tag:theconversation.com,2011:/es/topics/trumpisme-95708/articlestrumpisme – The Conversation2024-02-27T16:13:33Ztag:theconversation.com,2011:article/2243422024-02-27T16:13:33Z2024-02-27T16:13:33ZL’interview de Poutine par Tucker Carlson et sa réception par l’extrême droite occidentale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578015/original/file-20240226-28-fli2ug.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C0%2C1857%2C1156&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’interview accordée par le président russe à l’éditorialiste superstar de la galaxie trumpiste, le 8&nbsp;février au Kremlin, a donné lieu à de très longs développements de Vladimir Poutine sur l’histoire de la Russie et de l’Ukraine, au grand désarroi de son interlocuteur.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.kremlin.ru/events/president/news/73411/photos/74852">Kremlin.ru</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.marianne.net/monde/ameriques/pro-trump-ex-fox-news-qui-est-tucker-carlson-lamericain-qui-a-interviewe-poutine">Tucker Carlson</a>, l’ancien présentateur star de la chaîne conservatrice Fox, est une figure bien connue au sein de l’univers « MAGA » (<em>Make America Great Again</em>, l’éternel slogan de campagne de Donald Trump). Avec son ton « politiquement incorrect », il est depuis des années l’un des grands représentants du trumpisme et, au-delà, de la rhétorique provocatrice de l’extrême droite occidentale – un style qualifié par Ruth Wodak et al. de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0957926520977217">« normalisation éhontée de l’impolitesse »</a>.</p>
<p>Sur les questions de politique étrangère, Carlson a <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/world/2023/05/01/tucker-carlson-fox-news-russia/11757930002/">largement épousé la présentation russe de la guerre russo-ukrainienne</a>, se montrant très critique à l’égard de Kiev et tout à fait favorable à Moscou, si bien qu’il est <a href="https://www.motherjones.com/politics/2022/03/exclusive-kremlin-putin-russia-ukraine-war-memo-tucker-carlson-fox/">considéré depuis longtemps par le Kremlin</a> comme un moyen privilégié de toucher l’opinion publique américaine.</p>
<p>Mais le coup de maître de Carlson a été, de toute évidence, <a href="https://tuckercarlson.com/the-vladimir-putin-interview/">son interview de deux heures avec Vladimir Poutine</a>, à Moscou, le 8 février dernier. Au vu du déroulement de l’entretien, il semble que les questions n’avaient pas été discutées à l’avance et que les deux parties avaient des attentes divergentes sur les propos qui y seraient tenus : Carlson espérait que Poutine approuverait la vision trumpiste du monde et ses griefs contre le libéralisme, tandis que Poutine, pour sa part, espérait convaincre le grand public américain que les États-Unis et la Russie finiront par se réconcilier d’une manière ou d’une autre et trouver une issue à la guerre qui soit favorable à Moscou.</p>
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<h2>« L’interview la plus suivie de toute l’histoire »</h2>
<p>Les médias occidentaux ont réagi à cette interview controversée de deux manières opposées. Certains ont décidé de ne pas l’évoquer du tout, une décision contestable dans la mesure où l’entrevue entre le journaliste américain et le président russe a suscité un très large écho : avec plus de 200 millions de vues, X (anciennement Twitter) a notamment affirmé que cet événement aurait été le <a href="https://eu.statesman.com/story/news/2024/02/09/tucker-carlson-putin-interview-video-twitter-most-watched-video-russia-ukraine-war/72536955007/">plus suivi sur sa plate-forme depuis la création de celle-ci</a>.</p>
<p>Sachant qu’une « vue » est comptabilisée à partir de deux secondes de connexion, ce chiffre de 200 millions est gonflé et correspond non pas au nombre de visionnages de la vidéo mais au nombre de clics sur des posts la contenant. YouTube considère qu’une vidéo a été vue à partir du moment où la connexion a duré au moins 30 secondes : la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fOCWBhuDdDo">vidéo</a> y affiche 18 millions de vues au moment où ces lignes sont écrites. Ce chiffre est probablement plus proche de la vérité. Cela en fait malgré tout un succès médiatique colossal.</p>
<p>D’autres médias ont parlé de l’interview, qualifiant comme d’habitude Carlson d’<a href="https://www.politico.eu/article/tucker-carlson-joins-long-line-useful-idiot-journalists-helping-tyrants/">idiot utile de Poutine</a> et affirmant que leur discussion démontrait une fois de plus que la coalition MAGA était <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2024/02/07/tucker-carlson-putin-russia-ukraine/">à la solde du Kremlin</a>.</p>
<p>Ces deux postures – ne pas parler de l’interview, ou la dénoncer – passent toutes deux à côté de l’essentiel : une figure clé de la galaxie MAGA et le chef de l’État russe ont tenté de dialoguer, et cette tentative a donné lieu à un résultat pour le moins mitigé.</p>
<p>L’entreprise a été un relatif succès, car elle a permis à Poutine de s’adresser au grand public américain et de tenter de saper le soutien de celui-ci à la politique pro-ukrainienne conduite par l’administration Biden, dans un contexte où les dirigeants russes sont privés d’accès aux grands médias occidentaux. Le président russe s’est donc vu offrir la possibilité d’exposer longuement sa vision géopolitique du monde – quoi qu’on pense de celle-ci. En outre, les <a href="https://theconversation.com/how-you-can-tell-propaganda-from-journalism-lets-look-at-tucker-carlsons-visit-to-russia-223829">vidéos ultérieures tournées par Carlson en Russie</a> et publiées sur ses réseaux sociaux ont montré qu’à Moscou la vie continuait comme si de rien n’était, ce qui n’est que rarement mis en avant par les grands médias occidentaux.</p>
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<p>Mais l’entretien a également mis en évidence les limites du partenariat supposé entre les conservateurs américains et la Russie. Contrairement aux attentes des observateurs, Poutine n’a pas profité de l’occasion pour mener une offensive de charme auprès de l’électorat républicain et de l’opinion conservatrice mondiale. Il ne s’est pas non plus étendu sur « l’Occident libéral décadent » et ses « valeurs perverties ». Interrogé sur Dieu, il n’a pas parlé de spiritualité et de valeurs traditionnelles, alors que la religion est au cœur de tout discours conservateur américain.</p>
<p>Il a préféré faire à son hôte un <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/putin-history-tucker-carlson-russia-b2499837.html">long exposé sur l’histoire commune de la Russie et de l’Ukraine</a>, ce à quoi Carlson ne semblait manifestement pas préparé. Comme l’a <a href="https://landmarksmag.substack.com/p/a-symposium-on-tucker-carlsons-controversial">joliment formulé</a> Paul Greiner, Carlson « aurait été ravi d’entendre un “discours d’ascenseur” sur l’histoire russe qui aurait duré trente secondes, puis une longue liste de griefs » à l’encontre de l’OTAN. Il a eu droit aux deux, mais le passage sur l’Occident a été plutôt court, celui sur l’histoire très long.</p>
<p>Cela nous donne un aperçu de l’écart de perception entre, d’une part, les conservateurs américains, pour qui l’exaltation des « racines historiques » n’implique pas une connaissance approfondie de l’histoire mondiale, et d’autre part l’establishment politique russe, qui voit l’histoire <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/l-histoire-de-l-ukraine-selon-poutine-contredit-tous-les-faits-etablis_2170236.html">comme un élément essentiel de légitimation de sa politique actuelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-reactions-ukrainiennes-a-la-reecriture-de-lhistoire-par-vladimir-poutine-168136">Les réactions ukrainiennes à la réécriture de l’histoire par Vladimir Poutine</a>
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<p>À plusieurs reprises, Poutine s’est montré irrité par les questions de Carlson relatives à l’expansion de l’OTAN et à la légitimité du récit de « dénazification » de l’Ukraine propagé par la Russie. Les deux hommes se sont également opposés sur leur vision de la Chine : le présentateur américain a répété le discours républicain habituel selon lequel la Chine est le nouvel ennemi global aussi bien des États-Unis que de la Russie, tandis que le chef de l’État russe a non seulement défendu une vision positive du partenariat entre Moscou et Pékin, mais a aussi <a href="https://tass.com/politics/1744037">replacé la montée en puissance de la Chine et le déclin de l’Occident dans un contexte mondial plus large</a>. Là encore, les deux visions du monde sont loin d’être convergentes.</p>
<h2>Les réactions de l’extrême droite européenne</h2>
<p>Les difficultés de l’extrême droite occidentale et de l’establishment russe à trouver un langage commun se sont également manifestées dans les réactions à l’interview. Même l’extrême droite allemande, la plus ouvertement pro-russe, ne s’est pas spécialement attardée sur le contenu de l’entretien. Certains responsables de l’AfD en ont fait l’éloge ; ainsi, Steffen Kotré a souligné l’offre de Poutine de reprendre l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne – mais ce fut le seul communiqué de presse sur le sujet publié sur le site officiel de l’AfD au Bundestag. Björn Höcke, chef officieux de la mouvance la plus radicale de l’AfD, a également salué la vidéo, la qualifiant de <a href="https://t.me/BjoernHoeckeAfD/2016">« tour de force journalistique »</a>.</p>
<p>Dans le reste de l’Europe, l’événement a été largement passé sous silence, soit parce que les dirigeants d’extrême droite ne souhaitent pas être perçus comme chantant les louages de Poutine, soit parce qu’ils ne partagent pas les orientations géopolitiques de la Russie. Nigel Farage, l’ex-chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, connu pour avoir à titre personnel noué des liens étroits avec l’extrême droite américaine, a par exemple <a href="https://www.gbnews.com/politics/us/putin-manipulating-debate-usa-ukraine-tucker-carlson">commenté</a> l’interview, mais s’est montré largement critique, la qualifiant de tentative de « propagande » pour atteindre le public américain. Il a également déclaré que Carlson aurait dû se montrer plus incisif et <a href="https://www.nationalreview.com/corner/what-tucker-carlson-didnt-ask-putin/">interroger Poutine sur Alexeï Navalny</a> (qui était encore en vie au moment de l’entretien).</p>
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<p>En France, où <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">l’extrême droite penche nettement du côté de Moscou</a>, la stratégie a consisté à atténuer les appréciations positives pour éviter de prêter le flanc à des critiques publiques. Ainsi, ni les comptes officiels sur les réseaux sociaux du Rassemblement national, ni ceux de Reconquête n’ont publié quoi que ce soit sur l’interview. Seules quelques voix l’ont commentée individuellement, comme <a href="https://twitter.com/ChagnonPatricia/status/1756307189755470134">Patricia Chagnon-Clevers</a>, députée RN au Parlement européen, ou <a href="https://twitter.com/NicolasDumasLR/status/1755950436413059170">Nicolas Dumas</a>, élu régional de Reconquête.</p>
<p>En Espagne, la couverture de l’interview a été faible. Plusieurs articles <a href="https://www.publico.es/internacional/putin-despacha-periodista-ultra-amigo-abascal-paz-depende-washington.html">ont souligné que Carlson est un « ami » du leader de Vox, Santiago Abascal</a>, l’a récemment interviewé et a assisté à un meeting à ses côtés en novembre dernier, mais ils se sont davantage intéressés à Carlson qu’à Poutine. L’extrême droite italienne n’a pas non plus beaucoup évoqué l’interview elle-même, puisque Georgia Meloni est de toute façon très atlantiste et pro-ukrainienne.</p>
<p>Cela contraste avec la visibilité médiatique, du côté russe, de la visite de Carlson à Moscou, qui a été largement suivie et commentée par les médias nationaux. À cette occasion, l’idéologue ultra-radical Alexandre Douguine a notamment publié un billet exalté consacré au « <a href="https://www.arktosjournal.com/p/tucker-carlson-and-maga-communism">communisme MAGA</a> », réunissant Trump et Marx, et a déclaré que les patriotes américains et les forces de gauche pouvaient œuvrer ensemble pour saper l’hégémonie libérale des États-Unis dans le monde.</p>
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<h2>Les réactions des conservateurs et de l’extrême droite aux États-Unis</h2>
<p>Même aux États-Unis, la réaction de la droite à l’interview a été très faible. Certains commentateurs conservateurs « mainstream », comme Ben Shapiro, Richard Hannia et Matt Walsh, se sont montrés favorables à Carlson, mais ont estimé que l’interview n’était pas efficace. Hannia a jugé que l’interview montrait que Poutine, dans son obsession de l’histoire, était <a href="https://twitter.com/RichardHanania/status/1755750991964913902">« déconnecté »</a> et Shapiro est allé encore plus loin, <a href="https://twitter.com/benshapiro/status/1755950137803722820">qualifiant</a> la longue diatribe de Poutine sur l’histoire russe de mauvaise justification pour ce qui était en fin de compte « une invasion barbare d’un pays souverain ».</p>
<p>D’autres ont semblé acquiescer aux commentaires de Poutine. Charlie Kirk, fondateur de « Turning Point USA », a choisi de publier des extraits de l’entretien sans commentaire, concluant seulement que Carlson avait livré avec cette interview une « masterclass ». Candice Owens, personnalité médiatique de droite radicale et contributrice régulière du Daily Wire, a soutenu l’affirmation de Poutine selon laquelle les États-Unis (y compris le président) étaient contrôlés par les services de renseignement américains et a <a href="https://youtu.be/5BdtMv-vyn0?si=OgpjyFAYDhoNXHR2">loué</a> la version de l’histoire russe donnée par Poutine.</p>
<p>Les personnalités de la droite la plus radicale se sont montrées nettement plus réceptives à l’interview. L’activiste politique d’extrême droite Jack Posobiec a <a href="https://twitter.com/HumanEvents/status/1756054087425040484">déclaré</a> que, bien qu’il ne soit pas d’accord avec une grande partie des propos de Poutine, il était intéressant de noter que celui-ci était prêt à faire la paix malgré les griefs historiques qu’il a rappelés. Il a également <a href="https://twitter.com/HumanEvents/status/1756046152519020611">considéré</a> que Poutine était impressionnant dans sa capacité à parler longuement de l’histoire de la Russie, tandis les États-Unis sont, selon lui, dirigés par un président qui est « pratiquement un légume ». Jackson Hinkle, apologiste de la Russie et commentateur d’extrême droite bien connu, a livré une <a href="https://twitter.com/ElijahSchaffer/status/1755795057284927808">analyse chaotique</a> de l’interview dans sa conversation avec le podcasteur Elijah Schaffer. Les deux hommes ont soutenu Poutine et ont déploré que Zelensky soit traité avec trop de complaisance par les journalistes occidentaux.</p>
<p>Cette opinion est partagée par d’autres commentateurs d’extrême droite, comme Tim Pool, qui s’est <a href="https://twitter.com/Timcast/status/1755595593982886043">plaint</a> que les médias avaient fait un moins bon travail en interviewant Zelensky, ou <a href="https://rumble.com/v4c905i-putin-x-tucker-interview.html">Nick Fuentes</a>, qui a exprimé à plusieurs reprises son admiration à l’égard de Poutine, même s’il a estimé que sa leçon d’histoire ne trouverait pas d’écho auprès du public américain et que l’ensemble de l’entretien n’avait « pas été révolutionnaire » puisqu’il n’avait apporté aucune nouvelle information ou révélation.</p>
<p>Quant aux élus républicains, ils sont pour la plupart restés critiques à l’égard de Poutine et ont <a href="https://www.politico.com/news/2022/02/01/gop-tucker-carlson-ukraine-00004370">rejeté</a> les efforts de Carlson visant à saper le soutien américain à l’Ukraine. Toutefois, cette position n’est pas partagée par tous. Quand Carlson a annoncé que l’entretien aurait lieu, l’élue de Géorgie Marjorie Taylor Greene a <a href="https://www.businessinsider.com/taylor-greene-defends-prospect-tucker-carlson-interviewing-putin-in-moscow-2024-2">défendu</a> cette initiative. Matt Gaetz (élu de Floride) a également salué l’interview et, après sa diffusion, <a href="https://twitter.com/mattgaetz/status/1755991276476924208">a fait remarquer</a> à quel point il trouvait impressionnante la capacité de Poutine à parler longuement d’histoire, alors que Joe Biden semble avoir des problèmes de mémoire. Le sénateur de l’Ohio JD Vance a <a href="https://twitter.com/JDVance1/status/1756031269517902297">critiqué</a> le fait que Carlson n’ait pas interpellé Poutine sur l’emprisonnement des journalistes, mais a <a href="https://twitter.com/JDVance1/status/1756091114732269846">souligné</a> l’importance de la longue diatribe de Poutine sur l’histoire.</p>
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<p>Aussi divisée que soit la droite américaine dans son interprétation de l’interview, une chose est certaine : celle-ci n’a pas été au cœur de ses préoccupations. L’entretien a été éclipsé par deux autres événements qui ont eu lieu le 8 février. D’abord, <a href="https://www.politico.com/news/2024/02/08/trump-supreme-court-oral-arguments-transcript-00140499">l’audition par la Cour suprême</a> des arguments des parties dans l’affaire en cours <a href="https://www.oyez.org/cases/2023/23-719">Trump v. Anderson</a> sur la question de savoir si Donald Trump peut être empêché de se présenter à la prochaine présidentielle en raison de son implication dans l’insurrection du 6 janvier 2021. Les juges de la Cour suprême se sont montrés uniformément sceptiques à l’égard de l’argument selon lequel les États peuvent choisir de disqualifier des candidats en vertu du 14<sup>e</sup> amendement, un point de vue qui a été largement salué par la droite.</p>
<p>Le deuxième événement qui a éclipsé l’interview de Poutine est la conférence de presse surprise du président Joe Biden sur le <a href="https://www.npr.org/2024/02/08/1229805332/special-counsel-report-biden-classified-documents">rapport</a> du ministère de la Justice concernant sa gestion de documents classifiés. Prenant la parole à peu près au moment où l’interview de Tucker Carlson était diffusée, Joe Biden s’est montré à cette occasion vif d’esprit, mais a commis une <a href="https://www.theguardian.com/us-news/video/2024/feb/09/israeli-offensive-on-gaza-over-the-top-says-biden-video">gaffe malencontreuse</a> : parlant du refus égyptien d’ouvrir le point de passage de Rafah entre l’Égypte et la bande de Gaza, il a déclaré que ce refus était dû au « président du Mexique, Sissi ». La droite américaine n’a évidemment pas manqué l’occasion de se moquer du président Biden et de marteler qu’il était inapte à exercer ses fonctions.</p>
<h2>Les droites dures occidentales et la Russie : accords et dissonances</h2>
<p>Il existe une véritable affinité idéologique <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-1-page-113.htm">entre l’extrême droite occidentale et la Russie</a> : une ontologie conservatrice commune de l’humanité qui croit à des identités collectives héritées du passé, dont les individus ne devraient pas chercher à se libérer ; une dénonciation de la démocratie et du libéralisme, ainsi que de la mondialisation, aussi bien économique que normative et culturelle ; une vision de l’État-nation comme entité suprême sur la scène internationale ; et une certaine admiration mutuelle et des emprunts ou idéologiques réciproques.</p>
<p>Cependant, cet ensemble de valeurs partagées ne suffit pas à donner lieu à une coopération politique et stratégique explicite. Le fait que Poutine ait décidé de se concentrer sur l’histoire nationale comme argument central pour justifier sa guerre en Ukraine, c’est-à-dire d’insister sur ce qui rend la Russie unique et non sur ce qu’elle partage avec l’Occident conservateur, est révélateur. Le fait que Carlson soit arrivé sans préparation et apparemment sans connaître la vision russe de la guerre, et qu’il ait tenté d’introduire dans la discussion les paradigmes habituels de la culture américaine en matière de politique étrangère sans se rendre compte qu’ils n’ont pas de sens pour les Russes, est également parlant.</p>
<p>Si le Kremlin croit sincèrement en l’existence d’un « bon » Occident, conservateur, prêt à se réconcilier avec lui au nom d’intérêts nationaux bien compris, cela ne fait pas pour autant de Trump un partenaire naturel et facile pour la Russie. Cela ne signifie évidemment pas que le trumpisme et la Russie ne peuvent pas prendre ensemble des décisions qui auraient un impact sur l’ordre mondial – mais il serait erroné de croire que ces deux parties sont capables de conduire une attaque coordonnée contre la démocratie libérale sur la base d’arguments idéologiques parfaitement ciselés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La réaction des extrêmes droites européennes et américaine à l’entretien Carlson-Poutine a mis en lumière les divergences existant entre cette mouvance et le Kremlin plus que leurs points d’accord.Marlene Laruelle, Research Professor of International Affairs and Political Science, George Washington UniversityJohn Chrobak, Research Program Coordinator for the Illiberalism Studies Program, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229162024-02-12T16:11:20Z2024-02-12T16:11:20ZPourquoi tant d’Américains croient-ils que la présidentielle a été « volée » à Donald Trump en 2020 ?<p>La campagne présidentielle américaine 2024, qui a débuté avec les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/04/presidentielle-americaine-2024-joe-biden-remporte-aisement-la-primaire-democrate-de-caroline-du-sud_6214634_3210.html">primaires démocrates</a> et, surtout, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/06/dans-le-nevada-primaires-et-caucus-en-ordre-disperse-chez-les-republicains_6215004_3210.html">républicaines</a>, est déjà historique à plus d’un titre.</p>
<p>Pour la première fois de l’histoire des États-Unis, un candidat, Donald Trump, de surcroît ancien président, brigue la Maison Blanche alors même qu’il est visé par de <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/804860/etats-unis-91-chefs-accusation-dessus-presidentielle-singuliere">multiples inculpations</a> et a été reconnu coupable d’<a href="https://fr.euronews.com/2023/05/10/donald-trump-reconnu-coupable-dagression-sexuelle">agression sexuelle</a> (un <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/07/19/trump-carroll-judge-rape/">viol</a> en réalité).</p>
<p>Plus grave encore : après sa défaite de novembre 2020, Trump a tenté d’empêcher le transfert démocratique du pouvoir en <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220610-l-assaut-du-capitole-%C3%A9tait-une-tentative-de-coup-d-%C3%A9tat-et-encourag%C3%A9e-par-trump-dit-une-enqu%C3%AAte">encourageant ses partisans à s’opposer par la violence à l’investiture de son successeur</a>, et continue à ce jour <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220613-d%C3%A9tach%C3%A9-de-la-r%C3%A9alit%C3%A9-donald-trump-s-est-accroch%C3%A9-au-mythe-de-l-%C3%A9lection-vol%C3%A9e">d’affirmer qu’il a, de fait, remporté l’élection</a>.</p>
<p>Il n’y a <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2103619118">aucune preuve</a> de fraudes dont l’existence aurait pu changer le résultat, et tous les recours légaux de l’ancien président ont <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Post-election_lawsuits_related_to_the_2020_U.S._presidential_election">été rejetés, car sans objet, ou perdus, après des audiences sur le fond</a>. Pourtant, <a href="https://www.washingtonpost.com/dc-md-va/2024/01/02/jan-6-poll-post-trump/">près de 3 Américains sur 10 – et deux tiers des sympathisants républicains</a> – continuent de croire que l’élection <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4318153">a bel et bien été volée à Trump</a>. Selon eux, des fraudes massives auraient été mises en œuvre dans certains États (faux électeurs, machines à voter truquées, etc.) avec la bénédiction des fonctionnaires chargés du bon déroulement des élections et de juges peu scrupuleux.</p>
<h2>L’obsession du complot</h2>
<p>Pour ses partisans, Trump est une nouvelle fois <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/31/donald-trump-indictment-00090001">victime d’une « chasse aux sorcières »</a> (tout comme lors des <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210113-en-direct-la-chambre-des-repr%C3%A9sentants-vote-une-proc%C3%A9dure-de-destitution-du-pr%C3%A9sident-donald-trump">deux procédures de destitution</a> auxquelles il a été confronté à la fin de son mandat), parce qu’il s’est attaqué à un système corrompu.</p>
<p>Loin de lui nuire, ses ennuis judiciaires lui ont, en fait, permis de <a href="https://time.com/6555904/donald-trump-gop-primary-2024/">récolter des millions de dollars</a> pour financer sa campagne et <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/trump-political-committee-has-spent-more-than-40-million-on-lawyers-fees-as-his-legal-peril-mounts">payer ses avocats</a>, et de <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-primary-r/2024/national/">monter dans les sondages</a> dans le cadre des primaires républicaines. Aujourd’hui, il est en passe de devenir le candidat du parti républicain à l’élection de novembre 2024.</p>
<p>Comment expliquer que plusieurs dizaines de millions d’Américains continuent d’adhérer à ce récit de l’élection volée, alors que <a href="https://www.brennancenter.org/sites/default/files/analysis/Briefing_Memo_Debunking_Voter_Fraud_Myth.pdf">toutes les études</a> en ont démontré le caractère mensonger ?</p>
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<p>Il s’agit là d’une croyance de masse de <a href="https://www.researchgate.net/publication/355068117_The_Rise_of_Presidential_Eschatology_Conspiracy_Theories_Religion_and_the_January_6th_Insurrection">type complotiste</a>, à savoir un contre-récit non vérifié qui remet en question l’explication officielle et s’appuie sur l’idée qu’il existe des acteurs puissants et malveillants qui agissent dans l’ombre. Ce qui caractérise les États-Unis n’est pas forcément que leur population croit davantage aux théories du complot que d’autres peuples (on peut le constater <a href="https://www.researchgate.net/publication/352490730_Why_are_conspiracy_theories_more_successful_in_some_countries_than_in_others_An_exploratory_study_on_Internet_users_from_22_Western_and_non-Western_countries">ici</a>, ou <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0032321720972616">ici</a>), mais plutôt qu’une grande partie de leur classe politique et médiatique est prête à accepter, exploiter et organiser la pensée complotiste pour en tirer bénéfice.</p>
<p>En 1964 déjà, l’historien Richard Hofstadter ciblait, dans un <a href="https://harpers.org/archive/1964/11/the-paranoid-style-in-american-politics/">article devenu célèbre</a>, l’obsession de la droite américaine pour le complot communiste pendant le maccarthysme. Le christianisme a alors fusionné avec le nationalisme, devenant un élément central de l’identité américaine par opposition à celle d’un bloc communiste athée. Ce fut l’un des facteurs de l’émergence de la droite chrétienne dans les années 1970. Le récit politique d’une lutte universelle entre le Bien et le Mal devient alors un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1460-2466.2006.00021.x">thème incontournable des discours présidentiels</a>.</p>
<h2>La suspicion au cœur de la guerre culturelle</h2>
<p>Au début des années 1990, avec la fin de la guerre froide, ce récit binaire, <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/7/9/21291493/donald-trump-evangelical-christians-kristin-kobes-du-mez">rappelle l’historienne Kristin Kobes Du Mez</a>, a été adapté à la <a href="https://iasculture.org/research/publications/culture-wars-struggle-define-america">« guerre culturelle »</a> opposant progressistes et fondamentalistes religieux sur les questions morales et sociétales comme l’avortement ou la sexualité.</p>
<p>Il s’agit d'un récit de décadence qui identifie toute opposition politique à un « ennemi » mettant en péril les fondements moraux de la nation. Il a été alimenté par un sentiment d'impuissance et d'humiliation à la suite des attaques du 11 septembre 2001, de la crise financière de 2008 et de 20 ans de « guerre contre la terreur » sans victoire tangible. Le <a href="https://academic.oup.com/socrel/article/81/3/272/5836966">ressentiment racial</a>, lié à l’évolution démographique et illustré par le <a href="https://www.prri.org/spotlight/replacement-theory-is-not-a-fringe-theory/">récit du Grand Remplacement</a>, et la crise du Covid, ont accentué la défiance envers l’État (le <a href="https://theconversation.com/demons-of-the-deep-state-how-evangelicals-and-conspiracy-theories-combine-in-trumps-america-144898"><em>Deep State</em>, perçu comme démoniaque</a>).</p>
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<p>La politisation de la religion a atteint son paroxysme avec Donald Trump, qui a utilisé le langage religieux <a href="https://www.researchgate.net/publication/331071656_The_God_Card_Strategic_Employment_of_Religious_Language_in_US_Presidential_Discourse">davantage que n’importe quel autre président</a>. À la différence de ses prédécesseurs, il a explicitement <a href="https://www.researchgate.net/publication/344337560_Thou_Art_in_a_Deal_The_Evolution_of_Religious_Language_in_the_Public_Communications_of_Donald_Trump">associé l’américanité au christianisme</a>. Il a ainsi décliné des thèmes du nationalisme chrétien, très populaires chez les évangéliques blancs qu’il courtisait. C’est, du reste, dans ce groupe religieux, que l’adhésion au mythe de l’élection volée est la <a href="https://www.prri.org/spotlight/after-three-years-and-many-indictments-the-big-lie-that-led-to-the-january-6th-insurrection-is-still-believed-by-most-republicans/">plus forte</a>.</p>
<h2>Donald Trump : Un sauveur sans foi, ni loi</h2>
<p>L’ironie est que Trump lui-même est loin d’être religieux. Ses moqueries à l’égard d’un journaliste handicapé, ses calomnies xénophobes envers les immigrés, ses appels à la violence contre ses opposants politiques et son <a href="https://edition.cnn.com/2016/10/21/politics/trump-religion-gospel/index.html">manque patent de culture religieuse</a> semblent difficilement compatibles avec l’éthique chrétienne.</p>
<p>Il n’a pas non plus hésité à mettre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qIHhB1ZMV_o">sur le devant de la scène</a> des groupes extrémistes, comme les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Proud_Boys"><em>Proud Boys</em></a>, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GNI553Np__k">complotistes</a>, comme Q-anon. Ce dernier mouvement diffuse notamment un <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/QAnon">récit empreint de tropes évangéliques</a> liés à la fin du monde.</p>
<p>Le lien entre complotisme et nationalisme chrétien blanc est bien documenté (<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642211046557">ici</a>, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4318153">ici</a> ou <a href="https://theconversation.com/evangelical-leaders-like-billy-graham-and-jerry-falwell-sr-have-long-talked-of-conspiracies-against-gods-chosen-those-ideas-are-finding-resonance-today-132241">ici</a>), y compris au <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/2378023120977727">sujet des vaccins</a>, ou du <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0096340215599789">changement climatique</a>. Les évangéliques « rationalisent » tout cela en <a href="https://www.vox.com/identities/2018/3/5/16796892/trump-cyrus-christian-right-bible-cbn-evangelical-propaganda">comparant Trump à Cyrus</a>, un roi perse historique qui, dans l’Ancien Testament, ne vénérait pas le Dieu d’Israël, mais est dépeint dans Isaïe comme un instrument utilisé par Dieu pour délivrer le peuple juif.</p>
<p>Ces croyances sont le fruit d’une vision littéraliste (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mill%C3%A9narisme">« pré-millénariste »</a>) du livre de l’Apocalypse, adoptée par une majorité d’évangéliques (<a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/12/08/about-four-in-ten-u-s-adults-believe-humanity-is-living-in-the-end-times/">63 %</a>) qui pensent que l’humanité vit actuellement « la fin des temps ». </p>
<p>Cette vision du monde s’est parfaitement incarnée dans l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021. Le leadership républicain avait là une occasion unique de condamner Donald Trump dans un procès en destitution qui aurait mis fin à toutes ses ambitions politiques. Or, malgré l’enjeu, ni le président de la Chambre des Représentants, Kevin McCarthy, ni l’influent chef des Républicains au Sénat, Mitch McConnell, n’ont voté la destitution, tout en <a href="https://www.npr.org/sections/trump-impeachment-trial-live-updates/2021/02/13/">déclarant</a> que Trump était bien <a href="https://www.npr.org/sections/trump-impeachment-effort-live-updates/2021/01/13/956452691/gop-leader-mccarthy-trump-bears-responsibility-for-violence-wont-vote-to-impeach">responsable moralement</a>. Tout comme lors du premier procès en destitution, ou des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/False_or_misleading_statements_by_Donald_Trump">nombreux mensonges</a> de Donald Trump, y compris pendant la <a href="https://www.vox.com/2020-presidential-conventions/2020/8/25/21400657/trump-rnc-2020-coronavirus-Covid-19-pandemic">crise du Covid</a>, ils ont ainsi sacrifié une nouvelle fois la démocratie sur l’autel de leurs ambitions.</p>
<p>Résultat : le mensonge triomphe au sein du parti et devient un test de loyauté. Une <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2022/11/09/us/politics/election-misinformation-midterms-results.html">très large majorité des nouveaux élus au Congrès en 2022</a> mettent en doute les résultats de 2020. Kevin McCarthy a été remplacé par Mike Johnson, un <a href="https://slate.com/news-and-politics/2024/01/january-6-insurrection-mike-johnson-evangelical-christian-apostolic-reformation.html">nationaliste chrétien des plus radicaux</a> et l’un des <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/analysis-opinion/mike-johnson-now-most-powerful-election-denier-washington">architectes de la tentative d’annulation de l’élection de 2020</a>.</p>
<h2>Un mensonge généralisé et financé par de puissants intérêts</h2>
<p>Mais ce mensonge n’est pas l’expression démocratique et populiste d’un anti-élitisme de la base. Il est alimenté par des organisations nationales puissantes et bien <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2021/08/09/the-big-money-behind-the-big-lie">financées par certains des conservateurs les plus riches du pays</a>. Le <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/big-donors-working-overturn-2020-election-are-backing-election-denial"><em>Brennan Center for Justice</em></a> de la faculté de droit de l’université de New York a identifié plusieurs de ces groupes tels que l’<a href="https://www.eip-ca.com/"><em>Election Integrity Project California</em></a>, <a href="https://www.freedomworks.org/issue/election-protection/"><em>FreedomWorks</em></a>, ou le <a href="https://www.honestelections.org/"><em>Honest Elections Project</em></a>.</p>
<p>Parmi ces groupes, on peut souligner le poids de la <a href="https://fedsoc.org/commentary/publications/voter-fraud-in-our-republic"><em>Federalist Society</em></a>, qui s’attaque au <a href="https://www.motherjones.com/politics/2023/12/how-leonard-leos-dark-money-network-orchestrated-a-new-attack-on-the-voting-rights-act/"><em>Voting Rights Act</em></a> (une loi de 1965 interdisant les discriminations raciales dans l’exercice du droit de vote) et a favorisé la nomination des membres les plus conservateurs de la Cour suprême.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1744856646659035466"}"></div></p>
<p>On note aussi le rôle de la <a href="https://www.heritage.org/voterfraud"><em>Heritage Foundation</em></a>, l’une des organisations conservatrices les plus puissantes et influentes, dont l’un des buts est d’utiliser le doute et la peur de la fraude électorale comme prétexte pour supprimer des électeurs sur les listes. L’un de ses fondateurs, Paul Weyrich, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8GBAsFwPglw">déclarait en 1980</a> : ¡ Je ne veux pas que tout le monde vote. En fait, notre influence sur les élections augmente franchement au fur et à mesure que le nombre de votants diminue. »</p>
<p>Il faut ajouter à cela une <a href="https://time.com/6334985/trump-fox-news-lies-brian-stelter-essay/">stratégie médiatique de désinformation</a> utilisée par Trump et ses alliés, parfaitement résumée par Steve Bannon, l’ancien dirigeant de Breitbart News et ancien conseiller de Donald Trump : <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/1/16/20991816/impeachment-trial-trump-bannon-misinformation">« Flood the zone with shit »</a> – littéralement, « inonder la zone de merde ». Il s’agit tout simplement de submerger la presse et le public avec tant de fausses informations et de désinformation que distinguer le vrai du faux devient cognitivement éprouvant, voire impossible.</p>
<p>Tout cela est bien sûr amplifié par l’extrême <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/U/bo27527354.html">polarisation politique, enracinée dans l’identité sociale</a>, qui se manifeste <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2018/11/why-are-americans-so-geographically-polarized/575881/">géographiquement par des préférences partisanes</a> corrélées à la densité de la population (urbain vs rural pour schématiser).</p>
<p>Impossible pour ces Républicains de croire que Joe Biden a pu être élu par une majorité : personne, autour d’eux, n’a voté démocrate. Cette polarisation physique est renforcée par une <a href="https://www.pewresearch.org/journalism/2020/01/24/u-s-media-polarization-and-the-2020-election-a-nation-divided/">polarisation médiatique</a> qui constitue une véritable bulle informationnelle. Ainsi, une majorité des Républicains ne font confiance qu’à <em>Fox News</em>, et à des journaux télévisés d’extrême droite (comme <a href="https://edition.cnn.com/2023/09/05/media/dominion-exec-oan-lawsuit-settlement/index.html"><em>One American News</em></a>) dont les animateurs sans scrupules, comme <a href="https://abcnews.go.com/Politics/fox-news-hosts-allegedly-privately-versus-air-false/story?id=97662551">Tucker Carlson</a>, ont <a href="https://www.nytimes.com/2023/02/27/business/media/fox-news-dominion-rupert-murdoch.html">cautionné les mensonges sur la fraude électorale</a>, mensonges ensuite <a href="https://www.axios.com/2022/09/19/election-misinformation-social-media-big-lie-report">amplifiés par les réseaux sociaux</a>.</p>
<h2>Bis repetita en novembre prochain ?</h2>
<p>La remise en question des résultats électoraux est une constante chez Donald Trump. Déjà, en 2012, il <a href="https://abcnews.go.com/Politics/donald-trumps-2012-election-tweetstorm-resurfaces-popular-electoral/story?id=43431536">avait qualifié la ré-élection</a> de Barack Obama de <a href="https://twitter.com/realdonaldtrump/status/266035509162303492">« véritable simulacre et parodie_ »</a>, ajoutant que « nous ne sommes pas une démocratie » et qu’il faudrait « marcher sur Washington et mettre fin à cette mascarade. »</p>
<p>Même en 2016, il avait contesté, toujours sans preuve, les résultats du caucus de l’Iowa, puis celui du vote populaire gagné par Hillary Clinton grâce, <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-38126438">selon lui</a>, à « des millions de voix illégales ». La différence entre 2020 et aujourd’hui est que Donald Trump est suivi par des millions de citoyens chauffés à blanc par une élite que le pouvoir a corrompue. Ainsi, presque un quart des citoyens (<a href="https://www.prri.org/spotlight/after-three-years-and-many-indictments-the-big-lie-that-led-to-the-january-6th-insurrection-is-still-believed-by-most-republicans/">23 %</a>) est aujourd’hui prêt à recourir à la violence pour « sauver le pays ». Quelle que soit l’issue de l’élection, on peut donc s’inquiéter de ce qui s’ensuivra, sachant que, comme à son habitude, Donald Trump <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3998962-trump-wont-commit-to-accepting-2024-election-results/">refuse de s’engager à reconnaître</a> le résultat de l’élection de novembre 2024 si celui-ci ne lui est pas favorable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222916/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>30 % des Américains pensent que Donald Trump a été le vrai vainqueur de la dernière élection ; Ce ratio est doublé chez les électeurs républicains.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202352024-01-02T16:28:40Z2024-01-02T16:28:40ZTrump-Biden : une année cruciale pour la démocratie américaine et l’ordre mondial<p>À la fin de l’année, les Américains éliront leur « nouveau » président et l’ensemble de leurs députés. Jamais dans l’histoire électorale des États-Unis un scrutin n’aura paru à ce point décisif.</p>
<p>Par les enjeux internationaux qu’il soulève et la configuration atypique qu’il présente, ce rendez-vous pourrait marquer une mutation capitale pour la démocratie américaine elle-même. </p>
<h2>Un Donald Trump radicalisé</h2>
<p>Donald Trump occupe une position inédite : il a échoué à se faire réélire en 2020 mais se relance dans une nouvelle course alors même qu’il est visé par un nombre record de procédures judiciaires. Il vient, d’ailleurs, d’être <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20231229-%C3%A9tats-unis-apr%C3%A8s-le-colorado-le-maine-juge-%C3%A0-son-tour-trump-inapte-%C3%A0-la-pr%C3%A9sidence">déclaré inéligible dans le Colorado et dans le Maine</a> pour s’être « livré à une rébellion » lors de l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021.</p>
<p>Pour l’heure, son sort reste suspendu au recours déposé devant la Cour suprême, qui a refusé de le traiter en urgence. Une façon de rendre plus incertain encore le calendrier judiciaire de l’ancien président, et ce alors que la bataille pour l’investiture débute le 15 janvier par le caucus de l’Iowa.</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/etats-unis-sans-la-candidature-de-donald-trump-je-ne-suis-pas-sur-que-je-me-presenterais-a-l-election-presidentielle-de-2024-concede-joe-biden_6226107.html">« Si Trump n’était pas candidat, je ne suis pas sûr que je me présenterais »</a> : les mots de Joe Biden sont clairs. Le président sortant se veut le garant de la démocratie américaine. Face à la « menace Trump », Biden se positionne en « président normal ». C’est son principal et pour ainsi dire véritable argument.</p>
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<p>Sans Donald Trump, le Parti démocrate aurait bien plus de mal à fédérer son aile gauche. Face à son prédécesseur, Biden continue d’apparaître comme une alternative préférable. Mais en irait-il autant face à un <a href="https://www.europe1.fr/international/etats-unis-plus-jeune-moins-extravagant-ron-desantis-a-t-il-une-chance-de-battre-donald-trump-4185126">Ron DeSantis</a>, plus jeune, ou face à une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/29/les-milliardaires-misent-desormais-sur-nikki-haley-pour-battre-donald-trump_6202930_3210.html">Nikki Haley</a>, femme, plutôt modérée dans le camp républicain et, en outre, issue d’une minorité ethnique ?</p>
<p><a href="https://fr.euronews.com/2023/12/06/donald-trump-je-ne-serai-pas-un-dictateur-sauf-le-premier-jour">« Je ne serai pas un dictateur, sauf le premier jour »</a> : les intentions affichées de Donald Trump font planer une menace grave sur les institutions américaines. De ce fait, le vote s’annonce comme un scrutin doublement contraint. Trump comme Biden sont deux favoris par défaut. Les Américains devront choisir non pas le meilleur mais le moins pire des candidats. Une confrontation toute négative qui suscite un <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/12/20/biden-trump-2024-presidential-race-no-one-wants-00132791">taux d’insatisfaction record chez les électeurs</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, « l’épouvantail Trump » peut se révéler l’arme la plus dissuasive. Habituellement, lorsqu’un président sortant se représente, l’élection prend l’allure d’un référendum pour ou contre lui. En 2024, deux sortants se présenteront. Et le « plébiscite » portera d’abord sur celui qui a déjà perdu en 2020 : c’est la grande nouveauté.</p>
<h2>Des favoris par défaut</h2>
<p>Lors de cette même élection, Joe Biden avait annoncé ne s’engager que pour un seul mandat. Malgré <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/presidentielle-americaine-2024-et-si-l-age-de-joe-biden-n-etait-pas-un-handicap-20230921">son âge avancé</a>, il s’est ravisé suite aux résultats encourageants des <a href="https://theconversation.com/apres-les-elections-de-mi-mandat-quattendre-de-la-presidence-biden-194464"><em>midterms</em></a> et a fait savoir en mai 2023 qu’il serait <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-nord/etats-unis/etats-unis-joe-biden-annonce-sa-candidature-a-sa-reelection-en-2024_AN-202304250393.html">candidat à sa propre succession</a>.</p>
<p>Sa vice-présidente actuelle et colistière pour 2024 Kamala Harris demeure en retrait. Quant aux prétendants déclarés à l’investiture démocrate, faute de notoriété ou d’appui du parti, ils piétinent, que ce soit <a href="https://marianne2024.com/">Marianne Williamson</a>, 71 ans, auteure d’ouvrages de développement personnel, ou <a href="https://www.dean24.com/">Dean Phillips</a>, entrepreneur millionnaire et député du Minnesota. Enfin, Robert F. Kennedy Jr, surtout médiatisé pour son patronyme et <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/06/05/le-candidat-complotiste-robert-f-kennedy-jr-obtient-le-soutien-de-jack-dorsey-et-une-interview-avec-elon-musk_6176228_4408996.html">ses positions complotistes</a>, a finalement décidé de se présenter en tant qu’Indépendant. Aucun de ces rivaux n’est en mesure d’altérer la prime au sortant dont bénéficie Joe Biden. Sauf incident grave de santé, ce dernier sera le candidat démocrate. Avec un seul défi, mais de taille : tenir physiquement et médiatiquement l’épreuve de la campagne, c’est-à-dire éviter les gaffes et les défaillances lors des nombreux déplacements, interviews ou débats.</p>
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<p>Les primaires du Parti républicain sont, elles, plus concurrentielles. Hors Trump, les quatre principaux candidats toujours en lice sont Ron DeSantis, gouverneur de Floride ; Nikki Haley, ancienne ambassadrice aux Nations unies ; Vivek Ramaswamy, jeune entrepreneur pro-Trump ; et Chris Christie, ancien gouverneur du New Jersey. Aucun ne menace réellement Donald Trump. Ce constat déjoue les pronostics car les <a href="https://aoc.media/opinion/2022/11/13/midterms-la-fin-politique-de-biden-et-trump/">partisans de l’ex-président ont essuyé de sévères défaites aux élections de mi-mandat</a>.</p>
<p>Certes, plusieurs procès devraient s’ouvrir au premier semestre 2024 (<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/etats-unis-on-vous-resume-l-affaire-qui-lie-donald-trump-a-l-actrice-de-films-pornographiques-stormy-daniels_5719274.html">Stormy Daniels</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/28/documents-classifies-donald-trump-accuse-d-avoir-voulu-effacer-des-images-de-videosurveillance-utiles-a-l-enquete_6183648_3210.html">documents classifiés</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/assaut-du-capitole-la-commission-denquete-parlementaire-demande-que-donald-trump-soit-juge-1890711">invasion du Capitole</a>), mais nul ne peut en prédire les effets. Ce qui est sûr, c’est que la tentative de l’équipe Trump de mettre en équivalence ses déboires judiciaires avec l’inculpation du fils de Joe Biden pour fraude fiscale n’a pas porté ses fruits, même si une <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20231213-le-congr%C3%A8s-am%C3%A9ricain-approuve-l-ouverture-formelle-d-une-enqu%C3%AAte-en-destitution-de-joe-biden">enquête pour destitution a été ouverte à l’encontre du président en exercice</a>.</p>
<p>Donald Trump garde ainsi les plus grandes chances d’être désigné comme candidat républicain. Il bénéficie notamment d’un fort ancrage chez les électeurs les plus riches comme chez les moins éduqués ; or 60 % des électeurs républicains ont un niveau d’éducation inférieur ou égal au bac, contre 30 % chez les Démocrates. Cette position lui assure un net avantage au sein de l’état-major du parti, qui continue de se déchirer sur ses chances de l’emporter en novembre prochain. La popularité de Trump continue de le protéger. Mais avec une fragilité : sa fortune se joue désormais hors des bureaux de vote.</p>
<h2>Des électorats désorientés</h2>
<p>La base électorale du Parti démocrate est en revanche moins stable. Si les catégories urbaines éduquées votent traditionnellement en sa faveur, leur influence est plutôt minorée par le mode de scrutin qui accentue le poids des États ruraux et peu peuplés. Cet électorat pose une autre difficulté : il se divise, depuis le 7 octobre dernier, au sujet du <a href="https://thehill.com/homenews/house/4355912-israel-palestine-democratic-divisions/">soutien militaire à Israël</a> ou de <a href="https://www.axios.com/2023/12/14/antisemitism-vote-harvard-mit-house-democrats">l’antisémitisme gagnant les campus universitaires</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-le-conflit-israelo-palestinien-deborde-sur-les-campus-americains-217836">Quand le conflit israélo-palestinien déborde sur les campus américains</a>
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<p>Les Démocrates sauront-ils rebondir sur le thème de l’avortement ? <a href="https://theconversation.com/fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-moins-de-democratie-plus-de-religion-184914">Maladroitement remis en scène par leurs adversaires</a>, cet enjeu facile (<em>easy issue</em>) a valu au parti un <a href="https://www.kff.org/womens-health-policy/press-release/new-kff-survey-finds-abortion-remains-key-issue-for-voters-with-democrats-holding-a-sizeable-edge-over-republicans-a-third-of-women-say-theyll-only-vote-for-someone-who-shares-their-views/">soutien décisif dans l’électorat féminin</a>. </p>
<p>Généralement, la dynamique d’une primaire est de cliver pour motiver sa base. L’année qui s’ouvre sera différente pour les Démocrates. Cherchant à recueillir les voix des Indépendants, ou au moins à démobiliser celles des Républicains modérés, ils ont un impératif : ne pas fragmenter leur socle électoral. L’autre ligne de front est d’accroître la participation des publics qui leur sont proches en luttant contre la législation sur l’identification des électeurs, en favorisant le vote anticipé, en séduisant les jeunes récemment entrés dans l’électorat, d’autant que <a href="https://iop.harvard.edu/youth-poll/46th-edition-fall-2023">leur taux d’approbation de Biden avoisine les 35 %</a>…</p>
<p>S’il possède la stratégie la plus fédératrice, le président Biden voit néanmoins se profiler un danger : son déclin relatif chez les <a href="https://abcnews.go.com/538/biden-losing-support-people-color/story?id=105272263">minorités</a>. Ce vote, généralement déterminant pour son parti, est affaibli par un <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/28/business/economy/democrats-biden-economy.html">bilan économique en demi-teinte</a>. Le grand projet de Biden d’investir dans les infrastructures a paradoxalement renforcé l’inflation, au détriment des classes moyennes et modestes qui ont vu leur pouvoir d’achat rogné. Cela pourrait démobiliser cet électorat plutôt modéré.</p>
<p>La bonne nouvelle, c’est un taux de chômage historiquement bas (3,7 % au 19 décembre 2023). Reste que la promesse de relever le salaire minimum n’a pas été tenue. Et si le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/16/etats-unis-joe-biden-promulgue-son-vaste-plan-sur-le-climat-et-la-sante_6138203_3210.html">plan climat</a> a séduit les jeunes et les progressistes, ce n’est pas le type de politique publique dont les retombées sont les plus tangibles à court terme. Rien à voir en tout cas avec la hausse des prix des biens de consommation ou des taux d’intérêt obérant l’accès à la propriété. L’enthousiaste « Yes we can » des années Obama appartient bien à l’histoire.</p>
<h2>Un contexte international inflammable</h2>
<p>À l’orée de 2024, la fièvre s’est donc emparée des observateurs, et cela bien au-delà de l’Amérique. Sur quels clivages le scrutin se jouera-t-il ? L’implication des États-Unis en Ukraine ou au Proche-Orient pousse à ouvrir un débat sur l’équilibre budgétaire. Pas sûr toutefois que cette question, ou même l’affaiblissement du rival historique russe par une <em>proxy war</em>, intéresse plus les électeurs que les enjeux liés à l’immigration, notamment la sécurisation de la frontière sud fragilisée par <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/fin-du-titre-42-aux-etats-unis-la-question-migratoire-une-epine-dans-le-pied-de-joe-biden_5780600.html">l’expiration des mesures de restriction anti-Covid</a>. Le <a href="https://www.cbsnews.com/news/biden-mexico-obrador-migrants-border/">déplacement de Joe Biden au Mexique</a> fin décembre 2023 indique l’importance de cette question pour le candidat démocrate.</p>
<p>Le sujet de préoccupation qui focalise le plus l’attention en matière internationale reste la rivalité avec la Chine sur les plans économique et militaire, concernant notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/12/dialogue-tendu-entre-la-chine-et-les-etats-unis-sur-taiwan_6129914_3210.html">l’avenir de Taïwan</a>. On l’aura compris : ce scrutin s’annonce comme celui de tous les dangers. La plus ancienne démocratie est en prise avec une figure dont Tocqueville craignait déjà l’avènement : celle soulevant « d’ardentes sympathies et de dangereuses passions populaires », alors que le pays hésite comme jamais à assumer son rôle de gendarme du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220235/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisa Chelle a reçu des financements de l'Institut universitaire de France.</span></em></p>Trump ? Biden ? Ou quelqu’un d’autre ? La course à la présidentielle américaine tiendra l’Amérique et le monde en haleine jusqu’à l’élection du 5 novembre prochain.Elisa Chelle, Professeure des universités en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2108382023-09-04T18:30:45Z2023-09-04T18:30:45ZThéories du complot : comment les réseaux sociaux les propagent et permettent une escalade vers la violence <figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544011/original/file-20230822-29-amc3hz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C9%2C3254%2C2433&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les fausses déclarations répétées de l'ancien président américain Donald Trump selon lesquelles l'élection de 2020 lui aurait été "volée" ont finalement conduit ses partisans à attaquer le Capitole américain le 6 janvier 2021.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:DC_Capitol_Storming_IMG_7961.jpg">TapTheForwardAssist / Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Bien que les <a href="https://theconversation.com/podcast-resister-aux-theories-du-complot-et-aux-faits-alternatifs-77214">théories du complot</a>, et plus largement la désinformation, reposent sur des bases infondées, elles ne sont pas dénuées d’effets nuisibles concrets. Elles déclenchent un éventail de conséquences préjudiciables dans la réalité : propagation de fausses informations, ébranlement de la confiance dans les médias et les institutions gouvernementales, incitation à des comportements violents, voire extrémistes.</p>
<p>Par exemple, certaines théories du complot prétendent que la pandémie de Covid-19 <a href="https://theconversation.com/conspiracy-theorists-are-falsely-claiming-that-the-coronavirus-pandemic-is-an-elaborate-hoax-135985">est un canular</a> ou un complot ourdi par un groupe secret visant à <a href="https://www.forbes.com/sites/saradorn/2023/07/18/rfk-jrs-family-denounces-claim-that-jews-chinese-are-immune-to-Covid-here-are-all-the-other-conspiracies-he-promotes/">contrôler la population mondiale</a>. De telles croyances peuvent conduire au rejet de mesures de santé publique essentielles, telles que le port de masques ou la vaccination, et mettre ainsi la population en danger. Ces théories peuvent même éroder la crédibilité et l’autorité des institutions scientifiques et politiques, telles que l’Organisation mondiale de la santé ou les Nations unies, et favoriser la méfiance et la polarisation des opinions.</p>
<p>Poussées à l’extrême, les théories du complot peuvent également inciter certains individus ou groupes à recourir à la violence. Des récits mensongers selon lesquels l’élection présidentielle américaine de 2020 aurait été « volée » ont été à l’origine de l’<a href="https://www.nytimes.com/2020/11/10/us/politics/voting-fraud.html">attaque du Capitole</a> des États-Unis le 6 janvier 2021. Un autre exemple est l’incident du <a href="https://www.washingtonpost.com/local/pizzagate-from-rumor-to-hashtag-to-gunfire-in-dc/2016/12/06/4c7def50-bbd4-11e6-94ac-3d324840106c_story.html">« Pizzagate »</a> en 2016 : en croyant à tort qu’une pizzeria de Washington était une couverture pour un réseau pédophile impliquant des démocrates de haut rang, un homme de Caroline du Sud s’est rendu en voiture dans la capitale, est entré dans le restaurant avec un fusil d’assaut et a terrifié les employés et les clients en cherchant des preuves inexistantes d’un crime qui n’a jamais eu lieu.</p>
<p>Ces deux exemples montrent que les <a href="https://theconversation.com/theories-du-complot-de-quoi-ne-parle-t-on-pas-162485">théories du complot</a> et la désinformation en ligne ne sont pas des conversations anodines. Au contraire, elles peuvent constituer une menace sérieuse pour la sécurité individuelle et collective, la cohésion sociale et même la stabilité démocratique.</p>
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<figcaption><span class="caption">En dépit des faits, des conspirationnistes ont prétendu que Comet Ping Pong, une pizzeria de Washington, servait de couverture à un réseau pédophile.</span></figcaption>
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<p>Les communautés qui adhèrent à ces théories se développent et se propagent en ligne. Les réseaux sociaux, y compris les forums, permettent à ces groupes de se former, d’avoir un accès continu et répété à des <a href="https://theconversation.com/les-theories-du-complot-a-la-lumiere-de-leur-rhetorique-77811">informations qui renforcent leurs croyances</a> et se forger un sentiment d’identité commune. Face aux preuves qui contredisent leurs croyances, ces groupes ne s’affaiblissent pas : ils choisissent souvent de renforcer leur engagement, ce qui entraîne parfois une radicalisation. Pour beaucoup, l’idée d’abandonner ces illusions est tout simplement impensable – ils sont trop profondément investis.</p>
<p>Cette identification est la raison pour laquelle les stratégies courantes pour lutter contre la désinformation ou les théories du complot (vérification des faits, réfutation détaillée, présentation de points de vue alternatifs…) échouent et peuvent même contribuer à pousser ces communautés à se montrer encore plus déterminées.</p>
<h2>Pourquoi et comment les théories du complot se développent-elles ?</h2>
<p>Dans notre <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/isj.12427">récente étude</a>, nous avons cherché à comprendre <em>pourquoi</em> et <em>comment</em> les théories du complot persistent et persévèrent dans le temps sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Nous avons constaté que les médias sociaux peuvent contribuer à forger une identité commune propice à la radicalisation par les théories du complot. En effet, ils agissent comme une chambre d’écho pour de telles croyances – les caractéristiques principales des médias sociaux jouent un rôle crucial dans la construction et le renforcement de chambres d’écho identitaires.</p>
<p>Par exemple, ils facilitent le processus d’adhésion croissante en de telles théories en offrant un accès facile et persistant à du contenu qui alimente les croyances déformées des individus. Ces personnes se voient comme des « enquêteurs de la vie réelle », tout en cherchant sur Internet uniquement des informations qui <a href="https://www.britannica.com/science/confirmation-bias">confirment leurs croyances préexistantes</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VVqp2D4EiR0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les réseaux en ligne permettent également aux individus de dupliquer facilement les théories du complot en partageant du contenu ou en le copiant/collant. Ces informations sont donc rapidement visibles pour les abonnés ou les membres d’un forum, puis par le biais de hashtags et d’algorithmes utilisés par certaines plates-formes. Notre étude identifie quatre étapes clés dans l’escalade de ces croyances complotistes.</p>
<ol>
<li><p><strong>Confirmation de l’identité</strong> : Les utilisateurs consultent et visionnent différents types de contenus (via les forums, les médias grand public et les médias sociaux) pour vérifier et confirmer activement leurs propres opinions.</p></li>
<li><p><strong>Affirmation de l’identité</strong> : Les informations provenant des sources susmentionnées sont sélectionnées en fonction des préférences et dissociées de leur contexte par les individus. Dans le cas du « Pizzagate », des personnes enclines aux théories du complot ont pris des photos du travail de la Fondation Clinton en Haïti, ont créé des documents visuels étayant des liens supposés avec un réseau de trafic sexuel, puis les ont publiés sur Reddit et 4chan. Bien que manifestement modifiées et sorties de leur contexte, les images ont été largement partagées pour promouvoir la théorie du complot.</p></li>
<li><p><strong>Protection de l’identité</strong> : Les individus protègent leur « environnement informationnel » en cherchant activement à discréditer les personnes ou les organisations qui présentent des preuves contradictoires, par exemple par des publications ou des commentaires antagonistes ou négatifs.</p></li>
<li><p><strong>Réalisation de l’identité</strong> : Les individus cherchent à obtenir l’approbation sociale d’un public plus large. Cela peut conduire à des efforts pour recruter davantage de personnes et appeler à des actions violentes, en s’appuyant sur la base d’utilisateurs de la communauté.</p></li>
</ol>
<p>Ces étapes constituent une spirale, sorte de cercle vicieux renforçant une identité sociale complotiste partagée et permettant une escalade potentielle vers la radicalisation.</p>
<h2>De la prévention, et non des faits</h2>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/isj.12427">Nos résultats</a> soulignent la nécessité de repenser certaines approches actuelles dont la stratégie est de contrer la désinformation par les faits. Non seulement celles-ci se révèlent inefficaces, mais elles alimentent même les croyances conspirationnistes. Nous encourageons donc les organes politiques à se concentrer sur la prévention et à soutenir l’éducation.</p>
<p>Développer la culture médiatique et le discernement critique des citoyens est devenu un impératif majeur pour les aider à évaluer la crédibilité et la validité des sources d’information en ligne. Parmi les compétences à renforcer figurent l’analyse, la synthèse, la confrontation d’éléments de preuves et d’options pour déceler les faiblesses et les incohérences.</p>
<p>Il est également important de s’attaquer aux problèmes sociaux sous-jacents qui peuvent contribuer à la propagation des théories du complot. Les communautés adeptes des théories du complot sont souvent constituées de personnes marginalisées dans notre société – l’existence de ces communautés est rendue possible par l’exclusion sociale. S’attaquer à l’exclusion sociale et promouvoir des valeurs collectives peuvent également contribuer à combattre la propagation des théories du complot.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Abdalla Mikhaeil est membre de l'Association for Information Systems (AIS)</span></em></p>Propagation de fausses informations, ébranlement de la confiance en les médias et les institutions, incitation à des comportements violents : les théories du complot ont des conséquences bien réelles.Christine Abdalla Mikhaeil, Assistant professor in information systems, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2110052023-08-03T19:05:59Z2023-08-03T19:05:59ZLes États-Unis au bord d'une nouvelle guerre civile, gracieuseté de Donald Trump<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541083/original/file-20230803-25-5q0v45.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C1920%2C1273&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'ancien président Donald Trump arrive à un meeting de campagne le 29 juillet en Pennsylvanie, quelques jours avant son inculpation pour avoir tenté de renverser les résultats de l'élection présidentielle de 2020. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Sue Ogrocki)</span></span></figcaption></figure><p>L’inculpation de l’ex-président des États-Unis, Donald Trump, accusé d’avoir tenté de renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020, constitue le test le plus sérieux dans l’histoire américaine en matière de gouvernement constitutionnel, et ce, depuis décembre 1860. C’est en effet à ce moment que <a href="https://constitutioncenter.org/the-constitution/historic-document-library/detail/south-carolina-declaration-of-secession-1860">l’État de Caroline du Sud a fait sécession</a> de l’Union, ce qui a déclenché les événements qui ont abouti à la guerre de Sécession. </p>
<p>Avant de réfléchir aux enjeux de cette crise, il convient toutefois de s’interroger sur ses racines profondes. </p>
<p>Comment un président battu a-t-il pu refuser d’accepter les résultats d’une élection <a href="https://www.vox.com/2020/11/13/21563825/2020-elections-most-secure-dhs-cisa-krebs">historiquement sûre</a>, provoquer une émeute au Capitole et conserver la loyauté inébranlable d’un tiers des Américains ? </p>
<p>Comment cette même personne pourrait-elle séduire environ un sixième des électeurs, ce qui lui permettrait de revenir au pouvoir en 2024 en tant que candidat républicain ? </p>
<h2>Des gens choisis</h2>
<p>En tant qu’historien qui essaie d’avoir une vision à long terme des événements actuels, je vois une explication sous-jacente qui remonte — aussi étrange que cela puisse paraître — à un simple passage d’un livre publié à Paris il y a 238 ans. </p>
<p>« Ceux qui travaillent le sol sont le peuple élu de Dieu. » C’est <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Thomas_Jefferson/125819">ce qu’a proclamé Thomas Jefferson en 1785</a> dans ses <a href="https://encyclopediavirginia.org/entries/notes-on-the-state-of-virginia-1785/"><em>Notes sur l’État de Virginie</em></a>, qu’il avait écrit à l’origine sous la forme d’une série de lettres destinées à un visiteur français. </p>
<p>Cette déclaration de Jefferson n’était pas que des paroles en l’air. <a href="https://www.whitehouse.gov/about-the-white-house/presidents/thomas-jefferson/">Après être devenu président en 1801</a>, il a utilisé le pouvoir du gouvernement fédéral pour étendre considérablement le domaine public des États-Unis et pour arpenter, diviser et vendre ce domaine au plus grand nombre possible de fermiers blancs. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des ouvriers nettoient le visage d’une grande sculpture rocheuse" src="https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540891/original/file-20230802-23891-5ett3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des ouvriers utilisent des nettoyeurs à pression pour nettoyer le visage de Thomas Jefferson au mémorial national du Mont Rushmore dans le Dakota du Sud.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Charlie Riedel)</span></span>
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</figure>
<p>Selon un historien, les premiers États-Unis étaient un <a href="https://site.pennpress.org/oah-2021/9780812224610/the-settlers-empire/">« empire des colons »</a>, une force politique et militaire dont l’objectif principal était de fournir aux familles d’agriculteurs (et aux spéculateurs) davantage de terres.</p>
<p>Il en a été ainsi pendant des générations. </p>
<p>Avec des changements et des variations mineurs, les partis et les présidents ont flatté et favorisé les majorités rurales des États-Unis. La culture américaine identifiait les fermiers et les petites villes comme les plus authentiques et les plus vertueux de la nation — ou, comme l’a dit le <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/farewell-address-0">président Andrew Jackson</a>, « les os et les nerfs du pays ». </p>
<p>Ces personnes, à leur tour, en sont venues à croire que c’était elles, et non la Couronne ou le Congrès, ni le gouvernement ou la Constitution, qui étaient aux commandes. </p>
<p>Cette évolution s’est poursuivie après l’abolition de l’esclavage à la suite de la guerre de Sécession dans les années 1860 et après que l’Amérique soit devenue une société majoritairement urbaine dans les années 1920. Ce n’est qu’avec les révolutions culturelles et sociales des années 1960 et 1970 que les héritiers du « peuple élu » de Jefferson ont perdu leur statut d’Américains les plus américains.</p>
<h2>Blanc, hétéro, chrétien</h2>
<p>Dans le meilleur des cas, la culture plus diversifiée qui a émergé au cours des cinquante dernières années considère que tous les Américains sont également américains. Dans le pire des cas, cette culture méprise les « fly-over states », qu’elle considère comme des gens de l’arrière-pays, rustiques et racistes. </p>
<p>Quoi qu’il en soit, la nouvelle Amérique diversifiée enrage des dizaines de millions de personnes qui vivent principalement dans des petites villes et dans le Sud et qui s’identifient pour la plupart comme des Blancs, des hétérosexuels et des chrétiens. </p>
<p>Tout New-Yorkais qu’il soit, Trump comprend et alimente cette rage. Il joue avec cette sombre énergie. Il dit aux fidèles du « Make American Great Again » qu’ils sont les seuls à avoir fait la grandeur de l’Amérique et qu’il est le seul à pouvoir leur redonner cette grandeur.</p>
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<img alt="Un homme, de dos, fait signe à des partisans brandissant des pancartes Trump 2024" src="https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5839%2C3889&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540875/original/file-20230802-29-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le candidat républicain à la présidence Donald Trump quitte un meeting de campagne à Erie, en Pennsylvanie, quelques jours avant son inculpation pour avoir comploté en vue de renverser les résultats de l’élection de 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Sue Ogrocki)</span></span>
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</figure>
<p>Voilà pourquoi Trump exerce une telle emprise sur un grand nombre de mes concitoyens.</p>
<p>Et maintenant qu’il fait l’objet de multiples inculpations, Trump leur demande de rejeter non seulement l’ordre constitutionnel des États-Unis, mais aussi leurs deux piliers — l’État de droit et l’État de fait.</p>
<p><a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/mar/05/i-am-your-retribution-trump-rules-supreme-at-cpac-as-he-relaunches-bid-for-white-house">Comme il l’a dit</a> aux fidèles lors de la réunion annuelle du Comité d’action politique conservateur en mars, « je suis votre guerrier : je suis votre justice. Et pour ceux qui ont été lésés et trahis : je suis votre châtiment ». </p>
<h2>Décision 2024</h2>
<p>Selon les accusations les plus récentes, Donald Trump n’a cessé de répéter — et d’agir sur la base — d’affirmations concernant l’élection que même ses conseillers les plus proches <a href="https://www.cnn.com/interactive/2023/08/politics/annotated-text-copy-trump-indictment-dg/">qualifiaient</a> « de la conspiration téléguidée depuis le vaisseau mère ». </p>
<p>La question de savoir si Trump lui-même savait que ces affirmations étaient fausses n’est pas claire, et l’avocat spécial chargé de l’affaire, Jack Smith, devra le démontrer pour établir la criminalité de l’ancien président.</p>
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<img alt="Une femme tient une banderole sur laquelle on peut lire Trump Indicted Again and Again à l’extérieur d’un bâtiment en pierre" src="https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540893/original/file-20230802-8820-uf6dw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un manifestant anti-Trump tient une banderole devant le tribunal fédéral de Washington après que l’ex-président a été inculpé par le ministère américain de la Justice pour ses efforts visant à renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Jose Luis Magana)</span></span>
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<p>Trump a <a href="https://www.newsweek.com/trump-reacts-jan-6-indictment-fake-charges-1816792">déjà qualifié les actes d’accusation de « faux »</a>, tandis que l’une de ses plus ferventes partisanes au Congrès américain, Marjorie Taylor Greene, de la Géorgie rurale, <a href="https://www.newsweek.com/marjorie-taylor-greene-vote-trump-prison-1816957">insiste sur le fait que les accusations sont « une attaque communiste »</a> contre le premier amendement et « le peuple ».</p>
<p>Dans le monde du « Make American Great Again », si une agence fédérale affirme que Trump a violé la loi ou dit un mensonge, cela ne peut que signifier que l’agence fait partie du complot contre le peuple — une cible du châtiment promis par Trump.</p>
<p>Entre sa mise en accusation cette semaine et le jour de l’élection en novembre prochain, l’Amérique devra donc choisir entre la primauté du droit et des faits, d’une part, et la primauté du peuple élu et de son chef, d’autre part.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211005/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jason Opal est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>L’histoire peut expliquer en partie pourquoi certains Américains croient que seul Donald Trump a leurs intérêts à cœur, et voteront pour lui – et se battront pour lui – malgré ses mises en accusation.Jason Opal, Professor of History, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070542023-06-11T16:19:55Z2023-06-11T16:19:55ZInculpations, scandales… Comment expliquer la popularité de Donald Trump auprès des électeurs républicains ?<p>Après une <a href="https://theconversation.com/donald-trump-mis-en-examen-quelles-consequences-pour-sa-candidature-a-la-presidentielle-de-2024-203071">première inculpation</a>, en mars dernier, par le procureur de Manhattan dans l’affaire Stormy Daniels, Donald Trump vient d’être à nouveau inculpé, cette fois au niveau fédéral, pour des motifs beaucoup plus graves : il est accusé d’avoir <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/08/us/politics/trump-indictment-charges.html">violé la loi sur l’espionnage</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/10/comment-donald-trump-a-voulu-dissimuler-la-conservation-illegale-de-documents-classifies_6176977_3210.html">mis en danger la sécurité des États-Unis</a> en conservant illégalement, après son départ de la Maison Blanche, des documents classés secret défense.</p>
<p>Un coup dur pour sa candidature à la présidentielle 2024 ? Pas nécessairement.</p>
<h2>« Une attaque politique des Démocrates »</h2>
<p>Sans surprise, face à cette inculpation fédérale, Trump <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IwRLNazAFG8">clame son innocence</a>, accusant l’administration Biden d’« ingérence électorale au plus haut niveau » et d’« instrumentalisation du Département de la Justice et du FBI ». Cette défense, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XIs78EJqCEQ">reprise par Fox News</a>, est aussi celle adoptée par des <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/trump-second-indictment-republicans-defend-1234767431/">ténors du Parti républicain</a>, y compris Kevin McCarthy, le président de la Chambre des représentants. </p>
<p>Même <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/09/us/politics/trump-republicans-polls-2024.html">ses adversaires aux primaires</a>, à commencer par son principal rival, <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/4041851-trump-indictment-desantis-blasts-weaponization-of-federal-law-enforcement/">Ron DeSantis</a>, se trouvent forcés d’adhérer à ce récit : une inculpation qui serait une attaque politique de Joe Biden contre l’un des principaux candidats à l’investiture présidentielle du Parti républicain. </p>
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<p>Si les Républicains les plus en vue défendent l’ancien président ou restent silencieux, c’est que Donald Trump reste très populaire chez leurs électeurs. Il est en <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-primary-r/2024/national/">tête des sondages</a> aux primaires avec plus de 50 % des intentions de vote. Surtout, il distance son adversaire principal DeSantis par 30 points, un écart qui continue de se creuser, y compris <a href="https://www.fau.edu/newsdesk/articles/april2023-voter-poll">dans l’État de Floride</a> où DeSantis a pourtant été <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/08/us/politics/desantis-wins-florida-governor.html">réélu gouverneur à une très large majorité</a> en 2022.</p>
<p>Cette nouvelle inculpation, comme les affaires et scandales précédents, a peu de chances d’entamer le soutien des électeurs républicains à l’ancien président. Elle pourrait même le renforcer, d’autant que, s’il est reconnu coupable, Trump <a href="https://medium.com/@natroll/archives-de-la-maison-blanche-non-trump-ne-sera-pas-in%C3%A9ligible-1adbe29173de">resterait de toute façon éligible</a>.</p>
<p>En effet, selon la Constitution et le <a href="https://constitution.congress.gov/browse/amendment-14/#:%7E:text=No%20State%20shall%20make%20or,equal%20protection%20of%20the%20laws.">14ᵉ amendement</a>, seule une <a href="https://www.lawfareblog.com/disqualification-office-donald-trump-v-39th-congress">condamnation pour insurrection ou rébellion</a> pourrait le disqualifier. Théoriquement, il pourrait donc faire campagne depuis une prison, comme l’a déjà fait un autre candidat, <a href="https://www.washingtonpost.com/dc-md-va/2019/09/22/socialist-who-ran-president-prison-won-nearly-million-votes/">Eugene Debbs, en 1920</a>. Et s’il venait à être élu, il tenterait sans doute de <a href="https://verdict.justia.com/2023/04/12/can-a-president-serve-from-prison-we-might-find-out#:%7E:text=Yes%2C%20he%20would%20be%20subject,unlikely%20to%20invoke%20those%20processes.">se gracier lui-même</a> de ses crimes fédéraux. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tweet de Kevin McCarthy en soutien à Donald Trump.</span>
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<p>Comment Donald Trump, qui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/07/etats-unis-donald-trump-le-president-insurrectionnel_6065424_3210.html">a encouragé une insurrection</a>, subi <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/majority-of-house-members-vote-for-2nd-impeachment-of-trump">deux procédures de destitution</a>, été <a href="https://www.lopinion.fr/international/donald-trump-mis-en-examen-ce-quil-faut-savoir">mis en examen</a> et reconnu <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/09/donald-trump-reconnu-responsable-de-l-agression-sexuelle-de-l-ex-journaliste-e-jean-carroll-par-un-tribunal-civil-de-new-york_6172691_3210.html">coupable d’agression sexuelle</a>, qui fait toujours l’objet de <a href="https://www.nytimes.com/article/trump-investigations-civil-criminal.html">nombreuses enquêtes judiciaires</a> – y compris pour <a href="https://www.cnbc.com/2023/03/20/trump-seeks-to-block-georgia-election-interference-criminal-charges.html">interférence dans des élections</a>, et qui continue de <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/trump-continues-insults-of-rape-accuser-pushing-election-lies-during-cnn-town-hall">nier le résultat de la présidentielle de 2020</a>, peut-il encore dominer le camp républicain ?</p>
<p>Sur le papier, il semble pourtant y avoir un espace pour une alternative à Trump au sein du parti. Malgré les apparences, les pro-Trump qui soutiennent l’ancien président de manière indéfectible <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/11/america-has-anti-maga-majority/672047/">sont minoritaires</a> au sein des sympathisants républicains. Selon des calculs effectués en 2022, ils représenteraient environ le <a href="https://theconversation.com/how-a-divided-america-including-the-15-who-are-maga-republicans-splits-on-qanon-racism-and-armed-patrols-at-polling-places-193378">tiers des Républicains (30 à 37 %)</a>, soit à peu près 15 % des électeurs américains, un chiffre confirmé par un <a href="https://www.nbcnews.com/meet-the-press/meetthepressblog/share-republicans-identifying-trump-supporters-ticks-indictment-poll-f-rcna81195">sondage récent de NBC</a>.</p>
<h2>Des Républicains divisés</h2>
<p>Le problème réside dans le fait que, hormis cette base pro-Trump <a href="https://fivethirtyeight.com/features/trump-polls-very-conservative-voters-2016-2024/amp/">très radicalisée</a>, homogène et unie autour de l’ancien président, les <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/apr/10/republican-party-2024-divided7">électeurs républicains sont divisés</a>. Ceux qui seraient éventuellement prêts à opter pour un autre candidat que lui le sont pour des raisons variées et à des degrés divers. Et presque un tiers d’entre eux (soit 20 % des électeurs républicains) semblent ne pas avoir trouvé de candidat alternatif et se disent donc prêts à se rallier à Trump. </p>
<p>Le défi de n’importe quel concurrent de l’ancien président consiste non seulement à rassembler un pourcentage suffisamment important d’électeurs républicains sous une même bannière, mais aussi à se placer à la fois comme héritier et rival de Donald Trump. Or ce dernier n’hésite pas à attaquer violemment tout adversaire pouvant constituer une menace sérieuse, comme il le <a href="https://www.reuters.com/world/us/trump-is-attacking-desantis-hard-policy-amid-flurry-insults-2023-05-17/">fait avec DeSantis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-democratie-en-sursis-196524">États-Unis : la démocratie en sursis ?</a>
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<p>En dehors de l’ancien gouverneur du New Jersey <a href="https://edition.cnn.com/2023/06/06/politics/chris-christie-2024-announcement/index.html">Chris Christie</a> et de l’ex-vice-président <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0juZRV-u_S4">Mike Pence</a>, déjà perçus comme déloyaux avant même leur entrée en campagne, les candidats aux primaires évitent pourtant de s’en prendre frontalement à Trump, préférant <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/4019501-why-gop-candidates-are-piling-on-desantis-not-trump/">réserver leurs coups à DeSantis</a>. Attaquer Trump, c’est aussi laisser entendre que ses électeurs se sont trompés ou qu’ils ont été trompés.</p>
<p>En outre, l’ex-président <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/08/donald-trump-voit-d-un-bon-il-la-multiplication-des-candidatures-a-l-investiture-republicaine-pour-2024_6176660_3210.html">bénéficie de la multiplication de candidatures aux primaires</a> et de l’éparpillement des voix qu’elle engendre. Ils sont déjà une <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/05/27/top-10-gop-2024-presidential-candidates/">petite dizaine</a> à s’être officiellement déclarés, mais <a href="https://pro.morningconsult.com/trackers/2024-gop-primary-election-tracker">aucun ne semble encore émerger</a>. En effet, le scrutin majoritaire à un tour appliqué pour les primaires et le fait que, dans la plupart des États, le <a href="https://nymag.com/intelligencer/2023/03/2024-delegate-rules-could-give-trump-and-or-desantis-a-boost.html">candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix</a> remporte l’ensemble des délégués profitent à l’ex-locataire de la Maison Blanche. Fort de son socle électoral solide, ce dernier devrait d’autant plus facilement devancer ses poursuivants que ceux-ci seront nombreux et se déchireront entre eux. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1666819489823096832"}"></div></p>
<p>Enfin, il ne faut pas oublier que seule une toute petite minorité d’électeurs votent aux primaires . Il y avait <a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2016/06/10/turnout-was-high-in-the-2016-primary-season-but-just-short-of-2008-record/">moins de 15 % de participation</a> chez les Républicains en 2016, le taux le plus élevé en plus de 30 ans. Il est communément admis que c’est la frange la plus radicalisée qui vote pour ce scrutin, bien que les <a href="https://www.newamerica.org/political-reform/reports/what-we-know-about-congressional-primaries-and-congressional-primary-reform/are-primaries-a-problem/">études à ce sujet soient peu concluantes</a>.</p>
<h2>DeSantis : un rival plus radical mais moins charismatique</h2>
<p>La stratégie adoptée par Ron DeSantis est de faire une campagne à la droite de Trump sur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/31/etats-unis-l-iowa-terre-privilegiee-de-l-affrontement-entre-donald-trump-et-ron-desantis_6175516_3210.html">thèmes de guerre culturelle</a> : il se positionne comme étant radicalement <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/may/24/florida-governor-ron-desantis-history">anti-woke</a>, <a href="https://apnews.com/article/florida-abortion-ban-approved-c9c53311a0b2426adc4b8d0b463edad1">anti-avortement</a>, <a href="https://www.nbcnews.com/nbc-out/out-politics-and-policy/desantis-signs-dont-say-gay-expansion-gender-affirming-care-ban-rcna84698">anti-transgenre et LGBT</a>, mais aussi <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-02-15/desantis-strategy-to-win-voters-with-gun-laws-poses-2024-campaign-risk">pro-armes</a>. Reste que, ce faisant, DeSantis cherche à séduire un segment de l’électorat assez similaire à celui de Trump.</p>
<p>Décrit par le <em>Financial Times</em> comme un <a href="https://www.ft.com/content/3aa3b7a6-8f72-4c37-82dd-d98946198aa7">« Donald Trump avec un cerveau et sans le mélodrame »</a>, il <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/03/14/desantis-charisma-presidency/">n’a pas le charisme</a> de ce dernier. Son style de gouvernance en Floride, basé sur <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/03/ron-desantis-2024-florida-authoritarian/673483/">l’autoritarisme</a> et une <a href="https://www.wsj.com/articles/disney-says-desantis-allies-are-weaponizing-the-power-of-government-eab0e30b">instrumentalisation politique</a> des institutions, y compris les <a href="https://nymag.com/intelligencer/2023/01/ron-desantis-florida-schools-censorship-universities-dont-say-gay-stop-woke.html">établissements d’enseignement</a>, rappelle davantage <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2022/4/28/23037788/ron-desantis-florida-viktor-orban-hungary-right-authoritarian">celui de Viktor Orban</a> que celui de l’ancien président américain. De plus, après avoir chanté les louanges de Donald Trump, il doit maintenant l’attaquer sans sembler se contredire ou, pis, passer pour un <a href="https://www.politico.com/newsletters/florida-playbook/2022/11/11/trump-rips-desantis-as-disloyal-00066427">traître</a> auprès de la base.</p>
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<figcaption><span class="caption">Spot de campagne de DeSantis en 2018 en vue de l’élection du gouverneur de Floride.</span></figcaption>
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<h2>Le ressentiment racial et une crise identitaire comme facteurs d’unité</h2>
<p>Dès que l’ancien président est mis en difficulté, par exemple au moment de sa première mise en examen, une <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2024-election/nbc-news-poll-nearly-70-gop-voters-stand-trump-indictment-investigatio-rcna80917">vaste majorité (70 %) de sympathisants républicains</a> s’est ralliée à lui et a semblé adhérer à l’idée que toute inculpation est <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/31/donald-trump-indictment-00090001">motivée par des considérations politiques</a>. De même, et de façon plus inquiétante, une majorité continue de <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/03/14/election-deniers-evidence-belief/">croire que l’élection de 2020 leur a été volée</a>, y compris une partie de ceux qui reconnaissent, aujourd’hui, l’absence de preuve.</p>
<p>Cette permanence du soupçon illustre non seulement que la perception compte davantage que la réalité, mais aussi qu’il existe une forme de paranoïa symptomatique d’une crise identitaire dont les racines se situent dans <a href="https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2017/12/15/racial-resentment-is-why-41-percent-of-white-millennials-voted-for-trump-in-2016/">l’anxiété économique et le ressentiment racial</a>. La recherche a largement documenté (<a href="https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/537A8ABA46783791BFF4E2E36B90C0BE/S1049096518000367a.pdf/explaining_the_trump_vote_the_effect_of_racist_resentment_and_antiimmigrant_sentiments.pdf">ici</a>, <a href="https://academic.oup.com/poq/article-abstract/83/1/91/5494625">ici</a>, <a href="https://centerforpolitics.org/crystalball/articles/the-transformation-of-the-american-electorate/">ici</a> ou <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691174198/identity-crisis">ici</a>) que les électeurs de Donald Trump étaient essentiellement blancs, non diplômés, évangéliques et de classe moyenne. Ces études concluent également que ce sont d’abord les questions d’identité – surtout liées à la race, à l’immigration, à la religion et au genre –, davantage que l’économie, qui ont été les forces motrices de l’élection de Trump en 2016.</p>
<p>Pour une partie de cet électorat américain blanc, il existe en effet ce que la <a href="https://www.goodreads.com/book/show/28695425-strangers-in-their-own-land">sociologue Arlie Hochschild</a> appelle <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/12/deep-story-trumpism/617498/">« une histoire profonde »</a> :celle de Blancs de la classe moyenne qui seraient mis à l’écart par des groupes minoritaires, abandonnés par le gouvernement, <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/13/new-research-shows-connection-between-political-victimhood-white-support-trump/">victimisés</a> et traités avec mépris par une élite de gauche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-grand-desarroi-de-la-majorite-blanche-aux-etats-unis-146993">Le grand désarroi de la majorité blanche aux États-Unis</a>
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<p>Le ressentiment de ces Blancs non diplômés qui se jugent délaissés vient en partie de leur affaiblissement démographique : leur part dans l’électorat est passée de <a href="https://centerforpolitics.org/crystalball/articles/the-transformation-of-the-american-electorate/">69 % en 1980 à 39 % en 2020, et devrait tomber à 30 % d’ici à 2032</a>. </p>
<h2>Une stratégie de l’émotion</h2>
<p>Le succès de Donald Trump vient de son charisme et de sa capacité à utiliser une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/sep/02/donald-trump-strategy-republican-national-convention">stratégie de l’émotion</a> basée sur la peur, le sentiment de rancune et d’humiliation. Ceci en s’appuyant sur <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2018/11/01/donald-trump-elite-trumpology-221953/">sa propre rancœur envers les élites</a> new-yorkaises, puis envers Barack Obama à travers ses allégations de <a href="https://theconversation.com/birtherism-trump-and-anti-black-racism-conspiracy-theorists-twist-evidence-to-maintain-status-quo-174444"><em>birtherism</em></a>, l’élection d’un président noir ayant contribué à <a href="https://www.washingtonpost.com/business/how-evangelical-voters-swung-from-carter-to-trump/2023/03/01/e43a7112-b833-11ed-b0df-8ca14de679ad_story.html">polariser encore plus la politique américaine autour de la question raciale</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation pro-Trump à New York pendant sa comparution devant la justice dans le cadre de l’affaire Stormy Daniels, le 4 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/protrump-supporters-rally-new-york-criminal-2284802573">Lev Radin/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce qui est remarquable, et peut-être contre-intuitif, c’est que ce récit de ressentiment racial est parfois même adopté par des minorités qui éprouvent de <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/trump-vote-rising-among-blacks-hispanics-despite-conventional-wisdom-ncna1245787">l’antipathie à l’égard d’autres groupes minoritaires</a>. Une <a href="http://www.beacon.org/Racial-Innocence-P1822.aspx">étude récente</a> montre, par exemple, la croissance du nombre de Latinos, comme d’autres personnes de couleur, dans le mouvement suprémaciste blanc.</p>
<p>Enfin, Trump a pu s’appuyer sur la peur des chrétiens blancs évangéliques, comme l’a montré <a href="https://wwnorton.com/books/9781631495731">Kristin Kobes Du Mez</a>, en leur offrant un récit du « carnage américain » qui résonne avec leurs croyances eschatologiques de <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/7/9/21291493/donald-trump-evangelical-christians-kristin-kobes-du-mez">déclin et de destruction à la fin des temps</a>.</p>
<h2>Trump, martyr et superhéros</h2>
<p>Donald Trump a construit autour de sa personne un récit où il est une <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2017/11/victim-in-chief/544463/">victime</a>, voire un martyr, auquel <a href="https://www.psypost.org/2021/01/egocentric-victimhood-is-linked-to-support-for-trump-study-finds-59172">s’identifie cet électorat</a> et, en même temps, un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vk_RjS_P_tM">superhéros</a> <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1536504220920189">hypemasculinisé</a> dans lequel ses partisans peuvent se projeter, y compris quand la victime annonce qu’elle se fera bourreau des responsables de leurs malheurs . À la veille des élections de 2016 il se disait ainsi être la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ehvUQrRDyyU">voix des « oubliés »</a> ; avant celles de 2024, il <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qG0ko3rMWig">se présente</a> comme leur « guerrier » et leur justicier, promettant d’être la « rétribution » et le « châtiment » pour « ceux qui ont été lésés et trahis ».</p>
<p>Cette vengeance pourrait même s’abattre sur les Républicains qui le trahiraient. N’oublions pas que le leadership à la Chambre de Kevin McCarthy dépend d’une majorité si faible qu’il est <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/jan/15/kevin-mccarthy-house-speaker-trump-republican-influence">à la merci de la frange la plus pro-Trump des élus</a> de son parti. De la même façon, le Grand Old Party est pris en otage par <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/05/18/donald-trump-paradox-gop-00097458">ce mouvement minoritaire mais puissant</a>, dont la seule constance est la loyauté envers son chef, Donald Trump, quitte à affaiblir le parti et faire perdre des élections. </p>
<p>Dans un tel contexte, on peut légitimement se poser la question de ce qui se passerait si Trump devait perdre les primaires républicaines. Il n’est pas impossible qu’il rejette alors les résultats, et affirme qu’elles ont été truquées. S’il se présentait, alors, en tant qu’indépendant, presque <a href="https://www.politico.com/news/2023/02/28/trump-voters-republican-primary-00084652">30 % des électeurs républicains seraient prêts à la suivre</a>, même si des <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/03/06/trump-third-party-chances/">études montrent</a> qu’il n’aurait presque aucune chance de l’emporter. Il ferait en tout état de cause exploser le Parti républicain, une possibilité qui ne fait que renforcer sa domination sur un parti déjà très affaibli, <a href="https://theconversation.com/apres-la-defaite-de-donald-trump-que-va-devenir-le-parti-republicain-149772">incapable de se redéfinir sur une ligne idéologique et intellectuelle claire</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump demeure le grand favori aux primaires républicaines de 2024, malgré l’entrée en lice de nouveaux candidats. La multiplication des candidatures pourrait même le favoriser.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2050732023-05-08T18:06:23Z2023-05-08T18:06:23ZAux États-Unis, avec l’affaire Dominion vs Fox News, la désinformation a désormais un prix<p><a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/dominion-fox-news/54e33f20f7fb6e8d/full.pdf">Le très attendu procès</a> opposant l’entreprise spécialisée dans la fabrication de machines à voter électroniques Dominion Voting Systems à Fox News Channel, dont la maison mère est Fox Corporation, s’est ouvert le 17 avril 2023… et s’est clos dès le lendemain, le 18 avril, <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/apr/18/dominion-wins-but-the-public-loses-fox-settlement-avoids-paying-the-highest-price">par un règlement à l’amiable</a>.</p>
<p>En échange de l’abandon des poursuites, Fox News a accepté de verser la somme de 787,5 millions de dollars à Dominion. Celle-ci avait traîné la chaîne devant les tribunaux pour diffamation, Fox News ayant amplement affirmé, trois ans durant, que les machines de Dominion avaient permis à Joe Biden de « voler » l’élection présidentielle de 2020 à Donald Trump.</p>
<p>Cette séquence juridique aura été amplement commentée. Faut-il y voir une défaite sans appel des tenants des fake news et théories du complot ou bien, au contraire, le signe que, désormais, tout se monnaie, y compris le droit de diffuser des informations mensongères ?</p>
<h2>Quand Fox News accusait Dominion d’avoir truqué l’élection de 2020</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/11/20/qu-est-ce-que-dominion-le-logiciel-electoral-attaque-par-donald-trump_6060562_4408996.html">Dominion Voting Systems</a> est une entreprise qui édite un logiciel électoral et vend des « urnes numériques », ce qui permet de voter à distance. Entreprise canadienne créée en 2003, elle est le deuxième fournisseur de services électoraux aux États-Unis, derrière l’américain <a href="https://www.essvote.com/">Election Systems and Software</a>, créé dès 1979. Et ce, dans un <a href="https://www.reuters.com/graphics/USA-ELECTION/VOTING/mypmnewdlvr/">écosystème bien établi</a> du fait des distances à couvrir pour aller voter, des millions d’électeurs à traiter et de la confiance implicite des Américains dans la technologie. En 2020, <a href="https://www.newsweek.com/dominion-voting-systems-categorically-denies-election-tech-glitches-following-trump-accusations-1547405">28 États ont utilisé Dominion</a>, dont les États-pivots que sont la Georgie, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin.</p>
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<p>La plainte de Dominion concernait les théories du complot propagées par Fox News selon lesquelles les urnes auraient été manipulées pour truquer le résultat des élections 2020 en faveur de Joe Biden, au détriment de Donald Trump.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1648450762295611397"}"></div></p>
<p>Les accusations de fraude électorale furent nombreuses, <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines/trump-accuse-les-democrates-lui-voler-l-election-20201106">relayées par Donald Trump</a> sur Twitter dès le 12 novembre (soit une semaine après l’annonce des résultats) et reprises par <a href="https://www.foxnews.com/opinion/tucker-carlson-2020-presidential-election-rigged-big-tech-mainstream-media">Fox News</a>, <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/jan/12/greg-kelly/newsmax-host-recycles-out-context-clip-call-joe-bi/">Newsmax</a> et un <a href="https://eu.usatoday.com/story/entertainment/tv/2021/01/11/dc-riots-how-newsmax-oan-conservative-outlets-fueled-mob/6589298002/">faisceau de médias pro-Trump</a>. Selon eux, des millions de votes auraient été effacés, des votes Trump auraient été attribués à Joe Biden, des vulnérabilités techniques auraient facilité le piratage, etc.</p>
<p>Suite à une série de <a href="https://abcnews.go.com/Politics/dominion-employees-latest-face-threats-harassment-wake-trump/story?id=74288442">harcèlements et même de menaces de mort</a> visant ses employés, Dominion a contre-attaqué, réclamant 1,6 milliard de dollars de dommages et intérêts pour compenser la perte de nombreux clients et la baisse de son chiffre d’affaires… et pour protéger sa réputation et son avenir dans le milieu très concurrentiel des services électoraux.</p>
<p>Fox News, quant à elle, s’est réclamée du Premier amendement, affirmant qu’elle était dans son droit en rapportant de telles théories, car celles-ci étaient « newsworthy » (dignes d’intérêt). Et d’ajouter que la somme demandée n’était pas réaliste, au vu du coût d’achat de Dominion (80 millions de dollars) en 2018 par ses nouveaux propriétaires, Staple Street Capital, un fonds d’investissement basé à New York.</p>
<p>L’affaire devait être jugée devant la Delaware Superior Court, reconnue pour ses compétences en matière de litiges technologiques et de droit à la concurrence.</p>
<h2>Fox News, machine de propagande pro-Trump</h2>
<p>Selon les preuves fournies par Dominion en préparation de son dossier, les présentateurs de Fox News auraient propagé ces infox pour satisfaire leur auditoire, largement acquis à Trump, lequel refusait de reconnaître sa défaite.</p>
<p>Fait sans précédent, les détails des échanges d’emails internes, des mémos et autres conversations entre les animateurs de talk-shows et la direction, y compris le propriétaire de Fox Corp, Rupert Murdoch, et son fils Lachlan (directeur en titre du réseau), <a href="https://www.businessinsider.com/rupert-murdoch-lachlan-dominion-smartmatic-lawsuit-fox-news-text-email-2021-12?r=US&IR=T">sont désormais publics</a>. Ils démontrent une mauvaise foi manifeste : les responsables de Fox News <a href="https://www.npr.org/2023/02/28/1160157733/rupert-murdoch-knew-fox-news-stars-were-endorsing-2020-election-lies-he-says">avaient conscience que leurs messages étaient mensongers</a> mais ont continué à les diffuser pour ne pas froisser les auditeurs… et surtout pour ne pas perdre les revenus attenants (les taux d’audience élevés de Fox lui permettent de vendre ses programmes aux autres chaînes câblées du pays, aux tarifs les plus forts).</p>
<p>Ce faisant, le personnel de Fox News a délibérément propagé de fausses informations pour complaire à l’extrême droite du Parti républicain, qui voit le média comme son porte-parole.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation de partisans de Donald Trump le 14 novembre 2020 à Washington, DC.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bob Korn/Shutterstock</span></span>
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<p>C’est la confirmation que Fox News est une machine de propagande en lien direct avec l’aile du parti qui est dominée par Donald Trump. Et cela, dans un contexte marqué par une concurrence croissante au sein de ce camp, où Fox doit se méfier d’autres organes plus radicaux comme NewsMax (de Christopher Rudy, ami proche de Donald Trump), War Room (de Steve Bannon, ancien directeur de campagne de Donald Trump) ou encore One America News Network (de Robert Herring Sr, conservateur pro-Trump).</p>
<h2>Pourquoi Dominion a accepté de transiger</h2>
<p>Si Dominion a, au dernier moment, accepté la transaction proposée par Fox News – 787,5 millions de dollars, ce qui correspond à la moitié de la somme réclamée –, c’est parce que l’entreprise n’avait pas la garantie qu’elle remporterait son procès pour diffamation.</p>
<p>Si le tribunal avait donné tort à Fox News, cette dernière aurait sans doute invoqué le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787a.htm">Premier amendement de la Constitution</a> et fait appel devant la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cour-supreme-etats-unis-120273">Cour suprême</a>. Celle-ci défend traditionnellement la liberté d’expression et de la presse, et, dans sa configuration actuelle, est favorable à Trump (et donc, on peut imaginer, à Murdoch). Dominion a jugé que le risque n’en valait pas la chandelle et que ses révélations avaient suffi à rétablir sa réputation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">Politisation de la Cour suprême : la démocratie américaine en péril ?</a>
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<p>La compagnie n’a même pas demandé d’excuses officielles à Fox. Justin Nelson, l’avocat de Dominion, a pourtant <a href="https://transcripts.cnn.com/show/cg/date/2023-04-18/segment/01">commenté l’accord</a> en des termes non pas commerciaux mais politiques : « Les mensonges ont des conséquences. […] Ce jour représente un soutien retentissant à la vérité et à la démocratie. »</p>
<p>De son côté, <a href="https://www.nytimes.com/live/2023/04/18/business/fox-news-dominion-trial-settlement">Fox a émis un communiqué</a> ne reconnaissant pas sa culpabilité sur le fond de l’affaire :</p>
<blockquote>
<p>« Ce règlement reflète l’engagement continu de Fox à respecter les normes journalistiques les plus élevées. Nous espérons que notre décision de résoudre ce litige avec Dominion à l’amiable, au lieu de l’acrimonie d’un procès qui divise, permettra au pays d’aller de l’avant sur ces questions. »</p>
</blockquote>
<h2>Les retombées pour Fox et les autres diffuseurs de « fake news »</h2>
<p>En creux, cet épisode montre que la désinformation est désormais un business comme un autre, normalisé dans le contexte américain, qui peut se régler comme du droit commercial.</p>
<p>Certains considèrent que <a href="https://time.com/6272910/dominion-settlement-fox-news-nightmare/">Fox a essuyé une lourde défaite</a>. Verser cette somme faramineuse revient à reconnaître ses torts. La résolution hors procès est venue tard, avec des révélations sordides pour l’entreprise, montrant notamment son mépris envers le public, malgré la course à l’audience. Cette affaire peut mettre une limite à la propagande abusive et à la création malveillante de <a href="https://www.la-croix.com/Debats/faits-alternatifs-torpille-Kellyanne-2021-01-25-1201136896">« faits alternatifs »</a> pour reprendre l’expression de KellyAnne Conway. Elle peut obliger les diffuseurs des théories du complot à prendre davantage de précautions ou à se cacher dans des médias plus obscurs. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230425-tucker-carlson-et-fox-news-un-divorce-avec-pertes-et-fracas-pour-tous">Le renvoi rapide et sans appel de Tucker Carlson</a>, animateur vedette dont les <a href="https://www.vanityfair.com/news/2023/03/tucker-carlson-continues-stolen-election-lies">propos ont contribué à diffuser la fake news sur le trucage de l’élection de 2020</a> (malgré son antipathie révélée pour Trump), montre que la firme procède à un nettoyage interne, pour marquer son retour au business as usual.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1650527705723543553"}"></div></p>
<p>D’autres estiment que <a href="https://www.npr.org/2023/04/18/1170339114/fox-news-settles-blockbuster-defamation-lawsuit-with-dominion-voting-systems">Fox a gagné</a>. Les 787,5 millions versés à Dominion n’entament qu’à peine le trésor de guerre accumulé par la firme de Murdoch, qui s’évite l’humiliation d’un procès prolongé et la présentation d’excuses publiques.</p>
<p>C’est l’essentiel, somme toute : cette absence d’humiliation n’a pas de prix ! Elle ouvre la porte à tous les abus car cela confirme l’impunité politique, voire économique, de la désinformation – quand on a les moyens financiers – et l’absence de conséquences légales liées à sa propagation et à ses effets dans la vie réelle, y compris quand la diffusion de fake news mène à <a href="https://www.tdg.ch/sur-fox-news-une-realite-parallele-317720323812">l’insurrection</a>.</p>
<h2>Une victoire à la Pyrrhus pour l’information</h2>
<p>Les révélations faites sur le fonctionnement interne de Fox News ont éclairé et confirmé bien des mécanismes à l’œuvre dans la désinformation comme norme des relations d’un média avec son audience. Le choix de la désinformation comme stratégie commerciale par une entreprise de communication ayant pignon sur rue et faisant concurrence frontale à CNN et autres médias de référence est révélateur du risque qui pèse sur l’intégrité de l’information.</p>
<p>Paradoxalement, le journalisme de référence et de vérification, aux États-Unis et ailleurs, ressort affaibli de cet épisode, qui entérine l’avènement d’une nouvelle ère, avec le passage d’un journalisme de l’offre à celui d’un <a href="https://carism.u-paris2.fr/fr/axe-1-le-journalisme-en-reconfiguration">journalisme de la demande</a>. Celui-ci touche toutes les formes de journalisme. Le journalisme basé sur les faits repose déjà sur des pratiques très imprégnées de la veille en ligne et des recommandations faites par les algorithmes. Le journalisme d’opinion plie son agenda en réponse aux attentes de certains publics cibles, au détriment des autres et de l’attention aux faits avérés.</p>
<p>Il ressort de cette affaire que les institutions et le système judiciaire américains ne sont pas vraiment prêts à faire face aux défis de la désinformation. En outre, les fake news diffusées par Fox News sur Dominion peuvent affaiblir la confiance de nombreux citoyens dans le vote électronique. L’affaire est close, mais ses effets n’ont pas fini de se faire ressentir…</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205073/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Divina Frau-Meigs ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le « procès en diffamation du siècle » n’aura pas eu lieu : la Fox a versé une somme colossale à l’entreprise qui la traînait en justice, mettant ainsi fin à la procédure judiciaire.Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1965242023-01-01T16:24:49Z2023-01-01T16:24:49ZÉtats-Unis : la démocratie en sursis ?<p>L’année 2022 a été marquée par des résultats d’élections de mi-mandat historiques aux États-Unis. La <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/07/etats-unis-le-senateur-democrate-de-georgie-reelu-une-victoire-pour-joe-biden_6153269_3210.html">victoire du Démocrate Raphael Warnock</a> à l’élection sénatoriale de Géorgie a clos un cycle électoral dont l’un des enjeux principaux était <a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-survie-de-la-democratie-est-elle-en-jeu-dans-les-elections-de-mi-mandat-191751">l’avenir de la démocratie</a>. Il s’agissait, en effet, du premier scrutin après l’insurrection du 6 janvier 2021, <a href="https://www.lalibre.be/international/amerique/2022/06/10/assaut-de-capitole-donald-trump-a-manigance-un-veritable-coup-detat-YDHHF6KS6ZA4DFRKWMPWENDWGA/">fomentée par un président</a> que les élus de son parti ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/07/etats-unis-le-senateur-democrate-de-georgie-reelu-une-victoire-pour-joe-biden_6153269_3210.html">refusé de désavouer</a>.</p>
<p>Pour la première fois également, de <a href="https://www.washingtonpost.com/nation/2022/10/06/elections-deniers-midterm-elections-2022/">nombreux candidats</a> de ce même Parti républicain faisaient campagne en relayant la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/03/avec-trump-le-grand-mensonge-est-devenu-la-verite-du-parti-republicain_6082621_3232.html">théorie du Grand Mensonge</a> selon laquelle l’élection présidentielle de 2020 aurait été volée à Donald Trump.</p>
<p>C’était aussi la première fois que les électeurs pouvaient s’exprimer après la décision controversée et impopulaire d’une Cour suprême très politisée qui a <a href="https://www.actu-juridique.fr/administratif/libertes-publiques-ddh/la-fin-de-roe-v-wade/">mis fin au droit constitutionnel à l’avortement</a>.</p>
<p>Enfin, jamais un ancien président des États-Unis, largement <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/favorability/donald-trump/">impopulaire</a>, n’avait tenté de transformer les élections qui suivent sa défaite en un « match retour » contre un président au pouvoir presque aussi <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/biden-approval-rating/">impopulaire</a> que lui, dont il nie la légitimité.</p>
<h2>Des midterms décevantes pour Donald Trump</h2>
<p>Les résultats montrent que si les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/what-happens-when-extremists-win-primaries/ECAC69648AE0DF91D93103E18342B9D2">primaires se sont jouées aux extrêmes</a>, les élections générales, elles, se sont, comme souvent, décidées au centre.</p>
<p>Dans les États dits « pivots », où les Républicains avaient une chance de gagner, les candidats républicains « négateurs » (<em>deniers</em> en anglais), c’est-à-dire ceux qui remettaient en cause le résultat de la présidentielle de 2020, <a href="https://www.americanprogress.org/article/election-deniers-lost-key-races-for-federal-and-state-offices-in-the-2022-midterm-elections/">ont ainsi perdu les élections à des postes clés</a> (gouverneurs ou secrétaires d’État) comme en Arizona ou au Nevada. À l’image d’Herschel Walker en Géorgie, ils ont <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/11/09/election-deniers-midterms-democracy/">presque tous concédé leur défaite</a>, alors même que la remise en cause du processus électoral était au cœur de leur campagne. Et il n’y a eu ni violence, ni insurrection, comme <a href="https://www.npr.org/2022/11/02/1132822805/election-violence-concerns-voting-threats">on pouvait le craindre</a>. Le <a href="https://19thnews.org/2022/11/abortion-rights-ballot-initiatives-election-2022/">droit à l’avortement a également gagné</a>, là où la question était posée aux électeurs, y compris dans des États conservateurs, comme le Kentucky ou le Montana, venant confirmer le résultat enregistré au <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220803-%C3%A9tats-unis-le-kansas-maintient-la-garantie-constitutionnelle-sur-le-droit-%C3%A0-l-avortement">Kansas cet été</a>.</p>
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<p>À la Chambre des Représentants, les Républicains ont certes gagné la majorité des sièges (et du <a href="https://www.cookpolitical.com/charts/house-charts/national-house-vote-tracker/2022">vote populaire</a>), mais avec une marge historiquement faible. Les Démocrates n’ont perdu <a href="https://www.270towin.com/2022-election-results-live/house/">que 9 sièges</a>, alors que <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/analyses/the-2022-midterm-elections-what-the-historical-data-suggest">depuis 1934, le parti du président au pouvoir perd, en moyenne, une trentaine de sièges</a> aux élections de mi-mandat, et jamais moins d’une dizaine, surtout avec une cote de popularité équivalente à celle de Joe Biden (entre 40 et 45 %). La seule anomalie était 2002, mais le parti de George W. Bush avait alors bénéficié du ralliement du pays au président, à la suite des attentats du 11 septembre 2001.</p>
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<p>Au Sénat, les Démocrates ont, avec les indépendants, renforcé leur contrôle, en gagnant un siège après avoir fait <a href="https://ballotpedia.org/United_States_Senate_election_in_Pennsylvania,_2022">basculer la Pennsylvanie</a>. Cette victoire, tout comme celle de Warnock, est un nouveau coup porté à l’ancien président Donald Trump dont les candidats qu’il soutenait ont <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/06/us/politics/trump-candidate-endorsement-georgia.html">presque tous perdu</a> dans les États où il y avait des enjeux.</p>
<h2>Une décision majeure de la Cour suprême à venir</h2>
<p>Il convient toutefois de nuancer. Les résultats ont été souvent serrés, même là où il y avait des candidats extrémistes comme <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2022/12/06/us/elections/results-georgia-us-senate-runoff.html">Walker en Géorgie</a>, ou <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2022-elections/arizona-governor-results">Kari Lake en Arizona</a>. De plus, les élections locales, elles, ont donné un <a href="https://apnews.com/article/2022-midterm-elections-donald-trump-race-and-ethnicity-only-on-ap-congress-a15f6d6ebd6f629c6e92531a0c7172e6">patchwork de résultats divers</a>, parfois très favorables aux Républicains : au final, une majorité de leurs candidats extrémistes et négateurs ont été élus.</p>
<p>Les Républicains ont <a href="https://www.cookpolitical.com/analysis/national/national-politics/gop-won-votes-not-seats">amélioré leurs scores</a> principalement dans les États qui leur sont déjà acquis, mais ils ont subi des défaites majeures dans ceux où les sièges étaient potentiellement en jeu. Or, aux États-Unis, les élections se décident dans un petit nombre d’États pivots qui représentent <a href="https://ballotpedia.org/U.S._House_battlegrounds,_2022">moins de 10 % des sièges</a> à la Chambre. Pour les quelque 90 % autres, les électeurs n’ont qu’une très faible chance d’élire un représentant du parti adverse.</p>
<p>Ce scrutin, comme les précédents, pose plus généralement la question de la représentativité démocratique du système électoral des États-Unis. Le choix restreint pour les électeurs est dû à plusieurs facteurs, comme la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10708-018-9955-3">polarisation géographique</a>, mais c’est aussi le résultat du redécoupage électoral partisan (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerrymandering"><em>gerrymandering</em></a> en anglais), pratiqué par les deux partis dans les États qu’ils contrôlent, dont une <a href="https://ballotpedia.org/Partisan_composition_of_state_legislatures">majorité est aux mains des Républicains</a>. Seules des <a href="https://ballotpedia.org/Redistricting_commissions">commissions bipartisanes</a>, ou les <a href="https://www.brennancenter.org/issues/gerrymandering-fair-representation/redistricting/redistricting-courts">Cours suprêmes des États</a>, peuvent, comme c’est parfois le cas, garantir ou imposer un redécoupage des circonscriptions juste et représentatif.</p>
<p>Or la Cour suprême fédérale, elle-même très <a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">politisée</a>, devra décider (<a href="https://www.oyez.org/cases/2022/21-1271"><em>Moore v. Harper</em></a>) si les Chambres des États sont seules habilitées par la Constitution à réglementer les élections fédérales et sans contrôle des tribunaux des États. Ce sont les procédures de contrôle et de contrepoids au pouvoir de la branche législative des États qui sont en jeu, ainsi que la possibilité légale des législateurs des États d’adopter des lois restrictives de votes, sans aucun contrôle ni remise en cause de la part des tribunaux des États (ou même du veto du gouverneur). Selon un <a href="https://apnews.com/article/us-supreme-court-north-carolina-legislature-50f99679939b5d69d321858066a94639">ancien juge fédéral conservateur éminent</a>, il s’agira de la décision « la plus importante pour la démocratie américaine de toute l’histoire du pays ».</p>
<h2>Le trumpisme, même sans Trump ?</h2>
<p>Par ailleurs, la démocratie pourrait à nouveau être un enjeu central des élections de 2024. Même si Donald Trump sort affaibli de ces dernières élections, il a déjà <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/16/etats-unis-donald-trump-annonce-sa-candidature-a-la-presidentielle-de-2024_6150035_3210.html">annoncé sa candidature</a> à la prochaine présidentielle, <a href="https://edition.cnn.com/2022/12/05/politics/donald-trump-constitution-analysis/index.html">se radicalisant</a> toujours plus. Ce ne sont pas ses attaques contre la démocratie qui entament le soutien de certains Républicains, mais plutôt la prise de conscience qu’il est une <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/16/upshot/trump-effect-midterm-election.html">machine à perdre</a> pour le parti, comme en <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/11/16/trump-underperform-elections-2024/">2018 et 2020</a>. Sa victoire à la présidentielle de 2016 ne doit d’ailleurs pas faire oublier qu’il avait alors perdu le vote populaire <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_United_States_presidential_elections_by_popular_vote_margin">plus qu’aucun autre président élu</a>.</p>
<p>Il est également le premier président, depuis la Grande Dépression, à <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/06/trump-set-be-first-president-since-1932-lose-reelection-house-senate/">avoir perdu la Chambre, le Sénat et la présidence en un seul mandat</a>. Le résultat en Géorgie est emblématique : le gouverneur républicain, qui avait résisté aux pressions de Trump pour annuler l’élection, a été confortablement réélu. Ceci alors que le candidat extrémiste négateur aux sénatoriales, soutenu par l’ancien président a, lui, nous l’avons dit, perdu. Comme l’a montré la question de l’avortement, la radicalité reste minoritaire mais mobilise fortement ceux qui y adhèrent.</p>
<p>Or, malgré un léger effritement, Donald Trump demeure encore <a href="https://poll.qu.edu/poll-release ?releaseid=3863">très populaire au sein de sa base</a> et pourrait bien gagner les primaires pour 2024. Et, même si Trump disparaissait, le <a href="https://nymag.com/intelligencer/article/ron-desantis-trumpism.html">trumpisme</a> pourrait lui survivre. Son <a href="https://apnews.com/article/2022-midterm-elections-ron-desantis-donald-trump-c8a3a7e58d35061f8662ead819861005">rival le plus sérieux</a> à ce stade, le gouverneur Ron DeSantis, bien que plus stratège, est tout aussi radical, avec un style de gouvernance basé sur l’autoritarisme, le <a href="https://americasvoice.org/press_releases/reminder-that-nativist-politics-of-ron-desantis-and-gop-relies-on-falsehoods-and-stereotypes/">nativisme</a> et le <a href="https://www.businessinsider.com/florida-miami-herald-warns-of-gov-desantis-christian-nationalism-2022-9 ?r=US&IR=T">nationalisme populiste chrétien</a>, pour lequel il a été <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2022/4/28/23037788/ron-desantis-florida-viktor-orban-hungary-right-authoritarian">comparé à Viktor Orban</a>.</p>
<p>Il a gagné en popularité en menant la bataille contre les protocoles de santé publique pendant la crise du Covid et a été <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/nov/09/ron-desantis-trump-2024-florida-midterms">très confortablement réélu</a> (59 %), avec, pour la première fois, une <a href="https://www.nbcnews.com/news/latino/florida-latinos-turned-favor-republicans-rcna57167">majorité de votes latinos</a>. Il est à l’avant-garde du combat dans la <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/nov/09/ron-desantis-trump-2024-florida-midterms">guerre culturelle</a>, multipliant les projets de loi visant à éliminer les discours sur les identités minoritaires <a href="https://tetu.com/2022/03/29/le-gouverneur-de-floride-enterine-la-loi-homophobe-dont-say-gay/">sexuelles</a> ou <a href="https://www.nytimes.com/2022/09/28/opinion/ron-desantiss-racism.html">raciales</a>, au détriment même de la liberté d’expression. Il a également imposé un <a href="https://fivethirtyeight.com/videos/ron-desantis-drew-florida-an-extreme-gerrymander/">redécoupage électoral extrêmement partisan</a>.</p>
<h2>La campagne de 2024 est déjà lancée</h2>
<p>Les prochains mois risquent ainsi d’être violents : une <a href="https://www.axios.com/2022/11/15/republican-civil-war-trump-mcconnell-scott">guerre interne</a> pour le contrôle du Parti républicain, une autre intense avec les Démocrates et l’administration Biden, sans compter les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/12/09/complotistes-homophobes-neonazis-dix-comptes-emblematiques-de-la-derive-de-twitter-sous-elon-musk_6153754_4355770.html">effets des dérives de Twitter</a>.</p>
<p>Les Républicains de la Chambre ont déjà annoncé vouloir utiliser les pouvoirs d’investigation de la Chambre pour enquêter sur tout le monde : du <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/12/09/meet-congressman-planning-house-republicans-hunter-biden-investigation/">fils du président</a> au FBI du <a href="https://www.npr.org/2022/11/04/1134449665/republicans-investigation-fbi-doj-midterms">département de la Justice</a> à la <a href="https://edition.cnn.com/2022/07/15/politics/house-republicans-investigation-plans-trump/index.html">Commission chargée de faire la lumière sur l’assaut lancé contre le Capitole le 6 janvier 2021</a>, et même jusqu’à l’immunologue <a href="https://abcnews.go.com/Politics/republicans-vow-investigate-fauci-steps-december/story ?id=88741486">Anthony Fauci</a>, jugé responsable d’une gestion prétendument trop stricte de la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Se profile également une confrontation sur deux autres questions très sensibles : <a href="https://www.lexpress.fr/monde/amerique/apres-une-decision-de-la-cour-supreme-les-etats-unis-se-dechirent-sur-la-politique-migratoire-GZHKO2OZTVCWJHQQD3TCBSI4JM/">l’immigration</a> – avec, là encore, une décision très attendue de la Cour suprême ; et le <a href="https://edition.cnn.com/2022/12/05/economy/debt-ceiling-fight-goldman-sachs/index.html">plafond de la dette</a>, car le GOP pourrait utiliser la menace d’un défaut de paiement sur la dette du gouvernement américain afin de forcer des réductions de dépenses, ce qui aurait de <a href="https://www.cbpp.org/blog/debt-limit-threats-would-put-the-global-economy-at-risk">lourdes conséquences pour l’économie mondiale</a>, dans un contexte déjà très volatil.</p>
<p>On l’aura compris : le résultat mitigé enregistré aux midterms par Donald Trump et ses affidés ne signifie nullement que les craintes relatives à l’avenir de la démocratie américaine ont été dissipées…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196524/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quel que soit son candidat en 2024, le Parti républicain fera sans doute campagne sur une ligne ultra-radicale, à même d’ébranler les fondements mêmes de la démocratie américaine.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1947642022-11-16T17:08:05Z2022-11-16T17:08:05ZTrump 2024 : une candidature vouée à l’échec ?<p>C’est donc à Mar-a-Lago, dans un environnement qui convient à l’ancien président, avec ses dorures, ses volumes impressionnants, son luxe, et devant quelques invités triés sur le volet et tout acquis à sa cause, que <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/trump-a-depose-sa-candidature-formelle-a-l-election-presidentielle-de-2024-20221116">Donald Trump a annoncé sa candidature</a> à l’élection présidentielle américaine de 2024.</p>
<p>Cette annonce, présentée par l’intéressé comme <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20221114-trump-set-to-officially-launch-2024-comeback-bid">« le plus grand discours de toute l’histoire des États-Unis »</a>, a pourtant le goût d’amertume de certains produits périmés.</p>
<p>Le 45<sup>e</sup> POTUS a eu beau affirmer qu’il allait rendre l’Amérique de nouveau grande et glorieuse, lançant à cette occasion le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/trump-et-son-nouveau-slogan-magaga-pour-2024-ont-inspire-les-internautes_210309.html">curieux slogan MAGAGA</a> (Make America Great and Glorious Again), et affirmer que sa victoire « sera construite sur de grandes idées, des ambitions audacieuses et des rêves audacieux pour l’avenir de l’Amérique », il semblait le savoir lui-même : tout cela ne le mènera nulle part. Pour plusieurs raisons, qui ont trait à la fois au timing de cette déclaration, à son âge, à son isolement au sein du Parti républicain ou encore à l’émergence d’adversaires qui paraissent bien placés pour le devancer.</p>
<h2>Le timing désastreux de l’annonce d’un candidat âgé et isolé</h2>
<p>Comment aurait-il pu choisir un pire moment pour faire son annonce ? La bonne stratégie est de se présenter le dernier au départ de la course, en laissant les adversaires s’épuiser et en se posant en recours, après avoir bien observé les autres et relevé toutes leurs faiblesses. C’est <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-11-page-7.htm">ce qu’il avait fait en 2015</a>, avec le succès que l’on sait.</p>
<p>Cette fois-ci, en se décidant deux ans avant le scrutin, Donald Trump a donné l’avantage à ses adversaires pour les primaires républicaines, qui ne vont pas manquer de prendre leur temps et de lui compliquer la tâche, l’air de rien. L’entrée en lice des uns et des autres diminuera d’autant, chaque fois, l’impact de la candidature Trump, qui cédera un point par-ci, trois points par-là, jusqu’à ce qu’un de ses concurrents apparaisse comme plus crédible pour la victoire.</p>
<p>En outre, le Trump de 2022, et ce sera encore plus vrai pour celui de 2024, n’est plus « The Donald » de 2015. Le <a href="https://tyt.com/reports/7015be31e708f973a/7b852d7f677784d59">discours moribond</a>, prononcé d’une voix monocorde à la lecture pénible d’un prompteur a fait bondir cette évidence au premier plan : Donald Trump a vieilli. Il est même aussi vieux que l’était Joe Biden lorsqu’il avait annoncé sa candidature pour 2020. Trump l’avait alors <a href="https://www.businessinsider.com/trump-joke-joe-biden-age-young-vibrant-man-2019-4?r=US&IR=T">moqué pour son âge</a>, une idée largement reprise par ses supporters à coups de « Sleepy Joe », qui s’est décliné en « sénile » depuis la défaite de 2020.</p>
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<figcaption><span class="caption">Donald Trump : « J’annonce ma candidature à l’élection présidentielle », Les Échos, 16 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Enfin, Trump ne peut aujourd’hui guère compter sur l’appui de la machinerie nationale du Parti républicain. C’est un point que l’on pourrait penser sans importance, puisqu’il n’était soutenu par personne en 2015, ce qui ne l’avait pas empêché de triompher.</p>
<p>Pourtant, il se présente cette fois-ci comme un ancien président et l’absence de soutien n’est plus synonyme d’une défiance face à un inconnu : elle révèle qu’il a été incapable de créer un réseau solide derrière lui, qui croit en sa victoire au point de faire campagne à ses côtés. Or c’est bien ce dont il a besoin pour vaincre le camp démocrate, qui a repris les rênes.</p>
<p>Même problème avec ses supporters : on avait déjà remarqué que les <a href="https://www.telegraph.co.uk/world-news/2021/12/12/donald-trumps-florida-roadshow-greeted-rows-empty-seats/">rangs s’étaient clairsemés</a>. Bien entendu, les fans « MAGA », les plus impliqués, les plus engagés, sont toujours là. Mais ce n’est pas suffisant pour faire un gagnant. La force de Trump avait été de faire revenir devant les urnes une <a href="https://www.propublica.org/article/revenge-of-the-forgotten-class">population qui ne votait plus</a>. Ceux-là rêvaient d’un champion capable de renverser la table et doté d’une poigne de fer pour faire face à leurs « ennemis » – car ils imputent au camp d’en face toutes les difficultés qu’ils traversent, au point de finir par croire qu’ils sont effectivement dans une guerre totale.</p>
<p>Mais les meetings de Donald Trump se sont vidés : de 30 000 il y a deux ans, l’ancien président ne pouvait guère plus réunir plus de 2 000 à 3 000 personnes ces derniers mois.</p>
<p>Pis encore : les sondages ne cessent d’indiquer qu’ils ne sont plus que 30 à 34 % au sein de parti républicain à souhaiter son retour et la <a href="https://www.nytimes.com/2022/07/12/us/politics/trump-approval-polling-2024.html">moitié d’entre eux ne le souhaite pas</a>. Cela ne veut pas dire qu’ils ne l’aiment plus ; juste qu’ils attendent autre chose.</p>
<h2>Un bilan, pas de programme</h2>
<p>C’est une difficulté majeure pour le candidat Trump : il a cette fois un bilan. Bon ou mauvais, on trouvera les deux avis et la discussion tournera en rond.</p>
<p>Mais ce qui est indubitable, c’est que ce bilan l’emprisonne. En 2016, il était un homme totalement neuf et rien ne pouvait lui être opposé, car il répondait invariablement qu’il allait réussir. Les fantasmes et les projections ont donc fait leur œuvre : ses futurs électeurs y croyaient. Et ils en rajoutaient même par rapport à ce qu’il disait, annonçait ou promettait.</p>
<p>Et s’il a un bilan, dans lequel ses concurrents ne manqueront pas de piocher pour le mettre en difficulté, il n’a en revanche pas de programme. C’est bien un des points qui pose un problème réel et de fond. Au cours des deux dernières années, Donald Trump n’a eu qu’un seul élément de programme : « Je suis le meilleur, réélisez-moi. »</p>
<p>Or la <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/11/10/entretien-midterms-2022-aux-etats-unis-pourquoi-le-raz-de-maree-republicain-tant-annonce-na-t-il-pas-eu-lieu-10791819.php">contreperformance du camp républicain aux midterms</a> est principalement due à cette absence de perspective concrète : en ancrant cette stratégie dans l’esprit de ses sympathisants, Trumps les a coupés de ceux qui attendent des politiciens qu’ils apportent des réponses à leurs problèmes. Fort de ce constat, le programme a semble-t-il été rajouté au dernier moment à sa déclaration de candidature : c’est un copié-collé de celui de 2016. Mais on n’est plus en 2016.</p>
<h2>L’épée de Damoclès de la justice</h2>
<p>Il a beau tenter de faire l’impasse sur cette maudite journée du 6 janvier 2021, Donald Trump sera <a href="https://theconversation.com/lenquete-sur-lemeute-du-capitole-le-watergate-de-donald-trump-191025">rattrapé par elle sans arrêt</a>. Il est déjà dans les livres d’histoire pour une tentative d’insurrection, après avoir affronté <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2021-1-page-413.htm">deux procédures d’impeachment</a>. Ces taches sont indélébiles et vont teinter sa campagne, qu’il le veuille ou non. Il sera donc contraint de se poser encore et encore en victime et ne pourra jamais décoller.</p>
<p>Il est évident aussi que <a href="https://www.levif.be/international/usa-les-liens-entre-trump-et-lextreme-droite-au-coeur-dune-enquete-parlementaire/">ses liens avec les groupes d’extrême droite</a> – les Proud Boys, les Oath Keepers, le Ku Klux Klan et d’autres encore – vont hanter les prochains mois. Sa <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/757562/sous-pression-donald-trump-ressuscite-le-complotisme-qanon">proximité avec le groupe QAnon</a>, dont il ne peut plus désormais se passer, clouera son positionnement dans la droite la plus dure et la plus dangereuse, repoussant les indépendants à l’opposé de lui.</p>
<p>Tout le monde, enfin, a compris que la raison de sa déclaration de candidature très prématurée est d’hystériser le débat et d’allumer un contre-feu puissant lorsque le glaive de la justice s’abattra sur lui. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220921-donald-trump-et-ses-enfants-poursuivis-%C3%A0-new-york-pour-fraude-fiscale">Poursuites</a> à New York pour fraude fiscale, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/une-enquete-dans-l-etat-de-georgie-pourrait-etre-fatale-a-trump-30-08-2022-2487738_24.php">enquêtes</a> pour ingérence électorale en Georgie, <a href="https://confluencedesdroits-larevue.com/?p=1892">menaces d’inculpation</a> au niveau fédéral pour l’émeute du Capitole, les ennuis judiciaires de Donald Trump sont colossaux et on voit mal comment il pourrait désormais échapper à une sanction, qui n’exclut pas une peine de prison.</p>
<p>Son évident est de fédérer ses plus fidèles pour qu’ils descendent dans les rues lorsque le pire arrivera. Rien ne dit que cette stratégie fonctionnera, car les électeurs ont déjà rejeté son jusqu’au-boutisme lors des midterms 2022 en <a href="https://www.marianne.net/monde/ameriques/midterms-aux-etats-unis-le-gros-flop-des-candidats-trumpistes">se détournant largement des candidats qu’il avait ouvertement soutenus</a>.</p>
<h2>Des adversaires dangereux</h2>
<p>La donnée nouvelle, à laquelle Donald Trump ne s’attendait pas, c’est que le désamour à son égard se traduit par la recherche de remplaçants : la brusque mise sous les projecteurs de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ron-desantis-l-homme-qui-menace-donald-trump-16-11-2022-2497967_24.php">Ron DeSantis</a>, dès le lendemain des midterms, a fait éclater la bulle Trump.</p>
<p>Aussitôt, ils ont été nombreux à chercher à prendre la lumière à leur tour : <a href="https://www.politico.com/news/2022/09/20/ted-cruz-campaign-2024-00057668">Ted Cruz</a>, <a href="https://www.politico.com/news/2022/11/14/pence-2024-run-prayerful-consideration-00066877">Mike Pence</a>, <a href="https://slate.com/news-and-politics/2022/09/lindsey-graham-abortion-ban-2022-midterm-2024-election.html">Lindsey Graham</a>, <a href="https://edition.cnn.com/2022/04/06/politics/kristi-noem-biden-ukraine-russia/index.html">Kristi Noem</a>, <a href="https://thehill.com/homenews/sunday-talk-shows/3679988-youngkin-declines-to-say-if-he-will-run-for-president-2024-is-a-long-way-away/">Glenn Youngkin</a>, <a href="https://eu.desmoinesregister.com/story/news/politics/2022/06/30/iowa-caucus-2024-nikki-haley-will-run-president-if-theres-place-me/7747121001/">Nikki Haley</a>, <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3596528-tim-scott-dodges-questions-about-whether-he-wants-trump-to-run-in-2024/">Tim Scott</a>, pour ne citer que les plus en vue, qui ne veulent pas laisser le champ libre aux autres et qui se cherchent encore une stratégie et un chemin pour se lancer.</p>
<p>En 2016, lors des primaires républicaines, Donald Trump était le chasseur. En 2024, en sa qualité d’ancien président, il sera le puissant à abattre. Difficile de parier un dollar sur sa victoire…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2024. De nombreux aspects indiquent qu’elle ne sera sans doute pas couronnée de succès.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1944642022-11-11T12:42:30Z2022-11-11T12:42:30ZAprès les élections de mi-mandat, qu’attendre de la présidence Biden ?<p>Les « midterms » de 2022 étaient le premier scrutin aux États-Unis depuis la tentative d’insurrection au Capitole, le 6 janvier 2021.</p>
<p>C’était un test pour la démocratie : autant la présidentielle de 2020 avait été marquée par une <a href="https://www.census.gov/newsroom/press-releases/2021/2020-presidential-election-voting-and-registration-tables-now-available.html">participation record</a> (66,8 %), autant l’incertitude planait cette année. Or, l’électorat s’est fortement mobilisé : il s’éleverait à environ 48 %, soit un peu moins des 51,8 % de participation aux midterms de 2018, <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2022/11/01/turnout-in-u-s-has-soared-in-recent-elections-but-by-some-measures-still-trails-that-of-many-other-countries/">ce qui était très élevé pour ce type de scrutin</a> – rappelons qu’aux États-Unis le taux de participation est calculé par rapport au nombre de personnes ayant le droit de vote et non par rapport au nombre d’inscrits sur les listes électorales.</p>
<p>Le deuxième test portait sur la résistance des Démocrates, et celle-ci fut inattendue : même si, à ce stade, les résultats définitifs <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/10/midterms-2022-deux-jours-apres-les-elections-les-etats-unis-toujours-dans-l-attente_6149397_3210.html">ne sont pas encore connus</a>, Joe Biden <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/112110-000-A/midterms-les-democrates-limitent-la-casse/">n’a pas été la victime du vote sanction qu’on lui prédisait</a>. Les Démocrates conservent même leur majorité au Sénat après <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/13/midterms-2022-les-democrates-sauvent-leur-majorite-au-senat-en-remportant-le-siege-decisif-du-nevada_6149621_3210.html">leur victoire dans le Nevada</a>. </p>
<p>Fin limier de la politique américaine, Biden dispose d’une très bonne connaissance des rouages électoraux et des attentes de son électorat. Il demeure sous-estimé, y compris dans son propre camp. L’inflation n’a pas eu raison de lui et il est probable également que les <a href="https://theconversation.com/reformer-leconomie-americaine-pour-joe-biden-le-temps-presse-171039">énormes réformes qu’il a engagées</a>, par la voie législative, en faveur des <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/biden-ratifie-son-gigantesque-plan-sur-les-infrastructures-20211115">infrastructures</a>, des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-politique-industrielle-sous-biden-une-nouvelle-doctrine-economique-pour-le-parti-democrate/">emplois verts</a> ou de la <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210306-le-s%C3%A9nat-am%C3%A9ricain-approuve-le-plan-de-relance-%C3%A9conomique-de-joe-biden">relance économique post-Covid</a>, auxquelles il faut ajouter la décision d’<a href="https://lvsl.fr/annulation-de-la-dette-etudiante-aux-etats-unis-la-fin-dun-totem-neoliberal/">annuler en partie la dette étudiante</a> pour plus de quarante millions d’Américains, ont été plus récompensées que prévu.</p>
<h2>Une fois encore, la démocratie a résisté aux attaques</h2>
<p>À droite, force est de constater que le trumpisme marque le pas.</p>
<p>C’était le troisième test. Il est loin d’avoir disparu puisqu’il persiste sous les traits du plus grand rival de Donald Trump à ce jour, le <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/11/09/trump-presidential-announcement-delay/">gouverneur de Floride Ron DeSantis</a>, triomphalement réélu et tout aussi extrémiste que Trump sur le fond, et puisque des dizaines de <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/republicans-trump-election-fraud/">« deniers »</a> – ceux et celles qui nient le résultat de la présidentielle de 2020 – ont gagné.</p>
<p>Ils et elles sont cependant <a href="https://time.com/6231852/election-deniers-2022-midterms-results/">beaucoup moins nombreux qu’on le redoutait</a>. Trump ne serait-il donc pas le faiseur de rois (et de reines) que beaucoup pensaient ? Dans les meetings qu’il a tenus aux côtés de candidates et candidats qu’il avait choisi de soutenir – plus en raison de leur flagornerie et leurs excès que pour leur compétence –, il a surtout parlé de lui-même et de <a href="https://www.propublica.org/article/big-lie-trump-stolen-election-inside-creation">son obsession de « l’élection volée »</a> (selon lui) il y a deux ans. Mais gagner une primaire républicaine, où c’est surtout la base la plus fervente qui vote, n’est pas la même affaire que remporter une élection face à une ou un adversaire démocrate. La leçon de l’extrémisme du Tea Party de 2010, qui avait déjà <a href="https://blogcritics.org/how-the-tea-party-helped-obama/">plombé les Républicains deux ans plus tard</a> avec la réélection de Barack Obama, n’a, semble-t-il, pas été retenue, <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/10/us/politics/trump-grass-roots-midterms.html">tant le culte de la personnalité de Trump l’a emporté</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590443351538647041"}"></div></p>
<p>Le rejet de Trump et du trumpisme et du danger que l’ancien président fait courir à la démocratie (<a href="https://time.com/5902729/black-voter-suppression-2020/">limitation de l’accès au vote des minorités</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/trump-renvoie-un-responsable-qui-contestait-les-accusations-de-fraudes-18-11-2020-2401633_24.php">refus de certifier des élections si elles sont perdues</a>, etc.) a, ainsi, mobilisé les Démocrates, et notamment les <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/nation/2022/11/09/2022-midterms-women-and-suburban-voters-help-democrats-avoid-disaster/8318080001/">femmes</a> – sans doute aussi les <a href="https://www.npr.org/2022/11/10/1135810302/turnout-among-young-voters-was-the-second-highest-for-a-midterm-in-past-30-years">jeunes</a>, à l’échelle nationale.</p>
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<p>Depuis <a href="https://theconversation.com/donnees-de-sante-de-fertilite-de-localisation-les-craintes-post-roe-inedites-et-legitimes-des-americaines-191046">l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême</a> le 24 juin dernier, plusieurs États fédérés (<a href="https://www.usnews.com/news/best-states/california/articles/2022-11-09/californians-vote-to-protect-abortion-in-state-constitution">Californie</a>, <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-63564062">Kentucky</a>, <a href="https://www.npr.org/2022/11/09/1134832172/vermont-votes-abortion-constitution-midterms-results">Vermont</a>, <a href="https://www.bridgemi.com/michigan-government/michigan-proposal-3-supporting-abortion-rights-wins-big">Michigan</a>) ont mis au vote, le 8 novembre, des référendums pour inscrire, ou au contraire supprimer le droit à l’avortement dans la loi ou leur Constitution. Chaque fois, c’est le camp des <em>pro choice</em> qui l’a emporté.</p>
<p>Au-delà des référendums, les <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/10/us/politics/abortion-midterm-elections-democrats-republicans.html">sondages de sortie des urnes</a> indiquent que la préservation de ce droit a très largement motivé les Démocrates à voter pour un ou une candidate qui garantirait aux femmes cette liberté. « Les femmes ne sont pas sans pouvoir politique ou électoral », écrivait (ironiquement ?) le juge ultra-conservateur à la Cour suprême Samuel Alito dans l’arrêt <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/21pdf/19-1392_6j37.pdf">« Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization »</a> en juin dernier. Il ne croyait pas si bien dire.</p>
<h2>Biden appelle à renforcer le compromis avec les Républicains</h2>
<p>Si les Républicains remportent la Chambre (les Démocrates conservent le Sénat, leur marge sera bien moindre qu’attendu.</p>
<p>Le président Biden, qui a profité des deux premières années de son mandat pour faire voter une série de grandes réformes, aura toutefois beaucoup plus de difficultés désormais parce qu’il est peu probable que les nouveaux élus républicains – qui prendront leurs fonctions en janvier 2023 – lui facilitent la tâche, à un peu plus d’un an de la prochaine campagne présidentielle.</p>
<p>C’est pourtant bien le sens de <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/11/09/remarks-by-president-biden-in-press-conference-8/">l’appel que Biden leur a lancé</a>, le 9 novembre au soir : il estime que le compromis politique est une attente de la société, et a toujours dit faire du combat contre la polarisation politique du pays une priorité. Comme pour conjurer la perspective de deux années de paralysie institutionnelle, voire celle de possibles <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210930-%C3%A9tats-unis-le-shutdown-%C3%A9vit%C3%A9-apr%C3%A8s-le-vote-d-une-loi-de-finances-par-le-congr%C3%A8s"><em>shutdowns</em></a> (blocage du fonctionnement de plusieurs administrations fédérales) si jamais le plafond de la dette ne pouvait être relevé en cas de besoin ou si le budget de la nation ne parvenait pas à être voté en 2023 et 2024. En effet, c’est la Chambre des représentants qui donne le « la » sur les dépenses.</p>
<p>Le président devra encore renforcer ses efforts en matière de négociations et de tractations avec l’opposition parlementaire pour poursuivre la mise en œuvre de son programme – non seulement sur le plan socio-économique, mais aussi, et ce sera plus difficile, en matière de protection environnementale. Les Républicains le contraindront, de leur côté, à faire des compromis sur la fiscalité.</p>
<p>Selon le <em>New York Times</em>, il est cependant <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/10/us/politics/biden-economy-midterms.html">peu probable que Biden modifie son cap économique</a> : la transition énergétique, qui nécessite de renoncer progressivement aux énergies fossiles, l’effort de réindustrialisation du pays dans la course avec la Chine sur les hautes technologies, la création d’emplois durables, la défense du pouvoir d’achat, la préservation des acquis de l’Obamacare, la lutte contre l’augmentation des prix des médicaments, le combat contre les inégalités sont sur sa feuille de route, surtout dans la perspective d’une possible récession l’an prochain. En revanche, plusieurs grandes lois fédérales promises à l’électorat démocrate pour, notamment, pallier les vides juridiques sur l’immigration, réguler la vente et la circulation d’armes à feu, combattre les discriminations raciales dans l’accès au vote, n’ont aucune chance d’aboutir d’ici fin 2024.</p>
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<figcaption><span class="caption">Midterms : le républicain Kevin McCarthy rêve de présider la Chambre des représentants, France 24 9 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Il est un autre chantier délicat : celui de <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/will-next-weeks-midterm-elections-impact-us-support-for-ukraine/">l’aide militaire à l’Ukraine</a>. Sur le papier, un Congrès en partie républicain peut s’opposer à de nouvelles dépenses décidées par la Maison Blanche, ou voter des coupes (mais le président possède un droit de veto sur les lois). Dans les faits, le scénario le plus probable à ce stade est que les Républicains exigent davantage de transparence sur l’utilisation des moyens débloqués. Il n’empêche qu’en matière de dépenses militaires en général, la cohérence gagnerait à s’imposer dans les deux partis, démocrate et républicain : avec un budget de plus de 800 milliards de dollars, il est légitime de s’interroger sur le poids que ces dépenses font peser sur le contribuable dans une période inflationniste comme aujourd’hui.</p>
<h2>Et 2024 ?</h2>
<p>Une fois les derniers résultats des midterms connus (cela peut prendre encore quelques jours pour la Chambre), la course sera lancée pour la présidentielle de 2024. Même s’il <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-11-09/biden-says-he-plans-to-run-in-2024-may-decide-early-next-year">laisse entendre le contraire</a>, il est peu probable que Joe Biden, qui aura alors alors 82 ans, se représente. Qui, alors, pour lui succéder ?</p>
<p>Plusieurs leaders démocrates émergeront après leur élection ou réélection de la semaine dernière, sans oublier la vice-présidente Kamala Harris, qui devront continuer à composer entre une <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3726475-squad-members-cruise-to-re-election/">aile gauche</a> et son électorat impatient (les jeunes en particulier) mais mobilisé donc incontournable, d’une part, et une culture de parti plus modérée d’autre part.</p>
<p>Chez les Républicains, le trumpisme nouvelle formule de Ron DeSantis s’imposera-t-il ou bien la doctrine plus traditionnelle l’emportera-t-elle, par pragmatisme ? À la Chambre, les Républicains mettront, dès janvier 2023, un terme à <a href="https://theconversation.com/lenquete-sur-lemeute-du-capitole-le-watergate-de-donald-trump-191025">l’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole</a>, comme si rien ne s’était passé. Mettront-ils <a href="https://www.politico.com/news/2022/07/19/hunter-biden-gop-2023-00046419">leurs menaces</a> à exécution en lançant de nouvelles enquêtes, sur les conditions du retrait de l’Afghanistan, et sur le business du fils de Joe Biden, <a href="https://www.liberation.fr/checknews/fisc-armes-sexe-et-drogue-que-sait-on-des-accusations-visant-hunter-biden-fils-du-president-americain-20221105_DSLB7CY6CJD5ROLT4B5MUNW7OI/">Hunter</a> ? Cela ne parviendra pas à masquer le fait que, lors de ces midterms, les Républicains ont raté leur coup et que pour espérer l’emporter en 2024, ils doivent également se concentrer sur une question majeure : avec ou sans Trump ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Cécile Naves est directrice de recherches à l'IRIS.</span></em></p>Si les résultats des midterms sont encore partiels, quelques dynamiques fortes se dégagent et permettent de tirer plusieurs enseignements pour les deux dernières années du mandat de Joe Biden.Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917512022-10-20T15:09:59Z2022-10-20T15:09:59ZÉtats-Unis : la survie de la démocratie est-elle en jeu dans les élections de mi-mandat ?<p>À l’approche des élections de mi-mandat du 8 novembre prochain, dans un <a href="https://www.npr.org/2022/09/02/1120690193/bidens-speech-walks-a-fine-line-in-its-attack-on-maga-republicans">discours controversé</a>, le président Joe Biden a accusé les Républicains MAGA (acronyme de « Make America Great Again », le slogan de Donald Trump et de ses partisans) de « détruire la démocratie américaine » et d’être « une menace pour ce pays » et pour « les fondements mêmes de notre république ». Quelques jours auparavant, il <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/26/joe-biden-en-campagne-denonce-le-semi-fascisme-au-sein-du-parti-republicain_6139075_3210.html">avait déclaré</a> que la philosophie de ces Républicains pro-Trump était « presque du semi-fascisme ».</p>
<p>Ces mots forts constituent une véritable rupture chez un président qui avait fait de la réconciliation nationale le cœur de sa rhétorique, répétant inlassablement sa volonté d’unifier et non de diviser le peuple <a href="https://www.npr.org/sections/live-updates-2020-election-results/2020/11/07/932104693/biden-to-make-victory-speech-as-president-elect-at-8-p-m-et">dès l’annonce de sa victoire</a>, puis dans son <a href="https://www.brookings.edu/blog/fixgov/2021/01/20/bidens-inaugural-address-unity-and-truth/">discours d’investiture</a>.</p>
<p>Toutefois, il n’est pas le premier président à dénoncer d’autres Américains comme une menace existentielle pour la nation. Son prédécesseur, Donald Trump, avait ainsi désigné les journalistes qui le critiquaient comme des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-80-de/ennemis-du-peuple-donald-trump-et-les-journalistes-4559445">« ennemis du peuple »</a>. Trump n’a d’ailleurs pas tardé à répliquer aux attaques de Biden en le qualifiant d’« <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/04/etats-unis-donald-trump-replique-aux-attaques-de-joe-biden-en-le-qualifiant-d-ennemi-de-l-etat_6140125_3210.html">ennemi de l’État</a>. Quant au chef du groupe républicain à la Chambre des Représentants, Kevin McCarthy, il a <a href="https://twitter.com/kevinomccarthy/status/1565507390061035521?ref_src=twsrc%5Etfw">déclaré</a> que Biden avait raison de dire que « la démocratie est en jeu en novembre »… mais que c’étaient « Joe Biden et la gauche radicale à Washington [qui] sont en train de [la] démanteler ».</p>
<p>Qu’en est-il vraiment ? Ces propos des uns et des autres relèvent-ils d’une simple stratégie électoraliste visant à mobiliser les électeurs, ou bien la démocratie est-elle vraiment en jeu en novembre ?</p>
<h2>Une opinion publique inquiète mais divisée sur la question de la démocratie</h2>
<p>Il semble en tout cas qu’une majorité d’États-Uniens (69 %), Républicains comme Démocrates, considèrent que la démocratie est « en danger d’effondrement », selon un <a href="https://poll.qu.edu/poll-release?releaseid=3831">récent sondage de l’université Quinnipiac</a>.</p>
<p>Il faut dire que, pour la première fois de l’histoire des États-Unis, un président sortant n’a toujours pas reconnu sa défaite, affirmant même avoir obtenu une <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/jan/07/donald-trump/trump-clings-fantasy-landslide-victory-egging-supp/">« victoire écrasante »</a>, et n’exprime aucun regret pour avoir incité ses partisans à <a href="https://theconversation.com/lenquete-sur-lemeute-du-capitole-le-watergate-de-donald-trump-191025">l’insurrection</a> en se lançant à l’assaut du Capitole afin de bloquer la certification des résultats du vote du collège électoral.</p>
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<p>L’inquiétude commune du pays cache cependant de profondes divisions : d’après un <a href="https://www.cbsnews.com/news/cbs-news-poll-americans-democracy-is-under-threat-opinion-poll-2022-09-01/">sondage réalisé par CBS</a>, si une majorité des sondés citent comme menace majeure les « personnes qui tentent de renverser les élections », aux yeux des Républicains ce sont les « personnes qui votent illégalement » qui représentent l’une des menaces les plus graves.</p>
<p>En outre, alors même que <a href="https://www.brennancenter.org/issues/ensure-every-american-can-vote/vote-suppression/myth-voter-fraud">nombre d’analyses</a> sérieuses, y compris <a href="https://lbaole17.github.io/methods-reading-group/files/pnas.pdf">universitaires</a>, ont clairement démontré qu’il n’y avait aucune preuve de fraude électorale qui aurait pu changer le résultat de la présidentielle de 2020, force est de constater que, <a href="https://www.poynter.org/fact-checking/2022/70-percent-republicans-falsely-believe-stolen-election-trump/">sondage après sondage</a>, une large majorité de Républicains (70 %) continuent de contester la légitimité de Joe Biden, refusant de croire qu’il a réellement remporté cette élection.</p>
<p>Cette remise en cause de la légitimité d’un président n’est pas entièrement nouvelle : en 2016, <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2016-election/poll-persistent-partisan-divide-over-birther-question-n627446">72 % des électeurs républicains</a> doutaient toujours de la citoyenneté du président Obama (en 2000, les Démocrates étaient <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/05/17/voters-have-seen-past-presidents-illegitimate-this-time-is-different/">sceptiques quant à l’élection de George W. Bush</a>, mais la situation était bien différente, et surtout, Al Gore avait, lui, reconnu sa défaite).</p>
<p>De plus, la remise en cause du résultat des élections – un principe de base de la démocratie – a été soutenue par une majorité d’élus républicains. Au lendemain de l’attaque du Capitole, près des <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2021/01/07/us/elections/electoral-college-biden-objectors.html">deux tiers des Représentants républicains</a> à la Chambre avaient refusé de valider les résultats de l’élection présidentielle. Une majorité des sénateurs républicains ont, quant à eux, <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2021-1-page-413.htm">refusé pour la seconde fois</a> de voter en faveur de la destitution de Donald Trump, cette fois pour « incitation à l’insurrection » après l’assaut du Capitole, ce qui aurait empêché l’ancien président de se présenter aux présidentielles de 2024.</p>
<h2>Le vote : une affaire très locale</h2>
<p>Alors que les élections de mi-mandat sont traditionnellement un scrutin sur le bilan, notamment économique, de l’administration élue deux ans plus tôt, la campagne de 2022 prend une tournure tout à fait inédite.</p>
<p>Tout d’abord parce que jamais un ancien président n’a dominé les primaires d’une élection de mi-mandat comme l’a fait Donald Trump. Il a ainsi soutenu plus de 200 candidats, non seulement au niveau fédéral mais également au niveau local. Car si le scrutin intermédiaire de novembre 2022 renouvelle l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des Représentants, ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat au niveau fédéral, il concerne également des centaines d’élections locales : seront mis en jeu des <a href="https://ballotpedia.org/Gubernatorial_elections,_2022">postes de gouverneurs</a>, de <a href="https://ballotpedia.org/Secretary_of_State_elections,_2022">secrétaires d’État</a>, de <a href="https://ballotpedia.org/Attorney_General_elections,_2022">procureurs généraux locaux</a>, et la plus grande partie des <a href="https://ballotpedia.org/State_legislative_elections,_2022">assemblées législatives locales</a>. Or, il ne faut pas oublier que dans le système fédéral des États-Unis, ce sont les États, et non le pouvoir fédéral, qui sont en charge de l’organisation des élections.</p>
<p>Selon la Constitution de chaque État, les gouverneurs et les secrétaires d’État peuvent avoir un pouvoir de contrôle plus ou moins important sur les élections, même s’ils ne peuvent, à eux seuls, renverser les résultats d’une élection. On se souvient que, le 2 janvier 2021, après la présidentielle, Donald Trump avait demandé au secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QvwOEHMO23s">« trouver 11 780 voix »</a> afin de modifier le résultat final en sa faveur (en Géorgie, Trump accusait un retard de 11 779 voix sur Biden), transformant ainsi instantanément un poste de second plan, non partisan et administratif, en une fonction politique, partisane et très médiatisée.</p>
<p>Cette année, lors des primaires républicaines, Trump a fait du déni du résultat de l’élection présidentielle de 2020 un test de loyauté essentiel au sein du Parti républicain. Les résultats vont dans son sens : aux midterms, <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/republicans-trump-election-fraud/">60 % des Américains</a> auront la possibilité de voter en faveur d’un candidat qui nie le résultat des élections de 2020. Il s’agit non seulement de faire du 8 novembre une revanche de la présidentielle 2020, mais aussi de préparer la présidentielle de 2024. Et, en cas de défaite en 2024, si ce n’est dès 2022, de pouvoir contester, bloquer, voire confisquer l’appareil électoral, ce qui pourrait potentiellement conduire à une crise constitutionnelle.</p>
<h2>L’extrémisme, une stratégie risquée qui ne paie pas forcément</h2>
<p>Historiquement, les candidats les plus extrémistes qui gagnent les primaires <a href="http://www.andrewbenjaminhall.com/Hall_APSR.pdf">réduisent les chances</a> de leur parti de gagner les élections générales.</p>
<p>Ce constat a poussé les Démocrates de certains États à mettre en œuvre une stratégie risquée et quelque peu cynique : financer des <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/interactive/2022/democrat-ad-spending-republican-trump/?itid=lk_interstitial_manual_9">campagnes publicitaires</a> visant à mettre en avant les candidates républicains les plus extrêmes dans les primaires, en les liant à Donald Trump par exemple, dans l’espoir de les battre plus facilement dans les élections générales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1550539922980933632"}"></div></p>
<p>Si cette stratégie a <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2015/08/todd-akin-missouri-claire-mccaskill-2012-121262/">fonctionné par le passé</a>, elle pourrait se retourner contre eux dans un environnement hautement polarisé où l’appartenance à un parti se confond de plus en plus avec un sentiment d’identité.</p>
<p>L’autre espoir des Démocrates est la question du droit à l’avortement. Elle est devenue un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/24/droit-a-l-avortement-la-cour-supreme-des-etats-unis-revient-sur-l-arret-roe-vs-wade-et-laisse-les-etats-americains-libres-d-interdire-l-ivg_6131955_3210.html">enjeu local</a> démocratique majeur depuis que ce droit n’est plus garanti au niveau fédéral, suite à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dobbs_v._Jackson_Women%27s_Health_Organization">l’arrêt <em>Dobbs</em></a> de la Cour suprême en juin dernier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-moins-de-democratie-plus-de-religion-184914">Fin du droit à l’avortement aux États-Unis : moins de démocratie, plus de religion</a>
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<p>À en croire le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/ivg-les-electeurs-du-kansas-se-positionnent-en-faveur-de-l-avortement_206169.html">vote test du Kansas</a> cet été, même les électeurs d’un État très conservateur restent largement favorables au maintien de la garantie constitutionnelle sur l’avortement. En outre, <a href="https://www.npr.org/2022/09/07/1121427463/more-women-are-registering-to-vote-how-could-that-affect-midterms">l’augmentation conséquente</a> du nombre de femmes inscrites sur les listes électorales pour ce scrutin pourrait indiquer qu’il s’agit là d’un sujet mobilisateur.</p>
<p>L’ironie de l’histoire est que ce sont, désormais, les Démocrates qui mettent en avant des questions morales et sociétales et livrent aux Républicains, à leur tour, une guerre dite « culturelle ». Ces derniers, de leur côté, et même si <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=khuwYOo2dDM">l’immigration et la criminalité</a> restent pour eux des sujets de prédilection, cherchent avant tout à maintenir l’attention sur les questions économiques comme l’inflation, actuellement <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/14/etats-unis-l-inflation-galope-la-part-publique-de-la-pension-des-retraites-va-augmenter-de-8-7_6145721_3234.html">galopante</a> – ce qui, en temps normal, suffirait probablement à leur assurer une victoire écrasante.</p>
<h2>Un scrutin essentiel</h2>
<p>Ainsi, la transformation d’un scrutin intermédiaire en « match retour » de la présidentielle de 2020 (entre un président <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/biden-approval-rating/">relativement impopulaire</a> et un ex-président <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/favorability/donald-trump/">encore plus impopulaire</a> et <a href="https://apnews.com/article/technology-donald-trump-conspiracy-theories-government-and-politics-db50c6f709b1706886a876ae6ac298e2">radicalisé</a>, à l’image des candidats qu’il soutient) rend les <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/2022-election-forecast/">pronostics</a> bien incertains.</p>
<p>Si la question de l’avenir de la démocratie est donc bien l’un des enjeux de ces élections, c’est aussi parce que, au-delà de Trump lui-même, ce qui s’y joue, c’est l’emprise du trumpisme et du négationnisme de la réalité sur un Parti républicain en <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/09/27/mccarthy-midterms-gop/">guerre avec lui-même</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191751/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Démocrates et Républicains affirment que la victoire du camp adverse aux midterms représentera tout simplement la fin de la démocratie américaine. Qu’est-ce qui explique un tel maximalisme ?Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1907602022-10-12T19:12:29Z2022-10-12T19:12:29ZL’ombre de Donald Trump sur les primaires aux États-Unis<p>Dans un <a href="https://twitter.com/RafJacob/status/1570085311300128771">tweet du 14 septembre</a>, un chercheur canadien spécialisé dans la politique états-unienne écrivait : « On a commencé le calendrier des primaires il y a six mois avec une question principale : à quel point Donald Trump domine-t-il toujours le Parti républicain ? Le processus des primaires a pris fin hier soir, et la réponse est claire : il le domine toujours. Outrageusement. »</p>
<p>Cette remarque semble répondre à la question principale que se posent tous ceux qui s’intéressent à ce pays et va, selon leur camp, les rassurer ou raviver leurs craintes, au moment où les États-Unis s’apprêtent à organiser, le 8 novembre prochain, les élections de mi-mandat (l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants seront renouvelés, ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat ; en outre, les Chambres et Sénats de nombreux États seront renouvelés ce jour-là, de même que les deux tiers des gouverneurs et d’autres postes électifs).</p>
<p>Cela signifie-t-il que Trump a fait la pluie et le beau temps dans les primaires du Parti républicain qui ont été organisées pour désigner les candidats à tous les postes en jeu ? Qu’il a choisi la majorité des candidats ? Qu’il a influencé le programme du parti ? Qu’il a tissé un réseau qui va le reconduire directement à la Maison Blanche en 2024 ? Qu’il a écarté tous les autres prétendants possibles ? Et puis, question complémentaire : est-il à ce point inoxydable que rien ne peut effectivement l’atteindre et que toutes les affaires dont les journaux parlent du matin au soir ne pourront finalement pas le rattraper ?</p>
<h2>Trump a-t-il vraiment pesé sur les primaires ?</h2>
<p>La domination décrite dans le tweet, et qui est largement et régulièrement évoquée dans les médias, parait répondre à toutes ces interrogations. Pourtant, levons tout de suite un doute : Donald Trump n’est pas une composante particulière du Parti républicain, un « courant », qui aurait pesé et fait élire au cours des primaires une majorité de candidats chargés de porter leur propre programme.</p>
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<p>Tout d’abord, il n’y aucun programme particulier auquel les candidats « trumpistes » ou MAGA (pour <em>Make America Great Again</em>, son slogan fétiche) peuvent se référer, sur lequel ils se retrouvent toutes et tous, si ce n’est la dénonciation du « Big Lie » (Le Grand Mensonge) – l’affirmation que l’élection de 2020 a été <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20201106-%C3%A9lections-am%C3%A9ricaines-stop-the-steal-l-op%C3%A9ration-%C3%A9clair-des-pro-trump-contre-biden">volée par Joe Biden</a>, ce à quoi il convient de rajouter quelques thèses complotistes, du moins pour certains d’entre eux.</p>
<p>Par ailleurs, sur les plusieurs milliers de postes en jeu, Donald Trump n’a soutenu que 236 candidats, le faisant très souvent au dernier moment, à quelques jours du scrutin, par opportunisme, en choisissant celui ou celle qui était (souvent largement) en tête dans les sondages, comme <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3670638-trump-praises-gubernatorial-candidate-tudor-dixon-at-rally-in-mich/">Tudor Dixon</a> dans le Michigan, ou associant son nom à côté de candidats qui n’avaient aucun opposant dans leur circonscription, et ne pouvaient donc pas perdre (pour plus de la moitié de ceux qu’il a soutenus, dont 61 qui n’avaient aucun opposant). La victoire ainsi promise alimentait une légende qui reposait donc sur du vent.</p>
<p>La propagande a bien entendu exploité ce filon du pouvoir de Trump sur le Parti républicain. Ses équipes de communication et ses supporters ont notamment beaucoup insisté sur les 21 candidats à des postes de sénateurs qui lui devraient leur victoire dans les primaires. Or ce total est là encore très exagéré puisque onze de ces candidats soutenus par Trump – John Boozman (Arkansas), Mike Crapo (Idaho), Chuck Grassley (Iowa), John Hoeven (Dakota du Nord), Mike Lee (Utah), Jeremy Moran (Kansas), Rand Paul (Kentucky), Ron Johnson (Wisconsin), John Neely Kennedy (Louisiane), Tim Scott (Caroline du Sud) et Marco Rubio (Floride) – étaient des sortants et n’avaient besoin de personne pour remporter leurs primaires respectives (96 % des sénateurs sortants sont réélus). Et sur les 10 restants, il n’y a en réalité eu que 7 victoires aux primaires : Katie Britt (Alabama), Ted Budd (Caroline du Nord), Adam Laxalt (Nevada), Blake Masters (Arizona), Mehmet Oz (Pennsylvanie), James David Vance (Ohio) et Herschel Walker (Géorgie). Avec peu de chances toutefois qu’elles se concrétisent en autant de postes au Capitole en novembre, mis à part Adam Laxalt, qui est déjà la surprise de ce scrutin, de par ses bons sondages.</p>
<p>On a aussi abondamment parlé des <a href="https://www.politico.com/news/2021/06/06/gop-convention-491993">« verdicts » rendus par Donald Trump</a>, condamnant à la défaite ceux qui l’avaient trahi, ne l’avaient pas soutenu comme il le souhaitait ou – pis encore – <a href="https://www.reuters.com/world/us/trumps-revenge-endorsements-drive-republican-congressman-race-2021-09-09/">avaient voté pour sa destitution en janvier 2021</a>. La légende des « félons battus » a été largement diffusée, commentée et exagérée : chaque défaite d’un des <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20210114.OBS38835/ils-se-rebellent-contre-trump-10-elus-republicains-ont-vote-pour-sa-destitution.html">dix Républicains qui avaient voté en faveur de l’<em>impeachment</em></a> a semblé donner corps à sa force de frappe, portée par son désir de revanche.</p>
<p>Sauf que la réalité a été amplement déformée : quatre de ces élus ne se représentaient pas et, si trois sur les six restants ont effectivement été battus, c’est un peu léger pour en faire la base d’une démonstration quelconque.</p>
<p>Porter au crédit de Trump le fait que certains de ses adversaires au sein du parti ne se sont pas représentés cette fois est également ridicule : les mêmes observateurs affirmeront-ils que Biden a conduit 15 à 20 % des membres du Congrès à ne pas se représenter en 2024 ? C’est pourtant bien ce qui devrait arriver, mais pour une raison très simple et très logique : 23 % des membres du Congrès actuel ont plus de 70 ans. Pour rester sérieux, il y a des gens qui ne se représentent pas, à chaque élection, tout comme il y a des battus, y compris parmi les sortants.</p>
<p>Cette année, 39 Démocrates et 117 Républicains ont perdu leur siège lors des primaires, qu’ils aient concouru pour la Chambre ou le Sénat des États-Unis ou pour la Chambre ou le Sénat de leur État. Mais remettons tout cela en perspective : il y avait 1 901 sortants républicains et 1 432 démocrates. 156 des défaites recensées sont dues au <a href="https://www.la-croix.com/Monde/%C3%89tats-Unis-Texas-bras-fer-redecoupage-electoral-2021-12-11-1201189694">redécoupage électoral</a>, qui a été décidé l’année dernière. Trump n’y est pas pour grand-chose.</p>
<p>Et puis, il y a eu les battus chez Trump, qu’il faut aussi évoquer, les plus connus étant Madison Cawthorn, le plus MAGA des MAGA, défait en Caroline du Nord, Charles Hebster, battu dans le Nebraska, David Perdue en Georgie ou Janice McGechin, vaincue en Idaho.</p>
<p>Si on fait dire ce qu’on veut aux chiffres et aux événements, il a été de façon surprenante presque ignoré que Trump a fini par sombrer totalement en Géorgie, lorsque Brian Kemp a remporté la primaire pour le poste de gouverneur et <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/09/21/les-enquetes-autour-de-donald-trump">Brad Raffensperger</a> (l’homme qui avait refusé de « trouver 11 700 voix » pour Trump en 2020) celui de secrétaire d’État. Ils étaient bien pourtant tous les deux, aux yeux de Trump, des cibles privilégiées à abattre en priorité.</p>
<p>Ajoutons que lorsque les candidats soutenus par Trump fléchissaient dans les intentions de vote, l’ancien président n’a pas hésité à leur retirer son soutien, comme <a href="https://edition.cnn.com/2022/06/16/politics/donald-trump-mo-brooks-loyalty-alabama-senate/index.html">dans le cas de Mo Brooks en Alabama</a>, ou à jouer le flou artistique en lançant un étrange <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/08/02/trump-missouri-senate-eric/">« vote Eric »</a>, lorsque Eric Schmidt a été annoncé vainqueur par les sondages dans le Missouri… alors que l’ancien président avait apporté son soutien officiel à Eric Greitens, qui a finalement fait un piètre score et a perdu, le soutien du chef des MAGA ne lui ayant rien apporté.</p>
<h2>Quelques camouflets cinglants</h2>
<p>Il n’y a donc rien de bien nouveau : on a été confronté à une stratégie d’enfumage et de manipulation, que le 45<sup>e</sup> président maîtrise parfaitement bien. Rendons à César ce qui est sien : quelques candidats ont pleinement bénéficié de son aura, qui leur a permis de gagner dans des combats difficiles, comme J.D. Vance en Ohio ou Mehmet Oz en Pennsylvanie.</p>
<p>Mais comme il s’agissait de confrontations au sein même du Parti républicain, comment ne pas s’étonner que la supposée domination outrancière de Trump n’ait pas suffi à éliminer la concurrence acharnée à laquelle « ses » candidats ont été confrontés ? D’ailleurs, même un « très bien élu » comme <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/blake-masters-associe-de-peter-thiel-et-soutenu-par-donald-trump-futur-senateur-de-l-arizona-927635.html">Blake Masters</a> en Arizona n’a finalement récolté que 40 % des voix des votants s’étant identifiés comme sympathisants du Parti républicain, ce qui signifie que 60 % n’ont pas souhaité pour le candidat de Trump.</p>
<p>N’est-ce pas le même Trump dont on nous disait qu’il était soutenu par 90 % des électeurs du GOP avant qu’il ne soit battu en 2020 ? Si on ajoute que le même Blake Masters avait également le soutien du richissime businessman <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/11/19/peter-thiel-le-cavalier-solitaire-de-la-silicon-valley_6102636_4500055.html">Peter Thiel</a>, qui a déversé ses millions sur cette campagne, le score obtenu est vraiment très décevant.</p>
<p>Ni Trump, ni les candidats qui ont reçu son soutien n’ont dominé les primaires. Elles ont même été très difficiles pour eux, et le Parti démocrate a parfois joué avec le feu en finançant des vidéos pour attaquer certains d’entre eux, en ne doutant pas une seconde du résultat engendré : cette campagne inattendue projetait le candidat en question sur le devant de la scène et lui apportait le plus souvent les quelques voix qui lui manquaient. Pour les Démocrates, il s’agissait de rejeter le Parti républicain à l’extrême droite, pour qu’il soit plus facile de le battre en novembre, lors de la véritable élection.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4oF_B76tBKs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Trump n’a donc rien contrôlé du tout. Pis encore : en panne d’idées, il a poursuivi sa stratégie de division, durcissant son discours et se montrant de plus en plus complotiste, notamment sur son réseau <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/3348411-20220910-truth-social-reseau-social-donald-trump-nouveau-repaire-complotistes">Truth Social</a>. La conséquence a été perceptible dans les élections partielles, provoquées par une démission ou un décès.</p>
<p>En Virginie, <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2022/07/14/youngkin-trump-republican-00045766">Glenn Youngkin</a> l’a emporté en ne citant pas une seule fois le nom de Trump. Cette victoire, quasiment inespérée sur une terre qui avait été reprise en 2016 par les Démocrates, a montré qu’il y avait une autre voie possible. En juillet 2021, le républicain <a href="https://www.texastribune.org/2021/07/29/jake-ellzey-donald-trump-texas-6-congressional-seat/">Jake Ellzey</a> a suivi ce même chemin et a battu la candidate soutenue par le boss, Susan Wright, causant un véritable émoi au plan national. Pas encore de quoi retourner les esprits et encourager à la fronde ; mais tout de même, il s’était passé quelque chose… Rien ne s’est arrangé par la suite, jusqu’à la défaite surprise de Sarah Palin en Alaska qui, de surcroît, donnait le siège à une Démocrate ! Et dans la campagne de réélection (il s’agissait d’une partielle), et à trois semaines du scrutin, l’ancienne candidate à la vice-présidence des États-Unis est à la traîne de plus de 25 points d’après les sondages. L’effet Trump a fait pschitt.</p>
<h2>Le début de la fin pour Trump ?</h2>
<p>Tout le monde a parfaitement compris que la stratégie de Donald Trump n’allait pas changer : tout comme il avait réussi à agglomérer 74 millions de voix autour de son nom en 2020, il lui semblait évident qu’il lui fallait cultiver les divisions de l’Amérique pour être placé sur la rampe de lancement d’un retour prévu en 2024. Il a donc commencé à évoquer ce retour, à faire miroiter une annonce imminente.</p>
<p>Mais on a désormais l’habitude : la politique américaine n’aime pas beaucoup les scénarios écrits d’avance… La cote personnelle de Trump n’a pourtant pas chuté auprès de ses partisans, et tous les sondages confirment qu’il reste toujours aussi aimé au sein du Parti républicain. Mais, cruellement, ces mêmes sondages commencent aussi à faire entendre une autre musique.</p>
<p>Telle la reine dans Blanche-Neige qui n’était plus la plus belle dans le reflet de son miroir, les électeurs de droite posent désormais leurs regards, dans la perspective de la prochaine présidentielle sur quelques autres, dont l’ancien vice-président Mike Pence, qui a entamé une <a href="https://abcnews.go.com/Politics/mike-pence-campaigns-republican-candidates-iowa-fueling-2024/story?id=88636266">grande campagne</a> dès le début de l’été, ou le gouverneur de Floride, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/06/10/qui-est-ron-desantis-le-republicain-qui-pourrait-affronter-donald-trump_6129714_4500055.html">Ron de Santis</a>, souvent appelé le « mini-Trump » et qui n’espère qu’une chose : devenir plus grand. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/21/des-utilisateurs-de-tiktok-revendiquent-le-sabotage-du-meeting-de-trump_6043657_3210.html">Les meetings de Donald Trump</a> ont commencé à se vider, les salles ne se remplissent plus : même au congrès de la Conservative Political Action Conference en février, il n’y avait que 1 500 convaincus dans une salle prévue pour 3 000 personnes. En Arizona, à 28 jours de l’élection et dans un des États les plus critiques, ils n’étaient pas plus nombreux.</p>
<p>Enfin, n’oublions pas les potentiels <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/22/etats-unis-la-famille-trump-poursuivie-pour-avoir-gonfle-sa-fortune_6142644_3210.html">ennuis judiciaires</a> à venir de Donald Trump. En effet, à partir du 9 novembre, tout le monde s’intéressera à 2024. Mais Trump aura très certainement d’autres préoccupations en tête : le ministre de la Justice a donné la consigne de ne pas inculper l’ancien président pendant la période électorale. Il n’a pas parlé de ce qui va se passer après…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190760/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump continue certes de peser sur la vie du Parti républicain, mais il n’a pas influencé les primaires du parti autant qu’il le prétend, loin de là.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1884042022-09-01T17:50:53Z2022-09-01T17:50:53ZDu tic à la tactique : les mécanismes grammaticaux de l’infox à travers les tweets de Donald Trump<p>Sur Twitter, le format court et percutant impose une certaine standardisation de l’expression. Pour autant, chaque « twitto » a son propre style, ses habitudes d’écriture. Mais quand on se penche sur des comptes particulièrement populaires ou influents, observer les tics d’écriture peut se révéler riche d’enseignements. Dans quelle mesure l’auteur utilise-t-il un écrit systématisé pour maximiser l’effet de ses paroles sur ses followers et assurer une certaine viralité à ses propos ?</p>
<p>Regardons en quelques lignes la manière dont Donald Trump use de Twitter pour propager des informations contenant des informations dont les faits sont prouvés comme faux (des infox, ou fake news en anglais).</p>
<p>Donald Trump, entre 2017 et 2021, a envoyé 30 573 tweets <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/politics/trump-claims-database/?itid=lk_inline_manual_11">jugés fallacieux et erronés par les médias américains</a> ; parmi ces messages, 14 928 prennent le lecteur à témoin (« You »), 2685 lui rappellent ce qu’il sait (« You know ») et 746 ajoutent des informations avec « et c’est »/« et ça » (« And then,/and that’s »), quand plusieurs milliers utilisent une forme assez étrange de conjonction de coordination en tête de phrase ? : « Et » précédé d’un point (« . And »).</p>
<p>Est-ce là un style simplement allégé pour public pressé, qui lit sur son écran de téléphone ? Disons plutôt que Donald Trump utilise une écriture <em>efficace</em> – faite de prises à témoin, d’appositions, d’affirmations du couple <em>je/vous</em>, de rupture grammaticale et d’élisions (la suppression d’éléments essentiels au sens ou à la grammaire) – qui se situe à deux niveaux de l’analyse grammaticale : la grammaire de phrase et la grammaire de modélisation. La première <a href="https://grammaire.reverso.net/la-phrase/">analyse comment on construit les phrases</a> ; la seconde analyse <a href="https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/modalisation.php">comment on construit un texte qui donne un avis ou une opinion</a>. Donald Trump choisit des effets stylistiques renforçant la perte de jugement du lecteur en insistant sur la position d’autorité qui est la sienne.</p>
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<p>Par ses tics d’écriture, Donald Trump ne convainc pas, il subjugue. Sa grammaire n’est pas argumentative mais émotionnelle, il s’exprime à la manière d’un prédicateur, ce qui, en termes de raisonnement démocratique, n’est pas des plus rassurant, mais en vue d’une élection permet de se constituer un faction de fidèles en fractionnant la société en groupes irréconciliables.</p>
<p>Rappelons que les infox sont étudiées avec des outils qui permettent de les cibler ou de les penser selon des méthodologies différentes qui ont été analysées dans l’ouvrage publié sous la direction de Ioan Roxin, <a href="https://www.researchgate.net/profile/Ioan-Hosu/publication/336603703_Information_Communication_et_Humanites_Numeriques/links/5da80d22a6fdccdad54ade6d/Information-Communication-et-Humanites-Numeriques.pdf"><em>Information, Communication et Humanité numérique</em></a>.</p>
<p>Rappelons que la grammaire permet de construire le discours, donc de porter l’information. Une utilisation très neutre et informative de la langue crée une relation au lecteur, quand une utilisation très personnelle, marquée par des Je, des adjectifs de valeurs, des exclamations fabrique une tout autre posture qui lie plus intimement émetteur et récepteur.</p>
<h2>Grammaire de modélisation</h2>
<p>Une analyse grammaticale permet de signaler les phénomènes à l’œuvre dans l’écriture du message. En effet, la grammaire utilisée par les infox courtes (quelques dizaines de mots) correspond à ce qu’on appelle la grammaire de la modélisation. Ce champ grammatical consiste à utiliser des procédés linguistiques pour renforcer la présence de l’émetteur, d’insister sur la dimension personnelle, pour affirmer de manière très forte l’avis et l’opinion de celui qui écrit. Ainsi le « Je », les verbes d’opinion (penser, croire, estimer, vouloir), les adjectifs et adverbes de valeurs (meilleurs, bien, utile, supérieur, vrai et faux) sont utilisés massivement.</p>
<p>Cette utilisation de la grammaire de modélisation est inattendue car on aurait plutôt pensé qu’une information trompeuse était construite comme un raisonnement, donc correspondait à une grammaire de l’argumentation. En réalité, une infox n’est pas un discours trompeur qui embarque le lecteur dans une série d’arguments qui perturbe son sens de la logique et du raisonnement. Ce serait alors une grammaire de l’argumentation, avec par exemple des liaisons de type « ainsi, alors, c’est pourquoi, donc », des verbes comme « déduire, conclure, montrer, signaler, analyser », et une grammaire de phrase reposant sur la subordination de cause (parce que), de condition (si) de conséquence (si bien que), de concession (bien que), de but (pour que)…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-donald-trump-et-vladimir-poutine-devoient-le-concept-de-verite-177886">Comment Donald Trump et Vladimir Poutine dévoient le concept de vérité</a>
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<p>En réalité, nous ne sommes pas trompés par un tweet, nous y adhérons parce qu’il exprime l’avis clairement assumé d’une personne que nous considérons comme référentielle. Ce qui explique ainsi que malgré des affirmations largement dénoncées comme fausses, monsieur Donald Trump continue de jouir d’une grande popularité : on le croit parce que sa parole est perçue comme honnête. Indépendamment de son contenu.</p>
<p>C’est dans une fausse simplicité que se niche l’enjeu de l’écriture grammaticale du tweet.</p>
<p>La grammaire de l’infox repose en effet sur des effets très travaillés de ruptures grammaticales qu’on pourrait analyser comme des tics de langage. On utilise des formules répétées, au style relâché, mais qui sont en fait calculées pour leur effet « naturel » ou pour l’aspect peu travaillé qu’elles semblent manifester. Je dis la vérité car mon style est brut, peu littéraire, naturel, directement issu de ma pensée profonde. J’écris sans fard (sans effet stylistique), donc je parle vrai !</p>
<p>Analysons quelques phénomènes très répétés, dans les tweets de Donald Trump, de cette forme d’affirmation grammaticale de l’opinion véridique.</p>
<h2>Connecteurs logiques et familiarité</h2>
<p>L’usage en début de phrase d’un connecteur logique (comme « And by the way », « Et d’ailleurs », par exemple) permet de poursuivre un raisonnement absent, mais qui enchaîne uniquement sur ce que le lecteur aurait déjà dans l’esprit. « Et au fait/et d’ailleurs » introduit théoriquement une suite, et ne peut être un début… c’est aussi induire l’idée d’une conversation ininterrompue, donc d’une proximité de pensée entre locuteur et récepteur.</p>
<p>C’est le cas ici : </p>
<blockquote>
<p>« Et au fait, est-ce que quelqu’un croit que Joe a eu 80 millions de votes ? Est-ce que quelqu’un croit cela ? Il avait 80 millions de votes par ordinateur. C’est une honte. » (« And by the way, does anybody believe that Joe had 80 million votes ? Does anybody believe that ? He had 80 million computer votes. It’s a disgrace », 6 janvier 2021.)</p>
</blockquote>
<p>Ou encore ici : </p>
<blockquote>
<p>« Et au fait, Joe Biden n’a pas battu Barack Obama avec, euh, le vote noir. Ne l’a pas battu, d’accord ? » (« And by the way, Joe Biden did not beat Barack Obama with, uh, the Black vote. Didn’t beat him, okay ? », 26 novembre 2020.)</p>
</blockquote>
<p>On retrouve ici tic d’écriture, faute de grammaire (l’absence de sujet dans la seconde phrase), élisions, mais il s’agit surtout d’indiquer que lecteurs et auteur sont sur la même longueur d’onde puisque capables de poursuivre un raisonnement non énoncé. En somme, dit Trump à travers cette formulation, vous êtes à ce point complices avec moi que vous pouvez suivre ma pensée même si je ne l’exprime pas. Vous poursuivez ma logique même en la prenant en cours de route, sans qu’elle ait besoin d’être formulée.</p>
<h2>Créer des ruptures</h2>
<p>Le goût de la rupture, qui brise la fluidité de la lecture, permet d’authentifier la pensée ou de prendre à témoin le lecteur. Donald Trump utilise les appositions introduites par des tirets ou des virgules plutôt que par des parenthèses, en vue d’apporter des jugements très personnels qui insistent sur le fait qu’il exprime une pensée qui lui est propre.</p>
<p>On note la grande présence par exemple sous sa plume des « vous savez » en apposition (« you know »). C’est un avis très individuel qui s’exprime, qui semble s’appuyer sur la pensée déjà acquise du lecteur :</p>
<blockquote>
<p>« Et au fait, nous avons annoncé, vous savez, que j’ai prépayé des millions et des millions de dollars d’impôts. » (« And by the way we announced, you know, I prepaid millions and millions of dollars in taxes », 2 novembre 2020.)</p>
</blockquote>
<p>Le procédé se trouve souvent en relation avec un autre tic d’écriture qui consiste à placer le sujet en apposition en début de phrase, puis à le répéter par un pronom immédiatement après. </p>
<blockquote>
<p>« Nos magnifiques vétérans, ils ont été très mal traités avant notre arrivée. Et, comme vous le savez, nous leur obtenons un excellent service de [santé] et nous prenons en charge la facture, et ils peuvent sortir et consulter un médecin s’ils doivent attendre longtemps. » (« Our beautiful vets, they were very badly treated before we came along. And, as you know, we get them great service and we pick up the bill, and they can go out and they can see a doctor if they have to wait long periods of time », 20 janvier 2021.)</p>
</blockquote>
<p>Les appositions en général sont le lieu de l’information très personnelle, et donc très fallacieuse : l’apposition met en valeur une partie de la phrase (puisque cette partie est isolée par la ponctuation) et permet d’autant plus au message qu’elle contient d’imprégner le lecteur. C’est donc là que s’expriment les idées les plus contestables. Les appositions rompent la lecture et invitent le lecteur à partager leur contenu.</p>
<h2>Abuser des verbes de jugement</h2>
<p>La prise à témoin par l’usage de verbe de jugement (croire, pouvoir, deviner, estimer) permet au Président de rappeler qu’une communauté de pensée l’unit à son électorat/lectorat : </p>
<blockquote>
<p>« Ne peux pas croire qu’un juge puisse mettre notre pays dans un tel péril. Si quelque chose arrive, blâmez-le lui, et le système judiciaire. Les gens affluent. Mauvais ! » (« Just cannot believe a judge would put our country in such peril. If something happens blame him and court system. People pouring in. Bad ! », 5 février 2017.)</p>
</blockquote>
<p>C’est le cas ici :</p>
<blockquote>
<p>« Vous y croyez ? L’administration Obama a accepté de prendre des milliers d’immigrants illégaux venus d’Australie. Pourquoi ? Je vais étudier cette affaire de fou ! » (« Do you believe it ? The Obama Administration agreed to take thousands of illegal immigrants from Australia. Why ? I will study this dumb deal ! », 2 février 2017.)</p>
</blockquote>
<p>Ou encore ici :</p>
<blockquote>
<p>« Un reportage du Time magazine – et j’ai été en couverture 14 ou 15 fois. Je crois que nous avons le record de tous les temps dans l’histoire du Time magazine ». (« A reporter for Time magazine – and I have been on their cover 14 or 15 times. I think we have the all-time record in the history of Time magazine », 23 février 2017.)</p>
</blockquote>
<p>En réalité, le président Nixon a été en couverture du <em>Time</em> 50 fois et le président Reagan 37 fois… Mais peut-on reprocher à un homme de se tromper lorsqu’il dit « je crois » ? Le mot « believe » (croire) apparaît dans plus de 600 de ses tweets, « you can » (« vous pouvez ») près de 500 fois, « you want » (vous voulez) 176 fois, « think » (penser) 2 050 fois…</p>
<p>Pour analyser une habitude d’écriture (« And by the way », « what », « you know » ou l’importance des verbes de parole ou de sentiment), il faut s’interroger sur l’effet produit avant de réfléchir en termes de pauvreté d’expression. En se mettant en scène comme un individu possédant son propre jugement, l’auteur provoque par ses multiples tics une adhésion forte de son lectorat à sa pensée.</p>
<p>En jouant sur la certitude de la pensée vraie et non sur le raisonnement, cette écriture est dangereuse pour le débat démocratique, en ce qu’elle appelle une adhésion au jugement clairement assumée et non à l’idée sous-tendue : ce qui est mis en évidence par l’écriture est l’avis très personnel et non l’idée démontrable.</p>
<p>En fait, vous voyez, en politique, je crois que nous sommes dans l’ère des gourous…</p>
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<p><em>A lire :<br>
● <a href="https://www.researchgate.net/profile/Ioan-Hosu/publication/336603703_Information_Communication_et_Humanites_Numeriques/links/5da80d22a6fdccdad54ade6d/Information-Communication-et-Humanites-Numeriques.pdf">« Grammaire de la fake news. Deux modalités de l’écriture de la fake news en média court et média long »</a>, Florent Montaclair, Accent, 2019.<br>
● <a href="http://www.pcub.fr/Le-D%C3%A9fi-galil%C3%A9en/">« Le Défi Galiléen et autres discours »</a>, Florent Montaclair et Noam Chomsky, UPAE, Lewes (DE, États-Unis), 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188404/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Montaclair ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Par ses tics d’écriture sur Twitter, Donald Trump ne convainc pas, il subjugue. Sa grammaire n’est pas argumentative mais émotionnelle : il s’exprime à la manière d’un prédicateur.Florent Montaclair, Enseignant, Directeur des Etudes de l'Institut National Supérieur de l'Enseignement et de la Pédagogie, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1806222022-04-06T21:17:30Z2022-04-06T21:17:30ZLe poutinisme à toute épreuve de Donald Trump et de ses partisans<p>Si une <a href="https://edition.cnn.com/2022/02/28/politics/cnn-poll-russia-ukraine-us-aid/index.html">grande majorité de citoyens des États-Unis</a>, quelles que soient leurs sympathies politiques, condamnent sans ambages l’invasion de l’Ukraine lancée par Moscou et soutiennent les sanctions adoptées par l’administration Biden contre le régime russe, l’unanimité n’est pas totale, spécialement au sein du camp républicain : Donald Trump et une bonne partie de ses partisans <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/feb/27/donald-trump-defends-calling-putin-smart-hints-at-2024-presidential-bid">continuent d’afficher leur respect</a> envers Vladimir Poutine.</p>
<p>Comment expliquer la constance de cette posture, déjà <a href="https://edition.cnn.com/2019/11/17/politics/trump-soft-on-russia/index.html">largement observée</a> pendant le mandat de Trump (2016-2020) ? Et quelles peuvent en être les conséquences en vue des élections de mi-mandat qui auront lieu dans quelques mois ?</p>
<h2>Un moment d’unité politique aux États-Unis ?</h2>
<p>Jusqu’à l’agression russe lancée le 24 février, seule une minorité de Républicains (<a href="https://fr.scribd.com/document/557651509/20220207-Yahoo-Tabs-Ukraine">42 %</a>) avaient pris parti pour l’Ukraine dans le conflit qui l’oppose à la Russie depuis 2014. En <a href="https://morningconsult.com/2017/05/24/republicans-warming-russia-polls-show/">2017</a>, 49 % des Républicains considéraient même la Russie comme un allié tandis que 32 % avaient une opinion favorable de Poutine.</p>
<p>Ils sont désormais <a href="https://fr.scribd.com/document/561708803/20220228-yahoo-tabs-abb-1">58 % à soutenir l’Ukraine</a>, (contre 57 % pour l’ensemble de la population) et plus que <a href="https://poll.qu.edu/poll-release?releaseid=3837">6 %</a> à avoir une opinion favorable de Poutine. Quant aux Démocrates, leur soutien à l’Ukraine, toujours majoritaire, n’a fait que croître, passant de <a href="https://fr.scribd.com/document/557651509/20220207-Yahoo-Tabs-Ukraine#download">58 %</a> à <a href="https://fr.scribd.com/document/561708803/20220228-yahoo-tabs-abb-1#download">70 %</a> depuis l’invasion du 24 février.</p>
<p>L’existence de cet ennemi commun que semble désormais représenter Poutine suffira-t-elle à reconstruire l’unité nationale autour de valeurs partagées comme cela a <a href="https://books.google.fr/books/about/Defining_Americans.html?id=GqntAAAAMAAJ&redir_esc=y">déjà pu être le cas</a> dans l’histoire des États-Unis ? Il est permis d’en douter.</p>
<p>Tout d’abord parce que les troupes américaines ne sont pas, à ce stade, impliquées dans la guerre : il n’y a donc pas de ralliement autour du drapeau. Pas de ralliement non plus <a href="https://www.ipsos.com/en-us/news-polls/why-hasnt-biden-felt-rally-round-flag-effect">autour du président Biden</a>, dont le taux d’approbation, en chute depuis le retrait d’Afghanistan en août 2022, reste au plus bas (<a href="https://news.gallup.com/poll/390953/biden-job-rating-tepid-covid-russia-handling.aspx">42 %</a>). Les Républicains ont d’ailleurs su saisir cette occasion pour <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/17/us/politics/republicans-biden-ukraine.html">accuser Joe Biden</a> de « faiblesse » face à Poutine, et d’avoir fait « trop peu, trop tard ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501263610835873799"}"></div></p>
<p>Surtout, un mois après l’invasion russe, les électeurs semblent <a href="https://poll.qu.edu/poll-release?releaseid=3841">davantage préoccupés par l’inflation</a> – une inflation qu’ils attribuent à la politique économique de l’administration Biden (41 %) plus qu’à la guerre en Ukraine et aux sanctions prises contre la Russie (24 %).</p>
<h2>La réaction du camp Trump</h2>
<p>La guerre de Poutine a mis en exergue les tensions au sein d’un Parti républicain travaillé entre, d’une part, ses tendances nationalistes (« America First », slogan cher aux trumpistes), voire parfois isolationnistes et, d’autre part, ses courants internationalistes, plus interventionnistes. Si les chefs des groupes républicains au Sénat et à la Chambre des représentants ont tous deux condamné Poutine, les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/guerre-en-ukraine-le-parti-republicain-gene-par-les-accents-pro-poutine-des-trumpistes_2169939.html">partisans de Donald Trump</a>, eux, cherchent un récit alternatif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499459566962106375"}"></div></p>
<p>Face aux possibles retombées politiques de l’invasion russe, le camp pro-Trump s’est <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2022/04/02/trump-conservatives-emergency-meeting-gop-russia-00022419?s=03">réuni en urgence dans un hôtel de Washington</a> pour élaborer un contre-récit remettant en cause l’idée exprimée par Joe Biden d’une guerre au long cours entre <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/03/26/remarks-by-president-biden-on-the-united-efforts-of-the-free-world-to-support-the-people-of-ukraine/">« autocratie et démocratie, entre liberté et répression »</a>. Quitte à affirmer que la guerre a été causée en premier lieu par les États-Unis et l’OTAN, et à refuser toute intervention à l’encontre de la Russie.</p>
<h2>Le soutien de Trump et de ses alliés à Poutine</h2>
<p>Donald Trump fait traditionnellement <a href="https://www.thedailybeast.com/donald-trumps-praise-of-vladimir-putin-comes-after-applauding-hussein-kim">preuve de complaisance</a> à l’égard des leaders étrangers qu’il considère forts, charismatiques et autoritaires, y compris Vladimir Poutine.</p>
<p>Certes, son administration s’était <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/21/nord-stream-2-trump-signe-la-loi-imposant-des-sanctions-contre-le-gazoduc-qui-doit-relier-la-russie-et-l-allemagne_6023691_3234.html">opposée à la construction du gazoduc Nord Stream 2</a> et avait voté <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-50875935">l’envoi d’une aide militaire à l’Ukraine</a>). Mais Trump avait tout au long de son mandat fait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GjpGfjzheeo&t=1s">l’éloge du président russe</a>, notamment pour des raisons d’intérêt personnel : rappelons qu’une procédure de destitution avait été initiée contre Trump en 2019 après qu’il eut <a href="https://www.franceinter.fr/monde/impeachment-voici-la-retranscription-de-l-appel-telephonique-entre-donald-trump-et-le-president-ukrainien">tenté de contraindre</a> son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky d’annoncer publiquement l’ouverture d’une enquête sur les <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2019/09/26/ce-que-lon-sait-sur-les-activites-dhunter-biden-en-ukraine">activités en Ukraine</a> d’Hunter Biden, le fils de Joe Biden.</p>
<p>Le 23 février 2022, l’ancien président <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gNxvSxaGeDE">qualifiait encore Poutine</a> de « génie ». Ce n’est que du bout des lèvres qu’il a par la suite exprimé, dans le quotidien conservateur <a href="https://www.washingtonexaminer.com/news/campaigns/im-surprised-trump-didnt-think-putin-would-order-ukraine-invasion"><em>The Washington Examiner</em></a>, sa surprise quant à l’invasion de l’Ukraine.</p>
<p>Mais Donald Trump n’est que le fer de lance d’un mouvement plus profond. De nombreuses personnalités politiques et médiatiques à l’extrême droite du Parti républicain soutiennent Poutine depuis des années. Le très influent animateur de Fox News, Tucker Carlson, en est l’illustration la plus visible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tucker Carlson sur la chaîne américaine d’information en continu Fox News. Le texte russe dit : « Si on nous avait dit que l’administration américaine a non seulement financé des laboratoires biologiques secrets en Ukraine… » Tucker Carlson répète ici une théorie complotiste martelée par la propagande russe liant Hunter Biden à des laboratoires de bio-ingénierie ukrainiens au sein desquels des virus visant spécifiquement les Russes (sic) auraient été développés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran YouTube/Fox News</span></span>
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<p>En 2019, Carlson avait déjà appelé à <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/02/25/tucker-carlson-russia-views-evolution/">soutenir la Russie</a> dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine. Et en 2022, alors même que les troupes russes pénètrent en Ukraine, il minimise le conflit en invitant ses spectateurs à se demander pourquoi ils détestent Poutine et en <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/03/11/how-right-embraced-russian-disinformation-about-us-bioweapons-labs-ukraine/">relayant la désinformation russe</a> sur l’existence de laboratoires d’armes chimiques en Ukraine, supposément financés par Le Pentagone.</p>
<h2>Une guerre culturelle plutôt qu’une guerre pour la démocratie</h2>
<p>Le Parti républicain, qui soutenait autrefois, notamment sous les deux mandats de Ronald Reagan (1980-1988), une approche musclée, missionnaire et moraliste du rôle des États-Unis dans le monde, est aujourd’hui bouleversé par un nationalisme davantage préoccupé par les enjeux culturels que par les valeurs démocratiques.</p>
<p>Le mouvement de la « guerre culturelle » avait été initié dès la fin de la guerre froide par Pat Buchanan, qui avait aussi repopularisé le slogan « America First ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gDkQaRFxsVU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pat Buchanan s’en prend aux Démocrates lors de la Convention nationale des Républicains en 1992.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette nouvelle droite considère Poutine comme un allié en tant que figure hypermasculine, autoritaire, défendant les valeurs traditionnelles face aux revendications féministes, LGBTQ et musulmanes, et face à la décadence religieuse censée gangrener la société occidentale. Une fascination pour l’autocrate russe qui existe d’ailleurs également <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/pourquoi-vladimir-poutine-est-devenu-le-super-heros-de-lextreme-droite-europeenne_1981369.html">au sein des extrêmes droites européennes</a>.</p>
<p>Poutine joue très bien sur les divisions occidentales. Ce n’est pas par hasard si, en pleine guerre, il a <a href="https://www.reuters.com/world/europe/putin-says-west-trying-cancel-russian-culture-including-tchaikovsky-2022-03-25/">comparé</a> l’ostracisme de la Russie à celui subi par l’auteure des livres <em>Harry Potter</em>, accusée de « transphobie » :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas si longtemps, l’écrivaine pour enfants J.K. Rowling a également été annulée parce qu’elle […] ne plaisait pas aux fans de la soi-disant liberté de genre. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ces controverses liées au corps, au genre et à la sexualité, Joe Biden, marqué par son âge et enclin au bégaiement et aux gaffes, incarne davantage la faiblesse de l’Occident, tandis que Poutine et Trump se mettent en scène depuis des années de façon à incarner la force, l’hypermasculinité et la virilité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Donald Trump s’associe au champion de catch Bobby Lashley.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Voxcatch</span></span>
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<p>La droite chrétienne, qui vote très largement pour le Parti républicain, voit également la Russie comme un allié de poids dans son combat pour un retour à un passé nostalgique et fantasmé et contre la laïcisation et la décadence morale et sexuelle de la société. La proximité de <a href="https://religionnews.com/2022/03/21/franklin-graham-russia-and-the-moralist-international/">l’influent Franklin Graham</a>, le fils du pasteur Billy Graham, avec Poutine et le Patriarche Kirill, qui a fait de l’Église orthodoxe russe une <a href="http://www.slate.fr/story/95027/cyrille-patriarche-poutine">arme de promotion des « valeurs familiales traditionnelles »</a> en Russie et sur la scène internationale n’est pas une surprise. Pour les militants culturels pro-Trump, l’ennemi est davantage la gauche démocrate progressiste aux États-Unis que Poutine en Russie.</p>
<h2>Les positions pro-Poutine du camp Trump peu gênantes pour sa popularité</h2>
<p>Si aujourd’hui <a href="https://poll.qu.edu/poll-release ?releaseid=3841">54 %</a> des États-Uniens pensent que les personnalités publiques nationales qui expriment leur admiration pour Vladimir Poutine font preuve d’antipatriotisme, une majorité (<a href="http://harvardharrispoll.com/wp-content/uploads/2022/01/HHP_March2022_Key-results.pdf">58 %</a>) considère aussi que Poutine n’aurait pas envahi l’Ukraine si Donald Trump était président. Le <a href="http://harvardharrispoll.com/wp-content/uploads/2022/01/HHP_March2022_Key-results.pdf">même sondage Harvard-Harris de mars 2022</a> révèle que Donald Trump devancerait aussi bien Joe Biden que Kamala Harris à l’élection présidentielle de 2024 s’ils étaient candidats.</p>
<p>Preuve en est que la rhétorique pro-Poutine de Trump et de ses alliés dans le Parti républicain ne constitue pour eux une véritable menace politique. Alors que la guerre sévit en Ukraine, Donald Trump n’a pas vu d’inconvénient à s’adresser directement au président russe pour demander, à l’instar de sa conversation avec Zelensky en 2019, des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/trump-a-un-message-pour-poutine-mais-ca-na-rien-a-voir-avec-la-guerre-en-ukraine_fr_6244021ce4b0742dfa58c691">informations compromettantes</a> sur Hunter Biden.</p>
<p>En se gardant de tout pronostic prématuré, il ne faut pour autant pas exclure l’hypothèse d’un Congrès et d’une Maison Blanche, respectivement en 2023 et 2025, bien plus conciliants à l’égard de Poutine. Les primaires qui ont lieu de <a href="https://www.270towin.com/2022-election-calendar/">mars à décembre 2022</a>, ainsi que les élections de mi-mandat en novembre 2022, diront si les trumpistes ont réellement pris le contrôle du Parti républicain. Elles pèseront donc d’un grand poids sur la façon dont, à l’avenir, Washington se positionnera sur le dossier russe…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180622/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du camp républicain, Donald Trump conserve une influence majeure. Comme durant son mandat, et malgré la guerre en Ukraine, il se montre très compréhensif vis-à-vis de Vladimir Poutine…Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1762862022-02-20T17:24:08Z2022-02-20T17:24:08ZÉtats-Unis : faut-il s’attendre à un coup d’État en 2024 ?<p>Le 6 janvier 2021, après des semaines d’appels à la mobilisation sur les réseaux sociaux, et quelques heures après un discours de Donald Trump prononcé à Washington à deux pas de la Maison Blanche, plusieurs milliers de partisans de celui qui était encore président pour quinze jours ont déferlé sur le Capitole, où le Congrès était réuni pour certifier la victoire de Joe Biden. Certains de ces manifestants semblaient bien décidés à en découdre, si l’on en juge par l’équipement militaire, les gilets pare-balles et les armes de guerre qu’ils arboraient. L’invasion du bâtiment, filmée et diffusée en direct dans le monde entier, s’est soldée par plusieurs morts et de nombreux blessés, et a donné une très mauvaise image de la démocratie américaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/attaque-du-capitole-du-6-janvier-2021-enjeux-et-consequences-pour-2022-174318">Attaque du Capitole du 6 janvier 2021 : enjeux et conséquences pour 2022</a>
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<p>La <a href="https://january6th.house.gov">commission d’enquête</a> créée à la suite des événements par la Chambre des représentants a, parmi ses objectifs, d’identifier les vrais responsables de l’insurrection et d’éviter qu’un tel événement puisse se reproduire.</p>
<p>Avant même l’élection de novembre 2020, Donald Trump avait dénoncé la fraude électorale que ne manquerait pas de commettre le camp démocrate et annoncé que s’il était donné perdant, c’est que sa victoire lui aurait été volée. Ses supporters étaient chauffés à bloc, si bien que, a posteriori, les événements du 6 janvier ne semblent pas si surprenants.</p>
<p>Les conséquences de l’attaque du Capitole sont à la fois politiques et judiciaires. L’enquête est loin d’être terminée et les risques sont multiples.</p>
<h2>Les effets politiques</h2>
<p>Le 13 janvier 2021, Donald Trump a <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-donald-trump-acquitte-au-terme-de-son-second-proces-en-destitution">échappé à la deuxième procédure de destitution</a> parce que les sénateurs républicains (à l’exception de 7 sur 50) ont jugé que ses paroles et actes du 6 janvier et des jours précédents ne justifiaient pas qu’ils le condamnent pour incitation à l’insurrection.</p>
<p>La commission d’enquête de la Chambre n’en continue pas moins son travail. Celle-ci n’est pas une commission mixte comme celle créée il y a vingt ans pour <a href="https://www.9-11commission.gov/">faire la lumière sur le 11-Septembre</a> car les Républicains <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/29/aux-etats-unis-les-republicains-bloquent-la-creation-d-une-commission-d-enquete-sur-l-attaque-du-capitole_6081951_3210.html">s’y sont opposés</a>. Mais elle comporte néanmoins deux élus républicains, Adam Kinzinger et Liz Cheney, qui se sont <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220205-%C3%A9tats-unis-les-deux-r%C3%A9publicains-liz-cheney-et-adam-kinzinger-bl%C3%A2m%C3%A9s-par-leur-parti">attiré les foudres de leur parti</a> pour avoir décidé d’y siéger.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NQYvWigehHQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La commission a déjà entendu 300 témoins et reçu quelque 30 000 pages de documents et de relevés financiers, dont 9 000 pages communiquées par l’ancien chef de cabinet de Trump, Mark Meadows, avant qu’il ne change d’avis et <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/12/07/lex-chef-de-cabinet-de-trump-refuse-finalement-de-cooperer-dans-lenquete-sur-lassaut-du-capitole">refuse de continuer à coopérer</a>.</p>
<p>Elle a aussi convoqué une cinquantaine d’alliés de l’ancien président, mais les principaux d’entre eux, comme l’éminence grise de la droite dure Steve Bannon, Jeffrey Clark (ancien haut responsable au ministère de la Justice), Mark Meadows et des élus comme Jim Jordan ou Paul Gosar refusent de comparaître ou de communiquer les documents demandés. Pour justifier leur refus, ils invoquent le <a href="http://lexpolamerica.com/Le-privilege-de-l-executif-aux,444">« privilège de l’exécutif »</a> (peut-être applicable à Meadows mais certainement pas à Bannon, qui n’a jamais travaillé à la Maison Blanche mais s’en prévaut néanmoins), le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787a.htm">Cinquième amendement</a> qui permet de garder le silence afin de ne pas s’incriminer, ou encore la liberté d’expression (laquelle ne couvre que les paroles prononcées dans l’exercice des fonctions de l’élu, et s’arrête à l’incitation à la violence).</p>
<p>Et tous ces proches de l’ancien président contestent en justice les citations à comparaître ou les assignations, alors que le président en place Joe Biden a indiqué que le privilège de l’exécutif ne s’appliquait pas car les informations demandées sont essentielles pour faire la lumière et éviter qu’un tel événement puisse se reproduire. Même si le premier juge les déboute, il y aura appel ; tout cela prend du temps et les Républicains cherchent précisément à gagner du temps car ils ont bien l’intention de reprendre la majorité en 2022 et d’enterrer toute enquête.</p>
<p>La commission a néanmoins remporté une victoire importante mi-janvier quand la Cour suprême a, dans une <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/jan/19/us-capitol-riot-trump-documents-national-archives">brève ordonnance</a>, rejeté la demande de Donald Trump de bloquer la communication de milliers de pages de documents officiels qui avaient été remis, conformément à la loi, aux bons soins du service des archives nationales (NARA). Cette décision devrait permettre à la commission de vérifier les noms de ceux qui sont venus voir Trump ce jour-là et lire les nombreux SMS paniqués de ses proches (dont sa fille) et de journalistes de Fox News le suppliant d’intervenir.</p>
<p>Ces documents ont déjà permis de découvrir un projet de décret qui prévoyait la saisie des machines à voter dans plusieurs États et vont mettre au grand jour les pressions exercées par Trump sur le vice-président Mike Pence <a href="https://edition.cnn.com/2022/01/20/politics/electoral-count-act-reform-senate/index.html">pour qu’il viole la loi Electoral Count Act</a> et modifie le décompte des grands électeurs et les résultats. Fin janvier 2022, la commission a <a href="https://edition.cnn.com/2022/01/28/politics/committee-subpoenas-14-republicans/index.html">cité à comparaître</a> 14 élus ayant participé à la constitution de groupes de faux grands électeurs dans sept États et coordonné leurs efforts pour envoyer ces listes aux archives nationales. Si certains des 14 acceptent de coopérer, il sera sans doute possible de mettre à jour la coordination de ces efforts et les responsables.</p>
<h2>La voie judiciaire</h2>
<p>La commission doit rendre son rapport avant les élections de mi-mandat, qui auront lieu en novembre prochain. Aura-t-elle assez d’éléments qui justifieraient d’inculpations et si oui, les transmettra-t-elle au Département de la justice pour qu’il engage des poursuites ? Trump se poserait alors certainement en victime et les Républicains dénonceraient l’acharnement des Démocrates. Ce qui polariserait un peu plus l’opinion, sans faire changer d’avis un seul des partisans de Trump, et saperait le travail de réhabilitation effectué par le ministre de la Justice <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/en-vue/merrick-garland-le-meritant-1279657">Merrick Garland</a> pour restaurer l’image d’un ministère indépendant dont les décisions ne sont pas soumises aux pressions du président.</p>
<p>Pourtant, la voie judicaire est essentielle pour prévenir le risque que le coup d’État qui a échoué de peu en 2020 ne réussisse en 2024.</p>
<p>Car il ne suffit pas de protéger physiquement l’enceinte du Capitole. Il faut poursuivre les quelque 3 000 personnes qui l’ont pris d’assaut et sanctionner les émeutiers, mais aussi les vrais responsables, ceux qui ont colporté le mensonge de l’élection volée, ceux qui ont collaboré pour envoyer de faux grands électeurs et ceux qui ont organisé le rassemblement du 6 janvier.</p>
<p>Parce que tous les assaillants sont ressortis libres du Capitole, il a fallu déployer des efforts considérables pour retrouver leurs traces. Grâce aux bureaux du FBI mobilisés dans chacun des 50 États et grâce, aussi, à un réseau de citoyens transformés en cyber-détectives, les <a href="https://www.huffpost.com/entry/sedition-hunters-fbi-capitol-attack-manhunt-online-sleuths_n_60479dd7c5b653040034f749">« Sedition Hunters »</a>, des milliers d’heures d’images et de vidéos postées sur les réseaux sociaux ont été analysées. Ce qui a permis de retrouver la trace de près de mille insurgés.</p>
<p>Sur les 3 000 individus, plus de 2 000 ont pénétré dans le Capitole et, à ce jour, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/attaque-du-capitole-par-des-militants-pro-trump/assaut-du-capitole-trois-chiffres-qui-resument-la-plus-grande-enquete-criminelle-de-l-histoire-americaine-menee-par-le-fbi_4905453.html">700 ont été inculpés</a>. 150 ont été poursuivis pour attaque de policiers et 50 pour conspiration. 183 ont plaidé coupable (en échange de chefs d’inculpation moins lourds), 78 ont été condamnés dont 35 à des peines de prison, dont le fameux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/17/assaut-du-capitole-le-chaman-lie-a-qanon-condamne-a-pres-de-trois-ans-et-demi-de-prison_6102459_3210.html">« Shaman QAnon »</a> et l’homme qui a <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-nord/etats-unis/assaut-du-capitole-un-homme-condamne-a-cinq-ans-de-prison-pour-avoir-agresse-des-policiers_AN-202112170523.html">gazé des policiers avant de les frapper avec un extincteur</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1461022862148608006"}"></div></p>
<p>Pour ceux qui ont plaidé non coupable, les procès vont commencer, et on peut s’attendre à des peines plus lourdes. Par ailleurs, un grand jury (dont le rôle est d’inculper ou non) a annoncé le 13 janvier 2022 <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/14/assaut-du-capitole-le-fbi-poursuit-la-milice-des-oath-keepers-pour-sedition_6109397_3210.html">l’inculpation de 11 membres du groupe d’extrême droite Oath Keepers</a> dont son dirigeant Stewart Rhodes pour association subversive (<em>seditious conspiracy</em>) sur le fondement des nombreux éléments (chats et divers messages dans lesquels les individus poursuivis ont planifié l’attaque du 6 janvier et l’achat d’armes). La peine maximale qu’ils encourent est de 20 ans de prison.</p>
<p>A un niveau plus élevé, verra-t-on un jour l’inculpation du président Trump, de ses affidés comme son avocat <a href="https://www.sudouest.fr/international/etats-unis/assaut-du-capitole-l-ex-avocat-de-trump-rudy-giuliani-convoque-par-la-commission-parlementaire-7867339.php">Rudy Giuliani</a> ou encore des élus comme <a href="https://www.businessinsider.com/mo-brooks-shifts-blame-to-staff-over-capitol-riot-involvement-2021-10?r=US&IR=T">Mo Brooks</a> (venu le 6 janvier au meeting de Trump <a href="https://www.citizenside.fr/legislateur-gop-mo-brooks-admet-portait-gilet-pare-balles-rassemblement-trump-6-janvier-averti-risques/">vêtu d’un gilet pare-balles</a>) qui ont appelé à la manifestation puis à la violence la veille et le jour même du 6 janvier 2021, surtout si leur coordination avec les émeutiers peut être établie.</p>
<p>Parmi ces élus, 139 membres de la Chambre et 8 sénateurs ont persisté dans leur refus de certifier les résultats de la présidentielle après l’attaque. La commission a entendu des témoins qui semblent prouver l’implication de certains élus, dont Mo Brooks, lequel fait par ailleurs l’objet d’une <a href="https://edition.cnn.com/2021/06/06/politics/mo-brooks-eric-swalwell-lawsuit-capitol-insurrection/index.html">action en justice</a> intentée par l’élu démocrate de Californie Eric Swalwell qui vise à faire reconnaître sa responsabilité partielle dans l’insurrection du 6 janvier 2021.</p>
<h2>Mettre fin à l’impunité ?</h2>
<p>Mais mettre fin à l’impunité des élus et à celle de l’ancien président ne sera pas chose aisée</p>
<p>Mi-février 2022, aucun des vrais responsables n’a été mis en cause. Trump, ses acolytes et certains membres du Congrès sont-ils responsables de l’organisation de la manifestation et de la violence de l’attaque ? Les leaders républicains au Sénat, Mitch McConnell et Lindsay Graham, ont affirmé immédiatement après l’attaque que Trump avait une part de responsabilité, le premier allant jusqu’à affirmer que le président sortant était « moralement et juridiquement responsable de l’insurrection ». Depuis, ils cherchent à réécrire l’histoire en minimisant les événements : ainsi, le leader de la minorité républicaine à la Chambre, Kevin McCarthy, qui suppliait le président de rappeler ses partisans durant l’attaque, a <a href="https://thehill.com/opinion/white-house/590462-how-kevin-mccarthy-sold-his-soul-to-donald-trump">changé de discours</a>.</p>
<p>S’il est possible de prouver qu’en envoyant ses partisans à l’assaut du Capitole pour empêcher la certification des résultats, Trump a cherché a faire obstruction à une procédure officielle, cas prévu par la section 3 du XIV<sup>e</sup> amendement à la Constitution, la sanction est <a href="https://www.law.cornell.edu/constitution/amendmentxiv">l’inéligibilité</a>, ainsi que des peines d’amende et de prison. Les proches (Donald Trump junior ou Rudy Giuliani) et les élus (Mo Brooks) qui ont prononcé des discours enflammés le 6 janvier au matin pourraient sans doute aussi être poursuivis sur ces bases, ainsi que les 14 impliqués dans l’envoi de listes de faux grands électeurs.</p>
<p>Une autre question est celle de l’inaction pendant 187 minutes de celui qui était encore président à l’époque. Ce refus d’agir constitue-t-il un manquement à son devoir (<em><a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/trump-s-capitol-failings-define-dereliction-duty-no-wonder-pelosi-ncna1253589">dereliction of duty</a></em>) et est-ce condamnable ? Le risque est que la réponse à ces questions ne soit jamais apportée. Que faire alors pour empêcher une nouvelle attaque contre la démocratie ?</p>
<p>Certes, l’attaque contre le Capitole n’a été possible que parce que le FBI et la police ont <a href="https://abcnews.go.com/Politics/wireStory/intel-reports-repeatedly-failed-forecast-capitol-riot-82152511">systématiquement sous-estimé</a> les dangers posés par le terrorisme domestique blanc et parce que le président a refusé de rappeler ses partisans. Pendant ces 187 longues minutes, il a aussi refusé d’autoriser le déploiement de la garde nationale.</p>
<p>Sur ces différents points, la commission enquête et des leçons ont déjà été tirées. A priori, il ne devrait pas y avoir d’autres attaques physiques sur le Capitole. Mais il ne faut pas exclure l’hypothèse d’attaques contre le Congrès de certains États en 2022. La commission dispose d’éléments prouvant qu’il y a eu des tentatives en 2020 dans plusieurs États. C’est d’autant plus un risque que le recours à la violence « pour sauver les institutions » est maintenant considéré comme <a href="https://www.forbes.com/sites/tommybeer/2021/05/27/nearly-30-of-republicans-believe-american-patriots-may-have-to-resort-to-violence-to-save-us-study-finds/?sh=31beb9d6f91f">indispensable par 30 % des Républicains</a>.</p>
<p>Pourtant, ce qu’il faut surtout craindre, ce sont des attaques de l’intérieur par les élus républicains, tant au Congrès des États-Unis que dans les États où les législations adoptées depuis fin 2020 leur permettent non seulement d’entraver le vote (<em>voter suppression</em>) des minorités mais aussi de changer les résultats de l’élection (<em>election subversion</em>) en conférant la décision finale de proclamation des résultats non à des fonctionnaires indépendants, mais à des partisans ou à la législature de l’État – dont les membres sont à ce jour inféodés à Donald Trump. L’inaction n’est pas une option car le risque de confiscation des élections par les élus républicains dans plusieurs États est réel.</p>
<p>À défaut de voter une loi pour protéger le droit de vote, ce qui est impossible en raison du blocage des républicains, le Congrès devrait au moins <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/01/30/democracy-remains-under-threat-here-is-one-thing-that-congress-still-might-do/">amender la loi <em>Electoral Count Act</em></a> de façon à exiger des seuils plus élevés pour pouvoir contester les résultats et à préciser que le rôle du vice-président est purement cérémoniel et qu’il ne lui appartient pas de changer les résultats.</p>
<p>Car en 2022, en 2024 et après, même lorsque la procédure de certification n’aura pas été changée dans certains États, les élus républicains qui ont su résister en 2020 <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/01/12/why-2024-election-could-be-decided-state-by-state-this-november/">ne seront plus en place</a>. Ces élus locaux, cibles de la vindicte de Trump, auront pour la plupart perdu les primaires et été remplacés par des loyalistes qui n’auront aucun scrupule à faire ce que Trump leur demandera et à trouver les votes qui lui manquent…</p>
<h2>Le risque de violences et de coup d’État</h2>
<p>Pour le moment, les membres de la commission et le ministre de la Justice font preuve de la plus grande prudence car, rappelons-le, obtenir une condamnation n’est pas si facile. Des actes peuvent être intrinsèquement mauvais sans pour autant constituer des crimes ou délits punissables. Et la procédure criminelle requiert que le jury se prononce « au-delà d’un doute raisonnable », ce qui implique que le procureur dispose d’un dossier solide.</p>
<p>L’absence de poursuites ou un non-lieu ne sont pas nécessairement des signes d’inaction : ils résultant le plus souvent de l’insuffisance des éléments de preuve. Mais un message d’impunité serait dangereux. D’autant que Donald Trump, inquiet des poursuites diligentées par plusieurs procureurs (<a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-justice-de-new-york-accuse-trump-de-pratiques-fiscales-frauduleuses-19-01-2022-2461234_24.php">New York pour ses affaires financières</a> et <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1769846/elections-allegations-fraude-appel-trump-raffensperger">Fulton, Géorgie, pour la tentative de fraude électorale</a>), a appelé ses partisans à se mobiliser en masse pour faire pression sur les procureurs – et l’on sait ce qui s’est passé le 6 janvier <a href="https://www.politico.com/news/2022/01/30/trump-pardon-jan6-defendants-00003450">après le même type d’appel</a>. Il a également laissé entendre que, réélu, il <a href="https://www.rtbf.be/article/etats-unis-si-donald-trump-etait-reelu-en-2024-il-gracierait-les-emeutiers-du-capitole-10924728">gracierait les émeutiers du 6 janvier</a> – une attaque supplémentaire contre la primauté du droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176286/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump et ses soutiens entendent bien employer tous les moyens à leur disposition pour récupérer le pouvoir, notamment si le verdict des urnes en 2024 ne leur sourit pas.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1768332022-02-11T15:07:21Z2022-02-11T15:07:21ZConvoi des camionneurs : aux origines d’un mouvement en pleine dérive<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445807/original/file-20220210-19-f3uw1s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C0%2C4764%2C3305&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des camionneurs et leurs partisans bloquent l'accès menant au pont Ambassador, reliant Détroit et Windsor, mercredi 9 février 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Nathan Denette</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 28 janvier, un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Convoi_de_la_libert%C3%A9">convoi « de la liberté »</a> occupe la colline parlementaire à Ottawa. La manifestation s’est rapidement transformée en occupation, devant le symbole principal de la démocratie canadienne.</p>
<p>La police municipale a rapidement été dépassée par les événements. Le premier ministre ontarien, Doug Ford, se défile et le premier ministre canadien, Justin Trudeau, longe les murs. Pourtant, le discours des organisateurs laissait peu de doutes sur la possibilité que cette mobilisation se transforme en une crise majeure pour la sécurité publique.</p>
<p>Son impact économique est majeur : le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1861160/pont-ambassador-windsor-ferme-manifestation-camionneurs-vaccin">mouvement bloque depuis plusieurs jours l’accès au pont Ambassador</a>, qui relie Windsor à Détroit, provoquant des pénuries de pièces dans les usines ontariennes de Ford et de Toyota et des arrêts dans la production. On parle de <a href="https://www.newsweek.com/trucker-blockade-us-canada-border-causes-over-1b-losses-daily-1678091?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1644521796">pertes d’un milliard de dollars par jour</a>.</p>
<p>L’événement qui a déclenché le mouvement a été l’annonce, en novembre 2021, par le ministre des Transports canadien, qu’une <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-publique/nouvelles/2022/01/les-exigences-pour-les-camionneurs-qui-entreront-au-canada-seront-en-vigueur-a-partir-du-15-janvier-2022.html">preuve vaccinale</a> serait exigée pour les travailleurs du transport à partir de la mi-janvier 2022. Cette exigence s’inscrivait dans la batterie de mesures mises en place par le gouvernement fédéral dans la lutte contre la <a href="https://sante-infobase.canada.ca/covid-19/resume-epidemiologique-cas-covid-19.html">propagation rapide</a> du variant Omicron. Elle ressemble aux obligations applicables aux citoyens et non-résidents arrivant au Canada par voie aérienne.</p>
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<img alt="Des camions arborent l’unifolié, devant un policier" src="https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445813/original/file-20220210-45987-273c38.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des camions bloquent une rue d’Ottawa, le 8 février 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Adrian Wyld</span></span>
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<p>Les appuis à la vision des protestataires <a href="https://abacusdata.ca/freedom-convoy-public-reaction-february-2022/">varient significativement</a> en fonction des affiliations politiques. Elle est la plus forte chez les électeurs du Parti populaire (82 %), du Parti vert (57 %) et du Parti conservateur (46 %). Inversement, les électeurs du Parti libéral (75 %), du NPD (77 %) et du Bloc Québécois (81 %) disent avoir peu en commun avec la manière de voir des protestataires.</p>
<p>En tant que chercheurs en sociologie politique, dont nous analysons les dynamiques au Canada et en Europe de l’Ouest, nous croyons essentiel de saisir les protestations actuelles dans leur dimension politique, idéologique et sociohistorique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ladhesion-aux-complots-et-aux-populismes-une-question-deducation-174929">L’adhésion aux complots et aux populismes, une question d’éducation ?</a>
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<h2>Une mobilisation de travailleurs sans mobilisation de classe</h2>
<p>Ce mouvement dit « de camionneurs » n’en est pas exactement un. Il est loin de faire l’unanimité au sein de la profession. L’Alliance canadienne du camionnage a <a href="https://www.canada.ca/fr/transports-canada/nouvelles/2022/01/declaration-commune-des-ministresalghabra-oregan-et-qualtrough-et-du-president-de-lalliance-canadienne-du-camionnage.html">dénoncé sans équivoque l’usurpation de la représentation des camionneurs</a> par les organisateurs du convoi. On estime entre <a href="https://www.thestar.com/business/2022/01/25/trucker-convoys-4-million-in-fundraising-frozen-by-gofundme.html">85 %</a> et <a href="https://twitter.com/OmarAlghabra/status/1486791464248123393">90 %</a> le taux de vaccination chez les transporteurs, ce qui s’apparente à la moyenne canadienne.</p>
<p>Suite logique de décennies de <a href="https://readpassage.com/p/the-trucker-convoy-is-not-a-workers-revolt/">dérégulation</a> du secteur du transport, le convoi met de l’avant une conception très individualiste, voire libertarienne du travail. Ce ne sont pas les mauvaises conditions d’emploi qui sont dénoncées, mais les régulations gouvernementales portant atteinte aux libertés individuelles de petits entrepreneurs du transport.</p>
<p>Il est donc plus approprié de parler d’une « arsenalisation » d’une opposition aux mesures sanitaires, (« weaponization » : soit le fait d’outiller un mouvement politique), par des entrepreneurs politiques de la droite populiste canadienne et américaine.</p>
<h2>Qui sont les organisateurs de ce mouvement ?</h2>
<p>Les entrepreneurs politiques à l’origine du mouvement sont des figures clés de formations politiques de l’Ouest canadien. Patrick King, militant albertain complotiste, ethnonationaliste est le cofondateur du parti Wexit Canada. Depuis devenue « Maverick Party », cette formation réclame la <a href="https://theconversation.com/canadian-populism-got-shut-out-this-election-but-its-still-a-growing-movement-168133">séparation des provinces de l’Ouest du reste du Canada</a>. Tamara Lich est la coordinatrice régionale du même parti, en Alberta. B.J. Dichter, enfin, est un ancien candidat du Parti conservateur du Canada, désormais partisan du Parti Populaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Justin Trudeau" src="https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445809/original/file-20220210-27-8trphe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau durant une période de questions à la Chambre des communes, à Ottawa, le 10 février 2022. Il est critiqué sévèrement pour sa gestion nonchalante de la crise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Justin Tang</span></span>
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<p>Les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1861083/convoi-camionneurs-ottawa-preoccupation-ingerence-etrangere-partis-politiques">sources de financement</a> du convoi sont obscures. De nombreux dons anonymes en <a href="https://thetyee.ca/Analysis/2022/02/08/Canada-Must-Investigate-Convoy-Money/">provenance des États-Unis</a> ont transité par la plate-forme GoFundMe <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/2022-02-04/gofundme-ne-distribuera-pas-les-millions-aux-camionneurs.php">avant que ces avoirs soient retournés aux donateurs</a>.</p>
<h2>Des racines dans la droite libertarienne de l’Ouest</h2>
<p>Le mouvement actuel est l’une des illustrations récentes de résistances régionales au Canada. Il s’inscrit dans le temps long de la politique protestataire de l’ouest. Caractérisés par une <a href="https://theconversation.com/canadian-populism-got-shut-out-this-election-but-its-still-a-growing-movement-168133">importante dimension populiste</a>, une série de « partis tiers » sont ainsi parvenus à convertir une insatisfaction collective en une accumulation de capital politique sur la scène provinciale, voire nationale. À droite de l’échiquier politique, ces formations partagent un contenu idéologique : un conservatisme social et fiscal et, chez certaines, un ancrage dans le suprémacisme anglo-saxon.</p>
<p>Comme <a href="http://www.albertausa.org/">d’autres formations</a> de l’ouest canadien avant lui, le mouvement actuel mobilise une série de références à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alt-right">l’alt-right américaine</a>, du drapeau des Confédérés, en passant par son opposition au gouvernement « central », ou l’appel à un » 6 janvier » canadien, en référence <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Assaut_du_Capitole_par_des_partisans_de_Donald_Trump">à l’invasion du Capitole, à Washington, par des militants de Donald Trump</a>. Le convoi est d’ailleurs <a href="https://globalnews.ca/news/8602177/freedom-convoy-protest-us-far-right-support/">soutenu par une partie de la droite conservatrice</a> américaine, dont certains membres ont vraisemblablement <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/02/02/freedom-convoy-alberta-blockade-vaccine-mandate-protests/">participé au mouvement</a>.</p>
<h2>Quelles sont les stratégies du mouvement ?</h2>
<p>La polarisation activée par le mouvement se nourrit de trois stratégies de cadrage. Une première est conjoncturelle. Elle active la polarisation entre les partisans et des détracteurs des restrictions sanitaires mises en place par le fédéral et les provinces. Elle permet d’aller chercher les opposants aux mesures sanitaires de la première heure, <a href="https://theconversation.com/ladhesion-aux-complots-et-aux-populismes-une-question-deducation-174929">dont plusieurs s’inscrivent dans le mouvement complotiste</a>.</p>
<p>Un second cadrage est structurel. Il s’inscrit dans la dynamique fédérale canadienne. Il active le <a href="https://centre.irpp.org/research-studies/the-persistence-of-western-alienation/">sentiment d’aliénation</a> d’électeurs de l’Ouest canadien, cultivant une forme de défiance à l’égard du gouvernement fédéral, des politiques autonomistes, des projets séparatistes. Ce <a href="https://centre.irpp.org/wp-content/uploads/sites/3/2020/09/CoT-2021-Report-6-Respect-Influence-and-Fairness-in-the-Canadian-Federation.pdf">sentiment d’être ignoré</a> dans la politique nationale, spécifique à l’ouest et particulièrement aux Prairies, est différente du souverainisme québécois.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Bidons d’essence jaunes" src="https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445811/original/file-20220210-21-2c4183.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des bidons d’essence à l’arrière d’un camion stationné sur la rue Albert, à Ottawa, le 10 février. Les camionneurs disent se préparer à un long siège.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Justin Tang</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À cela s’ajoute un cadrage populiste mettant de l’avant une polarisation entre un « nous, méritants », les travailleurs (camionneurs), et un « eux, malhonnêtes et corrompus », les élites libérales du centre et une partie des travailleurs issus de l’immigration. Dans le discours des organisateurs du convoi, ce « nous » a aussi été associé à la défense d’une <a href="https://globalnews.ca/news/8543281/covid-trucker-convoy-organizers-hate/">identité blanche</a> et anglo-saxonne.</p>
<p>Lorsque l’on superpose ces trois cadrages, le Parti libéral du Canada apparaît systématiquement dans le <a href="https://theconversation.com/from-sunny-ways-to-pelted-with-stones-why-do-some-canadians-hate-justin-trudeau-167607">pôle ciblé</a>.</p>
<h2>Résonances variables</h2>
<p>L’opposition aux mesures sanitaires semble en fait former l’unique trait d’union entre les protestataires de l’Ouest et ceux du Québec. L’appui aux mesures sanitaires y est par ailleurs à son plus <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/01/11/lappui-aux-mesures-sanitaires-a-son-plus-bas-1">bas</a>. Mais contrairement à Ottawa, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1859895/manifestation-quebec-convoi-mesures-sanitaires">il n’y a pas eu de violences et d’occupation</a> lors de la manifestation organisée le 5 février dans les rues de Québec.</p>
<p>Autrement, loin d’appuyer l’organisation de ce convoi, les politiciens québécois ont surtout lancé des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1859130/veille-convoi-antimesures-quebec-politiciens">appels au calme</a>, et invité à de la fermeté dans l’application de la loi. Seul le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1858673/chef-pcq-soutient-camionneurs-mecontents">Parti conservateur du Québec</a> d’Éric Duhaime s’est distingué par son soutien aux camionneurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Manifestants arborant des drapeaux" src="https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445814/original/file-20220210-27-1iikucy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des manifestants anti-mesures sanitaires sont dirigés par des policiers alors qu’ils se dirigent vers l’Assemblée nationale du Québec, le 5 février 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jacques Boissinot</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Hors du pays, le mouvement essaime, <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-02-11/la-presse-en-france/le-convoi-de-la-liberte-fonce-vers-paris.php">notamment en France</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/02/07/comment-le-convoi-de-la-liberte-des-camionneurs-canadiens-tente-de-s-exporter-en-france_6112700_4355770.html">soutenu par l’extrême droite</a>, ailleurs en <a href="https://www.politico.eu/article/ottawa-truckers-convoy-far-right-worldwide/">Europe</a> et <a href="https://www.journaldemontreal.com/2022/02/08/un-convoi-de-la-liberte-jusquen-nouvelle-zelande-1">jusqu’en Nouvelle-Zélande</a>.</p>
<p>Le convoi apparaît plutôt comme un révélateur de la capacité d’organisation et de perturbation des structures d’extrême droite, aussi minuscules soient-elles à la base : le Maverick Party (Wexit) n’avait obtenu que 35 278 voix lors de l’élection fédérale de 2021… principalement à l’ouest.</p>
<h2>Des dérives inquiétantes</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que la droite canadienne trouve des soutiens dans des mobilisations extra-parlementaires. Par le passé, des mouvements pro-pipelines avaient déjà mobilisé <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/convoy-pipeline-immigration-1.5024863">des convois</a> avec « United we Roll » ; ou à l’émulation des <a href="https://globalnews.ca/news/4770509/yellow-vest-protests-canada/">manifestations</a> de types « gilets jaune » en 2019. On a aussi vu d’autres mobilisations de « citoyens » (« energy citizen », « I <3 Oil ») soutenues dans l’ouest… par les <a href="https://cjc-online.ca/index.php/journal/article/view/3312">lobbys pétroliers</a>.</p>
<p>Certaines mouvances, présentes dans le convoi, ont recours à une rhétorique violente, allant jusqu’à une <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1860092/pat-king-manifestation-camionneurs-ottawa">incitation à la violence armée</a> défiant ouvertement l’État de droit.</p>
<p>Le mouvement actuel prend racine dans certaines tendances qui ne sont pas nouvelles dans la politique canadienne, mais qui bénéficient d’un <em>momentum</em> : l’épuisement collectif doublé de l’opportunisme insouciant de plusieurs politiciens fédéraux.</p>
<p>Ce qui en fait un mouvement à surveiller, tient à l’escalade des moyens mobilisés (perturbateurs, violents), à son arsenalisation par l’alt-right <a href="https://www.nytimes.com/2022/02/07/world/canada/canada-protests-right-populists.html">canadienne</a> et américaine, ainsi qu’à sa capacité d’innovation tactique (le siège et le blocage).</p>
<p>Celle-ci donne à une poignée d’individus la capacité d’engendrer des perturbations majeures au fonctionnement de l’État de droit et au travail des gouvernements élus (provinciaux et fédéral). Elles capturent le débat politique. Manifester, contester et discuter font partie d’un répertoire normal, souhaitable dans une démocratie représentative parlementaire. Mais les tactiques et stratégies actuelles ne s’inscrivent pas dans ce registre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176833/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le mouvement prend racine dans des tendances qui ne sont pas nouvelles dans la politique canadienne. Ce qui en fait un mouvement à surveiller est l’escalade des moyens (perturbateurs et violents).Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Djamila Mones, Doctorante en Sociologie | PhD Candidate in Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744492022-01-06T20:27:11Z2022-01-06T20:27:11ZLe trumpisme n’est pas mort le 6 janvier : il n’a jamais existé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/439557/original/file-20220105-17-91hh89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1020%2C729&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La plupart des symboles brandis par les manifestants du 6&nbsp;janvier 2021, comme le drapeau confédéré barré d’un fusil ou encore le Gadsden Flag, étaient déjà largement employés avant l’irruption de Donald Trump sur le devant de la scène politique.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Joseph Prezioso/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 6 janvier 2021, se pose la question de la place de Donald Trump dans le débat public, notamment en vue des prochaines échéances électorales. Cette interrogation relance en même temps la question de la survivance de ce que l’on a appelé le « <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-terrible-bilan-de-quatre-ans-de-trumpisme">trumpisme</a> ». Après quelques mois de sidération face à une victoire qui n’avait pas été anticipée, en 2016, on a vu se multiplier l’utilisation de ce terme, régulièrement invoqué dans les articles ou les reportages les plus dramatiques sur l’état du pays de Lincoln.</p>
<p>Le trumpisme, remarquons-le, n’a jamais été défini clairement ; il s’est pourtant construit peu à peu l’impression qu’il existait une idéologie à laquelle des millions d’Américains auraient adhéré, un peu comme s’il avait été question de socialisme, de communisme, de nazisme, ou tout autre « -isme ». Et dire que le trumpisme est fort signifie que celui qui l’incarne reviendra forcément au premier plan.</p>
<p>Ne pas définir précisément ce mot tout en se lançant dans de longs développements pour en expliquer les dangers relève d’une imprudence qui invite naturellement ceux qui le font à la digression, au mélange des genres et au mélange tout court. Définir un trumpisme qui n’existe pas est donc une gageure et celles et ceux qui se lancent dans l’exercice en reviennent toujours aux mêmes axiomes, que nous allons examiner ici.</p>
<h2>« Le trumpisme est responsable de la division dans la société américaine »</h2>
<p>Voilà le premier axe fort sur lequel se construit l’idée du « trumpisme ». C’est une idée qui ne supporte pas deux secondes d’analyse, en tout cas pas si on ouvre un livre d’histoire. Car ce serait donner une importance bien grande à un homme qui n’est en rien responsable des divisions originelles nées sur ce territoire dès l’arrivée des premiers colons : la confrontation avec les autochtones, qui s’est terminée par un massacre ; la très mauvaise idée d’y importer des esclaves et cette institution répugnante qu’était l’esclavage ; l’opposition entre les puritains intolérants installés sur les terres hospitalières du nord et les sudistes plus mercantilistes que religieux ; les préoccupations des colonies du nord, tournées vers l’industrialisation et obsédées par l’idée de protéger leurs bénéfices par des barrières douanières, qui s’opposaient donc aux agriculteurs du sud, lesquels ne devaient leur fortune qu’aux débouchés de leur commerce en Europe… Et on n’est là qu’au temps des colonies.</p>
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<p>L’histoire américaine est passionnante, mais il ne s’agit pas d’un long fleuve tranquille sur les bords duquel des populations gâtées n’ont eu qu’à se servir dans la corne d’abondance, vivant ainsi d’amour et d’eau fraîche.</p>
<p>Plus près de nous, on peut évoquer en vrac la guerre civile, la lutte contre la ségrégation, puis celle en faveur des droits civiques, le combat ouvrier, la chasse aux communistes, la prohibition, la lutte des femmes, le renouveau religieux… Il y a tant d’exemples dans l’histoire américaine qui amènent à commenter les excès, l’apparition de groupes plus radicaux les uns que les autres, de moments qui nous hérissent et de personnes abjectes, que l’on ne peut qu’être admiratif face à la résilience de ce pays qui a cent fois, mille fois, résisté et remonté la pente, se retrouvant autour de ses principes fondateurs et réinventant sans cesse son idéal démocratique, puisé chez Rousseau, Montesquieu ou Locke.</p>
<p>Faire de Trump l’unique responsable des maux actuels de cette société semble donc au minimum très imprudent.</p>
<h2>« Le parti républicain a renié ses valeurs »</h2>
<p>C’est le deuxième <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/08/decline-gop/614983/">argument</a>, mis en avant pour se lamenter de la déliquescence de la société américaine.</p>
<p>Les « preuves » apportées en illustration sur ce sujet sont encore plus savoureuses que pour l’argument précédent : « regardez comment ils veulent détruire le droit à l’avortement, comment ils défendent le droit à porter une arme ou la liberté religieuse… » On n’entend plus jamais d’arguments plus traditionnels, sur le positionnement du parti face au libéralisme ou à la social-démocratie, par exemple. Ces préoccupations semblent rangées aux oubliettes et seules quelques niches sociétales semblent désormais définir la division politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1434058236093681666"}"></div></p>
<p>On ne parle plus – ou si peu – des territoires, pourtant bien différents d’un bout à l’autre de l’Amérique et des aspirations des peuples dans les différents États ; on ne parle plus de l’urbanisation, du développement des banlieues et du dépeuplement des campagnes, des agriculteurs laissés seuls face à des conglomérats géants qui font la pluie et le beau temps jusque dans les exploitations de millions de petits producteurs, des ouvriers bien en peine de trouver un travail bien payé dans une Amérique qui s’est désindustrialisée, du pouvoir d’achat, d’un salaire minimum qui s’en remet à la bonne volonté des États ou des villes, parce que l’État fédéral n’y touche plus depuis plus de 30 ans…</p>
<p>En réalité, le parti républicain est certes plus radical sur la forme, dans cette opposition qu’il pratique en écho à Donald Trump mais, sur le fond, il reste en cohérence et fidèle à ce qu’il a défendu depuis des décennies. Les anciens candidats à la présidentielle ont proposé les mêmes idées et se retrouvent sur le même corpus idéologique.</p>
<p>On ne parle donc que de différences à la marge sur des sujets qui divisent déjà la société depuis 50 ans et sur lesquels les Républicains n’ont pas réellement changé d’opinion. Tout au plus, l’offensive semble plus forte aujourd’hui parce qu’on y apporte un intérêt plus grand. Il est peu certain que les militants anti-avortement qui se sont investis depuis plus d’un demi-siècle sur cette question ont eu l’impression que c’était facile ou que c’était gagné ; difficile aussi de penser que ceux qui ont mené d’autres combats au cours des dernières décennies, dont le droit à un mariage pour tous, les droits civiques, le droit à un logement, la lutte contre la pauvreté, l’intégration des immigrants, ou autre, se disent qu’ils ont eu de la chance de le faire avant l’arrivée de Trump parce que ce serait plus dur désormais.</p>
<h2>« Le parti républicain est à la solde de Trump »</h2>
<p>Ce point est encore plus intéressant, tant il est sujet à interprétations variables suivant le positionnement politique.</p>
<p>Il est vrai que, vu de la gauche, on ne comprend pas pourquoi les divisions du parti républicain ont soudainement disparu en quatre ans. L’histoire de ce parti est faite de divisions, de courants, d’égos plus gros les uns que les autres et a contribué à un <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/10/us/politics/republicans-leaving-party.html">éloignement</a> de beaucoup de sympathisants, qui se sont réfugiés derrière l’étiquette « indépendant » au cours des dix dernières années. L’égo démesuré de Donald Trump, son charisme aussi et surtout sa victoire, ont balayé tout cela : la vision de droite est qu’il a réussi à unir son parti, et ça, c’est un véritable exploit. Certes, cela s’est fait au détriment de certains et de nombreux leaders ont raccroché, comprenant qu’il n’y avait plus qu’une ligne qui pourrait exister, du moins pour un temps. Le fait de quitter la vie politique n’est cependant pas forcément lié à une ligne politique : <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-10371567/Rep-Brenda-Lawrence-25TH-Democrat-join-exodus-Congress-2022-midterms.html">25 élus démocrates</a> ont déjà annoncé qu’ils ne se représenteraient pas à la Chambre en 2022, et ce n’est pas parce que Biden a une ligne trop dure à leurs yeux.</p>
<p>Il est vrai, aussi, que le <a href="https://fivethirtyeight.com/features/a-majority-of-republican-voters-actively-want-trump-to-run-for-president-again/">soutien toujours massif</a> apporté à Trump par les électeurs républicains met dans l’embarras nombre d’élus, qui dépendent de ces mêmes électeurs pour leur propre sort, les obligeant à des prises de position parfois ambiguës.</p>
<p>Pour autant, prétendre que le parti républicain serait entièrement acquis à Trump et donc engoncé dans une obstruction systématique à son successeur, c’est faire bien peu de cas de la réalité législative : 81 projets de lois ont été adoptés depuis le début du mandat de Joe Biden, dont son <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/les-5-chiffres-fous-des-plans-de-relance-de-joe-biden-1361663">coûteux plan de relance</a> et sa réforme-phare sur les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/biden-ratifie-son-gigantesque-plan-sur-les-infrastructures-20211115">infrastructures</a>. Biden a pu faire accepter un <a href="https://www.lci.fr/international/biden-signe-le-texte-relevant-le-plafond-de-la-dette-des-etats-unis-2199034.html">relèvement du plafond de la dette</a> jusqu’à fin 2022, se débarrassant de cet encombrant dossier avant les élections de mi-mandat. Le 46<sup>e</sup> président a aussi obtenu la confirmation d’un <a href="https://www.cbsnews.com/news/40-federal-judges-confirmed-in-2021-biden-nominates-two-more/">nombre record de juges fédéraux</a>, plus que sous aucun de ses prédécesseurs à ce stade de son mandat.</p>
<p>C’est ignorer aussi que les Républicains du Sénat ont <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/11/03/le-chef-republicain-du-senat-americain-mitch-mcconnell-reelu">choisi</a> leur leader, Mitch McConnell, et que celui-ci n’hésite pas à s’opposer à Donald Trump, lequel ne cesse de <a href="https://thehill.com/homenews/senate/582006-trump-gives-mcconnell-insult-filled-ultimatum-on-biden-agenda">l’invectiver</a> et de demander sa tête – sans l’obtenir.</p>
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<p>C’est surtout mettre de côté la réalité constitutionnelle américaine, qui veut que le président exécute mais ne décide pas : le mandat de Trump en a été l’illustration, avec une présidence par décrets, dénuée de la moindre grande loi, et marquée par deux échecs monumentaux : l’un sur <a href="https://www.lepoint.fr/monde/donald-trump-echoue-une-fois-de-plus-a-supprimer-l-obamacare-18-07-2017-2144104_24.php">l’impossibilité de mettre fin à l’Obamacare</a> et l’autre sur <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/08/11/etats-unis-avec-son-plan-d-infrastructures-joe-biden-reussit-la-ou-donald-trump-avait-echoue_6091121_3234.html">l’incapacité à faire passer la loi sur les infrastructures</a>, le grand succès de Biden ! Le Congrès a ainsi démontré son indépendance et sa force, imposant même des sanctions à la Russie alors que <a href="https://www.leparisien.fr/international/etats-unis-a-contrecoeur-trump-promulgue-les-sanctions-contre-la-russie-02-08-2017-7171890.php">Trump n’en voulait pas</a>.</p>
<h2>« La base MAGA s’est encore élargie depuis le départ de Trump »</h2>
<p>C’est un argument qu’on entend beaucoup, censé prouver que l’emprise du trumpisme est indéniable. On ne connaît en réalité que le chiffre des électeurs de Trump en novembre 2020, qui est de <a href="https://www.cfr.org/blog/2020-election-numbers">74,2 millions</a> (contre près de 63 millions quatre ans plus tôt). C’était un très beau résultat, qui montrait surtout qu’il avait réussi à rallier à lui certains Républicains qui n’étaient pas de son côté en 2016, notamment dans les zones rurales. Impossible pourtant de trouver des chiffres plus récents, qui crédibiliseraient cet élargissement supposé !</p>
<p>Bien au contraire, si l’on y regarde de plus près, on constate que Trump s’est trouvé en difficulté à plusieurs reprises depuis son départ de la Maison Blanche. D’abord dans ses meetings : il a lancé une grande tournée avec Bill O’Reilly, la star retraitée de Fox News, et il est <a href="https://www.salon.com/2021/12/12/rally-features-many-empty-seats--so-many-that-arenas-top-level-had-to-close_partner/">très loin de faire le plein</a> ! À peine 5 406 tickets ont été ainsi vendus pour son <a href="https://www.huffpost.com/entry/trump-oreilly-arena-half-empty-history-tour_n_61bbbea6e4b0bf370338ae9a">meeting d’Orlando</a>, ville pourtant située dans la très républicaine Floride, où il habite. Où sont les méga-salles de 30 000, voire 40 000 ou 50 000 personnes en casquette rouge qui, d’après ses supporters, représentaient même une preuve qu’il devait avoir gagné les élections puisque Biden n’atteignait jamais ce taux de remplissage ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1472544534735167489"}"></div></p>
<p>Pas mieux du côté des élections, qu’il ne gagne pas forcément, même pour des primaires au sein de son parti et même dans le très conservateur Texas : coup de tonnerre au milieu de l’été dernier, quand les électeurs ont <a href="https://www.dallasnews.com/news/politics/2021/07/27/jake-ellzey-leading-trump-backed-susan-wright-in-race-to-replace-the-late-ron-wright-in-congress/">préféré</a> Jake Ellzey à la candidate soutenue par Trump, Susan Wright ! Il serait faux de prétendre qu’il n’y a pas un effet Trump lorsqu’il donne son soutien, mais cet appui ne constitue certainement pas une garantie de victoire : son candidat David Perdue a actuellement <a href="https://slate.com/news-and-politics/2021/12/trump-georgia-stacey-abrams-brian-kemp-david-perdue.html">beaucoup de mal à s’imposer</a> contre le gouverneur sortant Jack Kemp dans les primaires pour le poste de gouverneur de Georgie. Et il y a encore ce qui est certainement la pire des humiliations : Glenn Younkin a gagné en Virginie en septembre contre les Démocrates (pour le poste de gouverneur) en s’écartant de la ligne Trump et en prenant soin de ne <a href="https://www.lopinion.fr/international/pour-gagner-en-virginie-glenn-youngkin-a-su-tenir-a-distance-donald-trump-sans-saliener-son-soutien">jamais se réclamer de lui</a>.</p>
<h2>« Il a apporté la radicalisation dans le débat politique »</h2>
<p>Là encore, l’argument est incompréhensible. Car si l’on parle de radicalité en politique, il faut revenir au Maccarthysme et à sa chasse aux sorcières contre les communistes, qui relevait de la psychiatrie. On pourrait aussi s’étendre sur <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/344632/george-wallace-segregation-raciale-karine-premont">George Wallace</a>, avec son programme basé sur « la loi et l’ordre » et « la majorité silencieuse » – des thèmes chers à Trump, qui a fait un carton dans le sud, a gagné 5 États et 45 grands électeurs.</p>
<p>Il y a encore eu <a href="https://www.americanyawp.com/reader/29-the-triumph-of-the-right/pat-buchanan-on-the-culture-war-1992/">Pat Buchanan</a> qui, en 1992, s’est appuyé sur les notions traditionnellement chères aux conservateurs, le refus de l’immigration et le protectionnisme. Trump s’est aussi appuyé sur le mouvement du <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=nphcCgAAQBAJ">Tea Party</a>, né sous Barack Obama, à un moment où personne n’imaginait encore sérieusement qu’il pourrait faire son entrée en politique. La radicalité de ce mouvement ne lui doit rien, alors qu’il était déjà question de « l’homme blanc en colère », des milieux ruraux contre les progressistes de villes et des banlieues et que l’expression RINO (« Republican in name only », employée pour dénigrer les Républicains jugés trop tièdes) cherchait à pousser les hommes politiques de droite vers une posture toujours plus extrême.</p>
<p>Oui, la radicalité a toujours été présente dans la politique américaine et Trump n’a rien apporté de nouveau à ce sujet. Tout au plus peut-on relever que même ayant été élu, il a conservé, une fois président, le même comportement provocateur et son goût pour les outrances, semblant vouloir imiter <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/andrew-jackson/">Andrew Jackson</a>, son lointain prédécesseur qu’il admire tant.</p>
<h2>« Il est soutenu par des médias puissants et organisés »</h2>
<p>Son mandat coïncide surtout avec un changement dans les modes de communication. Il a indéniablement été l’homme de Twitter, et nous a tenus en haleine pendant des années, <a href="https://theconversation.com/trump-et-les-medias-les-hostilites-sont-ouvertes-71642">fixant son tempo par ses frasques et ses provocations</a>, avant de <a href="https://theconversation.com/donald-trump-banni-des-grands-reseaux-sociaux-et-maintenant-152950">« périr médiatiquement »</a> sur ce même réseau. C’est là le vrai titre de gloire de Trump et une des bases de son succès. Il ne se remet d’ailleurs pas de son éviction et a lancé une vaste cabale contre les réseaux sociaux, particulièrement Facebook et Twitter et voudrait pouvoir les concurrencer avec <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-12-07/que-sait-on-du-futur-reseau-social-que-veut-lancer-donald-trump-9c985c35-3494-436e-82ff-057ea0d117d8">son propre outil</a>, qui peine à être lancé.</p>
<p>En termes de présence médatique, Trump est en réalité retourné après son mandat à la situation qui était la sienne avant d’être président, Twitter en moins. Fox News, qui est souvent cataloguée comme la chaîne de Donald Trump, a repris ses distances. Certes, elle reste une chaîne conservatrice et continue de faire la part belle à l’ancien président ; mais c’est elle qui a annoncé en premier la victoire de Biden en Arizona, puis en Georgie, rendant furieux le champion de la droite, ce qui a permis à la chaîne de se repositionner. Avec Newsmax et OANN, elle forme le trio des chaînes les plus regardées par les supporters de Trump, et pas toujours pour le meilleur : 82 % des téléspectateurs de Fox News et 97 % de ceux de OANN et Newsmax sont <a href="https://www.newsweek.com/82-fox-news-97-oann-newsmax-viewers-believe-trumps-stolen-election-claim-poll-1644756">persuadés que l’élection 2020 a été volée</a>. Mais il faut relativiser : OANN, qui avait une audience de 500 000 personnes en 2019, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/One_America_News_Network">a chuté à 14 000 en 2021</a> d’après Nielsen. Newsmax, dans le même temps, <a href="https://www.vox.com/2021/7/28/22594550/newsmax-ratings-dive-explained">a divisé son audience par deux</a> pour tomber à 114 000 en juillet 2021.</p>
<h2>Trump, un homme du passé</h2>
<p>La réalité est que les Américains veulent sortir de ce complotisme ambiant et aspirent désormais à la restauration d’une démocratie apaisée. Même si Donald Trump reste aux yeux des Républicains un grand président, il fait déjà partie du passé et son retour n’est pas particulièrement souhaité.</p>
<p>Le Pew Research Center <a href="https://elamerican.com/44-republicans-trump-president/">révèle</a> (octobre 2021) que si 67 % des Républicains veulent qu’il continue à jouer un rôle en politique, ils ne sont que 44 % à souhaiter qu’il soit candidat à nouveau et 32 % sont totalement contre son retour. Le mouvement « Stop the Steal » semble avoir épuisé le pays et le 6 janvier, surtout, a mis un coup d’arrêt à l’aveuglement.</p>
<p>Cela ne se voit pas encore forcément de façon flagrante, car il faut que les choses reprennent leur cours et cela prendra du temps : mais déjà 67 % des Américains se déclaraient inquiets pour leur démocratie à l’été 2021 (<a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/2-out-of-3-americans-believe-u-s-democracy-is-under-threat">sondage PBS de juillet 2021</a>) et la proportion reste la même six mois plus tard (68 % des Démocrates et 70 % des Républicains – <a href="https://www.pewresearch.org/2022/01/05/trust-in-america-do-americans-trust-their-elections/">Pew Research janvier 2022</a>). Le retour de Trump serait pour beaucoup la réalisation cette crainte : c’est pour cela qu’il ne reviendra pas. Le 6 janvier l’a tué politiquement.</p>
<p>Non, il ne faut pas tout confondre, et la confrontation des idées n’est pas un drame en soi mais plutôt un signe de bonne santé démocratique. Réjouissons-nous donc que les Républicains aient encore envie de s’opposer aux Démocrates et qu’ils aient surtout cette bonne pratique de le faire dans le cadre des institutions de leur pays. Les élections de mi-mandat amèneront très certainement la confirmation que la page est tournée : les Républicains reprendront probablement la Chambre, mais pas uniquement avec des supporters aveugles de Donald Trump ; le Sénat, en revanche, pourrait apporter une bonne surprise aux Démocrates. Il n’y aura pas d’effet Trump en profondeur parce qu’il n’y a pas de trumpisme en tant que tel. Alors, du populisme ? Peut-être. De l’autoritarisme ? Pourquoi pas. Mais le trumpisme, ça n’existe pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174449/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur certaines idées reçues affirmant la permanence du « trumpisme » – un terme si malaisé à définir qu’il ne faudrait peut-être même pas l’employer…Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1743182022-01-05T18:46:24Z2022-01-05T18:46:24ZAttaque du Capitole du 6 janvier 2021 : enjeux et conséquences pour 2022<p>L’année 2021 restera marquée par un événement inédit dans l’histoire des États-Unis : l’assaut du Capitole par des partisans du président Trump dans le but d’empêcher la certification du résultat des élections de 2020. Il ne s’agissait pas d’une attaque contre un bâtiment, mais contre le Congrès lui-même, qui était en session, et dont les membres ont dû s’interrompre, <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/tasneemnashrulla/congress-members-describe-pro-trump-riot-capitol">se cacher</a>, et être évacués en urgence dans la panique générale.</p>
<p>Si le Capitole avait déjà été le théâtre de <a href="https://www.history.com/news/us-capitol-building-violence-fires">nombreuses violences</a> par le passé, il n’avait jamais subi d’attaque d’une telle ampleur commise par des citoyens états-uniens, lesquels étaient <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/14/aux-etats-unis-donald-trump-refuse-encore-d-accepter-la-victoire-de-joe-biden_6059711_3210.html">encouragés par un président ayant déployé des efforts sans précédent</a> pour renverser une élection légale et légitime.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-discours-populiste-de-donald-trump-a-conduit-a-linsurrection-de-ses-troupes-153002">Comment le discours populiste de Donald Trump a conduit à l’insurrection de ses troupes</a>
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<p>Conséquences immédiates : <a href="https://www.courrierinternational.com/article/washington-qui-sont-les-cinq-victimes-des-emeutes-du-capitole">cinq morts</a>, plus de <a href="https://www.insider.com/all-the-us-capitol-pro-trump-riot-arrests-charges-names-2021-1">700 inculpations</a> et une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/01/etats-unis-la-creation-d-une-commission-speciale-sur-l-assaut-du-6-janvier-approuvee_6086443_3210.html">commission parlementaire bipartisane</a> chargée d’enquêter sur les faits, les circonstances et les causes de l’assaut.</p>
<h2>Le résultat du « grand mensonge »</h2>
<p>Au-delà de la question de savoir si l’expression <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/intrusions-de-pro-trump-au-capitole-on-peut-absolument-parler-d-une-tentative-de-coup-d-etat-selon-une-ancienne-conseillere-du-president-bill-clinton_4247797.html">« tentative de coup d’État »</a> est appropriée, ces émeutes ont été l’aboutissement violent d’un long processus de sape des institutions démocratiques des États-Unis.</p>
<p>On sait déjà que dans les semaines précédentes, un petit cercle de législateurs républicains, tous issus d’un groupe parlementaire d’ultra-droite, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Freedom_Caucus">Freedom Caucus</a>, composé notamment d’anciens membres du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tea_Party_(mouvement_politique)"><em>Tea Party</em></a>, a travaillé de concert avec la Maison Blanche <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/15/us/politics/trump-meadows-republicans-congress-jan-6.html">par l’intermédiaire du chef de cabinet Mark Meadows</a>, et du conseiller du président <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/jan6-peter-navarro-ted-cruz-green-bay-sweep-1276742/">Peter Navarro</a> avec l’aide du stratège <a href="https://www.newsweek.com/peter-navarro-steve-bannon-hero-january-6-capitol-riots-1660421">Steve Bannon</a> pour tenter de renverser l’élection de 2020.</p>
<p>Ils ont fait pression sur les élus locaux, sur le ministère de la Justice, et ont inondé les tribunaux de recours dont ils ont été systématiquement déboutés. Pourtant, aujourd’hui encore, Donald Trump et ses alliés continuent de promouvoir le <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/600482/etats-unis-le-grand-mensonge-de-donald-trump-menace-toujours-la-democratie-americaine">« grand mensonge »</a> (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Big_lie">« the Big Lie »</a>) d’après lequel l’élection leur a été volée, n’hésitant pas à amplifier de fausses allégations et des théories du complot, relayées par <a href="https://www.foxnews.com/category/politics/elections/voter-fraud-concerns">Fox News</a> ou <a href="https://www.oann.com/tag/january-6/">OAN</a>.</p>
<p>Suite à un tel assaut contre la démocratie, on aurait pu espérer que le pays s’unisse et que les élus mettent de côté leur divisions. Pourtant, à peine quelques heures après la fin des émeutes, alors que le Congrès se réunissait à nouveau au Capitole, la grande majorité des représentants républicains (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2021_United_States_Electoral_College_vote_count">139 sur 212</a>) et quelques sénateurs ont objecté à la certification des résultats de la présidentielle.</p>
<p>Même si le chef des Républicains à la Chambre, <a href="https://www.npr.org/sections/trump-impeachment-effort-live-updates/2021/01/13/956452691/gop-leader-mccarthy-trump-bears-responsibility-for-violence-wont-vote-to-impeach">Kevin McCarthy</a>, et son homologue au Sénat, le tout-puissant <a href="https://apnews.com/article/mitch-mcconnell-donald-trump-impeachment-c9a38d7492feea56821f4e0930914b61">Mitch McConnell</a>, ont évoqué la responsabilité morale de Donald Trump dans l’attaque du Capitole, ils ne soutiendront ni la procédure de destitution (<em>impeachment</em>) symbolique de l’ancien président, ni même la mise en place d’une enquête bipartisane sur les événements. <a href="https://www.npr.org/2021/01/14/956621191/these-are-the-10-republicans-who-voted-to-impeach-trump">Seuls dix Républicains</a> voteront la mise en accusation de Donald Trump.</p>
<h2>Victoire de l’infox</h2>
<p>Il faut dire que <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2021/01/15/voters-reflections-on-the-2020-election/pp_2021-01-14_biden-trump-views_04-01/">l’électorat républicain</a> semble avoir majoritairement adhéré au « grand mensonge de Trump : l’élection présidentielle de 2020 était truquée ou le résultat d’un vote « illégal ». Une croyance pour 65 millions d’États-Uniens qui <a href="https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2021-05/IpsosReutersToplineWriteup-TheBigLie--17Maythru19May2021.pdf">persiste</a> au fil des mois, tandis que 9 %, soit potentiellement <a href="https://d3qi0qp55mx5f5.cloudfront.net/cpost/i/docs/Pape_AmericanInsurrectionistMovement_2021-08-06.pdf">23 millions d’Américains</a> tout de même, pensent même que le recours à la violence peut être justifié.</p>
<p>Ces sondages montrent également une corrélation entre ces croyances et le recours à des sources d’informations tels que <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/16/opinion/fox-news-trump-january-6.html">Fox News</a> et les <a href="https://www.newsweek.com/82-fox-news-97-oann-newsmax-viewers-believe-trumps-stolen-election-claim-poll-1644756">médias d’extrême droite</a>.</p>
<p><a href="https://www.washingtonpost.com/lifestyle/2021/12/23/fox-news-trump-ratings-2021-lawsuit/">Débordés sur leur droite</a> par les petites chaînes extrémistes montantes Newsmax et One America News, Fox News et sa star <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F7VKNRPyjPU">Tucker Carlson</a>, ainsi que certains membres républicains du Congrès tels que <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2021/06/19/jan-6-capitol-riot-trutherism-495197">Paul Gosar, Louie Gohmert ou Matt Gaetz</a>, ont rapidement avancé un récit révisionniste alternatif : les événements du 6 janvier auraient été principalement un exercice pacifique de la liberté d’expression. Quant aux rares violences commises ce jour-là, elles seraient le fait de groupes de gauche (<a href="https://theconversation.com/fact-check-us-existe-t-il-une-menace-antifa-aux-etats-unis-comme-laffirme-donald-trump-149200">Antifa</a>), voire d’<a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/nov/04/tucker-carlson/tucker-carlsons-conspiracy-theory-about-fbi-and-ja/">agents du FBI infiltrés</a>, ou bien encore elles seraient justifiées par le désespoir de patriotes qui se battaient pour la survie de la république et de la démocratie.</p>
<p>Trump fait quant à lui un récit d’inversion très clair de ces événements : « L’insurrection a eu lieu le 3 novembre, jour de l’élection. Le 6 janvier a été le jour de la protestation », a-t-il écrit dans une déclaration publiée par son groupe de collecte de fonds en octobre.</p>
<h2>La démocratie représentative remise en cause</h2>
<p>Ce qui rend impossibles des fraudes électorales nationales massives, c’est que les élections sont précisément de la compétences des États. C’est donc au niveau local que se situent les enjeux. Le <a href="https://www.motherjones.com/politics/2021/07/gop-could-retake-the-house-in-2022-just-by-gerrymandering-four-southern-states/">redécoupage électoral partisan dans certains États</a> pourrait, par exemple et à lui tout seul, mécaniquement donner aux Républicains la majorité à la Chambre aux élections de mi-mandat de 2022, traditionnellement déjà défavorables à la majorité présidentielle. Quant au Sénat, où les Républicains sont déjà surreprésentés par rapport à leur poids électoral réel, la bataille va s’y jouer sur une <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/14/us/politics/senate-races-2022.html">dizaine de sièges</a>.</p>
<p>La possibilité existe donc de voir le <a href="https://www.npr.org/2021/06/09/1002593823/how-democratic-is-american-democracy-key-pillars-face-stress-tests">Congrès contrôlé par une minorité</a>. Mais les enjeux de représentation démocratique sont tout aussi importants au niveau local.</p>
<p>Prétextant des menaces de fraude jamais prouvées, 19 des 23 États où les Républicains contrôlent à la fois les assemblées législatives et le siège du gouverneur ont adopté des <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/voting-laws-roundup-october-2021">lois rendant le vote plus difficile</a>. Plus inquiétant : dans certains États clés (comme l’Arizona, la Floride, la Géorgie, le Nevada, l’Ohio, la Pennsylvanie, le Texas ou le Wisconsin), des <a href="https://statesuniteddemocracy.org/wp-content/uploads/2021/04/FINAL-Democracy-Crisis-Report-April-21.pdf">lois</a> permettant aux législatures des États d’interférer avec l’administration (non partisane) en charge des élections, voire de supplanter l’élection populaire et de certifier le vainqueur de leur choix ont été ou sont en train d’être votées.</p>
<p>Tout cela accroît la possibilité d’une crise constitutionnelle qui serait réglée par une <a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">Cour suprême elle-même politisée</a>.</p>
<h2>Test de loyauté de Donald Trump : la revanche comme enjeu de puissance</h2>
<p>Les primaires républicaines seront l’autre enjeu majeur en 2022. Donald Trump a systématiquement mis en place des candidats choisis non pour leur conservatisme mais pour leur loyauté envers lui, contre les Républicains qui ont osé le critiquer, et de surcroît contre les dix qui ont voté pour son <em>impeachement</em>, comme <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/562410-alaska-gop-endorse-murkowski-primary-challenger">Lisa Murkowski</a> (Alaska) ou <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/27/us/politics/harriet-hageman-liz-cheney-trump.html">Liz Cheney</a> (Wyoming) – cette dernière ayant, en plus, commis le crime de lèse-majesté d’être l’une des deux élus républicains à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/28/liz-cheney-republicaine-tendance-faucon-seule-contre-trump_6089771_3210.html">participer à la commission d’enquête parlementaire</a> sur l’insurrection du 6 janvier.</p>
<p>Si le parti semble donc être entre les mains de Donald Trump, rien n’est encore joué. Il ne se présentera en 2024 que s’il est certain de pouvoir gagner, même en subvertissant le système en sa faveur. Sa puissance pourrait être mise à mal si ses candidats perdent aux primaires, d’autant qu’il <a href="https://www.politico.com/news/2021/12/17/gop-trump-oust-mcconnell-525207">n’a pas réussi à évincer McConnell</a>.</p>
<p>Il doit aussi faire face à de nombreux <a href="https://www.npr.org/2021/12/27/1068201299/lawsuits-could-expose-trump-business-practices-as-voters-consider-2022-midterms">problèmes judiciaires</a>, alors que le <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/republican-party-trump-legal-bills-new-york-probe/2021/12/16/08af4524-5c3f-11ec-9c0e-a955f8a009c1_story.html">parti a accepté de payer ses frais d’avocats</a>. Ses récents <a href="https://www.forbes.com/sites/nicholasreimann/2021/12/16/trump-and-oreilly-history-tour-struggles-with-low-attendance/ ?sh=1e4695a225f7">meetings n’ont attiré qu’une faible affluence</a>, et selon un sondage récent, seuls 44 % des Républicains souhaitent le voir se présenter à la présidentielle de 2024. Il pourrait en outre se révéler dépassé par son propre mouvement : séquence inquiétante pour lui, il s’est récemment fait huer pour avoir promu la vaccination.</p>
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<h2>Le 6 janvier 2021 : signe d’un basculement sans retour ?</h2>
<p>Au final, on peut se demander si les événements du 6 janvier et leurs conséquences ne sont pas le signe que les États-Unis ont atteint un niveau de polarisation tel qu’un <a href="https://www.pnas.org/content/118/50/e2102144118">point de non-retour</a> a été franchi, rendant toute inversion impossible, y compris face à un ennemi commun comme une pandémie.</p>
<p>L’enquête parlementaire ne devrait pas avoir d’impact : <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2021/09/28/declining-share-of-republicans-say-it-is-important-to-prosecute-jan-6-rioters/">77 % des Républicains</a> ne croient pas qu’elle sera juste et raisonnable et ils sont de <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2021/09/28/declining-share-of-republicans-say-it-is-important-to-prosecute-jan-6-rioters/">moins en moins nombreux</a> à penser qu’il est important que les forces de l’ordre poursuivent les émeutiers.</p>
<p>Mais c’est dans les urnes que tout va se jouer. Il faudra regarder le profil des Républicains élus en 2022 et voir si les « légitimistes » tels que Liz Cheney peuvent reconquérir le parti. Car même si Trump disparaissait, rien de ne dit que le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trumpisme">trumpisme</a> ne lui survivrait pas. De <a href="https://www.pnas.org/content/by/section/Political%20Sciences">nombreux chercheurs</a> et médias (<a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2022/01/january-6-insurrection-trump-coup-2024-election/620843/">ici</a>, <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/interactive/2021/january-6-next-coup-signs/">ici</a> ou <a href="https://www.economist.com/leaders/2022/01/01/how-to-think-about-the-threat-to-american-democracy">ici</a>) ont tiré la sonnette d’alarme sur les menaces qui pèsent sur la démocratie américaine, y compris celle d’un coup d’État larvé, de nouvelles violences politiques, voire d’une guerre civile. Le risque : une faible participation et la mort lente de la démocratie dans l’indifférence quasi généralisée d’une population désinformée, davantage préoccupée par des questions culturelles, identitaires ou économiques.</p>
<p>Voilà quelques-uns des enjeux des deux prochains cycles d’élections américaines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174318/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec le recul, l’assaut lancé contre le Capitole le 6 janvier 2021 peut apparaître comme le signal d’un basculement sans retour de la démocratie américaine.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1693892021-10-11T19:05:10Z2021-10-11T19:05:10ZL’avortement, un sujet majeur pour les artistes d’aujourd’hui<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425049/original/file-20211006-17-rylsrh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C0%2C1463%2C1078&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image de l'Evénement, film d'Audrey Diwan qui a remporté le Lion d'or à la Mostra de Venise en 2021. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-275122/photos/detail/?cmediafile=21857515">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Si l’adaptation de <em>L’Événement</em> au cinéma par Audrey Diwan a obtenu le <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/09/12/l-evenement-d-audrey-diwan-un-film-sur-l-avortement-remporte-le-lion-d-or-a-venise_6094364_3246.html">Lion d’or à la Mostra de Venise</a>, cela n’aura apparemment pas suffi pour que la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, ou la première dame, Brigitte Macron, se rendent à la projection organisée le 21 septembre dernier à l’Assemblée nationale. Elles y avaient pourtant été conviées.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que les arts s’emparent de la question de l’avortement en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle, loin s’en faut. Le roman d’Annie Ernaux porté à l’écran avait paru en 2000 ; le film roumain et belge <em>4 mois, 3 semaines, 2 jours</em>, réalisé par Cristian Mungiu, était sorti en 2007 et avait reçu la Palme d’or au 60<sup>e</sup> festival de Cannes, pour ne citer qu’eux. Pour autant, les œuvres – littéraires et cinématographiques notamment – qui traitent de l’interruption volontaire de grossesse se sont multipliées ces deux dernières années dans les pays occidentaux, témoignant ainsi de l’acuité de cette question, que certains auraient souhaité circonscrire au Mouvement de libération des femmes et à son ancrage dans les années 1970.</p>
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<p>Bien au contraire, on assiste à une forte repolitisation de cet enjeu crucial pour les droits reproductifs. Si le droit à l’avortement vient parfois occulter d’autres questions ayant partie liée à la justice reproductive (accès à la contraception, stérilisation, avortements contraints, etc.), la question demeure un bon étalon de l’égalité entre les femmes et les hommes et de leur liberté à disposer de leur propre corps. Il n’est donc pas anodin que la culture mainstream s’en empare.</p>
<h2>Une question instrumentalisée aux États-Unis</h2>
<p>Aux États-Unis, le droit à l’avortement fait l’objet d’une véritable instrumentalisation lors des campagnes présidentielles, et l’on a pu noter que Donald Trump – qui n’y était absolument pas opposé dans les années 1980-90 – a bien perçu que le clivage autour de l’interruption volontaire de grossesse pouvait être transformé en atout électoral, ce qui n’a pas été étranger à sa victoire en 2016.</p>
<p>Les trois nominations qu’il a effectuées à la Cour suprême des États-Unis, celle de Neil Gorsuch en 2017, celle de Brett Kavanaugh en 2018 puis celle d’Amy Coney Barrett suite au décès de Ruth Bader Ginsburgh à l’automne dernier y sont également liées. Ces nominations sont en effet au cœur du <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/01/us/supreme-court-texas-abortion.html">refus de la Cour d’examiner la loi extrêmement restrictive adoptée par l’État du Texas</a>, qui interdit l’avortement après six semaines de grossesse, y compris en cas de viol ou d’inceste.</p>
<p>C’est dans ce contexte que deux autrices américaines à succès, Jodi Picoult et Joyce Carol Oates, ont publié respectivement <em>Une étincelle de vie</em> (2018) et <em>Un livre de martyrs américains</em> (2020). Le premier aborde le sujet par le biais d’une prise d’otage dans une clinique pratiquant l’avortement ; le second utilise le fil rouge de l’avortement pour mieux donner à voir les divisions et les inégalités qui agitent l’Amérique contemporaine.</p>
<p>Au cinéma, c’est <em>Never Rarely Sometimes Always</em>, film américano-britannique réalisé par Eliza Hittman, acclamé au festival de Sundance et Prix du jury à la Berlinale, qui s’y attaque. Le film, sorti en catimini en 2020, en pleine crise Covid, place habilement les spectateurs et spectatrices face aux disparités territoriales que subissent les Américaines et au parcours de la combattante qui attend celles qui souhaitent mettre un terme à une grossesse, en particulier si elles font face à des contraintes matérielles et financières.</p>
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<h2>Les droits des femmes en danger</h2>
<p>Les difficultés que rencontrent les adolescentes du film ne sont pas sans rappeler celles auxquelles se confrontent les <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/letranger-unique-recours-pour-des-polonaises-privees-divg-20210928_YHD376IDOREPJGQTDZP4EIJLKA/">Polonaises qui sont contraintes à l’exil abortif</a> par l’interdiction d’avorter qui sévit dans leur pays. Nombre d’Irlandaises et de Nord-Irlandaises continuent également de les endurer malgré la récente légalisation de l’avortement jusqu’à 12 semaines en <a href="https://www.irishtimes.com/news/politics/abortion-referendum">République d’Irlande</a> (2018) puis en <a href="https://www.bbc.com/news/uk-northern-ireland-politics-56041849">Irlande du Nord</a> (2020), en raison des résistances à la mise en œuvre de ces dispositions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-families-abortion-is-now-legal-in-northern-ireland-but-more-needs-to-be-done-so-every-woman-has-adequate-access-161046">Three Families: abortion is now legal in Northern Ireland but more needs to be done so every woman has adequate access</a>
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<p>À l’image de ces évolutions à rebours des droits des femmes, la <a href="https://www.msf.fr/actualites/journee-mondiale-du-droit-a-l-avortement-temoignages-des-disparites-d-acces-a-l-ivg">journée mondiale du droit à l’avortement</a> le 28 septembre dernier n’a pas fait grand bruit. Néanmoins, le tabou qui entoure l’avortement semble bel et bien en train de s’effriter peu à peu. La parole se libère, portée par la vague #MeToo, dont c’est le quatrième anniversaire, et par la publicité entourant la mise au jour des violences gynécologiques et obstétricales.</p>
<h2>Activisme artistique</h2>
<p>En témoignent la bande dessinée <em>Mon vagin, mon gynéco et moi</em> de Rachel Lev (2021), mais aussi <em>Il fallait que je vous le dise</em> (2019), d’Aude Mermilliod, qui a précisément pour but de rompre le silence entourant les interruptions de grossesse, et la chanson <em>Chair</em> (2020), de Barbara Pravi, qui mène ce combat sur la scène musicale. L’icône de la culture populaire – qui a représenté la France à l’Eurovision cette année et bénéficie ainsi d’une grande renommée – et la dessinatrice remettent la dignité au centre de cette expérience vécue par une femme sur trois environ dans les pays occidentaux, moyenne qui masque de <a href="https://www.guttmacher.org/fact-sheet/induced-abortion-worldwide">grandes disparités au niveau mondial</a>.</p>
<p>Ces artistes font œuvre d’activisme et leurs productions sont loin d’aborder le sujet de l’avortement par inadvertance. Ces dernières sont éminemment politiques et visent à ouvrir les yeux et les oreilles du grand public en se proposant comme lieu de la confrontation à ces questions. Si leur public n’était pas averti, il est ainsi amené à comprendre la réalité vécue par les femmes au sujet desquelles on légifère. Ces lectures, ces visionnages visent à marquer l’opinion publique et à l’aider à faire des choix politiques dans les urnes. Ces œuvres engagées ne se contentent pas d’être produites dans un contexte particulier : elles y sont une réaction, une contre-attaque.</p>
<p>La BD boucle la boucle avec <em>Le Manifeste des 343</em> (2020), d’Adeline Lafitte, Hélène Strag et Hervé Duphot, qui revient sur la parution dudit <em>Manifeste</em> dans <em>Le Nouvel Observateur</em> il y a 50 ans. Aude Mermilliod poursuit elle aussi sa collaboration avec Martin Winckler en adaptant pour la BD (2021) son roman <em>Le Chœur des femmes</em> (2009), preuve s’il en était que son œuvre-témoignage n’était pas accidentelle. Pour les lectrices et lecteurs, il ne reste plus qu’à espérer que la boucle soit aussi bouclée par les parlementaires, en France, qui tergiversent depuis plus d’un an quant à <a href="https://www.nouvelobs.com/droits-des-femmes/20210925.OBS49084/allongement-du-delai-legal-de-l-ivg-pourquoi-il-y-a-une-remobilisation.html">autoriser l’allongement du délai légal à 14 semaines</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169389/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandrine Guyard-Nedelec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces dernières années, le cinéma, la littérature et même la BD s’emploient à briser le tabou de l’avortement.Alexandrine Guyard-Nedelec, Maîtresse de conférences en civilisation britannique, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1617112021-06-09T18:45:57Z2021-06-09T18:45:57ZJules César et Donald Trump, champions du « peuple vulgaire » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/405410/original/file-20210609-14594-1m745km.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2132%2C1547&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vidéo satirique sur Youtube, capture d'écran.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=i1tCCZgzyr4&ab_channel=EmilTiganul">YouTube</a></span></figcaption></figure><p>En janvier 52 av. J.-C., à Rome, des partisans du tribun de la plèbe Clodius, en colère, pénètrent dans la Curie, lieu de réunion du Sénat, saccageant l’édifice avant d’y mettre le feu. </p>
<p>En janvier 2021, à Washington, des électeurs de Trump, également en furie, entrent par effraction au Capitole, siège du Congrès. </p>
<p>Les deux événements, séparés par quelque 2000 ans, sont-ils comparables ?</p>
<h2>De la mort de Clodius à la défaite de Trump</h2>
<p>L’attaque contre le Sénat romain fait suite à la mort de Clodius, champion de la plèbe, qui venait d’être tué lors d’une violente échauffourée avec ses opposants. Tenant les sénateurs pour responsables de la mort du tribun, ses partisans incendient le Sénat, <a href="https://www.babelio.com/livres/Barrandon-Les-massacres-de-la-republique-romaine/1037891">transformé en un immense bûcher funèbre pour le cadavre de Clodius</a>.</p>
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<span class="caption">L’assassinat du tribun de la plèbe Clodius en 52 av. J.-C. Gravure du début du XIXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/58/Clodius_killed.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 2021, le héros des agresseurs n’est pas mort, mais il a été battu lors d’élections considérées comme frauduleuses par les militants trumpistes qui entendent venger leur champion.</p>
<p>Si l’insurrection romaine fut encore plus violente que celle de Washington, les deux attaques n’en sont pas moins comparables dans le sens où elles sont la conséquence d’une profonde défiance envers des institutions accusées de fraude ou de crime.</p>
<p>L’orateur et homme politique Cicéron, défenseur des institutions républicaines traditionnelles et farouche ennemi de Clodius, qualifie, dès 56 av. J.-C., les partisans du tribun de « bande innombrable d’esclaves excités » (<em>vis innumerabilis incitata servorum</em>), en référence à la révolte de Spartacus qui avait poussé les populations serviles de l’Italie à se soulever contre l’État romain, entre 73 et 71 av. J.-C. (<a href="http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/aruspices.htm">Cicéron, <em>De Haruspicum responsis</em>, XI</a>).</p>
<p>De même, les défenseurs de la démocratie états-unienne voient dans les émeutiers du Capitole de véritables <a href="https://pharos.vassarspaces.net/2021/01/14/capitol-terrorists-take-inspiration-from-ancient-world/">« terroristes nationaux »</a> (<em>domestic terrorists</em>).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405405/original/file-20210609-14804-1cng38r.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Attaque des partisans de Trump contre le Capitole, Washington, en janvier 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f9/Tear_Gas_outside_United_States_Capitol_20210106.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2><em>Vulgus</em> ou « peuple vulgaire »</h2>
<p>Cicéron dénonce les pressions exercées par la foule sur les représentants de l’administration romaine dans les provinces de l’Empire. Ainsi, en 59 av. J.-C., il prend la défense de <a href="http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/flaccus.htm">Flaccus</a>, gouverneur de la province d’Asie, accusé de détournement d’argent par ses administrés. Dans le plaidoyer (<em>Pro Flacco</em> VI et VIII) qu’il compose pour l’occasion, il présente les accusateurs de son client comme un groupe d’incultes violents. Il emploie le terme latin <em>vulgus</em> (ou <em>volgus</em>) que l’on peut traduire par « populace ». Flaccus, affirme Cicéron, est victime de « la clameur d’une multitude excitée » (<em>clamore multitudinis concitatae</em>), de « la témérité de la populace » (<em>temeritatem volgi</em>) et du « tumulte des ignorants » (<em>strepitum imperitorum</em>).</p>
<p><a href="http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/plancius.htm">Dans un autre plaidoyer</a> (<em>Pro Plancio</em> IV), l’orateur affirme : « Il n’y a pas de réflexion dans la populace, pas de raison, pas d’intelligence. » (<em>Non est enim consilium in volgo, non ratio, non discrimen</em>).</p>
<h2>Le <em>vulgus</em>, figure de l’Autre</h2>
<p>Cicéron produit ainsi une sorte de caricature du « peuple vulgaire » dont l’image chaotique a pour but de conforter le prestige de l’élite à laquelle lui-même appartient. Le <em>vulgus</em>, incapable de réfléchir, est délégitimé politiquement.</p>
<p>D’une manière assez similaire, Hillary Clinton adopte, en septembre 2016, un angle d’attaque très cicéronien, lorsqu’elle affirme que la moitié des électeurs de Trump sont des « gens déplorables », voire « irrécupérables ». Elle ajoute, pour rassurer ses partisans : <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/09/10/97001-20160910FILWWW00075-clinton-juge-les-electeurs-de-trump-deplorables.php">« mais heureusement, ils ne sont pas l’Amérique »</a>.</p>
<p>Des caricatures des électeurs de Trump vont dans le même sens, offrant d’éloquentes images de « demeurés ». Le dessinateur Terreur Graphique en offre un bel exemple dans l’album <a href="https://www.bd-best.com/avant-sa-destitution-trump-fait-son-ab-c-daire-du-a-dae-alternative-facts-au-z-de-zoolander--news-9277.html"><em>Trump de A à Z</em> d’Hervé Bourhis</a>, publié en 2017.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=579&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=579&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=579&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405412/original/file-20210609-14804-18h8u8k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les électeurs de Trump vus par le dessinateur Terreur Graphique. Dessin publié dans l’album de Hervé Bourhis, Trump de A à Z, Casterman, 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bd-best.com/avant-sa-destitution-trump-fait-son-ab-c-daire-du-a-dae-alternative-facts-au-z-de-zoolander--news-9277.html">Terreur graphique chez Casterman</a></span>
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<p>Le message est clair : les trumpistes vivent entre eux, loin des villes, dans des zones reculées et presque désertiques (ici le Texas). Leur « désert » est autant géographique que culturel : ils sont illettrés ; d’où les énormes fautes d’orthographe qu’ils commettent. Ils sont obèses et mal vêtus. De plus, ils ont de nombreux enfants qu’ils ne savent pas élever correctement. Ainsi, ils incarnent à la fois l’Autre et l’Ailleurs pour l’élite urbaine éduquée qui connaît, elle, les codes et les pratiques sociales valorisantes. En trois mots, pourrait-on dire, en reprenant le titre d’un célèbre film d’Ettore Scola, ils sont « affreux, sales et méchants ».</p>
<p>En France, certains hommes politiques furent tentés d’adopter la même stratégie pour <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-fond-de-l-air-est-jaune-collectif/9782021426205">délégitimer les « gilets jaunes »</a> dont le mouvement, comme l’a souligné l’économiste Thomas Piketty, n’est pas sans rappeler le sentiment de révolte de certains électeurs de Trump.</p>
<p>En octobre 2018, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement français, s’était moqué « des gars qui fument des clopes et <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/10/29/31002-20181029ARTFIG00214-le-mepris-siderant-de-griveaux-pour-les-gars-qui-fument-des-clopes-et-roulent-au-diesel.php">qui roulent au diesel</a> », précisant : « Ce n’est pas la France du XXI<sup>e</sup> siècle que nous voulons ». Des propos méprisants et contre-productifs qui avaient plutôt eu pour effet de renforcer l’opposition au gouvernement.</p>
<h2>L’instrumentalisation politique du <em>vulgus</em></h2>
<p>L’histoire de la Rome antique nous montre aussi comment des hommes politiques ont pu profiter de ces mouvements populaires, quitte parfois à les provoquer eux-mêmes afin de s’en faire un tremplin politique.</p>
<p>C’est ainsi que l’ambitieux Jules César a soutenu la carrière de Clodius, ennemi de l’élite romaine. Donald Trump, lui, <a href="https://www.radioclassique.fr/magazine/articles/qanon-le-mouvement-complotiste-americain-pro-trump-arrive-en-france/">s’appuie sur des groupes factieux, comme les complotistes du mouvement QAnon</a>.</p>
<p>Plus généralement, César instrumentalisa la plèbe romaine, comme Trump se fit le héros des <em>rednecks</em> ou « nuques rouges », terme dont l’étymologie est discutée. Sont-ils ainsi surnommés en raison des coups de soleil auxquels ils s’exposent, lorsqu’ils travaillent dans les champs, ou bien parce qu’ils portent des foulards rouges autour du cou ? En tout cas, ils éveillent souvent le <a href="https://www.nytimes.com/2017/06/12/theater/donald-trump-julius-caesar-public-theater-oskar-eustis.html">dédain des populations urbaines éduquées</a>, qui les voient comme un équivalent du <em>vulgus</em> latin.</p>
<h2>César et Trump, même combat !</h2>
<p>Trump est comparé à César par ses opposants dont certains espèrent sans doute qu’il finira assassiné comme le dictateur romain. C’est du moins ce que suggérait une adaptation de <em>Jules César</em>, célèbre pièce de Shakespeare, au Public Theater de New York (mai-juin 2017), qui présentait le dictateur romain sous l’apparence de Trump. Le public assistait <a href="https://www.courrierinternational.com/article/controverse-theatre-peut-mettre-en-scene-la-mort-de-trump">à la mise à mort sur scène de César-Trump</a>.</p>
<p>À l’inverse, des <a href="https://benjaminstudebaker.com/2017/06/19/how-similar-are-trump-and-caesar/">partisans de Trump</a> espèrent qu’il réalise un coup d’État et s’empare du pouvoir à vie. <em>Cross the Rubicon, President Trump !</em> (« Franchissez le Rubicon président Trump ! ») peut-on lire sur une pancarte brandie lors d’une manifestation trumpiste en 2020, ou encore sur des <a href="https://www.redbubble.com/fr/i/t-shirt/Trump-traverse-le-Rubicon-par-JessyCuba/65576008.WFLAH#&gid=1&pid=1">T-shirts vendus aux militants</a>.</p>
<p>Cette utilisation de la <a href="https://www.the-tls.co.uk/articles/why-donald-trump-really-is-like-julius-caesar/">référence à César</a>, simultanément revendiquée par les pro et les anti-Trump, la rend assez pertinente.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405418/original/file-20210609-14356-15kpzmf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation de partisans de Trump en 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=YVDJqipoohc&ab_channel=TheDailyShowwithTrevorNoah">_The Daily Show_, capture d’écran</a></span>
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<h2>Le paradoxe du milliardaire héros du <em>vulgus</em></h2>
<p>Ce qui renforce aussi la comparaison entre les deux leaders, c’est leur origine sociale. Richissime, César appartient à la <em>gens Iulia</em>, l’une des plus grandes familles aristocratiques de Rome. Cela ne l’empêcha pas de devenir le champion du peuple, de même que le milliardaire Trump a su se faire élire président des États-Unis par des Américains pauvres qui n’avaient socialement rien en commun avec lui. César et Trump sont deux hommes dominants, transfuges de leur classe sociale. L’appartenance à l’élite n’a donc rien de rédhibitoire pour le leader populiste, pourvu qu’il apparaisse comme l’ennemi de la caste dont il est lui-même issu.</p>
<p>Les mouvements populaires à Rome comme aux États-Unis sont également infiltrés par des membres de l’élite. Ainsi, Clodius lui-même était issu d’une famille noble. Mais il était officiellement devenu plébéien, à sa demande et avec le soutien intéressé de Jules César, dans le seul but de pouvoir se faire élire tribun de la plèbe.</p>
<p>De même, tous les insurgés du Capitole ne débarquaient pas de l’Amérique profonde et défavorisée. Il y avait, par exemple, parmi eux <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/12/nyregion/aaron-mostofsky-arrest-capitol.html">Aaron Mostofsky</a>, fils d’un juge new-yorkais.</p>
<p>Il serait aussi naïf de penser que <a href="https://www.opendemocracy.net/en/redneck-revolt-radical-responses-to-trumpism-in-rural-us/">l’ensemble des populations rurales</a> soutiendraient unanimement Trump.</p>
<p>En témoigne notamment le <a href="https://theconversation.com/les-insurges-du-capitole-ne-sont-pas-les-rednecks-que-vous-croyez-154359">mouvement des <em>Rednecks for Black Lives</em></a> !</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel publie le <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/christian-georges-schwentzel/manuel-du-parfait-dictateur-christian-georges-schwentzel/">« Manuel du Parfait dictateur, Jules César et les “hommes forts” du XXIᵉ siècle »</a>, éditions Vendémiaire</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161711/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’attaque des partisans de Trump contre le Capitole, en janvier 2021, n’est pas sans rappeler l’attaque contre le Sénat romain en 52 av. J.-C.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1590772021-04-28T18:08:23Z2021-04-28T18:08:23ZLes réformes électorales menacent-elles la démocratie des États-Unis ?<p>Quelques mois à peine après les victoires historiques des Démocrates aux élections présidentielles et sénatoriales dans l’État de Géorgie, son gouverneur républicain, Brian Kemp, a promulgué une loi qui <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-apres-leurs-defaites-en-georgie-les-republicains-changent-les-regles-electorales">réécrit largement les règles électorales de l’État</a>.</p>
<p>Le texte a provoqué un <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2021-03-26/georgie/la-loi-censee-rendre-les-elections-plus-sures-souleve-un-tolle.php">tollé</a>. Les <a href="https://apnews.com/article/joe-biden-race-and-ethnicity-georgia-voting-rights-elections-b5c6611e3233633dde10397eed56bbfb">Démocrates</a>, les <a href="https://www.forbes.com/sites/alisondurkee/2021/03/30/civil-rights-groups-including-aclu-naacp-sue-georgia-over-voting-law/">défenseurs des droits civiques</a> et les <a href="https://www.npr.org/2021/04/06/984829983/black-leaders-say-big-georgia-companies-need-to-speak-out-nationally-on-voter-la">leaders afro-américains</a> ont accusé les Républicains de s’attaquer au droit de vote en cherchant à limiter le vote par correspondance et l’accès aux urnes, notamment pour les électeurs noirs qui votent traditionnellement pour les démocrates.</p>
<h2>Une controverse nationale</h2>
<p>Des entreprises de premier plan, comme <a href="https://www.businessinsider.fr/us/apple-united-delta-coke-companies-against-georgia-voting-law-elections-2021-4">Coca-Cola ou Delta</a>, ont condamné l’adoption de la loi, et la Major League de baseball a <a href="https://www.vox.com/2021/4/3/22365408/mlb-all-star-game-atlanta-explained-voter-suppression-bills">délocalisé le All-Star Game 2021</a> dans le Colorado. Le président Biden est allé jusqu’à y voir une loi pire que « Jim Crow », ces lois de ségrégation raciale promulguées par les législatures des États du Sud, dont faisait partie la Géorgie, de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle aux années 1960. Une exagération qui rappelle les <a href="http://www.spherecpp.fr/parler-a-la-trump-le-concept-dhyperbole-veridique">hyperboles véridiques</a> de Donald Trump.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x0sS2UfN7FA?wmode=transparent&start=57" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>À leur tour, les Républicains ont accusé les Démocrates de jouer la carte de la race, et Biden de propager des mensonges alors que celui-ci a été épinglé par les <a href="https://www.marseillenews.net/les-verificateurs-du-washington-post-critiquent-biden-pour-les-revendications-de-la-loi-electorale-en-georgie-georgia.html">vérificateurs du <em>Washington Post</em></a> pour avoir répété que la nouvelle loi électorale modifiait les horaires de vote, ce qui est faux. Certaines contre-vérités, comme la <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/mar/26/charles-schumer/charles-schumer-misleads-georgia-voting-legislatio/">fin du vote anticipé le week-end</a>, correspondant à des clauses <a href="https://www.businessinsider.fr/us/georgia-gop-absentee-early-voting-restrictions-sunday-black-voters-2021-2">initialement envisagées</a> par les Républicains mais finalement abandonnées dans la version définitive, ont également été énoncées.</p>
<p>Une lecture détaillée de <a href="https://www.legis.ga.gov/api/legislation/document/20212022/201121">cette loi</a> en montre toute l’ambiguïté. Ainsi, elle garantit l’existence d’urnes de dépôt des bulletins (<em>drop boxes</em>) pour le vote anticipé, mises en place avec les <a href="https://www.wabe.org/state-election-board-defends-georgia-election-extends-rules-governing-drop-boxes-early-processing/">dispositions d’urgence de 2020</a> dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, mais elle en limite le nombre. Autre exemple : la loi exige dorénavant un numéro d’identification pour les votes par correspondance. Or, aux États-Unis, il n’y a pas de carte d’identité nationale (fédérale) et les populations les plus pauvres n’ont pas forcément de permis de conduire.</p>
<p>Ces lois d’identification des électeurs sont donc souvent <a href="https://www.aclu.org/other/oppose-voter-id-legislation-fact-sheet">perçues comme particulièrement discriminatoires</a> sur le plan racial. Toutefois, en Géorgie, un <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/02/us/politics/georgia-voting-law-annotated.html">numéro de sécurité sociale</a> (que possèdent presque tous les Américains) suffira. De plus, et de façon contre-intuitive, la <a href="https://www.annualreviews.org/doi/10.1146/annurev-polisci-051215-022822">recherche universitaire</a> tend à montrer que ces lois d’identification n’ont qu’un effet faible ou négligeable sur la participation électorale. Elles sont également <a href="https://fivethirtyeight.com/features/americans-oppose-many-voting-restrictions-but-not-voter-id-laws/">soutenues par une majorité d’Américains</a>, pourtant opposés aux autres restrictions du droit de vote.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375442555022704641"}"></div></p>
<p>Trois clauses, cependant, sont particulièrement problématiques : la réduction de la période pendant laquelle un électeur peut demander un bulletin, l’interdiction de distribuer de la nourriture ou de l’eau aux personnes faisant la queue pour voter et, surtout, les nouveaux pouvoirs donnés à l’Assemblée générale de Géorgie (majoritairement républicaine) pour contrôler la commission électorale de l’État (<em>State Election Board</em>) et remplacer les administrateurs électoraux locaux. Cette clause est la plus emblématique d’un <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/06/upshot/georgia-election-law-risk.html">potentiel abus de pouvoir</a>, même si certains garde-fous existent bien.</p>
<p>Pour comprendre la signification politique de cette loi, il faut aller au-delà du texte et regarder le contexte. Selon les Républicains, cette loi judicieusement appelée <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Election_Integrity_Act_of_2021">« Loi sur l’intégrité des élections de 2021 »</a> était nécessaire pour <a href="https://www.npr.org/2021/04/09/985474722/georgia-secretary-of-state-says-new-voting-law-restores-confidence">« restaurer la confiance »</a>. Elle valide donc implicitement l’idée que la présidentielle de 2020 n’a pas été intègre. Si elle a été signée par le gouverneur républicain Brian Kemp, qui avait pourtant <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/trump-kemp-call-georgia/2020/12/05/fd8d677c-3721-11eb-8d38-6aea1adb3839_story.html">résisté aux pressions de Donald Trump</a> qui lui demandait de ne pas reconnaître la victoire de Biden, c’est qu’il doit <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/08/us/politics/brian-kemp-trump-georgia.html">redorer son blason, après être devenu un paria</a> au sein de son propre parti – du fait, précisément, de son opposition à Trump au plus fort de la période post-électorale.</p>
<p>Cette validation implicite du mensonge de Donald Trump est au cœur de la stratégie républicaine, résumée par le slogan : <a href="https://rslc.gop/wp-content/uploads/2021/04/election-integrity-best-practices-final-v20210405.pdf">« rendre plus facile le vote, et plus difficile la triche »</a>. Mais quelle triche ? Les faits ont largement démontré qu’il n’y a pas eu de fraude, en <a href="https://www.ajc.com/politics/no-fraud-georgia-audit-confirms-authenticity-of-absentee-ballots/QF2PTOGHLNDLNDJEWBU56WEQHM/">Géorgie</a> ou <a href="https://lukeford.net/blog/wp-content/uploads/2021/03/fraud_extended_public.pdf">dans le reste du pays</a>.</p>
<p>Il y aurait <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/voting-laws-roundup-march-2021">plus de 360 projets de loi similaires</a>, parfois plus radicaux, dans 47 États, projets particulièrement bien avancés <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/01/us/texas-voting-restrictions.html">au Texas</a>, en <a href="https://www.nbcnews.com/politics/elections/arizona-republicans-push-new-laws-limit-mail-voting-n1261328">Arizona</a> ou dans le <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/apr/02/michael-macdonald/mich-gops-proposed-election-law-changes-would-make/">Michigan</a>. Ce mensonge persistant ne fait qu’accroître la polarisation du pays : plusieurs mois après les résultats, alors que Trump insiste sur le fait que la loi de Géorgie <a href="https://www.usatoday.com/story/news/2021/04/07/trump-georgia-election-law-too-weak-attacks-kemp-raffensperger/7123560002/">ne va pas assez loin</a>, une <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-politics-disinformation-idUSKBN2BS0RZ?taid=606af4c8a0a3570001acce1f&utm_campaign=trueAnthem:+Trending+Content&utm_medium=trueAnthem&utm_source=twitter">majorité de Républicains</a> continuent de croire que l’élection leur a été volée.</p>
<h2>Un impact sur les relations entre le business et le monde politique</h2>
<p>Cette politisation du processus électoral pourrait également accélérer une refonte des alliances traditionnelles entre le monde politique et celui des affaires. Déjà, à la suite de la remise en cause du résultat des élections de novembre et de la tentative d’insurrection au Capitole, certaines grandes compagnies avaient mis <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2021/01/19/gop-corporate-pac-funding/">fin à leur soutien financier aux Républicains</a>. En Géorgie, de grandes entreprises comme <a href="https://news.delta.com/ed-bastian-memo-your-right-vote">Delta</a> ou <a href="https://www.coca-colacompany.com/media-center/georgia-voting-legislation">Coca-Cola</a> qui, nous l’avons dit, ont condamné publiquement la loi électorale avaient pourtant <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/georgia-voting-law-backlash/2021/04/11/3074ef34-9893-11eb-a6d0-13d207aadb78_story.html">participé en coulisse</a> à son élaboration (en ayant des échanges avec les leaders politiques par le biais des Chambres de commerce) et permis notamment d’exclure les propositions les plus controversées. Des centaines de grands patrons ont récemment signé une <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/14/business/dealbook/ceos-voting-rights.html">tribune dans le <em>New York Times</em></a> dénonçant les atteintes au droit de vote dans plusieurs États tandis que d’autres se sont abstenus.</p>
<p>Si, dans ce contexte de polarisation, les grandes marques doivent choisir un camp, face à la <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/30/business/dealbook/georgia-voting-boycotts.html">menace de boycott</a>, mais également à la pression de <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2021/01/08/twitter-trump-dorsey/">leurs employés</a> et de leurs investisseurs, elles choisiront celui qui satisfait au mieux leurs intérêts. L’accord, tacite, entre les grandes entreprises et le parti républicain (réductions d’impôts et déréglementation contre dons pour les campagnes électorales) pourrait ne pas survivre à la vague populiste anti-establishment qui submerge le parti.</p>
<p>C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/03/marco-rubio-amazon-union-alabama-oped-woke-capital.html">soutien du républicain Marco Rubio aux syndicats</a> dans leur conflit avec Amazon, ou les accusations de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cancel_culture">culture de l’annulation</a> (cancel culture) par le gouverneur Kemp suite à la délocalisation de la All-Star Game ou aux menaces de boycott de la Géorgie par certaines entreprises. À l’inverse, le chef des Républicains au Sénat, Mitch McConnell, a menacé les entreprises qui s’opposent à la loi électorale de Géorgie de représailles si elles ne <a href="https://www.washingtonpost.com/nation/2021/04/07/mitch-mcconnell-georgia-citizens-united/">restent pas en dehors de la politique</a>. L’ironie étant qu’il a passé sa longue carrière à se battre pour que les <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/07/us/mitch-mcconnell-voting-rights-bill.html">entreprises participent à la vie politique</a> précisément au nom de la <a href="https://www.politico.com/story/2010/01/pols-weigh-in-on-citizens-united-decision-031798">liberté d’expression garantie par le Premier amendement</a>… Quant à Donald Trump, il en <a href="https://www.axios.com/trump-calls-for-boycott-of-more-companies-over-georgia-voting-law-5fbed298-f08f-43e7-87dd-86ed4f4a0712.html">appelle lui aussi à leur boycott</a>.</p>
<p>Bien entendu, cela ne veut pas dire que les entreprises vont nécessairement se précipiter chez les Démocrates, notamment si Joe Biden met à exécution <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2021/04/12/corporate-tax-voting-rights-business/">son plan d’augmenter les impôts sur les entreprises</a> pour financer l’investissement dans les infrastructures. Le monde des affaires est en fait divisé et <a href="https://www.economist.com/business/2021/04/14/ceo-activism-in-america-is-risky-business">l’activisme politique du patronat est une affaire risquée</a>.</p>
<h2>La vraie menace pour la démocratie : le redécoupage des circonscriptions</h2>
<p>Pourtant, aussi médiatiques que soient ces lois de réformes électorales, elles sont l’arbre qui cache la forêt. Le remaniement partisan des circonscriptions électorales (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerrymandering"><em>Gerrymandering</em></a>), en <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/04/georgia-voting-laws-democrats-gerrymandering-hr1.html">Géorgie</a>, comme <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/04/georgia-voting-laws-democrats-gerrymandering-hr1.html">ailleurs</a>, est objectivement une <a href="https://theconversation.com/republicans-didnt-lose-big-in-2020-they-held-onto-statehouses-and-the-power-to-influence-future-elections-150237">plus grande menace</a> pour le fonctionnement démocratique états-unien. S’il est utilisé par les deux partis, les Républicains en avaient fait une véritable stratégie en 2010 (baptisée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/REDMAP">REDMAP</a>). Le recensement décennal, dont les <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/2020-census-population-and-apportionment-data-explained">premiers résultats</a> viennent d’être publiés, permettra à nouveau aux États de redessiner leurs circonscriptions, ce qui pourrait avoir un impact sur la représentation démocratique pour la prochaine décennie. Cette arme pourrait peut-être même permettre au parti républicain de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/apr/11/putin-style-democracy-republicans-gerrymandering-electoral-map-democrats-census">reprendre le contrôle de la Chambre des Représentants sans gagner une seule voix</a> de plus qu’en 2020, et sans limiter l’accès aux urnes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Comment voler une élection ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fairvote.org/new_poll_everybody_hates_gerrymandering">FairVote.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un projet de loi fédéral appelé <a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/1">« For the People Act »</a> (<em>ou _H.R. 1</em>), qui vise à limiter le gerrymandering, mais aussi à étendre les droits de vote et à réduire l’influence de l’argent en politique a été <a href="https://apnews.com/article/house-passes-sweeping-voting-rights-bill-88088175552f13a8e3f6f25d7bc45f6c">voté par la Chambre il y a quelques semaines</a>, sur des lignes partisanes. Bien qu’<a href="https://www.vox.com/22346812/voting-rights-bill-hr1-for-the-people-act">imparfait</a>, ce projet de loi est perçu comme une menace par les Républicains et par des groupes de pression, comme celui <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/inside-the-koch-backed-effort-to-block-the-largest-election-reform-bill-in-half-a-century">du milliardaire Charles Koch</a>. Il a toutefois peu de chances de devenir loi, du moins tant que les règles du Sénat permettent d’utiliser <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lelection-senatoriale-en-georgie-va-t-elle-determiner-la-presidence-biden-152539">l’obstruction</a> (<em>fillibuster</em>) pour <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lelection-senatoriale-en-georgie-va-t-elle-determiner-la-presidence-biden-152539">bloquer un vote à majorité simple</a>, le déficit démocratique existant également au sein du Sénat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159077/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une loi électorale controversée vient d’être adoptée en Géorgie. Les débats qui l’entourent reflètent le combat acharné que se livrent les deux grands partis pour peser sur les procédures de vote.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1570602021-03-17T19:20:15Z2021-03-17T19:20:15ZÉtats-Unis : l’avenir du parti républicain, un enjeu de démocratie<p>Depuis le départ de Donald Trump de la Maison Blanche, le parti républicain au Congrès est tiraillé entre trois factions de taille inégale.</p>
<p>D’une part, on retrouve les quelques « courageux » qui, au péril de leur survie politique, ont voté la mise en accusation de l’ex-président à la Chambre (ces représentants sont au nombre de dix, dont les plus emblématiques sont <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/liz-cheney-porte-voix-des-republicains-anti-trump_2144454.html">Liz Cheney</a> et <a href="https://www.courrierinternational.com/article/lettre-tu-rejoint-larmee-du-diable-adam-kinzinger-republicain-anti-trump-renie-par-sa">Adam Kinzinger</a>.</p>
<p>De l’autre, l’aile « légitimiste », caractérisée par l’ambiguïté dont le leader du parti au Sénat, Mitch McConnell, est l’incarnation : il a <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/02/13/bien-quacquitte-trump-responsable-de-lassaut-du-capitole-dit-mcconnell-1">voté l’acquittement puis immédiatement dénoncé</a> la responsabilité morale et politique (à défaut de juridique, difficile à prouver) de Donald Trump dans l’assaut contre le Capitole le 6 janvier. McConnell sait qu’il est urgent de sortir le parti de la dangereuse emprise de l’ancien président, mais il a besoin des électeurs de ce dernier.</p>
<p>La troisième faction est constituée des inconditionnels de Trump comme le sénateur Lindsay Graham (Caroline du Sud) et le leader républicain à la Chambre Kevin McCarthy, qui estiment qu’ils doivent faire allégeance à l’ex-président pour garder ses électeurs, lesquels ont été, et sont encore, abreuvés de mensonges, notamment sur l’élection présidentielle qui aurait été « volée » à leur champion. D’ailleurs, Graham et McCarthy vont <a href="https://edition.cnn.com/2021/02/19/politics/lindsey-graham-mar-a-lago-trump-gop-feud/index.html">l’un</a> et <a href="https://www.thedenverchannel.com/news/national-politics/rep-house-leader-mccarthy-meets-with-trump-at-mar-a-lago-to-discuss-2022-strategy">l’autre</a> régulièrement baiser l’anneau du grand leader à Mar-a-Lago, Floride, où il réside désormais.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1355131187979685891"}"></div></p>
<p>Convaincue que le salut passe par Trump, cette aile rassemble tous ceux qui ont voté <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2021/01/07/us/elections/electoral-college-biden-objectors.html">contre la reconnaissance de la certification de la victoire de Joe Biden</a> le 6 janvier, après l’attaque du Capitole, soit <a href="https://ballotpedia.org/Impeachment_of_Donald_Trump">139 représentants et 7 sénateurs</a>, ainsi que, au plan local, les antennes du parti qui ont censuré les rares Républicains ayant voté la mise en accusation ou la culpabilité. En outre, on retrouve dans ce groupe certains médias comme Fox News, désormais doublée sur sa droite par America News Network (OANN) et News Max. Quant aux organisateurs de la conférence annuelle des conservateurs, la CPAC, ils ont spécialement choisi de l’organiser en 2021 en <a href="https://www.miamiherald.com/news/politics-government/article249511905.html">Floride</a>, fin février. Dans le calcul de ces politiques, la peur des représailles et le risque d’être confrontés à un extrémiste pro-Trump à la primaire de 2024 jouent un rôle central. L’alignement qui en résulte comporte des risques pour le parti et pour le pays.</p>
<p>En effet, la direction qui sera choisie par le parti (ou imposée de l’extérieur) concerne non seulement le parti républicain mais aussi, ainsi que l’histoire nous l’apprend, l’avenir démocratique des États-Unis.</p>
<p>Le dilemme du parti républicain est évident : il représente les nantis et une catégorie d’électeurs en voie de devenir la minorité démographique, les Blancs de la classe moyenne. Les Républicains ont compris que la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/armes-a-feu-pourquoi-chicago-est-elle-toujours-lune-des-villes-les-plus-dangereuses-des-etats-unis">démographie joue contre eux</a> ; en conséquence, ils ont <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines/guerre-culturelle-en-amerique-la-derniere-chance-des-conservateurs-20201030">instrumentalisé la guerre culturelle</a> (avortement, immigration, port d’armes) afin d’amener les cols bleus et la classe moyenne à voter contre leurs intérêts économiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369444163075325955"}"></div></p>
<h2>La domination républicaine dans les États</h2>
<p>Pour cela, ils mobilisent pleinement les armes constitutionnelles, à commencer par la règle des deux sénateurs par État qui permet aux sénateurs républicains de tout bloquer par le <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lobstruction-parlementaire-lun-des-obstacles-majeurs-a-venir-pour-joe-biden-153902">filibuster</a> alors qu’ils représentent 44 % des électeurs. C’est ainsi qu’ils ont bloqué toutes les initiatives de Barack Obama, la loi santé ayant été adoptée en vertu de la procédure de réconciliation qui ne requiert pas de super majorité et échappe au piège du filibuster. </p>
<p>En outre, depuis des années, ils n’hésitent pas à <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/30/midterms-comment-le-gerrymandering-ou-charcutage-electoral-pese-sur-l-election-americaine_5376458_4355770.html">changer les règles de la compétition électorale</a> afin que les électeurs qui ont tendance à voter démocrate aient des difficultés à exercer leur droit. C’est facile pour eux car la Constitution confie aux législatures des États fédérés le soin de définir les règles du jeu électoral. Or, alors que les Démocrates ont remporté le suffrage populaire lors de six des sept dernières élections présidentielles, les Républicains <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2021/02/18/republicans-now-enjoy-unmatched-power-states-it-was-40-year-effort/?arc404=tru">ont la mainmise</a> sur les législatures dans 30 États sur 50.</p>
<p>En 40 ans, les Républicains ont renversé la domination des Démocrates qui, en 1980, détenaient la majorité dans les législatures de 29 États contre 15 aux Républicains). En 2020, les Républicains sont majoritaires dans 30 États et les Démocrates dans seulement 16. Or, c’est là que se décident les règles du droit électoral que la Constitution confie aux États fédérés. Ainsi la possibilité ou non de voter par correspondance, le nombre de jours de vote anticipé ou l’exigence d’une carte d’identité bien particulière pour pouvoir voter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331336646634049536"}"></div></p>
<p>Ce sont aussi les législatures, sauf s’il existe une commission indépendante dans l’État, qui vont procéder au découpage électoral après le recensement décennal de 2020.</p>
<p>Dès la défaite de Trump, plusieurs États aux mains des Républicains ont encore durci les conditions d’exercice du droit de vote : <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/voting-laws-roundup-january-2021">406 mesures dans 35 États</a> selon le Brennan Center. Ils ont bon espoir que ces modifications ne seront pas censurées car ils comptent sur une Cour suprême où siège une <a href="https://theconversation.com/la-legitimite-de-la-cour-supreme-americaine-a-lepreuve-de-son-conservatisme-150154">majorité de six conservateurs</a> pour valider leurs modifications du droit électoral. Celles-ci sont toujours présentées comme des moyens de lutter contre la fraude électorale – en réalité <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/analysis-opinion/false-narrative-vote-mail-fraud">inexistante</a> – alors qu’elles visent à rendre le vote plus difficile – ce qu’on appelle la <a href="https://www.aclu.org/issues/voting-rights/fighting-voter-suppression">« voter suppression »</a>.</p>
<h2>Quelle orientation pour le parti républicain ?</h2>
<p>Sans entrer dans les détails que développe Daniel Ziblatt dans son ouvrage, <a href="https://www.cambridge.org/core/books/conservative-parties-and-the-birth-of-democracy/919E566A69893DA8E25F845349D5C161"><em>Conservative Parties and the Birth of Democracy</em></a>, où il compare les cas britannique et allemand durant les années 1930, il apparaît que le centre-droit joue un rôle central dans la survie des démocraties libérales : soit il comprend la nécessité d’ostraciser l’extrême droite et de la priver d’oxygène, soit il signe un pacte faustien avec les extrémistes dans l’espoir de les contrôler tout en profitant de leur attrait populiste. Mais l’histoire montre que lorsque de tels pactes sont signés, c’est le parti lui-même qui se retrouve « kidnappé » par l’extrême droite. Au sein des partis conservateurs, la relation entre la base et la direction a des répercussions sur le système politique dans son ensemble ; et de l’organisation des partis dépend la survie de la démocratie.</p>
<p>Si l’on suit cette grille d’analyse, plusieurs voies s’ouvrent au parti républicain après Trump : prendre ses distances avec l’ex-président ou s’allier avec lui et, donc, avec l’extrême droite. Une troisième voie, plus difficile, consisterait à proposer des politiques et arguments susceptibles de convaincre de nouveaux électeurs. En 2012 déjà, les Républicains avaient compris qu’ils étaient minoritaires et que s’ils voulaient atteindre de nouveaux groupes – notamment les jeunes et les non-Blancs –, ils devaient tendre la main à ceux-ci et faire évoluer leurs positions ; or c’est pratiquement impossible car leur message fondamental, hostile à l’« assistanat » et favorable à l’orthodoxie budgétaire (surtout lorsque les Démocrates sont au pouvoir), est aux antipodes de ce que souhaite la majeure partie de ces électeurs.</p>
<p>Illustration : le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/lutte-contre-le-covid-joe-biden-prend-des-mesures-fortes-des-son-investiture-1283097">plan anti-Covid de l’administration Biden</a>, adopté le 10 mars dernier, jouit du soutien de <a href="https://www.cnbc.com/2021/02/03/biden-1point9-trillion-covid-relief-plan-has-wide-support-poll-finds.html">70 % de la population</a>, donc d’une partie de ceux qui ont voté républicain. Le président a eu le courage de le faire passer en force, malgré l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/covid-joe-biden-maintient-sa-position-pour-son-plan-de-sauvetage-de-leconomie-1286579">obstruction</a> des Républicains, déguisée en effort de coopération bi-partisane. </p>
<p>Et cela, pour deux raisons au moins. La première est que son coût, près de 2 000 milliards de dollars, est à peine supérieur (en termes d’augmentation du déficit budgétaire), à celui dû à la <a href="http://www.ires.fr/index.php/publications/chronique-internationale-de-l-ires/item/5677-etats-unis-une-reforme-fiscale-au-profit-des-entreprises-et-des-particuliers-les-plus-riches">baisse d’impôts voulue et obtenue par Donald Trump en 2017 (TJCA)</a>, qui aurait coûté entre 1 000 et 1 400 milliards de dollars, selon les sources. La seconde est que ce plan aide les États, mais aussi les familles, les menacés d’éviction et les enfants. En d’autres termes, il s’agit pour les Démocrates de livrer une vraie « guerre contre la pauvreté », laquelle a crû considérablement à cause de la pandémie, et de se différencier ainsi des Républicains, accusés par les progressistes d’avoir livré une guerre non pas à la pauvreté mais <a href="https://republicansexposed.org/republicans-war-on-the-poor/">aux pauvres</a>.</p>
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<p>Dans ce contexte, le parti républicain est condamné à s’enfermer dans un message fondé sur le ressentiment éprouvé par les « makers » (ceux qui estiment qu’ils travaillent et produisent la richesse du pays) envers les « takers » (tous ceux qui, dans cette vision des choses, profitent indûment du filet social financé par les premiers). Et comme il est numériquement minoritaire, le parti républicain est voué, pour gagner, à empêcher autant que possible le camp d’en face de voter (la <em>voter suppression</em> évoquée ci-dessus) et/ou à succomber à la tentation extrémiste pour mobiliser toujours davantage son propre camp.</p>
<h2>Tentation extrémiste et faiblesse du parti républicain</h2>
<p>La tentation extrémiste consiste à se reposer sur une base activiste qui tend à se montrer plus extrémiste que la direction du parti. Se pose alors la question de savoir qui contrôle le parti. Autrement dit, existe-t-il des pare-feux organisationnels susceptibles de mobiliser les électeurs et les activistes tout en permettant aux dirigeants de garder le contrôle du parti ? S’il y en a, la démocratie est protégée. Mais si le parti est faible et composé de groupes divers comme c’est le cas du parti républicain actuel, il est difficile aux dirigeants de garder le contrôle. Or, il existe au sein du parti de l’éléphant des factions très différentes : la classe des donateurs (qui correspond à l’aile économique et financière attachée à la déréglementation et à la baisse des impôts), la droite religieuse, mais aussi tous les électeurs animés par le ressentiment cultivé par Trump.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1366341647617908736"}"></div></p>
<p>De plus, le parti subit l’influence des médias de droite qui imposent les messages et lui ont fait perdre sa fonction de contrôle à l’entrée de la classe politique. Il est devenu dépendant du « complexe média industriel » qui lui souffle idées et interdits, et de forces extérieures qui façonnent le message du parti et font pression sur lui.</p>
<p>En raison de la dérégulation des financements électoraux par la Cour suprême des États-Unis (décision <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/citizens-united-explained">Citizens United</a> de 2010), les groupes d’intérêts puissants et riches et des organisations comme <a href="https://www.alec.org/">ALEC</a> (piloté par les <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2019-08-26/l-heritage-des-freres-koch">frères Koch</a>) au niveau des États peuvent dépenser des millions de dollars et noyer le message des candidats et du parti sous un barrage de publicités politiques. Dès lors, le parti républicain n’est plus qu’une maison vide (d’idées) et si la machine gagne encore des élections, ce n’est pas sur un programme et des idées, mais seulement sur l’émotion et le charisme d’un leader populiste.</p>
<h2>Le problème de l’argent opaque</h2>
<p>C’est l’argent opaque (<em><a href="https://www.cnbc.com/2021/01/13/dark-money-gop-fund-funneled-millions-groups-that-pushed-voter-fraud-claims.html">dark money</a></em>) qui a mené à la radicalisation du parti républicain au niveau des primaires présidentielles.</p>
<p>Au fil des années, on a vu émerger une série d’individus qui, sans cet argent extérieur, n’auraient eu aucune chance de gagner la nomination ou même de se maintenir dans la compétition pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Avec la dérégulation du financement des élections par la Cour suprême, les partis ont perdu leur monopole sur le financement des campagnes et donc ce sont des groupes extérieurs qui façonnent l’agenda. L’argent est désormais déversé par les groupes « opaques », combinaison de <a href="https://www.opensecrets.org/political-action-committees-pacs/super-pacs/2020">superPacs</a> et de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/495104/financement-etats-unis">groupes 501 (c)</a>, qui peuvent collecter et dépenser sans limite depuis la décision Citizens de la Cour suprême en 2010. </p>
<p>Ceux-ci bénéficient d’un statut fiscal favorable et de surcroît ne sont pas soumis à l’obligation de divulguer le nom de leurs (riches) donateurs. Ils alimentent de façon opaque les superPacs qui ensuite dépensent des sommes illimitées en publicités politiques (à 80 % négatives) en faveur des candidats de leur choix et contre des adversaires choisis par eux et non par le parti, alors qu’ils ne jouissent d’aucune légitimité. L’argent sous le contrôle des partis politiques et des candidats est noyé sous les dépenses dites indépendantes (dont il est quasi impossible de tracer la source) faites par des groupes et individus qui ne sont pas responsables devant les électeurs.</p>
<p>De surcroît, le parti républicain risque d’avoir de plus en plus de difficultés à collecter des fonds car l’ancien président a <a href="https://www.thedenverchannel.com/news/national-politics/republican-national-committee-defends-right-to-use-trump-name-after-cease-and-desist-letter">interdit</a> aux comités républicains (RNC) au plan national, l’un pour les élections sénatoriales et l’autre pour les élections à la chambre, d’utiliser son nom dans leurs collectes de fonds. Comme toujours, Donald Trump est plus attaché à son pouvoir et à son désir de vengeance contre ceux qui ont osé voter contre lui (qu’il souhaite torpiller lors des élections primaires de 2022) en leur opposant des extrémistes qui lui sont « 100 % loyaux » qu’à la bonne santé du parti. Les deux comités ont rétorqué en affirmant leur droit (en vertu du premier amendement qui garantit la liberté d’expression) à utiliser le nom et l’image de Trump car c’est un personnage public. Le combat pour les électeurs de Trump et pour l’argent des donateurs ne fait que commencer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157060/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Otage de la guerre que se livrent en son sein les pro-Trump et ceux qui veulent se démarquer de l’héritage de l’ex-président, le parti républicain semble voué à sombrer dans une surenchère droitière.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1555772021-02-18T20:30:06Z2021-02-18T20:30:06ZLe culte de la liberté d’expression aux États-Unis<p>Les questions soulevées par le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/13/le-proces-en-destitution-de-donald-trump-risque-de-se-prolonger-avec-la-convocation-de-temoins_6069866_3210.html">second procès en destitution de Donald Trump</a>, qui vient de s’achever comme on s’y attendait par l’acquittement de l’ancien locataire de la Maison-Blanche, s’inscrivent dans la suite logique d’une présidence qui a repoussé les limites du système juridique américain.</p>
<p>Les avocats de l’ex-président – accusé d’incitation à l’insurrection – ont largement usé de l’argument de la liberté d’expression, garantie par le <a href="https://www.law.cornell.edu/constitution/first_amendment">Premier amendement de la Constitution</a>. Selon eux, cet amendement couvrirait les propos tenus par Donald Trump le 6 janvier, jour où des milliers de ses partisans prirent d’assaut le Capitole, ainsi que sa contestation répétée du résultat de la présidentielle.</p>
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<p>Pour de <a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/first-amendment-lawyers-trump-impeachment-defense/7fc3e63ae077f83d/full.pdf">nombreux professeurs de droit constitutionnel</a> il s’agit d’un argument « juridiquement futile » puisque, dans ce procès en destitution, la question n’est pas de savoir si l’ancien président a commis un crime, mais s’il a violé son serment de protéger la Constitution. C’est en revanche une ligne de défense tout à fait classique que pourraient reprendre les avocates du citoyen Trump dans un procès civil ou pénal.</p>
<p>Au-delà de cette affaire, la question de la liberté d’expression, de la tolérance pour les contenus subversifs comme pour les discours de haine, aux États-Unis, doit être posée si l’on veut comprendre l’actualité américaine récente. Par exemple, les manifestations racistes à <a href="http://www.slate.fr/story/150030/charlottesville-armes-liberte-expression">Charlottesville en 2017</a>, ou celles contre la police des <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/etats-unis-les-violences-policieres-contre-les-manifestants">mouvements anti-racistes Black Lives Matter</a> ou <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-le-mouvement-antifa-fait-debat">Antifa</a> en 2019 et 2020, ou encore l’insurrection du 6 janvier. L’actualité a également rappelé la grande popularité qu’ont connue deux personnages provocateurs et controversés, qui se présentaient chacun à leur façon comme chantres de la liberté d’expression, et qui viennent de disparaître : l’animateur de radio de droite conservatrice <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/17/rush-limbaugh-animateur-de-radio-et-figure-de-la-droite-conservatrice-americaine-est-mort_6070327_3382.html">Rush Limbaugh</a> et le magnat de la pornographie <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/11/larry-flynt-magnat-du-porno-americain-est-mort_6069520_3382.html">Larry Flynt</a>.</p>
<h2>La liberté d’expression : un concept unique mais contesté</h2>
<p>Pour de nombreux Américains, la liberté, et particulièrement la liberté d’expression, est l’un des principes fondateurs de leur identité, qui contribue à l’exceptionnalisme de leur pays.</p>
<p>Il est vrai que les États-Unis se distinguent des autres démocraties par ce qui pourrait être considéré comme une <a href="https://scholarship.law.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1660&context=jcl">vision absolutiste</a> de la liberté d’expression. Ainsi, dans le droit américain, même le discours de haine est protégé et la Cour suprême a plusieurs fois affirmé qu’il n’y avait pas d’exception pour les discours de haine dans le Premier amendement (<a href="https://www.oyez.org/cases/1940-1955/343us250">Beauharnais v. Illinois</a>, 1952 ; <a href="https://harvardlawreview.org/2017/11/matal-v-tam/"><em>Matal v. Tam</em></a>, 2017).</p>
<p>Comme le <a href="https://law.stanford.edu/publications/reflections-on-charlottesville/">rappelle l’ancien conseiller juridique de l’American Civil Liberties Union (ACLU) Steven Shapiro</a>, sur ce point, les États-Unis sont uniques et en contradiction avec le cadre juridique international défini par le <em>Pacte international relatif aux droits civils et politiques</em> de 1966 (<a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx">article 20</a>) qui oblige les signataires à interdire les discours de haine et que les États-Unis ont signé en 1992, précisément avec des réserves sur ce point.</p>
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<p>Malgré une vénération quasi religieuse du Premier amendement, la question de la liberté d’expression fait parfois polémique au sein même des États-Unis, notamment dans la période actuelle où l’on assiste à une montée du populisme, à l’intensification de la polarisation politique et à une hausse des discours provocateurs et extrémistes sur les réseaux sociaux. Selon les mots de la <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-1466_2b3j.pdf">juge Kagan, qui siège à la Cour suprême</a>, la liberté d’expression est devenue une arme politique. C’est notamment le cas à droite et <a href="https://www.macleans.ca/opinion/how-the-alt-right-weaponized-free-speech/">à l’extrême droite</a>.</p>
<p>Paradoxalement, face à la montée de certaines expressions radicales, comme le nationalisme blanc de plus en plus visible, c’est au sein de la <a href="https://jmrphy.net/blog/2018/02/16/who-is-afraid-of-free-speech/">gauche modérée</a> et dans la <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/11/20/40-of-millennials-ok-with-limiting-speech-offensive-to-minorities/">génération dite des « millennials »</a> que l’on commence à constater un <a href="https://www.theguardian.com/news/2018/may/31/how-the-resurgence-of-white-supremacy-in-the-us-sparked-a-war-over-free-speech-aclu-charlottesville">soutien à une plus grande restriction de la liberté d’expression</a>.</p>
<h2>Une histoire mouvementée</h2>
<p>Le droit à la liberté d’expression est ancien puisqu’il est inscrit dans le Premier amendement, ratifié en 1791 :</p>
<blockquote>
<p>« Le Congrès n’adoptera aucune loi […] pour limiter la liberté d’expression, de la presse. »</p>
</blockquote>
<p>À l’origine, ce texte ne concernait donc que les lois votées par le Congrès. C’est au fil du temps que la Cour suprême a étendu cette protection à d’autres organes du pouvoir gouvernemental, qu’il soit fédéral, étatique et local, législatif, exécutif ou judiciaire. On note au passage que ce droit ne concerne donc pas les entités privées, comme les réseaux sociaux qui <a href="https://theconversation.com/medias-sociaux-apres-lexclusion-de-trump-la-question-de-la-censure-et-limperatif-devoluer-153247">peuvent appliquer leur liberté de commerce comme elles l’entendent</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1348263180783509504"}"></div></p>
<p>Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’interprétation libérale actuelle du Premier amendement est relativement récente. Pendant longtemps, il existait de nombreuses restrictions à la liberté d’expression, en partie en raison de normes sociétales différentes, notamment en termes de moralité sexuelle (les <a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1038/comstock-act-of-1873">lois Comstock</a>), mais aussi pour des raisons politiques perçues comme liées à la préservation des intérêts de l’État (l’<a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1045/espionage-act-of-1917">Espionage Act de 1917</a>). Tout particulièrement, lors les deux guerres mondiales et au début de la guerre froide, la Cour suprême a soutenu des jugements contre des dissidents qui s’opposaient à la conscription ou qui préconisaient le socialisme révolutionnaire ou le communisme (comme dans les arrêts <a href="https://www.oyez.org/cases/1900-1940/249us47"><em>Schenck v. United States</em></a>, 1919 ou <a href="https://www.oyez.org/cases/1940-1955/341us494"><em>Dennis v. United States</em></a>, 1951).</p>
<p>C’est lorsque la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1969_num_19_2_393153">Cour fut présidée par Earl Warren</a> (1953-1969) que tout a changé, dans un contexte de plus grande tolérance envers les discours séditieux liés aux droits civiques et à la guerre contre le Vietnam.</p>
<p>L’interprétation libérale du Premier amendement a aussi permis de protéger le discours de haine du Ku Klux Klan, comme le stipule en 1969 l’arrêt <a href="https://mtsu.edu/first-amendment/article/189/brandenburg-v-ohio"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a> – une décision qui fait jurisprudence encore aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359863754255597570"}"></div></p>
<p>Depuis lors, la liberté d’expression est généralement présumée protégée, y compris le discours de haine, sauf exception spécifique. L’une des leçons de l’histoire de la liberté d’expression aux États-Unis est qu’elle n’est donc pas inscrite dans le marbre, que les normes changent et pourraient à nouveau changer.</p>
<h2>Le marché des idées</h2>
<p>Le droit américain reconnaît toutefois certaines restrictions à la liberté d’expression. Les catégories de discours qui sont moins ou pas du tout protégées par le Premier amendement concernent en particulier l’obscénité, la diffamation, l’incitation à l’émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d’auteur ou les brevets.</p>
<p>A contrario, le discours politique est l’une des catégories les plus protégées. La Cour suprême va même jusqu’à considérer que limiter les dépenses de campagne est une violation de la liberté d’expression car cela restreint les moyens financiers permettant d’exprimer une opinion, comme l’affirmait d’abord l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1975/75-436"><em>Buckley v. Valeo</em></a> (1976), puis, de façon plus radicale encore et controversée l’arrêt <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Citizens_United_v._Federal_Election_Commission"><em>Citizens United</em></a> (2010).</p>
<p>Si les <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/feb/16/trump-giuliani-lawsuit-capitol-riot-bennie-thompson-naacp">poursuites déjà engagées</a> contre Donald Trump en lien avec l’insurrection au Capitole vont jusqu’à un procès, les questions de l’incitation à l’émeute et du Premier amendement seront au cœur des plaidoiries. La cour, civile ou même pénale, devra alors examiner jusqu’à quel point sa rhétorique du 6 janvier est protégée par le Premier amendement. Selon l’arrêt <a href="https://mtsu.edu/first-amendment/article/189/brandenburg-v-ohio"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a>, évoqué plus haut, la liberté d’expression permet « l’appel à l’usage de la force » et même à « des actes illégaux », sauf s’il s’agit d’une « action illégale imminente qui est susceptible de se produire ». Il y a donc une grande part de subjectivité et c’est l’évaluation du contexte qui permettra de déterminer si la rhétorique incendiaire de Trump visait à commettre un crime et à préconiser une infraction à la fois imminente et susceptible de se produire. C’est ce qui est appelé le <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/brandenburg_test">test de Brandenburg</a>.</p>
<p>La décision Brandenburg permet, par exemple, à des néo-nazis de défiler en toute légalité, en brandissant des croix gammées et en criant leur haine des Juifs, comme on l’a vu à Charlottesville en 2017. Elle a également permis des décennies durant à <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/17/business/media/rush-limbaugh-dead.html">Rush Limbaugh</a> d’utiliser un langage misogyne, homophobe, raciste et conspirationniste.</p>
<p>Cette décision est basée sur le principe que la concurrence des idées dans un discours public libre et transparent permettra au peuple de décider librement ce qu’il veut croire. Cette philosophie est illustrée par la métaphore libérale du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Marketplace_of_ideas">« marché des idées »</a>, utilisée dans une <a href="https://www.law.cornell.edu/supremecourt/text/345/41">décision de la Cour suprême en 1953</a>, et devenue depuis une <a href="https://ideas.dickinsonlaw.psu.edu/dlr/vol123/iss2/6/">analogie courante dans le droit américain</a>.</p>
<p>Or ce qu’implique également cette métaphore est que, comme pour tout marché, celui des idées est façonné par des déséquilibres de pouvoir, particulièrement concernant l’inégalité raciale et financière. Comment la voix de Donald Trump peut-elle être équivalente à celle du citoyen moyen ? Comment les algorithmes biaisés des réseaux sociaux permettraient-ils l’existence d’un marché équitable et libre des idées ? De nombreux Américains ne font pas confiance à leur gouvernement pour réguler ce marché des idées. Pourtant, les contre-exemples offerts par l’<a href="https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/11-liberte-dexpression-et-dinformation">Union européenne</a> ou le <a href="https://www.cliquezjustice.ca/vos-droits/liberte-d-expression-peut-vraiment-tout-dire">Canada</a> montrent que davantage de restrictions à la liberté d’expression ne sont pas nécessairement incompatibles avec les principes démocratiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Premier amendement de la Constitution des États-Unis protège la liberté d’expression des Américains, à un point tel que même les discours les plus haineux ont droit de cité.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1543592021-02-16T19:26:01Z2021-02-16T19:26:01ZLes insurgés du Capitole ne sont pas les « rednecks » que vous croyez<p>Les images de l’insurrection du Capitole le 6 janvier 2021 ont fait le tour des médias, souvent accompagnées de moqueries visant les trumpistes, présentés comme une foule très majoritairement composée d’hommes blancs, peu éduqués, pauvres et ignorants. Quelques semaines plus tard, pourtant, nous commençons à en savoir un peu plus sur l’identité de bon nombre de ces « patriotes » autoproclamés. Et il apparaît que la réalité est plus contrastée.</p>
<p>Depuis le début de la première campagne de Donald Trump, en 2015, ses sympathisants ont été décrits comme étant, pour la plupart d’entre eux, des <a href="https://nymag.com/intelligencer/2017/03/frank-rich-no-sympathy-for-the-hillbilly.html"><em>hillbillies</em></a>, des <a href="https://www.latimes.com/entertainment-arts/story/2020-11-02/lady-gaga-mocked-for-battleground-voters-video"><em>rednecks</em></a>, ou encore des <a href="https://nypost.com/2016/07/30/why-white-trash-americans-are-flocking-to-donald-trump/"><em>White trash</em></a> – bref, des « bouseux » blancs.</p>
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<p>L’attrait exercé par Trump sur cet électorat a été largement attribué à l’angoisse économique : les électeurs blancs de Trump auraient le sentiment d’être délaissés par une économie mondialisée et la désindustrialisation, surtout dans la Rust Belt et aux Appalaches. Même l’ancien <a href="https://www.vox.com/2015/12/22/10636538/obama-trump-theory">président Barack Obama</a> a adopté cette vision.</p>
<p>L’électorat de Trump, ces « personnes déplorables » pour reprendre le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/09/10/97001-20160910FILWWW00075-clinton-juge-les-electeurs-de-trump-deplorables.php">qualificatif que leur a attribué Hillary Clinton</a>, a été ainsi imaginé comme étant quasi uniquement constitué d’<a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/donald-trump-leader-hommes-blancs-colere/">hommes blancs</a> angoissés par leur avenir économique, stupides et racistes, vêtus de vêtements de chasse et de la fameuse casquette rouge. Bref, des <em>rednecks</em> incorrigibles.</p>
<h2>L’électorat de Donald Trump et l’angoisse économique</h2>
<p>Les profils des insurgés au Capitole et, au-delà, l’analyse des résultats électoraux, ne confirment pas cette vision monolithique de l’électorat Trump.</p>
<p>Parmi les participants à l’action du 6 janvier dont on commence à connaître les noms, il y a eu, par exemple, <a href="https://thehill.com/policy/national-security/534480-texas-woman-who-took-private-jet-to-dc-charged-with-participating-in">Jenna Ryan</a>, agent immobilier texane arrivée à Washington en avion privé. Ou <a href="https://edition.cnn.com/2021/01/07/politics/delegate-derrick-evans-insurrection/index.html">Derrick Evans</a>, élu républicain en Virginie-Occidentale. Ou encore <a href="https://abcnews.go.com/Health/wireStory/capitol-photos-videos-lead-california-doctors-arrest-75351374">Simone Gold</a>, médecin exerçant dans la très cossue ville californienne de Beverly Hills.</p>
<p>On pourrait penser que ces trois profils constituent des exceptions ; il n’en est rien. Bon nombre d’insurgés venaient en effet de banlieues aisées comme le souligne le journaliste Will Bunch, qui n’hésite pas à parler d’« <a href="https://www.inquirer.com/columnists/attytood/capitol-breach-trump-insurrection-impeachment-white-privilege-20210112.html">insurrection de la haute classe moyenne blanche</a> ». Ils ont pu poser des jours de congé au travail, se payer parfois un voyage à travers tout le pays et dormir dans des hôtels – quelque chose d’inimaginable pour les classes populaires <a href="https://time.com/5795651/coronavirus-workers-economy-inequality/">obligées de travailler même malades pendant une pandémie</a>, et qui peinent à <a href="https://apnews.com/article/race-and-ethnicity-hunger-coronavirus-pandemic-4c7f1705c6d8ef5bac241e6cc8e331bb">subvenir à leurs besoins les plus basiques</a>.</p>
<p>Déjà, après l’élection de 2016, une <a href="https://www.prri.org/research/white-working-class-attitudes-economy-trade-immigration-election-donald-trump/">étude</a> avait montré qu’une petite majorité des ouvriers se trouvant dans une situation économique inquiétante avaient, en réalité, plus confiance en Hillary Clinton qu’en Donald Trump pour améliorer leur situation. Cette étude a aussi établi que le premier ressort de la mobilisation politique des classes populaires blanches était lié à leur sentiment d’être culturellement dépassés, notamment par des immigrés : les ouvriers blancs disant se sentir souvent comme des étrangers dans leur propre pays et estimant que les États-Unis doivent être protégés contre l’influence étrangère avaient 3,5 fois plus de chances de voter pour Trump que ceux qui ne partageaient pas ces préoccupations. <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2822059">Une autre étude</a> a montré que les électeurs de Trump ne se souciaient pas autant que prévu des thématiques comme la mondialisation qui mettrait en péril leurs emplois et que, s’ils sont effectivement moins éduqués en moyenne que ceux de Clinton, une bonne partie d’entre eux dispose de revenus assez élevés.</p>
<p>Ce ne sont donc pas uniquement, ni même principalement, des <em>rednecks</em>, des ouvriers désabusés et des pauvres qui soutiennent l’ancien président, mais des <a href="https://www.brookings.edu/research/2020-exit-polls-show-a-scrambling-of-democrats-and-republicans-traditional-bases/">Blancs en général</a> (et d’autres groupes raciaux, mais en moindre mesure) venant de toutes les classes sociales.</p>
<h2>Le rôle de la blanchité</h2>
<p>La <a href="https://books.openedition.org/bibpompidou/1633">blanchité</a> est un concept sociologique qui souligne le traitement envers des personnes à la peau blanche, ou qui passent pour blanches, lors des interactions sociales et de la distribution du pouvoir et de ressources dans la société.</p>
<p>Avec les changements démographiques, les Blancs s’identifient davantage à <a href="https://theconversation.com/le-grand-desarroi-de-la-majorite-blanche-aux-etats-unis-146993">cette identité</a>. Cette identification plus poussée n’est pas nécessairement synonyme de soutien à des groupes radicaux comme les <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20200930.OBS34082/qui-sont-les-proud-boys-ce-groupe-nationaliste-cite-par-trump-lors-du-debat-televise.html"><em>Proud Boys</em></a>, comme le démontre la politologue <a href="https://www.cambridge.org/core/books/white-identity-politics/5C330931FF4CF246FCA043AB14F5C626">Ashley Jardina</a>, mais une forte identification à sa blanchité implique plus de soutien pour Trump, et ce dans toutes les classes sociales.</p>
<p>L’assaut du Capitole est ainsi <a href="https://fivethirtyeight.com/features/storming-the-u-s-capitol-was-about-maintaining-white-power-in-america/">compris</a> par des <a href="https://news.berkeley.edu/2021/01/07/berkeley-scholars-outrage-reflections-on-u-s-capitol-mob-siege/">chercheurs</a> et des <a href="https://time.com/5927848/capitol-protest-activists-trump-arrests-racism/">activistes</a> comme un effort visant à maintenir une <a href="https://theconversation.com/white-supremacists-who-stormed-us-capitol-are-only-the-most-visible-product-of-racism-152295">suprématie blanche</a> menacée par les <a href="https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2018/03/14/the-us-will-become-minority-white-in-2045-census-projects/">changements démographiques</a> et par Joe Biden qui a clairement dit souhaiter promouvoir l’équité raciale.</p>
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<p>Cet assaut s’est déroulé, de surcroît, le jour même de la victoire des deux candidats démocrates – un homme noir et un homme juif – aux sénatoriales en <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/jan/13/georgia-election-high-black-voter-turnout-activist-efforts-stacey-abrams">Géorgie</a>, un État connu pour avoir longtemps mis en vigueur diverses pratiques visant à <a href="https://chicago.suntimes.com/columnists/2020/12/14/22175086/georgia-voter-suppression-history-jesse-jackson">empêcher l’électorat noir de voter</a>. Le sentiment de ces Blancs d’avoir été déclassés et oubliés s’est manifesté au Capitole et lors de l’élection de Trump en 2016 ; deux événements que l’angoisse économique ne suffit pas à expliquer.</p>
<p>Par ailleurs, le fait que des Blancs de toutes classes sociales et catégories socioprofessionnelles aient pris part à l’insurrection n’est pas un phénomène nouveau : l’historien Eric Foner <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/01/thoroughly-respectable-rioters/617644/">rappelle</a> que le Ku Klux Klan a été fondé par des avocats, des pasteurs, et d’autres personnes dites « respectables ». Donald Trump a, lui aussi, utilisé cette idée de respectabilité, notamment en août 2017 après les manifestations violentes à Charlottesville de suprémacistes blancs, quand il a estimé qu’il y avait parmi ces derniers des « <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/l-amerique-selon-trump/20170816.OBS3404/volte-face-de-trump-sur-charlottesville-il-y-avait-des-gens-tres-bien-des-deux-cotes.html">gens très bien</a> ». Le 6 janvier, il a également assuré « <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/06/invasion-du-capitole-le-bien-tardif-go-home-de-trump_1810539">aimer</a> » les envahisseurs du Capitole et « comprendre leur douleur » (due au fait qu’on leur aurait « volé l’élection »).</p>
<p>C’est l’une des explications du fait que, au Capitole, la police n’a <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/01/10/police-de-washington-dc-cinq-fois-plus-darrestations-lors-de-blm-que-de-lemeute-au-capitole">pas agi avec autant de détermination</a> que pour disperser les manifestations tenues dans le cadre du mouvement Black Lives Matter : ces « gens très bien » aiment la police, d’après leur slogan <a href="https://www.motherjones.com/politics/2021/01/the-mob-at-the-capitol-proves-that-blue-lives-have-never-mattered-to-trump-supporters/"><em>Blue Lives Matter</em></a> (les vies des policiers comptent), et une partie inquiétante des forces de l’ordre est composée de trumpistes et de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/aug/27/white-supremacists-militias-infiltrate-us-police-report">suprémacistes avérés</a>, dont plusieurs, n’étant pas en service, étaient d’ailleurs <a href="https://www.npr.org/2021/01/15/956896923/police-officers-across-nation-face-federal-charges-for-involvement-in-capitol-ri">présents</a> lors de l’insurrection.</p>
<h2>Le détournement et la réappropriation du terme redneck</h2>
<p>Si le <a href="https://theconversation.com/le-trumpisme-un-courant-qui-est-la-pour-durer-dans-le-paysage-politique-americain-149506">trumpisme</a> est un phénomène nouveau, l’utilisation du terme <em>redneck</em> à des fins discriminatoires ne l’est guère.</p>
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<p>L’usage le plus commun de <em>redneck</em> provient du XIX<sup>e</sup> siècle, la formule désignant un travailleur blanc au cou rougi par le soleil – <em>red neck</em> donc. La connotation se rapproche de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/white-trash"><em>White trash</em></a>, un terme stigmatisant les Blancs pauvres, employé par l’élite blanche et des personnes noires dès ses premières occurrences. L’utilité d’un tel mot a été de racialiser les Blancs pauvres : pour reprendre l’explication de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2009-2-page-79.htm">Sylvie Laurent</a>, les <em>rednecks</em> et les <em>White trash</em> sont « la personnification honteuse des échecs impensables d’une population “racialement” destinée à prospérer ». La blanchité étant antithétique de la pauvreté, les Blancs pauvres doivent donc appartenir à une race à part.</p>
<p>Racialiser ainsi les Blancs pauvres sert à diviser les classes populaires et à briser toute coopération interraciale. Comme l’a expliqué W. E. B. DuBois en <a href="https://www.zinnedproject.org/materials/black-reconstruction-america/">1935</a>, le « salaire psychologique » de la blanchité récompense même des ouvriers mal payés par des privilèges raciaux ; c’est pourquoi les Blancs de toutes les classes sociales s’identifient à leur blanchité plutôt qu’à leur classe sociale. Dans le contexte de l’insurrection et de l’élection de Trump, présenter ses supporters comme étant uniquement des Blancs ouvriers nie le réel pouvoir de la blanchité et d’autres facteurs explicatifs du trumpisme.</p>
<p>Face à une telle manipulation classiste, certains <em>rednecks</em> cherchent à se réapproprier ce terme. L’un des usages de <em>redneck</em> provient du début du XX<sup>e</sup> siècle dans les mines, notamment en Virginie-Occidentale lors de la grève à Blair Mountain où les travailleurs portaient des <a href="https://www.jstor.org/stable/25474784 ?seq=1">bandanas rouges</a> autour du cou pour signaler leur appartenance au mouvement ouvrier. Ce mouvement s’est confronté à la police, loyale au patronat.</p>
<p>La couleur rouge du bandana a aussi permis aux détracteurs du mouvement de traiter les ouvriers de communistes, une accusation dangereuse pendant le <a href="https://tpemaccarthysme.wordpress.com/origines-de-la-peur-rouge/">premier <em>Red Scare</em></a> aux États-Unis. Pendant cette période, le <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvwh8d12.9 ?seq=1">communisme</a> a notamment été <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01419870.2017.1409900 ?journalCode=rers20">racialisé</a>, présenté comme une idée venant d’un Autre, non blanc. La couleur rouge était associée non seulement à l’Armée rouge de l’URSS, mais aussi à la « sauvagerie » historiquement présumée des Amérindiens.</p>
<p>Par ailleurs, le patronat des mines cherchait à diviser les mineurs par la ségrégation des logements sur site, disposés selon des critères ethno-raciaux, et les ouvriers blancs se sont opposés parfois à l’embauche des mineurs immigrés ou noirs. Cependant, le <em>United Mine Workers</em>, le syndicat derrière la grève de Blair Mountain, a su mobiliser des ouvriers blancs, noirs, et de diverses origines nationales avec ce bandana rouge. Être <em>redneck</em> a donc historiquement eu le pouvoir de rassembler les ouvriers, et non pas les diviser malgré son autre usage.</p>
<p>Au vu de cette histoire, certains mouvements tels que <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2017/jul/11/redneck-revolt-guns-anti-racism-fascism-far-left"><em>Redneck Revolt</em></a> ou encore <a href="https://www.wbur.org/hereandnow/2020/07/27/rednecks-for-black-lives"><em>Rednecks for Black Lives</em></a> cherchent à faire revivre une solidarité antiraciste qui refuse la caricature selon laquelle les ouvriers blancs seraient automatiquement des racistes ou encore des électeurs de Trump.</p>
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<p>L’insurrection devrait représenter la fin de l’hypothèse attribuant avant tout le vote Trump à l’angoisse économique et conférer une place plus importante, dans la recherche d’explications au phénomène trumpiste, à d’autres pistes telles que la blanchité, le complotisme QAnon, ou l’évangélisme. Ce qui est certain, c’est que la tendance politique ne <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/25/trump-departs-his-extremes-live-state-gops/">disparaîtra pas</a>, même si Trump n’est plus à la Maison-Blanche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154359/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolle Herzog ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les insurgés du Capitole et, au-delà, les électeurs de Donald Trump, ne sont pas seulement mus par une angoisse économique mais aussi par la crainte d’un déclassement social, politique et culturel.Nicolle Herzog, ATER en études américaines à l'Université de Tours, doctorante, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1536862021-01-20T21:31:38Z2021-01-20T21:31:38ZLes années Trump ont porté un dur coup à la démocratie – voici comment la rebâtir<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379781/original/file-20210120-17-t8y9w7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=52%2C8%2C5833%2C3834&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Garde nationale américaine encercle le Capitole une semaine après que des partisans de Donald Trump l'aient prise d'assaut. </span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Andrew Harnick</span></span></figcaption></figure><p>Joe Biden est devenu le 46<sup>e</sup> président des États-Unis le 20 janvier, sept jours après que le président sortant Donald Trump soit devenu le premier commandant en chef de l’histoire à être destitué à deux reprises – cette fois pour incitation à l’insurrection – après que ses partisans <a href="https://www.masslive.com/politics/2021/01/read-the-article-of-impeachment-against-president-donald-trump-accused-of-inciting-insurrection.html">aient pris d’assaut le Capitole</a>.</p>
<p>L’idée maintes fois entendue selon laquelle les États-Unis sont un phare de la démocratie en raison notamment de leur tradition de <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/politics/abnormal-transitions-of-power-timeline/">transfert pacifique du pouvoir</a> n’est plus crédible.</p>
<p>Dans les jours qui ont suivi l’insurrection du Capitole, plusieurs politiciens américains ont déclaré : « ce n’est pas qui nous sommes », « nous sommes meilleurs que cela » et « nous sommes la plus grande démocratie de l’Histoire ». Mais ces paroles ne sauraient cacher le fait que les États-Unis sont loin d’être la démocratie rêvée par les Américains.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1349508304905637895"}"></div></p>
<p>La présence de milliers de soldats de la Garde nationale <a href="https://www.washingtonpost.com/national/state-capitals-national-guard-inauguration/2021/01/16/d010a97a-5833-11eb-89bc-7f51ceb6bd57_story.html">au Capitole et dans les assemblées législatives des États à travers le pays</a> pour contrer d’autres attaques potentielles avant l’inauguration montre bien que la démocratie est mal en point.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Les troupes de la Garde nationale se tiennent le long d’une clôture en mailles de chaîne" src="https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378678/original/file-20210113-21-1upjqb9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des membres de la Garde nationale de Washington se tiennent devant une clôture entourant le Capitole en prévision des manifestations du 11 janvier 2021 à Olympia, Wash. Les capitales des États à travers le pays ont été placées sous haute sécurité après l’assaut du Capitole. » (AP Photo/Ted S. Warren).</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ted S. Warren</span></span>
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</figure>
<p>Il existe de nombreuses définitions de <a href="https://www.peterlang.com/view/title/21335">la démocratie</a>, mais la description normative – une constitution, des élections équitables, un système judiciaire impartial et une série de structures et de processus administratifs vraisemblablement équitables et transparents – est attaquée dans l’Amérique contemporaine.</p>
<p>Chaque jour amène sa dose quotidienne de résultats d’indices boursiers et de sondages d’opinion, mais le chaos qui règne aux États-Unis depuis plusieurs années nous montre que nous avons besoin de meilleurs indicateurs de la santé et du dynamisme de la démocratie.</p>
<p>Nous plaidons pour une démocratie plus <a href="https://myersedpress.presswarehouse.com/browse/book/9781975501433/It-s-Not-Education-that-Scares-Me-It-s-the-Educators">engagée de manière critique</a>, ce qui inclut une participation plus forte de la société civile, une attention particulière à la justice sociale, aux inégalités sociales et aux relations de pouvoir, la nécessité d’établir des pratiques transformatrices, la solidarité et l’éducation. Discuter et mettre en place une démocratie plus saine implique d’avancer sur un terrain miné par la partisanerie et les divisions. Dans ce contexte, se contenter d’affirmer que nous vivons dans une démocratie n’est plus la seule option.</p>
<p>Nous préconisons de réexaminer la démocratie dans l’action, grâce au dialogue, à la délibération et à l’engagement. Se concentrer sur les problèmes et les enjeux importants serait préférable à l’éternelle course au pouvoir et au maintien de celui-ci.</p>
<h2>Repenser la démocratie</h2>
<p>Plusieurs questions sous-tendent cette réinvention de la démocratie. Par exemple :</p>
<ul>
<li><p>Que savons-nous du commerce des armes, de la quantité d’armes vendues, à qui, comment ces armes sont utilisées, qui en sont les victimes ?</p></li>
<li><p>Que comprenons-nous du phénomène de l’itinérance, en matière de coûts sociaux, économiques et politiques ?</p></li>
<li><p>Comment documentons-nous et traitons-nous la question des femmes qui sont régulièrement violées, battues et tuées par les hommes dans notre société ?</p></li>
<li><p>Quel est l’impact du racisme sur les personnes et la société ?</p></li>
<li><p>Que faisons-nous pour répondre aux enjeux environnementaux et leur impact sur la planète ?</p></li>
</ul>
<p>Ce sont là quelques-unes des questions que tous les citoyens qui vivent en démocratie doivent se poser pour réfléchir à ses caractéristiques déterminantes au-delà des élections.</p>
<p>Il est nécessaire de remettre en question les composantes fondamentales de la démocratie afin d’évaluer si nos sociétés sont réellement démocratiques de manière précise, transparente et critique. Aux États-Unis, en particulier, il est important d’aller au-delà des affirmations sans réel fondement selon lesquelles « nous sommes la plus grande démocratie de la planète », surtout pour tous ceux qui s’en sentent exclus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des manifestants néerlandais portent un panneau « Stop Facism » lors d’une manifestation contre le raid sur le Capitole américain" src="https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379145/original/file-20210117-19-1tv3l2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des manifestants observent les consignes de distanciation sociale lors d’une manifestation antifasciste à Amsterdam, aux Pays-Bas, le 10 janvier, contre l’assaut du Capitole.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Peter Dejong</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Indicateurs de démocratie</h2>
<p>Il existe une multitude d’indicateurs et de mesures de la santé de la démocratie, notamment la <a href="https://www.indexmundi.com/surveys/results/8/table">justice sociale</a> et le racisme, le <a href="http://hdr.undp.org/en/content/gender-inequality-index-gii">sexisme</a>, la <a href="https://www.ohchr.org/en/hrbodies/pages/universalhumanrightsindexdatabase.aspx">pauvreté</a>, <a href="http://www.oecdbetterlifeindex.org/topics/civic-engagement/">l’engagement des citoyens</a>, la <a href="https://www.idea.int/data-tools/tools/global-state-democracy-indices">participation citoyenne</a> les <a href="https://libguides.usc.edu/c.php?g=234935&p=5813462">élections</a>, <a href="https://en.unesco.org/gem-report/education-all-development-index">l’éducation</a>, les <a href="http://hdr.undp.org/en/content/health-index">soins de santé</a>, les <a href="https://libguides.gwu.edu/intreldatabases">relations internationales</a>, <a href="https://www.environmentaldemocracyindex.org/node/2730.html">l’environnement</a>, la <a href="https://www.hrw.org/world-report/2020">gouvernance</a> et la <a href="https://rsf.org/en/ranking">liberté de la presse</a>.</p>
<p>Nous proposons de se poser une question centrale : que fait-on et que devrait-on faire pour s’assurer que tous les gouvernements du monde s’efforcent de renforcer la démocratie pour chacun de ces indicateurs ?</p>
<p>Poser cette question pour chaque indicateur encouragerait le débat et les actions qui vont au-delà des promesses du parti au pouvoir et des intérêts particuliers.</p>
<p>Une façon simple de le faire serait de présenter la performance des gouvernements pour chacun des indicateurs clés de la santé démocratique. Par exemple, que font-ils pour lutter contre le racisme systémique ? Comment encouragent-ils l’engagement des citoyens dans les élections ? Les actions réalisées seraient également rendues publiques, ce qui permettrait aux citoyens de participer à la compréhension, à l’analyse et à la prise en compte de principales préoccupations.</p>
<h2>Limitations potentielles</h2>
<p>Cependant, plusieurs problèmes pourraient nuire à un tel projet.</p>
<ol>
<li><p>Y a-t-il une volonté politique de l’adopter ?</p></li>
<li><p>Comment déterminer qui devrait participer et qui aurait le dernier mot ?</p></li>
<li><p>Qu’est-ce qui garantit que les gouvernements et les citoyens examineront et utiliseront le modèle ?</p></li>
</ol>
<p>Documenter et exposer les problèmes et les enjeux importants ainsi que favoriser l’engagement de la population aboutirait à une démocratie plus saine, surtout si le processus inclut un véritable dialogue, de l’imputabilité et une bonne planification.</p>
<p>Le fait de définir formellement ce qui est démocratique ou antidémocratique dans notre société – politiques, programmes, lois, pratiques et traditions du gouvernement – devrait obliger les décideurs à être plus attentifs aux problèmes systémiques.</p>
<p>L’objectif est de rassembler ceux qui travaillent à mesurer avec précision la santé démocratique afin de réinventer l’engagement et l’action démocratiques. Cela peut être difficile, mais le statu quo n’est plus une option. En tant que citoyens, nous devons faire pression pour que s’ouvre une vaste discussion sur les fondements de la démocratie et que des engagements soient pris pour l’assainir partout dans le monde.</p>
<p>Les indicateurs de la démocratie ne sont qu’un point de départ. Notre proposition de cadre pour la réformer n’est pas un instrument politique complet et limitant. Mais aller au-delà des simples commentaires sur les réactions des marchés aux bouleversements politiques ou sur les performances des politiciens dans les sondages pourrait répondre aux préoccupations de ceux qui s’inquiètent de l’état de la démocratie à l’heure actuelle.</p>
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<img alt="Le dôme du Capitole américain est visible dans l’obscurité derrière les barbelés" src="https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5459%2C3595&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379147/original/file-20210117-19-ghh4rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Capitole est visible à travers les barbelés au-dessus des clôtures, le 16 janvier 2021, à Washington alors que la sécurité est renforcée avant l’investiture du président élu Joe Biden et du vice-président élu Kamala Harris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Jacquelyn Martin</span></span>
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<h2>La nécessité d’aller plus loin</h2>
<p>Cela ne veut pas dire que les indicateurs actuels de la démocratie ne sont pas utiles. En fait, la plupart d’entre eux nous informent avec précision sur les dangers qui menacent la démocratie et sur les endroits où elle est menacée.</p>
<p>Mais nous estimons qu’ils doivent aller plus loin pour débattre de la santé de la démocratie, pour l’interroger et la reconsidérer en dehors du système électoral, qui est imparfait et limité à bien des égards.</p>
<p>Les événements aux États-Unis nous montrent que de changer le dirigeant d’une nation sans repenser profondément le système qu’il ou elle défend ne suffit pas. Collectivement, nous devons plaider en faveur d’une forme de démocratie plus engagée et véritable, qui profitera à tous les citoyens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153686/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul R. Carr reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour un projet de recherche intitulé Médias sociaux, participation et éducation des citoyens, dont il est le chercheur principal, ainsi que du Fonds de recherche du Québec en lien avec la Chaire UNESCO DCMÉT, dont il est le titulaire.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gina Thésée reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour un projet de recherche intitulé Médias sociaux, participation et éducation des citoyens, dont elle est la cochercheuse, ainsi que du Fonds de recherche du Québec en lien avec la Chaire UNESCO DCMÉT, dont elle est la coprésidente.
</span></em></p>La démocratie a besoin d’être réformée et ce n’est pas seulement en changeant de dirigeant que l’on y arrivera. Il faut aussi repenser le système qu’il défend.Paul R. Carr, Professeur/Professor (Université du Québec en Outaouais) & Titulaire/Chair, Chaire UNESCO en démocratie, citoyenneté mondiale et éducation transformatoire/ UNESCO Chair in Democracy, Global Citizenship and Transformative Education., Université du Québec en Outaouais (UQO)Gina Thésée, Professeure/Professor (Université du Québec à Montréal) & Cotitulaire/Co-Chair, Chaire UNESCO en démocratie, citoyenneté mondiale et éducation transformatoire/UNESCO Chair in Democracy, Global Citizenship and Transformative Education., Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.