tag:theconversation.com,2011:/es/topics/travail-20134/articlestravail – The Conversation2024-03-26T16:45:20Ztag:theconversation.com,2011:article/2260642024-03-26T16:45:20Z2024-03-26T16:45:20ZTravailleurs (et) pauvres : un choix politique ?<blockquote>
<p>« Je ne connais pas plus efficace que le travail pour lutter contre la pauvreté. »</p>
</blockquote>
<p>Tel est ce que <a href="https://www.letelegramme.fr/politique/olivier-dussopt-je-ne-connais-pas-plus-efficace-que-le-travail-pour-lutter-contre-la-pauvrete-6453012.php">déclarait</a> Olivier Dussopt, alors ministre du Travail, fin octobre au <em>Télégramme</em>, commentant la loi Plein emploi finalement promulguée le 18 décembre. Le 27 mars, invité du 20 heures de TF1, Gabriel Attal, premier ministre y a adjoint un argument budgétaire en annonçant une réforme de l'assurance chômage : </p>
<blockquote>
<p>« L'objectif, ça reste d'arriver au plein emploi, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il y ait plus de Français qui travaillent parce que ce sont des recettes supplémentaires. »</p>
</blockquote>
<p>Il a affiché également sa volonté de « desmicardiser la France ». Le discours politique a ceci de paradoxal qu’il continue de préconiser de lutter contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> par le travail tout en déplorant dans le même temps l’existence de travailleurs pauvres.</p>
<p>Être travailleur et pauvre n’est pas une situation paradoxale. D’un point de vue statistique est considéré comme travailleur l’individu qui a travaillé contre rémunération au moins une heure. Est défini comme pauvre, l’individu dans le ménage dont les ressources annuelles sont inférieures à l’équivalent de <a href="https://inegalites.fr/A-quels-niveaux-se-situent-les-seuils-de-pauvrete-en-France">13 890 euros annuels pour une personne seule</a> (20 850 euros pour un couple sans enfant), soit 60 % du niveau de vie médian. Il n’y a donc pas de mystère : si vous travaillez, mais peu, alors vous serez travailleur pauvre, à moins que les ressources d’un éventuel conjoint soient suffisantes. Dans un monde où le minimum social est faible et où il existe de la pauvreté et des emplois à temps partiel, il y aura toujours des travailleurs pauvres.</p>
<p>La solution généralement proposée est de verser des compléments de revenus pour travailleurs pauvres ce qui permet de lutter à la fois contre la pauvreté laborieuse et de donner des incitations supplémentaires aux bénéficiaires des revenus d’assistance pour sortir de la « trappe à pauvreté ». En France, la question des incitations à la reprise d’emploi se pose au moins depuis la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI) en 1989 puis son remplacement par le revenu de solidarité active (RSA) en 2009. Selon un certain discours, les allocataires des minima sociaux seraient prisonniers de cette trappe à pauvreté car peu incités à fournir l’effort de trouver un emploi pour un revenu supplémentaire finalement pas si éloigné de ce qu’ils touchent déjà. L’idée du RSA était de continuer à percevoir une partie de son revenu de base en plus de son salaire pour pousser à prendre un travail.</p>
<p>Mais la trappe à pauvreté n’est sans doute pas celle que l’on croit. C’est là un des objets de mon <a href="https://www.puf.com/comment-verser-de-largent-aux-pauvres">ouvrage</a> récent, <em>Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale</em>, publié aux Presses universitaires de France.</p>
<h2>Solutions extrêmes</h2>
<p>Commençons par une expérience de pensée. Il y a théoriquement deux manières d’éradiquer la pauvreté laborieuse. La plus simple sur le papier, et la plus coûteuse, serait de garantir à tous un niveau de vie égal au seuil de pauvreté. Cette solution éradique la pauvreté monétaire et donc la pauvreté laborieuse : s’il n’y a pas de pauvres, il n’y a pas de travailleurs pauvres !</p>
<p>Cependant, cela serait désincitatif à la reprise d’emploi.</p>
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<p>Une deuxième solution théorique serait que la société n’accepte que des emplois rémunérés au moins à hauteur du smic à temps plein, de refuser que des emplois au smic puissent être proposés à temps partiel et de combiner ceux-ci avec des prestations familiales suffisantes afin de dépasser systématiquement le seuil de pauvreté. Par exemple, avec un smic net mensuel de 1398 euros, il faudrait verser 339 euros mensuels de « prime d’activité » à un individu au smic ayant un conjoint sans revenus, afin que le couple dépasse le seuil de pauvreté. Cette solution n’éradique pas la pauvreté mais au moins les travailleurs ne sont pas pauvres. Si les pauvres ne travaillent pas, il n’y a pas de travailleurs pauvres !</p>
<p>Cependant, interdire le temps partiel au smic réduit les libertés et n’est pas la meilleure solution. Cet exemple montre toutefois qu’il ne faut probablement pas donner un poids à l’objectif de réduction des travailleurs pauvres au-delà de celui donné à l’objectif de réduction de la pauvreté. L’interdiction du travail précaire réduit la pauvreté laborieuse mais pas la pauvreté : il n’est pas cohérent de refuser cette solution et en même temps de donner un poids propre à l’objectif de réduction de la pauvreté laborieuse.</p>
<p>En appliquant des solutions moins radicales que ces deux extrêmes, la société accepte nécessairement un certain niveau de pauvreté laborieuse. Toutefois, ce qui est vrai pour l’éradiquer est également vrai s’il s’agit de la réduire : par construction moins il y a de pauvres, moins l’intensité de la pauvreté est importante, moins il y a d’emplois à temps partiel subis et moins y aura de travailleurs pauvres.</p>
<h2>Poursuivre dans la même voie ?</h2>
<p>Depuis sept ans, le chômage a baissé mais pas la pauvreté. Malgré cela, l’exécutif continue de faire de l’emploi et des incitations au travail son principal axe de lutte contre la pauvreté, y compris laborieuse.</p>
<p><iframe id="gVDxh" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/gVDxh/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Faudrait-il aller plus loin dans cette logique ? Pour montrer que « les incitations à sortir de cette situation de pauvreté laborieuse subie sont faibles », Gilbert Cette, ancien président du Groupe d’experts sur le smic et auteur du livre <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807335004-travailleur-mais-pauvre"><em>Travailleur (mais) pauvre</em></a>, prend l’exemple suivant dans un <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/en-france-les-incitations-a-sortir-de-la-pauvrete-laborieuse-sont-faibles-2077054">entretien</a> publié dans les Echos :</p>
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<p>« Augmenter de 100 euros le revenu disponible net d’un salarié, célibataire et sans enfant, payé au smic entraîne une hausse du coût du travail de 483 euros ».</p>
</blockquote>
<p>Ce ratio a l’air excessif, conséquence du fait qu’en augmentant son salaire, un individu aura droit à moins de prestations, ce qu’il faudra compenser par une hausse de salaire plus importante. Le calcul pose néanmoins trois problèmes.</p>
<p>Premièrement, il est réalisé pour un individu au smic à temps plein. Or, une personne seule au smic à temps plein n’est pas pauvre. Le ratio est ici en partie dû au fait que la prime d’activité est maximale au smic à temps plein, une prime que le Groupe d’experts sur le smic a longtemps <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/284b121f-b187-4280-b327-05f18064c3fa/files/e74d03a9-feb8-4d37-882e-df0071013d2f">défendu</a>. Par ailleurs, c’est l’échelle du ménage qui est la plus pertinente en matière de pauvreté : cet individu peut devenir pauvre si son conjoint est inactif ou chômeur non indemnisé.</p>
<p>Deuxièmement, le calcul suppose que les individus prennent en compte de la même façon, pour prendre leurs décisions sur le marché du travail, une baisse des prestations et une hausse des salaires. Cela ne se vérifie pas empiriquement : les individus <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1475-5890.12306">réagissent davantage à une hausse des salaires</a>.</p>
<p>Troisièmement, le calcul agrège baisse des prestations sociales perçues par le salarié et baisse des allègements de cotisations sociales employeurs au-delà du smic. Ce n’est pas la même chose dans un contexte ou travailleurs et employeurs ne peuvent pas se coordonner facilement.</p>
<p>La question mérite par ailleurs d’être posée en regardant les situations réelles dans leur contexte. François-Xavier Devetter et Julie Valentin, respectivement économistes à l’Université de Lille et à l’Université Paris 1, jettent un <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2023-3-page-56.htm">autre regard</a> sur la pauvreté laborieuse, en partant de la réalité du travail effectué par les travailleurs pauvres et à bas salaires. Ils montrent que les « bas salaires » (agents d’entretien, les aides à domicile, les employés de commerce ou de la restauration) sont victimes de journées de travail fragmentées avec la pénibilité qui leur est liée. C’est là la conséquence directe de l’externalisation de certaines activités comme l’accueil, la sécurité, la restauration collective :</p>
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<p>« Les salaires sont sensiblement plus bas en raison d’un contrôle plus restrictif des temps travaillés, la précarité est plus forte du fait de situations de multi-emploi et de changements d’employeurs fréquents. »</p>
</blockquote>
<h2>Un autre choix collectif</h2>
<p>Le discours sur les incitations a eu pour effet une baisse du niveau relatif du minimum social en direction des actifs, le RSA, <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/OFCEWP2024-01.pdf">par rapport, au minimum vieillesse, à l’allocation adulte handicapée, au smic et aux salaires</a> ? Élargir les écarts de revenus entre les minima sociaux et le salaire minimum accentue certes les incitations mais augmente l’intensité de la pauvreté. Cette stratégie est sans surprise inefficace contre la pauvreté laborieuse : elle augmente la marche entre le minimum social et le seuil de pauvreté.</p>
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<p>Dans <em>Comment verser de l’argent aux pauvres ?</em>, je propose d’inverser la logique des vingt dernières années et de revenir à l’esprit du RMI. A l’époque, c’était bien le revenu qui insérait et non l’activité. La trappe à pauvreté était la pauvreté elle-même dans la mesure où elle ne permet pas les investissements nécessaires à l’employabilité : formation, santé, logement, mobilité. Dans une logique libérale très classique, verser de l’argent aux pauvres, c’est d’abord leur permettre de réaliser ces investissements. Notons d’ailleurs que ce sont dans les pays où les minima sociaux sont les plus généreux, que les taux d’emploi des peu qualifiés sont aussi les plus élevés, ce qui suggère a minima que les incitations ne sont pas le problème principal.</p>
<p><iframe id="fWzoM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/fWzoM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Aujourd’hui le RSA net de forfait logement est aujourd’hui égal à 534 euros pour une personne seule, soit 38 % du smic à temps plein (1 398 euros) : l’écart peut être réduit sans crainte de faire disparaître les incitations. Bien sûr, verser un revenu monétaire n’est pas suffisant et la relation entre minima sociaux et taux d’emploi ne doit pas s’interpréter de manière causale. La stratégie efficace pour réduire la pauvreté passe par un haut niveau de service public pour tous : éducation, santé, petite enfance.</p>
<p>Le paradoxe de la redistribution est que les inégalités sont les plus faibles là où l’attention ne se porte pas que sur les pauvres ou les travailleurs pauvres mais sur un service public de qualité pour tous. Ce raisonnement vaut aussi pour l’emploi : la pauvreté laborieuse serait plus faible en visant les 35 heures pour tous, d’une part en favorisant le passage du temps partiel au temps plein, mais d’autre part en arrêtant aussi d’inciter aux heures supplémentaires.</p>
<p>Tout cela suggère premièrement que la lutte contre la pauvreté est d’un certain point de vue « coûteuse » pour les plus aisés. Par construction, à revenu national inchangé, réduire la pauvreté veut dire réduire les revenus des non pauvres. Deuxièmement, lutter contre la pauvreté peut aussi être synonyme de (légères) pertes d’efficience si les gains d’efficience atteints actuellement le sont en faisant porter la charge de façon disproportionnée sur les travailleurs précaires. Mais est-ce prendre l’objectif de lutte contre la pauvreté au sérieux de vouloir l’atteindre que si cela ne fait que des gagnants ? Le problème n’est pas que l’on n’a pas encore trouvé la solution technique innovante permettant de réduire la pauvreté laborieuse. Le frein est politique : collectivement, nous préférons ne pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Allègre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si, contrairement à ces dernières années, nous faisions le choix de miser sur le revenu plutôt que sur le travail pour aider à sortir de la pauvreté, esprit qui était celui du RMI ?Guillaume Allègre, Économiste au département des études de l'OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2256942024-03-25T10:51:35Z2024-03-25T10:51:35ZManagers, n’ayez plus peur du flou !<p><em><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-bibliotheque-ideale-de-l-eco/revolutionner-le-management-avec-francois-dupuy-9341570">Le sociologue des organisations François Dupuy</a> est décédé le lundi 11 mars dernier. Il est connu pour ses travaux sur les errements du management des entreprises et notamment pour sa trilogie inaugurée avec <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/lost-in-management-francois-dupuy/9782020986908">Lost in management</a>. Peu de temps avant son décès, il nous avait soumis cet article rédigé avec Eric-Jean Garcia. Nous le publions aujourd’hui.</em></p>
<hr>
<p>« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » dit un jour une candidate à la présidentielle dans un débat politique. Depuis longtemps déjà, les organisations détestent ce qui n’est pas « normé » pour employer un terme générique. La prolifération de normes, de procédures et de règles de fonctionnement est en effet censée assurer la qualité des produits et services proposés. L’objectif ultime affiché de cette multiplication est de garantir l’efficience et l’efficacité des organisations ainsi que le bien-être des acteurs impliqués dans la production. Rien n’est moins sûr et il se pourrait bien que les promoteurs de la norme finissent par obtenir un résultat inverse à celui qu’ils visaient.</p>
<p>Si un minimum de directives et de protocoles prescriptifs est indispensable à la qualité et à la sécurité, un moment arrive où l’accumulation génère des dysfonctionnements plus ou moins graves, pouvant aller jusqu’à l’accident. À l’origine de ces désordres (presque) involontaires, on trouve un raisonnement panoptique comparable à celui du <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782081395497-leviathan-thomas-hobbes/"><em>Léviathan</em> de Thomas Hobbes</a>, au sens où ce dernier était persuadé que l’ordre et la stabilité requièrent une obéissance intégrale à un système normatif central. Cela a pour effet une rationalisation et une volonté de contrôle d’un maximum de variables. Un tel raisonnement s’avère parfaitement <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Principles_of_Scientific_Management">compatible avec la logique taylorienne</a> toujours dominante. Ce mode de pensée conçoit des systèmes de gestion du travail axés sur la standardisation des tâches et la division du travail de manière séquencée et séquentielle, dans le but de maximiser la productivité du travail. Cette approche perdure notamment grâce à une volonté affirmée d’édicter des règles supposées « scientifiques ».</p>
<h2>Logique confortable pour les dirigeants</h2>
<p>Une telle logique peut sembler confortable pour de nombreux dirigeants tant et si bien que toutes sortes d’exigences prescriptives prolifèrent en toute liberté, jusqu’à devenir problématiques pour les acteurs et contreproductives pour l’organisation. On peut alors <a href="https://www.hbrfrance.fr/organisation/normobesite-la-securite-au-prix-de-linnovation-60405">parler de normobésité</a>.</p>
<p>Ce néologisme désigne un mode de pensée catégorique, cherchant à réduire les très nombreuses incertitudes inhérentes à la vie sociale organisée, dues notamment à la part d’imprévisibilité de tout comportement humain. Cela devient une telle obsession que toutes formes de management épousent cet objectif prioritaire et se donne tous les moyens pour y parvenir.</p>
<p>Cette <em>normobésité</em> se trouvait au cœur du dernier mouvement social des agriculteurs. Ils dénonçaient une overdose de normes et de règlements appliqués à leur secteur. Au nom de la biodiversité, curer un fossé peut relever de la correctionnelle même si cela permet d’éviter une inondation. L’intelligence de l’agriculteur prévenant face aux dégâts prévisibles d’intempéries à venir doit donc passer après la norme et les directives européennes.</p>
<p>Ce genre de situation absurde n’est malheureusement pas exclusive au monde de l’agriculture. On peut dire qu’il s’est généralisé, et ce malgré la volonté des gouvernements de réussir un « choc de simplification ». Mais les bonnes intentions promettent souvent bien plus qu’elles ne peuvent délivrer. D’autant qu’en plus des normes officielles viennent s’ajouter les contraintes internes dont se dotent volontairement les organisations. Une telle accumulation de normes et de règles contribue à augmenter la complexité au point d’être à l’origine de véritables drames industriels comme celui du <a href="https://theconversation.com/boeing-needs-to-get-real-the-737-max-should-probably-be-scrapped-221023">Boeing 737 Max où l’enquête a notamment révélé une approche par trop rigide et une confiance excessive dans le logiciel dit de Maneuvering Characteristics Augmentation System</a> (MCAS)</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1770487829321134541"}"></div></p>
<h2>Effets pervers tous azimuts</h2>
<p>Si trop de normes tuent la norme, le nombre n’est pas le seul facteur en cause. Pour le dire autrement, il ne suffit pas de supprimer des normes pour obtenir un résultat efficace. La tâche est plus complexe. La pertinence du contenu des normes, leurs exigences et la façon dont elles sont rédigées doivent aussi être soumises au crible d’un examen critique serré. La surabondance de critères normatifs accroît non seulement le temps consacré à la conformité mais augmente aussi le risque de contradictions entre une multitude de dispositions légales et conventionnelles. Un contexte dont la gravité augmente à mesure que les acteurs sont confrontés à des situations dangereuses ou imprévues.</p>
<p>À l’arrivée, le résultat produit est l’inverse du résultat recherché : en voulant tout mettre sous contrôle, on crée des situations dans lesquelles se multiplient les angles morts pour le plus grand bénéfice des acteurs qui retrouvent ainsi des marges de liberté. Ce n’est en effet pas le moindre des paradoxes de constater qu’une arme dont disposent les exécutants en cas de tensions sociales consiste simplement à respecter scrupuleusement, telles qu’elles sont prévues, sans marge d’interprétation, les règles, les normes, les procédures… bref tout le « fatras bureaucratique » qu’ils sont censés appliquer. Bien que connue de tous, la réalité de la « grève du zèle » n’empêche personne d’alimenter toujours plus la normobésité.</p>
<p>Et les exécutants ne sont pas les seuls à bénéficier de ce « gouvernement par l’absurde ». En cas d’accident, la prolifération de normes permet aux managers et à leurs dirigeants de se retrancher derrière leurs obligations réglementaires pour mieux se dédouaner de toute responsabilité.</p>
<h2>Accepter le flou</h2>
<p>Pour conjurer la <em>normobésité</em>, il convient de faire évoluer les organisations à contre-courant de la complexité galopante du monde moderne en acceptant les vertus méconnues, voire méprisées du flou. Ici le flou n’est pas synonyme de désorganisation, ni de chaos ou de laisser-faire mais il s’oppose à la recherche de clarté absolue et son corollaire, le refus de faire le pari de l’intelligence des acteurs. Une intelligence qui ne peut s’exprimer sans marge de manœuvre pour s’adapter, coopérer et déjouer les dérives de la <em>normobésité</em>. Car les acteurs ne sont pas dupes et ils perçoivent justement ce trop-plein de normes pour ce qu’il est : un ensemble de signes de défiance vis-à-vis de ceux qu’elles concernent et un flagrant manque de confiance dans leur intelligence.</p>
<p>Bien sûr, pour atteindre un niveau optimum de vigueur et de flexibilité, un système de production requiert un nombre optimum de contraintes formelles mais aussi et surtout une relative autonomie d’action, qui n’est pas à proprement parler de l’indépendance d’action. Cette autonomie offre des marges de manœuvre aux acteurs pour réagir et innover en fonction des opportunités et des circonstances. Cette part d’initiative crée un flou salutaire qui se nourrit de la confiance octroyée aux individus. Car telle est la condition de l’acceptation du flou et de ses vertus créatives. Il n’est acceptable que dans la mesure ou les acteurs ayant à coopérer, managers comme managés, ont su créer des relations de confiance.</p>
<h2>La confiance comme remède</h2>
<p>Pour faire bref, cela suppose que tous acceptent d’avoir ce que les philosophes appellent un comportement éthique, c’est-à-dire renoncent à l’incertitude de ces comportements. La prévisibilité du comportement peut certes réduire le pouvoir des managers en particulier, les sociologues l’ont démontré avec <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie--9782912601858-page-162.htm">Michel Crozier</a>. Mais elle permet de sortir d’un management coercitif pour passer à un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9vDDWSzvRM4">management confiant, c’est-à-dire « déraisonnable au sens rationnel du terme »</a> qui n’implique pas d’avoir tout prévu, tout catégorisé et <em>in fine</em>, tout normé.</p>
<p>À partir de la [citation apocryphe d’Antoine de Saint Exupéry], on serait tenté de conclure par l’allégorie suivante : si tu veux construire un bateau innovant et performant, ne rassemble pas tes équipes pour leur donner l’ordre de suivre à la lettre l’intégralité des normes et des instructions expliquant comment faire, dans le moindre détail, tout en mettant en place un service qualité et un service conformité. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes équipes la volonté de respecter les règles fondamentales de conceptions navales autant que le désir de la mer grande et belle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225694/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric-Jean Garcia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le trop-plein de normes, loin de réduire l’incertitude, réduit l’efficacité des organisations, entreprises comme administrations. Il est urgent de redécouvrir les vertus d’un flou bien maîtrisé.Eric-Jean Garcia, Co-directeur de l'executive master "enjeux juridiques et leadership" , Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251202024-03-18T10:51:39Z2024-03-18T10:51:39ZPeut-on comparer les jeunes diplômés déçus par leur premier emploi aux romantiques du XIXᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580091/original/file-20240306-22-xwmeec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C3%2C722%2C521&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Le Voyageur contemplant une mer de nuages_, tableau de Caspar David Friedrich, peintre romantique allemand (1818).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ueber-die-sammlung-19-jahrhundert-caspar-david-friedrich-wanderer-ueber-dem-d82346">Picryl</a></span></figcaption></figure><p>En 2013, l’anthropologue américain <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/auteur-David_Graeber-250-1-1-0-1.html">David Graeber</a> faisait le buzz avec un <a href="https://strikemag.org/bullshit-jobs/">article</a> publié dans <em>STRIKE ! Magazine</em> où il n’hésitait pas à mettre un mot sur un véritable phénomène de société : les <em>bullshit jobs</em> (ou « jobs à la con »). Ce qui frappe de prime abord lorsqu’on s’intéresse à ces <em>bullshit jobs</em>, c’est leur contradiction essentielle avec le système dans lequel ils sont insérés.</p>
<p>Vides de sens pour ceux qui les occupent, ces « jobs à la con » reposent sur un double paradoxe : d’une part, les métiers inutiles semblent impensables dans un système néo-libéral qui suppose une rémunération du travail en fonction de la performance économique et, d’autre part, le capitalisme est censé reposer sur la notion de rationalité, alors même qu’il succombe bien souvent à des effets de mode pour le moins contestables (standardisation, qualité, <em>compliance</em>, <em>process</em> ou encore agilité).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0zSsQMB8zrQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais quel effet produit cette absurdité sur les individus, et plus particulièrement sur les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail et dont le premier poste peut les décevoir ? C’est la question que nous nous sommes posée dans un article de recherche co-écrit avec notre collègue <a href="https://www.theses.fr/2022AIXM0533">Marion Cina</a> à paraître prochainement dans la revue <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/8277"><em>M@n@gement</em></a>.</p>
<p>Pour mieux comprendre cet effet, nous avons tenté de dresser un parallèle avec le <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/le_romantisme_en_litt%C3%A9rature/185879">romantisme</a> au XIX<sup>e</sup> siècle. Sur les décombres de <a href="https://www.lesbonsprofs.com/cours/lempire-napoleonien/">l’Empire napoléonien</a>, un « mal du siècle » se répandait à l’échelle européenne. Il en a découlé un mouvement littéraire qui résonne étrangement avec notre époque contemporaine : le romantisme. Ce courant artistique, voire spirituel, a fait de la mélancolie, du dégoût de l’époque vécue et de l’impossibilité à trouver sa place dans un monde vide de sens les leitmotivs d’une quête de grandeur.</p>
<h2>Un parallèle entre deux époques</h2>
<p>Entre les romantiques d’hier et les jeunes d’aujourd’hui, il semble en effet que l’histoire se répète. En d’autres termes, la jeunesse actuelle connaîtrait-elle les mêmes tourments que les romantiques d’hier ? Le parallèle serait alors riche d’enseignements. On nous objectera que comparaison n’est pas raison, et que tout cela est bien absurde. Eh bien justement ! Pour comprendre l’impensé, il apparaît nécessaire de mobiliser des outils nouveaux. Autrement dit, il faut combattre le mal par le mal.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-sciences-du-vivant-aux-sciences-de-gestion-quand-la-fiction-litteraire-fait-avancer-la-recherche-scientifique-146611">Des sciences du vivant aux sciences de gestion : quand la fiction littéraire fait avancer la recherche scientifique</a>
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<p>Nous nous sommes donc plongés dans les deux époques :</p>
<ul>
<li><p>Pour ce qui relève de l’époque contemporaine, nous avons mené 35 entretiens avec de jeunes diplômés entre 25 et 30 ans, tous diplômés d’une Grande École de commerce ou d’ingénieurs française. Notre panel d’interviewés regroupe plus spécifiquement des individus bien souvent passés par des classes préparatoires, qui est une des spécificités du système éducatif français. Entre travail intense et exigence maximale, ces structures préparent les étudiants pendant deux voire trois ans aux concours d’entrée des Grandes Écoles.</p></li>
<li><p>Pour la période romantique, nous avons convoqué les œuvres littéraires de ce mouvement du XIX<sup>e</sup> siècle dans lequel leurs auteurs (Balzac, Musset, Chateaubriand, etc.) s’épanchent sur leurs états d’âme d’élites désillusionnées. Nous avons extrait de ces ouvrages des passages qui nous semblaient particulièrement correspondre à l’expérience décrite par nos interviewés afin d’entendre les échos entre les deux époques.</p></li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-la-fiction-modele-la-realite-76607">Quand la fiction modèle la réalité</a>
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<h2>Le choc de l’absurde</h2>
<p>De notre <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/8277">enquête</a> menée entre deux siècles, nous tirons plusieurs enseignements. En premier lieu, l’absurde est un choc qui permet un dévoilement majeur pour les jeunes diplômés. Que ce soit en école ou en entreprise, ils perçoivent un décalage majeur entre les enseignements très riches et théoriques qu’ils ont pu suivre en classes préparatoires et la banalité des tâches et des activités qui leur sont confiées.</p>
<p>L’entrée dans le monde professionnel est particulièrement vécue comme une rupture brutale et déroutante. C’est ce qu’Estelle*, ancienne étudiante dans une Grande École de commerce, n’a pas manqué de rappeler lors de son entretien :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai encore du mal à comprendre ce qui m’est arrivé quand je suis rentrée en entreprise… Je pense que le premier stage que j’ai fait a été un gros choc. J’ai pu constater la déconnexion entre l’école et l’entreprise ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le même esprit, Mélanie* nous a fait part de son désarroi quand sa manageuse lui a demandé d’accomplir de basses besognes, totalement déconnectées du faste et de la grandeur de ses études :</p>
<blockquote>
<p>« J’épluchais toutes les annales depuis un mois, enfin tous les historiques des présentations, ce qui est rasoir en fait. J’étais le chien de toute la boîte ».</p>
</blockquote>
<p>Cette trivialité des tâches quotidiennes trouve son origine dans une modernité hyperrationnelle qui ôte toute poésie au monde. Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, malgré la sacralisation du progrès par les organisations, des dissensions émergent, en particulier dans la sphère littéraire. Le poète <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Charles_Baudelaire/107873">Charles Baudelaire</a> est notamment atterré par les mutations en cours, annonçant alors la <a href="http://zeio.free.fr/poesies/baudelaire-lemondevafinir.htm">« fin du monde »</a>. Il révèle sans détour qu’une victoire de la matière va atrophier « en nous toute la partie spirituelle ».</p>
<h2>Accélération, flot et perte de repères</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, l’accélération du quotidien accentuée par l’émergence de la presse crée une impression de tohu-bohu total, d’emballement généralisé dans lequel les individus et les choses se retrouvent prisonniers d’un « flot » continu d’événements.</p>
<p>La dépréciation brutale de la poésie entraîne une chute significative du marché poétique, illustrée par l’écrivain <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Honor%C3%A9_de_Balzac/107350">Honoré de Balzac</a> dans son roman <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/balzac/illusions-perdues"><em>Illusions perdues</em></a>. Cette transition vers la culture de masse engendre une grande désillusion littéraire, façonnant l’image de l’artiste isolé, incompris, voire du <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/repere/poetes-maudits">poète maudit</a>.</p>
<p>Dès 1833, Balzac propose de revenir sur « l’état actuel de la littérature ». Il y dépeint sans ambages le développement effréné d’une « masse lisante » qui n’attend qu’une seule chose : dévorer toujours plus de livres. Ici, le vrai monstre, c’est la presse, c’est la culture médiatique.</p>
<p>Pour Balzac, « le mal que produit le journalisme est bien plus grand [par rapport au commerce des livres]. Il tue, il dévore de vrais talents ». Ce qui terrifie Balzac et ses contemporains, c’est l’obsolescence programmée de la culture médiatique qui fait que, quelle que soit la pertinence d’un texte écrit, de toute façon il est effacé par le suivant.</p>
<p>On retrouve cette accélération tous azimuts dans les propos des jeunes diplômés d’aujourd’hui : ils évoquent des tâches qui se succèdent dans un flux perpétuel comme s’ils passaient leur temps à remplir le <a href="https://www.rtbf.be/article/les-danaides-et-leurs-jarres-percees-metaphore-de-nos-desirs-insatiables-11072471">tonneau des Danaïdes</a>.</p>
<p>Ainsi, Valentine* a tout simplement l’impression d’être prise au milieu d’un flot incessant d’« appels, de mails et de comptes-rendus ». Aujourd’hui, les modes de communication par courriel et/ou messageries instantanées (Slack, Teams, etc.) sont devenus les nouveaux avatars du flux médiatique. Pour Mareva*, il y a une obligation tacite à toujours devoir vérifier ses mails ou son téléphone :</p>
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<p>« Le plus énervant, c’est d’être tout le temps sur son téléphone je trouve. Oui, ce qui me fatigue le plus, c’est de devoir toujours cliquer sur mes mails et mes trucs pour être sûre qu’il n’y ait pas d’urgences ».</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iKcUwCEofDI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le règne du double discours</h2>
<p>Dans <em>Illusions perdues</em>, Balzac dénonce également le règne de l’argent et la pratique du double discours, à la façon dont certains jeunes diplômés interrogés ont pu le faire concernant leurs organisations.</p>
<p>Dans ce roman balzacien, le personnage principal, <a href="http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_1832.htm">Lucien de Rubempré</a>, fait la rencontre de Vautrin, un ancien forçat qui se cache derrière l’habit d’un prêtre. Vautrin est un protagoniste qui appartient au monde du Mal mais qui a tout compris sur la société qui l’entoure. Cet ancien bagnard est surtout l’occasion pour Balzac d’insérer dans son roman sa conception réactionnaire du monde social. Non seulement la société moderne est profondément contradictoire, mais c’est aussi une société du mensonge caractérisé : ce qui importe le plus, c’est l’apparence.</p>
<p>En contexte organisationnel, le double discours et le mensonge font également partie de la panoplie de managers à l’éthique douteuse. C’est ce qu’a rappelé Iris* en évoquant sa manageuse qui n’hésitait pas à mentir aux candidats potentiels pour les attirer dans son entreprise :</p>
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<p>« En fait, elle invente, elle invente et je la regarde et je me dis mais on est dans la même boîte et tu me dis des choses qui n’existent pas. C’est absurde. Elle est capable pendant deux heures d’inventer du bullshit max, mais pour une mauvaise intention : attirer des candidats pour les mauvaises raisons et de les bloquer au début de leur vie professionnelle ».</p>
</blockquote>
<p>Parfois, le mensonge est même avoué et légitimé par les supérieurs et le management « pour améliorer les statistiques du service », comme nous le confiait Mélanie*. Dès lors, quelles sont les conséquences de tous ces bouleversements sur les jeunes du XIX<sup>e</sup> siècle et d’aujourd’hui ?</p>
<h2>Une quête d’idéal</h2>
<p>Pour se détourner de la médiocrité d’un monde où règnent l’accélération et le mensonge, les jeunes romantiques du XIX<sup>e</sup> siècle ne rejoignent pas des organisations non gouvernementales (ONG) ou des fermes écoresponsables : ils font de la poésie, de l’art. Ils créent des parenthèses artistiques dans un monde dénué de beauté, exprimant ainsi une dissidence ironique face à la réalité.</p>
<p>À l’heure actuelle, certains jeunes travailleurs, que la professeure <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pauline-P%C3%A9rez--661335.htm">Pauline Pérez</a> appelle les <a href="https://www.theses.fr/2014EHEC0007">« intermittents du travail »</a>, se désengagent des fonctions traditionnelles pour embrasser des activités jugées plus estimables malgré un confort apparemment réduit (petits boulots, intérims, temps partiel, jobs saisonniers…). Cette tendance traduit une volonté de reprise en main de leur destinée.</p>
<p><a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/cassely-revolte-premier-classe/">Révolte</a>, retrait, dissidence sont autant de voies ouvertes par une jeunesse qui aspire à des lendemains qui chantent. « Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu’on nous veuille faire le présent, l’avenir sera beau » lancera à cet égard <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Victor_Hugo/124393">Victor Hugo</a> dans sa préface d’<a href="https://editions.flammarion.com/hernani/9782081433618"><em>Hernani</em></a>.</p>
<hr>
<p>*<em>Les prénoms ont été anonymisés</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les désillusions de la jeunesse romantique du XIXᵉ siècle peuvent éclairer les attentes et les déceptions des nouveaux entrants sur le marché du travail.Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolXavier Philippe, Enseignant-chercheur en sociologie du travail. Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166832024-02-28T15:03:18Z2024-02-28T15:03:18ZSelon l’ONU, les personnes ayant une déficience intellectuelle sont exploitées au Canada<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/563030/original/file-20231201-23-6d3hsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C995%2C747&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il est très difficile, voire impossible, de savoir exactement combien de personnes ayant une déficience intellectuelle sont dans des plateaux de travail au Canada.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le Canada a <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2023/09/canada-anchor-fight-against-contemporary-forms-slavery-human-rights-un">récemment été blâmé par Tomoya Obokata, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage</a>. En cause ? Les manquements de ses programmes d’immigration économique. </p>
<p>Toutefois, cela n’était pas le seul reproche que le Rapporteur spécial avait à formuler : les <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/slavery/sr/statements/eom-statement-canada-sr-slavery-2023-09-06.pdf">conditions dans lesquelles travaillent des personnes ayant une déficience intellectuelle</a> ont également attiré son attention. </p>
<p>En tant que chercheur sur les questions touchant la sécurité financière et l’emploi des personnes en situation de handicap, et personne travaillant dans le domaine des politiques publiques, je vous propose un éclairage sur une pratique controversée, mais encore répandue au Canada : les plateaux de travail.</p>
<h2>Que sont les plateaux de travail ?</h2>
<p>Relativement inconnus du grand public, les plateaux de travail en déficience intellectuelle sont un <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9781137540317">legs historique de la ségrégation et de l’exploitation qu’ont connues ces personnes</a>, partout en Amérique du Nord. Contrairement à l’institutionnalisation, qui a relativement reculé, les plateaux de travail sont encore bien en vie, malgré les appels répétés à leur fermeture tant <a href="https://inclusioncanada.ca/wp-content/uploads/2020/12/English-Position-Employment.pdf">au Canada</a> <a href="https://www.sqdi.ca/wp-content/uploads/2022/09/Orientations_et_Demandes_SQDI_2022_FR_WEB.pdf">qu’au Québec</a>. </p>
<p>Les plateaux de travail sont <a href="https://irisinstitute.ca/wp-content/uploads/sites/2/2021/09/Help-wanted-Full-Report-FR.pdf">généralement caractérisés</a> comme étant des programmes dans lesquels :</p>
<p>– des personnes ayant un handicap (particulièrement celles ayant une déficience intellectuelle) sont rassemblées, sans être mélangées avec des personnes n’étant pas en situation de handicap ; </p>
<p>– ces personnes fournissent une forme de travail sans être rémunérées ou en recevant un montant forfaitaire (quelques dollars par jour) ;</p>
<p>– les différentes lois et normes du travail ne s’appliquent pas, incluant les normes sur le salaire minimum. </p>
<p>Historiquement, l’objectif de ces programmes était <a href="https://psycnet.apa.org/record/2013-11700-001">avant tout de former des personnes très éloignées du milieu de travail</a> dans un contexte plus propice. Le raisonnement était que si l’on amenait ces personnes à effectuer des tâches répétitives dans un environnement non compétitif et plus « protégé » du reste de la société, elles finiraient par développer des aptitudes de travail pour peut-être éventuellement intégrer le marché régulier de l’emploi. </p>
<p>Toutefois, loin de favoriser l’inclusion en emploi, la participation qui était à la base temporaire devient bien souvent permanente, ce qui soulève des questions éthiques, politiques et sociales sur la pratique. </p>
<h2>Des programmes utilisés partout au Canada</h2>
<p><a href="https://irisinstitute.ca/wp-content/uploads/sites/2/2021/09/Help-wanted-Full-Report-FR.pdf">Dans un rapport de recherche publié en 2022</a>, l’Institut de recherche et de développement sur l’inclusion et la société dressait l’état de la situation entourant les plateaux de travail au Canada. Toutes les provinces étudiées (Ontario, Colombie-Britannique, Nouvelle-Écosse, Québec, Territoires du Nord-Ouest) avaient des plateaux de travail dans lesquels des personnes fournissaient une prestation de travail sans recevoir de juste compensation. </p>
<p>Pire, dans bien des cas, la <a href="https://irisinstitute.ca/wp-content/uploads/sites/2/2021/09/Help-wanted-Appendix-EN.pdf">participation de ces personnes aux plateaux de travail pouvait se compter en années</a>, voire en dizaines d’années. Loin d’une mesure temporaire, les plateaux de travail sont devenus à la fois une source de financement <a href="https://irisinstitute.ca/wp-content/uploads/sites/2/2021/09/Help-wanted-Full-Report-FR.pdf">pour des organismes qui reçoivent des subventions gouvernementales</a>, mais aussi une forme de répit pour des familles qui manquent cruellement de services. </p>
<p>Il est très difficile, voire impossible, de savoir exactement combien de personnes ayant une déficience intellectuelle sont dans des plateaux de travail au Canada (les statistiques étant difficiles à trouver, ou tout simplement inexistantes). Toutefois, comme le Québec publie des données financières et démographiques à jour, il est possible d’étudier le cas de cette province.</p>
<h2>Le cas du Québec</h2>
<p>Le Québec a divisé ses programmes d’employabilité pour les personnes en situation de handicap entre le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). En théorie, le MSSS s’occupe des personnes en situation de handicap jugées « plus loin du marché du travail », alors que le MESSS s’occupe des personnes étant plus prêtes à l’emploi. </p>
<p>Cependant, dans les faits, ce que les organismes communautaires sur le terrain rapportent, et ce que la recherche en cours semble faire émerger (données préliminaires), est qu’un nombre important de personnes qui devraient se trouver dans les services du MESS finissent dans des plateaux de travail. <a href="https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-cdd/167/cdd_tome-novembre2020_ch03_web.pdf">Le rapport du Vérificateur général du Québec sur l’employabilité des jeunes en situation de handicap</a> dresse un portrait de la situation.</p>
<p>Ultimement, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec continue de financer très largement les plateaux de travail dans la province. </p>
<p><iframe id="kMsNn" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/kMsNn/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Entre 2013-2014 et 2020-2021, ce ne sont pas moins de 165M$ de fonds publics qui ont été investis dans ces programmes.</p>
<p>Une autre raison pouvant expliquer la prévalence des plateaux de travail au Québec est le fait que les prestataires du Programme de solidarité sociale <a href="https://theconversation.com/au-quebec-comme-ailleurs-au-canada-les-programmes-dassistance-sociale-sont-des-trappes-a-pauvrete-211968">n’ont pas de droit de travailler pour plus que 200$ par mois</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-quebec-comme-ailleurs-au-canada-les-programmes-dassistance-sociale-sont-des-trappes-a-pauvrete-211968">Au Québec, comme ailleurs au Canada, les programmes d’assistance sociale sont des « trappes à pauvreté »</a>
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<p>En effet, le fait que le chèque d’assistance sociale soit coupé dollar pour dollar passé cette limite est souvent évoqué comme justification pour ne pas payer les personnes participant aux plateaux de travail.</p>
<h2>Quelles pistes pour le futur des plateaux de travail au Canada ?</h2>
<p>Quelles sont donc les pistes pour s’assurer que les droits des personnes participant à des plateaux de travail soient respectés ?</p>
<p>Plusieurs organisations plaident pour un meilleur encadrement des plateaux de travail. Un premier pas serait d’avoir des <a href="https://www.sqdi.ca/wp-content/uploads/2022/09/Orientations_et_Demandes_SQDI_2022_FR_WEB.pdf">objectifs clairs de formation et une durée de participation limitée dans le temps</a>, afin de s’assurer que ces programmes répondent réellement à un besoin de développement de compétences professionnelles et sociales.</p>
<p>De plus, les <a href="https://irisinstitute.ca/wp-content/uploads/sites/2/2021/09/Help-wanted-Full-Report-FR.pdf">législations provinciales et territoriales devraient être mises à jour</a> afin de garantir que toutes les personnes en situation de handicap bénéficient des mêmes droits que le reste de la population. </p>
<p>Par ailleurs, à terme, les gouvernements devraient <a href="https://irisinstitute.ca/wp-content/uploads/sites/2/2021/09/Help-wanted-Full-Report-FR.pdf">rediriger les fonds publics</a> utilisés pour les plateaux vers des programmes d’embauche inclusive (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=ocSrgOhQPv4">comme cela a été fait au Nouveau-Brunswick, par exemple</a>) et vers des activités stimulantes pour les adultes en situation de handicap partout au Canada. Les organisations communautaires qui donnent du répit aux familles et créent ces espaces de socialisation et d’apprentissage devraient également recevoir un juste financement, afin de ne pas générer davantage de drames humains <a href="https://engagezvousaca.org/accueil/les-revendications/">pour des organismes déjà largement sous-financés</a>.</p>
<p>D’autres mesures sont cruciales, comme s’assurer que les programmes d’assistance sociale autorisent les prestataires à travailler, ne serait-ce qu’à temps partiel. Le nouveau Programme de revenu de base entré en vigueur en 2023 au Québec est un bon exemple de changement positif en la matière, puisqu’il <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base">permet aux prestataires de travailler à temps partiel</a>. D’autres provinces, comme la <a href="https://www2.gov.bc.ca/gov/content/family-social-supports/services-for-people-with-disabilities/disability-assistance/on-disability-assistance/annual-earnings-exemption">Colombie-Britannique</a> et <a href="https://ottawa.ctvnews.ca/odsp-earning-exemption-increases-but-it-s-not-as-beneficial-as-it-seems-advocates-1.6255430">l’Ontario</a>, ont également commencé à rendre les règles de leurs programmes plus flexibles, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.</p>
<p>Autre aspect important : il faut s’assurer de la mise en place d’une réelle transition planifiée entre l’école et la vie active des jeunes adultes en situation de handicap. Les provinces ayant travaillé sur ce dernier point, comme le Nouveau-Brunswick, <a href="https://www.abilitynb.ca/wp-content/uploads/2020/11/Tacit-Elements-Ability-NB-Employment-and-Disability-Final-Copy-UPDATE-CASE-1.pdf">ont démontré qu’une transition bien réalisée peut être grandement bénéfique pour l’ensemble de la population</a>. Et bien que le Québec ait <a href="https://www.education.gouv.qc.ca/references/tx-solrtyperecherchepublicationtx-solrpublicationnouveaute/resultats-de-la-recherche/detail/article/transition-de-lecole-vers-la-vie-active-teva/">son propre programme de transition école-vie active (TEVA)</a>, le programme se limite encore à des « guides » dont la mise en place reste largement laissée à la bonne volonté des directions d’école, notamment <a href="https://www.ophq.gouv.qc.ca/fileadmin/centre_documentaire/Etudes__analyses_et_rapports/Finances_par_l_Office/RAP_Chantal_Desmarais_teva_jeunes-handicapes.pdf">faute d’une « structure interministérielle clairement définie »</a> et d’obligations claires.</p>
<h2>Le Canada doit respecter ses obligations internationales</h2>
<p>La situation est telle que de plus en plus d’organisations au Canada (dont <a href="https://inclusioncanada.ca/">Inclusion Canada</a> et People First of Canada, les deux plus grandes organisations représentant les personnes ayant une déficience intellectuelle au Canada), qualifient la participation de personnes ayant une déficience intellectuelle dans les plateaux de travail comme étant de <a href="http://invisibleinstitutions.com/invisible-institutions-podcast-episode-2">« l’exploitation »</a>.</p>
<p>Si l’on en croit les différentes organisations de défense des droits, le Canada violerait donc ses obligations internationales. En effet, la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-persons-disabilities">Convention relative aux droits des personnes handicapées</a> proscrit explicitement l’exploitation des personnes en situation de handicap (art. 16), et fait plutôt la promotion du droit à l’emploi et au travail sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et travailleuses (art. 27).</p>
<p>Il est plus que temps que le terme « travail » ne soit plus synonyme d’« exploitation » pour les personnes ayant une déficience intellectuelle partout au pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216683/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samuel Ragot est étudiant au doctorat en travail social à l'Université McGill et analyste sénior aux politiques publiques à la Société québécoise de la déficience intellectuelle. </span></em></p>Au Québec et au Canada, les personnes ayant une déficience intellectuelle sont encore souvent exploitées – via les plateaux de travail – selon l’ONU et les organisations de défense des droits.Samuel Ragot, PhD Candidate - Candidat au doctorat, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2236862024-02-26T15:47:24Z2024-02-26T15:47:24ZQuiet quitting : ce que nous apprend TikTok sur les « démissionnaires silencieux »<p>Après le <a href="https://theconversation.com/le-mystere-de-la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-173454">« big quit »</a> ou grande démission, le <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267"><em>quiet quitting</em></a> ou démission silencieuse apparaît en juillet 2022. L’institut de sondage <a href="https://www.gallup.com/workplace/398306/quiet-quitting-real.aspx">Gallup</a> désigne avec ce terme les personnes qui « ne se surpassent pas au travail et se contentent de répondre à la description de leur poste ». La démission silencieuse reflète-t-elle un désengagement progressif de l’individu vis-à-vis de ses tâches professionnelles ? Serait-elle un préliminaire au changement professionnel ?</p>
<p>Pour tenter de comprendre ce phénomène censé être silencieux, nous sommes allées enquêter dans un endroit plutôt bruyant : TikTok. Y ont été analysées toutes les vidéos postées entre juillet et décembre 2022, ainsi que leurs commentaires, qui ressortaient en entrant les mots-clés « quiet quitting » ou « démission silencieuse ».</p>
<p>Les vidéos présentent une grande variété de profils, ce dans le monde entier. L’<a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1993_num_105_1_2525_t1_0132_0000_2">analyse</a> textuelle manuelle puis <a href="https://www.lexicool.com/text_analyzer.asp">automatisée</a> que nous avons menée, et qui a fait l’objet d’une communication au congrès 2023 de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (<a href="https://www.agrh.fr/actes-des-congrs">AGRH</a>), a permis de mettre en lumière quelques traits majeurs du phénomène.</p>
<h2>Raisonnables ou fainéants ?</h2>
<p>« Ne plus s’investir », « pas d’implication », <a href="https://www.tiktok.com/@thelizjane/video/7134760912354905350">« se déconnecter des valeurs de l’entreprise »</a>, « se définir autrement que par le travail ». Celles et ceux s’inscrivant dans une démission silencieuse témoignent en premier lieu d’une perte de sens et d’un mal-être au travail. Les signes manifestes de cette démission silencieuse sont un désengagement, une démotivation, un détachement vis-à-vis du travail. Parmi leurs souhaits figurent la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et personnelle et un meilleur respect de leur sphère privée. La démission silencieuse peut même être présentée comme allant de soi : il s’agirait juste de <a href="https://www.tiktok.com/@scottseiss/video/7136571129325489451?q=Cartel%20Pagel%20quiet%20quitting&t=1706866481233">« faire son travail normalement »</a>, de « travailler de manière raisonnée » ; elle est même revendiquée quelquefois avec virulence.</p>
<p><div data-react-class="TiktokEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.tiktok.com/@scottseiss/video/7136571129325489451"}"></div></p>
<p>Certains continuent alors d’œuvrer normalement mais sans dépasser certaines limites qu’ils se fixent : <a href="https://www.tiktok.com/@yorchbesos/video/7138120624739716358?q=yoch%20besos%20quiet%20quitting&t=1707468055064">« pas d’heure supplémentaire »</a>, « pas de tâches additionnelles ». Ils indiquent « faire le strict minimum » ; ils peuvent aussi, sciemment, « rendre les travaux en retard », ou même revendiquent un « non-respect des horaires ».</p>
<p>Beaucoup jouent avec les limites de ce qu’il est possible de (ne pas) faire. « Faire des pauses » est autorisé, mais en faire trop est peu professionnel, voire prohibé. La question est celle de la frontière, floue, entre ce qu’établit le salarié et ce qui est acceptable par l’employeur. Souvent, le démissionnaire silencieux est qualifié comme tel car la limite, si elle est franchie, l’est de façon difficilement perceptible ou peu répréhensible. On parle ici de comportements de « retrait ».</p>
<p>Des approches plus critiques vis-à-vis des démissionnaires silencieux émanent alors de personnes se présentant comme étant en position de management. Pour ces dernières, le démissionnaire silencieux est paresseux, <a href="https://www.tiktok.com/@kevinolearytv/video/7136748485453434155?q=mr.%20wonderful%20quiet%20quitting&t=1706865446780">« fainéant »</a>. Il manquerait d’ambition, serait en train de « tromper son employeur ». Il aurait un comportement contre-productif, serait une perte de temps pour l’entreprise : d’ailleurs il <a href="https://www.tiktok.com/@mattwalsh_/video/7153769990234049835?q=matt%20walsh%20quiet%20quitting&t=1706868610225">« ne souhaite pas évoluer »</a>.</p>
<p><div data-react-class="TiktokEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.tiktok.com/@kevinolearytv/video/7136748485453434155"}"></div></p>
<h2>Se mettre en retrait</h2>
<p>Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer la démission silencieuse. La première est relative à une rémunération en deçà du niveau espéré étant donné le travail accompli : le souhait est de <a href="https://www.tiktok.com/@ioli_dice/video/7135270119088950533?q=Ioli%20dice%20quiet%20quitting&t=1706867168230">« travailler à la hauteur de [« son »] salaire »</a>. Une injustice perçue serait ainsi réparée.</p>
<p>Une autre famille de raisons concerne la surcharge de travail ressentie. Le démissionnaire silencieux n’a « pas de temps, pas de vacances » ; il souffre de « surmenage ». Il peut également avoir pour sentiment qu’il n’a <a href="https://www.tiktok.com/@michou_bidoo/video/7137197496081665285?q=michou%20bidoo%20quiet%20quitting&t=1706867490571">« pas de reconnaissance de [« son »] employeur sur [« son »] travail »</a>. Certaines raisons invoquées concernent également des enjeux sociétaux auxquels ils réagissent : un <a href="https://www.tiktok.com/@laurabienetreautravail/video/7142538268892990726">« malaise profond [« inhérent au »] monde du travail »</a> dans son ensemble ; une « réflexion et [une] remise en question post-Covid » ; ou encore la <a href="https://www.tiktok.com/@jobhackeuse/video/7138093854682615046?q=laura%20d%C3%A9mission%20silencieuse&t=1706867641173">« suite de la grande démission »</a>.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/reel/Cxu3MvbqsT1","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Quand cela prend la forme d’un comportement de retrait, est-ce une phase amont du <a href="https://www.cairn.info/reconstruire-sa-vie-professionnelle--9782130607687.htm">changement professionnel</a> ? Ces démissionnaires silencieux seraient, peut-être, dans un <a href="https://sci-hub.se/10.1016/j.childyouth.2010.06.006">désinvestissement organisationnel</a> progressif. Le comportement de retrait pourrait être une <a href="https://portaildocumentaire.inrs.fr/Default/doc/SYRACUSE/132324/les-conduites-de-retrait-comme-strategies-defensives-face-au-harcelement-psychologique-au-travail-3-?_lg=fr-FR">protection utilisée par l’individu</a>, une stratégie de désinvestissement psychologique pour, par exemple, se prémunir d’un éventuel <a href="https://www.researchgate.net/publication/227634716_The_Measurement_of_Experienced_Burnout">burn-out</a>.</p>
<p>En attente d’un changement, nos tiktokeurs maintiendraient un niveau d’activité minimal. Ils pourraient également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/105348229190011Z">calculer leur implication</a> au travail pour s’engager davantage dans leur sphère privée, nommant alors cette posture par un terme en vogue. Enfin, parce qu’ils seraient sur le départ, en fin de contrat par exemple, ils se désengageraient naturellement de l’organisation et de leur travail. Nous avons donc ici plusieurs hypothèses quant aux suites de leurs parcours qu’une recherche plus approfondie, longitudinale, permettrait de creuser.</p>
<h2>Pour les RH repérer les signaux faibles</h2>
<p>Cette recherche ouvre néanmoins des perspectives aux gestionnaires des ressources humaines pour détecter des transitions professionnelles avant leur survenue effective.</p>
<p>En amont d’un changement professionnel, des signaux faibles sont émis. La démission silencieuse pourrait être l’un d’entre eux. En identifiant le désinvestissement même peu apparent, le refus de prendre des responsabilités, de faire des heures supplémentaires, le gestionnaire des ressources humaines peut détecter les individus à réengager dans le collectif de travail. Il peut aussi faciliter leur transition professionnelle, qu’elle soit interne ou externe à l’organisation.</p>
<p>Notre recherche ne permet pas de conclure définitivement sur le long terme : les démissionnaires silencieux peuvent décider de partir ou pas, de continuer à se comporter ainsi ou pas. Et le réseau social étudié est non exempt de limites et de biais. La richesse des verbatim, la diversité des répondants, la cohérence des données et de leur analyse avec la littérature relative au changement professionnel en fait cependant un matériau tout à fait passionnant notamment pour appréhender un phénomène se revendiquant comme silencieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La démission silencieuse fait malgré tout parler sur TikTok, un matériau exploité par nos experts pour mieux comprendre le phénomène.Sylvie Rascol-Boutard, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, Université de MontpellierAurélia El Yacoubi, Doctorante en Sciences de Gestion, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2231502024-02-15T16:19:30Z2024-02-15T16:19:30ZLes revenus des femmes diminuent après la naissance d’un enfant. Voici pourquoi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574447/original/file-20240131-19-fg2aeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=760%2C416%2C7407%2C5003&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La naissance d'un enfant entraîne d'importantes pertes de revenus pour les femmes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les inégalités entre les hommes et les femmes persistent dans de nombreux domaines. Les <a href="https://doi.org/10.1787/4ead40c7-en">femmes gagnent toujours moins que les hommes en moyenne sur le marché du travail</a>. </p>
<p>Une différence encore plus frappante est l’écart salarial lié à la maternité, qui se produit lorsque les femmes ont des enfants. Phénomène également connu sous le nom <a href="https://doi.org/10.1257/app.20180010">« pénalité liée à la maternité »</a>, le salaire des femmes s’effondre après la naissance d’un enfant, tandis que celui des hommes reste pratiquement inchangé.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1257/jep.12.1.137">De nombreuses études</a> se sont penchées sur les causes de l’inégalité entre les sexes et ont conclu que les femmes ne sont pas en mesure de rattraper les niveaux de revenus des hommes en partie en <a href="https://doi.org/10.1086/684851">raison des responsabilités parentales</a>. </p>
<p>Pourquoi cela se produit-il ? Les enfants ont un effet négatif sur la productivité des femmes sur le marché du travail en réduisant considérablement leur <a href="https://www.britannica.com/money/human-capital">capital humain</a>, ce qui se traduit par une <a href="https://doi.org/10.1086/260293">réduction significative de leurs revenus</a>. </p>
<p>Après la naissance de leur enfant, les mères ont tendance à se tourner vers des emplois à temps partiel, des postes aux horaires flexibles ou des postes offrant des conditions de travail plus favorables à la conciliation famille-travail — autant d’éléments qui tendent à <a href="https://doi.org/10.1093/cje/23.5.543">payer des salaires plus bas</a>.</p>
<p>À leur tour, les employeurs peuvent considérer les employés à temps partiel comme moins dévoués et moins productifs, en particulier lorsqu’ils s’appuient sur des <a href="https://www.psychologytoday.com/us/basics/heuristics">heuristiques</a> — des raccourcis mentaux pour résoudre des problèmes — pour juger de la qualité des travailleurs, plutôt que sur des informations réelles concernant leur performance. Cela peut se traduire par <a href="https://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2911397">moins de primes et de promotions</a> pour ces employés.</p>
<h2>Les effets de la parentalité</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1257/app.20180010">Une étude portant sur le Danemark</a>, l’un des pays les plus égalitaires au monde, indique que les mères sont pénalisées à long terme d’environ 20 % en termes de revenus.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.3138/cpp.2023-015">Une de nos études</a> révèle une situation similaire au Canada. Nous avons utilisé les données de l’Étude longitudinale et internationale des adultes de Statistique Canada et des dossiers administratifs historiques de 1982 à 2018. </p>
<p>Nous avons comparé l’évolution des revenus des hommes et des femmes après la naissance de leur premier enfant entre 1987 et 2009. En utilisant une méthodologie de type étude d’événement, nous avons suivi le revenu d’emploi des individus sur une période allant de cinq ans avant la naissance jusqu’à dix ans après.</p>
<p>Nous avons observé des effets négatifs significatifs et persistants de la parentalité pour les mères, mais pas pour les pères. Les revenus des mères chutent de 49 % l’année de la naissance, avec une pénalité de 34,3 % dix ans plus tard. Les revenus des pères ne semblent guère affectés.</p>
<h2>Effets inégaux des enfants</h2>
<p>La naissance d’un enfant entraîne des pertes de revenus importantes, qui ne sont pas réparties uniformément entre les parents des couples hétérosexuels. Les pères restent sur la même trajectoire de revenus, tandis que les femmes subissent des pénalités qui persistent au fil des ans. Ceci est particulièrement vrai pour les <a href="https://doi.org/10.3138/cpp.2023-015">mères ayant plusieurs enfants ou celles qui ont un faible niveau d’éducation</a>. </p>
<p>Cet appauvrissement déclenché par la naissance d’un enfant peut avoir des répercussions économiques importantes en <a href="https://espace.inrs.ca/id/eprint/13576">cas de séparation du couple</a>. Au Canada, près <a href="https://doi.org/10.25318/3910005101-eng">d’un tiers des mariages</a> se termine par un divorce. </p>
<p>Les femmes sont généralement <a href="https://doi.org/10.4054/DemRes.2016.35.50">désavantagées financièrement</a> à la suite d’une séparation. Ce désavantage peut être dû à des facteurs antérieurs à la séparation, tels que la répartition inégale des tâches pendant le mariage et les revenus inférieurs des femmes, mais aussi à l’absence prolongée des femmes sur le marché du travail en raison de leurs responsabilités familiales.</p>
<h2>A travail égal, salaire égal</h2>
<p>Dans ce contexte, il est essentiel de se demander s’il existe des mesures susceptibles d’éliminer, ou du moins de réduire, l’impact économique associé aux responsabilités familiales sur les revenus et l’emploi des mères. </p>
<p>Nous avons étudié le rôle des politiques familiales, puisqu’elles ont été en partie conçues pour encourager le travail des femmes et promouvoir un partage plus équitable des responsabilités parentales entre conjoints. </p>
<p>Plus précisément, nous nous sommes concentrés sur la prolongation des congés parentaux au Canada et sur l’introduction des <a href="https://www.mfa.gouv.qc.ca/en/services-de-garde/programme-contribution-reduite/Pages/index.aspx">services de garde d’enfants à contribution réduite pour les familles du Québec</a>. Nous avons trouvé des preuves que ces politiques peuvent contribuer à réduire les pénalités liées la maternité. </p>
<p>Les politiques « à travail égal, salaire égal », telles que la <a href="https://www.canada.ca/en/services/jobs/workplace/human-rights/overview-pay-equity-act.html">loi sur l’équité salariale du gouvernement fédéral</a>, ont également le potentiel de faire une différence substantielle. Ces politiques peuvent rendre le marché du travail plus équitable et plus attrayant pour les femmes et réduire <a href="https://doi.org/10.1257/jel.20160995">l’impact potentiellement négatif de la rémunération basée sur l’expérience</a> pour les mères. </p>
<h2>Plus d’avantages au bout du compte</h2>
<p>En plus d’avoir un effet positif sur la situation économique des femmes, encourager l’emploi des mères pourrait contribuer à éliminer les stigmates de la division du travail au sein des couples en exposant les enfants à un modèle plus symétrique de travail rémunéré et non rémunéré. </p>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.1177/0950017018760167">étude récente</a> utilisant des données provenant de 29 pays a montré que les mères qui travaillent sont plus susceptibles de transmettre des valeurs égalitaires à leurs enfants, tant au travail qu’à la maison. Les filles dont les mères travaillent finissent elles-mêmes par travailler davantage : elles font plus d’heures, sont mieux payées et occupent plus souvent des postes de supervision que les filles dont les mères restent à la maison. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un enfant en bas âge est assis sur les genoux d’une femme, probablement sa mère, devant un bureau. Il sourit et touche un ordinateur portable tandis que sa mère lui sourit" src="https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573140/original/file-20240202-17-6ybyzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les mères au travail sont plus susceptibles de transmettre des valeurs égalitaires à leurs enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce résultat n’a pas été observé chez les garçons. Cependant, les garçons ayant grandi avec une mère salariée étaient plus impliqués dans les responsabilités familiales et domestiques à l’âge adulte que les hommes dont la mère n’était pas sur le marché du travail. Les filles passaient également moins de temps à effectuer des tâches ménagères. </p>
<p>Les mères qui travaillent semblent avoir un impact intergénérationnel favorisant l’égalité des sexes, tant au sein de la famille que sur le marché du travail.</p>
<p>Nous savons tous qu’élever des enfants prend beaucoup de temps. Les enfants, bien sûr, <a href="https://doi.org/10.1086/675070">bénéficient de cet investissement en temps des parents</a>. Mais élever des enfants est également coûteux. Notre recherche a quantifié un type de coût : la trajectoire des revenus inférieurs. Il est essentiel de savoir comment ces coûts sont partagés entre les deux parents pour permettre une meilleure prise de décision, pour les décideurs politiques, mais aussi, en fin de compte, pour les parents, les futurs parents et leurs enfants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223150/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Connolly a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture et du CIRANO. Les analyses contenues dans ce texte ont été réalisées au Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS), membre du Réseau canadien des centres de données de recherche (RCCDR). Les activités du CIQSS sont rendues possibles grâce à l’appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), de Statistique Canada, du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC), du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS) ainsi que de l’ensemble des universités québécoises qui participent à leur financement.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Catherine Haeck a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture et du CIRANO. Les analyses contenues dans ce texte ont été réalisées au Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS), membre du Réseau canadien des centres de données de recherche (RCCDR). Les activités du CIQSS sont rendues possibles grâce à l’appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), de Statistique Canada, du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC), du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS) ainsi que de l’ensemble des universités québécoises qui participent à leur financement.</span></em></p>Avoir des enfants a un impact négatif sur les revenus des femmes, ce qui n’est pas le cas chez les hommes. Les effets peuvent être durables et contribuer à l’écart de rémunération entre les deux sexes.Marie Connolly, Professor of Economics, Université du Québec à Montréal (UQAM)Catherine Haeck, Full Professor, Economics Department, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223412024-02-05T09:57:26Z2024-02-05T09:57:26ZÊtre dans la lune au travail : pour le meilleur ou pour le pire ?<blockquote>
<p>« Qu’en penses-tu Tony ? – Excuse-moi, tu disais ? »</p>
</blockquote>
<p>Qui parmi vous n’a jamais été ramené sur Terre au cours d’une réunion de <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> ? Soyez rassurés, les neuroscientifiques ont montré que ce phénomène, dénommé en Anglais <em>Mind-Wandering</em>, est <a href="https://pdodds.w3.uvm.edu/files/papers/others/2010/killingsworth2010a.pdf">davantage la norme que l’exception</a>. L’existence de nombreuses expressions du langage courant l’atteste d’ailleurs : rêvasser, être distrait, être dans la lune, dans les nuages, dans son monde, avoir la tête à autre chose, être perdu dans ses pensées… Bien <a href="https://sites.insead.edu/facultyresearch/research/file.cfm?fid=57510">peu d’études</a> en sciences de <a href="https://theconversation.com/topics/gestion-24154">gestion</a> ont pourtant été consacrées à ce phénomène qui nous concerne tous. Ce silence des chercheurs de la discipline est d’autant plus étonnant que l’errance de la pensée semble avoir des conséquences négatives non négligeables… mais aussi positives fort heureusement.</p>
<p>Dans une première approche approximative, il est possible de définir le <em>Mind-wandering</em> comme le <a href="https://www.researchgate.net/publication/224927532_Flow_The_Psychology_of_Optimal_Experience">contraire du <em>flow</em></a>, c’est-à-dire de l’engagement extrême dans le travail. Ces deux états ont malgré tout pour point commun une perte passagère de conscience du temps et de l’environnement. L’originalité du <em>Mind-Wandering</em> tient surtout à un déplacement de notre attention vers des pensées autogénérées et/ou des sentiments sans rapport avec la tâche en cours. En ce sens, il n’est pas un défaut de concentration mais plutôt une <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-psych-010814-015331">dérive</a>.</p>
<p>Pendant ces moments, notre pensée se disperse sans forcément poursuivre un but précis. Elle flotte et associe une idée à une autre sans forcément de logique précise. Elle est instable contrairement à nos moments de rumination. Cette dérive peut être spontanée (<em>zoning out</em>) comme quand vous lisez une phrase sans en comprendre le sens ou, au contraire, intentionnelle (<em>tuning out</em>) à l’image de ces instants où vous planifiez intellectuellement vos prochaines vacances alors que vous devriez travailler. Ne mentez pas, cela vous est déjà arrivé !</p>
<h2>Combattre les rêveurs ?</h2>
<p>Intuitivement, nous comprenons tous que ces pensées hors tâches peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur certains postes nécessitant une forte vigilance. Chacun perçoit sans difficulté ce qu’il pourrait par exemple advenir à un conducteur de poids lourds dans la lune, au patient d’un chirurgien distrait, ou à vous, dont l’avion devrait être précisément guidé alors que le contrôleur aérien est absorbé par ses pensées. Que les chauffeurs routiers, les chirurgiens et les contrôleurs aériens qui nous lisent ne nous en veulent pas de les avoir pris en exemple. Bien d’autres métiers auraient pu l’être.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1738688351723557221"}"></div></p>
<p>De nombreuses recherches ont confirmé ces intuitions de bon sens et les <a href="https://scholar.google.com/scholar">résultats</a> sont éloquents : le <em>Mind-Wandering</em> pénalise d’au moins 25 % les performances de lecture, d’attention et de mémorisation. Il <a href="https://www.researchgate.net/publication/235785870_The_Costs_and_Benefits_of_Mind-Wandering_A_Review">nuit à la résolution</a> de problèmes raisonnée, objective et sans émotion. L’organisation n’est pas la seule à en souffrir apparemment puisque <a href="https://www.researchgate.net/publication/253648485_I_don%27t_feel_your_pain_as_much_The_desensitizing_effect_of_mind_wandering_on_the_perception_of_others%27_discomfort">l’attention portée aux collègues est réduite</a>. La sensibilité à leur peine et à leur inconfort décline dramatiquement.</p>
<p>Ces impacts négatifs s’expliquent par la concurrence que se livrent tâche et <em>Mind-Wandering</em> pour capter nos ressources intellectuelles. Ils sont également interprétés comme une faille dans notre contrôle exécutif, c’est-à-dire une incapacité à rester concentrés sur notre travail. N’en jetez plus, son sort est scellé : le <em>Mind-Wandering</em> au travail doit être surveillé de près, combattu, et réprimandé sévèrement. En êtes-vous si sûr ?</p>
<h2>Newton sous le pommier et Archimède dans son bain</h2>
<p>L’élargissement de l’analyse à l’objet vers lequel vos pensées se sont dirigées invite à formuler un avis plus nuancé. Le <a href="https://psycnet.apa.org/record/2008-18777-009">bénéfice d’incubation</a> est certes débattu. Celui-ci se définit comme la contribution de la rêverie à la reconstitution des ressources intellectuelles. Pour les uns, elle est indispensable à périodicité régulière pour se régénérer alors que d’autres remarquent que la dérive de l’attention n’est pas toujours reposante pour l’esprit.</p>
<p>D’autres incidences positives sont en revanche moins contestées. Il en va ainsi de la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1053810011001978">planification autobiographique</a> et de la pensée créative. La première permet de se préparer à ce qui adviendra en anticipant et en hiérarchisant les buts à atteindre. Elle autorise la conception et la simulation de plans à long terme de manière réfléchie plutôt que réactive et impulsive. Il s’agit là d’une fonction adaptative précieuse dans les environnements professionnels changeants et incertains.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La pensée créative facilite quant à elle la mise au jour de solutions inédites pour surmonter des difficultés avant qu’elles n’adviennent dans le monde réel. Elle aussi est indispensable dans le contexte du travail contemporain qui invite davantage à questionner le statu quo de façon régulière plutôt qu’à simplement reconduire des routines. Les inspirations célèbres de Newton et sa pomme ou d’Archimède qui s’exclame « <em>Eurêka</em> ! », solutionnant un problème en prenant un bain, sont là pour nous rappeler le potentiel productif de ces moments d’absence.</p>
<p>D’autres effets bénéfiques du <em>Mind-Wandering</em> ont pu être observés à l’image de la consolidation en mémoire de nouveaux savoirs ou bien encore du découplage de la situation actuelle qui limite par exemple l’impact négatif des évènements stressants. Dans cette perspective, nous avons, pour notre part, montré statistiquement qu’un <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1.htm">bien-être au travail faible</a> est associé à une propension forte du salarié à laisser sa pensée errer. Autrement dit, les salariés qui se sentent les plus heureux au travail ont moins besoin de relâcher la pression en rêvant. L’errance de la pensée constitue ainsi une échappatoire salutaire aux situations de travail négatives.</p>
<p>Il ressort de toutes ces observations que le <em>Mind-Wandering</em> au travail ne peut pas être restreint à un simple état mental dysfonctionnel. Il semble aussi avoir des effets positifs. Le contenu même de la pensée dérivée les conditionnerait. Elle peut porter selon les cas sur les problèmes actuels, le passé, le futur, les solutions innovantes, les émotions positives ou négatives. Mais ça, aucun manager n’est en mesure de le contrôler à coup sûr. Cela laisse rêveur n’est-ce pas ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222341/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certes, rêver ne fait pas beaucoup avancer le travail… Mais les effets positifs sont aussi nombreux !Franck Biétry, Professeur des Universités en gestion des ressources humaines, Université de Caen NormandieCarine Bourdreux, Doctorante en 4ème année en sciences de gestion spécialité comportement organisationnel, Université Littoral Côte d'Opale Jordan Creusier, Professeur des universités en sciences de gestion, Université Littoral Côte d'Opale Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155712024-01-15T16:44:52Z2024-01-15T16:44:52ZBurnout : une maladie de millenials ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561397/original/file-20231123-25-avxfvl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2048%2C1348&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon l'institut américain de sondage Gallup, sept millenials sur dix, à savoir les individus nés entre le début des années 80 et la fin des années 90, connaissent aujourd’hui un réel niveau de burnout aux États-Unis, avec des variations suivant les personnes. </span> <span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Si la question du burn-out a depuis longtemps envahi la sphère médiatique du fait de nombreux témoignages, notamment dans le sillage des questions de bien-être et de sens au travail, la question est de savoir si celle-ci concerne certaines cohortes démographiques en particulier.</p>
<p>Selon l’institut américain de sondage Gallup, <a href="https://www.gallup.com/workplace/237377/millennials-burning.aspx">sept millennials sur dix</a>, à savoir les individus nés entre le début des années 80 et la fin des années 90, connaissent aujourd’hui un réel niveau de burn-out aux États-Unis, avec des variations suivant les personnes.</p>
<p>Au-delà de l’effet générationnel, comment identifier le burn-out, expliquer une telle incidence – et surtout comment faire pour inverser cette tendance ?</p>
<h2>Qu’est-ce que le burn-out ?</h2>
<p>Les burn-outs semblent créés par une surcharge du système nerveux, soit une psychopathologie identifiée au XIX<sup>e</sup> siècle pour décrire un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-52887-8_5">stress excessif produit par le travail</a>. Cette sursollicitation du système nerveux n’est pas le résultat d’un seul facteur mais le cumul de nombreux éléments qui, combinés ensemble, provoquent la saturation du système.</p>
<p>De manière évidente, le stress constitue l’un des facteurs les plus associés au burn-out, mais il ne peut pas être considéré comme la seule et unique cause. En fait, une <a href="https://itspsychology.com/positive-effects-of-stress-at-the-workplace/">quantité appropriée de stress</a> dans l’environnement de travail peut être utile pour déclencher notre motivation, nous pousser à relever de nouveaux défis et améliorer notre performance.</p>
<p>En réalité, la particularité d’un burn-out réside dans son caractère chronique et subjectif. Ainsi, le burn-out se déclenche quand une personne <a href="https://occup-med.biomedcentral.com/articles/10.1186/1745-6673-4-31">ressent un écart considérable</a> entre les efforts investis et les récompenses obtenues, donnant lieu à une sensation d’épuisement. De surcroît, on constate que toutes les générations ne sont pas à égalité devant ce phénomène ; le cas des millennials est bel et bien singulier, notamment par rapport à celui des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1096348013495696">baby-boomers</a> par exemple – ces derniers étant moins sujet au burn-out et le vivant de manière différente.</p>
<h2>Pourquoi les millennials semblent plus sensibles au burn-out ?</h2>
<p>Les millennials, constituent un groupe caractérisé par le fait d’avoir été la première à grandir avec l’avènement d’Internet et des ordinateurs, ainsi que des téléphones personnels, puis des smartphones. Il s’agit aussi d’une génération qui a vécu, lors du démarrage de carrière, les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10869-010-9162-9">effets de la récession de 2008</a> – une récession qui a eu un impact sur leur pouvoir d’achat ainsi que leur capacité d’endettement.</p>
<p>De surcroît, cette <a href="https://news.airbnb.com//airbnb-millennials-study-travel-more-important-than-saving-for-a-home/">génération</a> a favorisé les études universitaires et le voyage au détriment de l’achat d’une maison ou de la fondation d’une famille, par exemple.</p>
<p>Une hypothèse peut alors être formulée : il serait possible, entre autres facteurs, que le désir de réaliser tous ces idéaux rende cette génération particulièrement vulnérable au burn-out.</p>
<p>En tous les cas, les recherches montrent que les millennials semblent plus sensibles au stress sur le lieu de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15332845.2019.1526542">travail</a>.</p>
<h2>Un fort besoin de considération</h2>
<p>Vis-à-vis du <a href="https://www.aefinfo.fr/assets/medias/documents/1/5/15958.pdf">travail</a>, ils sont motivés par une ambiance de travail digitalisée, dont ils ont connu la mise en place progressive au moment de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-91860-0_23">leur entrée</a> sur le marché du travail, avec l’avènement progressif des réseaux sociaux et des outils de travail collaboratif. Selon une <a href="https://www.pwc.com/co/es/publicaciones/assets/millennials-at-work.pdf">étude du cabinet PWC</a>, ils ne se sentent pas à l’aise avec les structures trop rigides et cherchent des entreprises qui savent proposer de nouveaux défis. Ils accordent aussi beaucoup d’importance à la prise en considération de leurs besoins personnels, ont besoin d’un feedback constant, de réponses rapides à leurs demandes et de beaucoup <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10869-010-9172-7">d’encouragement et de reconnaissance</a>.</p>
<p>La collision entre idéaux et réalités du monde de travail semble pouvoir expliquer l’incidence des cas de burn-out parmi cette génération.</p>
<p>D’un côté les millennials sont très attachés à la réalisation de leur <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/SRJ-02-2019-0074/full/html">quête d’identité</a> (épanouissement, divertissement, qualité de vie, engagement). De l’autre, ils ont besoin d’agilité, souhaitent conserver un avantage vis-à-vis d’autres générations (grâce à leur éducation et digitalisation), sont informés et exigent de leurs employeurs qu’ils fassent un bon usage de leurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780128135242000081">compétences</a>.</p>
<p>Toutes ces exigences risquent de mener à l’insatisfaction permanente. La longue liste d’attentes, le besoin de s’identifier avec une « raison d’être » et le besoin d’accompagnement peuvent avoir un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10869-010-9159-4">effet négatif sur la confiance en soi</a>. L’agilité et la quête de performance pourront générer un état constat d’anxiété et sur le long terme, cette agitation pourrait provoquer un épuisement chronique, donnant lieu à un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1155170416300283">burnout</a>. En outre, tous les millennials ne sont pas touchés de la même manière par le burn-out : en fonction du genre ou de l’origine culturelle, des <a href="https://academic.oup.com/jpart/article-abstract/33/1/186/6562381">différences importantes existent</a>.</p>
<h2>Comment faire face à ces injonctions ?</h2>
<p>La première façon de traiter l’augmentation des cas de burn-out parmi les millennials serait d’abord d’évaluer à quel point les objectifs demandés par les employeurs sont réalistes et acceptables, en fonction du type de métier exercé. Une semaine de 35 à 40 heures suffit-elle à traiter tous les dossiers ? Se déconnecte-t-on vraiment lorsque l’on est en vacances ou en week-end ? Et qu’en est-il de la place de cette génération dans les sphères extra-professionnelles – dans la mesure où une personne vit forcément dans une interconnexion d’environnements sociaux qui s’influencent <a href="https://www.proquest.com/openview/945ef8427ff9f6728ddc097f660e4a51/1">mutuellement</a> ?</p>
<p>Ensuite, se pose la question de l’évaluation des relations à autrui. Le sentiment d’être plus isolé est-il présent ? Avons-nous le sentiment que notre avis est pris en compte ? Avons-nous l’impression que nos collègues et supérieurs nous écoutent, ou avons-nous l’impression qu’ils nous ignorent ou qu’ils se moquent de nos opinions ?</p>
<h2>Mesure la fréquence du sentiment d’injustice ?</h2>
<p>Dans ce sillage, il faudrait mesurer la <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/MD-02-2022-0250/full/html">fréquence à laquelle est éprouvé un sentiment d’injustice</a>. Existe-t-il un traitement différent ou privilégié accordé à d’autres personnes occupant des postes similaires, ou existe-t-il une attente différente donnée à un certain niveau de la hiérarchie qui ne s’applique pas à nous ?</p>
<p>En fin de compte, le burn-out semble émerger lorsque nos valeurs personnelles s’opposent aux exigences professionnelles <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amp.2012.0046">qui nous sont imposées</a>. Avons-nous l’impression que la réalisation de notre travail n’est pas en concordance avec notre échelle de valeurs ? Avons-nous l’impression que certaines décisions ne respectent même pas les valeurs affichées par l’entreprise ?</p>
<h2>Mieux accompagner le burn-out</h2>
<p>Comme nous l’avons vu, le burn-out constitue la conséquence d’un processus de surcharge habituellement invisible pour la personne qui le vit, mais pas nécessairement invisible pour <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-1-4614-4391-9">autrui</a>. Il semblerait que les employés soient de plus en plus conscients de leur responsabilité face à ce syndrome et sa prévention – y compris du point de vue du <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-2-page-254.htm">management</a>.</p>
<p>Comme l’explique <a href="https://www.inrs.fr/risques/epuisement-burnout/ce-qu-il-faut-retenir.html">l’Institut national de recherche et de sécurité</a>, le burn-out ne se présente pas du jour au lendemain. Il est précédé de deux étapes faciles à repérer et pendant lesquelles les employeurs peuvent mobiliser l’accompagnement cher aux millennials.</p>
<p>Dans un premier temps, au cours de la phase d’euphorie (les employés donnent l’impression d’être des super-humains et de pouvoir tout faire), les employeurs peuvent travailler en étant vigilant par rapport à l’importance de la charge de travail et des missions, afin de veiller au-bien être du salarié. Les échanges fréquents avec les employés ainsi que les évaluations de performance ponctuelles constituent des outils utiles pour l’aider à s’assurer un équilibre entre vie privée et vie professionnelle.</p>
<p>Dans un deuxième temps, les employés expérimentent ce qu’on appelle le burn-in, soit la phase qui laisse progressivement s’installer les symptômes du burn-out. Le stress devient chronique et beaucoup de symptômes visibles apparaissent ; migraines, irritabilité, perte de concentration, cynisme, isolement, fatigue morale et physique, crainte du travail, démotivation, négativité, culpabilité, variabilité de l’humeur, angoisses, anxiété, insomnie, perte d’appétit.</p>
<p>Dans ce cas, les employeurs peuvent utiliser l’empathie, impliquer les équipes de ressources humaines et éviter toute tache qui mène à l’isolement de l’employé. L’employeur peut aussi revoir les objectifs de façon temporaire, envisager un changement d’équipe, ou bien recommander un traitement thérapeutique. La législation reconnait l’obligation de tout employeur d’agir pour préserver la santé d’un salarié en détresse comme le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006178066/">stipulent</a> les articles L. 4121-1 et L. 4121-2du code du travail.</p>
<p>De fait, il est important de comprendre que le burn-out des millennials ne constitue pas une faiblesse personnelle, exclusivement imputable à l’individu. Dans cette optique, les managers ont l’obligation de reconnaître son existence et de prendre des mesures pour mieux savoir l’anticiper, et surtout faire en sorte qu’il ne survienne pas – ou le moins possible. Et ce d’autant plus que cela fait hélas plus d’une vingtaine d’années que les chercheurs alertent sur la situation et proposent des outils de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S096218499880022X">prévention</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le burn-out a un impact différent selon les générations. Plusieurs facteurs l’expliquent.Fernanda Arreola, Dean of Faculty & Research, ESSCA School of ManagementAlbin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2205082024-01-08T16:57:00Z2024-01-08T16:57:00ZFaire carrière dans la finance : eldorado ou prison dorée ?<p>Une belle opportunité pour les néo-diplômés, de hauts niveaux de salaires, une ambiance de travail jeune et une évolution de carrière très rapide… Telle est la <a href="https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/classements/linkedin-publie-son-top-25-des-entreprises-qui-offrent-les-meilleures-carrieres-1936076">façon dont sont souvent dépeintes les carrières</a> dans le <a href="https://theconversation.com/topics/finance-20382">monde de la finance</a>. Un discours qui attire semble-t-il : de nombreuses écoles de commerce, d’ingénieurs ou des universités proposent ces filières spécialisées prisées par les étudiants. Plus précisément, les métiers de <a href="https://theconversation.com/topics/trader-22014">traders</a> et de vendeurs sur les marchés, d’analystes financiers également promettent des rémunérations pour la première embauche particulièrement lucratives qui font rêver un certain nombre de jeunes hommes et femmes. Afin de démarrer leur carrière avec des revenus très élevés, les jeunes banquiers d’affaires <a href="https://journals.openedition.org/lectures/421">ne craignent pas de travailler de nombreuses heures</a> en début de carrière.</p>
<p>Des discours qui ne suffisent plus toujours. Beaucoup de nouveaux arrivants sur le marché du travail ont leur exigence, que ce soit en termes de <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/emploi/horaires-ecologie-qualite-de-vie-les-nouvelles-exigences-des-jeunes-loups-de-la-finance-20230912">qualité de vie</a> ou d’<a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/lengagement-climatique-du-secteur-financier-un-critere-de-plus-en-plus-important-pour-les-jeunes-diplomes-2040678">engagement environnemental</a> par exemple. Une face sombre du secteur a également été mise en avant au cours de la dernière décennie par les publications de l’ancien trader <a href="https://theconversation.com/topics/jerome-kerviel-22012">Jérôme Kerviel</a> présentant l’ <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-engrenage-9782081238862.html">« engrenage »</a> dans lequel il s’est trouvé pris.</p>
<p>Nos <a href="https://agrh2021.sciencesconf.org/data/pages/Communication_AGRH_2021_Lescoat_De_Becdelievre.pdf">travaux</a> auprès de professionnels des marchés financiers pour la plupart expatriés dans les grandes capitales internationales questionnent ainsi le rêve que peuvent constituer ces professions sur le moyen et le long terme. Nous avons suivi une cohorte et interrogé une quarantaine de financiers qui exercent des métiers parmi les plus rémunérateurs (plus de 100 000 € les années les plus fastes) : traders, analystes <em>sell-side</em> et vendeurs. Ils semblent suivre un mouvement en deux étapes.</p>
<h2>Essoufflés après cinq années</h2>
<p>Dans les premiers temps, les traders expriment un véritable engouement pour l’activité et le contexte où elle se déroule. L’un d’entre eux revient pour nous sur ses cinq premières années d’expérience :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai bien aimé l’équipe, l’ambiance, les tâches et c’est pour cela que j’en suis arrivé là. »</p>
</blockquote>
<p>Tous paraissent très motivés par leur nouvel emploi et s’en disent très satisfaits. Dans cette première phase, le travail semble permettre à l’individu de trouver un certain bonheur personnel. Il y prend du plaisir et cela le conduit à être productif. La littérature qualifie parfois ces réflexions de « <a href="https://www.elgaronline.com/edcollchap/edcoll/9781782547020/9781782547020.00006.xml">sustainable career</a> », la carrière durable, un processus par lequel l’individu ajuste son travail et ses opportunités pour y trouver du sens. Le plaisir d’un travail intellectuellement stimulant, l’ambiance internationale des banques et le salaire élevé grisent les jeunes banquiers qui arrivent sur le marché du travail. La carrière dans la finance est pensée comme un eldorado à la fois pour l’argent et pour le prestige.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496421550295330817"}"></div></p>
<p>Au bout de 5 à 7 ans de carrière, ce mouvement positif et les certitudes laissent cependant place à des difficultés et à des questionnements. Surinvestissement, exigences et horaires de travail démesurés valent-ils le coup ? La moyenne d’heures de travail selon nos enquêtés s’élève de 10 à 12 heures par jour, avec parfois des pics à 14 ou 15 heures dans les cas par exemple d’un travail sur une introduction en bourse. Les nuits de sommeil sont parfois courtes comme nous l’explique un analyste avec cinq ans d’expérience :</p>
<blockquote>
<p>« Je me suis endormi à 1h du matin et me suis levé à 4h30, et je ne peux pas faire de sieste au travail. »</p>
</blockquote>
<p>Les banquiers ont aussi beaucoup de mal à bien se nourrir. Ils mangent souvent sur le pouce et tard, au point que certains banquiers soucieux de leur santé n’hésitent pas à payer une personne pour leur faire à manger :</p>
<blockquote>
<p>« Jusqu’à il y a un mois, mon manager payait une dame de 70 ans pour lui faire à manger… »</p>
</blockquote>
<p>Les financiers mettent aussi en avant une compétition toujours plus intense sur le marché du travail, avec des exigences toujours plus élevées d’année en année :</p>
<blockquote>
<p>« L’employabilité a beaucoup changé, tu es beaucoup plus sur la défensive, on exige beaucoup plus de toi, il y a beaucoup plus de stress de réussite… »</p>
</blockquote>
<p>Les femmes sont sujettes à des difficultés spécifiques dans ce milieu très masculin. Persiste une représentation traditionnelle de la femme où devenir mère est considéré comme un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/54506">désengagement de la compétition</a> car cette étape de vie nécessiterait obligatoirement un temps passé avec les enfants qui pourrait être utilisé pour signer des contrats ou entretenir une relation client. Une vendeuse de six ans d’expérience le suppose du moins :</p>
<blockquote>
<p>« Peut-être que quand tu as des enfants, tu es moins investie, tu déjeunes moins souvent avec les clients, tu restes moins souvent le soir. »</p>
</blockquote>
<p>Si l’on peut s’attendre à une évaluation claire du travail de chacune et chacun, corrélée aux performances financières, les bonus semblent en fait peu expliqués et laissés à l’appréciation du manager. Dans le cas d’une erreur ou d’une mauvaise gestion, c’est le ou la moins gradé qui en paiera les conséquences. Le système d’évaluation par objectifs, censé apporter une neutralité par le chiffre n’est en fait pas égalitaire car si le calcul d’une performance est objectif, son interprétation est subjective et peut être soumise à des biais, notamment en termes de <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt7rz99">genre</a>.</p>
<p>Une forte insatisfaction apparaît alors : il ne suffit pas de travailler beaucoup pour être bien évalué et bien rétribué. C’est le mythe de la méritocratie qui s’effondre.</p>
<h2>Partir… pour rester ?</h2>
<p>À moyen terme, cet ensemble de contraintes provoque une baisse de la motivation. Le jeune banquier se questionne sur son rapport au travail, sur sa carrière et sur le sens qu’il peut lui donner. La reconversion reste cependant difficile ne sachant pas où se diriger, certains banquiers quittent la banque pour finalement y revenir dans le même type de poste :</p>
<blockquote>
<p>« Mon année sabbatique m’a donné un peu plus de recul par rapport à ce job. Elle m’a permis de comprendre plus pourquoi je l’ai fait et surtout pourquoi j’y suis retourné : c’est essentiellement parce que je ne sais pas ce que je veux faire, que ça ne nuit pas sur un CV et que ça paye bien »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, alors que l’on pourrait penser que l’hyperconsommation ferait partie de cette culture financière, nos enquêtés préfèrent en fait vivre confortablement sans excès. Ils épargnent dans l’éventualité d’un changement de poste qui serait par exemple moins rémunérateur. L’accès à la propriété, peu évident dans les grandes capitales internationales pousse aussi à épargner. Rester dans ces grandes villes, en particulier Londres, est une motivation pour conserver un emploi dans la finance.</p>
<p>Certains cherchent des solutions intermédiaires, un poste en banque moins exposé ou mettent à profit leurs connaissances fines des produits financiers dans d’autres secteurs d’activité. Un équilibre de sens dans la carrière semble être trouvé quand l’individu accepte certaines contraintes pour rester heureux dans sa vie personnelle et professionnelle grâce à une rémunération confortable qui lui permet de profiter des nombreux restaurants et bars et d’avoir un accès à la propriété.</p>
<p>À l’opposé de cette stratégie de sortie, certains font le choix de ne pas construire de vie personnelle. Le travail devient un « lifestyle », un mode de vie. Tout doit être orienté dans le temps non travaillé vers une optimisation afin de dégager le plus de temps possible pour le travail. Le reste est mis de côté et le corps est beaucoup sollicité. Un analyste dans le secteur depuis sept ans se questionne :</p>
<blockquote>
<p>« Ton boss, il est marié ? Comment tu veux qu’il garde une nana avec le travail qu’il fournit… »</p>
</blockquote>
<p>Celles et ceux qui restent sont les personnes qui trouvent une gratification dans l’activité et dans la démonstration de leur capacité de travail. Ou bien souhaitent-ils offrir à leur famille une bonne éducation et un logement confortable, en particulier à Londres ? La perte de leur travail, ou une baisse significative de la rémunération signifierait un retour en France (retour par ailleurs non vécu comme un échec).</p>
<p>Si l’on peut penser cela antinomique avec le travail des traders, nos travaux montrent au contraire que, quel que soit le métier, l’individu cherche à donner du sens à son travail et à se construire une carrière durable. Après onze ans d’exercice, un professionnel nous explique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est beaucoup plus amusant qu’avant : je décide de mes horaires, de l’orientation à donner, des produits à développer, des sites clients à prioriser… C’est beaucoup plus intéressant ! »</p>
</blockquote>
<p>La carrière en finance apparaît ainsi comme un eldorado qui peut se transformer un temps en prison dorée. Les plus heureux semblent celles et ceux qui prennent en compte la courte durée de ces carrières dans la finance et se questionnent régulièrement sur « l’après-salle de marché ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette enquête est issue d'un travail de terrain financé en partie par une bourse de doctorat de l'ESCP Europe.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pauline de Becdelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au bout de cinq années d’exercice, les professionnels de la finance à qui l’on promettait monts et merveilles lorsqu’ils étaient étudiants déchantent souvent. De là à quitter le secteur ?Pierre Lescoat, Professeur Assistant, Neoma Business SchoolPauline de Becdelièvre, Maître de conférence/ enseignant-chercheur, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2188862024-01-01T15:43:17Z2024-01-01T15:43:17ZComment pratiquer le sport en compétition peut réduire les inégalités de genre<p>Sur le marché du travail, un esprit de compétition semble recherché par de nombreux employeurs. C’est sans doute pour cela que l’on remarque que les anciens <a href="https://theconversation.com/topics/sport-20624">athlètes</a> bénéficient souvent de certaines faveurs lorsqu’ils sont employés. Elles peuvent prendre la forme d’un <a href="https://www.jstor.org/stable/2109580">bonus salarial</a>, variant de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00036846.2016.1197369">5 % à 20 %</a> selon les études, d’<a href="https://www.researchgate.net/publication/247739717_The_Labor_Market_Effects_of_High_School_Athletic_Participation_Evidence_From_Wage_and_Fringe_Benefit_Differentials">avantages sociaux</a> ou encore d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0014292120300064">plus grande employabilité</a>. Plusieurs travaux ont également montré que la pratique du sport en compétition <a href="https://www.researchgate.net/publication/351355816_Personality_profile_of_individual_sports_champions#:%7E:text=Results%20Individual%20sports%20champions%20were,in%20relation%20to%20other%20athletes">façonne les comportements</a>, quel que soit le type de sport pratiqué. Exposés à une compétition intense, la tolérance au risque des athlètes serait amplifiée et leur envie de gagner constituerait le moteur fondamental qui les anime.</p>
<p>Aurait-on là une voie permettant de réduire les <a href="https://theconversation.com/topics/inegalites-hommes-femmes-136794">écarts de genre</a> ? Si les femmes développaient, grâce à la pratique du sport en compétition, un profil plus enclin à la prise de risque et à l’esprit de compétition, auraient-elles davantage d’opportunités d’emploi et des perspectives de revenus plus élevés ?</p>
<p>Pour le démontrer, nous avons réalisé une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/15270025221108189">expérience</a> comparant athlètes et non-athlètes dans leurs attitudes face au risque et selon leur goût pour la compétition. Les résultats mettent en évidence des similarités entre athlètes féminines et non-athlètes masculins.</p>
<h2>Une pratique du sport qui réduit les écarts</h2>
<p>Comment mesurer si quelqu’un est compétitif ou non ? Nous avons pour cela utilisé une variante du <a href="https://web.stanford.edu/%7Eniederle/Niederle.Vesterlund.QJE.2007.pdf">protocole</a> développé par deux femmes, Muriel Niederle de l’université de Stanford et Lise Vesterlund de l’université de Pittsburgh. Celles-ci se sont intéressées aux écarts de genre en la matière : un déficit de compétitivité chez les femmes et une compétitivité excessive chez les hommes, en comparaison à leurs performances respectives. Dans notre expérience, les participants étaient ainsi invités à réaliser successivement deux tâches : une tâche de comptage et une tâche de lancer de balles.</p>
<p>Dans la première tâche, il fallait compter, en cinq minutes, le nombre de « 1 » présents dans une succession de tableaux où ils étaient mélangés à des « 0 ». Dans la seconde, il fallait envoyer trois balles en mousse dans une corbeille à papier distante de deux mètres.</p>
<p>Dans chaque cas, participantes et participants avaient le choix entre deux modes de rémunération. Première option, le « paiement à la pièce », qui garantit au participant d’être rémunéré selon sa performance : chaque comptage correct ou chaque balle dans le panier rapportant 50 centimes. Il était aussi possible d’opter pour un « paiement au tournoi » : ce mode de rémunération met le participant en compétition avec d’autres participants ayant également fait ce choix. Cette option permet de recevoir un gain plus élevé, 2 euros par comptage correct ou par balle dans le panier si on est vainqueur. Il comporte néanmoins un risque : seul le participant qui réalise le meilleur score dans son groupe est rémunéré. Les autres ne gagnent rien. En choisissant le paiement au tournoi, les participants révèlent leur goût pour la compétition et leur appétence pour la prise de risque, qui a également été mesurée de façon indépendante à partir d’une tâche spécifique de prise de risque individuelle.</p>
<p>78 athlètes pratiquant un sport individuel et participant régulièrement (au moins chaque mois) à des compétitions nationales et/ou internationales ont été sélectionnés pour se prêter au jeu, avec 77 autres participants non impliqués dans des championnats sportifs. Environ 85 % des participants étaient des étudiants. Les deux échantillons sont comparables en termes de distribution par âge, genre et niveau d’étude. Tous les participants étaient volontaires.</p>
<p><iframe id="Okw4F" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Okw4F/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="JC9Bu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/JC9Bu/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>61 % des athlètes ont choisi le tournoi pour la tâche de jet de balles contre seulement 27 % de non-athlètes. Pour la tâche de comptage, 57 % des athlètes ont choisi le tournoi contre 41 % des non-athlètes. Les femmes sportives se révèlent moins compétitives que leurs homologues masculins, mais plus compétitives que les hommes non-sportifs. Dans la tâche de jet de balles, 50 % des athlètes féminines ont opté pour le tournoi contre 36 % des hommes non-athlètes et seulement 20 % des femmes non-athlètes. De même pour la tâche de comptage, 50 % des athlètes féminines ont opté pour le tournoi contre 42 % des hommes non-athlètes.</p>
<p>Un résultat similaire est observé pour la tolérance au risque. Les femmes sportives ont un niveau de tolérance au risque comparable à celui des hommes non-sportifs, alors qu’en population générale la quasi-totalité des travaux conclut à une plus grande tolérance au risque chez les hommes que chez les femmes.</p>
<p>Ces observations suggèrent que la pratique du sport en compétition fait que les athlètes féminines ressemblent davantage aux hommes en ce qui concerne leur appétence pour le risque et leur compétitivité, ce qui réduit les écarts entre les sexes concernant ces deux dimensions de leurs préférences.</p>
<h2>Un esprit de compétition à développer dès l’école ?</h2>
<p>Quels facteurs explicatifs ? Quatre hypothèses sont envisageables.</p>
<p>Tout d’abord, les athlètes féminines pourraient performer mieux dans les tâches compétitives que les non-athlètes. Elles pourraient préférer être rémunérées en tournoi parce qu’elles pensent pouvoir obtenir des scores plus élevés sous la pression de la compétition. Deuxièmement, les athlètes féminines pourraient avoir une plus grande appétence pour le risque et pour cette raison opter plus fréquemment pour le tournoi que les non-athlètes. Troisièmement, elles seraient moins prosociales que les non-athlètes : elles se soucieraient moins des conséquences négatives infligées à autrui par le choix du tournoi, c’est-à-dire le fait qu’il y ait des perdants qui ne soient pas récompensés pour leurs efforts dans les tâches. Enfin, quatrièmement les athlètes féminines auraient développé un goût affirmé pour la compétition.</p>
<p>Les deux premières hypothèses sont clairement rejetées par nos données. Les scores des athlètes féminines pour les deux tâches expérimentales ne sont pas meilleurs que ceux des non-athlètes. Bien qu’elles soient légèrement plus enclines à prendre des risques que les non-athlètes, la tolérance au risque a un effet négligeable sur la probabilité de choisir le tournoi.</p>
<p>La troisième hypothèse concernant la pro-socialité est également écartée. Ce facteur se mesure grâce à des expériences forgées par l’économie expérimentale : le jeu du dictateur et le jeu du dilemme du prisonnier. Dans le premier, les participants sont associés en binômes de façon anonyme. Un des membres du binôme, le dictateur, reçoit 10€ de la part de l’expérimentateur, l’autre ne reçoit rien. Le dictateur peut transférer tout ou partie de la somme reçue à son homologue, ou bien choisir de tout conserver.</p>
<p>Les jeux du <a href="https://www.iconomix.ch/fr/modules/a054/a006/article-specialise/">« dilemme du prisonnier »</a> sont inspirés de la situation suivante. Deux criminels sont attrapés et jetés en prison, dans des cellules séparées. Interrogés, ils ont le choix entre se taire ou faire reposer la faute sur leur complice. Parler si l’autre se tait offre la liberté pour le premier et une lourde peine pour le deuxième. Si les deux parlent, la peine sera néanmoins plus lourde que s’ils s’étaient tous les deux tus.</p>
<p><iframe id="vZNzT" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/vZNzT/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Certes, nous avons pu mettre en évidence que les athlètes féminines sont moins généreuses dans le jeu du dictateur et moins coopératives dans le dilemme du prisonnier. Néanmoins, la pro-sociabilité mesurée ainsi n’affiche pas de corrélation significative avec la probabilité de choisir le tournoi.</p>
<p>Nous concluons donc que le goût pour la compétition des athlètes féminines est le facteur déterminant de leur propension à choisir le tournoi, conclusion soutenue par les réponses à un questionnaire indépendant mesurant la compétitivité. Notons également que le fait de choisir le tournoi permet de se comparer aux autres et de savoir si son propre score a été meilleur que celui d’autres personnes choisies au hasard, une information particulièrement prisée et recherchée par les athlètes.</p>
<p>La pratique sportive incorporant une forte composante de compétition, semble ainsi rendre les athlètes féminines plus compétitives et développer leur goût pour le risque, deux vertus appréciées et recherchées par de nombreux employeurs. L’implication des femmes dans la compétition sportive apparaît ainsi comme un moyen de réduire certains écarts de genre, une voie qui pourrait être favorisée dans l’<a href="https://academic.oup.com/jeea/article-abstract/17/4/1147/5107544?redirectedFrom=fulltext">éducation des jeunes filles dès le plus jeune âge</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Willinger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une expérience montre que la pratique du sport en compétition permet aux femmes de développer des traits de personnalité particulièrement appréciés des employeurs.Marc Willinger, Professeur d'Economie, économie comportementale et expérimentale, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2192632023-12-10T15:50:54Z2023-12-10T15:50:54ZSemaine de quatre jours : à peine née et déjà à réinventer ?<p>Réduire le <a href="https://theconversation.com/topics/temps-de-travail-52694">temps de travail</a>, est-ce un signe de progrès ? Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, le nombre d’heures passées à l’ouvrage ne cesse de diminuer dans les pays développés. En 1950, un salarié travaille en moyenne 2 230h par an en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281175#:%7E:text=en%20diff%C3%A9rentes%20contributions-,Depuis%2060%20ans%2C%20la%20dur%C3%A9e%20du%20travail%20baisse%20dans%20les,plus%20%C3%A9lev%C3%A9s%20(graphique%201).">France</a>. Ce chiffre diminue pour atteindre 1 600h en 2007, soit une réduction de près de 30 % par rapport à 1950. Il est resté stable depuis.</p>
<p>La semaine de quatre jours apparaît en France dès les années 90 comme une revendication politique et économique de partage du <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a>. L’objectif est de réduire le nombre d’heures travaillées afin que davantage d’individus accèdent à l’emploi. Cette formule développée dès 1993 par l’économiste Pierre Larrouturou est appliquée en 1996 avec la <a href="https://www.senat.fr/rap/l97-306/l97-30640.html">loi De Robien sur l’aménagement du temps de travail</a>.</p>
<p>Des entreprises volontaires expérimentent alors la formule. Des chefs d’entreprise comme Antoine Riboud, le PDG de Danone, défendent une telle proposition susceptible de favoriser le recrutement. Toutefois, cette loi est abrogée au début des années 2000 avec la réforme des 35h. Ailleurs, en Allemagne, Volkswagen adopte la semaine de quatre jours en 1994 afin de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2006/09/29/volkswagen-enterre-la-semaine-de-quatre-jours-en-allemagne_818468_3234.html">sauver 30 000 emplois</a> pour finalement l’abandonner en 2006.</p>
<p>La crise du Covid et les nombreux confinements ont remis ce débat au goût du jour, et pas seulement en France. La généralisation du télétravail, l’utilisation de nouvelles technologies, le développement de la flexibilité ont profondément transformé la manière de travailler. Cette période a également renforcé le désir des salariés de mieux équilibrer vie personnelle et vie professionnelle. Résultat : en 2022, <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/je-taime-moi-non-plus-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail/">61 % des salariés</a> français préfèrent avoir davantage de temps libre même si cela veut dire gagner moins d’argent. Ils n’étaient que 38 % en 2008.</p>
<p>C’est dans ce contexte que resurgit le débat sur la semaine de quatre jours. Les pays d’Asie et d’Océanie cherchent des organisations du travail susceptibles de remotiver leurs salariés. En <a href="https://theconversation.com/semaine-de-quatre-jours-la-france-doit-elle-sinspirer-de-la-nouvelle-zelande-147512">Nouvelle-Zélande</a>, le gouvernement instaure la semaine de quatre jours à la fin de la pandémie afin de stimuler la productivité et améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Au Japon, plusieurs entreprises s’y sont également converties, comme Hitachi ou Microsoft. Cette mesure, présentée comme un moyen de lutter contre la culture du surmenage, est aussi l’occasion d’améliorer sensiblement la productivité (de <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2019/11/05/business/microsoft-japan-says-four-day-workweek-boosted-productivity-40/">40 % dans le cas de Microsoft</a>).</p>
<p>Les pays européens emboîtent le pas, à commencer par les pays du nord de l’Europe et puis l’Angleterre, l’Espagne, le Portugal et la France. D’après une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/teletravail-semaine-de-4-jours-cdi-pourquoi-le-travail-va-radicalement-changer-1987009">étude</a> récente réalisée par l’Ifop auprès de 500 cadres et professions intermédiaires, 65 % des individus sont favorables à la semaine de quatre jours et 70 % des dirigeants interrogés jugent probable que leur entreprise adopte cette organisation à l’avenir.</p>
<h2>Semaine de quatre jours ou semaine en quatre jours ?</h2>
<p>Cette réforme peut emprunter différents chemins. Chacun d’entre eux présente des défis spécifiques. Nous en décrirons ici deux principaux.</p>
<p>La première formule est la plus populaire : une durée de travail inchangée mais concentrée sur quatre jours (sauf pour les cadres qui travaillent sans forfait d’heures). C’est le modèle mis en place par la Belgique et les pays nordiques. En automne 2022, la Belgique fait passer une <a href="https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/la-belgique-propose-la-semaine-de-4-jours-sans-reduction-du-temps-de-travail-ok-151143.html">loi sur la semaine de quatre jours</a>, le « deal pour l’emploi » : les employés peuvent travailler quatre jours sans réduction de salaire… car leur temps de travail hebdomadaire reste à l’identique. En Italie, la <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/la-banque-intesa-sanpaolo-fait-debat-en-italie-en-lancant-la-semaine-de-quatre-jours-1868434">banque Intesa Sanpaolo</a> fait de même.</p>
<p>En France, une tentative de la sorte a été proposée au mois de mars aux <a href="https://www.courrier-picard.fr/id421991/article/2023-06-11/urssaf-picardie-pourquoi-la-semaine-de-4-jours-fait-un-flop">salariés des Urssaf Picardie</a> et s’est soldée par un flop. Seuls trois d’entre eux se sont laissés convaincre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729105785894903974"}"></div></p>
<p>Il s’agit donc là d’une nouvelle forme de flexibilité temporelle, sans réduction du temps de travail. Comme le souligne <a href="https://www.liberation.fr/economie/social/la-semaine-de-quatre-jours-le-mirage-du-travailler-moins-20230613_XCNQGZ3HV5DFTPSU3JOFTCLMAY/">Éric Heyer</a> économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne faut pas confondre la semaine “de quatre jours”, qui réduit le temps de travail, et la semaine “en quatre jours”, qui le comprime. »</p>
</blockquote>
<p>Le défi est alors de parvenir à travailler autrement afin que la qualité du travail ne pâtisse de son intensification.</p>
<h2>Travailler moins, travailler mieux</h2>
<p>La seconde formule est celle qui correspond à l’idéal de la semaine de quatre jours, la semaine de 32h : une durée de travail réduite grâce à une productivité augmentée. Testée par l’Europe du Sud (<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lespagne-teste-la-reduction-du-temps-de-travail-sans-baisse-de-salaire-1894359">Espagne</a>, Portugal), cette formule repose sur l’idée de maintenir la productivité du travail en identifiant et en réduisant les moments jugés inutiles, en allégeant certains <em>process</em>, notamment de <em>reporting</em>, ou encore en limitant la participation aux réunions. Travailler moins, soit, mais surtout travailler mieux.</p>
<p>On retrouve également sous ce second visage l’idée que les technologies vont compenser la perte éventuelle de productivité, thème récurrent depuis la publication de l’ouvrage <a href="http://pinguet.free.fr/rifkin1995.pdf"><em>La Fin du travail</em></a> en 1995 par l’essayiste américain Jeremy Rifkin. L’arrivée de l’intelligence artificielle générative le remet au goût du jour. Bill Gates parle même de l’arrivée prochaine de la <a href="https://www.journaldunet.com/management/vie-personnelle/1526501-bill-gates-3-jours/">semaine de trois jours</a>.</p>
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<p>Cette formule limiterait de fait tout ce qui est considéré comme superflu. Cela étant, mettre l’organisation au régime diminue sa capacité à s’adapter aux transformations rapides de son environnement. Par exemple, on sait aujourd’hui que ces soi-disant <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315702001-6/behavioral-theory-firm-richard-cyert-james-march">« temps morts »</a> facilitent les échanges d’information entre les équipes.</p>
<p>Depuis l’essor du monde industriel, les organisations n’ont cessé de chercher à optimiser le temps de travail. Pendant longtemps, ce dernier a simplement accompagné le rythme de la chaîne de production. Le temps de travail et le temps au travail étaient alors parfaitement synonymes. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’aller au bureau pour travailler : le travail s’est immiscé dans nos espaces personnels. Le temps de travail s’est détaché du temps au bureau.</p>
<p>La semaine de quatre jours vient contrebalancer cette tendance, et faciliterait le « retour au bureau » souhaité par certains dirigeants. Il s’agit d’une volonté de cadrer temporellement le travail à défaut de le cadrer spatialement. Avec la semaine de quatre jours, selon les termes de <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-semaine-de-quatre-jours-un-nouveau-symptome-de-lindividualisation-du-travail/">Sarah Proust</a>, experte associée à la Fondation Jean-Jaurès :</p>
<blockquote>
<p>« C’est bien la question de l’organisation du travail et sa répartition qui est visée plutôt que l’idée de la place que l’on entend accorder au travail dans la société. »</p>
</blockquote>
<p>La question de fond porte bien sur le travail lui-même qui, pour beaucoup, s’est affranchi de la double contrainte du lieu et du temps.</p>
<h2>Vers un nouveau paradigme du travail ?</h2>
<p>Au lieu de se focaliser sur le volume d’heures, ne devrions-nous pas plutôt parler de la nature même du travail ? Pour reprendre la formule de <a href="https://www.linkedin.com/posts/timoth%C3%A9e-parrique-7b593450_lutopie-de-la-d%C3%A9croissance-timoth%C3%A9e-parrique-activity-7054700302981079040-VnNb/?trk=public_profile_like_view&originalSubdomain=fr">Timothée Parrique</a>, économiste spécialiste de la décroissance, il serait temps d’arrêter de prédire le futur du travail avec des idées comme la semaine de quatre jours et de commencer à inventer le travail du futur.</p>
<p>Il faudrait peut-être aujourd’hui créer de nouvelles utopies du travail à l’image d’<a href="https://www.babelio.com/livres/Callenbach-cotopia/1079051"><em>Ecotopia</em></a>, ouvrage qui, en 1975, imaginait les trois États de la côte ouest des États-Unis faisant sécession pour mettre en place un mode de vie radicalement écologique. Il décrit un nouveau modèle de société où les gens ne travaillent que 22h. Au lieu d’y voir un éloge de la paresse comme proposé en 1926 par Eugène Marsan, cette utopie comme d’autres, <em>Voyage en misarchie</em> (2017) avec sa semaine de 16 heures ou encore les 15 heures dans <em>Paresse pour tous</em> (2021), décrit des économies plus démocratiques où une grande partie des heures disponibles est utilisée pour des activités sociales, politiques, culturelles et écologiques.</p>
<p>Inventer le futur du travail requiert de réfléchir à la nature de notre travail et du sens qui y est associé. De plus en plus de recherches, dans le sillage notamment de l’anthropologue David Graeber, mettent l’accent sur la perte de sens au travail, l’essor des <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bullshit_Jobs-546-1-1-0-1.html">« bullshit jobs »</a> qui occasionne la « révolte des premiers de la classe » pour reprendre le titre de l’ouvrage du journaliste <a href="https://www.fnac.com/a10476839/Jean-Laurent-Cassely-La-revolte-des-premiers-de-la-classe-Changer-sa-vie-la-de">Jean-Laurent Cassely</a>.</p>
<p>Ce n’est pas en réorganisant le temps de travail que ce sens surgira. Le temps de travail est avant tout un <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1960_num_1_2_1807">« facteur d’hygiène »</a> tel que l’explique le psychologue Frederick Irving Herzberg. Il ne peut conduire à la motivation tant espérée par les dirigeants, il ne peut que tempérer l’insatisfaction des salariés. Ce sont les « facteurs moteurs », source d’épanouissement personnel et de satisfaction, qu’il s’agit d’actionner tels que la valorisation du travail accompli, l’autonomie ou l’intérêt des tâches effectuées. À l’image d’Ecotopia où le personnage principal se rend peu à peu compte des avantages de cette nouvelle société qui lui apparaît à première vue étrangère, il s’agit de changer notre vision du monde et imaginer, non pas un nouveau rythme de travail, mais une nouvelle manière de vivre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219263/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Mieux travailler ou moins travailler ? La semaine de quatre jours nous interroge d’abord sur le sens que l’on donne au travail.Yaëlle Amsallem, Doctorante, Assistante de recherche de la Chaire Reinventing Work, ESCP Business SchoolEmmanuelle Léon, Professeure associée, Directrice scientifique de la Chaire Reinventing Work, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186592023-11-28T16:20:03Z2023-11-28T16:20:03ZTélétravail : Québec doit négocier avec ses fonctionnaires, mais sans données ni études sur son impact<p>Dans le bras de fer qui oppose à l’heure actuelle le gouvernement du Québec et ses fonctionnaires, il y a un enjeu qui passe inaperçu, mais qui est fondamental : la <a href="https://spgq.qc.ca/2023/11/le-teletravail-et-le-personnel-professionnel-du-secteur-public-quebecois/">gestion du télétravail</a>.</p>
<p>Les employés de bureau le réclament, et <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/12/09/granby-des-enseignants-manifestent-pour-le-teletravail">même les enseignantes lors de leur journée pédagogique</a>.</p>
<p>C’est le <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/secretariat-conseil-tresor/organigramme/bureau-negociation-gouvernementale">Bureau de la négociation gouvernementale</a> qui agit pour le compte du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec dans les échanges avec les syndicats. Ce secrétariat a pour fonction de soutenir les ministères et les organismes dans la gestion des ressources dans la fonction publique.</p>
<p>Le Bureau de la négociation gouvernementale doit entre autres décider si le télétravail sera conventionné. Comment ces négociateurs décideront-ils de modifier ou non le nombre de jours de travail au bureau versus à la maison ? </p>
<p>Ils seront pour ainsi dire dans le néant. Car le Bureau ne peut pas compter sur des analyses des ministères ni du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec. Il n’y en a pas, et ce malgré le fait que la politique-cadre en matière de télétravail stipule que « la ou le sous-ministre doit évaluer, à intervalles réguliers, l’évolution du télétravail au sein de son organisation ». </p>
<p>Dans ces circonstances, comment négocier en toute connaissance de cause ? </p>
<h2>Des décisions prises durant la Cpandémie n’ont pas été revues depuis</h2>
<p>Le rendement des télétravailleurs peut s’apprécier par l’atteinte des cibles et mandats qui leur sont confiés ou par des logiciels de surveillance. La première approche est habituellement privilégiée à la deuxième. Comme chercheurs en Administration publique, nous voulions établir un portrait de ces deux approches dans la fonction publique canadienne. Dans une étude actuellement en évaluation par les pairs, nous avons envoyé 166 demandes d’accès à l’information à 88 ministères et organismes des gouvernements du Canada et de cinq provinces. Trente-deux demandes d’accès visaient les directions de ressources humaines et des technologies de l’information de seize ministères du Gouvernement du Québec. </p>
<p>Au Québec, deux ministères ont ignoré les deux demandes d’accès à l’information, même après un an : le ministère des Ressources naturelles et des Forêts et le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. Trois autres ont ignoré les demandes en lien avec le télétravail et le travail hybride, ou la demande au sujet des logiciels de surveillance au travail. </p>
<p>Au Québec, seuls deux ministères ont déployé des logiciels de surveillance sur les postes de travail de ses télétravailleurs, mais seulement pour des essais connus et à petite échelle, avec des volontaires. Le tableau pour les ressources humaines est moins convaincant. Trois ministères ignoraient le nombre de leurs employés en télétravail ! Un seul a été en mesure d’offrir une raison sur le choix du nombre de jours devant être travaillé au bureau. Aucun ministère québécois n’a produit d’analyse sur l’efficacité, l’efficience ou l’équité du télétravail ou du travail hybride. Plusieurs ministères nous ont signalé que le Secrétariat du Conseil du trésor aurait en main de telles analyses. Ils avaient tort.</p>
<p>Nous ne nous attendions pas à ce que des études et des projets pilotes soient mis de l’avant dans l’urgence de l’hiver 2020. Les instances des ministères ont travaillé fort pour maintenir la continuité des services aux Québécois. Néanmoins, des décisions prises dans l’incertitude n’ont pas été revues depuis. De nouvelles embauches ont été effectuées, sans savoir si le niveau global de performance des ministères s’était maintenu. </p>
<p>Le Québec n’est pas seul. Le gouvernement fédéral, la Colombie-Britannique, l’Ontario, l’Île-du-Prince-Édouard font à peine mieux, ou sont sensiblement dans la même situation.</p>
<h2>Terre-Neuve ne gère pas dans le brouillard</h2>
<p>Cependant, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a évalué le travail hybride et à distance de ses employés. </p>
<p>Au ministère de l’Enfance, des personnes âgées et du Développement social, deux unités ont sélectionné 42 employés afin d’examiner leurs performances en matière de télétravail à temps plein, par rapport aux données de référence antérieures à la pandémie. Une unité a montré des performances accrues en mode télétravail par rapport à la base de référence en personne, et l’autre unité a montré des résultats mitigés. </p>
<p>Le Secrétariat du Conseil du Trésor de Terre-Neuve-et-Labrador a mené un projet pilote au sein d’un service informatique. Les 313 employés de ce service ont participé à un cycle d’une semaine au bureau, deux semaines à la maison pendant une période de six mois, et ont mesuré la productivité en fonction du nombre de demandes traitées par mois, du nombre d’heures de travail, du nombre d’évènements indésirables, ainsi que de la satisfaction des employés. </p>
<p>Ces données ont été comparées à celles des deux années précédant l’étude pilote. Les résultats n’indiquent aucun effet observable du télétravail sur la performance. Enfin, le ministère de l’Éducation de cette province a également mené une étude pilote de six mois en 2022 au sein de sa division des services financiers aux étudiants. Quinze postes principaux travaillaient à distance et 22, au bureau. On a mesuré les résultats en termes de respect des normes de service, d’expériences des étudiants, d’utilisation des heures supplémentaires et de commentaires de la direction et du personnel.</p>
<p>À moins que la négociation ne s’éternise, il pourrait être difficile pour les analystes du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec d’offrir rapidement au Bureau de la négociation gouvernementale des arguments probants quant aux modalités du travail hybride et du télétravail pour les fonctionnaires qui en bénéficient. </p>
<p>Il n’y a pas de doute que de travailler à la maison est populaire chez les fonctionnaires. Il facilite la vie des parents. Il dégage du temps pour les proches aidants, dont la majorité de femmes qui travaille dans le service public. Néanmoins, la performance du télétravail est tenue pour acquise par la partie patronale, sans preuve à l’appui, allant à l’encontre de la politique du gouvernement du Québec.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218659/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Étienne Charbonneau a reçu des financements du programme de Chaires de recherche du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carey Doberstein ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Québec doit négocier avec ses fonctionnaires la gestion du télétravail, mais il ne peut s’appuyer sur aucune donnée. La performance du télétravail est tenue pour acquise, sans preuve à l’appui.Étienne Charbonneau, Professeur titulaire, École nationale d'administration publique (ENAP)Carey Doberstein, Assistant Professor of Political Science, University of British ColumbiaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143542023-11-21T14:39:16Z2023-11-21T14:39:16ZLes médias sociaux, une arme à double tranchant pour l’image des syndicats<p>L’image des syndicats est souvent évoquée pour expliquer <a href="https://doi.org/10.25318/36280001202201100001-eng">l’érosion du taux de syndicalisation au Canada au cours des quatre dernières décennies</a>, qui a passé de 38 % en 1981 à 29 % en 2022. Les travailleurs peinent à <a href="https://doi.org/10.1177/102425890701300204">s’identifier aux syndicats, perçus comme des organisations vieillissantes, et donc à s’y engager</a>.</p>
<p>Les médias sociaux font naître <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_dialogue/---actrav/documents/publication/wcms_875935.pdf">l’espoir d’un vent de renouveau pour le mouvement syndical</a>. Ces plates-formes leur offrent en effet – au moins en théorie – la possibilité d’améliorer leur image en fluidifiant la communication avec leurs membres, en adoptant de nouvelles méthodes de mobilisation et en s’adressant à un public plus jeune et connecté.</p>
<p>Néanmoins, les espoirs suscités par les médias sociaux pour redorer l’image des syndicats s’avèrent en partie déçus. <a href="https://doi.org/10.1177/00221856231192322">Nos recherches récentes</a> révèlent quatre effets de distorsion que les médias sociaux peuvent avoir sur l’image des syndicats. Si ces effets peuvent contribuer à revitaliser leur image publique, ils peuvent également aboutir au résultat inverse et représenter une menace tout à fait sérieuse : celle de les rendre invisibles.</p>
<h2>Facteur de division</h2>
<p>Une première conséquence des médias sociaux est qu’ils peuvent exacerber les clivages entre les syndicats et les employeurs ou les gouvernements. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler la <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2014/06/12/political-polarization-in-the-american-public/">polarisation qui frappe la sphère politique</a>.</p>
<p>Selon les responsables syndicaux avec lesquels nous nous sommes entretenus, cette polarisation en ligne est en partie attribuable aux normes de communication sur les médias sociaux, marquées notamment par une <a href="https://theconversation.com/its-not-just-bad-behavior-why-social-media-design-makes-it-hard-to-have-constructive-disagreements-online-161337">grande tolérance à l’égard des postures virulentes et agressives</a>. L’incitatif à communiquer de manière plus clivante en ligne découlerait également de la concurrence féroce à laquelle doivent se livrer les communicants pour capter l’attention fugace des utilisateurs des médias sociaux.</p>
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<img alt="Images of social media likes, follows, and comments float above a hand scrolling on a cell phone screen" src="https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent ainsi certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.</p>
<p>L’effet de polarisation en ligne n’affecte pas tous les syndicats de la même manière. Nos résultats indiquent que les syndicats les plus touchés par cet effet sont souvent ceux les plus militants.</p>
<h2>Tout à l’égo</h2>
<p>Les médias sociaux peuvent également contribuer à déformer l’image numérique des syndicats en encourageant des comportements autocentrés. Il a déjà été démontré que les médias sociaux <a href="https://doi.org/10.1037/ppm0000137">encouragent les individus à adopter des comportements narcissiques</a>. Notre étude révèle que cette tendance se manifeste également pour des organisations comme les syndicats.</p>
<p>Les médias sociaux encouragent en effet les syndicats à mettre en scène leurs membres de manière extrêmement positive. Cette survalorisation de l’effectif syndical s’explique essentiellement par les règles du jeu algorithmique des médias sociaux. En d’autres termes, le contenu faisant l’éloge des membres d’un syndicat aurait tendance, selon les responsables syndicaux, à susciter davantage d’engagement (likes, commentaires ou partages). Par conséquent, certains gestionnaires de médias sociaux privilégient les contenus célébrant les mérites des membres afin de maximiser la viralité de leur communication en ligne. </p>
<p>Cette tendance au « tout à l’égo » semble le plus prononcée dans les syndicats dont l’effectif est homogène et l’identité professionnelle forte, où il est incidemment plus aisé d’encourager un sentiment de fierté professionnelle. </p>
<h2>Grossir ses traits jusqu’à la caricature</h2>
<p>La troisième façon dont les médias sociaux peuvent déformer l’image en ligne des syndicats est en exagérant certains de leurs caractéristiques ou traits identitaires au point de les rendre grotesques ou caricaturales.</p>
<p>Ce type de distorsion découle notamment du sentiment d’obligation perçu par certains syndicats d’alimenter régulièrement leurs comptes de média sociaux. À cet égard, soulignons que tous les syndicats de notre étude publient entre cinq et sept messages par semaine sur leurs pages Facebook. </p>
<p>Cependant, tous les syndicats ne disposent pas de contenu nouveau ou attrayant à partager sur une base aussi régulière. Pour satisfaire à la boulimie des médias sociaux, certains syndicats se rabattent sur le partage en ligne d’activités aussi routinières que des réunions, formations ou assemblées syndicales. Répétées à l’envi, ces scènes banales de la vie syndicale finissent par grossir exagérément les caractéristiques bureaucratiques de ces organisations. </p>
<p>C’est donc sans surprise que les syndicats ayant une <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803110716472">culture bureaucratique</a> prononcée sont les plus susceptibles de s’autocaricaturer en ligne.</p>
<h2>Noyés dans l’actualité</h2>
<p>L’effet d’effacement est la dernière distorsion que les médias sociaux peuvent faire subir aux images numériques des syndicats. Un phénomène identique se produit lorsque les gestionnaires de médias sociaux abreuvent les comptes des syndicats de flots d’articles de presse et de republications, plutôt que de partager du contenu directement lié au syndicat.</p>
<p>Dans pareille situation, la visibilité numérique du syndicat décline, au point de rendre son identité diaphane. Cet effet est encore plus prononcé lorsque le partage d’article ou la republication n’est accompagné d’aucun texte introductif qui tisse un lien entre la nouvelle et le syndicat ou ses membres. </p>
<p>Les syndicats les plus exposés à l’effet d’effacement sont ceux dont les responsables des médias sociaux manquent d’expertise ou ceux dont le modèle de syndicalisme est axé sur la <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803100456590">prestation de services</a></p>
<p>plutôt que sur la mobilisation active des membres.</p>
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<img alt="An laptop open to a news article is seen over the shoulder of a young woman" src="https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les syndicats dont les médias sociaux sont noyés sous un flot d’articles de presse et de republications risquent de brouiller leur image au point de devenir invisibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Les risques de l’invisibilité numérique</h2>
<p>Les médias sociaux apparaissent donc comme une arme à double tranchant pour les syndicats. Si certains effets de distorsion peuvent avoir des résultats positifs, d’autres apparaissent comme clairement négatifs. La polarisation et l’égocentrisme, par exemple, peuvent être bénéfiques parce qu’ils augmentent l’engagement en ligne. Au contraire, les effets de caricature et d’effacement conduisent à réduire le nombre de réactions.</p>
<p>Un contenu peu engageant tend à devenir invisible en raison du fonctionnement des algorithmes des médias sociaux. Les syndicats <a href="https://doi.org/10.1177/0022185620979337">soumis à ces effets</a> courent ainsi le risque d’être marginalisés de la sphère publique numérique.</p>
<p>La communication étant un levier essentiel du pouvoir syndical, il est donc à craindre que les médias sociaux n’affaiblissent leur capacité à défendre les droits des travailleurs, au lieu de la renforcer. Notre étude souligne alors la nécessité pour les syndicats de réfléchir à la manière dont ils peuvent construire une image en ligne qui soit à la fois efficace, engageante et alignée sur leur identité organisationnelle. À l’ère numérique, les syndicats doivent trouver le bon dosage entre l’engagement et la visibilité algorithmique pour redorer leur image.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214354/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Lévesque a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec- Société et culture. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc-Antonin Hennebert et Vincent Pasquier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Si le paysage numérique offre aux syndicats des possibilités d’engagement et de mobilisation de leurs membres, il présente également des défis, notamment le risque d’être marginalisé dans le vaste univers virtuel.Vincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC MontréalChristian Lévesque, Professeur de Relations du Travail, HEC MontréalMarc-Antonin Hennebert, Professor of Human Resources Management, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178662023-11-20T10:50:15Z2023-11-20T10:50:15ZDes applications pour améliorer la qualité de vie au travail ? Prenez garde aux écueils !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559890/original/file-20231116-26-r8nl42.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C7395%2C4140&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Wittyfit, Moodwork, Supermood ou encore Zestmeup proposent aux entreprises un accompagnement pour améliorer la qualité de vie au travail.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La dégradation de la santé des travailleurs en France est devenue au fil des années un sujet préoccupant. De nombreuses études font état d’un <a href="https://www.fr.adp.com/a-propos-adp/communiques-de-presse/stress-au-travail-salarie-francais.aspx">accroissement des risques psychosociaux</a>, avec une détérioration d’indicateurs comme le niveau de stress, la détresse psychologique ou encore l’épuisement professionnel.</p>
<p>Face à ces risques, les entreprises tentent parfois de reprendre la main sur la prévention de la <a href="https://theconversation.com/topics/sante-au-travail-132582">santé au travail</a> au moyen d’outils technologiques. Mano Mano, spécialiste du bricolage et du jardinage en ligne, <a href="https://www.lesechos.fr/thema/articles/comment-manomano-veille-sur-la-sante-mentale-de-ses-salaries-grace-a-mokacare-1868082">recourt par exemple à Moka.care</a> pour accompagner ses effectifs éparpillés et prendre soin de leur santé mentale.</p>
<p>Ces applications visant à l’amélioration de la <a href="https://theconversation.com/topics/qualite-de-vie-48280">qualité de vie</a> et des conditions de travail connaissent depuis quelques années un important développement. Elles se nomment Wittyfit, Moodwork, Supermood ou encore Zestmeup. Relativement peu connues encore, ces start-up se caractérisent par une forte dynamique de croissance et certaines, comme Moodwork, revendiquaient déjà <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-qualite-de-vie-au-travail-moodwork-leve-2meteuro-pour-accelerer-en-europe-77256.html">plus de 150 000 salariés accompagnés en 2020</a>.</p>
<p>Au-delà de leur promesse néanmoins, l’utilisation de ces outils comporte également le risque d’être exploités à des fins moins vertueuses, tombant malgré eux dans une logique d’individualisation des problèmes invisibilisant les enjeux organisationnels, ou bien en se trouvant pris dans des jeux de pouvoir dans lesquels leurs résultats se voient détournés.</p>
<h2>Des technologies prometteuses</h2>
<p>Nos <a href="https://www.cairn.info/revue-rimhe-2023-1-page-44.htm">travaux</a> ont montré que le contexte de la crise sanitaire a accentué, en même temps qu’une recherche du <em>care</em> en entreprise, la recherche d’outils de gestion du bien-être des équipes à distance. La numérisation d’aspects autrefois considérés comme subjectifs, tels que le bien-être, l’engagement et la satisfaction des employés, suscite un intérêt croissant. Fini le questionnaire papier traité à la main pour évaluer le bien-être des employés, ces technologies de l’information et de la communication (TIC) automatisent désormais la collecte, le traitement et la visualisation des données RH. Elles offrent tous les avantages (instantanéité, facilité d’usage, ergonomie, à coût réduit) et les fonctionnalités de services et de prestations adaptables à des plates-formes numériques.</p>
<p>De nouveaux indicateurs sont ainsi mis au service des gestionnaires des ressources humaines, des managers ou encore de leurs équipes sur la prévention de sa santé, ainsi qu’un ensemble de services : accès à un psychologue, fiches-conseils, webinaires, formations… Ces start-up de la « Happy technology » mettent en avant une meilleure santé mentale et le bonheur au travail. Elles cherchent à transformer la perception des risques psychosociaux en promouvant un bien-être au travail.</p>
<p>Les médias en ligne regorgent ainsi d’articles décrivant ces applications comme permettant aux employés de reprendre le contrôle sur leur bien-être au travail ou d’offrir au dirigeant la capacité de piloter le capital humain. Ces technologies sont présentées comme des outils émancipateurs et collaboratifs, modifiant la relation entre différents acteurs.</p>
<p>Elles sont aussi associées à une possible prise de pouvoir des utilisateurs sur leur santé et aussi, partiellement, sur l’organisation grâce à la capacité d’expression offerte. Les équipes obtiennent un outil qui doit libérer la parole au service de l’amélioration globale de la qualité de vie au travail. L’outil doit permettre de rassembler autour d’un sujet bien souvent clivant en permettant de mettre en accord un ensemble d’acteurs internes (dirigeant, syndicats…) ou externes à l’organisation (médecin du travail…).</p>
<p>Nous identifions toutefois deux risques majeurs en matière de prévention de la santé au travail.</p>
<h2>Déresponsabilisation de l’organisation</h2>
<p>Ces applications adoptent des approches variées pour aborder les risques psychosociaux au sein des entreprises. Certaines se concentrent sur l’adaptation de l’individu au travail, principalement à un niveau de prévention proche du curatif. C’est par exemple proposer une cellule d’écoute psychologique. D’autres visent à adapter le travail à l’individu, avec une approche plus primaire, où l’on cherchera davantage à agir sur l’organisation du travail dont l’employeur est le principal responsable. Elles proposent par exemple des diagnostics pour favoriser le dialogue social sur la prévention.</p>
<p>Le choix de tel ou tel d’outil de mesure en santé au travail n’est pas neutre et peut refléter les valeurs et choix stratégiques de l’organisation. Certains obstacles à l’intervention organisationnelle, liés souvent à un manque de volonté commune pour agir sur l’organisation du travail, favorisent une approche individualisante, parfois insuffisante.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Les applications encouragent en effet souvent les employés à effectuer un autosuivi de leur santé mentale. Cependant, cette approche psychologisante peut parfois négliger les aspects organisationnels des risques psychosociaux. Un psychologue nous explique ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« J’en vois qui me disent : “j’ai essayé la relaxation pour être mieux au travail mais je n’y arrive pas… ”. Ils culpabilisent alors encore plus de ne pas réussir à accéder à ce bien-être-là, comme s’ils en étaient responsables. »</p>
</blockquote>
<p>Bien que l’efficacité d’une approche centrée sur l’individu puisse avoir tout son sens, elle porte le risque de glisser vers une déresponsabilisation de l’organisation. Quand la gestion des données de santé s’en remet à l’organisation toutefois, d’autres écueils peuvent se faire montre.</p>
<h2>Des applications prises dans des jeux de pouvoir</h2>
<p>Les applications génèrent en effet et distribuent des informations entre différents acteurs, avec des statuts spécifiques. Cependant, comme l’ont bien identifié nos travaux, quand chaque acteur, tant interne qu’externe à l’organisation, tente de maximiser son influence, leurs intérêts divergents se reflètent alors dans la prévention de la santé au travail. La <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-du-management--9782100795789-page-116.htm">maîtrise de l’information</a> constituant une source de pouvoir, les utilisateurs adaptent l’outil à leurs besoins, renforçant ainsi leur propre influence. Cela répond au questionnement de ce responsable RH :</p>
<blockquote>
<p>« Le problème que l’on a pu constater avec la plate-forme est que, au départ, les associés ne souhaitaient pas que l’on communique les résultats… On a un peu manqué de transparence. Et, pour notre part, on ne comprenait pas pourquoi, parce que les résultats étaient plutôt satisfaisants… »</p>
</blockquote>
<p>Cette appropriation centrée sur l’influence permet à l’utilisateur de consolider sa position au sein de l’organisation.</p>
<p>Les dirigeants peuvent en outre être réticents à partager des informations qui pourraient compromettre leur position. La peur de l’ampleur des problèmes potentiels peut les freiner ou les inciter à filtrer les données en fonction de leurs intérêts. « Quelle transparence et quelle véritable intention derrière l’utilisation des applications de qualité de vie au travail ? », peut-on se demander.</p>
<p>Pour se parer contre ces dérives possibles et aborder efficacement les risques psychosociaux au travail, il est essentiel de trouver un équilibre entre la responsabilisation individuelle et la transformation organisationnelle, en reconnaissant le rôle actif de l’individu et la capacité du groupe de travail à influencer son organisation. En outre dans cette lutte d’influence qui laisse planer des incertitudes quant à la véritable portée des actions entreprises, nous recommandons également qu’un mode de gouvernance transparent soit maintenu pour ne pas réduire les bénéfices potentiels de l’usage de ces technologies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Utiliser des applications pour agir sur la QVCT peut conduire les individus à culpabiliser plus que de raison, ou bien les dirigeants à les instrumentaliser à des fins personnelles.Nikolaz Le Vaillant, Doctorant en sciences de gestion, Université Bretagne SudMarc Dumas, Professeur en management et gestion des ressources humaines, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178442023-11-19T16:32:53Z2023-11-19T16:32:53ZQuand les conditions de travail se dégradent, faut-il s’en accommoder ou changer d’emploi ?<p>Si la <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">« grande démission »</a> n’a pas eu lieu et que les Français ne se sont pas détournés de l’emploi, faut-il pour autant en conclure qu’ils consentent pleinement à leurs <a href="https://theconversation.com/topics/conditions-de-travail-31410">conditions de travail</a> ?</p>
<p>Le grand nombre de <a href="https://theconversation.com/topics/demission-124250">démissions</a> s’explique par l’augmentation de la population active et la reprise de l’activité économique après la crise sanitaire plutôt que par un retrait du marché du travail. Au contraire, le taux d’emploi a atteint en août 2022 son plus haut niveau depuis que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le mesure, avec <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6658008#titre-bloc-10">68,3 % des 15-64 exerçant une activité rémunérée</a>. </p>
<p>La crise sanitaire n’a donc pas produit de phénomène massif de <a href="https://editionsdudetour.com/index.php/les-livres/le-refus-du-travail/#:%7E:text=Th%C3%A9orie%20et%20pratique%20de%20la%20r%C3%A9sistance%20au%20travail&text=Son%20but%20est%20de%20mettre,une%20autre%20vision%20du%20bonheur">« refus du travail »</a>. En revanche, paraphrasant le titre du dernier colloque du Groupe de recherche sur le travail et la santé au travail (<a href="https://gestes.cnrs.fr/">GIS Gestes</a>) – « Changer de travail ou changer le travail ? – nous observons qu’un faisceau d’indices pointe vers un refus des conditions de travail.</p>
<h2>Des contraintes de plus en plus fortes</h2>
<p>Les thématiques de la « grande démission » ou de la « démission silencieuse » sont à restituer dans un contexte de <a href="https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/maelezig-bigi-dominique-meda-prendre-la-mesure-de-la-crise-du-travail-en-france.html">conditions de travail particulièrement dégradées</a> en France. C’est ce que nous montrons avec la sociologue Dominique Méda à partir des données de l’Enquête européenne sur les conditions de travail 2021.</p>
<p>Travailleurs et travailleuses en France sont davantage exposés aux facteurs de pénibilité physique (postures douloureuses, port de charges lourdes, mouvements répétitifs, exposition à des produits toxiques) qu’en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. La situation n’est pas meilleure sur le plan des facteurs psychosociaux de risques. Plus de la moitié des enquêtés travaillent par exemple dans des délais très stricts ou très courts.</p>
<p><iframe id="HEb72" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/HEb72/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces expositions s’inscrivent dans le contexte d’organisations du travail où les contraintes sont plus fortes que les ressources pour y faire face. Ainsi tandis que seuls 36,7 % des salariés en France déclarent que leurs collègues les aident et les soutiennent ; ils sont 54,5 % au Danemark. De même, ils sont moins souvent consultés ou informés des décisions qui sont importantes pour leur travail.</p>
<p>Finalement, ils sont peu à estimer que le travail contribue à la construction de leur santé. Au contraire, près de 39 % des personnes interrogées estiment qu’elle est menacée par leur activité professionnelle. Si les atteintes physiques sont importantes (mal de dos, douleurs dans les membres inférieurs ou supérieurs), elles sont également très marquées du côté des atteintes psychiques : 49 % des enquêtés déclarent avoir souffert d’anxiété, contre 30,4 % en moyenne dans l’Union européenne et 7,6 % au Danemark.</p>
<h2>S’accommoder de mauvaises conditions de travail… ?</h2>
<p>La thèse du « compromis fordiste », inspirée par l’<a href="https://www.cairn.info/theorie-de-la-regulation-1-les-fondamentaux-2004%E2%80%939782707132161.htm">école de la régulation</a> en économie a pu laisser penser que de mauvaises conditions de travail (c’est-à-dire concernant l’activité elle-même) pouvaient être acceptées, en contrepartie de bonnes conditions d’emploi (salaire, congés, perspectives de carrières, liens sociaux…). Pour des auteurs comme Robert Boyer ou Alain Lipietz, les rares périodes de stabilité économique, comme celle des années 1950 à 1970, s’expliquent par l’adéquation entre le régime d’accumulation et les modes de régulation par les institutions.</p>
<p>S’inscrivant dans l’esprit de ces analyses, le livre publié en 2012 par le syndicaliste italien Bruno Trentin, <a href="https://laviedesidees.fr/Reconcilier-travail-et-citoyennete"><em>La Cité du travail. La gauche et la crise du fordisme</em></a>, soutient qu’une partie des acteurs de la critique sociale se seraient alors accommodés des mauvaises conditions de travail que produisent le taylorisme et le fordisme au nom de la dignité sociale et de l’intégration économique que ces modes d’organisation procurent aux travailleurs.</p>
<p>Pourtant, les <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2023-2-page-31.htm">travaux</a> portant sur syndicalisme et santé au travail nous invitent à nuancer la thèse selon laquelle l’organisation du travail n’aurait pas ou peu fait l’objet de revendications, au profit des enjeux d’emploi et de rémunération, y compris sur les enjeux de souffrance au travail. Il faut donc se garder de conclure que les travailleurs et travailleuses se seraient satisfaits au cours d’un moment historiquement marqué par la croissance économique, d’abîmer leur santé au travail en contrepartie de meilleures conditions de vie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1655829957665521670"}"></div></p>
<p>À partir du choc pétrolier de 1973, le récit du compromis fordiste peine doublement à tenir ses promesses. D’une part l’irruption du chômage de masse, la précarisation de l’emploi et les crises économiques qui se succèdent introduisent une compétition entre les travailleurs qui obère leur capacité à peser dans les négociations avec les employeurs. D’autre part, l’amélioration des conditions de travail qui était attendue des progrès techniques et organisationnels n’a pas lieu.</p>
<p>En France, au contraire, à partir du milieu des années 1980, le <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/292-le-travail-presse.html">travail s’intensifie</a> sous la forme d’une accumulation de contraintes industrielles et marchandes pesant en même temps sur des activités de plus en plus variées. Pour s’accommoder de ces conditions de travail, les individus usent de différentes méthodes comme l’autoaccélération décrite par la psychodynamique du travail.</p>
<p>Ainsi, dans les usines à colis d’aujourd’hui, les préparateurs de commandes qui travaillent sous commande vocale « jouent-ils » à faire de « belles palettes » et <a href="https://journals.openedition.org/nrt/240">rivalisent de vitesse entre eux pour tenir leur poste</a>. Travailler plus pour tenir n’est cependant pas le propre de l’usine. Pour les chercheurs de l’industrie énergétique, par exemple, travailler chez soi en <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2016-3-page-27.htm">« débordement »</a> contribue, dans certains cas, à se maintenir en bonne santé en permettant de retrouver du sens à son activité.</p>
<h2>… ou changer d’emploi ?</h2>
<p>À côté de ces pratiques d’accommodement, de nombreux travaux nous montrent que les salariés cherchent aussi à améliorer leurs conditions de travail. Et la poursuite de cet objectif peut passer par un changement d’emploi, comme on l’observe en analysant les trajectoires des salariés dont les conditions travail s’améliorent ou se dégradent.</p>
<p>D’après les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/faut-il-changer-d-emploi-pour-ameliorer-ses-conditions-de-travail">enquêtes</a> de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (la Dares, qui dépend du ministère du Travail), entre 2013 et 2016, les salariés dont les conditions de travail se sont améliorées le plus sont ceux qui ont changé d’emploi ou de profession. Celles et ceux qui font l’épreuve d’une perte de <a href="https://theconversation.com/et-si-vous-profitiez-de-lete-pour-reflechir-au-sens-de-votre-travail-210914">sens au travail</a> – défini comme l’alliance de l’utilité sociale, de la cohérence éthique et des possibilités de développement de soi – ont tendance à <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quand-le-travail-perd-son-sens">quitter leur emploi davantage que les autres</a>.</p>
<p>Si l’on considère que, dans un contexte de précarité de l’emploi, les possibilités de changer d’emploi sont inégalement réparties parmi les catégories socioprofessionnelles, il est intéressant d’interroger le désir de changement des salariés plutôt que leurs changements effectifs. L’enquête Défi du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) montre qu’en 2015, un <a href="https://www.cereq.fr/se-reconvertir-cest-du-boulot-enquete-sur-les-travailleurs-non-qualifies">tiers des salariés</a> souhaitait changer d’emploi.</p>
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<p>Les travailleurs les moins qualifiés exprimaient plus souvent que les autres (39 %) un désir de changement, principalement pour sécuriser un emploi qui leur semble menacé. Les employés et ouvriers qualifiés qui indiquaient vouloir changer d’emploi (32 %) mettaient, eux, en avant la volonté d’échapper à des conditions de travail fortement taylorisées et d’avoir plus de flexibilité quant à l’articulation des temps sociaux. Enfin, les cadres (29 %), insistaient sur leurs conditions de travail (intérêt du travail, moins de débordement sur la vie personnelle) et anticipent des réorganisations au sein de leur entreprise, dont ils estiment que leur emploi ou leur carrière pourrait pâtir.</p>
<p>Le refus de mauvaises conditions de travail s’observe aussi en interrogeant les difficultés de recrutement des employeurs. En mars 2022, un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/1c94dd73c9034a033a0f0c2bd87e133d/DI_MMO_T1%202022pdf.pdf">tiers des salariés</a> déclaraient travailler dans des entreprises ayant amélioré les conditions de travail et d’emploi pour pallier des difficultés de recrutement. Dans le contexte de reprise économique qui a suivi la sortie de la crise sanitaire, le rapport de force entre employeurs et salariés se serait légèrement infléchi en faveur du pouvoir de négociation de ces derniers.</p>
<p>Ces résultats confirment ceux de l’enquête Conditions de travail 2019 : les employeurs qui connaissent le plus de difficultés de recrutement sont aussi ceux qui estiment que leurs employés sont exposés à des pénibilités physiques ou psychiques, notamment les expositions physiques, le travail de nuit et les horaires imprévisibles et, du côté des facteurs psychosociaux de risques, le travail dans l’urgence, les tensions avec le public ainsi que l’impossibilité de faire un travail de qualité. Toutefois, ces difficultés de recrutement diminuent lorsque l’employeur estime que ses employés craignent de <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quelles-sont-les-conditions-de-travail-qui-contribuent-le-plus-aux-difficultes-de-recrutement">perdre leur emploi</a>.</p>
<h2>Une troisième voie ?</h2>
<p>Deux manières de composer donc avec de mauvaises conditions de travail : s’en accommoder ou changer d’emploi. Les vagues de démissions dans les secteurs connaissant une pénurie de main-d’œuvre à la sortie de la crise sanitaire soulignent le caractère déterminant du rapport de force entre salariés et employeurs dans le refus des conditions de travail alors qu’à l’inverse, la peur du chômage et les craintes de déclassement agissent comme de puissants leviers d’acceptation.</p>
<p>Une troisième voie consisterait à transformer les organisations du travail pour les rendre plus soutenables, en redonnant du pouvoir de négociation aux salariés par l’intermédiaire des instances représentatives du personnel. Toutefois, la disparition des <em>comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail</em> (CHSCT) au profit des comités sociaux et économiques (CSE) risque de réduire à portion congrue la mise en discussion des conditions de travail.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution à The Conversation France prolonge une intervention de l’auteur aux <a href="https://www.journeeseconomie.org">Jéco 2023</a> qui se sont tenues à Lyon du 14 au 16 novembre 2023</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maëlezig Bigi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre le départ et la résignation, une troisième voie apparaît dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre : peser sur les employeurs pour refuser l’intensification des contraintes.Maëlezig Bigi, Chercheuse affiliée au Centre d’études de l’emploi et du travail, Co-directrice du Groupe d’études sur le travail et la santé au travail (GIS Gestes), Maîtresse de conférences en sociologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171412023-11-15T21:15:37Z2023-11-15T21:15:37ZComment le travail des étrangers sert les agendas politiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559363/original/file-20231114-21-gdvid2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2592%2C1940&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les secteurs en tension, comme le BTP ont particulièrement recours au travail des étrangers, parfois sans papiers. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/900155">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Le texte du projet de loi « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », et son article 3 proposant la création d’un titre de séjour <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/claire-rodier/immigration-questions-pose-titre-metiers-tension/00106025">« Métiers en tension »</a>, divise depuis de nombreux mois très fortement la classe politique. Supprimé dans la nuit du 8 au 9 novembre 2023 par le Sénat, le vote de l’article 3 a pourtant été posé dès les débuts comme un enjeu fort pour la majorité.</p>
<p>L’article proposait d’inscrire dans la loi une voie d’accès juridique à la régularisation du séjour par le travail pour les personnes sans-papiers, c’est-à-dire démunies d’un titre de séjour en règle. Il s’agissait en partie pour les ministres de l’Intérieur et du Travail – Gérald Darmanin et Olivier Dussopt – d’assouplir l’application de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_norintk1229185c.pdf">circulaire du 28 novembre 2012</a>, dite aussi circulaire Valls.</p>
<p>D’abord, en rendant le droit à la régularisation par le travail opposable, c’est-à-dire qu’en cas de refus de délivrance du titre de séjour demandé, il aurait été possible de déposer un recours devant les tribunaux. En l’espèce, la circulaire Valls est une circulaire non impérative, elle n’est pas attaquable juridiquement. Ensuite, si cette circulaire laisse une partie du pouvoir de régularisation aux entreprises en leur demandant de fournir les documents employeurs (la promesse d’embauche dite « CERFA », et le certificat de concordance dans le cas de travail sous un autre nom), le nouvel article aurait permis aux travailleuses et travailleurs d’introduire leur demande sans l’aval d’un employeur.</p>
<h2>Une vision utilitariste de l’immigration</h2>
<p>Pourtant, l’article 3 présentait aussi une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2001-1-page-56.htm">vision utilitariste de l’immigration</a>, dénoncée par une partie de la gauche et de l’extrême gauche, car indexant la délivrance du titre de séjour aux besoins économiques. En récusant la réduction de l’immigration à sa dimension purement économique, ces élus ont pointé le fait que la régularisation, par définition, n’est pas qu’un geste économique : elle accorde aussi des droits sociaux.</p>
<p>Bien qu’il ne saurait racheter ou justifier la face répressive du projet, la création de ce titre constituait toutefois une <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/titre-de-sejour-metiers-en-tension-c-est-une-avancee-car-un-grand-nombre-de-travailleurs-sans-papiers-font-vivre-l-economie-estime-la-cgt_5454070.html">avancée sur le plan de la reconnaissance juridique du travail des sans-papiers</a>.</p>
<p>Pour des élus de droite et d’extrême droite, rejetant en bloc l’article 3, la création de ce titre aurait permis de légitimer les situations de séjour illégal, de « récompenser la fraude », pire encore, de provoquer un « appel d’air », concept tenant jusque-là plus de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html?fbclid=IwAR387rGn57HwJ58bj7jfHm3s_WTB2KSpT2cFN1FB8mlWAINn7zKYimiounA">mythologie que d’une réalité jamais démontrée</a>.</p>
<p>À l’heure où le ton se durcit considérablement sur la question de la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/immigration-le-senat-supprime-larticle-3-sur-la-regularisation-des-sans-papiers-dans-les-metiers-en-tension">régularisation des travailleurs sans-papiers</a>, sans doute convient-il de revenir sur les manières dont en France les politiques migratoires ont pensé le travail des étrangers, et celui des sans-papiers en particulier.</p>
<h2>Une vieille histoire</h2>
<p>En France, le recours à une main-d’œuvre étrangère s’enracine dans le processus d’industrialisation de l’économie française dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Durant le XX<sup>e</sup> siècle, les besoins de reconstruction et de rattrapage de croissance économique suscitent la création de l’Office National d’Immigration, censé organiser le recrutement d’une main-d’œuvre, d’abord issue des colonies, puis étrangère. Dans les années 1950, la France signe différentes conventions bilatérales pour encourager la migration de travail.</p>
<p>Cependant la crise économique liée au choc pétrolier de 1973 marque un tournant. Le 3 juillet 1974, le Conseil des ministres <a href="https://www.histoire-immigration.fr/les-50-ans-de-la-revue-hommes-migrations/juillet-1974-suspension-des-entrees-de-travailleurs-immigres-permanents">suspend officiellement l’immigration des travailleurs et de leurs familles</a>, remisant la question du travail des étrangers devenu par la suite angle mort des politiques migratoires.</p>
<p>Déclinée et soumise à conditions, elle réapparaît néanmoins dans le contexte des années 2000 : d’abord à travers <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2010-1-page-149.htm?contenu=article">l’opposition entre une immigration « choisie » (de travail et hautement qualifiée) opposée à l’immigration dite « subie »</a> (laquelle reste pourtant légale, qu’elle soit familiale, étudiante…), introduite par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000266495">loi Sarkozy II</a> du 24 juillet 2006.</p>
<h2>Une immigration utile et jetable ?</h2>
<p>Alors qu’elle cherche à limiter les flux d’immigration légale, la loi du 24 juillet 2006 réintroduit les cartes de séjour liées au travail. Si la volonté première est d’attirer les talents du monde entier par la création d’une carte « compétence et talents » (remplacée en 2016 par la carte « passeport talent »), la création de titres de séjour pour le travail renoue plus largement avec l’idée d’une immigration de travail.</p>
<p>Les travailleurs étrangers munis d’un contrat de travail peuvent désormais se voir délivrer une carte de séjour portant la mention « salarié » ou portant la mention de « travailleur temporaire ».</p>
<p>Organisant une immigration de travail en fonction des besoins économiques, cette loi soutient une <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2004-2-page-2.htm?contenu=article">conception utilitariste de l’immigration</a>. Les cartes de séjour mentionnent la région d’exercice et le métier occupé et sont délivrées pour une durée d’un an renouvelable ; ce que dénonceront par la suite des associations réunies sous le collectif Uni·e·s contre une immigration jetable.</p>
<h2>Le tournant 2006-2007</h2>
<p>Exclus de la nouvelle législation, les travailleurs sans-papiers, qui occupent pourtant des emplois déclarés par les employeurs, saisissent là le moyen de s’organiser.</p>
<p>En octobre 2006 et au printemps-été 2007, de premières grèves du travail éclatent. Sous la pression de ces grèves, la loi suivante sur l’immigration du 20 novembre 2007, dite <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000524004">loi Hortefeux</a>, introduit par son article 40 la possibilité d’une régularisation par le travail.</p>
<p>Dans le même temps, considérant les besoins des marchés du travail français, le 20 décembre 2007 est publiée une <a href="https://gisti.org/IMG/pdf/norimin0700011c.pdf">circulaire</a> visant à encourager la migration de travailleurs, d’abord européens.</p>
<p>Cette circulaire définit <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/norimin0700011c.pdf">deux listes de métiers en tension</a> pour lesquels la situation d’emploi n’est pas opposable. La première concerne 150 métiers peu qualifiés pour les ressortissants des nouveaux membres de l’Union européenne (UE) ; la deuxième est une liste de 30 métiers en tension établie par zone géographique pour les non-ressortissants de l’UE, mais ne recoupe pas les emplois occupés par la plupart des travailleurs étrangers. Ces deux listes seront traduites dans deux arrêtés en janvier 2008.</p>
<p>En parallèle, l’article 40 ne suffit pas à régulariser les travailleurs sans-papiers. Le dispositif est à la fois flou et complexe : aucun critère de régularisation n’est clairement défini.</p>
<p>De nouvelles grèves du travail éclatent. Entre 2008 et 2009, ils sont des <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-mouvements-sociaux-en-france--9782707169853-page-724.htm">milliers de sans-papiers à faire la grève du travail</a> et à revendiquer la régularisation de leur séjour.</p>
<p>En novembre 2012 paraît la circulaire Valls qui permet une régularisation du séjour sans opposabilité de l’emploi et sans référence à la liste des métiers en tension pour les non-ressortissants de l’UE.</p>
<h2>La reprise d’un discours récurrent sur l’étranger « indésirable »</h2>
<p>Après 2015, dans un contexte post <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2019-4-page-121.htm">« crise migratoire »</a> et post-attentat, le discours politique se durcit à l’encontre des étrangers, et notamment des travailleurs sans-papiers et réactive un discours de <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2006-2-page-4.htm">tri des étrangers</a>.</p>
<p>En novembre 2018, lors d’une cérémonie au fort de Douaumont, le président Emmanuel Macron répond à un ancien combattant <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-on-va-continuer-le-travail-emmanuel-macron-repond-a-un-ancien-combattant-lui-demandant-d-expulser-les-sans-papiers_3024013.html">qui l’interpelle</a> au sujet du renvoi des personnes sans-papiers :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux qui fuient leur pays, parce que c’est leur liberté [sic], il faut les protéger. Mais ceux qui viennent alors qu’ils peuvent vivre librement dans leur pays, il faut les raccompagner ».</p>
</blockquote>
<p>Opposant dans son discours différents types de migration, Emmanuel Macron souligne qu’il y aurait donc des raisons plus légitimes que d’autres à migrer ; certaines pourraient être même frauduleuses. Il propose ainsi de distinguer les « vrais » réfugiés des autres.</p>
<p>Les personnes étrangères, et sans-papiers en particulier, sont ainsi stigmatisées, rendues au rang de populations indésirables. La loi Collomb du 10 septembre 2018 renforce cette appréhension notamment en facilitant la procédure d’expulsion pour les personnes déboutées du droit d’asile.</p>
<h2>« On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »</h2>
<p>C’est cette fois-ci dans une nouvelle ligne d’opposition que Gérald Darmanin <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/video-le-projet-de-loi-immigration-vise-a-mieux-integrer-et-mieux-expulser-selon-gerald-darmanin_5526795.html">déclarait</a> le 6 décembre 2022 : « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent ».</p>
<p>Défendant la proposition d’un article de loi destiné à privilégier une immigration pour soulager les secteurs en tension, le ministre de l’Intérieur affirme qu’il s’agit d’une mesure pour mieux intégrer ceux qui travaillent. Pour autant, comme ses prédécesseurs, le ministre apparaît instrumentaliser l’immigration en reprenant à son compte un discours sur les « indésirables ».</p>
<p>Difficilement conciliables, les positions qui s’opposent autour de l’article 3 s’entrecroisent pourtant. D’un côté, le recours à une conception utilitariste justifierait une immigration mesurée, quand de l’autre, la réactivation de <a href="https://www.cairn.info/revue-memoires-2022-1-page-14.htm">vieilles peurs et antiennes sur l’étranger</a> légitimerait les faces les plus répressives du projet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217141/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emeline ZOUGBEDE est fellow de l'Institut Convergences Migrations et affiliée au Centre de recherches sur les liens sociaux (CERLIS, UMR 8070).</span></em></p>Le durcissement des dispositions prévues sur la loi immigration par le Sénat illustre aussi la façon dont les politiques migratoires ont pensé le travail des étrangers.Emeline Zougbede, Chercheuse post-doctorale CNRS_IC-Migrations, Collège de France, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167792023-11-14T13:48:15Z2023-11-14T13:48:15ZLes utilisateurs de X doivent lutter seuls contre la désinformation qui y sévit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558711/original/file-20231109-19-8ft176.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C988%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans une optique de gestion de la désinformation, la plateforme X a déployé graduellement une nouvelle fonctionnalité à partir de décembre 2022: « les notes de la communauté». </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Après <a href="https://theconversation.com/rachat-de-twitter-par-elon-musk-le-risque-sous-estime-dune-fuite-des-utilisateurs-194033">l’acquisition de Twitter par Elon Musk</a> en octobre 2022, la plate-forme, rebaptisée X, a connu d’importants changements. Et ils vont bien au-delà de son nom et de son logo. </p>
<p>Ces modifications incluent l’introduction d’un abonnement Premium X qui offre un badge d’authentification à ceux qui le souhaitent, la réactivation de comptes auparavant suspendus pour non-respect des conditions d’utilisation, une fonctionnalité pour sauvegarder les tweets, ainsi qu’un compteur de vues affiché sous chaque publication.</p>
<p>Résultat ? X est devenu un champ de bataille où fausses nouvelles et désinformation foisonnent. Si bien que le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2017603/union-europeenne-desinformation-israel-hamas">ouvert une enquête sur le sujet</a>. En réponse à ce fléau, la plate-forme délègue désormais une partie de cette responsabilité à ses utilisateurs et utilisatrices, les plaçant en première ligne de la lutte contre la désinformation.</p>
<p>Cette initiative a-t-elle véritablement le potentiel d’être efficiente dans la lutte quotidienne contre la désinformation en ligne ?</p>
<p>Doctorante et chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, j’étudie les médias socionumériques ainsi que la circulation et les troubles de l’information en ligne. Dans cet article, je propose une analyse critique du fonctionnement de X.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/voici-comment-elon-musk-favorise-la-desinformation-sur-x-214206">Voici comment Elon Musk favorise la désinformation sur X</a>
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<h2>Impliquer les utilisateurs</h2>
<p>Dans une optique de gestion de la désinformation, la plate-forme X a déployé graduellement une nouvelle fonctionnalité à partir de <a href="https://twitter.com/CommunityNotes/status/1601753552476438528">décembre 2022</a> : <a href="https://communitynotes.twitter.com/guide/fr/about/introduction">« les notes de la communauté »</a> (anciennement connue sous le nom de <a href="https://blog.twitter.com/en_us/topics/product/2021/introducing-birdwatch-a-community-based-approach-to-misinformation"><em>Birdwatch</em></a>, qui représentait la phase pilote du programme).</p>
<p>Bien que les motifs n’aient pas été énoncés, il y a une corrélation à faire avec les <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2022-11-05/twitter-a-licencie-pres-de-4000-employes-sans-preavis-vendredi.php">licenciements de novembre 2022</a> et le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/16/elon-musk-reporte-le-lancement-du-nouvel-abonnement-controverse-de-twitter_6150034_4408996.html">premier lancement désastreux de <em>Twitter Blue</em></a> (maintenant Premium X). Ce dernier avait généré un lot important de fausses nouvelles et d’identités usurpées. </p>
<p>Les notes de la communauté permettent aux utilisateurs de X de contribuer activement à la lutte contre la désinformation en fournissant un contexte aux tweets potentiellement trompeurs. Si des évaluateurs suffisamment nombreux et aux avis diversifiés jugent ces notes utiles, elles deviennent alors publiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720544745200484667"}"></div></p>
<p>N’importe quelle personne peut évaluer les notes. Mais, pour devenir un <a href="https://communitynotes.twitter.com/guide/fr/contributing/writing-notes">rédacteur</a> de contexte, il faut respecter certains critères : ne pas avoir contrevenu aux règles de X récemment, être membre de la plate-forme depuis au moins six mois, avoir un numéro de téléphone vérifié par un opérateur fiable et ne pas être associé à d’autres comptes de contributeurs.</p>
<p>Le programme s’appuie sur la transparence : les notes ne sont pas modifiées par X et les employés ne sont pas impliqués dans le processus, sauf en cas de violation des conditions d’utilisation ou de la politique de confidentialité. En outre, toutes les contributions sont publiées quotidiennement, et l’algorithme de classement des notes est disponible en ligne et accessible à tous.</p>
<h2>Une contribution bénévole</h2>
<p>Les notes de la communauté sont avant tout une forme de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/quest-ce-que-le-digital-labor"><em>digital labour</em></a>, ou « travail numérique ». En d’autres termes, c’est une forme de travail non rémunéré qui est dissimulé dans les actions des utilisateurs de médias socionumériques, qui créent de la valeur pour le réseau social.</p>
<p>Ici, X délègue à moindres coûts le travail dont il est responsable, au lieu d’investir dans les ressources nécessaires et les technologies appropriées.</p>
<p>D’emblée, même si X continue de proposer un abonnement gratuit à ses membres, l’utilisation de cette plate-forme n’est pas dénuée de coûts. En effet, les utilisateurs investissent leur temps dans l’utilisation de la plate-forme et dans la création de contenu. Ce contenu est ensuite consommé sur X grâce à un système de recommandation algorithmique, qui suggère des contenus susceptibles d’intéresser l’utilisateur. Cette captation de l’attention est précieuse, car elle est par la suite monétisée auprès des annonceurs pour le placement publicitaire. Ce processus génère des revenus pour X, s’inscrivant ainsi dans un modèle économique basé sur <a href="https://www.worldcat.org/fr/title/892725761">l’économie de l’attention</a>.</p>
<p>De ce fait, une exigence accrue est imposée à la communauté de contributeurs aux notes : celle de contextualiser davantage les publications. Cette tâche supplémentaire s’inscrit dans la volonté de la plate-forme d’optimiser l’engagement des utilisateurs et, par conséquent, sa rentabilité. </p>
<p>Le tout est offert aux utilisateurs dans un emballage de belles valeurs : <a href="https://communitynotes.twitter.com/guide/fr/contributing/values">« contribuer de manière authentique et constructive à l’information des autres utilisateurs »</a>. </p>
<p>Mais cet apport bienveillant a un prix : temps et efforts de recherche. La vérification des faits est un travail méticuleux et méthodique, qui devrait être rémunéré.</p>
<h2>Accroître la méfiance envers les médias</h2>
<p>Bien que le concept des annotations puisse sembler séduisant et donne une première impression de libre arbitre, il est crucial de reconnaître que X a lui-même engendré la nécessité de contextualiser certaines publications. <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2017338/titres-article-presse-aveugle-twitter">Depuis le 4 octobre 2023, les publications contenant des articles de presse n’affichent plus les titres et sous-titres desdits articles</a>. Seuls l’image de l’article ainsi qu’un lien vers le média en question sont visibles en vignette.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720434929933423093"}"></div></p>
<p>Non seulement cette censure entrave le repartage des articles et leur contextualisation, mais <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2017338/titres-article-presse-aveugle-twitter">elle crée un problème d’accessibilité pour les personnes atteintes de cécité utilisant des lecteurs d’écrans</a>. Le tout a pour effet de nuire à la circulation d’information journalistique provenant d’organes de presse sur X.</p>
<p>De plus, en s’appuyant sur un consensus d’amateurs très engagés plutôt que sur des journalistes professionnels ou des modérateurs de contenu pour identifier et démystifier le contenu problématique, X accentue le manque de confiance envers l’institution du journalisme. Et il s’agit principalement d’un choix économique. </p>
<p>Le 12 novembre 2022, Twitter a supprimé une grande partie de ses capacités de modération après avoir mis fin aux contrats de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/14/twitter-supprime-une-grande-partie-de-ses-capacites-de-moderation_6149773_4408996.html">4 400 prestataires, sur un total de 5 500</a>. </p>
<h2>Les dérives potentielles des notes</h2>
<p>Plusieurs possibilités de dérives des notes de la communauté sont envisageables : harcèlement, mobilisation opportune, critiques non constructives, annotations destinées à dénaturer le contenu original.</p>
<p>Prenons pour exemple cette annotation ajoutée à une publication du quotidien <em>Le Parisien</em>, qui révèle une autre forme de déviation de l’utilité des notes. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1692088046181654759"}"></div></p>
<p>Cette contextualisation fournit des informations supplémentaires, qui ne sont pas divulguées dans la publication X originale du <em>Parisien</em>, qui exige un abonnement pour la lecture intégrale de l’article en question. L’hyperlien de la note redirige le lecteur vers un site web que l’on peut qualifier d’« amateur », qui résume et cite le texte payant du <em>Parisien</em>. Comme l’auteur de la note et les évaluateurs demeurent anonymes, il est difficile de déterminer si ces personnes sont biaisées et ont un intérêt à orienter les lecteurs intéressés par le sujet vers un autre site Internet.</p>
<p>Nous retrouvons également les notes sur les contenus publicitaires. L’évaluation de tout type de « contenu » ouvre la voie non pas à la vérification factuelle, mais à l’expression d’opinions. Ce risque est exacerbé dans le cas des publicités politiques payantes qui sont de retour sur la plate-forme. </p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/08/30/twitter-autorise-a-nouveau-les-publicites-politiques_6187055_4408996.html">X a en effet levé l’interdiction sur ce genre de contenu publicitaire</a> le 30 août 2023, d’abord pour les États-Unis. Twitter avait initialement proscrit ces publicités en 2019 sous la direction de Jack Dorsey, alors PDG. Il affirmait à l’époque que « la portée des messages politiques devrait être gagnée, pas achetée ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189634360472829952"}"></div></p>
<h2>Une défaite contre la désinformation</h2>
<p>Les chercheurs qui analysent les origines et la diffusion de la désinformation ne peuvent plus traquer automatiquement les <em>hashtags</em>, les mots-clés et d’autres données en temps réel. En février 2023, Twitter <a href="https://theconversation.com/voici-comment-elon-musk-favorise-la-desinformation-sur-x-214206">a révoqué l’accès gratuit à son interface de programmation d’application (API)</a> pour les recherches académiques. Cet outil était crucial pour la récolte et l’analyse des données.</p>
<p>Les utilisateurs de Twitter doivent désormais lutter seuls contre les troubles de l’information, et à leurs frais. </p>
<p>Les notes de la communauté ne sont qu’un accessoire supplémentaire de X pour amasser des données, entraîner ses algorithmes, maintenir la présence d’utilisateurs actifs, capter leur attention et vendre cette dernière aux annonceurs. </p>
<p>Sur la base de ce constat, la <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/agenda/briefing/2023-10-16/6/appliquer-la-loi-de-l-ue-pour-lutter-contre-la-diffusion-de-contenus-illicites">décision de X</a> de se désengager du <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/policies/code-practice-disinformation">code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne de l’Union européenne</a> apparaît comme rationnelle, compte tenu du manque de détermination manifeste à lutter efficacement contre ce fléau. Toutefois, cette démarche met également en lumière les préoccupations légitimes exprimées par le commissaire Thierry Breton face à cette situation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216779/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Grondin-Robillard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La plateforme X délègue désormais une partie de la lutte contre la désinformation à ses utilisateurs et utilisatrices, les plaçant en première ligne. Cette stratégie n’est pas exempte de dérives.Laurence Grondin-Robillard, Chargée de cours à l'École des médias et doctorante en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175792023-11-13T19:34:27Z2023-11-13T19:34:27ZWeWork : chute d’une entreprise ou fin du coworking ?<p>En 2019, neuf ans après sa création, WeWork était le leader incontesté du <a href="https://theconversation.com/topics/coworking-27599">coworking</a>, valorisé à plus de <a href="https://www.forbes.com/sites/britneynguyen/2023/11/07/weworks-rise-to-47-billion-and-fall-to-bankruptcy-a-timeline/?sh=789be65bc666">47 milliards</a> de dollars. C’était alors une valeur star qui en faisait l’une des <a href="https://theconversation.com/topics/start-up-23076">start-up</a> les plus convoitées par des investisseurs majeurs comme SoftBank. Pourtant début novembre 2023, l’entreprise dépose le <a href="https://www.wsj.com/articles/wework-files-for-bankruptcy-5cd362b5">bilan</a> en Amérique du Nord après des années de turbulences marquées par l’accumulation de plus de 16 milliards de pertes depuis sa création en 2010. Cette procédure, aux États-Unis, a vocation à permettre une renégociation des dettes avec les créanciers et à planifier une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/07/le-geant-des-bureaux-partages-wework-depose-le-bilan-en-amerique-du-nord_6198658_3234.html">réorganisation de l’activité</a>. C’est ainsi d’ailleurs que la direction de WeWork présente l’opération.</p>
<p>Nos <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/13505084221074037">travaux de recherche</a> ont montré que la logique de croissance rapide et à n’importe quel prix de sociétés gérant des espaces de coworking faisait porter un risque conséquent sur l’attractivité et la pérennité de son offre. Tout gérant d’espace de ce type commet une erreur s’il privilégie la rentabilité ou la croissance au détriment soit des besoins des membres utilisant l’espace, soit d’adaptation à des évolutions conjoncturelles, soit de l’innovation : il rend inévitablement son lieu moins attractif, entraînant un taux de roulement des membres plus élevé sur le long terme.</p>
<p>Cela nuit en outre au développement des collaborations, un précurseur à l’innovation, entre les différents occupants. Ces moindres interactions entravent l’élargissement de réseaux des entreprises et la construction de sens communs partagés dans l’espace. Les occupants voient ainsi l’utilité de l’espace, réduit à un bureau de travail sans plus. C’est précisément ce qu’il est advenu de WeWork.</p>
<h2>Croissance à tout prix et gouvernance mouvementée</h2>
<p>Pendant des années, WeWork a priorisé l’acquisition de nouveaux locaux jusqu’à exploiter activement <a href="https://www.forbes.fr/business/faillite-de-wework-les-actions-de-la-societe-despaces-de-coworking-suspendues/">777 sites</a> dans 39 pays en 2023. Problème, la majorité des baux ont été signés en surenchère en 2018 et 2019, avant que le marché ne se contracte à la suite de la pandémie liée au coronavirus. Des contrats de dix à vingt ans s’élevaient à plus de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/wework-vers-une-faillite-imminente-du-prince-dechu-du-coworking-2026225">13 milliards</a> de dollars. La demande n’ayant pas correspondu aux prévisions d’une expansion rapide, l’entreprise n’a jamais réalisé de bénéfice, dépensant plus de 80 % de ses revenus dans les intérêts bancaires et les loyers mensuels.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1721716293663952906"}"></div></p>
<p>WeWork avait attiré les investisseurs en les persuadant qu’elle était une start-up <a href="https://hbr.org/2019/08/no-wework-isnt-a-tech-company-heres-why-that-matters">agile de la Tech</a>. Or, il s’agissait plutôt d’un gestionnaire d’immobilier de bureaux, déterminé à maintenir à tout prix des chiffres de croissance exponentielle, sans disposer d’une offre évolutive, et surtout sans une stratégie bien définie sur la raison d’être de l’entreprise au-delà de l’<a href="https://theconversation.com/topics/immobilier-23232">immobilier</a>.</p>
<p>Voilà quatre ans, le co-fondateur de WeWork, Adam Neumann, a fait la une des médias, poussé démissionner de son poste de PDG, principalement en raison d’une crise de <a href="https://www.wsj.com/podcasts/the-journal/wework-from-47-billion-unicorn-to-bankruptcy/b732ef84-980b-4bc3-af85-980b295bf1d1">gouvernance</a> et de pratiques contestées et discutables. Sous sa direction, l’entreprise s’était égarée en investissant, comme l’affirmait le <a href="https://www.wsj.com/articles/surfing-schools-and-jets-weworks-bets-follow-ceo-adam-neumanns-passions-11551787200">Wall Street Journal</a>, davantage dans des projets liés à ses intérêts personnels tels qu’un jet privé, des robots autonomes, et des piscines à vagues artificielles. Cette mauvaise allocation des ressources, associée à des rapports sur des comportements excessifs de Neumann, a suscité des inquiétudes quant à sa capacité à fournir un leadership efficace, contribuant ainsi aux difficultés financières, au report de son introduction en bourse, et à la difficulté de maintenir un cap stratégique clair.</p>
<p>C’est aussi sur l’importance de la gouvernance et du leadership de l’espace de coworking que nos résultats de recherches insistent. L’entreprise doit instaurer un environnement transparent, tant en interne pour ses collaborateurs qu’en externe pour les membres de l’espace de coworking, avec lesquels forger les conditions d’appartenance à un écosystème. En manque de leadership et de cap stratégique, WeWork n’a pas su créer une marque centrée sur le futur du travail dans sa globalité. La firme s’en est tenue à une logique de gestion d’immobiliers de bureaux.</p>
<h2>Une nouvelle ère pour le coworking ?</h2>
<p>La pandémie du Covid-19 a profondément modifié la façon dont les personnes travaillent, forçant notamment les entreprises à <a href="https://www.lejdd.fr/economie/comment-paris-ecrase-le-marche-des-bureaux-135255">réévaluer les besoins en espaces de travail</a>. Les entreprises, désireuses de solutions plus flexibles et de configurations sur mesure, se sont tournées vers de nouveaux modèles de coworking. S’ajoutent à cela l’accélération de la digitalisation des organisations et l’adoption plus pérenne du <a href="https://theconversation.com/teletravail-trois-ans-apres-le-premier-confinement-quelles-tendances-perdurent-203196">télétravail</a>. En 2010, WeWork, avec son modèle axé sur de grands espaces ouverts et des zones communes animées, était innovant et à l’avant-garde des tendances du travail. Aujourd’hui ce modèle semble dépassé.</p>
<p>L’essor du secteur des <a href="https://www.ubiq.fr/blog/bureau-opere-definition-et-fonctionnement/">bureaux opérés</a> constitue par exemple une <a href="https://www.ft.com/content/ee435941-4555-4476-afed-d10db2da9132?accessToken=zwAGCajvOEUwkdPuQ1lBRVVEdtOv7dENstqRMg.MEYCIQCaJnDTLFUOjGnWbVgRFENDo1ONp5XSgYzumlIs7olGEQIhAOByTIak1w1suZmxsLBohz19t3HRXQcpWlM0cuuhumCs&sharetype=gift&token=21ee50bc-9da6-4144-88e4-fcebd0d0849a">nouvelle tendance</a>. Il s’agit d’une solution hybride entre le bureau traditionnel et le coworking : un espace de travail privatif assorti des services présents dans les espaces partagés. Cette solution polyvalente propose une gamme d’options, de la location de bureaux à l’heure à des étages entièrement personnalisés, répondant aux besoins évolutifs des entreprises. <a href="https://hiptown.com/">Hiptown</a>, par exemple, une start-up française créée en 2019, se positionne sur ce marché.</p>
<p>Des acteurs innovants et des solutions sur mesure continuent ainsi de se développer, répondant aux besoins changeants des entreprises postpandémie. WeWork, de son côté, n’a pas su profiter du rebond après le Covid pour faire évoluer ses propositions.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p><em>A contrario</em>, après avoir placé 10 % de ses activités sous la protection offerte par le droit américain des faillites en 2020, l’entreprise <a href="https://www.iwgplc.com/en-gb">IWG</a>, la maison mère des marques de Spaces ou Regus, s’est repositionnée stratégiquement autour du modèle du travail hybride et a su adapter son offre aux entreprises. L’entreprise mise aussi sur les bienfaits potentiels de ce mode d’organisation pour le développement durable et la planète. Celui-ci pourrait contribuer à <a href="https://www.forbes.com/sites/glebtsipursky/2023/04/22/on-earth-day-remember-that-hybrid-working-is-key-to-a-greener-future/?sh=229d4cf42b4c">réduire les émissions</a> de carbone de 70 % au Royaume-Uni et de 87 % aux États-Unis en limitant les constructions et les transports. Pendant que WeWork est en faillite, IWG a ainsi réalisé une <a href="https://www.theguardian.com/money/2023/aug/08/flexible-workspace-provider-iwg-reports-record-revenues">année record</a>, et sa rentabilité s’améliore.</p>
<p>D’après notre étude, l’entreprise qui gère l’espace de coworking devrait avoir un rôle « catalyseur » et non « gestionnaire » de l’espace afin de créer un écosystème avec les différentes parties prenantes, fondé sur une vision stratégique de l’évolution du travail. Les équipes de gestion de l’espace de coworking devraient également être conscientes de l’équilibre délicat entre le contrôle, la logique de croissance, la proposition de valeur, et la gouvernance. L’avenir du secteur du coworking est encore en pleine mutation, et WeWork, malgré tout, peut encore se redresser et jouer un rôle dans ce nouvel environnement en évolution.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>WeWork a déposé le bilan aux États-Unis. Perçue à ses débuts comme une start-up visionnaire, elle semble finalement être devenue un simple gestionnaire immobilier déconnecté des évolutions du travail.Ghassan Paul Yacoub, Professor of Innovation, Strategy, and Entrepreneurship, IÉSEG School of ManagementLoïc Plé, DIrecteur de la Pédagogie - Full Professor, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172422023-11-13T11:09:36Z2023-11-13T11:09:36ZManagers, et si vous redécouvriez l’art de la débrouille ?<p>En 2017, le journaliste <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jean-laurent-cassely">Jean-Laurent Cassely</a> a fait paraître un ouvrage intitulé <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/cassely-revolte-premier-classe/"><em>La révolte des premiers de la classe</em></a>. Il y dépeint un phénomène grandissant, celui de la fuite des jeunes élites vis-à-vis des « jobs à la con » ou « <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bullshit_Jobs-546-1-1-0-1.html"><em>bullshit jobs</em></a> » qui fleurissent dans les organisations. Ce sont des emplois qui paraissent d’autant plus inutiles et dérisoires qu’ils sont associés à une bonne rémunération.</p>
<p>À cela s’ajoutent des ordres contradictoires dictés par des <a href="https://theconversation.com/topics/management-20496">managers</a> qui ressemblent parfois à s’y méprendre au père Ubu, le personnage d’<a href="https://www.gallimard.fr/Footer/Ressources/Entretiens-et-documents/Plus-sur-l-auteur/En-savoir-plus-sur-Alfred-Jarry/(source)/184047">Alfred Jarry</a> connu pour son despotisme malhabile et sa forfanterie outrancière. Face à une hypermodernité froide et à un management en panne, les jeunes diplômés apparaissent bien souvent déçus, désillusionnés, voire désespérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ubu-manager-quand-la-litterature-eclaire-les-derives-ubuesques-du-management-150234">« Ubu manager » : quand la littérature éclaire les dérives « ubuesques » du management</a>
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<p>Sur ce point, la professeure <a href="https://www.esc-clermont.fr/professeur/brigitte-nivet/">Brigitte Nivet</a> parle dans un <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/le-travail-en-mouvement/">ouvrage récent</a> d’un « malaise dans le management ». Pour elle, nul doute que cet <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/art-diriger">« art de diriger »</a> connaît une crise sans précédent. Elle constate notamment que les <a href="https://theconversation.com/topics/jeunes-diplomes-62720">jeunes diplômés</a> n’aspirent plus du tout à la fonction de manager.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QLkdg_f8yDg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Parmi les raisons invoquées, l’enseignante-chercheuse à l’ESC Clermont revient sur trois modèles de management qui sont encore enseignés et utilisés : celui du gestionnaire scrupuleux issu de la tradition de l’organisation scientifique du travail, celui du leader, avec le mythe de l’homme providentiel, et celui de l’accompagnateur, du facilitateur et du soutien. Ces trois modèles sont plus ou moins en crise et suscitent la confusion parmi les jeunes diplômés. Dès lors, le paradoxe relevé par Brigitte Nivet devient saisissant : de nombreux jeunes diplômés d’école de management, qui sont préparés à devenir managers, ne veulent plus manager.</p>
<h2>Doute, écoute et délibération</h2>
<p>La plupart des ouvrages de management décrivent les managers comme des sortes de superhéros, capables de résoudre tous les problèmes, de répondre à toutes les difficultés par la mise en place immédiate de pratiques adaptées. Or, ces modes de gestion omnipotents ont fini par écraser voire nier la singularité des salariés en leur imposant une réponse univoque, une méthode unique, un <a href="https://mitpress.mit.edu/books/one-best-way">« one best way »</a> pour reprendre un syntagme taylorien.</p>
<p>À rebours de ce management tout puissant, <a href="https://escp.eu/deslandes-ghislain">Ghislain Deslandes</a>, professeur à ESCP Business School, souhaite l’avènement de ce qu’il appelle un « <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2017-1-page-1.htm">management faible</a> ». Celui-ci se veut à la fois moins sûr de son fait, moins assertif, moins hiérarchique, moins définitif, moins prometteur aussi. Il s’agirait alors de dessiner les contours de modes de gestion plus indéterminés, plus ouverts et donc plus à l’écoute des signaux faibles. Doute, écoute et délibération forment le credo de cette nouvelle manière d’envisager l’encadrement et le pilotage des organisations.</p>
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<p>Ce « management faible » permet d’entrevoir un espace pour les salariés afin d’être davantage acteurs et donc moins spectateurs de leur propre activité. L’objectif est alors de ménager des interstices et des écarts possibles pour que les individus puissent eux-mêmes définir leur rôle et investir subjectivement leur travail. En s’appuyant sur la <em>phronesis</em> aristotélicienne, Ghislain Deslandes invite finalement les managers et les salariés à « <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0170840618789209">renoncer à la philosophie de l’obéissance</a> (aux règles, aux habitudes, même aux supérieurs) au profit d’une philosophie fondée sur la responsabilité ».</p>
<h2>Faire avec les moyens du bord</h2>
<p>En réponse à cette crise du management, une autre piste de réflexion nous est offerte grâce à l’armature conceptuelle développée par l’anthropologue français <a href="https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-levi-strauss">Claude Lévi-Strauss</a>. C’est en <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/moderniser-la-gestion-des-hommes-dans-l-entreprise-9782878806250/">2005</a> puis de manière plus approfondie en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347051?journalCode=ossa">2010</a> que les professeurs <a href="https://www.grenoble-em.com/annuaire/raffi-duymedjian">Raffi Duymedjian</a> et <a href="https://www.grenoble-em.com/annuaire/charles-clemens-ruling">Charles-Clemens Rüling</a> de Grenoble École de Management (GEM) lui ont emprunté la notion de « bricolage » pour l’introduire dans le champ des études organisationnelles.</p>
<p>Pour rappel, c’est dans <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782266038164-la-pensee-sauvage-claude-levi-strauss/"><em>La pensée sauvage</em></a> que Lévi-Strauss construit une opposition entre le bricoleur et l’ingénieur :</p>
<blockquote>
<p>« Une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, put être une science que nous préférons appeler “première” plutôt que primitive : c’est celle communément désignée par le terme de bricolage. »</p>
</blockquote>
<p>Lévi-Strauss parle ici de « science première » pour désigner le bricolage. Bricoler, c’est rafistoler et créer à partir de ce qu’on a. Alors que le bricoleur procède à l’intérieur d’un ensemble fini, l’ingénieur peut sortir de cet ensemble : il peut par exemple fabriquer une pièce qui lui manque. L’ingénieur va avoir une représentation préalable de ce qu’il veut et ensuite, il va chercher à produire la réalité qu’il a préalablement définie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Pour le bricoleur, l’identité des choses est équivoque. Ici, un bout de ferraille et un bâton en bois permettent de créer une lunette astronomique par exemple. Pour l’ingénieur, le projet précède les instruments alors que pour le bricoleur, le donné instrumental précède le projet : il s’agit d’adapter le projet à la mesure du donné. Bricoler, c’est finalement réagencer les éléments mis à disposition, c’est faire avec les moyens du bord.</p>
<h2>Hasards fortuits et facétieux</h2>
<p>Le bricolage est également une notion qu’on retrouve sous la plume du philosophe roumain <a href="https://www.franceculture.fr/personne-emil-cioran.html">Émil Cioran</a>. Dans les <a href="https://www.cairn.info/syllogismes-de-l-amertume--9782070324491.htm"><em>Syllogismes de l’amertume</em></a>, Cioran rappelle qu’« être moderne, c’est bricoler dans l’incurable ». Dans son dernier livre, <a href="https://www.babelio.com/livres/Cioran-Aveux-et-anathemes/60872"><em>Aveux et anathèmes</em></a>, il écrit cette phrase pleine d’humour :</p>
<blockquote>
<p>« Après tout, je n’ai pas perdu mon temps, moi aussi je me suis trémoussé, comme tout un chacun, dans cet univers aberrant. »</p>
</blockquote>
<p>En somme, Cioran déambule dans l’existence « sans mobiles », sans autre raison qu’un hasard fortuit et facétieux qui l’a fait naître. Cette célébration du bricolage existentiel fait écho aux errances et à la vie de bohème qu’il mène lorsqu’il arrive en France en 1937 pour préparer sa thèse de doctorat sur le philosophe <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Henri_Bergson/108486">Henri Bergson</a>. Il vivote, vadrouille « de bistrots en bordels », affectionne la compagnie des marginaux et des prostituées. On voit donc bien que derrière chaque aphorisme, il est possible de retrouver des « cicatraces » de son vécu.</p>
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<p>Chez Cioran, il y a finalement cette idée de faire avec, de continuer à vivre malgré l’absurdité du monde ou plutôt de continuer à « se trémousser » comme il aime à le dire. Par conséquent, il semble possible d’établir des passerelles entre la notion lévi-straussienne de bricolage, les propos de Cioran et l’idée d’un management comme art de la débrouille.</p>
<h2>Manager dans un monde ordinaire</h2>
<p>Proposons à présent quelques pistes pour penser un management modéré qui refuse l’emphase et la grandiloquence devenues endémiques dans les organisations. Sur ce point, les professeurs <a href="https://portal.research.lu.se/en/persons/mats-alvesson">Mats Alvesson</a> et <a href="http://www.yiannisgabriel.com/">Yiannis Gabriel</a> soulignent que les managers et les entreprises parlent de plus en plus des phénomènes organisationnels du quotidien avec <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1350507615618321">exagération</a>. Le langage hyperbolique est devenu caractéristique des discussions ordinaires au sein d’organisations ordinaires faisant des choses ordinaires.</p>
<p>Face à cette tendance, le propos n’est pas de réinventer le management des hommes et des organisations dans un élan révolutionnaire mais de garder les pieds sur terre et de mieux faire les choses managériales. Il faut simplement se détacher de la grandiloquence et de cette vision d’un manager omnipotent qui a réponse à tout et qui trouve des solutions instantanément. Au mythe du manager thaumaturge, il s’agit d’opposer un management par des personnes « sans qualité » amenées à se débrouiller dans une hypermodernité difficile à appréhender. Dans ces conditions, le « management faible », le bricolage et la débrouille participent à un lexique du management comme art de la modération dans un monde ordinaire.</p>
<p>Pour répondre aux défis posés par le « malaise dans le management » et par l’absurdité vécue par certains jeunes diplômés en entreprise, il semble qu’un « <a href="https://www.livredepoche.com/livre/eloge-de-la-fadeur-9782253063797">éloge de la fadeur</a> », du « sage sans idée », des « <a href="https://www.grasset.fr/livres/les-transformations-silencieuses-9782246754213">transformations silencieuses</a> », d’un management oblique soit bien plus efficace qu’une exaltation de la grandiloquence et de la toute-puissance des sciences de gestion. Cette célébration de la débrouille est finalement une façon de prendre du recul, d’accepter notre finitude et de cesser de viser la perfection. Manager correctement, c’est tout simplement faire dignement les choses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des managers omnipotents, qui ont réponse à tout et qui font des montagnes d’une taupinière ne contribuent-ils pas au désenchantement des jeunes diplômés qui découvrent la vie professionnelle ?Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171232023-11-08T20:43:31Z2023-11-08T20:43:31ZUn effondrement de la productivité des salariés français en trompe-l’œil<p>Aujourd’hui, le secteur privé produit 2 % de plus qu’en 2019. Pourtant, pour produire ces 2 % supplémentaires, il a besoin de 6,5 % de salariés en plus.</p>
<p>Avant la crise sanitaire liée au coronavirus, le salarié était chaque année <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/22-152.pdf">plus productif de 0,8 %</a> : à ce rythme, les salariés de 2019 produiraient près de 3 % de plus aujourd’hui. Autrement dit, puisque la production a été moindre, si la hausse de la <a href="https://theconversation.com/topics/productivite-37011">productivité</a> du travail avait suivi son rythme, il aurait fallu détruire autour de 180 000 <a href="https://theconversation.com/topics/emploi-20395">emplois</a> ; or, 1,13 million ont été créés.</p>
<p>Il y aurait ainsi 1,3 million d’emplois dont l’existence interroge : les travailleurs et travailleuses français seraient-ils donc devenus moins productifs ?</p>
<p><iframe id="HCeJp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/HCeJp/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On pourrait évoquer des facteurs comme la perte de sens ou l’émergence du télétravail. Avant d’émettre ces hypothèses néanmoins, d’autres pistes doivent être explorées.</p>
<h2>Non, le salarié n’est pas devenu beaucoup moins productif</h2>
<p>La première consiste à vérifier si la perte de productivité ne serait pas qu’apparente dans la mesure où le salarié, en moyenne, travaillerait moins longtemps. Le taux d’absence au travail, supérieur aujourd’hui à ce qu’il était avant crise (6,5 % contre 3,5 %), constitue un élément d’explication. En effet, même en arrêt de travail, un salarié reste comptabilisé dans l’emploi. Celui-ci ayant besoin d’être remplacé, il y aura mécaniquement plus de personnes comptabilisées pour produire autant. Au niveau macroéconomique, la productivité apparente diminue alors mathématiquement, mais cela ne revient pas à dire que l’individu en place est lui-même moins efficace à la tâche.</p>
<p>Un autre élément à prendre en considération est la forte croissance de l’<a href="https://theconversation.com/topics/apprentissage-21392">apprentissage</a>. De 350 000 avant la crise sanitaire, le nombre d’apprentis s’élève aujourd’hui à 900 000. Cela compte pour une bonne part des 1,13 million d’emplois créés. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseignement-superieur-lalternance-est-elle-en-train-de-simposer-comme-le-mode-de-formation-dominant-217143">Enseignement supérieur : l’alternance est-elle en train de s’imposer comme le mode de formation dominant ?</a>
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<p>Or, un salarié apprenti reste moins productif qu’un salarié non-apprenti. À nouveau, ce n’est peut-être pas le salarié en place qui est devenu moins productif mais la moyenne qui est tirée vers le bas en raison de l’arrivée de travailleurs qui ont encore besoin d’apprendre et qui ont généralement une durée du travail moins longue.</p>
<p>Il faut également garder en tête que le coût réel du travail a diminué depuis 2019 : le niveau des rémunérations s’est élevé moins rapidement que l’inflation. Si le travail est moins coûteux pour les entreprises, cela peut expliquer qu’elles aient recruté davantage.</p>
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<p>Enfin, la période récente a été marquée par les nombreuses aides apportées par l’État aux entreprises, avec notamment les prêts garantis par l’État. Elles ont peut-être été telles qu’ont été sauvées des entreprises qui auraient dû faire faillite même sans la crise sanitaire, et avec elles les emplois qu’elles abritent, c’est-à-dire les entreprises et les emplois les moins productifs. Des aides ont pu aussi être versées à des entreprises qui n’avaient pas particulièrement besoin de trésorerie et qui ont utilisé ce surplus pour embaucher.</p>
<p>D’après nos <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/14-180OFCE.pdf">estimations</a>, ces quatre facteurs expliqueraient les deux tiers des créations d’emploi. Deux tiers de la baisse de productivité mesurée n’ont pas vraiment eu lieu donc.</p>
<h2>Quelles conséquences sur les salaires ?</h2>
<p>Quid du tiers restant ? Une analyse par secteur montre que ces quatre facteurs expliquent la totalité des créations d’emplois observées dans les services. En revanche, ils se montrent assez limités pour rendre compte des dynamiques dans les secteurs de l’industrie et de la construction. Le tiers inexpliqué réside ainsi dans ces secteurs.</p>
<p><iframe id="9qt70" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9qt70/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On peut ici formuler l’hypothèse que ce sont des phénomènes de rétention de main-d’œuvre qui s’exercent. L’emploi industriel est un emploi plutôt qualifié, et les qualifications requises deviennent des denrées rares. Aussi les entreprises du secteur sont-elles réticentes à licencier, même lorsqu’elles rencontrent des difficultés comme cela a été le cas ces dernières années avec les chocs consécutifs qu’ont été la pandémie et la crise énergétique liée à l’invasion de l’Ukraine : ce serait risquer de ne pas réussir à recruter au moment où l’activité repart à la hausse. Un retour de croissance dans l’industrie se ferait alors sans création d’emplois mais en utilisant à son plein potentiel une main-d’œuvre aujourd’hui comme un peu mise en veille.</p>
<p>Dire que tout ne s’explique pas par des baisses de productivité des salariés n’est pas chose anodine. Si les salariés étaient véritablement moins productifs, il faudrait que les salaires réels baissent d’autant pour que le partage de la valeur ajoutée entre travail et capital reste stable. Et donc que les salaires nominaux (ceux affichés sur la feuille de paie), augmentent bien moins vite que l’inflation. Autrement dit, on pourrait justifier des salaires qui augmentent moins vite que l’inflation par une efficacité au travail individuelle plus faible ; or, les pertes apparentes de productivité semblent majoritairement liées à d’autres éléments.</p>
<h2>Un rattrapage de la productivité attendu</h2>
<p>Ces quatre effets que nous mentionnons ne devraient en toute logique pas durer et la productivité va ainsi repartir à la hausse.</p>
<p>Les prêts garantis par l’État sont petit à petit en train d’être remboursés alors que l’échéance avait plusieurs fois été repoussée jusqu’à septembre 2022. Aujourd’hui, seulement 27 % des 143 milliards empruntés ont été remboursés. Les défaillances, les pertes d’emplois et par la même la productivité moyenne augmentent parallèlement aux remboursements.</p>
<p>L’effet lié à l’apprentissage lui aussi n’est vraisemblablement que transitoire. L’objectif gouvernemental est d’atteindre le million d’apprentis mais il ne semble pas tenable dans la mesure où une génération n’est composée que de 800 000 individus. Aujourd’hui, la hausse du nombre de contrats de ce type concerne plusieurs générations, mais à terme, il ne pourra logiquement pas dépasser le nombre d’individus d’une seule. Pour partie, de surcroît, la dynamique actuelle est liée à une prime exceptionnelle versée aux employeurs qui, comme son nom l’indique, n’est pas pérenne.</p>
<p>Il est plus délicat d’inférer ce qu’il adviendra de la durée du travail. Néanmoins, les dernières données montrent qu’elle se rapproche de son niveau d’avant crise. Les salaires, enfin, commencent aujourd’hui à augmenter légèrement plus vite que les prix.</p>
<h2>Hausse de la productivité, hausse du chômage ?</h2>
<p>Si la productivité est ainsi amenée à rattraper le cours qu’elle avait avant crise, alors sans doute que le <a href="https://theconversation.com/topics/chomage-20137">chômage</a> lui aussi devrait repartir à la hausse. C’est en tout cas l’<a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2023/OFCEpbrief121.pdf#page=16">estimation</a> que fait l’Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE). Mesuré à 7,2 % à la fin du deuxième trimestre 2023, le taux de chômage est estimé à 7,4 % pour la fin de l’année et 7,9 % pour la fin 2024.</p>
<p>Deux différences majeures existent ici avec les projections du gouvernement. Les perspectives de croissance en 2024 sont estimées à 1,4 % par ce dernier quand nous les envisageons plutôt à 0,8 %. Surtout, nous estimons, contrairement à Bercy, qu’une partie de la productivité perdue va être rattrapée car les pertes ne sont pas structurelles. Peu de croissance avec des gains de productivité conduit mathématiquement à des destructions d’emplois.</p>
<p><iframe id="wCAq9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wCAq9/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pour anticiper le taux de chômage, il faut de plus formuler des hypothèses sur la population active. Nous avons, dans nos calculs, utilisé les projections de l’Insee, critiquées par la direction générale du Trésor (une croissance moindre de la population active est envisagée par cette dernière). Elles intègrent notamment les premiers effets de la réforme des retraites. Les <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-08/RETRAITES23MAJ2928.pdf">modèles de simulation</a> suggèrent que 80 % des actifs supplémentaires seront en emploi et 20 % au chômage. Nous expliquons ici 0,1 point de taux de chômage en plus. La hausse anticipée du chômage est ainsi majoritairement liée aux destructions d’emplois et aux rattrapages en matière de productivité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Heyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La baisse observée de la productivité du travail s’explique par d’autres facteurs qu’une efficacité moindre des salariés. Ces causes s’estompant, des destructions d’emplois sont à anticiper.Éric Heyer, Directeur à l'OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2165542023-10-30T16:17:24Z2023-10-30T16:17:24ZLes hommes déclarent qu'ils consacrent plus de temps aux tâches ménagères et qu'ils aimeraient en faire plus : enquête réalisée dans 17 pays<p>Dans les pays du Sud, les femmes effectuent entre <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=7">trois et sept fois plus de tâches de soins</a> que les hommes. Ces tâches comprennent les travaux domestiques et se concentrent principalement sur les soins aux enfants. </p>
<p>Il faut espérer que cette situation évolue. Le <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf">Rapport 2023 sur la situation des pères dans le monde</a>, intitulé “Centrer les soins dans un monde en crise”, a exploré les expériences et l'implication dans les soins de 12 000 hommes et femmes, dont beaucoup sont des parents, dans 17 pays. L'enquête s'est penchée sur ceux qui s'occupent des soins, comment ils s'en occupent, pour qui, et sur ce que les hommes et les femmes pensent des soins.</p>
<p>Je suis l'un des cinq coauteurs du rapport, qui révèle une remarquable appréciation des soins de la part des personnes interrogées. Dans une enquête en ligne, ils ont massivement associé les soins à des termes positifs. L’“amour” est le mot le plus fréquemment mentionné dans tous les pays. </p>
<p>Parmi les autres mots fréquemment cités figurent “aide”, “protection”, “attention”, “responsabilité”, “santé”, “gentillesse” et “famille”.</p>
<p>La plupart des hommes ayant participé à l'enquête ont déclaré qu'ils effectuaient des tâches de soin et qu'ils étaient disposés à en faire davantage. Mais de nombreux obstacles se dressent sur leur chemin, notamment les normes sociétales et les contraintes financières. Si les résultats de l'étude laissent entrevoir des changements, ils montrent également que le rythme de ces changements est beaucoup trop lent. </p>
<h2>Pression croissante en faveur d'une plus grande égalité</h2>
<p>Au début de cette année, les États membres des Nations unies ont désigné à l'unanimité le 29 octobre <a href="https://www.un.org/fr/observances/care-and-support-day">journée internationale des soins et de l'assistance</a>. Cela veut dire qu'il y a de plus en plus de reconnaissance de la valeur des soins et du travail de soins et met en évidence le besoin urgent de répartir plus équitablement les responsabilités en matière de soins. </p>
<p>Fournir des soins à une autre personne peut être une expérience positive, favorisant l'empathie et des relations constructives. Cependant, la répartition inégale des <a href="https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_633115/lang--en/index.htm">soins</a> entre les hommes et les femmes entrave depuis longtemps la participation des femmes au travail rémunéré. </p>
<p>En 2018, l'Organisation internationale du travail a estimé que 606 millions de femmes en âge de travailler n'étaient pas en mesure de le faire en raison des tâches de soin non rémunérées. Et le lourd fardeau de ce travail de soins a eu des <a href="https://www.researchgate.net/publication/354252144_Women's_wellbeing_and_the_burden_of_unpaid_work">conséquences néfastes </a>sur le bien-être physique et mental des femmes.</p>
<h2>Aller dans la bonne direction</h2>
<p>Le rapport sur la situation des pères dans le monde révèle que les mères continuent d'assumer une plus grande part de responsabilité dans les tâches de soins, telles que le nettoyage, les soins physiques et émotionnels pour les enfants, la cuisine et les soins pour le/la conjoint(e). Les femmes ont déclaré avoir effectué 1,32 fois de plus de soins physiques aux enfants et avoir fait 1,36 de fois de plus de ménage que les hommes dans tous les pays étudiés dans le rapport. </p>
<p>Mais les pères de pays aussi divers que l'Argentine, l'Irlande, la Chine, la Croatie et le Rwanda ont également déclaré consacrer un nombre d'heures important à diverses tâches non rémunérées au sein du foyer.</p>
<p>L'étude sur la situation des pères dans le monde attribue cette évolution à plusieurs facteurs, dont l'impact du <a href="https://www.who.int/europe/emergencies/situations/covid-19#page=58">COVID-19</a>, l'évolution des normes sexospécifiques relatives à la prestation de soins et des facteurs structurels tels que les systèmes de soins et les politiques en matière de congé parental.</p>
<p>Dans 15 pays, entre 70 et 90 % des hommes sont d'accord avec l'affirmation suivante : “Je me sens autant responsable des tâches de soins que ma partenaire”. </p>
<p>Fait encourageant, dans certains pays comme <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf">l'Afrique du Sud (85 %) et le Rwanda (93 %)</a>, les hommes n'étaient pas d'accord avec l'affirmation suivante : “On ne devrait pas apprendre aux garçons à coudre, à cuisiner, à faire le ménage ou à s'occuper de leurs frères et sœurs”.</p>
<p>Les hommes plus conscients de leurs émotions et ouverts à solliciter un soutien émotionnel étaient <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=22">deux à huit fois</a> plus susceptibles de s'occuper d'un membre de leur famille que ceux qui n'étaient pas conscients de leurs émotions. </p>
<p>Les hommes qui passaient plus de temps à s'occuper des autres ressentaient un plus grand bien-être. Les personnes interrogées qui se sont déclarées satisfaites de leur participation à l'éducation de leurs enfants étaient <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=8">1,5 fois</a> plus susceptibles d'être d'accord avec l'affirmation “Je suis la personne que j'ai toujours voulu être” et de faire état d'un sentiment de gratitude dans la vie que les personnes interrogées qui ne se sont pas déclarées satisfaites de l'éducation de leurs enfants. </p>
<h2>Tout le monde doit participer</h2>
<p>Il est important de reconnaître que la prise en charge d'un enfant ne peut pas dépendre uniquement des efforts individuels. Les hommes et les femmes ont besoin du soutien des communautés, des systèmes de soins et des politiques pour prodiguer des soins de manière efficace. </p>
<p>Plus de la moitié des mères et des pères considèrent que <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=8">l'activisme</a> en faveur des politiques de congé pour soins est une priorité. Ce sentiment varie : 57 % des pères et 66 % des mères en Inde, et 92 % des pères et 94 % des mères au Rwanda soutiennent cette cause.</p>
<p>Les femmes sont plus enclines que les hommes à <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=54">donner la priorité aux politiques de soins</a>, au même titre que les politiques de santé et d'égalité entre les hommes et les femmes. Les préoccupations concernant le coût de la vie étaient sont assez répandues chez les deux sexe, avec un peu plus de femmes (58 %) que d'hommes (53 %) exprimant cette inquiétude. </p>
<p>L'étude a révélé qu'une proportion importante de personnes dans tous les pays ont déclaré <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=54">prendre des mesures </a> pour améliorer les politiques de soins. La majorité d'entre elles (74 %) ont discuté de la question avec leurs amis et leur famille, tandis que 39 % des femmes et 36 % des hommes ont signé ou partagé des pétitions en ligne. En outre, 27 % des femmes et 33 % des hommes ont participé à des manifestations appelant à l'amélioration des politiques de soins.</p>
<p>Les décideurs politiques ont un rôle important à jouer dans les réformes visant à améliorer le congé parental. De meilleures données permettent d'élaborer de meilleures politiques. Il faut donc disposer de statistiques plus précises sur, par exemple, le nombre de pères qui prennent un congé parental et la répartition du temps consacré aux soins entre les hommes et les femmes. </p>
<p>Il est essentiel de faciliter le partage des tâches ménagères entre les hommes si l'on veut que les pays <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=81">prospèrent</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wessel Van Den Berg travaille pour Equimundo : Centre pour les Masculinités et la Justice Sociale</span></em></p>Le dernier rapport sur la situation des pères dans le monde indique que dans 15 pays, entre 70 et 90 % des hommes se sentent autant responsables des tâches ménagères que leurs conjointes.Wessel Van Den Berg, Research fellow, Stellenbosch UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150952023-10-12T17:27:51Z2023-10-12T17:27:51Z« Le Direktør » de Lars von Trier : une comédie d’entreprise sur le pouvoir et ses fantasmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553501/original/file-20231012-27-frgjm8.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C5%2C1711%2C1138&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un employé qui s'emporte contre le chef fantoche est maîtrisé par ses collègues.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=61126.html ">Alloicné</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque l’on songe au monde du travail aujourd’hui, il paraît bien compliqué, pour ne pas dire cynique, d’y voir un sujet de comédie – du moins dans le sens traditionnel du terme. Qu’est-ce qui peut tant prêter à rire dans ce lot d’<a href="https://theconversation.com/ubu-manager-quand-la-litterature-eclaire-les-derives-ubuesques-du-management-150234">absurdité</a>, voire même de mal-être, sur fond de perte de sens au travail constatée par diverses enquêtes, dont celle, récente, des chercheurs en économie et socioéconomie <a href="https://www.nonfiction.fr/article-11588-le-sens-au-travail-entretien-avec-t-coutrot-et-c-perez.htm">Thomas Coutrot et Coralie Perez</a> ?</p>
<p>Dans un versant « comique » (et les guillemets s’imposent pour les raisons qui vont suivre) de la vie en entreprise, <em>Le Direktør</em>, film sorti en 2006 du réalisateur danois Lars von Trier (actuellement diffusé sur le <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/cinema/">site Internet d’Arte</a>, qui lui consacre une rétrospective), dénote en ce qu’il traite directement l’organisation du travail en insistant sur ses aspects certes absurdes, mais aussi sur la violence latente des <a href="https://www.lemonde.fr/cinema/article/2007/02/27/le-Direkt%C3%B8r-dans-la-peau-d-un-directeur-de-pme-machiavelique_876816_3476.html">rapports de pouvoir dans l’entreprise</a>.</p>
<h2>Un réalisateur controversé</h2>
<p>Lars von Trier, coutumier des propos outranciers et <a href="https://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2011/05/18/stupeur-a-cannes-apres-les-propos-de-lars-von-trier-sur-hitler_1523968_766360.html">polémiques</a>, est un réalisateur plus que controversé. Mais bien plus que ses déclarations ou son attitude ouvertement provocatrice, cette réputation tient autant à l’imagerie violente déployée dans ses films, entre onirisme, crudité, sexualité et troubles mentaux, qu’à leur forme chaque fois expérimentale et travaillant aux confins de genres codifiés (policier, mélodrame, comédie, horreur…), qu’il se plaît à réinventer avec une déroutante originalité.</p>
<p>À ce titre, <em>Le Direktør</em> tranche par son côté faussement léger et badin, documentant avec une ironie cruelle la vie d’une petite entreprise danoise qui va connaître une soudaine crise. Je tiens à montrer, en m’appuyant sur un cadre théorique qui emprunte à la <a href="https://www.cairn.info/revue-connexions-2009-2-page-29.htm">psychosociologie</a>, qu’il s’agit là d’un tableau véritablement clinique de la façon dont le pouvoir opère dans l’organisation du travail contemporain, à la fois insaisissable et diffus, en même temps qu’il se greffe sur les fantasmes et l’imaginaire de chacun pour mieux les enrôler.</p>
<h2>Le lieu vide du pouvoir</h2>
<p>Commençons par rappeler brièvement l’intrigue, aussi simple que déconcertante. Ravn, dirigeant d’une PME danoise dans l’informatique en passe d’être rachetée par une société islandaise, recrute Kristoffer, un acteur au chômage, pour incarner un directeur fictif (nommé Sven), inventé de toutes pièces par ce même Ravn pour se couvrir des décisions impopulaires et désastreuses qu’il a été amené à prendre dans la gestion (cupide et malhonnête) de sa propre entreprise – flouant au passage ses propres salariés.</p>
<p>À l’évidence, rien n’est amené à se passer comme prévu. Et Kristoffer découvre, dans un mélange de sidération et d’incrédulité, que son avatar virtuel (en réalité utilisé par Ravn) a tantôt demandé en mariage une employée (pour éviter son départ dans l’entreprise concurrente), suggéré à une autre son homosexualité, conduit un employé au suicide par sa brutalité, et n’a eu de cesse, de manière générale, d’opter pour des décisions toutes plus iniques les unes que les autres.</p>
<p>Il me semble que la question au cœur du film consiste précisément à figurer ce lieu vide du pouvoir, tournant autour de son absence présumée (où est le Directeur de Tout ? Qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Que veut-il ?) ; absence qui se trouve être en réalité le gage de l’efficacité du pouvoir du fait même qu’il devient le réceptacle dans lequel chacun projette ses propres désirs, craintes et espérances.</p>
<h2>La nature fictionnelle du pouvoir</h2>
<p>Au moins deux articles de recherche en théorie des organisations ont été consacrés à ce film de von Trier, se centrant, dans les deux cas sur la question du leadership et de la nature « fictionnelle » du pouvoir.</p>
<p>Le premier article, par <a href="https://ephemerajournal.org/sites/default/files/2022-01/9-1costas.pdf">Jana Costas</a>, chercheure en comportement organisationnel, insiste sur le rôle du secret et de l’ambiguïté dans les organisations du travail, et notamment le maintien des relations de hiérarchie du fait même du secret détenu par le dirigeant qui exerce ainsi son pouvoir. Si cet aspect du film est bien sûr présent, je ne suis pas certain qu’il soit si prépondérant.</p>
<p>Tout d’abord, il est légitime de considérer que les employés, et c’est d’ailleurs ce que suggère l’une des scènes finales, ne sont pas réellement dupes de la comédie mise en place par Ravn et Kristoffer. Cette hypothèse soulève par ailleurs la question du déni des salariés face à ce stratagème des plus grossiers, interrogeant les raisons motivant chacun à croire à cette affabulation. C’est d’ailleurs la question explicitement soulevée par le <a href="https://www.researchgate.net/publication/264770409_Leadership_fable_and_power_according_to_The_Boss_of_It_All">second article</a> consacré au film de von Trier, rédigé par Philippe Mairesse et Stéphane Debenedetti : « Les raisons pour lesquelles la fable est acceptée restent incertaines. Si elle répond aux désirs du public, quels sont ces désirs ? »</p>
<p>De ce fait, bien que datant de 2006, le film illustre de manière exemplaire le basculement de formes de travail qui cherchent de plus en plus, comme ont pu le détailler Boltanski et Chiapello dans leur ouvrage, paru en 1999 mais tout à fait actuel, sur le <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme"><em>Nouvel esprit du capitalisme</em></a>, à engager des dispositions plus subjectives, telles que la motivation, les émotions, l’attitude personnelle, l’empathie, voire même le désir – ce que la sociologue Eva Illouz qualifie de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=b3JvyhEImIE">« capitalisme émotionnel »</a>. Cette dimension émotionnelle en appelle explicitement aux désirs inconscients, aux fantasmes et fragilités narcissiques de chacun.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/b3JvyhEImIE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Reste que cette dynamique passionnelle impulse des forces contradictoires et explosives dans l’organisation du travail. Ce « Directeur de Tout », à la fois omniprésent et invisible, concentre toute l’hostilité et la haine, à tel point que, acculé face à la véhémence croissante des salariés de l’entreprise à son égard, Kristoffer s’en sort par une pirouette tout à fait absurde, qui consiste rien de moins qu’à inventer un « Directeur du Directeur de Tout » situé aux États-Unis, qui serait donc son supérieur direct et le véritable agent (dans l’ombre) de tous les dysfonctionnements et frustrations ! On ne peut ici manquer de s’interroger sur la part active de déni qui contribue à maintenir cet état de fait : comment se fait-il que la supercherie, si grotesque en soi, ne puisse être reconnue pour ce qu’elle est ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une séance de « team-building ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les Films du Losange</span></span>
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</figure>
<h2>Pouvoir de la séduction, séduction du pouvoir</h2>
<p>Dans cette optique, à travers une recension critique du film <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/01708406231196956"><em>Tár</em></a> (2022), publiée pour la revue <em>Organization Studies</em>, j’avais souhaité mettre en avant la dimension « fantasmatique » du pouvoir dans les organisations ; à savoir que, pour se maintenir, perdurer et exercer pleinement ses effets, le pouvoir devait en passer par un effet de séduction, procurant à celui qui s’en sert, autant qu’à ceux et celles qui aspirent à en être les détenteurs, une forme de gratification narcissique qui confine à la jouissance.</p>
<p>Dans le film <em>Tár</em>, Cate Blanchett incarne en effet une cheffe d’orchestre tyrannique éprouvant un malin plaisir à exercer son pouvoir sur ses subordonnées, tirant profit de sa position hiérarchique et des rapports de domination au sein de l’orchestre en vue d’asseoir sa propre identité. <em>The Direktør</em> interroge en revanche plus directement l’effet d’« attraction » du pouvoir sur celles et ceux qui en subissent les effets. Dans le cas décrit par le film, c’est comme si chacun aspirait avant tout à se sentir unique dans la relation qu’il entretien avec ce fameux « Directeur de Tout ».</p>
<p>C’est que selon le chercheur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1350508405055938">John Roberts</a>, s’appuyant sur les travaux du psychanalyste français <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacan">Jacques Lacan</a>, le pouvoir opère à la fois comme un miroir et comme un leurre. Chacun y retrouve à souhait une image grandiose de lui-même, canalisant les angoisses concernant son identité et offrant simultanément une forme de réassurance. Bien que prenant la forme d’un leurre, le pouvoir n’exerce pas moins de puissants effets de déformation de la réalité, en particulier par la prégnance du déni qui vise justement à préserver cette image à la fois idéalisée et déformée. Ainsi, chacun conserve à part soi ce lien (faussement) privilégié qu’il pense entretenir avec le « Directeur de Tout », à l’exclusion des autres, alors que tout ceci ne se révèle être qu’une coquille vide.</p>
<p>Miroir grossissant du pouvoir, autant que déformant, et qui n’en tend pas moins un autre miroir – et peu gratifiant celui-là – au spectateur qui assiste au dénouement cruel de cette comédie d’entreprise : Kristoffer, se prenant plus que de raison au jeu de son personnage d’hommes d’affaires intransigeant et disposant des pleins pouvoirs, finit par signer l’acte de vente, livrant à leur sort les employés dès lors licenciés.</p>
<p>Une question reste alors en suspens, en forme d’abîme, comme l’un des fils directeurs qui parcourent non seulement la filmographie de Lars von Trier, mais également la vie des organisations : d’où provient cette fascination par et pour le pouvoir ? Quelles gratifications, souvent inconscientes, s’y trouvent par-là même assouvies – et surtout : quelle est notre responsabilité dans cette mise en scène à laquelle nous prenons part, d’une façon ou d’une autre ? « Aucune leçon, aucune manipulation. Juste un bon moment », prononce von Trier d’une malicieuse voix off au début de son film. Qu’il nous soit permis d’en douter…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215095/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Lomellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette fiction grinçante dresse un tableau clinique des effets du pouvoir dans l’organisation du travail contemporaine.Gabriel Lomellini, Assistant Professor, HR and Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2151862023-10-11T17:24:22Z2023-10-11T17:24:22ZVotre tenue vestimentaire au travail vous rend-elle vulnérable ?<p>Dans le film emblématique <em>Arrête-moi si tu peux !</em>, de Steven Spielberg, un sympathique escroc (joué par Leonardo DiCaprio) se fait passer tour à tour pour un pilote de ligne, un médecin, un avocat. Il réussit à tromper nombre de gens et d’entreprises en utilisant, entre autres, une tenue adaptée aux professions usurpées.</p>
<p>La perception de l’autre est fortement influencée, au moins à première vue, par la façon dont il ou elle s’habille. Au fil du temps, l’habit a servi à différencier les humains entre eux, non seulement pour marquer des différences culturelles, mais aussi pour prouver, selon le point de vue, leur supériorité ou infériorité. Le même phénomène se produit dans le <a href="https://theconversation.com/quels-messages-codes-portent-les-ailes-des-papillons-152839">règne animal</a> : les animaux se parent de couleurs définies pour attirer le ou la partenaire et les utilisent à des fins de tactiques prédatrices ou anti-prédatrices pour le camouflage.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CfULDbkWMQ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans la plupart des entreprises (occidentales en tout cas), les femmes comme les hommes ont le droit, dans la mesure où ils respectent le code vestimentaire en vigueur, de choisir leurs vêtements en fonction de leur style personnel, de leur confort et de leur expression de soi. Et l’on y retrouve ce rapport de proie et de prédateur. Le prédateur, lui ou elle, peut jouer consciemment ou inconsciemment sur son port vestimentaire pour communiquer un message d’autorité. La proie, elle aussi, peut utiliser le vêtement, cette fois pour signifier sa vulnérabilité, peut-être de manière inconsciente. La révéler peut en effet permettre de s’attirer la sympathie de « protecteurs » éventuels, qui travailleront à protéger la proie et à valoriser sa carrière.</p>
<h2>Tisser l’habit du prédateur</h2>
<p>La théorie développée dans le cadre de nos <a href="https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/9060">recherches</a> postule qu’il existe une toile sociale, dite toile de prédation, où s’articulent les éléments qui font que « l’araignée piège son repas ». Pour qu’il y ait prédation, il doit nécessairement y avoir un prédateur (l’escroc DiCaprio), une proie (les banques), un outil (l’habit), une blessure telle une stigmatisation sociale (la perte financière) et surtout, un effet surprise (le pilote d’avion n’était pas un pilote d’avion après tout !).</p>
<p>Suivant une intention hostile savamment calculée (par exemple, s’enrichir, monter dans la hiérarchie organisationnelle), le prédateur pourra tisser sa « toile du 5-5 » avec cinq actions reconnaissables : identifier les faiblesses de sa proie, l’appâter, la forcer à accepter ses termes, la piéger et la soumettre.</p>
<p><iframe id="343O2" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/343O2/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On reconnaît facilement les traits caractériels des prédateurs que sont le manque d’empathie, la froideur, l’esprit calculateur et sournois. Les proies, elles, font preuve de naïveté et sont sous-outillées pour faire face aux aléas comportementaux qui se déploient au travail.</p>
<p>Dans ce schéma, la tenue vestimentaire au travail est non seulement une partie intégrante de la <a href="https://eprints.gla.ac.uk/144399/7/144399.pdf">présentation de soi</a>, mais elle indique aussi le degré de conformité que l’on adopte par rapport à la culture organisationnelle environnante. Une de nos publications à venir démontre comment une tenue adaptée au contexte organisationnel transmet une image professionnelle cohérente et donc attendue par les clients, ce qui devrait faciliter les ventes. La conformité vestimentaire instaure la confiance, et c’est justement <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-319-15753-5">sur la confiance que joue le prédateur</a> ; tôt ou tard, il la trompe pour exercer son acte de prédation.</p>
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<p>Il y a bien d’autres façon d’asseoir son pouvoir par le vêtement. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0148296320307797">Des études</a> démontrent que certains dirigeants s’habilleront différemment de leurs collaborateurs ou de l’image type du leader, afin de paraître plus charismatiques et plus puissants, et ainsi faciliter inconsciemment la soumission des subordonnés. Les personnes s’éloignant des codes vestimentaires formels attendus auraient des capacités exceptionnelles puisqu’elles peuvent s’en écarter.</p>
<h2>Là où le bât blesse</h2>
<p>D’autre part, certains diktats vestimentaires conduisent à la posture de proie. Ainsi, une <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/10/116268_Rapport_FEPS-FJJ_2019.10.08.pdf">étude IFOP</a> réalisée en 2019 pour l’Institut Jean Jaurès sur le sexisme en entreprise, note une causalité entre une tenue moulante et/ou courte et des dérives sexistes, voire des violences sexuelles. Dans ce même registre, le port des talons hauts exigé pour les femmes par certaines organisations a été dénoncé en 2019, notamment au Japon, avec le mouvement « #KuToo » (jeu de mots avec <em>kutsu</em> – chaussure, et <em>kutsuu</em> – douleur, en écho à #MeToo).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1136945962897879043"}"></div></p>
<p>Au-delà de l’inconfort des escarpins, son association avec la sexualité peut enfermer des femmes dans un carcan érotisé, faisant écho au registre de la proie. Les analyses biomécaniques révèlent que les talons accentuent la cambrure et projettent, parmi d’autres effets, la poitrine vers l’avant, amplifiant ainsi les attributs sexuels féminins. <a href="https://www.mdpi.com/1660-4601/18/1/299">Les recherches</a> montrent aussi que les femmes en talons hauts sont considérées significativement plus attirantes par les hommes que les femmes en chaussures plates.</p>
<p>La méconnaissance des codes vestimentaires ou leur incompréhension renforcera le rôle de proie, ce qui pourra engendrer de la stigmatisation, de l’exclusion, voire de la discrimination. Dans ce dernier cas, <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2022-5-page-79.htm&wt.src=pdf">nos travaux</a> ont souligné qu’un candidat dont le code vestimentaire n’est pas conforme à l’environnement professionnel envisagé prend le risque, sans le vouloir, d’être éliminé. Le postulant apparaît aux yeux du recruteur comme incompétent, inadaptable à l’entreprise, à la culture organisationnelle et au métier.</p>
<h2>En découdre avec la prédation vestimentaire ?</h2>
<p>Pour les proies, réelles ou fictives, le problème de la prédation vestimentaire touche à l’identité de soi et ne pas le régler peut avoir des conséquences graves sur leur équilibre psychologique et social. La dynamique de prédation par le vêtement reste à étudier ; à ce stade, on ne peut que conjecturer sur des solutions possibles pour quiconque se sentirait proie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-la-vie-etes-vous-plutot-un-predateur-ou-une-proie-209450">Dans la vie, êtes-vous plutôt un « prédateur » ou une « proie » ?</a>
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<p>Il faudrait s’adapter aux exigences de l’institution lorsqu’on ne peut les combattre ou que les défier coûterait trop cher en termes d’énergie, de frais financiers et d’ostracisation. Ensuite, on veillera à ce que, à l’intérieur des limites imposées par cet environnement, l’on puisse affirmer sa personnalité et surtout le faire en fonction des tâches à réaliser.</p>
<p>Enfin, les personnes qui se sentent lésées auraient peut-être avantage à communiquer avec la direction des ressources humaines pour voir comment des efforts d’éducation et de sensibilisation pourraient remédier au problème. On supputera que, du point de vue sociologique, l’important serait d’éviter la stigmatisation, car elle ne peut que défaire le tissu social de l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les habits portés au travail peuvent servir les desseins de « prédateurs » qui cherchent à obtenir quelque chose, mais aussi placer dans une posture de « proie » dont il se servira.Olivier Mesly, Enseignant-chercheur au laboratoire CEREFIGE, université de Lorraine, professeur de marketing, ICN Business SchoolAgnès Ceccarelli, Professeur associé, département Ressources humaines, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2145852023-10-02T18:18:49Z2023-10-02T18:18:49ZApprendre à écouter en entreprise, un véritable atout pour le management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550863/original/file-20230928-21-rvgjqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C12%2C1102%2C643&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont nous écoutons les autres impacte la carrière professionnelle.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1567387">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Une réunion de travail sans table de réunion. Une réunion sans ordinateurs, où chacun des présents prête attention aux messages de l’autre… Impossible ? C’est pourtant de cette façon que certaines <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> du nord de l’Europe <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-014-2242-4">conduisent les échanges</a> entre collaborateurs. Ce faisant, ces organisations <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/5313652">privilégient l’écoute</a> et la bienveillance, dont les effets sur les collaborateurs et la performance gagneraient à être redécouverts.</p>
<p>De nombreuses recherches ont montré les effets positifs de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/ecoute-69937">écoute</a> sur la performance de l’entreprise et des collaborateurs. Les employés qui se sentent écoutés par leurs collègues et leurs supérieurs sont plus performants, plus satisfaits et plus engagés dans leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a>, adoptent des comportements altruistes et tournés vers le collectif. Ils sont également moins sujets à <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10869-023-09897-5">l’épuisement professionnel</a>. Les collaborateurs qui se sentent écoutés <a href="https://hbr.org/2018/05/the-power-of-listening-in-helping-people-change">développent plus clairement leur pensée, leurs propos sont plus modérés</a>.</p>
<p><a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF02894348">L’écoute du collaborateur</a> – comme celle du consommateur – peut générer de la valeur, qui varie en fonction de la qualité de l’écoute et de la considération qui est donnée au collaborateur. La posture d’écoute apporte en effet à l’employé un sentiment de sécurité et d’intégration, qui lui permet de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/01461672221100369">surmonter les difficultés qu’il peut rencontrer</a>.</p>
<h2>Éviter d’interrompre</h2>
<p>Pour Guy Itzchakov et Avi Kluger, deux chercheurs israéliens experts de l’écoute, l’apprentissage de l’écoute est un axe d’amélioration valable et digne d’intérêt pour les organisations. Apprendre à écouter est une garantie de s’équiper pour améliorer la satisfaction des collaborateurs au sein de leur équipe et de leur organisation, un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/00187267035612001">instrument clé pour tout manager en quête d’adhésion</a>.</p>
<p>Une posture d’écoute de qualité en entreprise est une attitude orientée vers la compréhension de l’autre : on doit utiliser l’écoute pour se comprendre plutôt que pour simplement se répondre. L’auditeur (celui qui écoute) doit montrer que son attention est tournée vers celui qui parle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iR-jlgWE9GQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Listening and its enemies | Avi Kluger | TEDxLaçador (en anglais).</span></figcaption>
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<p>Par exemple, en évitant d’interrompre la personne qui s’exprime, en utilisant un vocabulaire et des tournures de phrase qui <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0261927X13506906">font écho</a> à la manière dont la personne parle, celui qui écoute peut créer un sentiment de compréhension et d’appartenance chez son interlocuteur. Un employé se sent écouté lorsqu’il a le sentiment que trois éléments sont bien présents lors de l’échange : <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009026161730044X?via%3Dihub">l’attention, la compréhension et la bienveillance</a> de son auditeur sont nécessaires.</p>
<h2>L’adaptation, une notion clé</h2>
<p>Pour être un bon auditeur, le contexte des interactions doit être pris en compte. La culture organisationnelle, les normes partagées par les équipes, les générations de collaborateurs qui se croisent ou encore les technologies liées aux nouveaux usages du travail collaboratif sont des éléments importants qui peuvent modeler la qualité de l’écoute et le sentiment d’être écouté.</p>
<p>Pour le manager, informer lors des réunions de diffusion d’informations ne demande pas la même posture que des sessions de travail en ateliers ou des réunions d’équipe. De plus, l’adaptation à l’interlocuteur est clé. Un bon auditeur prendra en compte la dimension émotionnelle dans ses interactions. Néanmoins, certains auditeurs sont plus attentifs au <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/01463373.2012.720343">contenu</a> de la communication et aux actions qui en découlent qu’au caractère relationnel de l’échange.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Illustration d’une femme s’exprimant pendant une présentation" src="https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550865/original/file-20230928-25-zftgte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour être un bon auditeur, le contexte des interactions doit être pris en compte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1457535">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour promouvoir l’écoute en entreprise, de nouvelles habitudes de travail peuvent être mises en place, comme le bannissement des téléphones ou des ordinateurs lors de certaines réunions. Les équipes peuvent prendre l’habitude de travailler en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009026161730044X?via%3Dihub">« cercle d’écoute »</a>, c’est-à-dire, laisser à chacun un temps de parole nécessaire à l’expression de ses idées. Dans un cercle d’écoute, seule la personne qui détient le « bâton de parole » a le droit de parler, tandis que les autres l’écoutent attentivement. Le « bâton de parole » circule entre les membres de l’équipe, laissant à chacun la possibilité de s’exprimer et d’être écouté.</p>
<p>Dans le milieu médical, il a été prouvé que mettre en place une routine structurée obligeant les médecins, pharmaciens et infirmières à écouter les patients a conduit à une nette <a href="https://open.bu.edu/ds2/stream/?">amélioration des relations</a> entre les médecins et le personnel soignant.</p>
<h2>Il n’est jamais trop tard</h2>
<p>Former les collaborateurs de l’entreprise pour qu’ils soient plus à l’écoute les uns envers les autres est possible. Par exemple, on peut permettre aux membres d’une équipe d’expérimenter en termes de communication en dédiant des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1052562915574724">espaces informels</a> pour que l’équipe puisse prendre le temps d’échanger et de s’écouter dans un environnement où ils se sentent sécurisés.</p>
<p><a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2016.0685?journalCode=amj">Fournir des « scripts »</a> déroulant un scénario de communication et d’écoute (comme au théâtre) peut aussi permettre aux membres d’une équipe de s’entraîner, de progresser, et de résoudre des tensions éventuelles. Il est aussi possible d’aménager des occasions <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009026161730044X?via%3Dihub">d’apprendre à écouter</a>, en instituant des moments chronométrés où l’une des deux personnes dialoguant s’oblige à ne pas interrompre son interlocuteur pendant trois voire cinq minutes.</p>
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<p>La façon dont nous écoutons les autres entraîne des conséquences importantes sur la santé et le bien-être individuels et relationnels, sur la carrière professionnelle, ainsi que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352250X23001264">sur la manière dont nous sommes perçus par les autres</a>.</p>
<p>Certes, améliorer la qualité de l’écoute dans les équipes et les entreprises peut sembler difficile. Pourtant, un changement de posture est possible. Si écouter se rapporte avant tout à un échange verbal, il existe aussi une dimension visuelle de la posture, jouxtant aussi la gestuelle, et le rapport au temps.</p>
<p>Prendre le temps d’écouter et agir pour répondre au besoin des collaborateurs peut être un <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2021.659087">excellent outil pour le manager</a>, qui s’il le partage ouvertement avec son entourage, peut permettre de diminuer tensions et conflits, et d’améliorer la performance. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iR-jlgWE9GQ">Il</a> n’est jamais trop tard pour se déclarer novice dans l’apprentissage de l’écoute de l’autre ; les progrès sont possibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214585/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La recherche montre qu’un collaborateur se sent écouté si son auditeur fait à la fois preuve d’attention, de compréhension et de bienveillance.Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, Université Paris Dauphine – PSLLionel Pailloncy, End-user Experience Performance Manager chez Kering, Executive PhD en gestion, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141762023-10-02T09:34:30Z2023-10-02T09:34:30ZHôtellerie-restauration : comment le client-roi mine la reconnaissance des employés<p>Depuis la crise sanitaire, les organisations professionnelles de l’hôtellerie-restauration ont mis en place des initiatives pour tenter de limiter la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/penurie-de-main-doeuvre-119110">pénurie de main-d’œuvre</a> qui touche le secteur, notamment une <a href="https://www.lhotellerie-restauration.fr/blogs-des-experts/contrats-travail/la-cfdt-et-fgta-fo-ratifient-la-grille-de-salaires-proposee-par-les-organisations-professionnelles-du-secteur-des-chr.htm">revalorisation de la grille salariale</a>. Mais ces efforts n’ont produit des effets qu’à la marge. D’après l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), <a href="https://www.tendancehotellerie.fr/articles-breves/vos-articles/19581-article/penurie-de-personnel-dans-la-restauration-quelles-solutions-pour-apprehender-la-periode-estivale">entre 200 000 et 300 000 emplois restaient toujours non pourvus</a> fin 2022.</p>
<p>Les <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/services/penurie-de-main-d-oeuvre-dans-l-hotellerie-restauration-il-faut-partager-la-valeur-avec-les-salaries_AV-202207110458.html">raisons</a> de cette pénurie sont multiples : salaires trop faibles, avantages sociaux limités, horaires de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a> décalés, etc. Travailler dans les métiers de service, c’est aussi se soumettre aux diktats du « client-roi ». Certains consommateurs inscrivent en effet les relations de service dans un rapport de domination, qui peut être très difficile à vivre pour les employés.</p>
<p>Pour répondre à cette question, nous avons mené une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-023-05512-y">étude</a>, publiée récemment dans <em>Journal of Business Ethics</em>, au sein d’un groupe d’hôtellerie. Nous avons interviewé 23 employés et managers travaillant dans l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/hotellerie-53536">hôtellerie</a> - <a href="https://theconversation.com/fr/topics/restauration-44954">restauration</a> en France : serveur, femme de chambre, barman, réceptionniste, directeur d’hôtel, chef de rang, femme de ménage, concierge, manager au siège, manager des ressources humaines, etc. L’un d’entre nous a également travaillé dans un hôtel dans des emplois variés (ménage, service en salle, réception, conciergerie, etc.) pendant plusieurs mois.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Cette étude a permis de mettre en lumière le manque de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reconnaissance-36814">reconnaissance</a> vécu par les employés de service, qui provient principalement de quatre sources :</p>
<p><strong>L’invisibilité</strong>. Certains <a href="https://theconversation.com/fr/topics/clients-93811">clients</a> se comportent comme si les employés n’étaient pas là. Ils les ignorent : pas de salutation, ni même un regard, ils continuent leur conversation téléphonique pendant l’interaction de service comme si les employés n’étaient pas là, etc. Ange, manager du restaurant de l’hôtel, explique :</p>
<blockquote>
<p>« Quand les clients me parlent, s’ils ne me regardent pas, je n’aime pas ça, je n’aime pas ce genre d’attitude. La base de tout cela est le respect. Si vous ne regardez pas la personne dans les yeux, alors vous ne la respectez pas. Parce qu’il y a des moments je prends la commande et le client ne me regarde même pas. Il ne sait même pas qui il a devant lui. Pour moi, c’est un manque de respect ».</p>
</blockquote>
<p>Dans ces situations, les employés se sentent invisibles physiquement et socialement. Ils ont l’impression de ne pas exister.</p>
<h2>« Le client l’a appelé en claquant des doigts comme s’il appelait un chien »</h2>
<p><strong>L’inégalité des statuts et des droits</strong>. Certains clients considèrent que leur statut de client leur donne tous les droits et inscrivent les employés dans des relations de pouvoir et des situations de domination. Fort de leur statut et de leur pouvoir, ils peuvent avoir des comportements inappropriés : parler aux employés de façon méprisante, voire même les insulter s’ils ne sont pas assez réactifs à leurs demandes. Chris, qui travaille dans le restaurant de l’hôtel, en témoigne :</p>
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<p>« Un client est venu pour un repas et au moment de sa commande, il a dit au serveur : “j’apprécierais si vous pouviez faire ça rapidement”. […] Le serveur a noté la commande. Il allait la transmettre à la cuisine, et là, le client l’a rappelé en claquant des doigts… comme s’il appelait un chien. Incroyable ! »</p>
</blockquote>
<p><strong>Le décalage émotionnel.</strong> Les activités de service passent souvent par une relation émotionnelle qui va au-delà de l’interaction commerciale. Il faut accueillir les émotions du client et faire preuve d’empathie. Or, cet échange émotionnel est souvent unidirectionnel. Alors que l’employé doit en permanence faire plaisir aux clients, les clients prennent rarement en considération les émotions des salariés.</p>
<p>Uta, responsable des services de ménage, raconte sa déception quand un client ne les a pas remerciés pour l’attention spéciale qu’ils avaient eue pour lui :</p>
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<p>« Il y a un invité, c’est un habitué. Il est directeur d’un cirque et avait l’habitude de laisser chaque année des billets gratuits au personnel. À Noël, je voulais le remercier pour toute sa gentillesse au nom de l’équipe, alors nous lui avons écrit un poème et nous lui avons offert deux cadeaux avec un grand sourire, un grand merci. Mais je n’ai jamais eu de réponse de sa part. C’était une vraie déception, au point que j’ai senti que j’avais besoin d’en parler ».</p>
</blockquote>
<h2>« Aucun plaisir à être un laquais »</h2>
<p><strong>Le manque de reconnaissance des compétences.</strong> Chaque métier de service repose sur un ensemble de techniques, compétences et connaissances. Certains métiers demandent une longue formation. Or, ces compétences sont rarement valorisées et reconnues par les clients rois. Ils ne voient pas (ou ne veulent pas voir) les compétences, le travail et les efforts fournis par les salariés. Ils prennent trop peu le temps pour apprécier le travail réalisé, les remercier et les féliciter.</p>
<p>Ainsi, Jean se sent dévalorisé quand les clients ne prennent pas le temps de reconnaître son travail et ses compétences :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas vraiment servir quelqu’un mais c’est comme être son laquais. Faire exactement ce qu’il me demande et baisser la tête, je n’y prends aucun plaisir. Je dois le faire. Je le fais avec le sourire, mais au fond de moi je me sens sale de faire ça, de servir quelqu’un qui n’est pas un bon client, qui n’apprécie pas ce que je fais. Pour moi, il y a du plaisir à être serveur. Il n’y a aucun plaisir à être un laquais mais je dois le faire pour le salaire ».</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, ce manque de reconnaissance peut participer à un sentiment d’épuisement professionnel des employés de service, surtout pour ceux qui sont en première ligne face aux clients.</p>
<h2>Mettre en scène le savoir-faire</h2>
<p>Sur la base de nos travaux, nous avons également identifié plusieurs leviers qui facilitent les dynamiques de reconnaissance et qui permettent aux employés de se sentir valorisés. L’objectif est de rééquilibrer les rapports de pouvoir entre clients et employés, en permettant aux employés de démontrer leurs compétences et en donnant aux clients l’occasion de reconnaître le travail réalisé.</p>
<p>Par exemple, le design des espaces de service joue un rôle majeur dans l’asymétrie de pouvoir entre l’employé et le client et la visibilité du travail et des compétences des employés. Il convient de penser ces espaces non uniquement en fonction du client mais également en fonction des dynamiques de reconnaissance. Le design d’un lieu peut en effet mettre en scène le savoir-faire des employés et imposer des limites matérielles aux clients en restreignant leur capacité à exercer publiquement leur autorité sur les employés.</p>
<p>Ces actions peuvent permettre d’estomper la position de pouvoir du client-roi et ainsi de réduire le sentiment des employés d’être parfois les esclaves d’un client, qui se sent comme un souverain tout puissant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les réceptionnistes, serveurs ou femmes de ménage peuvent souffrir de situations dans lesquelles les clients les ignorent ou leurs savoir-faire ne sont pas reconnus.Kushagra Bhatnagar, Assistant professor, Aalto UniversityDelphine Dion, Professeure de marketing, ESSEC Gregorio Fuschillo, Professeur Associé de marketing, Kedge Business SchoolJulien Cayla, Professor of Marketing and Consumer Research, Nanyang Technological UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.