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Évaluer le niveau en langues à l’école : les certifications sont-elles utiles ?

Le niveaux définis par le Cadre européen de références pour les langues aident à situer les progressions des élèves. Shutterstock

Récemment, on a vu s’accélérer la création de certifications visant à évaluer le niveau en langues des élèves et des futurs enseignants. Ce foisonnement s’inscrit dans une tendance globale, touchant toutes les disciplines de formation, favorisant les dispositifs d’évaluation et d’attestation des compétences. C’est ainsi que, pour valider leurs aptitudes numériques, les collégiens et lycéens doivent désormais passer la certification PIX. Dans le domaine des langues, on peut citer Ev@lang au collège ou LanguageCert en fin de licence (demande de certification finalement abandonnée).

Ces dispositions traduisent une difficulté à bien cibler les compétences attendues et les progressions dans l’apprentissage des langues et cultures dites « étrangères » (se limitant souvent à l’anglais), situation qui atteint une forme de paroxysme quand il s’agit de penser les compétences des enseignants du premier degré (maternelle et primaire).

Pourquoi la certification dans la formation en langues produit-elle plus de limites que de bénéfices ? En quoi la certification d’un niveau de pratique de langue-culture étrangère garantirait-elle des compétences d’enseignement ? Ces questions se posent particulièrement pour les futurs professeurs des écoles.

Des cadrages et des attendus politiques ambigus

Depuis 2001, le Cadre européen commun de références pour les langues, document produit par des chercheurs et des chercheuses dans le cadre des actions politiques du Conseil de l’Europe, a posé comme principe d’entente entre les peuples le plurilinguisme et l’interculturel. Révisé en 2018, puis 2021, ce cadre a largement été repris, uniquement et à tort, pour son échelle d’évaluation permettant de lisser au niveau européen les attendus sur les langues et les cultures étrangères.

Cadre européen commun de référence pour les langues. Fourni par l'auteur

En France règne une confusion importante sur les orientations autour des langues, qui font l’objet d’incitations ou de mesures contradictoires. Le 20 mars 2018, Emmanuel Macron faisait un discours sur « une ambition pour la langue française et le plurilinguisme » où ce terme n’apparaît que 8 fois sur environ 9000 mots. Depuis les années 2000, la France a tenté d’encourager l’enseignement des langues étrangères à l’école à travers plusieurs dispositions comme leur inscription dans les programmes de primaire ou le début de leur apprentissage dès le CP. Des efforts néanmoins limités par des moyens insuffisants en termes de temps, de formation, de budget.

Parmi les mesures les plus marquantes, on en identifie quatre spécifiques. En 2017, le président de la République a souhaité réinstaurer les classes bilangues au collège, sans qu’elles n’aient jamais vraiment disparu. Trois ans plus tard, il a annoncé la suppression des ELCO (enseignements de langue et de culture d’origine) – dispositif mis en place dans les années 1970 pour favoriser l’intégration des enfants de travailleurs immigrés en recrutant des enseignants extérieurs maîtrisant ces langues et cultures – pour lutter contre les séparatisme et qui a été remplacé par un autre dispositif.


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Deux ans plus tard, le 7 mars 2022, le candidat Emmanuel Macron proposait de rendre facultatif l’apprentissage de la deuxième langue vivante au collège faisant réagir, entre autres, l’Association des professeurs de langues vivantes pour le maintien de l’enseignement de deux voire trois langues étrangères dans le secondaire.

Plus récemment, dans un communiqué de presse en décembre 2022, le nouveau ministre de l’Éducation Pap NDiaye fixait « une ambition claire pour le plurilinguisme et la réussite des élèves » tout en se focalisant sur l’anglais, considérant que « l’amélioration du niveau général des élèves en anglais constitue en effet un enjeu majeur ». Le gouvernement fait à nouveau le pari risqué de la théorie du ruissellement : « ces dispositions, qui sont prises pour la langue anglaise, irrigueront l’enseignement de l’ensemble des langues vivantes ».

Si la position du gouvernement français sur la place des langues à l’école semble ambiguë, son positionnement sur le rôle de la certification paraît quant à lui plus affirmé. En effet, encourager les apprenants à passer des certifications permettrait, selon lui, de prouver leur niveau de pratique en langue et donc de répondre aux évaluations internationales comme PISA qui présentent souvent les résultats des élèves comme « décevants ».

Encourager l’apprentissage de l’anglais peut-il bénéficier aux autres langues enseignées à l’école ? Shutterstock

La moitié des élèves ne semble pas atteindre le niveau A2 attendu en fin de collège, et ce malgré des évolutions positives régulièrement présentées par le ministère. Ce dernier a donc publié un plan national « langues vivantes » donnant lieu à un guide de référence : Oser les langues vivantes étrangères à l’école. Or, ce plan national s’appuie insuffisamment sur les orientations données par la recherche en didactique des langues-cultures pourtant bien retranscrites dans la Conférence de consensus sur les langues vivantes étrangères du Cnesco en 2019.

Le ministère place Grenelle a multiplié depuis les dispositifs de certification et assume les budgets alloués pour cela :

  • un test Ev@lang national est proposé à tous les élèves de troisième pour les évaluer avant leur entrée au lycée ;

  • un concours national en anglais est organisé par le ministère dans le cadre de la semaine des langues 2023 ;

  • ou encore la tentative de mise en place d’une certification obligatoire en anglais en fin de licence à l’Université qui a conduit à un recours gagné par des sociétés savantes.

Parmi les limites de ce modèle, les sociétés savantes citent l’uniformisation des pratiques dans une seule visée certificative, avec une perspective utilitariste de l’anglais et des langues. Les cours de langues et cultures étrangères se transformeraient ainsi en séances de bachotage (effet washback). On favoriserait le financement d’organismes privés par de l’argent public, et les compétences des enseignants de langues seraient dévalorisées au profit de systèmes autocorrectifs.

Il convient ainsi de dissocier les apports de l’évaluation diagnostique (comprendre les besoins d’un élève à un instant T), formative (faire des retours permettant une progression), voire sommative (savoir où il en est) et l’évaluation certificative (qui sanctionne un niveau) ; tout en remarquant que la dernière ne participe pas au développement langagier.

Certification et formation des futurs professeurs des écoles

Pour illustrer ce propos, centrons-nous sur l’évaluation du niveau en langues des futurs enseignants de maternelle et d’élémentaire. Les étudiants qui présentent le concours du CRPE (Concours de recrutement de professeurs des écoles) ont un diplôme de niveau Bac+5 ou équivalent ; le plus souvent, il s’agit d’un master au sein duquel le niveau de pratique d’une langue-culture étrangère est défini par un arrêté. Or ce dernier maintient cette ambiguïté en rendant obligatoire « un enseignement visant la maîtrise d’au moins une langue étrangère en référence au niveau B2 » sans expliciter si cet objectif vise l’enseignement de cette langue ou s’il s’agit d’une certification déconnectée de la formation.


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Le niveau B2 de master devrait permettre d’assurer pour les professeurs des écoles la prise en charge de l’enseignement des langues-cultures dites « étrangères » à un niveau débutant (A1). Or, l’obligation d’une certification en langues, pour prouver son niveau de pratique de langue à un instant T, ne saurait suffire à garantir à lui seul des qualités de l’enseignement attendu. Craignant de se priver de nombreux candidats à ce concours de l’enseignement en introduisant de nouvelles exigences, l’institution a renoncé à celle d’une certification pour les langues. En renonçant, elle laisse de ce fait à l’Université la responsabilité de la sanction du niveau de langue au regard des diplômes qu’elle délivre.

Mais de quelle(s) langue(s) parlons-nous ? Visant un niveau B2 en fin de master, les étudiants ne peuvent pas choisir de débuter un nouvel apprentissage à leur entrée dans le diplôme. Ils choisissent donc de manière stratégique de valider des compétences dans la langue qui leur donne le plus de chance de réussite. C’est l’occasion par exemple, pour un petit nombre, de choisir de valider leur niveau de pratique en allemand, espagnol ou italien. Mais, pour le plus grand nombre, l’anglais sera le choix par défaut, puisqu’il a généralement traversé leur chemin personnel et scolaire.

Les Français et les langues étrangères (INA, 2012).

Depuis 2022, le concours pour devenir professeur des écoles a vu le retour d’une épreuve facultative de « langue étrangère » qui évalue la production et la compréhension orale des candidats, toujours attendues au niveau B2. Les rapports des jurys académiques convergent, et prolongent l’ambiguïté des attentes en termes de compétences (langagières, professionnelles, etc.).

L’accumulation des certifications ne suffira pas à rassurer les élèves et futurs enseignants sur leur niveau de pratique en langues ni à répondre aux besoins spécifiques de l’école (par exemple, l’allemand dans le Grand Est). Avoir un diplôme ou une certification ne se substitue pas au développement de la confiance nécessaire pour mettre en œuvre ses compétences langagières.

De plus, la certification ne peut présenter les critères d’un objectif pour l’Éducation nationale s’il s’agit de valoriser le plurilinguisme, de développer une sécurité linguistique et un plaisir des langues tout autant que monter en compétence dans l’enseignement d’une langue dite « étrangère ». Il est par conséquent nécessaire de clarifier les enjeux qui articulent la diplomation et la qualification pour mieux former plutôt que plus certifier.

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