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Femmes et sport : un ticket gagnant pour « Paris 2024 »

Site web de Paris 2024. Paris 2024

La candidature de « Paris 2024 » surfe sur un triple storytelling intéressant, celui de la jeunesse, de la diversité et de l’environnement. Et ce, autant dans le fond (arguments du dossier) que dans la forme (mots choisis, mise en scène à la Philharmonie en février dernier). En cela, on est dans une « mise en récit » contraire à celle de la candidature de Paris 2012, qui surfait sur la tradition, le conservatisme, le statu quo.

Or qu’ont en commun ces thèmes de la jeunesse, de la diversité et de l’environnement ? La problématique du renouvellement. C’est ce qui nous manque aujourd’hui en démocratie : partis politiques, syndicats, fédérations sportives se renouvellent peu en termes de génération et de présence des femmes, des jeunes, d’individus d’origines diverses. Non pas que la représentativité doive être en soi un objectif ; mais la non-représentativité, à coup sûr, est un problème.

Séréna Williams, tenniswomen américaine. jgirl4858/flickr

« Paris 2024 » est donc une excellente occasion de nous fédérer pour aller dans cette direction. Il ne s’agit ni de faire table rase des compétences existantes, ni non plus de tomber dans le piège de l’essentialisme ou dans celui du relativisme. Il importe plutôt de rendre ces compétences plurielles, pour nous ouvrir à d’autres expériences, d’autres visions du monde, afin de nous enrichir et de ne pas gâcher les talents et les bonnes volontés. Le gâchis de talents, c’est une injustice, mais c’est aussi une perte en termes de cohésion sociale, comme en termes économiques. C’est pourquoi la féminisation du sport, dans toutes ses composantes (pratiques, médiatisation, gouvernance), est un impératif éthique tout autant qu’un objectif de performance. Bref, nous devons tous mettre en application nos discours sur les valeurs du sport, dans la logique du « souci de soi » au sens de Michel Foucault : nous faisons un travail sur nous-mêmes, pour nous-mêmes, et pour l’avenir de la cité.

Cependant, dans les nouvelles générations, ni l’égalité filles-garçons, ni la mixité ne se feront toutes seules. Bien sûr, les politiques publiques en faveur de l’égalité ont eu des effets – la loi d’août 2014 est à cet égard exemplaire, de même que les préconisations et textes européens – et il est important de poursuivre ce combat. Pour avancer, il faut s’inspirer des bonnes pratiques, ce qui suppose de les visibiliser ; il faut aussi mener à bien des expérimentations, des évaluations et en diffuser les résultats. Autant de domaines où, en France, on n’est pas encore assez performant.

Les voies de la mixité

Tous les milieux sociaux sont concernés par la problématique des inégalités de pratiques femmes-hommes dans le sport. À cet égard, les discours de plus en plus nombreux consistant à stigmatiser les quartiers populaires sont extrêmement dangereux : non seulement ils conduisent à faire des généralités sur des groupes de populations, mais ils servent d’alibi à des habitudes trop largement répandues. Laisser entendre que le sexisme et les discriminations faites aux femmes (dans le sport et ailleurs) sont l’apanage des musulmans occasionne une opposition « nous » versus « eux » bien commode, dont l’extrême droite a, la première, pleinement saisi le potentiel idéologique et instrumentalisant. Ne tombons pas dans ce piège.

En réalité, les filles font moins de sport que les garçons, dès l’adolescence, en particulier parce que la pratique masculine est largement favorisée par les clubs, les municipalités et les fédérations. L’exemplarité de l’UNSS en matière d’encouragement à la mixité de pratique et de prise de responsabilité mérite ici d’être rappelée. À l’âge adulte, le temps quotidien des femmes est beaucoup plus contraint que celui des hommes, tous milieux sociaux confondus : un partage plus équitable des tâches parentales et ménagères dégagerait aux femmes du temps libre, pouvant être notamment utilisé pour faire un sport ou une activité physique.

Laure Maunaudou, alors en compétition des Jeux Olympiques de Pékin en 2008. lauremanaudou/flickr

Changer les discours pour changer les mentalités

De leur côté, les discours et l’iconographie doivent encore changer sur le sport féminin. Ils sont performatifs : en d’autres termes, ils ont des effets sur le réel. Par exemple, on parle encore de « sport » pour désigner les compétitions masculines et de « sport féminin » à propos des compétitions féminines. Comme nous l’ont enseigné les études de genre, le masculin se confond avec l’universel et s’oppose à la différence, à la marge, incarnée par le féminin, qui est donc infériorisé dans les discours dominants. Par ailleurs, il est urgent de médiatiser davantage les sportives, qui peuvent être des modèles pour la jeunesse.

Sur le plan de la gouvernance du sport, certaines fédérations sont exemplaires dans la féminisation de leurs instances, à tous les niveaux hiérarchiques, et dans la sensibilisation aux stéréotypes de genre. Des dispositifs de coaching existent pour encourager les femmes à prendre des responsabilités. Le projet européen SCORE, auquel participe le think tank « Sport et citoyenneté », identifie les bonnes pratiques européennes en matière de mentoring et diffuse des outils pratiques pour faciliter l’accès des femmes aux postes à responsabilité dans le sport.

Les organisations que sont les fédérations doivent montrer l’exemple en matière de parité et d’ouverture : si rien ne change, des mesures plus drastiques devront être prises comme par exemple le non-cumul des mandats dans le temps. C’est exactement la même configuration qui concerne les partis politiques et les syndicats, et l’on sait combien les élus sont réticents à partager le pouvoir.

Quand un « numéro un » mondial du tennis masculin estime que les joueuses devraient gagner moins que les joueurs, quand un grand quotidien sportif préfère faire sa « une » sur les sportifs qui perdent plutôt que sur les sportives qui gagnent, on se dit que beaucoup de chemin reste à parcourir pour que les valeurs du sport, tant vantées, soient mises en pratique. La candidature de « Paris 2024 » nous contraint à l’exemplarité, pour notre jeunesse. Prenons date.

À paraître : « Sport power », FYP Editions, septembre 2016 (avec Julian Jappert).

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