les avantages économiques qu’ils procurent, ces liens ont conduit à :</p>
<ul>
<li><p>une professionnalisation de la gestion des marchés criminels en Équateur ;</p></li>
<li><p>une spécialisation accrue dans les tâches criminelles (extorsion, blanchiment d’argent, exploitation minière illégale, entre autres) ;</p></li>
<li><p>une meilleure formation des tueurs à gages, des experts en explosifs et des spécialistes du renseignement criminel ;</p></li>
<li><p>une communication plus efficace entre les guérilleros dans tout le pays, notamment par le biais des graffitis muraux.</p></li>
</ul>
<h2>Crise du système pénitentiaire</h2>
<p>Parmi les nombreux facteurs qui ont déclenché la crise systémique actuelle de la sécurité, il y a la réduction, il y a plusieurs années, du budget consacré par le gouvernement central à la rénovation du système pénitentiaire du pays.</p>
<p>Les investissements ont chuté en 2014, provoquant une crise qui s’est accentuée en 2020 avec la pandémie. De nombreux fonctionnaires du système pénitentiaire ont été licenciés et des directions entières dans le secteur de la justice ont été supprimées. Sous l’ancien président <a href="https://theconversation.com/en-equateur-lavenir-incertain-du-president-lenin-moreno-125084">Lenin Moreno</a>, le ministère de la Justice, des droits de l’homme et des affaires religieuses a été supprimé et le secrétariat des droits de l’homme et le Service national de prise en charge globale des adultes privés de liberté, qui gère les prisons, ont été créés.</p>
<p>Tout cela a provoqué un manque de clarté dans la gestion des graves problèmes des prisons et une augmentation de la surpopulation dans les 34 centres de détention du pays. Les prisons sont devenues, au fil du temps, des arrière-gardes stratégiques pour les barons de la drogue, qui y font régner leur loi par la violence.</p>
<p>Les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/26/equateur-31-morts-apres-trois-jours-demeutes-dans-la-prison-del-litoral">émeutes dans les prisons</a> sont de plus en plus fréquentes depuis la pandémie de Covid-19 : au cours des trois dernières années, il y a eu 11 massacres dans les prisons, qui se sont soldés par 412 morts, dans six prisons de cinq villes du pays.</p>
<p>Cette violence déborde sur l’ensemble de la société. La diffusion sur Internet de diverses atrocités – démembrements, décapitations, pendaison de cadavres sur des ponts et dans des lieux publics – est devenue monnaie courante.</p>
<p>Les mafias locales s’inspirent en cela des cartels colombiens et mexicains. Les actions les plus spectaculaires sont le fait des groupes relevant du cartel <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Jalisco_New_Generation_Cartel">Jalisco Nueva Generación</a>, dont certains membres ont reçu une formation militaire – y compris parfois aux États-Unis – et dont les opérations répondent à des logiques culturelles religieuses, notamment le <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-12885917/Inside-Ecuadors-brutal-gangs.html">cannibalisme</a> et le culte de la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Santa_Muerte">Sainte Mort</a>, deux éléments qui se traduisent dans des pratiques de violence glaçante.</p>
<h2>Écoles de tueurs à gages</h2>
<p>Le 1<sup>er</sup> avril 2023, le président d’alors, Guillermo Lasso, a émis le <a href="https://www.reuters.com/world/americas/ecuadors-lasso-authorizes-civilian-use-guns-citing-insecurity-2023-04-02/">décret exécutif 707</a> qui facilite le port et l’utilisation d’armes par les civils. Les groupes criminels ont alors encore intensifié leurs attaques, en particulier les assassinats de cibles spécifiques par des tueurs à gages.</p>
<p>Il est surprenant que l’existence de quatre écoles notoires de tueurs à gages, situées dans les villes de Durán, Manta, Lago Agrio et Esmeraldas, n’ait pas été formellement dénoncée à ce jour.</p>
<p>Selon des informations provenant de sources policières, ces écoles forment des assassins juniors, intermédiaires et seniors. Selon leur expérience, leur discipline et le niveau d’importance des cibles, leurs salaires varient entre 200 et 10 000 dollars américains par mois.</p>
<p>La formation de ces assassins ne se fait pas nécessairement en personne, mais, souvent, « en distanciel », par le biais de jeux vidéo destinés à faire perdre aux recrues leurs sentiments de peur et de remords. Il s’agit d’une préparation psychologique essentielle pour les jeunes qui, en raison de la pauvreté, du chômage et du manque d’opportunités d’études, sont facilement recrutés en tant qu’assassins pour les différents groupes mafieux.</p>
<p>Les gangs disposent de mécanismes de plus en plus puissants pour attirer les habitants des régions les plus défavorisées du pays, qui sont contraints (sous la menace ou par nécessité économique) de rejoindre le monde criminel.</p>
<h2>Un narco-État en construction</h2>
<p>De plus en plus, les groupes criminels se révèlent en mesure d’exercer une influence sur les autorités locales pour dissimuler leurs activités sous des formes pseudo-légales et faire avancer leurs objectifs stratégiques visant à transformer l’Équateur en un narco-État.</p>
<p>Ce sont avant tout les citoyens équatoriens qui en paient le prix. Les meurtres macabres, les enlèvements et autres actes de violence les obligent à changer leurs habitudes ou à opter pour une existence complètement isolée.</p>
<p>Un climat d’insécurité et de méfiance s’installe dans la société, exacerbé par les médias traditionnels et les réseaux sociaux, qui continuent d’opérer sans véritable engagement en matière d’éthique journalistique et de responsabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maria Fernanda Noboa Gonzalez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le pays semble en train de perdre sa guerre contre les gangs mafieux étroitement liés au narco-trafic mondial.Maria Fernanda Noboa Gonzalez, Doutora em Estudos Internacionais, Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (FLACSO) - EcuadorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208662024-01-14T16:25:02Z2024-01-14T16:25:02ZComment financer les politiques climatiques en Amérique latine et dans les Caraïbes ?<p>Le constat dressé lors de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cop28-147549">COP28</a> à Dubaï est sans appel : <a href="https://theconversation.com/fr/topics/amerique-latine-28959">l’Amérique latine</a> et les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cara-be-29582">Caraïbes</a> font face à un important défaut de financement de l’action pour le climat. Pour remédier aux effets du changement climatique, les financements devraient en effet <a href="https://www.cepal.org/en/pressreleases/eclac-presents-cop28-report-stresses-climate-financing-needs-latin-america-and">décupler</a> par rapport à leurs niveaux de 2020.</p>
<p>Cela nécessite de développer davantage les instruments de financement innovants mis en place ces dernières années et de catalyser les financements pour le climat des principaux acteurs internationaux. C’est l’objet de la Coalition mondiale pour le renforcement des moyens d’action créée lors de la COP28.</p>
<h2>Une région particulièrement vulnérable</h2>
<p>Le nombre de catastrophes naturelles en Amérique latine et dans les Caraïbes a presque doublé entre les décennies 1980 et 2010, faisant de cette région la zone géographique la plus touchée au cours de la décennie écoulée. Depuis 2000, <a href="https://reliefweb.int/report/world/overview-disasters-latin-america-and-caribbean-2000-2022">trois personnes sur dix ont été affectées par une catastrophe naturelle</a>. En 2023, 91 % des citoyens de treize pays d’Amérique latine déclarent que le <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/11/climat-amerique-latine.pdf">changement climatique a un impact sur leur vie quotidienne</a>. Ces catastrophes naturelles peuvent entrainer des coûts économiques élevés. Par exemple, à la suite de l’ouragan Maria en 2017, la <a href="https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2021/08/11/Dominica-Disaster-Resilience-Strategy-463663">République dominicaine a subi des dommages estimés à 226 % de son produit intérieur brut</a> : destruction des infrastructures (routes, ponts et réseaux d’électricité), destruction du capital physique et dégradation du capital humain.</p>
<p>Face à ces dégâts économiques, il est nécessaire d’améliorer la résilience de la zone par la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Les premières ont pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, avant que les effets du changement climatique ne soient irréversibles. Il s’agit, par exemple, d’installer des panneaux solaires sur les bâtiments afin d’améliorer leur efficacité énergétique.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/faut-il-commencer-a-sacclimater-au-rechauffement-ou-redoubler-defforts-pour-le-limiter-218187">politiques d’adaptation</a>, quant à elles, visent à minimiser les conséquences du changement climatique déjà en cours. La mise en place de digues et de murs de protection contre les inondations obéit à cette logique. Les politiques d’adaptation et d’atténuation adéquates peuvent être très coûteuses : sur la période 2023-2030, les besoins d’investissement cumulés associés à la mise en place de ces politiques sont chiffrés <a href="https://repositorio.cepal.org/server/api/core/bitstreams/7cd75817-9d2b-4ec4-a7e9-88645eb247d3/content">entre 215 et 284 milliards de dollars par an</a> pour l’Amérique latine et les Caraïbes.</p>
<h2>Le financement de l’adaptation et de l’atténuation</h2>
<p>Face à ce besoin de financement colossal, les États d’Amérique latine et des Caraïbes reçoivent des financements multilatéraux, de la part d’institutions régionales et internationales, spécialement conçus pour soutenir la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation. Entre 2016 et 2021, le financement pour le climat accordé aux États de la zone a plus que triplé, passant de 2,7 milliards de dollars à 8,6 milliards de dollars (Graphique 1). S’il s’agit d’une augmentation significative, le montant atteint en 2021 ne correspond toutefois qu’à 4 % des besoins d’investissement de la région.</p>
<p><iframe id="jDE7Q" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/jDE7Q/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cinq acteurs multilatéraux assurent l’essentiel du financement de l’action pour le climat dans la région : il s’agit de trois institutions régionales (la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) et la Banque de développement d’Amérique latine et des Caraïbes (BDALC)), de la Banque mondiale (BM) et de la Banque européenne d’investissement (BEI). En 2021, 64 % des financements sont alloués par les institutions régionales (Graphique 2) et les deux tiers de l’ensemble des financements vont à des mesures d’atténuation (Graphique 3).</p>
<p><iframe id="N0sE8" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/N0sE8/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="3Ky68" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/3Ky68/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>De nouveaux instruments financiers</h2>
<p>Pour répondre aux forts besoins de financement de l’action pour le climat, les institutions multilatérales se sont appuyées sur des instruments innovants.</p>
<p>Émis pour la première fois par la BEI en 2007, les obligations vertes sont des <a href="https://www.imf.org/en/Publications/staff-climate-notes/Issues/2022/06/29/Sovereign-Climate-Debt-Instruments-An-Overview-of-the-Green-and-Catastrophe-Bond-Markets-518272">titres de créance destinés à lever des capitaux pour le financement de projets « verts »</a>. En 2022, <a href="https://www.eib.org/attachments/lucalli/20220270_eib_financial_report_2022_en.pdf">30 % du programme de financement de la BEI était ainsi constitué par l’émission d’obligations de sensibilisation au climat</a>. Dans le cadre de l’Initiative Global Gateway de l’Union européenne, en 2023 la BEI a octroyé à l’Argentine, au Brésil et au Chili des <a href="https://www.eib.org/en/press/all/2023-274-latin-america-eib-to-announce-eur800-million-in-financing-for-climate-action-projects-in-argentina-brazil-and-chile-at-eu-celac-summit">prêts « verts » s’élevant à 800 millions d’euros</a>.</p>
<p>La BEI n’est pas la seule institution multilatérale à utiliser cet instrument financier. Grâce à ces obligations vertes, la BDALC a ainsi levé 1,2 milliard de dollars entre 2018 et 2021 pour financer des projets visant à améliorer l’efficacité énergétique, à accroître la production d’énergies renouvelables et à verdir le système de transport de la région. La BID de son côté, grâce également à l’émission d’obligations vertes, a par exemple octroyé en 2023 un prêt de 400 millions de dollars au Chili pour aider au <a href="https://www.iadb.org/en/news/idb-approves-400-million-loan-boost-chiles-green-hydrogen-industry">développement de l’industrie de l’hydrogène vert</a>.</p>
<p>Les institutions recourent également à l’émission d’obligations bleues. Ce sont des instruments de dette émise par des gouvernements, des banques de développement ou d’autres entités pour financer des projets marins et océaniques ayant des retombées positives sur l’environnement, l’économie et le climat. Ainsi, la BID a procédé à la <a href="https://idbinvest.org/en/news-media/idb-invest-issues-first-blue-bond-latin-america-and-caribbean">première émission d’obligation bleue en Amérique latine et dans les Caraïbes en 2021</a> pour un montant de 50 millions de dollars australiens.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles, les institutions internationales recourent également à des instruments de gestion du risque financier comme les obligations catastrophes.</p>
<p>Leur principe est simple. L’organisation qui émet l’obligation verse une prime aux investisseurs. Si aucune catastrophe naturelle ne se produit pendant la durée de l’obligation, les investisseurs reçoivent leur capital et les intérêts à la fin de la période. En revanche, si une catastrophe naturelle survient, l’organisation reçoit des investisseurs une partie ou la totalité du capital associé à l’obligation.</p>
<p>Afin d’améliorer la résilience financière des États contre le risque de catastrophe naturelle, la Banque mondiale procède ainsi à l’émission d’obligations catastrophes pour le compte des États. Elle a par exemple émis en 2020 de telles <a href="https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2020/03/09/world-bank-catastrophe-bond-provides-financial-protection-to-mexico-for-earthquakes-and-named-storms">obligations pour le compte du Mexique pour un montant de 485 millions de dollars</a>, le protégeant pendant 4 ans des pertes dues aux tremblements de terre et aux cyclones.</p>
<h2>Un nouveau rôle pour le FMI</h2>
<p>Alors que les institutions précédentes interviennent principalement <em>ex ante</em>, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fonds-monetaire-international-fmi-54333">Fonds monétaire international</a> (FMI) joue un rôle crucial après qu’un pays a été frappé par une catastrophe naturelle pouvant déboucher sur une crise de balance des paiements. En complément des prêts conventionnels octroyés aux pays membres, le FMI a créé en 2015 le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes qui accorde des dons et des allègements de dette aux pays les plus pauvres frappés par une catastrophe naturelle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vue du siège du FMI" src="https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568590/original/file-20240110-17-3wxn5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">En 2015, le FMI a créé le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes qui accorde des dons et des allègements de dette aux pays les plus pauvres frappés par une catastrophe naturelle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nasonurb/4344909546">Bruno Sanchez-Andrade Nuño/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En mai 2022, un nouveau fonds a vu le jour : le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité du FMI, qui vise à aider les pays pauvres à faire face à des difficultés de long terme, comme le changement climatique. En décembre 2022, la Barbade a été le premier pays à bénéficier de ce nouveau fonds : <a href="https://www.imf.org/en/News/Articles/2022/12/07/pr22417-barbados-imf-executive-board-approves-usd113m-under-eff-and-usd189m-under-rsf">189 millions de dollars d’aide ont été débloqués</a>.</p>
<p>Face aux défis climatiques auxquels font face les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, une utilisation efficiente des ressources pour le financement des politiques climatiques est essentielle. C’est l’un des objectifs fixés par la Coalition mondiale pour le renforcement des moyens d’action, dont la création a été annoncée lors de la COP28 en décembre 2023. Cette coalition regroupe les principaux acteurs internationaux du financement pour le climat (ONU, BM, différentes banques multilatérales de développement, FMI, etc.) et vise à renforcer les capacités en matière de financement climatique et l’efficacité des programmes d’assistance technique des institutions financières domestiques et internationales.</p>
<p>La COP29, qui se tiendra en 2024 en Azerbaïdjan, sera l’occasion d’évaluer les premiers résultats de cette coalition, notamment sa capacité à catalyser des financements pour le climat à la hauteur des besoins de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De nouveaux instruments financiers portés par les institutions internationales apparaissent répondre au défaut de financement dans une région particulièrement vulnérable au changement climatique.Florian Morvillier, Économiste, CEPIIErica Perego, Économiste, CEPIIFanny Schaeffer, Assistante de recherche, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204812024-01-04T09:27:22Z2024-01-04T09:27:22ZComment l’Argentine s’est entièrement façonnée autour des OGM<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567661/original/file-20240103-15-lzuje7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C40%2C2977%2C2205&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tracteur et semoir, ensemencement direct dans la pampa, Argentine</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tractor-seeder-direct-sowing-pampa-argentina-1095766430">Foto 4440/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’histoire n’est pas banale : c’est celle d’une plante originaire d’Asie orientale, restée pendant des millénaires confidentielle avant de susciter un engouement mondial, de devenir alors l’objet d’expérimentation génomique américaine, puis d’arriver dans la pampa argentine où elle prospère depuis de façon irrésistible. Cette plante c’est le soja.</p>
<p>Son histoire argentine est celle d’une conquête fulgurante, puisqu’elle s’y est installée, en quelques décennies, jusque dans des régions montagneuses où personne n’était, avant cela, assez fou pour cultiver la terre.</p>
<p>Au-delà de séduire le secteur agricole, cette plante est aussi devenue, en Amérique latine, un maillon clef de l’équation financière liant cette région à l’économie mondialisée. Aujourd’hui, les principaux pays producteurs de soja en Amérique du Sud sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. Mais le premier à avoir autorisé la culture du soja transgénique a été l’Argentine : en 1996, la superficie du sol semé avec du soja GM était de 1 %, elle atteignait 90 % en 2000-2001. Alors, comment expliquer cette irrésistible conquête ? Quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?</p>
<h2>Des lois très favorables au développement spectaculaire des OGM</h2>
<p>Lorsque les semences génétiquement modifiées arrivent dans la pampa argentine, au milieu des années 1990, elles trouvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2017-1-page-31.htm">pays où le secteur primaire est déjà roi</a>, avec un climat tempéré, des sols fertiles arrosés de pluie, et, déjà, une très bonne réputation sur le marché international des céréales et, plus récemment, des oléagineux.</p>
<p>Si ces conditions ont joué un rôle indéniable, le fer de lance des OGM est cependant plutôt à chercher du côté du droit, et du gouvernement néo-libéral au pouvoir. L’expansion du soja transgénique résistant au glyphosate a, de fait, grandement bénéficié de deux facteurs : d’abord le cadre juridique garantissant la libre circulation des biens, des services et des capitaux mais aussi la loi argentine sur les semences et les créations phylogénétiques de 1973 qui protège assez peu la propriété intellectuelle des semences car elle reconnait le droit des producteurs à replanter leurs propres cultivars.</p>
<p>Or le soja est une plante autogame c’est-à-dire capable de s’autoféconder, il est donc très facile de produire de nouvelles semences OGM à partir de graines achetées. De ce fait, un <a href="https://www.proglocode.unam.mx/system/files/Sztulwark%20Braude%20Desarrollo%20Economico%202010%20On%20Line_0.pdf">marché parallèle de semences de soja</a> transgénique non certifiées s’est peu à peu mis en place, ce qui a permis aux producteurs argentins de les acquérir à un prix bien inférieur à celui pratiqué par les grandes entreprises semencières.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Champ de soja sec prêt pour la récolte" src="https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567660/original/file-20240103-25-8nbxbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Champ de soja sec prêt pour la récolte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/dry-soybean-field-argentine-harvest-by-1965275329">patoouu pato/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’émergence d’un nouveau modèle social et économique agricole</h2>
<p>On pourrait ainsi penser que les multinationales produisant ces semences n’aient, de ce fait, pas eu grand intérêt à se développer en Argentine.</p>
<p>Mais les OGM n’arrivent pas seuls dans le pays : le modèle de culture du soja transgénique résistant au glyphosate s’accompagne tout logiquement d’une utilisation de cet herbicide, de matériels agricoles conséquents pour supporter cette nouvelle façon de faire de l’agriculture. Et là aussi, les lois argentines en vigueur font tout pour faciliter ce modèle d’agro-business, que ce soit avec l’élimination des taxes à l’export jusqu'en 2002 et de restriction au transport des grains, la réduction voire la suppression de tarifs douaniers sur le matériel agricole, les pesticides et engrais. Si les entreprises transnationales (Monsanto, Bayer, Syngenta, etc..) ne sont donc pas spécialement contentes de voir les graines transgéniques circuler à bas coût sur un marché parallèle, elles peuvent cependant prospérer en Argentine via le combo global de modèle agricole qui s’installe avec la vente d’intrant, de matériel agricole, de formations…</p>
<p>Une nouvelle classe entrepreneurial (l’agro-business) apparaît de ce fait, profitant des exploitations vacantes laissées par des producteurs victimes des effets des réformes libérales permettant la libre circulation des biens et des capitaux mais réduisant les aides aux petits et moyens agriculteurs, l’offre en crédit, et laissant libre cours aux mécanismes de l’hyperinflation et au surendettement</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<h2>Quelles promesses accompagnent l’arrivée fracassante des OGM ?</h2>
<p>Cet essor spectaculaire des OGM s’accompagne également d’un discours élogieux et parfois même messianique : grâce aux rendements spectaculaires, l’agro-business argentin va nourrir la planète, à la croissance démographique exponentielle.</p>
<p>Sur le plan technique, les OGM sont aussi promus comme un modèle d’efficacité, avec moins de main-d’œuvre nécessaire, et des gains de temps permis par la pratique du semi direct, qui consiste à semer les cultures sans que l’intégralité du champ n’ait été travaillée, ce qui peut permettre de mieux conserver les microorganismes du sol. Plus récemment en promouvant « l’agriculture de précision » les promoteurs de l’agro-business arguent aussi que leur modèle permet de réduire les intrants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Champ de soja" src="https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567675/original/file-20240103-23-xd8qs3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Champ de soja.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/amicor/3748184220">Javier/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un État devenu dépendant des OGM</h2>
<p>Depuis l’arrivée des premières semences OGM et l’essor de l’agro-business, tout retour en arrière semble incroyablement difficile à imaginer, tant le pays tout entier est devenu dépendant de cette activité. Ainsi, c’est la taxe à l’exportation de l’agriculture qui a, en grande partie, permis à l’état argentin de payer la lourde dette extérieure qui pesait sur lui, ou bien de conduire une politique d’aide sociale pour les populations les plus vulnérables. Aide grandement nécessaire avec un seuil de pauvreté qui a atteint<a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/1MR9elxAq-3yygif_0UYOxSqyCuAr6qDu_ft9Fg8j_t0/edit#gid=620671261"> 66 % de la population</a> en 2002.</p>
<p>Mais si l’agro-business a pu ainsi permettre d’aider les plus précaires, elle a aussi aggravé <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2017-1-page-31.htm">leur sort</a>, avec l’éviction de nombreuses familles paysannes victimes du fait de la concentration de la production entre les mains d’un nombre restreint de producteurs et le chômage massif dans le secteur agricole.</p>
<hr>
<p><em>L’article que vous parcourez vous est proposé en partenariat avec <a href="https://shows.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/episodes/64f885b7b20f810011c5577f?">« Sur la Terre »</a>, un podcast de l’AFP audio. Une création pour explorer des initiatives en faveur de la transition écologique, partout sur la planète. <a href="https://smartlink.ausha.co/sur-la-terre">Abonnez-vous !</a></em></p>
<iframe src="https://embed.acast.com/$/64c3b1758e16bd0011b77c44/16-les-nouveaux-ogm-debats-sur-les-manipulations-du-vivant?feed=true" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<hr>
<h2>Les OGM ont-ils tenu leurs promesses ?</h2>
<p>Sur le plan économique, alimentaire et environnemental, le bilan des OGM est multiple. L’essor massif du soja transgénique a eu des effets radicaux sur la production, qui est passée de 10,8 millons tonnes en 1990 à 40 millons en 2006., de par l’industrialisation de l’agriculture mais également l’expansion de terres cultivées dans des régions autrefois non-agricoles, ou alors réservés à l’élevage ou d’autres cultures.</p>
<p>Si l’on compare l’Argentine à ses concurrents sur les marchés internationaux, sa progression est d’ailleurs spectaculaire : au milieu des années 1980, l’Argentine fournissait 10 % des exportations de tourteaux de soja. Elle est <a href="https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/1606-ci-resinter-fi-argentine-v3.pdf">aujourd’hui</a> le premier exportateur mondial d’huile et de tourteaux de soja.</p>
<p>Si l’on regarde maintenant du côté de l’environnement, les conséquences alarmantes de l’expansion des cultures d’OGM sont multiples, que ce soit l’intensification de l’usage de la terre, l’utilisation d’intrants chimiques contaminant les sols et l’air, la déforestation des zones de frontière agricole, la destruction des écosystèmes, l’appauvrissement de la biodiversité, la pollution des eaux et l’émergence de problèmes de santé consécutifs à l’utilisation intensive d’herbicides.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1019537653551849472"}"></div></p>
<p>Car entre 1996 et 2016, le taux d’application des pesticides par hectare moyen est passé de <a href="https://www.fao.org/faostat/fr/">1,93 kh/ha à 5,17 kh/ha</a> en Argentine.</p>
<p>Concernant, enfin, la capacité des OGM à « nourrir la planète », si l’on questionne cette ambition à l’échelle mondiale, on peut noter que <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/12/une-nouvelle-normalite-la-faim-dans-le-monde-se-maintient-a-un-niveau-tres-eleve_6181672_3244.html">près d’un humain sur dix</a> souffre toujours de faim chronique en 2023 et les cultures OGM ne semblent pas spécialement développées pour endiguer ce problème : si <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/06/23/ogm-mensonges-et-verites-les-fausses-promesses-d-une-revolution-agricole_6043931_3246.html">11 %</a> des surfaces cultivées dans le monde sont des OGM, la majeure partie de ses cultures <a href="https://www.cite-sciences.fr/archives/science-actualites/home/webhost.cite-sciences.fr/fr/science-actualites/articledossier-as/wl/1248100522516/soja-mais-colza-coton-l-etat-des-cultures-ogm-d/packedargs/currentPos%26did/packedvals/1%261248100543763.html">ne sont pas destinée à nourrir les humains</a>. Et si l’on se recentre sur l’Argentine, il peut être également opportun de rappeler que après quasi 30 ans des records annuels de production de soja, ce pays conserve plus du 40 % de sa population en dessous de la ligne de pauvreté. Ce qui semble une mauvaise blague est une réalité : dans le pays surnommé le « grenier du monde » le gouvernement a dû lancer en 2019 le programme « Argentine contre la faim » visant à nourrir 1,5 million de ménages argentins. Au cours des dix dernières années, la population souffrant d’insécurité alimentaire est passée de <a href="https://www.fao.org/3/cc8514en/cc8514en.pdf">5,8 % a 13,1 %</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Manifestation contre l’utilisation d’OGM et d’herbicides agricoles toxiques, à Buenos Aires, Argentine ; le 21 mai 2022. On peut lire sur l’affiche « le développement du modèle transgénique signifie plus de pesticides, plus de cancer, plus de défrichement." src="https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567658/original/file-20240103-15-7x43dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestation contre l’utilisation d’OGM et d’herbicides agricoles toxiques, à Buenos Aires, Argentine ; le 21 mai 2022. On peut lire sur l’affiche « le développement du modèle transgénique signifie plus de pesticides, plus de cancer, plus de défrichement. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/buenos-aires-argentina-may-21-2022-2161172943">Carolina Jaramillo/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un retour en arrière serait-il possible ?</h2>
<p>Économiquement, l’Argentine semble encore beaucoup trop dépendante des OGM pour transitionner vers un autre modèle agricole. Politiquement, pour qu’un tel scénario émerge, il faudrait également qu’il se mesure aux intérêts des classes agraires, aux pressions des pays dépendants du soja argentin, aux entreprises transnationales et les fonds d’investissement qui fondent leur chiffre d’affaires sur le commerce agricole.</p>
<p>Sur le plan environnemental, il demeure également bien difficile d’imaginer de nouvelles cultures pousser là où le soja GM règne en maître, du fait, notamment de l’appauvrissement des sols après des années de monocultures. L’agronome Walter Pengue estimait déjà en 2005 que 3,5 millions de tonnes de nutriments étaient annuellement puisées dans les sols argentins sans être remplacées. <a href="https://www.researchgate.net/profile/Eduardo-Trigo/publication/265193285_Fifteen_Years_of_Genetically_Modified_Crops_in_Argentine_Agriculture/links/551c1b530cf20d5fbde29457/Fifteen-Years-of-Genetically-Modified-Crops-in-Argentine-Agriculture.pdf">La diminution des rendements</a> du fait de ces sols appauvris a depuis été constatée dans certaines zones.</p>
<p>De plus, ces dernières années, l’agro-business argentin a pu prospérer au-delà des cultures de soja. Dans les années 2000, maïs et colza transgéniques ont commencé à essaimer dans les campagnes argentines provoquant une véritable ruée vers les terres vierges, et le pays autorise désormaisla <a href="https://reporterre.net/L-Argentine-donne-le-feu-vert-au-premier-ble-OGM">vente comme l’exportation</a> de blé génétiquement modifié.</p>
<p>L’Argentine semble également des plus intéressées par les nouvelles technologies d’édition du génome ou new breeding techniques (NBT), expression regroupant l’ensemble des innovations permettant d’intervenir sur des zones très ciblées du génome. À l’institut de technologie agricole d’Argentine, ont par exemple été développées des <a href="https://nph.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/nph.15627">pommes de terre</a> qui ne brunissent pas, <a href="https://www.lacapitalmdp.com/inta-y-dos-alimentos-del-futuro-superpapas-y-leche-no-alergenica/">du lait hypoallergénique</a>.</p>
<p>Le gouvernement récemment élu, autoproclamé « anarco-capitaliste » (libéralisme libertaire d’ultra droite), a envoyé au parlement les premiers « paquets » de lois et décrets qui modifient et ou dérogent à plus de 300 lois tout en en créant de dizaines d’autres. L’esprit de toutes ces initiatives reste toujours le même : changer le cadre juridique afin d’enlever à l’État toute capacité de fiscalisation et de régulation. Concernant le secteur agricole, plusieurs lois ont été supprimées : la loi 26.737, par exemple, qui fixait à 15 % le total de terres entre les mains d’étrangers ou la loi 27.604, qui luttait contre la stratégie de mettre le feu aux forêts pour y planter du soja ou y développer des projets immobiliers, entre autres. Toutes les régulations concernant la production, la commercialisation et, dans certains cas, le contrôle sanitaire du vin, du coton, du yerba mate et du sucre ont été modifiées.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ne1ko8O11XQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En somme, si ce nouveau cadre normatif est accepté par le parlement, il y aura un impact direct sur le secteur agro-productif, accentuant la tendance à la concentration de la production, à la présence d’acteurs transnationaux et financiers, à l’expansion du modèle agro-business spécialisé dans des produits primaires destinés à l’exportation.</p>
<p>Et comme le gouvernement de Milei cherche à « révolutionner » l’ensemble de la vie politique, sociale et économique des Argentins afin de créer la première véritable société libertaire au monde, ce décret ainsi que les autres mesures prises par son gouvernement, non seulement refaçonnent ce secteur mais ils touchent le cœur même du contrat social de la société argentine. Désormais, ce contrat est défini sur 5 principes « libertaires » appliqués sans concessions : propriété privée, marchés libres de l’intervention de l’État, libre concurrence, division du travail et coopération sociale.</p>
<p>L’expérience d’une société libérale libertaire dans laquelle s’est engagée l’Argentine constitue un laboratoire politique inédit qui compte déjà, sur la scène international, un certain nombre de supporters aussi hétérogènes que le milliardaire Elon Musk, le président Volodymyr Zelensky, les anciens présidents Jair Bolsonaro du Brésil et Donald Trump des USA. Il faudra donc désormais analyser les conséquences de ces ambitions à l’aune des défis posés par la crise argentine mais aussi par rapport à des enjeux globaux de soutenabilité auxquels l’Argentine s’est engagée vis-à-vis de la communauté internationale, comme l’Accord de Paris, les objectifs de développement durable des Nations unies, entre autres.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220481/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valéria Hernández ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rien ne prédestinait cette plante asiatique à conquérir la pampa argentine. Aujourd'hui, pourtant toute la politique, l'économie, les paysages et la société du pays sont devenus dépendant du soja OGM.Valéria Hernández, Anthropologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195562023-12-09T20:00:41Z2023-12-09T20:00:41ZLe dilemme Milei et l’avenir incertain de l’Argentine<p>Ce 10 décembre, Javier Milei est investi président de l’Argentine. Cet économiste rendu célèbre par sa participation à de nombreuses émissions télévisées avait été élu le 19 novembre, avec 56 % des voix, contre 44 % pour Sergio Massa, ministre de l’Économie et candidat du parti péroniste du président sortant Alberto Fernandez.</p>
<p>Sa victoire fut une grande surprise. Milei était un « outsider », un libertarien de droite qui s’identifie avec les idées anarchocapitalistes et <a href="https://www.wikiberal.org/wiki/Minarchisme">minarchistes</a> (une idéologie qui appelle à réduire le rôle de l’État au minimum, spécialement dans la vie économique) et qui flirte parfois avec la droite nationaliste en minimisant le nombre de personnes disparues pendant la dictature militaire ou en suggérant l’annulation de la loi sur l’avortement.</p>
<p>Il a été élu deux ans à peine après avoir créé son propre parti, <em>La liberté avance</em>, en 2021. Comment ce personnage au programme radical et à la communication extravagante a-t-il pu l’emporter dans ce pays de plus de 45 millions d’habitants, et que peut-on attendre de son mandat ? </p>
<h2>Le populiste libertaire</h2>
<p>Pendant la campagne, Milei a <a href="https://www.lindependant.fr/2023/11/16/il-veut-liberaliser-les-ventes-darmes-et-dorganes-en-argentine-le-fou-milei-peut-devenir-president-11579085.php">promis</a> d’abandonner le peso, monnaie nationale de l’Argentine, et d’adopter le dollar ; de privatiser la plupart des entreprises publiques ; de réduire drastiquement les dépenses publiques ; de fermer de nombreux ministères et la Banque centrale ; de réduire significativement la charge fiscale ; et d’autoriser le libre accès aux armes à feu ainsi que la vente d’organes.</p>
<p>Ces promesses sont-elles réalisables ? Probablement pas. Mais elles ont toutefois aidé Milei à se faire élire, en séduisant un électorat lassé par le déclin économique du pays. Un déclin que ni les présidents péronistes – Nestor (2003-2007) puis Cristina Kirchner (2007-2015), dernièrement Alberto Fernandez (2019-2023) ni le libéral Mauricio Macri (2015-2019) – n’ont réussi à endiguer.</p>
<p>Face au désespoir et au désenchantement provoqué par les politiciens « traditionnels », la majorité des Argentins a choisi une recette radicale qui n’avait jamais été expérimentée dans le pays, et le candidat insolite qui la proposait. Apparaissant à la télévision avec un masque et dans un costume en spandex noir et jaune pour incarner le « Capitaine Ancap » (contraction d’anarchocapitaliste), et brandissant une tronçonneuse, symbole des coupes dans les budgets publics auxquelles il promis de procéder, Milei a su capter l’attention.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1726248549627646393"}"></div></p>
<p>Plus influenceur que leader charismatique, l’homme, aujourd’hui âgé de 53 ans, a réussi à adapter son style et son message aux codes de communication des nouvelles générations, particulièrement sur les <a href="https://www.academia.edu/110007109/_Long_Live_Freedom_Digital_Communication_of_Argentinas_Emerging_Libertarian_Populism?ri_id=7369">réseaux sociaux</a>. Il a vaincu les péronistes avec leurs propres armes : la <a href="https://www.persee.fr/doc/rint_0294-3069_2016_num_107_1_1541">rhétorique populiste</a>.</p>
<p>Si ses idées sont à l’opposé des politiques, fortement interventionnistes, conduites par les récents gouvernements péronistes de gauche, Milei et ses prédécesseurs péronistes ont un point commun : ils sont tous des leaders populistes.</p>
<p>Selon Loris Zanatta, historien italien spécialiste du phénomène populiste dans le monde latin, le <a href="https://www.carocci.it/prodotto/il-populismo">populisme</a> est un imaginaire ou une vision du monde qui renvoie à un passé mythique, lié à une vision organiciste de la société, caractérisée par l’homogénéité sociale et fondée sur l’unanimité politique. Le leader populiste doit générer des antinomies, et défendre le « vrai peuple » contre ses ennemis, à tout prix, et au-dessus de la loi si nécessaire (l’État de droit n’est pas un concept que le leader populiste affectionne).</p>
<p>Si, pour le péronisme, la dichotomie populiste est « le peuple » (les masses ouvrières, nationales et catholiques) et « l’anti-peuple » (les libéraux, les laïcs, les intellectuels), pour Milei, c’est « la caste » (la politique traditionnelle et corrompue, qui a apporté la misère au pays) et l’anti-caste (les Argentins libres et laborieux, opprimés par la caste).</p>
<p>Zanatta ajoute que le germe de ce que l’on pourrait appeler le protopopulisme latino-américain se trouvait déjà dans les missions jésuites d’Amérique du Sud, avec leur vision fermée, hiérarchique et organiciste de la société idéale, représentation du royaume du Christ sur la terre. François, le pape argentin, est un représentant de ce que l’auteur appelle le <a href="https://www.laterza.it/scheda-libro/?isbn=9788858141281">populisme jésuite</a> et a toujours été du côté du gouvernement péroniste (même si ce dernier a accepté la loi autorisant l’avortement en 2021) et opposé à Milei. Sans le nommer, le pape l’a comparé au joueur de flûte de Hamelin, charmeur et dangereux, et a alerté ses compatriotes contre les « clowns du messianisme » dans une <a href="https://www.telam.com.ar/notas/202310/643280-papa-francisco-guerra-dialogo-crisis-mesianismo-esperanza.html">interview</a> accordée à Télam (l’agence de presse nationale argentine) peu avant le scrutin. Sans succès.</p>
<h2>L’économie, il n’y a que cela qui compte !</h2>
<p>La fameuse formule « <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/chroniques-americaines/its-economy-stupid">It’s the economy, stupid !</a> », due à James Carville, un des conseillers de Bill Clinton lors de la campagne présidentielle américaine de 1992, explique largement la victoire du populisme antisystème de Milei.</p>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/le-regime-peroniste-racine-du-declin-economique-de-largentine-196348">article précédent</a>, nous avons souligné les racines péronistes du long déclin économique de l’Argentine, qui était l’une des nations les plus riches de la planète il y a 100 ans. Bien que ce déclin ait commencé à se manifester après le krach de 1929, les gouvernements Perón (1946-1955, 1973-1974) et les présidences péronistes des décennies suivantes, par une série de politiques économiques à courte vue, ont accéléré ce processus et l’ont rendu inexorable.</p>
<p>Les chiffres sont implacables. L’inflation annuelle atteint <a href="https://www.worlddata.info/america/argentina/inflation-rates.php">94,8 %</a> en 2022 et l’estimation pour cette année est de <a href="https://www.reuters.com/markets/emerging/argentina-2023-inflation-seen-185-cenbank-poll-2023-11-13/">185,0 %</a>, soit la <a href="https://www.statista.com/chart/31306/countries-with-the-highest-annual-increases-in-consumer-prices/">quatrième plus haute dans le monde</a>, après le Venezuela, le Zimbabwe et le Soudan. À titre de comparaison, le taux d’inflation qui a frappé si durement les poches des Français en 2022 n’a été que de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122401">5,2 %</a> en 2022. Rappelons à cet égard une phrase célèbre des économistes <a href="https://www.jstor.org/stable/2673879">Easterly et Fisher</a> : « l’inflation est l’impôt le plus cruel qui soit » – parce qu’elle frappe plus durement les pauvres que les riches.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KbyYRbjEUVk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Selon le rapport 2023 de <a href="https://uca.edu.ar/es/noticias/avance-del-informe-del-observatorio-de-la-deuda-social-de-la-uca-la-pobreza-alcanza-al-447-de-la-poblacion">l’Observatoire de la dette sociale</a> de l’Université catholique argentine, 44,7 % des Argentins, soit près de 20 millions de personnes, vivent sous le seuil de pauvreté. L’instabilité économique génère la pauvreté, qui entraîne une <a href="https://www.courthousenews.com/argentines-feeling-unsafe-despite-declining-official-crime-rates/">augmentation de la criminalité et de l’insécurité</a>, l’autre fléau du pays. Ces chiffres sont inacceptables, surtout pour un gouvernement qui se veut populaire, comme le péronisme.</p>
<p>Les indicateurs internationaux font également état d’une grave détérioration. Le <a href="https://www.heritage.org/index/country/argentina">score de « liberté économique »</a> de l’Argentine est de 51,0, ce qui fait de son économie la 144<sup>e</sup> plus libre de l’indice 2023 établi par la très conservatrice <em>Heritage Foundation</em>. Dans <a href="https://www.transparency.org/en/countries/argentina">l’indice de perception de la corruption 2022</a> élaboré par <em>Transparency International</em>, le score de l’Argentine est de 38 sur 100 (0 étant le pire, 100 le mieux), et le pays occupe la 94<sup>e</sup> place sur 180.</p>
<h2>Le sommeil de la raison engendre des monstres</h2>
<p>Un fameux tableau de Goya porte une inscription remarquable : « Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Les politiques économiques insensées des récents gouvernements péronistes, en particulier du gouvernement sortant du président Fernandez et du ministre de l’Économie Massa, ont généré de la pauvreté, des troubles et de l’agitation sociale. Un terrain propice à l’émergence d’un « monstre démagogique » – cette fois-ci de droite et libertaire. Milei a pu émerger et gagner grâce aux échecs du péronisme en matière économique : de nombreux électeurs de Milei ont probablement voté non pas pour ses idées, mais contre le gouvernement péroniste de Fernandez et Massa.</p>
<p>Les images de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/argentine-liesse-immense-des-l-arrivee-des-champions-du-monde-20-12-2022-2502329_24.php">l’arrivée de l’équipe argentine de football</a> à Buenos Aires après avoir remporté la Coupe du monde 2022 montrent la joie du peuple argentin, mais aussi l’exubérance, la dimension passionnelle et mythique du pays. La passion est aussi une composante de la politique locale, magistralement exploitée par les leaders populistes, tant de droite comme de gauche.</p>
<p>Ainsi, la rationalité, la discussion raisonnée des plans gouvernementaux, leur possibilité factuelle, passent au second plan. La rhétorique enflammée de Milei, ses diatribes contre le gouvernement en place, a probablement compté plus que ses propositions économiques, dont la mise en œuvre ne sera pas aisée.</p>
<h2>Pragmatisme politique ou idéalisme libertaire ?</h2>
<p>Les perspectives économiques de l’Argentine sont sombres : économie stagnante, inflation élevée, dépendance à l’égard des exportations de matières premières (soja, blé, maïs et, dans une moindre mesure, viande), déficit de la balance des paiements, problèmes d’importation, plus de 15 taux de change différents pour le dollar américain (la monnaie de prédilection des Argentins, face à la volatilité du peso), départ des entreprises internationales, <a href="https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2023)753938">dette extérieure colossale</a>… </p>
<p>La fermeture de la banque centrale, la suppression de plusieurs ministères, la baisse de l’aide sociale, la libération des taux de change et l’ouverture de l’économie sans discernement pourraient entraîner des conséquences désastreuses pour un grand nombre d’Argentins ayant voté pour Milei. De plus, la promesse de dollarisation de l’économie n’est pas facile à mettre en œuvre sans dollars (les réserves de la Banque centrale pourraient <a href="https://www.reuters.com/article/argentina-economy-reserves/argentina-net-fx-reserves-seen-5-billion-in-the-red-analysts-say-idINL1N38S349/">être dans le rouge</a>).</p>
<p>À l’issue des législatives, tenues le jour du premier tour de la présidentielle, le parti de Milei n’a obtenu que la <a href="https://elpais.com/argentina/2023-11-21/javier-milei-gobernara-argentina-con-minoria-en-las-dos-camaras.html">troisième place</a> aux deux chambres du Congrès. Même avec les voix des députés du parti allié Proposition républicaine (PRO), il ne disposera pas du quorum nécessaire pour imposer ses réformes. Il devra donc nouer des alliances et négocier avec d’autres partis ainsi qu’avec l’opposition péroniste (qui dispose du premier groupe parlementaire dans chacune des deux Chambres). Cela rend très difficile l’adoption de ses propositions les plus radicales. En outre, il devra probablement affronter les puissants syndicats (tous péronistes) s’il tente de modifier la législation du travail, comme il s’y est engagé.</p>
<p>Il y a aussi des opportunités à saisir : l’Argentine a un grand potentiel en tant qu’exportatrice de denrées alimentaires et fait partie, avec le Chili et la Bolivie, du « triangle du lithium », l’une des plus grandes réserves mondiales de ce métal si nécessaire à la transition énergétique. Milei pourrait également favoriser un réalignement avec les puissances occidentales qui pourrait accroître les investissements directs étrangers et faciliter l’accès au marché international de la dette et même la relance de <a href="https://apnews.com/article/argentina-eu-mercosur-brazil-paraguay-7448623940e803b314ccd021f22ad7da">l’accord Mercosur-UE</a>, auquel le gouvernement péroniste sortant n’est pas favorable et que la future ministre des Relations extérieures de Milei, Diana Mondino, regarde d’un œil favorable. </p>
<p>Dans ce contexte, Milei devrait rapidement apprendre les règles du jeu politique en devenant pragmatique. Ironiquement, cela signifierait qu’il rejoindrait cette « caste » qu’il a tant combattue. Cela impliquerait aussi de forger des alliances avec les péronistes, d’améliorer les <a href="https://www.reuters.com/world/americas/with-soy-lithium-trade-balance-argentinas-milei-has-china-conundrum-2023-12-07/">relations diplomatiques avec la Chine</a>, l’un des principaux investisseurs dans le pays (pendant la campagne, Milei a promis de rompre avec Pékin et de se retirer du bloc BRICS+, que le président Fernandez s’était engagé à rejoindre à partir de 2004).</p>
<p>Un Milei pragmatique, mesuré et ordonné pourrait conduire l’Argentine sur la voie de la prospérité, mais il est peu probable que celle-ci se concrétise du jour au lendemain. Beaucoup de ceux qui ont voté pour le nouveau président l’ont fait « avec leur portefeuille ». Si leur portefeuille n'est pas rempli dans les mois à venir, il est probable qu’ils se retourneront contre lui.</p>
<p>En 1986, Raúl Baglini, un politicien argentin, a énoncé un « théorème » affirmant que le degré de responsabilité des propositions d’un dirigeant politique est directement proportionnel à ses chances d’accéder au pouvoir (ou, en d’autres termes, que le niveau d’absurdité du discours d’un homme politique est inversement proportionnel à sa proximité avec le pouvoir). Il reste à voir si le mandat de Milei en apportera la confirmation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219556/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maximiliano Marzetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le programme de Javier Milei semble inapplicable, mais le nouveau président argentin avait-il vraiment l’intention de le mettre en œuvre ?Maximiliano Marzetti, Assistant Professor of Law, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172102023-11-16T17:21:59Z2023-11-16T17:21:59ZPrésidentielle en Argentine : un entre-deux-tours électrisant<p>Le 22 octobre dernier, le premier tour de l’élection présidentielle argentine a donné lieu à des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/23/en-argentine-le-peroniste-sergio-massa-parvient-a-limiter-l-avancee-de-l-extreme-droite_6196092_3210.html">résultats surprenants</a>. La dynamique politique change rapidement dans ce pays de 45 millions d’habitants dont le poids économique, malgré les crises, reste considérable en Amérique du Sud.</p>
<p>La non-qualification plus ou moins inattendue pour le deuxième tour de la représentante de la droite traditionnelle, Patricia Bullrich, la « remontada » de Sergio Massa (candidat de la coalition de centre gauche sortante) et la performance moins bonne que prévu de <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/presidentielle-en-argentine-favori-des-sondages-lultraliberal-dextreme-droite-javier-milei-arrive-finalement-deuxieme-20231023_MYEZBGQFLBGR7O4PMAJ4G7NOHE/">l’ultra-libéral Javier Milei</a>, favori des sondages mais arrivé en seconde position ont été les points saillants de cette compétition électorale qui culminera ce dimanche avec le second tour opposant Massa à Milei. À quelques jours du scrutin, l’issue paraît fort incertaine.</p>
<h2>La remontée de Sergio Massa</h2>
<p>Dans un climat économique tendu, caractérisé par une <a href="https://www.lepoint.fr/economie/argentine-manuel-de-survie-en-temps-de-forte-inflation-18-10-2023-2539853_28.php">inflation persistante</a>, une <a href="https://elpais.com/argentina/2023-09-28/auge-de-la-pobreza-en-argentina-ya-no-pienso-en-llegar-a-fin-de-mes-pienso-en-llegar-a-fin-de-semana.html">croissance de la pauvreté</a>, une dette publique en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/a-court-de-dollars-l-argentine-rembourse-son-pret-au-fmi-avec-des-yuans-968013.html">perpétuelle négociation</a> et un <a href="https://www.infobae.com/economia/2020/09/13/por-que-la-argentina-no-atrae-inversiones/">manque chronique d’attractivité</a> pour les investisseurs internationaux, Sergio Massa, en tant que ministre de l’Économie en fonction, s’est retrouvé dans une position peu enviable aux yeux de l’opinion publique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Souvent identifié comme l’incarnation des tribulations économiques nationales, Massa a cependant réussi une performance remarquable lors du premier tour. En août dernier, lors des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/primaires-de-la-presidentielle-en-argentine-l-ultraliberal-milei-en-force-14-08-2023-2531498_24.php">primaires</a> – une consultation propre au système politique argentin, durant laquelle les électeurs étaient appelés à présélectionner à la fois les partis qui seraient en lice au premier tour et leurs candidats –, il était arrivé en troisième position, derrière Milei et Bullrich, avec 27,27 % des voix. Mais le 22 octobre, avec 36,7 % des suffrages exprimés, il est passé devant tous ses adversaires, Milei récoltant 30 % des voix et Bullrich 23,8 %.</p>
<p>En <a href="https://www.lepoint.fr/monde/argentine-sergio-massa-le-cameleon-tombeur-de-cristina-kirchner-29-10-2013-1749327_24.php">prenant ses distances</a> avec les responsables politiques ayant engendré la frustration populaire, et en particulier avec Cristina Kirchner (vice-présidente sortante du président Alberto Fernandez, en poste depuis 2019 et ex-présidente de 2007 à 2015), Massa a réussi à se redéfinir. Il réduit ainsi son image de symbole des déboires économiques, mais se pose comme le garant d’une certaine continuité des politiques sociales péronistes, délesté du poids de l’image de corruption associée au cercle « K » (en référence à Kirchner).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724004179096834484"}"></div></p>
<p>Il convient de souligner que, pour rallier des électeurs, il n’a pas hésité à user de promesses populistes de dernière minute. Son <a href="https://www.clarin.com/economia/15-medidas-plan-platita-impacto-inflacion_0_WW68lsME1x.html">« Plan Platita »</a> (plan « argent de poche ») comporte des engagements variés, allant de l’allégement fiscal pour les PME à des primes pour les retraités et les chômeurs. Ce plan, qui comprend quinze mesures différentes, générerait de nouvelles dépenses publiques et, par conséquent, un déficit accru – lequel, en Argentine, se traduirait probablement par une hausse de l’inflation, étant donné que son financement nécessiterait l’émission de monnaie supplémentaire.</p>
<p>Un autre facteur de la remontée de Massa est l’inquiétude suscitée par les discours incendiaires et radicaux de Javier Milei et de ses partisans. En promettant de mettre fin à toutes les subventions, de privatiser à grande échelle et de dollariser l’économie, le candidat libertarien a semé la <a href="https://www.lanacion.com.ar/economia/tras-las-elecciones-vencen-acuerdos-que-mantienen-artificialmente-bajos-los-precios-de-mas-de-50000-nid05112023/">crainte d’une flambée incontrôlable</a> des prix parmi les Argentins. Cette appréhension a été partiellement alimentée, de <a href="https://www.ambito.com/politica/tarifa-massa-bullrich-y-milei-los-carteles-que-aparecieron-las-estaciones-trenes-n5850193">manière discutable</a>, par les alliés du gouvernement en place, qui n’ont pas hésité à prédire une dérégulation des prix subventionnés dans les transports publics, tels que les trains, en cas d’élection de Milei ou de Bullrich.</p>
<h2>Les raisons de l’échec de Patricia Bullrich</h2>
<p>Patricia Bullrich, qui avait initialement obtenu une solide deuxième place aux élections primaires avec 28,27 % des suffrages, a été, nous l’avons dit, évincée de manière inattendue au premier tour, ne recueillant que 23,8 % des voix. Les analystes politiques estiment que son élimination résulte d’une <a href="https://mendozatoday.com.ar/2023/10/23/los-errores-que-patricia-bullrich-cometio-en-mendoza-terminaron-de-enterrar-su-aspiracion-presidencial/">série d’erreurs stratégiques</a>, notamment son attitude de mépris affiché envers les figures influentes des <a href="https://mendozatoday.com.ar/2023/10/23/los-errores-que-patricia-bullrich-cometio-en-mendoza-terminaron-de-enterrar-su-aspiracion-presidencial/">régions de Mendoza et de Córdoba</a>, qui auraient pu lui apporter un soutien significatif au-delà de l’agglomération de Buenos Aires.</p>
<p>Un autre écueil majeur de sa campagne a été son incapacité à se positionner de manière crédible comme une candidate réformatrice, surtout face à un Javier Milei au discours plus tranché et à l’image plus convaincante de candidat anti-establishment.</p>
<p>Cependant, c’est peut-être l’ambiguïté du soutien de l’ancien président Mauricio Macri (2015-2019), figure de proue du parti Propuesta Republicana (PRO) et soutien de Bullrich, qui a le plus nui à sa candidature. Représentant des intérêts économiques argentins, <a href="https://www.pagina12.com.ar/611967-los-halcones-de-macri-se-devoran-a-milei">Macri a semblé hésitant</a> quant à la capacité de Bullrich à remporter les élections et n’a pas dissimulé son ouverture à une alliance électorale avec Milei avant même le premier tour, semant le doute sur son engagement envers Bullrich.</p>
<h2>La campagne mouvementée de Javier Milei</h2>
<p>Les résultats du premier tour ont marqué un coup d’arrêt pour Javier Milei, qui, après une percée surprenante aux primaires d’août, semble avoir atteint son apogée. En dépit d’une hausse de la participation de 69 % à 78 %, son score est resté stagnant autour de 30 %, révélant les limites de son expansion électorale au-delà de sa base de jeunes, surtout provinciaux, désabusés par la politique traditionnelle de Buenos Aires.</p>
<p>L’appel à une réforme économique séduit une partie de la population argentine, mais les propositions radicales de Milei, notamment sa volonté de procéder à des réductions budgétaires drastiques et immédiates, ont suscité une inquiétude palpable parmi les citoyens et les PME dépendantes des aides gouvernementales. Ses mises en scène provocatrices, où il <a href="https://cnnespanol.cnn.com/2023/10/01/analisis-javier-milei-candidato-motosierra-argentina-trax/">manie des tronçonneuses</a> symbolisant sa volonté de « couper dans le budget », ainsi que son style rhétorique agressif et souvent vulgaire, n’ont pas su convaincre un électorat modéré et indécis.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JPNBz68tVMM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De plus, la position de Milei sur la scène internationale, en particulier sa menace initiale de <a href="https://www.bnnbloomberg.ca/argentina-s-milei-says-he-d-reject-assassin-china-leave-mercosur-1.1959892">rompre les liens commerciaux</a> avec les principaux partenaires de l’Argentine, à savoir le Brésil et la Chine, en les qualifiant de « communistes », a été source de controverses. Face aux critiques, il a par la suite <a href="https://www.bloomberglinea.com/latinoamerica/argentina/no-se-frenara-el-comercio-del-sector-privado-con-brasil-y-china-dice-javier-milei/">tempéré ses déclarations</a>, mais le malaise persiste quant à l’impact potentiel qu’auraient les politiques qu’il promeut sur une économie argentine déjà fragile.</p>
<p>La candidature de Javier Milei a également été mise à l’épreuve par ses propres alliés, dont certains se sont révélés être des figures encore plus controversées. Parmi eux, sa colistière pour la vice-présidence, <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Victoria_Villarruel">Victoria Villarruel</a>, se distingue par un <a href="https://www.letrap.com.ar/politica/los-rituales-secretos-victoria-villarruel-una-faccion-catolica-marginal-y-ultraconservadora-n5402960">ultra-conservatisme</a> marqué.</p>
<p>Contrairement à Milei, qui se revendique libertarien et généralement plus progressiste sur les questions de société, Villarruel porte l’héritage d’une famille impliquée dans la dictature militaire argentine (1976-1983). Son père a même pris part, à la fin des années 1980 à une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carapintadas">rébellion</a> contre le gouvernement démocratiquement élu de Raúl Alfonsín. Elle n’a jamais renié son attachement à cette période sombre de l’histoire argentine. Ses prises de position contre l’avortement et le mariage homosexuel, et en faveur du rétablissement de la conscription en Argentine se reflètent, de manière plus ou moins subtile, dans le discours de Milei. Cependant, Villarruel a dû <a href="https://www.pagina12.com.ar/613505-la-colimba-volveria-con-victoria-villarruel">tempérer</a> ses propos dans le but de séduire un électorat plus modéré.</p>
<p>Les interventions les plus dommageables pour Milei lors du premier tour ont cependant émané de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/ultradroite-argentine-lilia-lemoine-alias-lady-lemon-cosplayeuse-antifeministe-et-bientot-deputee">Lilia Lemoine</a> et du duo père-fils <a href="https://www.pagina12.com.ar/579851-quienes-son-y-como-piensan-los-benegas-lynch-los-proceres-de">Alberto Benegas Lynch</a>. Lemoine, cosplayer, influenceuse et styliste personnelle de Milei, s’est illustrée par des prises de position anti-vaccins, terreplatistes et antiféministes, allant jusqu’à déclarer, quelques jours avant le premier tour, qu’en tant que députée potentielle du mouvement <em>La Libertad Avanza</em>, elle envisagerait de présenter un projet de loi autorisant les hommes à <a href="https://elpais.com/argentina/2023-10-18/una-candidata-de-milei-impulsa-un-proyecto-para-renunciar-a-la-paternidad-si-te-pinchan-un-preservativo.html">refuser</a> la reconnaissance de paternité d’enfants nés hors mariage.</p>
<p>Quant aux Benegas Lynch, issus d’une famille de libéraux éminents en Argentine, ils ont suscité la controverse par leurs propositions sur le commerce d’organes humains et la privatisation des mers. Mais c’est <a href="https://pledgetimes.com/the-argentine-far-right-proposes-breaking-relations-with-the-vatican/">leur plaidoyer pour la rupture des relations avec le Vatican</a>, le pape actuel étant trop à gauche pour eux, qui a provoqué le plus de remous, attirant même les critiques de l’archevêque de Buenos Aires, <a href="https://www.pagina12.com.ar/600069-fuerte-rechazo-al-planteo-de-alberto-benegas-lynch-de-romper">Jorge García Cueva</a>.</p>
<p>Suite à l’accueil mitigé des résultats du premier tour, l’équipe de campagne de Javier Milei a exhorté ses porte-parole à <a href="https://www.pagina12.com.ar/612030-las-voceros-que-javier-milei-borro-de-la-campana-para-evitar">adopter une approche plus discrète</a> pour ne pas compromettre les chances de leur candidat dans la course au second tour. Cette stratégie de retenue a été renforcée par l’appui de Patricia Bullrich et des <a href="https://www.pagina12.com.ar/611967-los-halcones-de-macri-se-devoran-a-milei">figures de proue</a> du parti <em>Propuesta Republicana</em> (PRO), qui, après une analyse post-premier tour, ont décidé de soutenir Milei. Mauricio Macri, à la tête du PRO, cherche à apaiser ses électeurs en présentant un Milei assagi comme l’alternative idéale pour déloger le péronisme du pouvoir. Cette situation a conduit à une collaboration quelque peu inconfortable des Macristes à la campagne de Milei.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1717399681356193869"}"></div></p>
<p>Bien que les voix du PRO soient cruciales pour briser le plafond de verre de Milei, les partisans de la première heure craignent que cette alliance n’entraîne une modération excessive de leur candidat et l’infiltration de ce qu’ils considèrent comme la « caste » des politiciens traditionnels – une « caste » que Milei a souvent critiquée avec véhémence. En effet, Milei a été contraint de faire des concessions à cette « caste » du PRO, notamment en présentant des <a href="https://www.lmcipolletti.com/pais/el-pedido-perdon-javier-milei-patricia-bullrich-sumar-su-apoyo-el-balotaje-n1067550">excuses</a> à Bullrich pour les attaques personnelles émises lors des débats présidentiels, en minimisant ses propositions de dollarisation de l’économie et en écartant ses porte-parole les plus controversés. Ces ajustements stratégiques posent le risque de diluer l’essence même de <a href="https://www.infobae.com/politica/2023/11/05/milei-oscila-entre-proteger-su-identidad-y-moderarse-para-seducir-a-los-votantes-de-bullrich-y-schiaretti/">l’image anti-establishment</a>, qui a été jusqu’ici au cœur de son attrait électoral.</p>
<p>Bien que le ralliement de Bullrich et Macri puisse, sur le papier, <a href="https://www.clarin.com/politica/eleccion-dice-primera-encuesta-midio-balotaje-massa-vs-milei_0_fEOFPr2k0s.html">assurer à Milei une majorité absolue</a> des voix au second tour, la réalité politique est nettement plus complexe. La coalition <em>Juntos por el Cambio</em>, qui soutenait Bullrich, est une alliance entre le PRO et l’<em>Unión Cívica Radical</em> (UCR), un parti traditionnel, adversaire de longue date du péronisme.</p>
<p>L’UCR, avec ses racines socio-libérales et socio-démocrates, est porteur d’une idéologie qui contraste avec les critiques acerbes de Milei à l’égard du gouvernement de Raúl Alfonsín, le premier président élu démocratiquement après la dictature, et sous lequel la junte militaire avait été jugée.</p>
<p>Alors que le PRO de Bullrich et Macri a choisi de se ranger derrière Milei, l’UCR reste réticente et envisage même de soutenir Sergio Massa, malgré les liens de ce dernier avec le kirchnérisme. Il est important de noter que le PRO, bien qu’étant le partenaire dominant de <em>Juntos por el Cambio</em>, ne représente pas l’ensemble de l’électorat de la coalition. Avec plus de 20 % d’abstentionnistes au premier tour et un nombre similaire d’indécis, dont beaucoup pourraient se sentir plus proches de l’UCR, le paysage électoral reste ouvert. Ainsi, même si Milei semble mathématiquement en tête, son avance sur Massa est <a href="https://www.pagina12.com.ar/613379-balotaje-el-escenario-que-preven-las-encuestas">ténue et loin d’être assurée</a>.</p>
<h2>Le vainqueur aura la tâche ardue</h2>
<p>Quel que soit le futur président, il devra faire face à la réalité implacable de l’économie argentine, qui nécessite des réformes immédiates, en particulier pour réduire le déficit public, moteur clé de l’inflation. L’Argentine continue d’être marginalisée sur les marchés internationaux de capitaux, ce qui complique encore la situation. Ni Milei ni Massa ne pourront s’appuyer sur une majorité parlementaire autonome au <a href="https://chequeado.com/el-explicador/elecciones-2023-como-quedara-conformado-el-nuevo-congreso/">Congrès argentin</a>. Pour obtenir une majorité absolue, des alliances seront indispensables avec les législateurs de <em>Juntos por el Cambio</em>, qui représente la deuxième force au Congrès après l’<em>Unión por la Patria</em> de Massa.</p>
<p>Dans ce contexte, un président Massa serait contraint de négocier avec l’opposition et d’entreprendre des réformes au sein de la structure gouvernementale actuelle. Un président Milei, quant à lui, se verrait incapable de réaliser ses réformes les plus extrêmes sans le soutien du Congrès. L’option d’un plébiscite, évoquée par Milei, ne relève pas du pouvoir exécutif mais du législatif, et son utilisation est <a href="https://www.lanacion.com.ar/politica/javier-milei-el-aborto-y-los-limites-de-la-consulta-popular-nid28082023/">strictement encadrée par le Congrès</a>. En somme, la gouvernance de l’Argentine post-élections exigera un exercice d’équilibre et de compromis, quel que soit le vainqueur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel A. Giménez Roche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce dimanche, à l’issue d’une campagne tendue, les Argentins départageront deux candidats que tout oppose. Quelle que soit l’issue du scrutin, le vainqueur devra composer avec le camp adverse.Gabriel A. Giménez Roche, Enseignant-chercheur en économie, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129992023-11-06T16:59:24Z2023-11-06T16:59:24ZCe que la pensée complexe d’Edgar Morin apporte à l’éducation<p>Le dicton « nul n’est prophète en son pays » pourrait bien s’appliquer aux travaux d’Edgar Morin sur l’éducation. C’est un champ que le sociologue a amplement traité, pourtant son apport en la matière ne semble pas reconnu en France. L’homme de la complexité ne trouve pas dans cette « province de la Terre-patrie » à laquelle il se voue l’écho des honneurs et plébiscites qu’il reçoit à l’échelle planétaire, par exemple en <a href="https://www.cairn.info/edgar-morin-les-cent-premieres-annees--9791037029317-page-41.htm">Amérique latine</a> qui dès les années 60 a noué une forte relation avec lui.</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.espaces-latinos.org/archives/82136">Brésil</a> attirera son attention par l’étude de « la pensée métisse » et « les mythes des civilisations précolombiennes ». En 1999, l’Unesco ouvrira la « Chaire itinérante Edgar Morin pour la complexité » et diffusera amplement l’ouvrage <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000117740_fre"><em>Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur</em></a>, une étude sollicitée par l’ancien directeur de l’Unesco Federico Mayor Zaragoza.</p>
<p>Depuis plus de 20 ans, Morin repère dans le système éducatif des problématiques (l’écologie, l’erreur, les connaissances, l’incertitude, la mission enseignante…) qui le conduisent à proposer des éléments de réflexion pour une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-tete-bien-faite-repenser-la-reforme-reformer-la-pensee-edgar-morin/9782020375030">école appréhendée comme un lieu de réforme pour la pensée</a>. Cette approche n’est pas proposée comme un remède ou une potion magique pour sauver l’école, mais comme un défi pour la repenser au prisme du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ce défi auquel Morin nous invite par la pensée complexe semble si évident que l’on peut se demander comment il est encore possible aujourd’hui de ne pas le relever dans le cadre d’une école confrontée à de nombreux enjeux.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’amélioration du niveau des élèves ou de la nécessité de la mixité sociale, de la transmission du principe de la laïcité, de la réflexion sur le recrutement des professeurs, ou encore de la redéfinition des programmes pour l’école de demain, tout semble indiquer qu’il est nécessaire de réformer l’école. Comme le montre le Rapport de l’Unesco, <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000379705"><em>Repenser nos futurs ensemble</em></a>, la « crise mondiale de l’apprentissage » est due à des contenus peu adaptés au contexte, à des méthodes et des processus pédagogiques qui ne tiennent pas compte des réalités des jeunes ou ne répondent pas aux besoins des plus défavorisés.</p>
<h2>Le paradigme de l’éducation complexe</h2>
<p>En replaçant <a href="https://journals.openedition.org/trema/6357">l’humain au cœur d’une communauté de destin</a>, la vision anthropologique de l’éducation d’Edgar Morin s’inscrit dans une visée sociétale qui fait de chacun de nous un citoyen du monde, un monde qui se transmet, et qu’il nous appartient tant de préserver que de bâtir. Au regard des problématiques qui parcourent l’école aujourd’hui, déployer des réformes ne saurait suffire. Une pensée prenant en compte la globalité des grands défis contemporains est nécessaire pour assurer la transmission des connaissances aux jeunes générations.</p>
<p>Cette pensée éducative, Morin s’y est consacré à travers une trilogie composée des ouvrages suivants : <em>La Tête bien faite : repenser la réforme, réformer la pensée</em> (1999), <em>Relier les connaissances</em> (1999), <em>Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur</em> (2000). La trilogie a été complétée une quinzaine d’années plus tard par l’ouvrage <em>Enseigner à vivre : manifeste pour changer l’éducation</em> (2014), dont s’est inspiré le réalisateur Abraham Ségal pour réaliser un <a href="https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19574905">documentaire</a> montrant une mise en perspective des idées de Morin dans 5 établissements publics.</p>
<p>Certes, la question n’est pas nouvelle, les pédagogues du début du XX<sup>e</sup> siècle, à l’instar de <a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-dans-les-coulisses-du-succes-le-travail-demilie-brandt-entrepreneuse-de-la-petite-enfance-207568">Maria Montessori et ses disciples</a> avaient déjà tenté en leur temps de révolutionner l’école. Mais l’approche dialogique à laquelle nous invite Morin par la pensée complexe permet de s’y atteler par plusieurs aspects, par exemple celui de la transdisciplinarité dans le cadre des programmes scolaires.</p>
<h2>La transdisciplinarité au service de la compréhension de l’humain</h2>
<p>Les différentes disciplines doivent être mobilisées ensemble plutôt que séparément afin de converger sur la compréhension de la condition humaine. C’est sur ces bases que Morin appelle à une réforme de pensée qu’il annonce comme étant historique et vitale en ce qu’elle permettra conjointement de séparer pour connaitre et de relier ce qui est séparé.</p>
<p>Ainsi, en suscitant « de façon nouvelle les notions broyées par le morcellement disciplinaire : l’être humain, la nature, le cosmos, la réalité », on entrera au cœur même de ce qu’il considère comme un impératif de l’éducation, à savoir « le développement de l’aptitude à contextualiser et globaliser les savoirs ». Cela seul favoriserait l’émergence d’une pensée « écologisante » permettant de situer un évènement dans son contexte et d’observer en quoi il le modifie ou l’éclaire autrement.</p>
<p>Concrètement, la mission de l’enseignant est de donner du sens aux apprentissages en proposant à ses élèves un travail s’appuyant sur leurs besoins profonds, comme le préconisait en son temps le pédagogue belge <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ovide_Decroly">Ovide Decroly</a> avec la pédagogie de l’intérêt.</p>
<p>Morin prône une éducation au service de laquelle l’enseignement devrait permettre d’étudier les « <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/temps-est-venu-de-changer-de-civilisation-le-dialogue-avec-morin-edgar-lafay-denis-9782815925044">caractères cérébraux, mentaux, culturels</a> des connaissances humaines, de ses processus et de ses modalités, des dispositions tant psychiques que culturelles qui lui font risquer l’erreur ou l’illusion ».</p>
<p>Sa vision de l’homme entendu dans la complexité d’un être qu’il envisage à la fois totalement biologique et totalement culturel le conduit à envisager une science qu’il qualifie d’anthropo-sociale remembrée de façon à envisager l’humanité tout à la fois dans son unité anthropologique et dans ses diversités, tant individuelles que culturelles.</p>
<h2>Instaurer une démocratie à l’école</h2>
<p>Edgar Morin prône aussi l’instauration, dans le cadre de l’école, d’une démocratie qui permettrait aux élèves de prendre réellement part aux débats et à la vie quotidienne scolaire. L’objectif serait de redonner à l’école sa place comme lieu de formation du futur citoyen. Nous sommes là au cœur de cette éducation transmettant les valeurs d’un humanisme qu’il considère comme un principe fondamental devant « être enraciné en soi, chevillé au fond de soi, car grâce à lui on reconnait tout autre comme être humain », révélant ainsi « le seul véritable antidote à la tentation barbare, qu’elle soit individuelle et collective » à laquelle chaque être humain peut être confronté.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/edgar-morin-un-siecle-de-sagesse-en-trois-lecons-163917">Edgar Morin, un siècle de sagesse en trois leçons</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Autrement dit, selon Morin, l’éducation doit non seulement permettre d’apprendre à vivre, mais à vivre dans la solidarité, et dans une solidarité qu’il place dans un système planétaire. <a href="https://theconversation.com/la-competition-a-t-elle-une-vertu-educative-166586">Le système compétitif</a> que l’école continue à favoriser devrait donc être repensé au prisme de la coopération pour permettre aux enfants et aux jeunes d’apprendre à travailler ensemble, dans un monde commun, et dans une relation de confiance qui englobe également les éducateurs.</p>
<p>Pour ce faire, Morin pense l’enseignement comme devant répondre à une véritable mission qui ne se réduise pas à une simple fonction ou une spécialisation. Il s’agit d’une tâche de salut public qui s’incarne dans une mission de transmission qui suppose d’avoir foi tant dans la culture que dans les possibilités de l’esprit humain. Car l’éducation comprend en elle le principe d’éducabilité qui repose sur un postulat essentiel : chaque humain a une aptitude à progresser et à se perfectionner, quelles que soient ses fragilités et ses faiblesses.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cette réforme de l’éducation qui appelle une réforme de l’enseignement tant primaire que secondaire et universitaire pourrait permettre et accompagner un changement de paradigme. En ce qui concerne plus particulièrement l’école, l’évolution de notre système scolaire doit prendre en compte l’esprit humain, que Morin nous dit de nature prêt à la complexité, pour éduquer aux risques de l’erreur et de l’illusion auxquels nous sommes de plus en plus soumis notamment par les réseaux sociaux, pour nous apprendre à naviguer dans l’incertitude.</p>
<p>Le concept d’<a href="https://journals.openedition.org/trema/5896">éducation complexe</a> permet ainsi de porter une vision qui tient compte de l’humain, tant de son bien-être et de son épanouissement, que de ses faiblesses et ses errements. Qui permette, en plaçant l’humain au cœur du système éducatif, de tenter d’enseigner à vivre, et à vivre ensemble. Ces questions désormais essentielles à appréhender dès le plus jeune âge nécessitent de repenser la formation des enseignants, car dans cet esprit ils devront avoir, <a href="https://www.meirieu.com/LIVRES/qui-veut-encore-des-professeurs.html">selon les mots de Philippe Meirieu</a> :</p>
<blockquote>
<p>« la mission d’instruire sans enfermer, de transmettre sans clôturer, d’engager chacun et chacune dans une démarche de recherche à laquelle aucun credo obscurantiste ne pourra jamais mettre fin. Il y va de la réussite de notre École. Et de la possibilité, pour nos enfants, de donner un avenir à leur futur ».</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/212999/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si Edgar Morin s’est penché sur les questions éducatives et a rencontré un écho dans ce domaine en Amérique du Sud, les pistes que sa pensée apporte pour changer l’école sont trop méconnues en France.Fabienne Serina-Karsky, Maître de conférences HDR en Sciences de l'éducation, Institut catholique de Paris (ICP)Maria Fernanda Gonzalez Binetti, maitre de conférences, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149662023-10-05T08:21:41Z2023-10-05T08:21:41ZL’animisme juridique : quand un fleuve ou la nature toute entière livre procès<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552036/original/file-20231004-26-deen3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=130%2C32%2C5324%2C3582&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue aérienne d'une cascade dans la vallée du Vilcabamba en Équateur, où une rivière a gagné un procès historique en 2011. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/ecuador-waterfall-aerial-view-mountain-waterall-2150891681">Curioso.Photography/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 30 mars 2011, quelque chose de tout à fait <a href="https://ejatlas.org/conflict/first-successful-case-of-rights-of-nature-ruling-vilcabamba-river-ecuador/?translate=fr">inédit</a> est advenu devant la Cour de justice provinciale de Loja, à 430 km de Quito, la capitale de l’Équateur. La rivière Vilcabamba, plaignante d’un <a href="https://mariomelo.files.wordpress.com/2011/04/proteccion-derechosnatura-loja-11.pdf">procès</a>, a pu faire reconnaître par la justice que ses propres droits étaient menacés par le projet de développement d’une route. Ce dernier mettait en péril le débit du cours d’eau et a donc été stoppé.</p>
<p>J’ai eu la chance de pouvoir assister à ce procès et d’étudier ce que l’on appelle l’animisme juridique dans deux pays pionniers en la matière : l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/equateur-51982">Équateur</a> et la Bolivie.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<p>Aujourd’hui, de l’<a href="https://notreaffaireatous.org/amendement-du-parlement-ougandais-du-national-environment-act-2019/">Ouganda</a> à la <a href="https://www.earthlaws.org.au/aelc/rights-of-nature/new-zealand/">Nouvelle-Zélande</a>, divers pays suivent cette voie en ouvrant leurs systèmes pénaux à ces démarches juridiques qui permettent à une entité naturelle, à un écosystème, ou à la nature tout entière de devenir une personne juridique, et, à ce titre, d’avoir des droits. Autant d’innovations qui suscitent l’espoir de certains militants écologistes mais rappellent également combien le droit peut être plastique et créatif au gré des époques : depuis <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/truie-condamnee-a-mort-dauphins-exorcises-les-etranges-proces-d-animaux-au-moyen-age-8722242">ces procès du Moyen-Âge</a> où l’on pouvait trouver des animaux à la barre de la défense, en passant par l’Inde où un avocat a porté plainte <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-35489971">contre un dieu</a> jusqu’à notre époque contemporaine où personne ne trouve anormal qu’une entreprise puisse être considérée comme une personne juridique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499989/original/file-20221209-29206-wsoxgj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Illustration représentant une truie et ses porcelets jugés pour le meurtre d’un enfant. Le procès aurait eu lieu en 1457.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_d%27animaux#/media/Fichier:Trial_of_a_sow_and_pigs_at_Lavegny.png">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La rencontre de deux visions du monde</h2>
<p>Se plonger dans la genèse et l’évolution des expériences équatorienne et bolivienne permet également de voir à l’œuvre les différentes formes que peut prendre l’animisme juridique, ses possibilités comme ses limites. C’est ce que je vous propose de faire.</p>
<p>Si l'Amérique du Sud a pu être une terre novatrice en termes d’animisme juridique, l’expression n’est pourtant pas née outre-Atlantique. Elle apparaît pour la première fois sous la plume de la chercheuse en droit française <a href="https://journals.openedition.org/insituarss/1338">Marie-Angèle Hermitte</a>. D’emblée, l’expression signe, en deux mots seulement, la rencontre de deux mondes, de deux traditions philosophiques avec d’un côté une vision du monde animiste, que la pensée occidentale a souvent édifié comme son exact opposé et, de l’autre, un système dont les contours ont structuré la modernité européenne.</p>
<p>En Équateur, comme en Bolivie lorsqu’on s’attarde sur les contextes d’émergence de l’animisme juridique, on peut retrouver, en toile de fond, les influences ou les frictions qui émergent de la rencontre de ces deux visions du monde, avec, tout à la fois des influences de juristes de l'environnement nord-américains et une utilisation de la figure divine de la Terre Mère présente dans la cosmogonie des Andes. </p>
<h2>L’Assemblée constituante : moment de redéfinition du vivant</h2>
<p>Autre point commun entre ces deux pays, un contexte bien particulier : celui de l’assemblée constituante. En 2006 pour la Bolivie, en 2007 pour l’Équateur, ces pays vivent un moment unique aux allures de page blanche : en se dotant d’une assemblée chargée de rédiger une nouvelle constitution, c’est toute l’identité de leur nation qui est en train d’être redéfinie. </p>
<p>Dans les deux pays, ces moments ont été soutenus, voire attendus par les communautés autochtones, et ont vu émerger la figure de la Pacha Mama, entité de la Terre Mère dans les mythes andins dont le nom évoque, lui aussi, la rencontre de deux mondes puisqu’il se construit autour du terme <em>pacha</em>, qui signifie <em>monde</em> en quechua et en aymara, et <em>mama</em>, <em>mère</em> en espagnol.
Dans ce contexte, des aspirations à doter la nature d’une existence juridique propre émergent rapidement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="La Terre Mère, ou Pachamama est une figure mythique présente dans toute l'Amérique Latine. Ici une représentation de la Pachamama dans la cosmologie andine selon Juan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamayhua (1613), d'après une image dans le Temple du S" src="https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=657&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=657&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=657&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=826&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=826&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552055/original/file-20231004-24-8ro2p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=826&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Terre Mère, ou Pachamama est une figure mythique présente dans toute l'Amérique Latine. Ici une représentation de la Pachamama dans la cosmologie andine selon Juan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamayhua (1613), d'après une image dans le Temple du Soleil (Qurikancha) à Cusco.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pachamama#/media/Fichier:Santa_Cruz_Pachacuti_Yamqui_Pachamama.jpg">Domaine public</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En Équateur, l’animisme juridique est surtout porté au sein de la Constituante par une élite intellectuelle proche des nouvelles théories du droit, influencée par les réflexions du juriste américain Christopher Stone, qui proposait dès <a href="https://global.oup.com/academic/product/should-trees-have-standing-9780199736072">1972</a> de doter les arbres de droits. Pour asseoir ces idées dans le contexte de l’Assemblée constituante, on a alors recours à une relecture des savoirs indigènes du pays, où 80 % des habitants sont issus du métissage entre Européens et autochtones, mais où la <a href="https://www.pewresearch.org/religion/2014/11/13/religion-in-latin-america/">quasi-totalité</a> de la population se revendique comme chrétienne. L’article 71 de la Constitution nait ainsi de ces diverses influences et stipule:</p>
<blockquote>
<p>« La Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs. Toute personne, communauté, peuple ou nationalité pourra exiger à l’autorité publique, l’accomplissement des droits de la nature. »</p>
</blockquote>
<p>L’article qui suit évoque lui le droit à la restauration d’un écosystème, tandis que le 73 convoque le nécessaire principe de précaution pour les activités pouvant conduire à l’extinction d’espèces, la destruction d’écosystèmes ou à l’altération permanente de cycles naturels.</p>
<h2>La figure de la Pachamama</h2>
<p>En Bolivie, où la figure de la Pachamama n’est pas qu’une simple entité folklorique du passé, on a pu voir les constituants débattre longuement de ses attributs, avec d’une part, des habitants des Hauts Plateaux qui honorent cette divinité au quotidien, et, de l’autre, des acteurs issus des Bas Plateaux et du Sud du pays ayant une notion somme toute assez vague de la Pachamama.</p>
<p>Le champ d’action de la Pachamama fut également âprement discuté : si la Terre Mère est omniprésente, doit-on inclure tout le vivant en son sein ? Quelles sont ses limites ? J’ai pu ainsi assister à un débat qui tâchait de savoir si, en donnant une existence juridique à la Pachamama, il serait désormais possible de faire un procès si un moustique piquait un humain, et de voir si cela était souhaitable.</p>
<p>Ces réflexions aboutissent à une conceptualisation de la Pachamama comme une entité ouverte et collective, une Terre Mère traversant tous les plans de l’existence et donc à protéger à ce titre, afin d’éviter les réflexions sans fin visant à circonscrire ce qui pourrait ou non être inclus dans la Pachamama. Perçue comme la mère de toutes les choses, on la retrouve ainsi dans toutes les entités du monde. Dans la nouvelle Constitution du 22 janvier 2010 dix articles au total mentionnent ainsi la Terre Mère en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« La Terre Mère est un système vivant dynamique comprenant une communauté indivisible de tous les systèmes de vie et êtres vivants, interreliés, interdépendants et complémentaires, qui partagent un destin commun. La Terre Mère est considérée sacrée selon les peuples indigènes. » (article 3)</p>
</blockquote>
<p>Les articles 5 et 6 posent eux le cadre juridique de la Terre Mère considérée comme un « sujet collectif d’intérêt public » et assurent qu’à ce titre, tous les Boliviens et Boliviennes peuvent exercer les droits de la Terre-Mère, tout en devant cependant respecter à la fois les droits individuels et collectifs.</p>
<p>L’article 7, enfin, énumère lui les sept droits de la Terre Mère : droit à la vie, à la diversité biologique, à l’eau, à l’air pur, à l’équilibre, à la restauration, droit à ne pas être pollué.</p>
<hr>
<p><em>L’article que vous parcourez vous est proposé en partenariat avec <a href="https://shows.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/episodes/64f885b7b20f810011c5577f?">« Sur la Terre »</a>, un podcast de l’AFP audio. Une création pour explorer des initiatives en faveur de la transition écologique, partout sur la planète. <a href="https://smartlink.ausha.co/sur-la-terre">Abonnez-vous !</a></em></p>
<iframe name="Ausha Podcast Player" frameborder="0" loading="lazy" id="ausha-6ilQ" height="220" style="border: none; width:100%; height:220px" src="https://embed.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/651da0350934650010507f7b" width="100%"></iframe>
<hr>
<h2>Les incarnations et limites de ces nouveaux droits de la nature</h2>
<p>Ce nouveau rapport au vivant ainsi posé par les Constitutions, quelles ont été les suites et applications concrètes de ces nouveaux outils juridiques ? Encore une fois, la Bolivie et l’Équateur ont pris des chemins assez différents.</p>
<p>La volonté des constituants équatoriens de fournir des outils juridiques concrets a rapidement donné lieu à des actions juridiques, avec en premier lieu ce fameux procès du fleuve Vilcabamba, dans la région de Loja. Si cette action juridique avait été initiée par des militants écologistes fins connaisseurs des nouvelles possibilités du droit dès 2011, nous avons vu, depuis, des <a href="https://www.derechosdelanaturaleza.org.ec/casos-ecuador/">acteurs plus divers de la société équatorienne engager des procédures</a>.</p>
<p>Les outils proposés par la nouvelle Constitution ont notamment permis de dépasser une limite très rapidement atteinte par les combats écologiques de par le monde : celle de la difficulté qu’il y a à isoler une responsabilité lorsqu’il est question d’environnement, d’imputer une responsabilité à un projet, une organisation, une personne, parfois installée en dehors des frontières d’un pays où l’on subit ses dommages. C’est notamment en mobilisant la notion de principe de précaution et de <a href="https://www.erudit.org/en/journals/mlj/2014-v60-n1-mlj01619/1027721ar/">juridiction universelle</a> que la justice équatorienne a pu ne pas rester enfermée dans ces questionnements. </p>
<p>Ainsi en novembre 2010, des citoyens équatoriens, mais également indiens, colombiens et nigérians ont porté plainte devant la Cour Constitutionnelle de l’Équateur pour exiger que l’entreprise British Petroleum, responsable d’une marée noire colossale dans le golfe du Mexique, rende publiques les informations liées au désastre écologique et à son impact, et l’obliger à prendre les mesures nécessaires pour réparer les dommages générés. Les citoyens en question n’ont pas été directement victimes de la marée noire et n’ont ainsi pas porté plainte pour protéger leurs droits, mais ceux de l’océan. Si la plainte a été instruite cependant, les juges décidèrent finalement de botter en touche en mettant en avant un autre cadre constitutionnel qui imposait une notion et un périmètre de territorialités aux affaires. </p>
<p>En Bolivie, le travail de l’Assemblée constituante n’allait pas véritablement dans le sens d’une mise en place d’outils permettant de saisir facilement la justice pour défendre les droits de la nature. Néanmoins, la rédaction de cette nouvelle Constitution centrée autour de la figure de la Pachamama n’a pas été sans effet. </p>
<p>D’abord une certaine désillusion a pu être constatée face au décalage entre les idéaux ambitieux construits autour des droits de la Terre Mère et un retour à la normale, avec la poursuite des projets d’exploitation des ressources naturelles. Le gouvernement s’est ainsi retrouvé dans une position difficile en proclamant d’une part la Terre Mère sacrée, et en héritant, d’autre part, de la gestion courante de tous les secteurs économiques extractivistes, voire en les développant. </p>
<p>Cette divergence a nourri une certaine colère et la figure de la Pachamama a ainsi été un des pivots de certaines luttes comme, par exemple, celle du mouvement s’opposant à la construction d’une route menant à la région de Tipnis, réserve naturelle de l’Amazonie bolivienne. Des organisations paysannes, autochtones et comités civiques ont, dans ce cadre, notamment opposé aux arguments « développementistes » du gouvernement bolivien les droits de la Terre Mère, garantis par Constitution bolivienne. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Manifestants contre le projet de route de TIPNIS arrivant à La Paz, en octobre 2011" src="https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552048/original/file-20231004-17-83ds1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestants contre le projet de route de TIPNIS arrivant à La Paz, en octobre 2011.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mywayaround/6262323419/">Szymon Kochański/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Disposant d’un fort <a href="https://www.sciencespo.fr/opalc/node/712/index.html">soutien de la population</a> notamment à l’occasion de deux marches vers la capitale, ce mouvement remporte d’abord une <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2011/09/27/evo-morales-recule-sur-le-projet-de-route-du-tipnis">première victoire</a>, avec la promulgation d’une loi établissant l’intangibilité du parc national et l’abandon du projet d’autoroute en octobre 2011, avant, finalement un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/bolivie-le-projet-controverse-dune-route-au-milieu-de-lamazonie-refait-surface">rétropédalage en 2017</a>. Au fil de ce dossier, le président <a href="https://theconversation.com/fr/topics/evo-morales-78519">Evo Morales</a> a en tout cas perdu en bonne partie le soutien des populations autochtones.</p>
<h2>Des rétropédalages possibles en tout sens</h2>
<p>Que retenir de ces innovations juridiques ? Si elles ont pu permettre des actions juridiques et politiques, le droit ne peut pas tout, et demeure avant tout, au gré des situations politiques, modulable dans le sens des combats environnementaux tout comme dans celui d’injonctions extractivistes.</p>
<p>Les retours en arrière peuvent être légion dans un sens comme dans l’autre. Récemment des actualités juridiques australiennes ont pu montrer cela. En 2019, le peuple autochtones des Aṉangu a décidé, malgré la manne financière conséquente que cela représentait, d’interdire la <a href="https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/2002324/autochtones-lieux-touristiques-land-back">visite du Mont Uluru</a>, un site sacré dont le tourisme de masse aggravait l’érosion et la pollution des nappes phréatiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Panorama du Mont Uluru" src="https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552057/original/file-20231004-15-6nov55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Mont Uluru, une montagne resacralisée et désormais interdite aux touristes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/1GFUOji-yck">Photoholgic/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces dernières années, Équateur et Bolivie sont eux restés fidèles à leur réputation de laboratoire d’innovation juridique, avec, par exemple, des réflexions menées sur une possible ouverture du droit aux objets au sein de l’Autorité de la Terre Mère bolivienne dirigée alors par Benecio Quispe. </p>
<p>Confrontée au problème global de la gestion des déchets, l’Autorité de la Terre Mère avait entamé des discussions avec des chefs de communauté autochtone, des leaders syndicaux sur <a href="https://arbre-bleu-editions.com/heritage-et-anthropocene.html">les droits juridiques dont pourraient bénéficier les objets et biens produits</a>, comme le droit à une espérance de vie maximale, un droit au soin, à la réparation, à ne pas être abandonné… Si cette piste n’avait finalement été retenue, elle montrait, une fois encore, combien les outils juridiques peuvent nous permettre de redéfinir notre lien à nos écosystèmes et à la modernité.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diego Landivar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment des pays ont-il fait pour ériger la nature ou les écosystèmes au rang de personne juridique ? Ces innovations permettent-elles vraiment de protéger l'environnement ?Diego Landivar, Enseignant Chercheur en Economie, Directeur d'Origens Media Lab, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096482023-07-17T19:20:27Z2023-07-17T19:20:27ZArtistas Unidos : crise de la démocratie et art contestataire au Pérou<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537106/original/file-20230712-27-2bc91m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C8%2C1192%2C824&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le groupe de théâtre Yuyachkani, Lima.</span> <span class="attribution"><span class="source">Diana Daf Collazos</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 9 décembre 2022, le Pérou est plongé dans une profonde crise politique, sociale et économique. La violente répression policière et militaire s’est soldée, à ce jour, par 60 morts et plus de 1 600 blessés.</p>
<p>L’événement qui a déclenché les manifestations a été la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/16/perou-le-president-dechu-pedro-castillo-maintenu-en-detention-pour-dix-huit-mois_6154631_3210.html">mise en détention du président Pedro Castillo</a> – appartenant au parti de gauche « Perú Libre » – après sa tentative de « coup d’État » (il avait <a href="https://www.lalibre.be/international/amerique/2022/12/07/un-auto-coup-detat-au-perou-le-president-castillo-dissout-le-parlement-et-cree-un-gouvernement-dexception-SZTHULDOOVCEDLHK563PGA7K7M/">dissous le Parlement et mis en place un gouvernement d’exception</a>). Cet « auto-golpe » a été interprété de deux manières. Pour ses détracteurs, il s’agissait d’une mesure désespérée pour éviter la chute du gouvernement, accusé de corruption. Pour ses partisans, cette résolution était légitime, car un sabotage continu de la droite empêchait Castillo président de gouverner. </p>
<p>Ainsi, dans un premier temps, les revendications des manifestants se focalisaient sur la libération de Castillo, la destitution de l’actuelle présidente Dina Boluarte (jugée illégitime, surtout après son alliance avec la droite) et la tenue d’élections anticipées. Mais au fur et à mesure, ces réclamations se sont élargies vers un ensemble de questions d’ordre politique, économique et social, telles que la mise en place d’une Assemblée constituante et une redistribution plus équitable des richesses.</p>
<h2>Une révolte menée par des acteurs inattendus</h2>
<p>Les modalités de la mobilisation ont été multiples : marches, sit-in, blocages de routes, tentative de prise de contrôle d’endroits stratégiques comme les aéroports, attaques de monuments publics. Ces actions ont été caractérisées par une grande hétérogénéité de participants. Comme le souligne <a href="https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=484404657099985">l’historienne Cecilia Méndez</a>, après des décennies de dépolitisation et de démobilisation, observées notamment sous la dictature d’Alberto Fujimori (1990-2000), on a assisté à la prise de parole dans l’espace public d’« acteurs inattendus ». </p>
<p>L’anthropologue Rodrigo Montoya avance qu’il s’agit de la <a href="https://theconversation.com/mine-par-les-inegalites-et-la-corruption-le-perou-enlise-dans-une-crise-profonde-204986">première révolte ouvertement politique des milieux populaires de la province</a>, qui se sentaient représentés par Castillo, militant syndicaliste et instituteur issu d’une famille modeste des Andes septentrionales. </p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Néanmoins, les groupes qui ont participé aux manifestations, dont un moment décisif a été la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/20/au-perou-la-prise-de-lima-par-les-protestataires_6158630_3210.html">« prise de Lima » du 19 janvier 2023</a>, ne sont pas seulement composés de membres des communautés paysannes, mais également de commerçants, d’étudiants et de personnalités publiques.</p>
<h2>L’art comme vecteur d’engagement politique</h2>
<p>Dans ce cadre, et compte tenu de l’importance des réseaux sociaux dans la mobilisation, le rôle joué par les travailleurs de l’art et de la culture met en évidence de nouvelles façons d’investir le champ politique et d’articuler un dialogue intergénérationnel et interculturel à partir des régions de la province. </p>
<p>L’action des artistes lors des moments de crise n’est pas nouvelle. Pendant la dictature de Fujimori, elle avait pu canaliser un discours contestataire réprimé ailleurs. Pourtant, les mobilisations actuelles montrent une ampleur et des modalités d’expression inédites. </p>
<p>Face à un débat politique appauvri et à une crise profonde des partis politiques, ces dispositifs artistiques peuvent-ils favoriser et renforcer la construction d’un nouveau sujet national ? Sont-ils capables d’apporter un changement durable pour et avec une société civile extrêmement fragmentée, voire polarisée ? Car il existe aujourd’hui une diversité d’expérimentations artistiques qui dénoncent les pratiques autoritaires et le racisme structurel, tout en interrogeant la crise de représentation démocratique.</p>
<h2>Naissance du collectif Artistas Unidos</h2>
<p>C’est dans ce contexte de mobilisation et de répression qu’est né le collectif « Artistas Unidos contra la Dictadura ». De manière progressive, à partir de l’action coordonnée d’artistes installés surtout dans les régions de province, ce collectif s’est constitué avec le double objectif de sensibiliser la société civile et de se positionner en tant que corporation sur une scène nationale fragmentée.</p>
<p>Une trentaine d’artistes âgés de 20 à 50 ans en constitue le noyau central, à même de mobiliser une centaine de personnes dans chaque région impliquée (16 sur 25). Par diverses pratiques artistiques, de la performance au graphisme, ce collectif a mis en œuvre des formes créatives de détournement des usages ordinaires de l’espace public, imbriquant dimensions esthétique et militante.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537111/original/file-20230712-40921-hjh64p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestation du 13 janvier 2022 à Lima, groupe de théâtre Yuyachkani.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Miguel Rubio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Après une réponse immédiate à la crise déployée par le hashtag #ArtistasUnidosContraLaDictadura, l’action s’est structurée à travers la publication de plusieurs « convocatorias », c’est-à-dire des appels à la création dictés par une thématique commune. La première convocatoria, au mois de décembre 2023, dans le contexte des premières morts de la répression étatique, a donné lieu à l’œuvre « El anti-memorial », un recensement des données des personnes qui ont perdu la vie lors des manifestations. Compte tenu du silence des principaux médias et du <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/peru-lethal-state-repression-is-yet-another-example-of-contempt-for-the-indigenous-and-campesino-population/">racisme systémique</a> qui caractérise historiquement le pays, il s’agissait en priorité de visibiliser les victimes et de rappeler leurs noms, au-delà des chiffres. </p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=821&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=821&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537112/original/file-20230712-38929-1r913s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=821&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Code QR, imprimé sous forme d’autocollant, donnant accès à l’œuvre « El anti-memorial ».</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La deuxième convocatoria, réalisée pour la manifestation du 24 janvier 2023, s’est inspirée d’une œuvre de Carlos Sánchez Nina, nommée « Pérou cassé » (« Perú roto »). À l’aide de pochoirs et de bombes rouges, les artistes ont peint la carte du Pérou sur la voie publique. Les fractures présentes dans le béton ont été exploitées comme métaphore des blessures qui traversent la géographie du pays. </p>
<p>Cette action improvisée pendant la déambulation a eu le mérite de dynamiser les interactions entre manifestants. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537113/original/file-20230712-40921-z4evtx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Affiche de Peru Roto, l’œuvre de Carlos Sanchez Nina.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’une part, ces derniers, interpellés par ces interventions, posaient des questions aux artistes et participaient ainsi, de manière active, à la coproduction de sens ; de l’autre, « cela permettait [aux artistes, dans une démarche réflexive] de s’écouter » (entretien avec Nereida Apaza Mamani, 2023).</p>
<h2>Le détournement de symboles traditionnels</h2>
<p>La plupart du temps, les œuvres ne portent pas de signature et sont facilement reproductibles ou transportables. C’est par exemple le cas de la <a href="https://www.tiktok.com/@elgalponespacio/video/7196347982067862789">convocatoria dédiée aux retables</a>. Ces petits autels triptyques en bois, représentant des événements religieux, historiques et quotidiens des habitants des Andes, sont originaires de la région d’Ayacucho, la plus touchée par le <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/40313">conflit armé</a> qui a opposé, par le passé, les forces gouvernementales à la guérilla du Sentier lumineux (1980-2000). L’emploi du <a href="https://www.tiktok.com/@elgalponespacio/video/7196347982067862789">retablo</a>, ici en carton et porté tout au long de la marche, vient réinscrire la violence vécue aujourd’hui dans une plus longue histoire meurtrière.</p>
<p>Ainsi, les artistes ont mis en œuvre un répertoire de symboles facilement reconnaissables mais reformulés dans un but à la fois émancipateur et thérapeutique. L’artiste Augusto Carrasco souligne la difficulté de travailler avec ces symboles délicats, notamment vis-à-vis des accusations de terrorisme de la part du gouvernement. Non seulement cela stigmatise et délégitime la protestation, mais cela sert aussi de justification à l’emploi de la violence dans la répression. Chargé de la ligne graphique du collectif, Carrasco a réalisé une représentation anthropomorphe de femmes aux visages d’oiseau portant une fleur de genêt dans les mains.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537115/original/file-20230712-20-4ke06y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Femme avec une fleur de genêt dans ses mains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Diana Daf Collazos</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il a choisi des mamachas, femmes âgées de la sierra, des citoyennes qu’il décrit comme vulnérables, soit invisibilisées, soit méprisées. « Mais je ne voulais pas les montrer comme on a l’habitude de faire, c’est-à-dire en termes d’une hiérarchie inférieure de pouvoir, comme des victimes avec un visage triste et affligé. Alors, comment résoudre tout ça ? En les transformant, avec un collage, en y apposant une tête d’oiseau […] pour leur regard défiant et les yeux grands ouverts » (entretien avec Carrasco, 2023). La compagnie théâtrale Yuyachkani a ensuite donné vie à ces personnages à travers des performances dans les rues de la capitale, preuve de la densité des échanges et des emprunts entre les différentes scènes artistiques. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537114/original/file-20230712-21-wtdmyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Poster d’une convocatoria réalisé par Augusto Carrasco.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutes les interventions artistiques ont été couplées avec un registre photographique, une véritable archive ouverte qui a pour ambition de nourrir la mémoire collective des événements. Dans un contexte où la presse accorde son soutien implicite au gouvernement de Dina Boluarte, les portables et les réseaux sociaux ont permis de diffuser la protestation, constituant – comme ailleurs – une arme puissante de politisation. L’artiste Nereida Apaza Mamani souligne le potentiel fédérateur de ces actions sur un tissu social et professionnel déconnecté et inégalitaire. Ces artistes manifestent le besoin de raviver le secteur de la culture, de plus en plus négligé depuis la crise sanitaire. Ils souhaitent également aller au-delà des espaces formels que sont les galeries, considérées comme trop élitistes et stériles.</p>
<p>L’action contestataire apparaît ainsi comme un travail de signification, auquel l’art est appelé à contribuer de manière décisive, en faisant émerger de nouveaux modèles de représentativité et s’inscrivant à l’encontre d’un sentiment de négation constante de l’agentivité des acteurs aux marges de la société. Dans le quatrième pays le plus inégalitaire au monde, sans espace de médiation sociale, ces réseaux de travailleurs et des travailleuses du secteur culturel et artistique peuvent impulser des mouvements de citoyenneté, à la fois nationaux et décentralisés, tout en contribuant au processus de réparation de la mémoire post-conflit.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mine-par-les-inegalites-et-la-corruption-le-perou-enlise-dans-une-crise-profonde-204986">Miné par les inégalités et la corruption, le Pérou enlisé dans une crise profonde</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans la <a href="https://www.facebook.com/100000512755184/videos/735203677814111/">performance de Miguel Matute</a>, une céramique précolombienne, incarnation de la péruanité, est appuyée sur la terre rocheuse des Andes de Cajamarca, dans une position qui paraît précaire et fragile. Un tir de fusil la fait soudain éclater en morceaux. Le résultat est touchant : effroi, désarroi et une sensation d’impuissance. L’artiste recolle les morceaux… Un travail de reconstruction, bien plus complexe encore, attend les politiciens et la société civile. </p>
<p>Si les protestations et les rassemblements ont fini par se tarir au début du printemps, ces groupes organisés ont néanmoins engendré des espaces singuliers de contestation et cherché à recoudre, par les marges, un tissu social fragmenté. Face à la crise démocratique et aux dérives autoritaires qui traversent actuellement plusieurs pays du monde, l’investissement artistique apparaît comme une modalité de participation politique alternative pour contourner plus discrètement la répression déployée contre les opposants politiques. </p>
<p>Les quelques performances que nous avons décrites transforment les rues en espaces représentatifs, et agissent comme de nouveaux rituels sécularisés œuvrant à la fondation d’un nouveau pacte social. Mais leur pouvoir réside moins dans la performance elle-même que dans leurs capacités d’articulation à d’autres stratégies de mobilisations et aux alliances qu’elle permettra avec d’autres collectifs de critique sociale. </p>
<hr>
<p><em>Cet article a été publié en collaboration avec <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/20649">le blog de la revue_ Terrain</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209648/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emanuela Canghiari ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Pérou, le collectif Artistas Unidos dénonce les violentes répressions des mobilisations critiquant la présidente Dina Boluarte et la marginalisation des peuples des Andes.Emanuela Canghiari, Anthropologue, chargée de recherche au Fonds belge de la Recherche Scientifique, Chargée de cours à l'université de Strasbourg et de Neuchâtel, membre de l'institut français d'études andines (IFEA) et de l'institut de sciences politiques (ISPOLE), Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090152023-07-09T15:31:07Z2023-07-09T15:31:07ZIndiana Jones est un héros, son inspirateur ne l’est pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535385/original/file-20230703-278324-edbjvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=91%2C97%2C1736%2C1207&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Hiram Bingham en 1917.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:HiramBingham_(cropped).jpg">Library of Congress/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Indiana Jones a façonné l’image de l’historien-archéologue-explorateur dans la culture <a href="https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0002333670">populaire</a>. La sortie d’<a href="https://www.filmaffinity.com/es/film989177.html"><em>Indiana Jones et le cadran du destin</em></a> nous offre l’occasion d’analyser l’évolution de notre perception des héros qui ont inspiré la culture populaire, et de nous pencher sur le cas de Hiram Bingham III est le <a href="https://www.inverse.com/article/18017-indiana-jones-machu-picchu-hiram-bingham-iii">modèle qui a inspiré le personnage de Jones</a>.</p>
<p>Bingham est né en 1875 à Honolulu, Hawaï, où son père était missionnaire. Poursuivant la tradition familiale, il étudie à l’université de Yale. Entre 1911 et 1915, il dirige plusieurs expéditions au Pérou qui le rendent célèbre. En 1917, il s’engage dans l’armée de l’air et mène peu après une brillante mais éphémère carrière politique.</p>
<h2>Machu Picchu</h2>
<p>Dans la <a href="http://www.machupicchuexplorer.com/index.htm">biographie</a> écrite par son fils, on découvre que Bingham s’est construit une identité d’explorateur mythique mais que sa personnalité était ambivalente. Et il y a quelques années, un universitaire admirateur d’Indiana Jones a publié un récit de la vie de Bingham incluant <a href="https://www.google.es/books/edition/Las_tumbas_de_Machu_Picchu/06HNDwAAQBAJ?hl=es&gbpv=1&dq=Hiram+Bingham&printsec=frontcover">toutes les controverses</a> qui ont fleuri à son sujet.</p>
<p>Bingham est devenu célèbre pour avoir « découvert » le Machu Picchu au Pérou. Certains préfèrent le considérer comme le premier touriste à visiter ses <a href="https://revistas.ucm.es/index.php/RCHA/article/view/RCHA0101110257A">ruines</a>.</p>
<p>Lorsque Bingham est arrivé sur le site, il a rencontré des gens qui y vivaient. Et avant lui, certains avaient déjà décrit la région. C’est pourquoi, dès le départ, il y a eu des doutes sur la réalité de sa découverte.</p>
<p>Dans son journal, il note que le découvreur de Machu Picchu est le paysan de Cuzco <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Agust%C3%ADn_Liz%C3%A1rraga">Agustín Lizárraga</a>, car il a trouvé sa signature sur le site. Mais, dans la droite ligne d’un racisme très répandu à l’époque, il ne l’a pas jugé digne d’un tel honneur parce qu’il était un métis à la peau <a href="https://www.google.es/books/edition/Las_tumbas_de_Machu_Picchu/06HNDwAAQBAJ?hl=es&gbpv=1&printsec=frontcover&bsq=Agust%C3%ADn">foncée</a>. Cet argument lui a permis de s’autoproclamer découvreur du Machu Picchu.</p>
<p>Aujourd’hui, Bingham est considéré comme quelqu’un qui s’est approprié un objet scientifique et l’a mis à la portée d’un public international. Et, bien sûr, il ne l’a pas fait seul. Il l’a fait grâce au travail d’autres chercheurs, paysans, muletiers et <a href="https://read.dukeupress.edu/ethnohistory/article-abstract/59/2/293/9023/Collecting-a-Lost-City-For-Science-Huaquero-Vision">chasseurs de trésors</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photographie en noir et blanc de ruines archéologiques au sommet d’une montagne" src="https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photographie de Machu Picchu prise par Hiram Bingham III en 1912 après d’importants travaux de nettoyage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Machupicchu_hb10.jpg">National Geographic/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>États-Unis et Amérique latine</h2>
<p>Bien qu’à sa mort en 1956, une <a href="https://www.jstor.org/stable/212113">nécrologie</a> décrive Bingham comme un personnage important pour l’étude de l’Amérique latine, <a href="https://www.jstor.org/stable/212113">ses œuvres</a> témoignent de ses idées complexes sur le lien entre les États-Unis et l’Amérique du Sud.</p>
<p>L’explorateur était passionné par la doctrine Monroe. Selon cette idéologie, les États-Unis pouvaient considérer toute intervention européenne en Amérique latine comme une agression. En bref : « l’Amérique aux Américains ». Mais ses théories allaient plus loin : dans l’un de ses ouvrages, il proposait même d’envahir le <a href="https://www.jstor.org/stable/29738367">Mexique</a>. Bien que sa proposition n’ait pas été mise en œuvre, ces ouvrages ont suscité des débats sur les relations entre les États-Unis et <a href="https://revistas.unlp.edu.ar/aportes/article/view/13965">l’Amérique latine</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme habillé en explorateur au sommet d’un pont tandis qu’un autre homme regarde la caméra depuis la route en contrebas" src="https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vue d’Hiram Bingham III au sommet d’un pont à Espiritu Pampa, au Pérou, à côté de l’un des habitants qui l’ont aidé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hiram_Bingham_at_Espiritu_Pampa_ruins_1911.jpg">Harry Ward Foote/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ses expéditions au Pérou étaient pacifiques, mais pas inoffensives. Outre les trésors, il cherchait à démontrer la supériorité scientifique <a href="https://muse.jhu.edu/pub/4/article/40208">américaine</a>. Selon ses travaux, si l’avenir de l’Amérique latine appartenait aux États-Unis, son passé aussi.</p>
<p>Ses idées sur le rôle du pays en tant que gardien des nations latino-américaines font partie de la culture académique de l’époque. En outre, l’explorateur a extrait d’énormes quantités de vestiges archéologiques du Pérou. Les autorités l’ont autorisé à le faire à condition qu’il les restitue 18 mois plus tard, ce qui n’a pas été le cas.</p>
<p>Ce pillage en règle a provoqué des critiques au Pérou, critiques qui ont mis fin à ses expéditions. Cela a convaincu Bingham de la nécessité de rétablir l’hégémonie américaine sur la région. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles <a href="https://dx.doi.org/10.5406/26395991.61.1.03">il est entré en politique</a>.</p>
<p>Dans le même temps, les autorités péruviennes ont exigé pendant des années la restitution des pièces que Bingham avait emportées, tandis que l’université de Yale défendait son droit de les conserver.</p>
<p>Il n’est pas surprenant que les aventures d’Indiana Jones aient fait l’objet de nombreuses critiques au Pérou, et pas seulement en raison du parallèle entre Bingham et le héros de fiction. Le quatrième volet, <a href="https://www.imdb.com/title/tt0367882/"><em>Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal</em></a>, donnait une piètre image du pays, et les références à son histoire étaient truffées d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jE5lVpYVwbA">erreurs aussi amusantes qu’offensantes</a> – par exemple, que Jones avait appris la langue andine quechua du Mexicain Pancho Villa.</p>
<p>Sa sortie a également coïncidé avec la controverse sur la <a href="https://doi.org/10.1057/9781137035608_3">restitution des vestiges archéologiques</a>. Heureusement, celle-ci a finalement été résolue en 2011-2012, lorsque Yale a <a href="https://news.yale.edu/2015/06/04/peru-yale-partnership-future-machu-picchu-artifacts">remis les objets au Pérou</a>.</p>
<h2>Relations de travail conflictuelles</h2>
<p>L’un des personnages les plus mémorables du deuxième volet de la saga, <em>Indiana Jones et le temple maudit</em> était Tapon, un enfant orphelin que l’archéologue protégeait.</p>
<p>Il semble que Bingham ait eu un rapport à l’enfance plus complexe que Jones, puisqu’il était opposé à l’abolition du travail des <a href="https://dx.doi.org/10.5406/26395991.61.1.03">enfants</a>. En effet, ses expéditions impliquaient le travail forcé d’enfants. L’un d’entre eux s’est noyé dans une rivière alors qu’il transportait du matériel photographique et, bien qu’il s’agisse d’un accident, la <a href="http://www.christopherheaney.net/tumbas-de-machu-picchu/excerpts">nouvelle</a> n’a pas été bénéfique pour son image.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photographie en noir et blanc d’un homme habillé en explorateur s’appuyant sur un poteau dans sa tente" src="https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photo de Hiram Bingham III à la porte de sa tente près de Machu Picchu en 1912.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hiram_Bingham_III_at_his_tent_door_near_Machu_Picchu_in_1912.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce ne sont pas les seules pratiques douteuses de l’explorateur. Bingham a découvert des ruines en mettant le feu à la végétation qui les recouvrait. Il a travaillé avec des chasseurs de trésors. Il a organisé un réseau d’achat d’ossements humains. Ce qui l’intéressait le plus, c’était les crânes, surtout s’ils présentaient des anomalies ou des <a href="https://read.dukeupress.edu/ethnohistory/article-abstract/59/2/293/9023/Collecting-a-Lost-City-For-Science-Huaquero-Vision">trépanations</a>.</p>
<p>Comme l’archéologue dans <em>Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal</em>, Bingham a également lutté <a href="https://dx.doi.org/10.5406/26395991.61.1.03">contre les communistes</a> pendant la guerre froide. Mais il l’a fait en participant à la chasse aux sorcières du <a href="https://www.britannica.com/event/McCarthyism">maccarthysme</a>, une persécution de personnes soupçonnées d’être communistes sur la base de déclarations, d’accusations infondées, de dénonciations, d’interrogatoires, de procès irréguliers et de listes noires.</p>
<p>Si un historien d’aujourd’hui devait agir comme Bingham l’a fait dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, il ne jouirait d’aucune légitimité. Pourtant, sa figure est toujours <a href="http://archives.yalealumnimagazine.com/issues/02_12/machupicchu.html">louée au XXIᵉ siècle</a> et des livres célébrant ses <a href="https://www.google.es/books/edition/Hiram_Bingham_and_the_Dream_of_Gold/ZzSsBgAAQBAJ?hl=es&gbpv=1&dq=Hiram+Books+and+Machu+Picchu&printsec=frontcover">découvertes</a> sont toujours publiés. Ses interprétations étaient erronées, mais ses découvertes ont alimenté des débats qui ont élargi nos connaissances.</p>
<p>De nombreux étudiants en histoire ou en archéologie prennent à la rigolade le fait que l’on assimile leur travail à celui d’Indiana Jones. Certains historiens s’inquiètent de l’image déformée de leur profession que donnent ces films.</p>
<p>Mais ce qui serait plus inquiétant, c’est que nos méthodes de sauvetage du passé ressemblent à celles du personnage réel qui a inspiré ce héros.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jose Miguel Escribano Páez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’explorateur Hiram Bingham III aurait inspiré le personnage d’Indiana Jones, mais était-il aussi héroïque que l’archéologue du grand écran ?Jose Miguel Escribano Páez, Profesor Contratado Doctor en Historia Moderna, Universidad Pablo de OlavideLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2079432023-06-19T17:51:45Z2023-06-19T17:51:45ZEnfants dans la jungle colombienne : comment ils ont utilisé les savoirs autochtones<p><a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/bouteille-de-soda-boite-a-musique-et-aucune-blessure-les-premiers-details-sur-la-survie-des-enfants-dans-la-jungle-colombienne-20230612_3OP6GCID4RFRHH6CZULBS7THEY/">La découverte et le sauvetage de quatre jeunes enfants indigènes</a>, 40 jours après que l’avion dans lequel ils voyageaient se soit écrasé dans la forêt tropicale colombienne, ont été qualifiés par la presse internationale de <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230612-%C3%A0-la-une-miracle-dans-la-jungle-colombienne-quatre-enfants-perdus-retrouv%C3%A9s-vivants">« miracle dans la jungle »</a>. Toutefois, en tant qu’anthropologue <a href="https://www.academia.edu/100474974/Amazonian_visions_of_Visi%C3%B3n_Amazon%C3%ADa_Indigenous_Peoples_perspectives_on_a_forest_conservation_and_climate_programme_in_the_Colombian_Amazon">ayant mené des recherches ethnographiques sur le terrain</a> pendant plus d’un an parmi les Andoke de la région, je ne peux me contenter de qualifier cet événement de miraculeux. </p>
<p>En tout état de cause, il ne s’agit pas d’un miracle au sens classique du terme. Si ces enfants ont survécu plus d’un mois durant dans un environnement si hostile, c’est plutôt grâce à leur connaissance de la forêt et à leur capacité d’adaptation transmises de génération en génération par les populations indigènes. </p>
<h2>Des apprentissages fondamentaux dès le plus jeune âge</h2>
<p>Tout au long des opérations de recherche, j’étais en contact avec Raquel Andoque, une ancienne <em>maloquera</em> (propriétaire d’une maison longue cérémonielle) et sœur de l’arrière-grand-mère des enfants. Elle a exprimé à plusieurs reprises sa conviction inébranlable que les enfants seraient retrouvés vivants, insistant sur l’autonomie, l’intelligence et la résistance physique propres aux enfants de la région. </p>
<p>Avant même d’entrer à l’école primaire, les enfants de cette région accompagnent leurs parents et leurs aînés dans diverses activités telles que le jardinage, la pêche, la navigation sur les rivières, la chasse et la récolte de miel et de fruits sauvages. Les enfants acquièrent ainsi des compétences et des connaissances pratiques, comme celles dont ont fait preuve Lesly, Soleiny, Tien et Cristin au cours de leur périple de 40 jours. </p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les enfants indigènes apprennent généralement dès leur plus jeune âge à ouvrir des chemins dans une végétation dense et à distinguer les fruits comestibles de ceux qui ne le sont pas. Ils savent comment trouver de l’eau potable, construire des abris contre la pluie et poser des pièges à animaux. Ils peuvent identifier les empreintes et les odeurs des animaux et éviter les prédateurs tels que les jaguars et les serpents qui rôdent dans les bois.</p>
<p>Les enfants d’Amazonie n’ont généralement pas accès aux jouets et jeux industriels avec lesquels les enfants des villes grandissent. Ils deviennent donc d’habiles grimpeurs d’arbres et s’adonnent à des jeux qui leur apprennent à utiliser des outils d’adultes fabriqués à partir de matériaux naturels, tels que des rames ou des haches. Cela enrichit leur compréhension des activités physiques et les aide à apprendre quelles plantes servent à des fins spécifiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une jeune fille brandit un insecte tandis que sa famille travaille à côté" src="https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une jeune fille indigène ramasse des larves comestibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eliran Arazi</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des activités dont la plupart des enfants occidentaux seraient privés – manipulation, écorchage et dépeçage du gibier, par exemple – permettent de tirer des leçons de zoologie inestimables et favorisent sans doute la résilience émotionnelle. </p>
<h2>Compétences de survie</h2>
<p>Lorsqu’ils accompagnent leurs parents et leurs proches dans la jungle, les enfants autochtones apprennent à s’orienter dans la végétation dense d’une forêt en suivant l’emplacement du soleil dans le ciel. </p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de la région du Moyen Caqueta en Colombie" src="https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=551&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=551&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=551&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=692&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=692&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=692&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte indiquant la région du Moyen Caqueta, d’où sont originaires les quatre enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gadiel Levi</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comme les grands fleuves de la plupart des régions de l’Amazonie coulent dans une direction opposée à celle du soleil, les individus peuvent s’orienter à partir de ces fleuves. </p>
<p>Les traces de pas et les objets laissés par les quatre enfants révèlent qu’ils se sont dirigés vers la rivière Apaporis, où ils espéraient sans doute être repérés. </p>
<p>Les enfants auraient également appris de leurs parents et de leurs aînés où trouver les plantes et les fleurs comestibles. Une méthode consiste par exemple en l’étude des relations entre les plantes, de sorte que là où se trouve un certain arbre, on peut trouver des champignons ou de petits animaux qui peuvent être piégés et mangés. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S0AvA5k3VZI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Histoires, chansons et mythes</h2>
<p>Les savoirs contenus dans les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/amazonie-le-chamanisme-et-la-pensee-de-la-foret-1211432">récits mythiques transmis par les parents et les grands-parents</a> constituent une autre ressource inestimable pour naviguer dans la forêt. Ces histoires décrivent les animaux comme des êtres à part entière, se livrant à la séduction et à la malice, assurant la subsistance ou même sauvant la vie de leurs congénères. </p>
<p>Si ces épisodes peuvent sembler incompréhensibles pour un public non autochtone, ils résument en réalité les relations complexes entre ces innombrables habitants de la forêt qui ne sont pas des êtres humains. Le savoir autochtone se concentre sur les relations entre les hommes, les plantes et les animaux et sur la manière dont ils peuvent s’unir pour préserver l’environnement et prévenir les dommages écologiques irréversibles. </p>
<p>Ce patrimoine de connaissances s’est développé au cours de millénaires durant lesquels les peuples autochtones se sont non seulement adaptés à leurs territoires forestiers mais les ont aussi activement façonnés. Il s’agit d’un savoir que les populations autochtones locales apprennent dès leur plus jeune âge, de sorte qu’il devient pour elles une seconde nature. </p>
<h2>Prendre soin les uns des autres</h2>
<p>L’un des aspects de cette histoire « miraculeuse » qui a émerveillé les Occidentaux est la façon dont, après la mort de la mère des enfants, Lesly, âgée de 13 ans, a réussi à s’occuper de ses jeunes frères et sœurs, y compris Cristin, qui n’avait que 11 mois au moment où l’avion s’est écrasé.</p>
<p>Mais dans les familles indigènes, les sœurs aînées sont censées jouer le rôle de mères de substitution pour leurs jeunes parents dès leur plus jeune âge. Iris Andoke Macuna, une membre de la famille, m’a dit :</p>
<blockquote>
<p>« Pour certains Blancs [les personnes non indigènes], le fait que nous emmenions nos enfants travailler dans le jardin et que nous laissions les filles porter leurs frères et s’occuper d’eux n’est pas une bonne chose. Mais pour nous, c’est tout l’inverse : nos enfants sont indépendants, et c’est pourquoi Lesly a pu s’occuper de ses frères pendant tout ce temps. Cela l’a endurcie et elle a appris ce dont ses frères avaient besoin. » </p>
</blockquote>
<h2>Le côté spirituel</h2>
<p>Au cours de la disparition des enfants, les anciens et les chamans ont pratiqué des rituels basés sur des croyances traditionnelles qui impliquent des relations humaines avec des entités connues sous le nom de <em>dueños</em> (propriétaires) en espagnol et sous divers noms dans les langues indigènes (comme <em>i’bo ño̰e</em>, qui signifie « personnes de ces lieux » en andoquois). </p>
<p>Ces puissants propriétaires sont considérés comme les esprits protecteurs des plantes et des animaux qui vivent dans les forêts. Les enfants sont leur sont présentés lors de cérémonies d’attribution de noms, qui garantissent que ces esprits reconnaissent leur relation avec le territoire et leur droit d’y prospérer.</p>
<p>Pendant la recherche des enfants disparus, les anciens ont dialogué et négocié avec ces entités dans leurs maisons cérémonielles (<em>malocas</em>) dans tout le <a href="https://www.researchgate.net/figure/Middle-and-Lower-Caqueta-River-region-State-of-Amazonas-Colombia-Map-from_fig1_255580310">Caquetá moyen</a> et dans d’autres communautés indigènes qui considèrent que le site de l’accident fait partie de leur territoire ancestral. Raquel m’a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Les chamans communiquent avec les sites sacrés. Ils offrent de la coca et du tabac aux esprits et disent : “Prends ça et rends-moi mes petits-enfants. Ils sont à moi, pas à toi”. »</p>
</blockquote>
<p>Ces croyances et pratiques ont une signification importante pour mes amis du Moyen Caqueta, qui croient fermement que la survie des enfants doit plus à ces processus spirituels qu’aux moyens technologiques employés par les équipes de secours de l’armée colombienne. </p>
<p>Il peut être difficile pour les non-autochtones d’adhérer à ces idées traditionnelles. Mais ces croyances auraient inculqué aux enfants la foi et la force émotionnelle indispensables pour persévérer dans la lutte pour la survie. Et elles auraient encouragé les autochtones qui les recherchaient à ne pas perdre espoir. </p>
<p>Les enfants savaient que leur destin n’était pas de mourir dans la forêt, et que leurs grands-parents et leurs chamans remueraient ciel et terre pour les ramener vivants à la maison.</p>
<p>Malheureusement, ce savoir traditionnel, qui a permis aux populations indigènes non seulement de survivre, mais aussi de prospérer en Amazonie depuis des millénaires, est menacé. L’empiètement croissant sur leurs terres par l’agro-industrie, l’exploitation minière et les activités illicites, ainsi que la négligence de l’État et ses interventions effectuées sans le consentement des populations ont rendu ces peuples vulnérables.</p>
<p>Cette situation met en péril les fondements mêmes de la vie où ces connaissances sont ancrées, les territoires qui leur servent de base, ainsi que les personnes elles-mêmes qui préservent, développent et transmettent ces connaissances.</p>
<p>Il est impératif de préserver ces connaissances inestimables et les compétences qui donnent vie aux miracles. Nous ne devons pas les laisser dépérir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eliran Arazi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les enfants indigènes assimilent dès leur plus jeune âge des techniques de survie dans la jungle amazonienne, un savoir transmis de génération en génération.Eliran Arazi, PhD researcher in Anthropology, Hebrew University of Jerusalem and the School for Advanced Studies in the Social Sciences (Paris)., Hebrew University of JerusalemLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066452023-06-01T16:18:18Z2023-06-01T16:18:18ZPrésidentielle en Argentine : le programme économique libertarien du candidat Javier Milei fait recette<p>Supprimer la <a href="https://theconversation.com/topics/banque-centrale-45337">banque centrale</a>, <a href="https://theconversation.com/topics/dollar-85009">dollariser</a> l’économie, réduire drastiquement les dépenses publiques suivant un « plan tronçonneuse » qui verra notamment disparaître le ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité, mais aussi faire machine arrière, sauf urgence, sur le droit à l’avortement obtenu en octobre 2020… Tel est le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/19/en-argentine-un-candidat-ultraliberal-bouscule-la-campagne-presidentielle_6170092_3210.html">programme</a> de Javier Milei, candidat à la présidence de l’<a href="https://theconversation.com/topics/argentine-45194">Argentine</a> le 22 octobre prochain. Des idées qui semblent trouver un écho certain dans la population : à cinq mois de l’échéance, plusieurs sondages, et notamment celui du Celag (centre stratégique latino-américain de géopolitique), le donnent premier au soir du premier tour avec <a href="https://www.celag.org/encuesta-argentina-mayo-2023/">29 % des suffrages</a>.</p>
<p>Les différentes forces sont pour l’heure tournées vers le 13 août, date à laquelle se tiendront les primaires ouvertes, simultanées et obligatoires : les candidats de chaque camp s’y affrontent pour être investis, et ce même si un parti n’a qu’un candidat. Le vote sert en effet également de parrainages puisque seuls les partis ayant réuni 1,5 % des votants peuvent inscrire leur champion à l’élection.</p>
<h2>Des partis traditionnels en difficulté</h2>
<p>Le pays est déjà témoin de divisions intenses au sein des deux principales coalitions, à savoir le <em>Frente de Todos</em>, celle du président actuel Alberto Fernandez et de l’ancienne cheffe d’État Cristina Fernandez de Kirchner, issue du péronisme, et <em>Juntos por el Cambio</em>, groupe d’opposition. Ces divisions reflètent les différentes idéologies et visions politiques qui animent le pays. Même si toutes les deux ratissent large dans le spectre politique, la première reste plus marquée par l’interventionnisme, tandis que la deuxième est plus orientée vers une certaine libéralisation de l’économie argentine.</p>
<p>Chacune part avec un handicap au départ de la campagne, notamment en raison de leur bilan économique. La présidence de gauche s’achève avec une inflation sans précédent depuis 1991, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/record-plus-de-100-d-inflation-l-infame-medaille-argentine">102,5 % sur un an en février 2023</a> (dit autrement, les prix ont doublé) ; la droite, au pouvoir avec Mauricio Macri entre 2015 et 2019, avait, elle, reconduit le pays au bord du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/argentine-fmi-accord-sur-une-reduction-du-deficit-public-a-0-9-du-pib-en-2024-20220128">défaut de paiement</a> sur sa dette. M. <a href="https://elpais.com/argentina/2023-03-26/mauricio-macri-anuncia-que-no-sera-candidato-a-presidente-de-argentina.html">Macri</a> comme M. <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230422-pr%C3%A9sidentielle-en-argentine-alberto-fernandez-ne-se-repr%C3%A9sentera-pas">Fernandez</a> ont annoncé qu’ils ne brigueraient pas de nouveau mandat.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1658253369490669570"}"></div></p>
<p>C’est dans ce panorama politique mouvementé qu’émerge Javier Milei, qui aura 53 ans le jour du premier tour. Cet acteur provocateur, aux prises de parole incendiaires et aux idées pour le moins tranchées, est aujourd’hui soutenu par la coalition <em>Libertad Avanza</em>. Scandant en meeting et sur les plateaux télé « la liberté, bordel ! », son approche populiste et anti-establishment semble attirer les électeurs, notamment la <a href="https://www.iprofesional.com/politica/378903-a-quien-votan-los-jovenes-esta-encuesta-sorprende-a-milei-y-cfk">jeunesse</a> et les <a href="https://www.cronista.com/economia-politica/elecciones-2023-el-inesperado-choque-entre-milei-y-patricia-bullrich/">quartiers pauvres</a>. Bien qu’il soit parfois considéré comme un simple <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/13/javier-milei-l-ultraliberal-qui-joue-les-trublions-de-la-politique-argentine_6098156_3210.html">« trublion politique »</a>, sa présence semble bouleverser le paysage traditionnel et stimuler les débats sur les politiques économiques et sociales en Argentine.</p>
<h2>Un « académique » libertarien</h2>
<p>La percée politique de Javier Milei a commencé avec son élection comme député de la ville autonome de Buenos Aires au Congrès national argentin en 2021. Avec 17,06 % des voix, il a été le député le mieux élu de la capitale.</p>
<p>Il est à l’origine économiste, diplômé de deux masters de l’Universidad Torcuato di Tella et de l’Instituto de Desarrollo Económico y Social, des établissements privés et réputés de la capitale argentine. Sa carrière académique demeure néanmoins relativement obscure. Les <em>curriculums vitae</em> que le candidat a postés sur ses réseaux sociaux font mention de professorats en Argentine et à l’étranger, mais <a href="https://archivo.consejo.org.ar/Cvs/milei_javier.html">aucun poste titulaire n’a pu être confirmé</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En outre, son CV liste une cinquantaine d’articles académiques, mais le candidat semble considérer de simples communications lors de conférences ou de réunions comme des articles. Il n’y en aurait <em>in fine</em> qu’une quinzaine, tous parus dans deux revues académiques hispanophones publiées par l’Universidad Nacional de Córdoba et à la portée relativement limitée. Les affiliations internationales affichées par Javier Milei ne semblent en outre que des abonnements payants à la portée de n’importe qui en ayant les moyens.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528896/original/file-20230529-24-rvh7h2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Murray Rothbard (1926-1995), source d’inspiration pour Javier Milei.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Murray_Rothbard.jpg">Mises Institute</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En tant que champion du libertarianisme en Argentine, Javier Milei se déclare disciple de <a href="https://books.openedition.org/enseditions/28173?lang=fr">Murray N. Rothbard</a> (1926-1995), économiste américain représentant, à l’instar de Friedrich Hayek, de l’École autrichienne d’économie, qui défend une <a href="https://lafabrique.fr/la-societe-ingouvernable/">vision ultralibérale de la société</a>. M. Milei <a href="https://elpais.com/argentina/2023-05-18/libre-uso-de-armas-privatizaciones-y-el-fin-del-aborto-legal-el-programa-de-javier-milei-para-gobernar-argentina.html">prend donc position</a> pour des baisses drastiques des impôts ainsi que la privatisation et la libéralisation totale de l’économie, ce qui passe, par exemple, par la mise en pratique d’un marché d’organes, le libre port d’armes ou l’abolition de la banque centrale. Libertarien, il affirme la primauté des droits de propriété individuels, et se dit « pro-choice » concernant les unions matrimoniales entre individus (voire entre plusieurs individus) et l’euthanasie.</p>
<h2>Un élu difficilement classable</h2>
<p>Javier Milei a été expert pour des fondations d’analyse économique et des organes de prévoyance privée, mais surtout assesseur financier pour la Corporación América Internacional, holding possédant des moyens de communication où il a pu commencer sa carrière médiatique.</p>
<p>Il surgit ainsi dans le paysage audiovisuel argentin en 2014, mais c’est en 2017 que sa présence médiatique se généralise : il intervient sur plusieurs plateaux télé et radio, inaugure sa propre chaîne YouTube et joue même dans une pièce de théâtre. Sa rhétorique vulgaire sur les plateaux et ses positions parfois choquantes sur certains sujets lui ont valu d’être étiqueté de candidat d’extrême droite aussi bien par des proches du gouvernement que par des représentants de l’opposition. Il manie également volontiers l’insulte, taxant le maire de centre droit de Buenos Aires de « gauchiste de merde » ou de « ver de terre misérable » qu’il pourrait « écraser même en fauteuil roulant ».</p>
<p>Comme député et président honoraire du Parti libertarien d’Argentine, Milei a logiquement continué à défendre ses idées économiques radicales. Il s’est ainsi engagé à donner ses indemnités d’élu lors de tirages au sort mensuels, car il trouve incompatible d’être libertarien et de se faire financer par l’État. Il a également à cœur de ne voter aucune loi visant à renforcer la fiscalité ou la bureaucratie en Argentine.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ur08uYk9APU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Néanmoins, Javier Milei a pris récemment des positions assez conservatrices sur la question de l’avortement, qu’il qualifie d’<a href="https://www.a24.com/politica/la-extrana-explicacion-javier-milei-rechazar-el-aborto-n869551">atteinte aux droits de propriété du fœtus</a>. Ce positionnement va à l’encontre de Rothbard, pour qui le fœtus n’a pas de droits, puisqu’incapable de les réclamer.</p>
<p>Les positionnements de M. Milei le placent plutôt dans une zone grise. Sa catégorisation en tant que populiste d’extrême droite paraît trompeuse. Certes, le candidat s’est dit proche de Donald Trump et Jair Bolsonaro (il a même refusé de féliciter Lula après son élection contre ce dernier). Néanmoins, à la différence du premier, il n’est ni protectionniste – au contraire, il est pour l’abolition totale des droits de douane – ni xénophobe – il ne s’oppose pas à l’immigration tant qu’elle demeure économique et non subventionnée. Par rapport à l’ancien président brésilien, Milei ne s’oppose pas aux droits individuels des LGBTQ+ et n’adopte pas de positionnement pro-religion. En fait, Javier Milei, en tant que bon libertarien, s’oppose surtout à tout financement public, qu’il se dirige vers des politiques favorisées par la droite comme la gauche.</p>
<h2>Un programme totalement saugrenu ?</h2>
<p>Son programme électoral se concentre donc principalement sur des propositions économiques. On y retrouve, pêle-mêle, la suppression des subventions aux services publics, la fin des contrôles de capitaux et sur le taux de change (depuis la présidence Macri, les Argentins doivent avoir l’accord de la banque centrale pour effectuer un virement à l’étranger ou acquérir des devises pour des montants de plus de 10 000 dollars), l’abolition de la banque centrale et la dollarisation de l’économie.</p>
<p>La première mesure peut paraître nécessaire étant donné que les subventions constituent une des principales causes du déficit budgétaire argentin. Leur baisse a d’ailleurs été entérinée avec le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/05/17/l-argentine-annonce-la-fin-des-subventions-energetiques-aux-foyers-les-plus-riches_6126458_3234.html">restructuration de la dette</a>. Mises en place par les gouvernements de Nestor et Cristina Kirchner, et réduisant par exemple les factures de gaz et d’électricité des ménages, elles étaient auparavant financées par les recettes de la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/argentine-le-nouveau-president-durcit-les-taxes-a-l-exportation-de-produits-agricoles-20191214">fiscalisation des exportations</a> (l’Argentine étant l’un des <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/GC.TAX.EXPT.ZS">rares pays</a> à taxer directement ses exportations). Or, ces recettes ont énormément décru depuis la fin du <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/or-argent-cafe-petrole-les-prix-des-matieres-premieres-bientot-partis-pour-un-nouveau-super-cycle-de-hausse-1468522">supercycle de matières premières</a>, avant même l’épidémie de Covid-19.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1388359917074096130"}"></div></p>
<p>Comme par ailleurs l’Argentine, encore <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230326-argentine-le-cercle-vicieux-du-d%C3%A9faut-de-paiement-de-nouveau-en-vue">au bord du défaut de paiement</a>, ne peut toujours pas se financer à l’étranger, elle a souvent recours à la planche à billets, dont le corollaire est une inflation vertigineuse. C’est, en Argentine, un <a href="https://theconversation.com/argentine-inflation-incontrolee-et-incertitude-economique-198451">fléau chronique depuis la fin de la dictature</a> en 1982. Javier Milei propose d’éliminer le problème à la source en supprimant la banque centrale. Il faudrait alors une monnaie de remplacement au peso argentin, d’où le projet de dollarisation.</p>
<p>Tout gouvernement serait alors contraint de se discipliner pour ne pas épuiser ses réserves de devises en dehors de périodes d’urgence. Le souci aujourd’hui pour la mise en place d’une telle réforme est cependant justement le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/monnaie-contre-la-crise-economique-l-argentine-invente-le-dollar-soja">manque de réserves de devises</a>.</p>
<p>En pratique, la candidat reste donc cohérent avec ses idées libertariennes à l’encontre de l’État. Pour le moment, les seuls facteurs pouvant mettre en doute son engagement libéral est l’ambiguïté de son CV académique, sa proximité déclarée avec Donald Trump et Jair Bolsonaro, ainsi que son activité passée comme ancien assesseur d’<a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-2008-aug-29-fg-bussi29-story.html">Antonio Domingo Bussi</a>, général de la dictature, accusé et condamné pour crimes contre l’humanité (il est mort en prison en 2011), malgré ses différents postes élus en période démocratique. Reste donc à savoir si ses prises de position conservatrices à l’encontre de l’avortement, du wokisme ou des peuples natifs ne sont qu’un leurre visant à attirer des voix conservatrices ou le signe d’une vraie proximité auprès de cet électorat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel A. Giménez Roche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Difficilement classable sur la scène politique argentine, l’économiste Javier Milei, en tête des sondages pour la présidentielle, propose notamment de supprimer la banque centrale.Gabriel A. Giménez Roche, Enseignant-chercheur en économie, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049862023-05-30T16:11:38Z2023-05-30T16:11:38ZMiné par les inégalités et la corruption, le Pérou enlisé dans une crise profonde<p>C’est un record mondial : le Pérou compte désormais trois anciens présidents incarcérés. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/24/l-ex-president-du-perou-alejandro-toledo-a-ete-extrade-des-etats-unis-et-incarcere-a-lima_6170797_3210.html">Alejandro Toledo (2001-2006)</a>, qui vient d’être extradé depuis les États-Unis vers Lima où il sera jugé pour corruption, a rejoint derrière les barreaux deux autres anciens chefs de l’État : Alberto Fujimori (1990-2000), condamné en 2009 à <a href="https://www.letemps.ch/monde/25-ans-prison-lexpresident-alberto-fujimori">25 ans de prison pour crimes contre l’humanité</a>, et le dernier président en date à avoir été élu, Pedro Castillo (2021-2022).</p>
<p>La <a href="https://www.lexpress.fr/monde/amerique/perou-tout-comprendre-a-la-crise-politique-qui-embrase-le-pays-DN2FJXD2NREFHHZ3XZMSPV5BQA/">destitution et l’arrestation de ce dernier en décembre 2022</a> avaient été suivies de <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230119-p%C3%A9rou-des-milliers-de-manifestants-d%C3%A9filent-%C3%A0-lima">manifestations massives</a> de ses partisans, majoritairement issus des communautés dites indigènes (environ un <a href="https://censo2017.inei.gob.pe/publicaciones/">quart des 33 millions d’habitants du pays</a>). Ce mouvement fut <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/perou-repression-violente-contre-les-manifestations">réprimé dans la plus grande violence</a>.</p>
<p>Si aujourd’hui un calme relatif semble revenu, le Pérou n’en demeure pas moins plongé dans une <a href="https://theconversation.com/le-perou-a-la-derive-ou-sauve-du-naufrage-150616">crise profonde</a> dont on peine à discerner la fin.</p>
<h2>De la chute de Castillo à la répression de ses partisans</h2>
<p>Le 7 décembre 2022, confronté à une motion de destitution lancée par les parlementaires de droite et d’extrême droite, majoritaires au Congrès, Castillo (qui avait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/21/les-immenses-defis-de-pedro-castillo-president-elu-du-perou_6089095_3210.html">élu président</a> en juillet 2021 sous les couleurs du parti marxiste Pérou libre) <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/au-perou-le-president-dissout-le-parlement-le-parlement-destitue-le-president-20221207_C7U7SOVITFARZO2NKG2HJRY3XM/">annonce la dissolution du Congrès</a>, la création d’un gouvernement d’urgence exceptionnel et la convocation imminente d’une Assemblée constituante.</p>
<p>Cette initiative est désavouée par la plupart de ses ministres et par la vice-présidente <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qui-est-dina-boluarte-la-nouvelle-presidente-du-perou-20221209">Dina Boluarte</a>, élue sur le ticket de Castillo en 2021 mais qui déclare ce même 7 décembre que la <a href="https://www.npr.org/2022/12/07/1141307938/peru-president-dissolves-congress-pedro-castillo">tentative d’auto-putsch de Castillo avait aggravé la crise institutionnelle</a>. L’armée refuse également de suivre le président. Celui-ci est arrêté par la police alors qu’il se rendait à l’ambassade du Mexique, qui lui avait accordé l’asile politique. Le Congrès le destitue et le remplace par Boluarte. Le Parquet ordonne son emprisonnement.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dès la prise de fonctions de Dina Boluarte, le 7 décembre 2022, des manifestations spontanées se multiplient dans tout le pays pour exiger la <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230204-p%C3%A9rou-le-parlement-du-pays-bloque-tout-d%C3%A9bat-sur-des-%C3%A9lections-anticip%C3%A9es-jusqu-%C3%A0-ao%C3%BBt-2023">tenue d’élections générales anticipées</a>, la dissolution du Congrès, jugé mafieux et putschiste, la convocation d’une Assemblée constituante afin de rédiger une nouvelle Loi fondamentale plus soucieuse des droits des citoyens, voire la libération de Castillo.</p>
<p>Cette mobilisation exceptionnelle, partie des villes de province du centre-sud des Andes et des secteurs <a href="https://alencontre.org/ameriques/amelat/perou/perou-une-protestation-fondamentalement-andine-et-paysanne.html">paysans et indigènes quechua et aymara</a>, se heurte à une répression « excessive et disproportionnée », pour reprendre les termes d’un rapport de <em>Human Rights Watch</em> intitulé <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2023/04/peru0423sp%20web.pdf">« Dégradation létale. Abus des forces de sécurité et crise démocratique au Pérou »</a>. On relève une soixantaine de morts et des milliers de blessés, le plus souvent par balles. Des preuves irréfutables attestent de l’utilisation prohibée d’armes à feu par les militaires et la police, dont des fusils d’assaut ; en outre, des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/peru-lethal-state-repression-is-yet-another-example-of-contempt-for-the-indigenous-and-campesino-population/">exécutions extrajudiciaires »</a> auraient eu lieu.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des manifestants brandissent une bannière accusant les forces de l’ordre d’être les assassins du peuple" src="https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526854/original/file-20230517-12204-1bru81.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le 10 janvier 2023 à Lima, les manifestants brandissent des pancartes qualifiant les forces de l’ordre d’« assassins du peuple ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ec/Protesta_contra_Dina_Boluarte_en_Lima%2C_2023_%286%29.jpg">Mayimbú/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le rapport souligne que cette répression s’est déroulée « dans un contexte de détérioration des institutions démocratiques, de corruption, d’impunité pour les abus passés et de marginalisation persistante de la population rurale et indigène du Pérou. »</p>
<p>Le 10 janvier, la Procureure générale ouvre une enquête contre la présidente et plusieurs de ses ministres pour <a href="https://www.lepoint.fr/monde/perou-le-parquet-ouvre-une-enquete-pour-genocide-contre-la-presidente-11-01-2023-2504388_24.php">crimes de génocide, homicide aggravé et blessures graves</a>.</p>
<p>Ce recours à la notion de génocide peut surprendre. Il s’explique par la banalisation de ce terme au Pérou depuis le conflit armé des années 1980 et 1990, qui opposa la <a href="https://books.openedition.org/iheal/8288">guérilla maoïste du Sentier lumineux</a> à l’État, les deux parties se qualifiant réciproquement de « génocidaires ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dknW3Hm1MF4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Répressions des manifestations au Pérou : la présidente visée par une enquête pour génocide. (France 5, 12 janvier 2023)</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans le contexte actuel, l’accusation de génocide relève plus d’une manœuvre dilatoire de la part de la Procureure générale, alliée aux forces de droite et d’extrême droite du Congrès, que d’une réelle volonté de faire la lumière sur les événements : l’enquête pour génocide prendra énormément de temps, et fera peser en permanence une épée de Damoclès sur Boluarte. Celle-ci, qui est censée achever le mandat de Castillo et donc rester en poste jusqu’en 2026, ne pourra donc guère se permettre de s’émanciper du Congrès tout au long des prochaines années.</p>
<h2>La colère des peuples indigènes</h2>
<p>La colère doit, pour partie, être saisie à l’aune de <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-2022-1-page-23.htm">l’identification des milieux populaires au symbole incarné par Castillo</a>, instituteur modeste, originaire du monde paysan andin et militant syndicaliste, élu grâce aux votes obtenus hors de Lima.</p>
<p>Son accession au pouvoir en 2021 correspondait au bicentenaire de l’Indépendance du Pérou qui fit advenir la République. Pourtant, la promesse postcoloniale d’égalité entre citoyens <a href="https://fondoeditorial.iep.org.pe/producto/historia-del-peru-contemporaneo-sexta-edicion/">ne s’est jamais concrétisée pour les populations autochtones</a>, et la fracture ethnique et géographique persiste.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1617449853985980419"}"></div></p>
<p>Nombre d’électeurs de Castillo estimaient que pour la première fois un président « leur ressemblait » – et ce, même s’il s’est révélé <a href="https://www.la-croix.com/Perou-president-vise-recours-constitutionnel-corruption-2022-10-12-1301237255">aussi corrompu que ses prédécesseurs</a>, des preuves incontestables ayant été présentées contre lui et des membres de sa famille pour détournement de fonds publics et trafic d’influence.</p>
<p>L’exercice du droit de vote – <a href="https://e-archivo.uc3m.es/bitstream/handle/10016/32398/RHE-2016-XXXIV-Arroyo.pdf">qui avait été confisqué aux Indiens, du fait de leur analphabétisme</a>, entre la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et 1980 – semblait autoriser ces <a href="https://theconversation.com/au-perou-pauvrete-et-exclusion-interdisent-aux-populations-indigenes-daspirer-a-mieux-68520">Péruviens historiquement discriminés</a> à croire que, malgré le mépris et le racisme, la démocratie n’était pas qu’un jeu de dupes dont ils étaient fatalement exclus. Cet espoir s’est effondré avec la chute de Castillo.</p>
<h2>Un pays profondément inégalitaire</h2>
<p>Les manifestations de début 2023 ont constitué l’acmé d’une profonde exaspération qui dépasse la simple question conjoncturelle. L’une des revendications majeures des protestataires était une redistribution plus équitable des richesses.</p>
<p><a href="https://larepublica.pe/economia/2023/02/06/peru-es-el-cuarto-pais-desigual-del-mundo-latinometrics-desigualdad-en-el-peru-informe-la-desigualdad-global-2022-346812">Le Pérou occupe la quatrième place des pays les plus inégalitaires au monde</a> : 1 % de la population détient 30 % des richesses. <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/pe1993i.htm">La Constitution fujimoriste de 1993</a> a ouvert la voie au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/neoliberalisme-64628">néolibéralisme</a> le plus débridé, seulement comparable en Amérique latine à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/cl.htm">Constitution pinochétiste du Chili</a>, adoptée en 1980. Elle accorde d’importants avantages fiscaux aux multinationales, laissant dans une situation de grande vulnérabilité les populations les plus fragiles, démunies face à l’accaparement et la pollution de leurs territoires par des entreprises extractives.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lacceleration-de-la-disparition-de-la-foret-amazonienne-menace-les-peuples-autochtones-183768">L’accélération de la disparition de la forêt amazonienne menace les peuples autochtones</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Après la chute du régime autoritaire de Fujimori en 2000, la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/08/16/difficile-transition-democratique-au-perou_4252052_1819218.html">transition à la démocratie</a> n’a pas changé la donne. Le désengagement de l’État a induit <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-3-page-5.htm">l’absence de politiques efficaces</a> susceptibles de remédier aux inégalités structurelles en termes de droits sociaux, économiques et culturels. Et avec la pandémie de Covid-19, la pauvreté a explosé. Le Pérou affiche le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/10/23/Covid-19-dans-le-monde-le-perou-depasse-les-200-000-morts_6099619_3244.html">taux de décès dus à ce virus le plus élevé au monde</a>, en partie en raison de l’effondrement de son système de santé publique et de l’absence totale de régulation étatique face à l’envol des prix des cliniques, des médicaments et de l’oxygène. Certains sont morts dans la rue dans l’attente vaine d’une prise en charge sanitaire.</p>
<p>Les populations indigènes de l’intérieur du pays <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2006-1-page-91.html">bénéficient encore moins de l’accès aux soins de santé</a> et à une éducation de qualité, ce qui s’est traduit par une hausse de la malnutrition infantile et de l’analphabétisme. La fermeture des écoles pendant deux années consécutives et la piètre qualité du réseau voire l’absence d’Internet dans les zones rurales ont signifié la déscolarisation de milliers d’enfants.</p>
<h2>Le Congrès en position de force</h2>
<p>La répression étatique n’a cessé de criminaliser les protestations de rue, qui ont fini par se tarir depuis mars. Aucune des revendications populaires n’a été prise en compte, notamment la tenue d’élections générales anticipées, pourtant <a href="https://iep.org.pe/wp-content/uploads/2023/01/Informe-IEP-OP-Enero-II-2023-completo-v2.pdf">souhaitée par 73 % des Péruviens</a>, mais repoussées sine die par les représentants du pouvoir législatif, qui aspirent à rester en poste jusqu’en 2026.</p>
<p>Le gouvernement de Dina Boluarte n’est, de fait, qu’un appendice du Congrès, qui a mis en place un régime parlementaire contrôlant désormais presque tous les pouvoirs de l’État. L’agenda ultra-conservateur de ce couple de raison exécutif-législatif, qui vise à consolider le pouvoir de certaines élites en maintenant l’apparence formelle d’un régime démocratique, compte sur l’appui des forces armées et de la police, alliées cruciales dans la répression de toute forme d’opposition politique.</p>
<p>Un calme précaire s’est donc instauré au Pérou, mais les événements du début de l’année auront marqué les esprits. Notamment parce que les manifestants se sont largement exprimés en quechua et en aymara, aussi bien <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/perou/manifestations-au-perou-comment-les-communautes-indigenes-font-entendre-leur-voix-grace-aux-reseaux-sociaux_5777933.html">sur les réseaux sociaux</a> que durant leurs rassemblements, notamment lors de la grande <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/etat-d-urgence-prolonge-marche-sur-lima-le-perou-s-enfonce-dans-une-crise-multiforme_5575149.html">« marche sur Lima »</a> le 16 janvier, où nombre d’habitants des Andes se sont rendus pour être entendus du pouvoir centraliste.</p>
<p>Que l’usage de ces langues autochtones ne soit plus un motif de honte dans la capitale et que, bien au contraire, l’identité indigène soit fièrement revendiquée, est un phénomène inédit qui mérite d’être souligné, et qui est peut-être annonciateur de nouvelles façons d’investir le champ politique au Pérou.</p>
<p>Cette mobilisation souligne aussi l’urgente nécessité pour l’État péruvien de revoir les modalités de son contrat social, de façon à refléter enfin les aspirations de l’ensemble de ses citoyens ainsi que la composition pluriethnique du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Robin Azevedo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La destitution en décembre dernier du président péruvien Pedro Castillo a encore aggravé la crise politique et la fracture entre Lima et les provinces pauvres du sud du pays.Valérie Robin Azevedo, Professeure d’anthropologie sociale, Faculté Sociétés et Humanités - Chercheure à l'URMIS, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009282023-04-03T17:52:50Z2023-04-03T17:52:50ZLe Costa Rica, au cœur des migrations sur le continent américain<p>Ce 3 novembre 2022, comme tous les jours, Ronaldo, jeune adolescent, est posté en compagnie de sa mère à un carrefour non loin du centre de San José, la capitale du Costa Rica. Une pancarte de fortune autour du cou les identifie comme Vénézuéliens. Ils vendent des bonbons pour gagner de quoi manger. Pour arriver ici, ils viennent de traverser, à pied et en bus, la Colombie, le Panama (via le Tapón del Darién, une jungle auparavant aux mains des narcotrafiquants et désormais entre celles des passeurs) et une partie du Costa Rica.</p>
<p>Les images de migrants vénézuéliens mendiant à tous les coins de rue du centre de San José ou dormant dans des campements de fortune ont fait le tour des médias nationaux. On trouve parmi eux des familles entières, mais aussi beaucoup de femmes seules avec des enfants. Fuyant un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/billet-retour/20220218-venezuela-une-crise-sans-fin">pays en situation de crise profonde</a>, dénués de ressources, sans idée claire sur la suite de leur parcours, ils espèrent rejoindre les États-Unis. Mais le 12 octobre 2022, le gouvernement Biden, au nom d’un programme d’immigration humanitaire temporaire, a de fait <a href="https://www.courrierinternational.com/article/immigration-washington-ouvre-la-porte-a-24-000-venezueliens">durci sa politique migratoire</a>. Résultat : les migrants vénézuéliens de San José sont coincés au Costa Rica, créant une situation inédite de « crise migratoire » subite dans ce petit pays de 5 millions d’habitants.</p>
<p>Selon le Service national des migrations du Panama, 133 726 personnes ont été enregistrées comme transitant par le Panama en 2021, pour 248 284 en 2022. Le plus probable est qu’elles ont ensuite passé la frontière avec le Costa Rica, mais ce pays n’est pas en mesure, aujourd’hui, de produire ses propres données, signe de son impréparation face à l’ampleur des flux migratoires actuels. Ces chiffres augmentent fortement depuis le début de l’année 2023. Ces migrants venaient très majoritairement du Venezuela en 2022, de Haïti et de Cuba en 2021. Mais on compte aussi de plus en plus de migrants d’Afrique ou d’Asie.</p>
<iframe src="https://www.google.com/maps/d/embed?mid=1Lg3ILAjj0nIND616-RjqcMUmTjt44SQ&ehbc=2E312F" width="100%" height="480"></iframe>
<p>Le 30 novembre 2022, le président du Costa Rica, le populiste Rodrigo Chaves, modifie les conditions d’obtention de l’asile dans son pays en adoptant deux décrets qui créent une catégorie migratoire spéciale pour les migrants du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba. Le ton est donné : face aux plus de 220 000 demandes d’asile reçues depuis 2018, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220316-les-%C3%A9tats-unis-et-le-costa-rica-signent-un-accord-pour-renforcer-l-int%C3%A9gration-des-migrants">gouvernement conditionne l’accueil de ces migrants au soutien financier international</a> et met en cause la légitimité de leurs demandes d’asile politique. Ces mesures sont un tournant. Jusqu’ici, le Costa Rica se positionnait comme un pays d’accueil pour les migrants. L’adoption des décrets est un tel choc que la Cour constitutionnelle a invalidé, le 14 février 2023, celui concernant l’asile.</p>
<p>Comment le Costa Rica est-il devenu l’un des centres du phénomène migratoire sur le continent américain, et comment expliquer l’évolution de ses politiques dans ce domaine ? Les travaux de deux chercheurs de l’Universidad du Costa Rica, <a href="https://eccc.ucr.ac.cr/docentes/carlos-sandoval/">Carlos Sandoval</a> et <a href="https://vinv.ucr.ac.cr/sigpro/web/researchers/114190096">Guillermo Navarro</a>, permettent de mieux comprendre les tendances actuelles et de les replacer dans un contexte socio-historique plus large.</p>
<h2>Du Nicaragua vers le Costa Rica : une migration ancienne, précaire et indispensable</h2>
<p>8 % de la population du Costa Rica est originaire du Nicaragua voisin – un chiffre qui rappelle l’importance des <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/5835?lang=fr">migrations Sud-Sud</a>. La vague migratoire actuelle en provenance du Venezuela, très médiatisée et politisée, n’efface pas cette migration structurelle plus ancienne, précaire et invisibilisée.</p>
<p>Les migrants nicaraguayens occupent en effet principalement des postes de travailleurs agricoles, d’agents de sécurité, d’ouvriers de la construction et d’employées domestiques. L’agriculture intensive (ananas, café, canne à sucre) a fortement recours à cette main-d’œuvre bon marché. Le modèle économique costaricien ne correspond pas toujours à la carte postale envoyée au niveau international (<a href="https://www.lefigaro.fr/voyages/au-pays-du-tourisme-responsable-20220204">écotourisme</a>, énergies renouvelables, reforestation) et s’appuie également sur des pratiques destructrices de l’environnement et des sociétés (voir les travaux de Rodríguez Echavarría et Prunier sur <a href="https://hal-univ-montpellier3-paul-valery.archives-ouvertes.fr/hal-03114105/">l’ananas</a>, dont le Costa Rica est le premier producteur mondial).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1536744119028092932"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, la dictature du couple Ortega-Murillo au Nicaragua conduit à des départs de plus en plus nombreux, bien souvent pour demander le statut de réfugié politique.</p>
<p>La loi sur la migration adoptée en 2009 met en avant l’hospitalité, l’intégration et le respect des droits humains. Néanmoins, le diable se cache dans les détails : « En termes de procédure, les exigences et les coûts de la régularisation sont très élevés et laissent de nombreuses personnes sur le carreau. Le problème n’est pas que la loi n’est pas appliquée, mais qu’elle est inaccessible », <a href="https://repositorio.iis.ucr.ac.cr/handle/123456789/735">explique Carlos Sandoval</a>, qui souligne que, au-delà d’un texte très généreux, le coût et la complexité de la procédure violent les droits fondamentaux des personnes concernées. Un grand nombre des migrants nicaraguayens vivent ainsi sans le statut de résident auquel ils pourraient avoir accès.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le statut des Nicaraguayens au Costa Rica renvoie à l’idée bien ancrée dans le pays d’un <a href="https://www.theses.fr/179743538">exceptionnalisme costaricien</a> : la stabilité politique, l’état social de droit, le pacifisme seraient liés à <a href="https://www.revistas.una.ac.cr/index.php/historia/article/view/12397">l’homogénéité ethnique et même à la « blancheur » de la population</a>, au cœur du récit national sur une population d’origine européenne. Il est dès lors difficile de penser un « autre de l’intérieur », qu’il soit nicaraguayen, indien ou afrodescendant. L’altérité minimale (même langue, même religion, même histoire) des Nicaraguayens n’en est que plus menaçante. Surtout, la fermeture des frontières liée à l’épidémie de Covid a alimenté le rejet de l’autre, vu comme responsable de la circulation du virus.</p>
<p>L’autre trait marquant la migration nicaraguayenne est son invisibilité. Carlos Sandoval rappelle que près de 20 % des nouveau-nés au Costa Rica aujourd’hui ont un père ou une mère originaire du Nicaragua. Cette deuxième génération et les couples mixtes sont absents des récits sur l’identité nationale, de la littérature, des espaces interculturels et des mémoires familiales. L’instabilité migratoire et la xénophobie ordinaire font ainsi de l’origine nicaraguayenne un « secret de famille bien gardé. Cette expérience binationale se vit mais ne se raconte pas ».</p>
<h2>Migrations planétaires et adaptation des politiques migratoires</h2>
<p>Les migrations actuelles modifient radicalement la situation : nombreuses, multiples, souvent très visibles, il s’agit essentiellement de migrations de transit.</p>
<p><a href="https://estudiossociologicos.colmex.mx/index.php/es/article/view/2177">Guillermo Navarro</a> fait remonter le début de ces nouvelles migrations aux années 2000. Ce flux migratoire continu devient subitement visible en 2015, lorsque le Nicaragua, pays de passage vers les États-Unis, ferme sa frontière avec le Costa Rica. Des milliers de migrants se retrouvent alors bloqués au Costa Rica. La petite ville de La Cruz, dans le nord du pays, devient malgré elle le lieu d’arrivée et d’immobilisation forcée de migrants cubains, tout d’abord, puis africains et haïtiens.</p>
<p>Si la migration cubaine a laissé le souvenir d’une solidarité culturelle et politique, les migrations africaine et haïtienne qui lui succèdent ont provoqué des situations de tension, de peur, de rejet, face à des populations à la fois différentes (religion, langue, pratiques alimentaires) et inconnues, faisant l’objet de stigmatisation raciale.</p>
<p>Le gouvernement du Costa Rica met alors en place des centres d’accueil. La question migratoire devient un problème public et l’État adapte ses politiques en créant un permis de transit temporaire pour traverser rapidement le Costa Rica. « Cela a conduit l’État à se mobiliser, précisément en mettant en avant le récit de la crise migratoire. Entre 40 et 44 abris ont été ouverts, gérés par les communautés, les gouvernements locaux et le gouvernement central », selon Guillermo Navarro.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517929/original/file-20230328-418-7u5zkr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Centro de Atención Temporal a Migrantes (CATEM), La Cruz, 29 septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dirección General de Migración y Extranjería Costa Rica</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces nouvelles trajectoires migratoires sont longues et complexes. Les Cubains commencent leur voyage en prenant l’avion jusqu’au Nicaragua, qui les accueille sans visa. Les Haïtiens ont souvent passé des années dans le cône Sud (notamment le Brésil de Lula et l’Équateur de Rafael Correa) avant de reprendre la route vers l’Amérique du Nord, suite au ralentissement des économies nationales ou au renforcement des contraintes migratoires. <a href="https://doi.org/10.24201/es.2022v40n120.2177">Les Africains cherchent à traverser en bus au plus vite le Costa Rica</a>. Ces nouvelles migrations touchent maintenant pratiquement tous les pays d’Afrique, mais aussi la Syrie, le Népal, l’Afghanistan, le Bangladesh, etc., sans que l’on connaisse précisément les motivations de ces migrants (crises économiques et politiques, fermetures de frontières, migrations par étapes, etc.) et leurs routes migratoires qui les emmènent en Amérique latine pour une destination finale qui reste les États-Unis.</p>
<p>Avec le Covid, les frontières du Costa Rica se ferment en avril 2020 et le gouvernement démantèle le système de soutien aux migrants qu’il avait mis en place. Les flux ne s’arrêtent pas mais deviennent clandestins. Lorsque les frontières s’ouvrent à nouveau et que les migrations reprennent plus fortement, le Costa Rica n’a plus d’outils et d’infrastructures.</p>
<p>Les hésitations du gouvernement Chaves et son discours répressif, mais aussi la politique erratique du Nicaragua, favorisent le développement de réseaux de passeurs, le racket des migrants et la stigmatisation de la migration. Un nouveau système de contrôle est progressivement instauré, qui passe par la construction de centres d’accueil pérennes, dont Guillermo Navarro souligne l’influence internationale (formation des fonctionnaires de migration, circulation des idées et des personnes) et la contribution financière des États-Unis et de l’UE. Les agences spécialisées (OIM, <a href="https://www.unhcr.org/costa-rica.html">HCR</a>) et les bailleurs de fonds internationaux (<a href="https://www.iadb.org/en/countries/costa-rica/overview">Banque interaméricaine de développement</a>) sont désormais bien présents.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p-tMe7mC_K4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>« Le Costa Rica est actuellement un laboratoire en train d’expérimenter le contrôle et le soutien humanitaire. L’Amérique centrale entre dans le système mondial migratoire, non seulement pour expulser et recevoir les migrants, mais aussi gérer la migration », constate Navarro.</p>
<p>18 février 2023. Ronaldo et sa mère ont réussi à économiser suffisamment d’argent pour payer le bus jusqu’au Panama puis l’avion vers le Venezuela. Retour à la case départ, où les attend la même situation de pauvreté extrême, même s’ils ne seront plus désormais des migrants illégaux contraints à la mendicité…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élisabeth Cunin a reçu des financements de IRD, ANR. </span></em></p>Soumis aux décisions politiques des pays de destination et de transit, de nombreux migrants de différentes origines se retrouvent bloqués au Costa Rica.Élisabeth Cunin, Anthropologue, directrice de recherche à l'Unité de Recherche Migrations Et Société (URMIS), chercheuse associée à l'Université du Costa Rica, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1987062023-03-07T18:18:54Z2023-03-07T18:18:54ZLa présence économique croissante de la Chine en Amérique latine et dans les Caraïbes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509412/original/file-20230210-14-3o05sx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C2854%2C1909&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mauricio Macri, alors président de l’Argentine, serre la main de Xi&nbsp;Jinping en 2017 à Pékin. Ce sommet de la Belt and Road Initiative aura été un épisode important du rapprochement entre Pékin et la zone Amérique latine-Caraïbes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/chinese-president-xi-jinping-argentinas-mauricio-2240652207">Salma Bashir Motiwala/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les échanges commerciaux entre l’Amérique latine et les Caraïbes et la Chine <a href="https://www.forbes.com/sites/miltonezrati/2022/11/07/chinas-latin-america-move/">n’ont cessé de se développer</a> depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle et, plus encore, depuis le lancement par Xi Jinping, en 2013, du projet des Nouvelles routes de la soie, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-6-page-111.htm"><em>Belt Road Initiative</em> (BRI)</a>.</p>
<p>L’objectif de ce programme gigantesque est de promouvoir les objectifs de développement chinois en internationalisant les investissements et les prêts, tout en garantissant à la RPC un accès à long terme à l’énergie et aux matières premières qu’elle importe.</p>
<p>Pour mondialiser sa politique industrielle et soutenir ses entreprises dans le monde, la Chine a mis en place une stratégie entre les banques, le ministère des Finances et le ministère du Commerce. C’est ainsi que la China National Petroleum Corporation, Huawei et de nombreuses autres multinationales chinoises se sont « mondialisées » et sont de plus en plus présentes non seulement en Asie mais aussi en Europe, en Afrique et sur le continent américain, une zone qui fut longtemps considérée comme le « pré carré » de Washington.</p>
<h2>Les échanges commerciaux</h2>
<p>Si les échanges entre la Chine et la région Amérique latine-Caraïbes (ALC) remontent aux <a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-monde-global--9782361060299-page-174.htm">galions de Manille</a> qui, à partir de 1565, circulaient entre les ports d’Acapulco et de Manille, ils se sont considérablement accélérés au cours des vingt dernières années. L’un des moments clés, à cet égard, a été le <a href="https://www.oboreurope.com/fr/premier-sommet-belt-road/">forum de la BRI tenu à Pékin en 2017</a> : à l’issue de discussions informelles entre le président Xi Jinping et le président argentin de l’époque Mauricio Macri, <a href="https://greenfdc.org/countries-of-the-belt-and-road-initiative-bri/">l’ALC est incorporée dans la sphère de la BRI</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Un processus formel, mis en place lors de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2018-2-page-134.htm">réunion de la Communauté des nations d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC)</a> en janvier 2018 à Santiago du Chili, a officalisé l’invitation de la Chine à destination des 33 pays d’ALC à participer à l’initiative BRI. Le Panama était devenu, dès 2017, le premier pays <a href="https://dialogochino.net/en/infrastructure/26121-belt-and-road-the-new-face-of-china-in-latin-america/">à signer un protocole d’accord en ce sens</a>, malgré les objections et les critiques des États-Unis.</p>
<p>Depuis, la plupart des autres pays ont suivi. Aujourd’hui, vingt pays de la zone ont rejoint la BRI, laissant le Brésil et le Mexique comme les deux seules grandes économies de la région sans protocole d’entente officiel. En conséquence, ces dernières années, certains pays d’Amérique latine ont <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211210-le-nicaragua-rompt-avec-ta%C3%AFwan-et-reconna%C3%AEt-une-seule-chine-dirig%C3%A9e-par-p%C3%A9kin">rompu leurs liens diplomatiques avec Taïwan</a> dans le but d’attirer les investissements de Pékin.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"553143452532477952"}"></div></p>
<p>La région de l’Amérique latine et des Caraïbes est une zone d’investissement attrayante en raison de son abondance en ressources naturelles et matières premières (pétrole brut, fer et cuivre) ainsi qu’en produits agricoles (soja et oléagineux). Par rapport à l’Afrique, l’Amérique latine peut également offrir un environnement d’investissement plus stable, un système judiciaire plus fiable et un grand marché pour les produits chinois.</p>
<p>Les relations commerciales avec la Chine remontent aux années 1960, lorsque l’Argentine et le Mexique vendaient du blé à la Chine qui faisait alors face à une grande famine. Dans les années 1970 et 1980, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes avaient un excédent commercial avec la Chine. Mais la situation a profondément changé avec les mutations économiques de la Chine à la fin des années 1980 et à son adhésion à l’OMC en 2001. </p>
<p>Depuis, les relations commerciales ont été <a href="https://www.atlanticcouncil.org/in-depth-research-reports/report/latin-america-china-trade-and-investment-amid-global-tensions/">multipliées par 18 entre 2000 et 2016</a>, notamment grâce au boom des matières premières. Pendant cette période, les banques publiques chinoises comme China Development Bank (CDB) et Export-Import Bank of China (ExImBank) ont signé de <a href="https://www.bu.edu/gdp/china-lac_bulletins/">nouveaux accords avec les pays de l’ALC</a>. Les échanges avec la Chine restent toutefois pour l’instant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/18681026211047871">moins importants que ceux avec les États-Unis</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="graphique des échanges commerciaux des États-Unis et de la Chine avec l’Amérique latine" src="https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506842/original/file-20230127-24-7x7n4h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Comparaison des échanges commerciaux entre l’Amérique latine et les États-Unis avec ceux entre l’Amérique latine et la Chine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Aymard/La Rochelle Université</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les investissements directs</h2>
<p>Les relations économiques croissantes entre la Chine et l’ALC ne se limitent pas au commerce. Le deuxième volet de ces relations est l’investissement direct à l’étranger (IDE).</p>
<p>Entre 2000 et 2020, les entreprises chinoises ont investi environ 160 milliards de dollars dans 480 transactions, principalement par le biais de fusions et d’acquisitions mais aussi à travers des projets nouveaux. Par exemple, China Yangtze Power International (CYPI) a récemment <a href="https://latinlawyer.com/article/china-yangtze-power-completes-us36-billion-power-buy-in-peru">acheté des parts de Sempra’s Peruvian</a>) pour 3,6 milliards de dollars.</p>
<p>Le graphique suivant montre un pic après la crise financière de 2008 en raison du retrait des investissements occidentaux dans la région et du manque de fonds d’investissement pour les gouvernements des pays locaux.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Graphique montrant les investissements de la Chine en Amérique latine" src="https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506843/original/file-20230127-22-d7lszf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Investissements direct de la Chine en Amérique latine en millions de dollars.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Aymard/La Rochelle Université</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les prêts</h2>
<p>Le troisième volet de cette relation concerne les prêts, qui ont débuté au début du siècle, mais qui ont également connu un pic pendant la crise.</p>
<p>Depuis 2005, les deux principales banques chinoises (la Banque de développement de Chine et la Banque d’import-export de Chine) ont accordé plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-cevipol-2017-3-page-3.htm">141 milliards de dollars de prêts aux pays d’Amérique latine</a> et aux entreprises publiques, soit plus que la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement ou la Banque latino-américaine de développement.</p>
<p>On observe une concentration des prêts chinois en ALC dans quatre pays : le Venezuela, l’Équateur, l’Argentine et le Brésil, qui ont reçu environ 93 % des prêts. Par ailleurs, les prêts sont concentrés dans le <a href="https://www.iss.europa.eu/sites/default/files/EUISSFiles/Brief_9_China%20in%20Latin%20America_web.pdf">secteur de l’énergie (69 %) et des infrastructures (19 %)</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique sur les politiques bancaires de la Chine selon les pays d’Amérique latine" src="https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506844/original/file-20230127-20-t9s3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Politique bancaire de la Chine selon les pays d’Amérique latine. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Aymard/La Rochelle Université</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Venezuela, premier emprunteur sur le continent, est le pays dont la dette vis-à-vis de Pékin est la plus importante. Même si la Chine n’a pas accordé de nouveaux prêts aux pays d’Amérique latine en 2020 et 2021, elle a renégocié la dette du Venezuela en 2018 et celle de l’Équateur. La dette vénézuélienne a appris à la Chine à se montrer plus prudente dans <a href="https://www.batimes.com.ar/news/economy/stephen-kaplan-china-faces-creditor-trap-in-lending-to-latin-america.phtml">l’attribution de prêts à l’Amérique latine</a>. Les prêts au Vénézuéla ont montré à Pékin que les capacités de production de pétrole d’un pays ne sont pas une garantie suffisante pour un remboursement futur.</p>
<p>Par ailleurs, le Brésil a connu une <a href="https://dialogochino.net/en/infrastructure/59714-cccc-chinese-construction-giant-comes-to-standstill-in-brazil/">croissance des échanges</a>, des investissements et des prêts, mais, on l’a dit, sans adhérer officiellement à la BRI. Malgré un récent ralentissement des investissements dû à des relations tendues avec le gouvernement Bolsonaro (il reste à voir ce qu’il en sera désormais, Lula semblant désireux de <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-Bresilien-Lula-rencontrera-le-Chinois-Xi-le-28-mars-a-Pekin--43022130/">nouer un « dialogue constructif » avec Pékin</a>), des projets, comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Port_d%27Itaqui">méga-port à Sao Luis</a>, capable de gérer l’exportation de 10 millions de tonnes de céréales par an, le chemin de fer dans l’État de Para reliant l’extraction de minerai de fer en Amazonie aux principaux ports du Brésil et un <a href="http://www.bahiaflaneur.net/blog2/2010/09/un-pont-pour-sauver-lile-ditaparica.html">pont de 12 kilomètres entre Salvador et Itaparica</a>, qui sera le plus grand projet de construction sur l’eau en Amérique latine, se développent au Brésil. Même si le pays est le deuxième plus grand débiteur de la Chine en Amérique latine, ses entreprises, comme la compagnie pétrolière publique Petrobras, réussissent à rembourser la plupart de leurs prêts.</p>
<p>Le cas du Pérou est également particulier. Le Pérou et la Chine entretiennent des relations diplomatiques depuis plus de 50 ans. Avec le Costa Rica, il est le seul pays à avoir conclu un accord de libre-échange à la fois avec les États-Unis et avec la Chine. Les investissements de Pékin au Pérou concernent des <a href="http://fr.cctv.com/2016/11/19/VIDEAO8wdf8PGOJ10EjXbieq161119.shtml">investissements lourds dans le secteur minier</a> (15 milliards de dollars selon le ministère péruvien de l’Énergie et des Mines). On observe aussi une diversification dans d’autres secteurs tels que l’énergie, l’électricité, la pêche… Un exemple typique est le <a href="https://portsetcorridors.com/2022/amerique-du-sud-la-bataille-de-la-logistique-portuaire/">méga-port de Chancay</a>, construit par un consortium dirigé par l’entreprise publique chinoise Cosco Shipping Ports avec une participation importante de la société suisse Glencore. Le projet, dont l’investissement s’élève à 3 milliards de dollars, devrait devenir le plus important terminal commercial de la Chine en Amérique du Sud lorsqu’il sera terminé en 2024.</p>
<h2>Un partenariat qui s’intensifie</h2>
<p>Comme dans d’autres régions du monde, la Chine finance en ALC des investissements d’infrastructure, notamment dans les secteurs minier et énergétique, qui peuvent avoir des effets positifs sur la croissance économique des pays de l’ALC <strong>()</strong>. Ce système répond à la volonté de la Chine pour devenir un acteur majeur sur les marchés de l’énergie en apportant des investissements dans ces pays (les capitaux privés n’étant pas suffisants en raison de la crise financière ou des scandales liés à la corruption, comme <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">l’opération Lava Jato au Brésil</a>, qui ont découragé les investissements étrangers).</p>
<p>La Chine mise aujourd’hui sur les nouvelles infrastructures : 5G, transmission d’électricité, train à grande vitesse, véhicules électriques, centres de données et intelligence artificielle… Des perspectives se profilent pour le développement de liens supplémentaires avec des échanges d’étudiants, du tourisme, des coopérations dans les domaines de la santé, des sciences et des technologies. Ainsi, la relation pourrait aussi devenir véritablement une stratégie gagnant-gagnant sur d’autres secteurs que les ressources.</p>
<p>Si les gouvernements des pays de l’ALC parviennent à relever les défis et à développer les opportunités qui se présentent, la relation ALC-Chine deviendra plus avantageuse pour la région ALC. Celle-ci devra toutefois prendre garde au <a href="https://www.courrierinternational.com/article/dette-la-chine-une-puissance-qui-prete-beaucoup-en-amerique-latine">« piège de la dette »</a> (la Chine détient par exemple 11 % de la dette extérieure totale de l’Équateur).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>German Zarate ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans la continuité de sa politique d’investissement à l’étranger, la Chine conclut avec l’Amérique latine et les Caraïbes des partenariats économiques de plus en plus étroits.German Zarate, Professeur d'économie, State of New York University Cortland, professeur invité à La Rochelle University, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993282023-02-22T19:54:48Z2023-02-22T19:54:48ZBrésil : Lula pourra-t-il « dé-bolsonariser » l’État ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508666/original/file-20230207-23-7gxm4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C23%2C5146%2C3413&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lula lors de la marche de la victoire le 29&nbsp;octobre 2022 à Sao Paulo.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/paulo-brazil-october-29th-2022-presidential-2221543137">Yuri Murakami/shutterstock.com</a></span></figcaption></figure><p>Après une campagne présidentielle au cours de laquelle Luiz Inácio Lula da Silva a puisé dans cinq décennies d’expérience politique pour mettre sur pied un front de défense de la démocratie brésilienne et vaincre le sortant Jair Bolsonaro <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/bresil-lula-remporte-l-election-presidentielle-bolsonaro-conteste-938862.html">par la plus étroite des marges</a> le 30 octobre dernier, le fondateur du Parti des Travailleurs (PT) est revenu au pouvoir.</p>
<p>Son troisième mandat (après 2003-2007 et 2007-2011) ne sera pas le plus aisé, tant les défis auxquels il sera confronté sont vastes et variés.</p>
<p>Le pays que Lula gouverne depuis son investiture le 1<sup>er</sup> janvier dernier est bien différent de celui dont il avait pris les rênes pour la première fois en 2003. Certes, le Brésil était déjà confronté à une crise économique aiguë (une <a href="https://www.lemonde.fr//archives/article/2002/08/09/le-fmi-promet-30-milliards-de-dollars-au-bresil_4260323_1819218.html">dette de 30 milliards de dollars</a> envers le FMI et une situation budgétaire fragile) ; mais son prédécesseur de l’époque, le sociologue Fernando Henrique Cardoso, avait fait tout son possible pour soutenir Lula, <a href="https://www.nbcnews.com/id/wbna3340827">parfois présenté comme un « dangereux gauchiste »</a>, vis-à-vis de la communauté internationale. Il avait également favorisé une <a href="https://www.letemps.ch/monde/transition-harmonieuse-entre-cardoso-lula">transition harmonieuse</a> en partageant un maximum d’informations sur l’état de la fonction publique avec les futurs ministres du premier gouvernement Lula. C’est un euphémisme de dire que, fin 2022, les choses se sont passées bien différemment…</p>
<h2>Une transition chaotique avec l’administration Bolsonaro</h2>
<p>Cette fois-ci, c’est la communauté internationale qui a soutenu la légitimité du résultat électoral <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/international/amerique-latine/le-recours-de-jair-bolsonaro-contre-le-resultat-de-l-election-presidentielle-est-rejete/10430027.html">que refusait de reconnaître Jair Bolsonaro</a>.</p>
<p>Les dirigeants des grandes puissances, ainsi que la majorité des présidents latino-américains, ont <a href="https://fr.euronews.com/2022/10/30/le-bresil-retient-son-souffle-lula-et-bolsonaro-au-coude-a-coude-pour-la-presidentielle">salué la victoire du candidat du PT</a> de manière coordonnée et rapide, afin d’empêcher toute contestation de la part de l’ancien capitaine de l’armée.</p>
<p>Malgré cette unité de la communauté internationale, Bolsonaro a cherché à entraver l’action du gouvernement de transition mis en place en novembre 2022, dirigé par Lula et son vice-président, l’ancien gouverneur de São Paulo Geraldo Alckmin. Cela s’est traduit, dans la plupart des ministères, par la disparition quasi totale des données gouvernementales. Et lorsqu’elles existaient, la réalité reflétée dans les chiffres était effrayante : pas d’argent pour payer les salaires des professeurs des universités, expiration délibérée des vaccins contre le Covid au sein du ministère de la Santé, achat surfacturé de matériel scolaire au ministère de l’Éducation… </p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Et bien sûr, il y a eu, le 8 janvier, tandis que Bolsonaro se trouvait en Floride, la <a href="https://www.rtbf.be/article/bresil-une-tentative-de-putsch-qui-revele-la-fracture-entre-larmee-et-le-pouvoir-11133382">tentative de coup d’État</a> mise en œuvre par ses partisans. Si le putsch échoua rapidement, l’épisode n’en reste pas moins marquant et lance le troisième mandat sous des auspices inquiétants. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2gmruYLqh6o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Une administration publique sous pavillon militaire</h2>
<p>La tâche de Lula sera multiple – et à plusieurs égards, bien plus difficile qu’en 2003. En premier lieu, il semble indispensable qu’il soit en mesure de restaurer dans la durée la prééminence du pouvoir civil sur le pouvoir militaire.</p>
<p>Depuis <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">l’impeachment de Dilma Rousseff</a>, en 2016, les hauts gradés ont progressivement accaparé des prérogatives normalement dévolues au pouvoir civil. Cela a débuté sous le gouvernement de Michel Temer, vice-président de Dilma Rousseff devenu chef de l’État brésilien après sa destitution, avec la mise sous tutelle par l’armée des forces de police de l’État de Rio de Janeiro. Temer avait placé à leur tête le général Braga Netto (devenu par la suite <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/14/bresil-un-general-nomme-chef-du-gouvernement_6029506_3210.html">premier ministre</a> sous Bolsonaro).</p>
<p>Ensuite, lorsque l’hypothèse d’une candidature de Lula à l’élection présidentielle de 2018 se précisait, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1598">malgré son incarcération en avril de cette année-là</a>, dans le cadre d’une accusation qui s’est révélée être <a href="https://www.letemps.ch/monde/ameriques/cour-supreme-juge-moro-etait-bien-partial-envers-lula">partiale et infondée selon la Cour suprême</a>, le commandant de l’armée de terre de l’époque, le général Villas Boas, s’était exprimé sur Twitter pour mettre en garde la Cour suprême face à toute tentative de revoir la jurisprudence d’une façon qui pourrait permettre la libération du fondateur du PT, actant ainsi l’immixtion (illégale) de l’armée dans le jeu politique brésilien.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1360023313905569792"}"></div></p>
<p>Avec <a href="https://theconversation.com/le-bresil-de-bolsonaro-le-spectre-de-la-democradure-105993">l’élection de Bolsonaro en 2018</a> (Lula n’avait finalement pas été autorisé à se présenter, et n’est sorti de prison qu’en novembre 2019), la politisation des casernes a atteint son paroxysme depuis le retour de la démocratie au Brésil, en 1985.</p>
<p>Plus de <a href="https://observatoiredemocratiebresil.org/Les-militaires-occupent-l-%C3%89tat">6 000 militaires auraient été nommés</a> à des postes dans la haute fonction publique normalement attribués à des civils. Exemple parlant : alors même que la pandémie faisait des ravages, le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pandemie-le-ministere-de-la-sante-chasse-gardee-des-militaires-au-bresil">ministère de la Santé a été confié à des militaires</a>. Et ces derniers, dont la compétence en matière sanitaire est pour le moins réduite, ont décidé d’alimenter le discours contre les bienfaits de la vaccination, tout en produisant des doses de chloroquine à des prix surfacturés… Selon l’épidémiologiste Pedro Hallal, l’un des meilleurs spécialistes brésiliens de santé publique, <a href="https://www12.senado.leg.br/noticias/materias/2021/06/24/pesquisas-apontam-que-400-mil-mortes-poderiam-ser-evitadas-governistas-questionam">près de 400 000 décès auraient pu être évités</a> si le gouvernement brésilien avait pris les mesures sanitaires qui s’imposaient (port du masque, distanciation sociale, politique de vaccination).</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quel-effet-de-la-gestion-du-president-bolsonaro-sur-la-mortalite-due-au-covid-19-au-bresil-182085">Quel effet de la gestion du président Bolsonaro sur la mortalité due au Covid-19 au Brésil ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Face à cette militarisation inédite, <a href="https://theconversation.com/le-bresil-une-democratie-militarisee-160636">notable également dans d’autres ministères</a>, Lula aura fort à faire pour reprendre en main la fonction publique, civile comme militaire. Après la tentative de putsch du 8 janvier, dont les images ont fait le tour du monde, le nouveau locataire du Palais du Planalto a décidé de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-au-bresil-lula-cree-la-surprise-en-limogeant-le-chef-de-l-armee-de-terre">limoger le commandant de l’armée de terre</a>, dont la loyauté vis-à-vis des institutions démocratiques posait question. Depuis, d’autres militaires ont été démis de leurs fonctions, notamment à la présidence de la République et dans certains ministères.</p>
<h2>Restaurer le caractère présidentialiste du régime politique brésilien</h2>
<p>Outre la remise en ordre de l’administration publique, il est indispensable que les rapports entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire se normalisent, après une décennie de déséquilibres.</p>
<p>L’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/bresil-fin-de-cycle-pour-l-operation-anti-corruption-lava-jato-lavage-express-8876170">opération Lava Jato</a>, une vaste affaire de pots-de-vin mêlant des entrepreneurs véreux et des hommes politiques de tous bords politiques dont les répercussions politiques, médiatiques et juridiques ont été considérables non seulement au Brésil, mais dans une bonne partie de la région latino-américaine, est en partie responsable de cette situation. Si la <a href="https://www.cairn.info/constitutionnalisme-latino-americain-aujourd-hui--9782841747054-page-115.htm">Constitution brésilienne de 1988</a> a consacré l’indépendance de la justice, l’ancien juge Sergio Moro et les procureurs du ministère public en charge de cette opération ont perverti cette avancée institutionnelle, en transformant un groupe de travail temporaire en une entité au-dessus des lois et des procédures judiciaires au service d’un objectif politique, et bénéficiant initialement du soutien des hautes cours de justice.</p>
<p>Néanmoins, lorsque ces dernières comprirent que leur propre pouvoir était menacé, les juges en leur sein ont évolué progressivement, jusqu’à aboutir à la libération de Lula (novembre 2019) et à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/16/la-cour-supreme-bresilienne-confirme-l-annulation-des-condamnations-au-penal-contre-lula_6076949_3210.html">l’annulation de ses condamnations</a> (mars 2021), ce qui constitua un tournant majeur dans la vie politique du Brésil.</p>
<p>Désormais, la priorité pour Lula sera de restaurer l’autorité de l’exécutif. Depuis le retour à la démocratie, à la fin des années 1980, le système politique brésilien se singularise par l’existence d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2016-3-page-137.htm">« présidentialisme de coalition »</a> : dans la mesure où le Congrès dispose de vastes prérogatives mais est très fragmenté, l’exécutif est contraint de négocier en permanence avec les élus des nombreux partis politiques représentés dans les deux Chambres (ces partis sont actuellement au nombre de vingt) afin de construire une majorité. Le Parti des Travailleurs (PT) de Lula ne dispose que de 69 sièges sur les 513 de la Chambre des Députés.</p>
<p>Sous le gouvernement Bolsonaro, les pouvoirs des présidents de la Chambre des Députés, Arthur Lira, et du Sénat, Rodrigo Pacheco, ont été considérablement renforcés. Dans les faits, ils se sont vu déléguer la plupart des arbitrages budgétaires. Cette bizarrerie institutionnelle a été rendue possible par la <a href="https://www.autresbresils.net/Au-Bresil-d-ou-viennent-les-milliards-du-budget-secret">mise en place d’un « budget secret »</a> qui permettait aux chefs du Parlement d’attribuer de l’argent sans aucune transparence à des membres du Congrès.</p>
<p>Sous Bolsonaro, plus de la moitié du budget d’investissement de l’État brésilien était décidée par le biais de ce « budget secret ». En décembre 2022, la Cour suprême a statué sur <a href="https://enjeux.info/24660-bresil-le-budget-secret-des-deputes-est-inconstitutionnel.html">l’inconstitutionnalité de ce mécanisme</a>, permettant à Lula de retrouver de nouvelles marges de manœuvre face au Parlement. Mais la bataille pour construire et fidéliser une majorité gouvernementale sera ardue, compte tenu des résultats des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/bresil-importantes-victoires-des-bolonaristes-aux-legislatives-et-gouvernatoriales-20221003">législatives d’octobre 2022</a>, qui se sont traduites par l’élection de nombreux députés et sénateurs d’extrême droite. D’autant plus qu’en dehors du Parlement, les attentes des électeurs de Lula sont à la mesure des défis du nouveau président. </p>
<p>Alors que <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230102-br%C3%A9sil-lula-%C3%A0-nouveau-%C3%A0-l-assaut-de-la-faim-le-plus-grave-des-crimes">33 millions de Brésiliens souffrent de la faim</a>, que la défense de l’Amazonie et des peuples autochtones n’a jamais semblé aussi urgente et indispensable, et que le changement climatique nécessite <a href="https://theconversation.com/lula-a-la-cop27-le-retour-du-bresil-et-celui-des-grands-espoirs-internationaux-194976">l’émergence de dirigeants décidés à agir concrètement sur ce dossier fondamental</a>, les défis qui attendent Lula sont nombreux. Néanmoins, le pronostic vital de la démocratie brésilienne ne semble plus être engagé. Après quatre années de présidence Bolsonaro, cela constitue une très bonne nouvelle pour le Brésil, pour l’Amérique latine et pour le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199328/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gaspard Estrada ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Élu de justesse pour un troisième mandat à la présidence du Brésil, Lula va devoir reprendre en main un État où les militaires, qui lui sont hostiles, sont encore très présents à tous les échelons.Gaspard Estrada, Directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984512023-02-14T20:33:20Z2023-02-14T20:33:20ZArgentine : inflation incontrôlée et incertitude économique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507310/original/file-20230131-4536-6pk9mt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C9%2C6211%2C4138&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En Argentine, l'inflation a atteint les 94 % pour l'année 2022.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/piggy-bank-argentine-peso-us-dollar-2252579579">Rafastockbr/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Voilà 32 ans que l’Argentine n’avait pas connu une telle situation économique. Le pays a en effet déclaré en 2022 une <a href="https://www.indec.gob.ar/uploads/informesdeprensa/ipc_01_23891D383E4F.pdf">inflation annuelle de 94,8 %</a>, parmi les plus élevées du monde.</p>
<p><a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/en-argentine-linflation-a-pres-de-95-bat-un-record-de-32-ans-1896696">Le précédent record, datant de 1991</a>, marquait la fin d’un cycle de récessions et de périodes d’hyperinflation (<a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/05/17/hyperinflation-en-argentine_4143152_1819218.html">3 100 % d’inflation en 1989</a>, 2 300 % en 1990. Pour lutter contre cette hyperinflation, les autorités avaient alors aligné le taux de change du peso sur le dollar américain, selon le principe 1 dollar = 1 peso. Cela a permis de reprendre confiance dans la monnaie argentine et d’arrêter l’effet « planche à billets », c’est-à-dire la création à outrance de monnaie par la Banque centrale, ce qui provoquait une inflation rapide.</p>
<p>Malgré ces mesures, voilà plusieurs décennies que <a href="https://www.courrierinternational.com/article/chute-de-crises-en-crises-la-malediction-seculaire-de-leconomie-argentine">l’Argentine connaît une inflation chronique</a>. Celle-ci prend sa source dans des causes aussi bien internes qu’externes et s’inscrit en lien avec les crises qui ont fragilisé le pays et entravé son développement.</p>
<h2>Une histoire économique compliquée et volatile</h2>
<p>Depuis les années 1970, la croissance économique argentine est volatile, alternant entre périodes de forte croissance et crises.</p>
<p>Cette instabilité reflète notamment les nombreux changements de politique économique impulsés par les différents gouvernements qui se sont succédé à Buenos Aires. En outre, une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels a affecté la dynamique d’inflation du pays. Des anticipations d’inflation future qui ne sont pas stables, le financement substantiel du budget de l’État par la Banque centrale via de la création monétaire et des anticipations de dévaluation de la monnaie ont créé des pressions inflationnistes, la <a href="https://www.cairn.info/argentine-nouveau-modele-nouvelle-dynamique--1000000148887-page-1.html">Banque centrale ayant abandonné sa politique de ciblage d’inflation de 2012 à 2016</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yv0kZM2ncTA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>À la fin des années 1990, de nombreuses monnaies d’Amérique latine se sont dépréciées face au dollar américain, tandis que la <a href="https://books.openedition.org/iheal/3044?lang=fr">crise au Brésil</a>, principal partenaire économique de l’Argentine, et la baisse des prix des matières premières ont affecté l’économie argentine. Le pays a subi plusieurs années de récession (de 1999 à 2002). Afin de restaurer la confiance dans l’économie argentine, <a href="https://www.lesechos.fr/2000/11/le-fmi-met-en-place-un-filet-de-sauvetage-financier-de-largentine-756591">Buenos Aires a souscrit à un programme FMI en décembre 2000</a>. Ce dernier s’est néanmoins arrêté fin 2001, le FMI estimant que les engagements pris par le gouvernement en termes de finances publiques n’étaient pas tenus.</p>
<p>L’Argentine s’est alors <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/23-decembre-2001-quand-l-argentine-fit-defaut-sur-sa-dette-485901.html">déclarée en défaut de paiement sur sa dette</a> et le pays est entré dans une profonde crise économique et politique, cinq présidents intérimaires se succédant en l’espace d’un mois tandis que le <a href="https://www.lexpress.fr/economie/ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-fin-du-corralito-en-argentine_1429051.html"><em>corralito</em></a>, mesure limitant les retraits bancaires des particuliers à 250 dollars par semaine, était mis en place.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p><a href="https://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-95_fr.html">Après la crise de 2001</a>, les politiques économiques mises en œuvre par les présidents de centre gauche Eduardo Duhalde (2002-2003) puis Nestor Kirchner (2003-2007) se sont essentiellement fondées sur le protectionnisme, l’interventionnisme de l’État et un soutien à la consommation.</p>
<p>La croissance économique a ainsi rebondi, passant d’une récession de 10,9 % en 2002 à une croissance de 8,8 % en moyenne sur la période 2003-2007, soutenue par la hausse des prix des matières premières. L’Argentine est en effet un exportateur net de matières premières (70 % de ses exportations totales de biens), principalement des céréales et oléagineux (environ 50 % du total des exportations).</p>
<p>Mais à partir du début des années 2010, l’économie alterne entre croissance faible et périodes de récession. De nombreux déséquilibres apparaissent (taux de change surévalué, forte inflation, creusement des déficits de la balance budgétaire et de la balance des paiements, réduction des réserves de change).</p>
<p><a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/largentine-aura-beaucoup-de-mal-a-regler-sa-crise-financiere-1347706">La double crise monétaire de 2018 plonge de nouveau le pays dans la récession</a> et conduit le gouvernement du libéral Mauricio Macri à <a href="https://www.imf.org/en/News/Articles/2018/06/07/pr18216-argentina-imf-reaches-staff-level-agreement-with-argentina">demander un nouvel appui du FMI</a>, alors que le dernier datait de la crise de 2001. L’Argentine avait remboursé son dernier crédit auprès de l’institution en 2006, alors que, pour bon nombre d’Argentins, le programme FMI était l’une des causes de la crise de 2001.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 est venue aggraver une situation économique déjà précaire.</p>
<p>Le pays a connu en 2020 une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/argentine-le-pib-en-recul-de-9-9-en-2020-20210323">récession de près de 10 %</a>, due à l’effet direct des mesures de confinement sur l’activité économique et à la diminution des recettes des exportations agricoles et touristiques. Les inégalités, déjà prégnantes après des années de croissance économique erratique, se sont aggravées : le taux de pauvreté, en hausse depuis 2017, a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/argentine-la-pauvrete-progresse-et-touche-plus-de-40-de-la-population-20200930">atteint 42 % en 2020</a>. Le taux de chômage, également en hausse depuis 2013, a atteint <a href="https://lepetitjournal.com/buenos-aires/augmentation-du-chomage-et-de-la-pauvrete-en-argentine-290949">11,5 % en 2020</a> (30,3 % chez les jeunes de 15 à 24 ans).</p>
<p>Les mesures budgétaires adoptées pour faire face à la crise (hausse des dépenses de santé, transferts financiers et soutien économique aux ménages et secteurs les plus touchés) ont augmenté le déficit public à 8,6 % du PIB en 2020.</p>
<p>L’Argentine a solidement renoué avec la croissance en 2021 (10,2 % de croissance enregistrée) – une croissance soutenue notamment par une reprise de la consommation des ménages et des entreprises, et par la hausse des prix des matières premières.</p>
<h2>Les effets contrastés de la hausse des prix des matières premières</h2>
<p>La hausse des prix des matières premières s’est accélérée depuis début 2022, en lien avec la guerre en Ukraine. Si elle a permis de soutenir la croissance économique argentine en 2022, d’autant qu’elle s’est conjuguée à une reprise graduelle du tourisme et à un retour progressif de la confiance internationale liée à la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/argentine-le-fmi-va-debloquer-3-9-milliards-de-dollars-supplementaires-20220919">signature d’un nouveau programme d’aide du FMI en mars 2022</a>, elle vient également accentuer les pressions inflationnistes préexistantes.</p>
<p>Le FMI estime en effet que <a href="https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2022/12/23/Argentina-Third-Review-Under-the-Extended-Arrangement-Under-the-Extended-Fund-Facility-527298">l’inflation importée est élevée</a> : une augmentation de 10 % des prix mondiaux des denrées alimentaires et de l’énergie pourrait générer une hausse de l’inflation argentine d’environ 1,6 % sur 12 mois, ces deux postes de dépense représentant plus de 30 % du panier de consommation des ménages.</p>
<p>Dans un contexte d’inflation structurellement élevée en Argentine, l’impact de ce choc est particulièrement important pour les ménages les plus pauvres. Si le taux de chômage s’inscrit en baisse, <a href="https://www.indec.gob.ar/uploads/informesdeprensa/mercado_trabajo_eph_3trim22F4483A3158.pdf">à 7,1 % (au 3ᵉ trimestre 2022), soit plus d’un point de moins qu’au 3ᵉ trimestre 2021</a>), le taux de pauvreté demeure élevé et bien supérieur à son niveau pré-Covid, à <a href="https://www.indec.gob.ar/uploads/informesdeprensa/eph_pobreza_09_2223ECC71AE4.pdf">36,5 % (au premier semestre de 2022</a>). En parallèle, l’emploi informel avoisine toujours les 49 %, tandis que les salaires réels demeurent inférieurs à leur niveau de 2017, sans qu’une véritable trajectoire haussière ne se dessine.</p>
<h2>Un nouveau programme FMI sans réformes structurelles majeures, mais permettant des ajustements réalistes et essentiels</h2>
<p>Dans ce contexte économique compliqué, les autorités argentines, conduites par le président de gauche Alberto Fernandez, élu en 2019, sont parvenues en mars 2022 à un accord avec le FMI sur un nouveau programme. Celui-ci, le 22<sup>e</sup> dans l’histoire du pays, ne résout pas les problèmes structurels de l’Argentine, mais propose des ajustements réalistes, relativement atteignables et pragmatiques afin de stabiliser l’économie.</p>
<p>Parmi les différentes mesures à mettre en place, la consolidation budgétaire, c’est-à-dire la réduction du déficit public, est le premier point d’ancrage et le critère essentiel pour que les autres éléments souhaités du programme puissent s’y arrimer. Cette consolidation budgétaire permettrait de limiter le financement du déficit public par de l’émission monétaire de la Banque centrale afin de rétablir progressivement la confiance dans le pays, et de commencer, très progressivement, à réduire l’inflation. Le gouvernement table également sur l’accumulation de réserves de change (via l’augmentation des exportations) pour limiter les pressions sur le peso et les risques de dévaluation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1618008122559463424"}"></div></p>
<p>Pour tenter d’enrayer l’inflation, la Banque centrale argentine a également resserré sa politique monétaire en 2022. Les taux d’intérêt sont ainsi <a href="https://fr.countryeconomy.com/marche-monetaire/taux-interet/argentine">passés de 38 % mi-janvier à 75 % mi-septembre</a>. Si les chiffres de l’inflation annuelle pour 2022 sont inquiétants, l’indice du mois de décembre, à 5,1 %, s’inscrit en baisse par rapport au pic observé en juillet, quand l’inflation avait atteint 7,4 %. Le gouvernement et le FMI misent à présent sur une inflation annuelle plus maitrisée, autour de 60 % pour 2023, tandis que la croissance serait contenue, à 2 %, demeurant pourtant une des plus fortes d’Amérique latine <a href="https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/38030/GEP-January-2023-Analysis-LAC.pdf">selon la Banque mondiale</a>.</p>
<h2>Le risque de tensions socioéconomiques s’accentue à l’approche des élections de 2023</h2>
<p>Ces prévisions sont néanmoins sujettes à des incertitudes, aussi bien domestiques qu’internationales. Au niveau international, l’environnement mondial demeure soumis à de nombreuses inconnues : la guerre en Ukraine et ses répercussions sur les prix des matières premières notamment ; la hausse des taux d’intérêt mondiaux ; et une possible reprise de la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Au niveau domestique, les défis macro-économiques demeurent importants. La mise en œuvre du programme FMI est extrêmement risquée, le gouvernement devant jongler entre les réformes pour atteindre les objectifs fixés par le programme, tout en évitant d’accentuer le mécontentement de la population, ce qui limite ses marges de manœuvre.</p>
<p>Les élections générales d’octobre 2023 pourraient entraîner une réorientation des politiques écono-miques argentines. Il est en effet possible que le parti qui héritera du pouvoir cette année – que ce soit la coalition actuelle ou bien un nouveau groupe politique – cherche à renégocier certains éléments de l’accord, sans pour autant en changer les fondamentaux. Si le résultat des élections ne devrait pas re-mettre fondamentalement en cause le programme FMI, la campagne pourrait néanmoins cristalliser le mécontentement d’une partie de la population sur les réformes qui en découlent et sur la baisse du pou-voir d’achat résultant des effets toujours sensibles de la crise Covid-19 et de la hausse mondiale des prix des matières premières. L’Argentine demeurera, en 2023 encore, exposée à un ensemble de chocs susceptibles d’avoir des conséquences économiques et sociales importantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198451/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Mansart-Monat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Argentine a affiché en 2022 une inflation de près de 100 %. Des mesures prises en concertation avec le FMI visent à la ramener à un niveau plus acceptable, mais la situation reste très fragile.Emmanuelle Mansart-Monat, Économiste risque pays, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1985272023-01-31T19:32:12Z2023-01-31T19:32:12ZFonds pour l’Amazonie : le retour d’une initiative enterrée il y a 10 ans<p>Le 23 janvier 2023, la nouvelle ministre brésilienne de l’Écologie Marina Da Silva a déclaré que la situation environnementale de son pays était « bien pire » que ce qu’elle imaginait et assuré que la lutte contre la déforestation serait en tête de ses priorités après quatre années dévastatrices pour l’Amazonie sous Jair Bolsonaro.</p>
<p>La première forêt tropicale est un symbole écologique mondial depuis des décennies, tant pour <a href="https://theconversation.com/des-yeux-et-des-oreilles-technologiques-pour-percer-les-secrets-de-la-biodiversite-amazonienne-191612">son exceptionnelle biodiversité</a> et sa contribution à la régulation du climat sud-américain, que pour son rôle dans l’atténuation du changement climatique. Cette contribution à l’atténuation est d’ailleurs conditionnée à ce que l’Amazonie ne devienne pas, risque identifié par les scientifiques, une savane, zone émettrice nette de carbone.</p>
<p>Et l’enjeu de sa préservation est de longue date considéré comme mondial – ce qui avait donné lieu en 2019 à un moment de <a href="https://theconversation.com/lamazonie-en-proie-aux-incendies-et-aux-calculs-politiques-122653">tension diplomatique entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro</a>. Alors que le président français défendait la prise en compte de l’Amazonie comme <a href="https://theconversation.com/declarer-la-foret-amazonienne-bien-commun-de-lhumanite-une-idee-pas-si-neuve-127085">bien commun international</a>, celui qui était encore à la tête du Brésil lui opposait le principe de souveraineté.</p>
<p>Dans le cadre de la préparation de la conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le président colombien Gustavo Petro a proposé d’aller plus loin, en créant un <a href="https://www.rfi.fr/es/m%C3%A1s-noticias/20221108-desde-la-cop27-petro-y-maduro-llaman-a-una-alianza-amaz%C3%B3nica-con-todo-por-hacer">fonds multilatéral pour financer la protection de l’Amazonie</a>. Il se fixe l’objectif de réunir 400 millions de dollars par an pendant 20 ans, la Colombie y contribuant pour moitié.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Au programme, un mini-dossier, une sélection de nos articles les plus récents, des extraits d’ouvrages et des contenus en provenance de notre réseau international. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<h2>Ne pas opposer souveraineté et bien commun</h2>
<p>L’intérêt de cette formulation est qu’elle tente de dépasser cette opposition rigide entre bien commun et souveraineté. Les partisans de la notion de biens communs peuvent avoir pour eux tous les arguments légitimes sur la nécessité de la protection écologique de tel ou tel espace, le respect du principe de souveraineté reste la pierre angulaire du système international, et la gauche sud-américaine, marquée par les ingérences étatsuniennes, y est également attachée.</p>
<p>Dans le compromis proposé par Gustavo Petro, les modalités de protection des biens communs, ici l’Amazonie, doivent être principalement déterminées par les pays qui, souvent au Sud, les comptent sur leur territoire. C’est ce que nous pouvons appeler le multilatéralisme souverain.</p>
<p>Le Venezuela et le Brésil, désormais présidé par Lula Ignacio da Silva, se sont ralliés à l’initiative. <a href="https://expresso.pt/internacional/2023-01-02-Lula-da-Silva-e-Gustavo-Petro-discutem-um-grande-pacto-a-favor-da-Amazonia-7a80e61c">Lula et Petro ont ainsi déclaré vouloir élaborer</a> « un grand pacte pour sauver la forêt amazonienne au bénéfice de toute l’humanité ». <a href="https://www.infobae.com/america/agencias/2023/01/19/colombia-anuncia-en-davos-una-cumbre-de-paises-amazonicos-para-mayo/">Un sommet des pays amazoniens vient d’être annoncé à Davos pour mai 2023</a> afin de structurer la proposition diplomatique en cours de formation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="forêt au bord du fleuve Amazonie" src="https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Paysage d’Amazonie à l’ouest de Manaus, au Brésil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Amazonie#/media/Fichier:Amazonie.jpg">LecomteB/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Yasuní-ITT », le précédent équatorien</h2>
<p>Mais le président colombien n’est pas le premier à formuler une proposition en ce sens, ce que nous tenons à rappeler ici. L’idée d’un fonds abondé tous les ans pendant vingt ans est sans aucun doute inspirée de la proposition équatorienne avortée il y a dix ans, l’initiative Yasuní ITT. Les similitudes sont en effet nombreuses.</p>
<p>Issue des rangs de la gauche sud-américaine, sous le gouvernement de Rafael Correa, cette dernière suggérait aussi un fonds multilatéral pour compenser l’absence d’exploitation du pétrole sur une partie des zones d’exploitation du parc naturel et territoire indigène Yasuní. L’Équateur voulait également abonder le fonds pour moitié, car l’initiative était fondée sur la valorisation de la non-exploitation de pétrole : il s’agissait alors d’abonder pendant 13 ans un fonds à raison d’environ 540 millions de dollars par an. Cette valorisation de l’absence d’exploitation pétrolière était présentée par la diplomatie équatorienne comme nécessaire, afin de protéger l’Amazonie.</p>
<p>Le même esprit se retrouve dans le <a href="https://www.cancilleria.gov.co/newsroom/news/presidente-petro-aseguro-cop-27-egipto-enfrentar-crisisclimatica-solucion-mundo">discours de Gustavo Petro à la COP égyptienne</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il est temps de dévaloriser l’économie des hydrocarbures en s’appuyant sur des dates définies pour sa fin, et valoriser les branches de l’économie décarbonée. La solution est un monde sans pétrole et sans charbon ».</p>
</blockquote>
<h2>Des stratégies internationales différentes</h2>
<p>Dans un cas comme l’autre, ces diplomaties mettent en avant la <a href="https://www.cancilleria.gov.co/newsroom/news/presidente-petro-aseguro-cop-27-egipto-enfrentar-crisisclimatica-solucion-mundo">responsabilité des structures économiques capitalistes dans le désastre écologique actuel</a> : « la décarbonation est un changement réel et profond du système économique qui domine. C’est l’heure de l’humanité, et non des marchés ».</p>
<p>La différence substantielle se trouve dans la stratégie mise en place au niveau international. L’Équateur avait fait le choix osé de s’adresser d’emblée au monde entier en demandant que les pays du Nord et leurs entreprises transnationales soient les premiers à contribuer à la non-exploitation du pétrole en Amazonie. La stratégie de la Colombie semble être une fusée à deux étages : d’abord constituer une alliance multilatérale entre pays amazoniens, ensuite renforcer cette demande internationale.</p>
<p>Notons que la Colombie a d’ores et déjà acquis une forme de <em>leadership</em> régional à ce sujet, comme le suggère l’obtention par ce pays de 73,5 millions de dollars versés par la Banque internationale de développement <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/bid-anuncia-apoyo-de-73-millones-de-dolares-al-gobierno-de-gustavopetro-para-proteger-la-amazonia/202321/">pour la protection de l’Amazonie et la transition énergétique</a>.</p>
<h2>L’importance géopolitique de la proposition</h2>
<p>Dans le cadre d’une diplomatie multilatérale sur le climat et la biodiversité assez atone, compte tenu de l’immensité des enjeux posés par le changement climatique et la sixième extinction de masse des espèces, le mouvement opéré par la Colombie sur la scène internationale est à suivre de près.</p>
<p>Au niveau régional, l’Amérique du Sud peut présenter comme fer de lance d’une conception de la justice climatique que contenait déjà l’initiative équatorienne échouée en 2013. La France, qui compte parmi les territoires amazoniens, à partir de la Guyane française, aurait tout intérêt à participer de ce renouveau sud-américain de la diplomatie climatique.</p>
<p>En ce début d’année, la Norvège, <a href="https://www.rfi.fr/es/programas/grandes-reportajes-de-rfi/20221226-colombia-proponen-creaci%C3%B3n-deun-fondo-en-la-amazon%C3%ADa-para-proteger-los-bosques">qui avait suspendu le versement de 500 millions d’euros au Brésil</a> sous le mandat de Jair Bolsonaro, l’a rétabli, dans le cadre du fonds Amazonie brésilien. Le renforcement de la gauche sud-américaine donne l’occasion d’ouvrir une nouvelle page de la géopolitique du climat.</p>
<p>Avec la proposition colombienne de fonds multilatéral pour l’Amazonie renaît un principe offrant un contenu effectif à l’idée de justice climatique. Une telle démarche diplomatique est de nature à crédibiliser encore davantage les propositions émises en la matière depuis cette partie du globe. Souhaitons qu’elles soient entendues, discutées et prises au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198527/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Par honnêteté intellectuelle, je tiens à souligner que la renaissance de cette initiative m’a été signalée lors d’un colloque sur la souveraineté, tenu à l’IEP de Paris, par Pierre Charbonnier. </span></em></p>Le président colombien a relancé à l’occasion de la COP27 l’idée d’un fonds multilatéral pour l’Amazonie. Une idée prometteuse, qui revient de loin.Pierre-Yves Cadalen, Docteur en science politique - relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963482022-12-15T18:17:24Z2022-12-15T18:17:24ZLe régime péroniste, racine du déclin économique de l’Argentine<p>Il y a un peu plus de 50 ans, le 17 novembre 1972, Juan Domingo Perón débarque à la surprise générale d’un vol Alitalia sur le tarmac de Buenos Aires. Mis au défi de fouler à nouveau le sol argentin par le général Alejandro Agustín Lanusse alors à la tête du pays, et ce afin de se présenter aux élections à venir, l’ancien chef d’État (1946-1955), contraint à l’exil mais profitant des relatives marques d’ouverture du clan rival, faisait son grand retour, objet d’un <a href="https://www.clarin.com/politica/libro-revelaciones-regreso-juan-domingo-peron-1972_0_iOGdN5RW45.html">livre récent</a> du journaliste Pablo Mendelevitch. Il retrouvera la présidence du pays le 12 octobre 1973, qu’il laisse à sa mort quelque mois plus tard le 1<sup>er</sup> juillet 1974.</p>
<p>Récemment, l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/argentine-45194">Argentine</a> a célébré, comme chaque 17 novembre le « Día de la militancia », jour de la militance, en mémoire de l’« opération retour » par laquelle les militants ont permis la réapparition au pays de ce personnage toujours autant influent que clivant. Preuve en est la <a href="https://www.clarin.com/politica/alberto-fernandez-respondio-maximo-kirchner-cita-peron-companero-empieza-criticar-deja-peronista-_0_SwC2qif16f.html">sortie</a> de l’actuel président, Alberto Fernandez, qui, pris dans une polémique avec le fils de sa vice-présidente du même camp, Cristina Kirchner, répond :</p>
<blockquote>
<p>« Perón nous apprend que lorsqu’un camarade parle mal d’un autre, il cesse d’être péroniste ».</p>
</blockquote>
<p>Les passages au pouvoir de cette dernière et de son mari Nestor ont pu d’ailleurs volontiers être qualifiés de <a href="https://www.abebooks.fr/%C3%BAltimo-peronista-cara-oculta-Kirchner.---Ensayo/16032909695/bd">« néo-péronisme »</a>. Sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/07/argentine-condamnation-historique-de-cristina-kirchner-a-six-ans-de-prison_6153358_3210.html">condamnation</a> le 6 décembre à six années de prison assorties d’une interdiction à vie d’exercer un emploi public n’en finit pas d’animer le débat public. Le Président lui-même dénonce ce qu’il considère comme la condamnation d’une innocente.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600275973068722176"}"></div></p>
<p>Personnage majeur de l’histoire politique auquel on continue de se référer en bien ou en mal, instigateur du « justicialisme », celui que ses opposants avaient fini par surnommer <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/07/02/il-y-a-quinze-ans-la-mort-du-general-juan-domingo-peron_4142159_1819218.html">« Pocho »</a> semble également avoir laissé une trace indélébile dans l’histoire économique du pays. Pas forcément pour le mieux. Pour le dire avec des mots d’économistes, il s’agirait d’un « moment critique » toujours influent par un phénomène de « dépendance de sentier ». C’est la conclusion que nous tirons d’un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41294-022-00193-4">papier de recherche</a> publié récemment.</p>
<p>Au début du XX<sup>e</sup> siècle, l’avenir de l’Argentine semblait radieux. On parlait même de « miracle argentin » et l’on prête cette phrase, sans doute <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41294-022-00193-4#ref-CR27">apocryphe</a>, au prix « Nobel » d’économie Simon Kuznets : « dans le monde, il y a quatre types de pays : les pays développés, les pays sous-développés, le Japon et l’Argentine ». Pays bien intégré à l’économie mondiale, aux avantages comparatifs certains, où la démocratie semble relativement solide, à la politique d’éducation jugée exemplaire par une <a href="https://www.oecd.org/fr/dev/ameriques/etudesducentrededeveloppementlargentineauXXesieclechroniquedunecroissanceannoncee-resume.htm">note de l’OCDE</a> et aux investissements pertinents, il suit, au moins jusqu’à la crise des années 1930, une dynamique de croissance remarquable.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Aujourd’hui, les difficultés sont légion et le pays peine à renouer avec les promesses passées. Il y a notamment eu, au début des années 2000, une terrible crise économique. Plus proche de nous, la crise du Covid a davantage impacté l’Argentine que ses voisins, avec un taux de pauvreté passant de 35,5 à 42 % au cours de l’année 2020 selon l’institut national des statistiques et une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/04/28/on-travaille-davantage-et-on-gagne-moins-en-argentine-les-travailleurs-de-l-economie-informelle-frappes-par-l-inflation_6124056_3234.html">inflation</a> en 2021 de l’ordre de 50 %.</p>
<p>La question de savoir ce qui en un siècle a mal tourné fait l’objet d’une grande attention de la part des chercheurs : les causes de ce déclin et les explications à ce paradoxe argentin restent un sujet de débat intense.</p>
<h2>Changements institutionnels</h2>
<p>Une source majeure, si ce n’est la principale, pour expliquer la dynamique économique d’un pays réside dans la qualité de ses institutions. C’est une des leçons que l’on peut tirer des travaux du « Nobel » Douglas North, repris ensuite par <a href="https://link.springer.com/article/10.1023/B:JOEG.0000031425.72248.85">Dani Rodrik</a> encore Daron Acemoglu et James Robinson. Ces deux derniers, professeurs respectivement au MIT et à l’université de Chicago, mettent notamment en évidence les destinées différentes des anciennes colonies selon le modèle imposé par les métropoles, qu’il repose ou non sur <a href="https://ens-paris-saclay.fr/lecole/prix-et-distinctions/docteur-honoris-causa/daron-acemoglu">l’extraction de ressources naturelles</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500155/original/file-20221210-58047-ffnxf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Juan Bautista Alberdi, père de la Constitution de 1853.</span>
<span class="attribution"><span class="source">William George Helsby</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est par les institutions que nous tentons donc de comprendre l’histoire économique de l’Argentine. Pour se débarrasser de l’héritage de la colonisation espagnole et après une longue période de violence et d’instabilité, l’Argentine finit par adopter en 1853 une Constitution largement inspirée de celle des États-Unis. Celui qui en est à l’origine avec son <a href="https://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/bases-y-puntos-de-partida-para-la-organizacion-politica-de-la-republica-argentina--0/html/ff3a8800-82b1-11df-acc7-002185ce6064_8.html">ouvrage</a> <em>Bases y puntos de partida para la organización politica de la republica argentina</em> publié un an auparavant, Juan Bautista Alberdi, a voulu penser un modèle libéral, imprégné de libertés économique et de la <em>rule of law</em>, élément considéré <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/261555">nécessaire</a> au développement.</p>
<p>Elle reste l’épicentre de la vie du pays, jusqu’au moins aux années 1930. Durant la crise qui frappe le monde entier, le pays subit un premier coup d’État militaire, celui du général José Félix Uriburu, initiant une « décennie infâme ». Le cadre propice à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/croissance-economique-21197">croissance</a> s’en trouve <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/016001799761012334">fragilisé</a>, en particulier du fait de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0165176507004272?via%3Dihub">l’instabilité politique</a> qui en résulte pour près d’un demi-siècle.</p>
<p>Une date ressort néanmoins particulièrement dans nos travaux : 1943. Cette année-là, un nouveau coup d’État ouvre le chapitre suivant de l’histoire argentine. Le colonel Juan Domingo Perón, 48 ans, devient alors secrétaire au Travail et à la Prévoyance, fonction qu’il cumule ensuite avec celle de ministre de la Guerre. Proche des syndicats, il met en place toute une série de réformes lui conférant une grande popularité qui le propulse bientôt Président en 1946. L’économie devient petit à petit subordonnée à son projet politique avec notamment la nationalisation de la banque centrale et de grandes industries privées et une politique commerciale particulièrement protectionniste.</p>
<h2>Au niveau de l’Espagne</h2>
<p>Une nouvelle Constitution a été approuvée en 1949 et prend véritablement à contrepied le modèle alberdien. Elle n’est que la concrétisation de réformes déjà entreprises par celui qui sera renversé en 1955. La Constitution est alors abrogée mais une rupture durable semble bien avoir eu lieu. L’<a href="https://leyes-ar.com/constitucion_nacional/14%20bis.htm">article 14 bis</a> sur les droits des travailleurs du texte lui succédant reste, par exemple, un héritage direct de l’époque Perón.</p>
<p>Dans nos travaux nous faisons apparaître cette rupture grâce à la méthode de la double différence. Elle vise à répondre à la question : que serait devenue l’Argentine sans les réformes menées par Juan Perón ? Comme on ne peut l’observer directement, nous avons construit ce que l’on appelle un <a href="https://business.baylor.edu/scott_cunningham/teaching/abadie-and-gardeazabal-2003.pdf">contrefactuel</a>. En combinant plusieurs variables et 58 pays, nous avons construit une sorte d’« Argentine bis », qui suit une trajectoire parallèle à la « vraie Argentine » jusqu’en 1943.</p>
<p><iframe id="7iDr9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/7iDr9/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En simulant la suite, nous observons un véritable décrochage à partir de cette date, à tel point que le PIB par habitant de l’Argentine à la fin de notre période d’échantillonnage est inférieur d’environ 30 %. L’Argentine aurait été en 2015, même s’il faut rester prudent avec les simulations, au niveau de pays de l’Union européenne tels que l’Espagne ou de la Slovénie. L’impact ne semble en effet pas cantonné simplement à la période péroniste ni ne s’achève avec le putsch des généraux de 1976, renversant Isabel Perón qui avait pris la suite de son défunt époux.</p>
<p>Les résultats restent solides lorsque l’on utilise différente « Argentine bis » et survivent à une batterie de contrôles placebo dans l’espace et dans le temps. Bien que les épisodes de gouvernance populiste puissent être de courte durée, les dommages économiques à long terme infligés par les politiques économiques et les réformes institutionnelles populistes peuvent ainsi bel et bien s’avérer élevés et durables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196348/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maximiliano Marzetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les passages au pouvoir de Juan Domingo Perón ont été accompagnés d’une série de réformes populistes dont les effets sur l’économie se font encore sentir aujourd’hui.Maximiliano Marzetti, Assistant Professor of Law, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929082022-10-24T17:22:56Z2022-10-24T17:22:56ZLamas et alpagas, l’or des Andes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490876/original/file-20221020-24-zn88rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C43%2C3620%2C2686&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lamas meneurs d’une caravane (localement appelé delanteros).</span> <span class="attribution"><span class="source">Nicolas Goepfert</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>L’expression « l’or des Andes » est tirée de l’ouvrage éponyme de Jorge Flores Ochoa, Kim Mac Quarrie et Javier Portus (édité en 1994 aux éditions Jordi Blassi à Barcelone) portant sur les quatre espèces de camélidés sud-américains, à savoir le guanaco, la vigogne, le lama et l’alpaga. Comment ces animaux héritèrent d’un titre aussi élogieux, alors que d’autres figures animales du bestiaire andin comme le condor et le puma tiennent une place plus emblématique dans l’imaginaire commun ? Les raisons sont diverses, mais la principale tient au fait que ces camélidés, et en particulier les deux taxons domestiques que sont le lama (<em>Lama glama</em>) et l’alpaga (<em>Vicugna pacos</em>), sont deux acteurs fondamentaux du développement des sociétés préhispaniques (ou précolombiennes) des <a href="https://www.pourlascience.fr/sr/livres/l-atlas-de-l-amerique-precolombienne-23959.php">Andes</a>.</p>
<p>Par Andes, nous entendons à la fois un espace géographique et culturel qui inclut la célèbre cordillère, mais aussi la côte qui est un long espace désertique pris entre l’océan Pacifique à l’ouest et le piémont montagneux à l’est.</p>
<p>Ces camélidés, par l’intermédiaire des caravanes de lamas, ont permis les échanges à grande distance, non seulement entre la côte, les hautes altitudes et l’Amazonie, mais aussi entre différentes latitudes. Ils faisaient partie d’un système appelé <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1981_num_81_1_2654">verticalité andine</a> qui permettait l’échange de produits entre différentes écozones, les poissons et coquillages marins étant par exemple troqués contre des pommes de terre et autres tubercules andins.</p>
<p>Les caravanes constituaient ainsi un lien dynamique entre les différentes sociétés qui peuplaient les Andes avant l’arrivée des Européens. Les camélidés n’ont pas servi uniquement de bête de somme, car toutes les parties de leur corps étaient utilisées à l’instar de leur viande pour l’alimentation, des fibres pour les textiles ou encore des ossements pour fabriquer des outils. Ils étaient également utilisés dans nombre de rituels funéraires et sacrificiels et constituent encore aujourd’hui une des principales offrandes dans les actes propitiatoires des communautés actuelles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490880/original/file-20221020-23-n69zo9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Offrande rituelle (<em>mesa</em>) avec le dépôt du cœur d’un lama sacrifié.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Goepfert</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un défi pour les chercheurs</h2>
<p>Seuls grands vertébrés domestiqués il y a plus de 4 000 ans dans les Amériques, ils représentent un véritable défi pour les chercheurs travaillant dans cette aire culturelle. En effet, en étant au centre des pratiques socio-économiques et religieuses des sociétés du passé, ils ont été très vite associés à des idées reçues qu’il convient aujourd’hui de déconstruire.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Une des idées les plus tenaces concerne leur origine géographique. Leur présence sur la côte péruvienne est attestée depuis le début de notre ère sur de nombreux sites archéologiques des moyennes vallées et du désert de la côte pacifique, alors qu’ils ont aujourd’hui totalement disparu de cet environnement suite à la conquête espagnole au XVI<sup>e</sup> siècle. Pour autant, leur présence dans cet espace n’est pas quelque chose de « naturel », au sens où leurs foyers de domestication (haut plateaux de Junin au Pérou, sud du lac Titicaca en Bolivie, nord du Chili et nord-ouest de l’Argentine) et habitats actuels se trouvent tous en altitude et pour certains à plus de 4 000 m au-dessus du niveau de la mer.</p>
<p>Espèces résolument d’altitude, les lamas et alpagas ont su, au fil du temps, s’adapter à d’autres environnements, d’autres paysages et territoires, à d’autres climats et une autre végétation. Ce processus complexe, sous contrôle des humains, a pris plusieurs centaines d’années et est resté longtemps mal compris du fait d’un postulat visant à les circonscrire aux hautes altitudes. Le développement depuis une vingtaine d’années des <a href="https://journals.openedition.org/techne/1090">analyses isotopiques</a> dans l’aire andine ont permis de mieux comprendre les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0278416514000609?via%3Dihub">pratiques pastorales</a> et la gestion des troupeaux par les sociétés anciennes. Ces analyses nous apprennent notamment que ces animaux ont été élevés <a href="https://journals.plos.org/plosone/article/comments?id=10.1371/journal.pone.0087559">à basse altitude et affouragés en maïs</a>, peut-être pour suppléer une végétation côtière plus pauvre. Le contrôle humain a été tel que le maïs est devenu la composante principale de leur alimentation et atteint à la période chimú (900-1470 de notre ère) pas loin de 70 % des plantes consommées par les camélidés.</p>
<h2>Sacrifice humain et animal de grande ampleur</h2>
<p>Cette période est particulièrement intéressante, car elle voit l’exécution du sacrifice humain et animal dans des proportions jamais atteintes auparavant. Les récentes découvertes sur les sites de Huanchaquito–Las Llamas et Pampa la Cruz renouvellent considérablement nos connaissances sur ces pratiques rituelles jugées si particulières pour nos sociétés contemporaines. Objet du documentaire <a href="https://pariscience.fr/seance/perou-sacrifices-au-royaume-de-chimor/"><em>Pérou, sacrifices au royaume de Chimor</em></a>, ces sacrifices occupaient une place centrale pour les sociétés de la côte nord du Pérou.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490878/original/file-20221020-1663-3nt7ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Localisation des sites archéologiques de Huanchaquito-Las Llamas et Pampa la Cruz.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Goepfert</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le sacrifice d’enfants et de camélidés devait constituer un moment fort pour ces sociétés, unissant ses différentes composantes autour de dons d’une valeur si importante. La temporalité et les circonstances (pour ne pas parler de causes) varient en fonction des sites : suivant une fréquence inégale peut-être cyclique en lien avec un calendrier rituel à Pampa la Cruz, ces sacrifices répondaient davantage à l’existence d’un évènement climatique catastrophique de type El Niño à Huanchaquito-Las Llamas.</p>
<p><a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0211691">Sacrifiés en masse sur ce dernier site</a> (137 enfants, 3 adultes et 206 camélidés), ils ont été rassemblés en petits groupes sur l’autre pour atteindre là encore plusieurs centaines d’individus. Quelle place occupaient les camélidés aux côtés des enfants et adolescents mis à mort sur ces sites ? <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14614103.2018.1541956?journalCode=yenv20">Choisis pour leur jeune âge, pour la couleur de leur pelage</a> et peut-être pour leur sexe (des analyses ADN nous apporteront prochainement des réponses), les camélidés domestiques accompagnaient ces jeunes défunts dans leur voyage vers l’inframonde.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490895/original/file-20221020-1694-jmfqr7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">camélidé sacrifié sur le site de Huanchaquito-Las Llamas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Goepfert</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’autres analyses nous renseignent sur les activités autour de ces sacrifices. La biogéochimie isotopique nous indique premièrement que les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01968634/document">spécimens immolés provenaient de différents troupeaux</a>, suggérant ainsi une gestion ordonnée des victimes sacrificielles animales. L’identification microscopique de grains d’amidon montre qu’un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03498828/document">menu spécifique</a> (incluant piment et manioc) leur a été donné peu de temps avant leur mort. Enfin, la présence d’<a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02190007/file/2019-Le%20Bailly%20et%20al..pdf">animaux parasités</a> indique des animaux malades ont pu être sacrifiés aux côtés d’autres spécimens sains.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=597&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=597&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490879/original/file-20221020-18-f7n2v1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=597&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue générale du sacrifice de masse de Huanchaquito–Las Llamas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Goepfert</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La variété des pratiques rituelles nous est progressivement révélée par la multiplication des analyses et grâce à une conservation des vestiges qui est exceptionnelle. Pourtant, un domaine reste encore largement inexploré. En effet, l’identification au niveau de l’espèce est impossible à partir des restes osseux, tant les quatre taxons sont proches ostéologiquement. Celle-ci reste difficile à obtenir même avec l’ADN ancien. Aussi, un nouveau champ d’investigations s’ouvre avec la <a href="https://www.inserm.fr/dossier/proteomique/">paléoprotéomique</a> qui étudie l’ensemble des protéines d’un organisme, et dans ce cas précis, des restes archéologiques. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1874391920304085?via%3Dihub">De premiers résultats</a> montrent toute la difficulté d’identifier au niveau de l’espèce les spécimens archéologiques, mais ouvrent une nouvelle voie de recherche très prometteuse qui peut s’appliquer aussi bien à l’os qu’aux fibres. Au-delà de l’identification des espèces, qui est en soi un défi, ces données apportent surtout des informations sur les choix culturels réalisés par les sociétés anciennes au moment des sacrifices.</p>
<p>La sphère rituelle n’est jamais éloignée de la sphère économique et domestique. Avant de pouvoir sacrifier des centaines de bêtes, les Chimús ont dû élever ces animaux dans un environnement qui n’était pas, du moins au début, familier. Ils bénéficiaient tout de même de l’héritage des sociétés les ayant précédés comme les Mochicas ou Lambayeque-Sicán.</p>
<p>L’expérience menée avec des lamas près du réservoir de Tinajones (vallée de Lambayeque, côte nord du Pérou) montre qu’il n’est pas si évident d’introduire (et ici réintroduire) des espèces dans un environnement si différent de celui de la cordillère. Une végétation plus pauvre et des conditions climatiques plus chaudes ont obligé les éleveurs à adapter leurs pratiques à la spécificité des camélidés par rapport à leurs habitudes et leurs différences avec les espèces européennes (cheval, bœuf, mouton, cochon, entre autres). Avec la désertification et l’aridification croissante de nombreuses zones dans le monde, nous avons tout à apprendre des modalités d’adaptation de ces espèces à un environnement désertique considéré, a priori, comme peu hospitalier pour leur élevage.</p>
<hr>
<p><em>Retrouvez Nicolas Goepfert au festival Pariscience le vendredi 28 octobre 2022 à l’issue de la diffusion du film documentaire <a href="https://pariscience.fr/seance/perou-sacrifices-au-royaume-de-chimor/">« Pérou, sacrifices au royaume de Chimor de Jérôme Scemla »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Goepfert a reçu des financements de l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), du CNRS (PEPS) et du MNHN (ATM)</span></em></p>Seuls grands vertébrés domestiqués il y a plus de 4 000 ans dans les Amériques, ils représentent un véritable défi pour les chercheurs travaillant dans cette aire culturelle.Nicolas Goepfert, Chargé de recherche, archéologie des Amériques (UMR 8096), CNRS-Université Paris 1 Pantéhon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917502022-10-20T15:12:52Z2022-10-20T15:12:52ZL’élection brésilienne vue de Chine<p>Alors que <a href="https://www.lopinion.fr/international/le-bresil-tremble-pour-son-election-presidentielle">l’élection présidentielle brésilienne</a> va bientôt connaître son dénouement, il est utile, <a href="https://thediplomat.com/2022/09/brazils-china-heavy-election/">pour en comprendre la portée internationale</a>, d’analyser la relation toujours plus étroite que Brasilia entretient avec Pékin.</p>
<p>Depuis 2009, la Chine est, devant les États-Unis, le <a href="https://france-ameriques.org/video/la-montee-en-puissance-de-la-chine-en-amerique-latine-et-ses-implications-pour-lavenir-du-sous-continent/">premier partenaire commercial du Brésil</a>, tandis que ce dernier est le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-amerique-latine-nouvelle-terre-de-conquete-pour-la-chine-20220206">premier partenaire de la Chine en Amérique latine</a>.</p>
<p>Les rapports entre les deux géants, <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/09/20/le-non-alignement-nouveau-levier-de-negociation-des-brics/">tous deux membres du groupe des BRICS (avec l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud)</a>, illustrent parfaitement <a href="https://static.lefigaro.fr/eidos-infographies/webINTER_202205_CL_chine_amerique_latine/html/webINTER_202205_CL_chine_amerique_latine.html">l’asymétrie des liens</a> entre, d’une part, une Chine à la puissance économique sans cesse croissante depuis trois décennies et, d’autre part, les pays et les sociétés non occidentales, où la RPC investit largement.</p>
<h2>Des liens récents mais désormais très étroits</h2>
<p>Les relations diplomatiques entre les deux pays <a href="https://www.revueconflits.com/bresil-chine-relations-brics-michel-nazet/">sont officialisées en 1974</a>, en pleine guerre froide, au lendemain de l’admission de la Chine à l’ONU et durant la dictature militaire brésilienne.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Si les relations sont très limitées depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, les années 1980 et 1990 vont changer la donne. <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">L’insertion accélérée de la Chine dans la mondialisation</a> induit une recomposition des liens politiques, commerciaux et diplomatiques. L’ascension progressive des <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/09/30/chine-amerique-latine-quand-pekin-exploite-larriere-cour-americaine/">intérêts chinois en Amérique latine</a> s’affirme avec le tournant des années 2000 et l’adhésion de Pékin à l’OMC (2001). Dès lors, la Chine intensifie son emprise sur le continent, longtemps considéré comme le pré carré des États-Unis.</p>
<p>Pékin développe <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/comment-la-chine-a-fait-main-basse-sur-l-amerique-latine_2164510.html">sa stratégie latino-américaine</a> dans un triple objectif : diversifier ses sources d’approvisionnement en ressources naturelles et agricoles ; incarner un leadership non occidental en matière de développement ; et étouffer Taïwan.</p>
<p>En 2008, la Chine publie son <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ramses2020_nardon.pdf">Livre Blanc des relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes</a>. Le Brésil, plus grand pays d’Amérique latine, et dont les dimensions démographique et géographique peuvent laisser penser qu’il a les moyens d’entretenir une <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2014-2-page-151.htm">« relation équilibrée »</a> avec la Chine, sera au cœur des ambitions de Pékin dans la région.</p>
<p>Le partenariat bilatéral signé en 1994 a été converti en partenariat stratégique en 2004 et enfin en <a href="https://www.istoebresil.org/post/le-br%C3%A9sil-et-la-chine-l-avenir-d-une-relation-1">« partenariat stratégique mondial » en 2012</a>. Dès le milieu des années 2000, la Chine est présente dans tous les secteurs (agriculture, transports, extraction, spatial, finance, etc.) et dépasse en tant que partenaire commercial les <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2015-1-page-299.htm">historiques grands partenaires du Brésil que sont les États-Unis et les pays européens)</a>.</p>
<p>La progression est d’une rapidité impressionnante et se concrétise sous les mandatures de gauche au Brésil (Lula puis Rousseff). En 2000, la Chine représente 2 % des exportations du Brésil. En 2020, ce ratio est passé à <a href="https://www.istoebresil.org/post/le-br%C3%A9sil-dans-l-orbite-de-l-empire-du-milieu">33 %, pour un volume total de 68 milliards de dollars</a>. Idem pour les importations brésiliennes en provenance de Chine : 2 % du total en 2000 et plus de 21 % en 2020, devant les États-Unis (17 %) et l’UE (19 %). Globalement, entre 2000 et 2020, le volume des échanges de marchandises <a href="https://www.areion24.news/2020/01/15/quand-la-chine-sinstalle-en-amerique-latine/">passe de 12 milliards à plus de 137 milliards de dollars</a>.</p>
<p>D’un côté, les <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/BR/commerce-exterieur-du-bresil">exportations brésiliennes</a> sont très largement dominées par des ressources naturelles et agricoles (à faible valeur ajoutée) : l’agrobusiness représente près de 40 % (soja à 35 %, viandes, etc.), les autres produits exportés se répartissent entre les minerais (25 %) et le pétrole (17 %). De l’autre, les importations brésiliennes en provenance de Chine sont très concentrées sur des <a href="https://www.cnccef.org/wp-content/uploads/2021/03/LA-LETTRE-DE-LA-CHINE-HORS-LES-MURS-39.pdf">produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée</a>.</p>
<h2>L’« effet Chine » au Brésil</h2>
<p>Les observateurs et analystes des relations sino-brésiliennes ont rapidement mis en évidence un <a href="https://bdtd.ibict.br/vufind/Record/USIN_f06942acacaad33c7aa11f766e24a926">« effet Chine » (<em>efeito China</em>)</a> au Brésil.</p>
<p>Plus d’une quinzaine de consortiums d’État chinois (Sinopec, ChemChina, BYD, CNOOC, COFCO, CGN, etc.) ont investi <a href="https://www.istoebresil.org/post/le-br%C3%A9sil-dans-l-orbite-de-l-empire-du-milieu-1">dans la plupart des régions brésiliennes</a>, les quelques exceptions étant les zones d’Amazonas, Acre, Rondônia ou Pernambouc. Ces investissements se sont accélérés sous la mandature de <a href="https://www.reuters.com/article/china-presidente-estabilidade-brasil-idBRKCN1181B7">Michel Temer (2016-2018)</a>, sans pour autant que le Brésil, contrairement à son <a href="https://thediplomat.com/2022/02/argentina-joins-chinas-belt-and-road/">voisin argentin</a>, ne signe de mémorandum dans le cadre du projet <em>Belt and Road Initiative</em>. Lors du mandat de Jair Bolsonaro, qui démarre en 2018, les relations vont se poursuivre, notamment dans le domaine de l’exportation des matières premières, et ce, malgré la pandémie qui suscite quelques tensions entre les deux pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1392022018904793092"}"></div></p>
<p>Les investissements concernent surtout l’énergie (pétrole, hydroélectricité, électricité), mais aussi les <a href="https://www.futuribles.com/fr/article/le-super-port-dacu-ou-lautoroute-chine-bresil/">infrastructures de transports ou des ports</a>. Deux groupes chinois jouent un <a href="https://www.cnccef.org/wp-content/uploads/2021/03/LA-LETTRE-DE-LA-CHINE-HORS-LES-MURS-39.pdf">rôle particulièrement prégnant</a> dans ces investissements : State Grid, pour l’électricité et les réseaux (50 % des actifs au Brésil), articulée à China Telecom et China Mobile ; et Three Gorges pour les barrages (60 % des actifs au Brésil).</p>
<p>Les banques chinoises (China Development Bank, Bank of China, EximBank, ICBC) octroient des prêts colossaux (plus de 30 milliards de dollars comptabilisés en 2020) au secteur pétrolier brésilien (compagnie Petrobras) <a href="https://www.istoebresil.org/post/le-br%C3%A9sil-dans-l-orbite-de-l-empire-du-milieu-3">suite à la découverte de gisements offshore</a>. Très vite, les opérateurs chinois vont s’associer à Petrobras dans l’exploration et l’exploitation, ainsi que dans le soutien à la livraison d’infrastructures pétrolières.</p>
<p>Selon plusieurs études, confirmées par les industriels brésiliens, la rapidité des échanges et l’augmentation des importations chinoises du Brésil ont <a href="https://www.herodote.org/spip.php?article995">renforcé la désindustrialisation du pays</a>. À titre d’exemple, les exportations de produits manufacturés du Brésil ont diminué de moitié entre 2005 et 2021. On assiste à une <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-4-page-153.htm">« re-primarisation » de l’économie du géant</a> latino-américain, sur fond de <a href="https://www.cairn.info/revue-problemes-d-amerique-latine-2015-3-page-95.htm">forte dépendance à l’exportation de quelques produits agricoles et miniers</a>.</p>
<p>Si en 2004 la création de la <a href="https://www.gov.br/mre/en/contact-us/press-area/press-releases/sixth-meeting-of-the-sino-brazilian-high-level-commission-for-consultation-and-cooperation-cosban-may-23-2022">Commission sino-brésilienne de Concertation et Coopération (COSBAN)</a> a contribué à l’intensification du partenariat économique, les relations se sont élargies, depuis l’émergence des BRICS à la fin des années 2000, à de nombreux autres domaines, notamment les médias, le militaire ou encore le spatial.</p>
<p>L’influence de Pékin s’est structurée et diversifiée. On compte un peu plus d’une dizaine d’Instituts Confucius (dont le premier à l’Université de Sao Paulo) <a href="https://www.istoebresil.org/post/le-br%C3%A9sil-dans-l-orbite-de-l-empire-du-milieu-4">dispersés sur l’ensemble du territoire brésilien</a>. La promotion de l’apprentissage du mandarin et l’intensification de réseaux divers (régions, chambre de commerce, partis politiques, etc.), <a href="https://www.researchgate.net/publication/274674618_Les_defis_de_l%E2%80%99influence_de_la_Chine_sur_le_developpement_du_Bresil">jusqu’au lobbying</a> pour la promotion des échanges entre les deux pays et d’une image attractive et bonifiée de la Chine, ont marqué les deux dernières décennies. Ainsi, la diaspora chinoise au Brésil s’est accrue, <a href="https://theconversation.com/la-tranquille-penetration-chinoise-en-amerique-latine-et-cara-bes-102277">surtout dans les grandes métropoles et dans les villes portuaires</a>, tandis que des Brésiliens se sont installés en Chine, dont bon nombre sont cependant partis avec la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Enfin, dans sa stratégie internationale, le <a href="https://www.istoebresil.org/post/le-br %C3 %A9sil-dans-l-orbite-de-l-empire-du-milieu-4">groupe Huawei</a> a su diversifier ses activités et intensifier sa présence au Brésil dans divers domaines : <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/telecoms-pourquoi-le-chinois-huawei-veut-grandir-dans-les-cables-sous-marins-626277.html">câbles sous-marins</a>, équipements et infrastructures, ventes d’appareils jusqu’à la fourniture de la 5G, ce qui a provoqué des <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/5g-les-etats-unis-avertissent-le-bresil-de-consequences-s-il-choisit-huawei-20200729">pressions américaines</a>… Rappelons que les Brésiliens sont, derrière les Chinois, les seconds utilisateurs de l’application <em>TikTok</em>, qui suscite de nombreuses questions en <a href="https://restofworld.org/2022/tiktok-competitor-kwai-brazil/">matière de protection des données</a>.</p>
<h2>L’avenir d’une relation déséquilibrée</h2>
<p>Le <a href="https://veja.abril.com.br/economia/china-entra-em-desaceleracao-e-pode-prejudicar-planos-para-brasil-em-2023/">ralentissement économique chinois</a>, le rôle et <a href="https://www.letemps.ch/economie/reunis-pekin-brics-refusent-un-monde-unipolaire">l’avenir des BRICS</a>, notamment dans un contexte marqué par la <a href="https://www.estadao.com.br/internacional/os-riscos-da-neutralidade-do-brasil-leia-a-coluna-de-oliver-stuenkel/">guerre en Ukraine</a> et les <a href="https://dialogochino.net/en/trade-investment/57801-opinion-china-brazil-amazon-global-integration/">vulnérabilités (environnementales, économiques et sociales)</a> du Brésil sont autant de défis pour le prochain mandat qui commencera à partir de janvier 2023.</p>
<p><a href="https://foreignpolicy.com/2022/09/22/brazil-election-china-economy-brics-bolsonaro-lula/">Les observateurs sont divisés</a> sur l’identité du <a href="https://valor.globo.com/mundo/noticia/2022/09/04/lula-e-bolsonaro-alimentam-expectativas-sobre-china-e-acordo-ue-mercosul.ghtml">candidat préféré par Pékin</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2020-03-19/Covid-19-la-polemique-enfle-entre-le-bresil-et-la-chine">déclarations incendiaires de Bolsonaro</a> à l’égard de la RPC (accusations de pillage des ressources et d’emplois, puis critiques en lien avec la pandémie) n’ont pas remis en question la re-primarisation de l’économie du Brésil, et divers acteurs économiques et politiques dans les régions, notamment au Nordeste, restent fortement <a href="https://brazilian.report/opinion/2022/09/22/chinese-communist-party-congress-brazil/">dépendants à l’égard de la Chine</a>.</p>
<p>Demeure la question du poids diplomatique et des <a href="https://neofeed.com.br/blog/home/artigo-as-perspectivas-para-as-relacoes-brasil-china-em-um-mundo-mais-turbulento/">ambitions du Brésil en matière de politique étrangère</a> (<a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/le-bresil-bien-decide-a-faire-une-entree-rapide-a-locde-1397445">accession à l’OCDE</a> par exemple, ou politique africaine, lien avec l’Europe et les États-Unis, place et rang dans le sous-continent). Durant la campagne, les deux candidats n’ont que très peu évoqué les sujets internationaux, en particulier les liens avec la Chine. Mais chacun a conscience des interdépendances et des fragilités de la reprimarisation. D’un côté, Lula souhaiterait exercer une diplomatie proactive au sein des BRICS et travailler plus étroitement avec les pays émergents, de l’autre Bolsonaro sait qu’il peut compter sur l’électorat de l’agrobusiness brésilien, favorable à la Chine.</p>
<p>L’issue du second tour des élections le 30 octobre prochain ne devrait pas changer en profondeur la forte dépendance et l’asymétrie de la relation bilatérale. La prochaine présidence brésilienne, quelle qu’elle soit, devra nécessairement composer avec l’influence désormais majeure que la Chine exerce sur le Brésil.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p>Quel que soit le vainqueur de la présidentielle brésilienne, il est probable que la Chine continuera de jouer un rôle majeur dans l’économie du pays, comme c’est le cas depuis maintenant vingt ans.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917442022-10-13T19:13:15Z2022-10-13T19:13:15ZL’électorat évangélique au cœur de la bataille Lula-Bolsonaro<p>Au Brésil, les <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/au-bresil-lula-et-bolsonaro-se-disputent-le-vote-des-evangeliques-84462.php">évangéliques</a>, qui représentent quelque <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=3117">30 % des citoyens</a>, sont devenus un électorat à « conquérir » coûte que coûte. Ils joueront un rôle clé dans le second tour qui opposera le président sortant Jair Bolsonaro à Lula le 30 octobre prochain.</p>
<p>Pour conserver ce socle électoral qui l’a largement soutenu avant et pendant son mandat, Jair Bolsonaro est allé en 2021 jusqu’à <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/au-bresil-un-juge-evangelique-pro-bolsonaro-a-la-cour-supreme_4866197.html">nommer un juge « très évangélique »</a> à la Cour suprême – une institution qui s’est souvent opposée à lui depuis 2018 – et, en mars de cette année, à déclarer à des leaders religieux évangéliques (des pasteurs, des évêques, etc.) qu’il « mènerait le Brésil là où ils voudraient ».</p>
<p>Lula, quant à lui, a consacré une partie de sa campagne à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/12/au-bresil-lula-s-efforce-de-seduire-l-electorat-evangelique_6141255_3210.html">reconquête de l’électorat évangélique</a> qui s’est détourné du Parti des Travailleurs (PT) lors du mandat de Dilma Rousseff ; ainsi, tout récemment, il a participé à une rencontre avec des fidèles et des représentants évangéliques à Rio de Janeiro, où il a rappelé aux présents « tout ce que le PT a fait pour évangéliques » et a affirmé à plusieurs reprises qu’il était croyant.</p>
<h2>Le vote et la Bible</h2>
<p>Si les deux candidats qualifiés au second tour accordent une telle importance à cet électorat, c’est parce que la particularité des évangéliques réside dans le fait que, au contraire des catholiques, qui représentent entre 48 et 52 % de la population, et des pratiquants d’autres religions – environ 10 % de la population, toutes autres confessions confondues –, ils sont, en général, plus engagés dans « l’activisme de la foi » – en d’autres mots, ils votent plus souvent que les autres en fonction de leurs convictions religieuses.</p>
<p>Cela n’a pas toujours été le cas. En effet, jusqu’aux années 1970, les protestants brésiliens se sont tenus, en majorité, en dehors des sujets liés à la politique. L’explication principale de ce changement est le fait que les Églises évangéliques les plus conservatrices ont perçu les évolutions sociales vécues par le Brésil comme une « crise morale ». Cette notion de crise a façonné toute l’histoire politique du « Bloc évangélique », puisque, à mesure que l’apolitisme s’est affaibli, ce sont les évangéliques les plus moralement conservateurs qui ont le plus investi le champ politique, afin de combattre cette crise morale qu’ils percevaient.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DWVDA2HxkPM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le vote en faveur de candidats évangéliques – qui, du fait de leur affiliation religieuse, sont censés avoir pour priorité les intérêts des Églises, comme la diffusion et la protection de la « famille traditionnelle » et de la morale religieuse – a été souvent présenté lors des prêches prononcés dans les églises comme une obligation.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’immense soutien accordé par les évangéliques à Jair Bolsonaro lors de son élection en 2018 – ils ont été <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Au-Bresil-nette-preference-evangeliques-Bolsonaro-2018-10-22-1200977685">70 % à voter pour lui</a> – montre que ses discours et valeurs conservatrices ont réussi à captiver cet électorat.</p>
<h2>Les évangéliques séduits par Bolsonaro</h2>
<p>Pour comprendre le succès de Bolsonaro en 2018, il faut, tout d’abord, reconnaître que le Brésil passait, à ce moment-là, par une période complexe et particulière. Dilma Rousseff avait été destituée en 2016, et le paysage politique brésilien était extrêmement tendu par une polarisation violente. Après presque 15 ans de pouvoir du Parti des Travailleurs, une importante partie de la population souhaitait une alternative nouvelle.</p>
<p>Jair Bolsonaro surgit dans ce paysage en construisant autour de lui un imaginaire simple – il est le messie, un <em>outsider</em> anti-corruption qui vient sauver le Brésil des dégâts de l’ère PT. Catholique, il se fait baptiser en 2016, en Israël, par un pasteur évangélique qui à l’époque était le président du Parti Social Chrétien. La politiste Magali Cunha <a href="https://www.cartacapital.com.br/blogs/dialogos-da-fe/quem-sao-os-evangelicos-que-apoiam-bolsonaro/">explique</a> la manière dont le discours de Bolsonaro révèle des affinités avec la « culture gospel » des évangéliques brésiliens, ce que favorise leur alignement idéologique avec le bolsonarisme, dont les notions de « protection de la famille » et de soutien à l’entrepreneuriat « répondent à l’imaginaire des personnes simples […] Et attirent également les classes moyennes, qui s’orientent sur des désirs – la quête de l’harmonie, de la stabilité et le bonheur – ancrés dans un passé idéalisé de privilèges de classe et d’invocation de la méritocratie. »</p>
<p>Cependant, le soutien des évangéliques à Bolsonaro n’est ni systématique ni infaillible. Si aujourd’hui on le présente encore une fois comme le candidat des évangéliques, en décembre 2021 Lula apparaissait dans les sondages comme le candidat préféré de cette population. Bolsonaro peut-il toujours compter sur les évangéliques pour être réélu ?</p>
<h2>La dispute pour le « vote évangélique »</h2>
<p>Il serait erroné de supposer que le « vote évangélique » serait homogène. Tout d’abord, parce que le mouvement évangélique n’est pas un monolithe – il est constitué par différents courants, différentes Églises, avec des leaders qui adhèrent à différentes idéologies. Ensuite, les évangéliques en soi sont un groupe très hétérogène, qui présente d’importantes variations dans le revenu, dans leurs expériences sociales, dans leurs sensibilités politiques et idéologiques.</p>
<p>Du fait de la pluralité inhérente au mouvement évangélique, malgré leur image de groupe ultraconservateur leur comportement électoral est plus modéré que ce que l’on pourrait attendre. En effet, le fait d’être évangélique ne les rend <a href="https://www.ihu.unisinos.br/78-noticias/568788-marcha-para-jesus-nao-confia-nos-politicos-e-defende-respeito-aos-homossexuais-nas-escolas">pas plus extrêmes que d’autres conservateurs</a>. Ainsi, malgré le succès de Bolsonaro auprès des évangéliques en 2018, lors des élections de 2022 cet électorat paraît plus divisé que jamais. En ce moment, on observe d’importantes tensions au sein de certaines Églises évangéliques dont les fidèles – notamment parmi les jeunes, les femmes et les plus défavorisés – <a href="https://exame.com/brasil/disputa-pelo-voto-racha-igrejas-evangelicas-jovens-fieis-contestam-pressao/">vivent mal la pression exercée par leurs leaders qui les invitent à soutenir Bolsonaro</a>, au point parfois de quitter l’Église.</p>
<p>Si en 2018 Bolsonaro s’est présenté comme un outsider et l’antithèse des hommes et femmes politiques de carrière, rouages d’un système intrinsèquement corrompu, en 2022 cette rhétorique n’est plus efficace. Cela explique l’insistance de la campagne de Bolsonaro à mobiliser l’argument religieux, en mettant largement en avant sa femme, <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/presidentielle-au-bresil-michelle-bolsonaro-fanatique-premiere-dame-20220930_AVHD23YCTNFBRK7KQHYJEGZK4Y/">Michelle Bolsonaro</a>, évangélique de l’Église baptiste ; et à construire une image « diabolique » de Lula – en le <a href="https://www.estadao.com.br/politica/michelle-bolsonaro-ataca-lula-com-video-que-associa-umbanda-as-trevas-isso-pode/">rapprochant des religions afro-brésiliennes</a> qui sont typiquement perçues de manière très négative par les évangéliques en général, par exemple – pour que le vote pour le PT soit, en dernière instance, regardé comme anti-chrétien.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1576255869158686720"}"></div></p>
<p>En réponse à cette campagne, Lula a commencé, pour la première fois, à s’adresser directement au public évangélique. Ainsi, lors de sa rencontre avec des évangéliques à Rio de Janeiro, il a martelé que les divers programmes sociaux mis en place lors de ses deux mandats ont bénéficié à « la famille », alors que Bolsonaro, lui, a démantelé la majorité de ces programmes.</p>
<p>Ce faisant, Lula cherche à démontrer l’affinité de son gouvernement avec les valeurs des évangéliques, réhabilitant la gauche aux yeux de cet électorat puisqu’il présente ses programmes sociaux comme des manières de protéger les familles et donc, en fin de compte, les valeurs chrétiennes. Lors de son discours, il n’a à aucun moment évoqué des thèmes pouvant susciter une réaction négative de la part de son public, c’est-à-dire les questions sociétales auxquelles les évangéliques sont particulièrement sensibles, comme les droits de la population LGBT ou aux inégalités homme-femme.</p>
<h2>Le vote (des) religieux</h2>
<p>Le champ sociologique a déjà produit des <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2016-1-page-165.htm">nombreuses théories pour expliquer le comportement électoral des individus</a>, et il est généralement accepté qu’aujourd’hui, les « variables lourdes » (classe sociale, âge, religion, catégorie socioprofessionnelle, etc.) sont peu déterminantes du comportement électoral, et que, <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01022076">au contraire</a>, « l’électeur n’est ni totalement libre, ni totalement déterminé, ni prisonnier des variables sociologiques, ni ballotté au gré de la conjoncture. Son choix est le fruit d’un processus où se mêlent facteurs sociaux et politiques, structurels et conjoncturels, à long terme et à court terme. […] Quels que soient l’élection, ses enjeux, l’espace où elle se joue, les candidats en présence, les catholiques pratiquants seront plus conservateurs que les sans religion, les ouvriers plus à gauche que les patrons. Mais ces potentialités ne se réalisent que dans le cadre d’un scrutin particulier qui laisse place aux stratégies spécifiques des électeurs. »</p>
<p>Ce constat est tout à fait valable pour électeurs évangéliques au Brésil. Dans une <a href="https://congressoemfoco.uol.com.br/area/pais/politica-religiao-e-voto/">étude sur la religion et l’électorat latino-américain</a> datant de 2015, Taylor Boas et Amy Erica Smith constatent que « la religion fait la différence lors du choix électoral dans une partie importante de la région et, en particulier, au Brésil, mais les auteurs expliquent qu’il est nécessaire que cette identité soit « activée » à travers la mobilisation des candidats et/ou leaders religieux, qui ainsi politisent le choix de l’électeur. »</p>
<p>Cette « activation » de l’identité évangélique a été totalement réussie par Jair Bolsonaro en 2018 : à ce scrutin, : à ce scrutin, les évangéliques avaient <a href="https://www.scielo.br/j/rbcpol/a/fWvcZ49qvhjrpB9dNBK6sxB/?lang=pt">17 % de probabilité de plus</a> d’avoir voté pour Bolsonaro que les adeptes d’autres confessions et les athées.</p>
<p>Ainsi, l’identité évangélique peut être mobilisée comme élément prioritaire du choix du candidat, et, dans ce cadre, c’est l’argument moral qui va déterminer le vote – cela constitue le « vote religieux ». Mais d’autres identités peuvent, elles aussi, être mobilisées malgré l’adhésion de l’individu à une Église évangélique. C’est ce qui explique l’appui de certains évangéliques à Lula – notamment les femmes, les jeunes et les personnes défavorisées, qui mettront plutôt en avant des aspects liés directement à leurs conditions de vie et voteront pour un candidat reconnu pour l’efficacité de ses programmes sociaux même s’il ne partage pas une partie de leurs valeurs conservatrices.</p>
<p>Or le contexte socio-économique actuel au Brésil est profondément marqué par les effets de la crise sanitaire, de l’augmentation des inégalités sociales, de l’inflation et du chômage. Ces questions sociales pèsent plus sur les débats qu’en 2018 – ce qui est de nature à avantager Lula (y compris auprès des évangéliques) lors du deuxième tour, qui aura lieu le 30 octobre prochain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana Carolina Freires Ferreira ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2018, 70 % des évangéliques avaient voté pour Jair Bolsonaro. Cette fois, cet électorat lui semble moins acquis, ce qui devrait assurer la victoire de Lula au second tour.Ana Carolina Freires Ferreira, Doctorante en sociologie au Centre Émile Durkheim, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.