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Essais cliniques : on peut concilier éthique, qualité et urgence même en temps de crise sanitaire

Un biologiste stocke un échantillon dans un laboratoire. Franck Fife / AFP

Cet article a été coécrit avec Christophe Longuet, praticien attaché, service des maladies infectieuses de l’Hôpital de la Croix Rousse (Hospices Civils de Lyon).


En France chaque année, dans la plus grande discrétion, des milliers de patients participent à des essais cliniques qui permettent de tester des produits de santé (médicaments, vaccins, dispositifs médicaux) qui les aideront à affronter la maladie.

C’est grâce à des essais cliniques menés avec rigueur que la mise au point de vaccins contre les maladies épidémiques, si souvent décriés lorsque les épidémies ne sont pas d’actualité, a notamment abouti à l’éradication de la variole et à la quasi-élimination de la poliomyélite dans le monde. Outre les succès obtenus dans le domaine de la vaccination, la recherche thérapeutique antivirale a aussi de belles victoires à son actif, avec par exemple la mise au point des antirétroviraux contrôlant le VIH ou des traitements qui désormais guérissent l’hépatite C. Comme nous l’avions mentionné dans une précédente publication, grâce à son encadrement réglementaire, de la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales (loi Huriet-Sérusclat) jusqu’à la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine (loi Jardé), la France n’a connu jusqu’ici que peu d’accidents lors d’essais cliniques.

Au cours des dernières décennies, le grand public a découvert que certains agents infectieux, connus des seuls scientifiques hors des périodes d’épidémie, pouvaient se répandre et tuer de manière foudroyante. Ces virus émergents ou réémergents posent de nouveaux défis à la recherche médicale. Face à l’urgence, et sous la pression du pouvoir politique, qui se fait le relais de la pression médiatico-sociale, la communauté scientifique doit adapter ses normes et pratiques. Mais jusqu’où ?

Nous nous proposons ici de rappeler comment se construisent les essais cliniques, selon quelles méthodologies et comment des essais cliniques ont pu être réalisés de manière conclusive en situation d’urgence sanitaire lors des récentes épidémies d’Ebola en Afrique de l’Ouest et Centrale.

Quelles méthodologies pour des essais cliniques fiables ?

Aujourd’hui, la méthodologie des essais cliniques repose essentiellement sur la réalisation d’essais cliniques « randomisés contrôlés ». Ceux-ci permettent de comparer des groupes de patients recevant différents traitements, en parallèle.

Lors d’un essai clinique randomisé contrôlé, un premier groupe de patient est défini comme le groupe « expérimental ». Il est composé de patients recevant le traitement à évaluer, dont on souhaite étudier la sécurité d’utilisation et l’efficacité. Lorsque plusieurs médicaments sont à l’étude en même temps, il peut exister plusieurs groupes expérimentaux.

Le second groupe est défini comme groupe « contrôle ». Il s’agit de patients recevant le traitement de référence s’il existe, c’est-à-dire un traitement ayant déjà une efficacité démontrée dans la pathologie d’intérêt ou un placebo, s’il n’existe aucun traitement de référence. Ce groupe permet de refléter l’évolution de la pathologie lorsque le traitement expérimental n’est pas administré.

Lorsqu’un essai est réalisé sans groupe contrôle, il est alors difficile de déterminer l’effet réel du traitement. En effet, si l’état des patients s’améliore, on ne peut savoir si la raison en est que le traitement est efficace ou si c’est parce que, même en absence de traitement, leur état se serait malgré tout amélioré. Or ce dernier cas signifie que le traitement ne modifie pas l’évolution naturelle de la maladie, et est donc inefficace…

Le terme « randomisé », enfin, signifie que l’attribution du traitement à administrer est décidée, pour chaque patient, par un tirage au sort rendant ce choix imprévisible. Cette randomisation permet d’obtenir des groupes de patients homogènes et équilibrés ayant donc les mêmes probabilités d’amélioration, de guérison, d’aggravation ou de décès. Du fait de cet équilibre initial, si une différence (de sécurité d’utilisation ou d’efficacité) est mise en évidence à la fin de l’essai, elle pourra alors être attribuée à la différence de traitement.

Lorsqu’un essai est réalisé sans randomisation, il peut exister des déséquilibres initiaux entre les groupes de traitement. Il est alors plus difficile de déterminer l’origine de la différence observée à la fin de l’essai : est-elle liée à l’effet du traitement ? Au déséquilibre initial ? Ou un peu à chaque facteur ?

Des méthodes d’analyses statistiques peuvent être utilisées pour essayer de prendre en compte et corriger les éventuels déséquilibres initiaux. Mais il persistera toujours un doute quant aux conclusions d’un tel essai.

Le nombre de patients à inclure, un critère essentiel

Une partie importante dans la préparation de l’essai consiste à déterminer le nombre nécessaire de patients qu’il faudra inclure et suivre avant de pouvoir analyser les résultats de l’essai. Ce nombre doit être fixé avant le début de l’étude pour organiser la logistique : nombre de centres investigateurs à impliquer, quantité de produits à l’essai à utiliser…

Pour calculer le nombre de patients à inclure dans une étude, et ainsi éviter de le sur- ou sous-estimer, il existe des impératifs et des hypothèses statistiques à respecter. Ce point est particulièrement important. En effet, surestimer ce nombre consiste à inclure plus de patients qu’il n’en faudrait (statistiquement) pour conclure et arrêter l’étude. Des patients vont alors continuer de recevoir, à tort, le traitement le moins efficace. À l’inverse, sous-estimer ce nombre consiste à inclure moins de patients qu’il n’en faudrait (statistiquement) pour conclure. Les données ne sont alors pas suffisantes pour conclure si l’un des traitements est supérieur à l’autre. Les patients inclus dans l’étude ont donc été traités « pour rien », puisque les données ne sont pas assez précises pour obtenir une conclusion fiable.

Tous les patients inclus dans l’essai doivent être analysés, qu’ils aient reçu ou non, complètement ou partiellement, le traitement prévu. Il s’agit du principe d’analyse « en intention de traiter ». Les arrêts de traitement, les décès (ou tout autre évènement pouvant conduire à exclure les patients de l’analyse) ne doivent jamais être considérés comme dus au hasard, et exclus de l’analyse. Leur exclusion risque de détruire la comparabilité initiale, obtenue par la randomisation, et de favoriser le groupe expérimental, en ne gardant que les bons répondeurs.

Un contexte d’urgence sanitaire

Les épidémies récentes de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest et Centrale montrent comment les acteurs médicaux et scientifiques ont su s’adapter pour concilier les impératifs de qualité des soins, de santé publique et de recherche médicale éthique en situation d’urgence sanitaire.

Avec plus de 28 000 cas et 11 300 morts en quelques mois en Afrique de l’Ouest, cette épidémie qui dura de décembre 2013 à la fin 2015, la plus meurtrière à ce jour, a été une course contre la montre pour tous les acteurs concernés.

L’urgence a d’abord été une urgence de santé publique et humanitaire, avec comme objectifs de détecter, isoler et soigner rapidement les personnes infectées. Mais l’ampleur de l’épidémie a rendu possible et indispensable de tester chez l’être humain de nouveaux vaccins et traitements identifiés chez l’animal, lors de phases précliniques, ou déjà utilisés chez l’humain pour d’autres infections virales. Ces nouvelles molécules ont pu être évaluées en temps record dans des essais cliniques de phase I et II (étude de l’efficacité du nouveau médicament, sa posologie et sa pharmacodynamique). Certaines études thérapeutiques ont été randomisées, d’autres pas, car il était estimé par leurs promoteurs que les traitements étudiés offraient un meilleur espoir de survie (ce que les analyses statistiques ultérieures n’ont en général pas montré).


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Durant l’épidémie de MVE d’Afrique de l’Ouest, certains traitements prometteurs ont été identifiés et l’efficacité d’un vaccin a pu être démontrée lors d’une étude de phase III randomisée – vaccination immédiate versus vaccination différée – selon l’approche vaccinale dite « en ceinture », consistant à vacciner les personnes-contacts ou résidant autour des malades.

D’autres avancées ont été obtenues toujours dans le cadre de cette urgence sanitaire. Des consortiums internationaux d’institutions de recherche ont été créés et des mécanismes de financement accéléré de la recherche en situation d’urgence ont été mis en place. Des protocoles d’études randomisées adaptatives ont été développés, permettant de gagner du temps dans la soumission de nouveaux essais, et permettant d’ajouter ou d’interrompre un bras de traitement en cours d’essai, en fonction du résultat des analyses intermédiaires.


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Un cadre éthique respecté

Sur le plan éthique, les protocoles de recherche ont été soumis à une double approbation, celle des comités d’éthique des pays promoteurs, notamment en Europe et en Amérique du Nord, et celle des comités d’éthique des pays où a eu lieu la recherche, principalement la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone.

Il a fallu mettre en place des procédures innovantes pour recueillir le consentement libre et éclairé de malades en situation de stress et de vulnérabilité extrêmes, isolés dans des centres de traitement Ebola avec un personnel en équipement de protection intégrale. Les consentements écrits originaux ne pouvant pas sortir de la zone contaminée pour leur archivage, en raison du risque infectieux important, ils ont été photographiés à distance. En l’absence de proches au lit des malades, les équipes soignantes ont été garantes de leur choix éclairé, en toute indépendance vis-à-vis des équipes de recherche.

Ces avancées ont permis de réaliser lors de la récente épidémie d’Ebola en République Démocratique du Congo (2018-2020), la première étude randomisée de phase II-III, à plusieurs bras de traitements (groupe de participants recevant le même traitement ou la même absence de traitement, conformément au protocole), au cours de laquelle deux traitements ont montré de manière rigoureuse leur efficacité.


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Concilier éthique, qualité et urgence n’est pas impossible en temps de crise

L’expérience acquise lors des flambées de maladie à virus Ebola démontre qu’une recherche alliant éthique et qualité peut se faire dans des conditions extrêmes, qui mettent à l’épreuve les systèmes de santé et les codes sociaux.

Ainsi, malgré la quasi-absence des systèmes de santé des pays affectés par ces épidémies et la déstructuration massive du tissu social des populations atteintes, qui ne pouvaient plus approcher les vivants ni honorer leurs morts, la connaissance de la maladie et l’identification de traitements a malgré tout progressé. Ces résultats ont été rendus possibles grâce au travail d’équipes de recherche internationales impliquant des personnels locaux : médiateurs (dénommés les « Champions » par les investigateurs du projet vaccinal « PreVac » – Partnership for Research on Ebola VACcination), techniciens de recherche, chercheurs, agents de santé, etc.

C’est la même approche qui a été utilisée mise en place pour pouvoir démarrer, en un temps record, des essais thérapeutiques randomisés adaptatifs multicentriques à plusieurs bras dans le contexte actuel de pandémie de Covid-19.

Pour conclure, rappelons les trois grands principes qui fondent une éthique de la recherche sur l’être humain : le respect de la personne, autant que faire se peut dans son autonomie, la bienveillance pour maximiser les avantages et minimiser les dommages possibles et la justice, pour permettre une participation de tous à ces recherches.

Comme le stipule la charte éthique du consortium REACTing

« Face à ces défis, la recherche conduite en situation épidémique impose de mener une réflexion éthique, afin d’assurer le respect des normes éthiques tout en tenant compte des spécificités culturelles, des systèmes de santé et des normes en matière de soins de santé au niveau local, ainsi que de la complexité des conditions de recherche et de la vulnérabilité des participants. »

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