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Faut-il continuer à exposer les momies égyptiennes dans nos musées ?

Momie recouverte de ses “cartonnages”, époque ptolémaïque, IIIe - IIe siècle avant J.-C. Louvre,Département des Antiquités égyptiennes. Wikipédia, CC BY-SA

Pièces maîtresses dans les collections des grands musées, les momies sont perçues aujourd’hui comme des symboles incontournables de l’Égypte antique. Entre fascination et dégoût, elles attirent la curiosité des visiteurs du monde entier.

Pourtant, la question éthique liée à l’exposition de restes humains fait débat. Si cette pratique était considérée, au XIXe siècle, comme un moyen de se cultiver et d’appréhender l’histoire, le monde muséal et les scientifiques s’interrogent aujourd’hui sur son bien-fondé.

Peut-on présenter des restes humains ?

Depuis 1990, aux États-Unis, la loi NAGPRA permet aux tribus amérindiennes et hawaïennes de se voir restituer les restes humains et objets funéraires de leurs ascendants biologiques connus entreposés dans les musées. Cette loi témoigne de l’importance, pour certaines communautés autochotones de « s’approprier leur histoire ».

Leurs descendants étant difficilement identifiables au vu de leur caractère antique, les défunts momifiés d’Égypte ont été longtemps exposés sans provoquer de protestations. Mais comme le rapportait la sociologue Tiffany Jenkins en 2010 : « Les restes humains de tous âges, qui ne font l’objet d’aucune revendication de la part d’un groupe communautaire, sont devenus l’objet de préoccupations concernant leur manipulation, leur exposition et leur stockage, exprimées par certains membres de la profession muséale ».

En 2008, la galerie égyptienne du musée de l’Université Manchester a ainsi recouvert trois de ses momies d’un linceul blanc pour cacher les corps, après avoir reçu de nombreuses plaintes des visiteurs.

Dans un communiqué du 6 mai 2008, le musée indiquait : « Le recouvrement a été effectué afin que les restes humains soient traités avec respect et que les corps exposés restent conformes à la politique du musée de Manchester en matière de restes humains » et un « corps caché est un corps respecté ».

Mais au-delà de la question morale (que montrer ?), comment prouver aux visiteurs la nature humaine des momies sans les montrer, ou en montrant des momies « cachées » ? Est-il possible d’accompagner cette « rencontre » de façon didactique mais sans sensationnalisme ?

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D’autres voix s’élèvent contre l’exposition de corps momifiés, notamment celle d’une minorité réactionnaire qui associe « l’acte de regard » au voyeurisme, à la pornographie ou celles défendant l’idée que les momies devraient être réintroduites dans leurs tombeaux ou n’auraient jamais dû être déterrées, comme si « les morts possédaient un droit inaliénable à rester enterrés pour toujours… » comme l’écrit l’anthropologue et égyptologue Jasmine Day, qui a réfléchi à ces questions éthiques.

L’une des momies recouvertes dans la galerie égyptienne du musée de Manchester. Author provided (no reuse)

Malgré ces contestations, une étude montre que 82,5 % des musées britanniques acceptent sans réticence l’exposition des momies.

Depuis 2023, le British Museum a pris cependant soin d’éviter d’utiliser le terme momie au profit de « restes momifiés » ou « personnes momifiées ».

Les momies et la mort : entre horreur et fascination

Depuis le début XXe siècle, les regards sur la mort ont changé. Les progrès scientifiques et médicaux ont contribué à l’augmentation de l’espérance de vie et à une baisse du taux de mortalité. En outre, avec la professionnalisation de l’industrie funéraire et la disparition progressive de coutumes comme les veillées funéraires, les contacts avec les cadavres et les discussions sur la mort ont peu à peu déserté les foyers transformant la question en tabou.

La vision de « restes humains » peut donc s’avérer plus choquante voire anxiogène pour le public. Se retrouver nez-à-nez avec une momie peut provoquer une réaction de dégoût, de peur, de moquerie ou encore de déni chez certaines personnes.

Des visiteurs regardent les momies au British Museum. Wikimedia

Selon Jasmine Day, « L’exposition de restes humains n’est pas choquante en soi, mais elle peut être considérée comme telle par des visiteurs dont le milieu culturel ne les a pas préparés à la rencontre avec les morts ».

Le dégoût face à une momie renvoie à la crainte de notre propre mort. Pour canaliser cette peur, la démystifier et rendre la mort plus acceptable, certains utilisent l’humour, d’autres nient l’authenticité des momies, ou encore leur humanité.

Ce « déni d’humanité » s’explique en partie par l’influence de la culture populaire, qui depuis le XIXe siècle, a façonné dans l’inconscient collectif une image « type » de la momie. Une représentation renforcée par le stéréotype créé de toutes pièces par l’industrie hollywoodienne d’une momie démembrée et drapée de bandages en lambeaux. Certains musées, par ailleurs, n’exposent que des momies artificielles pour ne pas choquer les visiteurs : c’est le cas du Field Museum avec sa fausse momie de Toutankhamon, contribuant peut-être à les reléguer au rang d’objets.

Une image du film « Mummy’s Tomb » (Universal, 1942), produit pas Lon Chaney.

Bien qu’elles puissent faire peur, susciter parfois du dégoût, les momies n’en demeurent pas moins des sources archéologiques fascinantes et souvent l’une des principales « attractions » des musées. Une enquête menée au British Museum en 1993 révélait ainsi que « la visite des expositions égyptiennes est la principale raison pour laquelle un tiers de tous les visiteurs viennent au musée… ».

Une attraction orchestrée

Notre société contemporaine véhicule un mélange de fascination et de répulsion pour les momies. Carter Lupton (historien, anthropologue et chercheur spécialiste des momies égyptiennes), parle même de « relation amour-haine. »

Affiche du film La Momie (1932). On peut voir le cercueil placé à la verticale dans lequel est placé Boris Karloff interprétant la momie. Wikimedia

L’« attraction répulsive » (Jasmine Day) des momies est orchestrée par les musées eux-mêmes, qui créent parfois des représentations fictives, participant à une forme de manipulation de la mort. Placées dans un contexte très éloigné de leur provenance (les tombes), souvent entourées d’autres momies et artefacts, elles sont quelque peu déshumanisées et donnent aux visiteurs une vision erronée de l’Égypte ancienne. Comme le rappelle Shafinaz Amal-Naguib, « les collections égyptiennes et leurs conservateurs sont des créateurs de mythes », ainsi « ils induisent le rêve et le fantasme chez les autres ».

Bien qu’aujourd’hui, la majorité des musées tentent de casser les nombreux clichés médiatiques associés à l’Égypte ancienne, certains surfent parfois sur les stéréotypes dans l’optique d’attirer toujours plus de visiteurs. Ainsi, visiblement inspiré par l’affiche du film Mummy (1932), le British Museum présente verticalement le cercueil de la momie « maudite » ([numéro d’inventaire BM EA22542]. Une présentation qui n’a aucune valeur historique, ce qui est tout de même rappelé dans le cartel et sur le site du musée.

Un visiteur devant des sarcophages présentés à la verticale, semblable aux films hollywoodiens.

Un objet marketing

La momie et l’Égypte ancienne en général représentent aussi une manne commerciale pour les musées : stylos, porte-clés, t-shirts… Ces boutiques de musées participent à une certaine ambivalence entre sphère scientifique/historique et sphère commerciale « égypotmaniaque » qui ne date pas d’hier.

Pour vendre, les musées jouent avec la perception de l’Égypte ancienne en créant des représentations souvent peu fidèles aux objets originaux, comme avec la copie du sarcophage d’Itamun (1070-1000 av. J.-C) métamorphosé par kidrobots en figurine campée sur des pieds.

Sarcophage d’Itamun (à gauche) et jouet kidrobots.

Faciliter la rencontre avec les momies

En 2020, une équipe d’universitaires anglais reproduisaient la voix de Nesyamun, prêtre de Thèbes ayant vécu sous le règne du Pharaon Ramsès XI (1098-1069 avant J.-C). Grâce à la bonne conservation de la momie et des nouvelles avancées technologiques, les chercheurs ont permis à cet illustre personnage de prononcer sa première syllabe ! Selon Joann Fletcher, archéologue à l’université d’York (faisant allusion aux inscriptions hiéroglyphiques évoquant la vie après la mort) : « C’était écrit dans son cercueil, c’est ce qu’il voulait. D’une certaine façon, nous avons réussi à réaliser ce souhait. »

Malgré les critiques, la « recréation » de la voix de Nesyamun visait d’abord à recontextualiser le personnage et à redonner vie à cet être humain ayant vécu il y a 3 000 ans, en montrant aux visiteurs que les momies conservées dans nos musées ne sont pas uniquement des objets aux pouvoirs occultes.

Les musées ont la capacité de modifier notre perception et notre compréhension sur l’Égypte antique. Par des connaissances précises, grâce aux progrès technologiques (reconstitutions faciales…) elles quittent le monde des objets pour réintégrer celui des humains.

Pour faciliter la rencontre avec les momies, certains musées rivalisent d’ingéniosité. Ainsi au Nubia Museum d’Assouan en Égypte, les momies sont présentées dans une galerie maintenue dans l’obscurité jusqu’à l’entrée du visiteur. Au musée de Louxor (Égypte), la momie de Ramsès Ier est isolée dans une pièce sombre, semblable à une tombe.

Pour éviter tout débat éthique, de plus en plus de musées donnent le choix de voir ou de ne pas voir, respectant la sensibilité de chacun. Des panneaux d’affichage comme au British Museum, mettent en garde sur le caractère choquant à la vue d’une momie et invite au respect des morts.

Les anciens égyptiens croyaient en la vie après la mort et plaçaient à proximité de la momie ou contre celle-ci, dans les bandelettes, le Livre des morts, un ensemble de rouleaux de papyrus recouverts de formules funéraires. On comprend mieux leurs croyances avec le véritable titre du Livre des morts, Pour sortir au jour. L’exposition des momies permet, en un sens, de leur donner une seconde vie.

Enfin, comme le précise l’égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt, « dire le nom d’un mort, c’est le faire revivre ». L’exposition britannique de 2001 encourageait d’ailleurs les visiteurs à réciter une prière égyptienne pour les défunts extraite du livre II du Livre des morts :

« Moi, défunt, Osiris, je pénètre à mon gré soit dans la région des morts, soit dans celle des vivants sur la terre, partout où me conduit mon désir ».

Une certaine solennité qui permet a minima de rendre leur humanité et leur identité aux momies exposées.

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