Vous avez peut-être déjà entendu dire que pour participer à la transition climatique, une des choses les plus efficaces que vous pouviez faire en tant qu’individu était de changer de banque. Qu’en est-il réellement ? Qu’est-ce qui peut contraindre les banques aujourd’hui ? Certaines font-elles plus que d’autre pour l’environnement ? Décryptage.
En novembre 2023, dans une lettre ouverte, près de 1200 étudiants d’universités ou de grandes écoles françaises, s’engagaient formellement à ne pas répondre aux offres d’emplois du groupe BNP-Paribas. Le motif invoqué ? La banque est associée au financement d’un projet controversé d’extraction pétrolière et gazière. Elle a en outre été citée dans un rapport émanant d’un groupe de travail des Nations unies publié en juin 2023. Les experts onusiens y soulignaient le caractère nocif pour le climat et les droits humains, des activités de l’entreprise saoudienne Aramco, soutenue financièrement par un collectif de banques dont la BNPP, qui a fourni entre 2016 et 2022, un total de 7,6 milliards de dollars.
Faut-il donc éviter ce groupe bancaire pour lutter contre le changement climatique ? Les autres banques font-elles mieux ? Tâchons de faire le point.
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Le rôle de l’industrie financière dans le changement climatique
Le secteur bancaire est de plus en plus scruté pour son rôle dans l’inaction climatique.
L’Accord de Paris, dans l’article 2, souligne ainsi le rôle central de l’industrie financière dans la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre. Il pose notamment comme une priorité de rendre « les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques. »
Au-delà de l’accord de Paris, il existe des contraintes grandissantes qui s’imposent au secteur bancaire et qui contribuent à plusieurs changements notables. Mais ces nouvelles règles du jeu restent de l’ordre du « trop peu, trop tard » pour un certain nombre de militants écologistes.
Pour tâcher d’évaluer cela, commençons par regarder ce qui peut contraindre les banques aujourd’hui.
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Qu’est-ce qui peut contraindre une banque aujourd’hui ?
Les établissements bancaires sont soumis à une réglementation qui concerne tous les aspects de la vie d’une organisation : ressources humaines, systèmes d’information, gestion des clients, gestion financière… Cette réglementation est fortement marquée par des principes de prudence que tout banquier doit observer.
Elle est synthétisée par les travaux du comité de Bâle, qui rassemble des représentants de banques centrales de 45 pays, dont l’UE, et dont les recommandations sont mises en œuvre, au sein de l’Union européenne, par la Banque Centrale Européenne. En France, la Banque de France sert de relai à la politique européenne via l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Si une banque ne respecte pas les ratios et les procédures obligatoires, elle peut être condamnée à des amendes, ou bien se voir retirer son agréement (la banque doit fermer). Ses dirigeants peuvent également être mis en cause.
Quelles sanctions possibles ?
Pour s’assurer du respect des obligations, les autorités de supervision bancaires de chaque pays procèdent donc à des contrôles réguliers au sein même des établissements. Si des irrégularités sont constatées, des sanctions disciplinaires peuvent être prises par l’ACPR. Le retrait d’agrément reste rare mais très dissuasif : en 2010 c’est le cas de la société européenne de gestion privée, en 2019 d’un changeur de monnaie. Des interdictions d’exercer des activités financières (intermédiation en assurance, changes manuels) sont plus courantes : 3 en 2012, 1 en 2014, 3 en 2022.
Les amendes peuvent, elles, être très « salées ». En 2018 une sanction de 50 millions est par exemple prononcée contre la Banque Postale dont les procédures de lutte contre le blanchiment des capitaux et la lutte contre le terrorisme (LCBCLT) ne sont pas jugées conformes[1].
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Aucune sanction prise pour non-respect des risques climatiques
Et que dit le comité de Bâle sur le climat ? Il reconnait depuis 2018 que le risque de crédit est associé au risque climatique. Cette reconnaissance conduit tous les établissements de crédit à revoir leur politique de gestion des risques de crédit : nouveaux critères à prendre en compte dans l’accord de financement, risque climatique inclus dans les travaux du comité d’audit, formation des administrateurs de banque aux risques climatiques, mise en place à moyen terme de test de résistance aux risques climatiques.
Jusqu’à présent cependant, aucune sanction pour non-respect des risques climatiques n’est advenue envers un établissement français, les normes étant en cours d’élaboration.
Une nouvelle contrainte : le green asset ratio
Dans son programme annuel de travail, l’ACPR prévoit cependant pour 2024, un examen attentif des plans de transition engagés dans le secteur bancaire. Il s’agit de surveiller les engagements climatiques publiés par les banques dans le cadre de la loi Énergie climat et du règlement européen (SFDR). À partir de 2024, les banques vont devoir publier un nouveau ratio (le green asset ratio ou GAR) qui consiste à calculer la part des actifs verts (financements et investissements écologiquement responsables) sur la part totale de leurs actifs. Dans le cas de la BNPP, l’investissement à Aramco, cité en introduction, contribue à détériorer ce ratio (ce financement diminue la part verte des actifs de la banque). Il sera désormais plus facile, pour un citoyen, de connaître la politique d’investissement suivie par telle ou telle banque.
Plusieurs établissements ont cependant anticipé la publication du GAR, certaines caisses régionales de Crédit Agricole par exemple publient ce ratio depuis 2021.
L’UE oblige les banques à donner l’empreinte carbone des placements proposés
Du côté de l’UE, depuis le lancement du pacte vert européen, les banques se préparent à répondre à de nouvelles contraintes réglementaires. Ainsi, depuis 2022, les banques doivent expliciter à leurs clients, l’empreinte carbone des placements qu’elles proposent. Cette démarche qui semble anodine recèle pourtant des situations paradoxales et possiblement conflictuelles. Prenons l’exemple d’un client qui a souscrit il y a 15 ans des parts d’un fonds commun de placement type « père de famille » c’est-à-dire réputé sans risque. Les produits financiers qui composent ce fond peuvent cependant émaner d’industries polluantes. En 2024, ce « bon » placement devient donc un « mauvais » placement du fait de son empreinte climatique. Si le client décide de modifier son placement, il peut encourir des pertes. Si cela advient, c’est la banque qui sera accusée d’avoir prodigué de mauvais conseils.
Cette situation incite donc les établissements à la prudence. Une prudence qui peut être parfois considérée comme étant surtout de la mauvaise volonté de la part des banques.
Mais au-delà de la nécessité de se conformer avec les nouvelles réglementations, d’autres motivations peuvent amener les banques à changer leur pratique : les menaces que le changement climatique fait peser sur la finance, les attentes des clients.
Pourquoi les banques peuvent légitimement s’inquiéter du changement climatique
Le changement climatique est de fait considéré comme un risque pouvant affecter la stabilité économique et financière de zones géographiques entières. Prenons l’exemple d’une banque régionale spécialiste du financement du secteur agricole. Les changements climatiques (sécheresse/inondations) induisent une perte de revenus pour les clients qui se transforme en défaillance. Or la banque reste un intermédiaire financier, elle prête de l’argent qui ne lui appartient pas (les livrets des clients par exemple). En cas de défaut de paiement massif de ses clients agriculteurs, elle aura des difficultés à rembourser ses clients épargnants. Dans le même temps, suivant les principes de prudence de la réglementation, la banque se détournera du secteur agricole devenu trop risqué. Les investissements nécessaires à la transition climatique de ce secteur seront alors gelés renforçant les difficultés initiales.
La prise en compte du risque climatique au niveau des dossiers individuels (telle que nous venons de la décrire) est cependant considérée comme encore trop timide. L’Institut Veblen, un think-tank français qui tâche de promouvoir des politiques publiques en faveur de la transition écologique propose pour remédier à cela une approche par secteur. Il s’agit par exemple d’interdire le financement à des secteurs entiers (extractions minières, pétrolières, etc..). Ces objectifs sont déjà inclus dans les alliances internationales telles que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, à laquelle toutes les grandes banques ont souscrit. Mais cette alliance se donne l’horizon de 2050 pour y parvenir, ce que déplorent les principales ONG.
En interne, quels changements ?
Du côté des banques, certains établissements innovent et cherchent à améliorer les outils existants pour intégrer le risque climatique dans leur gestion des risques. Entre 2018 et 2019 la Société Générale augmente de 50 % son effectif consacré à la gestion des risques climatiques ; le groupe CASA (Crédit Agricole) mesure lui le degré d’expertise des administrateurs dans le domaine climatique, introduit le risque climatique dans l’évaluation des risques de crédit…
On peut également noter qu’aucune banque française ne figure dans la liste des 12 banques les plus impliquées dans le financement d’hydrocarbures. Dans ce classement, la Banque Postale est considérée comme la plus vertueuse devant le Crédit Mutuel ou le Crédit Agricole. Le Crédit Mutuel a cependant annoncé accentuer ses efforts dans ce domaine en s’abstenant de financer des entreprises listées par l’ONG Urgewald.
D’autres établissements développent des outils pour mieux mesurer l’empreinte carbone des projets financés (le crédit agricole), ou mettent en œuvre des méthodologies permettant de mieux analyser les risques environnementaux. Les établissements se heurtent cependant à la difficulté de collecter plus de données non financières auprès de leurs clients. Les processus internes ne sont pas encore opérationnels pour collecter en masse de telles données (qualité des projets industriels en matière de transition écologique, impact environnemental de ces projets, etc..). Cette difficulté est illustrée par la récente proposition de l’AMF de revoir les standards de publication en prônant une clarification des concepts « d’investissement durable » par exemple.
L’étape réglementaire suivante consistera à vérifier que les informations diffusées par les banques correspondent à une réalité et à prononcer des sanctions lorsque ce ne sera pas le cas.
Des clients qui peuvent ainsi les banques à se verdir ?
En attendant, les banques peuvent également être motivées à verdir leur bilan pour répondre aux attentes de leurs clients. Une étude exploratoire conduite par les chercheurs en sciences de gestion De Lanauze et Siadou-Martin montre cependant que les demandes des clients restent ambigües. « la préoccupation environnementale perçue des banques n’est pas une attente majeure pour les consommateurs » notent-ils avant d’ajouter que, pour autant,
« les consommateurs adhèrent voire encouragent les actions et la communication des banques en faveur de l’environnement ».
Ces chercheurs jugent donc que ces actions restent bénéfiques pour les banques à condition de respecter deux principes fondamentaux :
« la communication environnementale doit s’appuyer sur des faits c’est-à-dire correspondre à un véritable engagement (exigence de transparence et de véracité) et ne pas négliger le cœur de métier que sont les services bancaires ».
Les néobanques l’ont bien compris et Hélios ou Green-Got, par exemple communiquent abondamment sur le circuit d’intermédiation qui sera mis en place : l’épargne collectée ne sera jamais affectée à des projets néfastes pour la planète. Même si on considère que la diminution du financement des activités d’extraction ou d’exploitation disproportionnée des forêts, est trop lente, le mouvement est réel. Il peut cependant sembler parfois pas suffisant, face, par exemple, aux prévisions de consommation de l’industrie du numérique (GAFA, Fintech et autres établissements digitaux) dont l’empreinte carbone reste encore largement ignorée.