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Évangiles : les publicains, étaient-ils des « collabos » ?

Jésus invite le collecteur d'impôts Zachée à descendre du sycomore (œuvre de Niels Larsen Stevns). Wikipedia

Dans les évangiles, pas moins de vingt-trois versets mentionnent des collecteurs d’impôt ; souvent ils sont associés au mot « pécheurs ». On trouve fréquemment l’explication suivante : ces hommes travaillant pour la puissance romaine, ils étaient vus comme des « collabos ». Leur avarice, leur cupidité, leur trahison seraient à l’origine de ce rejet suggéré parfois bien mérité. Pourtant, il faut reconnaître que la situation des collecteurs de l’impôt n’est pas aussi simple.

Les collecteurs ne sont pas des publicains

Qui sont ces hommes ? Depuis la Vulgate de Jérôme, qui a traduit le mot grec telônai par publicani, on les nomme couramment « publicains ». Il s’agit d’une erreur : les publicains sont d’importants hommes d’affaires qui, depuis Rome, achètent aux enchères le droit de prélever l’impôt sur une région donnée pendant cinq ans. Partant de là, deux détails doivent être notés.

Premièrement, les telônai évangéliques n’ont pas l’air d’être des Romains importants ; ce sont au contraire des employés du bas de l’échelle, assis au bureau des douanes comme Matthieu (Matthieu, 9.9 ; Marc 2.14 ; Luc 5.27). Deuxièmement, les publicains ont été interdits en Judée par Jules César en 47 ou en 44 av. J.-C. : on peut donc être assuré que ces collecteurs ne sont ni des publicains, ni leurs employés.

« il vit un homme assis au bureau des taxes et qui s’appelait Matthieu. Il lui dit : « Suis-moi ». » (Oeuvre de Terbrugghen 1616).

Les collecteurs ne travaillent pas pour les Romains

En Judée, Rome semble avoir demandé un tribut estimé en bloc sur l’ensemble de la province. La répartition de dépend pas de l’autorité romaine, mais des communautés locales. En vérité, tant que la somme demandée lui parvient, le pouvoir ne s’intéresse pas à l’origine des fonds.

Ce sont donc les autorités locales qui emploient les collecteurs. Ceux-ci prélèvent des impôts qui reviennent à la communauté ; les notables en conservent une partie et se chargent de transmettre ensuite au procurateur romain la somme exigée. En clair, les telônai prélèvent plus que ne demande Rome, certes, mais notamment parce que la ville ou le village aussi a besoin de se financer. Les impôts locaux ne se distinguent pas du tribut. Il est donc faux de dire que les collecteurs travaillent pour Rome !

Les collecteurs ne sont pas tous rejetés

Contrairement à ce qu’on lit parfois, les évangiles ne condamnent pas les collecteurs. Jésus demande à ses fidèles de traiter celui qui refuserait de revenir à la raison après la sanction de l’église « comme un païen et un telônes » (Matthieu 18.17). Il ne prescrit pas comment traiter les collecteurs : il évoque un rejet dont il est contemporain. On le voit, au contraire, manger et discuter avec eux. Jean le Baptiste accueille ceux qui viennent recevoir le baptême ; lorsqu’ils demandent ce qu’ils doivent faire pour obtenir le Salut, il ne leur répond pas de changer de métier. Il leur dit : « n’exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné » (Luc 3.13).

Il y a même un exemple éloquent, celui de Joseph dans la Genèse, qui agirait selon la volonté de Dieu en levant un impôt en Égypte. Collecter l’impôt n’est pas un péché. Ce peut même être un moyen de protéger la population. Ainsi, Flavius Josèphe vante les mérites de Joseph, fils de Toubias qui, grâce à son honnêteté, aurait sorti les Juifs de la pauvreté au IIIe siècle av. J.-C. Le grand prêtre ne craint pas d’accepter en dépôt le trésor des Tobiades dans le temple (2 Maccabées 3.11), preuve que son revenu ne paraît nullement suspect.

Un métier qui peut être ruineux

Comme ils doivent avancer la somme, l’investissement peut être lourd. Il est des endroits où les collecteurs ne sont pas certains de rentrer dans leurs frais. Il suffit également que l’habitat soit dispersé pour leur imposer des difficultés de transport. Ainsi contraints, ils peuvent être particulièrement durs dans la recherche des fraudes et même commettre des illégalités. Les pratiques de ceux-là jettent ainsi le discrédit sur l’ensemble de leurs collègues.

Mais on sait aussi que certains collecteurs sont parfois battus lorsqu’ils entrent dans un village. Pourquoi alors s’engager dans la collecte ? Ce n’est pas toujours volontairement. En effet, les riches sont bien souvent contraints à s’y appliquer puisque leur richesse sert de caution. S’occuper des impôts, ce peut donc être ruineux.

Un métier qui peut être honorable

Ce peut être aussi un moyen de protéger leurs coreligionnaires. Ne pas payer est synonyme de rébellion ; ceux qui garantissent sur leurs propres biens que l’autorité reçoit l’argent assurent la paix. Certains sont donc honorés pour leur bon usage de leur position.

À titre d’exemple, Jean le telônes est connu pour avoir fait partie d’une ambassade qui a versé huit talents d’argent au procurateur en 66 apr. J.-C. afin d’obtenir la protection des Juifs de Césarée. Si Jean est le seul nommé, il faut peut-être entendre qu’il était le plus important donataire, et sans doute sa position lui avait-elle permis de servir d’intermédiaire. Le Talmud célèbre également la mémoire de rabbi ben Zera, collecteur qui aurait, sur son lit de mort, ordonné de rendre aux contribuables les sommes collectées dont il n’a pas eu besoin (Talmud de Babylone, Sanhédrin, 25b et 26a).

De petits notables locaux

Les collecteurs dans les évangiles ne sont pas des publicains, mais des petits notables locaux. Ils ne travaillent pas non plus pour Rome et ne sont pas tous rejetés. Au contraire, en accordant des délais à ceux qui ne peuvent pas payer, en se portant caution pour leurs concitoyens, en engageant leurs fortunes pour assurer la bienveillance des procurateurs, les collecteurs peuvent être honorés.

Il n’y a pas une catégorie socioprofessionnelle uniforme du « collecteur » : certains sont violents et malhonnêtes, certes, mais d’autres sont durs parce qu’ils sont au pied du mur. Surtout, ces témoignages cachent la foule des percepteurs ordinaires qui n’ont pas laissé de trace. Ils pâtissent certainement d’un phénomène simple : comme personne n’aime payer ses impôts, il n’est pas besoin d’avoir affaire avec un percepteur malhonnête pour n’être pas heureux de le rencontrer.

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