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Fact check US : Donald Trump a-t-il vraiment effectué une percée dans l’électorat latino ?

Des partisans de Donald Trump à Las Vegas, le 7 novrembre 2020.
Des partisans de Donald Trump contestent sa défaite à Las Vegas, le 7 novrembre 2020. Ethan Miller/Getty Images North America/Getty Images via AFP

Le 3 novembre dernier, le scrutin américain offrait son lot de surprises. Si les résultats affinés jour après jour donnaient bel et bien Donald Trump perdant, ce dernier enregistrait dans le même temps de nouvelles victoires. Plus de 74 millions d’électeurs ont porté leur voix sur le candidat républicain, contre quelque 63 millions en 2016. La marge de progression se situe dans diverses catégories d’électeurs dont les ruraux, les petites classes moyennes ou encore l’électorat hispanique – et ce, malgré les attaques du président sortant à l’encontre des Latino-Américains. Ce phénomène a suscité l’étonnement de nombreux observateurs. Un mois et demi plus tard, de quelles données dispose-t-on et quelle analyse pouvons-nous faire du comportement électoral des Américains d’origine hispanique ?

Revenons d’abord sur les chiffres. Nous ne disposons à ce jour que des sondages de sortie des urnes commandés par les médias américains, des outils intéressants tant à l’échelle locale que nationale. Ces derniers indiquent qu’il n’y a pas eu depuis 2016 de réelle percée de Donald Trump auprès de l’électorat hispanique. En 2016 comme en 2020, les deux tiers de cet électorat soutiennent d’abord le parti démocrate : à 63 % pour Hillary Clinton puis à 65 % pour Joe Biden. En outre, si l’on se réfère à l’American National Election Studies, on constate que ce soutien est assez stable depuis la fin des années 80 : 76 % pour Al Gore en 2000, 76 % pour Barack Obama en 2008 et 73 % en 2012. Le candidat républicain ayant enregistré les meilleurs scores est George W. Bush (autour de 40 %), probablement parce qu’il disposait d’un ancrage fort au Texas, dont la population est composée à 23 % de Latino-Américains.

Source : American National Election Studies.

Distinguer la minorité afro-américaine de la minorité latino

Mais le fait que le candidat Trump recueille 32 % du vote hispanique a surpris, d’une part parce que le président sortant a stigmatisé à plusieurs reprises les Hispaniques (traitant les Mexicains d’assassins et de violeurs dès 2016) ; d’autre part parce qu’on a tendance à imaginer que les Hispaniques vont avoir le même comportement électoral que l’autre grande minorité, les Afro-Américains. Or ce ne sont pas les mêmes logiques à l’œuvre, le groupe latino étant beaucoup plus hétérogène : il inclut des migrants récents et de deuxième génération, des migrants économiques et des réfugiés, certains sont « visibles », d’autres non. Le détour par le vote afro-américain est donc utile pour appréhender le vote latino.

Les Afro-Américains votent en effet à plus de 90 % pour le parti démocrate depuis les années 1960. Cette stabilité est frappante quand on sait, comme le montrent les travaux du politiste Michael Dawson, que c’est un groupe hétérogène socialement depuis les années 1980. Ce chercheur met en évidence la notion d’un « destin lié » malgré cette hétérogénéité, à la différence des dynamiques à l’œuvre au sein de groupes historiquement issus de l’immigration.

En effet, les spécificités sociopolitiques de ces groupes s’estompent généralement au fur et à mesure que l’insertion dans la société américaine se produit, notamment parce que les préjugés à l’encontre des nouveaux venus sont transitoires (voir sur ce sujet les travaux de Robert Dahl). Mais ce destin lié se maintient pour les Afro-Américains parce que la société américaine continue de discriminer. Et ces préjugés perdurent notamment parce que la « visibilisation », via la couleur de peau, joue à plein. Reuel Rogers a ainsi montré que ces préjugés « s’imposaient » également aux Afro-Caribéens récemment arrivés aux États-Unis, alors qu’ils ne partageaient pas la même histoire.

Au sein de l’électorat hispanique, c’est plutôt la théorie du « pluralisme à plusieurs vitesses » développée par le politiste Rodney Hero qui s’applique. Celle-ci permet de montrer qu’une partie du groupe latino va se vivre comme latino, se sentir discriminée pour cette raison, et suivre les mêmes logiques de vote que les Afro-Américains. C’est le cas dans les États de New York ou de la Californie par exemple, qui sont fortement structurés par la lutte contre les inégalités raciales. Cela peut expliquer pourquoi, selon David L. Leal, Matt A. Barreto et al, l’appartenance au groupe des Hispaniques inhibe alors d’autres logiques sociales du vote, selon le revenu, l’âge, le diplôme ou la religion.

Source : The latino vote in the 2004 election, David Leal, Matt Barreto et al.

La spécificité cubaine

D’autres Hispaniques en revanche vont s’intégrer à la société américaine sans problème parce que leur couleur de peau ne les singularise pas outre mesure, parce qu’ils ne sont pas renvoyés à leurs origines dans leurs interactions quotidiennes. Progressivement, leur solidarité avec le « groupe latino » va baisser, le destin lié s’effacer. Et d’autres logiques de vote vont alors se matérialiser. Les électeurs vont faire parler des choses différentes en fonction de leur histoire : leurs valeurs à l’égard de l’État social (qu’ils ne soutiennent pas forcément) ou leurs valeurs religieuses par exemple. Il y a ensuite l’exception cubaine, repérée par les chercheurs dès les années 1990. Les Cubains votent très majoritairement républicain (80 % en 2004) alors que les Latinos d’origine mexicaine votent démocrate (66 % en 2004).

Le poids des Cubains est devenu particulièrement important lors des élections présidentielles à cause de la Floride, un État tangent depuis plus de vingt ans. En 2020, parmi les électeurs d’origine cubaine, 56 % ont ainsi voté Trump contre 31 % des électeurs d’origine portoricaine. 2020 s’inscrit donc dans une dynamique connue. Plusieurs travaux analysent cette spécificité depuis 2004 et l’expliquent par le rapport conflictuel au régime castriste (ce qu’il inspire en matière de socialisme, de propriété privée, d’oppression, etc.). À noter que nous l’observons également chez les boat people vietnamiens arrivés aux États-Unis et en France : ce groupe se retrouve parfois plus à droite que l’ensemble de la population du pays d’accueil. En France, l’enquête Trajectoires et Origines de l’INED et de l’Insee nous éclaire ainsi sur le positionnement plus à droite des immigrés venant du Laos, du Vietnam ou du Cambodge (ce qui n’est plus le cas de leurs descendants). Leur point commun est d’avoir quitté un régime communiste.

En conclusion, ces dynamiques ne sont pas en faveur du vote républicain. Si Donald Trump réussit, en usant d’une rhétorique très clivante et hostile aux immigrés, à mobiliser les Latino-Américains qui se sentent les « moins latinos » et les moins discriminés, la montée en puissance de l’électorat hispanique à l’échelle globale est plutôt en train de faire basculer des États républicains dans le camp démocrate. Ce fut le cas au Nouveau-Mexique sous Barack Obama. Cette année c’est l’Arizona, à 19 % hispanique, qui a basculé, et le Texas, à 23 %, n’est pas loin de devenir bleu.


La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthropies, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.

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