tag:theconversation.com,2011:/es/topics/xenophobie-24116/articlesxénophobie – The Conversation2023-12-14T19:05:21Ztag:theconversation.com,2011:article/2195782023-12-14T19:05:21Z2023-12-14T19:05:21ZComment la « double peine » du projet de loi immigration renforce la confusion des pouvoirs<p>Objet de la crise politique majeure de cette fin d’année, le projet de loi sur l’immigration doit être examiné en commission mixte paritaire ce 18 décembre 2023.</p>
<p>Alors que le dissensus entre le gouvernement et les parlementaires de la droite porte sur certaines mesures à haute visée symbolique (régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers dits « en tension », suppression de l’aide médicale de l’État, etc.), l’entente semble plus grande sur le renforcement de la « double peine ». Pourtant, ces mesures n’en sont pas moins inquiétantes pour ce qu’elles disent des rapports entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, et plus largement du lien entre peine et expulsion.</p>
<h2>« Méchant avec les méchants »</h2>
<blockquote>
<p>« L’aménagement de peine n’est possible que pour les Français qui, sortant de prison, veulent ou doivent se réintégrer à la société française. Ce qui n’est pas la vocation de l’étranger, qui lui doit quitter le territoire ».</p>
</blockquote>
<p>La messe était dite par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, vendredi 1<sup>er</sup> décembre 2023, lors de l’examen du projet de « loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » par la commission des lois de l’Assemblée nationale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gérald Darmanin, 1ᵉʳ décembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Pour anodines qu’elles paraissent, ces déclarations résument en réalité la teneur du projet politique réservé aux étrangers auteurs d’infractions, et plus largement l’ambition affichée par le ministre d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story/story-1-immigration-des-gentils-et-des-mechants-02-11_VN-202211020616.html">« méchant avec les méchants »</a>.</p>
<p>Une sévérité justifiée par une criminalité étrangère prétendument endémique, pourtant démentie tant par la <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2023/let436.pdf">recherche</a> que par la <a href="https://www.justice.gouv.fr/condamnations">statistique pénale</a>. Cette dernière établit notamment qu’en plus de ne représenter que 16 % des condamnations, les étrangers sont dans près de 98 % des cas auteurs de délits le plus souvent liés à une plus forte précarité socio-économique.</p>
<h2>Délinquant étranger, étranger délinquant</h2>
<p>Pour s’assurer qu’à la sanction pénale suive l’expulsion – ce qu’une vaste <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/11/21/des-associations-partent-en-campagne-contre-la-double-peine_4150738_1819218.html">campagne associative</a> a popularisé comme « double peine » au début des années 2000 –, le gouvernement entend faire voter plusieurs dispositifs qui soulignent l’incompatibilité entre les objectifs du pouvoir exécutif et ceux de l’institution judiciaire. Car cette dernière ne fait, à tout le moins officiellement, aucune distinction à raison de la nationalité dans les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029363621">fonctions de la peine</a>.</p>
<p>De façon assez inédite, est donc clairement assumée l’idée d’un dédoublement de la finalité punitive : réhabilitatrice pour les uns, relégatoire pour les autres. Ainsi s’achève la mue, déjà entamée par un empilement de normes répressives ces dernières décennies, du délinquant étranger – à réinsérer tant bien que mal – en étranger délinquant – à expulser coûte que coûte.</p>
<p>Il est, dans ce contexte, saisissant de relire Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, affirmer en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003-extra/20031008.asp">2003</a> à l’Assemblée nationale que :</p>
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<p>« ce n’est pas parce qu’une personne n’a pas la nationalité française […] que ses chances de réinsertion doivent être à jamais compromises et que sa famille doit être punie avec elle. Un même délit doit entraîner une même peine pour tous, ni plus ni moins. »</p>
</blockquote>
<p>Accusé à tort d’avoir aboli la double peine, le ministre n’avait en réalité fait qu’introduire dans la loi de nouvelles catégories d’étrangers pouvant s’en prémunir. Des garanties qui, pourtant pensées pour protéger la vie privée et familiale, sont aujourd’hui menacées jusque dans leur principe même.</p>
<h2>Instrumentalisation du pénal</h2>
<p>Alors qu’existent depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000319514">1981</a> une série de protections (dites « relatives » ou « quasi-absolues ») contre l’arrêté d’expulsion, étendues en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000322095">1989</a> à l’interdiction judiciaire du territoire français (ITF), la loi actuellement en vigueur prévoit qu’une partie d’entre elles (celles « relatives » en matière d’expulsion) peuvent être écartées lorsque l’étranger a été condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement.</p>
<p>Or par une subtilité qui aura échappée au plus grand nombre, le projet de loi non seulement étend cette exception à l’ensemble des protections contre l’arrêté d’expulsion et l’ITF, mais surtout l’applique en cas de condamnation pour une infraction punie de cinq ans d’emprisonnement (ou dix ans pour les protections « quasi-absolues ») ainsi qu’en cas de violences intrafamiliales. Et ce, quel que soit la durée et le type de sanction réellement décidés par le juge au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.</p>
<p>Cette atteinte à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029370560">individualisation de la peine</a> est d’autant plus préoccupante que l’écart entre les peines prononcées et celles encourues est massif en matière délictuelle. Selon l’économiste <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/qu-est-ce-qui-influence-prononce-des-peines-0">Arnaud Philippe</a> en effet, « les peines prononcées ne représentent en moyenne que 8 % de l’encouru, 4 % si on ne prend que la partie ferme ».</p>
<p>Pour prendre exemple sur l’ex-président de la République susmentionné, la loi autorisait la Cour d’appel de Paris à prononcer une peine de dix ans d’emprisonnement plutôt que celle de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/17/proces-des-ecoutes-nicolas-sarkozy-condamne-en-appel-a-trois-ans-de-prison-dont-un-an-ferme_6173682_3224.html">trois ans, dont un ferme</a>, finalement décidée.</p>
<h2>L’appel d’air de la répression</h2>
<p>Fatalement, ce passage d’un registre des peines prononcées à celui des peines encourues fait également entrer dans le spectre répressif immensément plus de personnes : en 2021, 853 étrangers ont été condamnés à cinq ans de prison (ou plus), mais plus de 30 000 pour une infraction punie d’au moins autant (contre plus de 116 000 Français). Le spectre pourrait s’étendre encore davantage en cas d’abaissement du seuil de l’encouru à trois ans (et cinq ans pour les protections « quasi-absolues »), comme l’avait décidé la commission des lois du Sénat.</p>
<p>Un terrain d’entente doit également être trouvé sur l’extension des délits permettant au juge de prononcer une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038313436">ITF</a>. Alors que le gouvernement en ajoutait trois (violences légères à l’encontre du conjoint, violences à l’encontre des forces de l’ordre, vol avec une circonstance aggravante) à une liste déjà longue de plusieurs centaines d’infractions, le Sénat a souhaité inclure tous ceux punis de trois ans ou plus d’emprisonnement. Quelle que soit l’option retenue, est encore exalté le potentiel bannissant de l’infraction et détournée la finalité de la peine.</p>
<h2>Ordre public et arbitraire</h2>
<p>La perte en puissance du pénal semble dans le même temps bénéficier à l’administration, qui verrait sa faculté de mobiliser la « menace pour l’ordre public » à l’appui d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ouverte en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032164264">2016</a>, encore débridée.</p>
<p>Dénuée de toute définition juridique, cette notion est laissée à la libre appréciation des préfets et présente donc un réel risque d’arbitraire. Des faits de corruption active, par exemple, pourront dans certains cas être considérés comme menaçant l’ordre public, mais pas un vol simple (ou inversement). Si sa validité constitutionnelle tient notamment à la satisfaction théorique d’une double exigence de proportionnalité et de motivation, le Conseil d’État estime pour sa part, de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007656164/">longue date</a>, que la « menace pour l’ordre public » ne peut se fonder sur la seule existence d’une condamnation pénale, mais doit prendre en compte la situation actuelle de l’individu dans sa globalité.</p>
<p>Toutefois, le caractère nébuleux de l’ordre public permet au préfet d’invoquer une telle menace de façon à la fois stéréotypée et automatisée à la moindre interaction avec la justice pénale – <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/droit-des-etrangers-comment-la-menace-a-lordre-public-est-elle-instrumentalisee/">parfois même en l’absence d’infraction</a>. C’est ainsi qu’un <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=TA_PARIS_2023-11-03_2310732">ressortissant bangladais</a> à récemment fait l’objet d’une telle qualification suite à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de vente à la sauvette, et d’une amende de 640€ pour conduite sans permis. Les exemples sont légion.</p>
<h2>L’OQTF détournée de son objet initial</h2>
<p>Néanmoins certains garde-fous limitaient encore un tant soit peu son usage excessif. En 1989, les protections contre l’expulsion furent également étendues à la reconduite à la frontière (<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/oqtf-1833900">ancêtre de l’OQTF</a>) et ne souffrent depuis d’aucune exception. Ainsi, les parents d’enfants français, les étrangers entrés en France avant 13 ans ou encore ceux gravement malades ne peuvent, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043982303">parmi d’autres</a>, jamais faire l’objet d’une OQTF – l’administration devant se retrancher sur l’arrêté d’expulsion si elle parvient à justifier une menace « grave » pour l’ordre public.</p>
<p>Le projet de loi entend désormais faire table rase de l’ensemble de ces protections (à l’exception des mineurs) au profit d’un examen global du droit au séjour de la personne.</p>
<p>Celui-ci serait réalisé lorsque le préfet envisage de prendre une OQTF, et tiendrait inévitablement compte de l’existence d’une menace pour l’ordre public (comme l’impose le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042776874">code des étrangers</a> à l’occasion d’une demande de titre de séjour). La commission mixte paritaire pourrait s’accorder sur une mention explicite à une telle menace pour écarter le bénéfice des protections. Quoi qu’il en soit, cet élément reste hautement dommageable en ce qu’il prévaut sur tous les autres : vie privée et familiale en France, situation professionnelle, durée de présence sur le territoire, etc. Et quand bien même le juge administratif restera en charge du contrôle de la légalité de l’OQTF, leur notification – qui a lieu le plus souvent en prison quelques jours avant la libération de l’étranger – continueront à se dérouler dans des conditions <a href="https://oip.org/wp-content/uploads/2017/12/rapport_oqtf_en_detention_dec_2017.pdf">peu compatibles</a> avec le droit au recours effectif, notamment les délais.</p>
<h2>Vers une double peine sans peine ?</h2>
<p>À l’arrivée, ces changements achèveraient la mutation progressive d’une mesure initialement pensée pour acter, dans des cas précis, la situation irrégulière d’un individu et permettre son éloignement, en véritable instrument discrétionnaire de répression.</p>
<p>Le même risque d’arbitraire se retrouve avec les conséquences tirées d’une violation des « principes de la République » qui seraient nouvellement introduits, et dont la qualification juridique des faits échapperait là encore à l’institution judiciaire (laquelle n’est déjà pas exempte de subjectivité).</p>
<p>Demain, l’administration pourra-t-elle, sans autre forme de procès, refuser ou retirer un titre de séjour à une personne qu’elle considère avoir bafoué les « symboles de la République » (et par suite l’expulser) ? Tout porte à le croire. Sur la base de quels critères ? De quel socle de valeurs communes ? Dit autrement, allons-nous vers une double peine sans peine ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Fischmeister est membre de la section française de l'Observatoire international des prisons et du Gisti.</span></em></p>Les mesures portant sur la « double peine » inquiètent sur ce qu'elles disent du rapport entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, et plus largement du lien entre peine et expulsion.Julien Fischmeister, Doctorant en droit, Université Grenoble-Alpes, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173302023-11-30T16:51:39Z2023-11-30T16:51:39ZRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France<p><em>Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d'Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts <a href="https://www.instagram.com/joannsfar/?hl=fr">Instagram</a> afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.</em></p>
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<p>Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html">1 518 ont été recensés</a> entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violences antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2018_num_250_2_5616?q=solveig%20hennebert">lors de cérémonies commémoratives</a> ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon <a href="https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article6505">enquête de terrain de thèse</a>.</p>
<p>J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">L’antisémitisme</a> renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XV<sup>e</sup> siècle avec les <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/iberica/la-purete-de-sang-en-espagne">premiers statuts de pureté de sang</a> dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">persécutions</a> étaient plutôt liées à de l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">Les Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme aujourd’hui</a>
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<h2>Les chiffres de l’antisémitisme</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzoIb4WoGWd","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Le recensement des crimes et délits est source de <a href="https://theconversation.com/linsecurite-un-epouvantail-electoral-a-deminer-132362">nombreuses interrogations méthodologiques</a>, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.</p>
<p>Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de <a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">structurel dans l’antisémitisme</a> tel qu’il s’exprime en France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattre-lantisemitisme-lenseignement-de-la-shoah-a-lere-de-twitter-et-tiktok-198542">Combattre l’antisémitisme : l’enseignement de la Shoah à l’ère de Twitter et TikTok</a>
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<h2>L’héritage de l’extrême droite</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzG2HQ5ogTU","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/france/131123/aux-marches-contre-l-antisemitisme-des-elus-d-extreme-droite-au-lourd-passif">rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre</a> a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/12/gregoire-kauffmann-historien-la-presence-siderante-du-rn-a-la-manifestation-contre-l-antisemitisme-est-le-signe-d-une-profonde-recomposition-du-jeu-politique_6199658_3232.html">« recomposition du champ politique »</a>. À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les <a href="https://blogs.mediapart.fr/juives-et-juifs-revolutionnaires/blog/121123/pour-l-emancipation-de-toutes-et-tous-contre-l-antisemitisme-d-ou-qu-il-vienne">liens du RN avec les idéologies antisémites</a>.</p>
<p>L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">l’antijudaïsme chrétien</a> :</p>
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<p>« les Juifs ont de l’argent »</p>
<p>« les Juifs contrôlent le monde »</p>
<p>« les Juifs contrôlent les médias »</p>
<p>« les Juifs sont des tueurs d’enfants »…</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CyVOUNNIn2z","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.</p>
<p>Cependant, des <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">enquêtes scientifiques</a> montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.</p>
<p>Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.</p>
<p>Ainsi l’expression <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2020_num_107_1_2992?q=jud%C3%A9ophobie#comm_0588-8018_2020_num_107_1_T8_0068_0000">« nouvel antisémitisme »</a> ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/international/211123/l-operation-du-7-octobre-ne-vise-pas-seulement-tuer-mais-filmer-les-tueries-et-les-atrocites">évolutions sont perceptibles</a>, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-du-6-9-france-bleu-isere/antisemitisme-un-mouvement-de-fond-depuis-les-annees-2000-juge-l-historien-grenoblois-tal-bruttmann-6454392">histoire longue</a>.</p>
<h2>« Laissez-moi hors de propos »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cz3u953o_ZY/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées <a href="https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-face-aux-accusations-repetees-d-antisemitisme-23-10-2023-2540503_20.php">se défendent de tous préjugés</a> à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/10/nonna-mayer-les-stereotypes-antisemites-gardent-un-certain-impact-dans-une-petite-partie-de-la-gauche_6199286_823448.html">rapporte Nonna Mayer dans <em>Le Monde</em></a>. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.</p>
<p>L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">mouvements de résistance</a> de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Des manifestations directes de la violence</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzVoJsIoYcO","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Au niveau international, de nombreux actes de violence physique ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/video-des-slogans-antisemites-scandes-devant-l-opera-de-sydney-aux-couleurs-d-israel">« gazer les Juifs »</a>, des tags <a href="https://www.instagram.com/p/CzOh4Cvo3Ss/ ?hl=fr&img_index=1">« interdit aux Juifs »</a> notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/1159-actes-antisemites-recenses-en-france-en-un-mois-annonce-gerald-darmanin">sont également multiples</a>, et la qualification antisémite n’est pas évidente.</p>
<p>Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un <a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">sentiment d’abandon</a> chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.</p>
<p>Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtres/meurtre-de-mireille-knoll/meurtre-de-mireille-knoll-l-affaire-sarah-halimi-a-peut-etre-pu-inciter-la-justice-a-retenir-le-caractere-antisemite-selon-l-avocat-d-un-des-deux-suspects_2688360.html">Mireille Knoll et Sarah Halimi</a>.</p>
<p>Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là ; cependant, les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant, le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.</p>
<h2>Banaliser</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzLcHuBoiJ9","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, des discours <a href="https://www.liberation.fr/checknews/tags-insultes-menaces-que-sait-on-du-recensement-des-antisemites-enregistres-depuis-le-7-octobre-20231117_FIAUJA3DKNGNDFHMH7K3R5B6H4/">relativisent l’existence de l’antisémitisme</a>, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">La « maladie n°9 » : un symptôme de l’antisémitisme français</a>
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<p>Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">après la Seconde Guerre mondiale</a> la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.</p>
<p>Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/29/universites-americaines-zones-de-langage-surveille_5390404_3232.html">« micro-agressions »</a>.</p>
<p>Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins ; ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.</p>
<h2>« Leur peur, ma rage »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cyc96WzIuFr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.</p>
<p>L’usage même du <a href="https://www.instagram.com/p/C0BoM2yNi_o/ ?img_index=1">terme « antisémitisme »</a> est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.</p>
<p>Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-4-page-441.htm">conceptualisation raciste en Europe au XIX<sup>e</sup> siècle</a>.</p>
<p>Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2014-4-page-901.htm">discours racialiste</a> envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.</p>
<h2>« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzqHrYJoDon","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.</p>
<p>Certains ont exprimé leurs critiques face à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121123/marche-contre-l-antisemitisme-les-gauches-qui-appellent-ne-pas-manifester-renoncent-leur-role-historique">l’absence de la gauche</a> dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.</p>
<p>Le <a href="https://www.instagram.com/collectif_golem/">collectif « Golem »</a> a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les <a href="https://www.lesguerrieresdelapaix.com/mouvement/ ?goto=manifeste">« guerrières de la paix »</a> créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.</p>
<p>L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que <a href="https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-legicom-2015-1-page-39.htm#no11">certains propos peuvent être antisémites</a> s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/217330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solveig Hennebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague de comportements et attaques antisémites de ces dernières semaines doit être analysée dans l’histoire longue de l’antisémitisme ordinaire en France.Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2059572023-05-19T13:20:24Z2023-05-19T13:20:24ZDiscrimination contre les étudiants africains francophones : Ottawa traine la patte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/527256/original/file-20230519-29-7hogjz.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4950%2C3290&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, lors d'une conférence de presse, à Ottawa, le 19 avril 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Spencer Colby</span></span></figcaption></figure><p>La discrimination d’Immigration Canada à l’égard des étudiants noirs d’Afrique francophone est connue, documentée et dénoncée par des chercheurs et des <a href="https://theconversation.com/immigration-canada-discrimine-les-etudiants-dafrique-francophone-voici-ce-que-quebec-devrait-faire-pour-y-mettre-fin-193045">observateurs de la politique québécoise et canadienne</a> depuis plusieurs années. </p>
<p>Encore cette semaine, on apprend dans une étude de <a href="https://institutduquebec.ca">l’Institut du Québec (IDQ)</a> que le <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-05-18/permis-d-etudes-pour-etudiants-etrangers/la-moitie-des-demandes-pour-le-quebec-refusees-par-ottawa.php">fédéral refuse la moitié des demandes de permis d’études aux étudiants étrangers sélectionnés par le Québec</a> et acceptés par une université québécoise. Ce chiffre augmente à 72 % chez les étudiants africains.</p>
<p>La <a href="https://www.lesoleil.com/2022/08/18/les-etudiants-africains-francophones-encore-rejetes-a-la-tonne-ea7882fe4b2df8e99712539dadded58f/">dénonciation de cette discrimination</a> et de l’inaction du gouvernement fédéral dans ce dossier va bien au-delà du cercle des experts sur l’immigration. Elle a mobilisé les dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur francophones, des acteurs de la scène politique et de la société civile. </p>
<p>En tant que chercheurs dans les domaines de la sociologie politique et de l’étude sociologique et ethnologique des nationalismes et des relations interethniques, nous nous intéressons aux transformations sociales au Québec et au Canada, ainsi qu’aux représentations sociales de l’immigration. </p>
<p>À l’échelle globale, cette discrimination envoie un bien mauvais message aux partenaires du Canada dans la francophonie. À l’échelle canadienne, elle a un impact sur la vitalité des institutions des <a href="https://onfr.tfo.org/etablissements-francophones-refus-etudiants-africains-canada-ircc-trudeau-fraser/">communautés francophones hors Québec</a>. </p>
<p>À l’échelle québécoise, elle a un impact sur la vitalité des programmes des <a href="https://www.ledevoir.com/societe/676302/immigration-les-regions-plus-touchees-par-les-refus-d-etudiants-etrangers">institutions collégiales et universitaires en région</a>. Enfin à l’échelle montréalaise, elle a aussi un impact sur la vitalité des institutions d’éducation supérieure francophones et en particulier sur la capacité de l’Université du Québec à remplir sa mission sociale. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immigration-canada-discrimine-les-etudiants-dafrique-francophone-voici-ce-que-quebec-devrait-faire-pour-y-mettre-fin-193045">Immigration Canada discrimine les étudiants d’Afrique francophone. Voici ce que Québec devrait faire pour y mettre fin</a>
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<h2>Québec a fait ses devoirs</h2>
<p>Cette situation était connue lors de la victoire du gouvernement minoritaire du Parti libéral du Canada en 2019. Elle l’était encore lors de la victoire du même gouvernement en 2021, toujours minoritaire. Et les données qui viennent d’être publiées par l’IDQ sont sans appel, la situation a perduré en 2022. </p>
<p>Des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1938205/etudiants-afrique-francophones-universites-canada-visa-etude">améliorations modestes à quelques endroits</a> n’inversent pas une tendance de fond qui est aussi têtue que tenace. Les données démontrent qu’en dépit des avertissements, des mobilisations et des enquêtes de nombreux journalistes, Immigration Canada se traîne les pieds. </p>
<p>Dans ce dossier, le gouvernement du Québec n’a pas toujours été à l’abri des critiques. La réforme de l’immigration pilotée en 2020 par Simon Jolin-Barrette <a href="https://theconversation.com/reforme-jolin-barette-comment-marginaliser-le-quebec-pour-les-nuls-126634">s’était attiré les critiques pour un ensemble de raisons</a>. L’une d’entre elles était une modification du programme de l’expérience québécoise qui venait ralentir, voir entraver, l’obtention de l’accès à la citoyenneté pour les étudiants étrangers faisant leurs études au Québec. </p>
<p>Or, la nouvelle ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette s’est montrée beaucoup plus <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1974221/immigration-legault-quebec-peq-frechette-etudiants">clairvoyante, informée et pragmatique</a>. Sa promesse de réorientation de la politique d’immigration du gouvernement caquiste est au diapason avec les milieux de l’enseignement supérieur. Ces milieux reconnaissent depuis longtemps l’importance de construire un TGV vers la citoyenneté pour les étudiants bénéficiant d’une expertise acquise à travers leurs études, leurs stages et leurs réseaux développés durant leur séjour au Québec. </p>
<h2>L’inaction d’Immigration Canada est incompréhensible</h2>
<p>Ce virage de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration est au diapason avec les avis éclairés des institutions d’enseignement supérieur québécoises. Il apporte également de l’espoir au milieu de l’éducation supérieure francophone montréalais qui dénonce depuis plusieurs années le fait qu’il ne lutte pas à armes égales avec les institutions d’enseignement supérieur anglophones. </p>
<p>Ces dernières évoluent sur un marché complètement différent de celui des universités francophones. Depuis le déplafonnement des frais imposés aux étudiants étrangers, les institutions d’enseignement supérieur anglophones engrangent ainsi des revenus nettement supérieurs à ceux des institutions francophones. <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/787251/education-il-faut-sauver-la-mission-de-l-uqam">Comme l’ont dénoncé de nombreux acteurs du milieu de l’éducation</a>, cette inégalité systémique affecte grandement l’attrait des institutions francophones et la capacité du réseau de l’Université du Québec à remplir sa mission universitaire et d’intégration sociale. </p>
<p>Face à cet important changement de cap du gouvernement du Québec, l’inaction d’Immigration Canada ne peut faire autrement que de susciter encore plus d’incompréhension. </p>
<p>Après avoir blâmé les pratiques discriminatoires de son ministère sur des <a href="https://www.ledevoir.com/societe/650031/immigration-un-outil-informatique-mis-en-cause-dans-la-hausse-des-refus-de-permis-d-etudes">erreurs algorithmiques</a>, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1945915/mckinsey-influence-canada-trudeau-immigration-conseils">sous-contracté le travail de ses propres fonctionnaires à la firme McKinsey</a>, avoir reconnu un <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/649539/etudiants-africains-refuses-au-canada-le-ministre-fraser-promet-de-s-attaquer-au-racisme-systemique-a-l-immigration">problème de discrimination systémique au sein même de son organisation</a>, et s’être engagé à s’attaquer à ce problème, les chiffres pour l’année 2022 du ministère de Sean Fraser témoignent des mêmes ratés et de la même dynamique discriminatoire que durant les années précédentes. </p>
<p>Lors d’un moment gênant, la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-05-18/permis-d-etudes-pour-etudiants-etrangers/le-federal-veut-faire-mieux-mais-se-felicite-des-progres.php">secrétaire parlementaire du ministre a été chargée de défendre son bilan</a>. La légère hausse des acceptations qu’elle a alors évoquée ne répond pas aux attentes légitimes des étudiants dont les dossiers ont été acceptés par une institution québécoise. </p>
<h2>Le ministre Fraser n’a plus la légitimité requise</h2>
<p>Ottawa doit tirer des conclusions de ces nouvelles données. Si le gouvernement Trudeau ne se faisait pas le champion de la lutte contre le racisme systémique sur toutes les tribunes, ce manque de crédibilité de son ministre passerait peut-être. Mais à ce stade-ci, le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, n’a plus la légitimité requise pour conserver ce dossier.</p>
<p>Cette inaction du Parti libéral fédéral sur un enjeu aussi important pour le Québec et la francophonie canadienne est regrettable. Elle jette une ombre sur l’importante réussite qu’a été la <a href="https://www.lesoleil.com/actualites/politique/2023/05/15/langues-officielles-c-13-sen-va-au-senat-744WI45MI5EP7JSYNFPW7MCWTQ/">mise à jour de la Loi sur les langues officielles</a> qui a été célébrée avec raison à Ottawa, comme à Québec. </p>
<p>Car, si l’on veut célébrer la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles, il faut être conséquent et donner accès aux institutions d’enseignement supérieur francophones à l’ensemble des étudiants qui veulent faire vivre cette francophonie. </p>
<p>Il faut se réjouir du fait que ce message ait été compris à Québec. Il est plus que regrettable qu’il tarde autant à se faire entendre à Ottawa.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205957/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Malgré une dénonciation de la discrimination qui frappe les étudiants francophones voulant s’établir au Canada, notamment les Africains, le gouvernement fédéral ne semble pas vouloir agir.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Madeleine Pastinelli, Professeur de sociologie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2025692023-04-19T17:07:35Z2023-04-19T17:07:35ZEspagne : l’extrême droite pourrait faire son entrée au gouvernement<p>D’ici décembre, les électeurs espagnols seront convoqués aux urnes pour des élections générales. Après un mandat marqué par la pandémie de Covid-19, le socialiste Pedro Sánchez affrontera une droite revigorée et plus compétitive qu’elle ne l’a été au cours des dernières années. </p>
<p>Mais pour prendre le pouvoir, cette droite devra vraisemblablement obtenir l’appui d’un parti d’extrême droite, Vox. Ce serait une première pour ce pays de près de 50 millions d’habitants, 14<sup>e</sup> économie mondiale : alors que l’extrême droite et le populisme se sont imposés dans de nombreuses autres démocraties occidentales, <a href="http://dx.doi.org/10.1177/2053168019851680">l’Espagne a longtemps fait figure d’exception</a>. Depuis le début des années 1980, elle n’a en effet connu aucune force politique d’extrême droite d’importance.</p>
<p>Il faut rappeler que l’Espagne a été le symbole du combat antifasciste lorsque des militaires ont tenté un coup d’État, en 1936, <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/guerre_civile_d_Espagne/118441">et entraîné le pays dans une guerre civile</a>. Des dizaines de milliers de miliciens étrangers s’étaient alors portés, en vain, à la défense de la démocratie espagnole. La guerre s’est soldée par une victoire des insurgés, soutenus par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Le dictateur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_Franco">Francisco Franco</a> a dirigé le pays jusqu’à sa mort, en 1975. La transition démocratique a ouvert la voie à l’adhésion du pays à l’Union européenne en 1986, et l’Espagne est devenue un pilier de l’intégration européenne.</p>
<p>Un retour de l’extrême droite au pouvoir constituerait donc un nouveau coup dur pour les forces démocratiques en Europe.</p>
<p>Doctorant et chargé de cours au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, mes recherches portent sur la sociologie de la mémoire collective. Je m’intéresse particulièrement aux conflits portant sur la mémoire du passé fasciste en Espagne et en Italie.</p>
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<img alt="Des personnes brandissent des fusées éclairantes propulsant une fumée jaune et orange" src="https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520590/original/file-20230412-26-rjvgzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants tiennent des fusées éclairantes pendant l’hymne national espagnol, lors d’un rassemblement du parti d’extrême droite Vox à Madrid, le 19 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Paul White)</span></span>
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<h2>Une crise du bipartisme</h2>
<p>Comme le Canada, l’Espagne a longtemps connu un système bipartite, avec le Partido Popular (PP) à droite, et les socialistes à gauche. Ceux-ci ont pris le pouvoir en 2018, lorsque Pedro Sánchez a profité de la crise chez ses adversaires pour faire tomber le gouvernement de Mariano Rajoy, du PP, en plein scandale de corruption. </p>
<p>Mais le système électoral espagnol est bien différent du nôtre. En marge des deux principaux partis, de nombreux partis régionaux sont représentés au parlement. En général, aucun ne dispose à lui seul d’une majorité parlementaire. L’appui de tiers partis est nécessaire pour gouverner, mais les coalitions formelles, incluant des ministres de plus d’un parti, sont un phénomène récent. Avant 2015, le parti au pouvoir disposait de plusieurs partenaires potentiels pour l’appuyer lors des votes en chambre, ce qui laissait peu de chance aux petits partis d’imposer leur agenda au gouvernement.</p>
<p>Dans ce système, l’hégémonie du PP à droite laissait peu de place à l’extrême droite dans l’arène électorale. Ce système bipartite s’est érodé au cours de la dernière décennie, avec l’avènement de nouvelles forces politiques. </p>
<h2>Nationalisme, islamophobie et antiféminisme : les luttes de Vox</h2>
<p>Depuis 2015, le multipartisme s’est en effet consolidé. C’est dans ce contexte qu’un parti d’extrême droite fondé en 2013, Vox, s’est propulsé au-devant de la scène politique. </p>
<p>Revendiquant la mémoire franquiste que le PP avait marginalisé, Vox a fait le plein de votes auprès des mécontents qui exigent plus de fermeté envers les responsables de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_d%27ind%C3%A9pendance_de_la_Catalogne">déclaration d’indépendance catalane du 27 octobre 2017</a>. Les leaders nationalistes de cette région avaient entamé un processus de sécession considéré illégal en vertu de la constitution espagnole. Le gouvernement conservateur a temporairement suspendu l’autonomie catalane, ce qui n’a pas satisfait les partisans d’un nationalisme espagnol plus affirmé. <a href="https://www.voxespana.es/agenda-espana">Vox souhaite l’abandon pur et simple de la structure territoriale actuelle de l’Espagne, décentralisée, au profit d’un État unitaire</a>, sur le modèle français.</p>
<p>Comme les principaux partis d’extrême droite en Europe, Vox <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/04/16/espagne-avec-vox-la-cure-d-intox_1721782/">diabolise les immigrants musulmans</a>. Pour ce faire, le parti invoque l’esprit médiéval de la Reconquête, une période de guerres menées par les royaumes chrétiens d’Espagne contre les royaumes musulmans implantés sur le territoire espagnol à partir de l’an 711. </p>
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<img alt="Des personnes passent devant une affiche électorale" src="https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520593/original/file-20230412-20-f6x7jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des personnes se rassemblent devant le siège du parti Vox à Madrid, le 4 mai 2021. Sur l’affiche électorale, on reconnaît Rocío Monasterio, présidente et porte-parole de Vox pour la région de Madrid, accompagnée de Santiago Abascal..</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Manu Fernandez)</span></span>
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<p>Le parti <a href="https://www.eldiario.es/sociedad/respuesta-organizada-partidos-ley-vox-ley-violencia-genero-pp-ciudadanos-responden-leyendo-nombres-1-081-asesinadas_1_7245553.html">revendique par ailleurs l’abolition de la Loi contre la Violence de Genre, adoptée en 2004</a>, qui a instauré des tribunaux spécialisés et une délégation spéciale du gouvernement pour combattre la violence contre les femmes.</p>
<p>Après une percée aux élections régionales andalouses en 2018, le parti est entré au parlement de Madrid, obtenant 10 % des suffrages en avril 2019 avant de culminer à 15 % aux élections de novembre de la même année. Bien que les <a href="https://elpais.com/espana/2023-03-17/el-psoe-ganaria-las-elecciones-con-una-ventaja-de-casi-cinco-puntos-sobre-el-pp-segun-el-cis.html">sondages récents prédisent au parti une récolte un peu plus modeste, la droite ne peut espérer former le gouvernement sans son appui</a>. Il serait surprenant que Vox accepte de lui donner sans détenir de portefeuille ministériel, comme l’a récemment fait le NPD au Canada en échange de modestes concessions.</p>
<h2>La droite traditionnelle, de la surenchère à la modération</h2>
<p>Face à la concurrence de Vox, le <a href="https://www.publico.es/politica/pablo-casado-pp-casado-le-cuesta-decirle-no-ultraderecha.html">PP a choisi, en 2018, la voie de la surenchère</a>. Le successeur de Rajoy, Pablo Casado, incarnait un retour à une droite plus dure, rappelant José María Aznar, qui a dirigé le parti et le pays de 1996 à 2004. </p>
<p>Voyant le parti incapable d’incarner une alternative au gouvernement socialiste de Pedro Sánchez, <a href="https://elpais.com/politica/2020/01/18/actualidad/1579376525_508470.html">plusieurs voix au sein du PP ont appelé Casado à prendre ses distances par rapport à Vox</a>. Il a été contraint à quitter son poste en avril 2022. Vox, au contraire, a profité de la pandémie et de la crise au PP pour consolider sa place dans l’espace public, misant notamment sur l’opposition aux mesures sanitaires, comme l’ont fait le parti conservateur d’Éric Duhaime, au Québec, et le parti populaire de Maxime Bernier, sur la scène fédérale.</p>
<p>Après la démission de Casado, le PP s’est tourné vers Alberto Núñez Feijóo, <a href="https://www.elconfidencial.com/espana/2023-02-11/pp-vox-lucha-cultural_3573851/">considéré comme un modéré au sein de son parti</a>. L’image plus conciliante qu’il tente de projeter a laissé le champ libre à Vox, qui s’est fait le porte-parole des électeurs mécontents face à la coalition gouvernante. </p>
<h2>Un choix historique pour la droite</h2>
<p>Cette stratégie de modération du PP pourrait ainsi ouvrir la voie à l’entrée d’un parti d’extrême droite au sein du gouvernement.</p>
<p><a href="https://elpais.com/espana/2023-04-10/el-psoe-se-acerca-el-empate-con-el-pp-tras-la-fallida-mocion-de-censura.html">Les plus récents sondages donnent le PP gagnant</a>, alors que le gouvernement subit l’usure du pouvoir de façon prématurée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520594/original/file-20230412-26-n9d9np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La montée en puissance de l’extrême droite ne se fait pas sans heurts en Espagne. Des manifestants jettent des pierres sur des partisans du parti Vox, réunis lors d’un rassemblement dans le quartier de Vallecas, à Madrid, un bastion traditionnel de la gauche, le 7 avril 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bernat Armangue)</span></span>
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<p>Un facteur important milite contre les socialistes : le multipartisme a plongé le pays dans l’instabilité politique, qui accentue l’inefficacité que les Espagnols ont déjà l’habitude de reprocher au pouvoir et à l’administration publique. </p>
<p>Historiquement, cette incapacité à livrer des résultats concrets a souvent bénéficié à la droite, qui souhaite limiter le pouvoir de l’État.</p>
<p>De son côté, s’il veut prendre le pouvoir dans ce système multipartite, le PP devra non seulement convaincre les électeurs, mais aussi se trouver un allié pour soutenir son gouvernement. Il pourrait se tourner vers Vox, comme il l’a fait pour gouverner la région de Castille-et-León, l’an dernier.</p>
<p>Si le PP l’emporte, Alberto Núñez Feijóo devra donc choisir s’il souhaite passer à l’histoire comme le premier leader politique à faire entrer l’extrême droite au gouvernement espagnol durant l’ère démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202569/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel-Philippe Robitaille a reçu du financement du Fonds de recherche du Québec - Société et culture et de la Chaire de recherche du Canada en Sociologie des conflits sociaux.. </span></em></p>Alors que l’extrême droite et le populisme se sont imposés dans la vie politique de nombreuses démocraties en Occident, l’Espagne a longtemps fait figure d’exception. Cela pourrait changer.Michel-Philippe Robitaille, Doctorant et chargé de cours en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1501912020-12-18T19:30:09Z2020-12-18T19:30:09Z« Les Noires sont sales, par contre, elles font de bonnes nounous » : dans l'emploi domestique, des stéréotypes tenaces<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374438/original/file-20201211-14-twryol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C13%2C1017%2C692&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Baiser enfantin, tableau de Jacques-Eugène Feyen (1865), huile sur toile. Lille, palais des beaux-arts.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nourrice#/media/Fichier:Le_baiser_enfantin,_Jacques-Eug%C3%A8nes_Feyan_(5).jpg">Ibex73 /Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Je me souviendrai toujours de ce jour où Charlotte*, femme française âgée de 41 ans, manager d’une boutique de vêtements de luxe, mariée et mère de deux adolescents, me raconte ses « déboires », comme elle les appelle, avec les différentes nounous qui se sont succédé chez elle.</p>
<p>Confortablement installées dans le salon de son loft situé dans le VI<sup>e</sup> arrondissement parisien, nous échangeons autour d’un thé servi par l’une de ses deux « femmes de ménage », comme elle les désigne : deux femmes âgées d’une trentaine d’années, qui travaillent quotidiennement à temps plein chez elle, non seulement pour faire le ménage, mais aussi pour faire le repassage, la cuisine, ou encore sortir ses chiens, faire les courses et le service à table et au salon. J’apprends pendant notre entretien que Nadia et Siham sont marocaines, en cours d’obtention de la nationalité française.</p>
<p>Car, si « les Noires sont sales », selon Charlotte, « les Arabes ne sont pas très propres, mais les Marocaines ça va encore ». Nos trois heures de discussion sont rythmées par sa description de tout un ensemble d’autres stéréotypes raciaux, devant Nadia et Siham qui s’activent quant à elles discrètement dans la pièce, sans ciller.</p>
<h2>L’exotisation des corps des employées domestiques</h2>
<p>Lors de ses enquêtes sur les travailleurs du BTP, Nicolas Jounin est confronté à une essentialisation systématique de leurs qualités et de leurs défauts par les recruteur·e·s des agences d’intérim via lesquelles <a href="https://journals.openedition.org/remi/2025">ils travaillent</a> : par exemple, les ouvriers noirs, considérés comme robustes, sont placés sur les postes les plus éprouvants physiquement.</p>
<p>Sur le marché du travail domestique, les employées noires sont décrites par les personnes blanches qui ont recours à des employées à domicile en France comme « maternelles » et « chaleureuses », et sont particulièrement appréciées pour être « nounous » – les recherches de <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2008-2-page-25.htm">Caroline Ibos</a> sur les « nounous » ivoiriennes qui travaillent à Paris sont éloquentes à ce propos.</p>
<p>Que ce soit lors du recrutement ou pendant les interactions entre employeur·e·s et employées, la domesticité cristallise des procédés de racisation des comportements et des corps des premier·e·s sur les secondes, en d’autres termes, une appréciation fondée sur la prise en compte de paramètres principalement ethnoraciaux.</p>
<p>Ces derniers sont aussi à l’œuvre dans d’autres univers professionnels : cela dit, ils y sont particulièrement marqués du fait de leur proximité physique dans l’espace de la maison et de leur distance sociale.</p>
<p>Que ce soit à temps plein ou quelques heures par semaine, il n’y a rien d’anodin, à entendre les employeur·e·s, à voir pénétrer chez soi cet « autre » qui représente tant une altérité sociale que culturelle et raciale peu familière.</p>
<p>Les données statistiques disponibles pour le cas français montrent que plus de 14,5 % des salarié·e·s du secteur des services à la personne <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2018-038.pdf">sont né·e·s à l’étranger</a> : c’est beaucoup plus que la moyenne des autres secteurs professionnels (5,5 %), et il faut y ajouter tou·te·s les travailleur·e·s issu·e·s de l’immigration, qui sont également sujet·te·s, de par leur apparence et leurs (parfois supposées) nationalités et origines, à une racisation similaire.</p>
<p>La racisation des comportements et des corps des employées domestiques dans l’appréciation des employeur·e·s assigne ces femmes à certaines tâches selon de supposées qualités et défauts.</p>
<p>Par exemple, si la femme noire, pour Charlotte comme pour bien d’autres employeur·e·s que j’ai rencontré·e·s <a href="http://www.theses.fr/s151056">au cours de mes recherches</a>, possède toutes les qualités pour s’occuper des enfants, les tâches ménagères ne lui sont pas confiées. Et même dans la garde d’enfants, elle n’est pas tant recrutée pour les éveiller que pour les materner :</p>
<blockquote>
<p>« Quand les enfants sont devenus grands, j’ai pris quelqu’un de plus, disons, plus… cultivée, plus vive, pour que les enfants soient stimulés, car les Africaines sont très douces mais quand même nonchalantes et peu évoluées ».</p>
</blockquote>
<p>Charlotte explique ainsi qu’aux 6 ans de son aîné qui entrait alors au CP, elle a recruté une jeune fille au pair anglaise blanche, étudiante en littérature française. La « Noire », l’« Africaine », sont une seule et même femme dans les propos de Charlotte qui dresse ainsi un portrait unique et homogène des femmes ayant à ses yeux la même couleur de peau et provenant d’un même continent. </p>
<p>Si on s’intéresse par ailleurs à la racisation de l’« Asiatique », comme l’a fait Anne Zhou-Thalamy dans un <a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">précédent article publié dans The Conversation</a>, les employeur·e·s de personnel domestique leur associent, à l’instar des recruteur·e·s en entreprise qu’elle étudie, des qualités de « docilité », de discrétion et de raffinement. Ces qualités expliquent en partie le succès des employées domestiques philippines sur le <a href="https://journals.openedition.org/moussons/4971">marché français et mondial de la domesticité</a> : en Europe, au Canade et en Amérique du Nord, leur succès est redoublé car elles sont chrétiennes et parlent l’anglais.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/N7UzoxlDWhg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Zita Obra devait être employée domestique à Paris, et s’est retrouvée victime d’esclavage moderne. Documentaire, CFDT.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les corps des employées domestiques font l’objet d’une exotisation importante de la part des employeur·e·s, qui s’inscrivent dans des imaginaires postcoloniaux que les sciences humaines et sociales ont bien décrits, notamment à travers l’analyse de photographies et d’œuvres d’art produites par les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Sexe__race___colonies-9782348036002.html">colons</a>.</p>
<p>Si on poursuit sur ceux que révèlent les pratiques et les discours des employeur·e·s français·e·s d’employées domestiques originaires du continent africain, leurs soi-disant propriétés maternelles sont intrinsèquement liées à la sexualisation de leurs corps. Charlotte me décrit son ancienne « nounou » originaire du Mali comme une femme « petite mais bien en chair », qui avait « une poitrine bien généreuse », et qui, dit-elle, « était une bonne mama africaine », et donc « rassurante pour les enfants ».</p>
<p>À propos de ses deux employées marocaines, elle me parle à plusieurs reprises de leurs « bras musclés » qui selon elle « montrent bien qu’elles ont l’habitude de faire des gros plats pour toute une tribu ». C’est aussi leur odeur qui fait l’objet de son jugement :</p>
<blockquote>
<p>« Siham, quand elle revient le dimanche soir après son jour de repos en famille, elle sent les épices encore plus fort que d’habitude, car avec leurs plats, à eux, leurs traditions, le henné, tout ça, ça imprègne les vêtements, les cheveux. »</p>
</blockquote>
<p>« Eux » désigne une culture fantasmée par Charlotte qu’incarne Siham, dont elle fait pénétrer chez elle les aspects qu’elle estime les plus séduisants : « Quand elle rentre ici et qu’elle sent les épices, ça me donne envie de manger un couscous, elle le fait tellement bien ». Tous les vendredis soirs, Siham et Nadia préparent un couscous pour Charlotte et sa famille, et la seconde apprend quelques pas de danse orientale marocaine aux enfants.</p>
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<img alt="L’actrice Soria Zeroual incarne Fatima, dans le film Fatima 2015" src="https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374433/original/file-20201211-13-1szt966.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’actrice Soria Zeroual incarne Fatima, employée de ménage dans le film éponyme de Philippe Faucon, 2015, Pyramide Films.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-227827/photos/detail/?cmediafile=21194572">Pramide Films</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lorsque Charlotte parle du corps dansant de Nadia, elle lui associe de la « sensualité », de la « grâce », de la « chaleur », selon ses mots :</p>
<blockquote>
<p>« Elle fait la danse du ventre super bien, parce que… elle a des hanches, comment dire, bien formées, alors ça aide, ça fait beau, moi qui suis toute plate à côté, ça ne marcherait pas ! » m’explique-t-elle en riant.</p>
</blockquote>
<p>En opposant son propre corps à celui de son employée, Charlotte renvoie à nouveau Nadia à une orientalité construite qui fait des femmes marocaines, et par extension arabes, de bonnes danseuses, du fait d’un corps bâti pour la danse du ventre.</p>
<p>Cette fascination de Charlotte pour le corps exotisé de ses employées qu’elle leur demande de mettre en scène rappelle fortement la quête d’« authenticité africaine » de certain·e·s touristes, qu’alimente par ailleurs <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2002-4-page-115.htm">l’industrie du voyage</a>.</p>
<h2>La souillure de l’étrangère chez soi</h2>
<p>Les jugements moraux et physiques des comportements et des corps des employées domestiques racisées par les employeur·e·s ne conduisent pas seulement à leur appréciation positive. Les rapports sociaux qui se nouent entre employeur·e·s et employées domestiques reposent avant tout sur leur ambivalence : chez soi, on fait pénétrer l’altérité, mais une altérité contrôlée qui ne doit pas enfreindre la distance physique et symbolique que s’attachent à entretenir les employeur·e·s.</p>
<p>Charlotte me raconte qu’un jour, Siham sentait « vraiment trop les épices », au point qu’elle en était incommodée :</p>
<blockquote>
<p>« C’est pour ça que moi je ne veux pas d’Indiennes chez moi, c’est pour les épices, les Indiennes sentent trop les épices » précise-t-elle dans la foulée.</p>
</blockquote>
<p>Ce « trop » peut être verbalisé par les employeur·e·s comme un danger qui menace ce qu’elles et ils construisent comme étant leur culture et leur intimité. Par exemple, Ava, l’ancienne « nounou » malienne de Charlotte, laissait souvent son foulard posé sur la table à manger, ce que Charlotte décrit comme « très sale » : « Je ne voulais pas manger ses cheveux » dit-elle, en poursuivant sur tout ce qu’elle ne trouvait pas propre dans les pratiques d’Ava.</p>
<p>Elle lui demandait de laver ses mains plusieurs fois par heure, de porter une blouse lorsqu’elle portait ses enfants bébés, et lui interdisait même de se maquiller. Chez beaucoup d’employeuses rencontrées, le maquillage des employées domestiques est souvent pointé du doigt et parfois proscrit, car il est décrit comme trop visible et vulgaire, et dénote à leurs yeux le sale :</p>
<blockquote>
<p>« [Ava], elle se maquillait vraiment trop au début, gros rouge à lèvres, des traits bleus au-dessus, comme ça, c’était laid et vraiment, ça faisait sale » m’explique Charlotte avec un air de dégoût.</p>
</blockquote>
<p>L’exemple du maquillage des employées caractérise les jugements de classe des employeur·e·s, et surtout, des employeuses, qui se mêlent aux procédés de racisation. Ce qui relève du goût, et plus spécifiquement, de l’évaluation des frontières du sale et du propre, est en effet une affaire de classe : « Décrire les gens, les choses ou les pratiques comme propres ou sales n’est pas une entreprise socialement neutre » rappelle <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/comfort-cleanliness-and-convenience-9781859736302/">Elizabeth Shove</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="‘La Couleurs des sentiments’ avec ici Viola Davis" src="https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374436/original/file-20201211-22-u8pk00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le film « La Couleurs des sentiments » avec ici Viola Davis, situé dans l’Amérique ségrégationniste des années 60 traite en particulier de la notion de souillure.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-176673/photos/detail/?cmediafile=19789282">The Walt Disney Company France</a></span>
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</figure>
<p>Le terrain de la domesticité est un lieu où s’exprime très fortement ce que Wilfried Lignier et Julis Pagis appellent le <a href="https://www.cairn.info/journal-geneses-2014-3-page-2.htm">« dégoût culturel de personnes »</a>. Il s’inscrit plus largement dans l’histoire du dégoût sensoriel de classe, que renseignent entre autres les <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-histoire/le-miasme-et-la-jonquille">travaux d’Alain Corbin</a> : la méfiance voire le mépris des employeur·e·s pour les classes populaires, ou du moins, jugées inférieures à leur propre classe, se cristallise dans les situations où leur cohabitation est inévitable.</p>
<p>Ce dégoût est d’autant plus exacerbé vis-à-vis des employées domestiques issues de milieux populaires, et racisées. Chez Charlotte, Nadia et Siham n’ont pas le droit d’utiliser les mêmes toilettes que les enfants : elle me dit trouver cela « trop sale pour eux », car, dit-elle, « après tout, je ne sais pas non plus comment elles se lavent ».</p>
<p>Charlotte exige par ailleurs de Nadia et Siham qu’elles s’attachent les cheveux et qu’elles désinfectent les surfaces après chacun de leur passage aux toilettes et dans la salle de bain qui leur sont réservées. La racisation de ses employées nourrit ainsi tant l’introduction volontaire d’un exotisme chez elle que son rejet lorsqu’il menace certaines normes et principes – ici, les normes sociales des goûts et dégoûts de Charlotte.</p>
<h2>Une expression de la domination de classe et de race</h2>
<p>Les propos et les pratiques de Charlotte ne sont pas isolés : je pourrais retracer les hiérarchies et les stéréotypies raciaux que les employeur·e·s construisent sur celles qui effectuent leurs tâches domestiques. Qu’elles confèrent des qualités ou des défauts aux employées, elles sont bel et bien l’expression de la domination de classe et de race qui structure les rapports sociaux qu’on retrouve dans de nombreuses formes de domesticités à travers le monde.</p>
<p>Au-delà de leur objectivation, une analyse critique de ces discours et pratiques invite à les qualifier de racistes, même si nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui affirment fermement ne pas être racistes, mais décrire une réalité irréfutable. L’exotisation des corps des employées est banalisée par les employeur·e·s, qui véhiculent entre elles et eux ces stéréotypes raciaux pour recruter de « bonnes » domestiques. Cela contribue à l’infériorisation de celles qui servent les classes et la race dominantes.</p>
<p>L’essentialisation de caractéristiques présentées comme des qualités n’est pas préservée de ce mécanisme d’infériorisation : dire que les femmes noires sont « maternelles » et que les femmes asiatiques sont « dociles » légitiment qu’elles soient employées domestiques en même temps que cela les exclut d’autres secteurs professionnels pour lesquels elles n’auraient a priori pas de compétences. Autrement dit, ce serait par essence, par nature, que ces femmes seraient (pré)disposées à la domesticité : une assignation symbolique forte à un métier socialement dévalorisé qui, rappelons-le, concentre 80 % de femmes, une majorité de femmes issues des classes populaires et une part non négligeable de femmes migrantes (une employée domestique sur cinq selon <a href="https://www.ilo.org/global/topics/domestic-workers/WCMS_617922/lang--fr/index.htm">l’Organisation Internationale du travail</a>.</p>
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<img alt="Sweeper, by Banksy, Chalk Farm Road, Londres, 2007." src="https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/374449/original/file-20201211-16-148aqgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Valoriser ces femmes pour leurs qualités manuelles et relationnelles a pour revers une dépréciation de leurs capacités intellectuelles par leurs employeur·e·s. Sweeper, by Banksy, Chalk Farm Road, Londres, 2007.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chalk_Farm_Banksy_(1412037015).jpg">Graham C99 from London, UK/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Assigner ces femmes à la domesticité, et par là, réduire leur corps à la maternité et au travail reproductif du foyer, ont en outre pour effets une intériorisation de leur supposée infériorité en tant que femmes, que personnes racisées, et que travailleuses. J’ai rencontré de nombreuses employées domestiques qui se présentaient devant moi comme « incapables » de faire autre chose que du travail domestique, et nombreuses sont celles qui, sur un ton ironique et amer, se décrivaient comme « pas du tout cultivée » ou « pas très intelligente » selon deux expressions récurrentes.</p>
<p>Valoriser ces femmes pour leurs qualités manuelles et relationnelles a pour revers une dépréciation de leurs capacités intellectuelles par leurs employeur·e·s, dont certaines parviennent à se convaincre.</p>
<p>Et dans les cas où, au contraire, elles affirment devant moi être « intelligentes », elles jouent le jeu, devant leurs employeur·e·s, de la domination sociale et raciale : « Ma patronne pense que je ne sais pas lire… bah oui, une Sénégalaise tout droit venue du bled, ça ne sait pas lire ! » me dit un jour en rigolant Djenaba, une femme noire âgée de 29 ans, qui travaille comme cuisinière à temps plein chez une famille sur la Côte d’Azur. Il ne s’agit donc pas dans cet article de développer une vision misérabiliste des employées domestiques, très au courant des clichés raciaux de leurs employeur·e·s.</p>
<p>Seulement, il y a là le fait dramatique que beaucoup de ces femmes, mues par la nécessité économique de trouver un travail, se voient obligées de jouer le jeu de la domination en incarnant ces clichés. Au fond, de tels mécanismes d’incorporation de la domination, même lorsqu’elle est consciente et non consentie, est un exemple parmi d’autres de la prégnance d’imaginaires et de pratiques postcoloniales qui dynamisent les marchés du travail contemporains.</p>
<p>De la même manière qu’on demandait aux peuples déplacés des colonies françaises de mettre en scène leurs soi-disant « cultures » <a href="https://www.cairn.info/zoos-humains--9782707144010-page-63.htm">dans les zoos humains en France métropolitaine</a>, un ensemble de travailleuses et de travailleurs subalternes se voient aujourd’hui contraint·e·s de jouer le jeu de leur propre domination pour espérer obtenir un emploi et survivre. Force est de déplorer que celles et ceux qui félicitent leurs employées domestiques marocaines pour leur couscous sont directement responsables de l’infériorisation de celles qui ne resteront à leurs yeux que des Arabes, des immigrées.</p>
<hr>
<p><em>*Les prénoms des personnes citées ici ont été changés pour respecter leur anonymat. Les traductions de l’anglais sont celles de l’autrice</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150191/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alizée Delpierre a reçu des financements de Sciences Po Paris.</span></em></p>Encore aujourd’hui en France, de nombreuses employées de maison sont assignées à des tâches en fonction de soi-disant critères ethnoraciaux déterminant leurs qualités et défauts.Alizée Delpierre, Post-doctorante, chercheuse au CSO, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1456342020-09-20T17:07:03Z2020-09-20T17:07:03ZLes ressorts de la rhétorique de Viktor Orbán<p>Mais qui est vraiment Viktor Orbán ? Un tyran populiste, issu d’un vote majoritaire, qui enchaîne son troisième mandat depuis 2010 ? Un démocrate franc-tireur qui défie le continent entier en multipliant les entorses aux valeurs européennes ? Un modèle de l’euroscepticisme prêt à faire triompher une Europe pro-Poutine et anti-migrants ? Le champion de la « démocratie illibérale » ?</p>
<p>Nous n’avons pas ici l’ambition de retracer l’itinéraire intellectuel de Viktor Orbán, personnage protéiforme et secret. Appuyons-nous sur la masse considérable de documents publiés notamment sur le site web du gouvernement hongrois, et intéressons-nous au « verbe charismatique » <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/elections-en-hongrie-orban-un-chef-charismatique-et-ideologique_1506186.html">souvent évoqué</a> de l’homme fort de Budapest.</p>
<h2>Un tyran populiste ? Un démocrate franc-tireur ?</h2>
<p>Solidement implanté à son poste (il est premier ministre depuis 2010, après avoir déjà exercé la même fonction de 1998 à 2002), Orbán apparaît comme un bulldozer politique. D’aucuns le comparent au défunt président vénézuélien Hugo Chávez pour son antilibéralisme, à Vladimir Poutine pour son autoritarisme, ou encore à feu le dirigeant communiste roumain Nicolae Ceaușescu pour le culte de la personnalité. Examinons les photos prises lors des congrès successifs du Fidesz, son parti : Orbán y reste toujours le point de référence absolu, les autres « ténors », s’ils ne disparaissent pas, font figure d’accessoires, à commencer par les emblématiques László Kövér, président de l’Assemblée nationale, et János Áder, le chef de l’État.</p>
<p>Bien des observateurs estiment qu’au travers de son « Système de Coopération Nationale » (Nemzeti Együttműködés Rendszere – peu ou prou le terme adopté par la droite pour parler d’elle-même), cet ancien libéral, ayant reconfiguré le Fidesz en parti national-conservateur, a fait renaître le consensus de l’époque de János Kádár, premier secrétaire du Parti socialiste ouvrier hongrois entre 1956 à 1988 : le Parti omniprésent, avec en filigrane un Parlement factice, y garantissait un relatif bien-être à la société. En échange, l’« Homo kadaricus » des années fastes du <a href="https://www.lsp-mas.be/goulash-communisme/">« socialisme du goulasch »</a>, acceptait d’être écarté de la sphère politique, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2012/02/TAMAS/47418">« au prix de l’hypocrisie, de la censure, de l’absence de choix offerts au consommateur, et du conformisme »</a>.</p>
<h2>National, civique, chrétien</h2>
<p>La parole d’autorité du Fidesz, martelée de manière puissante et incantatoire, s’inscrit dans l’air du temps : appropriation et sacralisation des termes <em>nemzeti</em> (« national »), <em>polgári</em> (« civique »), <em>keresztény</em> (« chrétien »), et, dans le contexte d’une rhétorique gouvernementale anti-immigration, recours excessif à <em>a magyar emberek</em> (« les gens hongrois ») à la place de l’expression stylistiquement neutre <em>a magyarok</em> (« les Hongrois »).</p>
<p>Dans la foulée, de nombreuses tournures sont créées : <em>luxusbaloldal</em> (« gauche de luxe »), <em>pénzsóvár multicég</em> (« multinationale cupide »), <em>romkocsmák félhomályában merengő állástalan diplomás</em> (« diplômé sans emploi méditant dans la pénombre des bars-ruines », c’est-à-dire dans les repaires de la jeunesse underground et « occidentalisée »). Dans un affrontement qui oppose « nationaux » et « anti-nationaux », le mot « libéral », juron quasi synonyme de « communiste », a pour seule fonction aujourd’hui de diaboliser l’adversaire.</p>
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<p>Posé et jovial, Orbán contrôle parfaitement son débit ; sa diction détache les mots, parfois de manière inattendue, comme dans une dictée scolaire. Dans ses interventions truffées de références hétéroclites (s’y mêlent données littéraires, historiques et folkloriques), il s’attache à exalter le pays profond plutôt que les valeurs de l’élite urbaine. Afin d’emporter l’adhésion de ses audiences, le premier ministre cherche à sublimer la langue, ses principaux alliés étant l’humour populaire et le storytelling croustillant, mis au service de sa figure de « dirigeant à qui tout a réussi ».</p>
<h2>Un ego sensible et instruit</h2>
<p>Orbán est un perpétuel donneur de leçons de sagesse, se plaçant volontiers au-dessus des affaires courantes, mettant en avant un ego sensible et instruit. Cet exercice oscille entre la démonstration de son érudition et le partage d’un stock d’expériences ordinaires que lui, à la fois être simple et Hongrois de souche, détient sur toutes choses ; en inaugurant l’usine Lego à Nyíregyháza, la <a href="https://mandiner.hu/cikk/20140325_orban_minden_termelo_beruhazas_kedves">première chose qui lui vient à l’esprit</a> est de rappeler que la nuit, lorsqu’il va voir ses enfants et marche par accident sur les briques plastiques oubliées par terre, ça fait mal, ça pique… « Les gens et les communautés qui pensent qu’ils vivent au bord de quelque chose échouent. On ne réussit que quand on est convaincu que là où l’on vit est le centre du monde », <a href="http://www.miniszterelnok.hu/orban-viktor-beszede-a-magyar-oktatasi-es-muvelodesi-kozpont-kollegium-epuletenek-atadojan/">assène-t-il</a>, ou <a href="http://www.miniszterelnok.hu/orban-viktor-beszede-a-temesvar-30-cimu-rendezvenysorozat-galaestjen/">encore</a> « Le monde connaît deux maux ; le premier : nous ne croyons pas ce qui est possible ; et le deuxième : nous croyons ce qui est impossible. »</p>
<p>Faisant l’éloge de la culture japonaise lors d’une conférence de presse aux côtés du premier ministre Shinzō Abe, il <a href="https://www.kormany.hu/hu/a-miniszterelnok/beszedek-publikaciok-interjuk/orban-viktor-sajtonyilatkozata-abe-sindzoval-japan-miniszterelnokevel-folytatott-targyalasat-kovetoen">affirme</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Aux yeux d’un Hongrois, tout ce qui est unique est particulièrement précieux. »</p>
</blockquote>
<p>De telles déclarations, triviales dans la communication médiatique, résonnent étrangement à l’heure d’une « dé-libéralisation » visant à redessiner le paysage éducatif et artistique.</p>
<h2>Paraboles ludiques</h2>
<p>Dans les discours d’Orbán, regorgeant d’affirmations qui ne souffrent aucune contestation, nombreuses sont les paraboles ludiques ; certaines se passent au Far-West (l’histoire d’un indien Dakota stupide qui tente de monter un cheval mort), d’autres en Transylvanie (un vieux Sicule rusé à qui on demande où mène la route et qui répond : nulle part, c’est nous qui avançons dessus).</p>
<p>Il fait appel à un amalgame de formules faciles à mémoriser : <em>a haza nem lehet ellenzékben</em> (« la patrie n’est jamais dans l’opposition ») ; <em>a magyar ügy nyert ügy</em> (« l’affaire hongroise est une affaire gagnée ») ; <em>három szoba, három gyerek, négy kerék</em> (« trois chambres, trois enfants, quatre roues ») ; <em>Magyarország egy olyan ország, ahol…_aki többet dolgozik, többet is visz haza</em> (« La Hongrie est un pays où… celui qui travaille plus, ramène davantage chez lui »), etc.</p>
<h2>Stéréotypes assourdissants</h2>
<p>L’image laborieusement bâtie du rassembleur sage (qui intervient sur tous les fronts et qui sait tout sur les Hongrois et sur le monde) et de l’homme politique spirituel (qui fait preuve de tant finesse dans sa façon de manier les idées tout en divertissant son public) semble constituer une arme politique efficace.</p>
<p>Toutefois, <a href="http://nol.hu/belfold/a-fidesz-menthetetlen-1610309">d’après l’écrivain Lajos Parti Nagy</a>, la culture du Fidesz, parti au pouvoir depuis 2010, est celle de la discipline et de la soumission, et la propagande gouvernementale n’est qu’un flot continu de paroles souvent mensongères, stéréotypées et assourdissantes. <a href="https://hvg.hu/360/20291126_Stefano_Bottoni_az_Orb%C3%A1nrendszerrol_A_lopas_is_egy_ideologia">Pour l’historien Stefano Bottoni</a>, le Fidesz ressemble à un camp de rééducation, et Orbán apparaît comme un « influenceur » à échelle régionale.</p>
<p>Aujourd’hui, le seul homme politique à être en mesure d’affronter Orbán s’appelle <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/gergely-karacsony-l-homme-qui-a-battu-viktor-orban_2104094.html">Gergely Karácsony</a>, le nouveau maire de Budapest depuis octobre 2019. Pour l’heure, ce tombeur isolé du Fidesz à la tête d’une étrange et fragile coalition de circonstance (écologistes, socialistes, libéraux, souverainistes) animée d’un anti-orbánisme partagé, se contente d’afficher sa ville comme un bastion progressiste, resserrant les rangs avec ses homologues de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/19/le-maire-liberal-de-varsovie-nouveau-candidat-de-l-opposition-a-la-presidentielle-polonaise_6040174_3210.html">Varsovie</a>, <a href="https://www.politico.eu/article/milos-zeman-czech-president-lashes-out-at-prague-mayor-under-police-protection/">Prague</a> et <a href="https://balkaninsight.com/2019/06/06/generation-rebellion-slovakias-political-hipsters-target-change/">Bratislava</a>, tous trois hostiles à leurs pouvoirs nationaux respectifs.</p>
<p>Tout type de message peut générer des anti-messages. Or, l’opposition a du mal à se faire entendre. Le débat tend à se déporter sur les réseaux sociaux ; les rubriques « courrier des lecteurs » libèrent la parole et deviennent des chambres de résonance pour des jeux de mots irrespectueux à l’égard du pouvoir : <em>Ocsmány Vigyor</em> (« rictus dégoûtant », détournement de Orbán Viktor) ; <em>FideSS</em> (allusion à la Waffen-SS) ou la réécriture d’un célèbre vers de Kölcsey, poète du XIX<sup>e</sup> siècle : <em>Lopni, csalni, hazudni és a Fidesz fényre derül !</em> (« Volons, trichons, mentons et le Fidesz s’illuminera ») à la place de l’original <em>Hass, alkoss, gyarapíts : s a haza fényre derűl !</em> (« Influence, crée, enrichis : et la patrie s’illuminera ! »).</p>
<p>Il est rare qu’un magicien révèle à son public comment le lapin sort du chapeau. En 2014, lorsqu’il <a href="https://www.kormany.hu/hu/a-miniszterelnok/hirek/a-munkaalapu-allam-korszaka-kovetkezik">annonce</a> qu’il a décidé de construire un État « illibéral », Viktor Orbán omet de détailler son plan en se limitant à souligner :</p>
<blockquote>
<p>« L’essentiel de l’avenir est que tout peut arriver. Et ce « tout » est difficile à définir. »</p>
</blockquote>
<h2>La citadelle assiégée</h2>
<p>Orbán est arrivé au pouvoir avec la promesse de défendre les intérêts de « tous les Hongrois », à savoir les 10 millions qui vivent dans les frontières actuelles, mais aussi ceux de la diaspora en Roumanie, en Slovaquie, en Serbie et en Ukraine. Il sait comment s’adresser à ses compatriotes toujours complexés et traumatisés par le Traité de Trianon qui a consacré le démembrement de la Hongrie en 1920.</p>
<p>Le 15 mars 2018, à l’occasion du 170e anniversaire de la guerre d’indépendance hongroise de 1848-1849, il <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JotmlmuLqR0">trace un parallèle entre le Traité et la crise migratoire en Europe</a>, en filant comme si souvent la métaphore de la citadelle assiégée :</p>
<blockquote>
<p>« Le combat le plus acharné est encore devant nous. La situation telle qu’elle se présente… est que l’on veut nous prendre notre pays. Pas d’un trait de plume, comme il y a cent ans à Trianon… »</p>
</blockquote>
<p>Le thème de l’Europe est investi de manière anxiogène. Le 20 août dernier, à l’occasion de la fête nationale célébrant Saint Étienne, premier roi de Hongrie, Orbán inaugure en face du Parlement de Budapest le « Monument de la cohésion nationale », ayant vocation à commémorer le centenaire du traité du Trianon et des territoires perdus. Dans un discours aux allures messianiques, il <a href="https://www.kormany.hu/hu/a-miniszterelnok/beszedek-publikaciok-interjuk/orban-viktor-beszede-az-osszetartozas-emlekhely-avatasan-20-08-20">assure</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Alors que nous, Hongrois, célébrons notre unité nationale, le navire de l’Europe vient d’échouer. […] Nous sommes tourmentés par les doutes les plus profonds. Pas à cause de notre pays, mais à cause de l’avenir de la civilisation européenne. […] L’Europe occidentale a renoncé aux profondeurs spirituelles de la vie […] et à l’énergie spirituelle des cultures nationales. »</p>
</blockquote>
<p>La défense de l’identité hongroise est un cheval de bataille du gouvernement. « Si plus de mille ans après notre arrivée sur les bords du Danube et de la Tisza, nous sommes toujours là, c’est que notre existence a un sens », martèle-t-il.</p>
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<p>L’opinion publique se montre réceptive au rappel répété du sentiment d’isolement linguistique des Hongrois et de leur peur de disparaître en tant que nation. « Un cauchemar nous hante : le bon Dieu apparaît en Hongrie et nous demande : que faites-vous sur Terre ? Et cette question nous surprend tellement qu’on est incapable d’y répondre, du coup il nous raye du livre des nations », <a href="http://www.miniszterelnok.hu/orban-viktor-beszede-a-budapest-kincsei-cimu-idoszaki-kiallitas-megnyitasakor/">dit-il</a> lors de l’ouverture de l’exposition « Trésors de Budapest ».</p>
<p>En janvier 2019, au XIIe Congrès de l’Union des intellectuels chrétiens (KÉSZ), Orbán <a href="https://www.magyarhirlap.hu/belfold/20190914-orban-mutassuk-meg-a-vilagnak-milyen-a-kereszteny-szabadsagra-epitett-elet">s’inscrit dans une perception de l’histoire récente</a> selon laquelle la Hongrie a connu un premier changement de régime « libéral » en 1990, pour mettre fin à l’univers soviétique et à l’occupation, et un deuxième changement de régime « national et chrétien » en 2010, qui a permis de répondre à la question de savoir comment se servir de cette liberté :</p>
<blockquote>
<p>« La mission des Hongrois est de montrer au monde à quoi ressemble la vie construite sur les idéaux de la liberté chrétienne. »</p>
</blockquote>
<p>Politique, business et sport font bon ménage en Hongrie. S’inspirant de l’exemple du « Major galopant », <a href="http://www.slate.fr/story/97169/football-troisieme-mort-m">icône du football hongrois des années 1950</a>, Orbán <a href="http://www.miniszterelnok.hu/orban-viktor-beszede-a-puskas-akademia-sport-es-konferenciakozpont-atadounnepsegen/">déclare</a> lors de l’inauguration du Centre de sport et de congrès qui porte le nom de Ferenc Puskás :</p>
<p>« C’est celui qui a une vision qui gagne le combat pour l’avenir… il n’est pas permis de tituber, glisser, trébucher, comme le font certains dirigeants de l’Europe. »</p>
<h2>La théâtralisation et la magie du mot</h2>
<p>La tentation est grande de conclure que le secret d’Orbán réside en grande partie dans son style immédiatement reconnaissable. Une rhétorique qui éblouit tantôt par ses tonalités guerrières et enthousiasmantes (cf. ses formules <em>Egy a tábor, egy a zászló</em> (« Un seul camp, un seul drapeau ») ; <em>Hajrá, Magyarország, hajrá, magyarok !</em> (« Vive la Hongrie, vivent les Hongrois »), tantôt par ses raccourcis expressifs, autant de preuves que l’orateur parle « vrai », puisant dans des sources résolument « authentiques » de l’imaginaire populaire.</p>
<p>La question demeure : l’insistance virtuose de Viktor Orbán à procéder constamment par la théâtralisation et la magie du mot n’est-elle pas court-circuitée par un acharnement à vouloir épater ses adeptes ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145634/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Szende ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Premier ministre de la Hongrie depuis dix ans, le très controversé Viktor Orbán puise, au moins partiellement, sa popularité auprès de ses concitoyens dans un discours savamment réfléchi.Thomas Szende, professeur des universités, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1369782020-04-28T19:34:45Z2020-04-28T19:34:45ZLes radicalisations au temps du Covid-19<p>Si la vague d’actions djihadistes survenues au cours des dernières années et la crise mondiale provoquée par le Covid-19 relèvent de deux types de menaces fondamentalement différentes, l’une sanitaire, l’autre sécuritaire, force est de constater des similarités dans les réactions sociétales et politiques qu’elles ont cristallisées.</p>
<h2>Sidération et repli national</h2>
<p>L’élément le plus directement perceptible a été l’effet de sidération généré par ces deux phénomènes, qui présentent comme dénominateur commun d’être insaisissables, invisibles et bien évidemment mortifères. L’anxiété engendrée par l’usage d’une médecine de guerre dans des établissements hospitaliers saturés et la mobilisation massive des forces de sécurité à travers l’<a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/operations/operation-resilience">Opération Résilience</a> rapproche encore un peu plus les deux phénomènes dans l’imaginaire des citoyens. Le parallèle est également conforté par la réaction présidentielle. À l’instar de François Hollande qui avait lancé sa « guerre contre le terrorisme » après la vague d’attentats de 2015, Emmanuel Macron n’a pas hésité à parler de « guerre » contre le coronavirus. Usant du terme à six reprises lors de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html">son allocution du 16 mars</a>, le chef de l’exécutif a, tout comme son prédécesseur, sonné la mobilisation patriotique et enjoint les Français à faire bloc contre l’ennemi.</p>
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<p>Comme les violences terroristes, la pandémie que nous traversons n’a pas manqué de réveiller les instincts les plus primaires de l’être humain. Si les actions de l’État islamique avaient contribué à renforcer la stigmatisation des populations de confession musulmane un peu partout sur la planète, le coronavirus a jeté l’opprobre sur des diasporas chinoises présentées comme les propagatrices exclusives de cette calamité. Nombre d’<a href="https://www.businessinsider.fr/us/wuhan-coronavirus-racism-asians-experience-fears-outbreak-2020-1">agressions anti-chinoises</a> ont été recensées en différentes zones du monde. Le président Trump n’a pas hésité à qualifier le Covid-19 de <a href="https://cn.nytimes.com/usa/20200319/china-virus/en-us/">virus chinois</a>. Péril islamiste et péril chinois ont d’une certaine manière réactivé les vieilles peurs de l’Orient profondément enfouies dans l’inconscient occidental, phobies réactualisées et popularisées de manière savante à travers la théorie hungtingtonienne du <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=76SowH_eByEC&oi=fnd&pg=PA9&dq=%C2%AB+Choc+des+civilisations+%C2%BB&ots=B8KK7ll4nq&sig=iZsDCNvxiXVLW4yoVNTU4Wkf-Lk&redir_esc=y#v=onepage&q=%C2%AB%20Choc%20des%20civilisations%20%C2%BB&f=false">« choc des civilisations »</a> qui faisait des espaces civilisationnels musulmans et chinois la source des futurs conflits internationaux.</p>
<p>Plus inquiétant, ces réflexes grégaires ont trouvé à se manifester dans les relations inter-étatiques, révélant un peu plus l’ampleur de la <a href="http://www.afri-ct.org/article/l-europe-face-a-la-crise-du/">crise du multilatéralisme</a> qui secoue les nations occidentales. Confrontés à une pénurie généralisée de matériel médical, certains pays n’ont pas hésité à se « confisquer » les précieux équipements. Les autorités tchèques auraient ainsi intercepté près de 680 000 masques envoyés par la Croix-Rouge chinoise aux professionnels italiens tandis que la France a, suite à un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041679951&categorieLien=id">décret</a>, réquisitionné des cargaisons de masques à destination de ses voisins italiens et espagnols. Les Français ont également vu leur échapper une <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/04/01/une-commande-francaise-de-masques-detournee-vers-les-etats-unis-sur-un-tarmac-chinois_1783805">commande de matériel médical achetée par des Américains sur le tarmac d’un aéroport chinois</a>. Nul doute que cette philosophie du « chacun pour soi et le Covid-19 pour tous » laissera des marques dans une Europe aux principes de solidarité déjà bien moribonds.</p>
<h2>Conspirationnisme et engagement radical</h2>
<p>Sur ce terreau de la peur prospèrent les théories conspirationnistes et les rumeurs les plus improbables. De même que l’État islamique avait été assimilé à un artefact occidental (CIA, Mossad…), certaines théories circulant sur les réseaux sociaux ont interprété l’émergence du Covid-19 comme <a href="https://theconversation.com/le-secret-autour-des-armes-biologiques-amplificateur-de-tous-les-fantasmes-132339">l’émanation d’un projet de guerre biologique ou bactériologique</a> entre Américains et Chinois pour la future domination de l’économie mondiale. 23 % des « gilets jaunes » pensaient que l’attentat perpétré sur le marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018 était une manipulation gouvernementale destinée à affaiblir leur mouvement social tandis que trois Américains sur dix considèrent que le coronavirus a été <a href="https://theconversation.com/les-precheurs-au-temps-de-la-covid-19-complots-combat-spirituel-et-remedes-miracles-135482">fabriqué par des scientifiques chinois afin d’affaisser leur système économique</a>. </p>
<p>Notons toutefois que les registres argumentatifs du complotisme diffèrent selon les territoires idéologiques. Les mouvances d’ultra-droite voient dans cette crise sanitaire une conspiration fomentée par les élites du « nouvel ordre mondial », le <a href="https://www.conspiracywatch.info/zog">Zionist Occupation Governement (gouvernement d’occupation sioniste)</a> ou les conséquences indirectes d’une immigration chinoise trop massive.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242140851909918720"}"></div></p>
<p>Aux États-Unis, certains groupuscules suprématistes ont diffusé des messages de haine dans plusieurs quartiers chinois et appelé à <a href="https://thesoufancenter.org/intelbrief-white-supremacists-and-the-weaponization-of-the-coronavirus-covid-19/">se servir du Covid-19 comme d’une arme biologique contre leurs ennemis (minorités ethniques, FBI)</a>. Le même procédé a été relayé outre-Manche où le British National Socialist Movement a conseillé à ses militants infectés par le Covid-19 d’aller <a href="https://capx.co/how-the-far-right-is-exploiting-coronavirus-to-peddle-race-hate/">visiter les synagogues et les mosquées de leur lieu de résidence</a>.</p>
<p>Comme le démontrent de nombreuses études, les moments de crise ont des impacts cognitifs sur les populations. Ces dernières tendent à devenir <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/2018-09-13/financial-crisis-still-empowering-far-right-populists">plus perméables aux idées populistes et nationalistes</a>. Les mouvements proches de ces idéologies souhaitent donc capitaliser au maximum sur cette période d’incertitude afin d’attirer et éventuellement <a href="https://www.splcenter.org/hatewatch/2020/03/26/white-supremacists-see-coronavirus-opportunity">recruter de nouveaux membres</a>.</p>
<p>À l’opposé du spectre, les groupes d’ultra-gauche ne sont pas moins dynamiques. Le 1<sup>er</sup> avril 2020, cinq véhicules des services pénitentiaires d’Amiens ont été incendiés et un départ de feu d’un bâtiment a été constaté. Les activistes ont laissé un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/18/sous-le-feu-du-covid-19-la-soif-d-en-decoudre-de-l-ultra-gauche_6037035_3224.html">slogan anarchiste sur un mur</a>. Au Havre, ville du premier ministre Édouard Philippe, un acte de sabotage a endommagé pas moins de 1,5 kilomètre de fibre optique. En Allemagne, l’institut Heinrich Hertz de Berlin a été <a href="https://ruptly.tv/en/videos/20200415-009">incendié par un groupe d’ultra gauche nommé Vulkan Gruppe</a>. L’institut</p>
<p>aurait été visé en raison de son <a href="https://francais.rt.com/international/74125-allemagne-incendie-visant-institut-travaillant-tracage-groupe-extreme-gauche-suspecte">projet de création d’une application destinée à tracer les porteurs du Covid-19</a>. Plusieurs pays étrangers (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas..) recensent le sabotage de dizaines d’antennes 5G faussement accusés de favoriser la propagation du virus.</p>
<p>Si les activistes d’ultra-droite ciblent principalement des symboles de la technocratie et les minorités ethniques, les nébuleuses d’ultra-gauche se mobilisent plus spécifiquement contre ce qu’elles considèrent comme une montée en puissance d’un État « Big Brother » désireux d’imposer de nouvelles contraintes néo-libérales ou de déployer des dispositifs liberticides afin de mieux contrôler la population.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251787331075522560"}"></div></p>
<p>Au-delà des orientations idéologiques, les effets sociétaux du Covid-19 semblent générer un terreau favorable pour des passages à l’action violente. Il n’est pas inutile de rappeler ici que les <a href="https://www.ncjrs.gov/pdffiles1/nij/grants/201462.pdf">paradigmes théoriques les plus cités sur les processus de radicalisation</a> postulent que le point de départ se situe toujours dans un événement déstabilisant ou inattendu (accident, décès, crises diverses…). Ce moment de crise va générer une ouverture cognitive chez l’individu qui va alors développer une plus grande réceptivité à de nouvelles idées et visions du monde afin de tenter de trouver des réponses à ses questionnements. </p>
<p>Les réponses radicales ou « clés en main » apparaissent alors comme des options particulièrement attractives dans le sens où elles fournissent aux individus un cadre analytique souvent simplifié de la réalité. L’identification d’une cible rendue responsable de tous les malaises de la société (Juifs, musulmans, Chinois, élites capitalistes, forces de l’ordre…) fournit un espace de sens et un réconfort psychologique à l’individu. L’effervescence sociale suscitée par la pandémie est donc susceptible d’être capitalisée par certains groupuscules afin de polariser les sociétés. Polarisation qui peut orienter les sociétés vers une réflexion plus profonde sur les futurs défis civilisationnels qui nous attendent ou alimenter des instincts de repli identitaire ou de satisfaction de pulsions de violence..</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136978/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elyamine Settoul ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Par le bouleversement qu’elle représente et l’inquiétude qu’elle génère, l’épidémie actuelle est de nature à favoriser le passage à l’action violente.Elyamine Settoul, Maitre de conférences en science politique, Equipe Sécurité Défense, CNAM Paris, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1365302020-04-20T17:27:58Z2020-04-20T17:27:58ZDonald Trump : les maux et les mots du virus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/329070/original/file-20200420-152614-3bp98x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C1017%2C680&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Donald Trump lors d'un point presse avec les membres du groupe de travail de la Maison Blanche sur le coronavirus le 18 avril 2020 à Washington, DC.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Sarah Silbiger/AFP</span></span></figcaption></figure><p>De nombreuses semaines durant, le président Trump <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/quand-trump-pensait-que-le-coronavirus-disparaitrait-comme-par-miracle-dici-au-mois-davril_fr_5e85d7f8c5b692780508433b">a minimisé</a> les conséquences probables du coronavirus, le présentant comme une nuisance mineure, alors même qu’Alex Azar, le secrétaire à la Santé et aux services sociaux, <a href="https://www.hhs.gov/about/leadership/secretary/speeches/2020-speeches/secretary-azar-delivers-remarks-on-declaration-of-public-health-emergency-2019-novel-coronavirus.html">déclarait une urgence de santé publique et des restrictions de voyage</a> à destination et en provenance de la Chine le 31 janvier.</p>
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<p>Il semble que le président ait rejeté la menace du coronavirus de crainte que de mauvaises nouvelles affectent les marchés et compromettent ses chances de réélection. Mais alors que Wall Street accélérait sa chute, il s’est finalement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dtTVI5lahSk">adressé à la nation depuis le Bureau ovale</a> le 11 mars pour annoncer la fermeture arbitraire des frontières avec une partie de l’Europe comme moyen de protéger les Américains du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/coronavirus-pour-trump-un-virus-tres-politique-12-03-2020-2366931_24.php">« virus étranger »</a>.</p>
<h2>La politique du « virus chinois »</h2>
<p>L’utilisation du qualificatif « étranger » n’est pas une simple bourde. Selon le site web de base de données <a href="https://factba.se/">Factbase</a>, le président a utilisé l’expression « virus chinois » plus de <a href="https://factba.se/search">20 fois</a> entre le 16 et le 30 mars et la <a href="https://www.nouvelles-du-monde.com/la-photo-montre-corona-barre-et-remplace-par-chinois-dans-les-notes-dinformation-de-trump/">photo du mot « Corona » rayé</a> dans son discours et remplacé à la main par l’adjectif « chinois » montre bien le caractère délibéré de la formule.</p>
<p>Le secrétaire d’État Mike Pompeo <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pompeo-qualifie-la-chine-de-principale-menace-de-notre-epoque-20200130">a accusé la Chine</a> de mettre le monde en danger en raison de son manque de transparence, allant même jusqu’à empêcher une déclaration commune du G7 après que ses membres aient <a href="https://francais.cgtn.com/n/BfJAA-cA-GIA/BcfbEA/index.html">refusé de qualifier le virus de « virus de Wuhan »</a>.</p>
<p>Les accusations de Mike Pompeo se sont révélées exactes : début février, des preuves solides de la <a href="https://foreignpolicy.com/2020/02/03/wuhan-coronavirus-coverup-lies-chinese-officials-xi-jinping/">dissimulation initiale</a> par la Chine et sa <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/02/china-doctor-death-highlights-human-rights-failings-in-coronavirus-outbreak/">répression des lanceurs d’alertes</a> étaient connues, et <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/covid-19-qui-osera-demander-des-comptes-au-regime-chinois-20200401">confirmées</a> ensuite. </p>
<p>Cependant, au cours de cette même période, le président Trump a fait à de nombreuses reprises l’<a href="https://www.nationalreview.com/news/much-respect-trump-praises-chinas-understanding-of-coronavirus-pledges-to-coordinate-u-s-response-with-xi/">éloge de la réaction de la Chine</a> face au coronavirus. En particulier, après ses conversations téléphoniques avec le dirigeant chinois Xi Jinping, pour lequel le président a déclaré avoir « un grand respect » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-north-carolina-opportunity-summit-february-7-2020">7 février</a> et <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-remarks-business-meeting-governors-february-10-2020">10 février</a>), et qui, selon lui, « fait du bon travail » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-gaggle-air-force-one-departure-february-18-2020">18 février</a>) et même « un travail professionnel » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-gaggle-marine-one-departure-february-7-2020">7 février</a>), « aime son pays » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-gaggle-marine-one-departure-february-23-2020">23 février</a>) et « est extrêmement compétent, travaille dur et professionnellement » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-interview-geraldo-rivera-february-13-2020">13 février</a>). Ceci alors même qu’il lui était demandé comment il pouvait légitimement croire le régime communiste chinois (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-conference-white-house-coronavirus-february-26-2020">26 février</a>).</p>
<p>Sa fascination de longue date pour les <a href="http://www.slate.fr/story/175413/president-donald-trump-amis-dictateurs">dirigeants autoritaires</a> et pour le <a href="https://journals.openedition.org/lisa/9861">pouvoir</a> a probablement joué un rôle dans sa vision favorable du leadership chinois. Mais l’une de ses préoccupations était surtout la préservation de l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine, d’où son insistance sur les bonnes relations avec la Chine, suivie de ses éloges sur l’accord (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-north-carolina-opportunity-summit-february-7-2020">7 février</a>, <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-remarks-business-meeting-governors-february-10-2020">10 février</a>, <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-interview-fox-10-phoenix-kari-lake-february-19-2020">19 février</a>). Selon une <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/11/us/politics/coronavirus-trump-response.html">enquête menée par le <em>New York Times</em></a>, Trump a résisté à la ligne dure « anti-chinoise », défendue par de nombreux faucons de son administration (dont le secrétaire d’État Pompeo). Ceci jusqu’à ce qu’il apprenne l’existence d’une <a href="https://www.france24.com/fr/20200313-pourquoi-p%C3%A9kin-c%C3%A8de-au-complotisme-pour-faire-porter-le-chapeau-du-covid-19-%C3%A0-washington">théorie du complot (selon laquelle le Covid-19 avait été importé par l’armée américaine)</a>, répandue par un fonctionnaire chinois, ce qui l’a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-iEhLe5G4RU">rendu furieux</a>.</p>
<p>C’est alors que le président a commencé à utiliser l’expression « virus chinois ». Face aux accusations de racisme, il a rejeté les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/09/coronavirus-aux-etats-unis-victimes-de-discrimination-les-asiatiques-contre-attaquent_6036105_3210.html">conséquences de ce terme sur les Américains d’origine asiatique</a>. « Ce n’est pas du tout raciste. Non, ce n’est pas du tout raciste », a-t-il déclaré le <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-conference-coronavirus-briefing-march-18-2020">18 mars</a>. « Ça vient de Chine. C’est pour ça. Ça vient de Chine. Je veux être précis ». Cette même ligne de défense a ensuite été reprise avec empressement par les <a href="https://www.mediamatters.org/coronavirus-covid-19/right-wing-media-double-down-racist-efforts-rebrand-coronavirus">médias conservateurs</a> et les élus républicains qui y ont vu une nouvelle bataille à livrer contre le « politiquement correct » dans la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/trump-et-la-guerre-des-cultures-3-avait-enterre-trop-vite-les">guerre culturelle</a> américaine.</p>
<h2>Ce que disent les mots</h2>
<p>Le président Trump n’a peut-être pas eu d’intentions racistes dans cette affaire. Mais l’intention importe moins que l’effet : au début du mois de mars, les actes racistes et le harcèlement anti-asiatique avaient déjà <a href="https://www.colorado.edu/asmagazine/2020/04/08/anti-asian-racism-and-covid-19">fait un bond</a> aux États-Unis, et ont <a href="https://www.nbcnews.com/news/asian-america/asian-americans-report-nearly-500-racist-acts-over-last-week-n1169821">continué à augmenter</a> depuis. Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D %C3 %A9partement_de_la_S %C3 %A9curit %C3 %A9_int %C3 %A9rieure_des_ %C3 %89tats-Unis">département de la Sécurité intérieure</a> a lui-même <a href="https://www.wbal.com/article/443101/110/homeland-security-warns-terrorists-may-exploit-covid-19-pandemic">lancé une alerte</a> selon laquelle les suprémacistes blancs pourraient appellent à commettre des actes terroristes contre des minorités, y compris des Américains d’origine asiatique. Or, si Donald Trump n’est pas directement responsable de ces actes, lui et d’autres élus républicains ont toutefois une responsabilité dans la façon dont ils parlent du virus. Les mots comptent : depuis 2015, l’OMS a une <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/163636/WHO_HSE_FOS_15.1_eng.pdf">ligne directrice stricte</a> concernant la dénomination des maladies, laquelle est suivie par les dirigeants mondiaux.</p>
<p>Les expressions « virus chinois » et « virus de Wuhan » personnifient la menace. La personnification est métaphorique : elle vise à aider à comprendre quelque chose d’inconnu et d’abstrait (c’est-à-dire le virus) en utilisant des termes familiers et incarnés (c’est-à-dire un lieu, une nationalité ou une personne). Mais comme l’ont montré depuis longtemps les linguistes cognitifs <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/M/bo3637992.html">George Lakoff et Mark Johnson</a>, les métaphores ne sont pas seulement des outils poétiques ; elles sont utilisées constamment et façonnent notre vision du monde. L’adjectif « chinois » pose problème car il associe l’infection à une ethnicité. Parler d’identités de groupe avec un langage explicitement médical est un processus bien étudié d’« altérisation » (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Other_(philosophy)">« Othering »</a> en anglais), historiquement employé dans la rhétorique et la politique <a href="https://theconversation.com/anti-asian-racism-during-coronavirus-how-the-language-of-disease-produces-hate-and-violence-134496">anti-immigrés, y compris envers les immigrés chinois en Amérique du Nord</a>. Ce type de langage alimente l’anxiété, le ressentiment, la peur et le dégoût envers les personnes associées à ce groupe.</p>
<h2>Maladies, corps et dégoût</h2>
<p>Les métaphores façonnent également notre vision du monde en mettant en évidence certains aspects d’un concept et en cachant d’autres (<a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/M/bo3637992.html">Lakoff et Johnson</a>). Par exemple, l’expression « virus étranger » implique que la nation est le corps confronté à un virus externe identifié comme étranger.</p>
<p>La métaphore de la nation en tant que corps est courante dans la langue anglaise, mais également <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1998-v54-n1-ltp2160/401133ar.pdf">française</a> : on la retrouve dans les expressions « la tête de l’État », le « bras armé de la loi », etc. C’est aussi une métaphore utilisée dans la rhétorique anti-immigrés aux États-Unis comme le professeur O’Brien l’a montré dans son livre, <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/9781315141633"><em>Contagion and the National Body</em></a>. Donald Trump lui-même a associé les immigrés à « la maladie qui arrive dans notre pays » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-iowa-gop-fundraiser-dinner-june-11-2019">11 juin 2019</a>), « la maladie transmissible » et « l’énorme problème médical qui arrive dans un pays » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-remarks-bill-signing-genocide-december-11-2018">11 décembre 2018</a>), y compris pendant la campagne des primaires de 2015.</p>
<p>Un tel langage associant les étrangers/immigrés aux maladies conduit à la conclusion naturelle que les frontières protégeront une population non contaminée, homogène et « pure » contre l’étranger sale et malveillant. On en oublie que les <a href="https://www.contrepoints.org/2020/04/09/368580-le-nationalisme-est-il-bon-pour-la-sante">restrictions de voyage ne peuvent à elles seules contenir une épidémie</a>, surtout quand celle-ci est <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pand %C3 %A9mie_de_Covid-19_aux_ %C3 %89tats-Unis">déjà présente</a>. Elles peuvent retarder sa propagation, à condition que les gouvernements préparent également une réponse de santé publique. Ce que l’administration Trump n’a pas fait pendant un mois entier, d’où la <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/apr/13/trump-coronavirus-meltdown-media-authority">colère du président lorsqu’il a été confronté à cet état de fait par la presse</a>.</p>
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<p>De même, si les États républicains ont rapidement soutenu la fermeture des frontières, ils ont été <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2020/04/06/red-and-blue-states-are-divided-over-social-distancing">réticents à imposer une distanciation sociale</a> à l’intérieur du pays. Et lorsque cette distanciation est mise en place dans les états démocrates, selon les propres <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2020/03/03.16.20_coronavirus-guidance_8.5x11_315PM.pdf">recommandations de la Maison Blanche</a>, le président <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/17/us/politics/trump-coronavirus-governors.html">encourage les manifestations</a> contre les gouverneurs démocrates, encourageant ses supporters à « libérer » leur État.</p>
<p>Associer le virus aux étrangers permet au président non seulement de jouer sur les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/ps-political-science-and-politics/article/explaining-the-trump-vote-the-effect-of-racist-resentment-and-antiimmigrant-sentiments/537A8ABA46783791BFF4E2E36B90C0BE/core-reader">préjugés cognitifs de ses partisans à l’égard des étrangers et des immigrés</a>, mais aussi sur <a href="https://www.huffpost.com/entry/trumping-fears-of-the-oth_b_7925932">leur peur de la contagion raciale, sociale, culturelle ou autre</a>. Des études universitaires (consultables <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550611429024">ici</a> et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1474704918764170">ici</a>) ont montré qu’il existait une corrélation entre les opinions anti-immigration, le conservatisme politique et la sensibilité au dégoût. Le spécialiste de la communication <a href="https://www.researchgate.net/publication/319342996_The_disgust_of_Donald_Trump">Michael Richardson a montré</a> que le dégoût a été l’un des principaux moteurs affectifs du succès de Trump. Le sujet du dégoût est tout à fait pertinent ici, sa fonction première étant précisément de <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/science-decalee-science-decalee-sert-degout-71525/">nous aider à éviter les maladies</a>. Il est lié à ce qui sort du corps, mais aussi à ce qui y entre. Le problème se pose lorsque <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2014-1-page-97.htm ?contenu=resume">cette réaction naturelle est dirigée contre des groupes ou des comportements innocents</a>.</p>
<p>Ainsi, attribuer le virus à une version clichée du régime alimentaire asiatique, comme <a href="https://www.nbcnews.com/news/asian-america/sen-cornyn-china-blame-coronavirus-because-people-eat-bats-n1163431">l’a fait un récemment un sénateur républicain</a>, trahit une ignorance délibérée. Dans ce même esprit, Trump, connu pour sa phobie des microbes, a longtemps <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/26/face-a-l-epidemie-de-rougeole-aux-etats-unis-donald-trump-change-sa-position-sur-les-vaccins_5455524_3210.html">flirté avec le mouvement anti-vaccin</a> parce qu’il n’aimait pas <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/09/health/trump-vaccines.html">« l’idée d’injecter de mauvaises choses dans son corps »</a>.</p>
<h2>La métaphore de la guerre</h2>
<p>Dès que la Chine s’est engagée à envoyer des fournitures médicales aux États-Unis, le président Trump a cessé d’utiliser l’expression « virus chinois », concentrant ses attaques sur l’OMS qu’il <a href="https://www.youtube.com/watch ?%20v=yE7Q1c8XoSE">accuse de s’être montrée trop conciliante à l’égard de la Chine</a>.</p>
<p>Le président, incapable d’excuses, a toutefois publié une <a href="https://www.lavoixdelest.ca/actualites/monde/coronavirus-trump-appelle-a-proteger-les-americains-dorigine-asiatique-3ec2a5c8071324940b1f52c143226c98">série de déclarations</a> demandant la protection de « notre communauté asiatique ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242202290393677829"}"></div></p>
<p>Depuis, il semble s’être contenté de l’expression « l’ennemi invisible », qu’il a utilisée <a href="https://factba.se/search">plus de 50 fois de mars à la mi-avril</a>. Une énième métaphore de la guerre par ses soins sur lesquelles beaucoup a été écrit (<a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/04/07/david-bell-guerre-coronavirus/">ici</a>, ici ou ici), y compris sur The Conversation (<a href="https://theconversation.com/coronavirus-if-we-are-in-a-war-against-covid-19-then-we-need-to-know-where-the-enemy-is-135274">ici</a>, <a href="https://theconversation.com/stop-calling-coronavirus-pandemic-a-war-135486">ici</a> et <a href="https://theconversation.com/war-metaphors-used-for-covid-19-are-compelling-but-also-dangerous-135406">ici</a>). Se distinguant des autres dirigeants ayant utilisé cette même analogie pour mobiliser leur pays, Donald Trump, a, lui, largement écarté l’aspect douloureux de la guerre en se concentrant directement sur la « grande victoire » qui, selon lui, « arrivera beaucoup plus tôt que prévu » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-conference-coronavirus-briefing-march-22-2020">22 mars</a>) et « se produira rapidement » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-conference-coronavirus-briefing-march-18-2020">18 mars</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o7owUO9hzx8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Une pandémie nécessite une coopération mondiale, et non des solutions nationales ou même locales (où les États se font concurrence pour les fournitures médicales dans une <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/mar/31/new-york-andrew-cuomo-coronavirus-ventilators">guerre d’enchères de type « eBay »</a> alimentée par le gouvernement fédéral). En se présentant comme un « président de guerre » (<a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-conference-coronavirus-briefing-march-22-2020">22 mars</a>) contre un ennemi volontaire « brillant » ou « très intelligent » (<a href="https://www.youtube.com/watch ?%20v=_J-ixpBt8g8">10 avril</a>), Donald Trump a externalisé les responsabilités et utilisé les <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/mar/19/trump-us-coronavirus-briefing-media">médias</a>, les <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2020/04/14/trump-who-coronavirus-response/">institutions internationales</a>, le <a href="https://www.youtube.com/watch ?%20v=yE7Q1c8XoSE">« politiquement correct »</a> et les <a href="https://www.usatoday.com/story/news/politics/2020/04/02/coronavirus-trump-hits-governors-says-andrew-cuomo-working-hard/5108421002/">gouverneurs</a> comme boucs émissaires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=530&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=530&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=530&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=666&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=666&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329148/original/file-20200420-152567-1d0f4r6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=666&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Cela lui permet de changer le récit et détourner sa responsabilité. Tout en se présentant comme le Sauveur-en-chef qui a permis à <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-press-conference-coronavirus-briefing-april-13-2020">« des dizaines de milliers de vies »</a> d’être épargnés de « l’ennemi étranger ». Un scénario digne d’une émission télé-réalité dont il a présenté le <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=LUXsgVA8lN8">premier épisode à la presse</a> sans la moindre subtilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136530/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’analyse des expressions employées par Donald Trump pour désigner le Covid-19 éclaire sur ses calculs politiques et sur l’évolution de son rapport à la Chine au cours de ces dernières semaines.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresDana Lindaman, Associate Professor of French Studies, University of Minnesota DuluthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1338092020-03-30T19:04:08Z2020-03-30T19:04:08ZÀ la Réunion, la pandémie aggrave les inégalités sociales<p>L’île de la Réunion subit de plein fouet la pandémie avec [207 cas de Covid-19 déclarés au 30 mars]. La mise en place du confinement a été déclarée dès le stade 1 de l’épidémie avec seulement 12 cas déclarés et pas de circulation du virus sur le territoire. Cette mesure de confinement perçue comme salutaire intervient sur un territoire rompu à cette pratique mais l’application de l’ensemble des mesures valables pour l’Hexagone peuvent paraître inéquitables sur ce territoire insulaire qui connaît de graves inégalités socio-économiques.</p>
<h2>La culture du confinement à La Réunion</h2>
<p>Cette épidémie vient s’ajouter à de nombreux autres risques pérennes – cyclone tropical intense, épidémies de dengue récurrente. L’île de la Réunion n’est pourtant pas novice en termes de gestion du risque et du confinement. En effet la <a href="https://lacy.univ-reunion.fr/activites/programmes-de-recherche/renovrisk">culture du risque cyclonique</a> profite <a href="http://www.meteofrance.fr/publications/nos-collections/climat-outre-mer/les-cyclones-a-la-reunion">à cette culture du risque</a>) épidémique.</p>
<p>Le risque cyclonique impose ainsi un rituel annuel de vérification des stocks d’eau potable, de bougie, de gaz, de piles, de conserves, de riz, de pâtes…</p>
<p>« Vider » les rayons de leurs marchandises montre que tous se préparent activement au confinement, pratique familière à La Réunion. Ces actes ne traduisent pas uniquement du « chacun pour soi ». La constitution de stocks n’est pas que comportements « faméliques, inciviques et individualistes » (comme indiqué ou entendu dans la presse) mais aussi protecteurs des besoins alimentaires de la famille élargie en vue d’un confinement total.</p>
<p>Chaque année, les mêmes mesures de précaution sont répétées : se tenir informé·e du bulletin météorologique et des instructions préfectorales, faire des réserves et se préparer à la pénurie des denrées alimentaires, aux coupures d’eau d’électricité, aux inondations… Il existe trois niveaux d’alerte cyclonique qui confinent, après une phase de préparation (pré-alerte), le public scolaire (alerte orange) puis toute la population (alerte rouge).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323290/original/file-20200326-132974-14halfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Plaquette d’information sur les risques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de la Santé</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Chacun·e cultive ses propres façons de le gérer et dispose de stratégies pour contourner les ruées périodiques (généralement en fin d’année) sur les marchandises de première nécessité. Certains vont mobiliser le réseau de connaissances pour faire le plein de légumes avant la hausse des prix de ces denrées (hausse qui intervient systématiquement après le passage de tout cyclone), d’autres s’en vont chez les grossistes pour éviter la cohue dans les supermarchés. Il est aussi répandu chez les habitants de maison individuelle de disposer de citernes en cas de coupures du réseau d’eau, ce qui épargne d’avoir à faire la tournée des supermarchés pour trouver des bouteilles d’eau (première denrée prise d’assaut sur les étalages).</p>
<p>Fort·e·s de ces expériences, les populations acceptent d’autant mieux le confinement qu’il intervient en période cyclonique : les réserves sont parfois déjà faites même si elles n’empêchent pas les dernières ruées sur les étalages par crainte de la pénurie habituelle en cas de cyclone.</p>
<h2>Un territoire vulnérable paradoxalement habitué aux crises</h2>
<p>Contrairement à l’Hexagone, il n’est pas besoin de remonter très loin dans le temps pour trouver des périodes similaires en termes de mesures sociales et sanitaires urgentes.</p>
<p><a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/archives-outre-mer-2005-2006-epidemie-chikungunya-crise-sanitaire-majeure-reunion-690038.html">En 2006</a>, sévit une épidémie de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chikungunya-7134">chikungunya</a>, maladie aux conséquences parfois particulièrement handicapantes, transmise par les moustiques. On comptera plus de <a href="http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2008/38_39_40/index.htm">266 000 cas et 267 décès à La Réunion</a>. Cette épidémie a mis en exergue la très mauvaise santé des Réunionnais. Sa gestion sera décriée, certains auteurs parleront de <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Metzger-Pascale--76441.htm">forme d’aveuglement</a> /</p>
<p>Un peu comme en <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2009-1-page-109.htm">Camargue</a>, à La Réunion, la résistance aux moustiques permet de séparer symboliquement les locaux des nouveaux arrivants.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323304/original/file-20200326-133012-w6eo68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de l’île de la Réunion (Google Maps).</span>
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<p>Pour autant, des solidarités nouvelles semblent s’être créées entre créoles et <a href="http://www.laurent-decloitre.fr/article-enquete-sur-les-zoreys-de-la-reunion-51334596.html"><em>zoreils</em></a> (nom attribué aux <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/1935">personnes venues de l’Hexagone</a>), ces derniers étant perçus par les autres populations comme <a href="https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2009-2-page-218.htm">« dominants »</a> socialement, économiquement et politiquement.</p>
<p>En 2011, une autre crise réactive cette ligne de <a href="https://www.theses.fr/186275242">partage identitaire entre zoreils et créoles</a>. Il s’agit de la <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2013-1-page-23.htm">« crise requin »</a> qui intervient sur la côte ouest considérée comme concentrant le plus de zoreils.</p>
<p>Cette crise-là, plus relayée dans l’Hexagone par son côté sensationnel, a par ailleurs abouti à l’interdiction totale de toute activité nautique et de baignade non surveillée sur le littoral ; interdiction ayant entraîné un report des baignades sur le lagon déjà très vulnérable.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 24, 2019.</span></figcaption>
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<p>En 2018, la crise des « gilets jaunes » qui bloqua durablement le territoire pendant 15 jours avec l’instauration d’un couvre-feu par arrêté préfectoral, a de nouveau posé cette question de « classe raciale ». À cette occasion avait émergé l’expression publique d’un sentiment anti-zoreil.</p>
<p>Les revendications sur les ronds-points relayaient notamment au préfet des demandes de préférence régionale devant l’emploi, traduction d’un <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/11/24/gilets-jaunes-et-cagoules-noires-l-ile-de-la-reunion-telle-qu-on-l-ignore_1693922">sentiment d’injustice</a> dans la répartition du pouvoir et des responsabilités. Des agressions racistes ont eu lieu <a href="https://www.zinfos974.com/Agression-a-la-bombe-de-Tupic-3-a-6-mois-de-prison-requis-contre-l-allergologue_a136884.html">sur et en marge des ronds-points</a>.</p>
<h2>Absence de clés de compréhension du social</h2>
<p>Peu de travaux en sciences sociales s’intéressent à ces tensions raciales et cherchent à instruire le débat sur le sentiment d’injustice socio-économique à La Réunion. Chaque crise repose inlassablement les mêmes questions, qui restent sans réponse. Pourtant la volonté de résilience culturelle et sociale des habitant·e·s a émergé sur les ronds-points en 2018 mais les structures émancipatrices de l’histoire esclavagiste et coloniale manquent.</p>
<p>Les inégalités se reproduisent, surtout en l’absence de clés de compréhension du social. Bien que des <a href="https://la-reunion.ird.fr/recherche-et-missions/programmes-de-recherche-en-cours/isopolis-alpha-consolidation-methodologique-du-projet-isopolis">projets de recherche</a> cherchent aujourd’hui à comprendre et construire cette résilience, le débat est renvoyé à la sphère privée.</p>
<p>Dans un tel contexte, la communication de crise est cruciale et peut à tout moment alimenter ces tensions. Contrairement aux épidémies récurrentes de dengue, il n’y <strong>a pas eu</strong> d’informations cartographiques sur la répartition en local des « cas importés » malgré les demandes pressantes d’informations concernant cette répartition (<a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/emissions/journal-de-19h30">annonce de la directrice de l’ARS, plateau télévisé, mercredi 25/03/2020</a>).</p>
<p>Pour l’ARS, l’injonction de ne pas stigmatiser des populations et de garantir l’anonymat des cas importés et des 800 personnes contacts répertoriées par ces services s’impose encore plus.</p>
<h2>Le confinement reproduit et aggrave les inégalités sociales</h2>
<p>À La Réunion, la culture du risque a contribué à la mise en place rapide du confinement. Alors que l’île n’en était « qu’à » 12 cas dits « non autochtones », la mise en place du confinement pour l’épidémie de coronavirus semblait une mesure salutaire et familière.</p>
<p>Le respect des consignes de confinement est aujourd’hui salué comme du civisme par les autorités sanitaires après avoir été assimilées à de la panique. Mais si le confinement semble bien observé, c’est au détriment des solidarités usuelles (accueil et prise en charge des membres vulnérables dans les familles) qui ne pourront s’exprimer.</p>
<p>À l’inverse, lorsqu’elles se sont exprimées, elles auront peut-être participé à la mise en danger des populations les plus fragiles.</p>
<p>Dans la droite ligne de l’unité nationale prônée par la ministre de l’Outre-mer, les modalités tous azimuts visant à ne pas bloquer l’économie risquent également de creuser les inégalités. Certaines mesures semblent ainsi très peu adaptées au territoire. La mise en place du télétravail et du plan de continuité pédagogique par exemple ne semblent tenir compte ni des <a href="https://www.insee.fr/fr/information/2018985">39 % de pauvreté</a> (contre 14,2 % sur le territoire national), ni de l’illettrisme et encore moins de la fracture numérique. De quoi aggraver les inégalités que les écoles et l’université peinent à endiguer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133809/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Thiann-Bo Morel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À La Réunion, la culture du risque a contribué à la mise en place rapide du confinement. Mais les mesures valables pour l’Hexagone ravivent dans l’île les graves inégalités socio-économiques.Marie Thiann-Bo Morel, Maître de conférences en sociologie, Université de la RéunionLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1348742020-03-29T17:18:01Z2020-03-29T17:18:01ZDe l’Europe à l’Amérique du Nord, la contagion du renforcement des frontières<p>Depuis quelques années, en réponse à chaque « crise » qui les affecte – attentats, narcotrafic, afflux de réfugiés, récession économique –, les États érigent leurs frontières en boucliers protecteurs. La crise sanitaire que nous connaissons aujourd’hui n’échappe pas à la règle : dans une réaction épidermique quasi instantanée, les pays ferment un à un leurs frontières. </p>
<p>Lorsque Michel Foucher parlait en 2016 du <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-retour-des-frontieres/">« Retour des Frontières »</a>, il ne se doutait peut-être pas qu’un retour d’une telle ampleur aurait lieu, surtout dans le monde occidental. Même si l’actuelle crise que nous traversons ne verra qu’un renforcement temporaire des lignes internationales, ce phénomène est si exceptionnel et si rapide qu’il mérite que l’on s’y attarde afin d’en analyser non seulement les modalités mais également les forces qui le sous-tendent.</p>
<h2>Union européenne : un modèle mis à mal ?</h2>
<p>Face à l’arrivée de l’épidémie, un resserrement graduel s’est effectué au sein de l’UE, les frontières « se ferm[a]nt les unes après les autres », comme l’a <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200314.OBS26039/face-au-coronavirus-plusieurs-pays-ferment-leurs-frontieres.html">titré récemment <em>L’Obs</em></a>. Dès le 30 janvier, après avoir identifié deux cas de coronavirus parmi des touristes chinois, l’Italie avait déjà annulé ses vols avec la Chine, le pays par lequel est arrivée l’épidémie. Puis, le 16 mars, l’Espagne a annoncé la fermeture de ses frontières terrestres alors que l’Allemagne a mis en place des contrôles accrus, ne laissant passer que les travailleurs frontaliers et les marchandises.</p>
<p>S’en est suivi un mouvement général, de nombreux pays cédant à cette contagion du renforcement frontalier : après la Hongrie, c’est la Norvège, la Pologne ou encore l’Autriche qui ont décidé de mettre en place un confinement territorial derrière leurs frontières nationales. Enfin, ajoutant sa pierre à l’édifice, l’UE, qui s’est construite sur un idéal de libre circulation des personnes, avec la mise en place des accords Schengen en 1995, s’est accordée mardi 17 mars sur une réponse commune : la fermeture de ses frontières externes.</p>
<h2>Amérique du Nord : le retour d’un réflexe autarcique</h2>
<p>Mais c’est d’Amérique du Nord que la réponse la plus radicale est venue. Du protectionnisme économique à la promesse de construction d’un mur pour faire face à l’immigration clandestine, Donald Trump est l’un des « champions » de la « refrontiérisation » (<em>rebordering</em>) un phénomène de renforcement des frontières qui est en jeu à travers le monde depuis près de 20 ans, remplaçant l’idéal d’un « monde sans frontières » qui avait émergé dans les années 1990 avec la chute du Mur de Berlin et de l’URSS.</p>
<p>Alors qu’il se refuse toujours d’appeler à un confinement total et qu’il souhaite même assouplir les mesures de distanciation sociales, le président américain n’a pas hésité à prendre des mesures radicales concernant les frontières états-uniennes, que ce soit celle avec le Mexique ou celle avec le Canada.</p>
<p>En effet, lors de la conférence de presse organisée vendredi 20 mars, la protection des frontières a été présentée comme la pierre angulaire de la réponse que l’administration Trump a déployée pour lutter contre la pandémie liée au coronavirus. L’allocution a duré près de 35 minutes et a vu se succéder plusieurs dignitaires américains dont le président lui-même ; plus de la moitié de leurs interventions ont été consacrées aux frontières. Ces dernières ont d’ailleurs été identifiées par Antony Fauci, immunologue américain et membre de la Task Force mise sur pied par la Maison Blanche pour lutter contre le coronavirus, comme « l’un des deux piliers dans la lutte contre la propagation du virus ».</p>
<p>Afin de faire face à ce qu’ils désignent comme le « virus chinois », Donald Trump, son secrétaire d’État Mike Pompeo et le secrétaire par intérim à la Sécurité intérieure, Chad Wolf, ont tous trois annoncé deux mesures exceptionnelles. Après avoir suspendu les vols avec l’UE le 14 mars, une semaine plus tard, ce sont les frontières nord-américaines que le gouvernement américain décide de verrouiller. Au terme de deux accords bilatéraux que le pays a conclus avec le Mexique et le Canada, « les voyages non essentiels » sont interdits, notamment pour les touristes et les consommateurs – deux catégories de personnes qui structurent les flux transfrontaliers entre les États-Unis ses voisins. Sont exemptés de ces restrictions les travailleurs frontaliers, les professionnels de la santé ainsi que les chauffeurs routiers. Au vu du degré d’intégration et des liens commerciaux qui lient les trois pays, le secrétaire d’État américain a toutefois assuré que cette mesure ne s’appliquerait pas aux échanges commerciaux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323394/original/file-20200326-132995-17z53uu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’Arche de la Paix, à la frontière Canada/États-Unis (entre Blaine, Washington, et Surrey, British Columbia) porte l’inscription « Que ces portes ne se ferment jamais ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre-Alexandre Beylier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La seconde mesure annoncée concerne les migrants clandestins qui traversent les frontières canadienne et mexicaine. En application de la section 362 du Public Service Act, le Center for Disease Control a interdit, à partir du 21 mars, l’entrée de ces derniers sur le territoire américain, arguant qu’ils constituent une « menace de santé publique ». Ceux-ci seront donc renvoyés dans leur pays d’origine sans aucune autre forme de procès. Bien que le Canada ait résisté, dans un premier temps, à adopter une mesure similaire, le premier ministre, Justin Trudeau, a <a href="https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/covid-19-la-frontiere-canado-americaine-est-officiellement-fermee-aux-migrants-207d3eb74983ec3f7a8143b23da133b5">annoncé</a>, vendredi 20 mars, avoir conclu un accord avec Washington afin de procéder de la même façon. Il a bien souligné que cette mesure répondait à des circonstances « exceptionnelles » et qu’elle restait en conformité avec « les valeurs canadiennes ».</p>
<p>Cette annonce intervient alors que le Canada voit, depuis plusieurs années, affluer à sa frontière <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/demandes-asile/demandes-asile-2017.html">plusieurs dizaines de milliers de personnes</a> – 20 593 en 2017, 19 419, en 2018 et 16 503 en 2019 – qui la traversent entre les points d’entrée officiels afin de pouvoir formuler une demande d’asile. En effet, en vertu de l’Accord sur les Pays Tiers Sûrs de 2002 (<a href="https://www.canada.ca/en/immigration-refugees-citizenship/corporate/mandate/policies-operational-instructions-agreements/agreements/safe-third-country-agreement.html">Safe Third Country Agreement</a>) – l’équivalent du protocole de Dublin en vigueur dans les pays de l’UE –, les demandeurs d’asile ne peuvent pas se présenter à la frontière s’ils viennent d’un pays « sûr » tels que les États-Unis. Contournant cet accord, ils se sont donc mis à traverser entre les points d’entrée officiels, principalement depuis l’élection de Justin Trudeau (2015) mais plus encore depuis l’élection de Donald Trump (2016) afin de <a href="https://journals.openedition.org/eccs/1414">trouver refuge au Canada</a> qui les a accueillis à bras ouverts.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1241178654270541830"}"></div></p>
<p>Enfin, pour renforcer ce verrouillage territorial, l’administration Trump a même envisagé, jeudi 26 mars, de <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/trudeau-trump-border-coronavirus-1.5510853">déployer des soldats le long de sa frontière septentrionale</a> afin d’intercepter d’éventuels migrants. Si cette mesure ne sera vraisemblablement pas mise en œuvre, elle n’en fait pas moins écho à <a href="https://www.nationalguard.mil/News/Article/1487429/national-guard-troops-deploy-to-southern-us-border/">l’envoi de la Garde nationale en 2018 le long de la frontière Mexique/États-Unis</a> pour répondre à l’arrivée de « caravanes de migrants ».</p>
<h2>Une instrumentalisation des frontières</h2>
<p>Si les frontières nord-américaines se referment en réponse à la pandémie du coronavirus, la situation est aussi pour l’administration Trump l’occasion d’instrumentaliser de nouveau ces dernières et par là même l’un de ses sujets de prédilection : l’immigration.</p>
<p>Non seulement, ces sujets ont dominé la conférence de presse du 20 mars, mais Donald Trump et les membres de sa « Task Force » ont presque tous présenté les migrants clandestins comme une menace susceptible de « propager l’infection aux agents frontaliers, aux [autres] migrants et, plus largement, au public », Chad Wolf allant même jusqu’à dire qu’« une grande majorité d’entre eux présentaient des cas de coronavirus ».</p>
<p>Par ailleurs, l’argumentation était sous-tendue par des propos nationalistes selon lesquels les migrants engendreraient une pression sur le système de santé états-unien, voire le « paralyseraient » pour reprendre les mots de Donald Trump, « privant ainsi les citoyens américains de ressources dont ils ont besoin », une idée soulignée deux fois par le président américain ainsi que par le secrétaire à la Sécurité intérieure.</p>
<p>Enfin, tout cela n’est pas sans rappeler la rhétorique développée <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4124">dans le sillage du 11 septembre 2001</a> par l’administration Bush concernant les frontières nord-américaines. D’une part, le président américain a annoncé vendredi que les deux frontières seraient « traitées de façon égale », soulignant un phénomène de banalisation des frontières nord-américaines, qui est en jeu depuis 2001 avec la politique <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/one-face-border-it-working">« One face at the border »</a>. D’autre part, tout comme l’objectif des « frontières intelligentes » mises en place suite aux attentats de 2001 était de trouver un équilibre entre sécurité et facilitation des flux, l’administration Trump a assuré le 20 mars que la politique actuelle de fermeture des frontières aurait lieu « sans faire obstacle au commerce » transfrontalier qui sert de « fondement à l’économie [américaine] ».</p>
<h2>Quelle efficacité et quelles conséquences ?</h2>
<p>Il est trop tôt pour réfléchir aux conséquences que de telles mesures auront mais de nombreux spécialistes doutent de leur efficacité. Comme l’a souligné Pierre Haski sur France Inter, mardi 17 mars, l’Italie a été le premier pays à suspendre ses vols avec la Chine dès l’apparition des premiers cas, ce qui ne l’a pas empêché d’être le pays le plus touché par le virus. Car ce dernier était déjà là. Il en va de même pour les États-Unis. Alors que, dimanche 22 mars, le <em>New York Times</em> faisait déjà état de 24 380 personnes contaminées et de 340 morts aux États-Unis et que le pays devenait jeudi 26, le <a href="https://coronavirus.jhu.edu/map.html">pays le plus touché avec près de 83 000 cas</a>, la priorité devrait être le ralentissement de la propagation du virus à l’intérieur des États-Unis avant le renforcement des frontières qui apparaît comme un nouvel écran de fumée occultant la recherche de vraies solutions.</p>
<p>Si ces mesures de refrontiérisation sont si populaires ces dernières années, notamment au sein des partis de droite, voire d’extrême droite, c’est parce qu’elles permettent aux politiques de proposer une réponse visible – bien qu’imparfaite et souvent inefficace – aux problèmes auxquels les pays sont confrontés, leur permettant ainsi d’accumuler un capital politique auprès de populations qui adhèrent à cette instrumentalisation des frontières. Donald Trump l’a bien compris. Toutefois, si la crise sanitaire prend aux États-Unis des proportions inquiétantes qui rendraient l’épidémie impossible à enrayer, sa réélection en novembre prochain pourrait être compromise… et ce ne seront pas ses mesures de fermeture des frontières qui le sauveront. </p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Alexandre Beylier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein de l’UE comme aux États-Unis et au Canada, les gouvernements tendent à fermer les frontières pour bloquer la propagation de l’épidémie. Une réaction pour le moins discutable.Pierre-Alexandre Beylier, Maître de Conférences en civilisation nord-américaine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1331042020-03-15T18:31:01Z2020-03-15T18:31:01ZEndiguer la montée de l’AfD en Allemagne : un combat perdu d’avance ?<p>Depuis de nombreuses années, l’Europe est frappée de plein fouet par la résurgence des partis politiques dits « d’extrême droite » et des partis « populistes ». Sur fond de remise en cause des systèmes politiques, profitant des crises des « partis traditionnels », cette idéologie prend de plus en plus de place dans les débats politiques.</p>
<p>Prenons l’exemple de l’Allemagne. Depuis quelques années, Alternative für Deutschland (AfD, Alternative pour l’Allemagne) ne cesse d’engranger des succès électoraux. Mais ces succès signifient-ils que l’AfD a réussi à imposer ses thèmes de campagne dans le débat politique et a gagné la bataille idéologique au sein de la société allemande ?</p>
<h2>L’évolution d’AfD</h2>
<p>Procédons tout d’abord à quelques rappels historiques. Fondé en février 2013, le parti s’empare très rapidement des thèmes de campagne propres aux <a href="https://theconversation.com/fpo-afd-vox-les-partis-dextreme-droite-a-loffensive-116602">partis d’extrême droite en Europe</a> tels que l’immigration, la sécurité ou encore l’opposition entre « les élites politiques » et « le peuple ». Pourtant, le programme de l’AfD était à la base centré uniquement sur l’affirmation qu’une monnaie unique (l’euro) ne pouvait pas convenir à tous les pays. Pour résoudre les défis économiques auxquels l’Allemagne était confrontée, l’AfD avait envisagé comme option le retour au deutsche mark.</p>
<p>Puis, avec l’arrivée à sa tête de Frauke Petry en juin 2015 (elle restera à ce poste jusqu’en 2017), le parti a opéré un tournant idéologique en s’opposant frontalement à la politique migratoire d’Angela Merkel à la suite de la crise des réfugiés en 2015. Parmi les <a href="https://www.bpb.de/politik/grundfragen/parteien-in-deutschland/afd/211108/kurz-und-buendig">thèmes récurrents d’AfD</a>, on retrouve désormais la dénonciation de l’immigration, l’hostilité à l’islam, une proximité idéologique de certains cadres avec le national-socialisme, la défense d’une Europe composée d’États souverains, l’opposition au mariage de personnes de même sexe ou encore la fin de la « culture de repentance » allemande pour les crimes commis durant la période nazie.</p>
<p>Cette évolution s’inscrit dans un contexte marqué par de nombreux évènements graves relevant d’une idéologie « extrémiste de droite » : citons notamment la <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2723611-20200221-allemagne-recueille-lendemain-tueries-racistes-hanau">tuerie de Hanau</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/26/un-neonazi-allemand-avoue-le-meurtre-de-walter-lubcke_5481881_3210.html">l’assassinat d’un élu local membre de la CDU</a> ou encore la <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190213.OBS0117/hausse-effrayante-des-actes-antisemites-en-allemagne-en-2018.html">recrudescence des actes antisémites</a>.</p>
<h2>Un parti tiraillé entre deux ailes</h2>
<p>Le parti AfD est <a href="https://www.bpb.de/politik/grundfragen/parteien-in-deutschland/afd/273133/organisation">tiraillé</a> entre un bloc de « modérés » (dont la priorité est la libéralisation de l’économie) et une frange plus « radicale » (qui se caractérise avant tout par un nationalisme ombrageux), cette dernière ne cessant de gagner en influence au sein du mouvement – si bien que Frauke Petry, une fois élue au Bundestag, a <a href="https://www.lequotidien.lu/a-la-une/frauke-petry-refuse-de-sieger-pour-lafd/">refusé de siéger au sein du groupe parlementaire d’AfD</a> en raison de la radicalisation de ce dernier. La dérive identitaire effraie le noyau du parti qui cherche à s’emparer de thèmes plus classiques tels que l’éducation, la santé ou encore l’environnement (tout en adoptant sur ce dernier sujet une position climato-sceptique). Pour les tenants de cette tendance modérée, c’est le seul moyen de « gagner en respectabilité auprès de l’opinion publique » et ainsi d’accroître leurs chances d’accéder au pouvoir.</p>
<p>À l’opposé, une personnalité comme <a href="https://www.franceinter.fr/bjorn-hocke-le-provocateur-de-l-extreme-droite-allemande">Björn Höcke</a> (tête de liste de l’AfD aux élections régionales en Thuringe) est considérée comme le représentant du courant le plus radical défendant une vision nationale ethnique, lequel a pour nom « Der Flügel » (l’Aile). Höcke n’hésite pas à reprendre à son compte une rhétorique propre au national-socialisme. En janvier 2017, devant les jeunes de l’AfD, « Junge Alternative », il s’était indigné de la présence du Mémorial de la Shoah construit à Berlin, se désolant que les Allemands soient <a href="https://fr.timesofisrael.com/memorial-de-la-honte-lafd-parle-la-langue-du-nsdap-affirme-la-secretaire-generale-du-spd/">« le seul peuple au monde à avoir implanté au cœur de notre capitale un monument de la honte »</a>. </p>
<p>De plus, Björn Höcke n’a pas hésité à se montrer à une manifestation organisée par le mouvement anti-musulman Pegida, dont l’idéologie repose sur la « la lutte contre le grand remplacement » et la « défense de l’identité allemande » Selon Gero Neugebauer, politologue à l’Université Libre de Berlin, Höcke <a href="https://www.franceinter.fr/bjorn-hocke-le-provocateur-de-l-extreme-droite-allemande">« s’exprime comme Goebbels »</a>. Il n’est donc pas étonnant que la frange la plus radicale d’AfD fasse l’objet d’une <a href="https://www.tagesschau.de/investigativ/ndr-wdr/afd-verfassungsschutz-163.html">surveillance constante</a> des Renseignements généraux allemands.</p>
<h2>Des résultats électoraux en progression</h2>
<p>Ce dualisme idéologique au sein de l’AfD constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force, car il lui permet de ratisser un électorat large allant des libéraux aux nationalistes. Mais aussi sa faiblesse car il provoque de nombreux affrontements internes. Il n’en reste pas moins que, pour l’instant, le mouvement ne semble nullement pâtir de ses dissensions.</p>
<p>En effet, lors des <a href="https://www.europe1.fr/international/les-resultats-definitifs-des-elections-legislatives-allemandes-3444965">élections législatives de 2017</a>, l’AfD a effectué une entrée historique au Bundestag, dont elle est devenue, avec 12,6 % des voix, la troisième force (derrière les sociaux-démocrates du SPD, crédités de 20,5 % des suffrages, et la CDU, 32,9 %). En septembre 2019, ce bon résultat a été confirmé lors des élections régionales en Saxe (l’AfD y a obtenu près de 27,5 % des voix) et dans le Brandebourg (23,5 %).</p>
<p>Pendant des décennies, l’Allemagne a su maîtriser les partis d’extrême droite qui tentèrent de concourir aux élections, ceux-ci n’obtenant à aucun moment de résultats probants. Des formations comme le <a href="https://www.dw.com/en/from-anti-antifa-to-reichsb%C3%BCrger-germanys-far-right-movements/a-36122279">DKP-DRP, le NPD, les Republikaner, Die Rechte ou Der III.Weg</a> n’ont jamais été en mesure de peser sur l’échiquier politique. Mais depuis quelques années, entre l’essor inquiétant de Pegida et la montée en puissance de l’AfD, l’Allemagne se voit de plus en plus menacée. Un phénomène que favorise, on l’a dit, la crise institutionnelle et politique traversée par les partis dits de gouvernement, à savoir les chrétiens-démocrates de la CDU et les sociaux-démocrates du SPD.</p>
<p>L’AfD, à l’instar de son voisin autrichien le <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2019/09/austria-far-right-election-fpo/599047/">FPÖ</a>, obtient des résultats électoraux positifs et réussit à inonder le débat politique avec ses idées, allant même jusqu’à mettre en difficulté Angela Merkel, au pouvoir depuis maintenant quinze ans.</p>
<p>Tout laisse à croire que la société allemande a mis un genou à terre face au phénomène AfD. En effet, les idées extrémistes se répandent au sein de la société, où la parole se libère de plus en plus. De fait, la transformation de la société allemande qui s’opère ne peut que profiter à l’AfD. La rhétorique extrémiste était puissante dans l’ex-RDA communiste, plus pauvre. Par exemple, en Thuringe, le revenu moyen annuel s’élevait en 2018 à 35 701 euros, contre 42 962 euros en moyenne en Allemagne, selon l’Office des statistiques ; le chômage y était également supérieur au taux fédéral (5,3 % contre 5 %). De plus, le score de l’AfD en Thuringe a eu une forte répercussion sur la politique du pays et, plus particulièrement, sur le parti de la chancelière Merkel. En effet, suite à ce scrutin régional, la ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer, longtemps présentée comme la dauphine désignée de Mme Merkel, a <a href="https://theconversation.com/quelle-sortie-de-crise-pour-les-chretiens-democrates-en-allemagne-131596">démissionné</a> de son poste de présidente de la CDU et renoncé à être candidate aux législatives de 2021.</p>
<h2>Qui vote pour l’AfD ?</h2>
<p>Les études <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20170925.OBS5103/qui-a-vote-pour-l-afd-ce-parti-nationaliste-qui-realise-une-percee-en-allemagne.html">montrent</a> que les hommes votent plus facilement en faveur de l’AfD que les femmes. Si l’AfD attire davantage les 30-59 ans, plus que n’importe quel autre parti en Allemagne, elle réalise aussi de très bons scores chez les plus jeunes (ceux de moins de 29 ans) : dans cette catégorie de la population, elle a été le deuxième parti lors des dernières élections dans le Brandebourg derrière les Verts, et le premier parti en Saxe. Ce vote peut s’expliquer par le fait que ces générations n’ont connu ni la période nazie ni la RFA et la RDA, et sont donc moins marquées que leurs aînés par le poids de l’histoire. Enfin, notons que l’AfD est un vrai parti 2.0, très présent sur les réseaux sociaux et Internet, ce qui lui vaut une meilleure audience auprès des jeunes.</p>
<p>L’implantation géographique de l’AfD tend également à se confirmer. Dans les années 1990 déjà, l’extrême droite obtenait des scores plutôt élevés par rapport au reste du pays près des frontières polonaise et tchèque. AfD a su conserver cette assise territoriale en ex-RDA.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lallemagne-de-lest-est-elle-la-grande-perdante-de-lunification-126608">L’Allemagne de l’Est est-elle la grande perdante de l’unification ?</a>
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<p>Selon <a href="https://www.boeckler.de/pdf/p_fofoe_WP_058_2018.pdf">Bettina Kohlrausch</a>, sociologue de l’Université de Padeborn, ce n’est pas seulement le manque de reconnaissance à l’égard de l’ex-Allemagne de l’Est qui pousse les électeurs de ces régions à voter en faveur d’AfD. Leur préoccupation majeure reste d’ordre économique. Déçus par les politiques économiques menées par les partis traditionnels, les électeurs se sont donc tournés « plus facilement » vers l’AfD.</p>
<p>À l’Ouest, l’AfD ne peut présenter un discours aussi radical, axé uniquement sur l’immigration ou sur des positions anti-islam. En effet, ces thèmes ne sont pas porteurs pour le parti. C’est la raison pour laquelle dans de nombreux Länder de l’Ouest, le parti a davantage <a href="https://www.msn.com/de-de/nachrichten/politik/so-will-die-afd-im-westen-ihr-ost-niveau-erreichen/ar-AAGHXS7">axé sa campagne</a> sur les problèmes sociétaux que connaît l’Allemagne.</p>
<h2>Vers la banalisation ?</h2>
<p>La société allemande tente de réagir par des manifestations contre l’extrême droite ou contre toute alliance des autres partis avec cette dernière, comme en <a href="https://www.france24.com/fr/20181013-manifestation-massive-contre-extreme-droite-allemagne">2018 à Berlin</a> ou il y a quelques semaines <a href="https://fr.euronews.com/2020/02/15/allemagne-manifestations-contre-les-alliances-electorales-avec-l-extreme-droite">à Erfurt</a> (la capitale du Land de Thuringe).</p>
<p>Malgré cette mobilisation, l’AfD est en train de remporter son pari consistant à gagner en respectabilité auprès de l’opinion publique allemande. De <a href="https://www.derwesten.de/politik/afd-fast-jeder-zweite-deutsche-thueringen-umfrage-bundesregierung-wahl-kemmerich-hoecke-id228400263.html">récents sondages</a> montrent que 48 % des personnes interrogées pensent que l’AfD participera à un gouvernement régional ou fédéral d’ici à 2030. Seuls 29 % des sondés ne voient pas le parti exercer des responsabilités gouvernementales dans les dix années à venir. En outre, 26 % estiment qu’il n’y aurait aucun problème à voir l’AfD participer à un gouvernement régional et 19 % pensent qu’il serait normal que la formation d’extrême droite soit représentée au sein du gouvernement fédéral.</p>
<p>À l’instar de son partenaire européen, le FPÖ en Autriche, AfD serait-elle déjà aux portes du pouvoir ? De fait, l’Allemagne serait-elle condamnée à voir ses vieux démons du passé ressurgir ? Assisterons-nous à un véritable séisme politique lors des élections législatives de septembre 2021 ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est conseiller municipal d'opposition (LR) de la Ville de Maxéville </span></em></p>La montée en puissance de l’extrême droite en Allemagne s’explique aussi bien par les difficultés des partis traditionnels que par un contexte économique et social propice à la progression de ses idées.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328842020-03-04T18:09:27Z2020-03-04T18:09:27ZViolences anti-musulmanes en Inde : quelle responsabilité pour le gouvernement Modi ?<p>Depuis plus de trois mois, l’Inde est en proie à une immense agitation. Le climat social semble ne cesser de se détériorer, comme en témoignent les affrontements sanglants entre hindous et musulmans qui ont eu lieu fin février. À titre d’exemple, des <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_174_5389">affrontements similaires avaient fait en 2002 dans l’État du Gujarat</a> des milliers de victimes. </p>
<p>Le ministre en chef de cet État et son administration avaient alors été accusés d’avoir <a href="https://www.bbc.com/news/world-south-asia-13170914">laissé faire les émeutiers et retenu la police</a>. Certains membres de cette administration avaient alors été interdits de séjour à l’étranger et <a href="https://india.blogs.nytimes.com/2012/08/31/stiff-sentence-for-former-gujarat-minister/">quelques-uns avaient été condamnés</a>. Le ministre en chef du Gujarat était alors nul autre que Narendra Modi.</p>
<h2>Le premier mandat de Modi : politique économique libérale et rhétorique sectaire</h2>
<p>Auréolé de l’élan économique qu’a connu le Gujarat à l’époque où il le dirigeait (de 2001 à 2014), Narendra Modi a été élu premier ministre de l’Union indienne en 2015, en mettant en avant des promesses de libéralisme et de dynamisme économique. Il s’agissait de faire rivaliser l’Inde avec la Chine, d’engager son économie sur un sentier de croissance soutenu et long en allégeant la bureaucratie, d’ouvrir le pays aux investissements directs étrangers et de le doter, au travers du programme <a href="http://www.makeinindia.com/home">« make in India »</a>, d’un secteur manufacturier performant (pour des raisons historiques, ce secteur avait toujours été atrophié).</p>
<p>L’orientation de ce programme aurait pu faire oublier les racines idéologiques du parti auquel Narendra Modi appartient, le Baratiya Janata Party (BJP), à savoir l’« Hindutva ». Cette idéologie, selon laquelle l’Inde ne saurait être qu’hindoue, prône le retour à une culture fantasmée comme purement indienne, c’est-à-dire celle d’avant l’Empire moghol (1526-1857), désormais présenté dans les manuels d’histoire comme un joug étranger ayant longtemps pesé sur l’Inde hindoue. Certains courants de l’Hindutva affirment également que tous les hindous partageraient la même origine ethnique tandis que les membres des autres communautés seraient les fils d’un autre sol, issus de mariages mixtes plus ou moins consentis. Ajoutons que le BJP entretient des rapports étroits avec le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Organisation patriotique nationale, RSS), organisation paramilitaire fondée en 1925 sur le modèle des phalanges fascistes afin de promouvoir l’idéologie de l’Hindutva. Narendra Modi a <a href="https://www.britannica.com/biography/Narendra-Modi">commencé sa carrière dans les rangs du RSS</a>.</p>
<p>Au cours de son premier mandat, le gouvernement de M. Modi a engagé des réformes profondes comme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/08/04/en-inde-le-parlement-federal-adopte-la-tva-unique_4978259_3234.html">l’unification de la TVA</a>, mais aussi créé un traumatisme économique au travers de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/inde-la-demonetisation-a-ete-un-cuisant-echec-pour-new-delhi-137686">démonétisation</a> – c’est-à-dire la suppression, sans préavis, du cours légal des billets les plus couramment utilisés.</p>
<p>Ces initiatives économiques audacieuses ont pu reléguer dans l’ombre les mesures ou déclarations vexatoires prises envers les communautés religieuses minoritaires, en particulier les musulmans, ainsi que le développement de milices ou de « vigilantes », groupes de citoyens se faisant fort d’appliquer ce qu’ils pensent être ou devraient être la loi. Certains de ces groupes, au motif de vérifier l’application de la loi interdisant l’abattage de bovidés, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-20/cow-vigilantes-in-india-killed-at-least-44-people-report-finds">lynchent des musulmans et des personnes issues des basses castes</a>. D’autres humilient, parfois violemment les <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/hindu-yuva-vahini-members-beat-couple-in-court-premises-in-up-cry-love-jihad-1144707-2018-01-14">couples issus de confessions différentes</a>. Ces groupes, dont les actions illégales n’entraînent que peu de poursuites, agissent avec un sentiment croissant d’impunité, et sont encouragés, voire organisés, par certaines figures du BJP qui ne cachent pas leur aversion pour les minorités religieuses et revendiquent la suprématie hindoue. Mais le grand public, avant tout tourné vers les initiatives et promesses économiques, n’y a pas nécessairement prêté attention et n’a peut-être pas perçu à quel point le climat devenait menaçant pour la communauté musulmane.</p>
<h2>Un second mandat placé sous le signe de la division</h2>
<p>En 2019, les perspectives économiques commencent à s’assombrir. En janvier, un rapport de la Commission nationale des statistiques faisant état d’un taux de chômage au plus haut depuis une cinquantaine d’années fuite dans la presse ; le gouvernement est accusé d’en <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/31/world/asia/india-unemployment-rate.html">retarder la publication en amont des élections législatives tenues entre le 11 avril et le 19 mai</a>. Le taux de croissance de l’économie indienne commence à montrer des signes de ralentissement, de même que les investissements et la consommation. L’opposition ne se prive pas de souligner ce mauvais bilan économique. La campagne de M. Modi est alors centrée sur l’insécurité, <a href="https://www.dawn.com/news/1475670">mettant en cause des migrants illégaux du Bangladesh</a>. Servi par les circonstances d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/cachemire-indien-au-moins-33-morts-dans-l-attentat-le-plus-meurtrier-depuis-2002_5423608_3210.html">attentat au Cachemire</a>, il parvient à apparaître comme un chef de guerre capable d’en imposer au Pakistan. En mai 2019, le premier ministre sortant remporte une <a href="http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20190523-inde-nouveau-mandat-une-victoire-ecrasante-narendra-modi">victoire écrasante</a> aux législatives.</p>
<p>Le second mandat de Narendra Modi met clairement l’accent sur les questions intérieures, à commencer par un grand projet de refonte de la nationalité au travers de la possible création d’un registre des citoyens. Une première initiative est menée en août 2019 dans l’État de l’Assam, voisin du Bangladesh. Afin de lutter contre de potentiels « étrangers exfiltrés », il est demandé aux habitants de cet État d’apporter la preuve de la présence de leurs familles sur le territoire indien avant 1971 afin de confirmer leur citoyenneté indienne. Dans cet État où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté et ne sait pas lire, il n’est pas aisé pour ces familles d’apporter ce genre de preuves écrites. </p>
<p>À l’issue de ce processus, 1,9 million d’individus se considérant indiens, en majorité des musulmans, sont <a href="https://edition.cnn.com/2019/08/30/asia/assam-national-register-india-intl-hnk/index.html">devenus apatrides</a>. En décembre 2019, une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/12/12/loi-sur-la-nationalite-en-inde-les-musulmans-mis-au-ban_1768931">loi sur la nationalité</a> a été votée. Elle garantit aux ressortissants du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh présents sur le territoire l’accès à une procédure accélérée d’obtention de la nationalité indienne… mais les musulmans sont exclus de cette disposition. Les défenseurs de ce texte brandissent un argument humanitaire : selon eux, la loi vise à protéger les minorités ; or l’islam est la religion majoritaire dans ces trois pays.</p>
<p>L’adoption de cette loi a provoqué une indignation et une vague de mobilisation sans précédent en Inde – et cela, pour trois raisons. D’une part, elle est contraire à la Constitution qui garantit la neutralité religieuse de l’État, neutralité qui est au cœur des institutions. Deuxièmement, cette loi arrive après de nombreuses vexations envers la communauté musulmane indienne, par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/09/en-inde-la-justice-autorise-la-construction-d-un-temple-hindou-sur-un-site-dispute-avec-les-musulmans_6018585_3210.html">l’attribution du site d’Ayodhya aux hindous</a> ou le <a href="https://www.npr.org/2019/04/23/714108344/india-is-changing-some-cities-names-and-muslims-fear-their-heritage-is-being-era?t=1583231725259">changement de plusieurs noms de ville qui rappelaient le passé moghol</a> pour n’en citer que quelques-unes. Ces provocations de la part du gouvernement n’ont cessé de s’accumuler. Troisièmement, cette loi apparaît pour beaucoup comme le signe avant-coureur d’une remise en cause de la citoyenneté pleine et entière de tous les musulmans de l’Inde. La mobilisation pacifique contre cette loi <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/inde-manifestations-contre-la-loi-sur-la-citoyennete_3751783.html">dure maintenant depuis plus de deux mois</a>.</p>
<p>Les milices hindoues qui, on l’a dit, ont pris l’habitude d’agir en toute liberté et impunité, ont désormais décidé de s’en prendre violemment aux opposants de la loi. Le 5 janvier dernier, des membres d’un syndicat étudiant a priori proche du RSS ont <a href="https://theconversation.com/inde-les-universites-face-au-pouvoir-129940">mis à sac une université en plein cœur de Delhi</a> et passé à tabac étudiants et enseignants. La police a été accusée de complaisance envers les agresseurs. Fin février 2020, des milices ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/new-delhi-le-dechainement-de-violences-contre-les-musulmans-en-photos-20200301">semé la terreur dans les quartiers musulmans du nord-est de Delhi</a>, détruisant commerces et mosquées et lynchant, voire abattant par balles des dizaines d’habitants. La police a encore été accusée de passivité, de la même manière qu’elle avait été accusée d’avoir fermé les yeux sur les pogroms du Gujarat de 2002.</p>
<h2>Le double discours du gouvernement</h2>
<p>Certes, les affrontements intercommunautaires sont de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RngV5nEpehc">plus en plus rares et géographiquement circonscrits en Inde</a>, et les récents événements de Delhi ne resteront pas parmi les plus meurtriers. Ils n’en sont pas moins très préoccupants car ils mettent en lumière le double discours du gouvernement. D’une part, celui-ci se défend d’entretenir la division et s’abrite systématiquement derrière des justifications de bon aloi – comme un souci humanitaire dans le cas de la loi sur la nationalité – tout en soufflant sur les braises de la discorde et en laissant les dirigeants en vue de son parti exhorter la population à la haine. D’autre part, l’habitude prise par les milices de faire régner leurs lois et la terreur fait peser une menace réelle sur l’avenir de l’état de droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pogroms anti-musulmans qui ont récemment ensanglanté New Delhi ne sont pas un épiphénomène : ils représentent un aboutissement logique de l’idéologie extrémiste du parti au pouvoir.Catherine Bros, Maître de Conférences en économie, HDR, Université Gustave Eiffel, affiliée au laboratoire DIAL, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1313652020-03-03T17:45:36Z2020-03-03T17:45:36ZBonnes feuilles : « Pour en finir avec la complainte nationaliste »<p><em>Nous publions un extrait de l’ouvrage de Laurent Mucchielli <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-9782213716800">« La France telle qu’elle est, pour en finir avec la complainte nationaliste »</a> qui vient de paraître aux éditions Fayard. En s’appuyant sur plus de trente ans de recherches aussi bien historiques que sociologiques, le chercheur décrypte, à partir notamment des affaires autour du « voile », la façon dont les discours réactionnaires, extrémistes et ultra-nationalistes se sont emparés de l’espace public français. Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
<hr>
<h2>Panique sur le foulard des musulmanes</h2>
<p>Le voile, et à travers lui l’islam, rend bel et bien <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2004-2-page-96.htm">« hystérique »</a>.</p>
<p>La liste des exemples est sans fin. En réalité, il ne se passe pas une année sans qu’une polémique vienne raviver le feu allumé en 1989 à Creil (Oise), lorsque, à la rentrée scolaire de septembre dans un collège, trois adolescentes dont deux sœurs de 13 et 14 ans ont refusé d’enlever ce qu’on appelait souvent à l’époque un « tchador » (un grand foulard faisant le tour de la tête pour recouvrir l’ensemble des cheveux). Chaque année depuis se déroule un nouvel épisode de cette longue série qui pourrait s’intituler « Panique sur le foulard des musulmanes ».</p>
<p>Cela fait donc trente ans que le débat public français est empoisonné par cette question d’un choix vestimentaire opéré par certaines femmes de confession musulmane. C’est un premier constat.</p>
<h2>Des femmes sans voix</h2>
<p>Le second est que, bizarrement, la plupart des commentateurs fantasment les raisons qui motivent ces femmes mais ne leur ont jamais demandé leurs raisons. <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/des-voix-derriere-le-voile">Ils parlent à leur place</a>, donc.</p>
<p>Ils interprètent sans savoir, les explications leur paraissent aller de soi. Deux argumentations dominent, qui parfois <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2561">se cumulent</a>.</p>
<p>Les uns y voient une attaque fondamentale contre la laïcité, les autres un signe de la domination masculine et de l’oppression des femmes. Or, dans la réalité, les <a href="https://www.cairn.info/le-foulard-et-la-republique--9782707124289.htm">nombreux chercheurs</a> qui ont pris la peine d’<a href="https://journals.openedition.org/assr/20712">interroger les intéressées</a> depuis vingt ans ont facilement montré que leurs motivations premièrement étaient diverses, deuxièmement ne relevaient fondamentalement <a href="https://lafabrique.fr/les-filles-voilees-parlent/">d’aucune</a> des deux explications <a href="https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2009-2-page-113.htm">proposées</a>.</p>
<p>La réalité est que, en France, au tournant du XX<sup>e</sup> et du XXI<sup>e</sup> siècles, la décision de porter le voile pour une jeune femme se fait principalement dans un processus d’affirmation identitaire individuelle et/ou dans une quête spirituelle personnelle qui, en soi, n’impliquent ni hostilité envers les institutions françaises ni soumission à un quelconque pouvoir masculin.</p>
<h2>Une passion française</h2>
<p>Enfin, le troisième constat que l’honnêteté commande de faire est le suivant : il s’agit d’une passion spécifiquement française. Tous les épisodes que nous venons d’évoquer ont en effet provoqué la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letranger-burkini-la-france-se-trompe-de-combat">consternation</a> dans la plupart des pays du monde, y compris les autres pays occidentaux.</p>
<p>À tel point que le Haut-Commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme <a href="http://www.leparisien.fr/societe/burkini-les-arretes-favorisent-la-stigmatisation-des-musulmans-selon-l-onu-30-08-2016-6080393.php">était intervenu fin août 2016</a>, après l’affaire du « burkini », estimant que</p>
<blockquote>
<p>« ces décrets n’améliorent pas la situation sécuritaire ; ils tendent au contraire à alimenter l’intolérance religieuse et la stigmatisation des personnes de confession musulmane en France, en particulier les femmes. […] Les codes vestimentaires, tels que les décrets anti-burkini, affectent de manière disproportionnée les femmes et les filles et sapent leur autonomie en niant leur aptitude à prendre des décisions indépendantes sur leur manière de se vêtir ».</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi donc ce particularisme français ? Qu’est-ce qui se joue dans notre pays ? Pourquoi ce qui paraît banal et relevant de la liberté individuelle dans d’autres pays laïcs, est perçu en France comme une agression insupportable et une pratique à éradiquer ? D’où vient cette allergie à l’islam si répandue dans les élites françaises ? D’où viennent cette agressivité et parfois cette hystérie prêtes à se déclencher à la moindre apparition d’une femme voilée dans l’espace public ?</p>
<p>[…]</p>
<p>On peut imaginer plusieurs réponses à cette question, que je pose notamment à la fin de l’ouvrage.</p>
<h2>Répondre à la nouvelle pensée nationaliste</h2>
<p>Mais la première qui peut légitimement venir à l’esprit est la suivante : ces discours ont peut-être du succès pour la bonne et simple raison qu’ils proposeraient un diagnostic pertinent des problèmes de la société française.</p>
<p>Et si Renaud Camus n’était pas un vieux paranoïaque théorisant une hallucination dénommée « grand remplacement » mais un véritable visionnaire ? Et si son disciple Zemmour n’était pas un polémiste névrosé et une machine à fake news mais au contraire un véritable historien et un lanceur d’alerte valeureux et clairvoyant ? Qu’importe que son discours ressemble à s’y méprendre à celui des vieux antisémites du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314191/original/file-20200207-27538-woe69.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Librairie antisémite à Paris en 1901.</span>
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<p>S’il avait raison, cela justifierait tout. N’est-ce pas là le fond de l’affaire ? N’est-ce pas sur ce point précis qu’il faut porter le débat ? Les journalistes comme les hommes et les femmes politiques qui débattent tous les jours de ces questions ne prétendent-ils pas nous dire quelle est la vérité sur les problèmes de la société française ? La réponse ne fait aucun doute. Plus que jamais, on peut dire que <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1997_num_126_4_3546">« le problème de la vérité et de sa manipulation est aujourd’hui au cœur du débat sur l’immigration »</a>.</p>
<p>Et telle est la raison d’être de ce livre : répondre sur le fond à cette « nouvelle » pensée nationaliste à la mode. D’abord en soumettant ses principaux arguments concrets à une sorte d’examen pédagogique de vérification, sur l’immigration, sur la religion, sur la délinquance, sur les motifs de la migration, sur la laïcité, etc. Ensuite en confrontant ses imaginaires historiques profonds (ceux qui déterminent l’idée qu’ils se font de « l’identité française », de la « nation française » ou de la « civilisation française ») à une analyse froide et lucide de l’histoire et de la situation sociale actuelle de notre pays.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316466/original/file-20200220-92493-ep9d2p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-9782213716800">Fayard</a></span>
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<p><em><a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-97822137168">« La France telle qu’elle est, pour en finir avec la complainte nationaliste »</a>, paraît le 4 mars, aux éditions Fayard.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mucchielli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« La France telle qu’elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste » paraîtra le 4 mars aux éditions Fayard. Extraits.Laurent Mucchielli, Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1314992020-02-25T20:35:07Z2020-02-25T20:35:07ZDis-moi qui tu ne veux pas pour voisin : les Européens et la tolérance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314750/original/file-20200211-146700-1el5b07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C3000%2C1962&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">'Qui, sur cette liste, n’aimeriez-vous pas avoir comme voisins ?' Une enquête livre quelques indications sur la tolérance des Européens.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Il est beaucoup question dans l’actualité des logiques de rejet qui s’exprimeraient en Europe contre les <a href="https://www.opensocietyfoundations.org/explainers/islamophobia-europe/fr">minorités ethniques ou religieuses</a>, au point de nécessiter une mobilisation <a href="https://www.coe.int/fr/web/no-hate-campaign/european-commission-against-racism-and-intolerance-ecri1">contre les discours de haine</a>.</p>
<p>Que peut-on dire toutefois sur le degré d’ouverture ou de fermeture dans les pays européens ? La tolérance est-elle en hausse ou en déclin ? Se présente-t-elle de la même façon dans tous les pays et pour tout type de minorités ?</p>
<h2>Mesurer la tolérance</h2>
<p>Les analyses documentées sont rares car difficiles. Les indicateurs utilisés pour mesurer la tolérance ne sont pas toujours bien adaptés. C’est pourquoi nous proposons d’apporter un autre éclairage à partir des <a href="https://europeanvaluesstudy.eu/">European Values Study (EVS)</a>.</p>
<p>Ces enquêtes, qui sont réalisées périodiquement depuis 1981, présentent plusieurs avantages : elles sont supervisées par des universitaires, elles sont répétées tous les neuf ans (la dernière vague a été réalisée en 2017-2018) et elles couvrent un grand nombre de pays européens (une trentaine).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte des pays enquêtés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://europeanvaluesstudy.eu/methodology-data-documentation/survey-2017/fieldwork-progress/">EVS</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Concernant la dernière vague, seules les données françaises ont pour l’heure <a href="https://www.pug.fr/produit/1663/9782706143168/la-france-des-valeurs">donné lieu à une publication</a>.</p>
<p>Parmi les questions qui sont utilisées dans l’EVS, l’une d’elles concerne plus particulièrement la tolérance : elle porte sur les voisins indésirables. Dans la version française, cette question est ainsi formulée :</p>
<blockquote>
<p>« Sur cette liste figurent différentes catégories de gens. Voulez-vous m’indiquer s’il y en a que vous n’aimeriez pas avoir comme voisins ? »</p>
</blockquote>
<p>Comme on le voit, l’originalité de cette question est de mettre les individus en situation : les répondants ne sont pas interrogés de manière abstraite sur leur niveau de tolérance mais sont invités à déclarer quels types de personnes ils n’aimeraient pas avoir pour voisins. Ajoutons que cette question est aisément compréhensible par tous, même si la notion de voisin peut être jugée équivoque.</p>
<p>La liste des voisins proposée en 2017 comprend neuf groupes (voir tableau 1). On peut regretter que cette liste ait été réduite par rapport aux enquêtes antérieures. En particulier, elle n’a pas conservé les minorités politiques (en l’occurrence les extrémistes de droite et les extrémistes de gauche) ainsi que d’autres groupes comme les personnes ayant un casier judiciaire. Malgré tout, cette liste est suffisamment large pour tirer quelques enseignements.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau des groupes identifiés par l’enquête.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Alcooliques et drogués : les voisins mal-aimés</h2>
<p>Le premier constat est qu’il existe en Europe de grandes variations selon le type de voisins. En moyenne, seuls deux groupes sont majoritairement refusés : les alcooliques (65 %) et les drogués (77 %). À l’autre bout du spectre, les personnes qui sont les moins refusées sont les chrétiens (6 %).</p>
<p>Entre ces deux extrêmes, il existe une certaine graduation : les groupes les plus rejetés sont les « gitans » (40 %), les homosexuels (30 %), les musulmans (24 %) et les immigrés (21 %). Loin derrière viennent les gens de « différentes races » (14 %) et les juifs (12 %). Ces rejets ne sont pas de même nature : certains se cumulent assez bien (par exemple, le rejet des voisins musulmans est très corrélé au refus immigrés) et d’autres non (le refus des juifs n’est pas corrélé au refus des drogués).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314729/original/file-20200211-146674-kxfhwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 1.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par rapport à ces moyennes européennes, la France se présente comme un pays très tolérant. La hiérarchie des rejets y est globalement la même (ce sont toujours les drogués et les alcooliques qui sont le moins souhaités en tant que voisins) mais l’ampleur des rejets est nettement plus faible.</p>
<p>En particulier, les musulmans et les personnes de différentes races sont trois fois moins cités que dans le reste de l’Europe, ce qui invalide au passage l’idée selon laquelle la France serait inhospitalière envers ces populations.</p>
<p>Ce résultat permet aussi de comprendre pourquoi la France a été précocement une terre d’immigration, qui accueille aujourd’hui la principale communauté musulmane d’Europe de l’Ouest, que ce soit en <a href="http://www.fondapol.org/etude/vincent-tournier-portrait-des-musulmans-deurope-unite-dans-la-diversite/">chiffres absolus ou en chiffres relatifs</a>, avec une population estimée à 5,7 millions d’individus, soit <a href="https://www.pewforum.org/2017/11/29/europes-growing-muslim-population/">8,8 %</a>.</p>
<h2>Clivages entre l’Est et l’Ouest</h2>
<p>Si on regarde à présent les résultats par pays, on peut constater qu’il existe d’importants écarts entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est.</p>
<p>Le clivage Est/Ouest se vérifie d’abord pour les minorités ethno-religieuses (graphiques 1 et 2). À l’Ouest ou au Nord de l’Europe, le rejet des voisins de confession musulmane et de différentes races est très faible, alors qu’il est important à l’Est (on retrouve le même type de clivage avec l’indicateur sur les voisins juifs).</p>
<p>Ce clivage Est/Ouest se renforce depuis 2008 car le rejet a plutôt tendance à baisser à l’Ouest et à augmenter à l’Est, ce qui accroît la polarisation. Par exemple, en Hongrie, où les évolutions ont été particulièrement spectaculaires entre 2008 et 2018, le rejet des voisins musulmans est passé de 11 % à 38 % et le rejet des voisins de différentes races de 9 % à 28 %. On vérifie à nouveau que la France compte parmi les pays où le rejet des musulmans et des gens de différentes races est très faible. En 2008, la France était même le pays où les musulmans étaient les moins rejetés en tant que voisins.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le cas des voisins homosexuels (graphique 3), le clivage entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est est encore plus marqué. À l’Ouest, à l’exception de l’Espagne, aucun pays ne connaît une hausse du rejet, ce qui confirme que l’homosexualité bénéficie d’une forte dynamique d’acceptation en Occident. À l’Est, le rejet des voisins homosexuels est beaucoup plus fréquent, même s’il existe une grande amplitude entre les pays (23 % en Tchéquie, 82 % en Arménie). Le clivage Est/Ouest s’accentue depuis 2008 principalement parce que le rejet des voisins homosexuels continue de baisser à l’Ouest (Pays-Bas, Allemagne, Italie, Autriche) alors qu’à l’Est, malgré des évolutions favorables en Pologne ou en Croatie, la plupart des pays se maintiennent à des niveaux élevés, voire évoluent vers moins d’acceptation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314733/original/file-20200211-146700-hkxrcb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 3.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un dernier cas de figure concerne les voisins drogués ou alcooliques. Cette fois-ci, même si les écarts entre l’Est et l’Ouest sont toujours importants, le rejet apparaît plus généralisé : non seulement il est nettement plus élevé partout mais de plus il se renforce quasiment dans tous les pays depuis 2008. On le voit très bien dans le cas de la drogue (graphique 4) : seuls les habitants du Danemark et de la Géorgie sont moins nombreux à ne pas vouloir de voisins drogués.</p>
<p>En France, où l’acceptation des voisins drogués était parmi les plus élevées en 2008, le rejet passe de 40 % à près de 60 %. Les évolutions sont comparables lorsqu’on interroge les Européens sur les voisins alcooliques : au mieux, le refus d’avoir ce type de voisin est stable, mais dans beaucoup de pays il augmente. Seuls deux pays (le Danemark et la Finlande) sont devenus plus tolérants.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Graphique 4.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un autre regard sur les partis populistes</h2>
<p>Comme on le voit, les minorités ethno-religieuses ou sexuelles ne sont donc pas rejetées partout de la même façon, loin s’en faut. Toute une partie de l’Europe de l’Ouest fait au contraire preuve d’une très grande ouverture en matière de voisinage.</p>
<p>Ce résultat invite à porter un autre regard sur l’émergence de partis dits populistes. Ces partis ont en effet tendance à être analysés à l’aide de la même grille de lecture, comme si le populisme était un phénomène homogène.</p>
<p>Or, les données EVS sur les voisins incitent à penser que les ressorts de ces partis ne sont pas comparables car les électorats n’ont pas les mêmes prédispositions psychologiques, les mêmes bases anthropologiques. Cette diversité n’est sans doute pas pour rien dans les difficultés qu’ils rencontrent pour <a href="https://www.lesechos.fr/elections/europeennes/parlement-europeen-les-nationaux-populistes-pas-en-mesure-de-destabiliser-lue-1024464">s’unifier au niveau européen</a>.</p>
<p>Il est toutefois possible de s’interroger sur la valeur des résultats. Quelle est la sincérité des sondés ? Leurs réponses témoignent-elles de ce qu’ils pensent vraiment ou reflètent-elles surtout les normes et les tabous qui prévalent dans chaque pays ?</p>
<h2>Comprendre les tabous</h2>
<p>Cette seconde interprétation doit être prise au sérieux car, en Europe de l’Ouest, le racisme et la xénophobie ont fait l’objet d’un puissant mouvement de délégitimation depuis la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation ; parallèlement, l’homosexualité a bénéficié d’une visibilité et d’une légitimité croissantes.</p>
<p>Il est donc possible que les répondants préfèrent taire leurs opinions réelles, conformément à la logique de la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-1989-1-page-181.htm">spirale du silence</a> : face à la crainte de se retrouver isolé dans son environnement social, l’individu a tendance à taire son avis. On peut aussi évoquer l’impact de la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674707580">falsification des préférences</a> qui conduit les individus à modifier temporairement dans certains contextes sociaux leurs goûts ou leurs comportements. Ces deux mécanismes découragent les avis dissidents de s’exposer publiquement.</p>
<h2>Le rôle des affinités</h2>
<p>Si elle comporte une part de vérité, cette analyse mérite cependant d’être complexifiée. Nous avancerons l’hypothèse que, lorsque les gens sont interrogés sur les voisins qu’ils souhaitent, leurs réponses vont être tributaires de deux principes contradictoires : un principe de similarité et un principe de normativité. Par principe de similarité, expression que nous reprenons à <a href="https://books.google.fr/books?id=Y4R0DwAAQBAJ&pg=PT108&lpg=PT108&dq=laurent+cordonier+pr%C3%A9f%C3%A9rence+pour+la+similarit%C3%A9">Laurent Cordonier</a> nous entendons le fait que les individus ont spontanément tendance, pour se rassurer, à privilégier les personnes qui leur ressemblent dans le choix de leurs relations sociales.</p>
<p>Cette préférence pour la ressemblance passe par différents critères comme la langue, l’ethnicité ou la culture. Dans l’enquête EVS, ce principe de similarité se manifeste par le fait que les chrétiens figurent parmi les voisins les moins rejetés, alors que les gitans suscitent davantage de défiance. On retrouve ici ce que Paul Collier appelle la <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-4-page-121.html">« distance culturelle »</a> : plus cette distance est élevée, plus la méfiance augmente.</p>
<p>C’est une attitude bien connue : les individus se sentent toujours plus proches de ceux avec qui ils se sentent une affinité ou une proximité, comme le confirme le phénomène du <a href="https://www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/experiences/influence-engagement-et-dissonance/257-le-phenomene-du-mort-kilometrique">« mort kilométrique »</a>. Même les individus qui se disent non-racistes ont une propension à aider ou à privilégier les <a href="https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/notre-cerveau-est-il-predispose-au-racisme-54059">gens qui leur ressemblent</a>.</p>
<h2>Principe de normativité</h2>
<p>Toutefois, il faut tenir compte d’un second paramètre : le principe de normativité. Ce principe se situe dans le registre des valeurs. La période post-1945 a été marquée par un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00997117/">processus d’individualisation très fort</a>. Par individualisation, on entend ici la valorisation de l’individu comme être autonome et responsable, émancipé et libre de ses choix. Les enquêtes EVS ont largement confirmé l’existence de ce processus d’individualisation, mais elles montrent aussi que celui-ci s’est surtout affirmé dans la <a href="https://www.armand-colin.com/atlas-des-europeens-9782200287818">partie occidentale de l’Europe</a> pour de multiples raisons : prospérité économique, sécularisation religieuse, contexte de paix et de démocratie, hausse du niveau d’éducation, instauration de l’État-providence.</p>
<p>Devenu un principe normatif majeur dans les sociétés occidentales, l’individualisme incite à juger autrui en fonction non pas de ses origines ou de ses appartenances collectives (nations, religions, classes sociales) mais de ses qualités personnelles, voire de ses mérites : chacun doit être jugé pour ce qu’il fait, non pour ce qu’il est. L’injonction désormais systématique de ne pas faire « d’amalgame » à propos des attaques islamistes le montre bien : seuls les individus peuvent être tenus pour responsables de leurs actes, non les groupes.</p>
<h2>Des principes qui se contredisent</h2>
<p>Or, ce principe normatif est susceptible de venir contredire le principe de similarité. En Europe occidentale, où les valeurs individualistes sont très développées, il est peu concevable de refuser a priori un voisin en raison de ses origines, de sa race ou de sa religion.</p>
<p>En revanche, suivant ce même raisonnement, il est parfaitement acceptable de rejeter les alcooliques ou les drogués car leur situation est très différente. Ces deux catégories sont en effet définies par leur mode de vie : ce sont des individus qui ont adopté un comportement critiquable sur le plan moral, ou simplement problématique car imprévisible et dangereux.</p>
<p>On trouve une confirmation de cette explication dans le fait que, d’après l’enquête EVS, une proportion croissante de la population juge acceptable de consommer des drogues douces, alors que les voisins drogués sont mal acceptés. Cela peut paraître contradictoire, mais on peut y voir une illustration de l’individualisation des mœurs : le fait de se droguer est jugé acceptable au nom de la liberté individuelle, mais l’adoption de ce comportement n’en jette pas moins une suspicion sur celui qui s’y livre. Chacun est libre de ses choix mais chacun doit aussi les assumer.</p>
<h2>Accepter les coutumes des autres</h2>
<p>Cette grille de lecture permet de comprendre pourquoi nombre de personnes, bien qu’elles se disent largement ouvertes à l’idée de voisiner avec des gens issus de minorités ethno-religieuses, puissent avoir des pratiques bien différentes dans la vie réelle. Il s’agit moins de fuir les individus eux-mêmes qu’un certain type de comportements jugés inadaptés dans une société gagnée par l’individualisation, qui peuvent être les incivilités, le sexisme, l’intolérance ou le communautarisme.</p>
<p>On peut en voir une confirmation dans un autre indicateur utilisé dans l’enquête EVS : souhaite-t-on que les immigrés maintiennent leurs propres coutumes et traditions, ou qu’ils adoptent celles du pays d’accueil ?</p>
<p>Cette question est présentée sous la forme d’une échelle qui va de 1 à 10 où 1 signifie que les immigrés doivent conserver leurs propres coutumes et 10 qu’ils doivent adopter les coutumes du pays d’accueil.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314739/original/file-20200211-146696-1upohrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 5.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le graphique 5 présente la proportion de gens qui ont opté pour les réponses 1 à 4, autement dit ceux qui souhaitent que les immigrés conservent leurs coutumes, donc qui se situent davantage sur le versant multiculturaliste que sur le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0449-les-modeles-d-integration-en-europe">versant assimilationniste</a>.</p>
<p>Comme on le voit, le modèle multiculturaliste est beaucoup moins soutenu à l’Ouest qu’à l’Est, et la dynamique entre 2008 et 2018 joue nettement dans le sens d’un déclin du modèle multiculturaliste, y compris dans des pays comme l’Autriche et l’Allemagne où il a bénéficié d’un certain soutien dans les populations de ces deux pays mais fait désormais l’objet de <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/655">critiques</a>.</p>
<p>C’est dire si l’individualisation se présente comme un processus complexe : d’un côté, ce processus favorise une plus grande tolérance au nom de la liberté individuelle, mais de l’autre il peut mener au rejet de ceux qui n’entrent pas dans un certain cadre, dans un certain type de sociabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Tournier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les derniers résultats de l’enquête « European Values Study » sur les Européens invitent à porter un autre regard sur l’émergence de partis dits populistes.Vincent Tournier, Maître de conférence de science politique, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1311032020-02-25T20:27:56Z2020-02-25T20:27:56ZRacisme de bas étage dans l’immobilier privé ?<p>En 2016, l’affaire avait fait fureur sur Twitter. L’agence Laforêt met alors en ligne une annonce précisant « attention, important pour la sélection des locataires : nationalité française obligatoire, pas de noir » pour un logement à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) avant de la retirer en présentant ses excuses publiquement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"813700455222091776"}"></div></p>
<p>Ce cas révèle l’existence d’une discrimination aux logements qui reste cependant, en règle générale, de nature plus discrète et difficile à saisir clairement.</p>
<p>Une enquête réalisée en mai 2019 par SOS-Racisme a dénoncé la réalité des personnes non blanches lorsqu’elles cherchent un logement. Leur étude conclut qu’un actif d’origine ultra-marine ou subsaharienne a 40 % de chances en moins d’avoir un logement qu’un jeune actif d’origine française ancienne. Un jeune actif d’origine maghrébine a lui, <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/sos-racisme-teste-les-annonces-de-location-de-particulier-a-particulier-le-resultat-est-accablant-1557214779">37 % de chances en moins</a>.</p>
<p>De nombreux propriétaires et agences ont été épinglés pour avoir refusé le logement sous prétextes raciaux ou religieux. Ces décisions sont illégales mais les populations d’origine étrangère continuent d’en être les victimes. Les visites sont difficiles à décrocher et les contrats sont réservés aux populations d’origine européenne. Cela se traduit dans le paysage urbain. Exclus du logement privé, 28 % des personnes d’origine africaine se retrouvent dans des zones urbaines sensibles (ZUS), contre 6 % pour le reste de la population. Une ghettoïsation qui réduit leur mobilité géographique et les opportunités de travail qui s’offrent à eux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6tGJaKYs2ew?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Enquête sur les discriminations dans l’accès au logement : « On appelle ça du racisme, en réalité » (Franceinfo, 2019).</span></figcaption>
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<p>Avec Pierre Philippes Combes, Benoît Schmutz et Alain Trannoy, nous avons enquêté sur la discrimination dans le marché locatif des biens immobiliers. Toutes choses égales par ailleurs, les individus d’origine africaine sont <a href="https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant/">26 % à se loger</a> dans des logements sociaux et HLMs, contre 17 % pour le reste de la population ; c’est 9 points de pourcentage qui les séparent. Pour les auteurs, cette prépondérance peut s’expliquer de diverses manières. Soit ils ont une préférence pour les logements publics, soit ils y restent plus longtemps. Ou bien ils font face à une discrimination sur le marché immobilier privé.</p>
<p>Le racisme dans le marché privé n’est plus à prouver. Nous nous sommes donc penchés sur la raison de ces discriminations et renouvellent le regard porté sur la question.</p>
<h2>Une discrimation contagieuse</h2>
<p>Et si les propriétaires discriminaient pour satisfaire les voisins de palier racistes ? Cette forme de discrimination est particulièrement insidieuse car elle est motivée par des arguments économiques. L’acceptation de locataires d’origine africaine peut en effet conduire à la diminution de la valeur du logement en raison de la désaffection des personnes racistes du groupe majoritaire.</p>
<p>Mais comment identifier cette forme de discrimination ? L’idée consiste à comparer le comportement de propriétaires qui possèdent tout un immeuble à celui de propriétaires qui ne possèdent qu’un appartement. Un propriétaire qui possède plusieurs appartements dans le même immeuble a tout intérêt à ce que les locataires voisins y restent.</p>
<p>Ces derniers seraient moins enclins à emménager dans un immeuble où habitent déjà des étrangers. Et pire encore, ils seraient même capables de déménager. Une affaire qui n’arrangerait pas les propriétaires d’immeuble ! Ils auraient tendance à refuser plus facilement les populations étrangères afin de conserver un maximum de locataires.</p>
<p>C’est une enquête qu’il est possible de réaliser en France où, à la différence du reste des pays européens, une part considérable des immeubles appartiennent à une personne unique. Les propriétaires d’immeuble forment <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3620894">40 % du total des propriétaires</a>. Parmi eux, beaucoup sont aussi des personnes morales, en la qualité d’entreprises ou de sociétés. Ce phénomène perpétué par les logiques d’héritage contribue à renforcer les inégalités patrimoniales.</p>
<h2>Racisme de palier</h2>
<p>« J’ai toujours préféré aux voisins les voisines » <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hSdpfzS_Y1g">chantait Renan Luce</a>. Il n’a pas précisé leur couleur de peau… et l’analyse des économistes suggère un remix moins joyeux.</p>
<p>Si le racisme des voisins déteint sur les propriétaires qui ont plusieurs appartements, cela veut dire qu’il y a moins d’individus d’origines étrangères occupant des logements appartenant à un propriétaire d’immeuble. Dans ce cas, on peut supposer que le voisinage a un impact sur le choix du propriétaire. Pour le vérifier, les auteurs comparent deux groupes de locataires dans le parc privé des logements. Le premier est constitué d’immigrants d’origine africaine présents sur le territoire français depuis plus de quatre ans, et le second de personnes nées en France.</p>
<p>Pour faire cette hypothèse il faut s’accorder sur le fait que les propriétaires d’immeubles ne sont pas plus racistes que les propriétaires uniques. L’inverse pourrait biaiser le résultat. En exploitant <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/operation/s1370/presentation">l’enquête Patrimoine de l’Insee</a>, nous montrons que les caractéristiques des propriétaires possédant plusieurs appartements sont très proches de celles des propriétaires n’en possédant qu’un seul.</p>
<p>Nous tenons compte de l’hétérogénéité des caractéristiques observables entre les deux groupes de locataires au travers de régressions et de méthodes d’appariement basées sur le score de propension. Ces méthodes consistent à homogénéiser les deux groupes en pondérant chaque individu de sorte à créer deux groupes aux caractéristiques semblables. Nous interrogeons notamment l’influence que peut avoir la géographie entre zone urbaine et rurale. Il est primordial de tenir compte de cette différence quand on sait que les propriétaires d’immeubles se situent plus en zone rurale alors que les populations d’origines étrangères habitent plutôt en zone urbaine.</p>
<p>Notre étude conclut que, toutes choses égales par ailleurs, les locataires d’origines africaines ont 15 % de chance en moins de trouver un appartement auprès d’un propriétaire qui détient un immeuble entier qu’une personne de nationalité française. Cette différence montre qu’au-delà des discriminations qu’ils peuvent subir par les propriétaires en règle générale, il existe une <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/sos-racisme-teste-les-annonces-de-location-de-particulier-a-particulier-le-resultat-est-accablant-1557214779">discrimination plus insidieuse</a> qui est générée par les voisins.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313518/original/file-20200204-41532-1aqiovr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les locataires d’origine étrangère ont davantage tendance à habiter dans un logement tenu par un propriétaire d’appartement unique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dialogueseconomiques.fr/sites/default/files/styles/article_image_simple/public/2020-01/christian-stahl-8S96OpxSlvg-unsplash.jpg?h=f1e5561b&itok=ykqYS-hb">Christian Stahl/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plus précisément, 39 % des locataires de nationalité française louent un appartement détenu par un propriétaire multiple, contre 33 % pour les immigrants africains. La différence de 6 points de pourcentage représente ainsi près de 15 % de la probabilité moyenne pour l’ensemble de la population. Elle est donc statistiquement significative. Cela signifie qu’une personne d’origine africaine à 15 % de chance en moins de trouver un appartement auprès d’un propriétaire qui détient un immeuble entier qu’une personne de nationalité française.</p>
<p>Ce chiffre ne représente donc qu’une partie succincte du phénomène de discrimination par le voisinage. En effet, nous n’identifions que la différence de comportements entre les propriétaires d’immeubles et les propriétaires d’un unique appartement. Il est tout à fait possible que ces derniers discriminent également les personnes d’origine africaine, mais avec une intensité moindre que ne le font les propriétaires d’immeuble.</p>
<p>Les locataires d’origine étrangère ont plus tendance à habiter dans un logement tenu par un propriétaire d’appartement unique. Ce serait donc le racisme sous-jacent des voisins qui, une fois anticipée par les propriétaires, pèserait dans la balance. De notre avis, cette dynamique est beaucoup plus insidieuse. Difficile à repérer, difficile à dénoncer, mener des politiques antidiscriminatoires contre ce phénomène s’avère particulièrement hasardeux.</p>
<h2>HLM et banlieue ghettoïsée</h2>
<p>Le marché locatif privé est si difficile à pénétrer pour les personnes noires que beaucoup se reportent ipso facto vers le parc HLM. Cela engendre une surreprésentation de populations d’origines étrangères dans les logements sociaux. Cet écart s’expliquerait en grande partie par la proportion des propriétaires d’immeubles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313524/original/file-20200204-41507-1b4c5e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">HLM dans le XIIᵉ arrondissement de Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/paris-hlm-towers-sunset-12th-arrondissement-1015399471">Stephane Debove/Shutterstock</a></span>
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<p>La probabilité individuelle de résider en HLM est en moyenne de 15 %, mais elle monte à 35 % pour les personnes d’origine africaine. Lorsque l’on tient compte des différences de caractéristiques observables, l’écart est encore de 10 points de pourcentage. L’intégralité de cet écart résiduel s’explique par la proportion des propriétaires d’immeuble au niveau départemental !</p>
<p>La ségrégation urbaine, comme le racisme du voisinage, est aux frontières du visible. Mais ces logiques ont un impact concret et considérable sur le quotidien des discriminés. Concentrés dans des quartiers ségrégués, ils sont éloignés des centres dynamiques. Leur mobilité se réduit pendant que les disparités sociales s’accroissent. Notre étude met au jour un phénomène difficilement observable au premier abord. Elle pose la question des limites des politiques de lutte contre les discriminations et renseigne sur le racisme – invisible et pourtant lourd de conséquences – qui persiste au sein de la société française.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/256813/original/file-20190201-127151-1h8ld7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p><em>Cet article a été rédigé par Claire Lapique en collaboration avec Bruno Decreuse, et publié dans la revue <a href="https://www.dialogueseconomiques.fr">« Dialogues économiques »</a> de l’AMSE, l’école d’économie d’Aix-Marseille, en partenariat avec The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131103/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Decreuse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour expliquer les discriminations dans le marché locatif privé, une étude avance que le racisme insidieux de certains locataires pourrait déteindre sur les propriétaires.Bruno Decreuse, Professeur de Science économique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1322122020-02-23T19:33:56Z2020-02-23T19:33:56ZAprès le Brexit, la clarification de l’arène politique européenne<p>Comme chacun sait, le Brexit a largement été interprété comme une manifestation de la crise de la légitimité démocratique européenne. Mais il se trouve que, dans les mois qui ont suivi le référendum britannique de juin 2016, la quasi-totalité des partis européens comparables au UKIP – ce parti xénophobe et tribunitien, uniquement dédié à la sortie de l’UE depuis le début des années 1990, et qui a fini par atteindre son objectif grâce à la complicité du parti Conservateur – ont renoncé à la sortie de l’UE et de la zone euro.</p>
<p>En conséquence, depuis le 31 janvier 2020, date du départ du Royaume-Uni, il ne se trouve plus au sein du Parlement européen (PE) élu en mai 2019 de délégation prônant le retrait de l’UE.</p>
<p>Le PE compte désormais 705 membres (contre 751 en mai 2019). La quasi-totalité d’entre eux, y compris dans les rangs nationalistes et souverainistes, inscrivent leur combat politique dans l’espace politique européen. De ce point de vue, le Brexit clarifie le tableau. Maintenant que Nigel Farage et les siens ont quitté le PE, la stratégie des nationalistes est de s’allier entre eux au sein de l’UE autour d’un ensemble de cibles partagées, sources selon eux de la plupart des problèmes affectant les Européens : les personnes venues de l’extérieur de l’Europe, le libéralisme politique, les élites… Au nom d’une vision ethno-confessionnelle, culturaliste et populiste du monde, l’Europe politique apparaît désormais, au sein de cette famille qu’on continue d’appeler eurosceptique et souverainiste, voire europhobe, comme une communauté appelée à défendre chacune des nations européennes contre les agents susceptibles de les corrompre, tant de l’extérieur que de l’intérieur.</p>
<h2>Europe orbanisée vs Europe urbanisée</h2>
<p>Cette évolution du nationalisme et de l’euroscepticisme peut être qualifiée d’« orbanisation », du nom du premier ministre hongrois. Elle brouille les cartes, car ce nationalisme du XXI<sup>e</sup> siècle se diffuse au delà de l’extrême droite, dans toutes les familles politiques. Aux élections européennes de 2019, on a pu constater un <a href="https://www.nouvelobs.com/elections-europeennes/20190526.OBS13507/resultats-elections-europeennes-pas-de-raz-de-maree-pour-les-nationalistes-mais.html">recul relatif des nationalistes</a> dans une aire qui en fut pourtant un foyer très précocement actif depuis le tout début des années 2000 : l’espace qui regroupe les pays baltes qui ont adhéré à l’UE en 2004 et les marches sociales-démocrates et neutres englobées dans l’UE à la fin de la guerre froide (Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Autriche, ainsi que le Danemark, entré dès 1973). Ce recul s’explique par le fait que plusieurs partis membres du PPE (famille des droites démocrates-chrétienne et conservatrice) comme de S&D (famille des sociaux-démocrates et du centre gauche) ont repris à leur compte la xénophobie et l’islamophobie des nationalistes, sans céder toutefois à la dénonciation de type populiste des élites bruxelloises.</p>
<p>UKIP (puis le Brexit Party) excellait pour sa part dans une xénophobie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1354068818816969">d’abord dirigée contre d’autres Européens</a>, tout en dénonçant le pouvoir de Bruxelles, Parlement européen y compris. Longtemps, dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, le souverainisme alla de pair avec ce type de rejet de la construction européenne. Mais Viktor Orban et le PiS polonais ont introduit une innovation doctrinale et idéologique que se sont aujourd’hui appropriée la grande majorité des partis nationalistes promouvant la souveraineté nationale : l’échelle européenne, et les institutions qui la rendent opérationnelle, ne sont antinomiques ni avec la souveraineté nationale ni avec l’indépendance du peuple national, qu’il s’agit de protéger et de magnifier.</p>
<p>Viktor Orban aime à expliquer que son parti, le Fidesz, est au PPE ce que la CSU, parti démocrate-chrétien ultraconservateur, est à la CDU en Allemagne. Il est vrai que le PPE a besoin de cet allié parfois encombrant. Ainsi, en février 2020 comme un an plus tôt en 2019, le PPE ne se résout pas à exclure Viktor Orban pour ses multiples provocations – il ne peut que le <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/hongrie/la-droite-europeenne-decide-de-suspendre-le-parti-de-viktor-orban-pas-de-l-exclure-6271919">« suspendre »</a>. De fait, cette suspension-inclusion montre à quel point le PPE est divisé sur la xénophobie et l’illibéralisme, et combien il se sent affecté par la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/27/europeennes-2019-percee-des-verts-des-liberaux-et-de-l-extreme-droite-dans-un-parlement-fragmente_5467891_3210.html">diminution de son score</a> aux européennes de 2019 (il ne pèse plus qu’un gros quart des sièges contre 29 % en 2014). Ces élections ont en revanche renforcé Viktor Orban : avec plus de 50 % des voix dans son pays, et 13 eurodéputés, le poids relatif de son parti Fidesz dans le PPE a augmenté. Orban demeure donc idéalement placé pour continuer à jouer, au sein d’un PPE affaibli, le rôle de tête de pont des nouveaux groupes nationalistes eurosceptiques.</p>
<p>Cette idéologie souverainiste, nationaliste et xénophobe – portée au nom des peuples européens et de l’Europe – s’insinue dans la quasi-totalité des eurogroupes parlementaires. Elle s’épanouit bien entendu au sein des deux groupes qui lui sont explicitement dédiés : Identité et Démocratie (ex-Europe des nations et des libertés, où l’on retrouve par exemple le RN français, la Ligue italienne, le FPÖ autrichien, l’AfD allemande, le PVV hollandais…) et CRE (Conservateurs et réformistes européens, rassemblés autour du PiS polonais). Mais elle se diffuse aussi au PPE (avec notamment le Fidesz d’Orban et Forza Italia de Silvio Berlusconi), au S&D (avec ses délégations maltaise et roumaine, par exemple) et même dans le groupe des Verts/ALE au travers du député élu sur la liste du parti Union russe de Lettonie et, s’agissant du souverainisme, dans une moindre mesure, au travers des deux députés danois du Parti populaire socialiste (SF).</p>
<p>Le nationalisme, l’illibéralisme et la xénophobie concernent également Renew Europe (RE). Dans ce groupe classiquement à l’avant-garde du fédéralisme européen, composé de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE) que personnifie Guy Verhofstadt, et augmenté de la macronienne LREM, on trouve en effet, et de longue date, le Parti libéral allemand (FDP) ; or, cet allié historique tantôt de la CDU tantôt du SPD est devenu depuis 2014 xénophobe et eurocritique ; il vient même de tester une <a href="https://theconversation.com/quelle-sortie-de-crise-pour-les-chretiens-democrates-en-allemagne-131596">alliance locale des droites</a> avec l’extrême droite dans le land de Thuringe !</p>
<p>Au sein de Renew Europe, on trouve aussi Ciudadanos, auquel on a pu comparer En Marche. Ce parti espagnol centriste s’est distingué en prônant une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/espagne-madrid-symbole-des-alliances-entre-ciudadanos-et-lextreme-droite">alliance électorale avec le nouveau parti xénophobe et réactionnaire Vox</a>, plutôt qu’avec le PSOE de Pedro Sanchez. Dans RE se trouve aussi ANO, le parti du populiste premier ministre tchèque Andrej Babis, qui se montre aussi critique envers « Bruxelles » que l’est Orban… et qui, comme son homologue hongrois, n’hésite pas à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Fraude-fonds-europeens-Premier-ministre-tcheque-collimateur-2019-04-17-1301016382">détourner</a> les importants fonds européens publics de développement régional pour ses entreprises, sa clientèle d’affidés et son enrichissement personnel.</p>
<p>Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban, largement vainqueur des élections législatives hongroises de 2014 et 2018, propose donc, avec un succès qui mérite d’être salué, une innovation doctrinale déterminante : inscrire le nationalisme à l’échelle européenne et dans l’arène européenne. Il affirme à la fois l’importance de la nation hongroise et la nécessité, pour les nations européennes, de faire bloc contre ce qui pourrait menacer les valeurs qu’elles partagent selon lui, dans une construction en écho à la thèse du <a href="https://journals.openedition.org/anatoli/457">« choc des civilisations »</a> développée par le politologue américain Samuel Huntington. Il défend ainsi la lutte contre l’« islamisation de l’Europe », exigeant notamment le refus des flux migratoires venus du monde arabo-musulman. Au nom de la détestation des élites qui trahiraient le peuple, il minimise l’importance du libéralisme politique, de l’État de droit, du pluralisme et des institutions qui les font vivre, et qu’en Hongrie ses politiques publiques <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/22/en-hongrie-neuf-annees-d-affaiblissement-de-l-etat-de-droit_5465481_3210.html">érodent</a> avec efficacité.</p>
<p>Viktor Orban a donc sorti le nationalisme et le communautarisme de la simple opposition entre « pro » et « anti » européens : il se réclame lui aussi de l’Europe, pour y porter un projet bien différent de sa tradition humaniste et émancipatrice. Marine Le Pen en France et Matteo Salvini en Italie ont fait leurs cette doctrine au sein de leur eurogroupe parlementaire ENL, rebaptisé ID en 2019 et devenu, après le départ des eurodéputés britanniques, le quatrième eurogroupe du PE, devant les Verts qui ont perdu leurs députés britanniques suite au Brexit, comme Renew Europe. Par son europhobie et son nationalisme, ID reste très proche non seulement du Fidesz de Viktor Orban, mais aussi de l’eurogroupe parlementaire des Conservateurs et réformistes européens (CRE), qui ne perd que les quelques députés Tories alors en déroute élus en 2019, et dans lequel on trouve notamment les nationalistes flamands de la NVA et le PiS polonais. Les dirigeants du PiS, qui a obtenu plus de 40 % des voix en Pologne aux éuropéennes en mai 2019, ne cache pas qu’Orban représente pour lui une source d’inspiration.</p>
<p>Cette Europe orbanisée est aux antipodes de l’Europe urbanisée. « Urbanisée » s’entend ici au sens de cette qualité qu’on appelle l’urbanité. Les nationalistes, en effet, ne prisent guère le pluralisme, la mixité et le cosmopolitisme qui caractérisent la très grande ville.</p>
<p>De fait, le vote nationaliste a été en 2019 sous-représenté dans les grandes villes. Londres, Paris, Budapest et Helsinki en ont témoigné tout particulièrement, même si les métropoles de l’Italie du nord et de la France du sud-est ne se sont pas inscrites dans cette tendance.</p>
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<h2>Après le Brexit, une confrontation entre deux Europe antagonistes</h2>
<p>Le départ des eurodéputés britanniques va encore plus nettement mettre aux prises les deux visions de l’Europe. C’était déjà le cas auparavant mais, depuis 2014, entre 5 et 7 % des sièges au PE étaient d’une certaine façon « neutralisés » par les Brexiters.</p>
<p>Les nationalistes, tout en maintenant leur critique populiste de « Bruxelles », ont adapté leur offre politique à la demande de leurs électeurs qui ne veulent plus sortir de l’UE et qui tiennent à Erasmus, à l’euro, à la PAC, à Schengen, au corps des garde-frontières, à la politique commerciale face à la Chine… En démontrant à quel point les Européens sont interdépendants les uns des autres, le Brexit a <a href="https://theconversation.com/leurope-des-27-ne-veut-surtout-pas-imiter-le-brexit-130659">contribué à structurer cette demande</a>.</p>
<p>L’europhobie se caractérise aujourd’hui par sa méfiance voire sa détestation des valeurs au nom desquelles a été promue la construction européenne, y compris la supranationalité comme méthode de gouvernement. Mais, avec la sortie du Royaume-Uni, elle ne se caractérise plus par le projet de quitter l’UE ou l’euro. Le soutien à la construction européenne et l’euroscepticisme souverainiste représentent désormais deux projets opposés d’unité européenne et d’utilisation des institutions et des politiques publiques de l’UE. Ce face-à-face définira dans une large mesure les années à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec le départ des députés britanniques, il ne reste au Parlement européen que des forces favorables à la préservation de l’UE. Le combat politique n’en sera pas moins acharné.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283612019-12-09T19:43:03Z2019-12-09T19:43:03ZVenezuela : bientôt la première crise migratoire mondiale<p><a href="https://r4v.info/es/situations/platform">4,6 millions de Vénézuéliens</a>, soit plus de 15 % de la population, ont quitté leur pays au cours de ces dernières années, un phénomène ancien qui augmente de manière exponentielle depuis 2017. En ampleur numérique, il s’agit du quatrième phénomène au niveau mondial, derrière les théâtres d’intervention étasuniens de ces dernières décennies (Syrie, Irak et Afghanistan), mais du premier en dehors des pays en guerre.</p>
<p>Cet exode s’accentue. Selon l’envoyé spécial de l’ONU sur les migrations vénézuéliennes, Eduardo Stein, ils seront <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/press/2019/11/5dcc50fda/refugies-migrants-venezueliens-lancement-dun-plan-regional-daide-135-milliard.html">6,5 millions</a> dès l’année prochaine à être partis, provoquant la principale crise migratoire de la planète.</p>
<p>La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine : plus de 1,4 million dans la Colombie voisine, 0,9 million au Pérou à plusieurs milliers kilomètres du Venezuela, 0,4 million en Équateur et autant au Chili… Les Vénézuéliens sont donc sans surprise les plus nombreux à mourir sur les routes migratoires latino-américaines. Sur le premier semestre 2019, 89 d’entre eux ont ainsi perdu la vie en mer des Caraïbes, et 17 autres étaient morts d’hypothermie ou d’arrêt respiratoire en septembre 2018, en essayant de traverser le Páramo de Berlin, une zone de haute montagne à la frontière colombienne.</p>
<p>Ces chiffres apparaissent infinitésimaux au regard des tragédies que nous connaissons en Méditerranée, pour des raisons géographiques simples : la migration vénézuélienne s’opère essentiellement par voie terrestre. Mais les risques seront accrus si le phénomène, comme prévu, continue de prendre de l’ampleur.</p>
<h2>Une émigration à l’ampleur nouvelle</h2>
<p>Pour le Venezuela, cette émigration massive est d’autant plus déstabilisante que le pays était traditionnellement une terre d’accueil, pour les Latino-américains et pour les Européens fuyant les régimes autoritaires ou attirés par son abondance pétrolière. Le 18 février 1983, le <em>Viernes Negro</em> (vendredi noir), jour de la première dévaluation de la monnaie nationale, le bolívar, est le début d’une crise économique aiguë. Celle-ci se double d’une crise politique jusqu’à l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999, qui inverse peu à peu les flux migratoires.</p>
<p>Sous Hugo Chávez, ce sont principalement les classes possédantes qui fuient le pays, en invoquant l’insécurité physique et les incertitudes politiques plus que des motifs économiques. Après l’accession à la présidence en 2013 de Nicolás Maduro, on constate une généralisation du phénomène, qui touche désormais tous les secteurs de la société, des plus aisés aux plus déshérités.</p>
<p>Des chercheurs qui ont étudié un échantillon de 12 957 migrants vénézuéliens à destination <a href="https://www.cpalsocial.org/documentos/830.pdf">du Pérou, de l’Équateur, de la Colombie et du Chili</a>, ont mis au jour les principales caractéristiques de ces émigrés. La majorité d’entre eux a moins de trente ans et leur motivation est principalement économique. 8 migrants sur 10 évoquent la recherche de meilleures opportunités de travail, et plus de 70 % d’entre eux souhaitent aider économiquement un proche.</p>
<p>L’invocation de causes politiques est plus rare. La moitié mentionne un manque d’accès à l’emploi, au logement ou à la retraite pour des raisons politiques et autour de 10 % évoquent des persécutions politiques à proprement parler. Pour les autres, l’émigration est purement économique.</p>
<h2>Un président aveuglé</h2>
<p>La réaction du gouvernement de Nicolás Maduro à cette crise peut être résumée en trois aspects : le mépris, l’euphémisation et la volonté de rapatriement. Le mépris se manifeste dans des phrases récurrentes des principaux responsables de l’exécutif vénézuélien, notamment du chef de l’État en personne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F9tkFDq-J_8">qui a notamment accusé les migrants vénézuéliens</a> d’être abusé par « l’offre fausse de la droite », assurant qu’ils partent pour « profiter des miels d’autres pays et terminent en récurant les toilettes, comme esclaves et mendiants ».</p>
<p>L’euphémisation peut être constatée dans l’une des rares estimations de Nicolás Maduro lors d’un entretien télévisé <a href="https://www.dailymotion.com/video/x71s5q5">début février 2019</a>, où il évalue l’émigration à entre 0,6 et 0,8 million de personnes. La volonté de rapatriement s’incarne dans la mise en place du plan « Vuelta a la patria » (retour à la patrie). Selon les données du gouvernement, 15 946 Vénézuéliens en auraient bénéficié, soit 0,3 % du total des migrations. Or le rythme de l’émigration est actuellement estimé à 5 000 partants par jour, c’est-à-dire que le solde migratoire du plan « Vuelta a la patria » est atteint en seulement trois jours.</p>
<p>Initialement, les migrants ont reçu dans les pays latino-américains voisins un accueil plutôt favorable, fidèle à la <a href="https://www.unhcr.org/fr/about-us/background/4b14f4a5e/declaration-carthagene-refugies-adoptee-colloque-protection-internationale.html">Déclaration de Carthagène</a> de 1984. Contrairement au Vieux Continent, on n’a pas vu émerger de forces politiques capitalisant électoralement sur la xénophobie ressentie par les locaux à l’égard de ces populations fraîchement arrivées. Aux élections municipales de Lima, le candidat Ricardo Belmont a expérimenté ce positionnement et l’a payé par une cuisante défaite, n’obtenant que 3,9 % des suffrages exprimés. Au Brésil, la campagne présidentielle victorieuse du dirigeant d’extrême droite Jair Bolsonaro s’est davantage fondée sur la lutte contre l’insécurité et la corruption que sur le rejet des migrants vénézuéliens.</p>
<h2>Des discriminations en hausse</h2>
<p>Si l’accueil initial apparaissait plus humaniste que le rejet constaté en Europe, on assiste depuis quelques mois à une tendance à la fermeture des frontières, principalement <a href="https://theconversation.com/comment-le-perou-a-ferme-la-porte-aux-migrants-venezueliens-126321">au Chili, en Équateur et au Pérou</a>, condamnant des milliers de Vénézuéliens à se déplacer dans l’illégalité.</p>
<p>Si la xénophobie ne s’exprime pas pour l’heure électoralement, les discriminations visant les « venecos » (surnom péjoratif attribué aux Vénézuéliens) se multiplient. On peut ainsi citer l’attaque en août 2018 d’un camp de migrants vénézuéliens à Pacaraima, à la frontière brésilienne, ou le vote sur l’expulsion des Vénézuéliens sous deux mois dans le district de Pichari au Pérou en octobre 2019. Des responsables politiques ont également tenu des propos inquiétants : Esther Saavedera, parlementaire péruvienne du parti fujimoriste (partisans de l’ancien autocrate Alberto Fujimori), <a href="https://www.youtube.com/watch?v=K1zzSsPWoAo">a déclaré en septembre 2019</a> : « Bons ou mauvais, ils doivent partir du Pérou ! » Le président équatorien Lenin Moreno <a href="https://www.elcomercio.com/actualidad/moreno-brigadas-control-venezolanos-ecuador.html">a quant à lui appelé</a> à « la formation immédiate de brigades pour contrôler la situation légale des immigrants vénézuéliens » quelques heures après un assassinat commis par un Vénézuélien en janvier 2019.</p>
<p>Au-delà de ces faits isolés, les entretiens du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés indiquent en octobre 2019, que <a href="https://apnews.com/9a87709dd6794ebb975bf770bc83f10e">46,9 % des Vénézuéliens se sont sentis discriminés à travers l’Amérique latine, contre 36,9 % au début de l’année</a>.</p>
<p>Aux États-Unis également, le sort des Vénézuéliens est un enjeu de discorde. Les sanctions économiques imposées depuis 2017 asphyxient encore davantage l’économie du pays. À l’instar de ce qui est imposé à l’égard de Cuba, ces mesures limitant le commerce sont généralement conjuguées à des facilités migratoires. Le statut de protection spéciale (<em>temporary protected status</em>, TPS) concède ainsi des permis de séjour de manière extraordinaire aux citoyens de nations affectées par des conflits ou des désastres naturels.</p>
<p>Une loi étendant ce dispositif aux Vénézuéliens a été votée en juillet 2019 par la Chambre des Représentants à majorité démocrate mais <a href="https://www.miamiherald.com/news/local/news-columns-blogs/andres-oppenheimer/article235948032.html">se heurte à l’opposition des républicains et de Donald Trump</a>, qui refusent toute concession sur la thématique de l’immigration si chère à leur électorat. L’ensemble des principaux candidats à la primaire démocrate se sont affirmés favorables à l’octroi du TPS aux Vénézuéliens, sujet qui ne manquera pas de devenir un enjeu de la prochaine élection présidentielle de 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128361/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Posado est membre du Conseil d’Administration du Groupe d’Etudes Interdisciplinaires sur le Venezuela (GEIVEN), association loi 1901 rassemblant des chercheurs travaillant sur le Venezuela. </span></em></p>Depuis le début de la crise, le pays connaît un véritable exode, dont les raisons sont principalement économiques.Thomas Posado, Chargé de cours, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274132019-11-24T16:32:42Z2019-11-24T16:32:42ZFace aux discriminations, les musulmans et les minorités demandent l’égalité<p>Emmanuel Macron <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Les-Miserables-le-cri-d-alarme-sur-les-banlieues-qui-seduit-Macron-et-Borloo-1659860">se rendra-t-il à Montfermeil</a> comme le souhaite Ladj Ly, réalisateur primé à Cannes pour <em>Les Misérables</em> ? Ce film lui permettra-t-il – à lui comme à l’ensemble des Français·es – de considérer enfin les discriminations dont sont victimes une part non négligeable de nos concitoyen·ne·s ? Il serait temps.</p>
<p>Le climat de racisme ambiant et la <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">libération de la parole xénophobe</a> a encouragé une série d’humiliations et d’attaques visant directement des personnes de confession musulmane.</p>
<p>Attentat contre une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/29/claude-sinke-l-homme-derriere-l-attaque-de-la-mosquee-de-bayonne_6017270_3224.html">mosquée à Bayonne</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/julien-odoul-demande-a-une-mere-accompagnatrice-denlever-son-voile_fr_5da1887ce4b087efdbaebacc">humiliation</a> d’une mère portant un foulard et accompagnatrice d’une sortie scolaire à Dijon, propos comparant les femmes voilées à des « sorcières d’Halloween » <a href="http://www.leparisien.fr/politique/femmes-voilees-comparees-a-des-sorcieres-d-halloween-pas-de-sanctions-pour-le-senateur-08-11-2019-8188809.php">par un sénateur</a> … La liste est longue.</p>
<p>Ces séquences éprouvantes laissent des traces profondes, sociales, psychologiques, individuelles comme collectives, ainsi que le révèle une enquête que nous conduisons depuis 2015.</p>
<h2>Plus de 90 % des enquêtés ont subi ou été témoins de discrimination</h2>
<p>Les débats concernant la place des religions dans la société française ne sont pas illégitimes. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/14/les-musulmans-n-en-peuvent-plus-d-entendre-parler-de-leur-religion-sur-le-mode-de-la-denonciation-et-du-denigrement_6019085_3232.html">Ils se mènent cependant le plus souvent sans ceux/celles qui sont le plus directement concerné·es</a>, beaucoup s’autorisant à décider à leur place ce que signifie telle ou telle pratique ou évoquant la menace d’un supposé « agenda caché ». Ici, l’enquête sociologique permet de rappeler certains faits.</p>
<p><a href="https://anr.fr/Projet-ANR-14-CE30-0011">La recherche</a> que nous conduisons depuis 2015 dans les quartiers populaires révèle en effet l’ampleur des discriminations et de la stigmatisation dont sont victimes les citoyen·ne·s perçu·es comme descendant·es de l’immigration ou musulman·es.</p>
<p>Nous avons conduit 165 entretiens biographiques dans plusieurs agglomérations de France (Grenoble, Bordeaux, Lyon, Roubaix et en Seine-Saint-Denis Villepinte et Le Blanc-Mesnil). Plus de 90 % des personnes rencontrées déclarent avoir fait au moins une fois directement, ou comme témoin, l’expérience d’une discrimination ou d’un acte stigmatisant.</p>
<h2>Un impact sur l’ensemble de la société</h2>
<p>À côté des propos racistes, des insultes et remarques stigmatisantes, la discrimination désigne une différence de traitement en raison de critères illégitimes et illégaux.</p>
<p>Beaucoup se sont vus refuser un emploi ou une progression de carrière, un logement alors que leur dossier correspond aux attentes, n’ont pas pu accéder à certains magasins ou loisirs. On pense par exemple à ces femmes portant un voile empêchées de participer <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/a-croix-deux-femmes-empechees-de-brocante-car-voilees_97029">à une brocante</a>. D’autres, ne portant pas forcément de signes religieux mais perçu·es comme noir·es, arabes, musulman·es, roms, jeunes de quartiers, subissent des contrôles d’identités routiniers, humiliants voire violents… Souvent minimisée, il s’agit d’une réalité massive et incontestable, démontrée par de <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">nombreuses études de sciences sociales</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois lycéens ont assigné l’État en justice pour contrôle d’identité abusif (Brut, 2017).</span></figcaption>
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<p>Notre enquête, qui donnera lieu à un ouvrage collectif en 2020, renseigne sur l’étendue de la violence sociale subie par ces personnes et son impact sur l’ensemble de notre société.</p>
<h2>Démotivation, dépression, suicides</h2>
<p>Ces traitements inégalitaires constituent un traumatisme profond pour les individus. Nombre de nos enquêté·es ont comparé ces expériences à « une gifle », « un coup de poignard ». Elles suscitent colère et tristesse. Elles entraînent des interrogations et des doutes, construisent des identités meurtries.</p>
<p>Les expériences stigmatisantes ont également des conséquences pratiques. Démotivation, dépression, suicide : leurs effets sur la santé ont été abondamment documentés dans <a href="https://research-information.bristol.ac.uk/en/publications/a-systematic-review-of-studies-examining-the-relationship-between-reported-racism-and-health-and-wellbeing-for-children-and-young-people(813653aa-47f4-4aaf-b041-8850162c1220)/export.html">plusieurs pays</a>, et commencent à l’être en France, comme l’atteste par exemple la surmortalité des descendant·e·s d’immigré·es de <a href="https://www.ined.fr/fr/actualites/presse/la-premiere-etude-sur-la-mortalite-des-descendants-dimmigres-de-deuxieme-generation-en-france-revele-une-importante-surmortalite-chez-les-hommes-dorigine-nord-africaine/">deuxième génération</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Impact du contexte social sur la dépression des jeunes issus de minorités (National Institute of Mental Health, 2017).</span></figcaption>
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<h2>Quitter la France pour fuir le racisme</h2>
<p>Dans ce contexte, un nombre croissant de Français, membres de groupes minorisés, spécialement les musulman·e·s, <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/eduques-formes-et-discrimines-les-injustices-au-travail-des-francais-dorigine-maghrebine/">envisagent de quitter le pays ou l’ont déjà fait</a> pour se prémunir de cette atmosphère étouffante. Nous avons interviewé de nombreux Français·es installé·es au Canada, en Angleterre ou aux États-Unis qui expriment à quel point, même si le racisme y existe aussi, leur vie y est malgré tout plus simple, le quotidien moins oppressant.</p>
<p>C’est le cas par exemple de Mourad, d’origine algérienne, titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université Paris 8, qui gérait une librairie à Colombes. Il a décidé avec sa femme de migrer à Montréal explicitement à cause du racisme en France :</p>
<blockquote>
<p>« C’était trop dur, toujours ces regards, je ne voulais pas que mes enfants grandissent là. »</p>
</blockquote>
<p>C’est également le cas de Slimane, travailleur social d’origine franco-tunisienne, qui a vécu en Tunisie jusqu’à l’âge de 19 ans et est arrivé en France pour faire des études de sociologie. Après avoir travaillé une dizaine d’années comme animateur dans un centre social à Strasbourg, il fait le choix d’émigrer au Québec, fatigué par le regard suspicieux porté sur les immigrés originaires du Maghreb :</p>
<blockquote>
<p>« Je voulais partir, je ne voulais plus rester en France. J’en avais marre de devoir toujours, toujours me justifier. Et puis on parlait souvent du Maghreb, des arabes… J’ai joué le jeu pendant 10 ans en me disant “OK, on va faire de la pédagogie”, mais à un moment donné, voilà, j’en avais marre. »</p>
</blockquote>
<p>La France ne les aime pas, donc ils la quittent. Ce phénomène, qui n’est pas qu’anecdotique parmi nos enquêtés, devrait nous interroger : certains de nos compatriotes quittent leur pays pour vivre une vie décente et digne.</p>
<p>En s’attaquant à leur identité, les propos et traitements inégalitaires déstabilisent l’image de soi des individus. Certain·es peuvent dire que ce n’est pas leur problème ou que celui-ci est secondaire au regard d’autres sujets d’actualité. On peut aussi considérer que la souffrance sociale et les manières d’y répondre sont des questionnements d’intérêt collectif, qui concernent et affectent la nation tout entière.</p>
<h2>« Vous n’avez qu’à retirer votre voile »</h2>
<blockquote>
<p>« Si vous voulez accompagner les sorties scolaires, vous n’avez qu’à retirer votre voile. »</p>
</blockquote>
<p>On a beaucoup entendu sur les plateaux de télévision comme chez les élu·e·s de tous bords cette injonction à se dévoiler faite aux femmes musulmanes.</p>
<p>Comme si, pour continuer à exister sans discrimination ou stigmatisation il fallait s’effacer, « se faire discret » <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/08/15/01016-20160815ARTFIG00078-chevenement-conseille-la-discretion-aux-musulmans.php">(comme le proposait un ancien ministre de l’intérieur)</a>. En d’autres termes : s’invisibiliser. Il s’agit de faire porter aux individus discriminés eux-mêmes la responsabilité du traitement injuste dont ils et elles font l’objet.</p>
<p>Autre propos fréquemment entendu : « Mais vos mères ne se voilaient pas, elles ! C’était différent dans les années 1980 ». Constat en partie exact, mais qui fait généralement l’économie d’une analyse pourtant établie par de nombreux travaux de sciences sociales. Ce mouvement de retour du religieux touche toutes les confessions, pas seulement l’islam et ce <a href="https://www.eerdmans.com/Products/4691/the-desecularization-of-the-world.aspx">dans le monde entier</a>.</p>
<h2>Pourquoi l’offre religieuse trouve-t-elle son public ?</h2>
<p>Le développement d’un islam plus rigoriste est le fruit de la mobilisation de certains courants théologiques au Moyen-Orient, qui ont été pour partie importés en France <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-islam-mondialise-olivier-roy/9782020538343">depuis la fin des années 1980</a>.</p>
<p>Mais il convient de se demander pourquoi cette offre religieuse a fonctionné et a conquis une partie de la jeunesse française. On sait ainsi que les jeunes de 18 à 25 ans se déclarant musulmans indiquent une <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/secularisation-regain-religieux/">religiosité supérieure de 10 points aux croyants de plus de 35 ans</a>.</p>
<p>On ne peut comprendre la pratique religieuse plus intensive – à ne pas confondre avec la radicalisation – des musulman·e·s depuis plusieurs décennies (port du voile et de la barbe, pratique du ramadan et consommation halal par exemple) indépendamment des expériences de discrimination et de stigmatisation que subissent les minorités issues de l’immigration post-coloniale.</p>
<h2>L’islam comme refuge</h2>
<p>Le chômage de masse – on sait que le taux de chômage des immigrés et de leurs descendants s’avère <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/les-discriminations-accentuent-fortement-le-chomage-des-immigres-743681.html">au moins cinq points supérieur à la moyenne</a> – est en partie lié <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2891682?sommaire=2891780">aux discriminations à l’embauche</a> ou lors de l’orientation scolaire. Il constitue également un facteur qui pousse à chercher d’autres sphères de socialisation que celles du travail.</p>
<p>Né·es Français·es de parents étrangers, traité comme des « Français·es de seconde zone », pour reprendre une expression fréquemment entendue au cours de nos entretiens, elles et ils cherchent des clefs, des réponses, une <a href="http://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/limmigration-ou-les-paradoxes-de-lalterite-tome-iii/">forme de réconfort identitaire</a> dans des traditions familiales et culturelles refoulées, parfois <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9780429451737">imaginées ou réinventées</a>.</p>
<p>L’islam peut alors constituer un refuge. Si bien que paradoxalement plus le débat public se durcit, plus « la République se montre ferme » à coup de lois et de dispositifs d’exception, plus ces « Français de seconde zone », en particulier les musulman·e·s, se sentent ciblé·e·s et tendent à se retrancher vers des espaces et des ressources collectives de réassurance.</p>
<p>On ne peut pas à la fois provoquer le repli communautaire et le dénoncer. On n’émancipe pas non plus les gens malgré eux.</p>
<p>Quant à ce reproche de « communautarisme », de nombreuses recherches montrent qu’<a href="https://www.puf.com/content/Communautarisme">il est davantage l’apanage des plus aisés</a>, les « ghettos de riches » et autres « clubs » marqués par des formes d’entre-soi communautaire discrètes mais efficaces, que des minorités.</p>
<p>Ces résultats pourtant attestés n’empêchent pas les éditorialistes et nombre de nos représentant·e·s de mobiliser sans relâche ce terme pour (dis)qualifier les mobilisations politiques des minorités, comme lors des <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/manifestation-contre-l-islamophobie-philippe-y-voit-du-communautarisme-20191106">récentes manifestations</a> contre l’islamophobie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KjmRoVZKx6U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les bonnes conditions, documentaire de Julie Gavras (ARTE).</span></figcaption>
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<h2>Une seule revendication : l’égalité</h2>
<p>Nous avons rencontré au cours de notre enquête des dizaines de militants et bénévoles actifs au sein des quartiers populaires. Ils et elles ne demandent pas de droits spécifiques. Ils ne sont pas les « chevaux de Troie d’un islam politique » qui ne dit pas son nom, comme l’avance une <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/infiltration-des-freres-musulmans-lelivre-qui-denonce-3927802">rhétorique complotiste</a> connaissant un succès grandissant ces derniers temps.</p>
<p>Ces militants ne réclament qu’une chose : l’égalité. Pouvoir bénéficier des mêmes droits et des mêmes opportunités que tous les autres citoyens de notre pays. Mettre en place, enfin, des politiques publiques reconnaissant le caractère systémique des discriminations et prenant à bras le corps ce problème qui mine la cohésion nationale : inspecteurs du travail dédiés, testings généralisés, sanctions réelles contre les entreprises et les institutions discriminantes (y compris les institutions publiques et d’État), attribution anonyme des logements sociaux, <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20181022.OBS4284/sebastian-roche-pour-une-reforme-des-controles-d-identite.html">réforme des contrôles d’identité par la police</a>, respect égalitaire de la loi de 1905…</p>
<p>Il n’existe pas de solution miracle, mais tant que l’ampleur du problème n’aura pas été reconnue et constituée en priorité nationale, il perdurera. Les femmes qui portent le voile savent parler, il est urgent de les entendre dans leur diversité.</p>
<p>Constituer des groupes en « ennemis de l’intérieur » plutôt qu’en égaux avec qui on peut dialoguer amène inévitablement à une logique antagonique qui creuse encore le fossé démocratique et disloque la République au lieu de la rassembler.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs sont membres du <a href="https://www.univ-lille.fr/detail-evenement/?tx_news_pi1%5Bnews%5D=1427&tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=7e431227370cbd0b7d7ff7c00f13cc53">collectif DREAM</a> ([discriminations, racismes, engagements et mobilisations).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127413/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rien à déclarer</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anaïk Purenne, Guillaume Roux, Hélène Balazard, Samir Hadj Belgacem et Sümbül kaya ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les controverses ciblant les musulman·e·s laissent de profondes traces sur les individus. Il est urgent d’en prendre la mesure et d’écouter les premiers concernés, comme le révèle notre enquête.Julien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleAnaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon., ENTPEGuillaume Roux, Chercheur, sciences politiques, FNSP, laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Hélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEMarion Carrel, Maîtresse de conférence en sociologie, Habilitée à diriger des recherches, Université de LilleSamir Hadj Belgacem, Maître de Conférence en sociologie à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneSümbül kaya, Chercheure, Responsable des Études contemporaines IFEA, Institut français d’études anatoliennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1223392019-11-12T20:21:51Z2019-11-12T20:21:51ZLe retour de l’écofascisme<p>Un peu partout dans le monde, on voit grandir chez les suprémacistes blancs un discours qui lie les théories du grand remplacement à la défense de l’environnement.</p>
<p>Patrick Cruisius, l’homme accusé du massacre de <a href="https://www.vox.com/2019/8/3/20753049/el-paso-walmart-cielo-vista-mall-shooting-what-we-know">22 personnes</a> à El Paso en août 2019, avait ainsi posté en amont sur le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/fusillade-d-el-paso/video-quest-ce-que-8chan-ce-forum-accuse-d-encourager-la-haine_3570779.html">forum 8chan</a> quatre pages dans lesquelles il justifiait son attaque par « l’invasion hispanique du Texas » et le remplacement culturel et ethnique imminent des Blancs en Amérique.</p>
<p>Mais l’extrémiste fait aussi directement référence au manifeste rédigé par Brenton Tarrant, l’homme accusé des attentats islamophobes de Christchurch, qu’il avait publié sur le même forum pour annoncer ses intentions. En mars 2019, l’attaque de deux mosquées en Nouvelle-Zélande par cet Australien d’extrême droite avait fait 52 morts.</p>
<p>Dans ce texte, Brenton Tarrant se désignait lui-même comme un « éco-fasciste », convaincu qu’il n’existait pas de <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2019/08/white-nationalists-discover-the-environment/595489/">« nationalisme sans environnementalisme »</a>. Le tueur d’El Paso a quant à lui titré sa diatribe « Une vérité qui dérange », en référence au documentaire de 2006 de l’ex vice-président américain Al Gore, alertant sur les dangers du changement climatique. Il y fait également les louanges <a href="https://www.seussville.com/books/book_detail.php?isbn=9780394823379">du <em>Lorax</em></a>, grand classique de l’écrivain américain pour enfants <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Theodor_Seuss_Geisel">Theodor Seuss</a> sur la déforestation et la cupidité des entreprises.</p>
<p>L’omniprésence des thèmes environnementaux dans ces manifestes n’est pas si étrange. Elle témoigne au contraire de la <a href="https://dx.doi.org/10.1163/15691497-12341514">place croissante de l’écofascisme</a> au cœur de l’idéologie du nationalisme blanc contemporain. Une tendance que j’ai mise au jour en menant des recherches pour un <a href="https://www.beacon.org/Proud-Boys-in-the-White-Ethno-State-P1470.aspx">ouvrage publié récemment</a>.</p>
<h2>Xénophobie et environnementalisme</h2>
<p>Le propre des écofascistes est de mêler leurs inquiétudes autour des évolutions démographiques, qu’ils qualifient d’« extinction blanche », avec des fantasmes de terres vierges exemptes de non-Blancs et de pollution.</p>
<p>La naissance de ce mouvement remonte au début du XX<sup>e</sup> siècle, lorsque les notions romantiques de communion avec la terre <a href="https://www.worldcat.org/title/ecofascism-lessons-from-the-german-experience/oclc/33131890">ont pris racine en Allemagne</a>. Ces idées ont rencontré une forme d’expression dans le concept de <em>lebensraum</em>, c’est-à-dire d’« espace vital », et dans les tentatives de créer une lignée exclusivement aryenne, dans lesquelles le <a href="https://www.newstatesman.com/science-tech/social-media/2018/09/eco-fascism-ideology-marrying-environmentalism-and-white-supremacy">nationalisme racial du « sang et du sol »</a> régnait en maître. Le concept de <em>lebensraum</em> était au cœur des politiques expansionnistes et génocidaires du Troisième Reich.</p>
<p>Les liens entre xénophobie et environnementalisme de droite ne sont on le voit pas nouveaux. Aux États-Unis, les souches de l’écofascisme remontent aux balbutiements du mouvement environnemental, alors rejoint par des racialistes comme <a href="https://www.jstor.org/stable/42628761">Madison Grant</a>. Dans les années 1920, cet avocat américain défendait la préservation de la flore native, notamment des séquoias de Californie, tout en <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/environmentalisms-racist-history">diabolisant les immigrants non blancs</a>.</p>
<p>Après la Seconde Guerre mondiale, des <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/14/us/anti-immigration-cordelia-scaife-may.html">organisations nativistes</a> – courant de pensée qui s’oppose à toute nouvelle immigration – ont alimenté les peurs autour de la surpopulation et de l’immigration rampante, au nom de la protection des forêts et des rivières.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289229/original/file-20190823-170935-2nyj1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Algiz, la rune de la vie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/df/Runic_letter_algiz.svg/512px-Runic_letter_algiz.svg.png">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Illustration du regain de ce courant de pensée, un mème populaire en ligne chez les écofascistes et l’extrême droite interpelle ainsi : <a href="https://www.gq.com/story/what-is-eco-fascism">« Sauvez les arbres, pas les réfugiés »</a>. Les mèmes écofascistes prennent souvent la forme d’émojis ressemblant à Algiz, une lettre de l’alphabet runique utilisée par le nazisme, aussi connue sous le nom de « rune de la vie ». Affectionnée d’Heinrich Himmler et des SS, elle est l’un des nombreux symboles alternatifs aux croix gammées qui circulent en ligne chez les néonazis.</p>
<h2>L’écologie profonde pervertie</h2>
<p>De nombreux écofascistes gravitent aujourd’hui dans les sphères de l’« écologie profonde », une philosophie développée par le Norvégien Arne Naess au début des années 1970. Il voulait distinguer sa conception de l’écologie, qu’il considérait comme une révérence pour tous les êtres vivants, de ce qu’il estimait être une « écologie superficielle », à la mode.</p>
<p>Rejetant la croyance de Naess en la valeur de la diversité biologique, les penseurs d’extrême droite ont perverti l’écologie profonde, imaginant le monde intrinsèquement inégal et les hiérarchies raciales et sexuelles comme partie intégrante de leur conception de la nature.</p>
<p>L’écologie profonde célèbre une connexion à la terre presque spirituelle. Comme je le montre <a href="https://www.beacon.org/Proud-Boys-in-the-White-Ethno-State-P1470.aspx">dans mon livre</a>, dans sa version nationaliste et blanche, seuls les hommes – Blancs ou Européens – peuvent réellement communier avec la nature de façon signifiante et transcendante. Cette quête cosmique nourrit leur désir de préserver, par la force si nécessaire, des territoires vierges pour les Blancs.</p>
<p>Les suprémacistes blancs s’intéressent ainsi aujourd’hui à des figures comme l’écofasciste Finlandais Pentti Linkola, qui appelle à une restriction radicale de l’immigration, au retour aux modes de vie pré-industriels et à des mesures autoritaires pour maintenir la vie humaine <a href="https://www.theguardian.com/world/commentisfree/2019/mar/20/eco-fascism-is-undergoing-a-revival-in-the-fetid-culture-of-the-extreme-right">dans des limites strictes</a>.</p>
<p>Réfléchissant aux idées de Linkola, le webzine nationaliste blanc <em>Counter-Currents</em> incite les hommes blancs à prendre des mesures écofascistes, affirmant qu’il est de leur devoir de « sauvegarder le caractère sacré de la Terre ».</p>
<h2>Crise climatique et extinction des Blancs</h2>
<p>Rappeler et identifier de tels antécédents aide à expliquer pourquoi le tueur de Christchurch s’est autoqualifié <a href="https://www.gq.com/story/what-is-eco-fascism">d’« écofasciste »</a> dans <a href="https://www.vice.com/en_us/article/59nmv5/eco-fascism-the-racist-theory-that-inspired-the-el-paso-and-christchurch-shooters-and-is-gaining-followers">son « manifeste »</a>.</p>
<p>Le tueur d’El Paso offre d’ailleurs des exemples plus directs et spécifiques. Outre mentionner <em>Le Lorax</em>, il critique dans son texte l’incapacité des Américains à recycler et leur gaspillage inutile de plastiques à usage unique.</p>
<p>Leur croisade pour sauver les Blancs de la disparition dans le multiculturalisme et l’immigration reflète leur croisade pour la préservation de la nature contre la destruction de l’environnement et la surpopulation.</p>
<p>L’opinion publique considère que l’<a href="https://www.vice.com/en_us/article/vbw55j/understanding-the-alt-rights-growing-fascination-with-eco-fascism">écologisme est l’affaire des libéraux</a>, si ce n’est de la gauche, avec ses engagements en faveur de la justice environnementale et de la neutralité carbone.</p>
<p>Pourtant, l’omniprésence des préoccupations environnementales chez les suprémacistes blancs montre que la distinction entre libéraux et conservateurs n’est pas nécessairement pertinente pour comprendre et appréhender les idéologies d’extrême droite aujourd’hui.</p>
<p>Si les tendances actuelles se maintiennent, l’avenir sera marqué par une intensification du réchauffement planétaire et des phénomènes météorologiques extrêmes. Il y aura une augmentation du nombre de réfugiés climatiques, souvent à la recherche d’un répit dans le nord du globe. Dans ce contexte, je pense que les suprémacistes blancs associeront la perspective des catastrophes climatiques à leurs craintes d’extinction des Blancs.</p>
<p>Les projections démographiques prévoient qu’à l’horizon 2050, les États-Unis deviendront un <a href="https://www.nytimes.com/2018/11/22/us/white-americans-minority-population.html">pays majoritairement non blanc</a>. Pour les suprémacistes, cette horloge démographique s’accélère de jour en jour. Les tireurs de Christchurch et d’El Paso invoquent tous deux la théorie du <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2017/12/04/the-french-origins-of-you-will-not-replace-us">« grand remplacement »</a>, c’est-à-dire l’idée déformée selon laquelle les immigrants et les autres groupes raciaux sont démographiquement plus nombreux que les Blancs, au point de les faire disparaître.</p>
<p>Compte tenu de ces tendances émergentes, le public doit tenir l’écofascisme pour une menace dangereuse qui nous guette à plus ou moins long terme.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été traduit de l’anglais par <a href="https://theconversation.com/profiles/nolwenn-jaumouille-578077">Nolwenn Jaumouillé</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandra Minna Stern ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Partout dans le monde, les suprémacistes blancs sʼapproprient le langage de l’environnementalisme.Alexandra Minna Stern, Professor of American Culture, History, and Women's Studies, University of MichiganLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1254722019-10-29T19:31:54Z2019-10-29T19:31:54ZPortugal : le pays qui dit « não » à l’extrême droite<p>Après avoir subi une <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-1-page-39.htm#">dictature militaire de 1933 à 1974</a>, le Portugal est redevenu une démocratie <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/revolution-des-oeillets-il-y-a-45-ans-un-putsch-abolissait-la-dictature-au-portugal-20190424">il y a maintenant quarante-cinq ans</a>. Durant toutes ces années, le pays a toujours été épargné par la montée en puissance de l’extrême droite constatée dans plusieurs de ses voisins européens. Les récentes élections législatives tenues le 6 octobre 2019 n’ont pas infirmé la tendance. Le Parti socialiste (PS) a obtenu <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Le-Portugal-vote-socialiste-Antonio-Costa-grand-favori-2019-10-06-1301052315">36,65 % des voix contre 27,90 % pour le Parti social-démocrate (PSD, droite)</a>. L’extrême droite, de son côté, n’a ramassé que des miettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1180993594942984193"}"></div></p>
<h2>Une mouvance politiquement marginale</h2>
<p>Chega ! (« Assez ! », CH), qui va faire son entrée au parlement, est un tout jeune parti qui a vu le jour en avril 2019. Dans ses <a href="https://www.publico.pt/2019/01/26/politica/opiniao/chega-partido-populista-extremadireita-portugal-1859410">statuts</a>, il se définit comme un mouvement « conservateur, nationaliste et défenseur de la démocratie libérale ». Lors des élections européennes de mai 2019, il se trouve sur la liste « Basta ! » qui regroupe de nombreux partis populistes de droite et n’attire que 1,49 % des suffrages. Après cet échec, le CH se retire de cette liste et retrouve son indépendance. Aux élections législatives d’octobre 2019, il récolte 1,30 % des voix, ce qui lui permet d’obtenir un siège sur les 230 que compte le parlement.</p>
<p>Un autre parti d’extrême droite a concouru aux dernières élections législatives : le Parti national rénovateur (PNR), créé en 2000, dont le logo s’inspire de celui du Front national et dont le slogan, « Nação e Trabalho » (Nation et Travail), n’est pas sans évoquer les devises d’autres partis ou régimes extrémistes. Il a dû se contenter de 0,30 % des suffrages. Avec 1,60 % des suffrages à eux deux, ces partis ne peuvent absolument pas peser dans le débat politique.</p>
<p>Ajoutons que le PNR – contrairement à Chega, qui vient à peine d’être créé – a été confronté au suffrage universel à de nombreuses reprises, mais sans jamais connaître le moindre succès probant. Présent aux élections législatives de 2002, 2005, 2009, 2011, 2015 et 2019, il n’a jamais dépassé la barre symbolique des 1 %. Pourtant, cette formation s’est toujours inscrite dans la tradition des partis d’extrême droite européens, prônant le retour au modèle de la « famille traditionnelle » (l’un des thèmes chers à Salazar), le rétablissement du service militaire obligatoire pour « défendre la nation portugaise », la réduction massive de l’immigration ou encore la priorité nationale accordée aux Portugais en matière d’emploi ou de prestations sociales. <a href="https://www.terra.com.br/amp/noticias/mundo/isolada-extrema-direita-de-portugal-enfrenta-dificuldades-em-eleicao,d5458eaad7e47dde4a2139950a399324uuyext0k.html">En manque de visibilité</a>, le PNR a essayé d’afficher <a href="https://revistaforum.com.br/global/partido-de-extrema-direita-que-comemorou-vitoria-de-bolsonaro-tem-03-dos-votos-em-portugal/">son amitié et son soutien au président Bolsonaro</a>, sans que cette posture ne lui permette d’effectuer une percée dans les urnes. Même la grande réunion des <a href="https://fr.euronews.com/amp/2019/08/11/une-conference-regroupant-des-mouvements-d-extreme-droite-au-portugal">mouvements d’extrême droite européens qui s’est déroulée à Lisbonne en août</a> n’a pas permis aux partis locaux de gagner quelques points dans les sondages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage d’Euronews sur le rassemblement de l’extrême droite européenne à Lisbonne, le 11 août 2019.</span></figcaption>
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<p>Il est intéressant de noter que ce pays qui, rappelons-le, a été dirigé par l’extrême droite durant l’Estado Novo, est gouverné sans discontinuer depuis 1974 par des partis dits traditionnels (à savoir de centre gauche ou de centre droit). Quelques formations d’extrême droite ont bien essayé d’émerger en se présentant comme des nostalgiques du « salazarisme », mais leurs scores électoraux ont toujours été insignifiants.</p>
<p>Pourtant, en dépit de ces faibles résultats, Chega ! et le PNR n’ont pas manqué, dès leur création, d’utiliser les mêmes <a href="https://www.wort.lu/pt/portugal/a-extrema-direita-chega-a-portugal-5cb05cfcda2cc1784e341d57">recettes idéologiques</a> qui ont fonctionné dans d’autres pays, à commencer par des positions fermement hostiles à l’immigration et aux musulmans, et une critique virulente voire violente visant l’Union européenne.</p>
<p>Ces thématiques n’ont guère fait recette auprès de l’opinion publique. Aux dernières législatives, l’abstention fut élevée (45,40 %), ce qui profite traditionnellement aux formations d’extrême droite, mais ni le PNR ni Chega ! n’ont réussi à en profiter.</p>
<p>À l’heure où l’on observe en Europe, depuis maintenant quelques années, une montée en puissance des partis d’extrême droite (principalement en Autriche, en France, en Allemagne, en Italie, en Grèce…), le Portugal, lui, ne semble pas vaciller. Malgré un contexte politique instable au sortir de la Révolution des Œillets de 1974, et malgré la profonde crise économique qui a frappé le pays en 2010, l’extrême droite n’a jamais réussi à s’imposer comme un acteur de poids sur la scène politique nationale. Comment expliquer que son discours ait si peu d’effet sur l’électorat ? Le Portugal serait-il un modèle viable contre l’ascension de l’extrême droite ?</p>
<p>L’incapacité du PNR ou de Chega ! à exister sur la scène nationale s’explique tout d’abord par le fait que le Portugal, qui était pourtant au bord de la faillite en 2011, se porte mieux. En effet, depuis 2013, la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Le-miracle-economique-Portugal-essai-transformer-2019-10-06-1201052404">croissance n’a eu de cesse d’augmenter</a>. Le fait que les indicateurs économiques soient positifs a sans aucun doute empêché l’extrême droite de tirer profit de la crise.</p>
<p>Même si la forte abstention constatée lors des dernières élections législatives ne doit pas être prise à la légère, il n’en demeure pas moins que la confiance des citoyens envers la classe politique <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/06/legislatives-au-portugal-antonio-costa-vainqueur-mais-sans-majorite-absolue_6014454_3210.html">n’est pour le moment pas remise en question</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=229&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=229&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=229&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche du PNR reprenant un visuel du parti d’extrême droite suisse Union démocratique du centre (UDC).</span>
<span class="attribution"><span class="source">PNR</span></span>
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<h2>L’immigration, un cheval de bataille peu porteur</h2>
<p>De plus, les thèmes choisis par l’extrême droite portugaise ne suscitent pas un grand intérêt dans la population. Prenons par exemple le sujet de l’immigration. En Autriche ou en France, les partis d’extrême droite surfent abondamment sur ces questions, encore plus depuis la crise migratoire, et arrivent à obtenir de bons scores. Au Portugal, l’immigration ne clive pas autant que chez ses voisins européens. Avec une économie qui repart et une natalité faible, <a href="https://www.lequotidien.lu/a-la-une/le-portugal-le-pays-deurope-qui-veut-davantage-de-migrants/">il est vital pour le Portugal d’attirer des immigrés</a>. </p>
<p>Comme à plusieurs reprises au cours de son histoire, le pays a connu une forte émigration après <a href="https://www.liberation.fr/planete/2014/02/03/l-exode-portugais_977523">l’éclatement de la crise économique en 2010</a> et s’est vidé de ses forces vives. Le gouvernement a d’ailleurs mis en place un <a href="https://www.rtl.fr/actu/conso/comment-le-portugal-et-la-pologne-cherchent-a-attirer-les-emigres-7798389959/amp">programme</a> qui prévoit des aides spécifiques de plusieurs milliers d’euros et des exemptions fiscales pour inciter les Portugais vivant à l’étranger à revenir. </p>
<p>Les Portugais ont toujours été habitués à ces flux migratoires, à l’inverse de leurs voisins européens ; quant aux <a href="http://agenciabrasil.ebc.com.br/en/internacional/noticia/2018-06/brazilians-make-biggest-foreign-community-portugal">immigrés, souvent lusophones, en provenance des anciennes colonies africaines portugaises ou du Brésil</a>, ils sont généralement mieux intégrés.</p>
<h2>Le morcellement de l’extrême droite</h2>
<p>Autre élément, à l’inverse de pays tels que la France ou l’Autriche où les thèses défendues par l’extrême droite se sont invitées dans le débat politique, l’extrême droite portugaise n’a jamais été en mesure d’influencer le débat. En partie parce qu’elle n’a jamais su se fédérer en un seul et même bloc pour tenter de conquérir le pouvoir. La liste « Basta ! » a vite volé en éclats au lendemain du scrutin des européennes de mai dernier. Trop attachés à leur indépendance respective, le PNR et Chega ! n’ont pas souhaité fusionner pour tenter d’obtenir un score plus important. </p>
<p>Le problème de l’extrême droite au Portugal est qu’il y a « des partis » d’extrême droite et non pas « un » parti d’extrême droite. Cette mouvance est divisée entre de nombreux petits partis radicaux qui ne pèsent pas individuellement et ne risquent pas de mettre à mal les partis traditionnels. Nuno Canas Mendes, professeur de sciences politiques à l’Université de Lisbonne, affirme ainsi que seul un parti d’extrême droite uni aurait une <a href="https://veja.abril.com.br/mundo/sem-risco-de-eleger-a-extrema-direita-portugal-vai-as-urnas-neste-domingo/">chance de remporter des élections</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants brandissent des pancartes proclamant « Le Portugal aux Portugais » et « Le Portugal contre l’islam » lors d’un rassemblement devant le parlement portugais à Lisbonne le 15 septembre 2015. Les manifestations de ce type peinent à attirer plus de quelques dizaines de personnes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patricia De Melo Moreira/AFP</span></span>
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<p>Ainsi, le Portugal semble pour le moment à l’abri d’une arrivée de l’extrême droite au pouvoir, tant la bipolarisation entre le PS et le PSD paraît durablement installée dans la vie politique. À l’heure actuelle, les « candidatures de témoignage » auxquelles s’adonnent les partis d’extrême droite portugais, élection après élection, se révèlent largement contre-productives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est Conseiller municipal d'opposition Les Républicains de la Ville de Maxéville. </span></em></p>Alors que l’extrême droite s’impose dans le paysage politique de nombreux pays d’Europe, elle reste réduite à la portion congrue au Portugal. Comment expliquer ce phénomène ?Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Sciences politiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1257402019-10-29T19:31:53Z2019-10-29T19:31:53ZLe nouveau populisme des Tories<p>Le référendum du 23 juin 2016 n’a pas seulement bouleversé l’équilibre constitutionnel du Royaume-Uni. Il a aussi radicalement transformé les valeurs sur lesquelles le parti conservateur britannique s’est construit. Celui-ci s’érige désormais comme le nouveau « parti du peuple », suggérant ainsi la nécessité d’une forme de démocratie plus directe qui s’accorde mal avec le système représentatif dans lequel il a toujours prospéré.</p>
<p>Au cœur de ce nouveau « populisme » figure un discours inédit qui accuse le Parlement de Westminster d’être entièrement responsable de la paralysie constitutionnelle qui caractérise le processus législatif britannique sur les modalités de la sortie du pays de l’Union européenne. Avec l’arrivée au poste de premier ministre en juillet dernier de Boris Johnson, qui joint désormais sa voix à celle des « Hard Brexiters », cette dérive populiste aux accents anti-parlementaires a pris un nouvel élan qu’a encore favorisé l’incapacité réelle du Parlement – qui a voté trois fois contre l’accord de retrait de Theresa May et retardé le vote sur celui de Boris Johnson – à sortir de cette crise.</p>
<h2>Vive le peuple, à bas le Parlement !</h2>
<p>Depuis le référendum, c’est une nouvelle conception de la souveraineté nationale qui émerge. Alors que les partisans du « Leave » avaient construit leur campagne autour de la nécessité de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/05/31/brexit-les-arguments-pour-et-contre-la-sortie-de-l-union-europeenne_4929720_4355770.html">restaurer la souveraineté du Parlement de Westminster</a>, seul principe constitutionnel hérité du Bill of Rights de 1689, le référendum a de son côté érigé le peuple comme nouveau dépositaire de la souveraineté britannique. Le parti conservateur se retrouve donc écartelé entre, d’une part, son allégeance historique au Parlement et, d’autre part, « le peuple » dont les députés tories se présentent désormais non plus comme de simples mandataires (« trustees ») – qui votent en leur âme et conscience car les électeurs leur font confiance –, mais comme les représentants les plus fidèles (« delegates »), pour reprendre la distinction bien connue du philosophe Edmund Burke.</p>
<p>Le discours conservateur développe à présent pour ce « peuple » une obsession nouvelle qui s’accompagne d’une attaque en règle visant les ennemis dudit peuple : l’establishment – l’élite politique – et le Parlement, deux instances qui constituent pourtant les fondements historiques du parti ! Depuis juin 2016, les interventions de certains députés conservateurs à Westminster fourmillent d’abus de langage envers l’institution où ils siègent. Le Parlement est jugé « chaotique et incapable d’atteindre le consensus » (Ben Bradley) ou « paralysé par la peur » (Steve Double) ; il trahit les électeurs en se posant comme « le Parlement du remain » (Crispin Blunt), ce qui en fait un « Parlement zombie » (Bob Seely) ; il est le lieu de « la cabale des politiciens » (Jack Berry) et de la « conspiration du remain » (George Freeman).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298298/original/file-20191023-119423-oulaxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le député conservateur Bob Seely s’exprime à la tribune de la Chambre des Communes, le 4 septembre 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://images.c-span.org/Files/6c7/20190904195516001_hd.jpg/Thumbs/height.576.no_border.width.1024.jpg">c-span.org</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Mais c’est surtout en dehors du Parlement que les langues se délient. Sur leurs blogs personnels, des députés eurosceptiques de longue date comme John Redwood donnent libre cours à leur colère et dénoncent ce <a href="https://johnredwoodsdiary.com/2019/09/05/a-useless-parliament/">« Parlement inutile »</a>. Le <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/oct/02/tories-angry-white-men-david-cameron-conservatives-republicans">dernier congrès du parti conservateur à Manchester</a>, début octobre, a donné aux partisans du « Hard Brexit », proches du <a href="https://inews.co.uk/news/politics/brexit/erg-brexit-group-members-jacob-rees-mogg-explained-188469">European Research Group</a> de Jacob Rees-Mogg, l’occasion de dénoncer le « Parlement pourri » (Andrea Jenkyns), les « anti-démocrates » ou encore la « Brussels Broadcasting Corporation » de connivence avec l’autre BBC. Un discours que le premier ministre lui-même a repris à son compte dans son discours de clôture, dénonçant un « Parlement qui refuse d’accomplir le Brexit, refuse de faire quoi que ce soit de constructif et refuse d’organiser des élections anticipées » et ajoutant, dans son style si caractéristique : </p>
<blockquote>
<p>« Si le Parlement était une émission de télé-réalité, les gens auraient déjà voté depuis longtemps pour nous renvoyer de la jungle. Mais au moins aurions-nous pu voir le speaker forcé de manger un testicule de kangourou. »</p>
</blockquote>
<h2>Mais quel peuple ?</h2>
<p>L’obsession des conservateurs pour le « peuple » s’accompagne d’une stigmatisation de l’establishment dont ils sont pourtant presque tous issus – c’est le cas, en particulier, de <a href="https://www.bbc.com/news/uk-politics-49043973">Boris Johnson et de ses principaux ministres</a>. Mais le discours du gouvernement Johnson sur le Brexit donne des indications contradictoires sur sa vision de ce peuple. </p>
<p>Hors Brexit, le nouveau programme économique et social du parti est défini comme un retour au principe « One Nation » du premier ministre victorien Benjamin Disraeli, l’une des figures historiques du parti conservateur, qui préconisait un conservatisme bienveillant et protecteur envers les plus démunis. Mais ce concept de One Nation comprend aussi des tonalités territoriales et géopolitiques qui ont évolué différemment selon les périodes. L’impérialisme triomphant de la période victorienne s’est accompagné de la promotion d’une union forte entre les quatre composantes du Royaume-Uni (l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et la totalité de l’Irlande jusqu’en 1921, date de la partition du pays) au point que le terme figure dans la dénomination officielle du parti (« The Conservative and Unionist Party »). </p>
<p>Or les gouvernements de Theresa May et Boris Johnson sont régulièrement accusés d’avoir sacrifié cette union sur l’autel du Brexit. Les débats parlementaires du 19 octobre dernier ont mis en lumière l’<a href="https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-in-leaving-europe-the-uk-has-lost-scotland/">oubli de l’Écosse</a> et donc le mépris de l’Union, un oubli qui est compensé par un surintérêt pour la question nord-irlandaise. Au-delà de la problématique centrale de la frontière nord-irlandaise, cette surenchère s’explique aussi, stratégiquement, par les liens historiques des conservateurs avec les unionistes d’Ulster (DUP) et par le <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/06/26/theresa-may-signe-un-accord-de-gouvernement-avec-le-dup-nord-irlandais_1579573">partenariat ad hoc</a> avec ce parti sur lequel Theresa May avait dû s’appuyer pour obtenir une majorité absolue après les élections législatives de mai 2017.</p>
<p>Plus que jamais, le parti conservateur apparaît donc comme le parti de l’Angleterre. Son recentrage anglo-centrique n’est plus seulement lié à ses bastions électoraux principalement situés dans le sud-est de l’Angleterre mais aussi, désormais, à ses nouvelles priorités. Alors que la question d’un <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/le-brexit-est-un-desastre-l-ecosse-veut-un-nouveau-referendum-sur-l-independance-5da5f7eed8ad583887e9de16">second référendum sur l’indépendance écossaise</a> revient plus vite que prévu sur le devant de la scène, le silence des conservateurs sur le sujet laisse pense que le parti est désormais prêt à sacrifier l’Écosse pour permettre au pays de sortir de l’UE. </p>
<p>Ainsi, explique la jeune députée travailliste <a href="https://www.theyworkforyou.com/debates/?id=2019-10-19a.639.0">Alison McGovern le 19 octobre à la chambre des Communes</a>, « le parti conservateur devient exclusivement le parti du sud de l’Angleterre ». Mais ce repli qualifié de « Little England » sur un nationalisme anglais étriqué et souvent xénophobe n’est pas seulement visible dans le Sud. Il apparaît aussi comme une offensive électorale auprès des partisans du Brexit Party, fondé en février 2019 par des anciens du UKIP, au premier rang desquels Nigel Farage, qui est arrivé en tête aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/27/elections-europeennes-2019-au-royaume-uni-le-parti-du-brexit-largement-en-tete_5467772_3210.html">élections européennes de mai 2019</a>. Selon la <a href="https://www.theguardian.com/books/2014/apr/23/revolt-on-right-robert-ford-matthew-goodwin-review">thèse des universitaires Rob Ford et Matthew Goodwin</a>, bon nombre de ceux qui soutiennent ce parti sont d’anciens électeurs travaillistes du nord de l’Angleterre qui ont été convaincus par le discours alarmiste de Nigel Farage sur la menace migratoire en provenance d’Europe de l’Est.</p>
<p>Sous la pression des « Hard Brexiters », le parti conservateur semble réunir aujourd’hui l’ensemble des ingrédients populistes qui caractérisent le Brexit Party, notamment le repli nationaliste anglais, le discours anti-establishment et l’anti-parlementarisme. Ces deux derniers éléments sont pourtant en contradiction totale avec les valeurs originelles du parti Tory ; mais, délestée depuis début septembre 2019 de ses éléments les plus modérés (avec l’exclusion par le gouvernement Johnson de 21 députés), cette formation historique poursuit sa trajectoire insouciante vers un populisme décomplexé. </p>
<p>Dans cette configuration, si l’avenir du bipartisme travailliste/conservateur se joue désormais autour de deux partis fortement polarisés et extrêmes – Jeremy Corbyn, le leader du parti travailliste depuis 2015, étant perçu comme <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/13/qui-est-jeremy-corbyn-nouveau-leader-de-la-gauche-britannique_4750823_3214.html">beaucoup plus à gauche que ses prédécesseurs</a> –, les Tories, en tête dans les sondages et dirigés par un leader <a href="https://yougov.co.uk/topics/politics/explore/public_figure/Boris_Johnson">très populaire</a>, ont encore un bel avenir devant eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125740/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès Alexandre-Collier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti conservateur britannique, qui s'était de tout temps posé comme une formation parlementaire responsable, s'est dernièrement mué en parti populiste qui dénonce l'establishment et le Parlement.Agnès Alexandre-Collier, Professeur de civilisation britannique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1252712019-10-16T19:42:03Z2019-10-16T19:42:03ZCe n’est pas Eric Zemmour le problème mais la légitimité que lui confèrent les médias<p>« Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » : la phrase attribuée à Voltaire et que les défenseurs d’Éric Zemmour s’emploient à réactiver n’est-elle pas des plus commodes ?</p>
<p>Tout démocrate est pour la liberté d’expression, sauf à se l’octroyer de façon exclusive. Mais la question concernant Éric Zemmour, nouveau chroniqueur <a href="https://www.nouvelobs.com/medias/20191014.OBS19761/nous-n-irons-plus-sur-cnews-l-emission-de-zemmour-suscite-une-vague-de-boycott.html">attitré de CNews</a> n’est pas là. Elle est dans ce phénomène nouveau de notre société postmoderne : les modes de diffusion et de circulation de la parole.</p>
<p>Toute parole personnelle, dès lors qu’elle se répand dans les réseaux sociaux et qu’elle est prise en relais par les médias d’information, devient ce qu’on appelle une « parole publique ». La question est : qu’est-ce qui légitime une parole publique ?</p>
<h2>La légitimité de la parole publique</h2>
<p>Ce n’est donc pas ses propos que l’on examine ici, mais leur légitimité comme parole publique. Ses propos, on en connaît la teneur populiste, islamophobe et identitaire, fausse et dangereuse pour la conscience citoyenne, bien dénoncée par Gérard Noiriel dans son récent ouvrage <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_venin_dans_la_plume-9782348045721.html"><em>Le Venin dans la plume. Edouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République</em></a> (La Découverte). Dans ces propos, il ne s’agit pas tant de « conservatisme », qui, après tout, a droit de cité dans le débat public, jouant son rôle de résistance face à certains effets destructeurs du progressisme technologique, que de « restauration », comme le souligne Nicolas Truong dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/29/droite-extreme-le-grand-retournement-ideologique_5362113_3232.html">analyse récente dans <em>Le Monde</em></a>/</p>
<p>Car en effet il vaut mieux agiter le fantôme de la « dépossession », pour appeler à la réappropriation du monde perdu, que se contenter de le conserver. Mais cette tentative de « restauration », dont on connaît les retours périodiques dans l’histoire de France, est moins politique que fantasmatique.</p>
<p>Il voudrait jouer le rôle d’un lanceur d’alerte auprès d’une certaine partie de la population, il ne tient que celui d’un propagandiste prosélyte. Il voudrait réveiller les consciences, il les plonge dans la paranoïa. Le corpus de ses discours montre que ceux-ci sont moins politiques que conspirationnistes.</p>
<p>Une parole diffusée dans l’espace public est d’abord affaire de légitimité. Et c’est le cadre de sa production qui lui donne sa légitimité, c’est-à-dire sa raison d’être et son sens.</p>
<h2>Ce que n’est pas Eric Zemmour</h2>
<p>En 2010, j’avais eu l’occasion d’analyser <a href="http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/affaire-zemmour-19-03-2010-854493.php">« l’affaire Zemmour »</a>, lorsque dans l’émission « Salut les terriens », du 6 mars, diffusée sur Canal+, et animée par Thierry Ardisson, le chroniqueur d’alors, Éric Zemmour, réagissant aux propos d’un interlocuteur qui dénonçait les contrôles au faciès, avait déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes ! C’est comme ça, c’est un fait… »</p>
</blockquote>
<p>Suite à cette déclaration, il y eut deux procédures en justice pour « provocation à la haine raciale » et « discrimination à l’embauche ». Déjà, à l’époque, je m’interrogeais : quelle est la <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-6-page-135.htm">légitimité d’un chroniqueur de radio ou de télévision</a> ? Une parole publique est une parole de représentation, et sa légitimité lui vient de ce au nom de quoi on parle : d’un parti, d’un syndicat, d’une association, d’une institution, d’un groupement reconnu, d’une notoriété intellectuelle ou scientifique.</p>
<p>Dans le cas d’Éric Zemmour, quelle est sa légitimité ? Il n’est pas un homme politique comme un Jean‑Marie Le Pen autrefois, ou une Marine Le Pen aujourd’hui, s’exprimant en tant que personnalités politiques instituées, au nom d’un parti porteur d’une certaine idéologie ; il n’est pas un homme de lettres, un écrivain reconnu, un intellectuel ou un penseur comme <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/regis-debray-stendhal-c-est-l-esprit-francais-mais-hugo-c-est-l-ame-20190909">Régis Debray</a> qui peut se permettre de parler en tant que philosophe moraliste ; il n’est pas un scientifique qui essaierait de vulgariser une parole spécialisée sans porter de jugement radical ; il n’est pas non plus le simple citoyen qui pourrait témoigner de sa propre opinion en fonction de sa propre expérience ; il n’est même pas comme Dieudonné qui appartient à la catégorie des humoristes engagés, dont les dérapages antisémites sont jugés à l’aune de la jurisprudence sur les actes humoristiques.</p>
<p>Ces diverses personnalités – et le public auquel elles s’adressent –, savent au nom de quoi elles parlent. En ce sens, on peut, à chaque fois, leur imputer une responsabilité. Mais Éric Zemmour, il représente qui, et il parle au nom de quoi ?</p>
<p>Ce serait en qualité de journaliste-chroniqueur ? Mais qu’est-ce qu’un journaliste-chroniqueur ? Ce devrait être un journaliste qui, spécialisé dans un domaine de la vie sociale (politique, économique, scientifique, artistique, sportif), est en mesure d’apporter des explications plus approfondies, de faire des analyses plus poussées que celles d’un rapide commentaire sur les événements d’actualité. Son rôle est de mettre en regard différents points de vue, de les confronter et d’en tirer un certain nombre d’enseignements. C’est une question de déontologie journalistique et les journalistes-chroniqueurs sérieux en ont conscience. Éric Zemmour n’est rien de tout cela. Le cas Zemmour ? À l’évidence, sa légitimité, par sa présence à la télévision, à la radio et dans les tribunes presse écrite, n’est que médiatique.</p>
<h2>La force de la machine médiatique</h2>
<p>C’est la machine médiatique qui, à travers sa politique de programmation, est instance de légitimation : elle procure à toute personne parlant dans son cadre une légitimité médiatique. Et c’est ici qu’apparaît son effet pervers. Car s’il est justifié qu’elle légitime la parole des experts, des témoins et des citoyens, on peut se demander à quel titre parlent ces chroniqueurs-provocateurs qui sont pourtant doublement légitimés parce qu’ils sont présentés comme journalistes et comme experts des questions de société.</p>
<p>Éric Zemmour n’a aucune de ces légitimités. Il faudrait réduire ses propos à leur insignifiance, et c’est le contraire qui se produit. Ceux-ci ont cependant un avantage, celui de nous rappeler que la force de frappe du populisme est d’extrême droite.</p>
<p>Grâce à Zemmour, cela apparaît de façon évidente. Il est vrai que la gauche radicale s’adonne aussi à des stratégies de discours populiste, ne serait-ce que dans son mouvement « décoloniales », <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/25/feminisme-et-racialisme-il-faut-que-la-raison-l-emporte-sur-la-passion_5467045_3232.html">comme je l’ai montré dans divers articles</a>. Mais contrairement aux philosophes <a href="https://journals.openedition.org/lectures/33446">Ernest Laclau et de Chantal Mouffe</a> qui prônent l’avènement d’un populisme de gauche, il faut rappeler que les valeurs défendues par la gauche ne sont pas les mêmes que celles défendues par l’extrême droite.</p>
<p>Quant aux médias, il faudrait que, entre l’éthique de conviction qui veut que ceux-ci informent le citoyen quoiqu’il en coûte, et l’éthique de responsabilité qui oblige à s’interroger sur la manière d’informer, dont certains effets sociaux peuvent être délétères et mortifères, ils sachent, dans leur « éditorialisation », se tenir sur cette corde raide.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125271/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Charaudeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Éric Zemmour pose un autre débat que celui des idées, celui des modes de diffusion et de circulation de la parole publique et de la légitimité de cette dernière.Patrick Charaudeau, Professeur émérite en Sciences du langage, chercheur au Laboratoire de communication politique (CNRS), Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1248012019-10-07T21:24:29Z2019-10-07T21:24:29ZDébat : Il faut repenser le racisme à l’échelle locale<p>Le racisme et l’antisémitisme, mais aussi le multiculturalisme ou le populisme font partie de ces grandes questions contemporaines dont l’analyse n’échappe pas à une tendance puissante, partout dans le monde, à souligner le caractère global.</p>
<p>Même si la circulation des idées pouvait être supranationale, la réalité concrète de ces phénomènes, comme d’autres (sociaux, culturels, religieux ou politiques) a longtemps été traitée dans le cadre principal de l’État-nation et de son complément, les relations internationales – le <a href="https://www.carn.info/revue-raisons-politiques-2014-2-page-9.htm">« nationalisme méthodologique »</a> que critiquait le sociologue allemand Ulrich Beck.</p>
<p>En dehors de considérations générales, philosophiques par exemple, les chercheurs les envisageaient pour l’essentiel pays par pays, quitte parfois à proposer des comparaisons. Mais dans le contexte historique de la fin de l’Empire soviétique et du triomphe du néo-libéralisme, d’autres démarches ont renouvelé leur approche. Ce fut la montée en puissance de la « pensée globale », – et autres formulations apparentées, comme celle de <a href="http://blogs.histoireglobale.com/le-nouveau-visage-du-cosmopolitisme-entretien-avec-ulrich-beck_926">« cosmopolitisme méthodologique »</a> proposée par le même Ulrich Beck et notamment l’émergence de l’histoire globale.</p>
<h2>« Penser global »</h2>
<p>Tout devient « global » désormais. Par exemple il est question maintenant de « global race » sans toujours assez de précisions, en particulier sur l’usage du mot <a href="https://global-race.site.ined.fr/fr/qui-sommes-nous/projet/">race si débattu en France</a>. La recherche en sciences sociales développe couramment l’idée d’enjeux mondiaux et de logiques planétaires dont la compréhension devrait guider des analyses plus localisées, ici et là, dans tel ou tel pays notamment.</p>
<p>Ce fut un progrès, à partir des années 90, que de commencer à « penser global », un mouvement des idées auquel la France s’est ouverte plus tardivement qu’ailleurs en dehors de quelques chercheurs, comme l’historien <a href="http://blogs.histoireglobale.com/category/histoire-connectee">Serge Gruzinski</a>, et de quelques espaces de recherche, comme le CADIS (Centre d’analyse et d’interventions sociologiques) ou la FMSH, que la figure tutélaire de Fernand Braudel avait dès les années 60 engagée sur cette voie, parlant <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/braudel-wallerstein-systeme-deconomie-monde/00016988">d’économie-monde</a> et discutant quelques années plus tard avec Immanuel Wallerstein de l’idée de « système-monde »</p>
<p>Mais aujourd’hui, partout dans le monde, nous voyons se renforcer les appels à la fermeture des nations sur elles-mêmes, et à leur homogénéité, à la construction de murs et au renforcement des frontières, à des politiques résolument nationales, et il faut bien s’interroger : ne devons-nous pas redonner vitalité et pertinence à ce cadre de l’État-Nation et des relations internationales dans nos analyses des grands problèmes contemporains ? Cela ne nous éviterait-il pas des approximations et même des erreurs ?</p>
<h2>Le racisme diffère d’un contexte à l’autre</h2>
<p>Ainsi, le racisme, en France, n’est pas le même que celui des États-Unis d’Amérique. Et il n’est pas fondateur. La société française, contrairement à la société américaine, n’est véritablement post-esclavagiste qu’à sa périphérie, aux Antilles ou à la Réunion.</p>
<p>Son histoire accompagne d’abord l’expansion nationale dès les Grandes Découvertes et surtout, la colonisation portée par la Troisième République – rien de comparable aux États-Unis. Mais c’est aussi une idéologie qui se diffuse à l’échelle mondiale et à la construction de laquelle, comme l’historien israélien <a href="https://www.lexpress.fr/culture/zeev-sternhell-l-antifasciste_2061776.html">Zeev Sternhell</a> l’a montré, notre pays a largement contribué.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Zeev Sternhell, « Le fascisme est-il français ? ».</span></figcaption>
</figure>
<p>L’immigration postcoloniale en provenance d’Afrique reçoit également un traitement qui se distingue de celui qui lui est fait aux États-Unis, où les descendants d’esclaves se sentent différents des immigrés venus plus récemment du continent africain. En France, autre spécificité, le racisme contemporain est à la fois l’héritier de l’ère coloniale, et des transformations d’une société où l’immigration de travail, notamment maghrébine, est devenue de peuplement, un processus alimentant bien des haines et des tensions autour des « banlieues » ou avec les théories racistes du « grand remplacement ».</p>
<h2>Repenser les phénomènes à l’échelle locale</h2>
<p>Ces spécificités, à peine évoquées ici, sont une invitation à ne pas trop vite proposer des catégories qui seraient exclusivement ou trop simplement globales, générales, et qui en fait sont empruntées à l’expérience américaine, et même plaquées sans distance, y compris dans l’usage de la langue anglaise, comme si elles apportaient le paradigme mondial de la compréhension du racisme, et du combat antiraciste.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/sociologie/race-islamophobie-intersectionnalite-ces-mots-qui-restent-tabous-en-france">À la mode dans certains milieux de la recherche</a>, la thématique de l’<a href="https://www.liberation.fr/debats/2015/07/02/intersectionnalite-nom-concept-visant-a-reveler-la-pluralite-des-discriminations-de-classe-de-sexe-e_1341702">intersectionnalité</a>, par exemple, qui repose au départ aux États-Unis sur une lecture du fonctionnement de la justice face aux discriminations de « race » et de « genre » n’est pas nécessairement adaptable telle quelle à l’expérience de la France, où elle pourrait contribuer à façonner l’image artificielle des combats politiques à conduire. Le débat est vif sur ce point.</p>
<p>Il en est de même avec l’antisémitisme. En France, celui-ci n’est jamais très éloigné d’un antisionisme qui en est alors la figure quelque peu masquée, à moins que ce soit l’inverse : la haine des Juifs et celle de l’État hébreu coïncident vite.</p>
<p>Mais il n’en va pas ainsi aux États-Unis, où par exemple les Églises évangéliques, si influentes, <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/09/04/l-indefectible-soutien-des-evangeliques-a-israel_5350005_3218.html">peuvent à la fois soutenir l’État d’Israël</a> et déployer un <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2018/05/20/les-amis-antisemites-de-trump-a-jerusalem/">antisémitisme explicite</a>, et où des pans entiers du monde juif sont très critiques vis-à-vis de la politique du gouvernement israélien. De même, l’antisémitisme qui prospère aujourd’hui en Europe de l’Est n’empêche pas les États polonais ou hongrois de rechercher l’entente avec Israël, et ce, en <a href="https://www.lepoint.fr/monde/furieuse-d-accusations-d-antisemitisme-la-pologne-se-retire-d-un-sommet-en-israel-18-02-2019-2294229_24.php">dépit de tensions diplomatiques</a>.</p>
<h2>Le multiculturalisme oublieux du monde non-occidental</h2>
<p>Dans certains cas, l’importation sous couvert de pensée globale de catégories nord-américaines, dites parfois anglo-saxonnes, saute aux yeux dès que l’on s’éloigne de la littérature en langue anglaise.</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.cairn.info/philosophies-du-multiculturalisme--9782724619157.htm">débat sur le multiculturalisme</a> qui s’est développé à partir des années 70 depuis l’Amérique du Nord est-il presque toujours oublieux de larges parties du monde, Amérique latine, Afrique, Asie (à part l’Inde), il suffit de lire les travaux sud-américains en espagnol pour le constater.</p>
<p>De même, la grande majorité des descriptions et analyses du populisme ignorent de nombreux pays qui mériteraient examen.</p>
<p>Ce serait cependant aussi une erreur que de revenir en arrière, comme s’il s’agissait d’abandonner toute perspective globale, car les mêmes phénomènes, les mêmes enjeux dont nous pouvons signaler les spécificités nationales présentent aussi bien des aspects mondiaux, dessinant des évolutions d’ensemble qui méritent d’être examinées à l’échelle de la planète.</p>
<p>Nous devons en fait circuler entre les registres, et envisager les grandes questions contemporaines en conjuguant les perspectives. La comparaison entre pays ne suffit pas, ce qui importe est la capacité de distinguer et d’articuler des registres allant du plus général, et mondial, au plus singulier, national, voire local. Penser global, c’est en fait accepter l’idée de niveaux et déployer l’analyse pour chacun d’entre eux, et en envisageant la façon dont ils s’emboîtent et se complètent, ou non.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124801/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ne devons-nous pas redonner vitalité et pertinence au cadre l’État-Nation et des relations internationales dans nos analyses des grands problèmes contemporains ?Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1159652019-04-29T20:14:07Z2019-04-29T20:14:07ZUne Europe sous l’influence de forces populistes encore désunies<p>La perspective des prochaines élections européennes nourrit deux approches différentes. D’un côté, pour certains observateurs ou acteurs politiques, à l’instar de la République en marche en France, un spectre hante l’Union européenne : celui du populisme. Tout doit être mis en œuvre pour éviter cette catastrophe qui se profile. Davantage, des comparaisons avec les années 30, plus que douteuses d’un point de vue historique, sont parfois mobilisées pour dramatiser l’enjeu présent.</p>
<p>De l’autre, on explique que ces craintes n’ont aucune raison d’être puisque les projections de sièges fondées sur les différents sondages n’enregistreraient qu’une faible poussée populiste avec une fourchette oscillant entre 60 à 170 sièges selon les modes de calcul incluant ou pas les différents groupes eurosceptiques et les Britanniques, sur les 705 que comptera le Parlement européen.</p>
<p>Ce différentiel d’appréhension soulève plusieurs questions dont trois méritent ici d’être posées :</p>
<ul>
<li><p>Les populistes sont-ils en mesure de s’unir et, si oui, pourront-ils peser sur le Parlement et donc, en partie, sur la composition de la Commission, et plus généralement sur la politique de l’Union européenne ?</p></li>
<li><p>Comment évaluer leur dynamique politique qui ne se limite pas au simple calcul du nombre de leurs futurs parlementaires ?</p></li>
<li><p>Enfin, au-delà même du scrutin du mois de mai qu’est-ce que nous dit la progression électorale des populistes, que personne ne nie, de l’état de nos démocraties ?</p></li>
</ul>
<h2>Qu’est-ce que le populisme ?</h2>
<p>Il faut, bien entendu, d’abord préciser ce que l’on entend par populistes. On désigne ainsi les partis et les mouvements qui estiment qu’un antagonisme irréductible, une <em>summa divisio</em>, un clivage décisif opposent le peuple supposé unique et vertueux à une caste, un establishment tout aussi homogène et complotant en permanence contre ce même peuple.</p>
<p>Pour les populistes, il n’existe pas de problème compliqué mais que des solutions simples – ce qui justifie le recours systématique au référendum et à l’usage des réseaux sociaux qu’ils ont appris à maîtriser avec dextérité. Leur leader prétend incarner de manière exclusive le peuple qui doit exercer sa souveraineté pleine et entière, ce qui par conséquent les amène à bousculer les procédures de la démocratie libérale et représentative.</p>
<p>Et pour que ce peuple littéralement sacralisé existe, les populistes ont besoin d’inventer des ennemis, la classe dirigeante de leurs pays respectifs et Bruxelles, les immigrés, les étrangers, les Arabes, les musulmans voire les Juifs.</p>
<p>Le syndrome populiste est un. Cependant, si les populistes partagent nombre de points communs – la critique de l’Europe, l’affirmation de la prééminence de la souveraineté nationale, la détestation des classes dirigeantes et des partis traditionnels –, ils affichent aussi de profondes divergences selon qu’ils sont de droite, de gauche, ni de gauche ni de droite, régionalistes ou encore une émanation de chefs d’entreprise entrés en politique.</p>
<h2>« La Ligue des Ligues » est mal partie</h2>
<p>Or ce sont ceux de droite, largement dominants en Europe, qui affichent les plus grandes ambitions de renverser la table de l’Union européenne et de s’unir. Qu’en est-il concrètement ? Pour le moment, Matteo Salvini, le leader de la Ligue, qui annonçait, le 1<sup>er</sup> juillet dernier, sa volonté de forger <a href="https://www.ilmessaggero.it/primopiano/politica/salvini_lega_pontida-3830019.html">« la Ligue des Ligues qui mette ensemble tous les mouvements libres et souverains européens »</a> est obligé de constater que son projet se heurte à quelques obstacles.</p>
<p>À Milan, le 8 avril dernier, il n’a pu réunir autour de lui que les représentants de l’AfD venus d’Allemagne, du Parti populaire danois et des Vrais Finlandais. Il arrivera sans doute à entraîner d’autres partis, dont certainement le Rassemblement national. Mais quoi qu’il en soit, ces populistes sont des souverainistes nationalistes. Et en cherchant à s’unir, ils se mettent dans des contradictions difficilement surmontables. Parce que chaque parti défend ses intérêts nationaux.</p>
<p>Ainsi les Italiens militent pour une répartition des migrants – ce dont ne veut pas entendre parler Viktor Orban. De même, sa proximité avec Vladimir Poutine heurte Droit et Justice en Pologne. Le gouvernement autrichien, auquel participe le Parti de la liberté, avait envisagé un moment de distribuer des passeports aux Italiens du Trentin-Haut-Adige – ce qui avait indigné la Ligue comme le Mouvement 5 étoiles.</p>
<p>Les orientations économiques divergent aussi radicalement. Matteo Salvini, du fait de son alliance avec le Mouvement 5 étoiles, a été obligé de faire des concessions avec – par exemple – le revenu de citoyenneté, ce que refusent les populistes plus libéraux économiquement. Mais Salvini, s’il gouvernait seul, comme il espère pouvoir le faire à plus ou moins long terme reviendrait à une politique plus « libérale » attendue par ses électeurs traditionnels du nord de la péninsule, en particulier les petits entrepreneurs. Ce qui ne va pas dans le sens de ce que prône son amie Marine Le Pen pour la France, elle qui veut une politique sociale réservée aux Français.</p>
<p>Enfin, les uns et les autres poursuivent, pour le moment du moins, des objectifs stratégiques divergents. Sur l’Europe comme sur le choix de leurs groupes au futur Parlement. Viktor Orban entend pouvoir revenir au sein du Parti populaire européen (PPE) et on ne sait pas si Droit et Justice quittera l’Alliance des conservateurs et réformistes européens.</p>
<p>En d’autres termes, les populistes de droite sont unis dans leur contestation de l’orientation de l’Union européenne, la critique du Parti populaire européen comme du Parti socialiste européen, et ils érigent en figures de l’ennemi honni et détesté, Emmanuel Macron et Angela Merkel. Mais ils divergent sur presque tout le reste.</p>
<h2>Besoin de protection sociale… et d’Europe</h2>
<p>Les populistes européens sont, à l’évidence, portés par une dynamique ascensionnelle provoquée par la double crise de défiance politique (au sein de chaque État-nation et envers l’Union européenne), le profond malaise social avec le chômage, les inégalités, la pauvreté parfois et même dans les pays à fort taux d’emploi la précarisation généralisée du travail, enfin la crise culturelle voire identitaire qui se marque par l’inquiétude voire la peur de l’immigration, fût-elle régulière ou clandestine, et l’arrivée de migrants, exploitées sciemment par les populistes de droite. Lesquels ne font que souffler sur ces braises pour mieux se présenter comme une potentielle alternative.</p>
<p>Toutefois, leur ascension n’a rien d’irrésistible. Par leur manque de crédibilité, notamment sur les sujets économiques et sociaux, leurs divergences, mais aussi du fait de la manière dont les électeurs les utilisent. Ils partagent leur fermeté sur l’immigration et en matière de sécurité et en votant pour eux ils espèrent obtenir aussi de la protection sociale. Mais ils leur indiquent également des limites à ne pas franchir, notamment celle du refus de sortir de l’Union européenne et pour les pays de la zone euro de renoncer à la monnaie unique. L’exemple de l’Italie est à cet égard édifiant.</p>
<p>Depuis la formation, le 1<sup>er</sup> juin dernier, du gouvernement populiste Ligue–Mouvement 5 étoiles avec le professeur Giuseppe Conte comme président du Conseil, la confiance des Italiens à l’égard de l’Union européenne et de la monnaie unique qui était particulièrement basse est sensiblement remontée. Le résultat en est que toutes les menaces d’« Italexit » brandies par des représentants de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles ainsi que par leurs « intellectuels organiques » ont quasiment disparu des radars.</p>
<h2>La copie et l’original</h2>
<p>S’il ne faut donc pas surestimer ni sous-estimer les populistes, il s’agit de prendre la mesure de ce qu’ils expriment des mutations de nos démocraties et de ce que – d’ores et déjà – ils sont en train de modifier dans leurs fondements.</p>
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<p>À notre avis, la puissance des populistes, qu’ils soient au pouvoir ou pas, provient de leur capacité à imposer leurs thématiques, leur temporalité de l’urgence, la simplification de leurs argumentaires, leur façon de faire de la politique et leur mode d’agir. Cela se diffuse non seulement dans nos sociétés mais jusque chez leurs adversaires qui sur le fond les combattent, mais parfois en leur empruntant leurs propres méthodes, en copiant leur style.</p>
<p>De la sorte s’esquisse une forme de démocratie immédiate, sans médiation et toute déterminée par l’immédiateté, une peuplecratie où la souveraineté du peuple serait sans limite, à la différence de la démocratie contemporaine, d’autant qu’elle bénéficie de la formidable caisse de résonnance des réseaux sociaux.</p>
<p>Tel est aussi l’un des enjeux fondamentaux de l’élection européenne : savoir si nos démocraties libérales et représentatives sont capables de se repenser, de se refonder, de se rénover, ou si la peuplecratie, qui n’est pour le moment, qu’une potentialité, pourrait ensuite se transmuter en démocrature. À l’instar de ce qui existe déjà en Hongrie ou en Pologne.</p>
<hr>
<p><em>Professeur d’histoire et de sociologie politique, Marc Lazar est directeur du Centre d’histoire de Sciences Po et président de la School of Government de la Luiss (Rome). Il vient de publier avec Ilvo Diamanti, « Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties » (Gallimard).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Lazar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La puissance des populistes provient de leur capacité à imposer leurs thématiques, leur temporalité de l’urgence, la simplification de leurs argumentaires et leur mode d’agir.Marc Lazar, Directeur du Centre d’Histoire de Sciences Po et Président de la School of government de l’Université Luiss (Rome), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1121112019-02-19T23:39:16Z2019-02-19T23:39:16ZLa fabrication d’une crise : déconstruire la rhétorique anti-immigration de Donald Trump<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259794/original/file-20190219-43270-2a0x6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C1200%2C788&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le mur sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis (ici côté Ciudad Juarez, côté mexicain).</span> <span class="attribution"><span class="source">Joe Raedle/AFP</span></span></figcaption></figure><p>L’utilisation de « l’urgence nationale » par Donald Trump pour débloquer des fonds pour la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique n’est pas une surprise. Depuis longtemps, et récemment encore dans son discours sur l’état de l’Union, le 5 février 2019, le président Trump a construit une rhétorique bien huilée sur la menace et le danger permanent des « étrangers illégaux et criminels ».</p>
<p>Si tous les présidents américains <a href="https://eu.caller.com/story/news/2019/02/04/state-union-what-presidents-said-immigration/2747042002/">depuis Bill Clinton dans les années 90</a> ont parlé du problème des immigrés illégaux, aucun n’a à ce point dramatisé la situation. Voici donc une courte analyse de la stratégie rhétorique qui vise à fabriquer une crise.</p>
<h2>Donner des chiffres pour faire peur</h2>
<p>Il n’y a rien de plus efficace que des chiffres pour faire peur, et convaincre un auditoire, qu’une situation est « objectivement critique ». C’est ce que fait Donald Trump ici en <a href="https://factba.se/search#266%2C000">déclarant</a>, notamment dans son discours sur l’état de l’Union :</p>
<blockquote>
<p>« Les agents de contrôle de l’Immigration et des Douanes (ICE) ont arrêté 266 000 criminels étrangers, dont 10 000 accusés ou condamnés pour voie de fait, 30 000 pour crime sexuel et 4 000 pour homicide ou assassinat ».</p>
</blockquote>
<p>Donald Trump cite ici des chiffres qu’il a utilisés dans son <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/08/us/politics/trump-speech-transcript.html">discours sur l’immigration</a>, le 8 janvier 2019, et <a href="https://twitter.com/realdonaldtrump/status/1084649448003784704">twitté le 13 janvier</a> suivant. Comme le note le <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2019/live-updates/trump-white-house/live-fact-checking-and-analysis-of-trumps-2019-state-of-the-union-address/read-the-fact-check-from-trumps-oval-office-address-on-immigration/?utm_term=.a6d9a7d3bcb9"><em>Washington Post</em></a> le problème est que ces chiffres sont approximatifs, voir trompeurs. Ils comprennent, par exemple, les « infractions sérieuses et non violentes ». Et les totaux incluent « tous types d’infraction, y compris l’entrée (ou la réentrée) illégale sur le territoire ».</p>
<p>Même le cœur de l’argument – les immigrés illégaux commettent plus de crimes – est contredit par <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1745-9125.12175">plusieurs études universitaires indépendantes</a> : celles-ci concluent que l’immigration illégale n’augmente pas le taux de criminalité (y compris pour les crimes de sang, l’utilisation de drogues illicites) et que les sans-papiers sont en réalité moins susceptibles d’enfreindre la loi.</p>
<p>Pire encore, l’affirmation de Donald Trump que la ville frontière d’El Paso (Texas) avait « l’un des taux les plus élevés de criminalité » a été totalement réfuté (<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1745-9125.12175">ici</a>, <a href="https://www.documentcloud.org/documents/4450776-Light-Et-Al-AJPH-Published.html">ici</a>, ou <a href="https://www.documentcloud.org/documents/4450775-CATO-Illegal-Immigration-and-Crime-in-Texas.html">ici</a>). De même, l’allégation du Président selon laquelle « le mur à San Diego a presque complètement mis fin aux traversées illégales de la frontière » est, au mieux, <a href="https://www.mcclatchydc.com/news/politics-government/article225589085.html">discutable et incomplète</a>.</p>
<h2>Choisir les mots pour convaincre</h2>
<p>Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cadrage_(d%C3%A9cision)">« cadrage »</a> cognit) est une technique de communication qui consiste à utiliser un langage spécifique pour « cadrer » un sujet dans des termes négatifs ou positifs en s’appuyant sur des représentations mentales préconçues.</p>
<p>Ainsi, désigner les immigrés sans papiers comme des « étrangers criminels illégaux », comme le fait le Président, implique que toutes ces personnes, avant même d’avoir franchi la frontière (<a href="https://theconversation.com/derriere-les-caravanes-de-migrants-damerique-centrale-des-pays-a-bout-de-souffle-107566">comme celles des « caravanes »</a>), ont déjà enfreint la loi. Il ne tient pas compte du fait que certaines d’entre elles peuvent être des réfugiés qui demanderont l’asile, et qui de ce fait ne sont pas techniquement des « immigrés », et encore moins illégaux (du moins jusqu’à ce que leur demande soit éventuellement rejetée).</p>
<p>En réalité, c’est bien plutôt la nouvelle politique du gouvernement Trump – qui consiste à obliger les demandeurs d’asile à rester au Mexique dans l’attente du résultat de leur demande – <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2019/feb/02/trump-immigration-policy-mexico-border-illegal-amnesty-international">qui risque d’être illégale</a>.</p>
<p>L’expression d’« étrangers illégaux » est assez rare dans un discours sur l’état de l’Union, mais ce n’est pas non plus une innovation. Elle a été utilisée par <a href="https://www.c-span.org/video/?62882-1/president-bill-clintons-1995-state-union-address&start=3772">Bill Clinton en 1995</a>. Ce n’est pas pour autant un terme neutre. Elle présente l’immigré par le biais du cadrage cognitif du crime.</p>
<p>Comme l’explique très bien le think tank libertarien <em>CATO Institute</em>, choisir le terme « étrangers illégaux » plutôt que « immigrants sans papiers » est susceptible d’influencer l’opinion d’une personne plutôt conservatrice contre l’immigration parce qu’elle <a href="https://www.cato.org/blog/use-euphemisms-political-debate">« tend à soutenir davantage l’ordre et la structure, et à être perturbée par l’illégalité »</a>.</p>
<h2>Faire de l’« étranger illégal » un ennemi sauvage</h2>
<p>En revanche, ce qui relève de l’innovation, et apparaît comme une marque de fabrique de la rhétorique trumpienne, est l’utilisation de l’immigré dans le processus de construction d’un ennemi central. Contrairement à ces prédécesseurs de l’ère moderne, Trump désigne un autrui menaçant qui se situe à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de la frontière.</p>
<p>A l’intérieur, c’est le danger immédiat du « gang sauvage MS-13 (qui) opère dans plus de 20 états américains. » La réalité de <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/07/30/qui-sont-les-ms-13-ce-gang-que-donald-trump-veut-eradiquer_5166552_3222.html">ce gang latino-américain particulièrement violent</a> est toute autre : avec moins de <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/l-amerique-selon-trump/20171123.OBS7720/qui-se-cache-derriere-ms-13-l-un-des-gangs-les-plus-violents-des-etats-unis.html">10 000 membres</a>, le MS-13 représente <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2018/06/27/opinion/trump-ms13-immigration.html">« moins de 1 % des membres de gangs qui existent dans tout le pays »</a>. Aussi cruels soient-ils, ils ne constituent pas une menace nationale.</p>
<p>A la frontière, cet autrui, c’est aussi, selon le Président, <a href="https://factba.se/search#ruthless%2Bcoyotes">« le coyote (nom donné aux passeurs, ndlr) impitoyable, les cartels, les dealers et les trafiquants sadiques d’êtres humains et de sexe »</a>, ainsi que <a href="https://factba.se/search#children%2Bas%2Bhuman%2Bpawn">« les passeurs qui utilisent les enfants immigrés comme des pions pour exploiter nos lois et avoir accès à notre pays ».</a> Avec de telles pratiques barbares, ces criminels symbolisent la peur du chaos et de l’anarchie :</p>
<blockquote>
<p>« L’état d’anarchie de notre frontière du Sud est une menace pour la sécurité des biens et des personnes, et pour le bien-être financier de toute l’Amérique. » (<a href="https://factba.se/search#lawless%2Bstate">Donald Trump</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ce qui est en jeu, c’est donc bien la loi, l’ordre et la civilisation. C’est l’argument pour l’utilisation d’un vocabulaire de guerre : ordonner l’envoi d’« un nouveau contingent de <a href="https://factba.se/search#3%2C750%2Btroops">3.750 soldats</a> sur notre frontière du Sud pour se préparer à cette <a href="https://factba.se/search#onslaught">incroyable attaque</a> et appeler les Américains à <a href="https://factba.se/search#defend%2Bour%2Bvery%2Bdangerous%2Bborder">« défendre une frontière du sud très dangereuse ».</a> au nom de l’amour et de la loyauté de nos concitoyens et de notre pays</p>
<p>Cette guerre n’est pas uniquement métaphorique. Elle fait des victimes :</p>
<blockquote>
<p>« D’<a href="https://factba.se/search#countless%2BAmericans">innombrables Américains</a> […] assassinés par des criminels étrangers illégaux et des « dizaines de milliers d’Américains innocents tués par des drogues mortelles qui traversent la frontière et inondent nos villes. »</p>
</blockquote>
<p>Cette vision des immigrés comme un « Autre sauvage » n’est pas sans rappeler la <a href="https://theconversation.com/dans-lamerique-de-trump-les-immigres-prennent-la-place-des-indiens-sauvages-99542">rhétorique de la frontière sur les Amérindiens</a> au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Ajouter une pincée de détails lubriques</h2>
<p>Ce sauvage est d’autant plus barbare qu’il est également un prédateur sexuel :</p>
<blockquote>
<p>« Une femme sur deux est agressée sexuellement […] des milliers de jeunes filles et de jeunes femmes sont “passées clandestinement” pour être vendues comme “prostituées ou esclaves moderne”. ». (Donald Trump, <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-state-of-the-union-february-5-2019">discours sur l’état de l’Union</a>)</p>
</blockquote>
<p>Au-delà du manque du manque de fiabilité statistique, le thème de crimes sexuels est l’un des sujets de prédilection de Donald Trump.</p>
<p>Son discours qui avait lancé sa campagne présidentielle, le 16 juin 2015, avait déjà fait les gros titres parce que le candidat Trump accusait le Mexique d’envoyer des violeurs aux États-Unis. Plus tard, il a fait un commentaire similaire à propos des « caravanes » d’immigrés qui se dirigeaient vers les États-Unis depuis l’Amérique centrale.</p>
<p>Plus tôt cette année, il a même donné quelques <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2019/01/17/trumps-stories-taped-up-women-smuggled-into-us-are-divorced-reality-experts-say/?utm_term=.09ee3330b50d">détails</a> explicites sur « des femmes attachées, immobilisées, du ruban adhésif autour de leur visage, sur leur bouche [qui] dans bien des cas, ne pouvaient même pas respirer ». Une histoire qu’il a répétée une <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2019/01/17/trumps-stories-taped-up-women-smuggled-into-us-are-divorced-reality-experts-say/?utm_term=.0d4ab68d5329">dizaine de fois, le mois dernier</a>, sans offrir la moindre preuve qui puisse la confirmer.</p>
<p>Ce genre de récit n’a pas besoin d’être vrai. Il a juste besoin de donner le sentiment d’être vrai pour servir son but politique. De telles histoires sont davantage susceptibles d’engendrer une réaction forte chez un auditoire plus conservateur, le genre et la sexualité étant des caractéristiques du <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/014198798330007">langage nationaliste</a>. Elles reflètent une philosophie qui considère la <a href="https://journals.openedition.org/lisa/9861">puissance comme une vertu</a> et le contrôle comme primordial.</p>
<h2>Utiliser la métaphore du « corps » de « la nation »</h2>
<p>Que ce soit au niveau littéral ou métaphorique, les récits de viols sont utilisés par les locataires de la Maison Blanche pour focaliser la colère du public contre les ennemis de l’Amérique. Ainsi Saddam Hussein avait soi-disant commis le <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/message-allied-nations-the-persian-gulf-crisis">viol du Koweït</a> et avait construit des salles de viol… De telles histoires exploitent la métaphore de la nation comme « corps ».</p>
<p>Dans le cas de Trump, un parallèle peut être fait entre le viol et l’invasion de la nation par des étrangers illégaux. Dans son <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-oval-office-immigration-january-8-2019">discours</a> sur l’immigration du 8 janvier 2019, le Président parle d’ailleurs de « ceux qui ont violé notre frontière ».</p>
<p>Ce schéma du corps est susceptible d’activer des sentiments particulièrement forts chez un auditoire conservateur ou nationaliste, qui tend à avoir une vision du monde genrée basée sur la force et la puissance. Pour l’écrivain féministe Soraya Chemaly, <a href="https://www.huffingtonpost.com/entry/donald-trumps-rape-metaphor-says-more-about-him-than_us_57743fb5e4b0ee1c313d8e7e">« le viol, c’est la guerre ; les violeurs sont les gagnants, les violés sont les perdants. La honte, selon l’usage de Trump, est réservée aux violés, pas aux violeurs</a> ».</p>
<p>La peur de l’invasion est, de plus, illustrée par le récit de l’une des invités d’honneur du Président, lors du discours sur l’état de l’Union, Deborah Bissel, dont les parents ont été cambriolés et tués dans leur maison de Reno, au Nevada par un étranger clandestin. Cette affaire de violation de domicile n’est pas une coïncidence, elle établit un parallèle avec l’invasion illégale du pays par de dangereux étrangers.</p>
<h2>Utiliser l’image de l’inondation</h2>
<p>L’immédiateté de la menace est renforcée par la métaphore de la nation comme contenant menacé par une inondation dangereuse. Il s’agit là d’un trope classique du <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/aug/10/migration-debate-metaphors-swarms-floods-marauders-migrants">discours anti-immigré</a> dans lequel le liquide est associé directement aux immigrés, ou bien aux substances illégales qu’ils sont supposés apporter.</p>
<p>Ce sont les drogues qui, selon le président <a href="https://factba.se/search#flood%2Bour%2Bcities">« inondent nos villes »</a> ou bien <a href="https://factba.se/search#keep%2Bstreaming%2Bback%2Bin">« le déferlement des membres du gang MS-13 qui reviennent dans le pays »</a>. L’arrivée d’immigrants est ici présentée en termes de quantité excessive de liquide qui pénètre dans un contenant.</p>
<p>D’où le danger de <a href="https://factba.se/search#open%2Bborders">« frontières ouvertes »</a>, de <a href="https://factba.se/search#wide%2Bopen%2Bareas">« zones sans défense »</a> ou de <a href="https://factba.se/search#loopholes">« failles »</a> dans la loi. Cela justifie, dès lors, la construction d’un mur de protection contre cette inondation. La conclusion est alors naturellement que « les murs fonctionnent et les murs sauvent des vies ».</p>
<h2>Faire un récit avec un méchant, une victime et un héros</h2>
<p>Comme tout bon récit, cette histoire doit avoir des personnages clairement identifiés : des méchants et des victimes – les Américains mais aussi les <a href="https://factba.se/search#more%2Bthan%2B300%2Bwomen%2Band%2Bgirls%2Bhave%2Bbeen%2Brescued%2Bfrom%2Bhorror">« 300 femmes et filles sauvées de l’horreur de cette horrible situation ».</a></p>
<p>Elle a également besoin de héros, incarnés par <a href="https://factba.se/search#our%2Bbrave%2BICE%2Bofficers">« nos courageux agents de contrôle de l’Immigration et des Douanes »</a> et les <a href="https://factba.se/search#brave%2Bmen%2Band%2Bwomen%2Bof%2Blaw%2Benforcement%2C">« braves hommes et femmes des forces de police ».</a></p>
<p>Mais, en fin de compte, le vrai héros de cette histoire est bien Donald Trump lui-même. Il est à la fois le protecteur des héros du quotidien et le bâtisseur de murs qui visent à protéger le corps-nation.</p>
<blockquote>
<p>« Je vous promets ce soir que je ne révoquerai jamais nos héros du contrôle de l’Immigration et des Douanes […] un mur digne de ce nom n’a jamais été construit. Je le ferai construire ». (Danald Trump, <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-state-of-the-union-february-5-2019">discours sur l’état de l’Union</a>)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/112111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si tous les présidents américains depuis Bill Clinton, dans les années 90, ont parlé de la question des immigrés illégaux, aucun n'a à ce point dramatisé la situation.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.