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« Fake news » : de l’instrumentalisation d’un terme à la mode ou les nouveaux visages du « Schmilblick »

Attirail pour Halloween, automne 2016. Mike Mozart/Flickr, CC BY

« Fake news » est devenu un terme très à la mode. Plusieurs raisons ont été énoncées pour expliquer son succès et, notamment, les « fake news » lancées par Donald Trump pour décrédibiliser sa rivale Hillary Clinton lors de la présidentielle de 2016. L’expression importée a fait florès en France au moment du scrutin présidentiel par le truchement des intox du Front national sur le candidat Macron.

La focale placée sur les usages stratégiques de la désinformation sur les réseaux sociaux s’est déplacée sur tout ce qui n’était pas une information fiable. Cela a cristallisé des craintes légitimes, mais peut-on vraiment combattre avec un même outil la projection que chacun se fait de l’expression « fake news » ? À qui et comment s’imposera la loi « contre les fake news » ? Et qu’ajoutera-t-elle de nouveau par rapport aux lois existantes ?

La baudruche de la « fausse information »

En économie, on a connu les « bulles » : les actionnaires par mimétisme ont investi là ou d’autres ont investi comme un seul homme sur une valeur boursière qui grossit, grossit… avant de chuter. Ils finissent par se réveiller avec la gueule de bois en se demandant pourquoi avoir tant misé sur une valeur finalement évanescente.

L’inflation dans le débat public de l’usage de l’expression « fake news » – un nouvel habillage pour qualifier des phénomènes informationnels différents – n’est-elle pas vouée, elle aussi, à revenir à sa juste proportion ?

Toutes les analyses s’accordent sur le fait que l’usage de ce terme importé d’outre-Atlantique ne dit rien d’inédit : les rumeurs ou la désinformation ont été largement documentées par les sciences sociales, notamment en sciences de l’information et de la communication.

Sans nier des réalités bien tangibles derrière cette taxinomie, il n’est pas inutile de participer à percer la baudruche qu’est l’expression de « fausse information ». Énumérons trois domaines dans lesquels a été greffée cette expression passe-partout.

1. La désinformation comme stratégie politique, voire comme tactique politicienne

Les exemples de la diffusion d’intox par Donald Trump, ou par le Front national lors des élections présidentielles en sont caractéristiques. C’est aussi ce à quoi se livreraient certains médias russes, selon le Président français.

Les propos diffamatoires présents dans les réseaux sociaux peuvent être sanctionnés par la loi, contrés par un contre-discours, mais peut-on les prévenir à la façon de Minority Report, la nouvelle futuriste de Philip K. Dick, adaptée par Steven Spielberg ? Cette histoire est une fiction, précisément parce qu’elle nous renvoie à une société où les hommes sur le point de commettre un méfait seraient appréhendés avant de passer à l’acte.

N’est-il pas pertinent d’écouter ceux qui plaident en faveur du développement d’un regard critique des récepteurs (les émissions telles que « Arrêt sur images » sont trop rares) et de mettre au cœur des débats l’éducation aux médias que beaucoup appellent de leurs vœux aussi bien à l’école qu’à l’université.

2. La désinformation fondée sur des croyances sectaires ou des approches complotistes

Pas une nouvelle d’importance n’est diffusée sans passer par le filtre des thèses complotistes. Cela doit être pris au sérieux, même si la fréquentation des sites complotistes en France est volatile et ne touche qu’une minorité, soit moins de 1 % des personnes en ligne (contre 19 % de fréquentation pour le journal le Monde.fr), comme le montre une récente étude de Reuters Institute de l’université d’Oxford.

Surévaluer ce phénomène est contre-productif : c’est la critique qui a été faite de la médiatisation dramatisée d’un sondage Ifop pour la fondation Jean‑Jaurès et le think tank Conspiracy Watch. Les théories complotistes qui ont été abordées dans le cadre de ce sondage datant de janvier 2018 – la terre serait plate, la CIA serait derrière l’assassinat de JFK, le 11-Septembre aurait été organisé par le gouvernement américain, sans oublier les thèses négationnistes… – sont hétérogènes, et devraient être traitées chacune comme une problématique spécifique plutôt que sous l’appellation générique de fake news.

Les théories du complot n’appartiennent-elles pas, en effet, à différentes catégories ? Remettre en question la théorie de l’évolution de l’espèce est une chose, penser que les industries pharmaceutiques sont systématiquement de mèche avec les pouvoirs publics en est une autre, forger des théories démentes autour d’une catégorie de la population pour attiser la haine en est encore une autre, autrement plus menaçante.

Rappelons que les propos racistes et antisémites sont réprimés par la loi. Comment combattre sans interdire les théories les plus farfelues ? Comment, dans une démocratie, concilier la liberté d’expression et respect d’autrui ?

Ce n’est pas en relookant les théories complotistes en « fake news » qu’on répond à cette vieille question.

3. La désinformation, le plus souvent involontaire, de journalistes manipulés ou pressés

Le cas des faux charniers de Timisoara est un cas d’école, les manipulations des journalistes sur les théâtres de guerre sont nombreuses et, plus prosaïquement, on pourrait multiplier à l’envi les exemples d’informations diffusées trop rapidement, telle l’annonce du décès de célébrités…

Du point de vue du journaliste, ces informations fausses, dommageables, sont moins causées par une volonté de désinformer que par la vitesse de circulation de l’information dans le contexte libéral d’une course au scoop.

Un mot valise, qui permet de disqualifier

On l’aura compris importer l’expression « fake news » en anglais dans le texte permet à moindres frais d’embrasser des phénomènes composites. Le préalable nécessaire est donc de purger ce mot valise afin de sérier les sens donnés à cette expression et, in fine, de réfléchir aux moyens de faire face aux diverses formes de désinformation.

Plus fondamentalement c’est aussi parce que son usage peut être instrumentalisé que l’on peut être circonspect. L’un des usages les plus discutables de l’expression est celui qui vise à mettre en doute une information en la taxant de « fake news » : c’est expéditif et potentiellement efficace dans la mesure où l’énonciateur de l’information est sommé de se justifier. Taxer une information déplaisante de « fake news », disqualifier à moindres frais le travail journalistique est une stratégie populiste.

L’exemple idéal-typique reste celui de Trump quand il accuse les journaux de publier des « fake news ». C’est non sans humour que le New York Times nous informe que, cette année, des « fake news awards » ont été décernés par Trump à la chaîne ABC, au Washington Post, au Time, au Newsweek ou au New York Times lui-même.

Pour un code de bonne conduite

La bonne fortune de l’expression est aussi instrumentalisée par les tenants d’une régulation du net. Comme lorsqu’on parle du schmilblick, il convient de préciser de quoi on parle quand on évoque les « fake news ».

Ainsi, les décideurs politiques, notamment dans les régimes autoritaires, arguent de cette volonté de combattre les « fake news » pour faire taire les médias. Le régime égyptien, par exemple, a surfé sur la tendance en fermant 21 sites d’information accusés de soutenir le terrorisme ou de diffuser des fake news (akhbar wahmia). On trouvera parmi les sites web bloqués, le site d’Al-Jazeera mais aussi celui d’un journal d’information indépendant et progressiste comme MadaMisr.

La régulation de l’Internet est un débat aussi vieux que le web, opposant les libertaires du net (ceux qui défendent sa neutralité) et les partisans d’une régulation. Ces derniers ont-ils intérêt à fonder leurs arguments- ou une loi- sur un terme aussi vaporeux ?

Ne peut-on pas définir un code de bonne conduite à destination des professionnels du service public et du personnel politique dans les médias numériques ? Les acteurs politiques se servent abondamment des médias numériques et notamment des réseaux sociaux, tout comme le citoyen ordinaire. Toutefois, l’intervention de ces premiers dans le débat public, via les réseaux sociaux, peuvent être plus fâcheux quand ils sortent de leurs prérogatives, à l’instar de Trump et de ses inénarrables tweets.

Heureusement plus rares en France, on pense à des ministres tweetant un avis sur la sélection d’un joueur de football, ou sur le protagoniste d’un procès en cours. A priori, ils sont tenus par un droit de réserve… ou, pour le dire autrement, par une certaine autocensure.

Poser les règles de l’expression des personnes en responsabilité publique dans les médias socionumériques, comme l’ont fait les journalistes, c’est poser la question de l’exemplarité par rapport à la diffusion d’information. On ne peut exiger du citoyen ordinaire qu’il maîtrise à ce point sa communication. C’est peut-être cette dissymétrie qui, finalement, est difficile à penser.

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