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Euclid vs James Webb : le match des télescopes spatiaux ?

Nébuleuse violette et orangée sur un fond de ciel étoilé.
Malgré leurs similarités, les télescopes spatiaux Euclid et James Webb diffèrent sur de nombreux aspects. J.-C. Cuillandre/CEA Paris-Saclay, G. Anselmi/NASA ESA, Euclid Consortium

Les télescopes spatiaux Euclid et James Webb produisent des images astronomiques fascinantes, largement diffusées et associées à des résultats scientifiques majeurs. Malgré leurs orbites similaires situées loin derrière la Lune et le fait qu’ils observent tous deux dans l’infrarouge, ces deux missions diffèrent sur de nombreux aspects : taille, coût, modes d’observation, instrumentation et objectifs scientifiques. Y aura-t-il un match des télescopes spatiaux ? Au risque de décevoir, pas vraiment : ces deux monstres de technologie sont parfaitement complémentaires et illustrent l’excellence technique et scientifique des Européens et des Américains du Nord.

La question revient souvent : quelles différences entre la mission spatiale européenne Euclid, et le télescope spatial James Webb de la NASA et, on l’oublie souvent, des agences européennes ESA et canadienne CSA ? Depuis leurs lancements et la publication de leurs premières images, ces missions spatiales nous régalent de leurs clichés époustouflants de couleurs, de détails et de structures jamais vues auparavant.

L’iconique nébuleuse M16 par JWST (NIRCam et MIRI). STScI, J. DePasquale, A. Pagan et A. M. Koekemoer/STScI, NASA, ESA, CSA

Ces missions commencent à révolutionner la science astrophysique, et ce, pour quelques décennies. Elles nous aident à mieux comprendre la structuration de l’Univers, son histoire, et ainsi notre place. Comme de nombreux collègues, j’ai le plaisir de participer activement aux deux missions, avec cependant des degrés d’implication différents. Nous avons le sentiment de vivre une époque scientifique révolutionnaire, mêlant excitation des nombreuses découvertes en cours et à venir et résolution probable de questions sur la table depuis longtemps, comme la nature des premières galaxies, la présence de matière noire ou le taux d’accélération de l’expansion de l’Univers.

Deux histoires

Un peu comme dans la vieille série télévisée Amicalement vôtre, les deux télescopes ont des histoires et épopées différentes, mais se rencontrent par des équipes scientifiques ayant des buts communs.

La nébuleuse M57 par JWST dans deux séries de couleurs infrarouges par NIRCam et MIRI. ESA/Webb, NASA, CSA, M. Barlow, N. Cox, R. Wesson

Le James Webb Space Telescope (JWST) a été lancé à Noël 2021 et a dévoilé ses premiers résultats en juillet 2022. Dès lors, les images fantastiques arrivent sans discontinuer. Doté de quatre instruments et d’un miroir principal de 6,5 m de diamètre, il scrute l’Univers en profondeur dans l’infrarouge proche et moyen (de 0,9 à 28 micromètres de longueur d’onde). Il observe « à la demande » des scientifiques ayant proposé des programmes scientifiques évalués et sélectionnés. C’est tout simplement le télescope le plus sensible jamais conçu en infrarouge, en imagerie et spectroscopie. Il est capable de détecter des galaxies ultras lointaines comme d’analyser des atmosphères d’exoplanètes.

Euclid a été lancé en juillet 2023, et les premières données ont été dévoilées en novembre 2023 et en mai 2024 avec quelques beaux résultats scientifiques de démonstration des capacités. Des résultats scientifiques de fond, il n’y en aura pas avant quelques années. En effet, le « petit » télescope de 1,20 m de diamètre et ses deux instruments observent méthodiquement quasi tout le ciel, appelé « relevé systématique », en mode « menu imposé » où les 6 années d’observation sont déjà programmées au millimètre.

Euclid embarque le plus grand imageur visible jamais lancé, appelé VIS, une merveille de 610 millions de pixels, ainsi que la plus grande caméra infrarouge appelée NISP, deux fois plus grande que celle du JWST, et qui fait aussi de la spectroscopie. Petit télescope, mais détecteurs les plus grands ! Il observe en moyenne 120 000 galaxies par image, obtient des spectres et, via des outils statistiques, permettra de reconstruire la présence de matière noire et les effets de l’énergie sombre.

Le JWST et Euclid sont « voisins » au point de Lagrange L2 avec Gaia, zone prisée qu’occupaient avant eux Planck et Herschel notamment. Le point de Lagrange L2 est une zone assez large de l’espace située à environ quatre fois la distance Terre-Lune qui offre une stabilité en termes de rayonnements et d’orbite. Il n’y a guère de risque de collision entre ces télescopes, puisque le rayon des orbites autour de L2 est de l’ordre de 800 000 km.

Des images emblématiques dans les constellations d’Orion et de Persée

La fameuse nébuleuse de la Tête de Cheval dans Orion vue par Euclid (à gauche), Hubble (au milieu) et JWST (à droite). J.-C. Cuillandre/CEA Paris-Saclay, G.Anselmi/NASA ESA, K.Misselt/University of Arizona, A.Abergel/Université Paris-Saclay CNRS

Une image résume l’aboutissement technologique et scientifique – et la complémentarité – de Euclid et du JWST : le champ connu de la nébuleuse de la Tête de Cheval dans la constellation d’Orion. Les images sont éloquentes : Euclid (image de gauche) permet d’embrasser toute la scène d’un seul coup, avec une vue « grand angle » inégalée en efficacité dans les couleurs visible et proche infrarouge. L’image du milieu montre un zoom pris par le fameux Hubble. À droite, le zoom exquis du JWST en infrarouge moyen montrant un luxe de détails jamais vus dans la structure de la nébuleuse ainsi que dans les galaxies d’arrière-plan. On remarque que la vision infrarouge permet de percer des détails invisibles à Hubble.

Amas de galaxies Perseus A426 vu par Euclid en visible et proche-infrarouge. J.-C. Cuillandre/CEA Paris-Saclay, G.Anselmi/NASA ESA, Euclid Consortium
L’amas de galaxies Perseus. Grand carré orienté : image Euclid. Petits carrés : observations de Hubble. Cercles verts : nouvelles galaxies naines détectées par Euclid. Image de fond obtenue au sol par PanSTARRS DR1. Marleau et coll., 2024

Enfin, un amas de galaxies situé à 240 millions d’années-lumière dans la constellation de Persée permet de comparer une image d’Euclid couvrant un large champ avec toutes les observations de Hubble jamais effectuées (les petits carrés dans l’image ci-contre). On remarque que Hubble, indispensable comme le JWST, n’a en réalité couvert qu’une minuscule surface du ciel, alors que Euclid permet de combler tous les « trous » et ouvre un espace de découverte. Ainsi Euclid a permis de découvrir plus de 600 nouvelles galaxies naines ainsi que de la lumière ultra faible à l’intérieur de l’amas de galaxie, et, plus proche de nous, de nombreux amas globulaires de notre propre Voie lactée.

Les télescopes, la montagne et la marmotte

En utilisant une analogie plus terrestre, imaginez-vous en randonnée en montagne avec des paysages majestueux et une bonne visibilité. Vous voyez une marmotte au loin. Avec votre appareil photo, vous pouvez utiliser un zoom grossissant afin d’avoir une belle image luxueuse de détails de l’animal sans le déranger (comme sur la photo de droite). Mais vous n’aurez pas le paysage et ses nuances. Pour ce dernier, il vous faudrait utiliser un grand angle qui embrasse tout ou partie du paysage : montagnes, sommets, forêts, nuages et ciel (comme sur la photo de gauche).

Montagne au grand angle (à gauche) et zoom sur une marmotte (à droite) illustrant leur complémentarité. Les deux sont nécessaires afin d’embrasser la diversité de ce qui nous entoure, comme Euclid et JWST. fotodirwas/Pixabay, CC BY

Au final, si vous n’aviez qu’à choisir une seule photo de votre randonnée à montrer, préféreriez-vous la marmotte ou l’entièreté du paysage ? Choix difficile en effet, car les deux options sont pertinentes, et racontent chacune une partie seulement de votre expérience. Avec cette analogie, JWST c’est le zoom sur la marmotte, et Euclid le grand angle pour le paysage. Chacun observe différemment et de manière complémentaire, l’un est adapté et efficace pour voir la marmotte, l’autre pour le paysage. L’un est-il mieux que l’autre ? Pas forcément : on n’utilisera pas le JWST pour observer des centaines de milliers de galaxies, ni Euclid pour détecter les plus lointaines. Chacun son job !

Leurs records récents

Euclid a pour but principal de mieux comprendre la matière noire et l’énergie sombre dans l’Univers, en observant leurs effets sur des millions de galaxies. Les 10 premières images, diffusées récemment, montrent par exemple l’incroyable qualité d’image sur les galaxies détectées. Par exemple, nous pouvons détecter environ 250 000 galaxies sur l’image de l’amas de galaxies A2764, ce qui correspond aux promesses d’alimenter les études statistiques.

À gauche : l’amas de galaxies A2764 (situé en haut à droite de l’image) observé par Euclid. Environ 250 000 galaxies sont détectées sur toute l’image. Image de droite, au centre : zoom sur un amas de galaxies lointain avec présence de lentillage gravitationnel (forme d’un arc). J.-C. Cuillandre/CEA Paris-Saclay, G. Anselmi/NASA ESA, Euclid Consortium

Le JWST de son côté a battu le record de la galaxie la plus lointaine détectée à ce jour : JADES-GS-z14-0 datant de moins de 300 millions d’années après le Big Bang. Le JWST est la machine unique et incontournable pour sonder les premières galaxies dans l’Univers. JWST permet aussi de mieux comprendre les exoplanètes : température et composition atmosphérique notamment.

La galaxie la plus lointaines, actuellement détectée par JWST datant de 290 millions d’années après le Big Bang. Elle répond au doux nom de JADES-GS-z14-0. B. Robertson/Université de Californie à Santa Cruz, B. Johnson et P. Cargile/Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, S. Tacchella/Université de Cambridge

À vous de nous aider à classifier les galaxies !

Le public peut également participer à l’analyse des données Euclid simplement en regardant les images de galaxies et en les classant, comme un jeu ! Venez aider les plus de 2 500 scientifiques du consortium Euclid en participant au GalaxyZoo.

Enfin, on me demande régulièrement si Euclid ou le JWST pourraient « voir » le Big Bang : non, et l’image la plus lointaine de l’Univers a déjà été obtenue, juste après le Big Bang, par le satellite européen Planck. Mais cette image montrait l’Univers bien avant qu’une galaxie ou étoile n’existe… Ainsi, le JWST (pour l’Univers très lointain) et Euclid (pour la deuxième moitié de l’histoire de l’Univers) ouvrent une décennie prometteuse de nombreuses découvertes sur l’Univers et son histoire et son contenu.

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