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Festivals de musiques actuelles en France : une diversité payante

Les Eurockéennes de Belfort. Wikimedia Commons, CC BY-SA

Quarante-huit ans que Jimi Hendrix revisitait la « Star-Spangled Banner » sur la scène de Woodstock. Depuis cet évènement devenu mythique, les festivals musicaux n’ont cessé de se développer et de gagner en popularité : Lollapalooza (USA), Sziget (Hongrie), Rock en Seine (France) ou encore Glastonbury (UK) sont des événements connus à travers le monde qui attirent à chaque édition des centaines de milliers de festivaliers. Face à un tel engouement, ces évènements sont devenus de véritables institutions, loin de l’initiative hippie de l’été 69…

Festivals de musique en France : des colosses aux pieds d’argile

Côté festivals, la France n’est pas en reste avec plus de 1 800 évènements par an dont certains populaires depuis plusieurs décennies – tel que Les Vieilles Charrues, créées en 1992 – pour un total de près de 6 millions de festivaliers (chiffre d’affaires total des billetteries d’environ 155 M€). Un festival répond à la définition suivante : une représentation périodique, identifiée et dédiée à un genre musical ou à une thématique, plusieurs artistes sur une ou plusieurs scènes. En revanche, cette appellation unique et ces chiffres vertigineux reflètent en réalité une vaste diversité d’événements sur un marché où la concurrence est rude.

Répartition des festivals sur le territoire français. Baromètre2016

Les festivals sont aujourd’hui confrontés à trois principaux enjeux :

D’une part, la chute des ventes de disques incite les artistes à reprendre la route pour multiplier les concerts et augmenter le montant de leurs cachets. Ces derniers – dépenses incontournables – représentent l’un des principaux coûts d’un festival. Ensuite, la multiplication du nombre d’événements entraîne une concurrence accrue pour la fréquentation des festivals. Enfin, la diminution des subventions – importante source de financement (de 30 % à 50 % du budget) – complique l’équation financière du fonctionnement des festivals.

Pour répondre à ces enjeux financiers, les festivals ont deux principales options : la première, augmenter les prix de la billetterie – risqué compte tenu du contexte économique (baisse de 10 % du budget des ménages alloué aux loisirs en 2016). La seconde : débloquer des fonds privés de type sponsors ou mécénat – sous condition de pouvoir satisfaire les objectifs de visibilité des marques.

Ces deux solutions accentuent la pression quant à la fréquentation du festival sur un marché concurrentiel. Ainsi, pour tirer leur épingle du jeu, les différents festivals affichent différentes propositions de valeur et adaptent leur modèle d’affaires en conséquence.

Les festivals payants : orchestration d’une expérience originale

Le modèle traditionnel des festivals repose sur la base d’un événement payant (50 % des festivals). Si la France reste un des pays où les festivals sont les moins chers, la démultiplication de l’offre pousse les organisateurs à mettre l’expérience des festivaliers au cœur de leur proposition de valeur. Certains festivals très populaires, comme le festival de rock-métal du Hellfest, se sont construits autour d’une communauté de fans et d’un univers très particulier. Cette proposition de valeur repose sur une programmation thématique pointue à destination de passionnés. L’expérience unique et globale justifie un prix élevé (environ 90€ par jour pour le Hellfest). Cet aspect communautaire est central pour fidéliser les festivaliers, car l’un des principaux déterminants de la satisfaction de ces derniers repose sur le partage de l’expérience avec le groupe.

Festival du Hellfest à Clisson (44). Hellfest

Une programmation éclectique de qualité accompagnée d’une expérience de vie originale est une autre stratégie qui permet de justifier le prix des places. Pendant plusieurs jours (trois en moyenne), des têtes d’affiche internationales et des artistes plus localement ancrés se succèdent sur plusieurs scènes en parallèle : en juillet 2017, Les Vieilles Charrues accueilleront ainsi près de 70 artistes dont Justice, Phoenix ou encore Macklemore. De plus, les festivals misent également sur des espaces conviviaux (par exemple Peacock Society au Parc Floral de Vincennes) et/ou de logement (camping) afin rendre l’évènement unique. La densification de l’expérience client tente ainsi de compenser les éventuelles augmentations de prix des billets. La créativité devient une dimension clé pour assurer la fidélisation des festivaliers.

Les festivals gratuits : objectif promo !

Moins nombreux que les précédents (environ 20 %), les festivals gratuits proposent l’accès à la musique live pour tous. Début juillet par exemple, une trentaine d’artistes partagent la scène du parvis de l’hôtel de ville de Paris pendant 3 soirées dans le cadre du festival Fnac live.

Outre les allures philanthropiques de ces évènements, on peut identifier deux types de démarches promotionnelles sous-jacentes. Le premier, à l’initiative de collectivités locales pour la mise en valeur du patrimoine ou la diffusion de la culture (c’est le cas du festival de l’Erdre, élu 2ᵉ meilleur festival gratuit en 2016). Le second implique des acteurs privés de l’industrie musicale (maisons de production, distributeurs, etc.) pour lesquels ces événements constituent de puissants canaux de communication dans une démarche promotionnelle (visibilité de marques ou d’artistes). Pour les maisons de production, ces évènements sont d’astucieuses opérations, car ils donnent de la visibilité aux artistes de leurs portefeuilles dont les prestations relèvent du cadre promotionnel et sont donc exemptées de cachet.

Face à ces deux modèles aux antipodes, il existe une troisième voie, un autre relais de croissance pour les festivals.

Vers une harmonie du payant et du gratuit avec un modèle freemium ?

En 2016, trois des festivals les plus fréquentés s’appuient sur la complémentarité des modèles gratuit et payant. Un système qui permet – comme au Festival interceltique de Lorient (700 000 spectateurs) – de proposer de nombreuses animations sans rien débourser ! Dans ce cas de figure, l’expérience des festivaliers est envisagée bien au-delà de la scène dans un objectif d’ancrage local. Les « à-côtés » (scènes ouvertes aux amateurs, groupes de musique se produisant dans les bars) permettent des propositions de valeur plus complètes ainsi que le maintien de subventions publiques. La popularité d’évènements comme Jazz à Vienne ou Jazz in Marciac (tous deux dans le top 10 des festivals français les plus fréquentés) qui observent ce modèle est à l’origine d’importantes retombées économiques pour les régions. Cette combinaison gagnante pour les festivals n’est pas sans rappeler un modèle d’affaires de type freemium déjà répandu sur le secteur de la musique enregistrée, via les plateformes de streaming. Dans ce modèle, les festivals s’émancipent même de la temporalité en prolongeant l’expérience du festivalier via les réseaux sociaux (par l’animation de communautés) ou sur des plateformes de streaming (via des playlists signées par les artistes invités).

Festival Jazz à Vienne, concert gratuit sur la scène de Cybèle. Jazz à Vienne

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