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Football : faut-il dépenser plus pour gagner plus ?

Ici c'est Paris – où les salaires des joueurs sont bien élevés.

Récemment, la presse spécialisée a publié les salaires des principaux joueurs du Championnat de France de Ligue 1 ainsi que les moyennes et les écarts globaux. Ce qui frappe, c’est l’inégalité persistante entre les ténors de la Ligue 1, le PSG en tête puis l’AS Monaco, et le reste de la concurrence.

Alors que le salaire moyen dans l’hexagone est de 50 000 euros brut mensuel, la moyenne au Paris Saint-Germain s’élève à 450 000 euros, quasiment dix fois plus. Quant à Monaco, le chiffre est de 198 000 euros, près de quatre fois supérieur aux canons de la Ligue 1, et le club place trois joueurs (Falcao, Moutinho, Mendy) dans le top 20 des footballeurs les mieux payés de France.

Fait marquant, ou simple coïncidence, les deux clubs présentant la masse salariale la plus élevée sont aussi ceux ayant les meilleurs résultats sur ces quatre dernières saisons. Paris a enchaîné quatre sacres en Ligue 1, en plus de deux coupes de France et trois coupes de la Ligue. Monaco est actuellement la meilleure attaque européenne, devant les gargantuesques Real Madrid et FC Barcelone, et, sous la houlette du coach Léonardo Jardim, se maintient sur le podium depuis trois ans.

Y aurait-il une corrélation évidente, prouvée sportivement et théoriquement, entre la masse salariale, l’argent investi dans les joueurs, et les performances sportives ? Dit autrement, faut-il dépenser plus pour gagner plus ?

L’inefficience des années 2000

Dans les années 2000, les économistes Élisé Wendlassida Miningou et Valérie Vierstraete s’étaient intéressées au lien entre le budget global (masse salariale, investissement, dépenses structurelles, etc.), calculé sur une période de six ans, et la stabilité sportive des équipes de première et de deuxième division. Dans leur article, « Efficience des clubs français de football des ligues 1 et 2 », elles ont conclu à une déconnexion totale entre la valeur économique et la valeur sportive, surtout en Ligue 1. D’après elles, le Championnat de France, contrairement à ses acolytes européens, n’était pas capable de présenter une parfaite efficience économique :

« Les résultats de notre étude montrent que, dans l’ensemble, les clubs français sont inefficients et utilisent donc plus de ressources qu’il n’en faudrait pour atteindre leurs objectifs. De plus, les clubs de la Ligue 1 sont moins efficients que ceux de la Ligue 2 et l’efficience semble avoir diminué dans le temps dans les deux ligues. »

Le club représentatif, de 2002 à 2008, était le Paris Saint-Germain. Il faut en effet se rappeler qu’à cette période, le PSG, malgré son statut de troisième club le plus riche du pays, ne cessait de décevoir avec des performances plus que catastrophiques. Lors de la saison 2007-2008, le club s’est même sauvé de la relégation à la toute dernière journée, suite à une victoire contre Sochaux, après un but marqué à la 79e minute par l’attaquant Amara Diané. Nous sommes très loin des succès d’aujourd’hui.

Particularisme hexagonal

Mais alors que s’est-il passé ? Élisé Wendlassida Miningou et Valérie Vierstraete, dans le même article, précisent que le football français, dans les années 2000, était très particulier, contrairement aux autres championnats du « Big Five ». Incapable de garantir une efficience entre l’économique et le sportif, il présentait une intensité et un équilibre compétitif plus important que la moyenne européenne. À cette époque, des grosses écuries, comme Paris ou Marseille, avaient du mal à confirmer, alors que des petites équipes, comme Nancy, Auxerre, Lens ou Toulouse arrivaient à truster les premières places. Pour Wendlassida Miningou et Vierstraete, « l’inefficience semble plus attribuable à des problèmes managériaux qu’à des problèmes liés à la taille des clubs ».

Le Stade de Monaco. Florian K./Wikimedia, CC BY-SA

Aurions-nous des problèmes ou des retards de coaching en France qui font que, malgré l’argent, nous serions incapables de performer sportivement ? D’après Alexandre Marles, préparateur physique et statisticien de formation, « en France, on n’a pas de Mourinho, Guardiola ou Ancelotti : la plupart des coachs entraînent encore comme dans les années 80. […] Si au bout de dix journées, tu vois que les trois premiers, dont Nice, ont des entraîneurs et des joueurs passés par l’étranger, ce n’est pas un hasard ».

À l’étranger, cette efficience est bel et bien présente. En Angleterre, par exemple, il n’y a eu que 5 champions différents sur 20 ans, en Espagne, 90 % des titres ont été remportés par les trois équipes les plus riches entre 1990 et 2010. En Italie, la donnée tombe à 84 %, 75 % en Allemagne et seulement 60 % en France.

La France dans le moule

Mais les choses sont-elles en train de changer ? En 1999, les économistes Kuypers et Szymanski avaient mesuré la corrélation entre la masse salariale cumulée des équipes de Premier League, le championnat d’Angleterre, et leurs performances sportives globales entre 1978 et 1996. Le lien dépassait les 90 %. L’économiste français Bastien Drut a alors appliqué la même méthodologie que Kuypers et Szymanski au Championnat de France, entre les saisons 2006-2007 et 2013-2014, soit sur une autre périodicité que l’étude de Wendlassida Miningou et Vierstraete. Que trouve-t-il ? Que la corrélation, alors qu’elle était caractéristique d’une très faible efficience, entre 2004 et 2008, est montée à 85 %, soit quasiment autant que le championnat d’Angleterre.

La France serait donc rentrée dans le moule et aurait réussi à outrepasser ses problèmes de management pour assurer une parfaite efficience économique et sportive. Drut le souligne ainsi :

« Les clubs dépensant le plus en termes de salaires réalisent les meilleures performances sportives. […] Ceux capables de dégager les budgets les plus importants peuvent attirer les meilleurs joueurs en leur proposant les salaires les plus compétitifs et donc obtiennent les meilleurs résultats sportifs »

Efficience et absence de suspense

C’est l’affirmation même de la théorie du salaire d’efficience appliquée au football. Développée par les économistes américain Joseph Stiglitz et Carl Shapiro, cette théorie suppose une causalité directe entre rémunération et productivité individuelle. « Payez mieux vos salariés, ils augmenteront leurs compétences et leurs efforts à la tâche », affirment-ils dans leur article de 1984. Dans le foot, finalement, c’est pareil : les meilleurs clubs payent cher les meilleurs joueurs qui permettent, en retour, d’avoir les meilleurs résultats et de rester meilleurs. Paris et Monaco l’ont très bien compris.

Marcelo Bielsa lors du match Olympique de Marseille contre Évian Thonon Gaillard, en 2015. Mathieu/Flickr, CC BY

Seulement, le risque, avec la réalisation de l’efficience, est de voir disparaître l’intensité et l’équilibre compétitif des ligues, le suspense et le hasard. L’économiste Nicolas Scelles, auteur d’une thèse en 2009 sur l’incertitude du résultat des ligues sportives professionnelles, reconnaît un lien évident entre la demande du public et l’équilibre compétitif. Si un match est gagné d’avance, si un classement est déjà connu, seulement à partir de la hiérarchie économique, quel serait l’intérêt d’aller au stade, de regarder les matchs et de s’intéresser au football ?

La France, jusque-là, était épargnée par ce principe, mais avec l’affirmation des géants parisien et monégasque, l’attractivité diminue et l’affluence faiblit. D’après les derniers chiffres de la Ligue de football professionnelle, la baisse est de 11 % entre cette saison et la saison dernière, malgré un Euro joué en France et la construction de nouveaux stades. On ne peut que s’inquiéter de ce phénomène et même aller jusqu’à dire, comme le magazine So Foot du mois de décembre, « Sommes-nous en train de tuer le foot ? »

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