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Face au terrorisme : résilience des organisations et stratégie de défense

Présence d'un paquet suspect dans la station NATION du RER à Paris le 30 juin 2015. Serge klk/Flickr, CC BY-NC-ND

Le mot résilience fait son apparition dans un document gouvernemental officiel pour la première fois avec le « Livre blanc » de 2013 qui fixe l’objectif à la politique française de défense et de sécurité de « bâtir la résilience de la Nation ».

S’inspirant de la Résistance française dont il fut l’inspirateur et l’organisateur, le Général de Gaulle avait pourtant fait de ce qu’il avait nommé dès le décret du 24 février 1962 la « Défense opérationnelle du territoire » le deuxième pilier du discours stratégique profondément innovant dont il avait doté notre pays avec la dissuasion « du faible au fort » : une capacité de destruction massive avec l’arme nucléaire d’une part, mais aussi une dimension « indestructible », une résilience, organisée.

La fin du concept de « bataille décisive »

C’est ce double défi à la perspective clausewitzienne de l’action guerrière qui constituait l’innovation conceptuelle gaullienne, qui du point de vue de l’agresseur pourrait se résumer par l’adage populaire « le jeu n’en vaut pas la chandelle » : d’un côté en cas d’action violente contre la France sur son sol, je m’expose à des représailles considérables, de l’autre je ne suis en tout état de cause même pas sûr d’être en situation d’atteindre mon objectif. Derrière cet édifice c’est tout le concept clausewitzien de la « bataille décisive » qui était en réalité visé.

Le discours stratégique, on le sait, a été marqué par la pensée de Clausewitz durant tout le XXe siècle : les concepts de bataille décisive comme de guerre totale ont ensanglantés la planète de Verdun à Diên Biên Phu. L’arme atomique et sa capacité de destruction planétaire ont pourtant favorisé l’émergence d’une guerre de type nouveau, « limitée », souvent baptisée « révolutionnaire », terminologie qui convient en effet autant à ses buts qu’à ses méthodes. Dans le sillage des mouvements de résistance contre l’occupant nazi ou japonais une forme d’affrontement « subversif » s’est développé et a fait preuve de son efficacité contre les plus grandes puissances militaires.

Dissuasion nucléaire, dissuasion populaire

Comme le rappelle Bruno Durieux dans sa thèse d’histoire, publiée, « à la question : peut-on atteindre ses objectifs au moindre coût ? Clausewitz répond que ce n’est pas la première question à se poser, car la guerre est toujours une lutte de volontés et y répugner c’est déjà l’avoir perdue ».

Tel est bien le débat. Si la résilience d’une organisation élève démesurément le prix à payer pour l’abattre, ce coût finira par devenir dissuasif. C’est la raison pour laquelle il fallait comprendre la Défense Opérationnelle du Territoire du Général de Gaulle comme l’autre pilier de la politique française de dissuasion avec la détention de l’arme nucléaire : dissuasion nucléaire, dissuasion « populaire », les deux termes étaient indissociables.

Et ce que nous appelons avec d’autres la « dissuasion populaire » n’a pas attendu le terrorisme pour triompher des plus grandes puissances militaires et économiques. Le général Giap a ainsi défait successivement les deux plus puissantes armées du monde occidental, la nôtre et celle des USA, en se fondant d’abord sur la résilience de sa force armée, plus que sur sa puissance. C’est qu’en matière militaire la résilience peut fonder la dissuasion, mais elle peut aussi contribuer à l’action. En posant avec Beaufre que « si l’on veut empêcher un autre d’entreprendre quelque chose, il y a dissuasion ; si l’on veut réaliser quelque chose malgré les autres il y a action » il convient d’admettre avec lui que « la dissuasion peut se fonder sur un simple doute, une parcelle d’incertitude ; l’action au contraire doit faire naître dans le camp opposé une véritable certitude que poursuivre la lutte serait catastrophique ou au moins très néfaste ». Dès lors ne faut-il pas déplacer la réflexion stratégique et la porter sur les mécanismes eux-mêmes de cette résilience pour mieux la combattre en les comprenant mieux ?

Terrorisme de libération… puis religieux

Qu’en est-il en effet de la menace terroriste qui mobilise les états démocratiques ? Dans sa passionnante enquête sur les Frères musulmans, Michaël Prazan cite l’ancien Guide suprême des Frères, Mohammed Mehdi Akef, qu’il a rencontré à plusieurs reprises : « Voyez les Frères musulmans en Égypte et hors d’Égypte ! Quelqu’un a-t-il réussi à étouffer leur voix ? Quelqu’un a-t-il réussi à les vaincre ? ». De fait le terrorisme religieux international peut paraître tragiquement invincible. Irak, Afghanistan, Liban sud, aucune bataille décisive en perspective. L’élimination d’Oussama Ben Laden n’y a rien changé, pas plus que les victoires éphémères de l’armée française au Mali. Tel un Phénix l’ennemi rejaillit de ses cendres encore et toujours, et le camp des démocraties est tels Sisyphe et son rocher…

Nous écrivons terrorisme religieux à dessein : car il donne au phénomène une dimension nouvelle. Les luttes pour la libération des peuples qui utilisaient déjà le terrorisme comme moyen et la stratégie indirecte comme cadre, n’avaient pas seulement en commun de s’enraciner dans la chanson de gestes de la Résistance française, elles partageaient toutes aussi un catéchisme marxiste. Lorsqu’André Glucksmann théorise la logique de cette « guerre prolongée », qu’il la juge clausewitzienne n’est en réalité aujourd’hui que de peu d’importance : ce qu’il faut retenir c’est que dans cette construction intellectuelle du « discours de la guerre » les forces en présence partagent une rationalité, un langage qui leur permet de se reconnaître comme adversaires et d’admettre « leur commune soumission à une contrainte qui les oblige ». Or le marxisme se prétendait scientifique, et il a été réfuté par l’histoire comme tous les totalitarismes « séculiers ». Rien de tel en vue hélas pour le djihad, car le Coran n’est pas réfutable, pas plus que ne l’est la vie éternelle : avec le terrorisme djihadiste international, la paix avec le monde des incroyants n’est pas une option.

Si réponses militaires comme réponses policières paraissent donc impuissantes à contenir la menace du terrorisme djihadiste, peut-on envisager une autre forme de destruction de ces organisations ? La compréhension fine de la résilience des organisations pourrait-elle ainsi avoir des applications dans les stratégies militaires contemporaines ? Comprendre les mécanismes de la résilience particulière de ces organisations malfaisantes pour mieux les combattre, c’est en tout cas introduire un niveau intermédiaire d’analyse stratégique entre l’individuel et le sociopolitique : c’est d’une certaine manière chercher à prolonger les travaux d’Hirschman sur la compréhension du déclin des organisations et de la « défection ». Si penser les organisations c’est penser le monde en ce qu’il est un ordre organisé, comprendre la résilience organisationnelle peut aussi constituer une contribution à l’intelligence de sa sécurité.

Cet article est publié dans le carde du partenariat entre la Revue Française de Gestion et The Conversation France.

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