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Expédition La Pérouse : qu’est-il arrivé aux survivants ?

Louis XVI donnant ses instructions finales au Comte de La Pérouse en 1785, avant qu'il embarque pour sa mission fatale dans l'hémisphère sud. State Library of NSW

Le destin des survivants de l’expédition menée par Jean‑François de Galaup, Comte de La Pérouse reste un mystère, depuis la disparition de ses frégates, L’Astrolabe et La Boussole. Après avoir quitté Botany Bay en mars 1788, les bateaux ont disparu, semble-t-il, dans l’immensité du Pacifique.

L’expédition partit du port de Brest en 1785. Les deux navires, transportant pas moins de 225 officiers, équipiers et scientifiques, étaient remplis de provisions et de marchandises. Les hommes avaient embarqué pour un voyage de quatre ans dans le Pacifique, sur les traces des exploits du Capitaine James Cook. Le roi Louis XVI soutenait l’opération, et avait même contribué à en dessiner les plans et l’itinéraire.

Portrait du Comte de La Pérouse, circa 1792. National Portrait Gallery, Canberra

La Pérouse avait également pour mission d’enquêter sur la nouvelle colonie britannique en Australie. Il arriva au large de Botany Bay, en Nouvelle-Galles du Sud, en janvier 1788, juste à temps pour voir la First Fleet d’Arthur Philip mouiller l’ancre, et fut témoin des débuts de la colonisation européenne sur le continent. Pendant six semaines, les Français installèrent leurs campements sur les rives nord de la baie, devenue aujourd’hui la banlieue sud-est de Sydney, qui porte le nom de La Pérouse.

Avant de partir en Australie, La Pérouse avait confié des lettres aux Britanniques, qu’ils devaient transmettre au Ministère français de la Marine. Il y expliquait comment il prévoyait de quitter l’océan Pacifique via le détroit de Torres, la voie d’eau étroite qui sépare l’Australie et la Nouvelle-Guinée, affirmant qu’il serait de retour en France d’ici juin 1789. Mais à cette date, point de frégates : l’attente fit place à l’inquiétude. En 1791, l’Assemblée nationale commanditait une expédition à la recherche du navigateur, sans succès. L’anecdote raconte que le roi Louis XVI, sur le chemin de la guillotine, en 1793, demanda à ceux qui le menaient à l'échafaud : « Avons-nous des nouvelles de La Pérouse ? »

C’est un capitaine irlandais particulièrement obstiné qui a finalement résolu l’énigme, presque quatre décennies plus tard. En 1826, Peter Dillon découvrit des objets venus d’Europe à Tikopia, dans les îles Salomon. Selon les habitants, ils provenaient d’une île voisine appelée Vanikoro. Dillon eut l’intuition qu’ils venaient des navires de La Pérouse. Il obtint finalement le commandement du navire d’enquête La Recherche et aborde à Vanikoro en 1827, où il découvre le sort terrible de L’Astrolabe et de La Boussole : les deux frégates se sont abîmées sur les récifs frangeants de l’île, lors d’une tempête. Les artefacts collectés par Dillon furent emmenés à Paris, où on les identifia comme des objets appartenant bel et bien aux navires de l’expédition La Pérouse.

Cartographie des îles du Pacifique. Duboy-Laverne, P. D. ; La Pérouse, Jean‑François de Galaup ; Milet de Mureau, Louis Marie Antoine Destouff ; Mourelle de la Rúa, Francisco Antonio ; Pingré, Alexandre Guy

Les habitants de Vanikoro ont également raconté que les survivants de l’expédition La Pérouse avaient passé plusieurs mois à construire une petite goélette à deux mâts, en utilisant à la fois le bois des forêts denses de l’île et du bois d’épaves. Une fois l’embarcation terminée, ils se sont lancés sur les flots.

Ce qu’il est advenu de ce navire et de son équipage, si désireux de rentrer en France reste un mystère complet. Des livres et des articles sur La Pérouse posent inlassablement les mêmes questions : le navire est-il jamais sorti de la lagune de Vanikoro, ou a-t-il été attaqué par des autochtones en pirogue ? Si le bateau est sorti de la lagune, a-t-il coulé ? Ou les survivants sont-ils morts de soif ou de faim en mer ? Ou encore, ont-ils fait naufrage ailleurs dans le Pacifique ?

Un article de 1818 contient peut-être un indice sur le sort du navire qui tenta de quitter Vanikoro. Dans son numéro de décembre 1818, le Courrier de Madras relate en effet comment, en septembre de cette année-là, les navires Claudine et Mary, qui voguaient, depuis Sydney, en direction de Calcutta, ont jeté l’ancre sur l’île de Murray dans l’archipel du détroit de Torres. C’est là qu’ils ont ils ont porté secours à un marin indien, Shaik Jumaul, qui avait survécu au naufrage du navire marchand le Morning Star quatre ans plus tôt, au large de la côte nord du Queensland.

À bord du Mary, Shaik Jumaul a été interrogé au sujet de ses expériences sur l’île. Il a raconté qu’il avait vu des épées et des mousquets sur les îles, « fabriqués différemment de ceux des Anglais », ainsi qu’une boussole et une montre en or. Quand il a demandé aux insulaires où ils avaient obtenu ces objets, un vieil homme lui a expliqué comment, 30 ans plus tôt, un navire s’était échoué sur la Grande Barrière de Corail, à l’approche de Murray Island. Des hommes blancs avaient quitté le bateau sur de petites embarcations en bateaux, mais dans les combats qui s’ensuivirent ils périrent tous, sauf un jeune garçon, qui fut épargné et élevé par les habitants de l’île comme l’un des leurs.

L’ouest de Murray Island et les îles voisines de Waier et Dauar, le 1ᵉʳ décembre 2016. Garrick Hitchcock

De fait, la liste d’équipage de l’expédition mentionne un marin, François Mordelle, originaire de la ville portuaire de Tréguier en Bretagne. S’agissait-il du dernier survivant de l’expédition La Pérouse ? L’article mettant en vedette la description du naufragé fut repris par de nombreux journaux en Australie, en Grande-Bretagne, en France et ailleurs et les observateurs firent le lien avec l’expédition La Pérouse. Puis on oublia l’histoire de Shaik Jamaul.

La chronologie semble coïncider, car c’est bien 30 ans plus tôt, fin 1788 ou début de 1789, que les survivants de l’expédition ont quitté Vanikoro dans leur petit navire. Les historiens ne rapportent pas la présence d’un autre navire européen dans la région à cette époque.

Le détroit de Torres, qui comprend la partie nord de la Grande Barrière de Corail, est doté de récifs, de rochers et de bancs de sable. Il est souvent décrit comme un « cimetière marin », car plus de 120 bateaux ont sombré dans ses eaux traîtres. Le navire signalé par Shaik Jumaul fut le premier naufrage connu dans ce détroit et, de fait, dans la partie orientale du continent australien.

Est-ce que l’expédition s’est achevée par une tragédie dans le nord de l’Australie ? Avec les découvertes à venir sur le site de l’épave (sur la Grande barrière de Corail ou dans les îles), nous en aurons peut-être la confirmation.

Il y a cependant un mystère associé à l’expédition La Pérouse que nous ne résoudrons probablement jamais. Les insulaires ont en effet montré à Shaik Jamaul les vêtements du jeune marin, pleurant en se remémorant comment, un soir, il quitta l’île en pirogue avec deux jeunes filles. Ses amis de l’île sont partis à leur recherche, mais ne les ont jamais revus. Cherchait-il à revenir en France ? A-t-il subi un accident en mer ? Ou a-t-il connu un troisième naufrage, fatal celui-là ? Ce fut le dernier homme de l’équipage, un survivant, un naufragé. Bien que son identité et son destin restent mystérieux, sa mémoire subsiste.

This article was originally published in English

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