tag:theconversation.com,2011:/es/topics/immigration-21314/articlesimmigration – The Conversation2024-03-20T16:01:05Ztag:theconversation.com,2011:article/2254352024-03-20T16:01:05Z2024-03-20T16:01:05ZJoe Biden et le défi du vote hispanique<p><a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2024/01/10/key-facts-about-hispanic-eligible-voters-in-2024/">36,2 millions d’électeurs potentiels</a>, soit 4 millions de plus qu’en 2020, et environ 15 % du total de l’électorat américain. Tel est le poids que peut représenter l’électorat hispanique lors de l’élection présidentielle de novembre 2024, qui s’annonce difficile pour le président Biden.</p>
<p>Certes, traditionnellement, ces Américains de plus de 18 ans, <a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2023/09/05/who-is-hispanic/">d’origine hispanique</a>, ne sont pas tous inscrits sur les listes électorales et leur taux de participation demeure plus faible que celui des autres groupes, ce qui minore quelque peu l’impact politique de la première minorité des États-Unis. Cependant, ce « géant », qui ne s’est pas tout à fait réveillé encore, compte de plus en plus. En Californie et au Texas, ces électeurs potentiels représentent un tiers de l’électorat. Ils peuvent également faire pencher le résultat vers un parti ou un autre dans certains États indécis, comme l’Arizona. Aucun candidat ne souhaite « perdre » ces suffrages. <a href="https://naleo.org/COMMS/PRA/2024/NEF_Election_2024_Latino-Vote_Projections_FINAL.pdf">Selon la National Association of Latino Elected and Appointed Officials</a> (NALEO), 17,5 millions d’électeurs hispaniques, soit 6,5 % de plus qu’en 2020, et 11 % du total, devraient voter le 5 novembre prochain.</p>
<h2>Une communauté traditionnellement plutôt acquise aux Démocrates</h2>
<p>Historiquement, la minorité hispanique, très hétérogène, a majoritairement voté pour le Parti démocrate, même s’il existe des exceptions collectives, notamment les groupes originaires de Cuba et, moins nombreux, du Nicaragua et du Venezuela, tr ois pays gouvernés par des dirigeants à orientation marxiste.</p>
<p>Cependant, élection après élection, le Parti républicain peut se prévaloir d’un socle de 20-30 % de l’électorat hispanique, avec de bien meilleurs résultats pour Ronald Reagan en 1984 (37 %), George W. Bush en 2004 (un record de 40 %), ou bien encore 38 % pour Donald Trump en 2020. Les valeurs traditionnelles prônées par les Républicains correspondent à celles auxquelles les Hispaniques adhèrent généralement d’un point de vue culturel. Le terrain récemment gagné par les Républicains au sein de la minorité, visible dans les élections locales ou au Congrès fédéral, ne permet cependant pas de franchir la barre des 50 % au plan national.</p>
<p>Outre les différences d’origine déjà évoquées, il existe des disparités de genre (les hommes latino tendent à voter plus volontiers pour les Républicains que les femmes) et de niveau d’instruction ou social (les électeurs peu qualifiés ou avec un faible niveau d’instruction <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2021/06/30/behind-bidens-2020-victory/">ont davantage voté pour Trump en 2020</a>).</p>
<p>Les sondages les plus récents, conduits en novembre 2023 ou janvier 2024, ne révèlent pas de changement majeur dans ce schéma qui demeure favorable aux Démocrates, même si des candidats républicains aux diverses fonctions locales ou au Congrès fédéral peuvent leur ravir des postes.</p>
<p>Selon le <a href="https://unidosus.org/wp-content/uploads/2023/11/unidosus_national_surveyoflatinovoters.pdf">sondage conduit par l’association hispanique UnidosUS en novembre 2023</a>, les priorités des électeurs hispaniques n’ont guère varié par rapport aux autres élections : l’inflation, l’emploi et l’économie, la couverture médicale, la criminalité et les armes à feu, et enfin, chose nouvelle, le coût du logement demeurent leurs priorités absolues. Sur tous ces sujets, ils indiquent majoritairement que le Parti démocrate semble mieux répondre à leurs inquiétudes.</p>
<p>L’administration Biden l’a bien compris qui, dès l’automne 2023, a lancé une vaste campagne de séduction, rappelant les mesures générales prises dans le cadre de sa politique socio-économique (Bidenomics), <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/07/11/bidenomics-is-delivering-for-latinos-the-presidents-plan-grows-the-economy-from-the-middle-out-and-bottom-up-not-the-top-down/">dont les Hispaniques ont pu profiter</a>.</p>
<p>La création de 13,5 millions d’emplois – dont 4 millions occupés par des Latinos –, l’aide à l’ouverture de petites entreprises, ainsi que <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/09/29/fact-sheet-the-biden-%E2%81%A0harris-administration-advances-equity-and-opportunity-for-latino-communities-across-the-country/">l’augmentation du nombre d’Hispaniques ayant accès à l’assurance santé</a> contribuent toutes à l’amélioration du niveau de vie de la minorité. Le ministre de la Santé, Xavier Becerra, tout comme la secrétaire d’État au petit commerce, Isabella Casillas Guzman, sont d’ailleurs des Hispaniques, témoignant du choix politique de ces nominations.</p>
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<p>Les jeunes – électeurs ou futurs électeurs – ont également bénéficié d’aides à l’éducation, d’investissements dans les établissements qu’ils fréquentent majoritairement, et de bourses. Enfin, les électeurs hispaniques soutiennent massivement le <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-182528">droit à l’avortement</a>, dont le Parti démocrate s’est fait l’ardent défenseur. Toutefois, la bonne santé économique du pays ne se perçoit guère au quotidien : l’inflation et le coût du logement suscitent des critiques et un certain mécontentement à l’égard des Démocrates.</p>
<h2>Un intérêt moins marqué pour la question de l’immigration</h2>
<p>Curieusement, alors que les deux partis se déchirent violemment sur la question migratoire et la gestion des flux à la frontière avec le Mexique, et que le Parti républicain <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/etats-unis-les-republicains-veulent-destituer-le-ministre-de-biden-charge-de-limmigration-20240214_TYHGMYY5OVAY3H7XXN6LR4VHQY/">ne lésine pas sur les moyens</a> pour attaquer ce qu’il juge être l’immobilisme présidentiel face aux <a href="https://www.ledevoir.com/monde/ameriques/803101/i-le-devoir-i-sur-la-route-des-migrants-en-amerique-latine-on-avait-jamais-imagine-vivre-jour">flots d’immigrants à la frontière</a> (recours en justice, transport de migrants dans des municipalités démocrates, campagnes dans les médias et sur les réseaux sociaux…), ce sujet, toujours sensible pour l’électorat hispanique, semble moins important en 2023-2024 que par le passé, éclipsé par les soucis de la vie quotidienne.</p>
<p>Interrogés sur la question migratoire, les sondés d’UnidosUS <a href="https://unidosus.org/wp-content/uploads/2023/11/unidosus_national_surveyoflatinovoters.pdf">accordent largement leur priorité à l’obtention de la nationalité américaine</a>, à terme, pour les immigrants entrés aux États-Unis enfants et illégalement. Il apparaît ainsi que le projet de loi <a href="https://immigrationlawnv.com/fr/blog/the-dream-act/">DREAM Act</a> de 2001, constamment rejeté au Congrès chaque fois qu’il a été présenté, et qu’Obama avait tenté d’imposer par une mesure exécutive temporaire (DACA), demeure la principale priorité des Hispaniques sur ce sujet, avec ce même chemin vers la naturalisation pour les immigrants irréguliers vivant depuis longtemps aux États-Unis.</p>
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<p>Le renforcement de la sécurité à la frontière, ou bien la finalisation du mur, apparaissent comme beaucoup moins importants. Tout programme massif d’expulsions est largement rejeté. En d’autres termes, les violents débats politiciens sur les mesures prises – ou non prises – par l’administration Biden à propos des flux migratoires récents, en forte augmentation depuis l’accession au pouvoir du Démocrate, ne semblent pas avoir d’impact significatif sur la minorité dans son ensemble.</p>
<p>Pour autant, elle ne saurait rester insensible à une question qui fait régulièrement la une de la presse. 28 % des adultes hispaniques (électeurs ou ne possédant pas encore la nationalité américaine) indiquent d’ailleurs suivre régulièrement les informations concernant la frontière, ce qui signifie en creux que, pour une vaste majorité, ce n’est pas une préoccupation quotidienne. Plus indulgents que la population catégorisée comme blanche par le recensement, mais plus sévères que les Afro-Américains, ils estiment <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2024/02/15/how-americans-view-the-situation-at-the-u-s-mexico-border-its-causes-and-consequences/">dans un sondage conduit par le Pew Research Center en janvier 2024</a> que le grand nombre de migrants tentant de franchir la frontière mexicano-américaine est une véritable crise (38 %) ; la même proportion répondent qu’il s’agit simplement d’un « problème majeur » ; 74 % trouvent que le gouvernement américain gère mal ou très mal la question ; et 47 % considèrent que la situation migratoire à la frontière génère davantage de criminalité.</p>
<h2>Joe Biden dans l’embarras</h2>
<p>L’administration Biden dispose d’une marge de manœuvre très étroite sur la question migratoire. Alors que le Parti républicain présente aujourd’hui une position peu ou prou unifiée sur le rejet des flux migratoires illégaux, le président se trouve pris en tenaille entre, d’une part, <a href="https://www.nytimes.com/2023/09/22/us/politics/migrant-crisis-democrats-cities.html">l’aile gauche de son parti</a>, les élus latinos démocrates, ainsi que les associations des droits de l’homme et des droits civiques qui <a href="https://apnews.com/article/senate-border-immigration-biden-66531bcefb908d5440a52b54c543b006">prônent une vigoureuse politique d’accueil</a> et un mécanisme permettant, à terme, une naturalisation de certains immigrés irréguliers ; et d’autre part <a href="https://dividedwefall.org/democrats-on-immigration/">ceux qui considèrent que cet afflux massif de migrants a des retentissements négatifs</a> sur les collectivités qui les accueillent, à la frontière ou ailleurs dans le pays.</p>
<p>Tout cela se déroule sur fond de <a href="https://apnews.com/article/immigration-courts-wait-54bb5f7c18c4c37c6ca7f28231ff0edf">manque criant de juges et d’agents fédéraux</a> à la frontière et dans les services de l’immigration. Des recrutements ont eu lieu mais après les coupes opérées par l’administration précédente, le processus prend du temps et nécessite des fonds que le Congrès refuse d’octroyer.</p>
<p>S’y ajoutent des procédures judiciaires incessantes de la part des Républicains, ce qui bloque l’application de nombreuses décisions, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/30/aux-etats-unis-la-question-migratoire-entre-urgence-securitaire-et-blocage-politique_6213736_3210.html">blocage du Congrès</a> – et notamment de la Chambre des Représentants – sur la vaste réforme du système migratoire dont George W. Bush comme Barack Obama disaient déjà qu’il ne fonctionnait plus, et les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/19/etats-unis-le-gouverneur-du-texas-signe-une-loi-criminalisant-l-entree-illegale-de-migrants_6206639_3210.html">mesures autoritaires prises par certains gouverneurs républicains</a>.</p>
<p>Ainsi, les gouverneurs du Texas ou de Floride notamment expédient les migrants vers les villes du Nord et le Texas, va jusqu’à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/aux-etats-unis-la-crise-migratoire-tourne-a-l-affrontement-constitutionnel-20240129">prendre le contrôle d’une partie de la frontière</a>, aux dépens de la Border Patrol qui relève du gouvernement fédéral, dans un bras de fer entre État fédéré et autorités fédérales sans précédent depuis le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
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<p>En outre, la volonté des Républicains du Congrès de contraindre l’administration à des mesures coercitives à la frontière en <a href="https://www.nytimes.com/2023/12/12/us/politics/republicans-us-mexico-border-ukraine.html">échange d’un accord sur l’aide à l’Ukraine</a> place le président Biden dans une position intenable. Il dispose de très peu d’options, toutes les mesures nécessitant, pour leur mise en œuvre, des moyens financiers et humains que le Congrès ne lui accorde pas, ou bien un accord avec le Mexique pour revenir à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/08/accord-entre-etats-unis-et-mexique-sur-l-immigration-les-tarifs-douaniers-suspendus_5473369_3210.html">politique trumpienne de maintien des migrants de l’autre côté de la frontière</a>, accord que Mexico ne semble pas disposé à renouveler.</p>
<p>Tout juste a-t-il pu augmenter le nombre de réponses favorables aux demandes d’asile et accorder aux immigrés vénézuéliens en situation irrégulière le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-pres-de-500-000-migrants-venezueliens-autorises-a-travailler-legalement-aux-etats-unis">droit de travailler temporairement aux États-Unis</a>, en vertu du programme <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-temporary-protected-status">Temporary Protected Status</a>, mis en place dès 1990 pour les ressortissants de pays ravagés par la violence ou des catastrophes naturelles.</p>
<h2>Un peu probable revirement en faveur de Donald Trump</h2>
<p>C’est justement parce que la question migratoire est devenue un casse-tête insoluble et que les électeurs hispaniques, qui vivent parfois aux États-Unis depuis plusieurs générations, s’intéressent également à d’autres sujets, qui les concernent au quotidien, que le président Biden met l’accent sur sa politique sociale et économique, espérant conserver leurs faveurs lors de l’élection de novembre prochain.</p>
<p>En dépit des annonces tonitruantes de la presse et des think tanks conservateurs, <a href="https://www.latimes.com/opinion/story/2023-12-28/latino-vote-republicans-democrats-biden-trump-election-2024">il n’est pas certain que les électeurs hispaniques, même déçus, rallient majoritairement le camp républicain</a> lors de la prochaine élection présidentielle. Le danger pour Biden, en revanche, serait un faible taux de participation de leur part.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225435/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Vagnoux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Première minorité aux États-Unis, les Hispaniques auront un grand impact sur l’issue de la présidentielle. Voteront-ils, cette fois encore, majoritairement en faveur du candidat démocrate ?Isabelle Vagnoux, Professeure des universités Responsable du programme « Relation à l’Autre, Mémoire, Identité », Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247832024-03-10T16:49:02Z2024-03-10T16:49:02ZÀ Mayotte, changer le droit du sol ne fait pas forcément baisser le nombre de naissances issues de parents étrangers<p>En visite à Mayotte le 11 février dernier, le ministre de l’Intérieur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/12/a-mayotte-gerald-darmanin-annonce-la-suppression-du-droit-du-sol-dans-l-archipel-pour-faire-taire-la-colere-de-la-population_6216067_3224.html">Gérald Darmanin</a> a fait part dès sa descente d’avion de la volonté du président de la République Emmanuel Macron d’inscrire la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle. Malgré de vives critiques, une semaine plus tard, <a href="https://www.humanite.fr/politique/cnr-resistance/manouchian-loi-immigration-rn-emmanuel-macron-face-a-lhumanite">Emmanuel Macron</a> défendait son projet, déclarant : « Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire de petits Français. Objectivement, il faut pouvoir répondre à cette situation ».</p>
<p>Si cette dynamique de restriction du droit du sol marque une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/15/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-l-attractivite-de-notre-droit-de-la-nationalite-releve-assez-largement-du-mythe_6216638_3232.html">rupture sans précédent</a> depuis la période coloniale, il est important de noter qu’elle n’est pas entièrement nouvelle à Mayotte, où une réforme significative du droit du sol a déjà été opérée en 2018.</p>
<p>Quels sont les effets de cette réforme et comment éclairent-ils les débats actuels ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mayotte-ambigu-tes-et-non-dits-dune-situation-post-coloniale-206004">Mayotte : ambiguïtés et non-dits d’une situation (post)coloniale</a>
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<h2>La réforme du droit du sol de 2018</h2>
<p>Le principe du <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/fr/Integration-et-Acces-a-la-nationalite/La-nationalite-francaise/Elements-d-histoire-sur-le-droit-de-la-nationalite-francaise">droit du sol</a> établit qu’un enfant né en France de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité française à sa majorité, ou par déclaration anticipée à ses 13 ans s’il peut justifier de cinq ans de résidence sur le territoire. Cependant, à Mayotte, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037381808">loi du 10 septembre 2018</a>, les enfants nés de parents étrangers ne peuvent devenir français que si à leur naissance au moins l’un de leurs parents résidait de manière régulière (sous couvert d’un titre de séjour) en France depuis au moins trois mois.</p>
<p>Introduite dans la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19455-asile-et-immigration-la-loi-du-10-septembre-2018">loi Asile et immigration de 2018</a> sous la forme d’un amendement déposé par le sénateur de Mayotte Mohamed Soilihi, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/06/19/une-breche-dans-le-droit-du-sol-a-mayotte_5317526_823448.html">cette réforme du droit du sol</a> avait pour objectif déclaré de répondre à « l’insoutenabilité de la pression migratoire pour les Mahorais ». Son auteur décrivait déjà « les milliers de femmes enceintes qui, souvent au péril de leur vie, abordent les rivages de Mayotte avec l’espoir de donner naissance à un enfant né sur le territoire national afin qu’il puisse y être élevé et ainsi bénéficier d’une naturalisation par le droit du sol. »</p>
<p>De fait, depuis le 1<sup>er</sup> mars 2019, en application de la loi du 10 septembre 2018, un nombre important d’enfants nés à Mayotte de parents étrangers n’a plus accès à la nationalité française. Selon les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/15/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-l-attractivite-de-notre-droit-de-la-nationalite-releve-assez-largement-du-mythe_6216638_3232.html">chiffres communiqués par le ministère</a>, le nombre d’acquisitions de la nationalité française à Mayotte est passé de 2 900 en 2018 à 900 en 2022.</p>
<p>Toutefois, pour les professeurs de droit public Marie-Laure Basilien-Gainche, Jules Lepoutre et Serge Slama, signataires d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/15/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-l-attractivite-de-notre-droit-de-la-nationalite-releve-assez-largement-du-mythe_6216638_3232.html">tribune dans <em>Le Monde</em></a>, la réforme n’aurait pas eu le moindre effet sur les flux migratoires vers Mayotte, tandis que pour l’avocate <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/12/la-suppression-du-droit-du-sol-a-mayotte-une-mesure-voulue-par-l-extreme-droite-aux-consequences-incertaines_6216078_3224.html">Marjane Ghaem</a> cette situation « ne fait que fabriquer de l’étranger ».</p>
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<h2>L’évolution des naissances à Mayotte et aux Comores depuis la réforme</h2>
<p>En effet, si l’on s’intéresse aux <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7725908">statistiques d’état civil de l’Insee</a> sur les naissances à Mayotte, un constat s’impose d’emblée : le nombre de naissances de mères étrangères n’a pas baissé suite à la réforme de 2018. En 2022, sur 10 773 nouveau-nés à Mayotte, 8 101 avaient une mère étrangère, un chiffre en hausse de 14 % par rapport à 2018.</p>
<p>Deux autres comparaisons permettent de renforcer ce constat.</p>
<p>Tout d’abord, si l’on regarde l’évolution du nombre de naissances à Mayotte en fonction de l’origine de la mère sur la période 2014-2022, il apparaît clairement qu’il n’y a pas eu de décrochage des naissances de mères étrangères par rapport aux naissances de mères françaises depuis la réforme (Figure 1). Cette part est restée stable (voire a augmenté), autour de 75 %.</p>
<p>De plus, une large majorité de mères étrangères était de nationalité comorienne sur la période (90 % en 2022). À partir de <a href="https://mics.unicef.org/news_entries/253/JUST-RELEASED:-COMOROS-2022-MICS">données d’enquête collectées en 2022</a> aux Comores sur un échantillon représentatif de plus de 6 000 ménages, il est possible d’estimer l’évolution du nombre de naissances sur le sol comorien pour s’assurer que l’absence de décrochage du nombre de naissances à Mayotte ne reflète pas une poussée démographique aux Comores. Cette comparaison est importante car une stagnation des naissances de mères comoriennes à Mayotte dans un contexte de forte augmentation des naissances aux Comores signifierait que la part des mères comoriennes migrant à Mayotte pour y accoucher a diminuée.</p>
<p>Comme on peut le voir sur la Figure 2 ci-dessous, l’absence de décrochage observé à Mayotte ne s’explique pas par une forte croissance démographique aux Comores. Le nombre de naissance y est resté relativement stable, avec 22 000 naissances environ chaque année, et des tendances très similaires à celles observées à Mayotte.</p>
<p>Cela suggère que la part des Comoriennes se rendant à Mayotte pour y donner naissance n’a pas baissée suite à la réforme du droit du sol de 2018, et ce alors même qu’elle prive déjà un nombre important d’enfants de l’accès à la nationalité française. En effet, il est extrêmement rare pour les Comoriens d’obtenir un visa ou un titre de séjour pour Mayotte. Ces derniers migrent typiquement « sans-papiers », via les <a href="https://www.liberation.fr/societe/a-mayotte-linterception-des-kwassas-kwassas-ils-foncent-tete-baissee-en-esperant-nous-echapper-20230428_T563NW5WPBCKXDFL2ZYTMHQAGA/">fameux kwassa-kwassas</a>, et ne bénéficient donc déjà plus du droit du sol puisque la réforme de 2018 requiert que l’un des deux parents réside de manière régulière (sous couvert d’un titre de séjour) sur le territoire mahorais au moins trois mois avant la naissance de l’enfant.</p>
<h2>L’importance des facteurs sanitaires</h2>
<p>Pour comprendre pourquoi tant de mères comoriennes continuent de migrer à Mayotte pour y donner naissance, il convient de s’intéresser aux données de santé publique. En 2021, le taux de mortalité infantile, c’est-à-dire la part des nouveau-nés qui décèdent avant l’âge de cinq ans, était près de <a href="https://ourworldindata.org/grapher/child-mortality-around-the-world?tab=chart&country=MYT%7ECOM%7EFRA&fbclid=IwAR1zy6Q2eXnPOByoy8j74l0h-UbojuqOLCewZwpDVQXD5Y-naWGEwFIjPJo">12 fois plus grand aux Comores qu’à Mayotte</a>, tandis que le taux de mortalité maternelle pour des causes liées à la grossesse ou à l’accouchement était <a href="https://ourworldindata.org/grapher/death-rate-from-maternal-disorders-ihme?tab=chart&country=COM%7EFRA&fbclid=IwAR1momA6MN8xDRmoqDzsJN_KJlrymDlrPS_ntS6KAjI2cbyj7XcNFkKFnsA">plus de quatre fois plus grand</a>.</p>
<p>Seuls 70 kilomètres environ séparent les Comores de Mayotte. Cette proximité géographique, couplée à des différences abyssales en termes d’efficacité des systèmes de santé, peut expliquer pourquoi de nombreuses Comoriennes choisissent d’accoucher à Mayotte, et ce malgré les risques liés à la traversée.</p>
<p>Comme le soulignent de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/15/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-l-attractivite-de-notre-droit-de-la-nationalite-releve-assez-largement-du-mythe_6216638_3232.html">nombreux autres</a> <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/13/francois-heran-sociologue-a-mayotte-de-quel-droit-du-sol-parle-t-on_6216345_3232.html">chercheurs</a> en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/21/les-comores-ont-les-cles-pour-resoudre-nombre-de-problemes-affectant-mayotte_6217768_3232.html">sciences sociales</a>, il est peu probable que la remise en cause du droit du sol réduise le nombre de Comoriennes qui se rendent à Mayotte pour y donner naissance. En revanche, il serait urgent d’appuyer les Comores pour trouver des solutions aux graves problèmes de santé publique auxquels est confrontée sa population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224783/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jules Gazeaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À Mayotte, les enfants nés de parents étrangers ne peuvent devenir français que si à leur naissance au moins l’un de leurs parents résidait de manière régulière en France depuis au moins trois mois.Jules Gazeaud, Chargé de recherche CNRS, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212492024-01-22T15:36:28Z2024-01-22T15:36:28ZRemigration : ce que « l’anti-mot de l’année » en Allemagne dit du débat public actuel<p>Dans de nombreux pays européens, les fins et les débuts d’année donnent lieu au choix - parfois à l’élection - du mot/des mots de l’année, entendus comme ces unités lexicales qui condensent à elles seules tout un pan de discours, de positions, de controverses qui ont marqué les douze mois écoulés.</p>
<p>L’idée sous-jacente à ces classements, <a href="https://u-bourgogne.hal.science/halshs-03871342/">largement développée en analyse de discours</a>, est que certains mots, souvent <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-langage-et-societe-2010-4-page-5.htm">appréhendés comme « formules »</a>, fonctionnent comme des révélateurs et des marqueurs des soubresauts et des évolutions de la société dans à peu près tous les domaines : politique, économie, vie sociale, sport, etc. Ils sont les pierres angulaires de positionnements et de postures de toute nature et leur simple énoncé active toute une série d’arguments et contre-arguments.</p>
<p>Si cette tradition n’est pas implantée en France – en tout cas pas de façon organisée et institutionalisée – elle l’est largement autour de nous. C’est le cas au Royaume-Uni, où ce sont les Presses universitaires d’Oxford qui président à ce choix et <a href="https://theconversation.com/im-an-expert-in-slang-here-are-my-picks-for-word-of-the-year-218286">ont retenu, pour 2023, le mot <em>rizz</em></a> qui désigne le charisme, le charme, l’attractivité ; ou en Belgique flamande et aux Pays-Bas, où l’éditeur de dictionnaires van Dale fait la même chose et <a href="https://www.les-plats-pays.com/article/le-mot-neerlandais-de-lannee-2023-denonce-linflation-due-a-la-cupidite">a opté, pour l’année qui vient de s’achever, pour <em>graainflatie</em></a>, un mot-valise parfois traduit par « cupideflation » en français et hérité du néologisme anglais <em>greedflation</em> pour désigner la stratégie mise en œuvre par certains industriels afin de profiter de l’inflation liée à l’augmentation des coûts pour augmenter leurs marges. Dans le même domaine de l’économie, on se souvient des discussions, pendant toute l’année 2023, en France et dans d’autres pays, autour de la paire de termes <a href="https://theconversation.com/hausses-de-prix-dissimulees-comment-reagissent-les-consommateurs-191920"><em>shrinkflation</em>/<em>réduflation</em></a>.</p>
<h2>Du mot à l’anti-mot de l’année en Allemagne</h2>
<p>En Allemagne, qui est au centre de cet article, le choix des mots de l’année est beaucoup plus institutionnalisé et connaît, chaque année, un large écho médiatique. J’utilise ici le pluriel, car <a href="https://tekst-dyskurs.eu/resources/html/article/details?id=226831">il y en a en fait plusieurs</a>.</p>
<p>Tout d’abord, le « mot de l’année », au sens strict, qui est choisi régulièrement depuis 1977, après un premier essai isolé en 1971, par une société savante, la <a href="https://gfds.de/"><em>Gesellschaft für deutsche Sprache</em></a> (société pour la langue allemande) dont le siège est à Wiesbaden. À partir d’une première collecte de mots faite dans les médias, mais aussi de propositions spontanées envoyées par des citoyens, le jury, largement composé d’experts de la langue réunis dans le bureau de l’association, opère des vagues de sélection successives pour arriver à une liste de dix mots dont celui classé numéro un prend le titre de mot de l’année.</p>
<p>Cette année, c’est <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/08-breves-de-la-semaine/-/2635084"><em>Krisenmodus</em></a> – littéralement <em>le mode de crise</em> – qui a été retenu pour désigner cet état de crise permanente ou perpétuelle dans lequel vit l’Allemagne, et pas seulement elle, depuis la crise Covid, avec les conséquences, en particulier mentales, que peut entraîner cette situation.</p>
<p>À côté de cette première initiative, une autre fait souvent couler davantage d’encre encore : c’est <a href="https://www.unwortdesjahres.net/">l’« anti-mot » de l’année</a>, que l’on pourrait paraphraser comme le mot abject dont l’emploi est ainsi dénoncé et condamné.</p>
<p>Lancé en 1991 et d’abord choisi dans le sillage du « mot de l’année », il est depuis 1994 déterminé par un jury indépendant constitué de quatre linguistes, un journaliste et un autre membre coopté chaque année, issu des milieux de la culture et des médias. Par « anti-mot », le jury entend des formulations soit « dénuées d’humanité », soit « inadaptées pour ce qu’elles désignent ». Bref, des mots et des formules détestables qu’un emploi réfléchi de la langue ne devrait pas produire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746882492026458399"}"></div></p>
<p>Le but de cette action est très largement de faire réfléchir les locuteurs de l’allemand à l’utilisation de la langue en contexte, tradition très ancrée dans le monde germanophone, y compris comme discipline académique connue sous le nom de <a href="https://heiup.uni-heidelberg.de/journals/heso/issue/view/2372"><em>Sprachkritik</em></a> – critique de la langue. Les travaux du philologue Victor Klemperer <a href="https://journals.openedition.org/germanica/2464">sur la langue du Troisième Reich</a>, consignés dans son ouvrage majeur publié en 1947, prennent toute leur place dans cette tradition, tout comme la publication en 1958, sous la plume de Dolf Sternberger, Gerhard Storz et W. E. Suskind, du <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-hermes-la-revue-2010-3-page-47.htm?contenu=article"><em>Dictionnaire de l’inhumain</em></a>, qui commentait et mettait en perspective les pires vocables de la dictature nazie.</p>
<h2><em>Remigration</em> et le spectre des affaires de l’AfD</h2>
<p>Publié ce 15 janvier par le jury décrit ci-dessus, l’anti-mot de l’année 2023 est <em>remigration</em> (qui rappelle le concept de « remigration » en français, nous y reviendrons). Les derniers événements autour du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) lui donnent un relief et une actualité toute particulière.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.unwortdesjahres.net/presse/aktuelle-pressemitteilung/">communiqué de presse</a>, le jury justifie son choix par les arguments suivants. Il s’agit tout d’abord d’un euphémisme, une forme linguistique visant donc à atténuer, adoucir une réalité par trop brutale – ici le projet d’expulser par la force, voire de déporter de façon massive des personnes vivant en Allemagne et issues de l’immigration. Pour le jury, il s’agit très clairement d’un mot relevant du combat idéologique d’extrême droite, cachant les véritables intentions qu’il véhicule derrière une façade anodine.</p>
<p>Ce faisant, on assiste à un détournement de sens idéologique puisque, en tout cas pour la tradition allemande, ce terme est issu de la recherche sur les migrations et l’exil où il désigne des formes volontaires de retour dans son pays natal. Ce détournement idéologique en faisait bien sûr un candidat de choix pour être désigné « anti-mot ». Le communiqué de presse du jury continue par ailleurs en dénonçant l’objectif de la Nouvelle Droite qui se cache derrière ce terme, en l’occurrence arriver à une hégémonie culturelle et à l’homogénéité ethnique de la nation allemande.</p>
<p>Ce choix ne pouvait pas plus tomber à point nommé dans la mesure où il vient alimenter un débat enflammé qui fait rage depuis le 10 janvier dernier dans le paysage politique et médiatique allemand suite à la publication ce jour-là d’une <a href="https://correctiv.org/aktuelles/neue-rechte/2024/01/10/geheimplan-remigration-vertreibung-afd-rechtsextreme-november-treffen/">enquête</a> du site d’investigation <em>Correctiv</em>. Cette enquête très détaillée, structurée en actes à la façon d’une pièce de théâtre, révèle une rencontre secrète, le 25 novembre 2023, dans un hôtel situé près de la ville de Potsdam, organisée à l’initiative d’un dentiste retraité bien connu sur la scène d’extrême droite allemande et d’un investisseur non moins connu du secteur de la gastronomie (mais lui-même absent à ladite réunion).</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le « plan secret » de l’extrême droite allemande fait scandale, LCI, 19 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>Cette rencontre avait deux objectifs affichés : d’une part, la collecte de fonds de campagne pour l’AfD et diverses structures proches, existantes ou en création ; et d’autre part, la présentation et la discussion d’un « plan d’action ». Elle a réuni un certain nombre de membres de l’AfD – dont Roland Hartwig, le conseiller personnel de la dirigeante du parti Alice Weidel –, des représentants de diverses mouvances néonazies et des donateurs fortunés, pour discuter justement, dans l’hypothèse d’une accession au pouvoir de l’AfD, d’un « plan de remigration » visant une expulsion à grande échelle de plusieurs catégories de personnes.</p>
<p>Ce plan, qui constituait le point central de la rencontre, a été présenté par Martin Sellner, figure historique du mouvement identitaire autrichien. Sellner y désigne trois groupes-cibles pour la remigration : les demandeurs d’asile, les étrangers ayant droit de séjour et les citoyens « non assimilés ». Il va même plus loin en imaginant la création d’un « État-modèle », par exemple en Afrique du Nord, à même d’accueillir les groupes en question ainsi que celles et ceux qui souhaitent les soutenir. On comprend, à lire ces détails, les arguments du jury de l’anti-mot de l’année pour justifier son choix, et en particulier la dimension euphémistique du terme – et ce d’autant plus dans le contexte allemand dont l’« héritage discursif » a été rappelé ci-dessus.</p>
<p>Ces révélations ont rouvert le débat d’une éventuelle interdiction constitutionnelle du parti AfD en Allemagne, question qui revient comme un serpent de mer dans le débat politique fédéral : une pétition en cours a déjà réuni 400 000 signatures et le député chrétien-démocrate Marco Wanderwitz cherche aussi les soutiens nécessaires au sein de la Diète fédérale pour engager la procédure idoine. Dimanche 14 janvier, des manifestations organisées en réaction à ces révélations à Berlin et Potsdam ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, dont le chancelier Olaf Scholz et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.</p>
<h2>Remigration – un internationalisme ?</h2>
<p>Le terme choisi comme anti-mot de l’année 2023 en Allemagne, et que le jury présente comme une dérivation du latin <em>remigrare</em> pour <em>rentrer chez soi</em>, apparaît en fait, et surtout, comme un internationalisme utilisé sous cette forme dans beaucoup de langues : il alimente donc de façon croisée des discours dans plusieurs pays qui se répondent, s’alimentent et s’entretiennent mutuellement.</p>
<p>En français, il a fait l’objet d’une forte thématisation dans la discussion politico-médiatique lors du dernier scrutin présidentiel avec la proposition du candidat <a href="https://theconversation.com/fr/topics/eric-zemmour-106952">Éric Zemmour</a>, dont plusieurs thématiques ont d’ailleurs été <a href="https://journals.openedition.org/corela/14675">analysées par l’analyse française du discours</a>, de mettre en place un « ministère de la Remigration ».</p>
<p>Une brève interrogation du corpus français disponible sur l’outil <a href="https://www.sketchengine.eu/">SketchEngine</a>, en particulier de ses contextes d’emploi, montre très clairement <a href="https://journals.openedition.org/mots/30959">son ancrage dans un discours d’extrême droite</a>, confirmant le statut qui lui est reconnu comme marqueur de la mouvance identitaire. Il y voisine en effet avec des noms comme <em>islamisation, communautarisme, identité, remplacement, invasion</em>, mais aussi avec des verbes d’action comme <em>enclencher la remigration</em> ou de positionnement comme <em>prôner la remigration</em>.</p>
<p>On le voit ici nettement, de tels mots – j’ai parlé plus haut d’internationalismes – circulent d’une langue et d’une culture à l’autre dans des discours apparentés où ils constituent autant de signaux d’appartenance et de reconnaissance. Dans le domaine politique, comme dans beaucoup d’autres, les combats idéologiques passent par des combats sémantiques où il s’agit d’occuper les concepts, d’y imprimer sa marque pour, finalement, les soustraire à l’adversaire. Dans cette perspective, le choix 2023 du jury de l’anti-mot allemand de l’année ne pouvait mieux atteindre ses objectifs : nous amener à toujours interroger les implications des mots que nous employons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221249/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gautier a reçu des financements du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté, de l'ANR et de la Commission Européenne pour divers projets de recherche.</span></em></p>Chaque année, un jury allemand désigne le mot le plus détestable à avoir marqué le débat public. En 2023, sur fond de montée de l’extrême droite, le choix s’est porté sur « remigration ».Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204472024-01-18T17:19:25Z2024-01-18T17:19:25ZCe que coûte vraiment l’aide médicale d’État<p>En décembre 2023, le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">projet de loi « immigration »</a> a finalement été adopté en excluant le volet dédié à l’Aide médicale d’État (AME).</p>
<p>Mais quand il s'est installé à Matignon, Gabriel Attal, le nouveau premier ministre, a dit vouloir tenir la promesse faite par sa prédécesseure, Élisabeth Borne, qui s'était engagée, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-dans-une-lettre-a-gerard-larcher-elisabeth-borne-annonce-une-reforme-de-l-aide-medicale-d-etat-20231218">dans un courrier envoyé au président du Sénat</a>, à réformer l’AME.</p>
<p>Gabriel Attal envisagerait <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/19/sur-la-reforme-de-l-ame-la-droite-attend-de-voir-pour-croire-les-engagements-de-gabriel-attal_6211730_823448.html">une réforme législative et réglementaire</a>. Reste à savoir quelle pourrait être concrètement la teneur de cette réforme de l'AME et quand elle surviendra.</p>
<h2>Un droit non automatique et complexe à obtenir</h2>
<p>L’AME permet aux sans-papiers de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074069/LEGISCTA000006142840/#LEGISCTA000006142840">bénéficier d’une couverture des frais médicaux pendant un an renouvelable</a> s’ils peuvent prouver leur présence en France depuis au moins 3 mois et si leurs ressources ne sont pas supérieures à 810 euros mensuels.</p>
<p>L’AME ne concerne qu’une partie des migrants, les plus précaires par leur statut administratif et les plus pauvres. Il s’agit d’un droit quérable (il faut le demander), qui plus est particulièrement complexe à obtenir du fait de la lourdeur des démarches administratives pour des personnes en difficultés financières et linguistiques qui craignent d’être signalées aux autorités et expulsées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-quel-sort-pour-laide-medicale-de-letat-ce-que-nous-dit-la-recherche-scientifique-219943">Loi immigration : quel sort pour l'aide médicale de l’État ? Ce que nous dit la recherche scientifique</a>
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<h2>Remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence présentée comme moins onéreuse</h2>
<p>Dans le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/controler-l-immigration-ameliorer-l-integration-adoption-du-projet-de-loi-apres-accord-de-la-commission-mixte-paritaire">projet de loi « immigration » qui a finalement été adopté en décembre 2023</a>, il n’est plus fait état de l’AME. Mais une réforme de l’AME était intégrée dans une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/19/projet-de-loi-immigration-tout-ce-qui-a-change-entre-le-projet-initial-la-version-du-senat-et-de-l-assemblee-et-celle-de-la-cmp_6205115_4355771.html">version précédente proposée par le Sénat</a>. Elle visait à « transformer » l’AME en aide médicale d’urgence (AMU) pour la réserver aux soins vitaux. Reste à savoir si c’est sur cette base que pourrait être modifié ce dispositif en 2024.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Si la réforme de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/aide-medicale-detat-ame-148762">AME</a> devait suivre les préconisations du Sénat, les soins de premier recours ne seraient plus pris en charge par l’Assurance maladie et il faudrait attendre d’être à l’article de la mort pour pouvoir être soigné à l’hôpital. L’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1745-tiii-a41_rapport-fond.pdf#page=12">AMU existe déjà</a>. Il ne s’agit donc pas de transformer l’AME en AMU mais tout simplement de supprimer l’AME.</p>
<h2>L’AME, c’est 0,5 % des dépenses annuelles de santé</h2>
<p>C’est un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1244_rapport-information">rapport parlementaire récent</a> qui est à l’origine du projet de remplacement de l’AME par une AMU. Selon ce rapport, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1745-tiii-a41_rapport-fond.pdf#page=17">l’AMU ne coûterait que 70 millions d’euros contre 1,1 milliard d’euros pour l’AME de droit commun</a> dont bénéficiaient 350 000 patients en 2021.</p>
<p>Or l’AME en tant que telle ne représente qu’une goutte d’eau dans les dépenses de santé, soit 0,468 %. Ainsi on peut se demander si c’est vraiment son coût qui pose problème, ou si ce ne sont pas plutôt les patients concernés qui sont visés, c’est-à-dire les sans-papiers.</p>
<p>Pour obtenir ce pourcentage de presque 0,5 %, les dépenses de 1,1 milliard d’euros correspondants à l’AME sont comparés à <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/les-depenses-de">l’ensemble des dépenses de santé qui s’établissaient à 235,8 milliards d’euros pour l’année 2022</a>.</p>
<p>Le montant de 1,1 milliard est jugé trop élevé pour sauver des migrants. Mais à titre de comparaison, selon certaines estimations, les assurés paient, par exemple, <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/les-depassements-dhonoraires-des-medecins-repartent-a-la-hausse-1410079">3 milliards d’euros par an en dépassements d’honoraires</a> à l’hôpital ou chez le médecin de ville (on parle de « dépassements d’honoraires » quand les soins sont facturés à des tarifs qui dépassent ceux fixés par l’Assurance maladie).</p>
<p>De plus, s’il faut attendre que les patients soient gravement malades pour les prendre en charge, la dépense de santé ne sera pas seulement différée, elle sera majorée. Les malades seront soignés dans des situations plus critiques qui nécessiteront des soins plus lourds donc plus coûteux. La <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/entretien-suppression-de-lame-quand-on-est-medecin-on-doit-soigner-tout-le-monde-04354f22-8224-11ee-a407-397218b61e71">collectivité a toujours intérêt à prendre en charge précocement les malades</a> à la fois au nom de la santé publique mais aussi au nom des finances publiques.</p>
<h2>Le risque d’aggraver la surcharge des services dédiés aux plus précaires</h2>
<p>Il en va particulièrement des sans-papiers dont la vie en France est particulièrement difficile du fait de la précarité des revenus et du délabrement des logements qui accroissent substantiellement la probabilité d’être malade. On ne comprend pas bien ce que la collectivité a à gagner à laisser les problèmes de santé physique et mentale s’aggraver. La santé des uns dépend aussi de celle des autres.</p>
<p>La transformation de l’AME en AMU ne supprimerait pas la maladie. Elle ne ferait qu’interdire la prise en charge des frais de santé si le pronostic vital n’est pas engagé. En supprimant l’AME, on organiserait le renoncement aux soins et on planifierait le retard de soin. Le risque serait d’aggraver le marasme de l’hôpital, épuisé par la crise Covid.</p>
<p>On programmerait ainsi une surcharge insoutenable des Permanences d’accès aux soins de santé dédiées aux personnes démunies (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-de-sante-vos-droits/modeles-et-documents/article/les-permanences-d-acces-aux-soins-de-sante-pass">PASS</a>) et des Services d’accueil et d’urgences (<a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/le_deroulement_de_votre_prise_en_charge_au_sau.pdf">SAU</a>) déjà saturés. Cela planifierait aussi un surcroît de mortalité chez les migrants comme le montre le <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/eecrev/v131y2021ics0014292120302385.html">cas espagnol</a>.</p>
<h2>Les sans-papiers avec AME ne vont pas davantage chez le médecin</h2>
<p>L’hôpital, et notamment ses services d’urgence, serait impacté par une suppression de l’AME du fait de l’arrivée des personnes malades dans des situations de santé plus dégradées. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le fait que ce sont les soins de ville, les séances chez le généraliste, qui sont visés par cette mesure.</p>
<p>l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé <a href="https://www.irdes.fr/recherche/2023/qes-284-une-analyse-des-consommations-de-soins-de-ville-des-personnes-couvertes-par-l-aide-medicale-de-l-etat.html">IRDES</a> a comparé la consommation de soins en médecine de ville d’un échantillon de la population bénéficiaire de l’AME avec un échantillon de la population couverte par la Couverture maladie universelle complémentaire (la CMU-C, qui s’appelle aujourd’hui la <a href="https://www.ameli.fr/assure/remboursements/cmu-aides-financieres/complementaire-sante-solidaire">Complémentaire santé solidaire</a>, est destinée aux personnes à faibles revenus en situation régulière).</p>
<p>La comparaison est menée avec les mêmes caractéristiques d’âge et de sexe, les mêmes critères de revenus pour être éligibles (moins de 810 euros mensuels) et sur un panier de soins à couverture identique, ce qui exclue de l’étude les soins dentaires et d’optique qui sont moins bien pris en charge par l’AME que par la CMU-C.</p>
<p>Il en ressort que pour les deux populations, l’assurance santé permet surtout d’accéder aux généralistes avant d’arriver à l’hôpital ou aux urgences quand les choses sont aggravées, ce que précisément le projet de loi veut supprimer.</p>
<p>Il n’y a pas de surcroît de consommation de soins par les sans-papiers. En d’autres termes, les sans-papiers qui bénéficient de l’AME ne se rendent pas plus chez le médecin que les personnes en situation régulière dont la situation de vie est comparable. Ce n’est pas le titre de séjour qui dicte la consommation mais l’état de santé.</p>
<h2>Près d’une personne éligible sur deux n’a pas l’AME</h2>
<p>Le mythe de « l’appel d’air » a pourtant la vie dure. Ce serait pour séjourner à l’hôpital Avicenne de Bobigny en Seine-Saint-Denis, ou ailleurs en France, que les migrants prendraient la mer sur des canots de fortune. Ils décideraient de traverser le désert libyen, d’affronter les passeurs et de risquer leur vie pour se précipiter gaiement aux guichets de l’administration française et affronter le labyrinthe administratif décuplé par la détérioration des services publics.</p>
<p>La réalité est tout autre. Comment l’AME pourrait-elle décider des migrations alors que les migrants ne la demandent pas ? Alors même qu’ils tombent malades sur le sol français ? En effet, l’une des caractéristiques essentielles de l’AME est qu’elle fait l’objet d’un <a href="https://www.irdes.fr/recherche/enquetes/premiers-pas/note-methodologique-immigrer-pour-raisons-de-sante-enseignements-de-l-enquete-premiers-pas.pdf">non recours exceptionnel de 49 %</a>. Même après cinq années ou plus de résidence en France, <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">35 % des personnes sans titre de séjour n’ont pas l’AME</a>.</p>
<h2>Le mythe de « l’appel d’air » battu en brèche par les études scientifiques</h2>
<p>La thèse du tourisme médical ou de l’appel d’air est <a href="https://sorbonne-paris-nord.hal.science/hal-02424798/document">absurde</a>. Selon un rapport du Comede (<a href="https://www.comede.org/wp-content/uploads/2019/06/Rapport-Comede-2019.pdf">2019</a>), dans la plupart des cas (70 % pour l’ensemble des pathologies), les migrants découvrent leur maladie après leur arrivée en France. Rien dans les travaux scientifiques ne vient corroborer la thèse de l’appel d’air.</p>
<p>Aucune étude n’a montré que les migrants venaient en France pour des raisons de santé. Au contraire, la santé est une raison secondaire. <a href="https://www.srlf.org/article/suppression-laide-medicale-detat-ame">Aucune justification médicale</a> ne vient soutenir la suppression de l’AME. Les médecins y voient au contraire une atteinte à ce qui fait la fierté de leur métier. Le débat sur l’AME est exemplaire de l’impuissance des scientifiques à ébranler les spéculations des dogmatiques.</p>
<h2>Les immigrés contribuent aux budgets sociaux</h2>
<p>Alors qu’il n’y a pas de spécificité de la santé des migrants, la prise en charge de leurs soins est systématiquement agitée en problème politique distinctif. Tout ça parce que derrière la dénonciation de l’AME, c’est l’immigration qui est attaquée en brandissant une AME fantasmée alimentée par de nombreuses <a href="https://www.medecinsdumonde.org/ame-laide-medicale-detat/">désinformations listées par Médecins du monde</a>.</p>
<p>Les immigrés sont des contributeurs nets aux budgets sociaux (ils contribuent davantage qu’ils ne reçoivent de prestations sociales). Les immigrés actifs, âgés de 25 à 54 ans et représentant environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381759#tableau-figure1">50 % de la population immigrée</a> en moyenne entre 2016 et 2022, <a href="https://hal.science/hal-04065384/">ne génèrent initialement aucun coût en matière d’éducation ou de prestations sociales à leur arrivée en France</a>.</p>
<p>En bonne santé, en raison des exigences d’entrée strictes de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), <a href="https://hal.science/hal-04065384/">ces travailleurs étrangers cotisent et ont un faible impact sur les dépenses des caisses de sécurité sociale</a>. Les immigrés âgés de 55 ans et plus, représentant environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381759#tableau-figure1">30 % des immigrés</a> en moyenne entre 2016 et 2022, contribuent de manière indirecte à <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2022-4-page-529.htm">alléger les dépenses de santé en France</a>.</p>
<h2>L’AME : un problème d’intégration dans le système de santé, non d’immigration</h2>
<p>Les problèmes de l’AME ne sont pas ceux de l’immigration mais ceux de l’absence d’intégration. L’AME est un système administratif parallèle à la Sécurité sociale et un loupé de l’universalisation de la protection santé. Toute l’histoire de la sécurité sociale a consisté à permettre à tous les résidents de bénéficier de la même couverture de base.</p>
<p>En isolant les sans-papiers des autres, il devient facile de les montrer du doigt pour laisser s’exprimer le ressentiment d’une partie de la population dont les frais de santé sont en augmentation, du fait des stratégies de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/capital_sante-9782707182135">privatisation de la santé</a>.</p>
<p>L’absence de régime commun permet de sortir les personnes sans titre de séjour de la société comme s’ils n’étaient pas des égaux ou des semblables. C’est au contraire la fusion de l’AME dans le régime général de Sécurité sociale qui garantira un droit inaliénable aux soins de santé, protégeant la dignité de tout être humain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’aide médicale d’État pourrait être réformée en 2024, comme promis par l’ancienne première ministre Élisabeth Borne. Pourtant les études montrent que son coût est limité pour la Sécurité sociale.Philippe Batifoulier, Professeur d'économie / CEPN (UMR 7234 CNRS), Université Sorbonne Paris NordNader Nefzi, Post-doctorant en économie / CEPN (UMR 7234 CNRS), Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208732024-01-14T16:27:41Z2024-01-14T16:27:41ZEstimer l’âge d’un mineur par radiographie peut se révéler discriminatoire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568588/original/file-20240102-25-3ibjop.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=215%2C98%2C5775%2C3889&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Radiographie des os de la main d'un enfant</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/film-xray-normal-both-hands-child-324011912">Puwadol Jaturawutthichai/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En termes généraux, la maturité peut se définir comme le processus de croissance et de développement biologique, psychologique et émotionnel qu’une personne connaît tout au long de sa vie. Mais existe-t-il un moyen objectif de la mesurer ?</p>
<p>La réponse est oui. Parmi les procédés utilisés pour déterminer la maturité d’un individu, on trouve principalement les radiographies, qui <a href="https://bds.ict.unesp.br/index.php/cob/article/view/271">permettent d’estimer en toute sécurité</a> (<em>par exemple dans le cas des radiographies panoramiques dentaires, ndlr</em>) l’âge biologique des enfants et des adolescents. D’autres radiographies analysent <a href="https://pjms.com.pk/index.php/pjms/article/view/4295">l’aspect des différents noyaux d’ossification des os de la main</a>.</p>
<p>Grâce à cette méthode simple, les experts peuvent à la fois diagnostiquer et suivre les <a href="https://journals.lww.com/indjem/fulltext/2014/18001/hand_x_ray_in_pediatric_endocrinology__skeletal.9.aspx">troubles endocriniens et génétiques affectant la population infantile</a> et résoudre les <a href="https://cms.galenos.com.tr/Uploads/Article_41656/JCRPE-13-251-En.pdf">questions juridiques et d’asile liées à l’immigration des enfants</a>. Le fait que son utilisation soit répandue parmi les spécialistes en pédiatrie et en médecine légale est principalement due au rapport coût-bénéfice imbattable de la procédure par rapport à d’autres méthodes d’évaluation de la maturité du squelette chez les enfants.</p>
<h2>La radiographie du poignet contient beaucoup d’informations</h2>
<p>Mais que regarde-t-on exactement sur la radiographie ? Il existe deux catégories de méthodes radiologiques pour déterminer l’âge, les méthodes numériques et les méthodes qualitatives.</p>
<p>Les méthodes numériques se basent sur une radiographie du poignet et du <a href="https://www.ch-carcassonne.fr/imgfr/files/AppareilLocomoteur.pdf#page=7">carpe</a> gauche. Elles attribuent un score en fonction du degré de maturité observé en différents points d’ossification qui se développent de manière séquentielle avec l’âge.</p>
<p>Si l’on compare trois radiographies de la main, d’un enfant, d’un jeune et d’un adulte, on constate d’emblée que, dans l’enfance, les os du carpe sont loin d’avoir atteints la taille et la forme définitives qu’ils auront à l’âge adulte.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567546/original/file-20240102-19-k49eug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La radiographie des mains et des articulations du poignet gauche (vue de face) permet de calculer l’âge osseux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Suttha Burawonk/Shutterstock</span></span>
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<p>Les méthodes qualitatives reposent sur la comparaison <a href="https://content.iospress.com/articles/journal-of-intelligent-and-fuzzy-systems/ifs190779">d’une radiographie du carpe</a> ou <a href="https://www.researchgate.net/publication/258768450_Reliability_of_panoramic_radiography_in_chronological_age_estimation">d’une radiographie panoramique dentaire (<em>orthopantomographie</em>)</a> et d’une image de référence disponible dans un atlas radiologique. Cet atlas est organisé en suivant, de manière chronologique, les différents stades de développement de l’os jusqu’à sa maturité.</p>
<p>Malgré leur généralisation dans la pratique professionnelle, une <a href="https://www.mdpi.com/2075-4418/13/19/3124">étude récente</a> suggère que ces méthodes pourraient introduire des biais significatifs dans l’interprétation du résultat du test. Surtout parce qu’on génère d’importantes erreurs quand on tente d’estimer l’âge d’un enfant non caucasien en utilisant comme référence une radiographie prise sur des enfants caucasiens, une pratique qui est à la <a href="https://www.cairn.info/revue-memoires-2022-1-page-12.htm">base de toutes les méthodes actuelles de détermination de l’âge osseux</a>.</p>
<p>(<em>En France, le <a href="https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=%C3%A2ge%20osseux">dictionnaire de l’Académie de médecine</a> indique que « l’âge osseux ne correspond pas forcément à l’âge civil du patient, ni à son âge statural. Le stade de développement osseux du sujet examiné est comparé à des références élaborées à partir de radiographies d’enfants d’âge, de sexe, d’ethnie et d’origine différents », ndlr</em>).</p>
<p>De ce qui précède, on peut déduire que, si on ne tient pas compte de l’énorme diversité ethnique des mineurs qui sont présents dans notre zone géographique, le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00330-018-5792-5">calcul de l’âge biologique des enfants qui appartiennent à des ethnies non caucasiennes pourrait se révéler inexact</a>. Dans le cas particulier des enfants d’origines africaines, il a été observé que les méthodes radiologiques ont tendance à <a href="https://sajr.org.za/index.php/SAJR/article/view/1348">surestimer leur âge</a>. Dans <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S8756328223000583">toutes les études publiées à ce jour</a>, il leur est attribué un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2665910723000075">âge supérieur à leur âge chronologique</a>.</p>
<h2>Une mauvaise appréciation de leur âge peut entraîner des problèmes pour les migrants africains</h2>
<p>Le problème est encore plus prononcé lorsque ces enfants arrivent sur le sol européen dans le cadre de la crise migratoire que connaît le continent africain depuis plusieurs décennies. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Les biais d’interprétation mentionnés ci-dessus peuvent conduire les pays qui accueillent des mineurs non accompagnés, comme c’est le cas en Espagne, à limiter l’inclusion des adolescents qui n’ont pas encore atteint leur majorité dans leurs systèmes de protection de l’enfance, en les considérant comme des adultes.</p>
<p>(<em>En France, un examen radiologique ne peut constituer l’unique fondement de la détermination de l’âge d’une personne mineure. Le ministère de la justice français rappelle le <a href="https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-06/guide_euprom_2023.pdf#page=61">cadre strict dans lequel cet examen peut être pratiqué</a>, ndlr</em>).</p>
<p>Face à cette situation, les professionnels de santé impliqués à la fois dans les soins cliniques et dans la recherche doivent être clairs sur les principes éthiques qui régissent notre pratique professionnelle. Premièrement et avant tout, nous devons avertir sur le fait qu’utiliser une procédure biaisée peut conduire à une discrimination qui découlera de l’utilisation inappropriée d’informations cliniques. C’est le cas, en particulier, lorsque ces informations peuvent affecter l’accès aux politiques sociales d’accueil en lien avec la santé, l’éducation et la protection des enfants migrants.</p>
<p>De plus, nous ne pouvons ignorer que la prise de décision basée sur des tests diagnostiques qui n’ont pas encore été validés selon des critères ethniques pourrait accélérer les refus d’admission à la frontière, contrevenant ainsi au <a href="https://euaa.europa.eu/sites/default/files/Asylum-Procedures-JA-FR.pdf">principe de non-refoulement</a> promu par l’Union européenne.</p>
<p>Le respect des droits de l’homme est la base fondamentale pour tous les professionnels qui travaillent dans le réseau d’aide aux enfants migrants. Nous devons promouvoir, par le biais de la coopération technique, l’avancement des connaissances scientifiques visant à garantir, par des mesures de protection plus solides et plus fiables, l’intérêt des enfants migrants qui arrivent à nos frontières en fuyant la faim et la misère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220873/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les radiographies peuvent donner lieu à une discrimination raciale, en particulier, lorsqu’elles sont utilisées pour estimer l’âge de jeunes migrants qui sont encore mineurs.Sebastián Eustaquio Martín Pérez, Doctorate in Medical and Pharmaceutical Sciences, Development and Quality of Life, Area of Radiology and Physical Medicine, Department of Physical Medicine and Pharmacology, Universidad de La LagunaIsidro Miguel Martín Pérez, MD/PhD Candidate, Doctorate in Medical and Pharmaceutical Sciences, Development and Quality of Life, Universidad de La LagunaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203192024-01-03T17:38:56Z2024-01-03T17:38:56ZPourquoi rogner sur le droit du sol pourrait se retourner contre la société française<p>Parmi les mesures les plus symboliques de la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-immigration-souligne-de-graves-dysfonctionnements-democratiques-220301">loi immigration</a> adoptée le 19 décembre 2023, figure la fin de l’automaticité du « droit du sol ». <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/20181-nationalite-francaise-et-immigration-levolution-du-droit">Jusqu’ici</a>, un enfant né en France de deux parents étrangers obtenait automatiquement la nationalité française à ses 18 ans (s’il avait vécu en France au moins 5 ans depuis ses 11 ans et y résidait à ses 18 ans). Dorénavant, il devra engager une démarche à sa majorité pour obtenir la nationalité française.</p>
<p>Une telle mesure n’est pas inédite : elle a déjà été appliquée entre 1993 et 1998 dans le cadre de la Loi du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité – dite « <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000362019">Loi Méhaignerie ou loi Méhaignerie-Pasqua</a> ». Dans un projet de recherche en cours, nous analysons les effets qu’a eu cette dernière sur l’intégration des enfants d’immigrés.</p>
<h2>La tradition française du droit du sol</h2>
<p>La tradition française du droit du sol est unique et ancienne. Elle est <a href="https://www.dukeupress.edu/how-to-be-french">déjà répandue</a> à l’époque de la Révolution (1798-1791) lorsque le concept de nationalité et avec lui celui d’"étranger" émergent. La loi républicaine du 26 juin 1889 sur la Nationalité Française – étendant les textes de 1851 et 1874 – concède automatiquement, à l’âge de 18 ans, la citoyenneté française aux individus nés en France de parents étrangers, sous la condition de leur résidence dans le pays.</p>
<p>Si le droit du sol est en partie constitutif de l’histoire de France, il s’est renforcé au fil des années pour répondre à des impératifs démographiques et militaires, le pays se caractérisant par une faible natalité <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0014292118301041">depuis le début de sa très précoce transition démographique</a>. Si les débats politiques l’ont remis en question à de nombreuses occasions, il n’a été suspendu qu’une seule fois avant les lois Méhaignerie-Pasqua au cours du XX<sup>e</sup> siècle : <a href="https://www.dukeupress.edu/how-to-be-french">par le régime de Vichy</a> qui autorisa une commission spéciale à déchoir de nationalité les familles naturalisées.</p>
<h2>Une restriction « symbolique » du droit du sol</h2>
<p>Tout comme la nouvelle loi Immigration et Intégration, la Loi Méhaignerie-Pasqua subordonnait l’acquisition de la nationalité française pour les enfants d’immigrés nés en France à la manifestation de leur volonté de devenir français. Cette manifestation devait être déposée auprès d’un juge d’instance ou auprès d’une autorité administrative désignée par décret en Conseil d’État.</p>
<p>En pratique, on pourrait arguer que signer une manifestation de volonté pour confirmer son attachement à la France n’a qu’une portée symbolique, qu’elle ne prive en rien les enfants immigrés de seconde génération (ceux nés de parents étrangers en France) de leur droit à devenir français.</p>
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<p>Cependant, les symboles comptent. Notre projet de recherche utilise les enquêtes menées par l’Insee et l’Ined sur les trajectoires et origines des migrants en France (<a href="https://teo1.site.ined.fr">enquête TeO en 2008</a> puis <a href="https://teo.site.ined.fr">Te0 2 en 2018</a>). Il montre dans quelle mesure l’exposition à des restrictions de droits de citoyenneté en raison des origines, même symboliques, exerce ou non un effet boomerang sur l’intégration des migrants de seconde génération.</p>
<h2>Un effet « cicatrice »</h2>
<p>Dit autrement, nous tentons de déterminer si les lois Méhaignerie-Pasqua ont atteint leur objectif, celui de s’assurer que les naturalisés par le droit du sol aiment la France et veulent de la France ou si au contraire, elles ont nourri la problématique de l’intégration de ces populations.</p>
<p>Plus précisément, nous mesurons la manière dont l’exposition aux restrictions des lois Méhaignerie-Pasqua a altéré l’identité française des enfants étrangers nés en France (leur sentiment d’être français) ainsi que leur sentiment d’être discriminés et leur niveau de religiosité. Notre groupe de comparaison est celui des enfants nés de parents français qui ont vécu à la même époque.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Lorsque nous observons ces deux populations (enfants d’immigrés et enfants nés français) pour les générations qui n’ont pas été concernées par les lois Méhaignerie-Pasqua parce que nées avant 1975, nous ne pouvons pas les distinguer en termes d’identité perçue, de sentiment d’être discriminés et de pratique religieuse : elles sont statistiquement identiques. Cependant, lorsque nous comparons ces mêmes groupes pour les générations impactées par les lois Méhaignerie-Pasqua, la situation change du tout au tout. Comme le révèle le premier graphique, en 2008, 15 ans après la promulgation de la loi, le fait d’avoir eu à signer une manifestation explicite afin d’obtenir la nationalité française a exercé un « effet cicatrice » sur les migrants de seconde génération.</p>
<p><iframe id="2PIWH" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/2PIWH/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cet effet n’est pas mince : nous estimons que l’exposition aux lois Méhaignerie-Pasqua a réduit de 10 points de pourcentage la probabilité de se sentir français chez les enfants d’immigrés nés en France, comparés à leurs homologues nés de parents français.</p>
<p>La chute est encore plus forte lorsqu’on leur demande s’ils pensent être perçus comme Français. En réaction, leur sentiment religieux s’est exacerbé puisqu’ils sont plus nombreux à se déclarer comme ayant une religion, une religion importante à leurs yeux et à pratiquer les rituels alimentaires prescrits par cette dernière.</p>
<p>Il n’est pas question ici d’arguer que les populations que nous comparons sont différentes, nos résultats sont valides pour des individus partageant le même genre, le même niveau d’éducation, issus du même milieu social (le niveau d’éducation de leurs parents) et vivant dans la même région.</p>
<p>En voulant s’assurer du caractère « français » des enfants d’immigrés nés en France, les porteurs de ces lois ont alimenté les problèmes d’intégration, réels ou simplement perçus.</p>
<h2>Quelle durée de ces effets ?</h2>
<p>À quel point pouvons-nous considérer ces effets comme permanents ou semi-permanents ? Le premier et le second graphiques comparent nos résultats obtenus sur l’enquête TeO de 2008 à ceux obtenus dix ans plus tard sur l’enquête TeO 2018. Nous étudions les mêmes générations d’individus et deux faits importants émergent.</p>
<p><iframe id="PfvyS" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PfvyS/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Premièrement, les différences en termes de sentiment d’appartenance à la France et de discrimination semblent s’être réduits. Cependant, les différences entre enfants d’immigrés nés en France et enfants de parents français en termes d’attachement à leur religion et à sa pratique restent significativement importantes pour les générations impactées par la loi Méhaignerie-Pasqua. L’attachement à la religion est un trait culturel et les traits culturels s’avèrent fortement marqués par les évènements survenant <a href="https://search.worldcat.org/fr/title/192408">lors de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte</a>. Nos résultats indiquent également que, parmi les générations concernées par la loi Méhaignerie-Pasqua, les enfants nés en France de parents d’immigrés n’ont pas eu tendance à modifier leurs offre de travail ni leurs comportements de fécondité par rapport à ceux nés de parents français. Dit autrement, leur intégration économique et démographique n’a, à priori, pas été modifiée par cette loi.</p>
<h2>Quid de la loi Immigration et Intégration ?</h2>
<p>Qu’en déduire vis-à-vis de la loi Immigration de décembre 2023 ? Nos résultats suggèrent que les restrictions du droit du sol réintroduites par la France pourraient se retourner contre elle à moyen et long terme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uD5DQt7lBXw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Loi immigration, l’impossible compromis ? Public Sénat, 19 décembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Les restrictions récemment votées sont en tout point semblables à celles de la loi Méhaignerie, elles sont même plus dures : à l’époque, les enfants d’immigrés nés en France avaient six années pour manifester leur volonté d’être français (de 16 à 21 ans) ; avec cette nouvelle loi, ils auront à l’exprimer à leur majorité.</p>
<p>Les déclarations récentes du <a href="https://www.france.tv/france-5/c-a-vous/saison-15/5502186-emission-du-mercredi-20-decembre-2023.html">Président Emmanuel Macron</a> disent le but de cette disposition de la loi Immigration et Intégration. Son but est de s’assurer que les enfants d’étrangers nés en France devenant français aiment la France, s’y intègrent et s’y engagent.</p>
<h2>La rupture d’un pacte passé à la naissance</h2>
<p>Il est à parier que l’objectif ne sera pas atteint. La Loi Immigration et Intégration vient de créer une nouvelle génération ; une génération d’enfants et d’adolescents nés en France de parents étrangers, qui ont dans leur écrasante majorité suivi la loi de la République, fréquenté ses écoles et embrassé sa philosophie et ses valeurs. Une génération à qui le pays vient de dire qu’ils n’étaient pas tout à fait Français comme les autres, qu’il leur faudrait en plus de tout le reste prouver leur attachement à la France devant un juge ou une instance quelconque.</p>
<p>La question que cela pose n’est pas celle des avantages du droit du sol sur le droit du sang mais celle de la rupture d’un pacte passé à la naissance. Pouvons-nous sincèrement nous attendre à ce que ces enfants se sentent maintenant et pour demain plus français qu’avant ? Etayés par la littérature en sociologie, en études des migrations comparées, en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28303233/">sciences politiques</a>, nos résultats suggèrent que non, une telle loi alimentera au contraire, chez ces enfants, le <a href="https://www.elgaronline.com/edcollchap/edcoll/9781789903126/9781789903126.00028.xml">sentiment d’appartenir à un groupe différent</a> de celui des Français nés de parents français. Cela ne pourra que réduire l’attachement d’une nouvelle génération d’enfants de migrants à la France et à toute fin, alimenter le problème qu’une partie de la classe politique croit combattre avec cette loi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simone Moriconi est membre de l'IESEG School of Management (LEM UMR-9221), de l'Institut Convergences Migrations, et du CESifo Munich. Il a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Baudin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche. Il a été chercheur à l'Université Catholique de Louvain.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yajna Govind ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Demander aux enfants d’immigrés nés en France de prouver leur volonté d’être français ne les rendra pas plus attachés à la France comme le montrent des recherches récentes portant sur les années 90.Simone Moriconi, Full professor, IÉSEG School of ManagementThomas Baudin, Associate Professor - IESEG School of Management (LEM-CNRS 9221), IÉSEG School of ManagementYajna Govind, Assistant Professor, Copenhagen Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202952023-12-28T17:16:51Z2023-12-28T17:16:51ZMigration irrégulière et passeurs, une interaction centrale et complexe<p>Un point du texte sur l’immigration récemment voté par les parlementaires français met en place des dispositions visant à réprimer davantage les <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">passeurs</a> en criminalisant cette activité (qui était considérée comme un délit jusqu’à présent). La Commission européenne elle aussi de son côté réfléchit à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/29/la-commission-europeenne-propose-de-durcir-la-legislation-contre-les-passeurs-de-migrants_6202886_3210.html">durcir sa législation</a> en la matière, en clarifiant le périmètre des infractions et en renforçant les peines encourues.</p>
<p>Le mardi 28 novembre, Ursula von der Leyen, sa présidente, recevait les représentants d’une soixantaine de pays pour lancer une alliance mondiale pour lutter contre les passeurs. En parallèle, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_23_6708">nouveau pacte sur la migration et l’asile ce 20 décembre</a>, qui doit être promulgué en avril 2024. Mais de quoi parle-t-on exactement ?</p>
<h2>Un tournant à partir de 2014</h2>
<p>La migration irrégulière vers le Vieux Continent s’est développée depuis les années 1980. Plus encore à partir de 2014, les États membres de l’Union européenne (UE) ont enregistré une <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/smuggling_report.pdf#page=119">augmentation du nombre de migrants irréguliers</a>, arrivant du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, révèle un niveau record de <a href="https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/ARA_2022_Public_Web.pdf">1 822 000 passages illégaux en 2015</a> (passages multiples inclus), au plus fort de la crise syrienne, une baisse pendant la période de Covid-19, suivie d’une augmentation des franchissements irréguliers des frontières après 2020.</p>
<p><iframe id="QcF5S" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QcF5S/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La Commission Européenne précise que Syriens, Afghans, Tunisiens, Égyptiens et Bangladeshis représentaient <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr">60 % des 330 000 passages irréguliers des frontières en 2022</a>, alors que 15,7 % des franchissements de frontières ont été effectués par des personnes de nationalité non identifiée.</p>
<p>Selon les <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf">Nations unies</a>, il y avait en 2018 trois grandes routes migratoires vers l’Europe, toutes impliquant la traversée de la mer Méditerranée : la route de la Méditerranée centrale – de l’Afrique du Nord (principalement la Libye) à l’Italie (souvent en Sicile) ; la route de la Méditerranée orientale – de la côte turque à diverses îles grecques ; la route de la Méditerranée occidentale – du Maroc à l’Espagne. Frontex y ajoute une route d’Afrique de l’Ouest et une route terrestre des Balkans occidentaux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des routes migratoires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Frontex (2020)</span></span>
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<h2>Une étude du marché illégal des « passeurs »</h2>
<p>Quels leviers possibles pour les politiques publiques ? Pour répondre à cette question, nous avons développé une <a href="https://hal.science/hal-04316352v1">étude originale</a> du marché illégal du service de facilitation du passage des migrants clandestins. L’analyse s’intéresse essentiellement à la <a href="https://www.migrationdataportal.org/themes/forced-migration-or-displacement">migration forcée</a>, c’est-à-dire, aux migrants qui doivent quitter leur pays sous la menace pour eux ou leurs familles. Elle décrit les différentes étapes suivies par les migrants et les passeurs, depuis leur rencontre jusqu’au moment où la destination est atteinte. Une analyse en flux, dynamique, permet d’intégrer les différents risques auxquels passeurs et migrants sont confrontés en cours de route. Au cœur de notre étude se situe un <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w10655/w10655.pdf">modèle d’appariement</a> traditionnel, qui formalise le processus de rencontre entre les candidats à la migration et les passeurs.</p>
<p>Le modèle permet d’étudier les effets des politiques sur la probabilité pour un migrant de trouver un passeur, sur le prix du passage, sur le nombre de migrants déboutés qui retentent leur chance et sur le nombre de migrants qui risquent de mourir pendant le voyage. La résolution analytique est complétée par une simulation numérique.</p>
<p>Prendre en compte les diverses interactions et en particulier l’importance des flux de migrants stoppés en cours de route ou déboutés de l’asile qui retentent leur chance permet de mettre en évidence des impacts <em>a priori</em> inattendus de ces politiques. Ces politiques doivent également prendre en considération leur impact sur le bien-être de populations déjà grandement fragilisées.</p>
<h2>Pas de migration irrégulière sans passeurs</h2>
<p>Pratiquement tous les migrants qui empruntent les routes méditerranéennes dépendent des passeurs, notamment pour la traversée maritime. Un <a href="https://www.europol.europa.eu/cms/sites/default/files/documents/migrant_smuggling__europol_report_2016.pdf">rapport d’Europol</a>, rédigé immédiatement après le pic de 2015 de la migration irrégulière vers l’UE, montre que plus de 90 % des entrées de migrants ont été facilitées par des réseaux de passeurs. Les agents de Frontex ont interrogé des migrants nouvellement arrivés dans la région méditerranéenne et ont constaté que <a href="https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/Risk_Analysis_for_2019.pdf#page=9">84 % d’entre eux utilisaient les services de passeurs</a>, tandis que seulement 7 % d’entre eux sont arrivés en Europe sans leur aide. 11 700 passeurs ont été détectés chaque année en moyenne sur la période 2014-2022.</p>
<p><iframe id="rWjSH" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rWjSH/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Toujours en 2015, le chiffre d’affaires du marché européen du trafic de migrants était estimé entre 3 et 6 milliards d’euros. En 2019, le chiffre d’affaires de ce trafic sur les routes méditerranéennes seulement était estimé à environ <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2021/659450/EPRS_BRI(2021)659450_EN.pdf#page=5">190 millions d’euros</a>.</p>
<p>Sur le marché des passeurs en général, les <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf">petites entreprises et les entreprises familiales</a> côtoient des cartels criminels dotés d’une forte organisation hiérarchique. Les <a href="https://www.researchgate.net/publication/322650970_Out_of_Africa_The_organization_of_migrant_smuggling_across_the_Mediterranean">recherches ethnographiques</a>, basées sur des entretiens avec des migrants, indiquent que dans le cas de la migration irrégulière vers l’Europe, les passeurs sont largement indépendants et autonomes. Il s’agit de <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/ch18-migrant-smuggling-in-the-libyan-context.pdf">gens ordinaires</a>, vivant dans des zones frontalières le long des voies migratoires et dans des enclaves de migrants dans les villes côtières, qui se font concurrence pour fournir leurs services à un nombre limité de migrants potentiels. De nombreux passeurs sont des <a href="https://www.academia.edu/34427360/Methodological_approaches_in_human_smuggling_research_Documenting_irregular_migration_facilitation_in_the_Americas_and_the_Middle_East">anciens candidats à la migration</a> qui, une fois refoulés, utilisent leur expérience pour s’installer en tant que passeurs.</p>
<h2>Un prix négocié</h2>
<p>Sur le marché illégal du passage, passeurs et migrants se rencontrent par des canaux multiples, y compris via des annonces sur les réseaux sociaux. Ils <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf">négocient le tarif du passage en fonction des caractéristiques du voyage</a> : itinéraires, véhicules, niveau de sécurité et durée. Ces frais peuvent également varier en fonction du sexe, de l’âge et de la citoyenneté des migrants et des pays de destination.</p>
<p>Les Nations unies estimaient en 2018 que les migrants d’Afrique subsaharienne payaient environ <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf#page=60">1 000 dollars américains</a> pour être introduits clandestinement sous le pont d’un bateau reliant la Libye à l’Europe, tandis qu’un Syrien déboursait <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf#page=50">2 500 dollars américains</a> ou plus pour un siège plus sûr. Selon Frontex, les migrants qui ont atteint l’Italie depuis la Turquie ont dépensé en moyenne <a href="https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/Risk_Analysis_for_2019.pdf#page=30">5 000 euros par personne</a> pour des services de passeurs.</p>
<p>Les informations sur la manière dont les frais sont négociés ou affichés par les passeurs sont rares. D’après la Commission européenne et les Nations unies, passeurs et migrants construisent une relation d’affaires permettant la négociation du prix du passage. Plusieurs <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10610-020-09459-y">études</a> ont ainsi révélé que les passeurs ont d’importantes préoccupations en matière de réputation, ce qui les empêche d’exploiter complètement les migrants. En général, les migrants vers l’Europe paient les frais à l’avance, avec des modalités de paiement qui peuvent être relativement sophistiquées, afin d’éviter les comportements opportunistes des deux côtés du commerce. Parfois, l’accord implique un paiement fractionné, ce qui augmente le risque que le passeur ne soit pas payé.</p>
<h2>L’UE cherche à endiguer la migration irrégulière</h2>
<p>La lutte contre le trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains a été présenté comme une <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/discours-sur-letat-de-lunion-2023-de-la-presidente-von-der-leyen-2023-09-13_fr">priorité absolue</a> pour l’UE par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union 2023. Les 27 s’efforcent activement de s’attaquer aux flux de migrants irréguliers, en promouvant une stratégie européenne globale, en accélérant la gestion des demandeurs d’asile à l’intérieur des frontières de l’UE et en renforçant la coopération avec les gouvernements des pays d’origine et de transit tels que la Turquie, la Jordanie, la Tunisie ou la Libye.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1737773249000317183"}"></div></p>
<p>En 2015, l’UE a procédé à une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/MEMO_15_4544">révision complète de sa politique migratoire</a>, étudiant les ressources communes consacrées à l’amélioration de la situation des migrants ainsi qu’à la lutte contre le franchissement illégal des frontières. Dans le cadre de ce vaste ensemble de réformes, la Commission européenne a adopté un plan d’action de l’UE contre le trafic illicite de migrants visant à transformer le trafic illicite d’une activité à « profit élevé et faible risque » en une activité « à risque élevé et faible profit », tout en garantissant le plein respect et la protection des droits de l’homme des migrants. En septembre 2021, un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52021DC0591">plan d’action renouvelé</a> de l’UE contre le trafic illicite de migrants (2021-2025) a été adopté par la Commission européenne.</p>
<p>Parallèlement, en 2020, l’UE a publié un nouveau <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_1706">pacte sur l’asile et la migration</a> dans le but de renforcer la coordination et la coopération avec les pays tiers, donnant un rôle renforcé à Frontex, créant un système commun de l’UE pour les retours, nommant un nouveau coordinateur de l’UE pour les retours et mettant en œuvre une stratégie de retour volontaire et de réintégration. C’est ce Pacte qu’ont récemment adopté le Parlement et le Conseil.</p>
<h2>Augmenter le risque et diminuer le profit pour les passeurs ?</h2>
<p>L’UE dispose de différents outils pour combattre la migration irrégulière. Elle peut notamment diminuer les incitations à migrer de façon irrégulière vers l’UE en jouant sur les bénéfices anticipés par les migrants potentiels ou cibler les passeurs en rendant leur activité plus risquée. Elle peut d’abord augmenter les voies légales de la migration (en délivrant des visas spécifiques aux réfugiés). Cela entraînerait, d’après notre modèle, une hausse des flux de migrants réguliers, pratiquement compensée par une baisse des flux de migration irrégulière. On observerait également une chute du nombre de passeurs, et une hausse du bien-être des migrants.</p>
<p>Les États membres peuvent également agir sur le taux d’acceptation des demandes d’asile. Or, il faut savoir qu’une majorité des personnes déboutées du droit d’asile tentent leur chance à nouveau, faisant encore appel aux passeurs pour traverser la Méditerranée. Cela explique qu’une trop forte hausse du taux de rejet entraîne <em>in fine</em> une hausse du nombre de personnes arrivant sur les côtes européennes. Cela entraîne également une baisse du prix du passage (car les migrants savent qu’ils ont moins de chance d’obtenir le statut de réfugié), entraînant alors une diminution du nombre de passeurs.</p>
<p>Enfin, faciliter l’intégration des migrants dans le pays d’accueil a tendance à augmenter le nombre de demandeurs d’asile et de passeurs, le prix du passage et le bien-être des migrants.</p>
<p>Du côté des passeurs, augmenter le coût de leur activité ou la peine subie lorsqu’ils sont arrêtés permet de diminuer leur nombre, tout en augmentant le prix du passage. De même, diminuer les opportunités de départ des côtes africaines (en augmentant les moyens des garde-côtes par exemple) et contrôler les moyens de communication des passeurs vers les migrants entraîne une baisse des entrées irrégulières et du bien-être des migrants, mais a des impacts différents sur le nombre de passeurs et le prix du passage. Enfin, augmenter la probabilité d’arrestation des passeurs diminue le nombre de passeurs et de migrants irréguliers, augmente le prix du passage et diminue également le bien-être des migrants.</p>
<p>Dans une <a href="https://thema.u-cergy.fr/IMG/pdf/2022-05.pdf">extension de ce travail</a>, nous étudions l’impact des politiques sur les migrants économiques, sachant que la démarcation économique/forcé peut être très fine. Lorsque les migrants arbitrent entre le bénéficie de la migration et le revenu sur place, les politiques d’aide au développement peuvent jouer un rôle très utile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Naiditch a reçu des financements de l'Institut Convergences Migrations.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Charlot et Radu Vranceanu ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Plusieurs leviers d’action sont envisageables pour lutter contre les passeurs et la migration irrégulière, avec des effets différenciés, comme le montre un modèle d’appariement.Claire Naiditch, Maître de conférences en économie, Université de LilleOlivier Charlot, Professor in Economics, CY Cergy Paris UniversitéRadu Vranceanu, Professeur d'économie, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2193762023-12-21T17:37:30Z2023-12-21T17:37:30ZÀ quand une vraie politique d’asile pour le Maroc ?<p>Alors que le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations unies a annoncé en septembre dernier que <a href="https://reliefweb.int/report/morocco/unhcr-maroc-fact-sheet-septembre-2023">plus de 10 200 réfugiés se trouvaient actuellement au Maroc</a>, Rabat n’a toujours pas adopté la politique d’asile annoncée il y a dix ans.</p>
<p>En septembre 2013, le roi a lancé le chantier d’un droit d’asile qui devait passer par l’élaboration d’une loi et l’appropriation d’une procédure de reconnaissance des réfugiés jusqu’ici laissée au HCR. Cette initiative a été <a href="https://journals.openedition.org/revdh/17310">suivie d’avancées significatives et de projets de loi</a>, avant de s’essouffler, tandis que le nombre de réfugiés dans le pays ne cessait de croître.</p>
<h2>L’absence d’asile dans les pays « arabes »</h2>
<p>Le Maroc est un pays africain et arabe. En matière d’asile, il entre davantage dans la deuxième catégorie. Tandis que la plupart des pays africains du sud du Sahara sont dotés de lois sur les réfugiés et ont élaboré leurs propres procédures, le Maroc demeure à ce jour, comme l’ensemble des pays de la région dite « MENA » (Middle East and North Africa), dépourvu de cadre ou de politique d’asile.</p>
<p>En dépit d’un décret adopté en 1957 « fixant les modalités d’application de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 » et créant le Bureau des réfugiés et apatrides, le Maroc ne s’est jamais doté d’une législation et d’une procédure d’asile proprement dites.</p>
<p>Depuis une soixantaine d’années, le HCR se charge de la <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/nos-activites/proteger-les-droits-humains/protection/determination-du-statut-de-refugie">détermination du statut de réfugié</a> et de l’accès aux droits, en collaboration avec des associations locales, mais <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/actualites/points-de-presse/le-hcr-va-signer-un-accord-de-siege-avec-le-gouvernement-marocain">l’accord de siège avec le Maroc</a>, officialisant ce rôle, n’a été conclu qu’en 2007.</p>
<h2>La mise à l’agenda politique de l’asile</h2>
<p>La question de l’asile s’invite au Maroc au début des années 2000, sous l’effet conjugué d’une <a href="https://www.cairn.info/le-maghreb-a-l-epreuve-des-migrations--9782811101640.htm">augmentation de la présence étrangère</a>, y compris en besoin de protection, et d’une <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/398?lang=en">politique du HCR et de l’Union européenne</a> visant l’adoption de politiques d’asile dans l’ensemble du Maghreb. L’Europe cherche alors à « externaliser » le contrôle des frontières et à obtenir la contribution des pays maghrébins au maintien des réfugiés et demandeurs d’asile en amont de la Méditerranée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MSx-n99qTaw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le nombre de réfugiés connaît une forte progression en 2005-2006. De manière générale, la présence étrangère augmente au cours de ces années, sous l’effet notamment des <a href="https://algeria-watch.org/?p=5174">difficultés accrues</a> pour se rendre légalement en Europe. On décompte environ 1 800 demandes d’asile entre début 2005 et mi-2006.</p>
<p>Ce n’est qu’en 2013 que le processus d’élaboration d’un droit d’asile est lancé. L’initiative du roi pour une « Nouvelle politique d’immigration et d’asile » (NPIA) suit les <a href="https://www.cndh.org.ma/fr/rapports-thematiques/conclusions-et-recommandations-du-rapport-etrangers-et-droits-de-lhomme-au">recommandations du Conseil national des droits de l’homme</a> (CNDH). Elle s’inscrit dans une concordance d’intérêts « post- <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01024402">mouvement du 20 février 2011 »</a>. Ce mouvement, qui s’inscrivait dans la vague de contestations et révolutions qualifiée de « printemps arabe », a été suivi de l’adoption d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2012-3-page-511.htm">nouvelle Constitution</a>, d’élections et de plusieurs projets de réformes. Parmi ceux-ci, le projet de « NPIA » nourrit une réaffirmation de la politique africaine du Maroc, répond aux demandes de la société civile ainsi qu’aux attentes de l’UE et des instances internationales, et est aussi un <a href="https://www.jeuneafrique.com/168616/politique/maroc-mohammed-vi-appuie-le-cndh-dans-la-d-fense-des-droits-des-migrants/">pied de nez au gouvernement Benkirane</a> de l’époque, qui défendait le bilan de sa politique.</p>
<h2>L’enthousiasme des premiers pas</h2>
<p>Les <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2019/01/Politique-Nationale-dimmigration-et-dAsile-_-Rapport-2018.pdf">Orientations royales du 6 novembre 2013</a> visent à « élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions de l’immigration et de l’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés ». Le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger est réorganisé et élargi aux « Affaires de la migration » pour inclure l’immigration. Il est confié à Anis Birou, qui demeure à ce poste jusqu’au 5 avril 2017 et porte les projets de réforme avec conviction. </p>
<p>La conjugaison de dynamiques personnelles et collectives aboutit à un tournant remarquable sur le plan formel et celui des pratiques. Une amélioration des droits des étrangers est <a href="https://www.libe.ma/Droit-des-etrangers-au-Maroc-Un-vide-juridique-qui-ne-dit-pas-son-nom_a114037.html">clairement observée</a>. La NPIA est d’abord constituée d’un chantier législatif, avec l’ambition d’adopter une loi contre la traite des personnes, une loi sur l’immigration et une loi sur l’asile. Un avant-projet de loi sur l’asile est proposé dès le 13 mars 2014. Finalement, seule la loi contre la traite des êtres humains est <a href="https://aujourdhui.ma/actualite/les-deputes-adoptent-la-loi-sur-la-traite-des-etres-humains">adoptée, en 2016</a>.</p>
<p>En septembre 2013, le Bureau des réfugiés et apatrides (BRA) est rouvert et une commission en charge de la régularisation des réfugiés reconnus par le HCR est créée. Le HCR continue à effectuer la détermination du statut de réfugiés, qui doit ensuite être confirmée par le BRA. Le BRA doit donc auditionner les réfugiés reconnus comme tels par le HCR et, lorsque leur statut est confirmé, délivre la carte de réfugié, qui permet d’accéder à la carte de séjour et aux droits afférents. Il est prévu qu’une fois la loi sur l’asile adoptée, l’ensemble de ces responsabilités seront transférées aux autorités marocaines. Lors des premières phases de régularisation, en 2013 et 2014, toutes les personnes auditionnées par le BRA sont régularisées. Ce sont principalement des Ivoiriens, des Congolais et des Irakiens. Le 24 décembre 2013, les premières cartes de réfugié et de séjour sont délivrées.</p>
<p>En 2014 est aussi menée une campagne de régularisation administrative des étrangers en situation irrégulière. Une <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/operations-de-regularisation/">suite favorable est donnée à 83,53 % des 27 649 demandes déposées</a>. Certains demandeurs d’asile, notamment syriens, en bénéficient du fait des réticences du BRA à leur reconnaître le statut de réfugié. La même année, la <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/wp-content/uploads/2018/02/Strate%CC%81gie-Nationale-dimmigration-et-dAsile-ilovepdf-compressed.pdf">Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA)</a> est lancée, qui vise l’accès aux droits, notamment à la santé, à l’éducation et au logement, pour les personnes régularisées, y compris les réfugiés. Une seconde campagne de régularisation des étrangers se déroule de 2016 à 2017.</p>
<h2>L’essoufflement</h2>
<p>Le 9 décembre 2015, le projet de loi sur l’asile est programmé pour passer en conseil de gouvernement. Il en est retiré le jour même. On se situe alors en pleine « crise migratoire » en Europe. Rabat, à l’instar de son voisin algérien et de l’UE, impose un visa d’entrée aux Syriens – comme aux ressortissants de la plupart des pays sources de réfugiés (Libye, Yémen, Soudan, Érythrée, Éthiopie, Cameroun, Centrafrique…), ce qui est un moyen d’empêcher leurs arrivées régulières.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/discours-integral-de-sm-le-roi-loccasion-du-62e-anniversaire-de-la-revolution-du">discours du 20 août 2015</a>, le roi avait en quelque sorte distingué asile et hospitalité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Maroc restera comme toujours une terre d’accueil pour ses hôtes qui s’y rendent dans la légalité. Le Maroc ne sera jamais une terre d’asile. »</p>
</blockquote>
<p>Un second projet de loi est néanmoins <a href="https://lematin.ma/journal/2019/on-oublie-qu-loi-lasile-aidera-maroc-controler-lentree-sejour-territoire/317974.html">soumis au conseil de gouvernement en septembre 2018</a>. Avec l’organisation les 10-11 décembre de cette même année du sommet de Marrakech de l’ONU qui aboutit à la signature du <a href="https://www.ohchr.org/fr/migration/global-compact-safe-orderly-and-regular-migration-gcm">« Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières »</a>, dit Pacte de Marrakech, dans un contexte où le Maroc se voit de nouveau <a href="https://www.gadem-asso.org/couts-et-blessures/">critiqué pour le non-respect</a> des droits des migrants, plusieurs voix pronostiquent l’adoption prochaine du projet de loi sur l’asile, qui viendrait rappeler, comme en 2014, que le Maroc peut être un modèle dans la région. L’année 2017 avait d’ailleurs été marquée par le retour du royaume dans l’Union africaine (UA), laquelle l’avait nommé <a href="https://aujourdhui.ma/societe/le-maroc-leader-de-lunion-africaine-sur-la-question-de-la-migration">« leader sur la question des migrations »</a>. </p>
<p>Cependant, le Pacte de Marrakech n’est pas accompagné de l’adoption de la loi sur l’asile. <a href="https://marocainsdumonde.gov.ma/ewhatisi/2021/10/Rapport-2020-5-10-VF.pdf">Une version actualisée, présentée en 2019</a> au conseil de gouvernement, se perd dans les couloirs ministériels où un projet serait de nouveau discuté de manière discrète depuis 2022. En parallèle, le BRA, qui avait suspendu ses travaux à plusieurs reprises – en mars 2015 pour six mois, entre mars 2017 et décembre 2018, de nouveau en 2020 avec la crise sanitaire – les a repris en 2022, mais à un rythme très faible. En conséquence, moins de la moitié des réfugiés auraient des documents de résidence valide.</p>
<p>Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un essoufflement de la SNIA et des reculs en matière de respect des droits des étrangers, visibles dès 2017. Le ministère des Marocains résidant à l’étranger perd d’ailleurs de nouveau toute référence à l’immigration et redevient délégué (auprès du ministre des Affaires étrangères). Fin 2018, malgré les régularisations, seuls environ 1 000 étrangers bénéficiaient de la SNIA du fait des problèmes d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour des régularisés et des fermetures du BRA. Les relations entre le HCR et le gouvernement marocain sont par ailleurs compliquées, parfois tendues, depuis lors.</p>
<h2>La situation actuelle de l’asile</h2>
<p>Après une augmentation du nombre de réfugiés à partir de 2015, du fait des guerres en Syrie et au Yémen, une progression est encore observée en 2018. Au 1<sup>er</sup> octobre, le HCR dénombre 5 353 réfugiés et 1 985 demandeurs d’asile, principalement de Syrie mais aussi du Yémen, du Cameroun, de Côte d’Ivoire et de Guinée. Du fait des suspensions d’activité du BRA, beaucoup de réfugiés n’ont plus accès à l’emploi et décident de quitter le pays pour se rendre en Europe – le taux de départ est évalué par le HCR à environ 30 % des personnes sous son mandat. Des personnes dotées d’un document HCR se font arrêter lors de tentatives de passage vers l’Europe, ce qui réactive, chez les policiers, la suspicion de fraude aux documents : tandis que les refoulements de personnes disposant d’une attestation du HCR – devant donc être protégées du refoulement – avaient cessé ces dernières années, ils <a href="https://gallery.mailchimp.com/66ce6606f50d8fd7c68729b94/files/3690d5cc-2b47-404c-a43d-ca0beeb7e383/20181011_GADEM_Note_Expulsion_gratuite_VF.pdf">reprennent</a>. </p>
<p>En septembre 2020, le HCR dénombre 7 561 réfugiés reconnus de son côté, dont la majorité est syrienne. Le nombre de personnes en recherche de protection poursuit ensuite sa progression. Au 30 juin 2022, 19 278 personnes sont recensées, partagées de manière quasiment égale entre réfugiés et demandeurs d’asile. Elles proviennent principalement de Syrie (5 251), de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Yémen, du Cameroun, de Centrafrique mais aussi désormais du Soudan.</p>
<p>L’augmentation de la présence des Soudanais est flagrante dès 2021, liée sans doute à la situation dramatique en Libye où se rendaient la plupart d’entre eux, et d’où certains partaient pour l’Europe. Les Sud-Soudanais font partie des nationalités bénéficiant d’une <a href="https://emergency.unhcr.org/fr/protection/cadre-juridique/la-reconnaissance-prima-facie-du-statut-de-r%C3%A9fugi%C3%A9">reconnaissance « prima facie »</a> de leur statut de réfugié par le HCR (s’ils bénéficient de papiers d’identité, ce qui est rarement le cas), aux côtés des Syriens, des Yéménites, des Centrafricains et des Palestiniens, pour faciliter leur accès à la protection dès l’enregistrement. Les autres nationalités suivent la procédure normale. En juin 2022, la Côte d’Ivoire est retirée de la liste des pays à risque ; la part de ses ressortissants au Maric diminue donc depuis, les Ivoiriens sachant qu’ils sont moins susceptibles qu’auparavant d’obtenir le statut de réfugié. </p>
<p>Aujourd’hui, le Maroc continue à jouer la <a href="https://www.maroc.ma/fr/actualites/sommet-de-lua-les-efforts-de-sa-majeste-le-roi-en-matiere-de-la-migration-mis-en-exergue">carte migratoire dans le cadre de sa diplomatie africaine</a> en promouvant un « Agenda africain sur la migration », mais plus personne ne porte la politique d’asile et d’immigration sur le plan national. Il semble que le projet royal de 2013 ait répondu à une coïncidence d’intérêts et d’ambitions à une période donnée, ce qui expliquerait l’essoufflement constaté dès 2018.</p>
<p>Sur le plan interne, une approche plus pragmatique pourrait être adoptée concernant les moyens de la politique d’asile. Le HCR offre beaucoup aux réfugiés (aide au logement, frais médicaux, allocation éducation notamment). C’est davantage que ce que l’État marocain procure aux étrangers, en dépit de certains progrès, par exemple dans l’accès à l’éducation et à la santé. Avec l’adoption de la loi viendra le temps des décrets d’application, de la mise en œuvre, du budget, de la question des coûts et des calculs ; la peur éventuelle, aussi, que la nouvelle loi provoque un appel d’air.</p>
<p>Plus qu’un aboutissement, la loi à venir constituerait le nouveau point de départ d’un processus encore long de débats, de discussions et de tâtonnements sur la voie de la fabrique de l’asile. La question de l’asile et de la migration reste un dossier sensible, partagé entre plusieurs compétences ministérielles, ce qui fait ressortir les tensions. La variation des contenus des projets de loi et le silence autour de leur (non) adoption reflètent le caractère hautement complexe de ce sujet.</p>
<p>Pourtant, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile demeure relativement faible et l’adoption d’une politique d’asile nationale permettrait au Maroc de maîtriser son évolution plutôt que de la subir. Elle ajouterait aussi à la sincérité de l’action du <a href="https://newsbeezer.com/maroc/le-matin-le-31e-sommet-de-lua-adopte-la-creation-de-lobservatoire-africain-des-migrations-au-maroc/">« leader de l’UA sur la question des migrations »</a>.</p>
<p>À l’heure où des voix appellent à l’adoption d’une <a href="https://medias24.com/2023/11/25/le-gadem-appelle-a-la-reforme-de-la-loi-n02-03/">nouvelle loi sur l’immigration</a>, on peut s’interroger sur le maintien de l’engagement marocain au regard du processus lancé il y a dix ans. Le Maroc peut-il encore s’afficher en modèle au sein de l’Afrique et mobiliser la même rhétorique alors que les droits sont clairement en recul depuis ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Perrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dix ans après le lancement de la « Nouvelle politique d’immigration et d’asile », le Maroc va-t-il enfin adopter sa loi sur l’asile ?Delphine Perrin, Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199802023-12-20T19:59:09Z2023-12-20T19:59:09ZPourquoi les travailleurs immigrés sont-ils surreprésentés dans les secteurs « essentiels » ?<p>Parmi les nombreuses questions soulevées par le projet de loi immigration du gouvernement, l’emploi des travailleurs étrangers en situation irrégulière a fait l’objet de débats animés, y compris au sein des institutions. Le Sénat a ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/08/loi-immigration-le-senat-supprime-la-mesure-du-gouvernement-sur-les-metiers-en-tension_6199048_823448.html">rejeté une proposition visant à pérenniser l’emploi des travailleurs immigrés sans papiers</a> via l’octroi de cartes de séjours d’un an dans les secteurs particulièrement touchés par une <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/les-tensions-sur-le-marche-du-travail-en-2022">pénurie de main-d’œuvre</a>. L’Assemblée nationale avait ensuite réinscrit l’article dans le projet de loi avant que la <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-ce-que-contient-le-texte-negocie-entre-la-majorite-presidentielle-et-la-droite-largement-durci-par-rapport-a-la-version-initiale_6251754.html">commission mixte paritaire n’opte pour une version durcie du texte</a> : le préfet du territoire concerné aurait, selon la version adoptée par les deux chambres le mardi 19 décembre au soir, toute latitude pour octroyer ou non les titres en question.</p>
<p>Il y a trois ans, la pandémie de Covid-19 soulignait déjà l’importance des travailleurs immigrés dans les <a href="https://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&furtherNews=yes&newsId=9630">secteurs dits « essentiels »</a>, au sens de la terminologie européenne, tels que la santé, les transports, ou l’agriculture, indispensable à la résilience des économies. En France, selon une analyse du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (<a href="https://theconversation.com/institutions/cepii-2912">CEPII</a>), certains métiers essentiels sont en effet très dépendants de la main-d’œuvre immigrée : c’est le cas des agents de propreté et des aides à domicile, mais aussi des médecins hospitaliers.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>À l’échelle de l’Union européenne (UE), la France ne constitue pas une exception. Un an avant le début de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, les travailleurs nés à l’étranger, et en particulier les immigrés extracommunautaires, étaient en proportion <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/00197939231173676">plus nombreux à travailler dans les métiers essentiels</a> que les natifs dans la plupart des pays de l’UE.</p>
<p>Dans une étude en cours, nous explorons des facteurs qui permettent d’expliquer cette surreprésentation.</p>
<h2>Des disparités à profil équivalent</h2>
<p>Nous avons tout d’abord comparé la probabilité d’exercer un emploi dans les secteurs essentiels pour des travailleurs natifs et immigrés en tenant compte de plusieurs caractéristiques observables telles que l’âge, le genre, l’expérience professionnelle, le niveau d’éducation et le statut matrimonial. Ces facteurs permettent-ils d’expliquer les différences observées ?</p>
<p>Nos résultats montrent qu’à profil équivalent, les disparités entre immigrés et natifs sont encore largement visibles. Dans près de deux tiers des pays de l’UE la probabilité de travailler dans les secteurs essentiels est plus élevée pour les immigrés que pour les natifs. Cela vaut particulièrement pour l’Italie, le Royaume-Uni (inclus dans notre étude de même que la Suisse et la Norvège) et dans les pays nordiques. Cette probabilité est supérieure de 5 % pour un travailleur immigré en France, et grimpe jusqu’à 12 % en Suède. Le Luxembourg, où cette différence est négative, fait figure d’exception.</p>
<p><iframe id="mTwaJ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/mTwaJ/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Lorsqu’on s’intéresse aux emplois peu qualifiés dans les secteurs essentiels (<a href="https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/Covid-19-and-key-workers-what-role-do-migrants-play-in-your-region-42847cb9/">au sens de l’OCDE</a>), l’écart s’avère encore plus marqué. Les immigrés sont par exemple surreprésentés dans le secteur du nettoyage dans trois quarts des pays de l’étude. Dans d’autres secteurs essentiels comme les transports ou la santé, cette différence est moins marquée mais les immigrés restent surreprésentés dans la moitié des pays, notamment au Royaume-Uni, au Danemark, en Allemagne, en Italie et en Suède.</p>
<p><iframe id="l3yhk" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/l3yhk/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Si les caractéristiques individuelles ne suffisent pas à expliquer cette surreprésentation, quelles sont les raisons qui conduisent les immigrés à occuper des emplois peu qualifiés dans les secteurs essentiels ? Une des explications plausibles tient dans le désavantage structurel des immigrés sur le marché du travail en raison des obstacles institutionnels, linguistiques, juridiques, ou discriminatoires qu’ils peuvent rencontrer.</p>
<h2>Ceux qui ont émigré à l’âge adulte</h2>
<p>Notre étude analyse ainsi la manière dont la surreprésentation des travailleurs nés à l’étranger évolue en fonction de caractéristiques propres aux immigrés et susceptibles d’influencer leur intégration économique.</p>
<p>D’une part, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0927537122000719">l’âge auquel les travailleurs nés à l’étranger ont émigré</a> est largement corrélé avec leur taux d’emploi. Les immigrés qui émigrent plus jeunes dans leur pays d’accueil bénéficient pour la plupart d’un avantage comparatif dans l’apprentissage de la langue du pays d’accueil et d’un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0014292119300200">bagage culturel et éducatif plus adapté</a> à leur insertion dans le marché du travail.</p>
<p><iframe id="ADrd6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ADrd6/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À l’exception du Danemark, du Royaume-Uni et de la Suède, nos résultats indiquent que la surreprésentation des immigrés dans les secteurs essentiels touche ainsi exclusivement les immigrés qui ont émigré dans leur pays d’accueil après l’âge de 15 ans.</p>
<h2>Des différences selon les lieux de naissance et d’étude</h2>
<p>On sait également que l’éducation et l’expérience professionnelle acquises à l’étranger restent <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/209957">moins valorisées que celles obtenues dans le pays d’accueil</a>. Les immigrés formés à l’étranger ont ainsi <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/1293de83-en/index.html?itemId=/content/component/1293de83-en">plus de risques</a> de se retrouver au chômage ou d’occuper un emploi pour lequel ils sont surqualifiés que les immigrés titulaires d’un diplôme obtenu dans leur pays d’accueil.</p>
<p>À profil équivalent, on n’observe ainsi aucune différence entre les travailleurs nés à l’étranger qui possèdent un diplôme obtenu en Belgique, en France, en Espagne, en Autriche et en Suisse, par rapport aux travailleurs natifs de ces pays. À l’inverse leurs homologues titulaires de diplômes étrangers ont une probabilité beaucoup plus forte de travailler dans les secteurs essentiels.</p>
<p><iframe id="9s57N" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9s57N/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Enfin, les immigrés originaires de pays membres de l’Union européenne occupent sur le marché de l’emploi des autres pays membres de l’UE des postes assez similaires à ceux des natifs, tandis que les perspectives d’emploi des immigrés extracommunautaires apparaissent <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.35.2.49">nettement inférieures</a>. Cela tient notamment à la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214658X1630006X">discrimination raciale et ethnique</a> dont ils sont victimes et à un statut légal défavorable.</p>
<p>Dans notre étude, le lieu de naissance semble ainsi importer autant que celui de l’obtention du diplôme : la probabilité qu’un immigré né dans un pays de l’UE travaille dans un secteur essentiel est identique à celle d’un natif en Belgique, en Espagne, en Irlande et en Norvège. Elle est plus élevée mais reste nettement inférieure à celle des immigrés extracommunautaires au Royaume-Uni, en Suède, au Danemark et en Allemagne.</p>
<h2>Et le texte de loi dans tout cela ?</h2>
<p>Des analyses complémentaires confortent l’hypothèse selon laquelle la surreprésentation des immigrés dans les secteurs essentiels découlerait de la position moins favorable de ces derniers sur le marché du travail.</p>
<p>Cette surreprésentation s’observe ainsi davantage dans les pays où les secteurs essentiels se distinguent par rapport au reste de l’économie nationale par une demande de main-d’œuvre accrue, un nombre significatif d’employés à temps partiel, une recherche active d’emploi, un sentiment élevé de surqualification et un statut professionnel faible, et lorsque la proportion d’employés percevant un salaire inférieur à la médiane de la distribution des revenus y est particulièrement élevée.</p>
<p>Face aux écueils que nous avons identifiés, pénalisant à la fois les pays d’accueil, qui se privent des compétences réelles des immigrés présents sur leur territoire, et les travailleurs immigrés eux-mêmes, la régularisation des travailleurs étrangers en situation irrégulière, envisagée dans la première mouture du projet de loi du gouvernement, n’aurait eu que peu de chances de faire évoluer la situation.</p>
<p>À l’inverse, l’ouverture du statut de fonctionnaires aux non-Européens – comme le propose le <a href="https://www.sens-du-service-public.fr/communiques">collectif de fonctionnaires Le Sens du service public</a> – pourrait par exemple permettre d’améliorer la mobilité professionnelle des travailleurs extracommunautaires et leur insertion sur le marché du travail, avec des bénéfices économiques pour l’ensemble des parties concernées. Une alternative qui semble toutefois hautement improbable après le vote définif du projet de loi immigration par le Parlement mardi 19 décembre.</p>
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<p><em><a href="https://nikolajbroberg.org/">Nikolaj Broberg</a>, économiste et analyste à la Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE est co-auteur de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Gonnot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La surreprésentation des immigrés dans les secteurs essentiels, point sensible des débats sur la loi immigration, ne s'explique ni par leur situation familiale ni par leur niveau de qualification.Jérôme Gonnot, Maître de conférences en économie à l’Université catholique de Lille-Espol, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200182023-12-20T19:57:51Z2023-12-20T19:57:51ZLa gauche peut-elle encore exister dans le débat sur l’immigration ?<p>Alors que la Macronie a <a href="https://lcp.fr/actualites/projet-de-loi-immigration-les-principales-mesures-issues-de-la-cmp-248673">multiplié les concessions sur sa droite</a> pour finalement obtenir le vote de son projet de loi sur l’immigration, la gauche n’est pas parvenue à faire entendre sa voix. </p>
<p>Pourtant, le 4 décembre dernier, le parti Génération·s conviait socialistes, communistes, insoumis et écologistes à une « <a href="https://x.com/GenerationsMvt/status/1729889002344661392?s=20">Soirée de la fraternité</a> ». Elle visait à fédérer contre le projet de loi <a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">« immigration »</a> et l’emprise des idées d’extrême droite sur le débat public. </p>
<p>Trois jours plus tard, la gauche, sans Jean-Luc Mélenchon et ses proches, tenait un nouveau meeting à Saint-Ouen pour apparaître dans un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">débat saturé des voix de la droite et de l’extrême droite</a>. </p>
<p>À travers la capacité de la gauche à opposer sa vision sur l’immigration, se joue, plus largement, son aptitude à produire de nouvelles idées et à les diffuser dans la société.</p>
<h2>Le rapport à l’altérité</h2>
<p>Si le projet de loi <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/11/loi-immigration-rejetee-a-l-assemblee-les-differentes-options-dont-dispose-le-gouvernement_6205231_823448.html">« immigration »</a> a suscité tant de discussions passionnées, c’est qu’il <a href="https://theconversation.com/comment-la-double-peine-du-projet-de-loi-immigration-renforce-la-confusion-des-pouvoirs-219578">convoque de nombreux enjeux</a> au-delà de la seule question des entrées et sorties de personnes étrangères. Derrière le masque de l’immigration, se discutent le rapport de la société à l’altérité et le statut à reconnaître à la diversité culturelle.</p>
<p>Ce thème a resurgi cet été avec les révoltes populaires suite <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-de-nahel-la-version-policiere-encore-mise-a-mal-par-un-rapport-de-ligpn-et-de-nouvelles-auditions-20231220_LUXTBYT57RAUXAYASD74ZBNWOM/">au décès par tir policier de Nahel à Nanterre</a>, puis avec l’attentat terroriste d’Arras. Comme lors des <a href="https://www.cairn.info/quand-les-banlieues-brulent--9782707152176.htm">« émeutes » de 2005</a>, à chacune de ces séquences, c’est moins l’immigration qui est en question que le rapport identité-égalité et les conditions sociales d’une société apaisée.</p>
<p>En brandissant le risque d’un « grand-remplacement », la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/02/14/valerie-pecresse-se-defend-de-son-utilisation-du-terme-complotiste-du-grand-remplacement-au-cours-de-son-meeting-a-paris_6113617_6059010.html">droite et l’extrême droite</a> ont engagé une offensive liant l’immigration, la diversité culturelle et le destin collectif de la France. Accusée de naïveté ou de laxisme, la gauche ne parvient pas à opposer un contre-discours, ni à adopter une position clairement identifiable.</p>
<h2>Gauche et immigration : distance et défiance</h2>
<p>Pour comprendre les raisons de ces difficultés, il importe de revenir sur l’histoire récente de la relation entre la gauche et l’immigration. Dans les années 1970, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070411955-la-france-et-ses-etrangers-l-aventure-d-une-politique-de-l-immigration-de-1938-a-nos-jours-patrick-weil/">l’immigration devient un « objet social »</a>, en raison de la présence des immigrés dans l’industrie française et de la grande précarité dans laquelle ils vivent, dans les foyers ou dans les cités de transit. Alors que le gouvernement prend une série de mesures restrictives en <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2008-2-page-69.htm">matière d’immigration</a>, les <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2002-2-page-3.htm">mouvements sociaux « immigrés » se structurent</a>, souvent avec le soutien d’organisations syndicales ou associatives de gauche.</p>
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<p>Dans le même temps, les partis de gauche expriment déjà des visions différentes. Le Parti communiste soutient l’arrêt de l’immigration, et, tout en affirmant la solidarité de classe entre travailleurs, <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2001-4-page-150.htm">déplore la concentration d’immigrés dans les communes qu’il gère</a>. Si une partie des socialistes partage cette attitude, le PS cherche également à mobiliser les mouvements de solidarité et les militants, notamment de classes moyennes, engagés dans l’anticolonialisme, le tiers-mondisme et les différentes luttes de l’immigration. Avec la <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00140/declaration-de-francois-mitterrand-sur-la-rupture-de-l-union-de-la-gauche.html">rupture de l’Union de la gauche en 1977</a>, les tensions entre les deux partis de gauche sur l’immigration s’accroissent. À la veille de l’élection de 1981, les socialistes accusent les communistes de diviser la classe ouvrière et de faire le jeu de la droite. Dans une déclaration du 11 février 1981, le Bureau exécutif du PS affirme ainsi au sujet de la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/03/la-mise-a-sac-du-foyer-des-immigres-de-vitry-sur-seine-et-ses-prolongements-l-association-gestionnaire-estime-a-300-000-francs-au-moins-les-degats-causes-au-batiment-mis-a-sac-dans_3041436_1819218.html">destruction d’un foyer de travailleurs immigrés</a> par la municipalité communiste de Vitry-sur-Seine :</p>
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<p>« La situation est grave et il n’est pas acceptable de se tromper d’adversaire en s’attaquant, comme le fait la direction du Parti communiste, aux conséquences de la politique du pouvoir et non aux causes ».</p>
</blockquote>
<h2>Une position héritée des années 1980</h2>
<p>La question de l’immigration en politique connaît ensuite un véritable tournant durant les années 1980. Aux élections municipales de 1983, puis aux élections européennes de 1984, le Front National constate ses premiers succès. Très majoritairement, la gauche prend conscience des effets électoraux de ce thème et craint ses répercussions auprès des classes populaires, particulièrement dans les territoires les plus durement touchés par la crise économique (comme en région parisienne ou dans le Nord). </p>
<p>Au plan national, si la gauche tente de faire porter à la droite les stigmates de l’extrême droite, elle déplore également rapidement l’exploitation politique de ce thème par ses adversaires.</p>
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<p>Certes, le gouvernement socialiste engage momentanément une politique culturelle valorisant la <a href="https://www.cairn.info/dire-la-france--9782724619454.htm">France plurielle</a> et soutient SOS-Racisme. Cependant, la gauche adopte rapidement une stratégie de neutralisation à deux volets. D’une part, il s’agit d’éviter que les questions culturelles liées aux immigrés ou à leurs descendants, jugées favorables à la droite, ne constituent un enjeu d’opposition politique entre la droite et la gauche. </p>
<p>D’autre part, il s’agit de reformuler ce thème à partir de la question sociale, en insistant sur le logement, l’éducation, l’emploi et la redistribution. Ces deux dimensions aboutissent, à la fin des années 1980, au paradigme de l’intégration, conciliant <a href="https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/differences.htm">« indifférence aux différences »</a> et primauté de l’action sociale. Depuis lors, la position de la gauche n’a guère changé, continuant de considérer que l’immigration est avant tout un thème qui profite à la droite et répliquant sa crainte de le voir se constituer en enjeu politique de premier plan.</p>
<h2>Un thème source de fractures</h2>
<p>Au-delà de son analyse électorale, la difficulté de la gauche à produire des réflexions collectives en matière d’immigration s’explique par l’existence de profondes divisions. Les enjeux que contient ce thème ne recoupent qu’imparfaitement le clivage de classe qui oppose traditionnellement la droite et la gauche. À l’inverse, ils traversent ces familles politiques en leur sein.</p>
<p>La gauche voit s’opposer plusieurs visions. D’un côté, les partisans de la cause des immigrés insistent sur la défense des droits humains, l’antiracisme puis la lutte contre les discriminations et l’islamophobie. Dès les années 1980, certains y voient même de nouvelles bases pour réunir la gauche au moment où le « tournant de la rigueur » rend les questions économiques plus clivantes.</p>
<p>D’un autre côté, se réclamant du « réalisme » face à la naïveté des « droits-de-l’hommiste », une autre partie de la gauche craint que cet engagement ne favorise la droite. Elle défend une grande fermeté en matière migratoire et un renvoi des identités particulières à la sphère privée.</p>
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<p>Présente dès les années 1980, cette opposition est maximisée <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-gauche-qui-vient-place-a-la-republique/">à la fin des années 2000 et durant les années 2010</a>. La crise financière de 2008 constitue un premier tournant. Elle scinde l’aile libérale de la gauche : d’un côté, les partisans d’une refondation de l’identité sociale-démocrate autour de la « diversité » et de la lutte contre les discriminations ; de l’autre, les adeptes d’une position « national-libérale » articulant « politique de marché et valorisation identitaire de la nation ». </p>
<p>Les attentats terroristes de 2015 marquent un second tournant. La ligne « national-libérale » gagne en importance et tente de recomposer l’opposition politique entre un bloc central et « des extrêmes » autour de la « question républicaine ».</p>
<h2>L’enjeu organisationnel de la bataille d’idées</h2>
<p>Le débat autour de la loi « immigration » donne à voir l’ampleur du chantier de refondation à gauche. Pour faire entendre sa voix, elle doit s’emparer d’un thème qu’elle a durablement contourné et parvenir à définir une position collective clairement identifiable. Elle ne peut le faire sans ouvrir en son sein un débat qu’elle a très largement considéré comme favorable à la droite et défavorable à sa propre audience auprès des classes populaires.</p>
<p>Certes, <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-1-page-22.htm">l’évidement idéologique observé au PS</a> questionne plus largement la capacité de la gauche à produire de nouvelles idées et à adapter son projet aux évolutions de la vie politique. Comme elle ne fait pas partie de ses emblèmes, l’immigration permet d’observer de manière particulièrement évidente les capacités d’innovations idéelles de la gauche.</p>
<p>Cependant, un regard vers le monde syndical, associatif ou académique permet de constater que la gauche n’est pas en manque de perspectives en la matière. La philosophie politique a, par exemple, esquissé d’importantes pistes pour penser ensemble <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/110623/avec-nancy-fraser-penser-la-justice-et-la-diversite-des-luttes">redistribution et reconnaissance</a>.</p>
<p>Au-delà des idées, les difficultés de la gauche à exister dans le débat sur l’immigration posent plus directement une question organisationnelle. Tout d’abord, l’analyse qu’elle fait de la « pensée populaire » sur l’immigration est d’autant plus susceptible d’être parasitée par les sondages et leur exploitation médiatique que les <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2021-2.htm">classes populaires sont globalement les grandes absentes des partis de gauche</a>.</p>
<p>De plus, c’est sa capacité à diffuser ses idées dans la société et à relayer les demandes populaires qui est clairement mise en cause. Or, cela dépend de ses relations avec les mondes intellectuels, syndicaux et associatifs, de son aptitude à mobiliser durablement les militants, de ses pratiques d’éducation populaire et donc, <em>in fine</em>, de sa capacité à représenter une offre politique clairement identifiée. Dès lors, si la récurrente question des idées est effectivement centrale, elle ne peut trouver d’issue qu’articulée à celle des pratiques et de l’ancrage social de la gauche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le débat autour de la loi « immigration » donne à voir l’ampleur du chantier de refondation à gauche face à un véritable défi idéologique et organisationnel.Pierre-Nicolas Baudot, Docteur en science politique. Université Paris-Panthéon-Assas, ATER à l'Université Clermont-Auvergne, spécialisé en histoire sociale des idées partisanes, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199432023-12-17T15:42:51Z2023-12-17T15:42:51ZLoi immigration : quel sort pour l'aide médicale de l’État ? Ce que nous dit la recherche scientifique<p>Alors que le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/11/projet-de-loi-immigration-tout-ce-qui-a-change-entre-le-projet-initial-la-version-du-senat-et-le-texte-soumis-aux-deputes_6205115_4355770.html#huit-anchor-suppression-de-laide-medicale">projet de loi « immigration »</a> arrive ce lundi 18 décembre en commission mixte paritaire, la question se pose de savoir quel sort sera réservé à l’aide médicale de l’État (AME), cette couverture maladie dont peuvent bénéficier les étrangers en situation irrégulière.</p>
<p>L’AME se retrouve en effet au cœur de la séquence législative actuelle. Ce droit à l’accès aux soins et à la protection de la santé des personnes résidant sur le territoire français sans titre de séjour est fortement menacé depuis le début de l’examen du <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">« Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »</a>.</p>
<p>Le 7 novembre dernier, le Sénat vote la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/09/aide-medicale-d-etat-trois-questions-sur-sa-suppression-votee-au-senat_6199192_4355770.html">suppression</a> de l’AME pour la remplacer par une simple aide médicale d’urgence, beaucoup plus restrictive et conditionnée au paiement d’un forfait annuel fixé par décret, alors que les <a href="https://www.la-croix.com/France/Immigration/Immigration-Edouard-Philippe-detaille-durcissement-mesures-soin-2019-11-05-1201058545">conditions d’accès à l’AME ont déjà été durcies en 2019</a>.</p>
<p>Elle est ensuite <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/29/projet-de-loi-immigration-les-deputes-retablissent-l-aide-medicale-d-etat_6203008_823448.html">rétablie</a> par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 29 novembre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>L’AME sera-t-elle remise en question par la commission mixte paritaire composée de sénateurs et de députés, sachant que le gouvernement a pris l’engagement de la réformer sur la base notamment du <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/292122-laide-medicale-de-letat-rapport-officiel-claude-evin-patrick-stefanini">rapport établi par Claude Evin et Patrick Stefanini</a> ? À noter que d’autres dispositifs pourtant fondamentaux, tels que le <a href="https://sfsp.fr/suivre-l-actualite/les-actualites-generales-de-la-sante-publique/les-dernieres-actualites/20-espace-presse/64042-apres-l-ame-defendons-le-droit-au-sejour-pour-raisons-de-sante">titre de séjour pour raisons médicales délivré aux étrangers malades nécessitant une prise en charge</a>, sont également menacés.</p>
<h2>Un débat politique qui s’appuie peu sur les savoirs scientifiques et la parole des spécialistes</h2>
<p>Les arguments en faveur de l’accès des étrangers en situation irrégulière à la médecine de ville, et pas seulement à la médecine d’urgence, sont pourtant nombreux : mieux garantir le droit fondamental à la santé pour toutes et tous, éviter l’engorgement des services d’urgence, allouer les ressources plus efficacement, ou encore mieux prévenir et contrôler les maladies transmissibles.</p>
<p>Et contrairement à ce qui est <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/defacto/defacto-031/">souvent avancé</a> dans le débat politique, l’argument dit <a href="https://academic.oup.com/eurpub/article/27/4/590/3966622">« économique »</a> est aussi en faveur de l’AME. Elle <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/284-une-analyse-des-consommations-de-soins-de-ville-des-personnes-couvertes-par-l-aide-medicale-de-l-etat.pdf">n’entraîne pas de surconsommation de soins</a> et minimiserait les coûts pour le système de santé en évitant la prise en charge tardive et plus onéreuse des pathologies. En d’autres termes : le coût de l’exclusion des étrangers en situation irrégulière des soins courants serait supérieur au coût de l’inclusion. Enfin, l’exemple de l’Espagne est là pour rappeler la dangerosité de telles mesures : instaurée en 2012, la restriction de l’accès aux soins des migrants a entraîné une <a href="https://doi.org/10.1016/j.euroecorev.2020.103608">hausse de leur mortalité</a>, l’accès ayant ensuite été rétabli en 2016.</p>
<p>Ces faits, documentés par les <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">scientifiques</a> et largement relayés par les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html">soignants</a>, les <a href="https://sfsp.fr/suivre-l-actualite/les-actualites-generales-de-la-sante-publique/le-dossier-du-mois/item/64041-impact-sur-la-sante-du-projet-de-loi-immigration">associations</a> et les <a href="https://www.srlf.org/article/suppression-laide-medicale-detat-ame">sociétés savantes</a>, semblent peu pris en compte dans le débat politique actuel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">L’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette</a>
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<h2>Un accès limité à la couverture santé pour les immigrés précaires, malgré les dispositifs existants</h2>
<p>Bien qu’ils bénéficient d’un droit à la protection de la santé, les immigrés en situation de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/precarite-26102">précarité</a>, en particulier ceux sans titre de séjour, n’ont souvent aucune couverture maladie effective. Parmi les causes les plus courantes figurent les <a href="https://www.medecinsdumonde.org/statement/rapport-2022-de-lobservatoire-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins/">obstacles juridiques et administratifs</a>, les <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0192916">difficultés financières</a>, les <a href="https://doi.org/10.1186/s12889-020-08749-8">barrières linguistiques et les problèmes de communication</a> qui entravent la « navigation » dans le système social et de santé, la <a href="https://doi.org/10.1186/s12889-019-8124-z">discrimination dans l’accès aux soins</a> ou encore la <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2011.08.016">peur d’être signalé aux autorités et potentiellement expulsé</a>.</p>
<p>En France, les immigrés en situation régulière (dont les personnes ayant le statut de réfugié et les demandeurs d’asile) ont droit au régime général de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/securite-sociale-21864">Sécurité sociale</a>. Ce sont les immigrés sans titre de séjour résidant sur le sol français depuis plus de trois mois qui peuvent quant à eux bénéficier de l’<a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3079">AME</a>, ce programme national de couverture maladie gratuite <a href="https://doi.org/10.4000/remi.5870">mis en place en 2000</a>.</p>
<p>L’AME permet de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074069/LEGISCTA000006142840/#LEGISCTA000006142840">bénéficier</a> d’une prise en charge à 100 % – avec dispense d’avance de frais et dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale – des soins médicaux et dentaires, des médicaments remboursés par la Sécurité sociale (sauf ceux « à service médical rendu faible »), des frais d’analyses, des frais d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale, de certaines vaccinations et certains dépistages, ainsi que des frais liés à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse, etc. Pour bénéficier de l’AME, les personnes doivent fournir une preuve (i) d’identité, (ii) de résidence continue en France depuis au moins trois mois, et (iii) de faibles ressources financières (environ 10 000 € par an pour une personne seule).</p>
<p>L’enquête <a href="https://www.irdes.fr/recherche/enquetes/premiers-pas/actualites.html">Premiers pas</a> conduite par l’Institut de recherche en documentation et en économie de la santé (Irdes) en 2019 a montré que <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">seules 51 % des personnes éligibles étaient effectivement couvertes par l’AME</a>. Ce constat alarmant s’applique plus particulièrement aux immigrés en situation de précarité, à l’instar de ceux suivis dans les Centres d’Accueil de Soins et d’Orientation (CASO) de Médecins du Monde en France : en <a href="https://www.medecinsdumonde.org/statement/rapport-2022-de-lobservatoire-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins/">2021, 81 % des personnes éligibles suivies dans les CASO ne disposaient d’aucune couverture maladie</a>.</p>
<h2>Le projet Makasi : une recherche communautaire, participative et interventionnelle</h2>
<p>Garantir un meilleur accès à la couverture maladie pour les immigrés les plus précaires, souvent mal informés de leurs droits, représente donc un enjeu sociétal et de santé publique majeur. La <a href="http://journals.openedition.org/remi/24871">recherche communautaire, participative</a> et <a href="https://doi.org/10.1111/hex.13201">interventionnelle</a> peut aider à répondre à cet enjeu. Nous rapportons ici les <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2023.116400">résultats d’une étude</a> sur l’impact d’une intervention de <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/wp-content/uploads/2021/12/DF29.pdf">renforcement de la capacité d’agir</a> (<em>empowerment</em> en anglais) en matière de santé sur l’accès à la couverture maladie.</p>
<p>Entre 2018 et 2021, nous avons mené le projet <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> auprès d’immigrés originaires d’Afrique subsaharienne en situation de précarité résidant en Île-de-France, une population marginalisée et vulnérabilisée, <a href="https://books.openedition.org/ined/876">dont l’état de santé se dégrade avec la durée de séjour en France</a>. Cette population tend en outre à être exclue du système de santé français en raison <a href="https://doi.org/10.1136/jech-2019-213394">d’une absence de couverture maladie et d’un accès limité aux soins et à la prévention</a>.</p>
<p>« Makasi » signifie « fort, costaud, résistant » en Lingala, une langue parlée dans les deux Congo.</p>
<p>Le projet <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> a rassemblé les associations <a href="https://www.afriqueavenir.fr/">Afrique Avenir</a> et <a href="https://www.arcat-sante.org/">Arcat</a>, un groupe de pairs, ainsi que des équipes de recherche du <a href="https://www.ceped.org/">Ceped</a>, du <a href="https://dial.ird.fr/">LEDa-DIAL</a> et de l’<a href="https://iplesp.fr/equipes/eres">ERES</a>. Ce projet comportait trois dimensions principales :</p>
<ul>
<li><p>Un travail social et de médiation en santé réalisé en routine par Afrique Avenir et Arcat, dans une démarche d’<a href="https://doi.org/10.3917/cact.059.0009">aller-vers</a> ;</p></li>
<li><p>Une <a href="https://doi.org/10.1186/s12889-019-7943-2">intervention</a> innovante d’<a href="https://www.pulaval.com/livres/empowerment-et-intervention-developpement-de-la-capacite-d-agir-et-de-la-solidarite">empowerment</a> en matière de santé et de santé sexuelle proposée aux personnes éligibles. L’intervention Makasi – basée sur les principes de l’<a href="https://www.guilford.com/books/Motivational-Interviewing/Miller-Rollnick/9781462552795">entretien motivationnel</a> et associée à une orientation active et un bilan personnalisé en santé sexuelle – consistait en un entretien de 30 minutes avec une médiatrice dans un des camions des associations ;</p></li>
<li><p>Un travail de recherche basé sur des données collectées par questionnaire au moment de l’inclusion dans l’étude, puis 3 et 6 mois après ainsi qu’un volet qualitatif à partir d'observations et d'entretiens répétés avec les participants.</p></li>
</ul>
<h2>Un programme francilien qui a amélioré l’accès à l’AME pour les participants</h2>
<p>Cette démarche nous a permis d’atteindre des personnes en situation de grande précarité – souvent exclues des enquêtes sur la santé : précarité administrative (75 % n’avaient pas de titre de séjour), alimentaire (45 % avaient connu la privation alimentaire au cours du mois précédent l’enquête) ou encore liée au logement (69 % n’avaient pas de logement stable).</p>
<p>Nos résultats montrent d’abord que les taux de couverture santé étaient très faibles lors de l’inclusion des participants dans l’étude (c’est-à-dire avant la mise en place de l’intervention) : seulement 57 % d’entre eux étaient effectivement couverts, faisant écho aux faibles taux mis en évidence notamment dans l’enquête <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">Premiers pas</a>.</p>
<p>En revanche, l’intervention <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> a nettement contribué à améliorer l’accès des participants à la couverture maladie. Sans détailler les aspects méthodologiques, <a href="https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2023.116400">disponibles ailleurs</a>, il est important de préciser ici que nous nous sommes donné les moyens de mesurer l’impact propre de l’intervention, c’est-à-dire indépendamment des autres facteurs influençant l’accès à la couverture maladie, par exemple la durée depuis l’installation en France ou la maîtrise de la langue française.</p>
<p>Ainsi, la probabilité de bénéficier d’une couverture maladie a augmenté de 18 points de pourcentage trois mois après avoir reçu l’intervention (passant de 57 % avant l’intervention à 75 % trois mois après), et de 29 points de pourcentage six mois après avoir reçu l’intervention (passant de 57 % avant l’intervention à 86 % six mois après).</p>
<p>L’enquête <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/244-etudier-l-acces-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-sans-titre-de-sejour.pdf">Premiers pas</a> avait identifié la durée de séjour en France comme le <a href="https://doi.org/10.1017/S1744133122000159">principal déterminant</a> de l’accès à l’AME : après 5 ans de résidence ou plus sur le territoire français, <a href="https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf">35 % des personnes sans titre de séjour ne bénéficiaient toujours pas de l’AME</a>.</p>
<p>À cet égard, nos résultats sont d’autant plus importants qu’ils montrent qu’une amélioration importante de l’accès à la couverture santé peut être obtenue en peu de temps – dans notre cas de trois à six mois, et indépendamment du nombre d’années passées en France – grâce à une intervention d’<em>empowerment</em> hors les murs.</p>
<p>Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce fort impact de l’intervention <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a> : l’orientation active des participants vers les services sociaux et de santé les mieux à même de répondre à leurs besoins en matière de protection sociale, mais aussi le renforcement de la capacité d’agir des participants en matière de santé, grâce notamment à un meilleur outillage en termes de connaissances des ressources sociales et de santé.</p>
<h2>Garantir et renforcer l’accès à la couverture santé des immigrés les plus précaires</h2>
<p>La couverture sanitaire n’est, par définition, pas universelle <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.l4160">si elle exclut les migrants sans titre de séjour</a>. Atteindre la couverture sanitaire universelle est pourtant l’un des <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_7153">objectifs que s’est fixé l’Union européenne</a> afin de faire face aux enjeux de santé mondiale.</p>
<p>Les propositions visant à restreindre, voire supprimer, l’accès à la couverture santé des étrangers en situation irrégulière ne sont fondées sur aucune base scientifique. Bien au contraire, l’expertise scientifique sur la question pointe le <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.o401">besoin d’identifier des stratégies visant à garantir un meilleur accès à la couverture maladie et aux soins aux immigrés en Europe</a>.</p>
<p>Avec le projet <a href="https://www.projet-makasi.fr/">Makasi</a>, nous avons montré qu’une intervention communautaire, en aller-vers, de renforcement de la capacité d’agir en matière de santé peut largement améliorer la couverture santé parmi les immigrés originaires d’Afrique subsaharienne en situation de précarité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annabel Desgrées du Loû a reçu des financements de l’ANRS MIE pour la recherche
Makasi.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne Gosselin et Marwân-al-Qays Bousmah ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La suppression de l'aide médicale d'État pour les « sans-papiers » est au cœur de la loi « immigration » soumise à la commission mixte paritaire. Pourtant, la moitié des personnes éligibles ne bénéficie pas de l'AME.Marwân-al-Qays Bousmah, Post-doctorant en économie et santé publique, Ceped, Institut de recherche pour le développement (IRD)Annabel Desgrées du Loû, Directrice de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Anne Gosselin, Chargée de recherche en démographie de la santé, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182892023-12-10T15:52:09Z2023-12-10T15:52:09ZDossier : l’immigration en France, quels enjeux ?<p>Depuis le 6 novembre, le Parlement discute la nouvelle loi « immigration » portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Si adoptée, elle pourrait constituer la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/14/la-loi-immigration-dernier-element-d-une-longue-serie-de-117-textes-depuis-1945_6199984_4355770.html">trentième loi sur l’immigration</a> depuis 1980. Durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, l’immigration a été le <a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-quels-sujets-ont-monopolise-les-temps-de-parole-des-candidats-1399582">deuxième sujet le plus évoqué</a> par les candidats. Nous vous proposons ici une série d’articles revenant sur certains points clefs de la politique migratoire française et de leurs impacts dans la société.</p>
<p>Ainsi, lorsque l’immigration est évoquée dans le paysage médiatique, c’est souvent pour la décrier et lui apposer une image négative mais les Français y sont-ils <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">aussi opposés qu’on le dit</a> ? Les débats sur le projet de loi ont été particulièrement intenses sur la <a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">suppression de l’aide médicale d’État</a> aux étrangers en situation irrégulière tandis que l’égalité entre hommes et femmes dans l’immigration est la <a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">grande absente du texte</a>. Les <a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">femmes enceintes sont d’ailleurs particulièrement vulnérables,</a> y compris dans leur pays d’accueil.</p>
<p>Des retombées économiques de la <a href="https://theconversation.com/limmigration-etudiante-entre-benefices-economiques-et-craintes-des-administrations-199349">migration étudiante en France</a> à <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">l’évaluation des bénéfices de notre politique d’asile</a>, nous vous proposons aussi un autre regard politique sur l’immigration.</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">Immigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563322/original/file-20231204-23-qzg937.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nettement moins de Français formulent des jugements négatifs à l’égard des immigrés qu’il y a 30 ans.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/trois-femmes-assises-pres-de-la-fleur-gYdjZzXNWlg">Priscilla du Preez/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/laide-medicale-detat-un-droit-republicain-sur-la-sellette-216211">L’aide médicale d’État, un droit « républicain » sur la sellette</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563329/original/file-20231204-19-8678xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">En 2022, environ 400 000 personnes ont bénéficié de l’aide médicale d’État pour un coût représentant 0,5 % de la dépense totale de l’Assurance maladie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CDC/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Débat autour d’une transformation de l’Aide médicale d’État en Aide médicale d’urgence. Le point sur l’AME et les enjeux autour de sa suppression.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563324/original/file-20231204-21-pf57ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes dans le monde étaient des femmes. (Ici, des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au mont Sion à Jérusalem, en Israël).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Government Press Office/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une future loi devrait tenir compte d’une répartition égale entre les sexes dans les populations immigrées. C’est en effet un facteur d’intégration clé sur lequel une étude récente s’est penchée.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a></h2>
<p>Pendant la grossesse, la santé des femmes migrantes est plus à risque que celle des autres femmes qui vivent dans le même pays qu’elles. Une méta-analyse récente éclaire les causes de cette situation.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/limmigration-etudiante-entre-benefices-economiques-et-craintes-des-administrations-199349">L’immigration étudiante, entre bénéfices économiques et craintes des administrations</a></h2>
<p>L’exemple canadien montre comment se prémunir d’une immigration déguisée tout en renforçant l’attractivité des universités auprès des étudiants étrangers, dont les apports ont largement été démontrés.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a></h2>
<p>Même si les données existent et que les méthodes pour les exploiter ont fait leurs preuves, les évaluations quantitatives de la politique d’asile en France restent très rares. Cela pénalise le débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218289/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Alors que la politique migratoire refait la une de l’actualité, nous vous proposons une série d’articles pour mieux cerner les enjeux de ces débats.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceTimothée David, Journaliste pour la rubrique Économie + EntreprisesVictoire N’Sondé, Cheffe de rubrique santéThomas Leite, EditorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181462023-12-05T16:59:32Z2023-12-05T16:59:32ZEllis Island, au seuil du rêve américain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560367/original/file-20231120-27-3d4ecb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C176%2C722%2C627&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ellis-island-immigrant-portraits-42fe80">Lewis Hine, 1892</a></span></figcaption></figure><p>Cette photographie a été prise dans le centre d’accueil des étrangers qui a ouvert en 1892 à Ellis Island, une île en face de Manhattan dans la baie de New York. C’est Lewis Hine (1864-1940) qui l’a prise – il fut un des premiers à utiliser la photographie <a href="https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-2-page-211.htm">comme un outil documentaire, notamment en faveur d’une plus grande justice sociale</a>.</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, de <a href="https://www.degruyter.com/document/isbn/9783110982497/html">nombreux Américains craignaient un flux migratoire important et avaient réclamé des mesures pour le réduire</a>. Le centre d’Ellis Island fut donc créé afin de sélectionner les candidats à l’immigration, de plus en plus nombreux en provenance d’Europe centrale, de l’Est et du Sud. À Ellis Island, il s’agissait de contrôler leur éligibilité et de repousser ceux qui représenteraient un problème social ou politique pour la nation.</p>
<p>Ellis Island est donc devenue une porte d’entrée de l’Amérique : une « golden door » pour les candidats européens à l’immigration, mais également un barrage pour ceux qui ne répondaient pas aux critères requis. Savoir lire et écrire, être en bonne santé, avoir des ressources suffisantes, ne pas être un anarchiste… entre autres. Ceux-ci étaient alors renvoyés dans leur pays d’origine – soit environ 2 % des 11,6 millions d’Européens arrivés entre 1891 et 1910 (période pendant laquelle cette photographie a été prise).</p>
<p>Aussi, Ellis Island demeurait <a href="https://www.ggarchives.com/Books/Immigration/EllisIsland-GatewayToTheAmericanDream-0517059053.html">« l’île de l’espoir »</a>, un surnom donné par les historiens et inspiré des rumeurs parmi les immigrants. Mais les conditions d’accueil étaient souvent précaires et longues, quelquefois brutales, inflexibles et traumatisantes.</p>
<h2>L’image comme témoin de la réalité migratoire et comme outil politique</h2>
<p>Lewis Hine, dans une démarche sociopolitique, a souhaité <a href="https://www.mediatheques.strasbourg.eu/OND/doc/IGUANA_2/175658/lewis-w-hine-photogr-de-lewis-w-hine-introd-par-naomi-rosenblum-avec-la-collab-de-walter-rosenblum">témoigner de cette réalité de l’expérience migratoire</a>, que celle-ci soit triste ou optimiste ; c’était la spontanéité de la situation qui lui importait de saisir, comme on le voit sur cette photographie d’anonymes.</p>
<p>Par ailleurs, suite à ses photographies, des mesures ont été prises pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres, par exemple pour améliorer la ventilation ou les sanitaires dans les immeubles où s’entassaient les étrangers (les « tenement houses »).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563904/original/file-20231206-29-e9rzdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La photographie prise par Lewis Hine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ellis-island-immigrant-portraits-42fe80">Lewis Hine, 1892</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette image présente une femme avec ses deux enfants, originaires d’Europe de l’Est, sûrement de Russie. <a href="https://www.census.gov/programs-surveys/decennial-census.html">Avec les Italiens, les immigrants venant d’Europe de l’Est étaient les plus nombreux à immigrer dans le Nouveau Monde</a>, terre promise et de liberté, au tournant des XIX<sup>e</sup> – XX<sup>e</sup> siècles. Ils fuyaient leurs conditions d’existence misérables, la répression et les troubles politiques qui sévissaient en Europe, par exemple les pogroms en Russie ou la construction de la nation italienne par Garibaldi.</p>
<p>Les <a href="https://cmsny.org/publications/book-struggle-and-success/">femmes, qui immigraient rarement seules</a>, accompagnaient leurs époux ou venaient les rejoindre quand ils s’étaient déjà expatriés. Ainsi, il est probable que la femme de la photographie vienne rejoindre son époux qu’elle n’a pas vu depuis des mois peut-être… ou qu’elle l’attende tandis que, dans une autre pièce, les officiers du service d’immigration d’Ellis Island et les médecins vérifient s’il peut être autorisé à entrer aux États-Unis.</p>
<p>La photographie est prise dans le Grand Hall du centre d’accueil, là où les nouveaux arrivants attendaient leur tour pour être examinés et que leur sort soit décidé par les officiers du service d’immigration. On voit derrière la femme et ses enfants une grande fenêtre. Coupée par les barreaux des vitres et en forme d’ogive, elle rappelle les vitraux des églises gothiques, donnant une dimension spirituelle au lieu, et à l’Amérique ; les sourires sur les visages des enfants et celui esquissé sur celui de leur mère laissent entrevoir leur espoir, leur confiance dans le Nouveau Monde, l’image positive qu’ils veulent donner au photographe qui semble les surprendre dans leur attente.</p>
<p>La fenêtre qui occupe l’arrière-plan de la photographie s’apparente à une ouverture vers un avenir meilleur en Amérique. En même temps, on a l’impression que les barreaux vont empêcher le passé de refaire surface. La composition de cette photographie rappelle l’attente et l’espoir des immigrants qui, après un périple transatlantique de plusieurs semaines, sont enfin arrivés à Ellis Island, au seuil du rêve américain, ce qui nous renvoie au superbe film d’Emmanuele Crialese <a href="https://www.dailymotion.com/video/x27h0zv"><em>Golden Door</em></a> (2006) qui relate le voyage puis l’arrivée d’une famille sicilienne à Ellis Island au début du XX<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Christine Michaud a reçu des financements d'institutions :
Université Bretagne Sud ; Institut des Amériques ; Région Bretagne</span></em></p>Ellis Island fut longtemps le centre d’accueil des candidats immigrants aux États-Unis. Des sociologues ont utilisé des images pour dévoiler une réalité plus dure que les sourires affichés.Marie-Christine Michaud, Professeure des universités en études nord-américaines, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2190832023-12-05T16:25:04Z2023-12-05T16:25:04ZLe conflit israélo-palestinien met à l’épreuve le multiculturalisme canadien<p>Dans l’imaginaire collectif et la représentation sociale que l’on se fait du Canada, le pays est généralement perçu comme ouvert et accueillant envers la diversité ethnoculturelle et religieuse. </p>
<p>L’immigration est considérée comme une <a href="https://journals.library.ualberta.ca/af/index.php/af/article/view/29376">richesse au Canada</a> et le multiculturalisme s’est érigé au fil des décennies en une valeur à protéger et à chérir, comme en fait foi <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221026/dq221026b-fra.htm">l’Enquête sociale générale de 2020</a>, où 92 % de la population l’endossait. <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-18.7/page-1.html">La <em>Loi sur le multiculturalisme canadien</em></a> stipule que celui-ci « est une caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens et constitue une ressource inestimable pour l’avenir du pays ». </p>
<p>Cependant, depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, les nombreuses manifestions qui s’en sont suivies, tant en faveur que contre Israël ou en soutien à la Palestine, ont révélé des tensions liées à l’immigration. Les crimes haineux sont aussi en hausse : à Toronto seulement, on rapporte une <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/hate-crime-rise-israel-gaza-1.7001288">augmentation de 132 % depuis le début du conflit</a>.</p>
<p>Il devient ainsi impératif de s’interroger sur les risques éventuels de conflits au sein des différentes communautés canadiennes. Cela est particulièrement préoccupant pour celles qui font face simultanément au racisme et aux répercussions des conflits en cours dans leurs pays d’origine. Par exemple, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2012985/tensions-inquietude-sikhs-hindous-khalistan">conflit historique entre hindous et sikhs</a> suscite des inquiétudes parmi les sikhs du Canada, notamment lorsqu’un de leurs leaders a été assassiné en Colombie-Britannique.</p>
<p>En tant que sociologue, spécialisé dans l’éducation inclusive, j’ai rapidement constaté que le racisme et les discriminations représentent des problématiques significatives dans notre société. Récemment, j’ai rédigé un article intitulé : <a href="https://journals.openedition.org/trema/6042#:%7E:text=L%E2%80%99%C3%A9ducation%20inclusive%20englobe%20et,n%C3%A9gliger%20pour%20autant%20le%20tout">« Penser l’éducation inclusive dans un contexte de discriminations et de diversité au Canada »</a> afin d’expliquer, entre autres, les limites du multiculturalisme canadien dans la lutte contre les discriminations. Conformément à la perspective <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Paugam">du sociologue français Serge Paugam</a>, qui voit le rôle du sociologue inclure une prise de parole <a href="https://www.puf.com/content/La_pratique_de_la_sociologie">« pour lutter contre toutes les formes de domination »</a>, j’analyserai comment ce multiculturalisme est mis à mal par le conflit entre Israël et la Palestine.</p>
<h2>Augmentation des crimes haineux</h2>
<p>Les statistiques sur les crimes haineux démontrent que des tensions existent bel et bien, malgré les résultats de l’Enquête de 2020. Ainsi, de <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230322/cg-a004-fra.htm">2019 à 2021</a>, la communauté juive a été le groupe le plus fréquemment visé par des crimes haineux, et les signalements à la police ont connu une augmentation significative. En 2019, 306 crimes antisémites ont été signalés à l’échelle nationale. Un an plus tard, ce chiffre a atteint 331 et en 2021, il a augmenté de manière significative pour atteindre 492. <a href="https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr16-rd16/p1.html">Une nouvelle hausse a été enregistrée en 2022, avec 502 incidents déclarés</a>. </p>
<p>Les communautés musulmanes ont également été fortement touchées par des crimes haineux : en 2019, 182 incidents ont été signalés. En 2020, ce nombre a diminué à 84, pour augmenter cependant en 2021, atteignant 144. Enfin, les catholiques ont également été la cible d’actes haineux, avec une augmentation importante des signalements : en 2019, 51 cas ont été recensés, contre 43 en 2020, et 155 en 2021.</p>
<p>Il semble que l’Ontario, la province qui accueille le plus grand nombre d’immigrantes et d’immigrants au Canada, soit celle aux prises avec les pourcentages de crimes haineux les plus élevés par habitant. Selon les données de Statistique Canada de 2021, Ottawa est la ville affichant le taux le plus élevé de ces crimes. <a href="https://twitter.com/DavidVermette/status/1584537161743106048">Parmi les 10 premières villes canadiennes les plus touchées par le phénomène, on recense plus de huit villes ontariennes</a>.</p>
<h2>Un basculement de l’opinion publique</h2>
<p>Pour le dire sans ambages, le multiculturalisme n’est pas perçu par toutes et tous comme une richesse et cette perception est exacerbée par le conflit en cours entre deux des communautés les plus discriminées au pays. Tout cela se déroule dans un contexte où les capacités d’accueil des populations immigrantes sont remises en question.</p>
<p>Selon un <a href="https://www.thestar.com/news/canada/there-s-going-to-be-friction-two-thirds-of-canadians-say-immigration-target-is-too/article_7740ecbd-0aed-5d36-b5da-b67bda4a13c5.html">sondage d’Abacus publié le 29 novembre</a>, plus de 67 % de la population estime qu’il y aura des tensions entre les communautés, principalement en raison du seuil d'immigration jugé excessif du gouvernement fédéral. Celui-ci vise toujours à accueillir <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2023209/immigration-immigrants-seuil-ottawa-federal">plus de 500 000 immigrants par an au cours des prochaines années</a>. Cela dit, Ottawa a rejeté l’<em>Initiative du siècle</em>, dirigée par un ancien dirigeant de la firme McKinsey, qui suggérait que la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1978949/demographie-immigration-cibles-canada">population du Canada devrait atteindre 100 millions d’ici à 2100</a>. </p>
<p>Selon un <a href="https://nationalpost.com/opinion/canada-diversity-poll">autre sondage</a>, plus de 78 % des Canadiennes et Canadiens expriment leur préoccupation quant à l’impact du conflit entre Israël et la Palestine au pays. En ce qui concerne les manifestations pro-Palestine, plus des trois quarts des gens sondés sont d’avis que le gouvernement devrait expulser du pays les personnes non citoyennes coupables de discours haineux ou de soutien au Hamas. </p>
<p>Ces chiffres témoignent d’un basculement important dans l’opinion publique concernant la valeur du multiculturalisme. Il ne s’agit plus seulement de sensibiliser les citoyennes et citoyens à la richesse de la diversité ethnoculturelle et religieuse du pays, mais aussi d’accompagner les différentes communautés qui vivent ou qui veulent immigrer au Canada. <a href="https://nationalpost.com/opinion/canada-diversity-poll">Selon le même sondage</a>, plus de la moitié affirment que le gouvernement canadien devrait en faire davantage pour s’assurer que les nouveaux arrivants acceptent les valeurs canadiennes, et plus de 55 % pensent que la politique d’immigration du Canada devrait les encourager à adopter ces valeurs, notamment en abandonnant toute croyance incompatible avec le Canada.</p>
<h2>Un monde de plus en plus complexe</h2>
<p>Le conflit israélo-palestinien semble avoir ébranlé les fondements du multiculturalisme. </p>
<p>Il est frappant de constater à quel point, en si peu de temps, une valeur jugée fondamentale, soutenue par plus de 92 % de la population en 2020, peut être autant remise en question trois années plus tard. En revanche, il est important de rappeler que les crimes haineux existaient avant ce conflit, et ils indiquaient déjà que le multiculturalisme n’était pas tant respecté comme « valeur canadienne ». </p>
<p>Le sociologue Edgar Morin affirme que <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/introduction-a-la-pensee-complexe-edgar-morin-9782020668378.html">« la diversité crée la complexité et la complexité crée la richesse »</a>. Certes, le multiculturalisme canadien mise à juste titre sur la richesse de la diversité, mais il est appelé à se renouveler dans une société et un monde de plus en plus complexes. </p>
<p>Parfois, le multiculturalisme canadien donne l’impression que les communautés vivent <em>côte à côte</em>, dans la tolérance de l’Autre, sans pour autant coconstruire une société d’appartenance pour toutes et tous. Il ne faudrait pas laisser la situation sociale se détériorer, car on ne souhaite pas vivre <em>face à face</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219083/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les crimes haineux existent depuis plusieurs années au Canada, mais le récent conflit entre Israël et le Hamas les a exacerbés, remettant en cause le multiculturalisme canadien.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185492023-11-27T17:12:45Z2023-11-27T17:12:45ZPays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?<p>Les résultats des élections néerlandaises du 22 novembre dernier, qui ont vu la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20231126-geert-wilders-le-tribun-d-extr%C3%AAme-droite-au-seuil-du-pouvoir-aux-pays-bas">victoire du Parti pour la liberté</a> (PVV), ont provoqué une onde de choc au sein de l’establishment politique européen. Les effets de ce scrutin pourraient bien aller au-delà des seuls Pays-Bas.</p>
<h2>Une première dans l’histoire du pays</h2>
<p>Pour la première fois dans l’histoire des Pays-Bas, un parti d’extrême droite est devenu le premier en nombre de sièges au Parlement national. Le leader du PVV, Geert Wilders, est un homme politique excentrique connu pour sa rhétorique incendiaire. Il prône la sortie des Pays-Bas de l’Union européenne et a qualifié l’islam de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/03/07/01003-20080307ARTFIG00024-geert-wilders-l-ideologie-islamique-est-fasciste.php">« religion fasciste »</a>. Lors d’un procès en 2016, il a été reconnu <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pays-bas-le-depute-wilders-relaxe-d-incitation-a-la-haine-09-12-2016-2089169_24.php">coupable d’incitation à la discrimination</a>, mais a été dispensé de peine.</p>
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<p>Les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/elections-aux-pays-bas-vers-un-paysage-politique-largement-renouvele-2030607">sondages pré-électoraux</a> avaient indiqué que le Parti pour la liberté pouvait arriver en tête, mais il apparaissait au coude à coude avec les grandes formations traditionnelles de la gauche (Parti travailliste-Gauche verte, PvdA/GL) et de la droite (Parti populaire pour la liberté et la démocratie, VVD). Les sondages se sont révélés loin du compte : Wilders a gagné avec une marge confortable (23,6 % des suffrages, contre 15,5 % au PvdA/GL et 15,2 % au VVD), même s’il devra <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20231123-aux-pays-bas-l-extr%C3%AAme-droite-de-geert-wilders-face-au-d%C3%A9fi-de-r%C3%A9unir-une-coalition">chercher des partenaires de coalition</a> pour former un gouvernement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Rod5IH3E2cQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Séisme politique aux Pays-Bas : l’extrême droite de Geert Wilders remporte les législatives. Euronews, 23 novembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Un nouveau parti de droite, le Nouveau contrat social (NSC), a également obtenu un très bon score (12,8 %). Comme le Parti pour la liberté, ce parti désigne l’immigration comme étant la <a href="https://nltimes.nl/2023/10/24/election-front-runner-omtzigt-calls-stricter-immigration-limits-netherlands">première cause de problèmes</a> tels que l’engorgement des services publics néerlandais et le manque de logements abordables. Cependant, Pieter Omtzigt, le leader du NSC (et ancien député en tant que membre de l’Appel chrétien-démocrate, un parti chrétien-démocrate de centre droit qui, ce 22 novembre, n’a récolté que 3,3 % des suffrages), critique certains des discours les plus incendiaires de Wilders.</p>
<p>Omtzigt apparaît néanmoins comme le candidat le plus probable pour former une coalition avec Wilders, ainsi qu’avec le VVD, ancien parti du premier ministre sortant Mark Rutte, démissionnaire en juillet dernier. Mais il faudra attendre un certain temps avant de savoir si un tel partenariat est réalisable. Aux Pays-Bas, la mise en place d’une coalition est l’affaire de plusieurs mois et non de plusieurs semaines.</p>
<p>Ces pourparlers seront d’autant plus complexes que l’image et la personnalité de Wilders sont particulièrement clivantes. Bien que son parti ait remporté le plus grand nombre de sièges (37 sur 150), les controverses qui l’entourent depuis tant d’années risquent de l’empêcher d’obtenir le poste de premier ministre, même si son parti parvenait à mettre en place une coalition gouvernementale.</p>
<p>En cas de formation d’une coalition centrée sur le PVV, la question du maintien des Pays-Bas dans l’UE sera inévitablement mise en avant. Wilders souhaite un <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/obsede-par-le-coran-prorusse-et-partisan-du-nexit-geert-wilders-lincrevable-figure-de-lextreme-droite-20231123_5KWABAQ5P5BMFDIWOU2EYKQSPE/">référendum sur la sortie des Pays-Bas de l’UE</a> et, même si ce projet ne se concrétise pas, on peut s’attendre à ce qu’il imprègne d’euroscepticisme tout gouvernement auquel il participerait.</p>
<p>Cela pourrait avoir des conséquences considérables pour l’UE. Même si les <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">partis d’extrême droite en Europe divergent</a> sur la question de la sortie de l’Union, ils s’accordent sur la nécessité de transformer l’UE en un organe plus intergouvernemental, ce qui ôterait des prérogatives à Bruxelles.</p>
<h2>Un exemple venu d’Italie</h2>
<p>L’année dernière, <a href="https://theconversation.com/en-italie-la-victoire-annoncee-de-lextreme-droite-191111">Giorgia Meloni</a>, avec qui Wilders partage une certaine affinité idéologique, est devenue la première ministre de l’Italie. Le parti de droite radicale de Meloni, Frères d’Italie est arrivé en tête lors des législatives du 25 septembre 2022 et a formé une coalition avec d’autres partis de droite et de droite dure.</p>
<p>À l’instar de Wilders, Meloni était considérée comme une outsider sur la scène politique de son pays et a toujours placé l’immigration <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/italie-limmigration-au-coeur-de-la-campagne-electorale/">au cœur des débats</a>. Mais depuis son arrivée au pouvoir, sa rhétorique anti-immigration a dû être modérée. Elle a rapidement été confrontée aux appels des milieux d’affaires à remédier à la <a href="https://www.euractiv.fr/section/immigration/news/litalie-demande-larret-des-flux-migratoires-mais-veut-plus-de-main-doeuvre-etrangere/">pénurie de main-d’œuvre en Italie</a>, ce qui impliquait d’accorder des permis aux travailleurs immigrés.</p>
<p>Dans mon livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvt9k3d3"><em>Political Entrepreneurs</em></a>, coécrit avec Sara Hobolt de la London School of Economics, nous montrons que la pratique du pouvoir change les partis politiques. Il est relativement facile de tenir des discours radicaux depuis les coulisses, mais une fois au gouvernement, les partis doivent assumer la responsabilité de la conduite des affaires de leur pays. Ils doivent prendre des décisions, peser les intérêts – et les réserves financières dont ils disposent pour mener à bien leur politique. Meloni, comme les dirigeants de tant d’autres partis populistes, a rapidement <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">mis de l’eau dans son vin</a> une fois qu’elle est arrivée au pouvoir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706508650582319566"}"></div></p>
<p>C’est la leçon la plus importante pour Wilders : Frères d’Italie avait conduit une campagne électorale eurosceptique mais épousent désormais largement des positions proches de celles de Bruxelles, y compris sur les questions relatives à l’immigration. Meloni a même <a href="https://euobserver.com/migration/157613">affiché sa proximité</a> avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.</p>
<p>Cela dit, l’expérience italienne offre également un autre exemple que Wilders pourrait trouver intéressant. Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que les partis qui sont devenus populaires en s’opposant à la politique existante préfèrent parfois garder un pied dans le gouvernement et un pied en dehors. C’est par exemple le cas de Matteo Salvini, chef du parti La Ligue et partenaire de la coalition de Meloni.</p>
<p>Salvini ne manque jamais une occasion de souligner son indépendance, même si cela <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2579959-20190808-crise-politique-italie-matteo-salvini-reclame-elections-anticipees-fait-eclater-coalition-populiste">cause des difficultés au gouvernement italien auquel La Ligue participe</a>. Seul un partenaire de coalition secondaire peut se permettre de telles frasques, car un premier ministre et son parti font face à une pression bien plus intense. Wilders pourrait donc trouver plus pratique de suivre la voie de Salvini plutôt que celle de Meloni.</p>
<p>Quelle que soit la voie qu’il emprunte, si Wilders fait partie du gouvernement, les résultats de ces élections auront certainement des conséquences sur les relations des Pays-Bas avec le reste de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218549/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine de Vries ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le controversé politicien néerlandais a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement, mais il pourrait encore trouver opportun de ne pas briguer le poste de premier ministre.Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175802023-11-16T17:13:26Z2023-11-16T17:13:26ZImmigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?<p>Encore un <a href="https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/projet-de-loi-pour-controler-limmigration-ameliorer-lintegration.html">projet de loi sur l’immigration</a> en débat au Parlement, c’est le 29<sup>e</sup> depuis 1980, soit en moyenne un tous les 17 mois. Cette prolifération est parfois due à la volonté de revenir sur des mesures adoptées par un autre gouvernement, mais elle montre aussi le <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">niveau de crispation atteint à l’égard des immigrés</a> dans nombre de partis politiques. Tout se passe comme s’il fallait prouver aux électeurs que le pouvoir mène des politiques efficaces contre l’immigration illégale et pour la sécurité publique. <a href="http://www.pergama.fr/2023/10/13/immigration-de-travail-france-deni/">De nombreux politiciens</a> semblent persuadés que les considérations négatives envers les immigrés prédominent dans l’opinion publique.</p>
<p>Qu’en est-il exactement ? Comment ont évolué les perceptions de l’immigration depuis 40 ans ?</p>
<p>Dans l’<a href="http://www.valeurs-france.fr">enquête sur les valeurs des Européens</a> (EVS), réalisée tous les neuf ans, une question sur la préférence nationale à l’embauche est posée dans les mêmes termes depuis 1990. Alors que 61 % des Français se déclaraient favorables à une préférence nationale à l’embauche en 1990, ils ne sont plus que 42 % à y être favorables en 2018. Il s’agit d’une évolution à la baisse très importante, là où on aurait pu s’attendre à une augmentation.</p>
<p>En effet, pendant la même période, depuis les années 1990, <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">l’extrême droite a progressé</a>. Mais ses succès sont loin d’être seulement dus à des discours anti-immigration. Ses demandes sur l’augmentation du pouvoir d’achat, sa critique de la classe politique, sont attrait pour des leaders autoritaires y sont aussi pour beaucoup. Même si la thématique de l’immigration est un enjeu qui marque constamment l’électorat du Rassemblement national, ce n’est pas le seul.</p>
<p>Au second tour de l’élection de 2022, <a href="https://www.cairn.info/le-vote-clive--9782706152979-page-225.htm">d’après un sondage Opinionway</a>, l’enjeu le plus déterminant pour l’électorat Le Pen était le pouvoir d’achat, l’immigration ne venant qu’en second, suivi par l’identité française et la délinquance. Et dans un <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/08/119689-Rapport-SR-N233.pdf">sondage IFOP d’août 2023</a>, la lutte contre l’immigration clandestine ne vient qu’en 5<sup>e</sup> position des enjeux prioritaires chez les personnes proches du Rassemblement national (<a href="https://www.ifop.com/publication/balise-dopinion-233-letat-desprit-des-francais-a-la-rentree-optimisme-et-enjeux-prioritaires/">et en 10ᵉ position pour l’ensemble des Français</a>).</p>
<h2>Des perceptions de l’immigration plus modérées qu’on ne le croit</h2>
<p>Les perceptions des immigrés en France et en Europe peuvent être analysées à travers les réponses à cinq questions de la dernière vague de <a href="https://www.atlasofeuropeanvalues.eu/maptool.html">l’enquête EVS (2018)</a>.</p>
<p><iframe id="IzdXG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IzdXG/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les réponses montrent que les jugements sont plus mesurés qu’on pourrait le penser. L’effet de l’immigration sur le développement de la France n’est jugé mauvais que par un quart des Français. À peu près le même pourcentage le considère bon, alors que près de la moitié répondent « ni bon, ni mauvais ». L’idée que les immigrés prennent les emplois des gens du pays est aussi très minoritaire, beaucoup ayant probablement conscience que les <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">immigrés occupent des emplois peu demandés</a>. La préférence nationale à l’embauche quand les emplois sont rares, le stéréotype d’un <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-refugies-sont-ils-mieux-accompagnes-que-les-sdf-128596">effet néfaste pour la Sécurité sociale</a> et la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">criminalité</a> recueillent davantage de soutiens.</p>
<p>Ces cinq indicateurs très liés entre eux nous ont permis de construire un indice unique de perception des immigrés, découpé en deux parties à peu près égales : 45 % des Français partagent des jugements négatifs vis-à-vis des immigrés. C’est un tout petit plus que chez nos voisins d’Europe de l’Ouest (42 %) mais beaucoup moins qu’en Europe du Sud (51 %) et de l’Est (67 %). Les Scandinaves sont les plus ouverts (37 %).</p>
<h2>Pourquoi de telles différences selon les sociétés ?</h2>
<p>Les explications de ces fortes différences de perception des immigrés sont nombreuses. Le fait d’être très nationaliste joue beaucoup, tout particulièrement le nationalisme dit « nativiste » (qui valorise fortement le fait d’être né dans le pays ou d’y avoir des ascendants). Plus les Français et les Européens valorisent leur identité nationale, <a href="https://www.pug.fr/produit/2045/9782706151620/les-europeens-et-leurs-valeurs">plus ils tendent à avoir des orientations négatives à l’égard des immigrés</a>.</p>
<p>Jouent également fortement le niveau d’individualisation (vouloir être autonome dans tous les domaines de sa vie) et d’individualisme (être centré sur son intérêt personnel), ainsi que la position sociale et le positionnement sur l’échelle gauche droite, comme le montre les graphiques ci-dessous.</p>
<p>Le rejet des immigrés est nettement plus fort chez les personnes nationalistes, faiblement individualisées, fortement individualistes, appartenant à des catégories défavorisées et orientées à droite.</p>
<p><iframe id="Okie8" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Okie8/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On aurait pu penser que l’effet de la religion sur les perceptions des immigrés serait très important. Les grandes religions portent en effet un message clair d’accueil de l’étranger, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/23/le-pape-francois-citoyen-d-honneur-de-marseille-venu-crier-justice-pour-les-migrants-et-les-vulnerables_6190697_3210.html">comme le rappelle très souvent le pape François</a>.</p>
<p>Or quand on observe le niveau des perceptions négatives selon le degré d’intégration au catholicisme, les différences ne sont pas énormes. Les perceptions négatives vont de 54 % chez les catholiques non pratiquants à 43 % chez les pratiquants réguliers. Elles sont de 40 % chez les athées convaincus (et de 10 % chez les musulmans). Le message d’accueil porté par les religions est probablement freiné en France par le fort nationalisme des catholiques pratiquants.</p>
<p>Tous ces facteurs explicatifs n’annulent probablement pas l’effet que peuvent ou pourraient avoir les hommes politiques et les politiques publiques sur l’opinion. Or, depuis 1974, les <a href="https://www.migrationsenquestions.fr/question_reponse/1068-quelle-est-levolution-de-la-politique-migratoire-en-france-depuis-1945/">politiques migratoires se sont beaucoup durcies</a>. La France n’a pas vraiment pris sa part de l’accueil des migrants en Europe, eu égard à sa population et à sa richesse. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/07/immigration-le-grand-deni-un-salutaire-rappel-a-la-realite_6164503_3232.html">Ils sont pourtant économiquement plutôt bénéfiques pour notre économie</a>.</p>
<h2>Le paradoxe : une acceptation qui progresse, un milieu politique très frileux</h2>
<p>Un très grand nombre de sondages confirment qu’en France, l’acceptation des immigrés est plus forte qu’autrefois et que la xénophobie s’est affaiblie. Ainsi, en 2021, <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-regard-des-francais-sur-le-droit-de-vote-des-residents-etrangers-aux-elections-locales-baro-edition-2021/">67 % approuvaient que les étrangers puissent voter aux élections locales</a>, soit 13 points de plus qu’en 2013.</p>
<p>Alors que <a href="https://fr.statista.com/statistiques/661665/francais-adhesion-trop-immigres-france/">74 % jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés en France en 1995 et 65 % en 2005, il n’y en aurait plus qu’environ 60 % aujourd’hui</a>. <a href="https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-d-image-du-rassemblement-national/barometre-d-image-du-rassemblement-national-2022">Et selon un sondage Kantar Public sur l’image du Rassemblement national</a>, il n’y aurait même que 47 % des Français à le penser en 2022. Pour des raisons difficiles à expliquer, cette question, très souvent posée, donne des résultats un peu différents, même à des moments proches. Les réponses à cette question sont en tout cas très clivées selon l’orientation politique des sondés, allant de près de 90 % d’approbation à l’extrême droite à environ un tiers à gauche et même dans le camp présidentiel.</p>
<p>La presse cite beaucoup les résultats peu favorables à l’acceptation des immigrés mais peu des résultats plus positifs. Ainsi, environ <a href="https://observationsociete.fr/modes-de-vie/mdv-valeurs/valeurs_immigres-2/">70 % des Français</a> estiment aujourd’hui que <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/limmigration-une-source-denrichissement/00093576">« L’immigration est une source d’enrichissement culturel »</a>, ce qui est rarement souligné.</p>
<p>On observe donc un paradoxe entre ce que montrent les sondages – une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/16/sur-les-questions-migratoires-une-opinion-de-moins-en-moins-crispee_6177918_3224.html">acceptation plus importante qu’autrefois de l’immigration</a>, des valeurs de compassion et de solidarité, qui contrebalancent en partie les craintes à l’égard des immigrés – et les discours des hommes politiques au pouvoir, allant d’un rejet absolu à des formes d’accueil extrêmement prudentes.</p>
<h2>Des politiques migratoires françaises de plus en plus répressives</h2>
<p>Le projet de loi actuellement en débat au Parlement vise <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/comment-la-loi-asile-et-immigration-changerait-elle-la-vie-des-travailleurs-sans-papiers-6745347">à durcir encore la législation des personnes en situation irrégulière</a>. Les personnes ayant fait l’objet d’une OTQF (obligation de quitter le territoire français) devraient pouvoir être expulsés plus facilement et plus rapidement. L’aspect novateur que comportait le projet : permettre des régularisations de personnes en situation irrégulière ayant un travail dans un « métier en tension » (cafés-restauration, santé, services à la personne, bâtiment…) et leur donner une carte de séjour d’un an a été quasi abandonné par le Sénat. La droite et l’extrême droite ont mené un combat très actif, craignant qu’une politique de régularisation selon des critères fixés, et non très limitatifs au cas par cas selon l’appréciation d’un préfet, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">ne génère un « appel d’air » à l’égard de nouveaux migrants</a>.</p>
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<p>Pourtant le choix du pays européen par les arrivants sans visas tient avant tout à la présence antérieure de membres de leur famille, de leur réseau social ou au minimum d’une diaspora nationale déjà là pour aider à leur intégration. La connaissance de la langue joue aussi. De même que l’attractivité économique du pays. Or, à part pour les Maghrébins, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-vendredi-03-mars-2023-4894599">France apparaît assez peu attractive</a>. Elle l’est beaucoup moins que le Royaume-Uni ou l’Allemagne. <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/migrants-migrations-50-questions-pour-vous-faire-votre">Toutes les études</a> montrent depuis déjà longtemps qu’il n’y a pas de corrélation entre les politiques migratoires suivies par un pays et le nombre des arrivées. Les flux migratoires sont d’abord générés par les énormes problèmes existant dans les pays de départ et non par les politiques plus ou moins ouvertes des pays de réception.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217580/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171412023-11-15T21:15:37Z2023-11-15T21:15:37ZComment le travail des étrangers sert les agendas politiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559363/original/file-20231114-21-gdvid2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2592%2C1940&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les secteurs en tension, comme le BTP ont particulièrement recours au travail des étrangers, parfois sans papiers. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/900155">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Le texte du projet de loi « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », et son article 3 proposant la création d’un titre de séjour <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/claire-rodier/immigration-questions-pose-titre-metiers-tension/00106025">« Métiers en tension »</a>, divise depuis de nombreux mois très fortement la classe politique. Supprimé dans la nuit du 8 au 9 novembre 2023 par le Sénat, le vote de l’article 3 a pourtant été posé dès les débuts comme un enjeu fort pour la majorité.</p>
<p>L’article proposait d’inscrire dans la loi une voie d’accès juridique à la régularisation du séjour par le travail pour les personnes sans-papiers, c’est-à-dire démunies d’un titre de séjour en règle. Il s’agissait en partie pour les ministres de l’Intérieur et du Travail – Gérald Darmanin et Olivier Dussopt – d’assouplir l’application de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_norintk1229185c.pdf">circulaire du 28 novembre 2012</a>, dite aussi circulaire Valls.</p>
<p>D’abord, en rendant le droit à la régularisation par le travail opposable, c’est-à-dire qu’en cas de refus de délivrance du titre de séjour demandé, il aurait été possible de déposer un recours devant les tribunaux. En l’espèce, la circulaire Valls est une circulaire non impérative, elle n’est pas attaquable juridiquement. Ensuite, si cette circulaire laisse une partie du pouvoir de régularisation aux entreprises en leur demandant de fournir les documents employeurs (la promesse d’embauche dite « CERFA », et le certificat de concordance dans le cas de travail sous un autre nom), le nouvel article aurait permis aux travailleuses et travailleurs d’introduire leur demande sans l’aval d’un employeur.</p>
<h2>Une vision utilitariste de l’immigration</h2>
<p>Pourtant, l’article 3 présentait aussi une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2001-1-page-56.htm">vision utilitariste de l’immigration</a>, dénoncée par une partie de la gauche et de l’extrême gauche, car indexant la délivrance du titre de séjour aux besoins économiques. En récusant la réduction de l’immigration à sa dimension purement économique, ces élus ont pointé le fait que la régularisation, par définition, n’est pas qu’un geste économique : elle accorde aussi des droits sociaux.</p>
<p>Bien qu’il ne saurait racheter ou justifier la face répressive du projet, la création de ce titre constituait toutefois une <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/titre-de-sejour-metiers-en-tension-c-est-une-avancee-car-un-grand-nombre-de-travailleurs-sans-papiers-font-vivre-l-economie-estime-la-cgt_5454070.html">avancée sur le plan de la reconnaissance juridique du travail des sans-papiers</a>.</p>
<p>Pour des élus de droite et d’extrême droite, rejetant en bloc l’article 3, la création de ce titre aurait permis de légitimer les situations de séjour illégal, de « récompenser la fraude », pire encore, de provoquer un « appel d’air », concept tenant jusque-là plus de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html?fbclid=IwAR387rGn57HwJ58bj7jfHm3s_WTB2KSpT2cFN1FB8mlWAINn7zKYimiounA">mythologie que d’une réalité jamais démontrée</a>.</p>
<p>À l’heure où le ton se durcit considérablement sur la question de la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/immigration-le-senat-supprime-larticle-3-sur-la-regularisation-des-sans-papiers-dans-les-metiers-en-tension">régularisation des travailleurs sans-papiers</a>, sans doute convient-il de revenir sur les manières dont en France les politiques migratoires ont pensé le travail des étrangers, et celui des sans-papiers en particulier.</p>
<h2>Une vieille histoire</h2>
<p>En France, le recours à une main-d’œuvre étrangère s’enracine dans le processus d’industrialisation de l’économie française dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Durant le XX<sup>e</sup> siècle, les besoins de reconstruction et de rattrapage de croissance économique suscitent la création de l’Office National d’Immigration, censé organiser le recrutement d’une main-d’œuvre, d’abord issue des colonies, puis étrangère. Dans les années 1950, la France signe différentes conventions bilatérales pour encourager la migration de travail.</p>
<p>Cependant la crise économique liée au choc pétrolier de 1973 marque un tournant. Le 3 juillet 1974, le Conseil des ministres <a href="https://www.histoire-immigration.fr/les-50-ans-de-la-revue-hommes-migrations/juillet-1974-suspension-des-entrees-de-travailleurs-immigres-permanents">suspend officiellement l’immigration des travailleurs et de leurs familles</a>, remisant la question du travail des étrangers devenu par la suite angle mort des politiques migratoires.</p>
<p>Déclinée et soumise à conditions, elle réapparaît néanmoins dans le contexte des années 2000 : d’abord à travers <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2010-1-page-149.htm?contenu=article">l’opposition entre une immigration « choisie » (de travail et hautement qualifiée) opposée à l’immigration dite « subie »</a> (laquelle reste pourtant légale, qu’elle soit familiale, étudiante…), introduite par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000266495">loi Sarkozy II</a> du 24 juillet 2006.</p>
<h2>Une immigration utile et jetable ?</h2>
<p>Alors qu’elle cherche à limiter les flux d’immigration légale, la loi du 24 juillet 2006 réintroduit les cartes de séjour liées au travail. Si la volonté première est d’attirer les talents du monde entier par la création d’une carte « compétence et talents » (remplacée en 2016 par la carte « passeport talent »), la création de titres de séjour pour le travail renoue plus largement avec l’idée d’une immigration de travail.</p>
<p>Les travailleurs étrangers munis d’un contrat de travail peuvent désormais se voir délivrer une carte de séjour portant la mention « salarié » ou portant la mention de « travailleur temporaire ».</p>
<p>Organisant une immigration de travail en fonction des besoins économiques, cette loi soutient une <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2004-2-page-2.htm?contenu=article">conception utilitariste de l’immigration</a>. Les cartes de séjour mentionnent la région d’exercice et le métier occupé et sont délivrées pour une durée d’un an renouvelable ; ce que dénonceront par la suite des associations réunies sous le collectif Uni·e·s contre une immigration jetable.</p>
<h2>Le tournant 2006-2007</h2>
<p>Exclus de la nouvelle législation, les travailleurs sans-papiers, qui occupent pourtant des emplois déclarés par les employeurs, saisissent là le moyen de s’organiser.</p>
<p>En octobre 2006 et au printemps-été 2007, de premières grèves du travail éclatent. Sous la pression de ces grèves, la loi suivante sur l’immigration du 20 novembre 2007, dite <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000524004">loi Hortefeux</a>, introduit par son article 40 la possibilité d’une régularisation par le travail.</p>
<p>Dans le même temps, considérant les besoins des marchés du travail français, le 20 décembre 2007 est publiée une <a href="https://gisti.org/IMG/pdf/norimin0700011c.pdf">circulaire</a> visant à encourager la migration de travailleurs, d’abord européens.</p>
<p>Cette circulaire définit <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/norimin0700011c.pdf">deux listes de métiers en tension</a> pour lesquels la situation d’emploi n’est pas opposable. La première concerne 150 métiers peu qualifiés pour les ressortissants des nouveaux membres de l’Union européenne (UE) ; la deuxième est une liste de 30 métiers en tension établie par zone géographique pour les non-ressortissants de l’UE, mais ne recoupe pas les emplois occupés par la plupart des travailleurs étrangers. Ces deux listes seront traduites dans deux arrêtés en janvier 2008.</p>
<p>En parallèle, l’article 40 ne suffit pas à régulariser les travailleurs sans-papiers. Le dispositif est à la fois flou et complexe : aucun critère de régularisation n’est clairement défini.</p>
<p>De nouvelles grèves du travail éclatent. Entre 2008 et 2009, ils sont des <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-mouvements-sociaux-en-france--9782707169853-page-724.htm">milliers de sans-papiers à faire la grève du travail</a> et à revendiquer la régularisation de leur séjour.</p>
<p>En novembre 2012 paraît la circulaire Valls qui permet une régularisation du séjour sans opposabilité de l’emploi et sans référence à la liste des métiers en tension pour les non-ressortissants de l’UE.</p>
<h2>La reprise d’un discours récurrent sur l’étranger « indésirable »</h2>
<p>Après 2015, dans un contexte post <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2019-4-page-121.htm">« crise migratoire »</a> et post-attentat, le discours politique se durcit à l’encontre des étrangers, et notamment des travailleurs sans-papiers et réactive un discours de <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2006-2-page-4.htm">tri des étrangers</a>.</p>
<p>En novembre 2018, lors d’une cérémonie au fort de Douaumont, le président Emmanuel Macron répond à un ancien combattant <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-on-va-continuer-le-travail-emmanuel-macron-repond-a-un-ancien-combattant-lui-demandant-d-expulser-les-sans-papiers_3024013.html">qui l’interpelle</a> au sujet du renvoi des personnes sans-papiers :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux qui fuient leur pays, parce que c’est leur liberté [sic], il faut les protéger. Mais ceux qui viennent alors qu’ils peuvent vivre librement dans leur pays, il faut les raccompagner ».</p>
</blockquote>
<p>Opposant dans son discours différents types de migration, Emmanuel Macron souligne qu’il y aurait donc des raisons plus légitimes que d’autres à migrer ; certaines pourraient être même frauduleuses. Il propose ainsi de distinguer les « vrais » réfugiés des autres.</p>
<p>Les personnes étrangères, et sans-papiers en particulier, sont ainsi stigmatisées, rendues au rang de populations indésirables. La loi Collomb du 10 septembre 2018 renforce cette appréhension notamment en facilitant la procédure d’expulsion pour les personnes déboutées du droit d’asile.</p>
<h2>« On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »</h2>
<p>C’est cette fois-ci dans une nouvelle ligne d’opposition que Gérald Darmanin <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/video-le-projet-de-loi-immigration-vise-a-mieux-integrer-et-mieux-expulser-selon-gerald-darmanin_5526795.html">déclarait</a> le 6 décembre 2022 : « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent ».</p>
<p>Défendant la proposition d’un article de loi destiné à privilégier une immigration pour soulager les secteurs en tension, le ministre de l’Intérieur affirme qu’il s’agit d’une mesure pour mieux intégrer ceux qui travaillent. Pour autant, comme ses prédécesseurs, le ministre apparaît instrumentaliser l’immigration en reprenant à son compte un discours sur les « indésirables ».</p>
<p>Difficilement conciliables, les positions qui s’opposent autour de l’article 3 s’entrecroisent pourtant. D’un côté, le recours à une conception utilitariste justifierait une immigration mesurée, quand de l’autre, la réactivation de <a href="https://www.cairn.info/revue-memoires-2022-1-page-14.htm">vieilles peurs et antiennes sur l’étranger</a> légitimerait les faces les plus répressives du projet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217141/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emeline ZOUGBEDE est fellow de l'Institut Convergences Migrations et affiliée au Centre de recherches sur les liens sociaux (CERLIS, UMR 8070).</span></em></p>Le durcissement des dispositions prévues sur la loi immigration par le Sénat illustre aussi la façon dont les politiques migratoires ont pensé le travail des étrangers.Emeline Zougbede, Chercheuse post-doctorale CNRS_IC-Migrations, Collège de France, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159082023-10-22T15:16:29Z2023-10-22T15:16:29ZComment Lampedusa incarne les mythes migratoires européens<p>Le 3 octobre 2023 a marqué le dixième anniversaire du naufrage survenu au large de Lampedusa, qui a provoqué la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naufrage_du_3_octobre_2013_%C3%A0_Lampedusa">mort de plus de 300 migrants en 2013</a>, et qui constitue encore aujourd’hui un des épisodes les plus meurtriers et emblématiques de la <a href="https://theconversation.com/mort-de-migrants-en-mer-la-veritable-responsabilite-incombe-aux-politiques-mises-en-place-par-les-etats-europeens-210371">crise des migrants et des réfugiés</a> en Méditerranée.</p>
<p>Ironie de l’histoire, quelques jours avant ce triste anniversaire, l’île a connu un nouvel épisode de crise migratoire lorsque, en septembre 2023, une <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">dizaine de milliers de migrants sont arrivé en quelques jours</a>, saturant les capacités d’accueil et provoquant l’habituelle série de réunions d’urgence, visites de responsables politiques, annonce de nouvelles mesures, etc.</p>
<p>Ce type d’événement relève désormais d’une forme de jour sans fin. À intervalles réguliers, les mêmes problèmes se posent, à Lampedusa ou ailleurs. Et à chaque fois, les États européens y réagissent dans l’urgence, en refaisant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642231182889">exactement la même chose que lors du précédent épisode de crise</a> : ils renforcent le contrôle des frontières, intensifient la coopération avec les pays tiers, durcissent leur législation, promettent de lutter contre les passeurs et <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/leffet-lampedusa-ou-comment-se-fabriquent-des-politiques-migratoires-repressives-20230917_23WCBIMHNBHOFJRRL3HLUXEEZU/">d’accroître les expulsions, etc.</a></p>
<p>En France, la même impression de surplace se dégage de l’actualité politique. Rappelons que le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-29-lois-depuis-1980-pour-quel-bilan-20221215">gouvernement travaille actuellement à la 30ᵉ loi sur l’immigration depuis 1980</a> : au rythme de presque une nouvelle loi par an, le pays est engagé dans un processus continu et probablement sans fin, de nature sisyphéenne, qui voit une nouvelle loi chasser la précédente sans que le « problème » posé par les migrations ne soit d’une quelconque manière résolu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a>
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<h2>« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »</h2>
<p>Il en va de même des discours politiques. En septembre 2023, <a href="https://www.leparisien.fr/politique/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-lhistoire-derriere-la-celebre-phrase-de-rocard-reprise-par-macron-24-09-2023-NZXNP7IPRFC2PFYEYZDCA2KWEA.php">Emmanuel Macron a repris la célèbre phrase prononcée par Michel Rocard en 1989</a> : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Laquelle phrase avait été déjà reprise par Manuel Valls en 2012, et par Macron lui-même à plusieurs reprises depuis 2017.</p>
<p>En 1989, François Mitterrand évoquait une politique migratoire alliant <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/137997-allocution-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-la">sévérité aux frontières et humanité</a>, soit presque la même expression (humanité et fermeté) que le gouvernement actuel emploie pour <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1263404/article/2022-12-06/loi-immigration-fermete-et-humanite-pari-du-camp-presidentiel-pour-seduire-l">justifier la nouvelle loi en cours d’élaboration</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bateau de migrants à l’approche de Lampedusa, Italie. En septembre 2023 une dizaine de milliers de migrants sont arrivés en quelques jours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/194913085@N07/53201458968">Fellipe Lopes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette répétition sans fin des mêmes propos est d’autant plus frappante qu’ils n’ont aucun sens. Personne n’a en effet jamais suggéré que la France accueille toute la misère du monde : on voit donc mal pourquoi il est nécessaire de continuellement exclure ce scénario. Et si on comprend à peu près en quoi consiste la fermeté des États, personne n’a jamais réussi à définir ce à quoi ressemblerait une politique migratoire ferme et humaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a>
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<h2>L’appel d’air, un vrai faux argument</h2>
<p>On pourrait faire la même observation à propos de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">l’argument de l’appel d’air</a>, selon lequel un accueil décent des migrants et des réfugiés serait incompatible avec la maîtrise de l’immigration irrégulière car il les encouragerait à venir en France. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/04/francois-heran-sur-l-immigration-abandonnons-les-vieilles-rengaines-et-prenons-la-mesure-du-monde-tel-qu-il-est_6192352_3232.html">Cela n’a jamais été démontré</a>, mais le concept est devenu un mot magique, repris de manière pavlovienne par tous les gouvernements successifs de gauche comme de droite.</p>
<p>Les politiques migratoires reposent ainsi sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Du point de vue de la raison, c’est incompréhensible : un gouvernement qui constate l’échec de sa politique devrait, en toute logique, remettre en cause les postulats de son action et réévaluer sa stratégie.</p>
<p>Mais malgré l’échec de leurs politiques, les États européens continuent de croire dans ce qu’il faut bien qualifier de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/migrations-la-politique-europeenne-en-3-minutes/">monde imaginaire</a> : dans cet univers parallèle, les frontières sont bien contrôlées, la distinction entre migrants et réfugiés est claire pour tout le monde, les migrants économiques viennent docilement combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs dits « en tension », les pays tiers font preuve de bonne volonté pour aider l’Europe à prévenir l’immigration irrégulière, l’aide au développement est judicieusement allouée pour réduire la pression migratoire dans les pays du Sud, etc.</p>
<p>Il n’y a aucune chance que tout cela se produise dans le monde réel. Mais cet horizon inatteignable est tellement désirable qu’on ne cesse de l’invoquer en espérant le faire advenir. Il n’est donc pas surprenant que des responsables politiques prononcent exactement la même phrase à près de quarante ans d’intervalle : c’est précisément la manière dont les mythes fonctionnent, avec la répétition rituelle des mêmes mantras hérités de nos ancêtres, que chaque génération se répète et transmet à la suivante.</p>
<h2>Un rapport complexe à la réalité</h2>
<p>Rappelons que le mythe entretient un rapport complexe à la réalité. Il ne perd pas son pouvoir d’attraction, même lorsque la réalité ne cesse de le démentir. Dans la mesure où le mythe sert à unir et rassurer une société, il devient au contraire d’autant plus précieux et valable que cette réalité s’avère <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2006-2-page-427.htm">menaçante ou échappe au contrôle</a>. Chaque nouvelle « crise » migratoire constitue ainsi une raison de plus pour les sociétés européennes de réitérer leur croyance dans un horizon utopique qui les verrait atteindre leur objectif de <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/20160-la-politique-dimmigration-la-maitrise-des-flux-migratoires">« maîtrise des flux migratoires »</a>.</p>
<p>La croyance dans le mythe s’accommode aussi de quelques contradictions. Dans un livre célèbre, Paul Veyne se demande si les Grecs de l’Antiquité <a href="https://books.google.fr/books?id=ZX6BAAAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">croyaient à leurs mythes</a> et il avance l’hypothèse qu’il existe différents « programmes de vérité », qui cohabitent au sein des sociétés et en chacun d’entre nous. Comme le malade qui espère un miracle à Lourdes mais n’en prend pas moins ses médicaments, cela nous permet tout à la fois de croire et de ne pas croire, ou de croire tout en adoptant des comportements peu conformes avec nos croyances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-des-migrants-prevenir-et-agir-est-une-question-de-sante-publique-211757">Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique</a>
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<h2>L’exemple italien</h2>
<p>C’est ainsi qu’en Italie, le gouvernement actuel se montre à la fois intransigeant et souple dans sa politique migratoire. Issue de l’extrême droite où l’immigration est systématiquement présentée comme une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">« invasion »</a>, et élue sur la promesse d’un « blocus » maritime contre l’immigration irrégulière, Giorgia Meloni <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/24/italie-georgia-meloni-admet-qu-elle-esperait-faire-mieux-en-matiere-de-migration_6190785_3210.html">reconnaît ainsi que ses objectifs sont difficiles à atteindre</a>, sans pour autant changer de discours.</p>
<p>Par ailleurs, son gouvernement continue de régulariser des sans-papiers pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans un pays vieillissant, et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">prévoit même d’accroître l’immigration de travail</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Q43VfCwWgo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lampedusa, l’échec de Meloni ? France 24, septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>On peut n’y voir qu’un double discours, ou l’illustration du cynisme de dirigeants qui font des promesses électorales auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. La frontière ne serait alors plus qu’un théâtre, où les États européens mettent en scène leur volonté insincère de contrôle de l’immigration, à la seule fin de rassurer leurs concitoyens et de détourner leur attention.</p>
<h2>Concilier l’inconciliable ?</h2>
<p>Mais c’est oublier que les politiques migratoires soulèvent de véritables dilemmes, et qu’une des fonctions des mythes est précisément de dépasser les contradictions qui sont au cœur de l’expérience humaine. De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. La formule incantatoire « fermeté et humanité » promet ainsi de concilier ouverture et fermeture, générosité et sévérité, exclusion et solidarité, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. Astérion le Minotaure dans les rues de Toulouse, géant de la compagnie « La Machine » – (novembre 2018).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Le_Minotaure.jpg/1024px-Le_Minotaure.jpg">Mrniko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>De façon plus fondamentale, l’Europe est l’héritière de deux croyances antinomiques. Depuis les Lumières, elle se pense comme le berceau <a href="https://institutdelors.eu/publications/de-quelle-universalite-les-valeurs-europeennes-sont-elles-le-nom/">des droits humains, de l’universalité, du progrès et de l’égalité</a> – d’où la référence à l’humanité. Mais de par son histoire coloniale, elle est de longue date structurée autour d’une opposition entre « eux » et « nous », qui fonde une différence structurelle de traitement entre Européens et non-Européens, et qui motive sa « rage à marquer sa différence contre le reste du monde », pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_postcolonie-9782348057502"><em>De la postcolonie</em></a>.</p>
<p>La contradiction réapparaît à chaque nouveau naufrage. L’Europe est choquée, elle se désole, se mobilise et exprime sa solidarité. Mais dans le même temps elle ne change rien à ses politiques, et s’accommode finalement de voir ses frontières transformées en une fosse commune pour non-Européens.</p>
<p>On conçoit que dans le monde réel il ne soit pas simple de concilier ces deux héritages, et qu’il est donc tentant de se réfugier dans un monde magique où la contradiction disparaîtrait. Cela se fait bien sûr au détriment d’une refondation pourtant nécessaire des politiques migratoires : mais après tout, de même que la religion est l’opium qui maintient le peuple dans le statu quo, les mythes tendent à être du côté de l’ordre établi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques migratoires semblent reposer sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Comment comprendre que ces dernières perdurent ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2154822023-10-17T19:33:33Z2023-10-17T19:33:33ZDébat : pourquoi il serait temps de bâtir un musée de l’histoire coloniale en France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554037/original/file-20231016-27-ylppr7.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1068%2C709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sculpture « Entreponts », par Pablo et Serge Castillo, dénonce l’objectivation et la marchandisation de l’humain par le capital. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://memorial-acte.fr/collection/">Pointe-à-Pitre, fonds MACTe, coll. Région Guadeloupe, </a></span></figcaption></figure><p>Les commissions d’historiens et de chercheurs sur le passé colonial et postcolonial de la France se succèdent depuis plus d’une décennie, sur un rythme de plus en plus rapide : <a href="http://www.cnmhe.fr/spip.php?article999">commission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales</a> (2011), sur les « événements » en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/la-resonance-permanente-des-emeutes-de-decembre-1959-a-fort-de-france-1185916.html">Martinique en 1959</a>, en <a href="https://www.ctguyane.fr/retour-sur-une-page-de-lhistoire-de-guyane-le-guet-apens-le-14-juin-1962-la-population-guyanaise-subissait-une-repression-qui-marquera-lhistoire-du-pays/">Guyane en 1962</a> et en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/archives-d-outre-mer-il-y-a-55-ans-en-guadeloupe-le-massacre-de-mai-67-1288648.html">Guadeloupe en 1967</a> (2015), <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994">sur le Rwanda et le génocide des Tutsi</a> (2019), sur les relations France-Algérie entre 1830 et 1962 (<a href="https://issuu.com/la1ere/docs/rapport_commission_stora_pour_la_mi/1?e=7830984/40987597">synthèse en janvier 2021</a>) et la guerre d’Algérie (lancement janvier 2023) et enfin sur la guerre au Cameroun (lancement mars 2023).</p>
<p>Les ouvrages savants et les travaux collectifs trouvent leur public et occupent désormais les rayons des libraires ou des festivals (comme la semaine passée aux Rendez-vous de l’histoire de Blois) à l’image des ouvrages <em>Histoire globale de la France coloniale</em> (Éditions Philippe Rey), <em>Colonisation, notre histoire</em> (Seuil), <em>Histoire de l’Algérie à la période coloniale</em>, 1830-1962 (La Découverte), <em>L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique</em> (Seuil) ou encore <em>Décolonisations françaises. La chute d’un empire</em> (Éditions de La Martinière).</p>
<p>Les bandes dessinées, les romans (avec leurs prix littéraires prestigieux de Leïla Slimani à Alexis Jenni en passant par Alain Mabanckou, David Diop, Eric Vuillard, Christophe Boltanski et beaucoup d’autres), les documentaires trouvent leur public (de <a href="https://www.france.tv/france-2/decolonisations-du-sang-et-des-larmes/">« Décolonisations, du sang et des larmes »</a> (2020) sur France 2 à <a href="https://educ.arte.tv/thematic/decolonisations-tous-les-episodes">« Décolonisations »</a> (2020) sur Arte), les fictions cinématographiques telles <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289236.html"><em>Tirailleurs</em></a> (2022) s’emparent du sujet et les podcasts en radio sont des succès indéniables, comme l’excellente série de Pierre Haski sur France Inter depuis deux étés, intitulée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-decolonisations-africaines">« Les décolonisations africaines »</a> en 2022 et 2023.</p>
<p>Partout, sur les réseaux sociaux, sur YouTube et dans des conférences en ligne le passé colonial et ses héritages sont questionnés et génèrent des dialogues, parfois houleux.</p>
<p>Ces dernières années, des expositions, encore rares, participent de ce processus de dévoilement, à l’image d’<a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/exhibitions-34408">« Exhibitions, l’invention du sauvage »</a> (2012) ou <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/peintures-des-lointains-37627">« Peintures des lointains »</a> (2018) au Musée du quai Branly, en passant par <a href="https://theconversation.com/au-musee-dorsay-les-modeles-noirs-sortent-de-lombre-114878">« Le modèle noir, de Géricault à Matisse »</a> (2018) au Musée d’Orsay ou <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/I7QnnpN">« Décadrage colonial »</a> (2022) au Centre Pompidou.</p>
<p>Parallèlement, la France a entrepris de commencer à rendre des <a href="https://theconversation.com/restitution-des-biens-culturels-mal-acquis-a-qui-appartient-lart-89193">biens culturels pillés</a> au temps de la colonisation. Dans cette dynamique, une loi va bientôt s’attacher aux « restes humains » provenant des ex-espaces colonisés et conservés dans des institutions publiques (musées, hôpitaux, laboratoires) pour pouvoir rendre ceux-ci aux pays ou régions ultramarines et apaiser les mémoires.</p>
<p>Les manuels scolaires ne sont plus ceux du temps de François Mitterrand – pas le Mitterrand ministre des colonies de 1950-1951, mais celui président de la République de 1981-1988 : si l’étendue des parties des programmes d’histoire consacrées à ces questions continue à faire débat, la place de l’histoire coloniale a été incontestablement renforcée et les enseignants disposent désormais d’outils pédagogiques avancés (les expositions pédagogiques se comptent par dizaines et les plates-formes Lumni.fr et eduscol.education.fr sont bien dotées) pour aborder le passé colonial.</p>
<h2>Le passé colonial à l’agenda des débats publics</h2>
<p>Les débats sur le passé colonial dans l’espace public sont cependant particulièrement clivés : les tenants du décolonialisme les plus radicaux s’opposent aux animateurs de l’Observatoire du décolonialisme faisant la chasse à la « repentance », les nostalgiques du « bon temps des colonies » aux indigénistes et aux pourfendeurs de la Françafrique. Si l’on peut regretter une telle polarisation des débats publics – que nous avions identifiée dans l’ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fracture_coloniale-9782707149398"><em>La fracture coloniale</em></a> (2005) –, contrastant avec les travaux des historiens, on peut en revanche se réjouir de la visibilisation de l’histoire coloniale.</p>
<p>En effet, l’amnésie coloniale, institutionnalisée, a longtemps dominé malgré les efforts et les travaux des historiens : inaugurée sous le général de Gaulle, entretenue sous Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, vitrifiée par un François Mitterrand mu par son désir d’ériger un musée nostalgique à Marseille (dont <a href="https://maitron.fr/spip.php?article16201">Maurice Benassayag</a> était l’inspirateur) et dont héritera Jacques Chirac, avant de transmettre le relai à Nicolas Sarkozy, ce dernier faisant de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/comment-les-politiques-instrumentalisent-l-histoire-6608736">l’anti-repentance</a> l’une de ses thématiques favorites et jusqu’à François Hollande, s’affirmant comme l’héritier légitime d’un parti socialiste incapable de faire retour sur ses engagements coloniaux historiques et proposant systématiquement un « regard lucide » sur ce passé mais guère plus.</p>
<p>Nous avons pensé à l’instar de beaucoup d’historiens – que l’on soit en phase ou en désaccord avec cette déclaration – que les choses allaient changer en 2017 lors de la campagne présidentielle : Emmanuel Macron, en Algérie, déclare ainsi le <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/emmanuel-macron-algerie-candidat-presidentielle-voyage-colonisation-crime-contre-l-humanite">16 février 2017</a> à propos de la colonisation : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »</p>
<p>François Fillon, candidat LR à l’élection présidentielle, n’y voit que la « détestation de notre Histoire, cette repentance permanente » ; Florian Philippot, alors vice-président du Front national, ajoute qu’il n’y a pas « pire insulte contre la France ».</p>
<p>Cette date est pourtant un tournant. Avec de nombreux pays – à l’image des Pays-Bas, de la Belgique, de l’Allemagne et, à un moindre niveau, du Danemark, du Portugal, de la Grande-Bretagne ou de la Suisse –, la France va engager sur plusieurs fronts un changement de posture institutionnelle. Outre les commissions d’historiens, on note la volonté de repenser la place des Français issus de l’immigration (dont une partie non négligeable provient de l’ex-Empire) dans l’espace public, avec la mission <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/portraits-france">« Portraits de France »</a> proposant des noms pouvant être utilisés pour nommer rues et bâtiments publics ; l’ouverture de la question du retour des biens culturels à l’occasion du discours <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-luniversite-de-ouagadougou">d’Emmanuel Macron à Ouagadougou</a> (novembre 2017) ; les annonces réitérées de la fin de la Françafrique ; la <a href="https://www.saisonafrica2020.com/fr">programmation Africa2020</a> et la <a href="https://www.innovationdemocratie.org/">Fondation de l’innovation pour la démocratie</a> confiée à Achille Mbembe (2022) ; les engagements en faveur des anciens combattants des colonies… tout paraissait en place pour un « grand tournant » mémoriel.</p>
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<h2>Machine arrière…</h2>
<p>Et puis, la dynamique s’est étiolée. Alors que nous étions nombreux à imaginer que cette politique qui avait tous les atours de la nouveauté allait trouver sa cohérence par une redéfinition des relations avec l’Afrique mais aussi de la francophonie, par une écoute nouvelle de la relation avec les outre-mer, par un travail approfondi sur les programmes scolaires et, surtout, par la mise en place d’un grand projet muséal qui fait défaut en France <a href="https://www.rfi.fr/fr/culture/20161107-berlin-allemagne-expose-histoire-coloniale-colonialisme-allemand">(et que nos voisins allemands</a> et <a href="https://www.africamuseum.be/fr">belges viennent de mettre en place)</a>, cet élan s’est brisé et très peu a été entrepris.</p>
<p>À la place d’un musée d’histoire coloniale a été préférée une <a href="https://www.cite-langue-francaise.fr/">Cité de la langue française à Villers-Cotterêts</a> installée dans le château de François I<sup>er</sup> avec « 1 600 m<sup>2</sup> d’expositions permanentes et temporaires ouvertes au public, un auditorium de 250 places, douze ateliers de résidence pour des artistes… » Ce choix de sanctuariser la francophonie, avec un budget important (plus de 200 millions d’investissements, soit le deuxième plus gros chantier patrimonial de France après Notre-Dame de Paris !), avec une attente ambitieuse de 200 000 visiteurs annuels et l’accueil du prochain sommet de la francophonie, montre que de grands projets sont possibles.</p>
<p>La francophonie est certes politiquement moins inflammable que l’histoire coloniale et, dans le contexte de la déstabilisation de l’influence française en Afrique de l’Ouest, on peut concevoir que la francophonie peut être conçue comme un ciment culturel à même, sinon de préserver cette influence, sans doute de freiner son effacement. Mais ne nous y trompons pas : ce projet range pour la durée du second mandat d’Emmanuel Macron celui d’un musée de l’histoire coloniale aux oubliettes, avec uniquement à Montpellier l’annonce de la création d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/14/pour-la-creation-d-un-institut-de-la-france-et-de-l-algerie-un-lieu-museal-ou-histoire-memoires-art-dialogue-et-cooperation-pourraient-coexister_6157893_3232.html">Institut de la France et de l’Algérie</a> qui ne s’attachera (sous une forme encore à définir) qu’à une partie de l’histoire coloniale (ce projet reprend un ancien projet, sur la base de collections aujourd’hui conservées au Mucem, à Marseille).</p>
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<p>Cette configuration rappelle de vielles querelles – elles remontent à 20 ans –, lorsque Jacques Chirac imagina son musée des « arts premiers » (actuel Musée du quai Branly) et pris conscience que le <a href="https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00086583">Musée des arts africains et océaniens</a> (MAAO, situé Porte dorée) allait être vidé de ses collections. Le risque existait que certains réclament que ce lieu devienne un musée d’histoire coloniale, d’autant plus qu’il avait été érigé pour l’immense exposition coloniale internationale de 1931.</p>
<p>À l’époque, Jacques Chirac et Jean-Claude Gaudin, comme une grande partie de la droite aux côtés du mouvement « rapatrié », ont une autre idée en tête avec le projet de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morial_national_de_la_France_d%27outre-mer">mémorial de la France d’outre-mer à Marseille</a> pour rendre « hommage » à une certaine vision de l’histoire (on est à deux ans des célèbres articles de loi sur la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001889/polemique-sur-le-role-positif-reconnu-a-la-colonisation-par-la-loi-du-23-fevrier-2005.html">« colonisation positive »</a> de 2005) et veulent éviter une polémique face à ce lieu désormais « vide ». C’est ainsi que sera imaginée la Cité de l’immigration, qui occupe désormais cet espace (Musée national de l’histoire de l’immigration).</p>
<h2>À quoi pourrait servir un musée d’histoire coloniale ?</h2>
<p>Vingt ans après, le projet d’un musée d’histoire colonial est au point mort. À se demander à quoi il pourrait bien servir. Peut-être à faire que toutes les trajectoires, tous les récits, toutes les mémoires, tous les acteurs de ce passé et leurs descendants y trouvent place. À concevoir un espace ouvert sur le monde, sur les comparaisons avec les autres Empires, les sociétés colonisées avant et pendant la colonisation, la société française pendant et après la colonisation. À organiser de vastes expositions autour des grandes questions sur la colonisation ouvertes au grand public, aux scolaires et aussi aux touristes qui visitent notre pays et qui viennent aussi de ces « ailleurs ». À regrouper les patrimoines épars et riches qui dorment ou sommeillent dans les <a href="https://www.geo.fr/histoire/aux-archives-daix-en-provence-la-memoire-de-la-guerre-dalgerie-sort-partiellement-de-lombre-208154">archives d’Aix-en-Provence</a>, au musée du Quai Branly, dans les réserves du Mucem, du Musée des Confluences à Lyon ou au sein du musée de l’Armée aux Invalides… et dans moult institutions et collections publiques et privées.</p>
<p>À engager, aussi, une réflexion commune avec la quarantaine de pays ex-colonies ou ex-protectorats sur la manière de tourner ensemble la page coloniale. À dynamiser une réflexion sur la « décolonisation » de nos imaginaires afin d’irriguer des projets d’expositions en France, en Europe, en Afrique et ailleurs. À accompagner le processus de « retour » des biens culturels pillés en les contextualisant. À mettre en exergue les récits de l’histoire des immigrations postcoloniales, comme la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00271/la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme.html">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a> (1983) qui commémore cette année son 40<sup>e</sup> anniversaire ou la Marche du 23 mai 1998 qui commémore son 25<sup>e</sup> anniversaire et aboutira à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/esclavage-la-reconnaissance-d-un-crime-contre-l-humanite-christiane-taubira-raconte-20-ans-apres-7713701">loi Taubira</a> (2001).</p>
<p>À repenser, aussi, notre relation avec l’Afrique au moment même où la France est en rupture avec le continent. À sortir des fantasmes et nostalgies qui continuent à irriguer les extrêmes et leur discours de rejet de l’autre, à accepter la <a href="https://theconversation.com/dans-la-classe-de-lhomme-blanc-lenseignement-du-fait-colonial-en-france-102069">complexification d’un « récit national »</a>, à éviter que d’autres radicalités s’emparent de ces enjeux, bricolent leurs « mémoires », inventent des récits fictionnels qui les éloignent de leur propre pays. À proposer des conférences, des débats, des colloques, des bourses de recherches, des politiques d’éditions et d’initiatives entre le monde des arts, la recherche académique et les structures associatives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/exhiber-lexhibition-quand-les-historiens-font-debat-retour-sur-sexe-race-et-colonies-105139">Exhiber l’exhibition ? Quand les historiens font débat : retour sur « Sexe, race et colonies »</a>
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<p>À faire, comme s’y emploie le Musée national de l’histoire de l’immigration, le Musée du quai Branly, la <a href="https://memoire-esclavage.org/">Fondation pour la mémoire de l’esclavage</a> (FME), le <a href="https://www.memorialdelashoah.org/">Mémorial de la Shoah</a>, le <a href="https://www.memoiresdesesclavages.fr/memorial-acte-guadeloupe/">MémoialACTe</a> (en Guadeloupe), un travail de transmission des savoirs.</p>
<p>Certes, la Cité de la langue française est sans doute un beau projet, sans doute est-il nécessaire, mais il met en lumière, aussi, ce qui n’a pas été fait et qui était tout autant nécessaire.</p>
<p>Nous serons bientôt dans le peloton de queue des pays européens pour ce type d’institutions sur le passé colonial, alors <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">que vivent dans l’hexagone</a> les plus importantes présences en Europe des diasporas antillaises, maghrébines et subsahariennes, et d’importantes communautés issues de l’océan Indien, du Moyen-Orient, du Pacifique et de l’Asie du Sud-Est.</p>
<p>Cette page d’histoire se révèle aujourd’hui à la lumière de l’effondrement du « pré carré » africain. Les causes en sont nombreuses, et au premier chef les relations toxiques et quasi incestueuses mises en place après les indépendances entre une gouvernance française privatisée par les présidents de la République et leurs conseillers « Afrique » et des gouvernements africains le plus souvent autoritaires. Les nombreuses interventions militaires françaises, la présence de bases militaires, la permanence du franc CFA indexé sur le franc puis l’Euro ont décuplé le sentiment en Afrique, dans les nouvelles générations, que la décolonisation n’était pas achevée et qu’il fallait tourner la page. C’est une caractéristique forte de la crise de confiance qui se manifeste aujourd’hui. Mais pour tourner des pages, du côté français comme du côté africain, il faut aussi des livres et des musées.</p>
<h2>Un carrefour de notre relation au passé</h2>
<p>Nous sommes à un carrefour de l’histoire de notre relation au passé. Alors que se manifestent des mouvements pour <a href="https://theconversation.com/debat-faut-il-deboulonner-les-statues-140760">déboulonner les statues</a> issues de l’histoire coloniale et esclavagiste, que des noms de rues ou de bâtiments scolaires sont changés, la réflexion sur la création d’un musée colonial n’est pas une lubie portée par quelques spécialistes en quête d’un temple pour valoriser les connaissances accumulées. C’est aussi un lieu essentiel précisément pour « tourner la page » et faire pièce à ce point aveugle de notre histoire, surtout dans un pays où la notion « d’excuses » est récusée à priori, à la différence de l’Allemagne avec la Namibie, de la Belgique avec ses anciennes colonies et notamment le Congo, des Pays-Bas avec l’Indonésie…</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Histoire globale de la France coloniale, sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Dominic Thomas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Philippe Rey</span></span>
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<p>Dans un pays qui se targue d’être le « pays des musées », où l’histoire est au cœur de nos enjeux de citoyenneté, où près d’un tiers des personnes qui y vivent – entre l’hexagone et les régions ultramarines – sont liés de manière intime ou en termes d’héritages intrafamiliaux à l’histoire coloniale et qui souffre d’une relation toxique avec les quartiers populaires et les <a href="https://theconversation.com/debat-comment-decoloniser-le-lexique-sur-l-outre-mer-191891">outre-mer</a>, un musée d’histoire coloniale ne résoudra pas évidemment tous les problèmes, mais peu y contribuer.</p>
<p>Cette histoire remonte à près de cinq siècles, à l’année 1534, lors de la « <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-hommes-aux-semelles-de-vent/la-fondation-de-la-nouvelle-france-3748958">prise de possession » par le royaume de France du Canada</a>. Faudra-t-il attendre 2034 pour qu’enfin un tel projet devienne une évidence en France ? Ne pourrait-on imaginer une mission de préfiguration pour engager cette réflexion avec toutes les parties prenantes ? Cela ferait sens, cela serait utile, c’est désormais urgent. Sinon, la date du 16 février 2017 restera dans les manuels scolaires du XXI<sup>e</sup> siècle comme un rendez-vous manqué avec l’histoire.</p>
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<p><em>Nicolas Bancel et Pascal Blanchard ont participé aux Rendez-vous de l’histoire de Blois les 6, 7 et 8 octobre autour de leur ouvrage « Histoire globale de la France coloniale » (Philippe Rey)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Partout, le passé colonial et ses héritages sont questionnés et génèrent des dialogues. Pourtant, le projet d’un grand musée dédié à ces questions semble être passé aux oubliettes.Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne (Unil), chercheur au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (Unil), co-directeur du Groupe de recherche Achac., Université de LausannePascal Blanchard, Historien, chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation, co-directeur du Groupe de recherche Achac, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141842023-10-03T14:55:01Z2023-10-03T14:55:01ZManifs anti-trans : le parti conservateur pourrait tirer profit de la fracture sociale<p>La polarisation des débats sur les enjeux liés au genre et à la sexualité a donné lieu, la semaine dernière, à des manifestations et des contre-manifestations houleuses dans les villes du pays. </p>
<p>La coalition <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/educational-material">One Million March 4 Children</a>, à l’origine des mobilisations, a dans sa mire un ensemble de composantes des programmes d’éducation à la sexualité dans les écoles, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_de_genre">notamment la théorie du genre</a>. Elle <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/supporters">réunit des organisations de camionneurs, de droite radicale et différentes organisations religieuses</a>. </p>
<p>Porté par divers mouvements conservateurs, la <a href="https://theconversation.com/from-america-to-ontario-the-political-impact-of-the-christian-right-107400">présence des groupes chrétiens</a> à ces manifestations n’était pas surprenante. La forte présence de communautés immigrantes, notamment musulmanes, en a toutefois étonné plusieurs. Durant cette semaine-là, une association musulmane et le chroniqueur conservateur <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/23/justin-trudeau-haineux-en-chef-du-canada-devrait-cesser-dinsulter-les-canadiens-qui-ne-pensent-pas-comme-lui">Mathieu Bock-Côté</a>, aux spectres idéologiques opposés, ont tous deux dénoncé <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/26/identite-de-genre-lassociation-musulmane-denonce-les-propos-de-trudeau">l’appel à la tolérance du premier ministre Trudeau</a> dans des termes à peu près identiques. </p>
<p>Tant les politiques libertariennes en matière fiscale que très conservatrices en matière sociale ont le vent en poupe. Et il n’y a aucune raison qu’elles n’intéressent pas les membres de la diversité religieuse.</p>
<p>Alors que le Parti populaire (PPC) de Maxime Bernier fait des questions liées au genre son cheval de bataille, Pierre Poilievre s’est montré plus prudent à sauter dans la mêlée. Il a demandé à ses députés d’en faire autant. Mais son parti pourrait tirer profit de cette polarisation. Trois éléments semblent aller dans ce sens. </p>
<p>D’abord, le vote chrétien évangéliste sur les valeurs morales est déjà largement acquis au PCC. Deuxièmement, contrairement à plusieurs formations de droite populiste européenne, le PCC a peu de marge de manœuvre en matière de discours hostile à l’immigration. Un parti qui veut gagner les élections fédérales ne peut se mettre les communautés issues de l’immigration à dos. Puis, la recherche d’une ligne de fracture au sein des communautés immigrantes selon l’axe conservateur/libéral en matière de sexualité et de genre peut modifier l’équilibre des forces politiques à plus long terme. </p>
<p>Respectivement professeur de sociologie à l’UQAM et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches portent sur le nationalisme, le populisme et les conflits politiques au Québec et au Canada. </p>
<h2>La politisation des enjeux trans par la droite conservatrice</h2>
<p>Si la politisation des questions liées à la sexualité par la droite religieuse n’est pas nouvelle, les débats sur le genre et l’inclusion des personnes trans a récemment pris une importance accrue. </p>
<p>La droite américaine en fait un élément de sa critique du libéralisme depuis des années. <a href="https://www.hilltimes.com/story/2023/07/17/how-the-political-right-are-contesting-pride-month-in-canada/392313/">La récupération de ces enjeux est toutefois plus récente au Canada</a>. Le PPC de Maxime Bernier a inscrit son opposition à « l’idéologie du genre » à son programme. </p>
<p>Plus récemment, des projets de loi proposés par les gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et de <a href="https://theconversation.com/saskatchewan-naming-and-pronoun-policy-the-best-interests-of-children-must-guide-provincial-parental-consent-rules-212431">la Saskatchewan</a>, qui visent à obliger les directions d’écoles à avertir les parents d’une demande de changement de prénom ou de genre exprimée par leur enfant, <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/juillet-2023/poilievre-trans-republicains/">ont également suscité de vifs débats</a>. Ils opposent les « droits parentaux » aux droits des enfants trans de vivre en sécurité. Au Québec, l’utilisation de prénoms neutres et la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-09-12/blocs-sanitaires-dans-les-ecoles/drainville-exige-le-maintien-de-toilettes-non-mixtes.php">question des toilettes mixtes</a> s’ajoutent à cette liste des enjeux qui activent cette polarisation.</p>
<h2>Les valeurs conservatrices des minorités culturelles : une route vers la victoire ?</h2>
<p>Le PCC a obtenu des résultats en deçà de ses attentes aux trois dernières élections. Or, l’usure du pouvoir libéral, l’inflation et les difficultés d’accès à la propriété sont des thèmes permettant au parti de faire des gains chez les jeunes, particulièrement les hommes. </p>
<p>Aux dernières élections, le défi du PCC était de concilier le conservatisme social espéré par sa base, avec une plate-forme acceptable pour l’électorat centriste. Andrew Scheer et Erin O’Toole ont trébuché sur ce problème. </p>
<p>La majorité conservatrice de Stephen Harper en 2011 reposait sur la capture de circonscriptions à forte proportion immigrante, notamment à Mississauga, Brampton, Richmond Hill et Vaughan, dans la région de Toronto. Or, ces circonscriptions ne faisaient pas partie de la <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/the-winner/the-emerging-conservative-coalition/">stratégie initiale de Harper</a>, mais la difficulté de rallier les nationalistes québécois l’a forcé à la réévaluer. Harper s’était alors tourné vers les minorités culturelles en banlieue de Toronto. Elles partageaient, outre les valeurs conservatrices, un attachement à la religion et à la libre entreprise. Harper a également introduit des <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/income-splitting-what-it-is-and-who-benefits-1.2818396">mesures fiscales favorables aux familles, majoritairement patriarcales</a>, qui valorisent le travail d’un seul parent et où un époux a des revenus beaucoup plus élevés que l’autre. </p>
<p>Aujourd’hui en avance dans les sondages, le PCC pourrait faire des gains aux dépens des libéraux à Markham, Vaughan, Richmond Hill, Whitby et Pickering-Uxbridge, dans certaines circonscriptions de Toronto, à Oakville et jusqu’aux banlieues de Hamilton. Le PCC pourrait aussi reprendre des circonscriptions dans le Grand Vancouver qu’il avait perdu aux mains des libéraux lors des dernières élections. </p>
<h2>La stratégie probable du PCC</h2>
<p>La politisation des enjeux liés au genre et à la sexualité est probablement perçue comme une opportunité par Poilievre de renouveler son électorat à l’approche de la prochaine élection. Pour y arriver, il est peu probable qu’il s’engage, à l’instar du Parti populaire, à limiter les droits des enfants transgenres ou à s’immiscer dans les champs de compétences des provinces. </p>
<p>Le PCC se contentera probablement de mobiliser des sifflets à chien dénonçant les « wokes » et d’appuyer les gouvernements provinciaux et les communautés religieuses dénonçant les programmes d’éducation sexuelle. </p>
<p>C’est ce que Poilievre a fait en août lors d’un rassemblement de la communauté pakistanaise de Toronto. Dans un <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/poilievre-lgbtq-pronouns-schools-1.6950029">discours prononcé dans le cadre des célébrations pour le Jour de l’Indépendance du Pakistan</a>, il s’est porté à la défense de la liberté de religion et du droit des parents de « transmettre leurs enseignements traditionnels à leurs enfants » et de les « élever avec leurs propres valeurs ». Plus tôt cet été, il s’était <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1991601/pierre-poilievre-plitique-713-taxe-carbone">opposé à ce que le gouvernement fédéral se mêle des débats au Nouveau-Brunswick</a>. </p>
<p>Le PCC pourrait bénéficier d’un <a href="https://angusreid.org/canada-culture-wars-gender-and-trans-issues/">appui</a> de la population sur ces enjeux. Même si les pratiques reliées aux transitions de genre <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales/2023-09-25/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales.php">sont rarissimes</a>, elles suscitent l’ire des milieux conservateurs. </p>
<p>D’autres positions conservatrices, comme la <a href="https://nationalpost.com/news/local-news/poilievre-blames-wave-of-violence-in-alberta-on-prime-minister-justin-trudeau-and-ndp/wcm/d6805980-8a25-43ba-93be-fe44bd2d5b89">critique de la décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique et du « wokisme » libéral en matière de criminalité</a>, pourraient aussi faire mouche. Ainsi, une stratégie axée sur le conservatisme fiscal, la loi et l’ordre, la famille traditionnelle et les valeurs conservatrices en matière de sexualité pourrait être très rentable pour le PCC. </p>
<h2>Quels dilemmes pour les partis d’opposition ?</h2>
<p>Cette stratégie du PCC remet également en question les stratégies du PLC et du NPD. Se présentant à la fois comme les défenseurs des communautés religieuses ou ethniques, des minorités sexuelles et de genre, mais aussi comme des critiques de la loi 21 du Québec sur la laïcité, ces partis ont entretenu des clientèles qui se retrouvent aux antipodes de cette polarisation sociale. </p>
<p>Cette évolution était prévisible. L’importante présence de certaines communautés culturelles dans les mobilisations anti-LGBTQ+ fait éclater l’idée simpliste véhiculée par la gauche identitaire selon laquelle la « diversité » serait nécessairement libérale et progressiste, parce que minoritaire. </p>
<p>Les communautés issues de l’immigration sont hétérogènes et leurs relations aux <a href="https://angusreid.org/canada-religion-interfaith-holy-week/">questions de liberté de conscience et d’expression</a> varient grandement. Mais leurs institutions communautaires, parfois religieuses et patriarcales, ne cadrent pas toujours avec l’orientation des libéraux et du NPD en matière de citoyenneté et diversité sexuelle.</p>
<p>Les réactions du milieu nationaliste québécois ont été équivoques sur ces questions. Le Bloc Québécois a manqué une occasion de prendre position en faveur des droits des minorités sexuelles avant ceux des parents à être indignés. Il a privilégié l’autonomie des provinces plutôt qu’une position de fond qui aurait été cohérente avec celle de Québec sur les dossiers de la liberté académique et de laïcité. </p>
<p>Le PCC pourrait cependant être confronté à l’éventualité où une province utilise la clause dérogatoire pour adopter une loi en lien avec les « droits parentaux », <a href="https://lactualite.com/actualites/une-injonction-est-accordee-sur-la-politique-sur-le-genre-a-lecole-en-saskatchewan/">utilisation récemment confirmée par Scott Moe en Saskatchewan</a>. Il serait délicat pour Poilievre de défendre l’utilisation de la clause dérogatoire dans les provinces conservatrices, mais de s’y opposer pour les lois du Québec sur la laïcité et la langue. </p>
<p>Une fenêtre semble ainsi s’ouvrir pour Poilievre et le PCC. L’usure du pouvoir, les cafouillages libéraux à répétition et les défis économiques y contribuent certainement. Cela dit, la croissance des communautés ethniques et religieuses et l’appui grandissant des jeunes au conservatisme s’inscrivent dans des changements sociaux et démographiques plus larges qui pourraient bousculer la donne politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214184/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le PCC de Pierre Poilièvre pourrait faire des gains en ralliant la droite libertarienne, les chrétiens évangélistes et les communautés immigrantes, notamment musulmanes, sur les enjeux de sexualité.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)François Tanguay, Doctorant, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2136742023-09-20T16:13:45Z2023-09-20T16:13:45ZLoi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile<p>Une <a href="https://theconversation.com/topics/reforme-immigration-78382">nouvelle loi sur l’immigration</a> doit être discutée en novembre à l’Assemblée nationale. Il s’agirait du <a href="https://www.histoire-immigration.fr/politique-et-immigration/la-29e-loi-sur-l-immigration-depuis-1980">29ᵉ texte</a> voté depuis 1980 ; cela fait un tous les 17 mois. Le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/02/darmanin-et-dussopt-sur-le-projet-de-loi-immigration-nous-proposons-de-creer-un-titre-de-sejour-metiers-en-tension_6148145_3224.html">projet</a> déposé en décembre 2022 envisage, outre une exonération, sous certaines conditions, du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler pour les demandeurs d’asile, un durcissement des règles du droit d’asile et une accélération des expulsions.</p>
<p>Si le sujet occupe un espace central dans le débat politique français, les réalités de l’<a href="https://theconversation.com/topics/immigration-21314">immigration</a>, les concepts et les chiffres qu’elle recouvre restent cependant au mieux l’objet de confusions, au pire de falsification et de fantasmes.</p>
<p>On se retrouve souvent face à la figure du <a href="https://theconversation.com/topics/demandeurs-dasile-56740">demandeur d’asile</a> en guenille qui incarnerait toute ou partie de l’immigration avec l’idée que la France « ne peut pas accueillir toute la misère du monde », <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/04/22/misere-du-monde-ce-qu-a-vraiment-dit-michel-rocard_1256930/">formule</a> lancée par le Premier ministre Michel Rocard en décembre 1989 et maintes fois reprises depuis.</p>
<p>Rechercher « migrants » dans un moteur de recherche, c’est s’exposer à des dizaines de photos de personnes en détresse tentant de traverser la méditerranée ou de longues colonnes de marcheurs le long de routes et barrières barbelées. Et ce plus encore alors que l’île italienne de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/15/l-ile-de-lampedusa-epicentre-de-la-crise-de-la-gestion-des-flux-migratoires-par-les-etats-europeens_6189471_3210.html">Lampedusa</a> revient à la Une des journaux, sujet à propos duquel le ministre de l’Intérieur français a affirmé une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/la-france-n-accueillera-pas-de-migrants-de-lampedusa-les-propos-de-gerald-darmanin-en-opposition-avec-emmanuel-macron-selon-un-depute_6072057.html">« position ferme »</a> : la France « n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa » sinon « les réfugiés politiques », a-t-il assuré.</p>
<h2>Confusion entre politique d’asile et politique migratoire</h2>
<p>La thématique des migrations fait pourtant l’objet de toujours plus de statistiques, de travaux et de publications au niveau international. Comme le rappelle, par exemple, François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, dans un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/immigration-le-grand-deni-francois-heran/9782021531145">ouvrage récent</a>, la prophétie du <a href="https://www.lepoint.fr/debats/francois-heran-ni-chaos-ni-tsunami-migratoire-12-06-2023-2524068_2.php">Tsunami migratoire</a> ne s’est pas réalisée. En 2022, la France a pris en charge <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/asylum-applications-eu/#:%7E:text=Nombre%20de%20premi%C3%A8res%20demandes%20par,l%E2%80%99Autriche%20(11%20%25).">16 % des demandes d’asiles</a> adressées à l’Europe quand notre PIB représente <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD?locations=EU">16,7 % du PIB européen</a>. Au total, les titres de séjours octroyés au titre de l’Asile et d’étrangers malades représentent environ 13 % de l’ensemble des titres en 2022.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1631564098465849346"}"></div></p>
<p>L’une des pierres d’achoppement du débat réside sans doute dans le maniement des mots et dans une confusion entre politique d’asile et politique migratoire. Il existe pourtant une distinction claire entre les deux : la première relève du droit international et du respect de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de Genève de 1951</a> dont la France et les pays européens sont signataires, la seconde relève de la politique ordinaire d’un état souverain. La politique d’asile est élaborée <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.p20161062">au profit des personnes Bénéficiaires de la protection internationale</a> (réfugiés et protégés subsidiaires) tandis que la politique migratoire ordinaire est élaborée par les États, en fonction de leurs intérêts à un moment donné.</p>
<p>Pour le reste, les discussions quant à l’orientation à donner à la politique d’asile souffrent d’un réel manque d’études quantitatives robustes sur lesquelles se fonder.</p>
<h2>Peu d’études malgré un matériau disponible</h2>
<p>À l’aube d’une nouvelle loi migration, la France est, de fait, peu documentée quant aux effets de sa politique d’asile et des programmes destinés à l’intégration des réfugiés. Dans un <a href="https://academic.oup.com/oxrep/article/38/3/531/6701697">article de recherche récent</a>, l’économiste danois Jacob Nielsen Arendt détaille avec ses coauteurs les travaux publiés qui évaluent les politiques relatives aux réfugiés et leurs performances sur le marché du travail. N’y apparaît qu’une seule étude sur la France, celle d’<a href="https://docs.iza.org/dp11331.pdf">Alexia Lochmann, Hillel Rapoport et Biagio Speciale</a>. On compte en parallèle plus d’une quinzaine d’études sur le Danemark et près d’une dizaine sur la Suède généralement fondées sur des données administratives de grande dimension.</p>
<p>L’étude sur la France date de surcroît de 2019. Les chercheurs y évaluent l’impact de la composante linguistique du Contrat d’accueil et d’intégration, l’ancêtre du Contrat d’intégration républicain. Par rapport aux études scandinaves, les auteurs doivent s’en remettre à des données d’enquête qui offrent un éventail d’indicateurs restreints et autodéclarés quant à la participation au marché du travail tandis que le nombre de Bénéficiaires de la protection internationale au sein de leur échantillon est relativement faible.</p>
<p>La France dispose pourtant de l’ensemble des outils et connaissances pour évaluer rigoureusement sa politique d’asile. Les centres de recherche français comptent de nombreuses équipes spécialistes de l’immigration et de l’évaluation expérimentale et non expérimentale. À ce titre, rappelons que la prix Nobel d’Économie 2019, Esther Duflo, est une Française spécialiste de l’évaluation par les méthodes expérimentales qu’elle a largement contribué à populariser.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a>
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<p>Du côté des données, la France dispose de très importants dispositifs statistiques d’une qualité inégalable et le <a href="https://www.casd.eu/">Centre d’accès sécurisé aux données</a> (CASD) permet d’accéder à distance à une infrastructure sécurisée où les données confidentielles sont sanctuarisées. Toutes les conditions techniques sont réunies pour mener des travaux d’évaluation du meilleur niveau académique fondés sur un large panel de méthodes afin d’étudier finement notre politique d’asile et verser au débat des propos fondés sur des preuves scientifiques.</p>
<h2>Sans évaluation, des bénéfices bien moins visibles</h2>
<p>Quel que soit l’issue du débat sur la loi immigration, il convient donc de consacrer l’évaluation de notre politique d’asile en se dotant des moyens requis. Cela implique notamment d’anticiper le financement et le soutien à des évaluations scientifiques rigoureuses mais également de mener à bien l’élaboration de dispositifs statistiques appariés pour pallier le risque de voir les chiffres être manipulés et les scientifiques se détourner du contexte français pour mener leurs recherches.</p>
<p>Celles-ci s’avèrent nécessaires, notamment car les coûts liés à l’immigration sont plus directement visibles que ses retombées positives dont la mesure requière des évaluations plus fines.</p>
<p>Du point de vue des coûts, en plus d’instruire les demandes d’asile, la France est tenue de garantir les conditions matérielles d’accueil en vertu du <a href="https://euaa.europa.eu/sites/default/files/public/reception-FR.pdf">droit européen</a>. Tout ceci est chiffré au sein des programmes 303 et 104 du projet de loi de finances (PLF). Dans le PLF 2022, l’action n°2 du programme 303, « Garantie de l’exercice du droit d’asile », représentait près de 90 % du budget du programme et recouvrait les crédits d’allocation pour les demandeurs d’asile (la fameuse « ADA »), l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile au sein du dispositif national d’accueil (le DNA), et le versement de la subvention de l’État à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra.</p>
<p>Du côté du programme 104 qui compte pour un peu plus de 20 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration, plusieurs actions sont en lien direct avec la politique d’asile. On y retrouve notamment une part du financement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1701639152356213133"}"></div></p>
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<p>À très grosse maille, près de 74 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration seraient ainsi fléchés vers la politique d’accueil des demandeurs d’asile et l’accompagnement des réfugiés. Face à ces dépenses, l’unique <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-04/NEB-2022-Immigration.pdf">recommandation</a> formulée par la Cour des comptes en avril 2023 lors de son exercice d’analyse de l’exécution budgétaire est :</p>
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<p>« Améliorer le taux d’hébergement des demandeurs d’asile en poursuivant le développement des capacités d’accueil du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (DNA), simplifiant les types d’hébergement des DNA, homogénéisant leurs modalités de tarification et de financement. »</p>
</blockquote>
<p><em>A contrario</em>, identifier les dividendes économiques d’une politique telle que la politique de l’asile requiert des calculs autrement plus élaborés. Quelques enseignements sont néanmoins déjà disponibles.</p>
<h2>Flux et performances économiques</h2>
<p>Hippolyte d’Albis, directeur de recherche au CNRS et à l’École d’économie de Paris, détaché auprès de l’Inspection générale des finances comme Chef économiste, montre avec ses co-auteurs que sur la période 1985-2015, les flux de demandeurs d’asile <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aaq0883">ne détériorent pas les performances économiques</a> ou l’équilibre budgétaire des pays d’Europe de l’Ouest. L’explication réside dans le fait que l’augmentation des dépenses publiques qu’ils induisent est plus que compensée par une augmentation des recettes fiscales nettes des transferts. Mieux, au fur et à mesure que les demandeurs d’asile deviennent des résidents permanents, c’est-à-dire qu’ils obtiennent une forme de protection, leur impact macroéconomique devient positif.</p>
<p>Pour les États-Unis, Michael Clemens du <em>Center for Global Development</em> montre, quant à lui, que la politique visant à réduire les arrivées de réfugiés et de demandeurs d’asile entre 2017 et 2020 coûterait plusieurs milliards de dollars chaque année à l’économie américaine. Selon ses estimations, déduction faite des dépenses publiques, le manque à gagner pour les caisses publiques à tous les niveaux de gouvernement s’élèverait à <a href="https://academic.oup.com/oxrep/article/38/3/449/6701682">plus de 2 milliards de dollars par an</a>.</p>
<p>Néanmoins, pour pleinement profiter du potentiel du dividende économique que représente l’accueil de demandeurs d’asile et de réfugiés, il convient d’élaborer et de financer des politiques et programmes efficaces, que seules des évaluations rigoureuses permettent d’identifier. Dès septembre 2015, au plus fort de la crise des réfugiés, l’économiste Jens Weidmann alors président de la banque fédérale d’Allemagne <a href="https://www.sueddeutsche.de/wirtschaft/jens-weidmann-das-staerkt-mir-den-ruecken-1.2648708?reduced=true">déclarait</a> au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung que l’afflux de réfugiés représentait « des chances qui sont d’autant plus grandes si nous parvenons à bien intégrer dans la société et dans le marché du travail ces personnes ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Michallet a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, du CNRS et de la Direction Générale des Étrangers en France au cours des trois années passées.
Benjamin Michallet travaille à l’École d'Economie de Paris dont une partie des activités consiste à mener des évaluations de politiques publiques à des fins de recherche scientifique. </span></em></p>Même si les données existent et que les méthodes pour les exploiter ont fait leurs preuves, les évaluations quantitatives de la politique d’asile en France restent très rares. Cela pénalise le débat.Benjamin Michallet, Chercheur en économie des réfugiés à PSE-École d'Économie de Paris, associé à la Chaire économie des migrations internationales et l'Institut Convergences Migrations, enseignant à IEP Paris, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091762023-08-15T21:08:38Z2023-08-15T21:08:38ZL’Accord franco-algérien de 1968 est-il en sursis ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537482/original/file-20230714-15-gbkiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C7404%2C4632&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président français Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune à Alger, le 27 août 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ludovic Marin / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Une nouvelle fois tenu pour <a href="https://www.fondapol.org/etude/politique-migratoire-que-faire-de-laccord-franco-algerien-de-1968">« cause de l’échec »</a> de la gestion de l’immigration algérienne, l’<a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/L-accord-franco-algerien">Accord franco-algérien</a> de 1968 a aussi été récemment <a href="https://www.lexpress.fr/politique/exclusif-edouard-philippe-immigration-subie-algerie-delinquance-on-creve-des-non-dits-UKTIL7AR4RFF7CJ4MN3ALWAMIE/">brocardé</a> par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe qui, début juin, annonçait envisager sa dénonciation.</p>
<p>Né de circonstances historiques particulières liées aux <a href="https://theconversation.com/19-mars-1962-une-fin-de-la-guerre-qui-nen-finit-pas-74822">Accords d’Évian</a>, l’Accord de 1968 vise à <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/104/Publications%20FR/Diffusion/KS_Algeriens_Migration.pdf">réorganiser</a> la circulation postindépendance des personnes entre les 2 pays. Le Conseil d’État en a constaté le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007735276/">caractère spécifique</a> et conclu que sur les sujets dont il traite, les règles générales du droit commun regroupées dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ne s’appliquent pas aux ressortissants algériens. Pour autant, l’Accord de 1968 n’a pas échappé à l’influence du Ceseda au fil des 3 avenants qu’il a intégrés.</p>
<p>Quels droits si exorbitants ouvre-t-il aujourd’hui qu’il faille en finir ? L’hypothèse, grosse de sérieuses difficultés diplomatiques et humaines, est-elle juridiquement réalisable ?</p>
<h2>Des intérêts mal identifiés à l’origine, vite redéfinis</h2>
<p>Les <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/DZ-FR_620319_AccordsEvian.pdf">Accords d’Évian</a> du 18 mars 1962, énoncent : « sauf décision de justice, tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France ». Ces Accords garantissent aux « Pieds-noirs » qui choisissent la nationalité algérienne le droit de circuler librement entre les deux pays. Les départs massifs de l’été 1962 en ont décidé autrement. <a href="https://theconversation.com/en-1926-les-entraves-a-la-migration-tuaient-deja-en-mediterranee-162483">La libre circulation, qui ne leur a pas toujours été accordée</a> bien que sujets puis nationaux français, profitait finalement et essentiellement aux Algériens “ex-indigènes”.</p>
<p>Débuta en 1963 une politique de <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article3864">contingentement</a> du nombre de travailleurs algériens se rendant en France. Accord est conclu en 1964 pour en limiter le volume. Décidée par consentement mutuel des 2 pays (accord contractuel) pour une durée déterminée, la limitation ne porte que sur la main-d’œuvre salariée. Cet accord est dénoncé en 1966.</p>
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<p>S’ensuit la signature le 27 décembre 1968 de l’Accord franco-algérien relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles.</p>
<h2>Une tendance à la baisse du niveau de protection</h2>
<p>L’Accord vise à réduire <a href="https://theconversation.com/limmigration-represente-t-elle-une-menace-pour-les-salaires-et-lemploi-113502">l’immigration de la main d’œuvre salariée</a>. Il fixe un contingent annuel révisable de 35 000 travailleurs, chacun devant, pour bénéficier d’un titre de séjour de 5 ans, trouver un emploi sous 9 mois. Un « certificat de résidence d’Algérien » (CRA), d’une validité de 5 ans pouvant être réduite en cas de chômage, est délivré aux travailleurs salariés ou non-salariés et aux Algériens résidant en France disposant de ressources suffisantes. Un CRA de 10 ans est délivré aux Algériens déjà présents depuis 3 ans. Il préserve la libre circulation des Algériens « se rendant en France sans intention d’y exercer une activité professionnelle salariée ».</p>
<p>En septembre 1973, l’Algérie décide l’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/11417">arrêt de l’émigration de travail</a> vers la France. En 1974, la France décide de <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2008-2-page-69.htm">suspendre toute immigration</a>. Dans la foulée, le renvoi de 500 000 Algériens sur 5 ans entre dans l’agenda gouvernemental. Les <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article3863">difficiles négociations de 1978-1979</a> restreignent cet objectif. Sont prises, sans grande efficacité, des mesures de « retour volontaire ». En 1983, un nouvel accord restreint la libre circulation pour visite privée ou familiale.</p>
<p>En 1985, est signé le premier avenant à l’Accord de 1968. Son niveau de protection est quasiment calqué sur le droit commun des étrangers de l’époque. L’avenant en transpose la durée des titres de séjour : 1 an et 10 ans. La liberté d’établissement pour les professions non-salariées et la liberté de circulation des touristes sont maintenues. Cet avenant marque pourtant le point de départ de l’érosion progressive de l’Accord de 1968.</p>
<p>L’instauration en 1986 du visa d’entrée en France lui porte un coup sévère. Celle-ci déclenche, par réciprocité, l’instauration d’un visa d’entrée en Algérie. La <a href="https://theconversation.com/migration-comment-se-distribue-le-privilege-de-libre-circulation-197155">« libre circulation »</a> est dès lors dépendante de la politique des visas.</p>
<p>L’avenant de 1994, complété par échange de lettres, limite l’absence du territoire à 3 ans sous peine de péremption du CRA. Les visites privées et familiales sont soumises, outre le visa, à la production d’un certificat d’hébergement, d’un justificatif de ressources et d’un billet de transport aller-retour.</p>
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<p>En 2001, un dernier avenant aligne l’Accord sur la loi Chevènement de 1998 globalement plus favorable aux étrangers. Il fige le <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/np_53_statut_des_algeriennes_et_des_algeriens_en_france.pdf">statut des Algériens</a> dans l’état d’alors. L’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence relance les critiques et, fin 2010, un projet de quatrième avenant, resté sans suite, est discuté.</p>
<h2>Un niveau de protection affecté par le Ceseda</h2>
<p>Si l’Accord de 1968 reste le mètre-étalon des règles régissant les immigrés algériens, il ne les soustrait pas pour autant aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007981929">règles de procédure</a> du Ceseda applicables à tous les étrangers. Leur sont aussi applicables mesures d’éloignement, contrôles et sanctions et droit d’asile car non inclus dans l’Accord de 1968.</p>
<p>Que reste-t-il de l’Accord de 1968 qui justifierait <a href="https://theconversation.com/peut-on-etre-contre-limmigration-et-pour-lheritage-chretien-152040">critiques sévères</a> et appels à le dénoncer ?</p>
<p>Sans être exhaustif, on relèvera quelques <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-international/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/L-accord-franco-algerien">avantages spécifiques</a> non-négligeables. Ainsi, de la liberté d’établissement. Un Algérien porteur d’un projet commercial ou artisanal n’a pas à prouver, préalablement à l’obtention du premier titre de séjour, la viabilité de son activité. Ce n’est pas le cas pour les étrangers relevant du Ceseda. Un Algérien peut obtenir un titre de séjour de 10 ans après 1 an de séjour régulier quand il en faut 3 pour l’étranger relevant du Ceseda. Le conjoint·e algérien de Français·e peut obtenir un titre de séjour dès lors qu’il entre en France muni d’un visa de court séjour. Le Ceseda exige un visa de long séjour.</p>
<p>En contrepoint, certains avantages induits des lois votées depuis 2004 ne bénéficient que par exception aux Algériens. Il en va ainsi de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000021191574/">« régularisation par le travail »</a> des sans papiers ou de la régularisation pour “motifs humanitaires” de la loi de 2004. L’étudiant algérien doit renouveler son titre de séjour chaque année, ne pouvant prétendre au titre pluriannuel du Ceseda. S’il se retrouve dans l’irrégularité, 15 ans de présence sont nécessaires pour une hypothétique régularisation, contre 10 ans pour les autres étrangers. En termes d’emploi étudiant, la durée de travail qui lui est autorisée est inférieure à celle du Ceseda. Dans le regroupement familial du Ceseda, le visa long séjour du membre rejoignant vaut titre de séjour de 1 an. L’Algérien rejoignant porteur du même type de visa doit se rendre à la préfecture dans les 2 mois de son arrivée pour demander délivrance du premier titre de séjour.</p>
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<p>Globalement, l’Accord franco-algérien, s’il conserve quelques avantages, n’est plus si protecteur, son contenu originel ayant été érodé au fil des avenants et de la complexité croissante des procédures spécifiques au Ceseda qui s’imposent aussi aux Algériens. Son intérêt réside en ce que les règles de fond régissant les Algériens ne peuvent être modifiées unilatéralement. En cela, il n’est pas différent des autres <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/Les-accords-bilateraux-avec-certains-%C3%89tats-d-Afrique-subsaharienne">accords bilatéraux</a> conclus en la matière à la différence notable que ces derniers ne portent que sur quelques points particuliers.</p>
<h2>Une dénonciation juridiquement mal assurée</h2>
<p>Selon le principe <em>pacta sunt servanda</em>, les parties à un traité sont tenues de l’exécuter. Un traité peut être légalement dénoncé exclusivement si les conditions <em>sine qua non</em> sont remplies. L’existence d’une clause qui en prévoit la dénonciation en est la principale. L’Accord de 1968 ne contient pas cette clause.</p>
<p>En revanche, il contient un article 12 créant une commission mixte franco-algérienne. Celle-ci est chargée de suivre l’application de l’Accord et d’en résoudre les difficultés. Ses négociateurs ont voulu que toute difficulté soit réglée par cette commission. C’est donc sciemment que la clause de dénonciation n’a pas été incluse.</p>
<p>La dénonciation fondée sur la nature du traité, qui implique son « extinction naturelle » une fois ses objectifs atteints, n’est pas moins hasardeuse. Ce texte tire en effet sa source des Accords d’Évian. De ce fait, il participe à la poursuite de relations bilatérales conçues par les signataires pour être pérennes.</p>
<p>Enfin, sa dénonciation aurait pour conséquence de rétablir le <em>statu quo ante</em>, c’est-à-dire les droits issus des Accords d’Évian, donc, en droit… la libre circulation des Algériens entre l’Algérie et la France ! Quel bénéfice alors à dénoncer cet accord, sauf à poursuivre un objectif politique singulier ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hocine Zeghbib ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En perspective, une autre loi sur l’immigration. En onde de choc, des appels à mettre fin à l’Accord franco-algérien sur la circulation et le séjour. Est-ce indispensable et juridiquement faisable ?Hocine Zeghbib, Maître de conférences HDR honoraire, Université Paul-Valéry- Montpellier IIII, chercheur au CREAM- Faculté de droit, Université Montpellier, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103152023-07-27T19:37:58Z2023-07-27T19:37:58ZAcheter des passeports ou quand la « nationalité de papier » est affaire de fiscalité<p>« Français de papier » : depuis la Première Guerre mondiale, cette expression ressurgit périodiquement dans le débat et encore tout récemment dans les discussions du <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/emmanuelle-menard-evoque-des-francais-de-papier-la-gauche-scandalisee_220886.html">projet de loi « Reconstruction »</a>, consécutives aux <a href="https://theconversation.com/topics/emeutes-66638">émeutes</a> qui ont éclaté la première quinzaine de juillet.</p>
<p>L'expression, utilisée alors par la droite et l'extrême-droite et qui a provoqué de vives remous dans l'hémicycle, vise à critiquer les règles d’acquisition de la <a href="https://theconversation.com/topics/nationalite-22010">nationalité</a> française et à stigmatiser l’<a href="https://theconversation.com/topics/immigration-21314">immigration</a> comme source de tous les maux. Certaines personnes seraient françaises, mais sans attaches viscérales à la France : disposant d’un <a href="https://theconversation.com/topics/passeport-100743">passeport</a>, elles réduiraient la nationalité à un bout de papier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1681942730883121157"}"></div></p>
<p>Schématiquement, l’acquisition de la nationalité d’un pays dépend en général soit du droit du sol, soit du droit du sang. Dans le premier cas, la nationalité est attribuée à la personne qui naît sur un territoire donné, principe retenu par les pays d’immigration afin de favoriser l’intégration ; dans le second, les enfants héritent à leur naissance de la nationalité de leurs parents, principe cette fois favorisé par les pays d’émigration.</p>
<p>La pratique a néanmoins développé une autre technique : l’achat de passeport. Il existe ainsi une catégorie de personnes disposant d’une ou de plusieurs nationalités de papiers pour des raisons davantage fiscales que fondées sur un amour immodéré de la patrie.</p>
<p>Rendre compte de ce marché très particulier comme nous tentons de le faire dans nos <a href="https://univ-paris-dauphine.hal.science/hal-04001970/">travaux</a> et s’interroger sur sa portée en cas de contrôle fiscal pose plus largement la question des liens entre nationalité et <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">fiscalité</a>.</p>
<h2>Des passeports en promo</h2>
<p>Nombreux sont les États, dont la France, qui définissent des politiques visant à se rendre attractifs pour les personnes disposant de hauts revenus. L’idée est de permettre à ces individus de trouver dans les réglementations en vigueur des incitations à acquérir une autre nationalité.</p>
<p>Les stratégies peuvent être très diverses. Le premier pays à avoir adopté ce type de politique a été l’archipel de Saint-Christophe-et-Niévès (Saint Kitts and Nevis) en 1984. L’argument de vente, encore utilisé aujourd’hui, s’avère simple : en 2023, contre un versement de <a href="http://stkitts-citizenship.com/">170 000 dollars</a> au <a href="https://globalresidenceindex.com/sustainable-growth-fund-saint-kitts/"><em>Sustainable growth fund</em></a>, qui vise à développer la santé, l’éducation et les infrastructures sur les îles, un couple et deux enfants se voient attribuer un passeport qui leur permet de circuler librement dans tous les États du Commonwealth. Une « promotion » de 25 000 dollars court même jusqu’en février 2024.</p>
<p>Antigua et la Barbade ont adopté la même politique avec le même argument : ces politiques migratoires visent à compenser l’absence de ressources de ces États. Au Vanuatu, le commerce des passeports constitue une <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-50053933">source majeure de revenus pour l’État</a>.</p>
<h2>Des milliards de recettes, y compris pour l’Europe</h2>
<p>En <a href="https://laviedesidees.fr/Un-marche-europeen-des-nationalites.html">droit européen</a>, le résident d’un pays membre de l’espace Schengen peut y circuler librement et bénéficie pleinement des libertés fondamentales consacrées par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cela vaut notamment s’il décide de créer une entreprise ou de s’installer dans un autre État membre.</p>
<p>Certains États ajoutent même, afin d’attirer des personnes ne disposant pas de la nationalité d’un pays membre de l’espace Schengen, la possibilité d’acquérir un visa spécial qui fera office de permis de résidence. En contrepartie d’un investissement dans un pays qui propose ce type de visa – Belgique, Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Malte, Portugal –, la personne ainsi que son conjoint et ses enfants obtiennent les mêmes droits que ceux d’un résident d’un État membre de l’espace Schengen.</p>
<p>Chaque pays <a href="https://www.etiasvisa.com/fr">pose ses conditions</a>. Par exemple, en Italie, il faut investir 250 000 euros dans une start-up italienne ou 500 000 euros (au lieu de 1 000 000 euros auparavant) dans une entreprise locale. En Autriche, la réglementation distingue l’acquisition du titre de résidence pour un montant minimum de 40 000 euros investis dans une entreprise autrichienne et l’acquisition directe de la nationalité en contrepartie d’un investissement de 10 millions d’euros dans une entreprise ou d’une contribution d’au moins 3 millions d’euros à un fonds de développement gouvernemental.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1507398460403822592"}"></div></p>
<p>Dans un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220211IPR23114/pour-l-interdiction-des-passeports-dores-et-des-regles-pour-les-visas-dores">communiqué de presse en date du 15 février 2022</a>, le Parlement européen indiquait que ces programmes ont bénéficié à près de 130 000 personnes entre 2011 et 2019, générant plus de 21,8 milliards d’euros de recettes pour les pays concernés. Le marché serait en pleine expansion ; en 2014, à l’échelle mondiale, il était évalué à <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2019-4.htm">25 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Si le Parlement européen s’est prononcé pour l’interdiction de la vente de passeports de pays membres de l’espace Schengen, il ne remet pas en cause le principe de l’acquisition d’un statut de résident en contrepartie d’un investissement. En dépit de menaces de procédures européennes, les États membres peuvent considérer qu’il est <a href="https://www.eurotopics.net/fr/262817/visas-dores-chypre-ignore-les-rappels-a-l-ordre-de-l-ue">financièrement plus rémunérateur de poursuivre de telles politiques</a>.</p>
<p>Il aura fallu la guerre entre la Russie et l’Ukraine pour que l’Union européenne mette fin au programme des « visas dorés » tout simplement parce la volonté affichée de saisir des avoirs (dont notamment des biens immobilier ou mobilier de valeur, tels que des yachts de luxe) détenus par des personnes de nationalité russe visées nominativement est moins aisé à partir du moment où elles disposent d’un visa, voire d’une nationalité d’un pays de l’Union européenne.</p>
<h2>Nationalité ou résidence ?</h2>
<p>En droit français, l’imposition d’une personne dépend généralement de l’identification de son <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041464195/2023-07-20">domicile fiscal</a> et non de sa nationalité. Lorsqu’une personne dispose d’intérêts économiques entre deux pays liés par une convention fiscale, la nationalité n’intervient comme critère d’imposition qu’en dernier lieu, c’est-à-dire si les administrations fiscales n’ont pas réussi à identifier un lieu de résidence habituelle. En cas de double nationalité, il revient aux États de se mettre d’accord sur le lieu d’imposition de la personne, sans que cela n’exclue au passage une double imposition. En privilégiant la résidence sur la nationalité, il est apparemment sans conséquence pour l’État qu’une personne cumule plusieurs nationalités.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cependant, le fait de disposer de deux nationalités avec deux adresses distinctes crée mécaniquement un obstacle à la taxation. Il faut alors que l’administration fiscale identifie le lieu de résidence du contribuable et les flux de revenus pour pouvoir les imposer et qu’ensuite elle effectue une démarche auprès de l’autre État concerné. Un autre élément peut en outre compliquer fortement ces procédures : la possibilité que certains États offrent aux individus de changer complètement leur état civil.</p>
<p>Bien évidemment, il est possible de mettre à jour ce type d’artifice, mais à la double condition de renforcer les moyens de contrôle et que les États coopèrent en matière de transmission d’informations. Le fait que les États, à commencer par la France, simplifient les procédures pour modifier l’état civil offre incontestablement de nouvelles opportunités pour les personnes qui cherchent à éluder l’impôt.</p>
<h2>Une nationalité française moins « intéressante » ?</h2>
<p>La tentation est ainsi grande de chercher également en droit français à faciliter l’imposition des personnes non résidentes sur le territoire français à partir d’un critère de nationalité. Ce point a fait l’objet d’un débat parlementaire au printemps lors de la ratification de la <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/andorre/andorre_convention-avec-la-principaute-d-andorre-revenu-signee-le-2-avril-2013_fd_7522.pdf">convention fiscale entre Andorre et la France</a>, dont la rédaction est le décalque de celle de la convention France- États-Unis. En l’occurrence, cette convention stipule :</p>
<blockquote>
<p>« Nonobstant les dispositions de tout autre article de la présente Convention : la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente Convention n’existait pas. »</p>
</blockquote>
<p>Cette évolution, rupture conceptuelle par rapport à l’approche classique fondée sur le lieu de résidence de la personne, si elle se généralisait pourrait entraîner une <a href="https://www.senat.fr/seances/s201412/s20141218/s20141218001.html">multiplication des demandes de renonciation à la nationalité française</a>.</p>
<p>En résumé, l’expression du désir d’appartenance à une Nation, l’adhésion aux valeurs nationales, à l’heure de la mondialisation dépendrait davantage du montant des impôts que la personne peut être amenée à acquitter. Libre à la personne de choisir sa nationalité en <a href="https://www.henleyglobal.com/passport-index">fonction des avantages qu’elle procure</a>. Nous arrivons ainsi à un stade où la nationalité n’échappe pas à la logique de marchandisation. Les « Français de papier » ne sont pas celles et ceux qui sont visés par ceux qui utilisent cette expression aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des systèmes permettent à des individus fortunés d’acheter des passeports afin d’échapper à l’impôt. Avec des ruptures récentes, certains pourraient être tentés de renoncer à la nationalité française.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066592023-07-17T13:57:24Z2023-07-17T13:57:24ZÉlections anticipées en Espagne : le pari risqué des socialistes face à une droite conquérante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537125/original/file-20230712-19-airfnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C0%2C6834%2C4542&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gauche ou droite: ce sera le choix des électeurs espagnols lors des élections générales anticipées le 23 juillet, qui pourraient voir entrer un parti d'extrême droite au gouvernement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Manu Fernandez)</span></span></figcaption></figure><p>Les électeurs espagnols sont conviés aux urnes le 23 juillet prochain, en pleine période de vacances estivales.</p>
<p>Deux questions occuperont les analystes jusque bien après la tenue du scrutin. D’abord, la formation d’un gouvernement soutenu par une majorité stable au parlement sera-t-elle possible ? Et le gouvernement inclura-t-il des élus de Vox, un parti d’extrême droite <a href="https://www.elconfidencial.com/espana/2022-02-06/abascal-aboga-natalidad-nacional-frenar-despoblacion_3370945/">hostile à l’immigration</a>, <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-06-27/vox-intenta-ganar-el-voto-de-las-mujeres-ofreciendoles-proteccion-mientras-las-priva-de-derechos.html">aux droits des femmes</a>, des <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-06-29/ni-matrimonios-ni-adopcion-ni-cambio-de-sexo-en-la-sanidad-publica-los-derechos-lgtbi-que-vox-quiere-restringir.html">minorités sexuelles</a> et de <a href="https://www.telecinco.es/noticias/espana/20230619/santiago-abascal-entrevista-ana-rosa-violencia-genero-no-existe_18_09826565.html">genre</a> ? </p>
<p>Si les conservateurs du Partido Popular l’emportent et que Vox détient la balance du pouvoir, <a href="https://theconversation.com/espagne-lextreme-droite-pourrait-faire-son-entree-au-gouvernement-202569">l’extrême droite intégrera une coalition gouvernementale pour la première fois depuis la consolidation de la démocratie espagnole</a>.</p>
<p>Doctorant et chargé de cours en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, mes recherches portent sur la mémoire collective du passé fasciste dans l’Espagne et l’Italie démocratiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/espagne-lextreme-droite-pourrait-faire-son-entree-au-gouvernement-202569">Espagne : l’extrême droite pourrait faire son entrée au gouvernement</a>
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<h2>Des élections régionales et municipales aux élections générales</h2>
<p>Les partis formant la coalition gouvernante en Espagne ont subi une défaite historique aux élections régionales et municipales du 28 mai.</p>
<p><a href="https://elpais.com/espana/elecciones/autonomicas/">Le PP devrait bientôt diriger 11 régions, contre trois pour les socialistes</a>. Ces deux partis étaient à la tête de cinq et neuf régions, respectivement, avant les régionales. <a href="https://www.elconfidencial.com/espana/2023-06-12/vox-llama-pp-pactar-135-ayuntamientos-necesita-votos-rechaza-chantajes_3663852/">Le PP devrait par ailleurs gouverner en coalition avec Vox dans 135 municipalités</a>.</p>
<p><a href="https://cadenaser.com/nacional/2023/05/28/el-pp-arrasa-en-las-elecciones-del-28-m-y-tine-de-azul-el-mapa-local-y-autonomico-cadena-ser/">La progression du PP a été marquée</a> : à l’échelle nationale, le parti a gagné près de deux millions de votes par rapport aux élections générales de novembre 2019, pour culminer à 31,5 % des suffrages. Les socialistes (PSOE) ont subi un modeste recul de 430 000 votes par rapport à 2019, obtenant 28 % des suffrages. Mais l’effondrement de Podemos, leur partenaire de coalition, place la gauche en position précaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Trois hommes en complet cravates posent debout, au côté d’une femme vêtue de blanc" src="https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537127/original/file-20230712-28-aqfqaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le candidat du Parti populaire Nunez Feijóo serre la main du premier ministre espagnol et candidat socialiste Pedro Sánchez, avant le débat télévisé précédant les élections générales espagnoles, à Madrid, le 10 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bernat Armangue)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le PP, de son côté, a absorbé <a href="https://www.publico.es/politica/tragicomedia-ciudadanos-cinco-actos.html">Ciudadanos, parti de droite dont le virage centriste a visiblement été un échec</a> et <a href="https://www.eldiario.es/politica/ciudadanos-decide-no-presentarse-generales-23j-certifica-defuncion_1_10251795.html">qui a renoncé à se présenter aux élections générales</a>. Vox, de son côté, a fait des progrès significatifs par rapport aux précédentes élections régionales et municipales et détient la balance du pouvoir dans cinq régions remportées par le PP. </p>
<p>Vox poursuit donc sur sa lancée, porté par les tensions que comporte le caractère plurinational de l’Espagne (Catalogne, Pays basque), et par les réticences de la composante la plus conservatrice de l’électorat catholique face au développement des droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Il suit l’exemple d’autres forces politiques d’extrême droite qui ont gagné du pouvoir en Europe ces dernières années. Le parti espère connaître une progression similaire aux Fratelli d’Italia de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1926778/italie-giorgia-meloni-nommee-cheffe-du-gouvernement">Giorgia Meloni</a> et à la Lega de Matteo Salvini, qui ont pris le pouvoir en Italie en octobre dernier. <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-09/abascal-quiere-negociar-con-feijoo-medidas-copiadas-del-ultra-orban-que-rechaza-el-pp-europeo.html">Il rêve d’imiter son allié, Viktor Orban</a>, qui gouverne la Hongrie depuis 2010.</p>
<p>Alberto Núñez Feijóo, leader du PP, avait soigneusement évité la question des alliances entre sa formation et Vox jusqu’à récemment, <a href="https://elpais.com/opinion/2023-06-14/feijoo-bendice-a-vox.html">attribuant la seule coalition à l’échelle régionale entre ces partis</a>. Il y est confronté quotidiennement depuis le déclenchement des élections générales.</p>
<h2>La démocratie contre l’extrême droite ?</h2>
<p>Le premier ministre sortant, Pedro Sánchez, a l’habitude des paris risqués. En 2019, il avait convoqué des élections anticipées en novembre, après avoir été élu minoritaire au scrutin d’avril. N’ayant pas obtenu les gains souhaités, il avait formé une coalition avec Podemos. </p>
<p>Au lendemain des élections du 28 mai, il a convoqué des élections générales en <a href="https://elpais.com/espana/2023-05-29/sanchez-adelanta-las-elecciones-al-23-de-julio-ante-el-fiasco-de-las-autonomicas.html">invoquant le message clair envoyé par la population, à la vieille du mandat espagnol à la présidence tournante du conseil de l’Union européenne</a>.</p>
<p>En termes stratégiques, la décision de Sánchez constitue un pari risqué. Il espère freiner l’élan conservateur dans l’espoir que le PP et Vox arrivent à court d’une majorité. Lors des élections du 28 mai, le <a href="https://www.larazon.es/espana/sanchez-adelanta-elecciones-porque-vox-llegan-40_20230530647595e43d230000013b2a0f.html">PP et Vox ont obtenu 38,68 % des suffrages</a>, ce qui, lors des élections générales, se traduirait par une récolte de 160 sièges, loin des 176 nécessaires à l’obtention d’une majorité parlementaire. La tendance à long terme est à l’érosion du vote socialiste et à la progression des suffrages favorables au PP : un scrutin en juillet plutôt qu’en décembre pourrait laisser trop peu de temps à la droite et lui coûter la majorité.</p>
<h2>La gauche mise sur l’unité</h2>
<p>Les socialistes appellent à faire barrage face à l’extrême droite. La campagne électorale coïncide avec les négociations sur la formation de coalitions pour gouverner les régions autonomes. <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-autonomicas/2023-06-13/el-pp-y-vox-acuerdan-formar-un-gobierno-de-coalicion-en-la-comunidad-valenciana.html">Le PP s’est déjà entendu avec Vox pour former des coalitions à Valence</a> et en <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-autonomicas/2023-06-30/lea-el-texto-de-la-alianza-de-pp-y-vox-en-extremadura.html">Extrémadure</a>. Les conservateurs ont négocié l’abstention de l’extrême droite au îles Baléares en <a href="https://www.elmundo.es/baleares/2023/06/28/649c5feffdddffe6418b45cc.html">échange de la présidence du parlement</a>, mais sans concéder de portefeuille ministériel à Vox. <a href="https://www.eldiario.es/politica/sanchez-clama-movilizacion-izquierda-evitar-papelon-gobierno-feijoo-abascal_1_10305593.html">Le PSOE compte sur ces alliances pour mobiliser son électorat</a>.</p>
<p>Pour mieux faire face à la menace que représente l’extrême droite, la gauche mise sur l’unité. Les forces politiques à la gauche du PSOE se sont rassemblées dans un nouveau parti, Sumar, dirigé par la ministre du travail sortante, Yolanda Díaz. Cela permettra d’éviter la division du vote qui a coûté cher à Podemos le 28 mai. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme prend une photo d’une affiche électorale" src="https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537132/original/file-20230712-15-tqsi4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une banderole déployée sur la place Pedro Zerolo exhorte les gens à voter contre l’alliance de la haine, le 10 juillet 2023, à Madrid.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP\IMAGE DISTRIBUTED FOR AVAAZ -- NGO)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En campagne, le PSOE et Sumar s’entendent sur les options qui se présentent aux électeurs : un bloc de gauche, héritier d’un gouvernement progressiste ; et un bloc de droite et d’extrême droite, qui souhaite démanteler les politiques sociales mises en place par la gauche.</p>
<h2>La droite hésite, puis assume ses alliances</h2>
<p>Pour contrer l’appel socialiste à faire barrage à l’extrême droite, le PP d’Alberto Núñez Feijóo a ajusté sa stratégie. <a href="https://cadenaser.com/nacional/2023/06/01/feijoo-sobre-los-pactos-con-vox-si-quieren-derogar-el-sanchismo-pueden-facilitarlo-cadena-ser/">Il a d’abord appelé Vox à laisser son parti gouverner les régions où il est arrivé en tête sans faire de concessions à l’extrême droite</a>. </p>
<p>Il a aussi appelé Pedro Sánchez et les élus de son parti à s’engager à s’abstenir lors de l’investiture du futur gouvernement espagnol, si cela est nécessaire pour permettre au parti gagnant de gouverner en solitaire. <a href="https://www.telecinco.es/elprogramadeanarosa/20230704/gobierno-pedro-sanchez-ana-rosa_18_09953987.html">Le chef socialiste a refusé de s’engager en ce sens, rappelant l’opposition du PP à l’investiture des socialistes à la suite des deux élections générales de 2019</a>. </p>
<p>La droite voulait capitaliser sur l’élan que lui ont donné les élections du 28 mai en évitant de donner des munitions aux socialistes avec une alliance trop étroite avec Vox. Le PP est maintenant transparent <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-03/feijoo-afirma-que-gobernara-en-solitario-si-tiene-mas-escanos-que-la-izquierda-y-que-se-aliara-con-vox-si-necesita-su-sus-votos.html">sur sa disposition à faire entrer Vox au gouvernement central</a> si l’appui de ses députés est nécessaire à son investiture. </p>
<h2>La droite a peu d’alliés</h2>
<p>Ce changement de cap témoigne d’un problème persistant pour le PP : dans un système de partis fragmenté, la <a href="https://elpais.com/podcasts/hoy-en-el-pais/2023-06-12/podcast-sirve-un-cordon-sanitario-para-frenar-a-la-extrema-derecha.html">droite a peu d’alliés potentiels au parlement</a>, <a href="https://www.eldiario.es/politica/feijoo-defiende-pacto-extrema-derecha-vox-accedio-propuesta-hizo-acuerdo-sencillo_1_10294812.html">jugeant illégitimes les alliances avec les partis nationalistes basques et catalans</a>. </p>
<p>À ceux qui l’interrogent sur les risques d’une coalition avec Vox, Feijóo renvoie la balle à Pedro Sánchez avec ce que plusieurs voient comme une <a href="https://elpais.com/defensor-a-del-lector/2023-06-25/por-que-llamamos-ultra-a-vox-y-no-a-podemos.html">fausse équivalence</a>. Le leader socialiste, à la tête d’une coalition avec les populistes de gauche de Podemos, <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-05/sanchez-y-feijoo-se-lanzan-a-la-caza-del-voto-fronterizo-entre-psoe-y-pp.html">a parfois eu besoin de l’appui des indépendantistes basques et catalans lors de la dernière législature, mais il n’a pas permis à ces derniers de gouverner</a>.</p>
<h2>La participation électorale, un élément clé pour les socialistes</h2>
<p>Alors que Sánchez appelle à freiner l’ascension de l’extrême droite <a href="https://www.larazon.es/espana/feijoo-proclama-candidatura-presidencia-gobierno-unir-espanoles-que-espana-deje-perder_202305306475deb75199f300018d3afc.html">Feijóo souhaite cadrer le scrutin du 23 juillet comme un référendum portant sur les années Sánchez</a>.</p>
<p>La participation électorale sera un élément clé du succès socialiste, mais les élections tenues au courant de l’été ont tendance à démobiliser l’électorat, ce qui risque de bénéficier à la droite. </p>
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<img alt="Scène dans un bar, avec des gens attablés et un écran de télévision allumé" src="https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537126/original/file-20230712-19-c78e4y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens assistent, indifférents, au débat télévisé entre les candidats aux élections du 23 juillet. Les élections tenues au courant de l’été ont tendance à démobiliser l’électorat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Manu Fernandez)</span></span>
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<p>Dans ce contexte, <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-06-05/sanchez-plantea-seis-debates-cara-a-cara-con-feijoo-hasta-las-elecciones-uno-por-semana.html">Sánchez souhaite forcer son adversaire à débattre</a>, alors que <a href="https://www.eldiario.es/politica/feijoo-rechaza-seis-cara-cara-propuestos-sanchez_1_10267825.html">Feijóo se satisfait volontiers d’un faible engagement de l’électorat</a>. <a href="https://www.ondacero.es/elecciones/generales/asi-sido-debate-cara-cara-pedro-sanchez-nunez-feijoo_2023071164ac8277bcaee000012a3461.html">Il n’a accepté qu’un débat face à face avec Sanchez</a>, tandis que ce dernier profite de toutes les invitations sur les <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-05/entrevistando-a-pedro-sanchez.html">plateaux télévisuels</a> pour tenter de convaincre le public de lui accorder un autre mandat.</p>
<h2>Un risque calculé ?</h2>
<p>Pedro Sánchez joue gros dans ces élections : son échec porterait l’extrême droite au pouvoir pour la première fois en 45 ans de démocratie. Ce serait là une marque indélébile sur sa carrière politique. </p>
<p>Pour l’instant, les <a href="https://elpais.com/espana/elecciones-generales/2023-07-13/el-pp-aumenta-su-ventaja-y-suma-seis-escanos-desde-el-cara-a-cara-con-sanchez.html">sondages donnent le PP gagnant, mais une coalition avec Vox risque d’être insuffisante pour lui donner une majorité</a>. Dans les circonstances, Pedro Sánchez s’accroche à l’espoir de se maintenir au pouvoir malgré la victoire attendue du PP. S’il en a l’occasion, il aura du pain sur la planche pour négocier l’appui des nombreux partis dont il aura besoin pour son investiture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206659/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel-Philippe Robitaille a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et culture et de la Chaire de recherche du Canada en Sociologie des conflits sociaux.</span></em></p>Si les conservateurs l’emportent et que Vox détient la balance du pouvoir, l’extrême droite intégrera une coalition gouvernementale pour la 1ʳᵉ fois depuis la consolidation de la démocratie espagnole.Michel-Philippe Robitaille, Doctorant et chargé de cours en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096592023-07-16T15:28:27Z2023-07-16T15:28:27ZLa chute du gouvernement Rutte aux Pays-Bas : illustration des forces et faiblesses du régime parlementaire<p>Le 7 juillet 2023, une annonce officielle secoue l’un des États membres fondateurs de l’Union européenne. Aux Pays-Bas, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/11/aux-pays-bas-la-demission-surprise-du-premier-ministre-mark-rutte-menace-les-liberaux-europeens_6181454_3210.html">gouvernement de Mark Rutte vient de chuter</a>. Le premier ministre, qui était à la tête de son quatrième gouvernement de coalition, se trouvait au pouvoir depuis douze ans, si bien qu’il avait été surnommé <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/10/mark-rutte-everyman-dutch-pm-whose-teflon-powers-finally-waned-netherlands">« Téflon »</a> par les commentateurs politiques (avec lui, les polémiques glissent sans laisser de taches). Pourtant, le débat de ce début d’été 2023 aura raison de son art du compromis.</p>
<p>Cette fois, Mark Rutte (VVD, parti libéral classé au centre droit) n’est pas parvenu à faire ce qu’il avait jusqu’alors toujours réussi : trouver un arrangement entre sa sensibilité et les autres partis membres de la coalition gouvernementale qu’il dirigeait (le D66, social-libéral, et les conservateurs chrétiens-démocrates du CDA et du CU) sur un sujet politique très clivant : « prendre des mesures pour limiter l’afflux de demandeurs d’asile ».</p>
<p>Les opinions des représentants de sa coalition se confrontaient sur la question – de fond davantage que d’actualité – du regroupement familial des immigrés et, plus spécifiquement, sur la question du quota d’enfants autorisés à rejoindre le pays pour y retrouver un parent (le quota mensuel de 200 enfants venait d’être dépassé). <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/pays-bas-le-gouvernement-de-mark-rutte-chute-apres-des-negociations-houleuses-sur-limmigration-7741a89c-1cf5-11ee-b2e8-5637fbb93cc6">Constatant son incapacité à trouver un terrain d’entente entre ses ministres</a>, Mark Rutte a décidé de présenter au roi Willem-Alexander la démission de son gouvernement.</p>
<h2>Le recours au chef de l’État face à la chute d’un gouvernement</h2>
<p>Le roi des Pays-Bas est en conséquence contraint de mettre fin à ses vacances en Grèce pour recevoir et conseiller son premier ministre. Comme dans presque tous les États européens, il faut en effet garder à l’esprit que le <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2005-1-page-6.htm">véritable chef du pouvoir exécutif est le premier ministre</a> (souvent également appelé « ministre président » en néerlandais) et non le chef de l’État. Ce dernier, en l’occurrence le monarque aux Pays-Bas, ne possède qu’un rôle protocolaire et de représentation.</p>
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<p>Ce système, qui est souvent présenté comme un folklore cantonné au Royaume-Uni et à quelques pays scandinaves, est en réalité le plus commun en Europe. Car, à l’exception notable de la France et de certains États d’Europe centrale, le chef de l’État, qu’il soit président de la République ou monarque, qu’il soit élu directement par les citoyens (Autriche, Finlande, Irlande, etc.) ou non (Allemagne, Italie, Suède, etc.), n’est que très marginalement à la manœuvre politique.</p>
<p>Son rôle principal – important toutefois – consiste à aider le premier ministre à s’entourer des bonnes personnalités au sein des différents ministères, puis à approuver formellement la création du gouvernement. Aux Pays-Bas, cela prend la forme d’une prestation de serment des ministres devant le roi. C’est en somme ce que l’on a coutume d’appeler un régime parlementaire, car si le chef de l’État est ainsi relégué à ce rôle de simple soutien, c’est parce que la légitimité électorale se concentre intégralement sur le Parlement.</p>
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<p>Le premier ministre tire alors sa légitimité et son pouvoir de la confiance que lui accorde son Parlement, au nom duquel il agit et auquel il doit obéir et rendre des comptes. De fait, pour obtenir la confiance du Parlement, la composition du gouvernement doit être un reflet fidèle des couleurs politiques dominantes dans l’hémicycle. La difficulté principale aux Pays-Bas, comme dans de nombreux autres États européens, est que le Parlement est élu selon le mécanisme du scrutin proportionnel, ce qui signifie qu’il n’existe que très rarement une majorité claire, et que les premiers ministres doivent parvenir à établir des coalitions.</p>
<h2>Les coalitions gouvernementales sont le modèle dominant en Europe, mais elles posent de nombreuses difficultés</h2>
<p>Le scrutin proportionnel est à la fois une force et une faiblesse pour la démocratie. Sa force principale est indéniablement le fait qu’il offre à tous les citoyens une chance d’être fidèlement représentés au sein du Parlement, puis plus tard à travers le gouvernement qui en sera le reflet, « à hauteur de ce qu’ils représentent effectivement dans la société ». C’est d’autant plus vrai dans les systèmes qui proposent une proportionnelle intégrale comme aux Pays-Bas.</p>
<p>Ainsi, un microparti comme le « Denk » (« Pense », gauche radicale) ou le « BBB » (<em>Mouvement agriculteur – citoyen</em>, divers centre) envoient des députés et des sénateurs au Parlement néerlandais malgré leur importance <a href="https://www.lepoint.fr/monde/aux-pays-bas-le-pouvoir-a-portee-de-fourche-des-national-farmers-08-07-2023-2527800_24.php">aujourd’hui encore modeste</a> dans l’échiquier politique.</p>
<p>La faiblesse d’un tel système est principalement de deux ordres. D’une part, le scrutin proportionnel peut offrir un poids important à des partis politiques populistes, voire antidémocratiques, ce qui représente un vrai risque aux Pays-Bas où le premier parti d’opposition est le <a href="https://www.lepoint.fr/europe/aux-pays-bas-geert-wilders-veut-desislamiser-la-societe-11-01-2021-2409064_2626.php#11">PVV</a> (<em>Parti pour la liberté</em>, extrême droite) de Geert Wilders.</p>
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<p>D’autre part, on l’a dit, le scrutin proportionnel offre rarement une majorité claire (plus de 50 % des sièges) à un seul parti politique. C’est le cas actuellement, puisque le parti de centre droit dont Mark Rutte était le chef (après sa démission, il a <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/apres-la-chute-de-son-gouvernement-le-premier-ministre-neerlandais-annonce-quitter-la-politique">annoncé la fin de sa carrière politique</a>) n’occupe que 22 % des sièges de l’hémicycle (une proportion comparable au poids politique du président Macron au premier tour de l’élection présidentielle française).</p>
<p>Il dispose du plus grand nombre de sièges, mais il est très éloigné des 50 % de sièges nécessaires pour obtenir une majorité. Il a donc été obligatoire pour Rutte après les élections de mars 2021 de chercher des alliés auprès d’autres formations, en l’occurrence chez les autres partis de droite, et de faire des compromis sur son propre programme. Ce processus peut s’avérer long (271 jours pour former la coalition qui vient tout juste de voler en éclats) et le risque d’une mauvaise entente qui peut mener à la chute plane toujours au-dessus d’un gouvernement de coalition…</p>
<h2>Malgré toutes les difficultés liées aux coalitions, il est possible que la démocratie y trouve son compte</h2>
<p>La question du remplacement du premier ministre démissionnaire est indissociable de l’élection d’un nouveau Parlement. S’il est possible pour un premier ministre de démissionner sans que cela entraîne une dissolution du Parlement, Mark Rutte a ici confirmé qu’il y aurait de nouvelles élections législatives en novembre 2023.</p>
<p>Dans un premier temps, il va donc rester en place et gérer, selon la formule consacrée, « les affaires courantes », sans être capable toutefois de prendre de décisions d’importance telle que la signature d’un traité international. En effet, dans la logique parlementaire, le gouvernement agit au nom du Parlement et risque à tout moment d’être renversé s’il n’agit pas dans le sens souhaité par la majorité des députés ; or il est impossible pour un gouvernement ayant déjà chuté de chuter à nouveau. Ces considérations nous replongent dans l’importance pour le droit constitutionnel de toujours rechercher l’équilibre et l’interdépendance des pouvoirs.</p>
<p>La chute des gouvernements est donc un problème. Elle est d’ailleurs souvent présentée comme une difficulté récurrente et insurmontable des III<sup>e</sup> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mai-1958-la-chute-de-la-ive-republique-7325983">IVᵉ</a> Républiques françaises. Pourtant, la situation qui existe aux Pays-Bas et dans de nombreux autres pays d’Europe au XXI<sup>e</sup> siècle peut laisser penser que, malgré l’échec du compromis gouvernemental et les divers coûts liés à de nouvelles élections, les mécanismes des régimes parlementaires peuvent tout de même s’avérer capables de répondre efficacement aux standards les plus élevés de la vie démocratique.</p>
<p>D’une certaine façon, la démission du gouvernement permet de remettre chaque acteur face à ses responsabilités. Les ministres tout comme les parlementaires prennent en effet à tout moment le risque de perdre leur siège s’ils refusent de jouer le jeu du compromis. La démission permet de poser une question au peuple, de lui permettre de trancher le différend politique que les membres du gouvernement n’ont pas su résoudre en interne : en l’occurrence, quelle politique migratoire souhaitez-vous ?</p>
<p>À la différence d’un référendum, la réponse qu’apporte une élection législative proportionnelle sera pleine de nuances. Elle ne sera pas simplement destinée à servir d’approbation ou de réprobation vis-à-vis de l’auteur de la question (comme c’est souvent le cas des référendums), mais obligera chaque citoyen à choisir le parti politique, petit ou grand, historique ou nouvellement créé, qui reflétera ses aspirations démocratiques du moment. Plutôt que de voir la politique en blanc et noir, en oui et non, ce système donne aux citoyens l’occasion d’apporter une réponse qui leur ressemble – subtile, complexe, multicolore.</p>
<p>Dans une période où les institutions de la V<sup>e</sup> République française sont si souvent remises en question, il paraît opportun de mieux comprendre quels sont réellement les points forts et les points faibles à l’œuvre dans les Constitutions de nos plus proches voisins européens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209659/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierrick Bruyas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du fait d’un désaccord sur la politique migratoire, la coalition gouvernementale néerlandaise a implosé. L’occasion de s’interroger sans a priori sur la pertinence des régimes parlementaires.Pierrick Bruyas, PhD in Law, postdoctoral researcher (Univ. of Strasbourg), guest researcher (Univ. of Aarhus, Denmark), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.