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La piscine du parc aquatique Aquapolis de Limoges, l’un des établissements qui ont fermé ses portes temporairement en raison des prix élevés de l’énergie. Pascal Lachenaud/AFP

Fermeture des piscines municipales, ou quand le droit fait de la brasse coulée

Le lundi 5 septembre, le concessionnaire Vert Marine, société leader de la délégation de service public dans le domaine du sport en France, a annoncé unilatéralement sa décision de suspendre l’exploitation d’une trentaine de contrats relatifs à l’exploitation de piscines municipales.

La cause ? Une hausse du coût d’achat électrique de + de 650 %, illustration d’une crise énergétique désormais déclarée dans le pays qui a abrité durant cinq décennies l’un des fleurons des producteurs et distributeurs électriques.

Le problème ? Cette suspension a été décidée unilatéralement organisant une rupture du principe de continuité de ces services publics. La situation ne paraît pas isolée et pourrait être annonciatrice de bouleversements majeurs.

Si les soubresauts d’exploitation sont légion en matière de droit des contrats publics, l’étonnement saisit nécessairement le praticien à l’annonce dans la presse d’une suspension d’exploitation unilatérale d’une délégation de service public à l’initiative du cocontractant.

Considérations économiques

Certes le droit organise de telles hypothèses. Il est par exemple possible de suspendre unilatéralement une exploitation pour des raisons techniques, en respectant toutefois un délai de prévenance. De même, une telle suspension peut être motivée pour un motif impérieux ; on pense ici au cas d’espèce des piscines au risque sanitaire pour les baigneurs par exemple. Bien évidemment aussi, la force majeure est également invocable, mais à la condition seulement qu’elle rende impossible l’exécution du contrat.

En revanche, il est rare pour ne pas dire plus que la continuité de service public qui a valeur de principe fondamental et de principe à valeur constitutionnelle soit contrariée, et même contrecarrée, par une situation de marché exogène stricto sensu à l’activité. C’est pourtant ce qui vient de se produire avec l’affaire Vert Marine à la suite de l’envolée d’une charge de fonctionnement (coût de l’électricité nécessaire à l’exploitation).

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La communication du groupe a en effet délivré les éléments contextuels suivants : la fermeture intervient « pour une durée temporaire », les salariés concernés sont placés en chômage partiel, parce que [Vert Marine] ne peut faire face à l’explosion du prix de l’énergie et en particulier du gaz. La société explique que sa facture énergétique est passée « de 15 à 100 millions d’euros », ce qui représente « la totalité de [son] chiffre d’affaires annuel », et qu’elle préfère fermer des équipements plutôt que de « multiplier les tarifs par trois ». Pourtant, le principe de continuité semble ici prévaloir et ne pas devoir s’effacer au profit de ces considérations économiques.

La porte ouverte à une sanction

La société Vert Marine semble donc, de prime abord, avoir commis une faute en suspendant unilatéralement l’exécution des contrats de DSP dont elle est titulaire. Les conséquences ne sont pas neutres et elles peuvent être de divers ordres.

On pense immédiatement à la sanction financière attachée généralement, dans les contrats, à la faute du concessionnaire. Bien évidemment, même dans le silence du contrat, on ne voit pas très bien comment le délégataire pourrait faire valoir une absence de sanction financière. En effet, dans ce cas, serait certainement opposable à la société Vert Marine l’arrêt Deplanques du nom de l’entrepreneur qui, en 1907, avait été condamné pour non-respect de ses obligations d’assurer l’éclairage de la ville de Nouzon (devenue Nouzonville, dans les Ardennes). Plus épineuse est la question (non résolue à ce jour selon nous) où l’autorité concédante ne procéderait pas à une telle sanction alors qu’elle le devrait au vu des circonstances de l’espèce.

Une sanction se justifierait d’autant plus que les contrats de parcs aquatiques confiés en gestion à la société Vert Marine ont parfois fait l’objet de versement de compensations forfaitaires annuelles destinées à couvrir des obligations de service public. Ne sont-elles pas justement destinées à couvrir de tels coûts et ne permettaient-elles pas aux parties de se réunir préalablement à une fermeture ?

Soubresauts à venir

Par ailleurs, le délégataire a toujours la possibilité d’optimiser ses coûts, que ce soit par une rationalisation de ses charges, une remise à plat des horaires d’ouvertures (en accord avec l’autorité délégante) ou encore par la recherche d’optimisation sur la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (T.I.C.F.E) proposé par nombre de cabinet de conseil ; même si le délégataire demeure de manière indiscutable tributaire du coût d’achat d’énergie.

L’ensemble des principes ou des considérations de forme, de fond et contextuelles invalide donc très largement la fermeture unilatérale de la société Vert Marine. La problématique de fond relève finalement d’une exploitation non pas impossible, mais juste plus onéreuse.

Quand on sait que le risque dans ces contrats a changé de visage (l’aléa d’une perte n’étant plus à exclure), on imagine que les mois à venir vont donner lieu à de nombreux soubresauts, y compris dans d’autres services publics que celui des piscines.

Dans le même temps, une autre question sera à résoudre : comment concilier les principes juridiques avec un enjeu de réalité environnemental ? Les piscines, les pistes de ski indoor dans des hangars, patinoires, ou encore de façon moins ludique la gestion de crématoriums, des réseaux de chaleurs, d’eau ou encore d’assainissement, qui sont des services publics, ne sont-elles pas antinomiques avec les problématiques actuelles ?

C’est là un autre débat qui n’est assurément pas que juridique et qui mobilisera juristes, législateur, juridictions et administrations.


Cette contribution s'appuie sur l'article publié par les auteurs dans la revue « La Semaine juridique Administrations et Collectivités territoriales » publiée le 19 septembre 2020.

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