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Face à la montée des fondamentalismes : pour une nouvelle anthropologie du droit

Dans le film de Marie-Castille Mention-Schaar, « Le Ciel attendra », les familles sont confrontées à l'embrigadement de leur enfant. AlloCiné

La radicalité est la marque d’une soif de sens à laquelle l’État n’est pas en mesure de répondre. Les propositions qui suivent seront présentées lors du colloque du 15 mars aux Bernardins.


Le gouvernement français a adopté dans l’urgence, en mai 2016, un plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme. On peut certes se féliciter d’un grand nombre des mesures préconisées par ce plan. Cependant, il lui manque un cadre conceptuel capable de diagnostiquer la crise de sens que traversent les sociétés ultra-modernes et les crispations des sociétés néo-traditionalistes.

De plus, comme l’écrivent les évêques de France, « le politique précède la politique. Il ne se résume pas à sa mise en application » (CPCEF, Dans un monde qui change retrouver le sens du politique, Paris, Bayard, Mame, Cerf). Il est significatif que la cible choisie par le gouvernement soit le phénomène seul du radicalisme. Or la radicalité n’est pas en soi une maladie. Elle est souvent en effet la marque d’une soif de sens à laquelle l’État n’est pas en mesure de répondre, alors qu’une plus grande coopération avec les principaux responsables religieux respectueux des valeurs de la République le lui permettrait. Cette incapacité actuelle à y répondre engendre une frustration qui, comme l’a montré René Girard, contribue elle-même à déclencher en retour une méfiance croissante et, en définitive, à ce que l’anthropologue français appelait une « montée aux extrêmes ».

La clef de l’économie de la réciprocité

Pour résoudre ces conflits mimétiques, il convient de mettre en place une politique de désembrigadement qui parte à la racine du mal comme l’écrit le père Jean-Marie Petitclerc :

« Prévenir la radicalisation nécessite d’intervenir au début du processus, afin d’éviter la scission entre un “nous” et un “eux”. Il s’agit donc de renforcer le lien de fraternité entre l’ensemble des citoyens. »

Il est nécessaire pour cela de reconnaître en amont la notion de personne comme l’un des piliers principaux (avec la reconnaissance du cosmos comme création) des sociétés de demain. La personne en effet, pour toute une pléiade de penseurs de gauche comme de droite, de Martin Luther King à Nicolas Berdiaev et Gaston Fessard, a été définie à la fois comme sujet de droit et comme être en relation disposant d’une mission particulière dans la société. S’il existe une dignité inobjectivable en chaque homme, une liberté indéracinable en chaque individu, alors ceci signifie qu’on ne peut ni séparer ni fusionner entièrement la notion de bien (la dignité proprement dite) et la notion de justice (l’obligation de respect de cette dignité).

Il est donc indispensable que les sociétés sécularisées prennent leurs distances à l’égard des théories de la justice inspirées par Karl Marx et par John Rawls. La clef se trouve dans une nouvelle « économie de la réciprocité » et dans la notion de bien commun qui a été particulièrement développée dans la doctrine sociale des Églises chrétiennes (et reprise aujourd’hui par une pléiade de personnalités, du pape François à Pierre Yves Gomez, de Rowan Williams à Bertrand Vergely), mais aussi dans les autres traditions religieuses (en particulier dans les courants réformistes de l’islam et du judaïsme).

La communauté, une réalité ouverte

Pour lutter contre les fondamentalismes, religieux ou séculiers, il est nécessaire, comme l’explique Olivier Roy dans La sainte ignorance de maintenir des liens entre les pôles de la foi et de la culture. Gilles Képel pour sa part promeut une laïcité d’inclusion autour des valeurs de la République. Dans les deux cas, il faut cependant reconnaître, qu’en l’état actuel, le droit positif républicain n’est ni en mesure de permettre une connexion entre les convictions religieuses des citoyens et leur culture (en raison d’une lecture souvent étroite de la laïcité), ni capable de fournir un horizon de sens qui permette de fonder ces valeurs (puisqu’on peut interpréter très différemment l’articulation unissant les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité).

Il convient par conséquent de s’intéresser à l’anthropologie du droit, telle que François Ost la développe aujourd’hui, capable d’intégrer le meilleur de la tradition du droit positif laïque ainsi que le meilleur de la tradition du droit inspiré des traditions religieuses reconnaissant chaque individu à la fois comme sujet de droit et être en relation appelé à s’épanouir au sein d’une quantité de communautés (familiale, associative, professionnelle, nationale, internationale, ecclésiale…).

La mosquée de Créteil. Christophe Pinard/Flickr, CC BY-SA

Il faut cesser de réduire le principe communautaire au communautarisme et le principe national au nationalisme. La communauté est, par nature, une réalité ouverte, à commencer par le niveau familial. Tandis que la nation est l’expression de multiples communautés capables de vivre harmonieusement entre elles dès lors qu’elles partagent en commun un espace d’expérience (telle que la langue, la culture ou l’histoire partagée) et un horizon d’avenir fondé sur l’espérance de justice et de paix.

Pourquoi, dès lors, ne pas élargir la reconnaissance des cultes en Alsace à l’islam, comme le propose la député de Moselle Arlette Grosskost, moyennant certaines contreparties, proposées par Pierre Manent, permettant l’émergence d’un islam de France autonome ? Et si cette expérience portait ses fruits, pourquoi ne pas l’élargir à d’autres régions françaises ?

Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, recommande en outre de désigner, dans le contexte actuel, une cible précise, à savoir « la mouvance radicale salafiste ». Il propose qu’en plus du numéro vert (0 800 005 696), permettant de signaler des individus radicalisés, et du site stop-djihadisme.fr, organisé autour des préfets, soit mis en place un réseau d’alerte avancé agissant comme détecteur. Il suggère d’être ferme à l’égard de tous les responsables de culte propageant des messages incompatibles avec la vie républicaine et d’harmoniser la politique du droit d’asile en Europe.

On se souviendra, cependant, que cette vigilance ne signifie pas un dédouanement de la responsabilité des institutions républicaines et de la société civile à l’égard de ses propres responsabilités pour orienter de façon vivante, pacifique et éclairée les chemins du sens. Il y a en particulier un vrai travail de soutien aux intellectuels musulmans réformistes à mener dans leur combat contre le discours salafiste.

Une action au niveau international

Il faut, enfin, renforcer le droit international en soutenant, comme le recommande Jean-Marc Ferry, toutes les initiatives permettant une interaction entre les États souverains et les organisations non gouvernementales – à commencer par le Saint-Siège, mais aussi toutes les structures interreligieuses comme le Conseil Œcuménique des Églises ou le KAIICID – en vue de lutter contre toute forme de violence, de rejet de la vérité, ou de propagande fondamentaliste (ou les deux c’est-à-dire précisément la guerre hybride).

L’Union européenne, qui travaille à la prévention des phénomènes d’embrigadement, peut jouer un rôle utile également. D’une façon générale, les pouvoirs publics français ont tout intérêt à s’inspirer des expériences réussies, au niveau international, de réhabilitation des jeunes endoctrinés.

Cette évolution permettrait aux peuples de peser sur le choix des alliances internationales de leurs gouvernants ainsi que sur les réseaux internationaux de ventes d’armements et les alliances avec les pays faisant la promotion du salafisme ou de toute forme de discours anti-démocratique.

Il faut promouvoir, y compris budgétairement, à titre de l’aide au développement, les relations avec tous les pays qui font la promotion non seulement de la démocratie participative et des droits et des devoirs des personnes, mais aussi du dialogue interreligieux et inter-convictionnel.

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