tag:theconversation.com,2011:/es/topics/jacques-chaban-delmas-73687/articlesJacques Chaban-Delmas – The Conversation2022-01-23T17:30:04Ztag:theconversation.com,2011:article/1751562022-01-23T17:30:04Z2022-01-23T17:30:04ZQuels effets les sondages auront-ils sur la présidentielle ?<p>Depuis soixante ans, les sondages d’opinion jouent un rôle primordial et controversé dans le déroulement des campagnes électorales. Leur <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-comment-interpreter-les-derniers-sondages-20211012">multiplication pour l’élection présidentielle 2022</a> s’explique par l’utilisation d’Internet et par la nécessité des chaînes d’information de nourrir leurs émissions en continu. Mais ces sondages auront-ils une influence sur les résultats de la « mère de toutes les élections » ?</p>
<p>La supposée influence des sondages en politique serait conforme à la théorie des « réponses cognitives ». Celle-ci montre que les <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/comment-se-forme-et-s-exprime-l-opinion-publique_c12d44fe-6770-11ea-b526-05bd5eeeb0a7/">opinions des autres</a> comptent dans les prises de position individuelles sur des candidats ou des enjeux. En clair, les opinions d’une personne peuvent changer quand elle connaît celles des autres. La personne penche vers des arguments qui ne lui seraient jamais venus à l’esprit en temps normal ; elle s’interroge sur les raisons qui expliquent que tant de citoyens favorisent un candidat ; elle trouve des raisons pour le soutenir à son tour. Cette théorie offre une explication convaincante du comportement des individus <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/12/21/election-presidentielle-2022-l-ombre-de-l-abstention-plane-sur-le-scrutin_6106856_6059010.html">moyennement impliqués</a> vis-à-vis d’un enjeu, ce qui est souvent le cas pour une partie des citoyens lors d’élections.</p>
<p>Deux effets des sondages ont été beaucoup étudiés par les sociologues et les chercheurs en marketing politique : l’effet <em>bandwagon</em> et l’effet <em>underdog</em>.</p>
<h2>Effet <em>bandwagon</em> : soutenir le gagnant</h2>
<p>L’ effet <em>bandwagon</em> (littéralement « char à musique » : l’expression apparaît aux États-Unis dans les années 1850 quand les candidats défilaient avec un chariot sur lequel jouait un orchestre) pourrait se traduire par « effet d’entraînement » ou « effet de mode ». Cet effet désigne la propension à « sauter dans le bon wagon » ou « suivre le vainqueur ». L’électeur est encouragé à se retrouver dans le camp du gagnant, autrement dit à rejoindre la majorité.</p>
<p>L’effet bandwagon s’apparente à une forme d’opportunisme qui pousse l’individu à adhérer à l’avis du plus grand nombre. Et à voter pour celui qui est en tête dans les sondages. Cet effet « char à musique » a joué au moins trois fois dans la vie politique française.</p>
<p>En 1974, au premier sondage de l’élection présidentielle, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/c-etait-comment-la-presidentielle-de-1974_1066185.html">Valéry Giscard d’Estaing</a> devance Jacques Chaban-Delmas de seulement un point.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441403/original/file-20220118-17-9vy4j1.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chiffres des sondages donnés pour Valéry Giscard d’Estaing.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sofres</span></span>
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<p>Au fil des sondages, l’écart s’agrandit de façon croissante. Et les résultats suivent cette tendance avec un écart encore plus important entre les deux concurrents. À la suite du premier sondage, le léger avantage de VGE va influencer certains électeurs indécis. Ainsi, les sondages suivants révèlent un écart de plus grosse ampleur entre les deux candidats. De ce fait, l’effet <em>bandwagon</em> grandit de façon exponentielle et l’influence des sondages est de plus en plus forte.</p>
<p>En 2006, la <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/Comparaison-entre-la-primaire-PS-2011-et-2006-394465-3115046">primaire socialiste</a> donne les résultats suivants : 60,6 % pour <a href="https://www.dailymotion.com/video/xl37b1">Ségolène Royal</a>, 20,8 % pour Dominique Strauss-Kahn et 18,5 % pour Laurent Fabius. Le très faible écart du début, qui devint énorme à la fin, soulève cette question provocante : sont-ce les sondages qui ont choisi Ségolène Royal, ou les militants socialistes ?</p>
<p>L’écart dans les sondages provoque un effet <em>bandwagon</em> pour le favori, qui à son tour creuse cet écart dans les sondages :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441677/original/file-20220120-19-1luo5cv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’effet <em>bandwagon</em> nourrit l’écart et vice versa.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philippe Villemus</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En 2017, nombre d’électeurs de gauche ont préféré voter pour <a href="https://www.lci.fr/politique/presidentielle-pour-la-premiere-fois-un-sondage-donne-macron-en-tete-au-premier-tour-2028530.html">Emmanuel Macron</a> parce qu’arrivant en tête dans les sondages, il était plus susceptible de battre le candidat de droite.</p>
<h2>L’effet <em>underdog</em> : secourir le perdant</h2>
<p>L’ effet <em>underdog</em> (littéralement « opprimé ») désigne la tendance qu’ont les individus à voter ou s’engager pour l’enjeu ou le candidat qui est à la traîne dans les sondages. On pourrait parler d’effet « chien battu ». En psychologie sociale, on parle d’effet <a href="https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/567099">« boomerang »</a> quand « une tentative de persuasion a l’effet inverse de celui attendu et renforce les attitudes de la cible plutôt que de les modifier ». L’effet <em>underdog</em> désigne la mobilisation en faveur du candidat le moins bien placé dans les sondages ou les enquêtes. Le candidat en retard deviendrait sympathique aux yeux des électeurs qui voudraient lui éviter la défaite annoncée par les sondeurs. Il s’agit de secourir le « perdant ».</p>
<p>En 1995, aucun institut de sondage n’avait prévu l’arrivée en tête de <a href="https://www.lesechos.fr/1995/04/le-premier-tour-debouche-sur-un-duel-entre-jospin-et-chirac-856085">Lionel Jospin</a> au premier tour, devant Jacques Chirac et <a href="https://www.liberation.fr/france/1995/04/24/edouard-balladur-elimine-mais-pas-lamine-battu-avec-19-le-premier-ministre-a-appele-des-hier-soir-a-_129406/">Édouard Balladur</a> (le favori éliminé). Cette surprise s’explique en partie par la crainte d’une partie de l’électorat, alimentée par les enquêtes d’opinion, de voir la gauche absente du second tour.</p>
<p>En 2002, à l’inverse, on peut se demander si l’élimination surprise de Lionel Jospin au premier tour n’est pas due à l’interdiction à l’époque de publier des sondages la veille de l’élection. En avril 2002, si l’opinion publique avait été alertée de la possible élimination de Lionel Jospin au premier tour, par un effet <em>underdog</em>, les électeurs de gauche auraient plus voté pour lui. Et <a href="https://www.sudouest.fr/elections/presidentielle/videos-en-2002-le-choc-du-premier-tour-de-la-presidentielle-en-france-2222695.php">Jean_Marie Le Pen</a> n’aurait peut-être pas accédé au second tour.</p>
<h2>« Vote utile », mauvaise humeur et désertion</h2>
<p>L’effet <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/la-tentation-du-vote-utile">« vote utile »</a>, bien que nié par beaucoup de sociologues politiques, désigne la propension d’un électeur à voter pour un candidat, même si le votant préfère un autre candidat qui lui a moins de chance de passer le premier tour. Dans le système français à deux tours, des citoyens choisissent parfois leur candidat non pas en fonction de leur préférence, mais en fonction de leur aversion à d’autres candidats.</p>
<p>Enfin, des chercheurs ont identifié deux autres effets des sondages sur les élections. L’effet « humble the winner » (« humilier le vainqueur ») correspondrait à un effet de « mauvaise humeur » face au vainqueur proclamé : il s’agit de rendre « plus humble » le favori (<a href="https://www.20minutes.fr/politique/1970267-20161128-primaire-droite-comment-alain-juppe-rate-premiere-derniere-campagne-presidentielle">Alain Juppé</a>, en 2016, à la primaire de la droite et du centre ?). L’une des conséquences de cet effet serait de démobiliser des électeurs qui pensent que le candidat va gagner.</p>
<p>L’effet « snob the loser » (« snober le perdant ») correspondrait à une « désertion » du camp menacé par la défaite : il consiste à abandonner le perdant (<a href="https://www.lesechos.fr/2016/11/primaire-a-droite-sarkozy-elimine-une-humiliation-pour-lancien-president-218314">Nicolas Sarkozy</a> à la primaire de la droite et du centre en 2016 ?). Une de ses conséquences serait de démobiliser des électeurs qui pensent que l’élection est perdue.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alain Juppé, en course pour la primaire en 2016.</span></figcaption>
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<h2>L’indépendance des instituts contre la méfiance des électeurs</h2>
<p>Les sondages et leurs effets, parce qu’ils exerceraient une influence notable sur les résultats, sont souvent <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/les-politiques-et-les-sondages-je-t-aime-moi-non-plus-20211118">décriés par les politiciens</a>. Or ces effets agissent surtout auprès d’électeurs indécis et peu motivés par les enjeux politiques, et très affectés par l’opinion collective. Ils sont le cauchemar des politologues et des sondeurs car ces effets sont connus mais non quantifiables.</p>
<p>A fortes doses, les sondages peuvent induire une méfiance des électeurs lassés de se faire rabâcher par les médias que tel ou tel camp possède les meilleures chances de l’emporter. <a href="https://www.europe1.fr/emissions/L-edito-eco/une-denonciation-des-sondages-a-geometrie-variable-4077686">Les instituts de sondage</a> doivent donc rester indépendants, car une manipulation pourrait avoir de grandes conséquences sur le vote final. Plus globalement, l’étude des effets des sondages sur l’élection nous renvoie à une question fondamentale : <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/science-publique/comment-prenons-nous-nos-decisions">comment faisons-nous nos choix</a> ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Villemus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sondages ne sont pas neutres et peuvent à terme expliquer les comportements des électeurs.Philippe Villemus, Professeur chercheur en marketing et leadership, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1203912019-07-16T12:59:59Z2019-07-16T12:59:59ZL’affaire de Rugy : quand le quinquennat macronien rappelle l’époque Pompidou<p>Sous le coup des révélations de Mediapart concernant les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/100719/la-vie-de-chateau-sur-fonds-publics-des-epoux-de-rugy">dîners fastueux entre amis aux frais des contribuables</a>, le <a href="http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/l-ex-directrice-de-cabinet-de-francois-de-rugy-il-a-voulu-sauver-sa-tete-en-offrant-la-mienne-20190712">logement HLM de sa directrice de cabinet</a> et l’<a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/110719/francois-de-rugy-profite-lui-aussi-d-un-logement-vocation-sociale?onglet=full">occupation d’un logement à vocation sociale</a>, le ministre de la Transition écologique François de Rugy a annoncé sa démission du gouvernement, le mardi 16 juillet. Au-delà de cette décision, les citoyens peuvent légitimement s’interroger sur l’efficacité de la lutte contre la corruption.</p>
<p>Car depuis le début de ce quinquennat, les « affaires » s’enchaînent, impliquant <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Accumulation-de-plaintes-contre-le-candidat-En-Marche-de-Neuilly-1286102">Laurent Zameczkowski</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/06/23/affaire-revelations-demissions-la-semaine-noire-de-francois-bayrou-et-du-modem_5150304_823448.html">François Bayrou</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/05/31/l-affaire-richard-ferrand-en-cinq-questions_5136649_4355770.html">Richard Ferrand</a>, <a href="https://www.letelegramme.fr/france/benalla-hulot-collomb-la-serie-noire-continue-pour-macron-03-10-2018-12096257.php">Alexandre Benalla, Gérard Colomb</a>, etc. Le Président Macron lui-même avait commencé à pâtir, au début de la campagne présidentielle de 2017, d’une affaire d’usage d’argent public <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/01/25/argent-public-y-a-t-il-une-affaire-macron_1544010">pour des dîners privés lorsqu’il était à Bercy</a>.</p>
<p>Tous ces scandales médiatiques, qui ne sont pas forcément suivis de poursuites judiciaires, nous interrogent : comment cela se passait-il sous d’autres présidents ? Prenons donc l’exemple du mandat inachevé de Georges Pompidou.</p>
<h2>Le « scandale de la Villette », premier d’une longue série</h2>
<p>L’affaire des abattoirs de la Villette, plus connue sous le nom du « scandale de la Villette », est la première à mettre en cause la majorité gaulliste de l’époque. Les abattoirs, vétustes, bénéficient dès 1957 <a href="http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1972/06/s19720630_1421_1467.pdf">d’un projet de rénovation</a>. Le député UDR de Paris (Union des Démocrates pour la République) <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/trombinoscope/VRepublique/legis04/grailly-de-michel-22111920.asp">Michel de Grailly</a> dirige alors la société d’économie mixte chargée de ce travail. Ancien résistant, il est considéré comme un « chevalier blanc »… jusqu’à ce que la presse ne commence à l’accuser d’avoir abusé de sa position au sein de la société d’économie mixte pour <a href="https://fr.shopping.rakuten.com/mfp/5678488/dossier-i-comme-immobilier-philippe-madelin">remplir la « caisse noire » de l’UDR</a>.</p>
<p>Toujours prêt à se rebeller contre la majorité en place, le Sénat – emmené par <a href="https://www.senat.fr/senateur/marcilhacy_pierre000236.html">Pierre Marcilhacy</a> – se saisit de cette question et promet de faire toute la lumière sur le scandale. Les conclusions de l’enquête qui s’en suit mettent en lumière de graves dysfonctionnements dans la gestion de la société d’économie mixte. Pourtant, le gouvernement ordonne, le 6 août 1970, le maintien des activités des abattoirs (toujours à la charge de la société de De Grailly), ignorant ainsi les <a href="http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1972/06/s19720630_1421_1467.pdf">constatations des sénateurs</a>. Le <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/questions-de-societe/annees-mao-en-france_9782738141613.php">rapt de Michel de Grailly</a> par des maoïstes, le 26 novembre 1970, inaugure une phase d’accalmie, la presse le plaignant plutôt que de continuer à la conspuer.</p>
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<p>Les tentatives pour relancer l’affaire échouent pendant plus d’un an, les médias et la population semblant garder cet élan de sympathie à l’égard du député gaulliste. Mais, le <a href="http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1972/06/s19720630_1421_1467.pdf">30 juin 1972</a>, Pierre Marcilhacy, soutenu par les sénateurs socialistes et communistes, parvient finalement à remettre le scandale sur le devant de la scène. Il accuse le gouvernement de faire porter le chapeau aux employés subalternes pour protéger « certains dirigeants politiques » de l’affaire. Peu après, Michel de Grailly est accusé de détournement de fonds privés.</p>
<p>Il sera innocenté en 1973, mais l’UDR le lâchera et <a href="http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS0466_19731015/OBS0466_19731015_050.pdf">s’en servira comme bouc-émissaire</a>, lui faisant porter toute la responsabilité du « scandale de la Villette ».</p>
<h2>La « Garantie foncière », mère de toutes les affaires</h2>
<p>Si le « scandale de la Villette » n’a finalement fait tomber qu’un homme (plusieurs gaullistes ayant eu peur de poursuites mais s’en sortant finalement plutôt bien), le mandat de Georges Pompidou est marqué par plusieurs autres affaires qui vont nuire à l’image de la majorité politique de l’époque.</p>
<p>Le 9 juillet 1971, <em>Le Monde</em> dévoile un scandale impliquant des élus gaullistes et des promoteurs immobiliers associés pour détourner une partie des revenus et loyers collectés par le biais d’investissements des souscripteurs au sein de la « Garantie foncière ». Cette société promettait à ses investisseurs d’acquérir des logements qui seraient traités et évalués par ses soins. Or, loin d’agir en toute honnêteté, la « Garantie foncière » a en réalité surévalué les biens acquis et détourné une partie des loyers qui devaient être reversés aux investisseurs.</p>
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<p>Ce scandale financier et immobilier fait grand bruit car le président de la société incriminée n’est autre qu’André Rives-Henrys, député de Paris, autre figure de la résistance et <a href="https://www.herodote.net/5_juillet_1971-evenement-19710705.php">proche du premier ministre Jacques Chaban-Delmas</a>. Sentant peut-être les médias se rapprocher dangereusement, <a href="https://www.belin-editeur.com/les-annees-pompidou">Rives-Henrys a la présence d’esprit de quitter</a> la « Garantie foncière » en janvier 1971. Cependant, il ne peut éviter le scandale. Assurant n’avoir été qu’un président de façade, il prétend ne pas avoir été au courant des malversations survenues. Or <em>L’Humanité</em> démontre, le 12 juillet 1971, qu’il avait « offert » une croisière promotionnelle à des investisseurs… aux frais des épargnants !</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/07/23/dispersion_2453598_1819218.html">La presse s’empare du dossier</a> et « s’acharne » sur Rives-Henrys, profitant de l’occasion pour attaquer à travers lui le gouvernement. L’UDR, fort embarrassée, l’oblige à quitter le parti et à renoncer à son mandat l’année suivante. Poursuivi pour escroquerie, abus de confiance et complicité d’abus de biens sociaux (<em>Le Figaro</em>, 18 octobre 1971), il plonge le gouvernement dans une gêne telle que ce dernier décide de mener discrètement une enquête interne afin « d’éviter qu’aucune suspicion ne puisse peser sur l’honnêteté de l’administration en toutes matières et particulièrement dans le domaine de l’urbanisme et des affaires immobilières » (Circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets le 26 octobre 1971).</p>
<p>« Le procès de la Garantie foncière », qui s’ouvre tardivement (septembre 1973), s’achève en mars 1974. André Rives-Henrys, épinglé comme la figure de proue de la <a href="https://www.lemonde.fr/archives-du-monde/29-03-1974/">manœuvre par la presse</a> mais dont le rôle ne fut probablement pas aussi important qu’elle le prétendait, <a href="https://immobilier.lefigaro.fr/article/il-y-a-43-ans-s-ouvrait-le-proces-d-un-retentissant-scandale-immobilier_b934a102-cc10-11e5-b040-c7802248bb8d/">écopa d’une peine de 4 mois de prison avec sursis</a>, tandis que ses plus richissimes complices – les époux Frankel – étaient condamnés à de la prison ferme pour avoir détourné 32 millions de francs.</p>
<h2>L’affaire Dega et les feuilles d’impôts de Jacques Chaban-Delmas</h2>
<p>En parallèle du scandale de la « Garantie foncière » éclatent deux autres affaires au fort retentissement médiatique : l’affaire Dega et celle portant sur les feuilles d’impôts de Jacques Chaban-Delmas. La première <a href="http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS0473_19731203/OBS0473_19731203_028.pdf">survient en novembre 1971</a> et met en scène Édouard Dega, un inspecteur des impôts ayant aidé des contribuables à pratiquer l’évasion fiscale.</p>
<p>En creusant, les <a href="http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS0438_19730402/OBS0438_19730402_043.pdf">journalistes découvrent</a> que son frère, Georges Dega, réalisait « des interventions en faveur de sociétés réclamant des licences d’importation exceptionnelles » en échange d’un financement douteux et discret des fonds de l’UDR.</p>
<p>Comme si tout cela ne suffisait pas <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1972/02/03/le-canard-enchaine-publie-une-lettre-de-chaban-delmas-a-m-dega_2382012_1819218.html">éclate, le 19 janvier 1972</a>, le « scandale » des feuilles d’impôts du premier ministre. <em>Le Canard enchaîné</em> montre qu’entre 1966 et 1969, Jacques Chaban-Delmas ne payait pas d’impôt alors qu’il déclarait un revenu imposable de 72 400 francs (ce qui est énorme pour l’époque).</p>
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<p>Mettons les choses au clair tout de suite : Jacques Chaban-Delmas n’a rien fait d’illégal. Il bénéficiait en réalité de l’<a href="https://www.netpme.fr/actualite/suppression-fiscal-france-regle-avec-bruxelles/">avoir fiscal</a>, une mesure appliquée entre 1965 et 2004. Cependant, le fait qu’un homme public aussi aisé ne paie pas d’impôts a indigné l’opinion publique qui y a vu une forme d’injustice profonde, nuisant gravement à l’image d’un homme soucieux des plus modestes que voulait alors se donner le chef du gouvernement.</p>
<h2>Les révélations explosives de « l’Archange »</h2>
<p>« Le palmipède » publie un nouvel article, le 13 septembre 1972, intitulé « l’étrange opération Archange ». Derrière ce nom énigmatique se cache le plus retentissant scandale politico-financier sous le mandat de Georges Pompidou.</p>
<p>Gabriel Aranda, qui fut conseiller technique chargé des relations avec la presse du ministre de l’Équipement Albin Chalandon, fournit plus d’une centaine de documents au journal prouvant le <a href="https://livre.fnac.com/a7514635/Sabrina-Tricaud-Les-Annees-Pompidou">financement opaque de l’UDR</a> : le gouvernement et des élus gaullistes ont accordé des permis de construire sur des sites de montagnes dangereux ; ils facilitaient la construction de bâtiments et d’autoroutes à des sociétés, voire « vendaient » des permis et autorisations à des groupes de particuliers contre monnaie sonnante et trébuchante.</p>
<p><a href="https://livre.fnac.com/a3626078/Jerome-Pozzi-Les-mouvements-gaullistes-partis-associations-et-reseaux-1958-1796#omnsearchpos=1">De nombreuses personnalités gaullistes</a> sont épinglées par les médias : Claude Labbé, vice-président du groupe UDR à l’Assemblée nationale ; Guy Fric, trésorier adjoint de l’UDR ; Gérard Sibeud, député de la Drôme ; Henri Modiano, député de Paris, etc. Les députés Sibeud et Modiano, très impliqués dans ce type de trafic selon la presse, sont contraints à la démission. Les autres se défendent de toute responsabilité.</p>
<p>Accusé d’agir dans le seul but d’atteindre l’intégrité du gouvernement, Gabriel Aranda <a href="https://m.ina.fr/index.php/video/CAF94060073/gabriel-aranda-au-palais-de-justice-video.html">répond tranquillement à la presse</a> qu’il ne vise aucun parti ni aucun homme politique, mais qu’il se bat « pour restaurer la vérité ». Fait surprenant, pourtant : seuls les gaullistes sont visés par ses révélations, alors que ceux-ci ne sont pas seuls au sein de la majorité (les centristes et les libéraux en font partie). Aranda aurait très bien pu obtenir des informations contre ces mouvements-là, mais il ne l’a pas fait – ce qui a de quoi rendre sceptique sur sa sincérité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=674&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=674&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=674&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=846&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=846&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284260/original/file-20190716-173342-1rlilet.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=846&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Georges Pompidou (ici en 1965) : un mandat marqué par de multiples affaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/search?q=Georges+Pompidou&tbm=isch&source=lnt&tbs=sur:fmc&sa=X&ved=0ahUKEwi_1MXg_LjjAhWUi1wKHUGOC4UQpwUIIg&biw=1440&bih=671&dpr=1#imgrc=D0xO8H1wVq1rYM:">Egon Steiner/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Georges Pompidou, qui se sent attaqué dans cette affaire, doit <a href="https://www.ina.fr/video/CAF94060403">répondre à la presse</a> en faisant feu de tout bois sur Aranda, un homme – dit-il – qui s’en prendrait au gouvernement l’ayant « chassé » en volant des documents et en en fabriquant des faux dans le seul but de se venger de son ancien employeur.</p>
<p>Au même moment, le juge Galmiche décide de poursuivre Gabriel Aranda pour <a href="https://www.ina.fr/video/I09336553">vol de documents</a>. <a href="https://www.ina.fr/video/I09336553">Le tribunal</a>, clément, prononce un non-lieu ainsi qu’une amende de 2 000 francs pour diffamation contre le ministère de l’Équipement – une amende réduite à 300 francs en appel. Au final, plusieurs personnalités gaullistes ont souffert de ce scandale, tout comme la réputation de l’UDR.</p>
<h2>Une réelle amélioration de la lutte anti-corruption</h2>
<p>À travers ces quelques exemples, il est intéressant de noter que les scandales politiques sont souvent déclenchés par les journalistes. Autrement dit, parce que des journalistes sérieux mènent des enquêtes efficaces, ils peuvent mettre au jour des informations importantes pour les citoyennes et citoyens que nous sommes. Les affaires qui touchent la macronie sont toutes dues à des enquêtes journalistiques, comme ce fut bien souvent le cas par le passé. On se souvient de l’<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/video-des-revelations-au-proces-en-appel-l-affaire-cahuzac-en-deux-minutes_1984158.html">affaire Cahuzac</a>, de l’<a href="https://www.liberation.fr/france/2019/03/25/affaire-bismuth-sarkozy-a-la-recherche-du-temps-gagne_1717326">affaire Bismuth</a>, de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=tiv9ZFUrFj4">affaire Bygmalion</a>, ou encore des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/christian-de-boisredon/panama-papers-medias-presse_b_9656874.html">Panama Papers</a>, etc.</p>
<p>Si les « affaires », des plus graves aux plus douteuses et rocambolesques, semblent prospérer dans notre pays, il faut relever une <a href="https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/1021241-de-rugy-en-pleine-tempete.html">amélioration de la lutte</a> contre la corruption dans le milieu politique français. Certes, des progrès restent encore à faire, mais tout n’est pas sombre dans ce tableau.</p>
<p>Ainsi, contrairement au temps de Pompidou, le pouvoir actuel à cherché à se doter de <a href="https://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/projet-loi-organique-projet-loi-ordinaire-retablissant-confiance-action-publique.html">nouveaux outils</a> pour faire face à ces risques. <a href="https://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/moralisation-vie-publique-lois-confiance-vie-politique/mesures-renforcant-transparence.html">Des dispositions qui ne demandent qu’à être renforcées</a> pour améliorer la répression face aux quelques élus qui ternissent l’image de leurs pairs par leurs attitudes et leurs choix – le « tous pourris », auquel nous n’adhérons pas à titre personnel, leur incombe grandement.</p>
<p>Cependant, avant de parvenir à un <a href="https://journals.openedition.org/ethiquepublique/3279">modèle semblable à la Suède</a>, il paraît évident que les journalistes resteront les lanceurs d’alerte les plus efficaces dans la lutte contre toute forme d’abus de la part de nos élus. Or, le <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/07/02/reforme-de-la-loi-de-1881-une-nouvelle-atteinte-a-la-liberte-de-la-presse_1737506">projet de réforme de la loi de 1881</a> porté actuellement par l’État pourrait, sous couvert de bonnes intentions, nuire grandement à la liberté de la presse et donc, à terme, au journalisme d’enquête qui s’est révélé si efficace sous la V<sup>e</sup> République.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au début des années 1970, le mandat du successeur du général de Gaulle fut marqué par une floraison d’affaires de financement occulte via le secteur de l’immobilier.Bryan Muller, Doctorant contractuel chargé d'enseignement en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1023762018-08-31T00:23:02Z2018-08-31T00:23:02ZLe macronisme, ou la privatisation du politique<p>La <a href="https://theconversation.com/debat-la-demission-de-nicolas-hulot-rien-de-nouveau-sous-le-soleil-102280">démission de Nicolas Hulot</a> du gouvernement, le 28 août, est venue jeter une nouvelle lumière sur la pratique du macronisme. Se prétendant être « ni de gauche ni de droite » dans un premier temps, puis « et de gauche et de droite » dans un second, il constituait une doctrine pragmatique qui s’appuyait, pour l’essentiel, sur le constat de l’incapacité des gouvernements de droite (Nicolas Sarkozy) comme de gauche (François Hollande) à mener des réformes rapidement qui puissent concrètement améliorer la vie des Français.</p>
<p>Très vite, <a href="https://theconversation.com/macron-candidat-de-la-protestation-si-si-71018">cette apparente nouveauté</a> a été qualifiée de « disruption » sans que l’on prenne garde au fait que l’action empirique a besoin d’une légitimation théorique et que celle-ci doit être suffisamment claire et cohérente pour construire une base électorale du long terme.</p>
<h2>Le macronisme au risque du paradoxe</h2>
<p>Sur le fond, le macronisme repose sur l’<a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-plus-proche-de-juppe-que-de-hollande-dans-les-urnes-virtuelles-60402">alliance du libéralisme économique et du libéralisme culturel</a>, un modèle proche de celui partagé par de nombreux Démocrates aux États-Unis mais dont le cœur de cible, celui des sociaux-libéraux, ne représente en fait que 5 % de l’électorat en France. Mais il repose aussi sur un mélange assez curieux de populisme et d’élitisme.</p>
<p>Du populisme, dans la mesure où le discours d’Emmanuel Macron comme de ses ministres fustige le « système » des partis comme les « statuts » qui bloquent la mobilité sociale : statut des fonctionnaires comme des retraités ou de tous ceux qui sont considérés comme des « insiders » profitant d’une protection qui leur paraît injustifiée au détriment des « outsiders » qui subissent le chômage et la précarité.</p>
<p>De l’élitisme, car Emmanuel Macron est moins le président des riches (qui lui ont nettement préféré <a href="https://theconversation.com/la-droitisation-des-valeurs-de-la-droite-francaise-69379">François Fillon</a> au premier tour de la présidentielle de 2017) que celui des gagnants et des optimistes qui évaluent très positivement leurs perspectives d’avenir.</p>
<p>Né du déphasage entre l’offre politique et une demande politique en miettes où le vote de classe ne constitue plus une clé d’analyse, le <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?gcoi=27246100208540">macronisme vit dans le paradoxe</a> mais pourrait tout autant y succomber. Reposant moins sur un corpus de textes que sur une pratique du pouvoir, le macronisme doit donc être étudié avec les outils de la sociologie politique.</p>
<h2>Le « renouveau », une formule commerciale</h2>
<p>Ce qui se joue dans le macronisme ne se limite donc pas à l’habituel jeu de chaises musicales qui accompagne les alternances électorales. L’étude purement électoraliste du macronisme se révèle d’ailleurs assez vite décevante car les analyses montrent à l’envi que la majorité des électeurs l’ont choisi <a href="https://theconversation.com/la-presidentielle-de-2017-est-une-election-par-defaut-75991">par défaut</a> et dans un contexte de forte incertitude voire de contestation radicale de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>La thématique du « renouveau » scandée par les leaders de la République en Marche ne doit pas faire illusion car ce « renouveau » ne pouvait satisfaire ni ceux qui aspiraient à plus de démocratie directe par l’usage régulier de référendums (notamment du côté de LFI ou du FN) – ce qu’Emmanuel Macron avait clairement écarté lors de la campagne – ni ceux qui portaient désormais un regard désabusé sur un système politique dont ils n’attendaient plus rien.</p>
<p>Le « renouveau » est devenu une formule commerciale qui n’a pas pu cacher ou contrecarrer le profond discrédit du personnel politique en qui les Français ont <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique">encore moins confiance après 2017 qu’avant</a>.</p>
<p>On peut donc opérer deux lectures du macronisme.</p>
<h2>La fin du macronisme mondialisé, écologiste et high-tech</h2>
<p>La première s’inscrit dans la perspective tactique ou stratégique des élections européennes de 2019 ou des élections municipales de 2020, et conduit à rechercher les marges de manœuvre politiques du macronisme pour qu’il puisse durer et s’institutionnaliser. Limité par sa propre ambiguïté originelle, celui-ci appelle une extension idéologique soit du côté de la gauche, soit du côté de la droite.</p>
<p>La démission de Nicolas Hulot vient apporter le point final d’une évolution droitière qui s’est déjà manifestée par l’appel à renouer les liens entre l’État et l’Église catholique, par la priorité donnée au travail sur la protection sociale, par la décentralisation du dialogue social au sein des entreprises, par la réduction programmée des effectifs de la fonction publique ou par la réduction des dépenses publiques.</p>
<p>On attend encore le positionnement clair de l’Élysée ou du gouvernement Philippe sur des questions sociétales <a href="https://theconversation.com/projet-de-loi-asile-immigration-la-fermete-en-attendant-lhumanite-92202">comme l’immigration</a> ou la laïcité, même si les décisions en matière de migrants laissent entendre que la voix de l’autorité et de la fermeture nationale est plus forte que celle de la « société ouverte » à laquelle Emmanuel Macron était associé par certains commentateurs.</p>
<p>Le départ de Nicolas Hulot ne pose pas seulement la question, à la fois banale et tragique, de savoir comment faire de l’écologie une politique. Il a pour effet de mettre un terme à la dimension moderniste du macronisme qui se voulait résolument mondialisé, écologiste et high-tech. Dès lors, le macronisme vient rejoindre le rang des politiques centristes plus ou moins néo-libérales et ne peut que se focaliser sur les moyens de récupérer les électeurs des Républicains qui n’aiment pas Laurent Wauquiez.</p>
<h2>Dans la lignée des Rocard, VGE et Chaban…</h2>
<p>Une autre lecture, en revanche, porte sur l’organisation du pouvoir en tant que telle. Le macronisme tient beaucoup à cet égard de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1972_num_13_2_2071">pensée de Michel Crozier</a> : la société française est bloquée par des règles et des comportements archaïques et seules des réformes institutionnelles peuvent résoudre son retard sur le libéralisme ambiant, sans avoir à prendre en compte les clivages sociaux.</p>
<p>On retrouve ici une thématique qui imprègne la culture de la haute fonction publique française, et plus particulièrement celle de l’Inspection des Finances, qui a fourni des hommes politiques et de gauche et de droite. Le discours macronien prolonge celui de <a href="https://theconversation.com/rocard-est-mort-vive-rocard-61974">Michel Rocard</a>, de Jacques Attali, mais aussi de Valéry Giscard d’Estaing sans oublier, jadis, celui de Jacques Chaban-Delmas, tous membres de l’Inspection, et désireux de changer la société française, par un « nouveau contrat » ou voulant bâtir une « nouvelle société ».</p>
<p>Le macronisme a donc des racines anciennes mêlant analyses à prétention sociologique, parfois reprises de la sociologie des organisations, et posture mystique en cherchant à incarner ou bien à « porter » un changement historique.</p>
<p>On remarque, à ce titre, l’accent quasi-sacrificiel des lieutenants du macronisme qui se dévouent à un but hegélien les dépassant. C’est dans ce creuset que se forge le <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-le-candidat-attrape-tout-71751">managérialisme à la française</a>, c’est-à-dire un libéralisme par l’État sous la coupe de ses élites issues des grandes écoles et des grands corps.</p>
<h2>L’élitisme d’État réinventé</h2>
<p>Le macronisme réinvente cependant un vieux modèle, et c’est en cela que l’affaire se complique. Bon nombre de commentateurs ont retenu la dimension technocratique du macronisme en soulignant la <a href="https://theconversation.com/reforme-constitutionnelle-le-macronisme-horizontal-en-campagne-et-vertical-au-pouvoir-93593">verticalité du pouvoir et l’abandon des rêves de participation</a> sur lesquels avait été bâti En marche auprès de militants souvent très déçus un an après l’élection présidentielle. Le macronisme ne se déploie cependant pas sur le terrain technocratique.</p>
<p>La technocratie est un système de pouvoir qui s’est développé avant la Seconde Guerre mondiale et sous la IV<sup>e</sup> République dans lequel les hauts fonctionnaires se substituaient aux élus et aux partis politiques. En revanche, le macronisme se méfie de la haute fonction publique – encore un paradoxe –, du moins de celle qui n’est pas passée par le secteur privé.</p>
<p>L’idée de politiser davantage les directions d’administration centrale ou de recourir à des contrats pour recruter de hauts dirigeants administratifs s’inscrit dans la pratique néo-libérale des pays anglo-saxons et certainement pas dans la tradition des grands corps français.</p>
<p>Ces derniers se sont toujours considérés comme les gardiens de l’intérêt général au-dessus des aléas de la vie politique. Ils constituent une <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/9782111452602-quel-avenir-pour-la-fonction-publique">élite sociale en concurrence permanente avec les élites politiques depuis la IIIᵉ République</a>.</p>
<h2>Un mode « corporate » d’exercice du pouvoir</h2>
<p>Les entourages d’Emmanuel Macron recèlent d’ailleurs moins de hauts fonctionnaires provenant des grands corps que ceux de Nicolas Sarkozy. Mais bien plus de pantoufleurs de retour du secteur privé ou de conseillers provenant directement de ce dernier. Rien que dans l’entourage présidentiel, la proportion de conseillers provenant du monde des affaires est de 20 % contre 13 % sous François Hollande et 9 % sous Nicolas Sarkozy.</p>
<p>Les nouveaux technocrates sont en fait des « managers » provenant des cabinets-conseils ou des grandes entreprises au terme d’un parcours professionnel qui a pu les faire passer par l’ENA comme par les grandes écoles de commerce. La fréquentation des groupes d’intérêts, dénoncée par Nicolas Hulot, n’est que la conséquence naturelle d’une culture partagée, certains conseillers provenant eux-mêmes de cet univers.</p>
<p>Dans l’entourage immédiat d’Emmanuel Macron, on trouve ainsi l’ancienne directrice de Vins et société, cabinet spécialisé dans le monde viticole, trois anciens membres de cabinets de communication, mais aussi un ancien du groupe immobilier Nexity, un ancien de BNP Paribas…</p>
<p>C’est ici que se noue l’identité du macronisme et à laquelle s’associe également une pratique personnalisée du pouvoir. <a href="https://theconversation.com/affaire-benalla-pour-la-democratie-un-ete-meurtrier-101163">L’affaire Benalla</a> n’est sans doute pas en soi une affaire d’État, mais elle est révèle l’existence de relations interpersonnelles fortes au sommet de l’État qui peuvent conduire à contourner les institutions et les hiérarchies ordinaires. Rien n’était plus significatif que de voir avec quels efforts et quelle colère rentrée certains fonctionnaires devaient témoigner devant les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale ou du Sénat.</p>
<p>On n’est donc ni dans le gaullisme ni dans le bonapartisme mais dans un mode « corporate » d’exercice du pouvoir, très concentré au sommet et très lointain pour le commun des mortels ou des élus. La politique privative se nourrit du modèle organisationnel des grands groupes privés.</p>
<h2>La révolte institutionnelle du local</h2>
<p>C’est d’ailleurs à ce titre qu’a émergé une véritable révolte institutionnelle des élus locaux. Celle-ci, dépassant réellement le clivage gauche-droite, s’est illustrée autant par les démissions en cascade des élus de petites communes que par l’opposition ferme du Sénat à la <a href="https://theconversation.com/la-constitution-entre-degeneration-et-regeneration-100000">révision constitutionnelle</a>. Cette dernière devait, là encore, « managérialiser » la politique en supposant qu’en réduisant le nombre de parlementaires et de circonscriptions la démocratie fonctionnerait mieux, ce qui est loin d’être prouvé.</p>
<p>Cette révolte n’est pas née seulement de la réduction des moyens financiers, de l’insertion des communes dans des intercommunalités aux compétences élargies depuis la loi NOTRe de 2015 ou des transformations sociologiques de l’habitat. Elle est plus profondément liée à la fracture entre le pouvoir national et le pouvoir local que le macronisme vient entériner ou aggraver.</p>
<p>Au pouvoir abstrait et mondialisé du centre s’oppose ainsi une politique très concrète du quotidien et de l’échange direct au niveau local qui peut être source de satisfactions mais aussi de tensions. C’est ici qu’apparaît la limite du macronisme et de la privatisation du politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ni gaulliste ni bonapartiste, le macronisme révèle un mode « corporate » d’exercice du pouvoir, qui se nourrit du modèle organisationnel des grands groupes privés.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/774472017-05-12T10:00:31Z2017-05-12T10:00:31ZNouvelle intox ou vieille propagande ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/168715/original/file-20170510-28084-13y0ev6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fake-news, intox ou bonne vieille propagande avec de nouveaux moyens ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/faux-fausses-nouvelles-m%C3%A9dias-1909821/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>La campagne présidentielle a donné lieu à une recrudescence de ce que les internautes appellent des <em>fake news</em>. Si nombre d’observateurs ont souligné, à raison, le rôle croissant de Facebook et de Twitter dans les campagnes électorales, ils ont peut-être surestimé le caractère inédit des informations fausses ou tronquées. Bien évidemment, la nouveauté réside dans le support technique, c'est-à-dire l’effet multiplicateur d’Internet et des réseaux sociaux. Quant au phénomène proprement dit de la production et de la diffusion de fausses nouvelles, d’informations mensongères visant à discréditer des leaders politiques, il est pour ainsi dire aussi vieux que la démocratie athénienne.</p>
<p>Pour ne s’en tenir qu’aux campagnes électorales sous la Vème République, on croit pouvoir affirmer qu’il s’agit là d’un phénomène consubstantiel à l’élection. Souvenons-nous de l’affaire Markovic qui, dès 1968, avait éclaboussé le futur Président Georges Pompidou ou encore de la campagne de diffamation visant Jacques Chaban-Delmas au premier tour des élections présidentielles de 1974 : il <a href="http://bit.ly/2q2tUb0">ne paie pas ses impôts</a>, il est juif, il a fait tuer sa seconde épouse dans un accident de voiture, etc. Les rumeurs sur la prétendue vie sexuelle du nouveau président s’inscrivent donc dans une longue tradition.</p>
<p>Dans ces conditions, faut-il considérer ces nouvelles <em>fake news</em> comme une version relookée de la <a href="http://bit.ly/2qYxgtm">bonne vieille propagande d’antan</a> ? Poser la question en ces termes revient à présupposer que la propagande n’existe pas ou n’existe plus dans les régimes démocratiques. Or, on se trompe si l’on réduit la propagande à la production et à la diffusion de fausses nouvelles.</p>
<h2>Royal en 2007, Fillon en 2017</h2>
<p>Au sens strict, la propagande relève d’une manipulation de l’information faisant que tel individu ou tel groupe opère une action X qu’il n’aurait pas effectuée, ou aurait effectuée différemment, sans cette manipulation. Autrement dit, un émetteur peut manipuler une « cible », un public, avec de l’information « exacte ». </p>
<p>Lorsque durant la campagne présidentielle de 2007 on diffuse des propos tenus par Ségolène Royal, filmée à son insu, où elle évoque la nécessité pour les enseignants d’augmenter sensiblement leur temps de présence effective dans les établissements, il ne s’agit pas d’un montage ou d’un faux, mais il s’agit bel et bien d’une « vérité » hors-contexte destinée à priver la candidate socialiste d’une partie de son électorat « naturel ». Même chose lorsque l’on exhume en 2007 des propos filmés de Pierre Bourdieu où il qualifie « la femme de Hollande comment elle s’appelle déjà, elle n’est pas de gauche, elle est de droite. Elle a choisi la gauche pour faire carrière » </p>
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<figcaption><span class="caption">Entretien dans lequel, à 3'16" Pierre Bourdieu décrit Ségolène Royal.</span></figcaption>
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<p>Ces propos ont bien été tenus, face à une caméra, par le sociologue de référence des intellectuels de gauche. Ils sont exacts mais <strong>les diffuser en 2007</strong>, en particulier auprès des universitaires et des professions intellectuelles, relève d’une opération de propagande. </p>
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<figcaption><span class="caption">L'interview de Penélope Fillon “mère au foyer”</span></figcaption>
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<p>Lorsque l’on poste sur les réseaux sociaux, au printemps 2017, la vidéo de l’interview de Pénélope Fillon accordée à une journaliste anglaise en 2007, où elle apparaît plus en épouse désœuvrée qu’en assistante parlementaire débordée, on peut difficilement se prévaloir du seul désir d’informer. C’est d’ailleurs parce que ce document était <strong>authentique</strong> qu’il a pu servir efficacement la propagande anti-Fillon. C’est tout aussi logiquement parce que l’opération de contre-propagande des pro-Fillon reposait sur un mensonge -l'auteur de l’interview se serait déclarée « choquée » par l’utilisation hors-contexte de son film- qu’elle a fait long feu.</p>
<h2>Comprendre la propagande moderne</h2>
<p>C’était sans doute difficile à admettre de la part des supporters de chacun des deux protagonistes du second tour mais poster l’intervention d’Emmanuel Macron où il tient tête aux salariés de Whirpool ou celle de Marine Le Pen accueillie sur le site de l’usine avec des selfies, relevait de la propagande tout autant que la diffusion de fausses nouvelles. De ce point de vue est exemplaire l’exploitation par les fillonnistes et la <em>fachosphère</em> d’une version parodique du Figaro accréditant l’idée –mensongère en l’occurrence- selon laquelle M. Macron se sentait sale après avoir serré la main d’un pauvre. </p>
<p>Mais pour autant, réduire la propagande au pur bobard, au Village Potemkine, au mensonge grossier du style « Bagdad Bob », du nom de l’ancien ministre de l’information Irakien Mohamed Saïd al-Sahhaf, déclarant en 2003 que les soldats américains allaient être brulés jusqu’au dernier comme des chiens dans leurs chars, c’est s’interdire de comprendre la nature exacte de la propagande moderne. </p>
<p>C’est le plus souvent avec des informations exactes que l’on fait de la bonne propagande. Étant entendu que d’un point de vue éthique, même si la fin est juste, il n’existe pas de « bonne » propagande car il s’agit toujours d’une manipulation et donc d’une atteinte à notre libre arbitre D’un point de vue « technique », une propagande est bonne lorsqu’elle est efficace et elle est mauvaise lorsqu’elle échoue à convaincre et à manipuler. </p>
<p>En réalité du reste, <strong>la propagande ne crée rien ex-nihilo</strong> mais renforce des stéréotypes, des préjugés, des rumeurs et des attitudes déjà préexistantes. En ce sens les <em>fake news</em> n’inventent rien. D’ailleurs en matière de propagande électorale, les enquêtes ont eu tendance à conclure qu’elle renforçait l’opinion des plus convaincus qui cherchaient précisément à s’exposer à cette présentation orientée de l’information. </p>
<h2>La propagande se renouvelle</h2>
<p>C’est un peu ce que l’on retrouve aujourd’hui dans la bulle Facebook. Mes amis pensent comme moi puisque ce sont mes amis. Les médias pensent comme moi puisque mon fil est aussi celui de mes amis qui lisent ce que je lis et qui pensent comme moi, sinon ce ne serait pas mes amis ! </p>
<p>Déjà dans <a href="http://bit.ly/2qQT5hX">« Propagandes » (1962)</a> Jacques Ellul avait bien vu que la propagande ne se limitait pas aux seules dictatures et que les régimes démocratiques ne se contentaient pas d’une information purement objective. La frontière entre la sacro-sainte information et la maléfique propagande est beaucoup moins étanche qu’on ne le croit généralement. D’abord, toutes les deux partagent les mêmes supports techniques (radio, TV, internet) et les mêmes objectifs. Ensuite la première est la condition d’existence même de la seconde. </p>
<p>On ne peut faire de propagande si, au préalable, des faits n’ont pas été portés à la connaissance du public. Et là encore ce n’est pas le manque d’informations qui explique la propagande, au contraire, c’est le trop plein. Dans le même sens, ce sont les marginaux qui sont les plus imperméables à la propagande. Les SDF aujourd’hui ou les travailleurs agricoles analphabètes sous le IIIème Reich alors que les intellectuels, généralement surinformés, s’exposent volontiers à tous les mass media et donc à la propagande.</p>
<p>En outre, et c’est sans doute là une réalité difficile à admettre, l’opinion a besoin d’être propagandée car dans un monde toujours plus complexe et anxiogène, la propagande ordonne, simplifie et rassure en nous désignant le camp du bien et celui du mal. Nous sommes tous complices et les intellectuels ont seulement l’illusion d’échapper à ce mécanisme de cécité volontaire. Face à un choix nous avons besoin de nous convaincre nous mêmes que nous prenons la bonne décision : voter blanc ou nul, voter Macron ou Le Pen, et c’est là que les <em>fake news</em> et la propagande entrent en jeu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Chastenet est membre de l'Association Internationale Jacques Ellul et de l'International Jacques Ellul Society</span></em></p>Comment à l’ère numérique les techniques de la propagande se renouvellent, l’intox et la désinformation mutent… en utilisant toujours les mêmes moteurs.Patrick Chastenet, Professeur de science politique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.