tag:theconversation.com,2011:/es/topics/bachar-al-assad-20956/articlesBachar Al-Assad – The Conversation2023-05-17T18:13:24Ztag:theconversation.com,2011:article/2056932023-05-17T18:13:24Z2023-05-17T18:13:24ZBachar Al-Assad à la Ligue arabe : le retour du pestiféré syrien sur la scène internationale<p>Ce 19 mai, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bachar-al-assad-20956">Bachar Al-Assad</a> devrait se rendre à Riyad pour assister au sommet annuel de la <a href="https://www.donneesmondiales.com/alliances/ligue-arabe.php">Ligue arabe</a>.</p>
<p>Le dictateur syrien n’avait plus été convié à ces rencontres depuis mars 2010. En novembre 2011, Damas avait été <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/12/la-ligue-arabe-exclut-la-syrie-et-exige-des-sanctions_1603010_3218.html">suspendu de la Ligue</a>, du fait de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-la-repression-meurtriere-persiste-malgre-l-ultimatum-des-arabes-17-11-2011-1397430_24.php">violence extrême de la répression</a> qu’il avait déclenchée à l’égard de son opposition intérieure.</p>
<p>Mais le 7 mai dernier, la Syrie a été <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-ligue-arabe-reintegre-le-regime-syrien-apres-11-ans-d-absence-20230507">réintégrée</a> ; et le 11 mai, son président a reçu une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230510-bachar-al-assad-invit%C3%A9-par-l-arabie-saoudite-au-sommet-de-la-ligue-arabe">invitation officielle signée du roi Salmane d’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ce retour par la grande porte consacre la réhabilitation du régime de Damas au niveau régional. Il constitue aussi, plus largement, le dernier acte dans la reconstitution d’un « Concert arabe » (par analogie avec le Concert européen établi suite au Congrès de Vienne de 1815) que la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/printemps-arabe-27888">vague révolutionnaire de 2011</a> avait temporairement disloqué.</p>
<p>Toutefois, derrière l’apparente unité retrouvée de ce que le politiste Farid El Khazen avait jadis qualifié de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2006-1-page-59.htm">« cartel autoritaire »</a>, des différences d’approche à l’égard de la question syrienne subsistent entre les États arabes.</p>
<h2>Ces pays qui ont impulsé la réhabilitation de Damas : Irak, Algérie, Émirats, Bahreïn…</h2>
<p>Pour des raisons diverses, plusieurs des 22 États membres de la Ligue arabe avaient dès le départ affiché des réticences face à la suspension de la Syrie décidée en 2011 à l’instigation du Qatar et de l’Arabie saoudite.</p>
<p>Attaché à une stricte neutralité dans les conflits régionaux, Oman avait été la seule monarchie du Golfe à refuser de fermer son ambassade à Damas et, dès 2015, avait accueilli une <a href="https://www.france24.com/fr/20150807-oman-suisse-mediateur-moyen-orient-diplomatie-yemen-ibadisme-qabous-iran-arabie-saoudite">visite officielle du ministre syrien des Affaires étrangères</a>.</p>
<p>Dominés par des partis proches de l’Iran, allié du régime syrien, les gouvernements libanais et irakien rejetaient également l’ostracisation d’Assad. L’Algérie avait <a href="https://sana.sy/fr/?p=26420">adopté une ligne similaire</a> pour des raisons tenant à la fois à une opposition de principe aux ingérences étrangères dans les affaires des États de la région, et à une mise en parallèle du conflit syrien avec l’insurrection islamiste que le pays avait connue dans les années 1990.</p>
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<p>C’est en 2018, suite à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/des-rebelles-remettent-leurs-armes-dans-le-centre-de-la-syrie-04-05-2018-2215815_24.php">reprise des régions rebelles du Sud et du centre</a> de la Syrie par les forces loyalistes, que le groupe des pays arabes favorables à la réhabilitation d’Assad commence à s’élargir.</p>
<p>Le mouvement est lancé par les Émirats arabes unis et le royaume du Bahreïn qui, fin 2018, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/27/syrie-les-emirats-rouvrent-leur-ambassade-a-damas_5402756_3210.html">rouvrent leurs ambassades à Damas</a>. Tant Abu Dhabi que Manama avaient jusqu’alors suivi une ligne ambiguë vis-à-vis de la question syrienne. Farouchement hostiles aux mouvements révolutionnaires de 2011 (qui avaient <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2012-1-page-213.htm">menacé la monarchie bahreïnie sur son propre sol</a>), les deux monarchies avaient soutenu certains éléments de l’opposition syrienne afin d’y réduire le poids relatif des islamistes. Parallèlement, elles continuaient d’accueillir non seulement des ambassades du gouvernement de Damas, mais aussi des figures proches du régime (dont la <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-crisis-bushra-idUSBRE88Q1LS20120927">propre sœur d’Assad, Bouchra</a>) désireuses de se mettre à l’abri, avec leurs fortunes, lorsque les combats faisaient rage en Syrie.</p>
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<p>Une fois acquise la victoire militaire du régime de Damas, se rapprocher de ce dernier relève, pour les monarchies concernées, d’une volonté de fermer définitivement la parenthèse des mouvements révolutionnaires du début de la décennie, dont les répliques de 2019 (en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/25/en-irak-une-journee-de-manifestation-sanglante_1759713/">Irak</a>, en <a href="https://theconversation.com/larmee-algerienne-a-lepreuve-du-mouvement-citoyen-du-hirak-131798">Algérie</a>, au <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-47899322">Soudan</a> et au <a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">Liban</a>) vont bientôt montrer qu’ils ne sont pas un simple souvenir. Pour les Émirats, reprendre langue avec Assad s’inscrit également dans une stratégie d’endiguement de l’influence de la Turquie, alors à couteaux tirés avec Damas.</p>
<h2>Avec Joe Biden, la fin de l’inflexibilité américaine</h2>
<p>L’ouverture de 2018 était initialement restée sans lendemain du fait des sévères avertissements de l’administration Trump à l’endroit de ses alliés régionaux et de la mise en œuvre, l’année suivante, de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/3/9/us-sanctions-challenge-syrias-return-to-arab-fold-says-uae">nouveaux trains de sanctions américaines</a> et <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/03/04/syria-eu-adds-7-ministers-to-sanctions-list/">européennes</a> contre la Syrie.</p>
<p>Il a donc fallu attendre l’arrivée de Joe Biden en 2021 pour que reprennent les tentatives de réhabiliter Assad. Divisé entre tenants de l’intransigeance (<a href="https://www.reuters.com/world/us-lawmakers-introduce-bill-combat-normalization-with-syrias-assad-2023-05-11/">très influents au Congrès</a>) et partisans d’une normalisation à bas bruit via un <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2019-04-16/hard-truths-syria">accord entre le régime et les Forces démocratiques syriennes soutenues par Washington</a>, le gouvernement américain se refuse à tout changement dans ses relations bilatérales avec Damas… tout en laissant <em>de facto</em> le champ libre à ses alliés régionaux pour renouer avec Assad.</p>
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<p>C’est dans ce contexte que survient un nouveau réchauffement des relations bilatérales entre le régime syrien et les Émirats qui aboutit, en mars 2022, à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/assad-aux-emirats-premiere-visite-dans-un-pays-arabe-depuis-le-debut-du-conflit-en-syrie-18-03-2022-2468791_24.php">première visite d’Assad dans une capitale arabe depuis le début du conflit</a>.</p>
<h2>Jordanie, Égypte, Arabie saoudite : un rapprochement conditionnel avec Damas</h2>
<p>Dans l’intervalle, un nouveau protagoniste est monté dans le train de la normalisation avec Damas : la Jordanie. Soucieux de dynamiser son économie, le royaume hachémite rétablit en 2021 les communications terrestres et aériennes avec son voisin syrien. D’emblée, cependant, la Jordanie s’inscrit explicitement dans une <a href="https://english.aawsat.com/home/article/3221771/secret-jordanian-document-proposes-%E2%80%98change-behavior%E2%80%99-syrian-regime">stratégie du « pas-à-pas »</a>, appelant à une normalisation graduelle en échange de mesures concrètes.</p>
<p>Celles-ci concernent en particulier le retour des réfugiés syriens, dont plus de 600 000 continuent de résider dans ce pays de 11 millions d’habitants. Elles portent, par ailleurs, sur la présence dans le Sud de la Syrie de milices pro-iraniennes, que la Jordanie souhaiterait voir éloignées de sa frontière, ainsi que sur le trafic de Captagon, une drogue dont le commerce a permis aux acteurs militaires et paramilitaires syriens de compenser la chute des revenus tirés, jusqu’en 2018, des droits de passage entre zones loyalistes et poches rebelles. Porte d’entrée des lucratifs marchés du Golfe, la Jordanie identifie le trafic de drogue comme un problème de sécurité nationale, allant jusqu’à mener le 8 mai dernier (soit le lendemain du retour d’Assad dans la Ligue arabe) un <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230508-un-trafiquant-de-captagon-syrien-tu%C3%A9-par-un-raid-jordanien-%C3%A0-l-est-de-soue%C3%AFda">raid aérien en Syrie</a> contre des sites de production de Captagon.</p>
<p>Un autre partisan « conditionnel » de la réhabilitation régionale d’Assad est l’Égypte, qui a souligné que la réadmission de Damas dans la Ligue arabe <a href="https://www.aa.com.tr/en/africa/egypt-says-syrias-return-to-arab-league-does-not-entail-full-normalization/2893825">n’équivaut pas à une normalisation pleine et entière</a>. Médiateur entre Israël et les factions armées palestiniennes, Le Caire attend du régime syrien qu’il exerce une influence modératrice sur ces dernières et sur leurs alliés du Hezbollah libanais, de manière à prévenir des incidents tels que le tir, en avril dernier, de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/israel-intercepte-une-roquette-tiree-du-liban-et-risposte-avec-des-frappes_5755952.html">plusieurs dizaines de roquettes depuis le Sud-Liban en direction d’Israël</a>.</p>
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<p>Bien que réunissant un nombre croissant de suffrages, le retour de la Syrie dans la Ligue arabe se heurtait encore, lors du <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20221101-en-alg%C3%A9rie-la-ligue-arabe-tient-son-premier-sommet-depuis-la-pand%C3%A9mie-de-Covid-19">sommet tenu à Alger en 2022</a>, aux réticences de l’Arabie saoudite.</p>
<p>Celles-ci seront finalement surmontées quelques mois plus tard à la faveur de deux développements majeurs. Le premier est le <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">séisme meurtrier du 6 février 2023</a>, qui permet de justifier un mouvement multilatéral de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334542/la-syrie-et-la-tunisie-vont-retablir-leurs-relations-diplomatiques.html">normalisation avec le régime syrien</a>) sous couvert <a href="https://www.rtbf.be/article/seisme-en-syrie-premier-avion-saoudien-d-aide-humanitaire-depuis-plus-de-dix-ans-11152470">d’assistance humanitaire</a>. Le second est la conclusion, en mars suivant, d’un accord portant sur le <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">rétablissement des relations diplomatiques entre le royaume saoudien et l’Iran</a>, détente qui atténue ce qui constituait jusqu’alors l’un des principaux contentieux entre Riyad et Damas, à savoir l’alliance de cette dernière avec Téhéran.</p>
<p>Le rapprochement avec Damas avait été initialement présenté par Riyad et Abu Dhabi (notamment auprès des partenaires occidentaux) comme une manière <a href="https://amwaj.media/media-monitor/syria-s-assad-continues-normalization-push-with-gulf-arab-states">d’éloigner Assad de l’orbite iranienne</a>. Ainsi, les investissements des monarchies du Golfe dans la reconstruction de la Syrie devaient supposément contrebalancer l’influence que Téhéran exerce dans le pays à travers le déploiement de milliers de combattants affiliés aux Gardiens de la Révolution. Mais, en réalité, pour l’Arabie, l’actuelle normalisation avec Damas s’apparente beaucoup plus à une acceptation du protectorat de fait de l’Iran sur la Syrie qu’à une tentative de le contester.</p>
<p>Embourbé au Yémen et désillusionné quant à la crédibilité du soutien militaire américain, le royaume saoudien a opté pour un désengagement des conflits régionaux, espérant ainsi promouvoir une stabilité bénéfique à <a href="https://www.vision2030.gov.sa/">ses ambitieux projets de développement économique</a>. Comme les Jordaniens, les Saoudiens espèrent que leur normalisation avec Damas encouragera Assad à <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/arabs-bring-syrias-assad-back-into-fold-want-action-drugs-trade-2023-05-09/">juguler les exportations de Captagon au départ de son territoire</a>.</p>
<h2>L’hostilité du Maroc, du Qatar et du Koweït… et la suspicion des autres</h2>
<p>Même après le retour d’Assad dans le giron arabe, il reste un <a href="https://www.wsj.com/articles/saudi-push-to-bring-syria-back-to-arab-fold-faces-resistance-aa0b4e70">petit groupe d’irréductibles</a> qui, pour des raisons diverses, se refusent à normaliser leurs relations bilatérales avec les autorités de Damas.</p>
<p>Outre le Qatar, sponsor le plus enthousiaste de l’opposition syrienne, ce « camp du refus » inclut le Maroc, qui reproche au régime syrien son soutien politique aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario ; le Koweït, où les révolutionnaires syriens conservent de solides soutiens, notamment parmi les députés islamistes au Parlement ; et le gouvernement yéménite en exil, qui voit logiquement d’un mauvais œil le fait que Damas héberge une ambassade du mouvement Houthi.</p>
<p>Aucun des acteurs précités n’a l’envie ou les moyens de s’opposer à l’axe Riyad-Abu Dhabi sur la question syrienne. Toutefois, le (relatif) consensus arabe sur la réhabilitation d’Assad reste fragile et pourrait se fissurer à l’avenir, sous l’effet de deux facteurs.</p>
<p>Le premier est la capacité éprouvée du régime syrien à trahir ses engagements, qui pourrait échauder les partisans d’une normalisation sous conditions. Le second serait un affrontement militaire majeur entre Israël et l’Iran, dont la probabilité reste faible mais s’accroît du fait de la détente saoudo-iranienne. Du point de vue des responsables israéliens, en effet, cette détente les contraint à <a href="https://www.jpost.com/middle-east/article-742131">assumer seuls la tâche d’endiguer l’influence de Téhéran dans la région</a>. Un tel affrontement, qui se jouerait en grande partie sur le sol syrien, mettrait à nu les contradictions des réalignements stratégiques dont Damas constitue aujourd’hui le pivot. En cas de guerre, ceux-là mêmes qui renouent aujourd’hui avec Assad auraient probablement du mal à cacher leur espoir de voir durablement affaibli son allié iranien, qu’ils perçoivent depuis plus de quatre décennies comme la principale menace stratégique à leur encontre.</p>
<p>En attendant, sa participation au sommet du 19 mai marque indéniablement une grande victoire politique pour Bachar Al-Assad, et une <a href="https://syrianobserver.com/news/82902/opposition-condemns-assad-regimes-return-to-arab-league.html">terrible désillusion pour l’opposition</a>. Certes, le président syrien avait, au cours de ces dernières années, rencontré certains dirigeants étrangers, comme <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230315-vladimir-poutine-et-bachar-al-assad-s-entretiennent-%C3%A0-moscou-r%C3%A9conciliation-turco-syrienne-au-menu">Vladimir Poutine</a> ou <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230503-ebrahim-ra%C3%AFssi-se-rend-%C3%A0-damas-premi%C3%A8re-visite-d-un-pr%C3%A9sident-iranien-en-syrie-depuis-2010">Ebrahim Raïssi</a> ; mais être accueilli à Riyad et se retrouver à nouveau sur la photo de groupe en compagnie des représentants de 21 autres États arabes constitue une étape supplémentaire dans le retour au premier plan d’un homme qui, il y a quelques années encore, apparaissait comme un paria absolu…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205693/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Pierret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après onze ans de suspension, la Syrie vient d’être réintégrée à la Ligue arabe. Pour cette influente organisation régionale, Bachar Al-Assad n’est plus un paria.Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010402023-03-13T19:55:39Z2023-03-13T19:55:39ZQui sont les « infréquentables » sur la scène internationale ?<p>Le terrible séisme qui a dévasté une zone située à la frontière syro-turque s’est inséré dans l’agenda international d’un acteur qui, depuis près de douze ans, était devenu infréquentable aux yeux de la majorité des pays de la communauté internationale : le dirigeant syrien Bachar Al-Assad. S’imposant comme destinataire d’une grande partie de l’aide destinée aux régions syriennes sinistrées, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230301-apr%C3%A8s-le-s%C3%A9isme-en-syrie-bachar-el-assad-plus-fr%C3%A9quentable">il instrumentalise ce drame pour reconquérir une forme de légitimité auprès des acteurs étrangers</a>, avec un succès certain auprès de plusieurs pays de la Ligue arabe, <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/12/la-ligue-arabe-exclut-la-syrie-et-exige-des-sanctions_1603010_3218.html">dont la Syrie a été exclue en 2011</a>. </p>
<p>Déjà passé du statut de paria à celui d’interlocuteur il y a quinze ans (il avait été ostracisé après <a href="https://www.lejdd.fr/International/proces-de-lassassinat-de-rafiq-harir-le-spectre-de-bachar-el-assad-a-la-haye-3762554">l'assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005</a>, avant de redevenir fréquentable en 2008, quand Nicolas Sarkozy l’avait <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/06/11/le-dictateur-syrien-bachar-el-assad-invite-officiel-au-defile-du-14-juillet_21147/">invité à assister aux festivités du 14 juillet à Paris</a>), Bachar Al-Assad semble profiter d’un mouvement de balancier bien connu en relations internationales. Les exemples abondent dans l’histoire, jusqu’à nos jours : on se souvient, par exemple, du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/la-rencontre-trump-kim-jong-un-a-singapour-en-2018-la-communication-contre-le-desarmement-2421821">sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-Un en 2018</a> ; encore plus près de nous, certaines voix plaident avec insistance pour que Vladimir Poutine, malgré la guerre d’Ukraine, reste considéré <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/point-de-vue-faut-il-dialoguer-avec-vladimir-poutine-f8726c50-a8f5-11ec-9ac1-ea170a3bd944">comme un homme avec lequel on peut parler</a>.</p>
<p>« Infréquentable » est donc un label fluctuant. Il n’en reste pas moins que ce label existe et est régulièrement mobilisé ; qui l’attribue, selon quelles modalités et quelles temporalités ?</p>
<h2>Labelliser l’infréquentable</h2>
<p>Expliquant sa démission du poste de médiateur de l’ONU en Syrie en novembre 2019, Staffan de Mistura <a href="https://www.lefigaro.fr/international/staffan-de-mistura-l-ex-mediateur-de-l-onu-en-syrie-qui-ne-voulait-plus-serrer-la-main-de-bachar-el-assad-20191106">déclare</a> : « Je ne pouvais pas être celui qui serre la main d’Assad en disant : “<em>Malesh</em>” (Ce n’est pas grave). » Supposé dialoguer avec toutes les parties en conflit, il se trouve là face à la figure de l’infréquentable qui finit par s’imposer dans toute son épaisseur. Bachar Al-Assad, par sa réponse militaire aux mobilisations populaires de 2011 et ses <a href="https://theconversation.com/le-massacre-de-tadamon-une-enquete-secrete-de-chercheurs-sur-la-politique-dextermination-en-syrie-184212">violations répétées du droit international</a>, notamment humanitaire, incarne cette infréquentabilité.</p>
<p>Mais il n’est pas le seul affublé de cette étiquette, et ne se prive pas d’arguer qu’il existe plus infréquentable que lui avec l’entrée en jeu de l’État islamique, proclamé en juin 2014. Par ailleurs, l’irruption de la crise syrienne a conduit certains appareils diplomatiques à fréquenter d’anciens infréquentables : ceux que le régime de Damas traquait, comme les Frères musulmans (en Syrie, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1381">être Frère musulman est puni de la peine de mort</a>) qui participent dès 2011 à la construction d’une opposition politique.</p>
<p>Que signifie être fréquentable pour un appareil diplomatique ? Le terme contient une dimension pratique (de même qu’une route que l’on peut emprunter, un acteur fréquentable est un interlocuteur avec lequel le dialogue peut aboutir) et morale (un lieu fréquentable est un lieu dans lequel on ne se compromet pas). Pour qui s’intéresse aux relations internationales et à la fabrique de la politique étrangère, il permet surtout de dépasser la dichotomie ami/ennemi et de saisir la complexité des choix, des justifications et des bifurcations.</p>
<p>La question de l’infréquentable commence par la labellisation des acteurs qui dérogent à la norme établie (au sens légal ou comme standard de comportement) pour justifier leur exclusion du champ politique.</p>
<p>Du fait de l’inégale répartition de la puissance sur la scène internationale, les « labellisateurs », qui affirment leur légitimité à qualifier et donc à disqualifier, sont d’abord les gouvernements les plus dotés. Mais le processus n’est pas exempt de débats. Dans la crise syrienne, l’exécutif français ostracise le régime à partir de 2011, mais les services de renseignement mobilisent l’agenda de la lutte contre le terrorisme pour suggérer une relance des contacts avec Damas et un <a href="https://hal.science/hal-01947200/document">petit nombre de parlementaires organise des visites dans le pays</a>.</p>
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<p>Les politiques peuvent également différer entre alliés stratégiques. Les décalages temporels sont alors des plus instructifs : ainsi, les États-Unis classent le Hezbollah ou le PKK kurde sur leur liste noire bien avant les Européens.</p>
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<p>Par ailleurs, poser le sceau de l’infréquentabilité n’est pas une prérogative des dominants sur la scène internationale. Le régime iranien est à l’origine d’une rhétorique au succès certain, celle du « Grand Satan » (formule qui désigne les États-Unis), qui vise à <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Stigmate-2092-1-1-0-1.html.">renverser le stigmate</a>. De même, nombre d’acteurs cherchent à (re)gagner leur statut d’interlocuteur en dénonçant plus infréquentables qu’eux. Au Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi désigne son camp sous le nom explicite d’<em>al-shari’a</em> (la légitimité) et se positionne comme interlocuteur unique de la communauté internationale. Quant au régime syrien, il déshumanise ses opposants, <a href="https://observers.france24.com/fr/20110621-reactions-discours-bachar-al-assad-il-fait-promesses-parfaitement-irrealisables-syrie">Bachar Al-Assad les qualifiant de microbes contre lesquels il faut s’immuniser</a>, dès ses premiers discours en juin 2011, pour justifier son refus de négocier. Le mimétisme est enfin poussé jusqu’à employer les mêmes labels que les puissances occidentales, notamment celui du terrorisme.</p>
<p>Outre les acteurs et les processus, quels sont les objectifs de la labellisation ? S’agit-il de neutraliser et isoler un acteur réfractaire ou, dans une version plus « positive », de contraindre les labellisés à renoncer au comportement dénoncé ? Ce second postulat pose la question du dialogue et permet de nourrir, à renfort de nouvelles archives, l’intérêt pour l’histoire contrefactuelle : aurait-on dû considérer tel infréquentable comme fréquentable ? Ou fréquenter l’infréquentable lui a-t-il permis de profiter du temps de la négociation et du statut d’équivalent moral pour défendre son propre agenda (syndrome de Munich) ?</p>
<p>Le profil des criminels de guerre est au centre de ces débats : un acteur peut-il être fréquentable pour les diplomates et infréquentable pour les procureurs ? Le questionnement est central pour le chercheur comme pour le praticien. « Comment puis-je, à la fois, prendre le thé avec Milošević pour trouver un règlement négocié au conflit et, dans le même temps, le traiter en criminel de guerre ? », <a href="https://www.researchgate.net/publication/314863286_Pierre_Hazan_2010_La_paix_contre_la_justice_Comment_reconstruire_un_%C3%89tat_avec_des_criminels_de_guerre_Bruxelles_gripAndre_Versaille_editeur_128_p">s’interrogeait</a> un ambassadeur occidental. La question revêt aujourd’hui une actualité nouvelle à travers les doutes sur l’opportunité d’un dialogue avec Vladimir Poutine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Les crimes commis en Ukraine pourront-ils un jour faire l’objet d’un procès international ?</a>
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<p>L’infréquentabilité sert parfois, à l’inverse, à rendre l’élimination acceptable. Pour les relations internationales contemporaines, la Seconde Guerre mondiale fait figure de matrice d’interprétation, à travers la comparaison de responsables politiques avec Hitler – Gamal Abdel Nasser au moment de la crise de Suez, Saddam Hussein pendant les guerres du Golfe, le président George H. Bush qualifiant l’envahisseur du Koweït de « Hitler revisité » en 1990. Aujourd’hui, le label du « terrorisme » permet, de même, de donner à la disqualification un caractère absolu. L’infréquentabilité semble alors irréversible à profil constant, à moins de se dédire dangereusement.</p>
<h2>Justifier l’infréquentabilité</h2>
<p>Si la labellisation de fréquentable est l’imposition unilatérale d’une sorte d’attestation de conformité à un référentiel défini, en quoi celui-ci consiste-t-il ? Sur la période contemporaine, quelques critères sont posés avec une relative constance.</p>
<p>Dans le monde westphalien, le statut étatique apparaît comme une première condition de fréquentabilité et explique la difficulté à reconnaître des mouvements de libération, des gouvernements en exil ou des conseils transitoires. En théorie des relations internationales, cette posture est défendue par les réalistes comme <a href="https://openyls.law.yale.edu/bitstream/handle/20.500.13051/13336/58_55YaleLJ1067_1945_1946_.pdf">Hans Morgenthau</a>. Mais la fréquentabilité ne découle pas de la simple qualité étatique – que l’on songe aux États qualifiés de « voyous ». Comme le montre <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18467?lang=en.">Axel Honneth</a>, il relève du choix discrétionnaire d’un État de décider de l’établissement – ou non – de « contacts intensifs et bienveillants ».</p>
<p>Un second critère, venant infléchir le premier, est celui de la représentativité, toute la difficulté étant de l’établir. Les appareils diplomatiques se réservent le droit d’interpréter la légitimité par les urnes. Ainsi, l’autoritarisme « amélioré » (<a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/10arabworld.pdf"><em>upgrading authoritarianism</em></a> des années 1990, affichant une compatibilité cosmétique avec les exigences libérales, permet à des dirigeants de s’imposer comme fréquentables dans le monde globalisé, en l’absence pourtant d’élections concurrentielles. À l’inverse, des acteurs élus – comme le Hamas aux législatives palestiniennes de 2006 – restent infréquentables au nom d’autres critères, entraînant une contradiction entre la norme démocratique promue et l’issue électorale réfutée.</p>
<p>Saisir la représentativité peut également consister à prendre en compte <a href="https://www.persee.fr/issue/polix_0295-2319_1996_num_9_35">l’« entrée en politique » de certains acteurs</a>. Ainsi le cas des conseils nationaux ou conseils de transition qui émergent comme alternative aux autoritarismes mis en cause par les soulèvements arabes de 2011. Face à la lourdeur des appareils diplomatiques, la prise en compte de ces nouveaux interlocuteurs est souvent faite de tâtonnements et d’informalité.</p>
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<p>Le troisième critère est le respect du droit (la force contraignante des droits de l’homme s’impose ainsi parce qu’elle est devenue, pour certains, constitutive de ce qu’est un <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2017-v48-n1-ei03300/1042356ar/">État (ou un groupe) légitime et fréquentable</a>) ou les méthodes de gouvernement. Tant le massacre de civils que la nature illégale des armes employées (comme l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien) peuvent disqualifier leurs auteurs.</p>
<p>Au début des années 2000, la Cour pénale internationale et le principe onusien de la responsabilité de protéger font pleinement entrer la question des crimes contre l’humanité dans le répertoire de l’infréquentabilité. Le cas syrien est encore une fois éclairant : les preuves photographiques de la torture pratiquée dans les prisons sont au fondement du <a href="http://horizonsstrategiques.com/le-caesar-act-lete-americain-en-syrie-et-au-liban/"><em>Caesar Act</em></a> voté par le Congrès américain pour empêcher la normalisation des relations avec le régime.</p>
<h2>L’infréquentabilité se joue dans la comparaison</h2>
<p>Si l’exercice intellectuel peut être stimulant, l’objectivation par l’énumération de ces critères est toutefois partiellement vaine.</p>
<p>Revenons au cas du Hamas : si le critère de la représentativité semble respecté lors des élections de 2006, celui du renoncement à la violence, exigée par le Quartet, ne l’est pas. Cette fluidité explique aussi les changements d’étiquette par les labellisateurs au moment des alternances démocratiques. Barack Obama renoue avec l’Iran, quand Donald Trump ouvre le dialogue avec la Corée du Nord et les talibans, etc. La temporalité semble alors jouer du côté des infréquentables. Lorsque le dialogue achoppe en 2019 avec les talibans, ils revendiquent : <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/09/afghanistan-recit-du-pari-diplomatique-rate-de-donald-trump_5508027_3210.html">« Vous avez la montre, nous avons le temps »</a>.</p>
<p>Dès lors, sont-ce les critères qui fixent le caractère fréquentable ou non d’un acteur, ou bien l’intérêt à nouer des relations avec lui qui guide l’élaboration de critères venant a posteriori légitimer ce choix ? Autrement dit, l’infréquentabilité ne nous renseigne-t-elle pas davantage sur le labellisateur et sa perception de ses opportunités stratégiques que sur le labellisé ? Ce questionnement invite à poser que l’infréquentabilité n’est pas absolue mais relative. Elle se joue dans la comparaison : on est moins fréquentable que, ou plus fréquentable que… En différents contextes s’est ainsi imposée la <a href="https://www.puf.com/content/Chirac_Assad_et_les_autres">rhétorique du « moindre mal »</a> ou du mal nécessaire, avec sa charge comparative. Si les exemples moyen-orientaux sont nombreux, c’est aussi, dans une certaine mesure, un des ressorts du « pré carré » africain, reposant sur des relations avec « the devil we know ».</p>
<p>Intérêts et représentations œuvrent à la fabrique de l’infréquentabilité, pas seulement du point de vue du labellisateur, mais dans l’interaction avec l’interlocuteur concerné. Que les infréquentables assument ce label comme une rente stratégique ou cherchent à le contourner, il apparaît que l’infréquentabilité finit par devenir une co-construction entre labellisateurs et labellisés. On ne sait plus dans ce schéma qui est l’infréquentable de l’autre…</p>
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<p><em>Pour une réflexion approfondie sur ces questions, lire l’ouvrage collectif <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/frequenter-les-infrequentables">« Fréquenter les infréquentables »</a>, dirigé par Manon-Nour Tannous, qui vient de paraître aux éditions du CNRS</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon-Nour Tannous ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bachar Al-Assad, Kim Jong‑un, Vladimir Poutine aujourd’hui, Mouammar Kadhafi, Fidel Castro et bien d’autres hier : de nombreux infréquentables deviennent un jour fréquentables, et inversement.Manon-Nour Tannous, Docteure en relations internationales, maitresse de conférences en science politique à l'Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), chercheure associée au Collège de France, chercheure associée au centre Thucydide, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921442022-11-06T16:24:55Z2022-11-06T16:24:55ZL’Union européenne en Syrie : un discours trop complaisant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490035/original/file-20221017-12-9swe4m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C2032%2C1529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dan Stoenescu, chef de la délégation de l’UE pour la Syrie, lors d’un déplacement sur les territoires contrôlés par le régime de Damas, effectué à bord d’un avion du Programme alimentaire mondial, le 8&nbsp;août 2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo/?fbid=603503987803706&set=pcb.603504244470347">Dan Stoenescu/Facebook</a></span></figcaption></figure><p>Si l’UE a longtemps prôné la fermeté face au régime de Bachar Al-Assad, coupable depuis 2011 de nombreux <a href="https://onu.delegfrance.org/bachar-al-assad-s-est-rendu-coupable-de-crimes-de-guerre">crimes de guerre</a> avérés à l’égard de son propre peuple (le bilan humain est estimé <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/06/un-human-rights-office-estimates-more-306000-civilians-were-killed-over-10">entre 306 000</a> et <a href="https://www.syriahr.com/en/243125/">610 000 victimes</a>), ce n’est plus réellement le cas.</p>
<p>Au nom du pragmatisme, la <a href="https://www.eeas.europa.eu/syria/who-we-are_en?s=209">délégation de l’UE pour la Syrie</a> – qui a déménagé à Beyrouth en 2012 et dont le rôle est de promouvoir les valeurs européennes et de superviser localement la politique de l’UE en matière de relations extérieures et d’aides – tend dernièrement à changer de ton à l’égard du pouvoir syrien en place. Avec quelles conséquences ?</p>
<h2>Une fermeté qui n’a duré qu’un temps</h2>
<p>En juillet 2011, six mois après le début de la révolution syrienne, <a href="https://www.wilsoncenter.org/person/the-right-honourable-catherine-ashton-baroness-upholland">Catherine Ashton</a>, alors Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_11_504">exige le départ de Bachar Al-Assad</a>, en accord avec la stratégie adoptée par les États-Unis et une majorité de pays européens, dont la France et le Royaume-Uni, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.</p>
<p>De son côté, le président américain Barack Obama définit en août 2012 une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/ethics-and-international-affairs/article/syrian-views-on-obamas-red-line-the-ethical-case-for-strikes-against-assad/5D328A19C288C247F2BAC83742E20145">« ligne rouge »</a> à ne pas dépasser par le régime de Damas, sous peine de conséquences dévastatrices : l’utilisation d’armes chimiques.</p>
<p>Pourtant, <a href="https://information.tv5monde.com/info/attaques-chimiques-en-syrie-retour-sur-un-massacre-163230">l’attaque de la Ghouta orientale</a> en août 2013 reste sans conséquences, Washington décidant de s’abstenir d’intervenir. Un revirement qui annonce celui, progressif, de l’UE.</p>
<p>En effet, à partir de 2015, la peur d’une « crise des réfugiés », couplée aux premiers succès de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-30.htm">l’intervention russe</a> et à l’implantation de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Comprendre-zones-desescalade-Syrie-2017-05-07-1200845219">« zones de désescalade »</a> en Syrie, conduit l’UE à adopter une ligne essentiellement centrée sur les sanctions économiques et l’aide humanitaire. Elle écarte ainsi la possibilité d’essayer de faire preuve d’influence politique pour faciliter la résolution du conflit.</p>
<p>À cette période, comme le <a href="https://www.iemed.org/publication/the-ins-and-outs-of-the-eus-shortcomings-in-syria/">constatent</a> le chercheur Dimitris Bouris et l’ancien chef de la délégation de l’UE pour la Syrie Anis Nacrour, « l’UE réduit sa marge de manœuvre au rôle de partenaire financier et fournisseur d’assistance technique aux initiatives de médiation des Nations unies ».</p>
<p>Ce revirement européen observé dès l’automne 2015 n’a pas été sans conséquences pour la stratégie de communication des alliés de Damas qui, constatant que les Occidentaux ne réclamaient plus avec la même vigueur le départ d’Al-Assad, se mirent à affirmer que ce dernier avait gagné la guerre – et ce, malgré la persistance de <a href="https://snhr.org/blog/2022/09/04/the-most-notable-human-rights-violations-in-syria-in-august-2022/">violences systématiques</a>, voire <a href="https://aljumhuriya.net/en/2019/09/19/terror-genocide-and-the-genocratic-turn/">génocidaires</a>, imposées au peuple syrien par le régime.</p>
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<figcaption><span class="caption">Syrie : l’aide humanitaire de l’UE, 24 avril 2018.</span></figcaption>
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<p>Actuellement, l’UE, qui a adopté progressivement l’idée d’un plan de <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/opportunities-strengthening-resilience-and-advancing-early-recovery-syria_en">« réhabilitation précoce »</a>, est fortement impliquée en Syrie aux côtés de l’ONU, qui continue à demander un cessez-le-feu associé à une solution politique à l’initiative des Syriens depuis l’adoption à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité de la <a href="https://press.un.org/en/2015/sc12171.doc.htm">résolution 2254 en décembre 2015)</a>.</p>
<p>Cette coopération se manifeste notamment dans la <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2022/05/10/">conférence annuelle sur l’aide à apporter pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région</a> : en mai 2022, 6,4 milliards d’euros ont ainsi été mobilisés.</p>
<h2>Mouvements diplomatiques récents au sein de la délégation de l’UE en Syrie</h2>
<p>Jusqu’à l’automne 2021, la délégation de l’UE en Syrie restait discrète quant à la composition de son équipe, ses activités et ses déplacements à Damas. Sa <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria">page Facebook</a> affichait essentiellement des informations relatives aux acteurs de l’UE engagés en Syrie ainsi que dans les pays limitrophes.</p>
<p>Effective dès septembre 2021, la <a href="https://www.rri.ro/en_gb/april_17_2021-2635454">nomination</a> à sa tête du diplomate roumain <a href="https://www.eeas.europa.eu/node/410120_nl?s=209">Dan Stoenescu</a> inaugure une nouvelle ère en termes de relations diplomatiques, d’engagements humanitaires et de stratégie de communication.</p>
<p>Moins d’un mois après son arrivée, <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02fKLKchSbPkpxNxCyV2BhMGbAvoY6kPcjsRCjMZBFG2mSG1MHdiTKVZJcmXcUCAjgl">12 photographies</a> mettent en scène son premier déplacement officiel à Damas, où il rencontre Imran Raza, coordinateur résident des Nations unies, de même que des représentants d’agences d’aide humanitaire dont la Croix-Rouge, le PNUD, l’OMS et le Programme alimentaire mondial, des diplomates bulgares, roumains, grecs, omanais, hongrois et tchèques, sans oublier Mario Zineri, nonce apostolique et ambassadeur papal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dan Stoenescu, en costume bleu au centre, aux côtés du président du Comité international de la Croix-Rouge, Christophe Martin, et d’autres personnes, à Damas, le 27 septembre 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo?fbid=2985836848370514&set=pcb.2985841275036738">Page Facebook de la Délégation de l’UE en Syrie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Centrée sur la personnalité du chef de la délégation, la médiatisation de ce voyage est en rupture avec les positions originelles de l’UE : par cette première visite assumée dans la zone contrôlée par le régime, Stoenescu brise la promesse européenne de ne pas favoriser la quête de légitimité d’Al-Assad.</p>
<p>La présence sur les clichés de diplomates européens dont les ambassades avaient fermé à partir de 2012, (seule l’ambassade de République tchèque était restée ouverte en Syrie ; actuellement, sept ambassades européennes sont ouvertes) abonde également dans ce sens et rompt le tabou de la reprise d’une forme d’échanges.</p>
<p>Les visites deviennent régulières et sont décrites en toute transparence sur les pages Facebook de la délégation et de Stoenescu. Le 8 août 2022, ce dernier effectue une « <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid031k9xXuqixD9QXhZSmbkGYjuRkZeMbSXD9N1zN8gnMLXME7aAnpvk5ewPbzkkvhocl">mission humanitaire de quatre jours</a> » aux côtés d’<a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/head-european-union-delegation-joint-field-visit-aleppo-homs-hama">Imran Raza</a>. Sont visitées pour la première fois trois villes sous contrôle du régime : Homs, Hama et Alep, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Alep-sous-controle-regime-syrien-2016-12-23-1200812506">ville martyre symbole de la victoire d’Assad</a>.</p>
<h2>Archétypes du discours humanitaire et de la reconstruction</h2>
<p>La communication de la délégation est celle d’un service diplomatique s’adressant à un public européen spectateur d’une <a href="https://ia800307.us.archive.org/22/items/OnRevolution/ArendtOn-revolution.pdf">« souffrance à distance »</a>, pour reprendre la formule d’Hannah Arendt. À travers son rôle de médiateur, elle doit informer les citoyens des pays membres mais aussi du monde entier et <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/208779/1/cbs-phd2011-12.pdf">véhicule sa conception d’une forme de responsabilité sociale</a>.</p>
<p>Or on constate que ses publications, textes et photographies exposent la situation du peuple syrien de manière très édulcorée. Aucun coupable n’est nommé : la délégation n’opte donc pas pour ce que le sociologue Luc Bolstanski définit comme la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-91.htm">« topique de la dénonciation »</a>, qui « se détourne de la considération déprimante du malheureux et de ses souffrances pour aller chercher un persécuteur », mais au contraire pour la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-117.htm">« topique du sentiment »</a>, qui « oriente l’attention vers la possibilité d’une bienfaisance accomplie par un bienfaiteur ».</p>
<p>Ainsi, la responsabilité est ici humanitariste : elle mobilise l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1468-0424.00298">« iconographie du secours</a> ». Tout cas de souffrance nécessite une bonne action, <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/208779/1/cbs-phd2011-12.pdf">« indépendamment de ce qui a provoqué la souffrance ou des conséquences de l’assistance »</a>.</p>
<p>L’action européenne se divise en deux pans : reconstruction précoce dans les territoires sous contrôle du régime, et aide humanitaire pour les réfugiés et déplacés. La portée politique de cette stratégie est, quant à elle, reléguée au second plan. La <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid02S3J2LA5u8p5Xz883QkgVvJjFNiTQVVxxvTSS2jnuTEb6aAFy1HEWyeAFdu6CaqSZl">réaction</a> de Dan Stoenescu à l’adoption par le Conseil de sécurité de la <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/security-council-renews-cross-border-aid-operations-syrias-north-west-six-months-adopting-resolution-2642-2022-compromise-amid-divisions">résolution 2642</a> qui limite les opérations d’aide transfrontalières dans le nord-ouest de la Syrie à six mois seulement, pour éviter que la Russie n’utilise son pouvoir de véto et bloque totalement la situation, en est un exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Les besoins humanitaires des Syriens, dont la majorité sont des femmes et des enfants, ne devraient pas être politisés ! […] Les opérations transfrontalières doivent être dépolitisées et doivent augmenter. »</p>
</blockquote>
<p>Par le biais de <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid0BrwfHHq7wqyERtqftXxSeTRvt5AJrJXENfqPE6GCSxTzrJJVtkYsywGAzxYz51Rnl">formes passives</a> se concentrant sur le sort des victimes, le nom des responsables des exactions est soigneusement évité, induisant un effet de déresponsabilisation :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis scandalisé par les récentes attaques dans le Nord de la Syrie qui auraient tué plus de 17 personnes […] Des innocents continuent d’être victimes de ce conflit ! »</p>
</blockquote>
<p>Les Syriens, quant à eux, sont ici décrits tels un groupe homogène, ce qui efface l’existence d’oppresseurs et d’opprimés. Citons le <a href="https://www.eeas.europa.eu/delegations/syria_en ?s=209">site officiel de la délégation</a> : « L’UE et les Syriens ont un objectif commun : une Syrie stable et en paix » ; « notre intérêt, en tant qu’Européens, est le même que ce que veulent les Syriens ».</p>
<p>Pour étayer son discours, la délégation a recours à des photographies de citoyens, et plus particulièrement d’enfants, relançant le débat quant à la relation de pouvoir entre le photographe et ses sujets dans un contexte autoritaire et le respect de leur dignité. Ici, les nombreux clichés viennent compléter le tableau d’un peuple se « reconstruisant » grâce à la <a href="https://www.facebook.com/watch/ ?v=1208355293327527">réhabilitation des écoles, des infrastructures médicales, ainsi que de structures électriques</a> et <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid088VMS5E1bYnQQSJkyQjT2tD9o9TFzrVxMRwPD5W6TDhsLAkmn92azNoyaX5Kj5gSl">hydrauliques</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dan Stoenescu dans une école à al-Qusayr, le 9 août 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo?fbid=604297797724325&set=pcb.604299651057473">Page Facebook de Dan Stoenescu</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces mises en scène au pouvoir affectif certain s’installent dans l’imaginaire d’un public souvent peu averti, organisent sa <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php ?isbn=9780674008014">« connaissance culturelle »</a> de la région, et consolident une conception idéalisée de la situation politique en Syrie. Ainsi, les lecteurs européens découvrent des enfants « résilients » <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid02rDsyh29SBjKTyYdZkm6JqGFRAyd9FYrkBFS49QXAmuLaFzjLrtLxApPw6FuwqyQ5l">coloriant et chantant en chœur</a> dans un centre de jeunesse à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Syrie-Damas-reconquete-dAlep-2016-09-23-1200791259">Alep</a>, ou <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid0PLoDgC684AMMWVrvbDhvZQbqG1eMJ8sATgKqQpTM86QCcvjCokjfAPC5mK4Wx2LWl">jouant de la musique</a> à <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/qusayr-rules-syrian-regimes-changing-way-war">al-Qusayr</a>.</p>
<p>Toutefois, d’autres clichés issus de la <a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes</a> ou du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés viennent parfois contrebalancer les images idéalisées des enfants des « zones de gouvernement » : on y voit des enfants réfugiés, cette fois-ci démunis, <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02ghGzhXBpdxGZ5xtLuWph7qfFZXsHKFjVAjDjHk2gZaz9ipMtiEa6ywhN81NPwjF8l">assis sur des caisses estampillées « UNICEF »</a>, ainsi que des <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02DnZ93CGdJhYz7339bRmnNQn3Szbk5jnGe3eu49JxJcVgmGULbLDGm243uLMNPrEql">mères et leur nourrisson</a> souffrant du froid des camps au Nord-Est de la Syrie. Ces images font appel <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1468-0424.00298">au trope de la culture visuelle du tiers monde</a> et insistent sur la nécessité de maintenir l’assistance humanitaire internationale en l’état.</p>
<h2>Politique de réhabilitation précoce : quels risques ?</h2>
<p>La vision du conflit véhiculée par l’UE et l’ONU est dénoncée par de nombreuses personnalités, dont des politiciens, activistes, chercheurs et<a href="https://ifit-transitions.org/wp-content/uploads/2022/04/Conclusions-and-Raecommendations-Towards-More-Principled-International-Support-A-Dialogue-between-Syrians-and-the-International-Community-31-March-2022-1.pdf">organisations de la société civile syrienne</a>, qui militent pour une autre lecture des faits et avertissent que cette politique ne doit pas se transformer en un soutien politico-financier à Bachar Al-Assad.</p>
<p>En cause, les détournements de fonds organisés par le régime syrien, qui sont <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/oct/21/assad-regime-siphons-millions-in-aid-by-manipulating-syrias-currency">connus</a> et <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/report_pdf/syria0619_web3.pdf">documentés</a>. Le fait que les agences humanitaires en Syrie travaillent notamment avec <a href="https://www.middleeasteye.net/news/syria-war-assad-millions-un-procurement-costs-companies">l’organisation Syria Trust</a>, fondée par Asma Al-Assad (l’épouse de Bachar), en est un exemple : l’aide internationale enrichit largement le premier cercle du président qui ne rend aucun compte, ni aux habitants de la Syrie, ni aux contribuables internationaux.</p>
<p>De même, le <a href="https://carnegie-mec.org/2019/09/04/paradox-of-syria-s-reconstruction-pub-79773">scandale ayant affecté les agences onusiennes</a> présentes en 2018 à Alep illustre les risques de cooptation : alors que les bombardements systématiques de la partie Est de la ville par le régime ont entraîné la destruction d’écoles, d’hôpitaux, de quartiers résidentiels, d’infrastructures électriques et hydrauliques, les experts de l’ONU n’ont pas pu imposer la liste de quartiers prioritaires qu’ils avaient identifiés et ont été contraints par le régime à ne travailler que dans les quartiers d’Alep Ouest.</p>
<p>Dans un tel contexte de pillage de l’aide internationale, le récent voyage de Stoenescu à al-Qusayr, <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-battle-for-qusayr-how-the-syrian-regime-and-hizb-allah-tipped-the-balance/">ancienne ville rebelle reconquise dans la plus grande violence par le Hezbollah et les milices chiites en 2013</a>, interroge. Décrite comme apolitique et humanitaire, cette visite officielle de la « ville vitrine » d’Assad a adoubé la stratégie du régime : à al-Qusayr, en 2019, le <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-security-qusayr-idUSKCN1U20LP">retour des réfugiés escortés par le Hezbollah</a> constitua une étape clé du discours officiel décrivant une Syrie désormais stabilisée et sûre. La présence du représentant de l’UE ne s’opposait pas non plus à la <a href="https://harmoon.org/wp-content/uploads/2017/04/Demographic-change-in-Syria-fr.pdf">stratégie de changement démographique</a> mise en place dans cette région par le Hezbollah sur une base sectaire, visant à fortifier et protéger une « <a href="https://harmoon.org/wp-content/uploads/2017/04/Demographic-change-in-Syria-fr.pdf">Syrie utile</a> ».</p>
<p>Enfin, le plan implémenté par les agences internationales n’est pas sans conséquences dramatiques pour les Syriens en quête de justice et de responsabilisation des coupables : la reconstruction peut conduire à l’effacement de crimes de guerre, par exemple dans le cas des <a href="https://www.hrw.org/report/2013/06/05/safe-no-more/students-and-schools-under-attack-syria">écoles bombardées par le régime</a>.</p>
<p>En conséquence, la stratégie actuelle de l’ONU et de l’UE doit être remise en cause de manière à ce que, à l’avenir, elle s’appuie sur des intermédiaires locaux de confiance, et fasse de ces derniers un élément central de la résolution du conflit. Une telle action limitera la fuite des fonds européens, la corruption et la cooptation des aides humanitaires, ainsi que le processus de normalisation des relations avec le régime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192144/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élise Daniaud a reçu un contrat doctoral de l'université LUISS Guido Carli. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yahia Hakoum a reçu une bourse de recherche. </span></em></p>Au nom de la volonté de contribuer à la reconstruction de la Syrie, l’UE est-elle en train de réhabiliter Bachar Al-Assad ?Élise Daniaud, PhD candidate on Syria/Russia/Middle-East, LUISS Universita Guido CarliYahia Hakoum, Chercheur au Centre de Recherches Internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1922852022-10-26T18:34:37Z2022-10-26T18:34:37ZBonnes feuilles : « La Syrie au-delà de la guerre. Histoire, politique, société »<p><em>Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/syrie-dela-de-guerre/">La Syrie au-delà de la guerre : Histoire, politique, société</a>, publié aux éditions Le Cavalier Bleu, Manon-Nour Tannous évalue la justesse de nombreuses idées reçues très répandues – pas nécessairement totalement erronées pour autant – sur la Syrie, plongée depuis 2011 dans une guerre d’une grande violence, qui a déjà causé plusieurs centaines de milliers de morts et contraint des millions de personnes à quitter leur foyer. L’une de ces idées reçues a trait à la relation du régime de Damas avec Moscou. Nous présentons ici le chapitre de l’ouvrage qui examine l’assertion « La Syrie et la Russie sont liées par une alliance stratégique » en analysant la relation bilatérale de l’époque de la guerre froide jusqu’aux développements les plus récents.</em></p>
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<blockquote>
<p>« Il était devenu évident que les forces au pouvoir étaient prêtes à développer des relations étroites avec l’URSS. Cependant, les relations entre les deux pays n’ont vraiment décollé qu’en 1970, avec l’ascension d’un régime encore plus radical sous Hafez Assad. […] La Syrie de Hafez Assad était devenue le pilier de la politique soviétique au Moyen-Orient. » (Yevgeny Primakov, ancien ministre des Affaires étrangères et premier ministre russe, <a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2009-12-19/russia-and-arabs-behind-scenes-middle-east-cold-war-present">« Russia and the Arabs »</a>, 2009.)</p>
</blockquote>
<p>L’URSS est l’un des premiers pays à reconnaître la Syrie comme État nouvellement indépendant en 1943, la même année que les États-Unis, tous deux faisant pression pour la fin du <a href="https://books.openedition.org/ifpo/3204?lang=fr">mandat français</a>. Soucieuse de son indépendance, la Syrie se méfie pourtant de ces puissances qui reconnaissent par ailleurs la création de l’État d’Israël en 1948, et préfère dans un premier temps construire sa politique étrangère en multipliant les accords avec diverses nations, poursuivant un principe de neutralité (<em>hiyâd</em>).</p>
<p>L’imposition des logiques de Guerre froide au Moyen-Orient fait pourtant bouger le curseur. L’année 1955 constitue à ce titre un tournant. Face au <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-de-Bagdad.html">pacte de Bagdad</a> pro-occidental annoncé en février incluant entre autres la Turquie et l’Irak, et revenant de la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1458">conférence de Bandung des nations afro-asiatiques</a>, la classe politique syrienne oscille entre neutralisme et ouverture à l’est. Une première délégation parlementaire syrienne se rend à Moscou et la Syrie signe son premier accord d’armement avec un pays du bloc communiste, la Tchécoslovaquie. En 1957, l’énonciation de la <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1958_num_4_1_1369">doctrine Eisenhower</a>, qui promet une aide à tout pays de la région luttant contre le communisme, précipite ces choix. </p>
<p>Le 6 août, la Syrie conclut un accord de coopération avec l’URSS, destiné à soutenir les efforts de développement du pays (irrigation, transports, industrie). Le soupçon d’un volet militaire à cet accord (<a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100429600">Carrère d’Encausse, 1975</a>) conduit les Américains à l’interpréter comme un basculement de la Syrie dans le camp soviétique. Les autorités syriennes annoncent par ailleurs la découverte d’une tentative de coup d’État soutenue par les Américains et refusent un prêt de la Banque mondiale assorti de conditions occidentales inacceptables pour sa souveraineté.</p>
<p>En fait, si la classe politique intègre peu à peu une grille de lecture bipolaire des événements régionaux, l’appui du bloc socialiste est une alliance sans contenu idéologique, ce qui la rend compatible avec le neutralisme revendiqué. Quant à l’URSS, son soutien aux régimes progressistes est un levier pour affaiblir le bloc occidental. Contrairement à Staline, Khrouchtchev est convaincu que l’affrontement entre les deux Grands ne se joue plus seulement en Europe, mais au Moyen-Orient. L’Égypte et la Syrie constituent les deux piliers de cette tactique qui se construit par tâtonnements. Le nationalisme arabe de ces pays s’exprime en premier lieu contre les anciennes puissances coloniales et le bloc occidental, sans empêcher l’expression d’intérêts nationaux (<a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2009-12-19/russia-and-arabs-behind-scenes-middle-east-cold-war-present">Primakov, 2009</a>). Ce sont donc des relations classiques d’État à État qui se dessinent.</p>
<p>Le conflit israélo-arabe devient par ailleurs structurant dans les relations bilatérales. La Syrie module son alliance avec l’URSS en fonction de l’engagement de cette dernière, et Moscou conçoit ce conflit sous l’angle de son rapport avec les États-Unis. En 1956, alors que le président syrien Chukri Al-Quwatli se trouve à Moscou, la nationalisation de la compagnie du canal de Suez par Nasser puis l’intervention anglo-franco-israélienne contre l’Égypte figurent comme un test de confiance. Pour la première fois, l’URSS soutient diplomatiquement les positions arabes. Cette position est confirmée lors de la guerre de 1967 : Moscou œuvre aux Nations unies pour imposer un cessez-le-feu, puis remplace le matériel militaire syrien et égyptien et envoie entre 2 000 et 3 000 conseillers militaires pour former leurs homologues mais aussi éviter la préparation d’une nouvelle guerre.</p>
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<p>En 1970, le président Salah Jadid, favorable à l’alliance soviétique, est renversé par Hafez Al-Assad qui inspire à Moscou une certaine méfiance. Avant son arrivée au pouvoir, en tant que ministre de la Défense, il déplorait la dépendance économique de son pays envers l’URSS, permise par l’aile gauche du parti Ba’th au pouvoir, au détriment selon lui du développement militaire. Il donne cependant rapidement des gages en se rendant à Moscou dès février 1971, en intégrant les communistes syriens au Front progressiste et en confirmant une politique anti-impérialiste.</p>
<p>La même année, l’URSS désireuse de renforcer sa présence avec la V<sup>e</sup> escadre (<em>Pyataya Eskadra</em>) face à la VI<sup>e</sup> flotte américaine en Méditerranée, négocie l’accès aux bases de Tartous et Lattaquieh. La Syrie prend en outre une place stratégique dans la politique régionale de l’URSS, à mesure que l’Égypte d’Anouar Al-Sadate se rapproche des États-Unis, dans les suites de la guerre de 1973. L’URSS aide à construire des infrastructures, comme le barrage sur l’Euphrate. Le rapprochement de la Syrie est également notable avec d’autres pays du bloc Est comme la Tchécoslovaquie et la RDA, cette dernière assurant en 1985 les trois quarts de la production syrienne en ciment. La porosité entre les sociétés se manifeste enfin par l’augmentation du nombre de mariages mixtes syro-russes.</p>
<p>Malgré des désaccords sur les questions irakienne, libanaise et palestinienne – l’ancien ministre des Affaires étrangères Yevgeny Primakov (2009) explique notamment que la ligne anti-Arafat ne peut être suivie par Moscou –, les deux pays signent un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/10/10/signe-par-le-president-assad-a-moscou-le-traite-sovieto-syrien-ne-va-pas-plus-loin-que-les-accords-conclus-avec-d-autres-pays-du-tiers-monde_3146286_1819218.html">traité d’amitié en 1980</a>, alors que l’URSS est fragilisée par son intervention en Afghanistan et sa mise à l’écart du processus de Camp David parrainé par les États-Unis.</p>
<p>Mais il serait erroné de lire la relation syro-soviétique comme dictée par le partenaire le plus puissant. Contrairement à l’Irak et l’Égypte, la Syrie a résisté pendant dix ans aux pressions russes pour signer ce traité. La politique étrangère de Hafez Al-Assad rend son concours indispensable et son contournement potentiellement nuisible. Cela relève en partie de ce que Jean-Pierre Filiu résume par la notion de <em>tawrît</em>, qui désigne dans un tandem le processus par lequel la partie locale, « faible », attire à son profit son puissant allié extérieur dans les affaires régionales (<a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-nouveau-moyen-orient-9782213671673">Filiu, 2013</a>).</p>
<p>En se faisant adopter par de puissants parrains, la Syrie des années 1970 et 1980 ne cède en rien de sa souveraineté ou de sa marge de manœuvre. Ainsi, la Russie peine à transformer son soutien en influence, et Assad reste attentif aux éventuelles ouvertures américaines (comme la visite du président Nixon en 1974 rétablissant les relations diplomatiques interrompues en 1967, ou celle de l’ancien président Jimmy Carter en 1987, juste avant la visite d’Assad à Moscou) (<a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-1-349-11482-5">Karsh, 1991</a>). Pays débiteur, la Syrie diffère en outre chaque année les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00263206.2022.2081556">remboursements de sa dette</a> contractée envers l’URSS. Au milieu des années 1980, celle-ci s’élève à 4 milliards de dollars de dette civile (soit un quart du PIB syrien) et au moins 8 milliards de dettes militaire. Elle sera finalement effacée aux trois quarts en 2005.</p>
<p>Mais avec l’arrivée de Gorbatchev et la perestroïka, l’URSS cherche à diversifier ses alliances et à rationaliser son aide à la Syrie pour la diriger vers les secteurs productifs comme l’industrie textile. Moscou signifie par ailleurs à Assad qu’il ne doit plus s’attendre à être soutenu dans son objectif de « parité stratégique » avec Israël et, s’inquiétant des capacités de remboursement de Damas, reconsidère le montant de son aide économique et militaire.</p>
<p>Dès lors, le président syrien modifie la configuration de ses alliances. La guerre du Golfe (1990–1991) puis le <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-le-processus-de-barcelone/">processus de Barcelone</a> (1995) sont l’occasion de donner des gages aux États-Unis d’une part, à l’Europe d’autre part. Il en tire des bénéfices économiques (l’Europe lève les sanctions mises en place en 1987) et une crédibilité stratégique susceptible de conforter son successeur.</p>
<p>Le rôle de la Russie redevient central à la faveur de la crise que traverse le régime à partir de 2011. À la veille du soulèvement, en mai 2010, Dmitri Medvedev effectue la première visite d’un chef d’État russe en Syrie. L’année suivante, il se défend d’être l’allié d’Assad, soulignant la nécessité de changements, mais durcit sa position suite à l’intervention de l’OTAN en Libye. Il soutient d’abord le régime sur les plans économique et politique. Le veto russe bloque toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies dont l’objet est de condamner la répression.</p>
<p>La négociation politique menée par Vladimir Poutine, redevenu président en 2012, avec Barack Obama permet en outre d’éviter une riposte occidentale après l’emploi d’armes chimiques en août 2013, pourtant qualifié par ce dernier de « ligne rouge » à ne pas franchir. Sur le plan militaire, après l’envoi de conseillers, la Russie engage directement ses forces, notamment aériennes, à partir de septembre 2015. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, elle cible prioritairement les groupes d’opposition les plus crédibles pour incarner une alternative à l’autoritarisme et sauve le régime au bord de l’effondrement. Cette intervention modifie en profondeur le rapport de force entre les grandes puissances sur la crise syrienne. Sur le plan diplomatique, les négociations se déroulent dès 2017 dans l’espace d’influence de la Russie (Astana et Sotchi). Supposée permettre d’ouvrir les possibles faces aux négociations onusiennes bloquées à Genève, à la manière d’une <em>track-two diplomacy</em> (un canal diplomatique parallèle), cette médiation russe symbolise l’évolution du centre de gravité en faveur du régime syrien.</p>
<p>Cet engagement trouve un premier élément d’explication en étant mis en parallèle avec la crise ukrainienne, les guerres de Tchétchénie et les révolutions de couleur. Il s’agit d’une répulsion russe pour tout soulèvement populaire, en particulier s’il peut donner l’avantage soit à l’Islam politique, soit à des acteurs pro-occidentaux. La position stratégique du port de Tartous, seul accès russe aux mers chaudes et base pour renforcer les capacités opérationnelles et de projection de la Russie (même s’il était largement inactif avant 2011), ou encore l’utilisation de la guerre en Syrie comme vitrine pour une industrie de défense en expansion (plus de 200 types d’armes russes auraient été déployés en Syrie en 2018) contiennent également une part de dimension explicative.</p>
<p>Mais l’intérêt essentiel pour Moscou est l’instrumentalisation de la crise comme tremplin pour une restauration internationale. Bien avant la guerre en Ukraine, Poutine parvient à la redéfinition tant attendue de ses rapports avec les États-Unis. Celle-ci se fait sur la défense de nouveaux principes à même de convaincre nombre de gouvernements des pays du sud, las de l’unilatéralisme occidental : une approche restrictive de la souveraineté impliquant la non-ingérence, même en cas de crimes contre des civils, et l’opposition à tout changement de régime.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « La Syrie au-delà de la guerre Histoire, politique, société », paru récemment aux éditions Le Cavalier Bleu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/syrie-dela-de-guerre/">Le Cavalier Bleu</a></span>
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</figure>
<p>Si cette alliance a permis la reconquête militaire par le régime, la pérennité politique de la solution russe est plus incertaine. Concentrée sur la refonte des appareils de sécurité syriens, Moscou doit attirer des partenaires pour financer la reconstruction, c’est-à-dire trouver un terrain d’entente minimal avec les Occidentaux sans perdre le gain de son investissement auprès de Bachar Al-Assad. L’estime envers le dirigeant syrien est en outre ostensiblement absente, ce dernier faisant de plus en plus l’objet de critiques dans la presse pro-russe, notamment sur le thème de la corruption, et étant contraint d’accepter régulièrement un cérémoniel vexatoire lors de ses interactions avec son protecteur russe.</p>
<p>Si les effets de mémoire peuvent jouer des tours à l’analyse, tant les enjeux évoluent, la relation syro-russe reste donc stratégique. Moscou a sauvé un régime allié et aujourd’hui vassal. C’est dans ces conditions qu’elle a pérennisé sa présence militaire par un <a href="http://www.opex360.com/2017/12/21/deputes-russes-approuvent-laccord-base-navale-de-tartous-syrie/">accord en 2017</a>, concernant la base navale de Tartous (agrandissement et bail de 49 ans renouvelable) et la base aérienne Hmeimim. Sa politique a placé le régime syrien dans une situation de dépendance et de redevabilité inédites, fort éloignée de la rhétorique sur la souveraineté qu’il continue à mobiliser pour sa propre légitimation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192285/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon-Nour Tannous ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proximité entre Damas et Moscou, qui remonte à la guerre froide, s’est dernièrement muée en une véritable relation de vassalité.Manon-Nour Tannous, Docteure en relations internationales, maitre de conférences en Science politique, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842122022-06-05T16:24:25Z2022-06-05T16:24:25ZLe massacre de Tadamon : une enquête secrète de chercheurs sur la politique d’extermination en Syrie<p><em>Le Parquet national antiterroriste français a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/massacre-a-tadamon-en-syrie-en-2013-la-justice-examine-les-fichiers-transmis-au-quai-d-orsay-20220817">indiqué ce 17 août</a> avoir reçu «une importante documentation relative à de possibles crimes commis par les forces du régime syrien (…) lors du massacre de Tadamon, à Damas, en 2013». Selon le Quai d'Orsay, «les faits allégués sont susceptibles d'être constitutifs de crimes internationaux les plus graves, notamment de crimes contre l'humanité et crimes de guerre», crimes pour lesquels la justice française dispose d'une compétence universelle. Ce nouveau développement nous incite à vous proposer de relire cet article/entretien consacré à l'enquête édifiante qui a permis de révéler au grand jour le massacre de Tadamon et l'identité de certains de ses auteurs.</em></p>
<p>Début 2019, à Paris, Uğur Ümit Üngör, chercheur au <a href="https://www.niod.nl/en">NIOD Institute of War, Holocaust & Genocides Studies</a> de l’université d’Amsterdam, participe à une conférence universitaire lorsqu’un activiste syrien résidant dans la capitale française demande à le rencontrer discrètement. Quelques heures plus tard, le professeur se retrouve en possession de 27 vidéos uniques et inédites. Elles viennent d’arriver de Syrie, exfiltrées par un jeune milicien pro-Assad depuis un ordinateur des renseignements militaires à Damas. Sur ces enregistrements : des scènes d’atrocités de masse commises par les services syriens.</p>
<p>Trois ans plus tard, le 27 avril 2022, <em>The Guardian</em> <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/27/massacre-in-tadamon-how-two-academics-hunted-down-a-syrian-war-criminal">publie</a> des images choc de l’exécution de 41 civils. Le journal britannique explique que ce massacre, qui a eu lieu le 16 avril 2013 dans une banlieue sud de Damas, Tadamon, a été révélé par deux chercheurs de l’Université d’Amsterdam : <a href="https://www.niod.nl/en/staff/ugur-umit-ungor">Uğur Ümit Üngör</a> et sa collègue syrienne Annsar Shahhoud, chercheuse sur la violence de masse dans le conflit syrien.</p>
<p>Le lendemain de cette révélation, les deux chercheurs publient dans le <a href="https://newlinesmag.com/reportage/how-a-massacre-of-nearly-300-in-syria-was-revealed/">magazine américain <em>New Lines</em> un article</a> expliquant le cadre académique de leur enquête dissimulée (<em>Covert Research</em>) auprès des assassins. Celle-ci leur a pris trois ans de travail secret, dont ils n’ont rien dit à quiconque, pas même aux membres de leurs familles respectives.</p>
<p>La vidéo publiée, affirment-ils, ne montre pas tout ; le massacre Tadamon a vu l’exécution de 288 civils, dont 7 femmes et 12 enfants. C’est là une courte séquence d’un long film de nettoyage, d’extermination et de diverses formes de violence à l’encontre de la population civile.</p>
<p>Après avoir terminé l’enquête sur le massacre de Tadamon, Uğur et Annsar ont remis toutes les vidéos en leur possession aux services publics compétents aux Pays-Bas, en France et à d’autres États européens. Ils ignorent l’usage qui sera fait de ces vidéos et n’en sont plus les propriétaires.</p>
<p>Dans le cadre de mes recherches sur le récit et le vocabulaire du conflit syrien, et dans le but d’informer le public francophone à propos du massacre Tadamon, j’ai tenté, par le biais d’un activiste et ancien prisonnier politique syrien, de contacter Annsar et Uğur.</p>
<p>Le lendemain de ma requête, j’ai obtenu une rencontre avec eux sur Zoom. En voici le compte-rendu, qui reprend tout le fil de cette enquête secrète.</p>
<h2>La décision de ne pas diffuser immédiatement les vidéos</h2>
<p>Les deux chercheurs ont gardé le secret des 27 vidéos en leur possession depuis le moment où ils les ont reçues, en juin 2019, jusqu’au mois d’avril 2022. Seule la police néerlandaise en était informée, raconte Uğur à <a href="https://www.theguardian.com/news/audio/2022/apr/27/investigating-a-war-crime-part-1-searching-for-the-shadow-man-podcast"><em>Today in Focus</em></a>, afin que les chercheurs et leur centre assurent leur « obligation fiduciaire » en ce qui concerne leur usage temporairement privé de ces vidéos.</p>
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<p>« Notre ambition était de parler à ces professionnels de la violence de masse. Ils ne savaient pas que nous avions des vidéos de leurs crimes ! »Uğur Ümit Üngör</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le quartier Tadamon dans la banlieue sud de Damas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Guardian</span></span>
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<p>Uğur nous apprend qu’il se trouvait devant deux possibilités ; rendre les vidéos publiques de manière immédiate par le biais des médias, ou les intégrer au projet du NIOD sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2021.1979907">violence de masse en Syrie</a> à l’université d’Amsterdam.</p>
<p>« Notre ambition était de parler à ces professionnels de la violence de masse. Ils ne savaient pas que nous disposions des vidéos de leurs crimes ! », explique Uğur.</p>
<p>« Rendre les vidéos publiques ne rendait aucun service », affirme-t-il ; certes, les activistes syriens « allaient identifier et dénoncer les auteurs du massacre sur les réseaux sociaux », mais ça aurait été du gâchis devant la possibilité d’une enquête. La révélation des vidéos aurait simplement permis aux « coupables de se dissimuler et au régime syrien de nier l’authenticité des documents ». La publication immédiate des vidéos aurait signifié « 5 minutes de sensations fortes », de surutilisation « émotionnelle » sur les réseaux sociaux, mais sans résultats profonds. Qui plus est, conclut-il, « nous ne pouvions pas rendre les vidéos publiques avant que le jeune milicien qui les avait copiées ne puisse quitter la Syrie (fin 2021) ».</p>
<h2>« Anna Sh. », un personnage Facebook infiltré dans les réseaux loyaux à Assad</h2>
<p>Quand Uğur rentre de Paris avec les vidéos, milieu 2019, Annsar Shahhoud prépare une thèse sur <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14623528.2021.1979908?needAccess=true&journalCode=cjgr20">« le rôle des médecins syriens dans les meurtres et tortures organisés par le régime depuis 2011 »</a>.</p>
<p>Déjà, elle utilise un compte Facebook mi-faux mi-vrai où elle s’appelle « Anna Sh. » et où elle se présente comme une chercheuse syrienne installée aux Pays-Bas, alaouite et loyaliste à Assad. Elle enquêtait, disait-elle à ses interlocuteurs, sur la « réussite » de l’armée syrienne dans le conflit ayant démarré en 2011.</p>
<p>Par le biais de ce compte, Annsar dispose d’un réseau d’amis Facebook composé de plusieurs dizaines d’affiliés au régime syrien : militaires de l’armée régulière, agents des services internes de renseignements et membres des Forces de Défense nationale (milices loyalistes).</p>
<p>Les vidéos amenées par Uğur ouvrent à Annsar et à son personnage « Anna Sh. » de nouvelles pistes d’enquêtes. Ils ont enquêté sur trois vidéos de six minutes chacune où des soldats se filmaient pendant qu’ils exécutaient, avec lassitude et ennui, un groupe de 41 civils.</p>
<h2>Les faits et l’enquête</h2>
<p>Voici ce que l’on voit sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=r5wMtWrH2PE">l’unique vidéo rendue publique jusque là</a>. Un visionnage que nous déconseillons aux personnes sensibles.</p>
<p>Entouré et filmé par ses collègues en plein jour, un soldat tue, une par une, 41 personnes. Les yeux bandés, les mains attachées dans le dos, les victimes sont sorties des minibus qui les ont acheminées. On leur donne l’ordre de courir pour échapper à un prétendu « sniper du quartier ». Elles se mettent à courir.. et chutent dans une fosse préalablement creusée. Elles sont alors abattues d’une ou deux balles. À la tombée de la nuit, leurs corps sont brûlés comme le montrent les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_J1gqCp6C0s&t=35s">images obtenues par <em>The Guardian</em></a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur l’une des vidéos, on voit un soldat exécuter plusieurs dizaines de personnes. Il s’agirait d’un sous-officier des renseignements militaires à Damas (Branche 227), également responsable de la sécurité du front sud de la banlieue de Damas depuis le soulèvement en 2011.</span>
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</figure>
<p>Grâce à l’examen des métadonnées des vidéos, Uğur et Annsar ont pu découvrir la date du massacre, le 16 avril 2013, mais rien ne leur permettait d’identifier le lieu, les auteurs et les services responsables. Pendant un an, ils ont cru que la tuerie avait probablement eu lieu à Yelda, une autre banlieue de Damas, jusqu’à ce que des Syriens du sud de Damas parviennent à identifier une rue du quartier Tadamon, à la vue de certaines séquences des vidéos envoyées par les chercheurs.</p>
<p>En janvier 2021, après un an et demi de recherche, un coup de théâtre : « Anna Sh. », ayant consulté des milliers de profils liés à son réseau Facebook, réussit à découvrir le profil de l’homme que l’on voit sur la vidéo exécutant la quasi-totalité des victimes.</p>
<p>Elle entre en contact avec lui. Des appels rapides, des réponses méfiantes de la part du sous-officier. Mais six mois plus tard, il rappelle et s’ouvre. Anna Sh. réussit à tenir et enregistrer deux appels vidéo avec lui.</p>
<p>Il s’agit d’un sous-officier des renseignements militaires syriens, du nom d'Amjad Youssef. Il ne lui a pas parlé de Tadamon, mais il a reconnu « ne même pas se souvenir du nombre de personnes qu’il avait tuées, tellement il en avait tuées ».</p>
<p>Avec cette enquête, les chercheurs ne réussissent pas seulement la tâche de l’identification du présumé assassin, mais aussi et surtout de son affiliation directe aux renseignements militaires syriens (<a href="https://www.vdc-sy.info/index.php/en/reports/militarybranch227#.YpqcBp3P1pg">Branche 227</a>). Il s’agit de la première preuve visuelle et entièrement documentée de l’implication de l’appareil sécuritaire du régime syrien dans des faits d’extermination ou de crimes contre l’humanité.</p>
<p>Quelques jours après nos échanges, le Réseau syrien des droits de l’homme <a href="https://snhr.org/blog/2022/05/30/the-syrian-regime-detains-the-criminal-amjad-yousef-who-killed-dozens-of-syrians-and-raped-dozens-of-women-in-al-tadamun-neighborhood-in-damascus/">assurait</a> qu'Amjad Youssef était désormais « détenu » par le régime syrien (sans savoir dans quel cadre et quel sort lui sera réservé), suite à l’enquête de New Lines.</p>
<p>Quant aux victimes du massacre, elles sont passées du statut de <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/tenth-annual-report-enforced-disappearance-syria-international-day">« cas de disparitions forcées depuis 2013 »</a> à celui de « victimes du massacre de Tadamon », massacre commis - et filmé - par des forces du régime syrien.</p>
<h2>Le cadre de recherche de l’enquête Tadamon</h2>
<p>En tant que spécialistes de la violence de masse et experts du dossier syrien, Uğur et Annsar étudient le conflit qui ravage ce pays dans un cadre théorique plus large que celui offert par la vidéo de Tadamon. Ils l’observent également dans des micro-espaces restreints et en deçà de la totalité territoriale de la Syrie.</p>
<p>Ils expliquent que le massacre de Tadamon n’est qu’une « séquence instantanée » illustrant une politique sécuritaire appliquée dans l’« ensemble des banlieues sud de Damas » à partir de 2012. Comme conséquence de cette politique étatique, se dessine petit à petit, affirment-ils, un « tableau de nettoyages et d’exterminations systématiques ».</p>
<blockquote>
<p>« Dans le contexte de violence syrien, il y a une différence importante à faire : la violence de masse perpétrée par les Mukhabarat (services de renseignements internes), qui émane d’une formation professionnelle, et la violence des amateurs, à savoir les civils engagés dans le conflit armé. » Uğur Ümit Üngör</p>
</blockquote>
<p>Pour expliquer le type de nettoyage pratiqué, les deux chercheurs emploient une méthodologie d’« études de cas » qui consiste à diviser le conflit « en micro-espaces – provincial, citadin, de quartier ou de village – où l’analyse de l’évolution de la violence conduit à des résultats plus fructueux ». L’ambition étant d’établir, poursuivent-ils, une chaîne de commandement aussi complète que possible incriminant les institutions sécuritaires et leurs hiérarchies politiques, jusqu’à la tête du régime syrien et son président.</p>
<p>Ansar Shahhoud précise :</p>
<blockquote>
<p>« Nos études sur les micro-espaces en Syrie nous ont également permis de faire la distinction entre l’approche générale du régime – pousser vers l’escalade de la violence –, et son approche locale et particulière – la manipulation des tensions communautaires dans un environnement spatial particulier. À Homs, par exemple, en 2011, c’est-à-dire avant le début des manifestations, les enlèvements de part et d’autre (entre quartiers sunnites et alaouites) avaient très tôt installé une atmosphère de guerre civile. Ce que l’on voit dans la vidéo de Tadamon est caractéristique de la politique menée par le régime dans différents micro-espaces syriens. Je suppose que la nature sociale d’un espace, sa fabrique communautaire et d’autres facteurs jouent un rôle dans les moyens adoptés par le régime pour atteindre les objectifs de cette politique d’escalade. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, dans certaines zones comme Tadamon ou la ville de Homs, les oppositions politiques (pro- et anti-régime) s’emmêlent avec des oppositions identitaires et confessionnelles (alaouites et sunnites). Mais lorsque ces oppositions identitaires font défaut (comme à Alep), le régime applique sa politique de violence de masse à l’ensemble de la population civile des zones tenues par les rebelles.</p>
<h2>Comment qualifier le conflit syrien : révolution, guerre civile ou guerre d’extermination ?</h2>
<p>Par son cadre théorique (la violence de masse), son approche micro-spatiale (les études de cas) et les données collectées par « Anna Sh. » (notamment l’enquête dissimulée sur Tadamon), le projet de l’université d’Amsterdam s’impose comme une contribution incontournable à l’élaboration méthodologique du récit sur le conflit syrien.</p>
<p>D’une certaine manière, la confusion sur la nature des facteurs ayant précipité la société syrienne dans la guerre civile commence à se dissiper, du moins en partie.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2021.1979907">article</a> sur la violence de masse en Syrie, Uğur souligne que pour désigner les formes de violence dans un contexte de conflit, il convient d’abord d’opérer une séparation conceptuelle entre « l’ampleur des combats des factions militaires entre elles » et « l’ampleur de la violence de masse visant les civils ».</p>
<p>L’escalade rapide en Syrie après le soulèvement de 2011 a bien produit, pour lui, « une guerre civile complexe et asymétrique », mais du côté du régime syrien, les formes et l’échelle de la violence proposée exprimaient « une dynamique génocidaire délibérée » visant de « manière indiscriminée l’entière population des zones prises par les rebelles ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Uğur nous a fourni ce diagramme qui situe leur projet de recherche par rapport au conflit syrien. Le cadre général, c’est le « conflit », l’opposition armée entre deux ou plusieurs belligérants. À l’intérieur de ce conflit, il y a une « révolution » dont une partie des partisans s’est imbriquée dans un conflit civil (identitaire et/ou idéologique). Mais, parallèlement à l’ensemble de ces faits de violence caractéristiques des guerres civiles, il y a un type de violence très développé mais peu étudié, caractéristique du cas syrien, la « Mass Violence », la violence d’État qui vise la population civile en tant que cible propre et distincte.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
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<p>Ainsi, dans le contexte syrien, nous affirme-t-il, l’application de la notion de « guerre civile » n’est pas erronée en tant que résultat de l’escalade du conflit. Mais l’usage de « guerre civile » a également le défaut de faire de l’ombre à la factualité corroborée de la « violence de masse organisée et orchestrée par le régime syrien depuis le début de la révolution ».</p>
<p>Or, la vidéo du massacre de Tadamon révèle également un aspect problématique en ce qui concerne le récit sur le conflit syrien et la nature de celui-ci. La description littérale ou immédiate que l’on peut tirer de cette vidéo lorsqu’on est syrien est une description simpliste et caractéristique des guerres civiles : un soldat alaouite (reconnu à son accent) abat méthodiquement 41 civils de la banlieue de Damas, de confession sunnite.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En réaction à l’entretien donné par Annsar et Uğur à la chaîne YouTube Syria TV (une chaîne d’opposition basée en Turquie), un commentaire donne les noms de ceux qu’il appelle « les auteurs du massacre de Tadamon ». Il poursuit : « 6 assassins ; 5 alaouites et Un Druze » et « diffusez cette information partout mes frères ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Uğur précise :</p>
<p>« La réalité, c’est que l’un des assassins dans la vidéo était alaouite, mais l’autre, qui le filmait, était druze. Leur supérieur est sunnite, mais le supérieur de leur supérieur est alaouite. Ces identités nominales ne sont pas propres au conflit syrien, et la seule et véritable secte en Syrie, d’après ma conviction, s’appelle les Mukhabarat. »</p>
<p>Depuis la construction d’un empire sécuritaire par Hafez Al-Assad, le terme <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-2-page-15.htm">Mukhabarat</a> bénéficie d’un effet <em>Big Brother</em> sur la société syrienne. Il renvoie aux agents secrets présents partout, dans les câbles téléphoniques, au travail ou même quelque part au foyer.</p>
<p>Selon Uğur, l’appartenance aux Mukhabarat dote ces individus d’une personnalité fantasmée et quelque part surnaturelle qu’expriment les surnoms rimés et inidentifiables de leurs membres : « Abu Ali », « Abu Stef », « Abu Saqr », etc.</p>
<p>Annsar ajoute, suivant ses entretiens avec des membres des Mukhabarat :</p>
<blockquote>
<p>« Même en parlant avec un Mukhabarat, il ne faut pas prononcer le mot “Mukhabarat” car leurs membres ont eux aussi peur des Mukhabarat ! C’est un cercle sans début ni fin de peur, de paranoïa et de terreur. »</p>
</blockquote>
<p>Concernant l’interpellation d’Amjad Youssef, le Réseau Syrien des Droits de l’Homme a précisé qu’aucun mandat ni justification de l’arrestation n’ont été mentionnés.</p>
<p>Uğur nous l’avait dit :</p>
<p>« Ce régime est intelligent et garde ses criminels sous contrôle. Il les espionne, les maintient ensemble ou s’en débarrasse s’il y en a besoin. Ce pays est un coffre fermé, un état de tueurs. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux universitaires ont identifié les auteurs d’un massacre commis en 2013 par les forces loyalistes syriennes. Un épisode qui en dit long sur la réalité de la Syrie de ces dix dernières années.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810222022-04-13T18:41:53Z2022-04-13T18:41:53ZDe la Syrie à l’Ukraine, les crimes de guerre de Vladimir Poutine<p>Beaucoup l’ont dit et répété à l’envi ces derniers jours : les <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/04/ukraine-russian-forces-extrajudicially-executing-civilians-in-apparent-war-crimes-new-testimony/">crimes de guerre</a>, voire <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/mar/13/observer-view-russian-war-crimes-against-humanity-ukraine">contre l’humanité</a> ou de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/massacre-de-boutcha-peut-on-parler-d-un-genocide-perpetre-par-l-armee-russe-en-ukraine-comme-le-dit-volodymyr-zelensky_5062009.html">génocide,</a> commis par le régime russe en Ukraine, s’inscrivent dans la lignée de ceux perpétrés en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/03/03/l-onu-accuse-la-russie-de-crimes-de-guerre-en-syrie_1780442/">Syrie</a> depuis 2015 et en <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2003/11/25/massacres-en-tchetchenie-un-document-officiel-accable-l-armee-russe_343409_3214.html">Tchétchénie</a> en 1999-2000. À Marioupol, Boutcha, Kramatorsk, Borodianka, chaque jour apporte son lot de révélations macabres.</p>
<p>Les dirigeants occidentaux ont multiplié les <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/video-guerre-en-ukraine-apres-le-massacre-a-boutcha-les-reactions-internationales-tombent-4ea2f78f-76c8-4129-802a-3af5a936e826">déclarations indignées et sidérées</a>. Mais cet étonnement paraît lui-même presque sidérant tant la « communauté internationale » a détourné le regard des crimes précédents du régime russe. Au vu des agissements de l’armée de Vladimir Poutine en Tchétchénie et en Syrie, mais aussi des déclarations de Poutine sur ses intentions en Ukraine, le sort réservé aux Ukrainiens était prévisible. Et de nouveaux crimes se produiront prochainement, sans que tout soit fait pour les prévenir : de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/ukraine-l-offensive-de-l-armee-russe-dans-l-est-va-etre-tres-violente-parce-que-l-armee-russe-ne-peut-plus-reculer-selon-le-general-dominique-trinquand_5065867.html">grandes offensives</a> sont, en effet, annoncées dans le Donbass et sans doute ailleurs… Comme en Syrie, tout était prévisible et prévu.</p>
<h2>La continuation du crime</h2>
<p>Comme en Syrie aussi, les <a href="https://www.bbc.com/news/health-60866669">hôpitaux sont délibérément visés</a>, de nombreux civils <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-zelenskyy-kyiv-europe-war-crimes-ffe9c24e89689b081b93518c6b7bff1f">assassinés</a> et nul ne sait si, demain, le régime russe n’utilisera pas <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/guerre-en-ukraine-la-menace-de-l-utilisation-d-armes-chimiques-est-elle-credible_5044186.html">l’arme chimique</a> comme il avait autorisé son allié Bachar Al-Assad <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210412-selon-l-oiac-la-syrie-a-utilis%C3%A9-des-armes-chimiques-lors-d-une-attaque-en-2018">à le faire</a>. En Syrie, ne l’oublions pas, les forces russes <a href="https://forward.com/opinion/440051/russia-is-carrying-out-a-scorched-earth-policy-in-syria-and-theyre-getting/">ont tué à elles seules plus de civils syriens</a>, dont de nombreux enfants, que Daech.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">La guerre d’extermination en Syrie et la fin du sens commun</a>
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<p>Comme en Syrie, le Kremlin développe à propos de l’Ukraine une propagande débridée et indécente, qui n’a même plus vocation à être crue. L’essentiel est de semer le doute. Ainsi, sur le <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-mariupol-hosital-bombed-russia/31744934.html">bombardement</a> de <a href="https://www.liberation.fr/international/bombardement-de-lhopital-pediatrique-de-marioupol-une-femme-enceinte-et-son-bebe-nont-pas-survecu-20220314_62O3EBVDSRBF7NVHAWAHX5VWME/">l’hôpital pédiatrique de Marioupol</a>, il n’a pas hésité à présenter au moins trois versions différentes et contradictoires – certes moins que pour la <a href="https://www.bellingcat.com/news/uk-and-europe/2018/01/05/kremlins-shifting-self-contradicting-narratives-mh17/">destruction en vol par un missile russe de l’avion MH17</a> au dessus de l’Ukraine le 17 juillet 2014. Le pouvoir russe a ainsi affirmé successivement : « ce sont les Ukrainiens qui l’ont fait », « les images étaient fausses » et, finalement, « oui, nous l’avons bien détruit, mais il servait de refuge à un bataillon nationaliste ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501914305566027780"}"></div></p>
<p>Les propagandistes du régime à l’étranger ont volontiers repris son affirmation selon laquelle en Ukraine la Russie serait avant tout confrontée à des néonazis, toujours en citant l’exemple du <a href="https://desk-russie.eu/2022/04/08/le-regime-azov.html">bataillon Azov</a>, non sans simplifications et mensonges. Ils avaient fait la même chose pour la Syrie en dupliquant le discours du Kremlin sur les djihadistes qui se cacheraient dans les écoles et les hôpitaux. En utilisant les termes « nazis » ou « terroristes », ils désignent en fait des civils à abattre, des personnes qui n’ont pas le droit à la vie.</p>
<h2>La permanence de l’inaction</h2>
<p>Toutefois, est-ce là la leçon essentielle ? Sont-ce là aussi les points de comparaison uniques ? En réalité, ce en quoi le cas ukrainien rappelle le plus tragiquement le cas syrien, c’est d’abord dans le fait que les gouvernements occidentaux n’osent pas entreprendre d’action susceptible de changer radicalement la donne, autrement dit de sauver l’Ukraine et de faire en sorte que la Russie perde – totalement.</p>
<p>Certes, ces gouvernements aident l’Ukraine par la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/loccident-multiplie-les-livraisons-darmes-a-lukraine-1394442">fourniture d’armes</a> défensives ; de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/sanctions-against-russia-explained/">lourdes sanctions</a> ont été adoptées à l’encontre du régime russe ; une conscience plus large s’est fait jour sur sa réalité ; les crimes de guerre ont, non sans hésitation, finalement été <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-le-president-du-conseil-europeen-parle-d-horreur-absolue-et-attend-que-la-justice-internationale-qualifie-les-crimes-commis_5020676.html">nommés comme tels</a> ; et les Européens seraient généralement <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220224-invasion-russe-en-ukraine-l-ue-est-pr%C3%AAte-%C3%A0-accueillir-des-r%C3%A9fugi%C3%A9s-ukrainiens">prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens</a>, ce qu’ils n’avaient guère fait, sauf l’Allemagne, pour les Syriens.</p>
<p>Mais ces progrès réels rendent encore plus accablantes nos insuffisances. Nul ne peut être certain aujourd’hui que le sort de l’Ukraine dans quelques mois ou années ne révèle pas de nouveaux points de comparaison avec la Syrie : de même que le pouvoir criminel d’Assad règne toujours sur la Syrie et multiplie, avec l’aide de la Russie, des <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2021/12/08/syrie/russie-12-civils-tues-pres-didlib-par-des-tirs-dartillerie">attaques meurtrières sur la région d’Idlib</a>, peut-être une partie de l’Ukraine restera-t-elle encore en guerre et occupée, avec son lot de victimes et de désolations. Sommes-nous totalement prêts à éviter un tel scénario ?</p>
<p>D’abord, l’aide militaire est très parcimonieusement accordée, malgré quelques timides progrès récents. Elle permet certes à Kiev de mieux riposter à l’armée de Poutine, mais la lenteur occidentale a un coût terrible en termes de vies humaines et risque d’entraver la possibilité d’une victoire décisive de l’Ukraine.</p>
<p>Ensuite, les sanctions restent encore insuffisantes et il est difficile de comprendre pourquoi elles n’ont pas été, dès le début de la nouvelle offensive russe contre l’Ukraine, totales : embargo absolu sur le gaz et le pétrole russes, déconnexion de toutes les banques russes du système de paiement interbancaire Swift et gel des avoirs et interdiction de voyager d’un plus grand nombre de personnalités russes proches du pouvoir. Cela fait d’ailleurs longtemps, bien avant la guerre, que ces mesures auraient dû être prises et le gazoduc Nord Stream 2 abandonné.</p>
<p>En outre, si conscience plus grande de la réalité du régime de Poutine il y a, <a href="https://tenzerstrategics.substack.com/p/how-the-kremlins-narratives-are-still?s=w">certains continuent</a> à pratiquer leur religion poutinienne en silence et n’ont en rien abjuré leur foi ancienne qui redeviendra vivace dès la guerre terminée. Rien, dès lors, ne garantit que, demain, la lassitude aidant, on ne revienne aux mêmes erreurs. Par ailleurs, si les crimes de guerre ont été effectivement nommés, certains hésitent encore à désigner comme criminel de guerre leur principal responsable. On en connaît la raison fallacieuse : une telle assignation publique représenterait une « provocation » qui rendrait Poutine moins enclin au compromis. Comme si, compte tenu de l’immensité de ses crimes, cela devrait changer quoi que ce soit à son comportement futur.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EDJVeO_Mw0g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Drone footage shows scale of devastation in Mariupol, Guardian News, 24 mars 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Quant à la remarquable solidarité observée en Europe envers les réfugiés ukrainiens, nul ne sait si elle se maintiendra dans la durée.</p>
<p>Cette solidarité humanitaire peut exercer un puissant effet de distraction de la part de certains gouvernants. Là, l’analogie avec la Syrie est majeure : beaucoup s’étaient déjà concentrés sur la « crise humanitaire », manière commode de s’excuser de l’inaction face à Assad.</p>
<p>Il pourrait en aller de même pour l’Ukraine : comme en Syrie, la prétendue « solution humanitaire » ne fait que cacher le renoncement à la seule solution, qui est d’augmenter considérablement l’aide militaire fournie à Kiev pour lui permettre de repousser l’agresseur en dehors de l’Ukraine. Se focaliser sur les aspects humanitaires, aussi nécessaire que ce soit, ne résoudra ni la question humanitaire ni celle de la guerre russe contre l’Ukraine – on le voit en Syrie où la <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/syria-8000-idps-rukban-camp-need-urgent-humanitarian-intervention-enar">misère des camps de réfugiés</a>, l’exil forcé de 6 millions de déplacés syriens et la poursuite des massacres par le régime et ses alliés continuent simultanément.</p>
<h2>L’emprise persistante de la rhétorique du Kremlin</h2>
<p>On retrouve aussi dans le conflit ukrainien les mêmes éléments rhétoriques si doux à l’oreille du Kremlin qu’on entendait déjà en Syrie.</p>
<p>Le premier est le discours sur les prétendues « lignes rouges ». En raison du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/07/le-jour-ou-barack-obama-avait-efface-sa-ligne-rouge-sur-la-syrie_5107363_3210.html">précédent désastreux</a> de la volte-face de Barack Obama après les attaques chimiques de la Ghouta, nul ne pouvait reprendre ce discours tel quel, mais les <a href="https://information.tv5monde.com/info/guerre-en-ukraine-que-sont-les-armes-chimiques-et-biologiques-450163">avertissements de Joe Biden</a> sur l’emploi d’armes chimiques ou bactériologiques en Ukraine y ressemblent.</p>
<p>En réalité, ce discours est intenable sur les plans juridique et stratégique.</p>
<p>Juridiquement, les armes chimiques et bactériologiques sont certes prohibées par les conventions internationales, mais il en va de même des armes à sous-munitions, particulièrement destructrices pour les populations civiles, et dont <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/03/17/ukraine-usage-repete-darmes-sous-munitions-russes-mykolaiv">plusieurs enquêtes montrent</a> qu’elles ont été utilisées par la Russie en Ukraine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : usage de bombes à sous-munitions par la Russie, un « crime de guerre » ? • FRANCE 24, 5 mars 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Stratégiquement, donner le sentiment d’une réponse particulière en raison de l’emploi d’armes chimiques ou bactériologiques revient implicitement à minimiser les crimes commis de manière « classique » contre les populations. C’est, d’une certaine manière, se défausser de la nécessité d’agir si des crimes de guerre sont perpétrés autrement ; si ligne rouge il doit y avoir, elle réside dans les crimes de guerre et contre l’humanité. C’est ce qui s’est passé en Syrie dans une guerre <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/syrie-on-va-vers-une-famine-salarme-le-medecin-raphael-pitti_4638683.html">qui a causé bien plus d’un million de morts</a>.</p>
<p>Ensuite, on continue d’entendre, fut-il devenu un peu moins explicite, le mantra diplomatique : « La solution à la crise ne peut être que politique. » Outre que ce n’est pas une crise, mais une guerre, on sait à quoi ce langage a conduit en Syrie. Il n’y a pas eu de solution politique parce qu’il ne pouvait tout simplement pas y en avoir tant qu’Assad resterait au pouvoir. Les dirigeants se sont enfermés dans des résolutions inopérantes de l’ONU et la fiction d’un <a href="https://onu.delegfrance.org/syrie-la-france-veut-voir-le-comite-constitutionnel-remplir-son-mandat">comité constitutionnel</a> qui n’a obtenu de manière prévisible aucun résultat. Cela n’a fait que conforter Assad et ses alliés russe et iranien. Penser qu’il puisse en aller autrement à propos de la guerre russe contre l’Ukraine relève du même déni de responsabilité.</p>
<p>Enfin, l’illusion d’une voie de sortie par le biais de négociations continue d’être promue dans certains cercles. Certains diront que le président Zelensky est ouvert à des négociations ; c’est le cas, mais à deux conditions <em>sine qua non</em> :</p>
<ul>
<li><p>d’abord, toute solution devra s’accompagner d’une garantie internationale de sécurité en contrepartie de la neutralité de l’Ukraine – neutralité qui, rappelons-le, était le statut de l’Ukraine en 2014 en vertu du mémorandum de Budapest violé par la Russie. Cette garantie devrait être équivalente à celle prodiguée par <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’article 5</a> du Traité de l’Atlantique Nord, voire plus, comme l’a dit explicitement le chef des négociateurs ukrainiens, ce qui implique une garantie qui s’appliquerait automatiquement, ce qui n’est pas le cas de celle de l’article 5.</p></li>
<li><p>ensuite, <a href="https://www.lopinion.fr/international/guerre-en-ukraine-zelensky-defend-lintegrite-territoriale-de-son-pays-en-amont-de-pourparlers-avec-la-russie">l’intégrité territoriale de l’Ukraine n’est pas négociable</a>, ce qui signifie qu’il ne saurait être question d’une occupation durable par les Russes du Donbass et de la Crimée.</p></li>
</ul>
<p>Ces exigences que nous devons soutenir intégralement vont à l’encontre des projets de Poutine, qui tient à ce que sa mainmise sur le Donbass et la Crimée, et sans doute sur toute la zone qui relie ces deux territoires, soit reconnue par Kiev. Son projet est d’ailleurs la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/stephane-courtois-le-revisionnisme-de-poutine-et-la-veritable-histoire-de-la-nation-ukrainienne-20220301">destruction de l’Ukraine en tant que nation libre</a>.</p>
<h2>A-t-on appris la leçon syrienne ?</h2>
<p>Si certains gouvernements occidentaux cherchaient à pousser Kiev à accepter des concessions sur ces points, ils remettraient en cause la souveraineté de l’Ukraine, mais aussi les fondements du droit international. L’exemple syrien nous avait déjà appris que le fait même d’entrer dans un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-ne-faut-pas-negocier-avec-la-russie-de-poutine-54748">tel jeu de négociations</a> ne fait que permettre au régime russe de renforcer ses positions et son armée, et qu’elles se traduisent par une déroute du monde libre.</p>
<p>Les leçons de la Syrie doivent s’appliquer à l’Ukraine. Tout recul, tout accommodement, tout apaisement avec le régime de Poutine se traduisent sur le terrain par le renforcement du crime. Si l’Occident tarde à aider de manière décisive l’Ukraine à reconquérir son territoire en lui fournissant tous les armements nécessaires pour ce faire, cela se traduira par des milliers de morts supplémentaires. Toute tentative de négociation ne respectant pas les deux principes clés édictés par Zelensky aura le même résultat. En laissant faire des pouvoirs criminels en Syrie, nous avons affaibli le camp de la liberté. Si nous recommençons la même faute devant l’histoire en Ukraine, son effondrement sera achevé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'Action politique (CERAP), une association indépendante des partis et de tout groupe d'intérêts, directeur du journal Desk Russie et non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA).</span></em></p>Il n’y a pas lieu de s’étonner de l’ampleur des crimes commis par la Russie en Ukraine : Poutine avait déjà annoncé la couleur en Syrie.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1646752021-07-29T17:14:43Z2021-07-29T17:14:43ZSyrie : une stabilisation en trompe-l’œil<p>Le 26 mai dernier, le président syrien Bachar Al-Assad était réélu pour un quatrième septennat. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/27/syrie-bachar-al-assad-reelu-president-avec-95-1-des-voix_6081789_3210.html">Remporté avec 95 % des voix</a> face à deux <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210520-pr%C3%A9sidentielle-en-syrie-mahmoud-mare%C3%AF-l-opposant-choisi-par-le-r%C3%A9gime-pour-d%C3%A9fier-bachar-al-assad">figurants</a>, le scrutin fut avant tout l’occasion d’intensifier le culte de la figure présidentielle dans un contexte ambivalent. Alors que la précédente élection s’était tenue en 2014, soit à la veille des défaites militaires qui allaient provoquer l’intervention russo-iranienne l’année suivante, celle de 2021 survient alors que le régime est redevenu maître des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/carte-la-syrie-morcelee-apres-dix-ans-de-guerre">deux tiers</a> du territoire national.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1417149083047931908"}"></div></p>
<p>La relative position de force de Damas ne doit toutefois pas occulter le fait que le pouvoir est économiquement exsangue par l’effet combiné des destructions de guerre, du contrôle des principales ressources pétrolières, situées dans l’Est, par les Forces démocratiques syriennes, et des sanctions occidentales : en mars 2021, tandis que s’aggravaient les <a href="https://newlinesinstitute.org/syria/syrian-regime-no-longer-able-to-provide-for-loyalists/">multiples pénuries</a>, la livre syrienne tombait temporairement à 1 % de sa valeur d’avant-guerre.</p>
<p>La traduction politique la plus spectaculaire de cette crise fut l’accroissement des tensions au sein du clan dirigeant, illustré par les messages vidéos qu’a diffusés en 2020 le magnat de l’économie nationale et cousin du président Rami Makhluf, protestant contre la saisie de ses actifs. Cette dernière mesure était elle-même liée, semble-t-il, à une <a href="http://hdl.handle.net/1814/67027">lutte d’influence</a> entre Makhluf et des hommes d’affaires associés à la première dame Asma al-Akhras.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de l’état du conflit en juillet 2021" src="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La situation militaire en Syrie en juillet 2021 : en rose, les zones contrôlées par les loyalistes, en jaune, celles maîtrisées par les forces kurdes des FDS. La région d’Idlib est partagée entre zones soumises à des organisations d’opposition, en vert clair, et celles sous l’autorité des islamistes du Gouvernement Syrien de Salut, en blanc. La bande verte au Nord est sous contrôle de rebelles syriens alliés aux forces turques. La poche turquoise au sud-est correspond au territoire des « commandos de la Révolution », groupe rebelle soutenu par l’armée États-Unienne. Enfin, les territoires en violet et orange font l’objet de trêves entre le régime et respectivement des groupes rebelles et les FDS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ermanarich/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La mainmise du régime sur la société reste fragile</h2>
<p>Largement contenu par la main de fer des autorités, le mécontentement populaire provoqué par les conditions économiques s’est toutefois exprimé, notamment durant la présidentielle, par des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-nouvelles-manifestations-anti-assad-soueida-en-syrie">manifestations dans des localités du Sud</a>. Celles-ci demeurent aux mains d’anciens rebelles dits « réconciliés » en vertu d’accords négociés par la Russie en 2018, dans les provinces de Deraa et Quneitra, ou de milices locales d’autodéfense, s’agissant de la région druze de Suweida.</p>
<p>Rien n’indique que ces modestes épisodes de protestation soient les prémices d’un mouvement qui, à l’échelle nationale, parviendrait à surmonter à la fois la polarisation confessionnelle renforcée par le conflit, et la peur d’une nouvelle réponse impitoyable de la part du régime. En revanche, les actes d’opposition <em>armée</em> au régime ont d’ores et déjà repris un caractère endémique dans deux régions du pays. Dans la Badiya (désert), les attaques de l’organisation de l’État islamique (EI) ont fait cinq cents victimes en 2020, soit deux fois plus que l’année précédente, avant de refluer, sans disparaître, suite à un <a href="https://www.mei.edu/publications/new-general-and-fragile-peace-deir-ez-zor?s=09">sursaut militaire loyaliste</a>.</p>
<p>Dans les provinces méridionales de Deraa et Quneitra, des affrontements violents ont opposé d’anciens rebelles aux forces du régime qui tentaient d’investir leurs fiefs à la recherche d’auteurs supposés <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-03-16/syrie/au-moins-21-soldats-du-regime-assad-tues-dans-une-embuscade-dans-le-sud.php">d’attaques armées</a>. En juin 2021, notamment, les hommes de Damas ont assiégé les quartiers de Deraa tenus par les anciens rebelles pour les contraindre à remettre leurs armes légères.</p>
<p>Dans ce contexte, il est extrêmement difficile d’attribuer la responsabilité des assassinats quotidiens et autres opérations de faible envergure qui secouent actuellement le sud du pays. Tandis que des combattants loyalistes et leurs collaborateurs locaux ont été assassinés par des vestiges de l’Armée syrienne libre et des cellules de l’EI, d’ex-commandants rebelles « réconciliés » semblent avoir payé de leur vie le fait d’entraver la volonté de Damas de révoquer les accords de 2018 pour <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/83873">rétablir un contrôle direct sur la région.</a></p>
<h2>Les loyalistes divisés face à une guerre inachevée</h2>
<p>D’autres morts violentes, encore, paraissent liées aux rivalités entre les <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/83873">différentes forces loyalistes</a> qui se disputent l’allégeance des anciens rebelles, dont les services de renseignements militaires du régime, des groupes pro-iraniens comme le Hezbollah libanais et la 4<sup>e</sup> Division blindée, ou encore le 5<sup>e</sup> Corps d’armée inféodé à la Russie. Ces rivalités se manifestent aussi sur la rive occidentale de l’Euphrate, où la Russie a coopté des unités de groupes paramilitaires comme les Forces de Défense nationale ou la Brigade al-Quds. Téhéran, lui, recrute <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210629-en-syrie-des-milices-pro-iraniennes-r%C3%A9pliquent-aux-raids-am%C3%A9ricains">ses affidés locaux</a> par le biais de ses Pasdaran (Corps des gardiens de la révolution islamique).</p>
<p>La prolifération des paramilitaires nourrit aussi la violence dans la province à majorité druze de Suweida. Face au déclin des financements alloués par le régime, certains groupes locaux se sont lancés dans le rançonnement de sunnites de la province voisine de Deraa, ranimant de ce fait un vieux <a href="https://hdl.handle.net/1814/70657">conflit foncier entre les deux communautés</a> : en 2020, des affrontements entre miliciens druzes et combattants prorusses du 5<sup>e</sup> Corps ont fait des dizaines de morts.</p>
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<p>L’autre grande limite de la « victoire » du régime est bien sûr son incapacité à reprendre le tiers restant du pays. Au nord-ouest, les rebelles sont protégés par l’armée turque, tandis que l’est de l’Euphrate est tenu par les Forces démocratiques syriennes (FDS) commandées par des militants kurdes et soutenues par les forces américaines. En juillet 2021, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dPQnQwdn2ng">aucune modification significative des lignes de front</a> n’était survenue depuis le cessez-le-feu conclu le 5 mars 2020 par la Russie et la Turquie. Cette dernière, inquiète d’un nouvel afflux de réfugiés sur son territoire, venait alors de lancer une opération militaire d’envergure contre les forces du régime de Damas qui s’approchaient dangereusement de la ville d’Idlib tenue par les rebelles.</p>
<h2>À l’extérieur comme à l’intérieur des territoires du régime, chaos et violence</h2>
<p>Comme les territoires contrôlés par le régime, ceux qu’administrent ses rivaux connaissent également leur lot de crise économique, de contestation et de violence. S’agissant des territoires gouvernés par l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, pendant civil des FDS, des <a href="https://syriadirect.org/beyond-conscription-what-does-manbijs-unrest-reveal-about-sdf-rule-in-northeast-syria/">manifestations violemment réprimées</a> en juin dernier dans la ville de Manbij sont venues souligner le ressentiment d’une partie des populations arabes envers un leadership kurde auquel elles reprochent notamment son régime de conscription.</p>
<p>Sur le plan militaire, les FDS combattent sur trois fronts. Dans le nord des provinces d’Alep et de Raqqa, des accrochages les opposent régulièrement à l’armée turque et aux factions rebelles unifiées par Ankara au sein de l’Armée nationale syrienne (ANS). Les relations avec le régime se sont aussi considérablement tendues après l’échec de négociations organisées début 2020 en vue d’un rapprochement politique. Les tensions ont culminé en avril dernier lorsque les FDS ont arraché à Damas le <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/04/syrian-government-kurdish-forces-end-dispute-qamishli">contrôle de la quasi-totalité de la ville de Qamishli</a> après en avoir expulsé des paramilitaires des Forces de Défense nationale recrutés parmi les tribus arabes locales. Enfin, les FDS font, elles aussi, face à l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/syrie-deux-ans-apres-la-chute-de-son-califat-le-groupe-etat-islamique-continue-d-etendre-son-influence_4325747.html">insurrection de basse intensité</a> que mène l’EI dans la province arabophone de Deir ez-Zor.</p>
<p>Les trois enclaves <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/syrie/offensive-turque-en-syrie/l-article-a-lire-pour-comprendre-l-offensive-turque-contre-les-forces-kurdes-en-syrie_3652771.html">directement contrôlées par l’armée turque</a> le long de la frontière nord (Afrin, A’zaz al-Bab et Tell Abiyad Ras al-’Ayn) sont fréquemment le théâtre d’attentats à la bombe et d’attaques armées perpétrés à la fois par des combattants kurdes des YPG (colonne vertébrale des FDS, liés au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) opérant en Turquie) et par des cellules de l’EI.</p>
<p>La violence dans la région est aussi le produit de combats fratricides qui opposent régulièrement entre elles les factions rebelles inféodées à la Turquie. Principalement motivés par des considérations économiques telles que le contrôle de la contrebande, ces affrontements font émerger des lignes de fracture régionales (entre des factions locales et d’autres originaires de Deir ez-Zor ou de Damas) ou ethniques (entre Turkmènes et Arabes).</p>
<h2>Idlib, futur épicentre de l’implosion qui vient ?</h2>
<p>À Idlib, enfin, les islamistes de Hay’a Tahrir al-Sham (HTS) et leur façade civile, le Gouvernement syrien de salut, ont <a href="https://www.mei.edu/publications/hts-not-al-qaeda-it-still-authoritarian-regime-be-reckoned?s=09">renforcé leur mainmise sur la province</a> en réprimant à la fois la société civile et les factions jihadistes radicales. Celles-ci, à l’instar des pro-al-Qaïda de Hurras al-Din, dénoncent les compromis idéologiques d’HTS et en particulier sa coopération avec l’armée turque. En réponse à cette répression ont émergé de nouvelles formations jihadistes obscures qui ont posé des engins explosifs improvisés au passage de véhicules russes et turcs patrouillant dans la province.</p>
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<p>Les menaces extérieures pesant sur Idlib sont toutefois d’une tout autre ampleur. La <a href="https://www.la-croix.com/Syrie-Assad-prete-serment-quatrieme-septennat-2021-07-17-1301166730">reprise des bombardements loyalistes</a> durant le printemps 2021 pèse sur la vie des habitants, de même que la menace russe d’un veto contre la prolongation par le Conseil de Sécurité de l’ONU de l’aide humanitaire transfrontalière vers la province rebelle. À ce mécanisme, Moscou oppose sa demande de corridors humanitaires partant des territoires contrôlés par le régime, première étape vers le rétablissement graduel de la souveraineté de Damas sur Idlib.</p>
<p>Un compromis sur la poursuite de l’aide transfrontalière pour une durée de douze mois fut arraché de justesse en juillet 2021 mais la question du veto russe se posera à nouveau dans un an. Un tel veto <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2021/5/26/syria-aid-at-risk-in-security-council-vote">compromettrait très gravement la sécurité alimentaire</a> des trois millions d’habitants de la province d’Idlib. Par là même, elle exposerait cette dernière à un risque d’implosion économique qui pourrait, à son tour, mettre un point final au (très) relatif statu quo militaire qui prévaut en Syrie depuis seize mois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164675/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Pierret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que Bachar Al-Assad vient d’être réélu président, l’illusion de stabilité du pays cache mal un chaos généralisé, susceptible de dégénérer à court terme.Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1361482020-04-19T17:57:11Z2020-04-19T17:57:11ZIdlib : vers un rapprochement entre la Turquie et les États-Unis ?<p>Début 2020, la guerre civile syrienne semble toucher à sa fin : seule la province d’Idlib demeure sous le joug des rebelles. Cette région, jusqu’alors épargnée grâce au cessez-le-feu négocié avec la Turquie en septembre 2018, est pourtant la cible d’une offensive du régime de Damas le 27 février dernier, qui se solde par la mort d’une trentaine de soldats turcs. Une escalade s’ensuit. La Turquie contre-attaque, laissant ses alliés de l’Alliance atlantique perplexes. S’ils témoignent leur solidarité à Ankara, ils n’en redoutent pas moins qu’un conflit éclate entre un allié de l’OTAN et la Russie, sans qui l’offensive d’Al-Assad n’aurait pas été possible.</p>
<p>Face à l’éventualité d’un tel développement qui ne sied ni à Moscou ni à Ankara, les deux pays s’accordent sur la mise en place d’un <a href="http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-syrie-les-pr%C3%A9sidents-turc-et-russe-s-entendent-cessez-le-feu-%C3%A0-idleb">nouveau cessez-le-feu</a> le 5 mars, prévoyant l’instauration d’un corridor de sécurité de 6 km de profondeur le long de certaines sections de la stratégique autoroute M4 qui traverse la province d’Idlib et est surveillée conjointement par des patrouilles russes et turques.</p>
<p>Mais au-delà de la résolution de la guerre civile syrienne, se joue à Idlib la place de l’État pivot turc sur les échiquiers américain et russe. Cet épisode illustre en effet la fragilité de la relation turco-russe et la dépendance d’Ankara envers une OTAN qu’elle a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/syrie-le-president-turc-demande-le-soutien-concret-de-l-otan-20200309">directement sollicitée</a> ; il pourrait favoriser un apaisement de la relation turco-occidentale et contribuer à ce que la Turquie s’éloigne de la Russie.</p>
<h2>Les fractures turco-américaines</h2>
<p>Afin de comprendre dans quelle mesure la crise d’Idlib peut permettre d’envisager une amélioration de la relation turco-occidentale, on ne peut faire l’économie du contexte dans lequel elle s’inscrit. Parce que les tensions entre Washington et Ankara sont particulièrement vives, cet article privilégie l’étude de la relation turco-américaine.</p>
<p>Depuis le début de la guerre civile syrienne, les contentieux n’ont cessé de croître entre la Turquie et ses alliés de l’OTAN, à commencer par les États-Unis. Alors qu’en 2011 Ankara s’engage, de concert avec la France, dans le soutien à la rébellion face à Al-Assad, l’administration Obama adopte une position plus timorée, condamnant certes le régime de Damas mais se montrant peu encline à s’investir dans ce conflit et à soutenir concrètement l’opposition.</p>
<p>Cette oscillation n’est pas sans générer de l’amertume à Ankara qui réclame en outre, depuis fin 2012, la création d’une zone de sécurité à sa frontière pour faire face à l’afflux massif de réfugiés qui cherchent l’asile en Turquie et en Europe, ce que les <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/derek-chollet/the-long-game/9781610396608/">Américains refusent</a>. La rancœur turque s’accroît encore lorsque l’administration Obama, suite à l’utilisation de gaz sarin par le régime d’Al-Assad en 2013 contre sa population – ligne rouge fixée par les Américains –, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/01/01003-20130901ARTFIG00018-le-volte-face-de-barack-obama-sur-la-syrie.php">fait volte-face</a> et annule au dernier moment l’opération prévue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1035413571755225088"}"></div></p>
<p>Surtout, c’est l’arrivée de Daech sur le terrain syrien qui place la relation entre la Turquie et l’Occident au bord du précipice. Car en 2014, afin de lutter contre l’État islamique, les Américains et les Européens décident de soutenir et d’armer le PYD/YPG en dépit des fortes objections formulées par Ankara qui considère ces formations comme étant des émanations du PKK, groupe terroriste kurde opérant contre son pays. L’anti-américanisme des Turcs est alors à son paroxysme. Du côté des Américains, la déception grandit également face à la dérive autoritaire qui s’esquisse à Ankara et la réticence de l’allié turc à agir décisivement contre Daech (le YPG/PKK étant l’ennemi prioritaire).</p>
<p>Le coup d’État de juillet 2016 en Turquie et les gigantesques <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/turquie-la-purge-sans-fin-derdogan-994557">purges</a> qui s’ensuivent aggravent les tensions entre Washington et Ankara, le gouvernement AKP allant jusqu’à accuser les États-Unis d’avoir contribué à la tentative de putsch, tandis que l’administration Obama déplore les manquements démocratiques turcs.</p>
<p>Dans ce contexte, la <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2018-05-08/friends-benefits">Turquie se rapproche de la Russie</a> qui, contrairement à ses alliés européens et américains, s’est empressée de témoigner sa solidarité aux Turcs suite au coup d’État. Ce rapprochement russo-turc débouche même sur l’acquisition par Ankara de missiles anti-aériens russes, les <a href="https://www.trtworld.com/turkey/what-does-the-purchase-of-russian-s-400s-mean-to-turkey-409563">S-400</a>, nouvelle source de friction entre la Turquie et l’Occident. Non seulement un allié de l’OTAN achète du matériel militaire à la Russie, mais surtout le système des S-400 est jugé incompatible avec les F-35 de l’OTAN que la Turquie devait recevoir, au motif que Moscou pourrait recueillir des renseignements sur ces F-35 de <a href="https://www.csis.org/analysis/great-unwinding-us-turkey-arms-sales-dispute">nature à compromettre leurs capacités</a>. La livraison de ces appareils à Ankara est donc suspendue.</p>
<h2>L’occasion d’apaiser les relations avec la Turquie ?</h2>
<p>Pourtant, la relation russo-turque n’est guère solide, les deux partenaires étant des rivaux historiques et soutenant des camps opposés dans divers conflits régionaux que ce soit en Libye ou en Syrie, le cas d’Idlib en étant l’illustration la plus notable. Cette collision russo-turque peut dès lors permettre d’envisager un rapprochement turco-occidental. On l’a dit, face à l’assaut d’Al-Assad, Ankara s’est tournée de nouveau vers ses alliés de l’OTAN et <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_173923.htm">a convoqué l’article 4 de l’Alliance atlantique</a>, en vertu duquel « tout allié peut demander des consultations chaque fois qu’il estime que son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité est menacée ».</p>
<p>Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, s’empresse d’<a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_174288.htm">apporter son soutien à la Turquie</a>, suivi du secrétaire d’État américain <a href="https://www.state.gov/secretary-pompeos-remarks-to-the-press/">Mike Pompeo</a>. Dans la foulée, la Turquie <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/27/world/middleeast/russia-turkey-syria-war-strikes.html">réitère sa volonté</a> de voir l’OTAN établir une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie afin de limiter l’afflux massif de réfugiés se dirigeant vers le territoire turc et de protéger les civils d’Idlib ; peut-être peut-on aussi y voir une tentative d’Erdogan de peser sur les négociations d’après-guerre afin que les Kurdes du nord-est de la Syrie soient <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/22/opinion/syria-turkey-refugees.html">tenus à l’écart de son pays</a>.</p>
<p>De plus, non sans ironie, Ankara, qui vient de recevoir les S-400 russes, réclame à ses alliés des missiles Patriot américains pour faire face à l’offensive syro-russe. Si l’Espagne, dans le cadre de l’OTAN, les fait parvenir à la Turquie, Washington, elle, appose une condition préalable : <a href="https://www.state.gov/u-s-ambassador-to-nato-kay-bailey-hutchison-on-u-s-engagement-in-nato/">qu’Ankara rende le système des S-400 inopérable</a>, ce que le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoǧlu, refuse pour l’heure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1235538047443193857"}"></div></p>
<p>Convaincre les Turcs de ne pas activer les S-400 serait un accomplissement majeur en vue du sauvetage de la relation turco-américaine. Le Sénat ne serait alors pas en mesure d’apposer des sanctions à la Turquie en vertu du <a href="https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/Pages/caatsa.aspx">CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act)</a> comme il s’apprête à le faire.</p>
<p>Si le retrait des troupes américaines du nord-est de la Syrie en octobre 2019 a déjà permis une amélioration – la question des milices kurdes n’étant plus source de friction –, retirer la seconde épine fragilisant cette relation permettrait de consolider ce rapprochement. En revanche, comme le souligne un <a href="https://fas.org/sgp/crs/mideast/R44000.pdf">rapport du Congressional Research Service</a>, en cas d’échec Trump ne pourra plus faire pression sur le Congrès pour empêcher la mise en place desdites sanctions, dont l’adoption aurait très probablement pour conséquence d’attiser la rancœur des Turcs, qui se rapprocheraient alors de la Russie et l’Iran, <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">crainte majeure</a> des États-Unis depuis les années 1990. Il faut dire que l’État pivot turc est considéré comme une pièce maîtresse de l’échiquier eurasiatique et moyen-oriental américain, indispensable pour contrer l’influence de Moscou et Téhéran dans ces régions ; son détournement définitif de l’Occident, tel celui de l’Iran en 1979, serait une perte stratégique majeure.</p>
<h2>Une sortie de crise en perspective ?</h2>
<p>Si une fenêtre d’opportunité s’ouvre bel et bien aujourd’hui, il n’est pas certain que la relation turco-américaine se solidifie à terme.</p>
<p>Certes, dans un contexte où la superpuissance américaine se désengage des affaires du Moyen-Orient et où la Turquie, a contrario, souhaite jouer un rôle de leader régional, on peut imaginer qu’une collaboration se maintienne, les États-Unis sous-traitant certains dossiers à la puissance émergente turque. Seulement, les intérêts d’Ankara peuvent parfois se heurter à ceux de Washington ou à ceux d’autres alliés des États-Unis tels Israël ou l’Arabie saoudite. Ainsi, selon toute vraisemblance, dans un contexte où la communauté de valeurs libérales s’érode, la relation turco-américaine a vocation à devenir ad hoc et donc à être moins idéalisée que par le passé.</p>
<p>Par ailleurs, notons qu’en dehors de la dimension militaire et stratégique, la relation bilatérale est très faiblement instituée dans ses composantes économique et culturelle, la rendant très vulnérable dès que surviennent des conflits régionaux ou des divergences de points de vue puisque <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">rien de fort ne la soude</a>.</p>
<p>Pour consolider la relation bilatérale, il faudrait donc pallier ces lacunes. Surtout, pour que cette relation puisse s’améliorer substantiellement, il faudrait régler les problèmes posés par le fort anti-américanisme des Turcs et l’hostilité à la Turquie d’Erdogan de la société civile américaine et du Congrès.</p>
<p>Ainsi, si la crise d’Idlib pouvait permettre de sauver la relation turco-américaine du naufrage, elle ne saurait suffire pour la remettre à flot à long terme. Reste à savoir dans quelle mesure l’actuelle crise sanitaire du Covid-19 détournera encore davantage l’attention des États-Unis des enjeux moyen-orientaux. L’administration Trump – ou celle de son successeur – sera-t-elle prête à s’investir dans cet effort ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margaux Magalhaes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’offensive syrienne sur la poche d’Idlib a forcé la Turquie à se tourner vers Washington et vers l’OTAN. L’alliance d’Ankara avec les forces occidentales reste toutefois fragile.Margaux Magalhaes, Enseignante chercheuse , Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1342592020-03-26T18:47:59Z2020-03-26T18:47:59ZBonnes feuilles : Le désastre syrien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/321897/original/file-20200320-22618-1sw3l1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C0%2C6979%2C2326&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/france-vs-syria-syrian-smoky-mystic-1476397949">vladm/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Nous publions un extrait de l’ouvrage de Pierre Vermeren <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/deni-francais-9782226397881">Déni français</a>, qui vient de paraître aux éditions Albin Michel. Spécialiste du Maghreb et du Proche-Orient, l’auteur dénonce des décennies d’erreurs et de contradictions de ce qu’on appelle traditionnellement « la politique arabe de la France ». Voici des extraits choisis du chapitre consacré à la ligne louvoyante de Paris vis-à-vis du conflit syrien. En cette période où, à la faveur de l’épidémie de coronavirus, le <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-les-ventes-de-la-peste-d-albert-camus-en-forte-hausse-depuis-le-debut-de-l-epidemie-6762681">pays redécouvre <em>La Peste</em></a>, il est intéressant de souligner que l’ouvrage de P. Vermeren s’ouvre précisément sur une citation du chef-d’œuvre de Camus : « J’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair. »</em></p>
<hr>
<p>Élu à la présidence en 2007, Nicolas Sarkozy a repris langue avec Damas par l’entremise de Ziad Takieddine. Bachar Al-Assad a assisté en 2008 au sommet de l’Union pour la Méditerranée à Paris puis au défilé du 14 Juillet. Trois ans durant, les présidents syrien et français se rencontrent à plusieurs reprises. L’ambassade de France à Damas se compromet avec des figures honnies du régime, mais en vain puisque Washington interdit tout contrat en Syrie, hormis la future cimenterie Lafarge. Toutefois, la France est furieuse contre Damas qui est soudain intervenue au Liban quelques semaines avant la « révolution » syrienne qui débute le 15 mars 2011. La répression est tout de suite violente. En pleine tempête libyenne, il faut désormais s’occuper de la Syrie. Le président Sarkozy n’accorde guère de crédit à son ambassadeur à Damas, Éric Chevallier, qui est convaincu que « le régime d’Assad ne tombera pas, Assad [étant] fort ». Il déclare au Quai d’Orsay avoir « visité diverses régions de la Syrie et [qu’il n’a] pas le sentiment que le régime en place [soit] en train de s’effondrer ». Dans le bureau du chef de cabinet d’Alain Juppé, le conseiller diplomatique du président Nicolas Galey admoneste l’ambassadeur : « Arrêtez de dire des bêtises ! Il ne faut pas s’en tenir aux faits, il faut voir plus loin que le bout de son nez. » « Vos informations ne nous intéressent pas. Bachar Al-Assad doit tomber et il tombera. »</p>
<p>L’hybris s’est donc emparée de l’exécutif français, qui après des décennies de défense des dictatures arabes, s’est converti à leur renversement. La ligne de l’Élysée et du Quai d’Orsay est coulée dans le marbre pour six ans. En avril, Nicolas Sarkozy juge la répression de Damas « inacceptable ». Déjà, le Qatar et l’Arabie saoudite sont à la manœuvre en appui des Frères musulmans et des salafistes entrés en révolution. Dès 2011, 5 000 personnes sont tuées en Syrie. Mais pour Paris, qui demande le départ de Bachar Al-Assad en juillet et rappelle son ambassadeur, la situation est complexe. La Russie et la Chine refusent toute résolution du Conseil de sécurité de l’ONU hostile à la Syrie, et la France, qui est engagée en Libye, n’a pas les moyens d’intervenir seule et peinerait à convaincre son opinion publique.</p>
<p>[…]</p>
<p>La guerre civile débute en décembre 2011. La France se démène au Conseil de sécurité de l’ONU pour faire condamner les violences. Fraîchement battu par François Hollande, Nicolas Sarkozy persifle en août 2012 : face aux bombes sur Alep, la France devrait intervenir. La réponse du nouveau ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, fait date : « Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre ; […] le régime syrien devait être abattu et rapidement. » La France s’engage fortement aux côtés de l’opposition syrienne, et la DGSE commence bientôt en secret ses premières livraisons d’armes à l’Armée syrienne libre (ASL).</p>
<p>[…]</p>
<p>À la suite du massacre au gaz sarin de la Ghouta le 21 août 2013, qui a probablement tué 1 500 Syriens, le président Hollande, poussé par un petit groupe de journalistes et d’experts virulents, emmenés par l’ancien espion feu Wladimir Glasman, par le biais de son blog « Un œil sur la Syrie », et d’une poignée de conseillers et d’universitaires va-t-en-guerre, décide de bombarder Damas.</p>
<p>Tout était prêt, ce 31 août 2013, pour frapper les sites chimiques syriens, gardés par les meilleures unités du régime, et changer le rapport de forces sur le terrain. Le palais présidentiel était-il visé ? L’accord du Parlement britannique et du président américain, hors ONU, étaient toutefois nécessaires, mais les deux se dérobent. Le 6 septembre, Vladimir Poutine présente en secret à Obama sa proposition de désarmement chimique unilatéral du régime de Damas sous contrôle international. Damas ne sera pas bombardée. Le coup est rude tant pour l’Élysée que pour l’opposition syrienne, car comme en Libye, un objectif louable en cachait un inavouable : la chute du régime de « Bachar ». Or, ce dernier sort renforcé de l’accord russo-américain.</p>
<p>[…]</p>
<p>La Russie a livré des armes et du matériel à Damas dès 2011, puis a envoyé des milliers de mercenaires en 2013, montrés dans des films de propagande militaire sur Internet. Poutine déclare le 15 septembre 2015 : « Nous soutenons le gouvernement de Syrie. Nous fournissons, et nous continuerons à [lui] fournir aide et assistance technique et militaire. » En août, des soldats russes ont été vus aux côtés des troupes régulières syriennes. Et le 30 septembre 2015 débute l’intervention lourde aérienne et au sol, en coordination avec les gouvernementaux, le Hezbollah et les Iraniens.</p>
<p>[…]</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1172&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1172&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/321892/original/file-20200320-22614-12l7l4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1172&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Albin Michel</span></span>
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<p>Les Occidentaux acceptent le partage de la maîtrise de l’espace aérien avec les Russes, négocié par les Américains en 2015, et les Français assistent stupéfaits au sauvetage du régime de Damas contre leur volonté.</p>
<p>[…]</p>
<p>L’Histoire dira si la guerre en Syrie fut notre guerre d’Espagne. Mais la France a perdu beaucoup de sa crédibilité dans la région. En 2011, elle a lâché ses alliés historiques. Après des décennies de soutien inconditionnel, l’assurance-vie française était donc réversible ! Il n’est pas exclu que le Maroc, en rompant la coopération franco-marocaine en février 2014, ait pris acte de ce soutien fluctuant. Ensuite, la France s’est discréditée par ses changements de position successifs. Ainsi en Égypte par exemple, la France épaulait Moubarak avant de soutenir les révolutionnaires, puis le gouvernement des Frères musulmans. En 2013, elle s’est tue lors des tueries contre les Frères musulmans, avant de soutenir le général-président al-Sissi, élu en 2014 puis en mars 2018 avec 90 % des voix. La France a fourni entre-temps de nombreux armements à l’Égypte de Sissi financés par Riyad.</p>
<p>[…]</p>
<p>Ainsi notre politique arabe est-elle à rebâtir. Sommes-nous pour autant en position de le faire ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134259/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Vermeren ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La politique française vis-à-vis du monde arabe se caractérise par une grande inconséquence. On l’a notamment vu à la lumière de l’attitude de Paris sur le dossier syrien.Pierre Vermeren, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1325512020-03-01T16:53:58Z2020-03-01T16:53:58ZComprendre la politique d’accueil turque à l’égard des réfugiés syriens<p>En mars 2016, la Turquie et l’Union européenne signaient un <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/que-contient-l-accord-ue-turquie-sur-les-migrants.html">accord pour mettre fin aux traversées migratoires de la Turquie vers l’Europe</a>. Responsable depuis cette date du gardiennage des frontières européennes, le gouvernement turc, et à sa tête le président Recep Tayyip Erdogan, menace régulièrement les Européens d’ouvrir le « robinet migratoire ». Vendredi 28 février, la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/02/turkish-soldiers-killed-air-raid-syria-idlib-200227211119672.html">mort de 33 soldats turcs</a> suite à des opérations aériennes du régime syrien marque un sérieux revers à la fois militaire et politique pour Ankara qui réclame le soutien de l'UE et de l'Otan. Pour mettre la pression sur les Occidentaux, les autorités d'Ankara viennent de conduire, ce week-end, plusieurs dizaines de milliers de réfugiés aux frontières grecque et bulgare. Un bras de fer s’engage autour de la question des réfugiés, complètement instrumentalisée par la politique turque. </p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les ressorts de la politique turque sur ce dossier ?</p>
<h2>Comment la Turquie est devenue la première terre d’accueil au monde ?</h2>
<p>Début 2011, un vent de manifestations souffle en Syrie. De nombreux chercheurs et experts de la région <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Pas_de_printemps_pour_la_Syrie-9782707177759.html">analysent</a> alors ces mouvements dans la continuité des printemps arabes. Le gouvernement baasiste les perçoit-il comme des révoltes susceptibles de le renverser ? Ce qui est sûr, c’est que la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/09/15/syrie-six-mois-de-revolte-et-de-repression_1572834_3218.html">répression est brutale</a>.</p>
<p>Dès le mois d’octobre, l’<a href="https://www.lemonde.fr/blog/syrie/2011/10/17/que-sait-on-de-l%E2%80%99armee-syrienne-libre/">Armée syrienne libre</a> se constitue. En lutte contre les forces du régime, elle prend le contrôle d’une partie du nord-ouest du pays. Ankara, pourtant engagée dans une politique de rapprochement avec Damas, <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2012-3-page-93.htm">se positionne contre son alliée</a>, soutient les rebelles et mène une politique qualifiée de <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-4-page-87.htm">« porte ouverte »</a> à l’égard des réfugiés venus de Syrie. Le gain potentiel est de taille pour la Turquie : en cas de chute du régime syrien, elle bénéficierait de la reconnaissance du nouveau pouvoir en place et d’un statut d’acteur humanitaire de premier plan. C’est sans compter avec les puissants alliés de Damas et l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00841955/file/Syrie_Guerre_civile_et_internationalisation_du_conflit_2_.pdf">internationalisation du conflit</a> qui va l’inscrire dans la durée.</p>
<p>Dès 2013, plus de 200 000 Syriens ont trouvé refuge en Turquie ; ils seront 2,5 millions en 2015 et 3,6 millions en 2020. À partir de 2014, ces arrivées font de la Turquie le <a href="https://www.unhcr.org/56655f4e0.pdf">premier pays d’accueil au monde pour les réfugiés devant le Pakistan</a>. Ces statistiques issues des services migratoires turcs sont à prendre avec des pincettes, mais l’importante présence syrienne sur le territoire turc est indéniable.</p>
<p>À proprement parler, les Syriens ne sont pas des réfugiés, tel que l’entend la <a href="https://www.unhcr.org/fr/convention-1951-relative-statut-refugies.html">Convention de Genève de 1951</a>. Ils bénéficient d’un statut de « protection temporaire » qui leur donne accès gratuitement aux différents services d’État – hôpitaux, système éducatif… – et au marché du travail. Dans les faits, la situation est plus nuancée, nombre de Syriens travaillant de façon informelle et <a href="http://www.gam.gov.tr/files/5-2.pdf">dans des conditions parfois jugées indignes</a>.</p>
<h2>Au-delà de l’accueil, une politique d’intégration</h2>
<p>Depuis 2011, une faible proportion de Syriens choisit de s’installer dans les camps de réfugiés ouverts par le gouvernement, préférant les grandes villes du pays et leurs périphéries : Istanbul et Izmir à l’ouest, en raison de l’attractivité économique qu’elles suscitent ; la province d’Hatay, Kilis, Gaziantep et Şanlıurfa au sud, pour leur proximité géographique avec la Syrie.</p>
<p>Le facteur local joue un rôle important dans les conditions d’accueil. L’espace turc est vaste, d’une grande diversité ; aussi les situations diffèrent-elles fortement d’un endroit à un autre. À Kilis, ville située à la frontière turco-syrienne, la <a href="https://ahvalnews.com/refugees/kilis-police-take-arabic-lessons-migrants-exceed-local-population">population syrienne a dépassé en nombre la population turque</a>. Tout le contraire d’Antakya, située également à la frontière, où les Syriens sont globalement absents et installés dans des villes périphériques plus modestes. À Gaziantep, important pôle économique régional, les Syriens sont particulièrement visibles et participent au dynamisme économique de la ville. Dans les rues de Gaziantep, l’arabe est devenu aussi courant que le turc. À Izmir, les Syriens sont particulièrement rassemblés dans le district de Basmane, jusque-là peuplé majoritairement de Kurdes.</p>
<p>Balayeurs de rue, collecteurs de déchets, travailleurs saisonniers, employés, cadres et chefs d’entreprise, commerçants, restaurateurs, étudiants… À l’exception de la fonction publique nécessitant la nationalité turque, les Syriens sont présents dans les différentes couches de la société. En 2018, plus de 50 000 Syriens (le nombre a depuis augmenté) au profil d’ingénieurs, de médecins, d’entrepreneurs, parlant le turc et répondant à une liste de critères attestant de leur motivation à rester en Turquie, ont obtenu la nationalité turque. À noter que, au cours des entretiens pour l’obtention de la nationalité, il est par exemple demandé aux candidats s’ils ont pour projet de quitter le pays et, aux hommes célibataires, s’ils aimeraient épouser une femme turque.</p>
<p>Du côté de la population, la présence syrienne est perçue de manière de <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/growing-anti-syrian-sentiment-in-turkey">plus en plus mitigée</a>. Depuis 2016, le pays est victime d’une importante <a href="https://orientxxi.info/magazine/turquie-une-economie-ballotee,3105">crise économique</a> et traversé par de profonds <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-economie-turque-malmenee-par-l-instabilite-politique-18-06-2019-2319455_24.php">remous politiques</a>. La présence syrienne fait l’objet de tensions de plus en plus vives, la société turque n’échappant pas à ce réflexe universel qui consiste à désigner l’étranger comme responsable de tous les maux.</p>
<h2>L’imbrication de l’humanitaire et du militaire</h2>
<p>Le 9 octobre 2019, le lancement de l’<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Dans-le-contexte-de-l-operation-militaire-turque-Source-de-paix-retour-sur-les.html">opération militaire « Source de paix »</a>, en réaction au départ des troupes américaines dans le nord-est syrien, interroge. Le pouvoir turc annonce vouloir instaurer un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2019/02/23/97001-20190223FILWWW00169-syrie-erdogan-veut-une-zone-de-securite-sous-controle-turc.php">bandeau de sécurité</a> où seraient réimplantés 2 millions de Syriens présents sur son sol. L’enjeu pour Ankara est de nature purement sécuritaire.</p>
<p>L’objectif affiché étant d’anéantir les YPG – groupe armé kurde de Syrie perçu par Ankara comme l’extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, un mouvement considéré par la Turquie, les <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations/">États-Unis</a> et l’<a href="https://www.irishtimes.com/news/eu-puts-kurdish-pkk-iran-rebels-on-terror-list-1.422013">Union européenne</a> comme terroriste) –, les Syriens seraient un moyen de noyer démographiquement cette zone de peuplement kurde. Mais ce plan est-il seulement réaliste ? Dans le nord-est, la situation est pour l’instant figée. La ville de Kobané est toujours entre les mains des Kurdes. Dans l’ouest, en revanche, les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-environ-70-combattants-tues-dans-de-violents-affrontements-a-idleb-01-12-2019-2350660_24.php">violents affrontements pour le contrôle d’Idlib</a> opposant les Turcs et l’armée nationale syrienne d’un côté aux forces loyalistes du régime syrien et russes de l’autre a provoqué l’exode de 900 000 personnes aux portes de la frontière turque. L’ONU réclame un cessez-le-feu et l’installation d’un couloir humanitaire en réaction à la <a href="https://news.un.org/en/story/2020/02/1057551">plus grave crise depuis le début du conflit syrien</a>.</p>
<p>Depuis 2011, la politique d’accueil turque développée à l’égard des réfugiés originaires de Syrie est indéniablement l’une des plus élaborées dans le domaine. Les Nations unies n’ont par ailleurs pas manqué de saluer le volontarisme turc au cours des grands rassemblements humanitaires qui se sont tenus ces dernières années. Mais les derniers événements interrogent quant à la manière dont Ankara pourrait « utiliser » les réfugiés dans sa gestion des conflits en cours et montrent toute l’ambiguïté de sa politique humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrian Foucher a bénéficié d'un contrat doctoral de la part du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et est membre du collectif de chercheur.e.s Noria.
Cet article a bénéficié de l'aide financière du Migration Media Award, prix journalistique récompensant des travaux dans le domaine des migrations, financé par l'Union européenne.
Cet article ne reflète que le point de vu de son auteur.</span></em></p>La Turquie est aujourd’hui la première terre d’accueil au monde : elle héberge sur son territoire des millions de Syriens ayant fui la guerre civile. Une politique qui n’est pas dénuée d’ambiguïtés.Adrian Foucher, Doctorant en géographie, membre de l'équipe Monde arabe et Méditerranée, UMR Citeres et membre de l'axe Migration et Mobilité de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1137012019-03-17T20:13:46Z2019-03-17T20:13:46ZDébat : En Syrie, le silence ne doit pas recouvrir les crimes commis à Idlib<blockquote>
<p>« Pourquoi le monde a-t-il abandonné ?<br>
Pourquoi son terrible silence ?<br>
Pourquoi nul ne se préoccupe-t-il de nous ?<br>
Pourquoi personne n’est-il solidaire de notre destin ?<br>
Sommes-nous sans valeur ?<br>
Sommes-nous seulement des numéros ?<br>
Qu’arrive-t-il au monde ? »</p>
</blockquote>
<p>Tel était, il y a quelques jours, le <a href="https://twitter.com/FARED60350386/status/1103769085211537433">message de Fared</a>, <a href="https://twitter.com/FARED60350386/status/1103769088952856579">citoyen journaliste et photographe syrien</a>, de la province d’Idlib. Et ce message, il avait été répété maintes fois depuis le début de la guerre d’Assad contre son peuple, et plus encore depuis les massacres de Homs, de la Ghouta, de Deraa et le <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">siège puis la chute d’Alep</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1103769085211537433"}"></div></p>
<p>Il n’arrête pas d’énoncer que notre inaction parachève l’effondrement de nos représentations politiques et morales de ce que sont le bien et le mal, le juste et l’injuste, le vrai et le faux. Il trace à nouveau cette ligne rouge invisible, mais première, entre – d’un côté – ceux qui se soucient, dénoncent, protestent, nomment avec des mots clairs nos ennemis, et – de l’autre – ceux pour qui les <a href="https://theconversation.com/syrie-penser-apres-homs-alep-idlib-la-ghouta-93995">crimes contre l’humanité peuvent tomber dans l’indifférence du monde</a> et être étouffés par le bruit du quotidien.</p>
<h2>La tragédie, encore et encore</h2>
<p>Alors que, en ce qui concerne la Syrie, les yeux sont concentrés sur la chute prochaine du dernier bastion de Daech à Baghouz et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/09/retour-des-djihadistes-francais-de-l-etat-islamique-le-scenario-se-precise_5421443_3210.html">« retour » des djihadistes étrangers</a>, ils se détournent de la tragédie annoncée dans la province d’Idlib et des massacres sans fin dans la Syrie sous l’emprise de Bachar Al-Assad.</p>
<p>Une sorte de nuit les enveloppe, comme si le récit porté par son pouvoir d’une victoire acquise nous avait délestés du fardeau de l’outrage. Ce n’est certes pas nouveau. <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1159739/etrange-fin-de-partie-a-baghouz.html">Comme le constatait récemment Michel Duclos</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La bataille contre la centrale terroriste de M. Baghdadi a été depuis cinq ans la priorité des priorités pour les gouvernements occidentaux – au détriment sans doute d’un véritable investissement sur la question syrienne dans son ensemble. »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui se joue là mérite pourtant autre chose que le silence et, sur le plan politique, ne saurait tolérer l’inaction qui a, <a href="http://sn4hr.org/blog/2019/03/11/53423/">depuis mars 2011</a> – début de la révolution pacifique contre le régime de Damas – marqué d’une tâche indélébile les nations dites libres. Depuis quatre semaines désormais, les <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1158853/le-regime-assad-accentue-la-pression-sur-idleb.html">bombardements du régime, appuyés par la Russie, sont continuels sur les civils de la région d’Idlib</a>, notamment sur les villes de Maarat al-Noumane, Hama, et Khan Cheikhoun et d’Idlib même, et le nombre des victimes, dont de nombreux enfants, doit dépasser la centaine.</p>
<p>À nouveau, les sauveteurs civils des Casques blancs sont aussi pris pour cible. À nouveau, les <a href="https://www.abc.net.au/news/2018-12-03/syrian-war-crimes-evidence-strongest-since-nuremberg-trials/10577206">crimes de guerre</a> qui ont marqué le conflit syrien sont perpétués – et les puissances occidentales sont silencieuses, comme si ceux-ci étaient devenus une nouvelle « normalité ».</p>
<h2>La Russie et la Turquie à la manœuvre</h2>
<p>Cette <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/mar/14/russian-and-syrian-airstrikes-intensify-on-rebel-held-idlib?CMP=Share_iOSApp_Other">recrudescence du conflit</a> était parfaitement prévisible comme l’est, depuis l’accord de Sotchi signé en septembre 2018 entre la Russie et la Turquie, le fait que la Russie va <a href="https://www.atlantico.fr/decryptage/3508193/idlib--poutine-et-erdogan-tentent-de-gagner-du-temps-et-poutine-du-terrain-nicolas-tenzer">appuyer le régime syrien dans sa reconquête de l’intégralité du territoire syrien</a>, ou quasiment.</p>
<p>Le ministre russe des Affaires étrangères, <a href="https://www.apnews.com/56aaa841ebff42e8b8a6b767e24b0fa1">Sergueï Lavrov, n’en a pas fait mystère</a>. Les seules questions concernent le quand et le comment. Sans doute en effet, la nature des <a href="https://www.ft.com/content/60d234fa-3e6a-11e9-9bee-efab61506f44">conversations entre la Turquie et la Russie</a> va-t-elle, à court terme, peser sur le destin immédiat de la province d’Idlib et il ne saurait être exclu qu’<em>in fine</em> la Turquie conserve une petite enclave au nord du pays, mais il est douteux qu’Ankara ait la volonté de s’opposer à une mainmise quasi-totale d’Assad sur le pays et s’érige en protecteur de la province d’Idlib.</p>
<p>Et la question, <a href="https://www.change.org/p/emmanuel-macron-doctorsindanger-stop-au-ciblage-des-h%C3%B4pitaux-et-du-personnel-m%C3%A9dical-en-syrie/u/24232454?cs_tk=Ar6kY07hhvcQA-MMfFwAAXicyyvNyQEABF8BvCLNcuZ47E-Qth1aSq564f8%3D&utm_campaign=fa5b9c5eaff340fa9be435aec34afa7d&u">posée récemment par le docteur Raphaël Pitti</a>, est la même :</p>
<blockquote>
<p>« Laisserons-nous les trois millions d’habitants et réfugiés de la région revivre l’enfer de la Ghouta, d’Alep ou Deraa ? »</p>
</blockquote>
<h2>Une crainte double</h2>
<p>On savait que la région d’Idlib, où ont afflué environ 2 millions de réfugiés des autres parties de la Syrie, notamment des régions d’Alep et de la Ghouta, après les massacres du régime, <a href="https://theconversation.com/syrie-penser-apres-homs-alep-idlib-la-ghouta-93995">serait un havre précaire</a>. Ses habitants y ont aussi subi les exactions des islamistes de Hay’at Tahrir al-Cham (HTS) qui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/15/en-syrie-idlib-sous-la-coupe-des-djihadistes_5409277_3210.html">contrôle une large partie de la région</a>, donnant un nouveau prétexte au régime et à la Russie pour intervenir au nom de cette prétendue « guerre contre le terrorisme » qui a toujours été l’habillage rhétorique des crimes du régime.</p>
<p>À l’automne les manifestations dans la province se déroulaient sous le <a href="https://www.france24.com/en/20181031-syrias-idlib-protester-still-going-strong">double slogan du refus d’Assad comme de HTS</a>. Ce dernier groupe est, d’ailleurs, <a href="https://alshahidwitness.com/hts-killing-activists/">souvent soupçonné d’être l’auteur du meurtre</a> de l’activiste de Kafranbel et fondateur de radio Fresh, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/23/influential-syrian-activist-raed-fares-gunned-down-in-idlib">Raed al-Fares</a>, surnommé la « conscience de la révolution syrienne », <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/12/02/raed-fares-ou-l-assassinat-de-la-voix-des-democrates-syriens_1695570">et de son camarade Hamoud Junaid</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, la crainte est double. D’une part, on imagine parfaitement le résultat de bombardements massifs par le régime et par la Russie d’une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/nov/03/idlib-jeremy-hunt-syria-russia-turkey">zone comprenant plus de 3 millions d’habitants</a>, dont environ 1 million d’enfants, qui n’auraient plus aucun lieu où les fuir. Cela pourrait être pire encore que ce que la population syrienne a connu en huit années de guerre.</p>
<p>D’autre part, 80 % des habitants de la région figurent sur la <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20180802-syria-regime-prepares-list-of-3m-wanted-persons/">liste des personnes recherchées par Damas</a>, et là aussi on ne connaît que trop le sort auquel la machine de torture et de mort du régime les vouerait.</p>
<p>Quel sera, par ailleurs, le destin des civils qui auront été libérés de Daech <a href="https://theconversation.com/face-a-Daech-letrange-victoire-113511">après la chute de Baghouz</a> ? Auront-ils échappé à l’enfer du Califat pour tomber dans celui du régime ?</p>
<h2>Du sauvetage d’Idlib dépendra l’avenir de la Syrie</h2>
<p>Il faut sauver les habitants d’Idlib du régime. Il faut aussi sauver l’ensemble des habitants de Syrie du régime. Stopper Assad et la Russie de Poutine à Idlib apparaît comme l’opération de la dernière chance. Cela pourrait aussi être, pour le monde dit libre, l’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">ultime faillite stratégique</a>.</p>
<p>Depuis huit ans, nous n’avons pas <em>voulu</em> protéger et mettre un terme à l’assassinat délibéré de plus d’un demi-million de personnes et laissé se perpétuer crimes contre l’humanité et crimes de guerre sans fin, mais nous avons abrité notre veulerie sous les mots commodes de l’impuissance ou, plus obscène encore, du réalisme et de la complexité.</p>
<p>Donnerons-nous, cette fois encore, carte blanche à Bachar Al-Assad ? Lui laisserons-nous toute latitude pour, toujours et encore, perpétrer les massacres qu’il a à nouveau annoncés à l’avance ? Renforcerons-nous encore l’<a href="https://wszystkoconajwazniejsze.pl/nicolas-tenzer-russie-pour-sortir-de-la-debacle-strategique-de-louest/">ennemi, oui l’ennemi, de toute loi internationale</a>, d’un ordre soumis à la justice et de la liberté : la Russie de Poutine ? Continuerons-nous, enfin, à déguiser notre lâcheté des habits de la diplomatie, refusant de percevoir que, depuis le début, elle était vouée à la répétition verbeuse de résolutions vides, et donnerons-nous à nouveau crédit à la tromperie et au mensonge ?</p>
<p>Si cela devait être, quel crédit pourrions-nous encore attribuer à l’invocation des valeurs de droit, de liberté et de dignité que porte l’Europe ? Comment n’y verrions-nous pas des mots vains et misérables ?</p>
<p>Sans doute, une action est-elle plus difficile aujourd’hui qu’elle ne l’eût été en 2013, 2016, voire au début de 2017. Le retrait des États-Unis de Syrie, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jan/11/syria-troop-withdrawal-under-way-says-us-led-coalition">même s’il n’est finalement pas total</a>, n’aide certainement pas et il signifie aussi le peu d’appétence des Américains à peser sur le processus de transition politique. La <a href="https://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2019/03/290371.htm">condamnation par le Département d’État américain</a> des attaques du régime et de la Russie contre les civils d’Idlib, aussi nécessaire soit-elle, ne signifie pas une volonté d’action.</p>
<p><a href="https://foreignpolicy.com/2019/03/08/europe-doesnt-even-agree-on-assad-anymore/">La division de l’Europe sur la Syrie</a> est un autre facteur aggravant auquel s’ajoute le retrait du Royaume-Uni, englué dans le Brexit, de la scène mondiale. L’imprévisibilité de la Turquie, membre de l’OTAN, et la <a href="https://edition.cnn.com/2018/12/27/middleeast/uae-embassy-damascus-intl/index.html">propension de certains pays</a> <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-kuwait/kuwait-expects-more-arab-countries-to-reopen-embassies-in-damascus-kuna-idUSKCN1OU0VP">du Golfe</a> à laver les crimes d’Assad en rouvrant leur ambassade à Damas – qui devrait aussi (<a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-arabs/no-consensus-yet-for-syria-return-arab-league-chief-idUSKCN1Q014R">encore que la décision ne soit pas confirmée</a>), <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/dec/26/arab-league-set-to-readmit-syria-eight-years-after-expulsion">être réadmis au sein de la Ligue arabe</a>, dont le <a href="https://www.jns.org/after-eight-years-of-civil-war-the-return-of-syria-to-the-arab-world/">prochain sommet se tient le 31 mars</a>, ont aussi eu pour effet d’affaiblir nos possibles alliances dans la région.</p>
<h2>Oui, nous pouvons agir</h2>
<p>Mais la France <a href="http://theconversation.com/la-france-et-la-syrie-onze-questions-pour-laction-82108">n’est pas dénuée de toute capacité d’initiative</a> et elle est en mesure de <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2019/01/11/01003-20190111ARTFIG00238-nicolas-tenzer-en-syrie-la-france-pourrait-remobiliser-les-pays-europeens.php">convaincre certains alliés de l’Union européenne</a>. Notre politique en Syrie est inséparable de trois considérations globales.</p>
<p>D’abord, elle prend place dans le cadre de notre combat pour le respect du droit international, notamment humanitaire, et de notre responsabilité de protéger (R2P) : l’ampleur des <a href="https://www.amnestyusa.org/amnesty-report-reveals-crimes-against-humanity-in-syria/">crimes contre l’humanité</a> et des crimes de guerre commis par le régime et ses soutiens – ainsi que des autres parties, quoiqu’impliquées dans une moindre mesure – ne peut faire l’objet seulement d’une condamnation verbale.</p>
<p>Ensuite, pour l’Europe et les Alliés, il est impensable de disjoindre leur position sur la Syrie et le combat contre la déstabilisation, aux multiples composantes, opérée par le régime russe : la Syrie et l’Ukraine sont, pour Moscou, les deux biais principaux par lesquels <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Poutine-menace-valeurs-notre-securite-2017-01-05-1200814910">elle entend détruire l’ordre international</a>.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne la Syrie, on ne peut séparer la réponse à apporter aux événements de la région d’Idlib de la demande de justice internationale, de notre pression sur le régime Assad et ses parrains sur la transition politique et l’accès humanitaire et – c’est un impératif catégorique – de la libération inconditionnelle des prisonniers politiques.</p>
<p>En premier lieu, la France et l’Europe doivent peser sur la composition du comité constitutionnel chargé d’assurer la transition politique en Syrie, qui ne saurait être aux mains du groupe dit d’Astana. <a href="https://lemonde-arabe.fr/13/03/2019/syrie-des-divergences-croissantes-au-sein-du-groupe-dastana/">Celui-ci commence d’ailleurs, semble-t-il, à se fissurer</a>. Cela impose une vigilance de détail, notamment sur le tiers des membres du comité réputés indépendants. Une autre formule que ce comité pourrait d’ailleurs être trouvée si elle apparaît ne pas pouvoir fonctionner.</p>
<p>Le moment venu – on en est certes encore loin – des élections libres en Syrie, sous contrôle international, devront assurer la participation de tous, y compris les réfugiés. Après la <a href="https://thearabweekly.com/failure-de-misturas-syria-mission">faillite du précédent envoyé spécial des Nations unies</a>, Steffan de Mistura, quelles qu’en soient les raisons, la posture qui semble tout aussi <a href="https://syrianobserver.com/EN/features/49171/pedersen-considers-adopting-russian-favored-political-solution.html">peu avertie des ruses de la Russie du nouveau</a>, Geir Pedersen (lequel n’évoque même pas la question de la libération des prisonniers politiques), pourrait se révéler problématique. Ce risque impose aussi un engagement plus fort de la France et de l’Europe, même si l’on sait que la diplomatie ne suffira pas.</p>
<p>Ensuite, elles doivent être claires sur le fait qu’Assad ne saurait faire partie de la transition politique. Tant que son clan restera au pouvoir, les <a href="https://www.washingtonpost.com/world/syrian-forces-use-widespread-sexual-violence-to-humiliate-and-silence-male-prisoners-new-report-says/2019/03/11/2e1f5b12-43e4-11e9-9726-50f151ab44b9_story.html?utm_term=.b37d41a29769">massacres et les tortures dans les prisons</a> du régime continueront. Toute aide à la reconstruction, tant que le régime Assad est en place, <a href="https://www.atlanticcouncil.org/?view=article&id=35805:syria-reconstruction-and-the-illusion-of-leverage">ne peut naturellement qu’être exclue</a>.</p>
<p>Il est aussi exclu que les plus de <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/syria">5,6 millions de réfugiés</a> puissent rentrer et que les <a href="https://www.unhcr.org/sy/internally-displaced-people">6,2 millions de déplacés internes</a> puissent rejoindre leurs provinces – ce que, au demeurant, la <a href="https://www.hrw.org/news/2018/05/29/qa-syrias-new-property-law">loi numéro 10 (promulguée par Damas) qui organise la spoliation</a> de leurs biens exclurait pour nombre d’entre eux. Ce <a href="https://orientxxi.info/magazine/unlocking-europe-s-syrian-straitjacket,2960">constat sans ambiguïté</a> doit également guider la France et l’Europe – et bien sûr les pays de la région – dans leurs politiques d’asile.</p>
<p>Enfin, comme elles ont commencé à le faire, elles doivent poursuivre leur action en faveur de la justice en Syrie, contribuer à <a href="https://www.theguardian.com/law/2019/mar/07/syrian-refugees-launch-legal-bid-to-try-assad-for-crimes-against-humanity">trouver tous les moyens de droit pour poursuivre les criminels</a> et faire de la libération des prisonniers politiques, <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2018/world/syria-bodies/?utm_term=.d58dfc00157f&tid=a_inl_manual&tidloc=24">qui meurent quotidiennement dans les prisons d’Assad</a>, la condition de tout processus de transition politique.</p>
<h2>Assad n’a pas gagné la guerre</h2>
<p>Cette position doit être aussi relayée par des récits clairs de la part des gouvernements européens afin de ne pas accréditer la propagande du régime et de ses thuriféraires.</p>
<p>Premièrement, il est faux de déclarer qu’Assad a gagné la guerre. Il existe toujours environ 30 % du pays qui ne sont pas tombés sous son joug. Et même dans les régions sous la domination du régime, des Syriens, bravant tous les risques, <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-statue/new-assad-statue-triggers-protest-in-cradle-of-syrian-revolt-idUSKBN1QR0SB">continuent de manifester</a>. Cela suppose également de tordre le cou – et la Syrie n’est pas le seul pays concerné – à tous les discours sur les vertus des prétendus régimes stables. Au Moyen-Orient comme ailleurs, les dictatures ne le sont pas et annoncent les révolutions de demain.</p>
<p>Ensuite, non seulement nous devons tenir bon sur le refus de reconnaissance du régime, mais nous devons utiliser tous les moyens disponibles pour que les pays du Golfe et pays arabes en général ne s’engouffrent pas dans cette brèche. En France même, l’<a href="https://www.change.org/p/clio-voyages-culturels-https-www-clio-fr-non-aux-s%C3%A9jours-touristiques-de-clio-en-syrie-sous-la-botte-de-bachar-al-assad">organisation de voyages touristiques en Syrie</a>, qui conduirait <em>de facto</em> à une forme de réhabilitation du régime, ne saurait être acceptée.</p>
<p>En troisième lieu, il nous faut être conséquents dans notre analyse des alliances d’Assad : le régime, la Russie et l’Iran constituent un bloc, et il est absurde stratégiquement d’estimer que nous pouvons les diviser et tenter de jouer, <a href="https://www.rferl.org/a/netanyahu-israel-russia-to-cooperate-on-pullout-of-foreign-forces-from-syria/29801050.html">comme le fait le premier ministre israélien</a>, les uns contre les autres. Le régime ne tient qu’en raison de la présence des forces russes et iraniennes et celles-ci ne le lâcheront pas.</p>
<p>En quatrième lieu, au-delà de nos critiques par ailleurs de ces régimes, nous devons œuvrer à reconstituer des alliances sur la question syrienne. C’est assurément le sujet le plus difficile et risqué, mais c’est aujourd’hui indispensable.</p>
<p>Enfin, et ceci est lié, nous devons mettre tout en œuvre pour remettre sur la table tous les schémas possibles pour la création d’une zone de sécurité dans la région d’Idlib. Si nous renonçons d’avance, cela signifiera que nous accordons au régime et à la Russie une victoire non seulement stratégique, mais aussi intellectuelle dont les conséquences seront incalculables en termes de sécurité mondiale. Si nous nous y montrons incapables, comment d’ailleurs espérer qu’on puisse un jour organiser des élections libres en Syrie sous contrôle international ?</p>
<h2>Un enclos soutiré de l’actualité internationale</h2>
<p>Beaucoup dépend aussi de la capacité de l’opposition syrienne démocratique à s’organiser et à s’unir et à faire émerger une nouvelle génération de dirigeants, celle qui a le plus donné dans les protestations contre le régime. Les pays occidentaux ne sauraient le faire en leurs lieux et places, mais ils peuvent inciter et aider à monter des équipes qui joueront un rôle premier dans la transition politique. Celle-ci doit se préparer beaucoup plus sérieusement qu’aujourd’hui.</p>
<p>Un voile semble être retombé sur la Syrie. À l’abri des regards, même si de courageux journalistes citoyens parviennent encore à nous alerter, Assad arrête, massacre, assassine. Il a <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/syria/MAGAZINE-iran-russia-and-isis-how-assad-won-in-syria-1.6462751">libéré aussi</a> les <a href="https://www.thedailybeast.com/assad-henchman-heres-how-we-built-isis">terroristes de Daech</a> qui finalement servent sa propre politique de répression et on sait qu’il ne l’a guère combattu.</p>
<p>La Syrie menace de devenir cet enclos soutiré de l’actualité internationale parce que n’en parviendront plus les cris. Notre conscience sera peut-être lâchement soulagée, la gêne de notre lâcheté apaisée, mais l’insécurité du monde se sera amplifiée et cela sera notre héritage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113701/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Renoncer signifie que nous accordons au régime d’Assad et à la Russie une victoire stratégique, mais aussi intellectuelle dont les conséquences seront incalculables en termes de sécurité mondiale.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/939952018-04-03T20:42:57Z2018-04-03T20:42:57ZSyrie : penser après Homs, Alep, Idlib, la Ghouta…<p>Après l’Holocauste, les philosophes se sont parfois posé cette question sans réponse : « Peut-on philosopher après Auschwitz ? » On l’a justement reformulée ainsi : « Comment philosopher après Auschwitz ? » Comme si toute la philosophie était par là sommée de penser à la lumière d’Auschwitz et de faire qu’elle y élise sa demeure.</p>
<p>Laissons ici l’injonction implicite d’Adorno (corrigée par la suite) évoquant le <a href="https://www.academia.edu/28390829/Ecrire_la_douleur_des_corps_apr%C3%A8s_Auschwitz?auto=download">caractère « barbare » de l’écriture d’un poème après Auschwitz</a>, qui rejoignait indirectement la méditation de Jonas sur le <a href="http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2011/04/20/comment-croire-en-dieu-apres-la-shoah_1510085_3232.html">« concept de Dieu après Auschwitz »</a> et son silence. Elle résonne surtout comme une incursion dans le domaine de l’intime. Pour autant ce qui noue à jamais la pensée et le crime absolu reste l’interrogation suprême.</p>
<p>Mais au-delà de l’obligation de penser le crime d’État, celui-ci altère la pensée même. L’accomplissement du crime, la possibilité qu’il ait pu survenir et qu’il n’ait rencontré aucune punition, et la faculté qui est désormais donnée d’accomplir le crime en le donnant à voir de manière immédiate – ce qui ne fut le cas ni de la Shoah, ni du Goulag, ni du Laogaï, finalement peu du Cambodge, voire bien moins qu’aujourd’hui de Srebrenica, du Rwanda et du Soudan – font comme corrompre notre faculté de penser.</p>
<h2>L’unicité des crimes syriens</h2>
<p>Nous en arrivons à la Syrie. De même qu’il existe une « unicité de la Shoah », il est une <a href="https://edition.cnn.com/2018/03/27/opinions/ghouta-syria-holocaust-opinion-kor-ghanem/index.html">unicité des crimes</a> commis en Syrie dont on ne sait s’ils trouveront un jour un nom. Il n’est pas fortuit que l’ancien grand rabbin d’Israël, Yisrael Meir Lau, ait <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2017/04/israel-responsibility-stop-syria-holocaust/522318/">employé le terme de Shoah pour désigner les massacres en Syrie</a>, emboîtant le pas au grand rabbin sépharade, Yitzhak Yosef, qui avait parlé de « petit Holocauste ».</p>
<p>Sans doute le terme « unicité » a-t-il été longuement débattu, mais sur le plan méthodologique chaque événement doit être considéré dans sa singularité. Ce qui est advenu et se déroule encore sous nos yeux en Syrie depuis 2011 est unique par la combinaison de plusieurs réalités :</p>
<ul>
<li><p>sa durée : déjà sept ans ;</p></li>
<li><p>son mode opératoire : une <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">guerre d’extermination</a> dont les civils sont les cibles délibérées ;</p></li>
<li><p>ses caractéristiques internationales : soutien au régime de Damas, puis intervention directe à partir de septembre 2015 de la Russie, présence de milices iraniennes en soutien au régime, intervention de la Turquie avec pour partie une préoccupation intérieure, mais absence de fait de réaction militaire des pays démocratiques, sauf dans le combat contre Daech ;</p></li>
<li><p>l’utilisation massive des outils de la guerre de l’information, essentiellement au profit de Moscou et du régime d’Assad ;</p></li>
<li><p>l’effondrement, partant, de l’ensemble des règles du droit international, notamment humanitaire, notamment de la responsabilité de protéger (<a href="http://www.globalr2p.org/regions/syria">R2P</a>).</p></li>
<li><p>et, bien sûr, le nombre des victimes : environ <a href="https://www.hrw.org/world-report/2017/country-chapters/syria">500 000 morts</a>, sans doute plus ; des millions de personnes brisées dans leur chair, plus de <a href="https://www.nbcnews.com/news/world/investigators-quietly-probe-allegations-syrian-war-crimes-n858641">10 000 personnes torturées à mort</a> dans les prisons d’Assad, <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2017/08/syria-tens-of-thousands-of-disappeared-must-not-be-forgotten/">plus de 75 000 disparus</a>, les <a href="https://www.worldvision.org/refugees-news-stories/syrian-refugee-crisis-facts">12 millions de personnes déplacées</a>, dont presque la moitié en dehors du pays.</p></li>
</ul>
<p>Le bilan définitif n’est pas encore établi, et il faudra y ajouter toutes les <a href="http://fr.euronews.com/2018/03/15/la-communaute-internationale-a-laisse-tomber-le-peuple-syrien-helle-thorning">morts prématurées</a> liées aux privations, à l’absence de soin et aux traumatismes inouïs subis. On doit notamment y ajouter l’évidement des organisations internationales, en particulier le Conseil de sécurité des Nations unies bloqué par les <a href="https://edition.cnn.com/2017/11/16/middleeast/un-syria-chemical-weapons-russia-veto/index.html">onze vetos russes</a> (et au début chinois) et une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/feb/26/syria-eastern-ghouta-assad-forces-un-ceasefire">résolution en février 2018</a>, poussée par la Russie, en trompe-l’œil ; la capitulation des pays libres devant les mensonges du Kremlin et de Damas, depuis le prétendu retrait des troupes russes jusqu’aux nombreuses trêves et création de zones de désescalade immédiatement violées.</p>
<p>Rien de cela ne rend moins condamnables – faut-il le rappeler ? – les bombardements de civils <a href="https://www.huffingtonpost.co.uk/entry/yemen-another-generation-lost-to-conflict_uk_5aba1408e4b004fe24699909">au Yémen</a> et l’utilisation dans ce pays de l’<a href="http://www.bbc.com/news/av/world-middle-east-37423263/children-dying-of-starvation-in-yemen-s-conflict">arme de la faim</a>, le <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/12/05/l-onu-evoque-des-elements-de-genocide-contre-les-rohingya-en-birmanie_5224902_3216.html">génocide des Rohingyas</a> en Birmanie, les exactions qui demeurent au <a href="https://news.un.org/en/story/2016/12/548002-possibility-genocide-south-sudan-all-too-real-ban-warns-opinion-piece">Soudan</a> et, bien sûr, les crimes spécifiques de l’État islamique et de ses affidés ou d’autres groupes islamistes en Syrie même, en Irak, en Afrique, en Turquie, en Asie et dans les pays occidentaux.</p>
<p>Devons-nous redire aussi – pour faire justice une fois pour toutes aux stratégies de relativisation des « whataboutistes » – que cela n’excuse pas non plus les crimes de guerre commis au Vietnam, ni le soutien des États-Unis aux dictatures criminelles d’Amérique du Sud, notamment dans les années 1970, ni les crimes commis pendant la colonisation, ni le financement du terrorisme par des États avec lesquels nous faisons commerce ?</p>
<h2>Pouvons-nous penser dans l’horizon du crime de masse ?</h2>
<p>C’est d’abord ce qui nous est arrivé à nous qui doit être pensé.</p>
<p>Prenons une première catégorie : ceux qui prêtent une oreille et un regard sont sincèrement horrifiés, parfois même signent une pétition, mais il faut bien qu’ils dorment, qu’ils travaillent – et que la vie continue. Et oui, d’ailleurs il le faut. Que peuvent-ils faire de plus ? Que doivent-ils faire de plus ?</p>
<p>Prenons une seconde catégorie, peut-être pas si différente en fin de compte : celle de ceux qui protestent jour après jour, alertent, publiquement ou discrètement, enjoignent d’agir, tentent d’expliquer pourquoi ce qui se passe en Syrie, au-delà de notre faillite morale, signe aussi une <a href="http://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/leaving">capitulation stratégique</a> lourde de conséquence pour l’avenir de nos démocraties et du droit – l’auteur de ces lignes en fait sans doute partie. Mais ceux-là aussi continuent de vivre quand bien même ils portent en eux le poids intime et hantant des râles des torturés et d’une prémonition tragique pour notre futur.</p>
<p>Mais notre pensée est atteinte. Pouvons-nous nous accoutumer à la noirceur des temps ? Pouvons-nous nous habituer aux cris ? Pouvons-nous perpétuellement devenir familier avec cette rage qui sourd en nous et qui n’aboutit jamais ? Pouvons-nous faire nôtre à jamais la défaite du monde ? Les Cassandres et les « prophètes désarmés » n’ont pas de place dans l’Histoire. La contre-histoire dont ils sont les hérauts sera toujours celle des perdants.</p>
<p>La question ici n’est pas celle de notre inconfort moral, mais de l’emprise destructrice que la Syrie a sur notre pensée.</p>
<h2>Mettre fin aux récits globaux</h2>
<p>L’intrusion du malheur de masse dans notre pensée ne nous conduit pas à l’appréhension d’une mythique condition humaine – c’est tout sauf une méditation sur la condition mortelle de l’homme. Les épopées pompeuses sur le tragique de l’Histoire sont toujours marquées par le lyrisme des esprits faibles et l’indigence intellectuelle des déterminismes historiques que pointait déjà Raymond Aron. Elles nous confortent dans l’irrationalité en la présentant comme le dernier mot de l’Histoire. Elles ravalent les principes au rang de songeries, relativisent les règles et prennent comme acquis la disjonction des faits et des valeurs.</p>
<p>Cette propension, qui refait irruption dans la « géopolitique », à faire fond sur des grands récits globaux conduit sur le plan moral à la déshumanisation, sur le plan intellectuel au détournement de la pensée de chaque phénomène singulier et sur le plan politique au cynisme qui en est le degré zéro.</p>
<p>Ce faisant, elle détruit aussi la condition même de la pensée stratégique. D’abord, elle l’enferme dans un sempiternel présent : nous ne parvenons plus à réfléchir à ce que nos actions et inactions conduisent à laisser en héritage, et nous nous barrons ainsi la compréhension du futur. Il est si incroyable de constater que nos stratèges en chambre se refusent à analyser le coût, au niveau régional mais aussi mondial, de notre lâcheté en Syrie.</p>
<h2>Faillite stratégique</h2>
<p>Ensuite, en mettant entre parenthèses la considération des principes, cette géopolitique de la facilité se refuse, depuis le début, à voir que leur destruction méthodique et la volonté, notamment russe, de les rendre illégitimes obéissent aussi pour les puissances ennemies à des objectifs guerriers. L’<a href="https://www.alaraby.co.uk/english/comment/2017/9/18/for-whom-the-bell-tolls-in-syria">absence de résolution de les mettre à exécution</a> n’est pas qu’une défaite morale, mais le signe d’une faillite stratégique. En acceptant implicitement que les mots – les blâmes, condamnations et autres injonctions – perdent toute fonction performative, alors même que c’est le propre du droit, les puissances démocratiques ont érodé leurs fondations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212977/original/file-20180403-189801-1bw3y9e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les présidents Assad et Poutine, à Moscou, le 20 octobre 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/50533">Kremlin.ru/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Enfin, cette naturalisation de l’Histoire a subverti l’idée même d’analyse stratégique. La naturalisation des peuples s’est effectuée le plus souvent aux fins de légitimation des tyrannies : en les enfermant dans la répétition du même, elle contribue à nous empêcher de comprendre la dynamique des sociétés et la manière dont des individus peuvent changer le cours du monde. Celle de l’Histoire se complaît dans la pauvreté de ses présupposés : la perpétuation de la destruction baptisée « réalisme ». Elle fait comme droit à la phrase littéralement réactionnaire que Cocteau utilisait dans un autre contexte : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l’auteur. »</p>
<p>Tout s’est passé en Syrie comme si la complexité devenait la raison de l’abstention et comme si « l’organisation » de la riposte se faisait sur la scène d’un théâtre d’ombres où nul, sauf les puissances résolues à user de la force, ne pouvait rien organiser. Cette subversion du concept de réalisme sape également son fondement, tant cognitif que pratique : utiliser les éléments de la puissance pour contrer les menaces.</p>
<h2>Comment la pensée a été écartée</h2>
<p>Le sujet proposé au concours général de philosophie (séries ES et S) cette année s’intitulait ainsi : « Comment savoir ce qu’il faut faire ? », entrechoquant le savoir, le devoir et l’action. Sans doute ses concepteurs n’avaient-ils pas la Syrie à l’esprit, ni les questions internationales. Somme toute, cette question est celle de chacun des moments de notre vie. Mais elle doit hanter tous ceux qui, avec honnêteté, sont censés agir sur la scène du monde ou apporter des conseils.</p>
<p>En termes purement logiques, le savoir n’entraîne aucun devoir et il n’oblige à aucune action. L’action du dirigeant est du domaine de sa liberté singulière et de sa responsabilité. Il lui faut agir en fonction d’incertitudes raisonnables. On peut anticiper et évaluer les conséquences d’une action ou d’une absence d’action, mais on ne sait pas ce que seront ses effets avant – et les effets définitifs peuvent prendre des années avant d’être connus.</p>
<p>S’agissant de la Syrie, et c’est ce qui en fait un cas d’école, paradoxalement c’est la mise à l’écart du savoir qui constitue la première cause de notre recul dans l’action comme de notre incapacité à définir l’horizon d’un devoir. Pourquoi et comment avons-nous, au moins en large partie, tenu ce savoir en lisière ? Peut-être a-t-il d’abord manqué un savoir « empathique » de la part de certains de nos dirigeants.</p>
<p>La question n’est pas celle de la « sensiblerie » – une telle accusation devant ceux qui hurlent devant les meurtres d’enfants serait au demeurant immonde –, mais de la manière dont l’empathie nous permet <em>aussi</em> de saisir les choses et de comprendre leurs effets à long terme sur nos représentations de notre société comme du bien et du mal.</p>
<p>Il ne s’agit pas de faire preuve de sensibilité dans l’action. D’ailleurs, quand la première guide la seconde, elle peut aussi être sans lendemain et <a href="https://www.iiss.org/en/iiss%20voices/blogsections/iiss-voices-2017-adeb/april-61aa/airstrike-in-syria-160e">sans élaboration d’une stratégie</a> – on l’a vu avec la riposte à un coup décidée par Donald Trump après les <a href="http://www.lemonde.fr/syrie/article/2017/06/27/les-etats-unis-mettent-en-garde-la-syrie-contre-un-nouveau-recours-aux-armes-chimiques_5151580_1618247.html">attaques chimiques de Khan Cheikhoun</a> (région d’Idlib) d’avril 2017. Mais l’empathie produit aussi une compréhension du monde tel qu’il est vécu.</p>
<h2>Perte de dignité</h2>
<p>Ensuite, a fait défaut un savoir tant sur la Syrie (et les <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2017/10/27/manon-nour-tannous-l-interminable-recommencement-des-relations-franco-syriennes-est-pathologique_5206880_3210.html">relations que ce pays a entretenues avec la France</a> notamment) que sur les conséquences de ce qu’on a appelé le Printemps arabe. Outre que la « stabilocratie » – terme forgé à l’origine à propos des <a href="http://www.ecfr.eu/article/commentary_what_europe_can_do_for_the_western_balkans_7238">Balkans</a> pour désigner une préférence pour la « stabilité » supposée au détriment de la démocratie – est à courte vue, elle conduit à effacer le caractère universel des aspirations à la liberté et aux droits fondamentaux alors même que c’est ce qui fonde la légitimité du projet européen.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212978/original/file-20180403-189830-1gkw4fk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Paysage de ruines à Homs (avril 2012).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Destruction_in_Homs_(4).jpg">Bo yaser/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>N’avoir pas aidé, soutenu et protégé les défenseurs de l’opposition libérale en Syrie dès le début de la <a href="https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/idees/syrie-sept-longues-annees-de-massacre">révolution pacifique contre Assad en 2011</a> et surtout dès les <a href="http://www.bbc.com/news/world-middle-east-17259471">massacres de Homs de 2012</a>, a commencé à détruire la crédibilité des démocraties qui s’est poursuivie avec les <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-crisis-chemicalweapons-exclusiv/exclusive-tests-link-syrian-government-stockpile-to-largest-sarin-attack-sources-idUSKBN1FJ0MG">massacres à l’arme chimique de la Ghouta</a> en 2013, le <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/dec/11/the-guardian-view-on-the-fall-of-aleppo-it-will-not-end-the-suffering">siège puis la chute d’Alep</a>, le <a href="https://news.un.org/en/story/2017/04/556112-syria-un-aid-officials-urge-end-airstrikes-hospitals">bombardement constant des hôpitaux</a>, des <a href="https://www.hrw.org/news/2018/01/11/syria-children-under-attack-damascus-enclave">écoles</a> et des <a href="https://www.sfgate.com/news/crime/article/UN-probe-Russia-behind-deadly-airstrike-in-12730998.php">marchés</a>, et désormais à nouveau dans la <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/feb/25/observer-view-un-failure-stop-slaughter-eastern-ghouta">Ghouta orientale</a> désormais presque entièrement tombée aux mains du régime et de ses alliés après des combats qui ont fait <a href="http://www.francesoir.fr/actualites-monde/syrie-accord-pour-evacuer-des-civils-de-la-derniere-poche-rebelle-dans-la-ghouta">1600 morts en cinq semaines</a> – le <a href="http://www.institutmontaigne.org/blog/syrie-les-terribles-enjeux-de-la-ghouta-orientale">scénario était écrit d’avance</a>.</p>
<p>Une « victoire » d’Assad – en réalité de ses parrains – et l’installation d’un protectorat russo-irano-turc sur la Syrie n’arrêtera pas la guerre, ni la révolte, mais elle encouragera les groupes les plus radicaux au détriment des plus libéraux. Nous aurons perdu non seulement notre dignité, mais aussi les chances de paix.</p>
<h2>L’éloignement de la guerre</h2>
<p>Enfin, nous a manqué le savoir de cette « nouveauté », pour emprunter ce concept à Hannah Arendt, que représentait la guerre en Syrie. Passons sur les analyses à la petite semaine du genre « chiites contre sunnites », « laïcité contre islam », « islamistes contre chrétiens » dont le pouvoir explicatif est plus que contestable, en tout cas fort partiel, pour la Syrie et ailleurs. Beaucoup dans les chancelleries ont lu ce qui s’est passé et se passe aujourd’hui exclusivement à partir des rapports de puissance anciens.</p>
<p>Sans doute est-ce largement vrai pour la Turquie, dont le principal objectif est d’affaiblir les Kurdes. C’est en partie exact pour l’Iran, dont la politique d’expansion régionale passe par une <a href="https://www.cfr.org/expert-roundup/middle-east-after-iran-nuclear-deal">déstabilisation à grande échelle</a> – et c’est pertinent aussi pour les États du Golfe, Qatar aujourd’hui exclu, qui entendent <a href="https://www.nytimes.com/2017/11/16/opinion/saudi-iran-strategy.html">contrer la stratégie de Téhéran</a>, mais <a href="https://www.haaretz.com/us-news/.premium-trump-saudi-arabia-in-lockstep-give-syria-up-to-assad-ignore-gaza-1.5967245">n’ont que faire des aspirations à la liberté</a>.</p>
<p>Mais si l’on prend la Russie, la notion d’intérêt stratégique n’a que peu de poids : la présence militaire russe en Syrie, qui n’aurait jamais été remise en question si Moscou avait joué un rôle de pacification, et notamment la base navale de Tartous, ne sont que des leurres lancés par le récit russe. Le cloisonnement des dossiers, tendance fréquente de la diplomatie, qui, parfois, a une utilité, a empêché de percevoir l’intervention russe en Syrie dans le cadre d’une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">stratégie globale et systémique</a> du Kremlin.</p>
<p>Peu sont ceux qui ont voulu comprendre. Ils ont entretenu, volontairement ou non, l’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/bruno-tertrais/russie-francois-fillon-allier-serait-contraire-a-nos-interets_a_21614021/">idée d’intérêts communs avec la Russie</a> et, bercés par l’éloignement de la guerre, ils ont oublié comme la possibilité de définir l’ennemi. Ils n’ont pas compris que la soi-disant victoire du régime de Damas était en vérité une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/3-decisions-pour-contrer-le-danger-russe-et-mettre-fin-a-la-faillite-strategique-des-democraties_a_23388382/">victoire décisive d’une puissance illibérale</a>, destructrice de l’ordre mondial et du droit, contre les démocraties.</p>
<p>Nos faux-semblants à l’ONU et ailleurs, notre incapacité à penser puis à désigner, notre incapacité à concevoir, oui, ce que nous devions faire, tout simplement parce que tel était l’intérêt du monde, ont fait sonner le glas pour notre intelligence.</p>
<h2>Pensée et humanité</h2>
<p>Ancrant le malheur du monde dans notre pensée, notre impéritie a atteint ce qui fait le propre de la pensée : l’intelligence bien sûr, mais aussi la capacité de penser la distinction entre le bien et le mal, condition de cette « vie avec la pensée » dont parlait Arendt, et notre capacité d’insurrection contre le crime.</p>
<p>Cet écroulement de l’intelligence a peut-être fait plus : il nous a embarqués vers un monde où les attaques contre la pensée deviendront peut-être la norme. Car c’est aussi cette pensée même qui nous permettrait – ou nous aurait permis – de sauver des geôles les femmes et les enfants violés et les détenus torturés et de bannir de notre aube les corps mutilés et éclatés et les souffrances sans répit.</p>
<p>Les trains roulaient, et au bout il y avait Auschwitz, Sobibor, Maïdanek, Treblinka. Les bus de la Ghouta roulent aussi, et pour ses évacués, <a href="http://www.leparisien.fr/international/syrie-comment-assad-trie-les-opposants-de-la-ghouta-29-03-2018-7636422.php#xtor=AD-1481423551">c’est également la « sélection » qui les attend</a>. Pour ceux qui avaient protesté, soigné, alerté, filmé, documenté les crimes, ce seront et ce sont déjà les exécutions sommaires, la torture dans les prisons d’Assad, la disparition dans la nuit ; pour d’autres cela sera l’incorporation de force dans l’armée du régime ; pour beaucoup d’autres, ce seront les bombardements programmés dans leur dernier refuge, à <a href="https://www.nytimes.com/2018/03/31/world/middleeast/syria-idlib-war.html?hp&action=click&pgtype=Homepage&clickSource=story-heading&module=first-column-region&region=top-news&WT.nav=top-news">Idlib</a>, dernier havre et fragile rémission, ou ailleurs.</p>
<p>Hier comme aujourd’hui, cela reste impensable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts, et directeur de la revue Le Banquet. </span></em></p>La faculté qui est désormais donnée d’accomplir le crime en le donnant à voir de manière immédiate, comme en Syrie depuis 2011, corrompt notre faculté de penser.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/884942017-12-05T20:50:49Z2017-12-05T20:50:49ZSyrie : quelle reconstruction possible sous le régime Assad ?<p>Les objectifs initiaux du <a href="https://www.contretemps.eu/syrie-un-retour-sur-les-origines-et-le-developpement-du-processus-revolutionnaire-2eme-partie/">soulèvement populaire en Syrie en mars 2011</a>, pour plus de démocratie, de justice sociale, et d’égalité, n’ont jamais semblé aussi lointains alors que, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), un nouveau cycle de négociations au sujet de l’avenir de la Syrie <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/11/28/a-geneve-des-pourparlers-sur-la-syrie-sans-illusion_1613158">s’est ouvert à Genève le 28 novembre</a>.</p>
<p>Que se passe-t-il sur le terrain ? Le régime de Bachar Al-Assad se trouve en position de force, <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2017/09/11/2643027-assad-rapproche-victoire-pays-ruines.html">multipliant les victoires</a> s’appuyant sur ses alliés russes, iraniens et sur le Hezbollah libanais.</p>
<p>Les djihadistes de l’État islamique (EI) ont de leur côté perdu la grande majorité des villes et centres urbains syriens et irakiens qu’ils occupaient. Avec la perte de la ville de Raqqa en octobre dernier, l’EI contrôlait désormais seulement 10 % du territoire syrien – <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1079420/raqqa-en-passe-detre-remise-a-une-autorite-civile.html">contre 33 % au début de l’année</a>. Seules quelques régions frontalières isolées entre l’Iraq et la Syrie, restent actuellement sous leur contrôle.</p>
<p>C’est dans ce contexte que la question de la reconstruction se pose désormais, impliquant des acteurs aux agendas politiques et économiques très divers, voire contradictoires.</p>
<p>Les coûts de la reconstruction de la Syrie sont actuellement estimés <a href="http://www.femise.org/en/articles-en/reconstruction-cost-of-syria-is-estimated-at-300-billion-five-times-the-2010-gdp-femise-conference-interview-with-osama-kadi-president-of-syrian-economic-task-force/">entre 200 et 300 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Or, pour Bachar Al-Assad, ses proches et les hommes d’affaires liés à son régime, la <a href="http://filiu.blog.lemonde.fr/2017/09/03/le-juteux-business-de-la-reconstruction-en-syrie/">reconstruction est perçue comme un moyen de consolider les pouvoirs déjà acquis</a> et asseoir de nouveau une domination politique et économique sur la société syrienne.</p>
<p>Pour ce faire, le régime compte sur un vaste projet de reconstruction pour accumuler de nouveaux capitaux et éliminer toutes poches de dissidences.</p>
<h2>Détruire les quartiers de l’opposition</h2>
<p>Ainsi, le décret 66, entré vigueur en septembre 2012, permet au gouvernement de <a href="http://www.syriauntold.com/en/2017/09/militias-and-crony-capitalism-to-hamper-syria-reconstruction/#_edn1">« réaménager les zones de logements non autorisés ou illégales »</a>.</p>
<p><a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13530194.2011.581817">Selon plusieurs estimations</a>, avant le soulèvement populaire, près de 30 à 40 %, voire 50 % de la population de ces zones vivaient dans des logements jugés non conformes ou illégaux. Il s’agissait principalement de classes populaires, issues de régions rurales et ayant migré ces dernières décennies. Des compensations et logements alternatifs ont été proposés mais <a href="https://www.irinnews.org/investigations/2017/04/20/decree-66-blueprint-al-assad%E2%80%99s-reconstruction-syria">n’ont toujours pas été mis en place</a> pour la majorité des habitants déplacés, tandis que d’autres, désormais réfugiés et vivant en <a href="https://www.irinnews.org/investigations/2017/04/20/decree-66-blueprint-al-assad%E2%80%99s-reconstruction-syria">dehors du pays n’ont rien reçu</a>.</p>
<p>En s’appuyant sur un cadre juridique et financier dédié à la reconstruction, ce décret permet en réalité la <a href="https://www.lecommercedulevant.com/article/23896-projet-dexpropriation-pour-reconstruire-les-banlieues-de-damas">destruction de logements et l’expropriation</a> de familles considérées comme dissidentes ou vivant dans des zones anti-Assad.</p>
<p>Récemment, les quartiers de Basateen al-Razi dans la périphérie de Damas et le quartier de Baba Amr à Homs ont été particulièrement visés. La reprise de la partie Est d’Alep en décembre 2016 par les forces armées du régime syrien et de ses alliés est également dans les plans de reconstructions. <a href="http://www.syria-report.com/news/real-estate-construction/government-planning-expand-use-expropriation-law">Plus de la moitié de la ville a été détruite</a>.</p>
<h2>Favoriser les entreprises proches du régime</h2>
<p>Depuis début janvier 2017, le gouvernement syrien tente d’imposer le décret 66 à tout le pays. Cette mesure permet aussi le <a href="https://www.ft.com/content/6710ab2a-7716-11e7-90c0-90a9d1bc9691">transfert d’actifs à des entreprises privées et à des hommes d’affaires liés au régime</a> afin de leur faire bénéficier de ces marchés sans imposition.</p>
<p>L’un des programmes prévus devrait permettre la construction de 12 000 unités de logement pour environ 60,000 personnes, visant principalement des ménages à hauts revenus. Beaucoup n’ont toujours pas trouvé acheteurs. Dans les quartiers de Basateen al-Razi, il est prévu des écoles et des restaurants, des lieux de culte, <a href="http://www.syriauntold.com/en/2017/09/militias-and-crony-capitalism-to-hamper-syria-reconstruction/#_edn4">et même un parking à plusieurs étages et un centre commercial</a>.</p>
<p>L’appel d’offres pour ce projet a été géré par la holding privée <a href="https://www.linkedin.com/company/damacham/">« Damascus Cham »</a>, créée en 2017 sous le gouvernorat de Damas. Il a été remporté par l’<a href="https://www.opendemocracy.net/north-africa-west-asia/joseph-daher/militias-and-crony-capitalism-to-hamper-syria-reconstruction">entreprise Aman Group</a>, détenue par la nouvelle figure montante des affaires en Syrie, <a href="https://uk.reuters.com/article/uk-syria-food/exclusive-assad-allies-profit-from-syrias-lucrative-food-trade-idUKBRE9AD0U920131114">Samer Foz</a>, très proche du régime. Son entreprise peut désormais développer des propriétés immobilières d’une <a href="http://www.syria-report.com/news/real-estate-construction/samer-foz-acquires-rights-over-hundreds-millions-dollars-basatin-al-ra>">valeur d’environ 312 millions de dollars</a>.</p>
<p>À Homs, la municipalité a approuvé en septembre 2015 le plan de reconstruction du quartier de Baba Amr, à prédominance sunnite et un <a href="http://www.syria-report.com/news/real-estate-construction/homs-city-council-approves-baba-amro-master-plan">haut lieu de la protestation populaire contre le régime</a>. En mars 2017, la municipalité a établi <a href="https://www.newsdeeply.com/syria/community/2017/09/13/the-likely-winners-in-the-race-to-rebuild-syria">sa propre société privée</a> pour gérer ce projet.</p>
<p>Ce dernier comprend 465 parcelles, principalement destinées à l’habitation, ainsi que des espaces verts, <a href="https://www.irinnews.org/investigations/2017/04/20/decree-66-blueprint-al-assad%E2%80%99s-reconstruction-syria">des écoles et des hôpitaux</a>.</p>
<h2>Reconstruire pour remplacer</h2>
<p>La reconstruction de ces zones se déroule alors que plus de 5 millions d’habitants ont fui le pays et environ 7,6 millions sont des déplacés à l’intérieur des frontières. En 2011, la Syrie comptait 22,5 millions d’habitants. Aujourd’hui la population <a href="http://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/factbox-syria-s-conflict-economy">a diminué d’environ 20 %</a>.</p>
<p>En juin 2017, les <a href="http://www.unhcr.org/en-us/news/briefing/2017/6/595612454/unhcr-seeing-significant-returns-internally-displaced-amid-syrias-continuing.html">agences humanitaires ont estimé</a> que, parmi les déplacés, quelques 440 000 étaient rentrés chez eux au cours des six premiers mois de 2017, alors que seulement 31 000 réfugiés syriens sont revenus des pays voisins durant la même période. Depuis 2015, quelque 260 000 réfugiés sont rentrés en Syrie, principalement de la <a href="http://www.unhcr.org/en-us/news/briefing/2017/6/595612454/unhcr-seeing-significant-returns-internally-displaced-amid-syrias-continuing.html">Turquie vers le nord de la Syrie</a>.</p>
<p>L’idée du régime est ainsi de remplacer la population originelle de ces zones, jugées trop hostile, par des classes supérieures moyennes et aisées issues d’autres quartiers et plus enclines à soutenir le régime ou du moins, à ne pas s’y opposer. Le décret permettrait aussi de menacer d’expropriation les opposants ayant fui la Syrie.</p>
<p>Enfin ces vastes projets immobiliers devraient attirer des capitaux étrangers, cruciaux pour assurer la reconstruction syrienne.</p>
<h2>Coffres vides</h2>
<p>Les investissements des acteurs publics et privés <a href="http://syrianobserver.com/EN/Commentary/33567/Opinion_No_Reconstruction_Syria">sont en effet insuffisants</a> pour reconstruire le pays.</p>
<p>En 2014, le régime s’est sérieusement endetté. <a href="http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2017/04/07/29006-20170407ARTFIG00242-le-desastre-de-l-economie-syrienne-apres-six-ans-de-guerre.php">La dette publique</a> du régime mesurée par rapport au PIB atteignait 147 %, dont 76 % en dette intérieure et 71 % en dette extérieure, alors qu’en 2010, la dette totale mesurée par rapport au PIB était estimée à 23 %. La dette avait été multipliée par 11 à la fin de l’année 2016, selon le ministre de l’Économie de l’époque, Adib Mayaleh, <a href="http://www.syria-report.com/news/finance/report-highlights-government-dependency-central-bank-funding-and-limited-forex-disburse">sans fournir d’autres chiffres précis</a>.</p>
<p>Le gouvernement est également devenu de plus en plus dépendant des paiements anticipés de la Banque centrale, en plus de l’aide étrangère, qui ont augmenté pendant la guerre en raison des revenus fiscaux très limités. Les recettes pétrolières, qui représentaient une partie importante des recettes jusqu’en 2012, étaient inexistantes, tandis que les recettes fiscales avaient considérablement diminué. En 2015, au moins un tiers des dépenses publiques ont été financées par des emprunts à long terme auprès de la <a href="http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/apr-s-la-guerre-qui-financera-la-reconstruction-de-la-syrie-633512121">Banque centrale de Syrie</a>. Le budget national pour 2017 était d’à peine de <a href="http://sana.sy/en/?p=89653">5 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Les réserves en devises étrangères ont fortement diminué, passant de 21 milliards de dollars en 2010 à moins d’un milliard de dollars (0,7) <a href="http://www.worldbank.org/en/country/syria/publication/economic-outlook-spring-2016">à la fin de l’année 2015</a>. De plus, les partenariats public-privé (PPP) dépendent largement du financement des banques, dont les actifs totaux (14 banques commerciales du secteur privé) sont trop bas : soit, fin 2016, environ <a href="http://www.syria-report.com/news/finance/syrian-banks-unable-finance-reconstruction">3,5 milliards de dollars</a>, un chiffre très éloigné des fonds nécessaires.</p>
<h2>Remercier les pays amis</h2>
<p>La reconstruction du pays sera ainsi un <a href="http://foreignpolicy.com/2017/10/20/syrian-reconstruction-spells-juicy-contracts-for-russian-iranian-firms-china-civil-war">moyen de récompenser</a> les alliés du régime, en particulier l’Iran, la Russie et la Chine, en leur octroyant des parts du marché. Déjà, certains marchés comme les mines de phosphate et des champs de pétrole et de gaz ont été <a href="http://syrianobserver.com/EN/Commentary/33567/Opinion_No_Reconstruction_Syria/">attribués à Moscou et Téhéran.</a>.</p>
<p>Des projets pourraient aussi être octroyé à l’<a href="http://indianexpress.com/article/world/india-welcome-to-play-a-role-in-reconstruction-of-syria-says-bashar-al-assad-4689007/">Inde</a> et au <a href="http://information.tv5monde.com/info/qui-soutient-encore-bachar-al-assad-1871">Brésil</a> – une récompense pour leur position plutôt en faveur de Damas. Les autorités syriennes ont par ailleurs déclaré que les entreprises européennes et américaines devront d’abord demander à leurs gouvernements de <a href="http://www.syria-report.com/news/economy/europe-us-apologise-syria-getting-reconstruction-contracts-%E2%80%93-government-official">s’excuser pour avoir soutenu l’opposition avant de prétendre à une place sur ce marché</a>.</p>
<p>Une position similaire a été adoptée vis-à-vis de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie <a href="http://sana.sy/en/?p=111457">pour la période actuelle</a>.</p>
<p>Dans son discours d’août 2017, Assad a même déclaré que le régime ne laisserait pas ses ennemis « accomplir par la politique ce qu’ils n’ont pas réussi sur le <a href="https://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2017/09/274356.htm">champ de bataille et par le terrorisme »,</a>, faisant de manière implicite référence à Ryad, Ankara et Doha.</p>
<p>Lors d’une <a href="https://www.reuters.com/article/us-un-assembly-syria/anti-assad-nations-say-no-to-syria-reconstruction-until-political-process-on-track-idUSKCN1BT1WP">manifestation parallèle à New York en septembre sous l’égide de l’ONU</a> ces pays ont déclaré que le soutien à la reconstruction de la Syrie dépendrait d’un processus politique crédible menant à une véritable transition politique – nécessitant le départ d’Assad – et qui puisse être soutenue par une majorité du peuple syrien.</p>
<h2>Des soutiens trop faibles</h2>
<p>Malgré ces appels du pied de la part d’Assad, la réalité d’une reconstruction par les capitaux étrangers reste fragile. La Russie et l’Iran manquent de moyens pour <a href="http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/apr-s-la-guerre-qui-financera-la-reconstruction-de-la-syrie-633512121">aider dans l’immédiat</a>, tandis que la <a href="http://www.syriauntold.com/en/2017/09/52977/">Chine hésite</a> à s’impliquer massivement dans un pays aussi instable.</p>
<p>Pour Pékin les investissements dans des pays émergents sont souvent, comme en Afrique, <a href="http://syrianobserver.com/EN/Commentary/33567/Opinion_No_Reconstruction_Syria/">conditionnés à un accès privilégiés aux ressources naturelles</a>. Or, la Syrie est assez faible en matières premières.</p>
<p>Plus de six ans après le début du conflit, la situation socio-économique est plus catastrophique que jamais. Les inégalités, les gouvernances autoritaires, dénoncées un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2014-1-page-153.htm">peu partout au Moyen-Orient</a> lors des soulèvements populaires en 2010- 2011, et qui avaient tant inspiré la révolution en Syrie sont désormais plus présentes que jamais.</p>
<p>La Banque mondiale a estimé en juin qu’environ un tiers de tous les immeubles et près de la moitié de tous les bâtiments scolaires et hospitaliers de Syrie ont été endommagés ou détruits par le conflit, tandis que l’économie a perdu 2,1 millions d’emplois réels et potentiels entre 2010 et 2015. Le chômage en 2015 a atteint 55 % et le <a href="http://www.worldbank.org/en/country/syria/publication/the-toll-of-war-the-economic-and-social-consequences-of-the-conflict-in-syria">chômage des jeunes est passé de 69 % en 2013 à 78 % en 2015</a>.</p>
<p>Les forces démocratiques et progressistes à l’origine du mouvement populaire syrien ont subi une répression massive de la part du régime – les <a href="https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/agenda/2017/syrie-ou-sont-les-disparus-et-detenus-la-bataille-des-femmes-pour-la-verite">disparus se comptent aujourd’hui par milliers</a> – et leur révolte a également été attaqué et défiguré par les mouvements islamiques fondamentalistes.</p>
<h2>Mettre fin à la guerre</h2>
<p>Quel espoir reste-t-il alors dans ce tableau très sombre ?</p>
<p>Les diverses négociations diplomatiques actuelles, de <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/11/21/l-avenir-de-la-syrie-se-dessine-a-sotchi_1611568">Genève à Sotchi</a> ne sont pas sources d’espoirs. Au contraire elles cherchent à entériner des processus maintenant le régime de Bachar Al-Assad.</p>
<p>Pour autant, la poursuite de la guerre est la pire solution possible et ne profitera qu’aux forces opposées à un projet de société démocratique, socialement juste et inclusif, celles de Damas comme celles des mouvements fondamentalistes islamiques.</p>
<p>Du point de vue tant politique qu’humanitaire, la fin de la guerre en Syrie est une priorité absolue.</p>
<p>Mais cela ne signifie pas oublier le processus révolutionnaire syrien, l’un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/12/APPELT/58230">des plus documentés aujourd’hui</a>. Cette mémoire, ces expériences politiques doivent désormais être utilisées pour (re-)construire les résistances, même s’il faudra les organiser dans un cadre autoritaire en attendant de voir émerger un futur mouvement démocratique et inclusif, dans lequel les nombreux activistes en exil auront également un rôle à jouer. Mais il faudra de la patience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joseph Daher est fondateur du blog Syria Freedom Forever.</span></em></p>Le maintien du régime de Bachar Al-Assad semble plus assuré que jamais, utilisant les projets de reconstruction du pays à ses propres fins.Joseph Daher, Maitre de conférences, faculté sciences sociales et politiques, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/821082017-08-21T21:06:15Z2017-08-21T21:06:15ZLa France et la Syrie : onze questions pour l’action<p>La politique de la France en Syrie ne peut être gouvernée que par quatre objectifs à moyen terme.</p>
<ul>
<li><p>Le premier est la fin de la <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">guerre d’extermination</a> qui y est conduite, tant par le régime d’Assad que par les groupes terroristes islamistes.</p></li>
<li><p>La deuxième est l’atténuation de la menace terroriste pour l’Occident, liée tant à l’existence de foyers extrémistes qui le menacent directement (État islamique, groupes liés à Al-Qaeda), qu’aux massacres commis par le régime. Cette menace n’est pas qu’à court terme, mais bien à moyen et long termes : l’absence d’intervention de l’Occident contre le régime Assad ne peut que nourrir le ressentiment à son encontre, sans parler de la génération d’enfants privés d’éducation et proies faciles pour les extrémistes.</p></li>
<li><p>Le troisième objectif consiste à donner un signal sans ambiguïté à l’encontre de puissances (Russie et Iran) dont l’intervention en Syrie est aussi un moyen plus large de <a href="http://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">déstabilisation des normes, des règles et des institutions internationales</a>.</p></li>
<li><p>Le quatrième est le rétablissement dans la région, d’un pays stable et démocratique. L’Occident a le devoir de favoriser, au nom de ses valeurs, les pays dont le peuple a choisi pacifiquement un régime conforme à ses principes de liberté.</p></li>
</ul>
<p>Ceci étant posé, je souhaite répondre ici à onze questions auxquelles une mauvaise réponse ne peut que conduire à des errements de politique étrangère.</p>
<h2>1. Le départ d’Assad s’impose-t-il et quand ?</h2>
<p>Le sujet du départ d’Assad a nourri depuis longtemps les polémiques sur notre position à l’égard du dossier syrien. François Hollande en <a href="http://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/attaque-chimique-en-syrie/syrie-pour-francois-hollande-bachar-al-assad-porte-desormais-l-etiquette-de-massacreur-chimique_2142112.html">avait fait un préalable</a> tandis qu’Emmanuel Macron (qui a <a href="http://www.liberation.fr/politiques/2017/04/07/conflit-syrien-que-disent-les-candidats-a-la-presidentielle_1561160">condamné les crimes de guerre commis par le régime</a> pendant la campagne et indiqué que ses responsables devaient être jugés) <a href="http://www.france24.com/fr/20170622-macron-syrie-depart-assad-realpolitik-hollande-diplomatie-russie">s’y refuse</a>, tout en apportant <a href="http://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-france-idUSKBN19Q17J">son soutien</a> à l’opposition démocratique syrienne.</p>
<p>Cette position a suscité des interrogations en <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/06/23/entre-bachar-al-assad-et-le-peuple-syrien-macron-choisit-poutine_1579158">France</a>, auprès de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1059004/les-declarations-de-macron-sur-la-syrie-le-decredibilisent-aux-yeux-dune-grande-partie-de-ceux-qui-croyaient-a-son-role-.html">l’opposition syrienne</a> et <a href="http://foreignpolicy.com/2017/07/14/making-peace-with-assads-state-of-barbarism/">dans le monde</a>. Sur le principe, il est impossible de considérer qu’Assad puisse être une solution, même à titre transitoire, car cela serait absoudre les <a href="http://foreignpolicy.com/2017/07/14/making-peace-with-assads-state-of-barbarism/">crimes les plus graves du XXIᵉ siècle</a>. Cela serait un signal désastreux envoyé à la communauté internationale et <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2017-07-27/problem-syrias-demographics">c’est totalement inacceptable pour le peuple syrien martyrisé</a>. Ce ne serait pas davantage garantir la stabilité de la Syrie : le cynisme ici n’est pas du réalisme.</p>
<p>Doit-on attendre qu’Assad soit parti pour commencer les discussions, voire les négociations ? En attendant de rétablir un autre rapport de force, on peut sans doute y consentir mais à deux conditions : (1) rappeler systématiquement notre position sur ses crimes et leur nécessaire jugement ; (2) énoncer clairement qu’<a href="https://www.annahar.com/article/619866-%D9%85%D8%B5%D9%8A%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%A7%D9%84%D9%85-%D8%A7%D9%84%D8%AD%D8%B1-%D9%8A%D8%AD%D8%AF%D8%AF-%D9%81%D9%8A-%D8%B3%D9%88%D8%B1%D9%8A%D8%A7--%D9%83%D9%8A%D9%81-%D8%B3%D9%8A%D8%AA%D8%B9%D8%A7%D9%85%D9%258">il ne saurait faire partie de la transition</a>.</p>
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<h2>2. Parler de remplacement relève-t-il d’une politique dite de changement de régime ?</h2>
<p>La politique dite de <em>regime change</em> a été souvent vitupérée comme <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/07/03/diplomatie-le-neoconservatisme-est-une-doctrine-exclusivement-americaine_5154917_3232.html">néo-conservatrice</a>. Cette école de pensée américaine a eu son « heure de gloire » sous la présidence de George W. Bush. On l’a accusée d’avoir conduit au <a href="http://www.lepoint.fr/monde/ou-va-le-monde-pierre-beylau/irak-un-desastre-historique-14-12-2011-1407337_231.php">désastre en Irak</a>, et il en va de même pour l’<a href="https://www.slate.fr/story/123423/libye-intervention-rapport">intervention française</a> de 2011 en Libye. Très différentes, ces interventions ont conduit à une instabilité dans ces deux pays. Dans les deux cas, le jour d’après n’a pas été pensé et préparé.</p>
<p>Le cas syrien est totalement différent et toute comparaison avec l’Irak et la Libye relève de l’ignorance. C’est d’abord la majorité du peuple syrien qui demande le départ d’Assad, non pas les Occidentaux. Certes, Hussein comme Kadhafi ont commis des crimes abominables, mais ce qui s’est passé pendant les six ans de guerre en Syrie est sans commune mesure.</p>
<p>Au-delà de la volonté du peuple, il s’agit beaucoup moins d’un changement de régime voulu par l’Ouest pour des raisons politiques, que d’une mise en conformité avec les règles du droit pénal international. La France doit rester aux côtés de ceux qu’Emmanuel Macron appelait les <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/07/13/97001-20170713FILWWW00358-macron-rend-hommage-a-liu-xiaobo.php">« combattants de la liberté »</a>.</p>
<h2>3. Existe-t-il un remplaçant possible d’Assad issu de l’opposition syrienne ?</h2>
<p>Lors des processus de transition démocratique post-période autoritaire ou post-guerre civile, il existait parfois des dirigeants naturels et connus (Gandhi, Mandela, V. Havel, Aung San Suu Kyi, voire le de Gaulle de 1944), parfois non. Ce dernier cas de figure advient quand la répression a été d’une brutalité inouïe et que <a href="https://dlockyer.wordpress.com/2017/07/04/dire-quil-ny-a-pas-d-alternative-a-assad-est-absurde-syrie/">certains des dirigeants futurs potentiels ont été assassinés</a>, ou bien quand l’opposition est trop divisée. Les deux situations sont constatées en Syrie.</p>
<p>Le préalable à de tels efforts consiste dès lors à dire que l’on fera partir le dirigeant syrien et que l’on aidera l’opposition syrienne démocratique <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/guerre-en-syrie/20170707.OBS1801/syrie-macron-doit-s-engager-a-trouver-une-alternative-a-assad.html">à choisir l’un des leurs</a>. Ce processus de choix appartient aux Syriens seuls, mais l’Occident doit nécessairement aider.</p>
<h2>4. La lutte contre Daech est-elle la priorité en Syrie ?</h2>
<p>Qu’il faille éradiquer Daech et les autres mouvements terroristes islamistes n’est pas une option mais une nécessité. Or, si l’on entend effectivement s’y consacrer, il ne faut pas se tromper d’alliés et d’adversaires. Ni le régime, ni la Russie, si l’Iran ne sont des alliés dans cette perspective.</p>
<p>Non seulement <a href="http://www.huffingtonpost.fr/bruno-tertrais/russie-francois-fillon-allier-serait-contraire-a-nos-interets_a_21614021/">ils n’ont guère combattu Daech</a>, mais le régime a aidé l’organisation. De plus, la principale source de terrorisme en Syrie même est le régime. Si la lutte contre Daech est une priorité, nulle <a href="http://carnegie-mec.org/diwan/71341">politique étrangère</a> ne saurait <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/the-trump-administrations-shortsighted-war-on-terrorism/2017/07/16/4be64cdc-68c1-11e7-a1d7-9a32c91c6f40_story.html?utm_term=.52a500556915&wpisrc=nl_opinions&wpmm=1">se résumer à la lutte contre le terrorisme</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/182622/original/file-20170818-7956-8tsi38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un homme tenant en ses mains un portrait d’Assad.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/beshro/7718153052/">Beshr Abdulhadi/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>5. Les bombardements chimiques du régime : la ligne rouge principale ?</h2>
<p>Lorsque le président de la République a fait des bombardements chimiques une <a href="http://www.europe1.fr/international/macron-toute-utilisation-darmes-chimiques-en-syrie-fera-lobjet-dune-riposte-immediate-de-la-france-3345191">ligne rouge</a>, il a marqué les esprits. Ce type d’armes est <a href="https://www.icrc.org/fr/guerre-et-droit/armes/armes-chimiques-et-biologiques">condamné par les traités internationaux</a> et le régime syrien avait déclaré s’en être séparé (<a href="http://edition.cnn.com/2017/06/30/middleeast/syria-khan-sheikhoun-chemical-attack-sarin/index.html">il avait une fois de plus menti</a>). Ces lignes rouges avaient déjà été posées par le président Obama, et une large fraction de la communauté internationale l’<a href="http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/462804/le-grand-renoncement-ou-les-etats-unis-face-au-genocide-syrien">avait blâmé pour son inaction</a>, alors que cette ligne avait été à nouveau franchie.</p>
<p>L’affirmation d’Emmanuel Macron est donc essentielle à deux titres : d’abord, parce la France pourrait s’engager unilatéralement, ce qui marque une différence majeure par rapport au gouvernement précédent ; ensuite, parce qu’elle marque une volonté de mettre l’action en conformité avec le droit. En même temps, cette ligne mériterait d’être complétée.</p>
<p>Premièrement, depuis que cette déclaration a été faite, <a href="https://www.bellingcat.com/tag/chemical-weapons/">plusieurs attaques chimiques pourraient avoir été déclenchées</a>, mais sans susciter d’intervention à ce jour, en raison, semble-t-il, de l’absence de preuves internationalement valides. Il faudrait pouvoir déclencher une rétorsion sur la base d’un faisceau d’indices suffisant, car de nouvelles attaques <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/jun/27/assad-further-chemical-weapons-attack-syria-white-house-claims">pourraient être préparées</a>.</p>
<p>Deuxièmement, quand bien même les attaques chimiques ont un « statut » différent en droit international, les <a href="http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/bashar-al-assad-syria-president-regime-13000-barrel-bombs-rebels-aleppo-douma-2016-a7521656.html">attaques par le biais de barils d’explosifs</a>, de <a href="http://www.msf.org/en/article/syria-hospitals-hit-repeatedly-russian-and-syrian-airstrikes-condemning-hundreds-wounded">frappes aériennes</a>, sans parler des <a href="http://www.cbsnews.com/news/aleppo-un-syria-army-pro-bashar-assad-forces-execution-killing-civilians/">exécutions sommaires</a> et des <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/feb/07/saydnaya-prison-assad-slaugterhouse-amnesty-report-torture-mass-hangings">tortures</a> dans les <a href="http://www.bbc.com/news/world-middle-east-39926914">prisons</a> ont été incroyablement plus meurtrières. Ne doit-on pas en faire désormais des lignes rouges, afin de faire respecter la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2007-3-page-381.htm">responsabilité de protéger</a> ?</p>
<h2>6. L’accès aux couloirs humanitaires : comment en faire une ligne rouge ?</h2>
<p>L’autre ligne rouge essentielle d’Emmanuel Macron, probablement la <a href="http://www.thedailybeast.com/has-bashar-al-assad-already-won">plus difficile à mettre à appliquer</a>, est l’accès des secours aux couloirs humanitaires. Or, force est de constater que, depuis sa déclaration, <a href="http://aa.com.tr/en/middle-east/syrian-regime-strikes-de-escalation-zone-white-helmet/874181">plusieurs zones restent inaccessibles</a>.</p>
<p>Il conviendra donc que la France agisse rapidement, sauf à perdre toute crédibilité. Comment cela se peut-il ? Si l’on exclut l’envoi (franchement déraisonnable) de troupes au sol, cela passe nécessairement par des frappes aériennes, soit de la France seule, soit en coordination avec certains de nos alliés (ce qui est assurément préférable), contre les forces qui l’empêchent. Cela repose dès lors la question des zones de non-survol.</p>
<h2>7. Des zones de non-survol sont-elles encore possibles ?</h2>
<p>De telles zones ont été régulièrement proposées depuis le début de la guerre, mais ont toujours été refusées par les autorités politiques, notamment américaines. Encore à la fin de l’année dernière, le <a href="http://thehill.com/policy/defense/298641-petraeus-its-not-too-late-for-a-no-fly-zone-in-syria">général Petraeus</a> avait proposé une telle solution, alors que beaucoup prétendaient qu’elle était devenue particulièrement risquée depuis le déploiement permanent des forces russes en Syrie et du fait du renforcement des groupes liés à l’Iran.</p>
<p>Pour le dire clairement, l’établissement de telles zones consisterait en une riposte automatique contre tout avion ou hélicoptère militaires qui décollerait. Il s’agit ni plus ni moins que d’un bras de fer pour le contrôle du ciel aérien.</p>
<p>Les adversaires de cette solution estiment qu’elle présenterait des risques majeurs d’escalade en cas de bataille aérienne entre deux avions de camps différents, a fortiori si l’un est abattu. Le risque, parfois évoqué, d’une troisième guerre mondiale relève toutefois de la fiction.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/182616/original/file-20170818-7944-jttkb0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un bombardier américain Rockwell B-1 Lancer, retournant à sa base après avoir bombardé des positions de l’État islamique en Syrie (2014).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dvidshub.net/image/1591593/air-strikes-syria">Senior Airman Matthew Bruch/U.S. Air Forces</a></span>
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<h2>8. Est-il irresponsable de songer à une intervention militaire en dehors de l’ONU ?</h2>
<p>Jusqu’à présent, l’ONU a été paralysée par les <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/04/12/la-russie-oppose-son-veto-a-une-resolution-de-l-onu-sur-l-attaque-chimique-en-syrie_1562421">huit vetos opposés par la Russie</a> (et six fois par la Chine) à toute condamnation du régime et à toute mesure de rétorsion. Les puissances occidentales ont également refusé, pour d’autres raisons, de faire jouer à l’encontre de la Russie l’<a href="http://opiniojuris.org/2008/08/14/the-curious-article-273-of-the-un-charter/">article 27.3 de la Charte</a> des Nations unies, qui dispose qu’une puissance partie à un conflit s’abstient de voter au Conseil de Sécurité.</p>
<p>Certes, personne ne peut envisager avec légèreté une intervention en dehors de ce cadre, mais ce refus conduit à miser exclusivement sur une diplomatie qui a échoué. Au demeurant, tant François Hollande qu’Emmanuel Macron ont clairement envisagé une action non décidée par le Conseil de Sécurité. Dans le contexte du projet russe qui vise, parallèlement à ses objectifs propres en Syrie, à détricoter le système international, il paraît difficile d’y renoncer a priori.</p>
<h2>9. La France doit-elle et peut-elle inciter à une européanisation du processus de paix ?</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/182618/original/file-20170818-7944-7e31i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Emmanuel Macron et Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/eeas/35510154420/">European External Action Service/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>L’Union européenne a été, jusqu’à présent, la grande absente du drame syrien. Par la voix de sa Haute Représentante, l’UE a certes semé quelques jalons pour être <a href="https://www.euractiv.fr/section/aide-au-developpement/news/la-communaute-internationale-promet-6-milliards-daide-a-la-syrie/">présente lors de la reconstruction</a>. Mais que vaudrait une reconstruction, tant que le régime destructeur d’Assad resterait en place ? Et est-ce à l’Union européenne de prendre en charge la reconstruction d’un pays dévasté par d’autres puissances étrangères ?</p>
<p>L’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête de la France et son engagement européen constituent une chance pour que l’Europe devienne plus active dans le dossier syrien, notamment dans les négociations internationales. Il n’est point fortuit que le président français ait d’ailleurs clairement dit, lors du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CJm8A12O59Q">G7 de Taormina</a>, qu’il était inconcevable de laisser la Russie, l’Iran et la Turquie maîtres du jeu en Syrie. Il lui reste à pousser dans cette direction et à opposer à la Russie un autre ordre du jour que le sien.</p>
<h2>10. Y a-t-il quelque chose à discuter avec la Russie à propos du dossier syrien ?</h2>
<p>« La Russie, acteur incontournable en Syrie » est devenu un mantra. De fait, l’inaction des États-Unis et de l’Europe a laissé le champ libre à la Russie (et à l’Iran), qui a fini par y devenir la puissance qui y donne le la. Sauf à imaginer (ce qui paraît aujourd’hui irréaliste) qu’on puisse chasser les forces du Kremlin de Syrie, une <a href="http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/syrie-en-finir-avec-une-guerre-sans-fin">discussion avec la Russie s’impose</a>. Toutefois, celle-ci repose sur trois conditions.</p>
<ul>
<li><p>Le renvoi d’Assad n’est pas négociable.</p></li>
<li><p>Toute solution devra s’accompagner d’une « surveillance » par des forces internationales, l’armée russe et les milices soutenues par l’Iran devant donc quitter le pays.</p></li>
<li><p>En amont, nulle discussion ne pourra aboutir si les puissances occidentales n’ont pas démontré leur résolution à intervenir militairement en cas de reprise des massacres contre les populations civiles et la résistance démocratique syrienne.</p></li>
</ul>
<h2>11. Peut-on imaginer à terme un processus du type « vérité et réconciliation » en Syrie ?</h2>
<p>Cette question est certainement la clé pour l’avenir. Mais l’immensité des crimes commis par le régime et les groupes islamistes exclut vraisemblablement un processus interne immédiat, dont on doit craindre, s’il n’est pas encadré, qu’il se traduise par une « justice » expéditive.</p>
<p>Les crimes principaux ont commencé à être bien documentés, mais le <a href="https://www.nytimes.com/2017/07/04/world/middleeast/syria-war-crimes-prosecution-united-nations.html?smid=tw-nytimesworld&smtyp=cur">travail devra se poursuivre</a> au sein de la Cour pénale internationale ou d’un tribunal <em>ad hoc</em>. Tout accord international devra statuer sans ambiguïté sur ce point.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/82108/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est aussi président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts, et directeur de la revue Le Banquet. Il a apporté son soutien public à Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle.</span></em></p>Que faire en Syrie ? Assad doit-il partir ? Une intervention militaire sans mandat de l’ONU serait-elle responsable ? Voici onze questions qui permettent de mieux appréhender la situation.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/814952017-08-16T18:00:31Z2017-08-16T18:00:31ZL'économie comme realpolitik : la Turquie, premier partenaire commercial de la Syrie<p>Politiquement, la Turquie du président Erdogan était en tête des pays les plus enthousiastes à l’idée de <a href="http://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Ankara-revoit-soutien-opposition-syrienne-2016-07-20-1200777113">renverser le président syrien Bachar Al-Assad</a>. Les quartiers ensanglantés d’Alep ont d’ailleurs incarné une <a href="http://www.la-croix.com/Monde/Les-horreurs-bataille-Alep-passees-crible-enquete-ONU-2017-03-01-1300828535">terrifiante bataille</a> (2012-2016) entre les deux présidents ; la garnison aleppine a attisé avec cynisme et méthode des belligérants antagonistes des confins de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oumma"><em>oummat</em></a>, et bien au-delà de cette dernière.</p>
<p>Mais, paradoxalement, les voies commerciales syro-turques se sont forgées au-delà <a href="http://www.slate.fr/story/122723/offensive-turque-syrie-contradictions-conflit">des tensions</a> politiques, religieuses et militaires. Depuis 2011, la part des exportations turques vers la Syrie n’a cessé d’augmenter, accompagnée d’une concurrence sino-turque sur le marché syrien. Depuis 2014, la Turquie a supplanté la Chine et est devenue le premier exportateur vers la Syrie.</p>
<h2>La balance commerciale syrienne</h2>
<p>Depuis 2011, la guerre, la crise économique et les sanctions européennes ne cessent d’affecter le commerce extérieur syrien, selon la <a href="https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/syria-war-five-years.pdf">Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale</a>. Pendant les cinq premières années de la guerre, selon l’<a href="http://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/syr/#Imports">Observatoire de la complexité économique</a>, les importations ont baissé, en moyenne, de 25 % annuellement ; elles sont passées de 19,7 milliards de dollars américains (USD) en 2010 à 4,68 milliards USD en 2015.</p>
<p>Hormis l’économie informelle, la Syrie a exporté l’équivalent de 613 millions USD en 2015, tandis que ses importations étaient de 4,68 milliards. Le solde négatif de la <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1649">balance commerciale</a> est donc de <a href="http://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/syr/#Trade_Balance">4,07 milliards</a>. Ce qui veut dire que l’économie syrienne est de plus en plus dépendante de ses importations.</p>
<p><iframe id="WkdyL" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/WkdyL/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="nXNhW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/nXNhW/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Paradoxalement, la baisse des exportations et des importations ne se répercute pas sur la <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1151">balance des paiements</a>. Comment expliquer cette situation ? Les réserves officielles de change ont été utilisées pour financer les importations gouvernementales et pour soutenir le taux de change de la livre syrienne. Ces réserves <a href="https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/sy.html">ont baissé</a> de 22 à 24 milliards USD au début de l’année 2011 à 504,6 millions USD au début de l’année 2017 (ces chiffres sont contestés par la Banque centrale de Syrie, sans qu’elle n’en fournisse d’autres).</p>
<h2>La Turquie, premier exportateur vers la Syrie</h2>
<p>Avant la guerre, en 2010, la Turquie, la Chine et l’Italie <a href="https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/syria-war-five-years.pdf">se chargeaient respectivement</a> de 10 %, 9 % et 8 % des importations de la Syrie. Depuis 2012, compte tenu des <a href="http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/05/29-syria-sanctions/">sanctions imposées par l’UE</a> contre la Syrie, les importations syriennes depuis l’Union européenne (UE) ont fortement diminué. Une concurrence s’est installée entre la Chine et la Turquie pour desservir le marché syrien.</p>
<p><a href="https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/syria-war-five-years.pdf">Entre 2011 et 2014</a>, cumulativement, la Chine (5,285 millions USD) était le premier fournisseur de biens pour la Syrie, suivie par la Turquie (4,938 millions USD), la Fédération de Russie (3,461 millions USD) et la Corée du Sud (2,144 millions USD).</p>
<p>Mais, depuis 2014, la Turquie devient le premier exportateur vers la Syrie (26 % des importations syriennes en 2014), au détriment de la Chine (14 % en 2014). Et en 2016, les parts de la Turquie et de la Chine dans les importations syriennes <a href="http://www.intracen.org/layouts/CountryTemplate.aspx?pageid=47244645034&id=47244652682">sont respectivement de</a> 30,74 % et 21,26 %. Ce progrès turc est une réalité paradoxale, masquée politiquement, militairement et médiatiquement.</p>
<p><iframe id="JKQH4" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/JKQH4/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Qu’est-ce que la Syrie importe ?</h2>
<p>La Syrie importe principalement pour ses besoins alimentaires (27 % des importations). Si l’économie syrienne ne dépendait pas de l’extérieur quant aux produits alimentaires-agricoles, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En effet, son PIB agricole <a href="https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/syria-war-five-years.pdf">a chuté de près</a> de 60 % entre 2010 et 2015 en valeur réelle. Cela est dû à la difficulté d’accès et à la destruction des terres agricoles, à la carence de ressources énergétiques, à l’impact des sanctions sur les coûts de production et au coût élevé du transport.</p>
<p>Les principales importations syriennes <a href="http://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/syr/#Imports">se répartissent ainsi</a> : 15 % de produits végétaux et de légumes, 12 % de produits alimentaires non-agricoles, 12 % de machines, 9,1 % de produits chimiques, 9 % de textiles, 7 % de métaux, 6,4 % de plastique et de caoutchouc et 6,4 % de pièces de rechange et de moyens de transport.</p>
<h2>Les exportations syriennes, centrées vers le Proche-Orient</h2>
<p>Au cours des cinq premières années de la guerre qui a éclaté en 2011, les exportations syriennes <a href="http://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/syr/#Exports">ont diminué</a> de 45 % annuellement, passant de 12,2 milliards USD en 2010 à 613 millions USD en 2015.</p>
<p>Avant la guerre, en 2010, les exportations syriennes <a href="https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/syria-war-five-years.pdf">se dirigeaient vers</a> l’Irak (29 %), l’Italie (18 %) et l’Allemagne (18 %).</p>
<p>À la suite des sanctions européennes (depuis 2012), de la perte gouvernementale du contrôle de certains territoires de l’est du pays et de l’expansion de « Daesh » dans une partie du territoire irakien, les exportations syriennes se sont dirigées de moins en moins vers l’UE et l’Irak, et de plus en plus vers d’autres pays du Proche-Orient. En 2016, elles <a href="http://www.intracen.org/layouts/CountryTemplate.aspx?pageid=47244645034&id=47244652682">se sont réparties ainsi</a> : 17,84 % vers le Liban, 16,62 % vers l’Égypte, 13,05 % vers l’Arabie saoudite, 12,18 % vers la Jordanie et 8,94 % vers la Turquie.</p>
<p><iframe id="nYp2M" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/nYp2M/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Qu’est-ce que la Syrie exporte ?</h2>
<p>Étant donné que le gouvernement a perdu le contrôle <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/05/30/97002-20170530FILWWW00134-syrie-l-economie-et-le-secteur-petrolier-reduits-a-neant.php">des champs pétroliers</a>, la Syrie exporte désormais principalement des produits agricoles (y compris du coton) et des matières premières, des produits intransportables dans le marché intérieur d’un pays de guerre.</p>
<p>La Syrie <a href="http://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/syr/#Exports">exporte principalement</a> des produits végétaux et agricoles (43 %), des textiles (13 %), des métaux (6,7 %) et des produits chimiques (6,6 %), métalliques (6,3 %) et alimentaires non-agricoles (4,5 %).</p>
<p><em>In fine</em>, le bilan commercial de la guerre en Syrie se résume à une baisse des importations et surtout des exportations et aussi à une modification de ses partenaires commerciaux. Paradoxalement, malgré l’<a href="https://www.rts.ch/info/monde/7876349-la-turquie-souhaiterait-normaliser-ses-relations-avec-la-syrie.html">étrange disharmonie politique</a> entre la Turquie et la Syrie, cette dernière importe la plus grande partie de ses biens depuis la Turquie et exporte sa production locale vers les pays voisins, dont la Turquie.</p>
<p>Contrairement à l’effet de loupe médiatique posé sur les relations commerciales <a href="http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2017/04/07/29006-20170407ARTFIG00242-le-desastre-de-l-economie-syrienne-apres-six-ans-de-guerre.php">syro-russes</a> et <a href="http://www.lemonde.fr/syrie/article/2017/03/29/l-iran-pousse-son-avantage-dans-l-economie-syrienne_5102584_1618247.html">syro-iraniennes</a>, celles-ci restent modestes par rapport au commerce syro-turc. La Russie représente 1,51 % des exportations et 4,23 % des importations syriennes ; quant à l’Iran, il représente <a href="http://www.intracen.org/layouts/CountryTemplate.aspx?pageid=47244645034&id=47244652682">moins de 0.7 %</a> des exportations et des importations syriennes.</p>
<p><em>Stricto sensu</em> concernant l’économie formelle, on constate que le partenariat commercial syro-turc s’impose comme une réalité aussi intéressante que méconnue. Concernant la politique, chacun des deux présidents, turque et syrien, a su insidieusement conserver son pouvoir. Au-delà des antagonismes politiques, l’économie pourrait-elle réconcilier les deux hommes et les deux pays ?</p>
<p>L’avenir est certes obéré, mais l’économie est à la realpolitik ce que le mariage civil est au mariage religieux : légèrement au-delà d’un pastiche et légèrement en deçà d’une copie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Georges Laforge ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Turquie, qui voulait renverser le président syrien, a de bonnes relations commerciales avec Damas. Elle est le premier exportateur vers la Syrie et parmi les premiers importateurs de biens syriens.Georges Laforge, Doctorant en Sciences Economiques (économie, politique et religion) au BETA (UMR CNRS 7522) et chargé d’enseignement à la Faculté de Droit, Sciences Economiques et Gestion de Nancy et à l’Institut Supérieur d’Administration et de Management (ISAM-IAE), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/807372017-07-10T18:59:10Z2017-07-10T18:59:10ZMacron, la Syrie et Poutine : enjeux et doubles-fonds<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/177497/original/file-20170710-29718-15yx2mm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron et Vladimir Poutine au G20 de Hambourg, le 9 juillet 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://static.kremlin.ru/media/events/photos/small/AMhCrpcE6phgUURLcs8AIQ8OLvBw0PMG.jpg">Kremlin.ru/Wikimedias</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><a href="http://www.rfi.fr/france/20170621-le-president-macron-accorde-premiere-interview-presse-europeenne">L’interview d’Emmanuel Macron</a>, le 21 juin dernier, à une série de journaux européens a provoqué de nombreuses réactions et (re)lancé plusieurs débats de politique étrangère, aux arrières pensées souvent complexes. Outre la réaffirmation de son double credo européen et franco-allemand, le président de la République a imposé une discussion ouverte sur trois questions : l’inventaire d’une décennie de politique étrangère (« Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans ») ; la relation globale à entretenir avec la Russie de Vladimir Poutine ; enfin, le dossier précis, et ô combien épineux, de la crise syrienne (« Assad, ce n’est pas notre ennemi, c’est l’ennemi du peuple syrien »).</p>
<h2>Trois sujets liés</h2>
<p>Les trois sujets sont bien entendu interconnectés. La Syrie pose la question de l’intervention militaire et du rapport aux régimes autoritaires (donc aux valeurs). La Russie, à la fois partenaire possible sur certains dossiers (la lutte antiterroriste), fauteur de troubles sur d’autres (l’Ukraine), et puissance ambiguë sur d’autres encore (la Syrie, précisément), présente un dilemme de politique étrangère pour les pays occidentaux, et son Président Vladimir Poutine en joue habilement. Dès lors, la question d’une ligne purement occidentaliste réfutant tout intérêt commun possible avec Moscou, ou au contraire celle d’une ouverture pragmatique à toute coalition des bonnes volontés, est posée.</p>
<p>C’est là que revient le débat sur le « néoconservatisme à la française ». Ce terme, en réalité inadapté aux spécificités hexagonales, résume désormais dans le langage courant une posture interventionniste, atlantiste dure (au sens des faucons républicains, mais certainement pas de l’ancienne administration Obama), ainsi qu’une croyance en la cohésion d’une famille occidentale (pour reprendre les <a href="http://discours.vie-publique.fr/notices/087000225.html">termes de Nicolas Sarkozy</a>) qui devrait d’abord s’occuper de rassurer ses alliés traditionnels – Israël, Arabie saoudite, Égypte, Jordanie, Japon, Corée du Sud, etc. – et refuser le dialogue avec les ennemis désignés.</p>
<p>La question syrienne, au-delà des insupportables drames humains qu’elle génère, impose des considérations techniques subtiles et difficiles : quel format de négociation, avec la reconnaissance de quels acteurs ? Quelle place pour le régime actuel (qui tient une grande partie du pays utile) et représenté par quels interlocuteurs ? Quelles mesures humanitaires sur le terrain, quel avenir pour l’intégrité territoriale ? Quid de la question kurde, de l’islam politique, des minorités ?</p>
<p>La question russe est plus simple dans son constat, mais délicate dans la posture. A la question « la Russie est-elle une puissance incontournable avec laquelle il faut parler, ou bien un acteur redoutable aux intérêts stratégiques très différents des nôtres ? », la réponse est : « les deux ». Mais une fois ceci posé, sur quel pied danser avec Vladimir Poutine, ou quel langage adopter pour <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/traiter-avec-le-diable-_9782738127716.php">« traiter avec le diable »</a> ? La question dite néoconservatrice est, elle, d’abord interne : elle oppose des lignes, des philosophies des relations internationales, mais aussi des solidarités ou des réseaux diplomatiques et intellectuels, qui ont des avis tranchés sur les questions précédentes.</p>
<h2>Parler vrai et agenda libéral</h2>
<p>Cette situation doit s’observer sur une séquence plus longue, qui va de l’interview de juin jusqu’aux déclarations d’Emmanuel Macron à l’issue du <a href="http://www.elysee.fr/conferences-de-presse/article/conference-de-presse-d-emmanuel-macron-bilan-de-la-reunion-du-g2/">G20 de Hambourg</a>, et inclure les déclarations d’autres acteurs, comme l’interview du ministre des Affaires étrangères <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2017/06/29/jean-yves-le-drian-avec-la-russie-il-y-a-une-fenetre-d-opportunite_5152772_3210.html">Jean‑Yves Le Drian, dans <em>Le Monde</em> du 28 juin</a>. On y décèle d’abord la volonté de forger une méthode consistant à user d’un <a href="https://www.amazon.fr/Parler-vrai-politiques-Michel-Rocard/dp/2020051885">« parler vrai »</a> (selon l’expression de Michel Rocard) appliqué aux relations internationales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=936&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=936&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/177499/original/file-20170710-29710-1kp58f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=936&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, adepte du « parler vrai ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-Yves_Le_Drian_2011_cropped.jpg">Pymouss/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cela consisterait à poser sur la table les questions qui fâchent, y compris brutalement, tout en les dissociant des champs de coopération nécessaires. Avec Moscou, c’est « en même temps » (expression désormais consacrée) le rappel à l’ordre sur la désinformation de certains médias russes, et l’exploration des fenêtres d’opportunités sur les dossiers prioritaires comme la Syrie. Tel est sans doute le sens à donner à l’interview de Jean‑Yves le Drian (« Avec la Russie, il y a une fenêtre d’opportunité »). Cette posture, qui doit aboutir au pragmatisme, est-elle tenable dans les arcanes de la diplomatie internationale ? Se confond-elle avec le réalisme ou la realpolitik ?</p>
<p>Par ailleurs, il est frappant de constater que la toile de fond des déclarations présidentielles ou ministérielles demeure éminemment libérale. La défense du multilatéralisme, de l’Europe, d’agendas de sécurité humaine (comme sur l’environnement) ou du libre-échange, reste forte et assumée, depuis la campagne de celui qui n’était que le candidat Macron, jusqu’au bilan que le Président a dressé du G20 de Hambourg.</p>
<p>En affirmant que l’on ne peut coopérer sur le terrorisme si l’on ne coopère pas sur le climat (à la fois parce qu’il y aurait incohérence méthodologique, et parce que l’environnement devient un facteur important de conflit), en rappelant encore que l’environnement est aussi un enjeu économique et donc commercial, Emmanuel Macron a pourfendu une fois de plus le protectionnisme autoritaire. L’inédit, dans cet exercice, vient du fait qu’avec Donald Trump à la Maison Blanche, c’est l’Amérique qui se trouve pour l’heure visée par ce discours, elle qui a posé et défendu les cadres multilatéraux et libéraux des relations internationales depuis 1945…</p>
<h2>Ligne diplomatique et débat public</h2>
<p>Cette toile de fond démocratique libérale du nouveau discours français de politique étrangère empêche très certainement de conclure à un retournement d’alliance, qui ferait de la France le nouvel ami de Vladimir Poutine ou de Bachar al-Assad. Angela Merkel et Justin Trudeau, de toute évidence, nous sont désormais plus proches. Pour autant, l’expression de ce discours et les réactions qu’elle a suscitées rappellent l’étroitesse de la marge de manœuvre diplomatique dans le monde actuel.</p>
<p>En affirmant que le régime syrien n’était pas l’ennemi de la France mais celui de son propre peuple, Emmanuel Macron a en réalité prononcé une condamnation définitive, qui ouvre la voie à des accusations de crimes de guerre ou autres. En rappelant que la France se tenait prête à frapper, y compris seule, si l’utilisation d’armes chimiques était à nouveau avérée, il a persisté dans cette ligne. Mais, au Proche-Orient ou ailleurs, c’est la première partie de la phrase qui a été retenue (Assad n’est plus l’ennemi de Paris), libérant autant de spéculations, y compris à Damas où l’on se prend à rêver à des soutiens individuels à cet <em>aggiornamento</em> français.</p>
<p>En parlant de « fenêtres d’opportunité » avec Moscou, l’exécutif explore probablement des pistes que l’on pressentait depuis longtemps, à savoir qu’après tout, la Russie n’a aucune affection particulière pour Bachar al-Assad, et que le dossier syrien peut tout à fait être mis en lien avec d’autres, dans un marchandage plus global. Mais le fait de traiter avec Vladimir Poutine est déjà retenu comme une concession forte à celui qui fait l’objet de sanctions depuis son annexion de la Crimée et sa déstabilisation de l’Ukraine.</p>
<p>En mentionnant explicitement le « néoconservatisme » importé, Emmanuel Macron a semblé désigner le camp qui serait probablement à l’origine de ces critiques – ce qui a naturellement provoqué des réactions. On en retient d’abord que le débat de politique étrangère française fait rage, ce dont on peut se réjouir. Mais certains dossiers mobilisent plus que d’autres, notamment le dossier syrien qui agite à la fois le rapport à la Russie, et la sécurité au Proche-Orient (rôle de l’Iran compris), ingrédients classique d’un débat explosif, potentiellement manipulable de l’extérieur.</p>
<p>Il serait bon, dès lors, que ce débat de politique étrangère s’élargisse avec la même intensité à d’autres sujets, de l’Afrique à l’Asie, de la sécurité humaine à la diversité culturelle, ou d’autres thèmes encore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80737/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La toile de fond des déclarations du Président Macron demeure éminemment libérale : défense du multilatéralisme, de l’Europe, d’agendas de sécurité humaine ou du libre-échange.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/703032016-12-12T21:22:29Z2016-12-12T21:22:29ZLes impasses occidentales en Syrie<p>Humainement, les souffrances de la population d’Alep couvrent toute autre considération. Politiquement, la déroute occidentale fait l’événement tant elle est accablante. Les vieilles puissances étaient jadis tour à tour les gendarmes, les administrateurs et les arbitres d’une région où, dès 1919, elles se considéraient chez elles.</p>
<p>Elles se retrouvent aujourd’hui au rang de spectateurs impuissants, badauds diplomatiques d’une des crises les plus aiguës de la scène internationale d’après-guerre. Pire encore, incapables d’agir, elles sont en partie les responsables plus ou moins conscientes du drame. Réunions au Quai d’Orsay, missions parlementaires, bons sentiments rhétoriques : tout est bon pour servir de cache-misère. Mais la débâcle est là : il va falloir la gérer…</p>
<h2>Extrême naïveté diplomatique</h2>
<p>Peut-être convient-il d’abord de la comprendre. Convenir que le point de départ était absurde : brandir, la main sur le cœur, qu’on ne parlerait plus jamais au dictateur incriminé. Bonne ou mauvaise sur le plan éthique, la posture relevait de l’extrême naïveté diplomatique. Elle rendait impossible toute négociation, puisqu’elle l’excluait par avance et qu’elle brandissait le résultat avant même que ne commence le débat.</p>
<p>Assortie de la certitude que Bachar al-Assad ne tiendrait que quelques semaines, elle devenait l’otage d’un pari risqué digne de turfistes ou de pelousards d’occasion. Le choix était même irréaliste dès lors qu’on savait que les armées occidentales ne conduiraient aucune coalition capable d’épauler une insurrection dont on ne s’assurait ni de l’identité ni des soutiens régionaux. Il devenait carrément arrogant dès lors qu’il était perçu, à tort ou à raison, comme le prolongement d’une diplomatie « transformationnelle », c’est-à-dire visant à guider les changements de régime là où on le décide.</p>
<p>Cette diplomatie a échoué partout tout en faisant pourtant la réputation de l’Occident : elle s’est effondrée en Afghanistan, en Irak, en Libye ; elle s’est révélée meurtrière et source de problèmes nouveaux sans cesse plus graves. Pire encore, elle a éveillé le soupçon d’un grand nombre pour s’imposer comme une aubaine chez les plus cyniques. Les islamistes radicaux s’en sont nourris avec abondance, les puissances émergentes au souverainisme sourcilleux s’en sont inquiétées jusqu’à s’éloigner de la diplomatie de l’ancien monde tandis que la Russie de Poutine y a trouvé les choux gras de sa nouvelle diplomatie : se protéger d’un interventionnisme qu’elle n’avait pas vu venir en Libye et se présenter comme la garante des pouvoirs établis, là où tant de régimes autoritaires tremblent pour leur survie.</p>
<h2>Régime de substitution</h2>
<p>L’équation est pourtant simple : intervenir chez l’autre pour réchauffer un pouvoir chancelant est possible, parfois gratifiant à court terme. S’immiscer pour imposer un autre pouvoir n’aboutit jamais : aucun fourgon étranger n’est assez grand pour y transporter un régime de substitution. Les puissances occidentales ont pu sauver des dictateurs, au Gabon, en République démocratique du Congo, au Tchad et ailleurs : elles ont été moins heureuses lorsqu’il s’agissait de mettre en place des formules de substitution.</p>
<p>Moscou ou Téhéran avaient trop besoin de démontrer à l’Occident que celui-ci perdait la main en la matière pour faciliter une transition politique douce en Syrie. Ils ont trop besoin de démontrer que la diplomatie occidentale a définitivement perdu cette prétention d’antan pour se prêter à une concertation ouverte sur l’évolution du régime de Damas.</p>
<p>L’avenir n’est réjouissant en fait pour personne. Renforcée par son succès militaire, la coalition russo-irano-assadienne n’a pas fini le travail, tant s’en faut. Quelques heures après que François Hollande se fut réjoui des « reculs » de Daech, celui-ci avançait victorieusement vers Palmyre, tandis que la bataille de Mossoul semble s’enliser. Les actions menées vers Raqqa sont le fait d’une coalition « arabo-kurde » qui risque de provoquer l’ire d’Ankara et mettre la Russie face à des soutiens occidentaux ambigus.</p>
<h2>Les révoltes qui arrangent</h2>
<p>Devant de telles incertitudes, les handicaps l’emportent sur les atouts. Le jeu occidental est terriblement pauvre. Les puissances qui l’orchestrent n’ont pas d’alliés dans la région, face à une Turquie incontrôlable et une Arabie saoudite des plus complexe. Elles n’ont plus de leviers, tant la méfiance des uns et l’incrédulité des autres viennent à les affaiblir. Appuyant certaines dictatures et choisissant les révoltes qui les arrangent, elles ne savent pas construire une diplomatie réellement en prise avec les réalités sociales régionales ; piégées par leurs échecs, elles ont du mal à atteindre les tables de négociation, à l’exception des États-Unis que la Russie recycle partiellement pour lui servir de faire-valoir…</p>
<p>La Russie, quant à elle, a mangé son pain blanc : elle a pu montrer sa force, ce dont elle rêvait pour revenir dans le jeu. Il lui faut maintenant montrer que cette force est convertible en capacité politique. Mais il ne suffit plus de faire d’Assad un nouvel Husak ou un Gomulka d’après 1956. Ce temps est terminé et cette résistance des dynamiques sociales risque bel et bien de faire le jeu du troisième larron incarné par les entrepreneurs islamistes les plus radicaux. « Voilà pourquoi votre fille est muette » et comment les impasses des uns font le bonheur des autres : il serait temps d’y penser…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La débâcle est là. Les vieilles puissances se retrouvent au rang de spectateurs impuissants, badauds diplomatiques d’une des crises les plus aiguës de la scène internationale d’après-guerre.Bertrand Badie, Professeur de Sciences politiques, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/581182016-04-22T04:12:21Z2016-04-22T04:12:21ZRésoudre le chaos syrien<p><em>Ce texte est publié en partenariat avec le site Les <a href="http://www.archivesdupresent.com/video/33/">Archives du Présent</a> où l’on peut retrouver l’intégralité de l’interview de Matthieu Rey.</em></p>
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<p>Aucune réunion internationale ne résoudra, à elle seule, le problème syrien. La solution viendra de l’intérieur, en s’appuyant sur la base locale. Pour l’avenir de la Syrie, l’on voit apparaître ce que décrivait déjà dans les années soixante le <a href="https://en.Wikim%C3%A9dia.org/wiki/Ali_Al-Wardi">sociologue irakien Ali Wardi</a><sup>1</sup> : une réunion de communes, plus ou moins autonomes les unes des autres, qui dessinent le futur politique, qu’il soit pacifique ou guerrier.</p>
<p>Il n’y aura pas de division au sens propre du terme, pas de tracés de frontières en dépit de toutes les velléités internationales. Car s’il est facile de diviser des blocs bien établis et inscrits comme tels dans un ordre international potentiel, il est très compliqué de le faire techniquement sur le terrain. Sur le terrain syrien, l’on voit déjà à l’œuvre des accords locaux qui produisent des pacifications temporaires, plus ou moins durables car la véritable question sur la Syrie est de savoir, non pas si, mais quand Bachar al-Assad partira.</p>
<p>Ses alliés et ses opposants sont d’accord sur le fait qu’il y aura une fin de l’ordre de Bachar al-Assad. Ils ne sont évidemment pas d’accord sur ses modalités. C’est la seule négociation qui existe véritablement. Une fois cette question résolue, plusieurs pistes peuvent se dégager. D’abord par des accords locaux, ensuite par une question qui va ranimer les énergies et les collaborations : la reconstruction. Et l’on verra alors, d’une part, la communauté internationale qui, pour faire oublier sa passivité durant le conflit, voudra la financer, et d’autre part des acteurs locaux qui seront avides et à même de conduire cette reconstruction.</p>
<p>Nous ne voyons pas pour la Syrie de lendemains qui chantent, mais tout de même des lendemains qui existent. Ils sont là, ils se préparent très doucement et douloureusement au sein de la Syrie. J’entends la Syrie qui s’étend d’Alep à Deraa, c’est-à-dire cette Syrie relativement peuplée, qui demeure en dehors de l’orbite de l’État islamique dont il est possible à terme de réduire sa zone d’influence en Syrie – je ne parle pas de l’Irak. Si on arrive localement à réorganiser et à pacifier, un programme politique pourra se mettre en place qui intègre les populations dans la gestion publique. Une fois les populations intégrées dans la gestion publique, celles-ci n’auront plus aucun intérêt à la présence des éléments extérieurs. Cet ordre nouveau s’imposera de lui-même et provoquera une rétraction progressive de l’état islamique.</p>
<h2>Une partition impossible</h2>
<p>Créer un État, redessiner une frontière, c’est extrêmement compliqué. Prenons par exemple, les <a href="http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/accord_Sykes-Picot/145649">accords secrets Cambon-Grey dit « Sykes-Picot »</a> du 16 mai 1916 par les Français et les Britanniques, précisant les buts de guerre, anticipant le démantèlement de l’Empire ottoman et établissant des zones d’influence dans plusieurs régions du Proche-Orient. Ces deux super puissances de l’époque, qui considéraient ces territoires mineurs, ont mis près de dix ans pour les partager.</p>
<p>Autre exemple, l’Irak : Mossoul, l’ancienne Ninive, n’est intégrée à l’Irak, alors sous mandat britannique, qu’en 1927, soit onze ans après que les Français ont abandonné l’administration de la ville aux Britanniques. Pour la Syrie, c’est le cas de la Cilicie, cette ancienne région d’Asie Mineure, occupée par les Français en 1919, qui fut cédée à la Turquie en 1921, la France redessinant ainsi la frontière turco-syrienne.</p>
<p>Cette idée de partition est une idée profondément européenne, un mode de résolution des conflits depuis 1945. On prend des populations, on les déplace et on crée un ordre nouveau. Après les « réussites » s’il faut les qualifier ainsi, en Europe occidentale et orientale, au sein des Indes et enfin en Palestine, cette technique de résolution de conflit disparaît un temps. Depuis le milieu des années 1990, cette idée de partition monte à nouveau en puissance dans les agences internationales.</p>
<p>Le premier terrain d’expérimentation fut les Balkans. Le deuxième terrain fut, on le sait moins, le Rwanda où le projet de partition n’a pas été appliqué malgré le génocide. À l’époque déjà, on se disait : créons un Tutsiland et un Hutuland et les affaires seront réglées. Tout le problème repose sur l’adéquation pensée entre « ethnie », « confession » et État, c’est-à-dire entre un élément de l’identité personnelle (qui en croise plusieurs) et un statut politique. Et bien souvent, non, les populations refusent de se définir selon des identités qu’on leur prête. Elles préfèrent agencer, dans des ensembles politiques nouveaux, leurs propres identités, leurs propres gestions.</p>
<p>Donc, je ne vois pas comment on pourrait proposer des partitions de la Syrie, à quel prix et qui seraient en mesure de mettre en œuvre une sorte <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/En-1989-l-accord-de-Taef-mettait-fin-a-la-guerre-au-Liban-2015-09-21-1359165">d’accord « Taëf »</a> à la syrienne, solution qui est pourtant évoquée. « Taëf » a pu mettre fin à la guerre civile libanaise parce que la scène libanaise est communautarisée d’un point de vue politique depuis 1860. Cela n’est pas le cas en Syrie. Tout ce qu’on peut espérer pour les Syriens, c’est qu’ils n’obtiennent pas un « Taëf » rigide et autoritaire, mais plutôt un modèle transitoire qui leur permettrait de construire un avenir de façon pérenne.</p>
<p><em>(1) Ali Wardi a dans les années 60 actualisé les travaux d’Ibn Khaldoun sur le système tribal et les a appliqués à l’Irak</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/58118/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthieu Rey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aucune réunion internationale ne résoudra, à elle seule, le problème syrien. La solution viendra de l’intérieur, en s’appuyant sur la base locale.Matthieu Rey, Maître de conférences (Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe), , Collège de FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/563002016-03-15T18:05:51Z2016-03-15T18:05:51ZL’intervention russe en Syrie : mission accomplie ?<p>Vladimir Poutine a <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2016/03/14/vladimir-poutine-annonce-le-debut-du-retrait-des-troupes-russes-de-syrie_4882714_3210.html">annoncé</a> le 14 mars vouloir retirer « la majeure partie » des forces russes présentes en Syrie, déclarant que les objectifs fixés avaient été atteints. À l’heure de l’écriture de ces lignes, ni le volume ni la vitesse de ce <a href="http://www.theguardian.com/world/2016/mar/15/russian-planes-preparing-to-leave-syria-defence-ministry-putin?utm_source=Sailthru&utm_medium=e-mail&utm_campaign=New%20Campaign&utm_term=%2ASituation%20Report">désengagement</a> ne sont connus avec précision (en particulier en ce qui concerne la composante aérienne du contingent russe), et la prudence s’impose dans l’analyse de cette décision. L’offensive en cours du régime syrien contre l’État islamique à Palmyre, hautement symbolique, se fait d’ailleurs avec le <a href="https://www.almasdarnews.com/article/syrian-army-advances-palmyra-despite-heavy-casualties/?utm_source=feedly&utm_medium=rss">soutien aérien</a> russe. On peut toutefois tenter de replacer cette annonce dans le contexte de l’action extérieure russe.</p>
<p>En premier lieu, l’annonce de Vladimir Poutine est la plus claire démonstration que, contrairement à ce qui était initialement <a href="https://twitter.com/RussianEmbassy/status/664767660916371456">claironné</a> par la propagande russe, l’objectif principal de Moscou n’a jamais été de lutter contre Daech, ce que les <a href="https://www.bellingcat.com/news/2015/11/11/geolocation-once-again-disproves-russias-targeting-claims-in-syria/">analyses</a> des frappes russes montraient déjà. On se demande encore pourquoi François Hollande a tenu à s’engager dans l’exercice futile de bâtir une « grande coalition » de Moscou à Washington pour lutter contre l’État islamique dont l’échec était largement prévisible : pour qu’il y ait alliance, il faut au minimum un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/enotes/focus-strategique/lunion-defis-operations-multinationales-contemporaines">ennemi commun</a>.</p>
<p>Doit-on donc conclure de ce retrait que Moscou a accompli ses objectifs dans la région ?</p>
<h2>Après l’Ukraine, réintégrer la communauté internationale</h2>
<p>Tout d’abord, la Russie a cherché à se positionner comme <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2015-1018/how-work-russia-syria">acteur</a> incontournable des négociations. Moscou se considère comme l’égale de Washington, et entend être traitée comme telle, ce qui s’inscrit dans une tradition <a href="http://www.cambridge.org/mr/academic/subjects/politics-international-relations/international-relations-and-international-organisations/russia-and-west-alexander-putin-honor-international-relations">historique</a> de demande de reconnaissance de la part de l’Occident. De ce point de vue, Vladimir Poutine était <a href="http://www.theatlantic.com/international/archive/2016/03/russia-syria-red-line-obama-doctrine-goldberg/473319/">enchanté</a> de la coopération russo-américaine ayant suivi l’attaque chimique de la Ghouta en 2013, se sentant considéré comme un pair par Barack Obama.</p>
<p>La rupture a eu lieu après les événements de Maïdan, en Ukraine, que les dirigeants russes ont choisi d’interpréter comme une manipulation américaine et donc une attaque directe de Washington contre la Russie. Après la condamnation occidentale de la Russie suite à l’agression contre Kiev, Moscou cherchait à se replacer au centre du jeu diplomatique et à réintégrer la communauté internationale – ce qui est l’une des motivations de son intervention en Syrie.</p>
<p>Sur ce point, le succès est ambigu : si Vladimir Poutine va être un acteur important du futur round de négociations de Genève, il n’a pas obtenu de « grand échange » où les Occidentaux lui laisseraient les mains libres en Ukraine contre son aide en Syrie (Bruxelles vient de renouveler les sanctions contre Moscou), les liens entre la Russie et l’Occident restant de manière générale très <a href="http://www.ft.com/cms/s/7a591dcc-ea02-11e5-9fca-fb0f946fd1f0,Authorised=false.html?siteedition=uk&_i_location=http%3A%2F%2Fwww.ft.com%2Fcms%2Fs%2F0%2F7a591dcc-ea02-11e5-9fca-fb0f946fd1f0.html%3Fsiteedition%3Duk&_i_referer=http%3A%2F%2Fwww.vox.com%25">distendus</a> et la méfiance <a href="http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/bombardiers-russes-interceptes-avec-les-russes-on-affiche-des-suspicions-reciproques-14-03-2016-2025133_53.php">mutuelle</a>. Si M. Poutine voulait qu’on lui parle (ce que personne n’avait <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/guerre-en-syrie/20150928.OBS6637/syrie-le-mythe-du-on-n-a-pas-parle-a-poutine.html">cessé de faire</a>), son intervention est un succès. S’il voulait qu’on le considère comme un partenaire constructif et responsable, c’est un échec.</p>
<h2>Démontrer une capacité militaire</h2>
<p>Militairement, la Russie a réaffirmé qu’elle considérait le port de Tartus, en Syrie, comme un intérêt stratégique majeur, et dispose d’une nouvelle base aérienne à Lattaquié. Du point de vue de la sécurisation de la présence militaire russe dans la région, l’intervention est un succès. Moscou a également fait la démonstration d’une capacité militaire (de projection comme de conduite des opérations) dont elle ne disposait pas il y a encore seulement huit ans lors de la crise géorgienne, ainsi que de la volonté de s’en servir – ce qui peut constituer une ressource diplomatique importante.</p>
<p>Notons, toutefois, que le coût de l’intervention, s’il n’est certainement pas la seule raison de l’annonce du retrait, a dû jouer un rôle dans le calcul stratégique de Moscou. Bien que modernisée et de plus en plus efficace, l’armée russe reste une institution en pleine <a href="http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2016-1-page-151.htm">reconstruction</a>. Selon le <a href="http://www.sipri.org/googlemaps/milex_top_15_2014_exp_map.html">SIPRI</a>, les investissements militaires ont représenté 19,7 % du budget de l’État en 2014, pour une valeur réelle de 84,5 milliards de dollars, là où l’Arabie Saoudite dépense environ 80 milliards et la France et la Grande-Bretagne environ 60 milliards chacune : bien qu’importantes, les dépenses militaires russes sont ainsi largement en dessous de celles de la Chine (216 milliards de dollars) ou des États-Unis (610 milliards de dollars) et sont dans la tranche des « petites grandes puissances ».</p>
<p>L’impact combiné des sanctions et d’un prix du baril de pétrole faible ont conduit une économie russe <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/3303332031085-l-economie-russe-dans-la-tourmente">structurellement fragile</a> à se contracter de 3,7 % en 2015, tout en connaissant une inflation de 12,9 %, une division par deux du cours du rouble et une chute des revenus réels de la population de 10 %. Pourtant, Moscou continue de <a href="http://www.bild.de/politik/ausland/ukraine-konflikt/russia-finances-donbass-44151166.bild.html">verser</a> 79 millions d’euros par mois dans le Donbass afin de soutenir les gouvernements pro-russes locaux et payer les salaires et pensions des employés publics.</p>
<p>Dans ce contexte, la Russie a annoncé, début mars, une <a href="http://www.reuters.com/article/us-russia-defense-budget-idUSKCN0W80TL">réduction</a> de 5 % de son budget de défense, freinant de facto la modernisation de l’armée – signe supplémentaire d’un retour aux <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/pe000011-russie-le-retour-des-imperatifs-de-politique-interieure-par-tatiana-kastoueva-jean/article">impératifs de politique intérieure</a> pour 2016. Si Moscou a effectué une démonstration de force militaire en Syrie, celle-ci connaît donc des limites structurelles.</p>
<h2>L’obstacle Bachar al-Assad</h2>
<p>L’annonce du retrait doit également être mise dans le contexte du cessez-le-feu et de la tentative de reprise des négociations entre le gouvernement et l’opposition en Syrie. Tout d’abord, il est clair que l’intervention russe a eu un impact sur le cours du conflit : l’utilisation de l’arme aérienne, en coordination avec le soutien terrestre fourni par les Iraniens et le Hezbollah, a permis à Bachar al-Assad de reconquérir une partie des territoires perdus durant l’été 2015. Certes, cela s’est fait en visant systématiquement les <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/01/29/alep-le-tourment-decisif-des-frappes-russes_1429924">hôpitaux</a> et en utilisant des <a href="http://www.dsi-presse.com/?p=7639">bombes à sous-munitions</a>, mais l’intervention russe a contribué à inverser la dynamique militaire.</p>
<p>Mais le sort des armes n’est absolument pas définitif : si le régime est aujourd’hui conforté, il est encore loin d’une victoire militaire absolue, qu’aucun camp (régime, opposition, djihadistes d’Al-Nosra ou de l’État islamique) n’est actuellement en mesure d’obtenir. Et tant que le conflit dure, Moscou ne peut espérer de rapprochement majeur avec l’Occident, partenaire économique dont Moscou réalise qu’il est incontournable. Dans cette situation, la négociation entre régime et opposition modérée est le seul moyen d’aboutir à un processus de paix permettant la création d’un front uni contre les djihadistes. Or, jusqu’à présent, le principal obstacle a été Bachar al-Assad lui-même.</p>
<p>Il convient de rappeler que la Russie est intervenue en Syrie en partie afin de <a href="http://www.spiegel.de/international/world/syria-leader-assad-seeks-russian-protection-from-ally-iran-a-1056263.html">contrer</a> l’influence iranienne grandissante sur Damas : Moscou et Téhéran ont beau soutenir le même régime, ils n’en sont pas moins rivaux pour l’influence dans le pays.</p>
<p>De ce fait, la Russie a toujours eu du mal à fortement influencer Bachar al-Assad, dont le souhait de rester au pouvoir à tout prix le conduit à jouer ses protecteurs l’un contre l’autre. Si la Russie veut obtenir une stabilisation de la situation, elle doit contraindre Bachar al-Assad à négocier de bonne foi, quitte à envisager son propre départ. Ce qui est, pour l’instant, une <a href="http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/03/13/le-sort-de-bachar-al-assad-ligne-rouge-des-discussions-intersyriennes-de-geneve_4881865_3218.html">ligne rouge</a> du régime et une exigence non-négociable de l’opposition. Le départ de M. al-Assad est d’ailleurs <a href="http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/syria/12183779/Hundreds-across-Syria-protest-against-Assad-for-the-first-time-in-years.html">soutenu</a> par une partie importante de la population syrienne qui a manifesté plusieurs fois depuis le début du cessez-le-feu contre le régime, notamment à cause de la violence dont celui-ci a fait preuve : 80 % des victimes du conflit ont été <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/08/en-syrie-qui-de-l-ei-ou-du-regime-de-bachar-al-assad-a-fait-le-plus-de-victimes_4748890_4355770.html">causées</a> par le régime, la <a href="https://blogs.mediapart.fr/francoise-diehlmann/blog/101015/enquete-la-majorite-des-refugies-syriens-fuit-le-regime-dassad">large majorité</a> des réfugiés syriens fuyant ce dernier et son utilisation de <a href="http://www.amnesty.fr/Presse/Communiques-de-presse/De-espoir-horreur-Cinq-ans-de-crise-en-Syrie-17888">bombes baril</a> et d’<a href="https://www.sams-usa.net/foundation/images/A%20New%20Normal_Ongoing%20Chemical%20Weapons%20Attacks%20in%20Syria.compressed.pdf">armes chimiques</a> (55 attaques en 2014, 69 en 2015).</p>
<p>Or, la Russie différencie depuis quelque temps le régime syrien de la personne de Bachar al-Assad lui-même. L’annonce du retrait peut ainsi être un moyen de pression sur un président syrien conscient de sa dépendance à la puissance aérienne russe, afin de le forcer à envisager son propre départ et faciliter la transition vers un gouvernement mélangeant représentants du régime et de l’opposition. Soit exactement ce que les Occidentaux souhaitaient dès les négociations de Genève de 2012, en faisant du départ de M. Al-Assad un nécessaire prérequis pour une transition politique – l’opposition de Moscou empêchant alors la mise en place de cette solution. Or, un tel accord permettrait à chacun de sauver la face : les Russes disant qu’ils ont empêché un changement de régime (type Libye ou Ukraine), les Occidentaux se satisfaisant du départ de M. al-Assad, et les Syriens pouvant offrir un front uni face aux djihadistes.</p>
<p>Si, au final, c’est effectivement ce scénario qui se réalise, la mélancolie sera de mise face aux quatre années perdues, aux dizaines de milliers de morts et centaines de milliers de déplacés, et au renforcement du djihadisme international causés par le conflit. Nul doute que la Russie aurait pu à l’époque se retrouver au centre du jeu diplomatique et recevoir un concert de louanges si elle avait alors choisi de faire pression sur Bachar al-Assad pour lui faire quitter le pouvoir.</p>
<p>Peu après le début de l’intervention de Moscou, <a href="https://theconversation.com/non-monsieur-poutine-nest-pas-un-stratege-genial-48635">j’écrivais</a> : « l’action russe ne détruira pas Daech, mais elle servira à rendre encore plus violente une guerre civile déjà particulièrement sanglante ». De fait, Daech est toujours là et l’intervention a conduit à une escalade de la violence de la part de tous les acteurs. Il est tragique de constater qu’obnubilée par son <a href="http://www.brookings.edu/blogs/order-from-chaos/posts/2016/02/23-russian-elites-antiamericanism-snegovaya#.">anti-occidentalisme</a>, la Russie a été un « pouvoir de nuisance résiduel périphérique », selon le mot d’Hubert Védrine : l’intervention russe a en fait permis un retour à la situation de 2014 lorsque Bachar al-Assad n’était ni vainqueur ni perdant en Syrie, et la Russie en tension avec l’Occident. Les vies brisées des Syriens en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/56300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Schmitt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’annonce du retrait (partiel) des troupes russes de Syrie a pris par surprise les observateurs. L’heure d’une première évaluation d’une action militaire aux objectifs multiples.Olivier Schmitt, Associate professor of political science, Center for War Studies, University of Southern DenmarkLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/478392015-09-29T04:33:20Z2015-09-29T04:33:20Z« Yavaitqua » et « yaqua », les jumeaux terribles du discours sur la Syrie<p>Pour chaque crise, aujourd’hui comme hier, nous sommes bombardés d’affirmations : il aurait fallu faire autrement, il faudrait faire autrement. Sans cesse, il est question d’occasions manquées, mais aussi d’occasions à saisir, pour sortir de l’impuissance et « régler » enfin la question syrienne.</p>
<p>Il y a ceux qui considèrent que la révolution syrienne était, au départ, pacifique et menée par des gens « raisonnables ». Pour eux, le régime des Assad est ce qu’il y a de pire, parce qu’il a nourri l’extrémisme par des décennies de tyrannie et fait libérer des djihadistes de prison sans vraiment combattre Daech. Ceux-là pointent dans la lenteur occidentale l’occasion manquée de reconnaître <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-Conseil-national-syrien-somme-de-federer-toute-l-opposition-_NP_-2012-11-11-874641">le Conseil national syrien en 2011-2012</a>.</p>
<p>Si vous croyez en la magie de la médiation, vous regretterez l’échec de la tentative menée par Kofi Annan et Jean-Marie Guéhenno au printemps 2012. Mais si vous pensez qu’il n’y a pas de solution politique hors du régime, et que Bachar al-Assad vaut mieux que Daech, vous dénoncerez une autre occasion manquée par Paris dans la rhétorique du « Bachar must go » qui fut martelée trop vite et trop durablement. Peut-être pour se racheter des abandons tardifs de Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte.</p>
<p>Si vous aviez espéré que la découverte de <a href="http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/09/syrie-bachar-al-assad-dement-etre-responsable-de-l-attaque-chimique_3473120_3218.html">l’utilisation d’armes chimiques</a>, en 2013, par le régime justifie – au minimum – une « punition », et jugez qu’Obama n’a pas eu les « tripes » pour l’administrer, vous estimerez qu’il s’agit du vrai tournant de cette crise puisqu’à ce moment-là Daech n’existait pas.</p>
<h2>Le point de bifurcation</h2>
<p>Cette « histoire avec des si », appelée de manière plus académique « histoire contrefactuelle », pose un certain nombre de problèmes. D’abord, il faut que le point de bifurcation soit crédible. On peut toujours imaginer qu’avec Churchill au pouvoir à Londres, les Britanniques auraient tenu ferme face à l’Allemagne nazie dès 1938. Or il n’y avait aucune chance qu’à cette période il soit premier ministre. De surcroît, il n’a jamais voté contre le gouvernement, il a sous-estimé les Japonais et flirté avec l’Italie fasciste. Et Churchill détestait davantage Gandhi que Hitler.</p>
<p>Pouvait-on vraiment trouver une autorité alternative en Syrie, en 2011, et mener à bien une mission de « bons offices » quand personne ne la souhaitait vraiment – ni sur place, ni parmi les commanditaires américains et arabes – et parler à Bachar en 2012 ? </p>
<p>Ensuite, la bifurcation est toujours envisagée pour conduire en ligne directe à un avenir en rose, et trouver une issue à des évènements dramatiques. Ainsi, à propos de la crise de l’été 1914 qui va mener à la boucherie de la Première Guerre mondiale, certains estiment que si les Britanniques avaient affiché une forte détermination à entrer en guerre aux côtés de la France, l’Allemagne aurait pu être dissuadée d’aller plus loin. Ou bien qu’un effort résolu de Londres pour trouver une solution diplomatique aurait permis, comme lors des crises précédentes, d’éviter une guerre généralisée.</p>
<p>Autrement dit : si Londres avait bien joué l’une de ces cartes, les Guerres mondiales, les totalitarismes rouge et brun et l’Holocauste auraient pu être évités… De même, si Bachar avait été « puni » en 2013, il n’y aurait pas eu Daech, et donc pas de <a href="https://theconversation.com/migrations-en-europe-lechec-tragique-de-la-dissuasion-47129">crise des réfugiés</a>. Et si demain Bachar était écarté du pouvoir, la Syrie pourrait devenir démocratique et ferait cohabiter en bonne intelligence communautés et groupes sociaux.</p>
<h2>Droit international “bushiste”</h2>
<p>Ce type d’affirmation fait l’impasse sur toutes les bifurcations ultérieures possibles. Peut-être que si Paris et Londres avaient fait alliance avec Staline en 1939, il n’y aurait pas eu de Seconde Guerre mondiale… Mais peut-on imaginer qu’Hitler serait tranquillement retourné à Vienne pour peindre et qu’il aurait renoncé à tous ses projets, tandis que l’Union soviétique serait devenue un sympathique allié sans ambition et sans inquiétude pour sa sécurité ?</p>
<p>Qui peut dire ce que Bachar aurait fait si on l’avait puni, et comment ses alliés réagiraient s’il était éliminé ? <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2013/09/27/01003-20130927ARTFIG00607-syrie-accord-a-l-onu-sur-les-armes-chimiques.php">L’accord sur les armes chimiques</a>, en septembre 2013, a permis d’en priver le régime, et il semble bien que les Israéliens, qui en voyaient l’avantage, n’ont pas été étrangers à l’accord. Mais si le futur est incertain aujourd’hui, il l’était également avant-hier et hier, et il n’existe pas de logiciel ou de matrice permettant de modéliser les scénarios probables et d’anticiper les choix de milliers d’individus.</p>
<p>L’« Y’a qu’à » révèle les mêmes ambiguïtés. Premièrement, il faut que le « game changer » (terme très à la mode outre-Atlantique) soit réellement crédible. Faut-il espérer l’arrivée de la « cavalerie américaine » pour sauver les victimes en éliminant les « méchants » ? Mais Obama va-t-il seulement vouloir entamer une guerre au moment de terminer son second mandat, et jeter ses militaires dans un nouveau bourbier alors qu’ils regardent du côté de la Russie et de la Chine ?</p>
<p>La France, elle, ne va pas envoyer seule des troupes au sol quand elle est engagée dans un tiers de l’Afrique et en Irak. Des frappes aériennes punitives ou dissuasives sur Daech, <a href="http://www.itele.fr/monde/video/en-syrie-nous-agissons-en-legitime-defense-pour-manuel-valls-138373">en invoquant l’auto-défense</a> (l’article 51 de la Charte de l’ONU, mentionné par Manuel Valls), risquent de la faire plus encore glisser vers le droit « bushiste » de la guerre préventive, sans limites d’espace ni de temps.</p>
<h2>Le « ni-ni » et le « et-et »</h2>
<p>Une grande coalition arabe anti-Daech n’enthousiasmerait certainement pas les pays du Golfe, et encore moins l’Iran et la Turquie. Miser sur la haine d’Ankara à l’égard de Bachar ne mènera pas à la « libération » de Damas par les Turcs sans provoquer de réaction côté arabe et kurde. Miser sur la Russie et l’Iran pour qu’ils abandonnent Damas ? Mais que penseraient les Ukrainiens, les Saoudiens et les Israéliens de cette nouvelle alliance ? Quoi qu’il en soit, la grande conférence diplomatique entre puissances contrôlant parfaitement les acteurs locaux relève désormais de l’illusion.</p>
<p>Jouer les « modérés » face au régime et aux jihadistes ? Cela relève de la pure incantation. Il ne faudrait pas rêver, comme Hitler en 1945, qu’une arme miracle permette de sauver la situation (les drones ou les robots aujourd’hui), que Roosevelt meurt (Bachar al-Assad aujourd’hui) ou que la coalition adverse se brise (le soutien de la Russie et de l’Iran au régime syrien).</p>
<p>Deuxièmement, l’application sur le téléphone qui permet en un clic d’obtenir ce qu’on veut est certes de pratique courante désormais. Mais dans les relations internationales, ses effets ne sont pas toujours heureux. On peut considérer que continuer à ne pas combattre Bachar al-Assad nourrira les rangs des jihadistes furieux de la lâcheté, voire du « deux poids, deux mesures » de l’Occident. Pourtant, si nous intervenons, nous serons assimilés à des impérialistes, comme en Irak, et cela gonflera d’autant les rangs des jihadistes.</p>
<p>Et comment prouver que le « ni-ni » (ni solution de force, ni discussion avec Bachar), ou à l’inverse le « et-et », est meilleur ou pire pour la Syrie ? Attendons de voir quand quelqu’un proposera d’attendre que la Syrie soit vidée de sa population pour bombarder les deux diables, Assad et Daech… Troisièmement, faire un choix en fonction d’un objectif et de moyens n’implique pas que ses effets n’amèneront pas à le réajuster. La conjoncture de 2015 n’est pas celle de 2012.</p>
<p>Il est de bon ton, aujourd’hui, de critiquer les gouvernements et en même temps d’en attendre beaucoup et vite, tout en stigmatisant les impôts qui lui permettent d’agir. Sans les exonérer, rappelons simplement le danger des idées simples, et pas seulement à propos de l’« Orient compliqué ». Ils font sans doute des erreurs, mais comment prouver que ce sont des erreurs, sinon en fonction de nos propres préférences (pour la force, la diplomatie, le repli sur soi…), et d’issues que nous connaissons après coup ? </p>
<p>Il semble que l’on s’achemine aujourd’hui, après les postures morales et guerrières, vers du « un peu de tout ». On parlera sans doute un peu à Bachar, on négociera avec Moscou et Téhéran (avec des concessions à la clé), on utilisera un peu plus la force et on réunira des conférences internationales avec pléthore d’États et d’organisations internationales. Mais, comme dans un shaker, tout sera question de dosage, de mélange et de température ambiante. Mais l’on entendra encore bien des voix critiquant Obama de ne pas avoir une stratégie claire et transparente pour défaire Daech.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/47839/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Grosser ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que faire en Syrie? Négocier avec Assad? Bombarder Daech et Damas? Chacun a son idée sur ce qu'il aurait fallu faire et des solutions toutes faites pour résoudre une équation complexe.Pierre Grosser, Professeur de relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.