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Euro fort et excédents commerciaux : le paradoxe italien

Au sein de la manufacture de lunettes Thélios, récemment ouverte en Italie par LVMH, la qualité prime sur l’abaissement des coûts. Miguel Medina/AFP

Un Européen peu familier de la chose économique y verrait forcément un paradoxe : les Italiens – du moins les électeurs du Mouvement 5 étoiles et de La Ligue – se plaignent de l’euro fort, qu’ils rendent responsables de la désindustrialisation du pays. Pourtant, leur économie parvient à dégager des excédents commerciaux de pratiquement 50 milliards d’euros. Leurs voisins français, espagnols, portugais et grecs, qui se situent du « mauvais côté » de la balance commerciale, ne peuvent pas en dire autant. Comment expliquer cette bizarrerie monétaire, commerciale et politique ?

Une économie basée sur des districts industriels

Ces excédents italiens sont le reflet de certaines caractéristiques structurelles du système industriel et économique transalpin. En effet, une partie importante de l’industrie (et de l’agro-industrie) italienne est encore fortement dans une logique de compétition internationale fondée non sur le prix, mais plutôt sur la qualité et l’innovation. Cette partie de l’économie italienne repose sur des espaces organisés selon le modèle du « district industriel », constitué par des entreprises de taille moyenne autonomes, indépendantes des grandes entreprises nationales ou internationales.

Cette élite peut très bien réussir à exporter, même avec une monnaie fondamentalement trop forte pour l’ensemble du pays. En particulier lorsqu’elle bénéficie de l’aide de tout un écosystème pour pousser ses pions commerciaux : puisqu’une partie du système productif italien (y compris les services à la production, soit industrielle soit agro-alimentaire) est soutenu par des organisations publiques et privées (formation, recherche, institutions intermédiaires) qui accompagnent les entreprises à l’internationalisation et les aident à développer des stratégies appropriées.

Cet ensemble fonctionne assurément de manière quelque peu hétérodoxe. Surtout si on a en tête un capitalisme pur, composé uniquement d’entreprises privées coordonnées par le marché : il existe encore en Italie des entreprises qui ne rivalisent pas sur les marchés internationaux par les prix ou le coût du travail et les « charges » sociales.

Cette situation n’est pas nouvelle. Elle date au moins des années 1980, et la phase de développement des districts industriels a coïncidé avec (ou du moins n’a pas été obérée par) la réévaluation réelle de la monnaie italienne.

La recherche de la qualité

Les « beaux produits, bien faits » ne peuvent être conçus et fabriqués que dans les districts industriels, là où prévaut un travail de qualité. C’est que reconnaît le groupe français LVMH qui, encore récemment, a engagé des investissements productifs importants dans des usines à Valenza et en Toscane de manière à pouvoir assurer une production de biens de haute qualité.

En outre, ces entreprises, qui rivalisent sur la très haute qualité des produits, leur forte différentiation, l’introduction de nouveaux biens et composants, ont d’autres atouts pour les régions qui les accueillent. Elles font converger innovation et qualité, promeuvent leurs travailleurs et sont jouent un rôle important en terme d’intérêt sociétal.

Elles travaillent certes au sein de marchés instables, changeants et de niche, où la compétition est imparfaite. Elles y trouvent toutefois un avantage : les prix ne sont pas décidés par les acheteurs (surtout dans la production de biens intermédiaires et de biens d’investissement), mais via un équilibre des forces en présence.

Deux modèles économiques

En dépit des politiques économiques européennes et nationales qui, ces dernières années, ont cherché à jouer sur la réduction des coûts, les Italiens défendent bien leur « Made in Italy ». Actuellement, il n’est pas exagéré de penser qu’il existe en Italie, comme sans doute dans d’autres pays européens, deux façons d’appréhender l’avenir économique.

La première repose sur des entreprises visant la qualité et l’innovation, le plus souvent ancrées territorialement. La seconde, bien plus effrayante que la première, repose sur un processus de standardisation organisée via une compétition myope ou de court terme, s’appuyant sur des produits de moyenne gamme et des travailleurs pauvres. Cette solution-là a malheureusement attiré l’attention de la plus grande partie des policy makers et de quelques entreprises effectivement fondées, elles, à pester contre l’euro fort.

La première façon d’appréhender l’avenir économique, qui peut être considérée comme la voie haute du développement, est évidemment nettement plus civique et convenable pour les citoyens européens…

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