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Et si mes traces digitales influençaient les autres ?

Notre activité en ligne dépend étroitement des avis ou des commentaires laissés par les autres usagers. Zapp2Photo / Shutterstock

Pour chasser, se déplacer, visiter ou se protéger au cours de son histoire, l’Homme a su suivre ou éviter des traces, alors pourquoi le monde digital serait-il différent ? Il est du reste probable que le numérique soit un amplificateur du phénomène par la facilité d’accès et sa capacité de diffusion. En fait les êtres humains agissent en imitateurs ou en innovateurs, réagissant pour ou contre les traces laissées par les autres.

Pour Alain Mille, spécialiste de l’intelligence artificielle, une trace est constituée d’empreintes laissées volontairement ou non dans l’environnement à l’occasion d’un processus. Partant de cette définition, on peut dire que la trace digitale est un ensemble d’empreintes numériques que nous laissons, sciemment ou non, lorsque que nous accédons à Internet. Elle est créée lorsque nous utilisons des services, laissons des informations personnelles ou affichons des commentaires.

Si nous laissons des empreintes à chaque fois que nous connectons sur le net, quels mécanismes justifient l’influence qu’elles peuvent avoir sur autrui ? Le spécialiste en digital Philip Sheldrake dépeint l’influence comme : « quand vous pensez quelque chose que vous n’auriez pas pensé autrement, ou quand vous faites quelque chose, que vous n’auriez pas fait autrement ».

Auteur de « Influence, la psychologie de la persuasion » le psychologue social américain Robert Cialdini dégage 7 principes qui expliquerait les mécanismes de l’influence. En l’occurrence ils nous permettent parfaitement d’illustrer l’influence des traces digitales.

« The power of persuasion » avec Robert Cialdini (The RSA, décembre 2016).

1. La réciprocité

Il faut commencer par donner pour s’attendre à recevoir en retour. Sur les applications digitales et les sites web, il vous est souvent donné gratuitement des informations, des outils, des services… Cette stratégie implique l’utilisateur et il se sent plus enclin à donner des informations sur lui, à s’inscrire, à participer. Ce sentiment de dette est puissant et dans le cadre de l’univers de l’information, il est encore plus efficace car généralement, vous allez donner des éléments sans vous en déposséder (par exemple, donner votre nom, votre position, votre avis).

Des applications comme Waze font état de cette réciprocité. Une personne signale un accident, ce qui vous évite un carambolage, vous allez vous sentir dans l’obligation d’en faire de même dans une situation similaire. Cette trace vous a influencé, elle vous a incité à faire de même. C’est même l’argument majeur de l’application.

Waze Social GPS, Maps & Traffic Guided Tour (Waze, 5 mars 2013).

2. Engagement et cohérence

Lorsqu’une personne commence à utiliser un système ou une application, elle va s’engager et c’est alors que le phénomène va se produire : elle est auto-influencée par une volonté d’être en cohérence avec ce qu’elle a déjà fait. Ainsi, elle laisse des traces dans un site et en fonction de celles-ci, il lui est proposé d’aller plus loin. C’est comme si on vous disait : vous avez déjà fait tout ce chemin alors pourquoi vous arrêter ?

C’est en choisissant d’utiliser une application ou une fonction et d’avancer dans les étapes proposées que vous allez vous sentir de plus en plus enclin à aller plus loin en laissant de traces additionnelles. Cela peut passer par des choses simples : des boutons du style « je suis d’accord », « remplir un formulaire », « produire ma story » etc.

3. La preuve sociale

Pour Cialdini, un des moyens de déterminer ce qui est bien est de découvrir ce que les autres personnes pensent être bien. Le fait de voir un grand nombre de personnes consultant la même page, choisissant ou achetant le même produit, vous conduit à vous intéresser à l’objet. C’est ce qui se passe lorsque vous arrivez sur un site et que vous voyez que plus de 4 000 personnes ont donné la note de 9/10 sur un hôtel, vous allez avoir tendance à penser qu’il s’agit d’un bon hôtel.

Les plates-formes de location en ligne comme Airbnb font appel à ce mécanisme de preuve sociale. Daniel Krason/Shutterstock

4. L’autorité

C’est la notion d’identification de l’auteur de la trace qui donne du poids : la voix de l’expert (chirurgien, musicien…) est influente. Mais l’autorité peut être aussi apportée par le titre (docteur, expert, PDG..). Pour Cialdini, il ne faut pas inventer l’autorité mais la rendre visible. C’est le cas, par exemple, des applications proposant un plan nutritionnel pour apprendre à manger sainement avec les conseils d’un nutritionniste.

5. La sympathie

Nos agissements peuvent être motivés par le fait de vouloir faire plaisir à la personne qui nous témoigne de l’affection. L’avis ou les comportements des personnes que vous aimez peuvent avoir de l’influence sur vos choix.

La sympathie comme facteur d’influence doit être prise en compte car les réseaux sociaux sont un haut lieu d’échange entre amis ou connaissances. Il est fréquent de faire quelque chose parce que la personne que vous aimez bien (ami·e) est allé·e visiter un lieu, ou a aimé (like) un concert, un artiste, une œuvre d’art, et a laissé des traces sur sa page Facebook ou Instagram.

Pourquoi Instagram nous rend-il addict ? (Arte, octobre 2019).

6. La rareté

Les personnes veulent et valorisent les choses lorsqu’elles sont ou se font rares. La rareté d’une offre, d’un service peut être tracée sur un site Internet (exemple : il ne reste plus que 2 chambres lorsque 3 personnes consultent la même offre). La pénurie, ou le risque de manque influence, fortement les décisions et les actions. Il en est de même dans le cas des offres spéciales qui apportent une forme de rareté liée au temporel. Cela peut précipiter la décision d’achat.

7. Unité

Vous êtes plus sensibles aux avis, notations ou photos laissés par personnes qui vous sont assez similaires. Le principe d’unité permet de dire que l’influence d’une trace dépend d’une certaine « similarité » entre celui qui laisse la trace et celui qui la voit. Cialdini parle d’unité lorsque les individus sont classés à l’intérieur de la même catégorie : nationale, professionnelle, partage d’intérêts, etc. Les avis des utilisateurs d’un site touristique qui partagent vos passions vont vous influencer et ce à travers le sentiment d’identification ou appartenance au groupe.

Nous attirons l’attention sur l’influence que notre quotidien digital a sur nos décisions. Prenons l’exemple de ce qui se passe lors que vous conduisez en utilisant une application comme Waze qui vous donne des informations en temps réel sur le trafic. Ces informations ne sont rien d’autre que des traces laissées par d’autres automobilistes sur le même trajet. Waze identifie les positions des automobilistes autour de vous, à travers le GPS de leurs smartphones et calcule les indices de vitesse de déplacement. À partir de l’ensemble de ces traces numériques, Waze peut indiquer un embouteillage. Et le système va même jusqu’à vous proposer un autre itinéraire, ou un autre moment pour voyager.

Toutefois il peut exister des « fake traces » : l’action de l’artiste berlinois est une belle et drôle illustration pédagogique. Cet artiste a transporté dans un chariot 99 smartphones connectés sur Google Maps, avec l’intention de simuler un embouteillage virtuel. Ainsi la route devient rouge sur l’application, les automobilistes changent d’itinéraire pour éviter l’embouteillage et dans la réalité la route est devenue déserte. Il a mis en évidence les faiblesses du système !

Google Maps Hacks by Simon Weckert (Simon Weckert, 1 février 2020).

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