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Personne prélevant un échantillon de terre.
Sur le terrain, la collecte de données pourrait être plus mutualisée pour minimiser l'empreinte carbone de la recherche. William Edge/Shutterstock

Étudier la Terre sans la détruire davantage : comment faire de la recherche bas-carbone ?

Faire de la science bas carbone et riche de sens. C’est l’ambition de plus en plus de scientifiques qui tâchent ainsi à la fois prendre leur part dans le grand chantier de la décarbonation mais aussi promouvoir au passage une science ouverte où, de la collecte de données à l’utilisation de matériel, la compétition et les initiatives individuelles laissent place à plus de mise en commun.


À l’heure du réchauffement climatique, un scientifique peut-il encore aller faire des recherches à l’autre bout du monde ou avec de très grands équipements ? Est-ce que cela se justifie si, il ou elle va justement étudier l’impact du réchauffement climatique, ou aider à l’adaptation locale ? Toutes les recherches sont-elles légitimes ? Y aurait-il moyen de mener nos recherches autrement ? N’est-ce pas même indispensable, à l’heure où le monde de la recherche ne cessent d’alerter face au danger climatique mais où la crédibilité scientifique, elle, s’effrite ?

Ces questionnements sont au cœur des réflexions qu’un nombre grandissant de scientifiques mènent depuis plusieurs années avec l’objectif de « décarboner » le monde de la recherche académique. Mais plus largement, de concilier sciences et sens en réalignant l’exercice de nos métiers aux conditions d’habitabilité du système Terre.

Les glaciers, un observatoire du climat. Glacier du Mera, Nepal. IRD – Patrick Wagnon.

L’« empreinte carbone » de la recherche

Pour comprendre comment la recherche pourrait être conduite dans un meilleur respect des limites planétaires, commençons par quantifier un de aspects, son « empreinte carbone ». Cette approche est certes restrictive, et ne doit pas invisibiliser des réflexions essentielles autour de la conservation de la biodiversité, de l’exploitation raisonnable des ressources, du maintien des grands cycles biogéochimiques, de la baisse de l’artificialisation des sols, etc.

Mais quoiqu’on en dise, la « comptabilité carbone » reste instructive car elle permet une prise de conscience collective, elle fixe un cadre compréhensible par le plus grand nombre, aide à l’explicitation des secteurs les plus émetteurs et des métiers à proscrire ou à réinventer. Finalement la « comptabilité carbone » contribue à une transformation vertueuse des pratiques en sous tendant un arbitrage entre les activités non essentielles et celles au cœur des métiers, et très souvent associée à des bénéfices pour le respect des autres limites planétaires.

En soi, le secteur de la recherche publique n’est pas particulièrement plus émetteur que d’autres. Reste qu’il doit faire sa part et qu’avec près de 14 tonnes équivalent carbone en moyenne, par personne et par an, la profession a du chemin à parcourir pour réduire ses émissions carbonées. Pour rappel, la loi européenne sur le climat (« Fit for 55 ») vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’environ 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990. La voie vers la neutralité carbone cible, quant à elle, une émission limitée à 2 tonnes par an et par individu, en 2050.

Mais alors, quelles parties des recherches scientifiques pourraient être reconsidérées pour atteindre ces objectifs ? Les achats (ordinateurs, équipements scientifiques, matériels bureautiques, etc.), les vols longs courriers, les grandes infrastructures (flotte navale, aérienne, grands instruments, etc.) et la vétusté des bâtiments se partagent généralement le podium des postes les plus émetteurs de gaz à effet de serre mais cela varie beaucoup d’une discipline à l’autre, comme le souligne l’étude Expé-1point5, conduite depuis 2021 avec 22 laboratoires nationaux.

Avec, en moyenne, 37 tonnes équivalent carbone émises annuellement par chaque personnel, les astronomes figurent par exemple parmi les plus émetteurs. Lucide, cette communauté prend cependant le sujet à bras le corps et expérimentent des pratiques alternatives pour continuer d’étudier les planètes sans détruire la nôtre. Certains renoncent à l’avion quand d’autres n’exploitent que des données anciennes et rejettent ainsi cette course aux méga-télescopes, dont nous pouvons bien nous demander si elle ne nourrit pas la géopolitique avant l’observation des trous noirs et autres galaxies. Et grand bien leur fasse, ces adeptes de la sobriété choisie qui explorent des données oubliées publient dans les meilleures revues, poursuivent de belles carrières tout en ouvrant la voie à un mode alternatif et réjouissant de production de connaissances.


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Façonner collectivement d’autres façons de faire de la recherche

Cet exemple de l’astronomie montre qu’une partie de la « décarbonation » de la recherche passe par une réflexion collective, par l’expérimentation et la coopération, par la quête créative d’alternatives.

Pour favoriser cela, un collectif de personnels de l’enseignement supérieure et de la recherche a créé un atelier participatif dématérialisé : Ma Terre en 180 Minutes. Avec aujourd’hui la participation de plusieurs milliers de scientifiques d’une cinquantaine de villes et d’une dizaine de pays, l’engouement est au rendez-vous. Les organismes nationaux de recherche ne sont pas en reste puisque la moitié des signataires de la déclaration commune pour la transition écologique l’ont expérimenté.

Réflexion sur d’autres façons d’étudier les pôles, lors d’un atelier Ma Terre à la maison climat planète (IGE, Grenoble, France) OSUG – Pierre Jacquet.

L’atelier « Ma Terre » s’appuie sur une phase de sensibilisation, une phase de mise en situation et une phase de débrief. Effectué par de nombreuses personnes en parallèle, cela ressemble à une convention citoyenne accélérée. En quelques heures, les personnes présentes ont l’occasion de comprendre les enjeux climatiques, de s’interroger collectivement sur leurs pratiques professionnelles et de contribuer activement à une dynamique commune pour scénariser des laboratoires « bas-carbone ».

Lors de la phase de mise en situation par jeu de rôle, les participants et participantes incarnent des personnages fictifs et réalistes d’une équipe virtuelle de recherche, inspirée de la réalité. Tous les profils sont présents : l’à-quoi-boniste – « à quoi bon réduire, si les autres ne font rien ? », le colibri – « je suis conscient de l’enjeu, j’ai changé mes pratiques individuelles », le « bulldozer » – « ma notoriété et mes fonctions justifient mes émissions, point », ou encore le militant – « je suis engagé dans des actions collectives pour le climat ».

L’objectif de cet atelier : suivre l’accord de Paris et réduire de 50 % « l’empreinte carbone » de leur équipe virtuelle. Soigneusement anonymisées et consignées, ces parties de jeu fournissent ainsi un matériau inédit, riche et varié et devraient permettre, avec l’aide de la psychologie et de la sociologie, de mieux comprendre les dynamiques de groupe, les réflexes de résistance au changement, les nécessaires équilibres entre initiatives individuelles et arbitrages collectifs.

Moins d’avions, plus de réparation ?

La réduction de 50 % de notre « empreinte carbone » est un objectif atteignable, c’est le constat encourageant qui résultent de ces ateliers comme de nos travaux. C’est le même objectif qui a nourrit les délibérations lors de la convention pour la transformation sociale et écologique de l’IRD, à laquelle ont participé pas moins de 40 personnes et une vingtaine de personnes expertes mobilisées durant trois mois au printemps 2024. Et les leviers de réductions esquissés sont comparables :

  • Concernant les achats, leur réduction de moitié est inévitable, reste à savoir comment ? Les tutelles et l’état doivent s’engager pour favoriser l’économie circulaire, la réparation, le prêt, les achats d’objets de seconde main et/ou reconditionnés. Fini les instruments sur étagère ou les achats d’ordinateurs de fin d’année ! Et pourquoi pas transformer les achats en ressources humaines…

  • S’agissant des grands investissements et des infrastructures lourdes, les établissements doivent s’emparer du sujet de manière concertée, limiter la compétition et la course technologique, prôner des logiques de robustesse plutôt que de performance tant, lors des dialogues avec leurs ministères de tutelles, que dans le cadre des appels d’offre qu’ils pilotent ou dans le cadre de collaborations internationales.

  • Concernant les déplacements, la réduction des vols est une mesure efficace qui peut être adoptée en quelques années lorsque les directions de laboratoire et d’établissement sont convaincues de son intérêt. La réduction des vols long-courriers est une mesure clé, 10 % des vols les plus longs contribuant au 2/3 de l’empreinte de ce poste. L’utilisation du train plutôt que l’avion pour les courts et moyens courriers renforce également l’envie d’agir autrement et favorise l’émulation collective.

Les outils de vidéocommunication, désormais ergonomiques, sont devenus un levier technologique efficace et il serait dommage de s’en priver pour limiter certains déplacements, puisqu’une conférence en distanciel possède une « empreinte carbone » 20 à 7000 fois moindre qu’une conférence en présentiel. Les rencontres par vidéoconférence ont également des effets positifs en termes d’égalité d’accès et de partage des savoirs (problème de visas, de coût financier, de disponibilité en lien à la charge mentale). Il ne s’agit pas cependant de minimiser l’importance de rencontres réelles, cruciales dans certaines situations, mais de bien évaluer celles-ci.


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La mutualisation comme valeur clé

Un autre changement plus global apparaît cependant nécessaire, et il n’est pas des moindres : c’est celui d’une mutualisation substantielle des activités. Cette perspective n’a cessé de réapparaître et de prendre de la force au fil de notre étude. Une mutualisation accrue semble de fait nécessaire à mettre en œuvre tout au long du processus de production de connaissances, depuis l’acquisition des données jusqu’à leur mise en visibilité selon un modèle « open source ». Il s’agit de systématiser les prêts, de renforcer les compétences partenariales et de déléguer la plupart des tâches nécessitant des déplacements aux équipes présentes sur place, en d’autres termes collaboration plutôt que compétition !

Il s’agit également de s’assurer que la société civile prenne part à la conception et à l’appropriation des travaux.

Dans la vie courante, mutualiser les activités repose sur un fort degré de confiance, le nivellement par le haut des compétences, le partage des prises de risques et l’acceptation d’un lâcher-prise pour les succès comme pour les échecs. D’un point de vue structurel, il s’agit aussi de mieux promouvoir l’agilité et la réussite collective et, peut-être, de moins considérer la performance individuelle.

Et maintenant que les pistes d’actions sont esquissées ; il est temps de les partager largement. Le journalisme, la solidarité internationale, la diplomatie, le monde du travail, de l’éducation, etc. sont autant de secteurs en mouvement, avec lesquels des synergies sont à développer pour une transformation globale de nos sociétés.

Découvrez l’atelier Ma Terre en 180 minutes ici et sa version scolaire ici (ateliers libres et gratuits).


Ce texte s’inscrit dans une série d’articles publiés dans le cadre de l'événement SCIENCE4ACTION organisé par l'IRD le 7 octobre 2024 à Marseille à l'occasion de son 80e anniversaire. Ce forum international entend renforcer la contribution de la science au développement durable et humain. Il rassemblera une grande diversité d'acteurs engagés provenant des cinq continents : scientifiques, professionnels du développement, jeunes engagés, entrepreneurs, décideurs et représentants d'organisations internationales.

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