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Fatigué·e au travail ? Arrêtez de vous maîtriser en permanence !

Les émotions opèrent un mécanisme de régulation psychique et corporelle. Fizkes / Shutterstock

Un vrai professionnel est capable de mettre de côté ses affects et ses états d’âme. Voilà aujourd’hui comment est souvent envisagé le manager ou le salarié type, ainsi que la posture attendue de sa part : la dimension personnelle et l’expression de ses émotions n’ont rien à faire au travail.

Dans l’entreprise, l’agent débarrassé de ses émotions, voire de ses valeurs, fait donc preuve de professionnalisme. On attend de lui une image de sang-froid, de maîtrise de soi. Pour le dirigeant ou le manager, c’est même certainement un prérequis essentiel pour prendre des décisions, la preuve ultime de la rationalité dans notre société où la prégnance de Descartes est toujours intense.

Pourtant, derrière ce paradigme de la maîtrise de soi se manifestent toujours plus les problématiques de souffrance et d’épuisement au travail. Celle qui est considérée comme foncièrement positive se retourne contre la personne et devient un facteur de répression émotionnelle.

Or les émotions sont primordiales : génératrices de vitalité, toutes (colère, peur, tristesse, joie, etc.) opèrent un mécanisme de régulation psychique et corporelle. En les bloquant, on perturbe le corps et l’esprit et cela à des conséquences importantes – et cela vaut autant, évidemment, pour la vie privée que pour la vie professionnelle. Vouloir faire sans elles est une erreur selon le neurologue António Damásio.

Émotions réprimées = danger

Depuis longtemps les études scientifiques ont montré qu’il existe un cerveau émotionnel, dont les contours ont été dessinés notamment par Darwin, Cannon &amp ; Bard et Mac Lean. Ce dernier a montré la nature tripartite du cerveau (reptilien, limbique et néocortex). Ces trois zones ont des interactions entre elles et certaines zones sont en lien avec des émotions spécifiques.

Les 3 zones du cerveau : reptilien, limbique et néocortex. Amber Case/Flickr, CC BY-NC

Ainsi un cadre professionnel « classique », qui réprime les émotions et les valeurs personnelles, conduit à instaurer un clivage : la personne observe un mode opératoire spécifique au niveau professionnel, délesté des émotions et des affects, qui ne peuvent donc s’exprimer uniquement dans la sphère de vie privée.

Emprisonnée dans un tel fonctionnement, la personnalité du salarié/manager est l’objet d’une tension énorme pouvant mener à des situations qui ne sont plus tenables. Dans la sphère professionnelle, la personne sera ainsi en représentation permanente, observera un comportement d’acteur, avec un coût à payer important : de l’épuisement, des conséquences sur l’équilibre et sur la santé à long terme, et même tout simplement sur la joie, impossible à éprouver sans authenticité. Ceci est d’autant plus vrai lorsque les entreprises doivent conduire des changements organisationnels importants qui impactent fortement le bien-être émotionnel des salariés.

Fusion des sphères privée et professionnelle = danger aussi

Prenant le contre-pied de ces entreprises « classiques » qui répriment les émotions, d’autres vont à l’inverse demander de la créativité à leurs salariés, adoptant des formes d’organisation différentes, et ainsi chercher à ce que ces salariés éprouvent et expriment des émotions au travail, qu’ils soient les plus authentiques et le plus en adéquation possible avec leur « vraie » personnalité.

Les GAFA et les startups de la Silicon Valley sont le symbole de ces nouvelles formes d’organisation laissant la place à l’émotion et offrant notamment des espaces de travail – de vie – cocoonés où détente et loisirs sont valorisés.

Les GAFA et les startups de la Silicon Valley sont le symbole de ces nouveaux modes d’organisation fun et cool. Asif Islam/Shutterstock

Pourtant, derrière ce modèle fun et cool transparaît un nouvel effet pervers : l’employeur, sous certains aspects de substitut maternel, gomme les frontières entre sphère professionnelle et sphère privée. Cet état de fait engendre des problématiques de fusion à leur tour source d’épuisement puisque les salariés sont incités à travailler tout le temps.

Ici le salarié ne peut pas mettre en place de système de défense : il s’amuse dans un environnement visiblement plus détendu, mais qui en fait « consomme » les gens beaucoup plus rapidement. Si la forme d’organisation et sa philosophie semblent bien différentes de l’entreprise « classique », il y a toujours ici comme objectif élémentaire la performance.

Que les émotions soient réprimées ou recherchées à outrance sans filtre, ces deux attitudes visent cette recherche de performance. Dans le premier cas, l’émotion est considérée comme contre-performante. Dans le second elle est encouragée pour stimuler la créativité, facteur de performance pour certaines activités. Mais dans les deux cas, on retrouve des problématiques d’épuisement ou burn-out.

Une troisième voie ?

Cet état des lieux amène à tracer les contours d’une organisation « idéale », où les collaborateurs font un travail en adéquation avec leurs goûts, leurs passions, leurs valeurs. Autrement dit, une organisation qui prend en compte la dimension émotionnelle dans la posture de travail.

Dans certains métiers comme la santé, l’éducation ou la police, qui sont déjà l’objet d’une dimension émotionnelle très présente, l’ouverture pour trouver des solutions et des sas de décompression se fait assez naturellement. Mais le phénomène devient aussi émergent dans des entreprises qui ne sont pas en prise à des situations émotionnelles intenses.

Ainsi le burn-out et les cas de suicides dont il est régulièrement question interrogent beaucoup les entreprises. Pour répondre à ces enjeux, se développent des propositions offertes aux collaborateurs de trouver des temps pour se détendre, via par exemple des séances de yoga ou de méditation mindfulness (pleine conscience). Les effets sur la santé de cette dernière ont été prouvés scientifiquement en s’appuyant notamment sur les neurosciences.

Les effets bénéfiques sur la santé des séances de yoga et de méditation ont été prouvés scientifiquement. Andrey_Popov/Shutterstock

D’ailleurs, le label «great place to work», qui réalise le palmarès des entreprises où il fait bon travailler, est révélateur de l’importance croissante du critère de la qualité de vie au travail, notamment pour les nouvelles génération Y et Z, bien plus exigeantes que leurs aînés à cet égard. Pour les entreprises, cela représente aujourd’hui un enjeu majeur dans l’optique du recrutement des hauts potentiels.

Sur la première marche du dernier classement français : Décathlon. Il n’est finalement pas étonnant de retrouver à cette place une entreprise dont la particularité est de recruter des passionnés, des gens qui peuvent aligner leur passion, leur personnalité et leur travail. Belle illustration de la théorie du fit qui soutient que le bien-être au travail suppose une l’adéquation entre le salarié et son environnement.

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