tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/armee-21672/articles
armée – The Conversation
2024-03-11T16:14:31Z
tag:theconversation.com,2011:article/224678
2024-03-11T16:14:31Z
2024-03-11T16:14:31Z
En Russie, la plainte étouffée des mobilisés et de leurs familles
<p>Le 26 février 2024, le <a href="https://www.kommersant.ru/doc/6533550">premier débat officiel de la campagne présidentielle russe a lieu à la télévision d’État</a>. Des quatre candidats autorisés à concourir, deux sont présents sur le plateau. Un troisième a envoyé un représentant à sa place. Le président sortant Vladimir Poutine, quatrième candidat de cette campagne, a déclaré, comme lors de tous les scrutins précédents, qu’il ne prendrait pas part aux débats.</p>
<p>La campagne électorale de 2024 se déroule dans un contexte sans précédent : la Russie conduit depuis deux ans une guerre de haute intensité contre l’Ukraine ; l’économie russe est placée sous de <a href="https://theconversation.com/russie-les-sanctions-occidentales-commencent-a-faire-effet-221623">lourdes sanctions</a> décrétées par les pays occidentaux ; plusieurs centaines de milliers de Russes ont quitté le pays ; et <a href="https://meduza.io/en/feature/2024/02/24/at-least-75-000-dead-russian-soldiers">au moins 75 000 soldats russes</a> ont perdu la vie sur le front.</p>
<p>On aurait pu s’attendre à ce que le sujet de la guerre soit central dans la campagne électorale. L’un des débats de la campagne a bien été consacré à « l’opération militaire spéciale » et a permis aux trois candidats de dérouler leur positionnement sur la guerre : attachement à la victoire totale pour les candidats communiste (Nikolaï Kharitonov) et nationaliste (Léonid Sloutski), volonté de lancer un processus de négociation pour le candidat se présentant comme libéral (Vladislav Davankov), sans que les contours ou les conditions de cette négociation ne soient précisés.</p>
<p>Cependant, l’essentiel des débats – qui n’ont pas passionné le public russe – ont été consacrés à d’autres sujets : l’éducation, la culture, l’économie, l’agriculture, la démographie, le logement, dans une confrontation routinisée et encadrée… Les candidats eux-mêmes ne se sont pas toujours déplacés pour les débats, se faisant représenter par d’autres personnes appartenant à leurs partis politiques.</p>
<h2>La guerre est l’affaire des familles des soldats</h2>
<p>De l’autre côté du spectre médiatique, la guerre est une réalité bien différente. Sur la chaîne Telegram <a href="https://t.me/putdomo/543">« Le chemin de la maison »</a>, qui regroupe les membres des familles des combattants mobilisés et compte plus de 70 000 abonnés, le deuxième anniversaire de la guerre n’est pas l’occasion d’une autocongratulation, mais d’une commémoration. « Voilà deux ans que l’opération militaire spéciale déchire et brise sans pitié nos cœurs. Détruit les familles. Fabrique des veuves, des orphelins, des personnes âgées isolées », peut-on y lire.</p>
<p>La critique de la guerre est <a href="https://t.me/PYTY_DOMOY/902">explicite</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux ans, la Russie tout entière a plongé dans le chaos et l’horreur. Plus personne ne peut faire des projets d’avenir. […] Nous nous sommes tous retrouvés en enfer. Nos familles ont été les premières à être broyées par l’appareil d’État, et votre famille et vos amis risquent de subir le même sort après notre destruction. »</p>
</blockquote>
<p>C’est en septembre-octobre 2022, au moment du déclenchement de la mobilisation militaire qui a permis à l’État russe d’enrôler de force et d’envoyer sur le front ukrainien près de 300 000 civils, souvent à peine formés au combat, que les premiers groupes de familles de soldats se sont formés. Se réunissant devant les administrations locales et postant des vidéos en ligne, ces femmes ne s’opposaient pas au principe de la mobilisation, mais critiquaient son déroulement chaotique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aAgja19-_as?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du 4 novembre 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>La consigne donnée par le pouvoir central aux autorités locales était alors d’être réceptives aux demandes de ces familles, et de tenter de résoudre les problèmes qu’elles soulevaient. Après plusieurs mois de silence, le mouvement est redevenu actif à l’approche du premier anniversaire de la mobilisation, à la fin de l’été 2023.</p>
<p>Ce premier anniversaire n’était pas seulement un seuil symbolique : il s’accompagnait d’une attente de démobilisation. Si la durée de l’enrôlement n’était précisée dans aucun document ni formalisée dans aucune promesse, la fatigue et la conviction d’avoir déjà trop donné commençaient à se répandre dans les familles des mobilisés.</p>
<p>Loyaliste à ses débuts, demandant une nouvelle vague de mobilisation pour remplacer la première, la chaîne Telegram « Le chemin de la maison » s’est progressivement radicalisée et politisée face au refus des autorités d’entendre la demande de démobilisation. À l’approche de la campagne présidentielle, les activistes des groupes de femmes ont cherché à prendre contact avec les candidats pour leur demander d’endosser leurs revendications. Un seul candidat, Boris Nadejdine, opposé à la guerre, leur avait réservé un accueil favorable, mais avait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/08/russie-le-candidat-antiguerre-boris-nadejdine-exclu-a-son-tour-de-la-presidentielle_6215417_3210.html">rapidement empêché de concourir</a>. Le candidat Davankov a bien évoqué, lors du débat télévisé consacré à l’« opération militaire spéciale », le désir des familles de voir la guerre se terminer, sans aller plus loin. Vladimir Poutine, quant à lui, n’a pas abordé le sujet lors de son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/29/vladimir-poutine-dans-son-discours-annuel-a-la-nation-met-en-garde-les-occidentaux-contre-une-menace-reelle-de-guerre-nucleaire_6219303_3210.html">discours annuel à la nation</a> : la démobilisation des combattants n’est pas vraiment à l’ordre du jour de cette campagne.</p>
<h2>Dans les pas des mouvements de mères de soldats ?</h2>
<p>L’analogie de ces groupes de femmes de mobilisés avec les mouvements des mères de soldats se rappelle rapidement à l’esprit de ceux qui connaissent l’histoire russe contemporaine. Les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/12594">associations des mères de soldats</a> créées dans les dernières années de l’Union soviétique, à la fin de la guerre en Afghanistan, ont été des opposantes actives et puissantes aux deux guerres conduites par l’État russe en Tchétchénie, en 1994-1996, puis en 1999-2004.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Rassemblement de mères de soldats russes pendant la guerre de Tchétchénie, 1996. Sur les pancartes, on lit notamment des appels à la démobilisation adressés au ministre de la Défense de l’époque Pavel Gratchev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rightlivelihood.org/app/uploads/2016/09/1996-Soldiers-Mothers-Against-the-Chechen-war-Salzb05.jpg">rightlivelihood.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En dehors des situations de guerre, elles ont aussi sauvé des dizaines de milliers de conscrits des mauvais traitements, violences et risques de mort encourus dans l’armée russe. Les Mères de soldats ont été l’un des mouvements sociaux les plus influents dans la Russie des années 1990 et 2000. Les épouses de mobilisés reprennent-elles leur flambeau, et peuvent-elles peser sur la représentation de la guerre dans la société russe ?</p>
<p>Lorsque les premiers groupes de femmes ont pris la parole en septembre 2022, beaucoup de commentateurs <a href="https://eu.usatoday.com/story/opinion/columnists/2022/05/02/russian-mothers-putin-war-ukraine/9546447002/">y ont vu un espoir d’opposition de la société à la guerre</a>, mais ils ont rapidement déchanté devant le loyalisme affiché de ces épouses, mères et sœurs. En réalité, ce n’est pas l’absence de critique de la guerre qui distingue ces femmes de leurs illustres prédécesseuses. Bien des mamans de soldats envoyés combattre en Tchétchénie formulaient leur protestation de la même manière : si mon fils doit accomplir son devoir pour sa patrie, je n’ai rien à y redire, mais qu’en retour l’État le respecte. Ce qui distingue les deux mouvements, c’est plutôt la possibilité même de conduire une action collective.</p>
<h2>L’impossible dénonciation publique de la guerre</h2>
<p>Si les premières années postsoviétiques qui ont vu le développement des mouvements de Mères de soldats ont été une époque de chaos et de pauvreté, elles étaient aussi caractérisées par un pluralisme politique et une authentique liberté d’expression. Les activistes n’encouraient pas de risques personnels à manifester leur opposition, et leurs revendications étaient librement relayées par les médias et par des acteurs politiques.</p>
<p>L’efficacité de l’action des Mères tenait aussi à leur capacité à tisser des relations de travail avec des institutions militaires, dans une logique gagnant-gagnant : la vigilance des mères de soldats permettait à l’armée de repérer et de réparer un certain nombre de dysfonctionnements flagrants ; la coopération des militaires permettait aux Mères de mieux venir en aide aux soldats et à leurs proches.</p>
<p>Peu d’éléments de cette équation sont réunis dans la Russie de 2024. Si les mouvements de mères de soldats existent encore, leurs leaders ne peuvent plus dénoncer ouvertement la guerre. <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/russie-des-lois-pour-reduire-les-voix-antiguerre-ukraine">Toute parole critique est sévèrement sanctionnée</a>, y compris dans la classe politique censée représenter l’opposition au parti du pouvoir. Les journalistes tentant de couvrir les cérémonies commémoratives des femmes de mobilisés sont <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/02/03/reporters-detained-at-moscow-protest-by-soldiers-wives-afp-a83966">immédiatement interpellés par les forces de l’ordre</a>. L’espace médiatique verrouillé ne permet pas aux activistes de se faire entendre au-delà des réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753770811108762038"}"></div></p>
<p>La marge de manœuvre dans la discussion avec les autorités militaires semble aussi ténue, tant la marge d’action de l’armée est elle-même verrouillée par le contexte répressif et par une guerre difficile et vorace en ressources.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/russie-plus-de-75-000-euros-aux-familles-de-certains-soldats-morts-en-ukraine-ou-en-syrie_5181916.html">manne financière promise aux combattants et à leurs familles</a> freine aussi, paradoxalement, le mouvement des femmes de mobilisés, en forçant certaines d’entre elles à se taire, et en ternissant l’image des autres, jalousées pour le pactole qu’elles sont supposées toucher.</p>
<h2>L’embarras du pouvoir</h2>
<p>Cependant, l’équation est aussi délicate à tenir pour le pouvoir russe, qui hésite à se lancer dans une répression ouverte contre les femmes de mobilisés. Les combattants engagés sur le front sont non seulement l’un des socles du récit héroïque sur la guerre, mais aussi un groupe sensible et potentiellement dangereux.</p>
<p>Si la rotation des troupes demandée par les femmes des mobilisés n’a pas encore été mise en œuvre, c’est sans doute en raison d’une difficulté à remplacer les combattants désormais aguerris, mais peut-être aussi d’une peur de l’effet que pourrait provoquer le retour de ces hommes dans leurs foyers. Traumatisés, maltraités, porteurs d’une expérience violente en décalage avec le récit officiel, les mobilisés, comme les soldats sous contrat, pourraient être difficiles à contrôler par le pouvoir après leur retour d’Ukraine.</p>
<p>Il est possible également que les autorités redoutent aujourd’hui une réaction de ces hommes s’ils apprenaient, alors qu’ils sont sur le front, que leurs épouses sont victimes de répressions. <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">La marche des combattants du groupe Wagner sur Moscou</a> est un précédent de mutinerie que le pouvoir ne souhaite sans doute pas voir se répéter.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2nOASfejREU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De la même manière que le Kremlin a évité jusqu’à maintenant d’envoyer combattre des conscrits de 18 ans, pour ne pas voir se soulever les mères de soldats, il ménage pour l’heure les femmes de mobilisés. Le choix est donc celui, déjà éprouvé, de l’invisibilisation, de la répression indirecte et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/25/la-rencontre-tres-encadree-de-vladimir-poutine-avec-des-meres-de-soldats-mobilises_6151660_3210.html">tentatives de cooptation</a>. Les forces de l’ordre n’emprisonnent pas les femmes de mobilisés, mais les militaires font pression sur elles, et tout espace médiatique leur est refusé. Un récit différent de la guerre ne doit pas percer dans la campagne présidentielle.</p>
<p>Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans la volonté du pouvoir de rendre la guerre le moins présente possible dans l’espace public, afin de rassurer la population russe. Cependant, la fatigue de la guerre que le Kremlin espère voir se développer dans les sociétés occidentales <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/apres-deux-ans-de-guerre-en-ukraine-la-fatigue-de-l-opinion-publique-russe-7838880">est déjà visible à l’intérieur de la Russie</a>. Si le nombre de Russes viscéralement attachés à la poursuite de l’« opération militaire spéciale » a diminué au cours de l’année 2023 et <a href="https://www.chronicles.report/en">représente moins de 20 % de la population</a>, une majorité croissante, estimée à deux tiers de la population, <a href="https://www.extremescan.eu/post/second-demobilisation-how-public-opinion-changed-during-the-second-year-of-the-war">serait soulagée de voir la guerre s’arrêter</a>, même s’ils ne s’opposent pas ouvertement au conflit armé conduit par leur pays.</p>
<p>Pour ceux-là, le discours ronronnant d’une campagne dont la guerre est quasi absente joue un effet anesthésiant. Cependant, la partie de la Russie, combattants en tête, qui vit quotidiennement la guerre est une bombe à retardement pour la société russe, quels que soient les efforts du pouvoir pour la rendre invisible aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna Colin-Lebedev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Au moins 75 000 soldats russes sont morts en deux ans de guerre en Ukraine. Les familles des combattants mobilisés peinent à faire entendre leur inquiétude dans l’espace public.
Anna Colin-Lebedev, Enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste des sociétés postsoviétiques, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/223668
2024-02-19T16:10:39Z
2024-02-19T16:10:39Z
Pakistan : la résistance imprévue d’Imran Khan
<p>Les élections pakistanaises du 8 février 2024 ne devaient être qu’une formalité. Rentré d’exil trois mois plus tôt, l’ex-premier ministre Nawaz Sharif était réputé bénéficier du soutien de l’armée, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/11/GAYER/66283">l’institution la plus puissante du pays</a> et son faiseur de rois.</p>
<p>Fort de cet appui, le patriarche du clan Sharif semblait assuré de former le prochain gouvernement. En reconduisant au pouvoir son parti, la Pakistan Muslim League – Nawaz (PML–N), le scrutin devait conférer une onction démocratique à ce scénario négocié en coulisses depuis plusieurs mois. Les électeurs ne l’ont pas entendu de cette oreille, au grand dam des militaires et de la PML-N.</p>
<h2>Une élection jouée d’avance ?</h2>
<p>L’issue du scrutin faisait d’autant moins de doute que le principal parti d’opposition, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (PTI), apparaissait affaibli par l’incarcération de ses principaux leaders, à commencer par le plus populaire d’entre eux, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/07/au-pakistan-imran-khan-tenu-a-l-ecart-des-elections-legislatives_6215265_3210.html">Imran Khan</a>, condamné en janvier et février 2024 à trois lourdes peines de prison, l’une de dix ans pour diffusion de secrets d’État, une autre de 14 ans pour corruption et la dernière de sept ans pour mariage illégal.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MHYC3QD4VAE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Renversé par une motion de censure en avril 2022, l’ancien champion de cricket reconverti en politique s’était au cours des mois suivants engagé dans un conflit frontal avec l’armée, qu’il tenait responsable de son éviction.</p>
<p>En mai 2023, une première tentative d’arrestation du leader du PTI avait <a href="https://theconversation.com/pakistan-le-spectre-de-lembrasement-205902">précipité ses partisans dans les rues des grandes villes</a> et provoqué des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre – y compris des attaques contre des bâtiments militaires. Ces violences avaient servi à justifier une répression féroce contre le parti, dont les leaders refusant de tourner casaque avaient fini derrière les barreaux.</p>
<p>Comme si l’incarcération des principales figures du PTI n’y suffisait pas, la Commission électorale a dans la foulée invoqué des irrégularités dans les élections internes du parti pour priver ses candidats de leur symbole électoral (la batte, en référence au <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-19844270">passé sportif d’Imran Khan</a>). Validée par la Cour suprême, cette décision a contraint les candidats du PTI à se présenter comme indépendants, en rendant plus difficile leur identification par les électeurs.</p>
<p>La cause semblait donc entendue : le PTI prenait l’eau et tant ses derniers dirigeants en liberté que ses électeurs désorientés ne tarderaient pas à quitter le navire. Ce scénario bien huilé s’est pourtant heurté à une réalité que la PML-N et ses puissants protecteurs s’obstinaient à ignorer : le PTI reste le parti le plus populaire du pays.</p>
<h2>La popularité intacte d’Imran Khan</h2>
<p>Pour ses supporters, Imran Khan demeure le « kaptan » : le « capitaine », qui en 1992 a mené l’équipe pakistanaise de cricket à sa première – et à ce jour unique – victoire à la Coupe du monde. Pour un pays en butte à des crises politiques et économiques sans fin, ce fait d’armes reste une source de fierté et de réconfort, témoignant du potentiel de la nation pakistanaise dès lors qu’elle trouve leader à sa mesure.</p>
<p><em>Born-again Muslim</em> ayant renoncé à ses frasques d’antan pour se projeter en musulman rigoriste, Imran Khan a aussi séduit la frange la plus conservatrice de l’électorat par <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/07/les-metamorphoses-d-imran-khan-l-ancien-premier-ministre-du-pakistan_6176496_3210.html">ses postures islamo-nationalistes</a>. Outsider longtemps resté en marge du jeu politique, il a en outre fait de la lutte contre la corruption un thème rassembleur, promettant de débarrasser le pays de ses élites vénales. Ajoutée à son usage intense des réseaux sociaux, cette promesse d’un grand nettoyage lui a valu des soutiens bien au-delà des franges les plus conservatrices de la population, notamment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2024/02/14/pakistan-election-imran-khan-youth/">chez les jeunes</a> – un atout considérable, dans un pays où 64 % de la population a moins de 30 ans.</p>
<p>Loin d’entamer le capital de sympathie du parti et de son chef emprisonné, la répression des derniers mois semble plutôt l’avoir renforcé. Dans les heures qui ont suivi la fermeture des bureaux de vote, les <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20240209-%C3%A9lections-au-pakistan-les-candidats-pro-imran-khan-en-t%C3%AAte-deux-morts-dans-des-violences">premières estimations</a> laissaient ainsi entrevoir une nette victoire du PTI, arrivant en tête dans une centaine de circonscriptions (sur 266 au total). À l’inverse, la PML-N payait le prix de son alliance avec l’armée, au point que de nombreux ténors du parti se trouvaient en mauvaise posture. Contre toute attente, la volonté populaire semblait prévaloir.</p>
<h2>Nouvelle intervention décisive de l’armée dans le processus politique</h2>
<p>La réaction ne s’est pas fait attendre. Comme à l’issue du scrutin précédent, l’annonce des résultats a été suspendue durant plusieurs heures, ce qui n’a pas manqué d’attiser les rumeurs de fraudes électorales.</p>
<p>En 2018, le rapport de force politique était pourtant inverse : tandis qu’Imran Khan bénéficiait du soutien de l’armée, Nawaz Sharif était <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/24/l-ex-premier-ministre-nawaz-sharif-a-nouveau-condamne-pour-corruption-au-pakistan_5401881_3210.html">condamné à de lourdes peines d’emprisonnement</a> pour corruption.</p>
<p>Versatile dans ses alliances, l’armée n’en est pas moins constante dans ses velléités de contrôle du jeu politique. Ainsi, quand les résultats définitifs ont commencé à tomber, dans la matinée du 9 février, le PTI s’est vu privé de victoire dans plusieurs circonscriptions où il arrivait en tête quelques heures plus tôt, <a href="https://www.dawn.com/news/1812970">notamment au Pendjab</a> – la province la plus peuplée et la plus prospère du pays, dont le contrôle est essentiel pour les aspirants au pouvoir au niveau national. Et tandis que la direction du PTI revendiquait la victoire dans plus de 150 circonscriptions, les candidats du parti n’ont finalement remporté que 93 sièges.</p>
<p>Ce score est nettement supérieur à celui de la PML-N et du Pakistan People’s Party (PPP), l’autre poids lourd de la vie politique nationale. Ces deux partis aux mains de dynasties indétrônables (les Sharif dans le cas de la PML-N et les Bhutto-Zardari pour le PPP) n’ont respectivement remporté que 75 et 54 sièges.</p>
<p>Si les élus du PTI constituent le groupe le plus important au sein de la nouvelle assemblée, leur affiliation partisane n’a pourtant pas été reconnue et ils n’ont donc pu prétendre aux 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités, qui sont allés à leurs rivaux. Dans ces conditions, le PTI semble avoir renoncé à former le gouvernement.</p>
<p>C’est donc la PML-N qui devrait diriger à nouveau le Pakistan, en coalition avec le PPP, le Muttahida Qaumi Movement (MQM, un parti représentant la population ourdophone de Karachi) et une poignée de plus petits partis. D’emblée, des désaccords sont cependant apparus entre la PML-N et le PPP, qui refuse de participer au gouvernement et brigue plutôt la présidence de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat – des positions qui permettraient au PPP d’influer sur le jeu politique sans se compromettre ouvertement avec un gouvernement promis à l’impopularité.</p>
<p>Le retour au pouvoir de la PML-N, aussi discréditée soit-elle, semblait acté depuis que l’armée avait réaffirmé son soutien au statu quo. Dans sa première allocution post-électorale, le général Asim Munir, chef de l’armée de terre et bête noire d’Imran Khan, a ainsi <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-68260932">déclaré</a> que le Pakistan avait besoin « de stabilité et d’apaisement », pour mettre un terme à « la politique de l’anarchie et de la polarisation ». Cette allusion à peine voilée aux émeutes de mai 2023 adressait un message clair aux citoyens autant qu’aux responsables politiques : en dernier ressort, c’est à l’armée qu’il revient de désigner les personnes les plus aptes à diriger le pays.</p>
<h2>La victoire à la Pyrrhus de l’armée et du clan Sharif</h2>
<p>Pour l’armée et la PML-N, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus. L’institution militaire et le parti des Sharif sortent tous deux affaiblis du scrutin, privés de l’onction de légitimité qu’ils attendaient pour redorer leur blason.</p>
<p>Rarement le mythe de la neutralité de l’armée a-t-il été autant pris en défaut et les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont tous <a href="https://www.dawn.com/news/1813046">demandé une enquête</a> sur les accusations de fraudes. Fait rarissime, le secrétaire général des Nations unies a quant à lui <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/un-chief-concerned-by-violence-communication-restriction-pakistan-election-day-2024-02-08/">appelé les autorités pakistanaises</a> à résoudre les litiges post-électoraux « conformément au cadre légal ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1757833265736569018"}"></div></p>
<p>Nawaz Sharif, de son côté, a été réélu dans sa circonscription de Lahore, mais il a essuyé une défaite cuisante dans une autre circonscription (celle de Mansehra, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa). Peut-être après qu’on lui en eut soufflé l’idée, il a fini par renoncer à se présenter comme premier ministre, en s’effaçant au profit de son frère cadet, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/pakistan/qui-est-shehbaz-sharif-le-multimillionnaire-devenu-premier-ministre-du-pakistan-4fcc937e-b9a2-11ec-857e-054a15b86122">Shahbaz Sharif</a>. En outre, la PML-N et le PPP apparaissent plus que jamais comme des partis régionaux, sinon ethniques. Tandis que la PML-N a remporté l’essentiel de ses sièges au Pendjab, la géographie des soutiens au PPP reste quant à elle cantonnée à la province du Sindh.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Même si le PTI n’a remporté aucun siège dans le Sindh, il a consolidé sa stature de parti national et a confirmé l’ampleur de ses soutiens, qui transcendent largement les barrières de classe, de genre et d’ethnicité.</p>
<p>L’hostilité de l’armée lui barre pourtant l’accès au pouvoir. Ce blocage risque d’ajouter au discrédit des partis dominants, prêts à toutes les compromissions pour se maintenir au pouvoir. Le <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/watchdog-says-voter-turnout-in-pakistan-elections-around-47-/3133243">faible taux de participation</a> à ces élections (47 %, le plus bas depuis 2008) est révélateur de cette crise de confiance, qui pourrait encore s’approfondir.</p>
<p>En entravant de manière flagrante le processus démocratique, l’armée a montré les limites de sa stratégie d’influence à distance, ce qui pourrait la contraindre à s’impliquer de plus en plus ouvertement dans le jeu politique. La déclaration post-électorale du général Munir offre un aperçu des relations à venir entre civils et militaires : face à une armée assumant son interventionnisme, la marge de manœuvre du nouveau gouvernement sera extrêmement étroite.</p>
<p>Le PTI, de son côté, n’a sans doute pas dit son dernier mot. Convaincu de s’être vu <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/pakistan-jailed-imran-khan-warns-against-any-new-government-formed-with-stolen-votes-/3136653">voler la victoire</a>, il pourrait être tenté de relancer la stratégie d’agitation qui l’avait déjà opposé à Nawaz Sharif (en 2014) et à son frère Shahbaz Sharif (en 2022). Privé de sa direction et à la merci de la répression, le parti d’Imran Khan semble pourtant en mauvaise posture pour engager une épreuve de force. C’est sans doute devant les tribunaux que se jouera la prochaine manche. L’actuel Chief Justice, Qazi Faez Isa, en poste jusqu’en octobre 2024, est connu pour son hostilité à l’égard du PTI, et il s’opposera certainement à la tenue de nouvelles élections, autant qu’à la libération d’Imran Khan. Mais la haute magistrature est divisée et le PTI compte aussi de nombreux soutiens en son sein. Les juges risquent donc, à leur tour, d’être entraînés dans la mêlée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Depuis sa prison, Imran Khan a vu son parti arriver en tête aux législatives. L’armée a manœuvré pour que le pouvoir sortant reste en place, mais le mécontentement populaire est patent.
Laurent Gayer, Directeur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/221769
2024-01-28T16:05:48Z
2024-01-28T16:05:48Z
Une nouvelle arme laser permet d'abattre des drones à distance – et à bas coût
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/570837/original/file-20240121-38659-1vateu.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C3%2C589%2C363&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tir de test du système anti-drone britannique, le _DragonFire_.</span> <span class="attribution"><span class="source">UK Ministry of Defence/wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Un flash de lumière s’envole vers un minuscule drone volant à une vitesse vertigineuse. Quelques instants plus tard, le drone désactivé s’écrase dans la mer. Pas un bruit, pas de victimes humaines, pas d’explosions désordonnées. Un drone mortel coûtant plusieurs millions de dollars a été proprement éliminé par un tir qui a coûté moins cher qu’une bonne bouteille de vin.</p>
<p>Si vous pensez qu’il s’agit d’une scène tirée d’un film de science-fiction, détrompez-vous. Il y a quelques jours à peine, une équipe de scientifiques et d’ingénieurs britanniques a réussi à <a href="https://www.gov.uk/government/news/advanced-future-military-laser-achieves-uk-first">démontrer qu’il s’agit d’une technologie viable</a>, qui pourrait trouver sa place sur le champ de bataille dans cinq ou dix ans.</p>
<p><em>DragonFire</em> est un programme de haute technologie lancé en 2017, financé à hauteur de 30 millions de livres sterling, et impliquant l’agence gouvernementale britannique <em>Defence Science and Technology Laboratory</em>, le fabricant de missiles MBDA, l’entreprise aérospatiale Leonardo UK et l’entreprise de technologie de défense QinetiQ. Ce programme a réussi son premier test sur le terrain en abattant plusieurs drones au large des côtes écossaises à l’aide de faisceaux laser.</p>
<p>Les drones sont des aéronefs sans pilote, semi-automatiques, capables d’infliger des dégâts mortels avec une grande précision. Ils sont <a href="https://theconversation.com/armes-autonomes-et-soldats-augmentes-quel-impact-sur-les-valeurs-des-armees-168295">très présents sur les champs de bataille modernes</a>, notamment lors de la guerre d’Ukraine et sur les routes navales commerciales de la mer Rouge.</p>
<p>Il n’est pas facile de les abattre : il faut généralement tirer des missiles qui coûtent jusqu’à 1 million de livres sterling pièce. Bien qu’ils soient généralement efficaces, les systèmes défensifs de ce type sont coûteux et comportent un risque important de dommages collatéraux. Si un missile manque sa cible, il finira par atterrir quelque part et explosera quand même.</p>
<p>Mais il n’est pas nécessaire de provoquer une explosion spectaculaire pour désactiver un drone… il suffit d’interférer avec ses systèmes de contrôle et de navigation.</p>
<p>Et un rayon laser est un très bon candidat pour s’acquitter de cette tâche. Les <a href="https://www.pourlascience.fr/sd/physique/le-laser-et-le-renouveau-de-l-optique-2490.php">lasers sont des faisceaux lumineux particulièrement directionnels, qui peuvent être très intenses</a>. Un laser suffisamment puissant peut interférer avec n’importe quel appareil électronique et provoquer son dysfonctionnement.</p>
<p>Comparé aux missiles classiques, un système laser de grande puissance présente de nombreux avantages stratégiques. Pour commencer, il est étonnamment peu coûteux à utiliser : faire fonctionner le <em>DragonFire</em> pendant dix secondes coûte autant que d’allumer un chauffage pendant une heure (soit moins de 10£ par tir).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Le système laser DragonFire" src="https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570477/original/file-20240121-28-ilxzdp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le système laser <em>DragonFire</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mbda-systems.com/press-releases/dragonfire-proving-trials-underway">MDBA</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les lasers ne présentent pas non plus de risque de dommages collatéraux. Même si un laser manque sa cible, il continuera à se propager dans la même direction et finira par être absorbé et dispersé dans l’atmosphère. Un laser étant un faisceau lumineux, il se propage en ligne droite, indépendamment de la gravité. Finalement, la section d’un faisceau laser est généralement toute petite, de l’ordre de quelques millimètres carrés. Leur utilisation s’apparente ici à une intervention chirurgicale.</p>
<p>Les lasers sont donc une arme défensive par excellence : ils peuvent répondre à une menace, mais ne peuvent pas causer de dégâts importants. Ils sont aussi très peu sensibles aux contre-mesures, puisque les faisceaux lumineux se déplacent à la plus grande vitesse qui soit… celle de la lumière. En d’autres termes, une fois qu’un flash laser est lancé, rien ne peut le rattraper et le neutraliser.</p>
<p>Les rayons laser sont utilisés sur le champ de bataille depuis un certain temps. Côté défensif, ils sont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214914719312231">principalement utilisés pour le suivi des cibles, la télédétection et la visée de précision</a>. Mais c’est la première fois qu’ils sont utilisés efficacement afin de perturber une action ennemie.</p>
<h2>Des défis à relever</h2>
<p>La mise au point du <em>DragonFire</em> comme arme a pris beaucoup de temps. C’est parce que pour neutraliser un drone, il faut un faisceau laser d’une grande intensité.</p>
<p>Mais si le faisceau laser est trop puissant, il peut fortement interagir avec l’air dans l’atmosphère, <a href="https://www.mdpi.com/2073-4433/12/7/918">ce qui entraîne son absorption ou sa dispersion</a>. Il faut trouver l’équilibre parfait entre les paramètres du faisceau, tels que <a href="https://scholar.harvard.edu/files/schwartz/files/lecture10-power.pdf">sa puissance, sa longueur d’onde et sa forme</a>, pour s’assurer qu’il peut se propager sur de longues distances sans se dégrader significativement.</p>
<p>Un faisceau laser est aussi particulièrement sensible aux conditions atmosphériques, et la présence de brouillard, de pluie ou de nuages <a href="https://www.mdpi.com/2073-4433/12/7/918">peut affecter de manière significative ses performances</a>.</p>
<p>Les drones et les missiles subsoniques représentent une menace croissante à l’échelle mondiale. C’est pourquoi le ministère britannique de la Défense accélère actuellement le développement du <em>DragonFire</em>, dans l’espoir de l’embarquer sur des navires de guerre dans les cinq à dix prochaines années.</p>
<p>Pour cela, plusieurs questions techniques et scientifiques doivent encore être résolues.</p>
<p>Par exemple, il n’est pas facile de maintenir la stabilité du pointage du laser sur une plate-forme en mouvement (comme un croiseur dans des eaux agitées). C’est comme si l’on essayait d’atteindre une cible de fléchettes en se tenant debout sur une planche d’équilibre – mais ceci n’affecte que la précision de l’arme, pas le risque de dommages collatéraux.</p>
<p>Il faudra également découpler les performances du système laser des conditions météorologiques. Comme les gouttelettes d’eau et les courants d’air peuvent diffuser ou absorber le faisceau laser, et réduire sa puissance et donc ses effets, il faudrait pouvoir tenir compte des conditions météorologiques lors de la préparation du faisceau. Cette tâche n’est pas impossible, mais techniquement difficile.</p>
<p>Un programme de formation doit également être mis en place pour que les soldats puissent utiliser efficacement un tel système de haute technologie.</p>
<p>Néanmoins, ces premiers essais ont démontré la viabilité et l’efficacité de cette arme laser, qui pourrait révolutionner la guerre moderne dans les années à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221769/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gianluca Sarri a reçu des financements de l'EPSRC (Engineering and Physical Sciences Research Council), de InnovateUK, et du DSTL (Defence Science and Technology Laboratory). </span></em></p>
Le nouveau système de défense laser britannique permet des tirs coûtant 10 livres sterling – soit l’équivalent d’une heure de chauffage.
Gianluca Sarri, Professor at the School of Mathematics and Physics, Queen's University Belfast
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/221000
2024-01-18T19:26:58Z
2024-01-18T19:26:58Z
Napoléon le législateur : la gênante omission du film de Ridley Scott
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568962/original/file-20240105-27-wtm75j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=177%2C262%2C3633%2C2662&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Joaquin Phoenix dans le rôle de Napoléon, dans le film de Ridley Scott. Napoléon était un législateur prolifique qui a parrainé le « Code civil des Français » à l’influence planétaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Apple TV+)</span></span></figcaption></figure><p>Les conquêtes napoléoniennes sur le champ de bataille et sur l’oreiller forment la trame narrative du film biographique « Napoléon », de Ridley Scott.</p>
<p>Mais devant cette <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/joachim-murat-le-napoleon-de-ridley-scott-est-bourre-de-defauts-mais-allez-le-voir-20231122">caricature</a> des excès de la masculinité, qui sacrifie la <a href="https://www.geo.fr/histoire/que-vaut-le-napoleon-de-ridley-scott-histoire-incoherences-reconstitutions-217638">cohérence narrative</a> et <a href="https://variety.com/2023/film/news/napoleon-inaccuracies-french-historians-pyramids-1235823975/">l’exactitude historique</a> sur l’autel du sensationnalisme vendeur, ma principale réserve d’<a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780367808471-31/fugitives-france-kelly-summers?context=ubx&refId=f0b06c28-a29a-49b5-a5ba-d37bee069054">historienne</a> de la <a href="https://ageofrevolutions.com/2021/01/25/a-cross-channel-marriage-in-limbo-alexandre-darblay-frances-burney-and-the-risks-of-revolutionary-migration/">Révolution française</a> tient moins aux inventions du cinéaste qu’à ses omissions.</p>
<p>Car à trop appuyer sur le génie tactique de Napoléon, ses erreurs de jugement et ses frasques sexuelles, on en oublie son principal héritage : celui d’un législateur visionnaire, mais paradoxalement égocentriste.</p>
<p>Après dix ans <a href="https://www.cairn.info/tous-republicains--9782200272821-page-9.htm">d’expérimentations postrévolutionnaires</a>, Napoléon Bonaparte a promulgué une série de réformes qui ont fini d’effacer les hiérarchies sociales, <a href="https://www.jewishvirtuallibrary.org/napoleon-bonaparte">religieuses</a> et féodales de l’époque.</p>
<p>Ce qui, par ailleurs, n’a jamais empêché ce personnage contradictoire de renier ses idéaux révolutionnaires chaque fois que ceux-ci entraient en conflit avec son insatiable ambition dans son empire continental ou ses colonies d’outre-mer.</p>
<h2>Achever la Révolution française en droit</h2>
<p>Reconnaissons l’habileté de Ridley Scott dans les quelques séquences humoristiques de son film qui décapent à la fois l’hagiographie et les contempteurs du mythe napoléonien. Joaquin Phoenix y incarne davantage la figure du <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/5133">Petit Caporal</a> lourdaud que l’ogre corse.</p>
<p>Mais ce portrait d’un guerrier socialement inepte néglige les plus grandes réalisations et les plus grands échecs d’un législateur prolifique.</p>
<p>Dès sa prise de pouvoir en 1799, ce jeune général de 30 ans a entrepris une série de vastes réformes tout aussi marquantes que les exploits <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-napoleonic-wars-9780199951062?cc=ca&lang=en&">militaires</a> et <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-27435-1_11">politiques</a> qui forment la geste napoléonienne.</p>
<p>L’homme d’État a laissé une marque indélébile en tant que promoteur énergique de nouvelles institutions et procédures, dont un <a href="https://www.revuepolitique.fr/la-politique-scolaire-de-napoleon-et-son-heritage/">système éducatif laïc pour former les cadres d’une bureaucratie en croissance</a>, un ambitieux programme de <a href="https://www.napoleon.org/en/history-of-the-two-empires/articles/bullet-point-30-did-napoleon-transform-paris/">travaux publics</a> et, par-dessus tout, un système de lois uniforme.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OAZWXUkrjPc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande-annonce du « Napoléon » de Ridley Scott.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La fin réelle de la féodalité</h2>
<p>Dès l’été de 1789, les députés avaient voulu abolir la féodalité et son système de gestion des terres issu du Moyen-Âge. Ils ont rapidement balayé les droits, les corvées et les dîmes qui, pendant des siècles, avaient lié la paysannerie aux seigneurs et au clergé.</p>
<p>Mais comme l’a montré l’historien Rafe Blaufarb, les gouvernements successifs n’ont pas su régler le problème le plus épineux : la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9780230236738_8">conversion des biens féodaux en propriété au sens moderne</a>.</p>
<p>Le code civil des Français de 1804 a facilité ce processus en instituant un système transparent de droit de la propriété et de la famille.</p>
<p>Mais Napoléon ne s’est pas arrêté là. Ses <a href="https://archive.org/details/napoleonhiscolla0000wolo">infatigables collaborateurs</a> ont élaboré divers codes complémentaires — commercial, pénal, rural et <a href="https://www.napoleon-series.org/military-info/organization/France/Miscellaneous/c_FrenchMilitaryCode.html">militaire</a>. Ensemble, ils ont assaini le marécage des privilèges féodaux, des ordonnances royales de l’Ancien Régime, ainsi que des lois romaines, coutumières et canoniques.</p>
<h2>Vocation didactique du nouveau droit</h2>
<p>Ce Code napoléonien était le projet des Lumières par excellence : à la fois nécessité pratique et outil de consolidations des réformes révolutionnaires.</p>
<p>Sa prose directe et son organisation rationnelle avaient également valeur didactique. Il informait le citoyen des <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/bicentenaire-du-code-civil/code-civil-6.html">« principes de sa conduite »</a> et réconciliait une population divisée avec l’idée de son égalité devant la loi.</p>
<p>Dans le contexte d’un empire en croissance, le zèle de Napoléon pour la normalisation anticipait bon nombre des <a href="https://www.thenation.com/article/archive/enlightened-elitist-undemocratic/">objectifs politiques et économiques</a> de la future <a href="https://www.justice.gouv.fr/actualites/espace-presse/archives-code-civil-leurope-influences-modernite">Union européenne</a>. Il envisageait déjà « une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois », relate <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109845d/f279.image.r=216">Joseph Fouché dans ses mémoires</a>.</p>
<h2>Détournement et trahison</h2>
<p>Si Napoléon a exporté un cadre juridique égalitaire en Europe, il l’a trop souvent imposé par les armes.</p>
<p>L’homme qui a transformé la Première République française durement gagnée en un <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/3424/">« État policier »</a> n’a pas livré « les Lumières à cheval », contrairement à ce que <a href="https://www.andrew-roberts.net/books/napoleon-a-life/">prétendent</a> ses <a href="https://www.napoleon.org/en/history-of-the-two-empires/articles/napoleon-hegelian-hero/">admirateurs</a>.</p>
<p>Tout en défendant la <a href="https://revolution.chnm.org/exhibits/show/liberty--equality--fraternity/item/277">liberté de conscience</a>, la souveraineté nationale et le gouvernement représentatif, Napoléon a emprisonné un pape, truqué des plébiscites, rétabli la monarchie héréditaire et plongé l’Europe dans un état de guerre permanente.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme portant un chapeau bicorne et un manteau bleu à simple boutonnage avec des détails dorés devant un paysage désertique" src="https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Napoléon — incarné par Joaquin Phoenix dans le film éponyme — et ses collaborateurs ont remplacé l’Ancien Régime par de nouveaux codes commerciaux, pénaux, ruraux et militaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Apple TV+)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malgré ses mérites, le Code civil annulait plusieurs acquis révolutionnaires pour les travailleurs et les <a href="https://officedelaportedemars-reims.notaires.fr/article-le-statut-de-la-femme-dans-le-code-civil-de-1804-a-nos-jours-6.html">femmes</a>. Une femme adultère risquait la maison de correction, alors que son mari infidèle se voyait simplement interdit de recevoir sa concubine au domicile conjugal.</p>
<p>La <a href="https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/40099">liberté d’expression</a> s’est trouvée compromise par la conviction de Napoléon qu’une presse libre contrôlée par le gouvernement peut devenir un allié solide. Ses agents réprimaient toute dissidence par la détention préventive, l’exil et la censure.</p>
<p>Ridley Scott se contente de faire défiler en silence des personnages de première importance. <a href="https://fr.linkedin.com/pulse/cambac%C3%A9r%C3%A8s-et-napol%C3%A9on-moins-quun-num%C3%A9ro-un-plus-deux-thierry-lentz">Comme son numéro deux</a>, l’archichancelier Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, qui a rédigé le code civil. Ou son Ministre de la police, Joseph Fouché, qui supervisait les opérations de surveillance.</p>
<h2>Tentative de rétablissement de l’esclavage</h2>
<p>Le film passe également sous silence sa violation la plus flagrante des valeurs révolutionnaires : <a href="https://theconversation.com/the-napoleon-that-ridley-scott-and-hollywood-wont-let-you-see-218878">sa tentative de rétablir l’esclavage dans les Antilles en 1802</a>.</p>
<p>Cet épisode inclut la trahison de Toussaint Louverture, figure de proue de la Révolution haïtienne, et <a href="https://www.cairn.info/revue-africultures-2005-3-page-88.htm">personnage tout aussi digne d’une superproduction hollywoodienne par son importance et sa complexité</a>.</p>
<p>Cette violence <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00313220500106196">génocidaire</a> a eu son prix : la France y a perdu non seulement <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/20/world/americas/haiti-aristide-reparations-france.html">plus de soldats qu’à Waterloo</a>, mais sa colonie la plus rentable et sa stature morale.</p>
<p>Et la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1953/10/17/les-etats-unis-achetaient-il-y-a-cent-cinquante-ans-a-la-france-une-louisiane-vingt-fois-plus-etendue-que-la-louisiane-actuelle_1985193_1819218.html">vente de la Louisiane</a> viendra anéantir son rêve d’empire nord-américain.</p>
<h2>Un héritage mondial</h2>
<p>Ridley Scott saisit bien les angoisses d’un despote exilé sur <a href="https://www.geo.fr/histoire/pourquoi-napoleon-exile-sainte-helene-204106">l’île Sainte-Hélène</a>, privé d’autorité, mais toujours orgueilleux et incapable d’admettre ses erreurs et ses crimes.</p>
<p>Ce que le film ne montre pas, cependant, c’est la lucidité de Napoléon quant à son héritage le plus durable.</p>
<p>« <a href="https://www.geo.fr/histoire/code-civil-histoire-du-chef-doeuvre-de-napoleon-204373">Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil !</a> », souffle-t-il au général Charles-Tristan Montholon, son compagnon d’exil.</p>
<p>La chose est avérée, même au-delà des pays occupés ou colonisés par la France. Le Japon de l’ère Meiji et l’Iran prérévolutionnaire ont utilisé le modèle napoléonien pour codifier leurs lois. Des versions du code sont encore en vigueur dans de <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/bicentenaire-du-code-civil/bicentenaire-du-code-civil-la-diffusion-a-letranger.html">nombreux pays aujourd’hui</a>.</p>
<p>Si les tactiques napoléoniennes ont échoué à Trafalgar, Vertières et Waterloo, le Code civil s’est révélé invincible.</p>
<p>Malheureusement, les subtilités juridiques ne font pas <a href="https://bigthink.com/high-culture/napoleon-ridley-scott/">« du bon cinéma »</a>, comme le déclarait <a href="https://www.bloomsbury.com/ca/europe-under-napoleon-9781350157675/">l’historien Michael Broers</a>, qui a conseillé Ridley Scott.</p>
<p>Pourtant cela s’est vu, dans la comédie musicale <a href="https://www.stlouisfed.org/on-the-economy/2020/november/unleasing-hamilton-financial-revolution">Hamilton</a> ou la minisérie <a href="https://www.imdb.com/title/tt0472027/">John Adams</a>, qui placent les subtilités légales au centre de l’intrigue. Peut-être Ridley Scott osera-t-il défier les attentes avec la <a href="https://www.ecranlarge.com/films/news/1496691-napoleon-ou-est-version-longue-ridley-scott-sortie-apple">« version longue »</a>, attendue ce printemps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221000/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kelly Summers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En mettant l’accent sur les triomphes tactiques, les erreurs de calcul et les frasques sexuelles de Napoléon, Ridley Scott néglige l’héritage paradoxal qu’il a laissé en tant que législateur.
Kelly Summers, Assistant Professor of History, Department of Humanities, MacEwan University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/220678
2024-01-14T16:24:58Z
2024-01-14T16:24:58Z
Armée de l’air et de l’espace : l’exigeant défi du recrutement des pilotes de combat
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568173/original/file-20240108-25-ah743g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C12%2C1983%2C1168&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les forces aériennes françaises comptent aujourd’hui de plus de 40&nbsp;000 aviateurs.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/falcon_33/48712907897">Falcon Photography/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dotée de <a href="https://air.defense.gouv.fr/fiche/chiffres_cles">plus de 40 000 aviateurs</a> employés dans une quarantaine de métiers, l’<a href="https://www.defense.gouv.fr/air">armée de l’air et de l’espace</a> (AAE) a pour raison d’être l’action dans la troisième dimension, ce qui repose en très grande partie sur les opérations aériennes dont les figures les plus emblématiques sont les pilotes de combat. Chaque année, l’AAE recrute en moyenne 120 pilotes : 70 <a href="https://devenir-aviateur.fr/devenir/nos-metiers/pilote-de-chasse">officiers sous contrat</a> (OSC ; niveau bac) et 50 <a href="https://www.ecole-air-espace.fr/devenir-officier/les-concours/">officiers de carrière</a> sur concours (École de l’Air et de l’Espace ; niveaux bac+2 à bac+5 en fonction de la filière). Lors de ce processus, il s’agit de détecter les candidats qui auront la probabilité la plus forte de réussir une longue et exigeante formation.</p>
<p>Ce choix se fait à travers une <a href="https://devenir-aviateur.fr/les-tests-devaluation-pour-les-pilotes-et-les-navigateurs-officiers-systemes-darmes">procédure de sélection</a> scientifique rigoureuse constituée de différentes épreuves élaborées par l’équipe de psychologues et d’informaticiens du Centre d’études et de recherches psychologiques Air (CERP’Air). En effet, les pilotes de l’AAE ne sont pas seulement sélectionnés pour leurs aptitudes à piloter. Leurs capacités de résilience, c’est-à-dire leurs capacités à surmonter les difficultés, ainsi que leur motivation militaire sont fondamentales.</p>
<h2>Compétences non techniques</h2>
<p>Les qualités recherchées, que l’on retrouve également au sein de l’US Air Force ou de la Royal Air Force britannique, relèvent de deux grands domaines : la sphère cognitive et psychomotrice ; et la <a href="https://www.cairn.info/l-orientation-scolaire-et-professionnelle--9782804705893-page-215.htm">sphère conative</a>, composée des « soft skills » et de la motivation.</p>
<p>Dans la sphère cognitive et psychomotrice, les aptitudes montrant les <a href="https://apps.dtic.mil/sti/citations/ADA546965">plus fortes corrélations avec les performances</a> en formation en vol sont l’orientation spatiale, la vitesse perceptive, le raisonnement arithmétique, la répartition de l’attention, l’attention sélective, le contrôle précis des mouvements et la coordination des mouvements des membres.</p>
<p>La forte validité prédictive de ces différentes aptitudes reflète certes le caractère technique du métier de pilote militaire mais ne doit pas occulter l’importance de la sphère conative. En effet, le pilote de combat évolue dans un milieu où la cohésion de l’équipe de travail est capitale. De plus, l’élève pilote doit affronter une formation longue et complexe tout en subissant nombre de contraintes stressantes.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Par ailleurs, une fois les compétences de pilotage maîtrisées, les différences de performances entre les individus s’expliquent par les compétences non techniques dont le rôle est d’importance pour garantir des opérations aériennes sûres et efficaces. Ainsi, de récentes études ont mis en évidence la plus-value de caractéristiques individuelles telles que les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10508414.2014.860843">compétences sociales</a>, les <a href="https://psycnet.apa.org/record/2013-20246-004">connaissances sur le métier</a> ou certains traits de <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-27938-007">personnalité</a>. Par exemple, les individus extravertis et émotionnellement stables résistent mieux au stress de la formation aéronautique.</p>
<p>Plus propre au domaine militaire, le rôle de ressources personnelles telles que le <a href="https://theses.fr/2020TOUR2011">capital psychologique</a> ou la <a href="https://www.pnas.org/doi/abs/10.1073/pnas.1910510116">« niaque »</a> (<em>grit</em> en anglais) accroissent la résilience de ces professionnels soumis à des environnements incertains et parfois dangereux.</p>
<h2>15 à 20 % de réussite</h2>
<p>Le besoin de faire passer un grand nombre d’épreuves à un flux conséquent de candidats a conduit à l’adoption d’une <a href="https://devenir-aviateur.fr/les-tests-devaluation-pour-les-pilotes-et-les-navigateurs-officiers-systemes-darmes">procédure en trois étapes</a> sélectives. Toutes les ressources humaines et techniques nécessaires à l’évaluation des candidats sont concentrées sur la base aérienne 705 de Tours-Cinq-Mars-La-Pile (Indre-et-Loire). Notons qu’à l’instar de toute candidate ou tout candidat postulant à une spécialité de l’AAE, un passage dans un Centre régional de recrutement Air permettra de s’assurer que les personnes ne présentent pas de contre-indication majeure (santé, niveau d’anglais, etc.).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Avion militaire au décollage" src="https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568171/original/file-20240108-25-3ytca0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les individus extravertis et émotionnellement stables résistent mieux au stress de la formation aéronautique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/joseluiscel/53166589587/">José Luis Celada Euba/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, la première étape de la sélection consiste à évaluer le potentiel cognitif des candidats tandis que la deuxième est axée sur les aptitudes psychomotrices. Environ 25 % des personnes accèdent à la troisième et dernière étape dont l’objectif est de mesurer les « soft skills » et la motivation.</p>
<p>Ces qualités sont mesurées à l’aide d’une épreuve de résolution de problème en groupe et de deux entretiens individuels (un avec un psychologue du CERP’Air et un avec un binôme de personnel navigant formé à la conduite d’entretiens). Cette dernière étape n’est pas éliminatoire et peut être repassée sur décision de la commission de recrutement, tout candidat pouvant toujours améliorer, au prix d’un travail sur soi, son projet professionnel ou ses connaissances sur le métier.</p>
<p>En revanche, les deux premières étapes ne peuvent être repassées pour éviter des biais d’évaluation tels qu’un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1468-2389.2011.00530.x">effet de familiarité ou la mémorisation de questions</a>. Au final, 15 à 20 % des candidats auront le privilège de s’asseoir dans le cockpit d’un appareil de l’AAE.</p>
<h2>Des processus en mutation</h2>
<p>L’aviation a connu un essor technologique fulgurant et bien que les aptitudes de base du pilote n’aient évolué qu’à la marge, les techniques de recrutement des pilotes sont actuellement en pleine mutation avec l’arrivée de la digitalisation et de l’intelligence artificielle.</p>
<p>L’actuelle procédure de sélection des pilotes de l’AAE avait déjà fait l’objet d’une refonte en mai 2018 à la suite de différents <a href="https://psycnet.apa.org/record/2023-72916-003">travaux de recherche</a> intégrant l’avis des experts métiers comme les pilotes qualifiés. Cependant, la prise en compte de l’humain et le respect du règlement général sur la protection des données viennent aujourd’hui modérer une tendance à la disruption.</p>
<p>L’objectif d’une sélection de pilotes militaires est néanmoins de rester efficace et évolutive tout en tirant le meilleur parti de tous les outils et méthodes existant ou à venir. Aussi le CERP’Air met régulièrement à jour ses épreuves afin de suivre les évolutions techniques requérant de nouvelles compétences telles que la prise en compte d’un nombre de données tactiques en accroissement constant du fait de l’interconnexion des matériels (avions, drones, radars, etc.).</p>
<p>En définitive, cette procédure de sélection exigeante et complexe reste nécessaire à l’AAE pour pourvoir les forces aériennes en personnel fiable et compétent. Cette étape permet également de réduire drastiquement les lourdes déconvenues personnelles générées par un arrêt de la progression une fois en poste. Bien que rare, cet événement peut être traumatisant pour l’apprenti ou l’apprentie pilote qui voit alors son rêve prendre fin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Le processus d’embauche des pilotes de combat se fonde sur des compétences qui dépassent largement les aptitudes au pilotage.
Frédéric Choisay, Docteur en psychologie du travail, EE 1901 QualiPsy, Université de Tours
Evelyne Fouquereau, Professeure des Universités en Psychologie du travail, Directrice EE 1901 QualiPsy, Université de Tours
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/215429
2023-10-12T00:31:45Z
2023-10-12T00:31:45Z
Quel droit international dans le conflit israélo-palestinien ?
<p>Poser un regard sur le conflit israélo-palestinien n’est jamais chose aisée. Les déclarations qui se multiplient démontrent qu’il est toutefois nécessaire de revenir sur quelques aspects liés à l’appréciation juridique de la situation. </p>
<p>Car, si la solution à tout conflit est politique, il n’en demeure pas moins que tout conflit armé est couvert par une branche spécifique du droit international, le droit des conflits armés, également appelé droit international humanitaire. </p>
<p>Bien que parfois perçue comme manquant d’effectivité, il ne faut pas perdre de vue <a href="https://aoc.media/analyse/2022/03/10/les-conflits-armes-une-zone-de-non-droit/">que son application, même minimale</a>, permet que soient épargnées les personnes civiles.</p>
<p>Professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et directrice scientifique de l’<a href="https://www.irsem.fr">Institut de recherche stratégique de l’École militaire</a> (un centre de recherche interdisciplinaire en études sur les conflits et la paix situé à Paris), je suis spécialisée en droit international humanitaire et membre du <a href="https://www.crdh.fr">Centre de Recherche sur les Droits de l’Homme et le Droit humanitaire</a>.</p>
<h2>Qualifier le conflit</h2>
<p>En droit international humanitaire, l’étape préalable à toute analyse juridique est la qualification de la situation. En l’occurrence, celle-ci donne lieu à <a href="https://lieber.westpoint.edu/legal-context-operations-al-aqsa-flood-swords-of-iron/">débat</a>. </p>
<p>Deux qualifications pourraient être retenues : conflit armé non international, entre un groupe armé, le Hamas, et un État, Israël, ou conflit armé international, en raison de la situation d’occupation qui prévaut dans les territoires palestiniens depuis la guerre des Six Jours de 1967. </p>
<p>En 2012, <a href="https://access.archive-ouverte.unige.ch/access/metadata/3819f7ae-9778-49d4-8415-0563efb64f10/download">j’ai défendu la thèse que malgré le retrait unilatéral des troupes israéliennes de la bande de Gaza, ce territoire demeurait sous occupation israélienne</a>. En effet, alors qu’en 2004 la <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/131/131-20040709-ADV-01-00-FR.pdf">Cour internationale de justice</a> estimait qu’Israël était redevable de l’application du droit international humanitaire et du droit international des droits humains en raison de sa qualité de puissance occupante sur ce territoire, Israël a décidé unilatéralement de retirer ses troupes de Gaza en 2005, prétendant ainsi se dégager de ses obligations. </p>
<p>Je considère que si pour qu’une situation d’occupation soit caractérisée, et donc qu’une puissance établisse son autorité sur un territoire, il est nécessaire d’y déployer ses forces armées, leur retrait ne signifie pas ipso facto la fin de l’occupation, dès lors que cet État continue d’en contrôler les frontières terrestres, maritimes et aériennes, de délivrer les passeports à sa population ou encore d’y avoir sa monnaie en circulation. Le fait qu’Israël puisse décider de <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20231007-isra%C3%ABl-ordonne-de-couper-la-fourniture-d-%C3%A9lectricit%C3%A9-%C3%A0-gaza">couper complètement l’électricité</a> sur le territoire de Gaza ne fait que le confirmer. </p>
<p>Depuis 2005, les heurts et les affrontements entre le Hamas et Israël ont régulièrement ressurgi. Que ceux-ci aient pris l’ampleur que révèlent les événements survenus depuis samedi 7 octobre n’est pas de nature à faire varier cette analyse de la qualification. </p>
<h2>Mais au fond, quelle différence cela fait-il ?</h2>
<p>Aucune.</p>
<p>Quelle que soit la qualification du conflit, il va sans dire que <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule1">prendre délibérément des civils pour cible</a>, faire des <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule96">otages</a> – et que dire de la <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule89">décapitation d’enfants</a> – est rigoureusement interdit. Plus encore, lorsque ces actes s’inscrivent dans un phénomène de violence dont le but principal est de <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule2">répandre la terreur parmi la population civile</a>.</p>
<p>De même, quelle que soit la qualification du conflit, il est difficile d’envisager comment <a href="https://www.ledevoir.com/monde/moyen-orient/799648/siege-total-gaza-est-interdit-droit-international-humanitaire-rappelle-onu?">déclarer un « siège total » de la bande de Gaza</a> pourrait être conforme au droit international humanitaire. Le « siège » n’est pas une notion qui se trouve in extenso exprimée comme telle en droit international humanitaire. Il s’agit d’une pratique qui consiste à restreindre tout mouvement, d’individus comme de biens, dans une zone spécifique, dans le but de contraindre les forces ennemies à cesser le combat. </p>
<p>Si le siège n’est pas interdit en tant que tel, les effets qu’il produit, en revanche, conduisent inévitablement à des violations du droit international humanitaire. À titre d’exemple, ne plus permettre l’acheminement en denrées alimentaires ou empêcher l’approvisionnement en eau peut conduire à la famine de la population qui se trouve sur ce territoire. Or la <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule53">famine comme méthode de guerre est interdite</a>. De même, restreindre ou empêcher la circulation des personnes conduit à ce que les personnels humanitaires ne puissent pas mener leurs activités de secours dans la zone assiégée. Tout au contraire, les organismes humanitaires doivent être autorisés à délivrer leur aide à la population civile et les parties au conflit doivent même <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule55">« faciliter leur passage »</a>.</p>
<p>Le déchaînement de violence à l’œuvre, las actes posés en tout premier lieu comme la réponse qui y est apportée, conduit inévitablement à des violations massives du droit international humanitaire et donc à des <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/customary-ihl/v1/rule156">crimes de guerre</a>. </p>
<p>La question peut dès lors légitimement se poser de l’effectivité de ce droit. Toutefois, si, comme a pu le dire <a href="https://msf-crash.org/fr/rony-brauman">Rony Brauman</a> de Médecins sans frontières, « promouvoir le droit international humanitaire, c’est promouvoir la guerre » (ce qui en soi mérite une conversation), promouvoir le respect du droit international humanitaire dans une situation comme celle qui prévaut en Israël et à Gaza, qui quelle que soit sa nature est sans aucun doute un conflit armé, ne saurait nuire. Au contraire, abandonner la poursuite du respect du droit international humanitaire, même ainsi malmené, ne peut que conduire à davantage de chaos.</p>
<p>À cet égard, il convient de rappeler que les États tiers, c’est-à-dire les États qui ne sont pas parties à ce conflit armé, ont l’obligation de <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gci-1949/article-1?activeTab=1949GCs-APs-and-commentaries">« faire respecter le droit international humanitaire »</a>. Cela signifie que dans toutes ses interactions avec les parties au conflit, le Canada, comme tout autre État du monde, a le devoir de leur rappeler leurs obligations aux termes du droit international humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215429/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julia Grignon est membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, présidente de la Sous-Commission droit international humanitaire et action humanitaire. Elle est également directrice de développement du partenariat Osons le DIH! pour la promotion et le développement du droit international humanitaire, financé par le Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada.</span></em></p>
Le déchaînement de violence à l’œuvre au Proche-Orient, las actes posés en tout premier lieu comme la réponse qui y est apportée, conduit inévitablement à des crimes de guerre.
Julia Grignon, Professeure en droit international humanitaire, Université Laval
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/214417
2023-10-05T17:48:47Z
2023-10-05T17:48:47Z
Le soldat, la forêt, le climat
<p>Quelle est aujourd’hui la plus grande menace qui pèse sur nos sociétés ? Quel spectre, pour reprendre le célèbre incipit du <em>Manifeste du parti communiste</em>, hante l’Europe ? Reflet de la complexité de notre époque, les réponses à cette question peuvent être diamétralement opposées. Pour les uns, la guerre en Ukraine impose un agenda sécuritaire : c’est l’effort de défense qui doit être privilégié. Pour les autres, le risque climatique est le vrai sujet : hors la transition énergétique, point de salut.</p>
<p>La récente <a href="https://www.ifri.org/fr/debats/lagenda-global-coeur-de-laction-exterieure">intervention d’Emmanuel Bonne à l’IFRI</a>, lundi 18 septembre, a de ce point de vue surpris les organisateurs : au lieu d’insister sur les défis géopolitiques, les questions militaires et de sécurité, de parler de la <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">reprise du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan</a>, de la contre-offensive ukrainienne, des ambitions de la Chine sur Taïwan ou encore de la remise en question de la politique française au Sahel, le conseiller diplomatique du président Macron (et sherpa du <a href="https://theconversation.com/la-diplomatie-des-sommets-est-elle-utile-206718">G7/G20</a>) a consacré la quasi-totalité de son intervention aux enjeux climatiques.</p>
<h2>Des partenariats autour de l’environnement</h2>
<p>Revenant du <a href="https://www.g20.org/fr/g20-india-2023/new-delhi-summit/">G20 de Delhi</a>, et peut-être soucieux de valoriser l’action de la France dans ce format, il a qualifié la réunion de « succès », alors que de nombreux commentateurs ont vu dans <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/lunion-africaine-desormais-membre-permanent-du-g20-1976732">l’absence de condamnation explicite de la guerre en Ukraine</a> un recul par rapport au <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221116-sommet-du-g20-des-n%C3%A9gociations-tr%C3%A8s-dures-mais-une-d%C3%A9claration-adopt%C3%A9e-%C3%A0-l-unanimit%C3%A9">sommet de Bali</a> (novembre 2022), et un signe de l’effacement de l’influence occidentale. Pour Emmanuel Bonne, le G20 avait au contraire permis de sauver l’essentiel, à savoir maintenir le consensus avec les pays du Sud, représentants de la plus grande partie de l’humanité, en vue de la prochaine <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/climat-une-cop28-a-dubai-deja-sulfureuse_5815973.html">COP28 de Dubaï</a> (du 30 novembre au 12 décembre 2023).</p>
<p>La France, qu’il a présentée comme une « puissance partenariale » (après que le président Macron a parlé, lui, de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/25/la-puissance-d-equilibre-s-ou-l-entre-deux-diplomatique-a-la-francaise_6159187_3232.html">« puissance d’équilibres »</a>, avec un « s » final très discuté), a selon lui joué un rôle majeur dans ce consensus à travers sa diplomatie des sommets : participation au <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/afrique/evenements/article/sommet-union-europeenne-union-africaine-refonder-un-partenariat-privilegie-17">sommet UE-Union africaine</a> (février 2022) à Bruxelles, co-organisation du <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/climat-et-environnement/la-lutte-contre-les-changements-climatiques/le-mouvement-one-planet/article/one-forest-summit-la-protection-et-la-gestion-durable-des-bassins-forestiers"><em>One Forest Summit</em> au Gabon</a> (mars 2023), nation hôte du <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sommet-nouveau-pacte-financier#:%7E:text=Organis%C3%A9%20par%20la%20France%2C%20le,ensemble%20dans%20les%20prochaines%20ann%C3%A9es.">Sommet pour un nouveau pacte financier mondial</a> à Paris (juin 2023). La logique serait de lier développement et écologie à travers le <a href="https://nouveaupactefinancier.org/pdf/pacte-de-paris-pour-les-peuples-et-la-planete.pdf">Pacte de Paris pour la planète et les populations</a> (4P).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1700099423294861786"}"></div></p>
<p>Concrètement, la négociation porte sur la mise en œuvre des <a href="https://www.un.org/fr/exhibit/odd-17-objectifs-pour-transformer-notre-monde#">objectifs du développement durable fixés par l’ONU</a> et qui doivent être atteints en 2030, mais également, et surtout, l’application de <a href="https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris">l’Accord de Paris de 2015</a> visant à endiguer le changement climatique.</p>
<p>Parmi les outils utilisés, la discussion avec le <em>Global South</em> débouche sur la signature d’accords, les JETP (<a href="https://www.elysee.fr/en/emmanuel-macron/2023/06/22/launch-of-a-just-energy-transition-partnership"><em>Just Energy Transition Partnership</em></a>), par lesquels les pays du Nord financent la transition énergétique des pays du Sud et la protection de leur environnement. L’un a été signé <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/11/07/cop27-l-afrique-du-sud-terrain-d-experimentation-d-une-transition-energetique-juste_6148798_3212.html">avec l’Afrique du Sud</a> (8,5 milliards de dollars) pour qu’elle réduise la dépendance, à 85 %, de son électricité au charbon), un autre <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/senegal/evenements/article/le-senegal-et-les-partenaires-internationaux-annoncent-un-partenariat-de">avec le Sénégal</a> (2,5 milliards de dollars).</p>
<h2>Une convergence entre action militaire et protection de l’environnement ?</h2>
<p>Est-ce à dire que, dans le débat mondial sur les menaces prioritaires, la France a choisi son camp, donnant la priorité à l’écologie au détriment de la défense ?</p>
<p>En réalité, dans la logique du « en même temps » chère à Emmanuel Macron, on pourrait argumenter que les deux sont intimement liés. Que le soldat n’est pas si loin du climat. Bien sûr, on connaît les liens qui existent entre le fait militaire et l’environnement. L’école française de géographie est <a href="https://www.cairn.info/la-geographie-reine-des-batailles--9782262082963-page-13.htm">née des observations cartographiques d’officiers</a> au lendemain de la défaite de 1870.</p>
<p>Pas d’opérations armées sans une connaissance étroite du terrain, de la géographie et du climat. La prise en compte des enjeux climatiques est aujourd’hui une réalité, qu’il s’agisse de la déstabilisation de certaines zones (stress hydrique au Sahel), de l’effort de sécurité civile sur le territoire national, de la recherche d’une plus grande sobriété énergétique des infrastructures et des équipements (source d’économies), ou encore de la protection de la biodiversité dans des camps d’entraînement possédant de vastes espaces naturels (le ministère des Armées est le premier propriétaire foncier de l’État).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/l7dP_nR0YUY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Mais, dans le « Grand Jeu » mondial de lutte contre le changement climatique, la contribution écologique des appareils de défense est avant tout partenariale. Ainsi la France, puissance d’influence dans les questions environnementales, rejoint la France puissance militaire, membre permanent du Conseil de sécurité. Outre son <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/forces-prepositionnees/forces-souverainete/forces-armees-guyane">action en Guyane</a>, l’armée française est en effet présente dans des pays qui sont au cœur du défi climatique et visés par les JETP (Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon, Tchad). Le Gabon en particulier possède une vaste forêt (88 % de son territoire) qui est un puits de carbone mondial (deuxième forêt tropicale, « poumon de la Terre », après l’Amazonie).</p>
<p>Depuis les <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">coups d’État qui ont déstabilisé le Mali, le Burkina Faso puis le Niger</a>, une réflexion est engagée sur le devenir de notre présence africaine. Faut-il conserver nos bases de Dakar, d’Abidjan, de Libreville, de N’Djamena ou de Djibouti ? En 2007 déjà, sous le mandat du président Sarkozy, l’idée de fermer certaines d’entre elles (presque toutes sauf Djibouti) avait germé, mais la crise ivoirienne, avec le déploiement de l’opération Licorne, a finalement maintenu l’existant avant que l’émergence du risque djihadiste au Sahel ne relance le cycle des interventions (opération Serval en 2013, Barkhane en 2014).</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Aujourd’hui, alors que ces interventions touchent à leur fin et qu’une réflexion existe sur l’avenir de nos déploiements militaires, c’est peut-être l’enjeu climatique qu’il faut considérer avant toute évolution de notre dispositif. Les armées françaises, à travers leurs emprises permanentes, offrent aux États africains une vaste palette de coopération. Parmi ces partenariats avec les États du Sud (sous forme de formations, de dons de matériels, de patrouilles communes), l’un consiste à aider le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Gabon à mieux contrôler leur espace naturel, en particulier les zones forestières.</p>
<h2>L’enjeu de la protection des forêts</h2>
<p>Or, l’enjeu est considérable car l’un des défis à relever pour ralentir le changement en cours consiste à protéger les vastes puits de carbone du Sud. Alors que, du fait de la déforestation, les forêts d’Asie du Sud-Est émettent plus de CO<sub>2</sub> qu’elles n’en absorbent, que l’Amazonie est soumise à une forte pression agricole (un peu atténuée depuis le retour aux affaires de Lula), les forêts d’Afrique centrale permettent l’absorption d’une grande quantité de carbone (le stock serait équivalent à six ans d’émissions de GES).</p>
<p>On voit toute l’importance d’une meilleure lutte contre la déforestation et le braconnage, permettant à la fois l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris et la protection de la biodiversité (le Gabon possède encore 60 % des éléphants africains, même si leur population se réduit rapidement). Or, peu formées, mal équipées, les forces africaines peinent à combattre les réseaux criminels, souvent tournés vers le marché asiatique. En 2011, Libreville avait ainsi créé une <a href="https://www.jeuneafrique.com/191538/societe/gabon-une-brigade-d-lite-pour-la-jungle/">« brigade de la jungle »</a> pour surveiller ses 13 parcs nationaux.</p>
<p>L’appui fourni par les forces françaises, respectueux des souverainetés, est en outre différent de celui prêté par le secteur privé, qui joue un rôle majeur dans le financement de la protection des parcs naturels (paiement des éco-gardes), non sans susciter de vives controverses. Guillaume Blanc, dans <a href="https://journals.openedition.org/lectures/49875"><em>L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain</em></a> (2020) a précisément pointé du doigt cette privatisation de cette protection de l’environnement par des grandes associations du Nord comme le WWF.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-colonialisme-vert-une-verite-qui-derange-146966">Débat : Colonialisme vert, une vérité qui dérange</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il peut donc paraître paradoxal de vouloir faire évoluer notre empreinte africaine au moment où les enjeux climatiques n’ont jamais été aussi forts. Sans doute la « guerre contre le terrorisme » n’a pas emporté le succès attendu. Le départ des troupes françaises ne fait d’ailleurs pas disparaître le risque djihadiste, désormais sous-traité par certains États africains aux mercenaires de Wagner. Mais il est douteux que ces derniers deviennent partenaires des États du Sud dans la protection de l’environnement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Lagane travaille au Ministère des Armées.</span></em></p>
Faut-il nécessairement choisir entre ces deux priorités que sont, d’une part, l’armée et l’industrie de défense et, d’autre part, la protection du climat ?
Guillaume Lagane, Maître de conférences, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/214291
2023-09-28T19:13:50Z
2023-09-28T19:13:50Z
Se réorganiser dans un contexte extrême : les leçons des forces spéciales américaines
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550002/original/file-20230925-27-g4bkc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C27%2C979%2C637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Intervenant aux côtés de l’armée conventionnelle, environ 3500 hommes des forces spéciales opéraient en Irak en 2004.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/us-army-usa-special-forces-armed-with-colt-556-mm-m16a2-assault-rifles-scan-7da4d8">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2004, l’Irak est une poudrière. Un an après l’invasion américaine qui renversa le régime de Saddam Hussein, la guerre est gagnée sur le terrain mais la paix se révèle amère. La rébellion des populations, l’influence d’Al-Qaida ou encore les réseaux mafieux entraînent chaque jour un peu plus le pays vers le chaos. Dès le début de cette période d’instabilité croissante, et aux côtés des forces conventionnelles, les forces spéciales américaines – environ 3,500 hommes regroupés au sein de la Task Force 714 (TF714) – vont se trouver à la pointe de la lutte contre ces réseaux.</p>
<p>Face à une issue du conflit plus qu’incertaine, le général Stanley McChrystal, à la tête de la TF714, va dans un premier temps solliciter davantage les hommes et les machines pour passer d’une dizaine à une vingtaine de raids par mois. Toujours à la pointe du dispositif, ces raids atteignent les têtes pensantes et les lieutenants des réseaux terroristes avec l’objectif de dégrader les structures hiérarchiques de l’ennemi et le désorganiser. C’est une véritable performance organisationnelle. Et pourtant, rien n’y fait : la violence augmente, la vitesse de récupération des insurgés surprend, les infiltrations de fedayin s’intensifient et les autorités locales sont débordées.</p>
<p>Devant ce constat, qui mettra deux ans à se cristalliser dans les esprits des dirigeants, McChrystal va poser une vision qui découle de la conviction longuement murie selon laquelle <a href="https://www.amazon.com/Share-Task-General-Stanley-McChrystal/dp/1591844754/ref=sr_1_4?crid=23PRC3ZI09DFS&keywords=stanley+mcchrystal&qid=1695132444&s=books&sprefix=stanley+mcchrystal%2Cstripbooks-intl-ship%2C251&sr=1-4">il faut soi-même fonctionner en réseau pour battre un réseau</a>. C’est en effet la première fois dans l’histoire qu’une insurrection capitalise sur le numérique. Pour s’organiser, les insurgés et les terroristes internationaux laissent de côté la structure hiérarchique traditionnelle pour lui préférer le réseau. Dans ce réseau, les liens sont souples et changeants, la prise de décision et l’action sont décentralisées, les sources de financement sont multiples et la communication s’effectue à la vitesse de la bande passante.</p>
<h2>De 20 à 300 raids par mois</h2>
<p>Pour espérer prendre de vitesse l’adversaire, les forces spéciales doivent donc radicalement changer leur façon de s’organiser. Or, l’armée américaine doit son existence juridique à une loi du Congrès : ses missions, son organigramme, son recrutement, et son financement dépendent tous du droit américain. Changer la structure de TF714 n’est donc pas une option pour le Général McChrystal. Quand bien même le Congrès accepterait de revisiter l’organisation de l’armée, le temps nécessaire se compterait en années pour qu’une hypothétique loi passe. Impensable.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Les forces d’opérations spéciales irakiennes effectuent un exercice de sauvetage d’otages à Bagdad, en Irak" src="https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les forces d’opérations spéciales irakiennes effectuent un exercice de sauvetage d’otages à Bagdad, en Irak.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Isof-1.jpg">Halasadi/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour accompagner ses forces dans leur mutation, pour que ses unités soient plus rapides, plus agiles et autonomes, fassent circuler librement l’information, <a href="https://www.amazon.com/Transforming-US-Intelligence-Irregular-War/dp/1626167656/ref=sr_1_4?qid=1695132316&refinements=p_27%3ARichard+Shultz&s=books&sr=1-4&text=Richard+Shultz">récoltent et partagent le renseignement</a>, le général n’a qu’un levier de changement : la culture. Autrement dit, c’est en faisant <a href="https://www.amazon.com/Team-Teams-Rules-Engagement-Complex/dp/1591847486/ref=sr_1_1?crid=1RB0A3HDY7858&keywords=teams+of+teams&qid=1695131985&s=books&sprefix=teams+of+team%2Cstripbooks-intl-ship%2C176&sr=1-1">évoluer les relations au sein de la communauté</a> (culture) plutôt qu’en changeant l’organigramme (structure) qu’il sera possible d’imiter les comportements d’un réseau, et peut-être de battre Al-Qaida et les insurgés à leur propre jeu en Irak.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Or, la matrice de l’armée américaine, y compris celle des forces spéciales, est celle du modèle bureaucratique fondé schématiquement sur la hiérarchie, la division du travail, le réductionnisme, la spécialisation, le respect formel de règles écrites, la distinction décision-exécution, le caractère unidirectionnel de l’information qui remonte et celui de la décision qui descend, le tout au service de l’efficience par l’optimisation des moyens.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-renaissance-de-larmee-americaine-apres-la-guerre-du-vietnam-un-cas-decole-pour-toutes-les-organisations-212069">La renaissance de l’armée américaine après la guerre du Vietnam, un cas d’école pour toutes les organisations ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pour fonctionner en réseau, McChrystal va alors pratiquer une autonomisation (empowerment) maximale des unités à l’intérieur de fenêtres de tir étroites de 24 heures. Tous les jours à la même heure, des centaines puis des milliers d’acteurs vont se connecter pour partager le renseignement et revisiter les priorités. Fort de cette information, les unités vont agir en autonomie et mener toutes les actions que la situation sur le terrain exige, selon elles, sans autorisation de la chaîne hiérarchique. En se connectant à d’autres unités voire à d’autres entités à l’intérieur du gouvernement américain (DIA, CIA, FBI…), ces unités vont à la fois alimenter le flux d’information en temps réel et en même temps bénéficier de l’information issue d’autres points de contact, le tout pour agir dans l’instant.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les forces d’opérations spéciales de l’US Air Force et un pilote secouru après une mission de sauvetage réussie" src="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les forces d’opérations spéciales et un pilote secouru après une mission de sauvetage réussie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/us-air-force-usaf-special-operation-forces-sof-personnel-and-a-rescued-us-military-5ce9bf">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour éviter que les cellules autonomes ne transforment l’organisation en anarchie, le temps de décision autonome est court et l’espace de décision est très clair (zones de « no go » etc.). Ce fonctionnement va libérer les énergies et les actions. De 10-20 raids par mois, TF714 va en exécuter près de 300 par mois à partir de 2006, et ce pendant plusieurs années, sans moyens supplémentaires. Étonnamment, non seulement le nombre d’actions entreprises va croître, mais leur qualité également. En témoignent l’exploitation et la dissémination accélérées du renseignement entre les nodules du réseau américain, en temps réel, ce qui enrichit « l’intelligence » distribuée entre les unités et donc leur vitesse et pertinence dans l’action.</p>
<h2>Capacités apprenantes</h2>
<p>Le pilotage de cette transformation illustre les <a href="https://onesearch.wesleyan.edu/discovery/fulldisplay/alma9932145040903768/01CTW_WU:CTWWU">capacités apprenantes de la TF714</a> pourtant sous contraintes extrêmes : </p>
<ul>
<li><p>un leadership qui commence par changer lui-même, en profondeur, puis qui porte avec passion une vision renouvelée en adoptant les comportements qui en découlent (accent sur la qualité de la relation, sur l’importance de la confiance, de l’humilité) ; </p></li>
<li><p>(faire) admettre l’insuffisance d’actions pourtant exécutées à la perfection ; </p></li>
<li><p>tester de nouvelles approches et effectuer une réinitialisation du modèle d’efficacité dans le nouvel environnement en conservant et diffusant les méthodes qui donnent des résultats ; </p></li>
<li><p>ne pas sanctionner les expérimentations qui échouent ou déçoivent, les diffuser pour éviter de les répéter ; </p></li>
<li><p>accepter de constamment faire évoluer ses certitudes et ses schémas mentaux face au réel (« ground truth ») ; </p></li>
<li><p>identifier les forces dans l’organisation et s’en inspirer ; </p></li>
<li><p>repérer les élastiques identitaires qui réactivent les réflexes comportementaux et sont des freins à l’adoption de la nouvelle vision ; </p></li>
<li><p>ou encore, passer du paradigme dans lequel l’information est le pouvoir à celui dans lequel le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9jRkACywckE">partage est le pouvoir</a>.</p></li>
</ul>
<p>Cette transformation organisationnelle, intégralement accomplie sous le feu, <em>in</em> <em>situ</em>, de manière expérimentale et sans toucher à une ligne ou une case de l’organigramme, constitue un cas d’école : il montre en effet que pour se transformer et s’adapter à l’environnement il ne s’agit pas d’écarter les changements structurels de sa boite à outils, mais qu’il s’agit d’y inclure également la culture managériale et le leadership comme puissants adjuvants au service d’une démarche stratégique renouvelée.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/managers-et-si-vous-vous-inspiriez-des-methodes-de-larmee-205888">Managers, et si vous vous inspiriez des méthodes de l’armée ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<img src="https://counter.theconversation.com/content/214291/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Misslin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Dans l’Irak déstabilisé par la chute de Saddam Hussein en 2003, les unités d’élite américaines ont transformé leur culture – sans toucher à l’organigramme – pour tenter de répondre au chaos.
Thomas Misslin, Doctorant, Sciences de Gestion, Dauphine-PSL - Chef de projet, Executive Education, EM Lyon Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/212069
2023-08-31T18:00:05Z
2023-08-31T18:00:05Z
La renaissance de l’armée américaine après la guerre du Vietnam, un cas d’école pour toutes les organisations ?
<p>Un peu oubliée aujourd’hui en Europe, la défaite militaire de l’armée américaine dans la <a href="https://theconversation.com/topics/guerre-du-vietnam-45257">guerre du Vietnam</a> (1955-1975) reste un traumatisme majeur dans la mémoire collective outre-Atlantique. L’évacuation précipitée de l’ambassade à Saigon le 30 avril 1975, marque le rattachement du <a href="https://theconversation.com/topics/vietnam-30356">Vietnam</a> du sud à la République démocratique du Vietnam (nord) sous influence communiste. C’est la fin de 20 ans de présence américaine (plus marquée à partir de 1964) après l’indépendance acquise par l’Indochine, ancienne colonie française.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/topics/armee-21672">forces armées</a> sud-vietnamiennes que les <a href="https://theconversation.com/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a> soutenaient ont été défaites en dépit d’un soutien massif. Au plus fort du conflit, en 1968, ils sont <a href="https://www.herodote.net/La_guerre_du_Vietnam-synthese-1750.php">500 000 soldats américains sur place</a>. Avec près de 2 millions de civils (nord et sud) tués, près d’un et demi-million de soldats nord et sud-vietnamiens, et près de <a href="https://www.histoire-pour-tous.fr/guerres/5625-guerre-du-viet-nam-1959-1975.html">58 000 soldats américains</a> morts au combat, le <a href="https://www.studysmarter.fr/resumes/histoire/bipolarisation/guerre-du-vietnam/">bilan humain</a> est très lourd.</p>
<p>Politiquement, la guerre affaiblit les États-Unis. La société civile, qui un temps a soutenu la politique étrangère, se retourne et manifeste violemment sa désapprobation. Le scandale des <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/01/23/26010-20180123ARTFIG00335-15-juin-1971-l-affaire-des-pentagon-papers-detaillee-dans-le-figaro.php">Pentagon Papers</a>, la révélation en 1971 dans le <a href="http://www.nytimes.com/1971/06/13/archives/vietnam-archive-pentagon-study-traces-3-decades-of-growing-u-s.html"><em>New York Times</em></a> d’un document « ultra secret » retraçant l’origine de l’engagement américain, décrédibilise les institutions. Et le financement de la guerre estimé à USD 1 500 milliards en dollars de 2021 obère la capacité d’action du gouvernement fédéral.</p>
<p>Acteur en première ligne dans ce conflit, l’armée américaine a été profondément bouleversée par cet épisode douloureux. À l’échec militaire, en effet, s’était ajoutée la honte collective de massacres perpétrés contre des civils (Mӯ Lai) et l’ire internationale dans l’utilisation massive d’armes chimiques (agent orange). Seule la conscription permettait encore de « recruter » pour l’armée de terre. Au sein de l’armée américaine au Vietnam, la désobéissance passive s’était développée, les cas d’attaques fratricides de GIs contre leurs propres sous-officiers ou officiers s’étaient multipliés et l’usage de la drogue s’était largement répandu. Tout semblait être acceptable aux soldats pour « fuir » ce conflit qui, les dernières années, était largement perçu comme moralement répréhensible, humainement tragique et militairement sans issue.</p>
<p>À leur retour, beaucoup souffrent du regard porté sur eux par la société et du contraste entre leurs idéaux et les actes auxquels ils ont été contraints. C’est notamment là une partie du sens de la chanson <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-serie-musicale/bruce-springsteen-2946220">« Born in the USA »</a> que sort Bruce Springsteen en 1984, parfois faussement interprété comme un hymne nationaliste.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Sng-H2AqENQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Malgré tout, l’armée a néanmoins su renaître de ses cendres et se relever d’une crise quasi existentielle en utilisant des leviers à portée de main de toute organisation.</p>
<h2>Une cure d’apprentissage intensif</h2>
<p>A la suite d’investissements hasardeux ou d’un retournement brutal de conjoncture, toute entreprise peut traverser une (très) mauvaise passe. Il lui faut alors mobiliser les énergies, les partenaires et les ressources internes au service d’une vision audacieuse pour espérer en sortir. Et d’une certaine façon, c’est à cette jonction que se trouve l’armée américaine au milieu des années 70 : relever la tête ou dépérir (disparaître n’étant pas une option pour l’armée).</p>
<p>La situation de l’armée américaine au sortir du Viêt Nam a de singulier que c’est toute l’institution qui est touchée par la crise morale qu’elle traverse. Pour envoyer <a href="http://www.laguerreduvietnam.com/pages/ordre-de-bataille-1/personnel-militaire-americain-engage/">plus de 2 millions de soldats entre 1964 et 1973</a> risquer leur vie de l’autre côté de la planète, toute l’institution s’est engagée financièrement, matériellement et psychologiquement. La crise qui l’atteint questionne alors toutes les dimensions de l’organisation : sa capacité opérationnelle à remplir la mission attendue de la nation, mais aussi sa raison d’être ou ses valeurs, et enfin sa motivation à atteindre les objectifs. L’organisation a-t-elle encore la « force nerveuse » et les capacités matérielles pour sortir de l’ornière ?</p>
<p>Une poignée de généraux expérimentés et de membres du Congrès visionnaires s’engagent alors dans une réforme de l’institution avec un mot d’ordre : l’apprentissage permanent. Analysé à froid et sans états d’âme, l’échec militaire vietnamien s’explique en effet largement par <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/L/bo3649905.html">l’incapacité de l’armée à s’adapter à une guerre civile asymétrique</a> mêlant guerre des idées et guérilla, soldats et civils, la jungle, les villages et le milieu urbain.</p>
<p>Des premières graines sont ainsi plantées dès le milieu fin des années 1970 pour faire aujourd’hui de l’armée américaine une <a href="https://books.google.fr/books/about/Hope_Is_Not_a_Method.html?id=tATr-olAZMcC&redir_esc=y">organisation apprenante</a>. Une raison opérationnelle s’imposait : l’armée devait impérativement réacquérir les capacités individuelles et collectives pour développer l’efficacité opérationnelle en situation de combat. La formation intensive, l’éducation de l’esprit et l’entraînement des corps dans le cadre d’une doctrine adaptée et sur la base de standards explicites étaient incontournables.</p>
<p>Une raison psychologique a également justifié cette cure d’apprentissage intensive : le besoin de reconstruire la fierté dans l’institution et l’estime de soi. L’acquisition de compétences accroît le sentiment de maîtrise de son environnement, ce qui nourrit la confiance et rehausse l’estime de soi. La capacité à agir avec compétence a été identifiée comme un <a href="https://www.guilford.com/books/Self-Determination-Theory/Ryan-Deci/9781462538966">pilier de la motivation intérieure</a>.</p>
<h2>Devenir une organisation apprenante</h2>
<p>Ce mouvement de revitalisation par l’apprentissage était révolutionnaire par son envergure et visionnaire au regard des missions que la nation américaine allait confier à ses forces armées dans les années à venir : maintien de la paix, guerres contre-insurrectionnelles, soutien à reconstruction, opérations spéciales, intervention sous mandat ONU… La stratégie d’apprentissage et de développement de réelles compétences a permis de motiver les troupes. Elle a suscité la fierté d’appartenance, et a rendue l’armée à nouveau attractive auprès des jeunes Américains. Elle a enfin permis de développer de véritables capacités opérationnelles et adaptatives.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fort Irwin en Californie, choisi comme National Training Center en 1979.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fort_Irwin_National_Training_Center_-_Welcome_sign_-_2.jpg">Jarek Tuszyński/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quels ont été les leviers de cette transformation ? L’armée a créé un commandement (TRADOC) unifiant doctrine et formation pour faciliter l’extension des standards et la mise en cohérence des pratiques au sein des unités. D’immenses terrains d’entrainement – le National Training Center à Fort Irwin en Californie ou le Joint Readiness Training Center à Fort Polk en Louisiane ont été créés pour faire vivre aux unités des entrainements ultraréalistes et de haute intensité. L’objectif était de leur permettre de dégager de véritables apprentissages opérationnels et de mettre à jour leurs capacités en lien avec les rapides évolutions technologiques. Les solutions de traçage utilisées – armement laser, satellite, observateurs in situ – ont accru massivement l’utilité des apprentissages des soldats. Les simulations se déroulent sous contraintes réalistes de matériel, de sommeil, et de renseignement et à l’échelle de bataillons entiers. <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Defense_of_Hill_781.html?id=zGDZ43PhWEIC&redir_esc=y">Les unités apprennent ensemble et dans le dur</a>.</p>
<p>Reste que vivre des expériences mémorables ne suffit pas pour apprendre. Encore faut-il en tirer des leçons permettant d’améliorer la performance individuelle et collective. En s’appuyant sur son <a href="https://ari.altess.army.mil/history.aspx">centre de recherche comportementale</a>, l’armée américaine a développé une technologie d’apprentissage de l’expérience, l’<em>After Action Review</em>, qui permet à une équipe de structurer le débriefing de son action, d’identifier, pour elle-même, sa compréhension de la situation, ce qu’il faut continuer à développer, et ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour être plus efficace à l’avenir. Cette méthode, déployée quotidiennement depuis 1980 lors des rotations des unités dans les centres d’entraînement, s’est diffusée au sein des unités de l’armée en <a href="https://hbr.org/2005/07/learning-in-the-thick-of-it">opération où elle a démontré sa contribution opérationnelle</a> en accélérant l’adaptation et l’apprentissage continu des unités sous le feu.</p>
<h2>Un investissement gagnant</h2>
<p>Les apprentissages ainsi développés sont rassemblés au sein du <a href="https://usacac.army.mil/core-functions/lessons-learned"><em>Center for Army Lessons Learned</em></a> (CALL), vérifiés, validés puis diffusés aux centres d’entraînement ou directement auprès des unités engagées. Ainsi, ce que l’on appelle le <a href="https://www.researchgate.net/publication/235701029_Experiential_Learning_Experience_As_The_Source_Of_Learning_And_Development">cycle de l’apprentissage par l’expérience</a> est intégralement déployé : à la suite d’une expérience réaliste (simulation ou opération), une équipe revisite et réfléchit sur son expérience à froid en croisant les regards ; puis, elle analyse les liens de causalité, réels ou présumés, qui ont présidé à l’action et à ses conséquences pour expliciter les croyances ou formuler des hypothèses ; et, enfin, elle identifie les circonstances concrètes dans lesquelles, à l’avenir, les nouvelles hypothèses pourront être testées, validées ou infirmées. Ces hypothèses peuvent porter sur la tâche collective à accomplir ou sur les dynamiques interpersonnelles au sein de l’équipe.</p>
<p>Depuis cette <em>learning revolution</em>, cet état d’esprit d’apprentissage permanent, fait d’ouverture d’esprit, d’expérimentations et d’humilité, a trouvé à s’exprimer, et avec succès, sur plusieurs théâtres d’opérations. En témoigne l’analyse approfondie de l’adaptation des unités de Marines engagées dans une <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Marines_Take_Anbar.html?id=0prYwAEACAAJ&redir_esc=y">mission complexe à Anbar</a> au cours de la seconde campagne d’Irak (2003-2008).</p>
<p>Pour l’entreprise, mettre l’apprentissage au cœur de l’organisation est un investissement gagnant. Il implique un véritable leadership, une vision de long terme, une culture partagée de la performance collective, la mise en place d’un état d’esprit (confiance, sécurité psychologique, exemplarité des chefs) et d’outils et méthodes permettant de structurer l’apprentissage en continu, d’identifier les bonnes pratiques et de les diffuser. Mettre le <em>learning</em> au cœur de sa stratégie de performance, c’est ce qu’a fait l’armée américaine pour tourner la page de la débâcle du Vietnam. Pourquoi attendre de vivre un échec majeur pour se réinventer et faire du learning le cheval de bataille de sa compétitivité de demain ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Misslin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En pleine crise existentielle après sa débâcle au Vietnam, la US Army a su se relever en plaçant l'apprentissage au cœur de son quotidien, une inspiration potentielle pour nombre d'organisations.
Thomas Misslin, Doctorant, Sciences de Gestion, Dauphine-PSL - Chef de projet, Executive Education, EM Lyon Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/211846
2023-08-21T15:46:47Z
2023-08-21T15:46:47Z
Niger : le putsch de trop
<p>Le putsch qui a eu lieu au Niger le 28 juillet 2023 n’est pas un putsch de plus mais le putsch de trop, qui donne lieu à une partie de poker entre la CEDEAO et la junte au pouvoir.</p>
<p>Largement sous-estimés, les enjeux du quatrième putsch en Afrique de l’Ouest en deux ans (après le <a href="https://theconversation.com/mali-un-coup-detat-dans-le-coup-detat-161594">Mali</a>, la <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">Guinée</a> et le <a href="https://theconversation.com/apres-le-mali-le-burkina-avis-de-tempete-pour-la-france-au-sahel-192535">Burkina Faso</a>) sont, en effet, majeurs pour le Niger, pour la région et au-delà.</p>
<p>Selon les putschistes, c’est la dégradation de la situation sécuritaire <a href="https://www.lesahel.org/declaration-du-conseil-national-pour-la-sauvegarde-de-la-patrie-cnsp-le-general-de-brigade-tiani-abdourahamane/">qui les aurait incités à prendre le pouvoir</a>. Or, à l’inverse du Mali et du Burkina Faso, le Niger n’est pas en partie conquis par les groupes djihadistes. Menacé par Boko Haram au sud dans la région de Diffa et par les groupes armés affiliés à Al-Qaida et à l’État islamique à l’ouest dans les régions de Tillabéri et Tahoua, le pays n’a pas connu d’attaques majeures cette année. En fait, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/niger-17-soldats-tues-par-des-djihadistes-a-la-frontiere-avec-le-burkina-faso-16-08-2023-2531772_24.php">l’embuscade dans laquelle est tombée l’armée nigérienne dans la région de Tillabéri</a> le 13 août – soit quinze jours après le putsch –, qui a fait 17 morts parmi les militaires, est la première attaque d’envergure depuis plusieurs mois.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Un putsch de rentiers</h2>
<p>De même, à l’inverse du Mali et du Burkina Faso, les putschistes n’incarnent pas une nouvelle génération montante et insatisfaite au sein de l’armée. Âgé de 59 ans, le principal auteur du coup d’État, le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/niger/coup-d-etat-au-niger-qui-est-le-general-tiani-le-nouveau-dirigeant-autoproclame-a-la-tete-du-pays_5978501.html">général Tiani</a>, était le chef de la garde présidentielle depuis 2011, tandis que le numéro 2 de la junte, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/figure-de-la-junte-nigerienne-le-general-mody-est-arrive-a-bamako">général Mody</a>, a 60 ans et était le chef d’état-major des armées de 2020 à <a href="https://www.jeuneafrique.com/1432591/politique/au-niger-le-president-bazoum-nomme-un-nouveau-chef-des-armees/">avril 2023</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tZg1W6dZhKY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Qui est Abdourahamane Tiani, le général qui a pris le pouvoir au Niger ? France 24, 29 juillet 2023.</span></figcaption>
</figure>
<p>La motivation des putschistes semble davantage liée à leur sort personnel qu’à la politique sécuritaire du pays, et reflète les tensions préexistantes entre le président Bazoum et une partie de la hiérarchie militaire. Outre le fait que, le 31 mars 2021, à la veille de son investiture, une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/31/niger-une-tentative-de-coup-d-etat-dejouee-deux-jours-avant-l-investiture-du-nouveau-president_6075171_3212.html">tentative de coup d’État</a> avait failli l’empêcher d’accéder au pouvoir, le président Bazoum avait récemment procédé à des changements parmi ses sécurocrates.</p>
<p>Le haut commandant de la gendarmerie et le chef d’état-major général des armées ont été remplacés en mars 2023 et six généraux ont été mis à la retraite. Le remplacement du général Tiani et la restructuration de la garde présidentielle étaient à l’ordre du jour du conseil des ministres du 27 juillet 2023. Or le putsch a eu lieu le 26 et c’est le 28 juillet, après deux jours de tractations au sein de l’armée, que le général Tiani a pris la tête du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).</p>
<p>Le refus d’accepter la remise en cause de leur position dans la hiérarchie militaire illustre la montée en puissance politique et financière des sécurocrates sahéliens – montée en puissance qui est un effet collatéral de cette guerre contre le djihadisme qui dure déjà depuis dix ans et dont les effets néfastes apparaissent progressivement. Parmi ces effets figure l’explosion des budgets militaires. Selon le Stockholm International Peace and Research Institute, qui fait référence en la matière, les dépenses militaires du Niger sont passées de 39 à 151 milliards de francs CFA de 2011 à 2022. Elles ont donc <a href="https://milex.sipri.org/sipri">presque quadruplé en dix ans</a>. Au Mali, pendant la même période, elles sont passées de 76 à 321 milliards de francs CFA.</p>
<p>Or la gestion des budgets militaires est entachée de corruption. Réalisé en février 2020, un <a href="https://www.jeuneafrique.com/988350/politique/niger-ce-que-contient-laudit-du-ministere-de-la-defense/">audit</a> mené par l’inspection générale des armées sur les commandes passées par le ministère nigérien de la Défense avait révélé un détournement de 76 milliards de francs CFA entre 2014 et 2019. Ces détournements étaient surtout organisés dans le cadre des achats d’armes : une grande partie du matériel militaire fourni par des entreprises étrangères, notamment russes, était sujet à des surfacturations, de faux appels d’offres ou <a href="https://www.occrp.org/en/investigations/notorious-arms-dealer-hijacked-nigers-budget-and-bought-arms-from-russia">n’était parfois tout simplement pas livrée</a>.</p>
<p>Malgré les révélations accablantes de cet audit, les sanctions sont restées cosmétiques et les personnalités impliquées dans ce scandale n’ont pas été poursuivies. L’ampleur de la rente sécuritaire créée par la guerre contre le djihadisme est une des raisons non dites de la montée en puissance des sécurocrates au Sahel et de l’épidémie de juntes militaires.</p>
<h2>La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest au pied du mur</h2>
<p>L’Afrique de l’Ouest connaît une véritable épidémie de putschs. Le Niger, nous l’avons dit, est le quatrième pays touché en trois ans : le Mali a ouvert le bal en 2020 suivi par la Guinée en 2021 et le Burkina Faso par deux fois en 2022. Quatre présidents élus (Ibrahim Boubacar Keïta, Alpha Condé, Roch Kaboré et Mohamed Bazoum) ont été destitués par des hommes en uniformes.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/niger-le-coup-detat-augure-des-lendemains-incertains-pour-le-pays-210815">Niger : le coup d’État augure des lendemains incertains pour le pays</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En tant qu’organisation chargée de la paix et de la sécurité dans la région, la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qu-est-ce-que-la-cedeao-qui-menace-d-intervenir-au-niger-20230807">Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)</a> joue son va-tout. Impuissante face aux trois coups d’État précédents, surprise par ce quatrième putsch, la CEDEAO se trouve maintenant face à une menace existentielle pour les régimes politiques de la région qui se disent démocratiques. Selon la <a href="https://www.bfmtv.com/international/afrique/coup-d-etat-au-niger-qu-est-ce-que-la-cedeao-cette-organisation-qui-pourrait-intervenir-militairement_AD-202308060306.html">ministre sénégalaise des Affaires étrangères</a>, il s’agit bien pour la CEDEAO du « coup (d’État) de trop ». L’organisation régionale a donc <a href="https://ecowas.int/communique-final-sommet-extraordinaire-de-la-conference-des-chefs-detat-et-de-gouvernement-de-la-cedeao-sur-la-situation-politique-au-niger/?lang=fr">réagi en force</a> à ce quatrième putsch :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/08/07/niger-l-ultimatum-fixe-par-la-cedeao-est-arrive-a-son-terme-l-espace-aerien-du-pays-ferme-face-a-la-menace-d-intervention_6184661_3212.html">Ultimatum</a> d’une semaine aux putschistes pour rendre le pouvoir au président Bazoum.</p></li>
<li><p>Train complet de <a href="https://www.trtfrancais.com/actualites/niger-les-sanctions-economiques-se-font-ressentir-deja-14331542">sanctions économiques et financières</a> (fermeture des frontières terrestres et aériennes, gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la CEDEAO, suspension des transactions commerciales et financières entre les États membres de la CEDEAO et le Niger, gel de toutes les transactions de service, etc.).</p></li>
<li><p>Et surtout, menace inédite d’une intervention militaire qui fait écho à la <a href="https://afrimag.net/la-cedeao-va-se-doter-dune-force-anti-putsch/">création d’une force anti-putsch annoncée en 2022</a>.</p></li>
</ul>
<p>Mais loin de reculer, la junte nigérienne a surenchéri en nommant un premier ministre, en <a href="https://www.20minutes.fr/monde/niger/4048926-20230814-coup-etat-niger-junte-veut-poursuivre-president-elu-bazoum-haute-trahison">accusant le président Bazoum de haute trahison</a> et en se rapprochant des trois autres régimes putschistes. Ce rapprochement a conduit à une déclaration de solidarité belliqueuse des juntes malienne et burkinabé qui considèrent qu’une intervention militaire de la CEDEAO au Niger serait <a href="https://www.lesahel.org/communique-conjoint-n001-du-burkina-faso-et-de-la-republique-du-mali-soutien-ferme-du-burkina-faso-et-du-mali-au-peuple-nigerien-et-au-cnsp/">« une déclaration de guerre »</a>.</p>
<p>L’organisation régionale est donc à présent scindée en deux blocs antagoniques – les régimes civils et les juntes – qui sont entrés dans une logique d’escalade. La rhétorique belliciste de ces dernières semaines évoquant une guerre régionale fait partie de la partie de poker qui se déroule entre la junte et la CEDEAO et dont l’issue définira les perdants et les gagnants de cette crise. </p>
<h2>Le basculement géostratégique du Sahel</h2>
<p>Alors que le général Tiani <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230819-niger-le-g%C3%A9n%C3%A9ral-tiani-convoque-un-dialogue-national-inclusif">annonce son intention de rester au moins trois ans au pouvoir</a>, les enjeux de cette crise sont majeurs pour ses acteurs proches et lointains.</p>
<p>Les putschistes nigériens jouent bien sûr leur avenir personnel, tout comme les présidents élus de la CEDEAO. Ces derniers savent que ce n’est plus leur crédibilité qui est en cause, mais leur avenir. Après avoir échoué face à trois coups d’État, leur impuissance pourrait donner des idées à certains de leurs propres militaires, qui suivent de près l’irrésistible ascension des juntes. Quant aux putschistes déjà au pouvoir dans les pays voisins, la confirmation de l’installation au Niger d’une nouvelle junte viendrait les conforter et serait célébrée comme une nouvelle étape du retour des militaires au pouvoir en Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Dans un retournement de l’histoire particulièrement ironique, la démocratisation de l’Afrique de l’Ouest, engagée au début des années 1990, s’achèverait par une remilitarisation du pouvoir. Comme la première démocratisation dans les années 1960, la seconde démocratisation se solderait par un échec. La lutte entre les démocraties et les autoritarismes se joue aussi au Niger.</p>
<p>Pour l’Europe et les États-Unis, les enjeux sont aussi considérables, bien qu’encore sous-estimés. Leur opposition au coup d’État leur vaut d’être vilipendés par les putschistes ; c’est tout particulièrement le cas de la France, de nouveau utilisée par ses partenaires africains d’hier comme le bouc émissaire parfait. Le Niger est le <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230728-quelles-sont-les-forces-occidentales-pr%C3%A9sentes-au-niger">dernier bastion de la présence militaire occidentale dans le cadre de la lutte contre le djihadisme au Sahel</a>.</p>
<p>Après son expulsion du Mali et du Burkina Faso, l’armée française risque d’être complètement expulsée du champ de bataille sahélien, les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/08/12/au-niger-le-sort-des-forces-francaises-en-suspens_6185211_3212.html">putschistes ayant exigé son départ d’ici septembre</a>. Même si les putschistes s’en prennent en priorité à la France, ce risque d’expulsion plane aussi sur les <a href="https://responsiblestatecraft.org/2023/08/17/what-will-happen-to-us-troops-stationed-in-niger-if-the-region-explodes/">troupes européennes et américaines stationnées au Niger</a>. En ce sens, l’avenir de la guerre contre le djihadisme sahélien se joue au Niger.</p>
<p>En outre, le rapprochement immédiat <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-66428370">avec les juntes voisines</a> et <a href="https://sahelien.com/situation-au-niger-assimi-goita-et-vladimir-poutine-se-sont-entretenus-par-telephone">leurs amis russes</a> augure une réorganisation régionale des alliances. Grâce à un jeu de dominos parfait, un Sahel hostile aux intérêts occidentaux et prêt à explorer tous les partenariats alternatifs sur le marché de l’aide (pas seulement russe mais aussi arabe, chinois, etc.) est en train d’être créé. À ce titre, les similitudes du schéma des coups d’État entre Bamako, Ouagadougou et Niamey ne peuvent qu’interroger : même justification sécuritaire, même posture anti-française, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-coup-d-etat-au-niger-trois-fausses-informations-qui-circulent-sur-les-reseaux-sociaux-autour-de-la-situation-dans-le-pays_5963384.html">même campagne de désinformation sur les réseaux sociaux</a> et même <a href="https://www.lefigaro.fr/international/niger-ce-que-revele-l-apparition-des-drapeaux-russes-en-marge-du-coup-d-etat-20230801">appel à la Russie</a>. Le Sahel devient un nouvel exemple de la perte d’influence des États-Unis et de l’Europe sur la scène internationale et du déclassement de la France, qui fait figure de grand perdant. En ce sens, la guerre d’influence entre grandes puissances se joue aussi au Niger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé au centre Afrique de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI) et expert au Global Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC). Il a reçu des financements de ces organisations. </span></em></p>
Le Niger est le quatrième pays africain en deux ans à connaître un coup d’État militaire. Cette fois, la CEDEAO, organisation régionale regroupant quinze pays, va-t-elle intervenir ?
Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/210749
2023-08-01T10:58:34Z
2023-08-01T10:58:34Z
Qu'est-ce qui a été à l'origine du coup d'Etat au Niger? Un expert énumère trois facteurs déterminants
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540390/original/file-20230801-15-xj7o8h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le général Abdourahamane Tchiani, du Niger, se déclare chef de l'État le 28 juillet 2023.</span> <span class="attribution"><span class="source">ORTN-Télé Sahel/AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Lors d'une réunion d'urgence à Abuja le 30 juillet, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a <a href="https://www.reuters.com/world/africa/pro-coup-protests-niger-west-african-leaders-meet-2023-07-30/">exigé</a> la “libération immédiate et le rétablissement” du président élu du Niger, Mohamed Bazoum, détenu par les militaires depuis le 19 juillet.</p>
<p>L'organisation régionale a donné aux militaires nigériens un <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/7/30/west-african-govts-give-niger-coup-leaders-a-week-to-cede-power">ultimatum d'une semaine</a> pour s'y conformer et a averti qu'il prendrait toutes les mesures nécessaires, y compris la force, pour rétablir l'ordre constitutionnel. </p>
<p>Le 28 juillet, le chef de la garde présidentielle du Niger, le général Abdourahamane Tchiani, s'est <a href="https://www.ft.com/content/f3cfd0d7-84fc-4773-b681-67bdac7d997f">autoproclamé</a> chef de l'État après la prise du pouvoir par les militaires. </p>
<p>Au-delà de la mise en garde contre toute intervention régionale ou étrangère, les chefs militaires nigériens n'ont donné aucune indication sur la voie à suivre. </p>
<p>Ce coup d'État aura une incidence significative sur la paix et la stabilité au Niger et dans toute la région du Sahel. </p>
<p>Bien que le Niger ait récemment connu son plus long régime démocratique depuis l'indépendance, la menace d'un coup d'État a toujours été présente. Lorsque Bazoum a été élu président en 2021, une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-africa-56589168">tentative de coup d'État</a> a eu lieu environ 48 heures avant son investiture. Elle a échoué car la garde présidentielle a repoussé les putschistes. </p>
<p>Comme je l'ai <a href="https://theconversation.com/botched-coup-in-niger-points-to-deep-fissures-in-the-country-158330">expliqué</a> à l'époque, la tentative de coup d'État a révélé de profondes divisions dans le pays. Je soulignais que les militaires n'avaient pas pleinement adhéré à la démocratie. </p>
<p>Les putschistes actuels pour se justifier ont invoqué le prétexte de l'insécurité grandissante et l'absence de croissance économique. Ils <a href="https://www.reuters.com/world/africa/soldiers-nigers-presidential-guard-blockade-presidents-office-security-sources-2023-07-26/">ont déclaré</a> que l'intervention était nécessaire pour éviter “la destruction progressive et inévitable” du pays. Je pense toutefois que d'autres facteurs ont précipité le dernier coup d'État. Il s'agit de la question ethnique, de la présence de forces étrangères et de la faiblesse des organismes régionaux.</p>
<h2>Quels sont les facteurs qui ont conduit au coup d'État ?</h2>
<p>Il ne fait aucun doute que la montée de l'insécurité et <a href="https://www.worldbank.org/en/country/niger/overview">la dégradation des perspectives économiques</a> ont contribué à fragiliser le pays. </p>
<p>Malgré l'augmentation de l'effectif des forces étrangères, en particulier des <a href="https://theintercept.com/2023/02/20/niger-military-base-contractor/">États-Unis</a>, de la <a href="https://www.reuters.com/world/africa/which-western-countries-have-foreign-forces-niger-2023-07-28/#:%7E:text=FRANCE,en%2021%20et%2022%2C%20respectivement.">France</a> et des bases militaires au Niger, les dirigeants n'ont pas été en mesure de mettre fin aux attaques des insurgés. </p>
<p>Plusieurs groupes d'insurgés, tels que les affiliés d’<a href="https://www.britannica.com/topic/al-Qaeda">Al-Qaïda</a> et de <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-29052144">l'État islamique</a>, ainsi que <a href="https://www.dni.gov/nctc/groups/boko_haram.html#:%7E:text=Boko%20Haram%2C%20qui%20fait%20r%C3%A9f%C3%A9rence%20%C3%A0,remplace%20il%20par%20un%20r%C3%A9gime">Boko Haram</a>, opèrent dans le pays. </p>
<p>Ces attaques ont fait <a href="https://www.cfr.org/global-conflict-tracker/conflict/violent-extremism-sahel">des milliers de morts et de déplacés</a> au cours de la dernière décennie. Dans la capitale, Niamey, des centaines de jeunes se sont <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/7/28/power-impasse-continues-in-niger-48-hours-after-coup">rassemblés pour célébrer</a> le coup d'État de juillet, en brandissant des drapeaux russes et en scandant “Wagner”. Cela suggère que certains Nigériens pensent que l'armée, soutenue par la Russie et la société militaire privée, <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-60947877">le groupe Wagner</a>, serait plus efficace dans la lutte contre les insurgés.</p>
<p>Outre l'insécurité et la stagnation économique, trois autres facteurs permettent d'expliquer le récent coup d'État.</p>
<p>Tout d'abord, le débat sur l'ethnicité et la légitimité de Bazoum a été un enjeu lors de la dernière campagne électorale. Bazoum appartient à la minorité ethnique arabe du Niger et a toujours été <a href="https://www.africanews.com/2021/02/19/who-is-nigerien-presidential-candidate-mohamed-bazoum/">étiqueté</a> comme ayant des origines étrangères. </p>
<p>Cela n'a pas été accepté au sein de l'armée, qui est principalement composée d'autres groupes ethniques plus importants, même si Bazoum a obtenu <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/3/22/nigers-top-court-confirms-mohamed-bazoums-election-win">environ 56 %</a> des voix et qu'il appartient au même parti que l'ancien président Issoufou. </p>
<p>On accorde beaucoup d'importance à la composition ethnique de l'armée dans le pays, ce qui a permis à Issoufou de terminer ses deux mandats de président. Les nominations dans l'armée se font <a href="https://theconversation.com/botched-coup-in-niger-points-to-deep-fissures-in-the-country-158330">selon des critères ethniques</a>. </p>
<p>Deuxièmement, le grand nombre de troupes et de bases militaires étrangères dans le pays n'a pas été bien accueilli par les militaires. Ils pensent que cela les affaiblit. Le Niger est un allié clé des pays occidentaux dans la lutte contre l'insurrection dans la région. Les <a href="https://www.africanleadershipmagazine.co.uk/france-eyes-africas-mining-industry-with-550m-investment/">énormes investissements</a> de la France dans le secteur minier du Niger sont une raison supplémentaire de son intérêt pour la sécurité. </p>
<p>En 2019, les États-Unis ont ouvert une <a href="https://theintercept.com/2023/02/20/niger-military-base-contractor/">base de drones</a> au Niger malgré les protestations. Comme je l'ai déjà <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03071847.2018.1552452">souligné</a>, la base de drones pourrait faire du Niger une cible pour les terroristes et accroître l'instabilité. </p>
<p>En 2022, la France et d'autres alliés européens ont retiré leurs forces du Mali voisin. Bazoum s'est empressé de les inviter au Niger. Le <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/2/18/after-mali-exit-niger-accepts-foreign-forces-to-secure-border">commandement militaire nigérien</a> et certaines personnes influentes dans le pays ont dénoncé l'augmentation des forces étrangères. </p>
<p>Troisièmement, je pense que l'échec des organisations régionales telles que la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'OUest (CEDEAO) et l'Union africaine à prendre une position ferme contre les prises de pouvoir militaires en Guinée, au Burkina Faso et au Mali a donné des ailes aux militaires nigériens. Les dirigeants de la CEDEAO ont <a href="https://www.africanews.com/2023/07/31/ecowas-leaders-give-niger-one-week-ultimatum-to-restore-president/">menacé de recourir à la force</a> pour rétablir Bazoum si les auteurs du coup d'État ne le rétablissent pas dans ses fonctions. </p>
<p>Au cours des quatre dernières années, il y a eu <a href="https://theconversation.com/why-west-africa-has-had-so-many-coups-and-how-to-prevent-more-176577">sept coups d'État</a> dans la région. Trois d'entre eux ont été couronnés de succès. Les dirigeants de la CEDEAO et de l'Union africaine ont menacé ces trois pays de sanctions, mais rien n'a été fait pour dissuader d'autres chefs militaires opportunistes. </p>
<p>Lors d'une table ronde organisée par le groupe de réflexion Chatham House London sur l'impact des interventions militaires en Afrique de l'Ouest, l'un des dirigeants de la région a déclaré qu'il avait gardé les voies de communication ouvertes avec les trois présidents militaires par courtoisie. Cela laisse penser qu'il n'y a pas de dissuasion pour coups d'Etat militaires. </p>
<h2>Les conséquences pour le Niger et la région</h2>
<p>Le dernier coup d'État a de graves conséquences pour le Niger et l'ensemble de la région du Sahel. Le Niger est un allié solide des pays occidentaux, en particulier de la France, les États-Unis et de l'Union européenne, dans la lutte contre l'insurrection et la réduction de l'immigration clandestine vers l'Europe. </p>
<p>Les efforts déployés pour résoudre ces problèmes en seront affectés. Et les nouveaux chefs militaires voudront utiliser ces questions comme levier dans les négociations et pour imposer l'acceptation du nouveau régime. </p>
<p>Les nouveaux dirigeants du Niger pourraient également collaborer avec le groupe Wagner pour lutter contre l'insurrection islamiste. Le chef du groupe les a déjà <a href="https://www.reuters.com/world/europe/exiled-russian-mercenary-boss-prigozhin-hails-niger-coup-touts-services-2023-07-28/">félicités</a> d'avoir pris le pouvoir. L'influence de la Russie et de Wagner dans la région pourrait s'accroître. </p>
<p>Pourtant, Wagner n'a pas été en mesure d'arrêter la progression du terrorisme au Mali et au Burkina Faso. </p>
<p>Enfin, une prise de pouvoir militaire réussie au Niger serait un sérieux revers pour la démocratie dans la région et en Afrique dans son ensemble. Les régimes militaires de Guinée, du Mali et du Burkina Faso envisagent déjà <a href="https://www.reuters.com/world/africa/burkina-faso-guinea-mali-juntas-plan-three-way-partnership-2023-02-10/">de former une “alliance militaire”</a>, censée lutter contre l'insécurité. </p>
<p>Les dirigeants africains doivent faire davantage pour prouver qu'ils travaillent pour les populations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210749/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olayinka Ajala does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>
La politique ethnique, la présence de troupes étrangères et les faiblesses des réponses aux coups d'État précédentes ont encouragé la récente prise du pouvoir par les militaires.
Olayinka Ajala, Senior lecturer in Politics and International Relations, Leeds Beckett University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/209032
2023-07-12T13:25:34Z
2023-07-12T13:25:34Z
Retrait des troupes onusiennes du Mali : ce qui va changer sur le plan sécuritaire
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/536778/original/file-20230711-19-8ajdyd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des Maliens manifestent contre la présence des troupes étrangères dans leur pays.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo : ANNIE RISEMBERG/AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Le 30 juin 2023, le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité <a href="https://minusma.unmissions.org/sites/default/files/res_2690_2023_fr.pdf">la résolution 2690</a> qui met fin au mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). </p>
<p>Deux semaines plus tôt, le Mali avait demandé un retrait sans délai de la mission, mais Bamako et l’ONU sont finalement tombés d'accord sur un délai de six mois, entre le 1er juillet et le 31 décembre. Cette décision politique suscite des questions quant aux objectifs visés par le gouvernement malien et sa mise en œuvre risque d’avoir d’importantes implications sur le plan sécuritaire. </p>
<h2>Une mission coûteuse et meurtrière</h2>
<p>La Minusma dispose d'un budget annuel de 1,2 milliard de dollars et des effectifs de 15000 membres. Elle demeure la mission de maintien de la paix la plus coûteuse et la plus meurtrière au monde avec <a href="https://minusma.unmissions.org/effectifs">174 morts par le fait d’actes hostiles. </a></p>
<p>Créée en 2013 au moment où l’État malien était au bord de l’effondrement face aux assauts des groupes terroristes et des rebelles touareg, la Minusma avait pour <a href="https://minusma.unmissions.org/mandat-0">mandat</a> d’appuyer la transition politique et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, et de protéger les civils. À travers la <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N17/433/58/PDF/N1743358.pdf?OpenElement">résolution 2391 (2017)</a>, la mission avait aussi ajouté à son mandat l’appui logistique à la Force conjointe du <a href="https://www.g5sahel.org/">G5 Sahel</a>, une force militaire lancée en 2017 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13523260.2019.1602692?journalCode=fcsp20">pour combattre le terrorisme et le crime organisé</a>. Mais après le retrait du Mali de cette force, la Minusma était amenée à sous-traiter avec des compagnies privées, notamment pour livrer <a href="https://dppa.un.org/en/coordinated-breakthrough-our-response-to-violent-extremism-sahel-is-urgently-needed-assistant">des consommables de survie</a> aux troupes de la Force conjointe qui opèrent dans les autres pays du G5 Sahel. Ce qui ne sera plus possible avec la fin de la mission onusienne. </p>
<p>Nous travaillons principalement sur <a href="https://journals.co.za/doi/abs/10.31920/2732-5008/2020/v1n2a2">les questions politiques, de paix et de sécurité en Afrique</a>. Le but de ce présent article est de discuter des enjeux et des implications du retrait de la Minusma.</p>
<h2>Désaccord sur fond de résultats mitigés</h2>
<p>Avant les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/31/au-mali-la-semaine-ou-le-colonel-goita-s-est-couronne-president_6082131_3212.html">coups d’État au Mali en 2020 et 2021</a>, la coopération sécuritaire entre l’armée malienne et les forces internationales était chapeautée par l’<a href="https://theconversation.com/fin-de-loperation-barkhane-au-mali-mythe-ou-realite-166291">opération française Barkhane</a> et la Minusma. Les relations entre Bamako et la Minusma ont commencé à se détériorer après l’arrivée des militaires au pouvoir au Mali. La demande de Bamako de mettre fin à la mission n’a pas été une surprise, parce qu’elle est l’aboutissement d’une période de dissension entre le pouvoir de transition et la mission des Nations Unies. Cette crise de confiance s’inscrit dans une perspective plus large de désaccord entre le Mali et ses partenaires régionaux et internationaux, en ce qui concerne la sécurisation du pays et la résolution des conflits politico-militaires du nord. </p>
<p>L’absence de résultats sécuritaires tangibles après plusieurs années de présence militaire au Mali – <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/bande-sahelo-saharienne/operation-barkhane">opération française Barkhane</a>, <a href="https://www.voaafrica.com/a/european-force-leaves-mali-over-tensions-with-authorities-/6641770.html">Task Force Takuba</a>, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13523260.2019.1602692?journalCode=fcsp20">Force conjointe du G5 Sahel</a>, mission européenne de conseil et de formation des unités opérationnelles de l’armée malienne – a suscité de vives critiques au niveau national. Cette inefficacité a été citée par les autorités de transition comme la principale raison de leur changement de stratégie. Le Mali a ensuite fait le choix de <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/signature-dun-accord-de-coop%C3%A9ration-entre-le-mali-et-la-russie/2745022">se tourner vers la Russie</a> pour combattre l’insécurité. Ce rapprochement avec Moscou semble se réaliser au détriment des rapports entre Bamako et les Occidentaux, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine. </p>
<p>Tout en coopérant avec la Russie, le gouvernement malien dresse un constat d’échec de la Minusma qu’il accuse de faire désormais partie du problème au Mali. Certes, la mission de l'ONU présente beaucoup de lacunes. Son mandat et sa stratégie sont inadaptés à la situation malienne, puisque les défis sécuritaires ne se limitent pas à l’application de <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/Accord%20pour%20la%20Paix%20et%20la%20R%C3%A9conciliation%20au%20Mali%20-%20Issu%20du%20Processus%20d%27Alger_0.pdf">l'Accord pour la paix et la réconciliation</a>, mais touchent aussi les groupes armés terroristes, les conflits intercommunautaires et le crime organisé, qui causent de nombreuses pertes en vies humaines. Or la lutte contre le terrorisme, qui est pourtant la plus grande menace à la paix et à la vie des populations au Mali et au Sahel, ne fait pas partie du mandat de la Minusma.</p>
<p>Le retrait des acteurs internationaux du Mali entamé depuis 2022 a été un tournant majeur dans la stabilisation de ce pays. <a href="https://reliefweb.int/report/mali/examen-interne-de-la-mission-multidimensionnelle-integree-des-nations-unies-pour-la-stabilisation-au-mali-rapport-du-secretaire-general-s202336">Les conditions sécuritaires</a> continuent de se détériorer. Par exemple, dans la zone de la frontière Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, les groupes extrémistes violents continuent d’exploiter le vide sécuritaire lié au départ de Barkhane.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme en uniforme militaire porte un casque bleu." src="https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536782/original/file-20230711-2355-y5zzsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des policiers de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) sécurisent l'accès à la Grande Mosquée de Tombouctou, le 9 décembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo : ANNIE RISEMBERG/AFP via Getty Images</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les enjeux présents et à venir</h2>
<p>Certes, la Minusma n’a pas été très efficace dans la protection des civils. L’année 2020 a été <a href="https://acleddata.com/2020/12/17/mali-any-end-to-the-storm/">l’année la plus sanglante pour les populations civiles au Mali</a>. Mais, la Minusma a une <a href="https://minusma.unmissions.org/droits-de-lhomme-MINUSMA">division des droits de l’homme</a> qui a joué un rôle important dans la supervision et la conduite d’enquêtes sur les violations des droits humains et le droit international humanitaire. D’ailleurs, les nombreuses <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/05/1135077">enquêtes </a>et publications menées à ce sujet ont été l’une des principales pommes de discorde avec le pouvoir de transition. L’état des droits de l’homme et le droit international humanitaire risquent de se dégrader davantage avec la fin de la Minusma. </p>
<p>Au niveau politique, le Mali se dirige vers <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/c2l4nvkgwk9o">une élection présidentielle déterminante</a> en février 2024 qui devrait déboucher sur un retour à l’ordre constitutionnel. En raison de l’instabilité, ce sera un véritable défi d’organiser une élection sur tout le territoire national. </p>
<h2>Les défis</h2>
<p>La stabilité du Mali, qui abrite le plus grand nombre de groupes armés dans la région – <a href="https://www.csamap.org/sites/default/files/2022-02/Rapport%20%C3%A9tude%20sur%20la%20cartographie%20des%20groupes%20arm%C3%A9s%20au%20Mali%20VF.pdf">pas moins de 60</a> - demeure essentielle pour les populations maliennes, mais aussi pour la paix et la sécurité internationales. Le pouvoir de transition a beau être déterminé à changer de partenariat dans le but de mieux combattre les groupes terroristes et criminels, les résultats risquent de ne pas suivre, parce que les défis de sécurité sont complexes, et il n’y a pas une amélioration significative ni dans les ressources, ni dans les stratégies et les mécanismes de gouvernance mobilisés.</p>
<p>Avec la fin de la Minusma et de l'aide logistique que celle-ci fournit à la Force conjointe du G5 Sahel, les autres pays de la région vont devenir plus vulnérables aux groupes terroristes. Compte tenu de sa position centrale au Sahel et du caractère transnational des défis de sécurité, il sera difficile de combattre l'insécurité sans le Mali, tout comme il sera laborieux, pour Bamako, d'assurer la stabilité du pays sans une assistance internationale robuste et <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/mali/b185-mali-eviter-le-piege-de-lisolement">sans coopérer avec les pays voisins tels que le Burkina Faso et le Niger</a> </p>
<p>Certes, le <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/le-rapprochement-diplomatique-entre-la-russie-et-le-mali-se-poursuit">rapprochement avec Moscou</a> a permis à l'armée malienne d'acquérir de nouveaux équipements - appareils de surveillance, avions de chasse, hélicoptères d’attaque, etc. Mais la persistance de la guerre en Ukraine et le récent <a href="https://www.20minutes.fr/monde/ukraine/4042595-20230623-guerre-ukraine-direct-kiev-dit-avoir-abattu-13-missiles-russes-pendant-nuit">conflit entre Moscou et Evgueni Prigojine</a>, le chef du groupe paramilitaire Wagner, risquent de compromettre la pérennité du soutien en moyens militaires, mais aussi en combattants et instructeurs russes dont l’armée malienne a besoin pour lutter contre l’insécurité et restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national. </p>
<p>Un autre défi majeur que le Mali devra relever après le retrait de la Minsuma est celui de la réconciliation nationale. Le chaos créé par les tensions intercommunautaires au nord et dans le centre du pays a affaibli l’État au cours de la dernière décennie. La présence de la Minusma et des forces françaises de Barkhane avait réduit les risques d’affrontements entre l’armée malienne et les groupes armés du nord réunis au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). </p>
<p>Le vide laissé par ces forces internationales risque de relancer les hostilités, alors que la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation piétine. Pour se montrer dignes des ambitions de souveraineté qu’elles affichent depuis leur arrivée au pouvoir, les autorités de la transition devraient relancer le processus de paix inter-malien et résoudre le problème touareg en même temps qu’elles luttent contre les organisations terroristes. La volonté affichée des militaires de réussir là où les forces internationales ont échoué suscite un élan d’espoir, mais constitue en même temps un défi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moda Dieng receives funding from the Social Sciences and Humanities Research Council (SSHRC) of Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amadou Ghouenzen Mfondi does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>
Le pouvoir de transition a beau être déterminé à changer de partenariat, les résultats risquent de ne pas suivre, parce que les défis de sécurité sont complexes.
Moda Dieng, Professor of Conflict Studies, School of Conflict Studies, Université Saint-Paul / Saint Paul University
Amadou Ghouenzen Mfondi, Chargé de cours et chercheur en études des conflits, Université Saint-Paul / Saint Paul University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/207838
2023-07-04T20:09:18Z
2023-07-04T20:09:18Z
Le dernier lancement d’Ariane 5 pour mettre en orbite Syracuse 4B, un satellite de télécommunications militaires
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532153/original/file-20230615-23-vxyua3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C13%2C3059%2C2032&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Transfert du lanceur du bâtiment intégration lanceur (BIL) au bâtiment d'assemblage final (BAF). Les étages et la coiffe contenant les satellites ne sont pas encore assemblés.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://phototheque.cnes.fr/cnes/media/img/displaybox/381739566300/77288.jpg">© CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/S Martin, 2023</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Le satellite Syracuse 4B, un satellite de télécommunications militaires sécurisées qui appuie les forces françaises déployées à travers le monde, sera lancé ce soir, mercredi 5 juillet, par la dernière fusée Ariane 5, un lanceur que l’on connaît bien et dont la fiabilité est remarquable. Dès son arrivée au centre spatial guyanais, le satellite a été préparé pour le tir et intégré sous la coiffe du lanceur avec son compagnon de vol, le satellite allemand Heinrich Hertz (ou « H2SAT »).</p>
<p>Quatre générations du système Syracuse se sont succédé depuis les années 1980. Chaque génération a marqué une nette progression des performances par rapport à la génération précédente. Syracuse a en outre évolué au fil du temps d’une simple composante d’un système dual, c’est-à-dire d’un système offrant des services civils et militaires, à un système purement militaire.</p>
<p>En 2021, Syracuse 4A a été lancé depuis Kourou, premier satellite de la quatrième génération de Syracuse et qui sera rejoint par Syracuse 4B, dont la « charge utile » est identique (la charge utile désigne les équipements liés à la fonction spécifique du satellite).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="la coiffe contenant les satellites dans un hangar avec des travailleurs en tenues fluo" src="https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532154/original/file-20230615-15-t5rpn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Hissage du composite, coiffe d’Ariane 5 contenant les deux satellites, au sommet du lanceur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://phototheque.cnes.fr/cnes/media/img/displaybox/381739647745/77429.jpg">CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/P. Baudon, 2023</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un satellite de télécommunications spatiales sécurisées</h2>
<p>La France possède une dimension ultramarine et est depuis longtemps une grande puissance militaire. Les armées françaises sont donc déployées de manière permanente dans de très nombreuses zones dans le monde et conduisent des opérations extérieures. Très logiquement, elles ont besoin de capacités de télécommunication spatiale. Dès l’avènement de celles-ci au début des années 80, a ainsi été lancé le programme de télécommunications spatiales militaires Syracuse, acronyme signifiant « système de radiocommunication utilisant un satellite ».</p>
<p>Nos forces déployées et nos navires militaires bénéficient, grâce aux satellites Syracuse, d’un lien permanent et hautement protégé avec la métropole leur permettant de conduire leurs opérations.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/satellites-les-yeux-les-oreilles-et-le-porte-voix-de-la-defense-francaise-dans-lespace-187381">Satellites : les yeux, les oreilles et le porte-voix de la défense française dans l’espace</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Syracuse IV est composé d’un « segment spatial », constitué de satellites et de moyens de contrôle au sol (maintien à poste en orbite du satellite et opération de la charge utile de télécommunication), et d’un « segment sol utilisateur », constitué d’un système de gestion globale et d’un parc de stations utilisateur déployé dans les forces armées.</p>
<h2>Télécommunications militaires et civiles : des défis différents, des réponses similaires</h2>
<p>En matière de télécommunications spatiales, côté civil, il s’agit de répondre à des enjeux de compétitivité. Du côté militaire, il s’agit de répondre à des enjeux de ce qu’il est convenu d’appeler la <a href="https://www.cairn.info/geopolitique-des-donnees-numeriques--9791031803487-page-137.htm">« numérisation du champ de bataille »</a>, c’est-à-dire d’un besoin sans cesse croissant des militaires en bandes passantes, en débit, en agilité et en sécurité des communications.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>À bien y regarder, ce sont les mêmes technologies qui permettent de relever ces défis, ce qui valide la pertinence d’une approche duale pour développer celles-ci. Ainsi, Syracuse 4B est un satellite géostationnaire utilisant une plate-forme tout électrique, de durée de vie minimum de 15 ans et à propulsion électrique.</p>
<p>Une particularité des satellites Syracuse 4A et 4B est leur processeur numérique transparent, constituant l’« intelligence » de la charge utile de télécommunications, et permet une très haute flexibilité de cette charge utile.</p>
<h2>La propulsion électrique, véritable percée technologique pour l’industrie spatiale</h2>
<p>La propulsion des satellites, historiquement de type chimique (combustion d’ergols), a évolué avec le développement des moteurs tout électriques, qui représentent une véritable percée technologique pour l’industrie spatiale. Ces moteurs électriques, développés depuis les années 70 et 80 pour l’exploration spatiale, <a href="https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/espace-electrique-propulsion-54830/">utilisent l’énergie produite par les panneaux solaires du satellite pour expulser du xénon par effet Hall</a>. Sa densité, son potentiel d’ionisation et son inertie font de ce gaz un excellent candidat pour la propulsion électrique des satellites. Un propulseur à effet Hall est un propulseur à plasma, qui utilise un champ électrique pour accélérer des atomes de xénon, eux-mêmes préalablement ionisés par un champ magnétique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Dans une salle blanche, on fait le plein du satellite compagnon" src="https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532156/original/file-20230615-15-8vdv7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Remplissage en ergol du satellite Heinrich Hertz, le compagnon de Syracuse 4B, qui dispose lui d’un système de propulsion chimique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://phototheque.cnes.fr/cnes/media/img/displaybox/381739566368/77240.jpg">CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/P Piron, 2023</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La propulsion électrique est utilisée en remplacement de la propulsion chimique pour la mise en orbite et le maintien à poste des satellites. Elle permet de diminuer la masse de carburant embarquée et le volume des réservoirs afin d’augmenter significativement la capacité de la charge utile de télécommunication embarquée à bord du satellite. On distingue en effet le « bus » (l’ensemble des équipements du satellite concourant à son fonctionnement intrinsèque : propulsion, génération électrique, contrôle de position…) et la « charge utile ».</p>
<p>Le gain significatif d’emport de charge utile présente néanmoins une contrepartie : la durée de transit vers l’orbite géostationnaire est allongée, en raison de la très faible poussée produite. Syracuse 4B mettra ainsi sept mois à rejoindre sa position orbitale.</p>
<h2>Le rôle du CNES</h2>
<p>Le CNES a beaucoup contribué au développement de toutes les générations de Syracuse, en particulier celui au développement de la propulsion électrique de ces plates-formes, et des processeurs numériques de nouvelle génération de la charge utile.</p>
<p>Le CNES assure dans le programme Syracuse IV le rôle d’architecte et d’expert spatial au bénéfice de la DGA et des armées dans ses domaines de compétence. Il assure également le suivi du développement de la filière de plate-forme Eurostar électrique d’Airbus utilisée pour le satellite et celui du développement du moteur plasmique PPS 5000 de Safran qui équipe Syracuse 4B.</p>
<p>Enfin, nous mettons aussi en œuvre des moyens multimissions (Centre d’opérations du réseau, Centre d’orbitographie opérationnelle, réseau 2 GHz) pour assurer la « TTC » (<em>telemetry, tracking, and command</em>) en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bande_S">bande S</a> (une bande de fréquence utilisée pour ce type de télécommunications, pour les radars météorologiques, le wifi et les réseaux mobiles) des satellites pendant toute la phase de mise à poste et une partie de la <a href="https://theconversation.com/retour-sur-objectif-mars-du-decollage-aux-sept-minutes-de-terreur-155324">recette</a> en orbite. Nous participons au suivi des opérations de « mise à poste » (c’est-à-dire sur son orbite opérationnelle) électrique et de « recette en vol » (c’est-à-dire les tests de bon fonctionnement en environnement réel et vraie grandeur, qui ne pouvent être effectués au sol), en accompagnement de la DGA.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Diris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Des communications sécurisées dans l’espace – voilà qui demande de relever de nombreux défis technologiques, similaires pour la défense et le civil.
Jean-Pierre Diris, Sous-directeur des projets de télécommunications et navigation, Centre national d’études spatiales (CNES)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/205607
2023-06-01T16:17:46Z
2023-06-01T16:17:46Z
Loi de programmation militaire : vers une nouvelle réalité de la guerre pour la défense française ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/527237/original/file-20230519-15-pruluh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3994%2C2664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les nouveaux défis de la loi de programmation visent à faire face à des ennemis d’une puissance symétrique. Les nouvelles technologies occupent notamment une place importante dans l’appréhension de ces conflits futurs.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs États européens ont réagi en allouant des budgets supplémentaires à leurs armées avec différents objectifs. C’est le cas de la France qui, à travers sa <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1033_projet-loi">nouvelle loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030</a>, entend s’attacher à de nouvelles ambitions militaires, ou tout du moins réajuster les précédentes.</p>
<p>Cette réforme est-elle l’incarnation d’une nouvelle stratégie d’action pour les armées françaises, ou ne s’agit-il que d’un mouvement logique au vu de la situation internationale ?</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gendarmerie-comment-les-femmes-ont-elles-gagne-leurs-galons-202742">Gendarmerie : comment les femmes ont-elles gagné leurs galons ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>De nouveaux contextes de guerre</h2>
<p>Dans la nouvelle loi de programmation militaire, trois éléments importants sont à noter : le maintien de la dissuasion nucléaire comme <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1033_projet-loi">« le cœur de notre défense en protégeant la France »</a>, le pari sur les technologies futures (comme « le domaine du spatial, du cyber, des drones, du quantique ou de l’intelligence artificielle ») et « notre capacité à faire face à un engagement majeur et à des affrontements de haute intensité ». Il existe bien sûr d’autres points importants, <a href="https://www.ege.fr/actualites/guerre-en-ukraine-leurope-doit-penser-la-guerre-hybride">par exemple la question des guerres hybrides</a>, qui associent des opérations militaires conventionnelles (forces armées, cyberguerre) et non conventionnelles (désinformation, attentats).</p>
<p>On pourrait se dire que le fait de conserver la dissuasion nucléaire comme le centre de la stratégie militaire de la France n’entraîne pas un changement de paradigme. Cependant, si nous pouvions espérer que l’arme nucléaire empêche les conflits (du moins avec les nations qui en possèdent), l’histoire a su montrer le contraire. Ainsi, les <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2011-2-page-47.htm">États-Unis ont par exemple refusé d’utiliser la bombe atomique contre la Corée du Nord en 195</a>. Pour comprendre cela, il faut revenir à une <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">vision clausewitzienne</a> (issu de Claustwitz, penseur militaire prussien du XIX<sup>e</sup> siècle, dont les travaux sont <a href="https://www.herodote.net/Le_heoricien_de_la_guerre_moderne-synthese-2296.php">toujours hautement considérés de nos jours</a>.</p>
<p>La guerre n’est pas un simple déchaînement de violence entre deux entités, elle répond en réalité à des strates de violences, qui peuvent s’escalader, se figer, ou se désescalader. L’on peut ainsi mentionner des guerres régionales (<a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-jour-dans-le-monde/haut-karabakh-du-conflit-regional-a-la-guerre-internationale-4851272">Haut-Karabagh</a>), de guerres totales (<a href="https://www.cairn.info/la-guerre--9782361062026-page-181.htm">première Guerre mondiale</a>), de guerres d’extermination (seconde Guerre mondiale, sur certains théâtres d’opérations).</p>
<p>L’arme nucléaire apporte désormais une nouvelle strate de violence : la guerre nucléaire. Ainsi, deux nations peuvent s’affronter ouvertement sans qu’aucun des camps ne veuille escalader le conflit jusqu’à ce stade. C’est notamment le cas actuellement de la guerre en Ukraine. Bien que cette dernière n’en possède pas, la Russie, elle, menace régulièrement d’en faire usage. Les forces de l’OTAN, bien qu’elles ne participent pas activement au conflit, ont toutefois prévenu la Russie qu’elles interviendraient militairement si cette dernière venait à franchir le <a href="https://www.affairesinternationales.fr/2022/10/15/russie-6/">seuil nucléaire</a>.Pour l’heure, la Russie n’a pas fait usage de ces armes, n’entraînant donc pas une guerre nucléaire, alors qu’elle en a la capacité.</p>
<h2>De nouvelles technologies</h2>
<p>Les investissements dans de nouvelles technologies et la préparation vers des conflits de haute intensité constitueraient un changement de paradigme pour la France sur ses façons de faire la guerre, et contre qui elle les mène. Selon Michel Goya, ancien colonel de l’armée de Terre, historien et penseur militaire, après la fin de la guerre froide, l’armée française a dû composer avec de nouveaux types de conflits au travers des <a href="https://www.economica.fr/livre-res-militaris-de-l-emploi-des-forces-armees-au-XXIe-si%C3%A8cle-goya-michel-c2x32210823?PGFLngID=0">OPEX (Opérations Extérieures)</a>.</p>
<p>Le but de l’armée n’était donc plus un affrontement avec une grande puissance mais la lutte contre ce que l’on nommera des guérilleras et des <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/techno-guerilla-et-guerre-hybride-9782363670250/">techno-guérilleras</a>, pour reprendre les termes du politologue belge Joseph Henrotin. Ce fait a certainement constitué un changement de paradigme pour les armées, tant cela a affecté leur culture et leur vision de la guerre.</p>
<p>Les nouveaux défis de la loi de programmation ne visent plus à répondre à ce genre de conflit, mais à de nouveau faire face à des ennemis d’une puissance symétrique. Les nouvelles technologies occupent une place importante dans l’appréhension de ces conflits futurs.</p>
<p>Même si l’on ne peut encore tirer trop de leçons de la guerre en Ukraine, les <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/05/05/guerre-en-ukraine-comment-lusage-des-drones-militaires-bouleverse-les-combats-11175445.php">drones semblent avoir pris une place importante dans les combats</a>. La place nouvelle de ces engins n’est pas sans rappeler les <a href="https://lafabrique.fr/theorie-du-drone/">travaux du philosophe Grégoire Chamayou</a>, et les lourdes conséquences militaires et éthiques de leur emploi. D’autre part, certaines entités comme la société américaine Palantir, spécialisée dans la conception de logiciels de traitement de données <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/big-data-plongee-dans-lenigmatique-machine-palantir-1902847">au service de forces de police ou de renseignement</a>, qui commencent à tester des IA (intelligence artificielle) <a href="https://intelligence-artificielle.developpez.com/actu/344092/Palantir-fait-la-demonstration-d-une-IA-capable-de-faire-la-guerre-en-elaborant-des-strategies-de-defense-et-d-attaque-la-demo-suscite-indignation-et-tolle-sur-la-toile/">capables de participer et d’aider aux décisions militaires</a>. L’avenir nous dira si les réseaux d’informations, couplé aux IA et aux robots, formeront la base des armées futures, et ouvriront la voie sur de nouvelles manières de faire la guerre.</p>
<h2>Vers une nouvelle réalité de la guerre ou une simple continuité de l’histoire ?</h2>
<p>Pour l’heure, ces avancées technologiques sont encore très restreintes et ne s’ancrent que très partiellement dans les programmes de modernisation – comme le programme Scorpion, fer de lance de la <a href="https://www.defense.gouv.fr/terre/nos-materiels-nos-innovations/nos-innovations/dossier-programme-scorpion/programme-scorpion">modernisation des systèmes de communication de l’Armée de Terre</a>.</p>
<p>Il faudra également voir quels dispositifs seront déployés pour les contrer (il existe déjà des systèmes de défense anti-drone comme le <a href="https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/helma-p-systeme-laser-lutte-anti-drone">HELMA-P</a>, capable de <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/la-dga-commande-un-prototype-de-laser-anti-drone-a-la-pepite-cilas.N2016267">neutraliser un drone léger jusqu’à 1 kilomètre par un système laser</a>. La guerre est toujours affaire d’adaptation et de riposte face aux nouvelles armes et méthodes de son adversaire (char/anti-char, mines/détecteur de mines, guerre sous-marine/guerre anti-sous-marine), et nous voyons peut-être dans ces nouveaux dispositifs ce même principe de riposte à une menace nouvelle.</p>
<p>Le fait d’investir ainsi dans ses armées pourrait être le signe d’une nation en guerre, ou d’une nation qui s’apprête à l’être. La question des évolutions budgétaires entre période de paix et de conflit a été étudié et conceptualisé sous le terme de « pause stratégique ».</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Développée par Michel Goya, la pause stratégique théorise que la puissance militaire des États chute fortement dans les périodes de paix, et surtout d’après-guerre. L’idée étant que la nation n’a plus besoin de conserver une grande armée, et doit juste veiller à maintenir une capacité de mobilisation. Ainsi, entre chaque guerre, les dépenses militaires diminuent avant de remonter pour le prochain conflit. Pour un exemple, durant la Première Guerre mondiale, on estime qu’entre 15 % à 25 % de la richesse de la France est injectée dans les armées. Ce nombre tombe à 9 % à 1920, puis à 3,2 % en 1930, <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/3-047.pdf">avant de remonter à 8,5 % en 1938</a>.</p>
<p>Il est cependant faux de dire que la France a été en paix après la chute de l’URSS. Au contraire, nous nous sommes engagés dans de nombreuses opérations extérieures de maintien de la paix. Ces missions ont consisté à faire intervenir nos forces armées comme des forces de police dans des régions en crise <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2005-1-page-63.htm">dont nous n’étions pas les protagonistes</a>.</p>
<p>Malgré cela, nous pouvons bien constater une diminution des budgets alloués aux armées après la chute de l’URSS (<a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/MS.MIL.XPND.GD.ZS?end=2021&locations=FR&start=1985">3 % du PIB en 1988 contre 2 % en 2001</a>). L’objectif annoncé de la réforme n’est pour l’instant que de revenir à la barre des 2 %.</p>
<p>La nouvelle loi de programmation militaire est-elle un indice sur le fait que nous sommes en train de sortir d’une pause stratégique ?</p>
<p>Plus qu’une nouvelle réalité de la guerre, qui serait faite par les drones et pilotée par des intelligences artificielles ; nous pourrions voir dans le réarmement de nombreux États du monde la fin d’une période de paix, et craindre le retour davantage de conflits ouverts. En parallèle de la guerre en Ukraine, beaucoup de regards inquiets se tournent vers Taïwan et les intentions affichées de la Chine de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/taiwan-la-guerre-qui-vient-25-05-2023-2521576_24.php">s’en emparer</a>. Le Moyen-Orient semble également engagé dans une course à l’armement depuis quelques années sous fond de <a href="https://www.afri-ct.org/article/nouvelle-course-aux-armements-au-moyen-orient/">tensions diplomatiques</a>.</p>
<p>Nous pourrions aussi penser que cette période de tension est passagère, ou que l’idéologie pacifique développée en Europe après les deux guerres mondiales nous <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/8049">protégera de tout conflit externe de grande envergure</a>. Quelle que soit notre position, l’avenir nous apportera nos réponses, là où la nouvelle loi de programmation militaire se veut une garante de « notre autonomie stratégique ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205607/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Lelièvre est financé pour ses travaux doctoraux par l'Agence de l'Innovation de Défense du Ministère des Armées. </span></em></p>
Le projet de loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit 413 milliards d’euros de dépenses sur sept ans afin de « transformer » les armées.
Erwan Lelièvre, Doctorant en science de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/205888
2023-05-29T10:56:30Z
2023-05-29T10:56:30Z
Managers, et si vous vous inspiriez des méthodes de l’armée ?
<p>Les raisons d’être d’une <a href="https://theconversation.com/topics/armee-21672">armée</a> et celles d’une <a href="https://theconversation.com/topics/entreprise-s-137378">entreprise</a> n’ont, a priori, rien de commun. La première vise à protéger et à dissuader le déclenchement de conflits armés ; la seconde cherche à atteindre ses objectifs de profit en distribuant biens ou services sur son marché.</p>
<p>Que pourraient donc bien enseigner les <a href="https://theconversation.com/topics/militaire-55111">militaires</a> à ces acteurs du monde civil ? En quoi l’expérience d’un chef de section ou d’un escadron pourrait enrichir les réflexions et les actions d’un manager de département ou d’une responsable d’atelier ? Qu’est-ce qu’un chef de corps pourrait transmettre à la responsable d’une <em>business unit</em> ?</p>
<p>Malgré ce qui oppose ces deux mondes, les armées sont devenues, en quelques années, des <a href="https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Thierry-Picq-Tessa-Melkonian-Gerer-les-risques-extremes-les-lecons-des-forces-speciales-pour-l-entreprise_2127.html">sources d’apprentissage</a> importantes pour les managers d’entreprise, aux États-Unis d’abord, et aujourd’hui en France.</p>
<p>Nos travaux de recherche montrent, en effet, que l’armée a une longueur d’avance dans la manière de conceptualiser l’environnement, dans la préparation des collectifs à y faire face et dans le fait de reconnaître le leadership comme facteur décisif.</p>
<h2>Champ de bataille et gestion de l’humain</h2>
<p>Les armées conceptualisent le champ de bataille comme un environnement mouvant et <a href="https://theconversation.com/topics/incertitude-23726">imprévisible</a> dans lequel surviennent des situations aussi complexes qu’ambiguës. Le théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz, l’exprimait ainsi en son temps : </p>
<blockquote>
<p>« L’incertitude est l’essence même de la guerre. »</p>
</blockquote>
<p>Être performant en collectif relève alors du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mZ-IBRGfJyY">défi permanent</a>. Un acronyme a été forgé au sein de <a href="https://usawc.libanswers.com/faq/84869">l’armée américaine</a> pour décrire le nouvel ordre mondial post-guerre froide, plus instable, moins prévisible, plus complexe : VUCA pour <em>volatility, uncertainty, complexity and ambiguity</em> (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté). Ce terme est maintenant largement répandu en entreprise pour <a href="https://cmr.berkeley.edu/browse/issues/61_1/">décrire l’environnement concurrentiel</a>, bouleversé hier par la mondialisation, aujourd’hui par la digitalisation ou la pandémie et demain par l’intelligence artificielle.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mZ-IBRGfJyY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le champ de bataille, celui de l’armée comme celui de l’entrepreneur, se caractérise ainsi de manière identique. Le monde militaire ayant conceptualisé cette instabilité permanente, il en a tiré très tôt de nombreuses leçons.</p>
<p>Une autre raison qui fait de l’expérience des armées une source opérationnelle de compétitivité et de performance pour les entreprises est leur rapport à l’humain. Si les entreprises ont un discours centré sur le capital humain, les armées joignent plus souvent, et depuis plus longtemps, le geste à la parole, en particulier en matière de développement du leadership. L’engagement et la résilience, l’entraînement et les compétences, le moral des troupes et l’esprit de corps sont perçus comme des facteurs essentiels à la réussite collective.</p>
<h2>L’armée, un savoir-faire pour motiver</h2>
<p>Dans un environnement incertain, comme pour un navire en pleine tempête, tout le monde est attendu sur le pont pour contribuer à la réussite collective. L’engagement de chacun, considéré comme une condition de survie, se manifeste par la prise d’initiative, une participation active à l’action, de l’entraide spontanée, et de la prise de risque.</p>
<p>Le monde militaire, en particulier les forces spéciales et autres unités d’élite, s’appuie sur les <a href="https://www.bkconnection.com/static/Intrinsic_Motivation_at_Work_2nd_EXCERPT.pdf">quatre leviers de la motivation intrinsèque</a> pour susciter l’engagement des personnels. Par motivation intrinsèque, on désigne les sources de motivations propres à l’individu, lorsque l’action elle-même est sa propre récompense. On la distingue de la motivation extrinsèque comme une prime sur objectif, par exemple, ou les félicitations de son manager, qui trouve sa source à l’extérieur de l’individu.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-entreprise-s-153/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a></em></p>
<p>D’abord, l’armée a <strong>une raison d’être claire</strong>, convaincante : la défense nationale. Cette raison d’être est régulièrement rappelée au travers de multiples cérémonies. Il peut s’agir de visites d’autorités, de la commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918 ou de la Victoire du 8 mai 1945, de la célébration de la Fête nationale et du défilé le 14 juillet, ou d’autres événements spécifiques à tel ou tel régiment (Camerone le 30 avril célébré tous les ans au sein de chaque unité de la légion étrangère par exemple).</p>
<p>L’engagement passe aussi par <strong>un développement permanent de capacités</strong> au travers d’entraînements réguliers qui donnent aux personnels le sentiment réel d’apprendre, de davantage maîtriser techniques et méthodes et de progresser dans leur métier. Compte aussi le renforcement de l’<strong>esprit de corps</strong> au travers de rituels réguliers qui, loin de gommer les individualités, forgent des liens et structurent le collectif par-delà les différences (la marche au pas, les chants, les pots de départ ou d’arrivée, les dégagements, les compétitions internes…).</p>
<p>Enfin, dernier levier, est développée l’<strong>autonomie dans l’action</strong> au service de l’effet final recherché. La motivation intérieure, et la performance collective qui en découle, seront d’autant plus fortes que le ciment du collectif sera fondé sur <a href="https://www-xerficanal-com.em-lyon.idm.oclc.org/strategie-management/emission/Tessa-Melkonian-Un-leader-doit-etre-exemplaire-_3748033.html">l’exemplarité</a> des chefs ; et ceci est vrai aussi bien dans l’armée qu’en entreprise.</p>
<p>De là proviennent quelques pistes de réflexion pour le manager et son équipe : quelle est la vision de l’entreprise ? De l’entité ? De l’équipe ? Est-elle partagée ? Quelles sont les marges de manœuvre des équipes dans la réalisation de la vision ? Quelles sont les opportunités individuelles et collectives de se développer, de s’améliorer ? Quels sont les rituels ? Les rendez-vous incontournables dans le mois ou dans l’année ?</p>
<h2>L’armée, une culture du débriefing</h2>
<p>En environnement VUCA, l’action s’effectue dans une incertitude diffuse qui rend difficile l’interprétation du réel, l’identification des bons leviers et la compréhension des liens entre les décisions et leurs effets. L’interdépendance des éléments de l’environnement, la vitesse d’évolution des situations, et le flou qui nimbe les données accessibles, toujours parcellaires, donne l’impression de « naviguer à vue ». Cette expression sied depuis longtemps au monde militaire et de plus en plus à l’entreprise. Voir plus loin est ainsi une composante de plus en plus importante du leadership. Pour accompagner la réflexion et l’action, des <a href="https://hbr.org/2007/11/a-leaders-framework-for-decision-making">modèles de décision</a> ont été développés au cœur desquels se trouve l’expérimentation ou l’exploration, c’est-à-dire l’apprentissage par l’expérience.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1658450219900493826"}"></div></p>
<p>Sur la base de travaux en psychologie sociale et comportementale, l’armée américaine a mis au point une méthode, le débriefing (<em>After-Action Review</em>), qui permet à un collectif au sortir « d’un coup de feu » de se mettre en réflexivité, d’analyser la situation, l’effet final recherché et le dénouement. Il s’agit de disséquer l’expérience, puis d’en tirer des hypothèses d’action pour le futur : que doit-on conserver, renforcer ou stopper ?</p>
<p>Son emploi régulier, en entraînement comme en opération, et ce à tous les niveaux d’un régiment, permet aux acteurs sur le terrain de tirer les leçons de l’expérience de manière très rapide, et de se projeter dans un avenir parfois très proche avec une nouvelle grille de compréhension à mettre à l’épreuve des faits. Comme le dit l’ancien chef d’état-major de l’armée américaine, le général Gordon Sullivan :</p>
<blockquote>
<p>« Toute équipe qui a une mission claire peut débriefer pour améliorer sa performance. »</p>
</blockquote>
<p>Ce mode d’apprentissage on-line, forme d’antidote à l’effet <em>fog of war</em>, au brouillard qui plane sur le théâtre d’opérations, est l’apanage des unités de l’armée de terre américaine aujourd’hui. Il s’est répandu en France depuis les années 1990, avec adaptations, au sein des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tzlzQY_OE8w">forces spéciales</a>, du RAID, du GIGN ou des sapeurs-pompiers.</p>
<p>Le manager et son équipe sont ainsi invités à se questionner. Comment se déroule le débriefing ? Existe-t-il un protocole adapté au contexte des missions de l’équipe et du secteur d’activité ? Qui est concerné par le processus de débriefing ? Qui le facilite ? Dans quel esprit et avec quels objectifs le débriefing est-il mené ? Le débriefing est-il systématique ou seulement pratiqué après un échec ?</p>
<p>Le tout cependant n’intervient pas sans un leadership par la confiance pour orchestrer le collectif. Le chef d’état-major prussien, Helmut von Moltke, encourageait les officiers à « ne donner que les ordres qui sont strictement nécessaires » pour permettre aux subordonnés d’exprimer pleinement leur créativité et leur intelligence, avec des marges de manœuvre, au service d’une vision claire et intégrée par tous. Au fondement du principe de subsidiarité qui rend possible cette autonomie dans l’action se trouve la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Mf-xYu8uoNk">confiance réciproque</a> entre les subordonnés et les chefs : « pas de leadership sans confiance, pas d’entreprise sans confiance » affirme le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de Guerre et dirigeant d’entreprise.</p>
<hr>
<p><em>Philippe Horras, officier et commando Marine durant 22 ans, aujourd’hui <a href="https://www.pearl-crisis.com/">conseiller en gestion de crise</a>, a participé à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205888/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Misslin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Champs de bataille et marchés, l’incertitude plane sur ces deux environnements en constante évolution. L’armée l’a sans doute intégré depuis plus longtemps que les entreprises.
Thomas Misslin, Doctorant, Sciences de Gestion, Dauphine-PSL - Chef de projet, Executive Education, EM Lyon Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/205735
2023-05-24T17:31:30Z
2023-05-24T17:31:30Z
Thaïlande : en avant vers la démocratie ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526614/original/file-20230516-27-speuu1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C53%2C5991%2C3934&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pita Limjaroenrat lors du dernier grand meeting de campagne de son parti Move Forward à Bangkok, 13&nbsp;mai 2023. Le lendemain, cette formation démocratique d’opposition arrivera en tête des élections législatives.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Brickinfo Media/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://www.thailande-fr.com/politique/124597-resultats-preliminaires-des-elections-en-thailande">élections législatives tenues le 14 mai dernier</a> ont marqué un tournant dans l’histoire moderne de la Thaïlande. La victoire est revenue au parti progressiste de la jeune génération, Phak Kao Klai, souvent désigné sous son nom anglais Move Forward (<em>Aller de l’avant</em>), qui a obtenu 151 sièges sur les 500 que compte l’Assemblée législative, chambre basse du Parlement bicaméral du pays.</p>
<p>Le scrutin aura été une déconvenue pour Pheu Thai (<em>Pour les Thaïlandais</em>), l’autre grand parti d’opposition, fondé par l’ancien premier ministre <a href="https://www.cairn.info/idees-recues-sur-la-thailande--9791031802756-page-63.htm">Thaksin Shinawatra</a>, en exil depuis quinze ans et qui espérait pouvoir revenir au pays suite à ces élections. Pheu Thai, qui annonçait depuis le début de la campagne qu’il remporterait une victoire écrasante, est finalement arrivé en deuxième position, avec 141 sièges. </p>
<p>Les autres grands perdants de ces élections sont les partis conservateurs, monarchistes et militaristes. Associés au pouvoir militaire en place depuis le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-135.htm">coup d’État de 2014</a>, ils n’ont pas su séduire l’électorat. Ils avaient notamment basé leur communication sur un argument qui ne semble plus fonctionner chez les électeurs : il faut protéger la nation, la religion et le roi, plus que la démocratie.</p>
<p>Le peuple s’est exprimé : il souhaite la fin de l’hégémonie des militaires sur la politique thaïlandaise. Mais le régime sortant est-il prêt à l’entendre et à céder les rênes du pays ?</p>
<h2>Hier comme aujourd’hui, une armée omniprésente dans le jeu politique</h2>
<p>Dans les semaines qui ont précédé les élections, de nombreuses informations ont circulé concernant la possible dissolution des partis Move Forward et Pheu Thai, pour divers prétextes – parts dans des sociétés privées détenues par leurs dirigeants, supposés achats de votes, affiches non conformes…</p>
<p>En outre, il est également envisageable, même à ce stade, que les <a href="https://www.thaienquirer.com/49605/more-rumors-that-ec-wants-to-nullify-elections/">élections soient annulées</a> par la Commission électorale, pour de prétendues irrégularités, ce qui permettrait au gouvernement en place, conduit par le général Prayut Chan-ocha, premier ministre depuis le putsch de 2014, de rester en poste. Sans compter que, conformément à la <a href="https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/21500">Constitution de 2017</a>, adoptée sous les auspices de Prayut Chan-ocha, les 250 membres du Sénat votent au même titre que les 500 députés de l’Assemblée législative pour élire le premier ministre. Ces sénateurs, qui ont été désignés par le gouvernement de Prayut, pourraient faire pencher la balance en faveur du régime en place, au détriment des partis pro-démocratie arrivés en tête aux élections.</p>
<p>Enfin, le dernier recours envisageable est le coup d’État, <a href="https://asialyst.com/fr/2017/09/18/memo-coups-etat-thailande-10-points/">dans un pays qui en a connu 13 réussis</a>, ainsi que de nombreuses autres tentatives infructueuses, depuis la fin de la monarchie absolue en 1932.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OIu9RtPLij8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En 2001 et en 2005, le parti <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thai_rak_Thai">Thai Rak Thai</a> (le parti <em>Des Thaïlandais qui aiment les Thaïlandais</em>), du magnat milliardaire Thaksin Shinawatra, avait remporté les élections nationales. Cette formation étant considérée comme une menace pour le « double régime » de la monarchie et de l’armée, un coup d’État militaire a renversé le gouvernement en 2006. Thaksin Shinawatra vit depuis en exil, mais est toujours resté très actif en politique.</p>
<p>Après la dissolution de Thai Rak Thai, il a créé un nouveau parti, le Phak Phalang Prachachon (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/People%27s_Power_Party_(Thailand)"><em>Parti du pouvoir du peuple</em></a>). Celui-ci a remporté les élections nationales de 2007… avant d’être interdit par la Cour constitutionnelle. Mais Thaksin n’en est pas resté là et a alors lancé Pheu Thai, lequel a remporté les élections nationales de 2011, puis a été évincé par le coup d’État militaire de 2014. En Thaïlande, il est important d’avoir un « parti de rechange » : une dissolution est vite arrivée.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Après sa prise de pouvoir en 2014, le général Prayut Chan-ocha a <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2018-2-page-85.htm">régné en tant que dictateur pendant cinq ans</a>. Des élections législatives ont ensuite eu lieu en 2019, remportées par Pheu Thai. Mais le parti Palang Pracharat (<em>Le pouvoir pour le peuple thaï</em>), dont Prayut Chan-ocha était le candidat pour le poste de premier ministre à l’époque, a pu rassembler suffisamment de sièges au Parlement, négociant avec différentes autres formations, pour former un gouvernement. Prayut a donc pu rester au pouvoir.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528048/original/file-20230524-27-d46zkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dernier meeting de campagne du parti Ruam Thai Sang Chart. Prayut Chan-ocha brandit le drapeau du parti.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Duncan McCargo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces élections de 2019 ont vu la montée en puissance d’un nouveau parti, Future Forward, représentant la jeune génération, qui a pris la troisième place, avec 81 sièges. Le parti a été dissous un an plus tard par la Cour constitutionnelle pour avoir <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/feb/21/thai-court-dissolves-opposition-party-future-forward">« violé les règles électorales en recevant un prêt d’argent illégal »</a>. Des accusations largement considérées comme politiquement motivées.</p>
<h2>Le peuple dans la rue, le peuple dans les urnes</h2>
<p>L’interdiction de Future Forward avait entraîné d’importantes manifestations, principalement à Bangkok, de 2020 à 2021. <a href="https://theconversation.com/les-etudiants-tha-landais-face-au-triangle-armee-constitution-royaute-145114">Dirigées par des groupes d’étudiants</a>, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour demander la démission du général Prayut, une nouvelle Constitution et une réforme de la monarchie. Pour la première fois depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, le peuple thaïlandais se mobilisait dans les rues.</p>
<p>Les manifestants exigeaient une réforme de la monarchie. Ils protestaient notamment contre <a href="https://freedom.ilaw.or.th/en/freedom-of-expression-101/QA-112">l’article 112</a> du code pénal, qui punit le crime de lèse-majesté et dont le régime soutenu par l’armée abuse pour faire taire les opposants, les dissidents, les médias et la jeunesse thaïlandaise.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UrKfLUtWcr8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Thaïlande : manifestations pro-démocratie à Bangkok (France 24, 14 octobre 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Face aux gaz lacrymogènes, aux flashballs, aux canons à eau, mais aussi face aux poursuites judiciaires, déclenchées en vertu de l’<a href="https://freedom.ilaw.or.th/en/freedom-of-expression-101/QA-112">article 112</a> et de <a href="https://freedom.ilaw.or.th/en/blog/section-116-when-%E2%80%98sedition%E2%80%99-used-obstruction-freedom-expression">l’article 116</a> du code pénal (qui punit la « sédition »), les manifestations ont fini par se calmer.</p>
<p>L’opposition au gouvernement a néanmoins su se faire entendre, comme en témoigne l’élection du nouveau gouverneur de Bangkok en mai 2022, quand le <a href="https://thediplomat.com/2022/08/bangkoks-new-governor-is-sending-shockwaves-through-thailands-political-landscape/">candidat indépendant Chadchart Sittipun</a> a remporté une victoire écrasante. Les médias thaïlandais libéraux ont qualifié l’élection de Chadchart de <a href="https://www.khaosodenglish.com/opinion/2022/05/29/opinion-chadcharts-victory-gives-hope-to-not-just-bangkok-but-thai-democracy/">victoire pour la démocratie</a>.</p>
<h2>Le vote n’est que la première étape</h2>
<p>Rappelons que la Thaïlande est un régime <a href="https://www.senate.go.th/view/1/About/EN-US">parlementaire multipartite</a> avec 64 partis ayant concouru pour 500 sièges lors des élections de ce 14 mai.</p>
<p>En 2019, 350 des 500 députés de l’Assemblée législative avaient été élus par les circonscriptions, et les 150 autres à la proportionnelle, sur des listes présentées par des partis. Le bon résultat enregistré cette année-là par le très populaire parti Future Forward, notamment grâce au scrutin de liste, avait suscité l’inquiétude des conservateurs au pouvoir, qui ont donc, nous l’avons dit, décidé de l’interdire. Mais les membres de Future Forward avaient un parti de rechange en cas de dissolution de leur parti : Move Forward. </p>
<p>Pour enrayer la montée de Move Forward, le pouvoir a décidé qu’aux élections de 2023, 400 députés seraient désignés via le vote dans les circonscriptions et les 100 autres à travers les liste de partis – un rééquilibrage qui visait à favoriser les puissants barons politiques régionaux, influents dans les circonscriptions, et à contrecarrer la montée en puissance de Move Forward, parti jeune dont l’implantation locale est moins forte. Pourtant, celui-ci est arrivé en tête le 14 mai. Mais gagner les élections ne garantit pas de pouvoir former un gouvernement. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pita Limjaroenrat s’adressant à la presse pendant la campagne électorale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Duncan McCargo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comme en 2019, les 250 sénateurs non élus voteront aux côtés des 500 députés nouvellement élus pour désigner le prochain premier ministre. Lors des élections de 2019, ils ont soutenu à l’unanimité le général Prayut Chan-ocha, et la plupart d’entre eux restent ses fidèles partisans.</p>
<p>Si la Thaïlande s’est dotée d’une Constitution, d’un système électoral et d’un Parlement, les membres de l’establishment ne se sont pas dotés de valeurs démocratiques pour autant. Dans les coulisses, les différents barons de la politique s’affairent à trouver un subterfuge pour contrer la victoire de Move Forward. </p>
<h2>Des surprises à venir</h2>
<p>Fondé par le magnat des affaires Thanathorn Juangroongruangkit (né en 1978), Future Forward représentait un nouvel espoir démocratique pour les Thaïlandais, en particulier les jeunes. Après sa dissolution, Thanathorn et d’autres cadres du parti ayant été interdits de toute activité politique pendant dix ans, c’est un autre jeune magnat des affaires qui a pris la tête du Move Forward Party, <a href="https://www.nationthailand.com/thailand/40026043">Pita Limjaroenrat</a> (né en 1980). </p>
<p>Move Forward a fait campagne sur le thème du « changement », promettant un État-providence, la justice sociale et l’amendement du très controversé article 112. Cette posture de parti anti-régime a séduit le segment progressiste de la société et les jeunes électeurs. Mais elle inquiète l’establishment thaïlandais qui, répétons-le, tente d’empêcher le parti de former un gouvernement.</p>
<p>Actuellement, Move Forward cherche à former un gouvernement avec d’autres partis, y compris d’anciens partis d’opposition et des nouveaux partis. Le parti a besoin de 376 sièges pour pouvoir former un gouvernement et s’assurer que Pita soit premier ministre. Move Forward a donc besoin du vote des sénateurs et d’autres partis. </p>
<p>Certains partis de premier plan ont déclaré ne pas soutenir un gouvernement formé par Move Forward. C’est le cas du parti <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Bhumjaithai_Party">Bhumjaithai</a> (Parti <em>De la fierté thaïe</em>), arrivé en troisième position le 14 mai 2023. Bhumjaithai a déclaré que la position de Move Forward sur la monarchie et le crime de lèse-majesté était contraire à son projet, qui est de <a href="https://www.thaipbsworld.com/bhumjaithai-will-not-vote-for-move-forwards-pm-candidate-rejects-any-change-to-lese-majeste-law/">protéger la monarchie au mieux de ses capacités</a>. </p>
<p>L’histoire thaïlandaise l’a prouvé maintes fois, la démocratie n’est pas une option pour les conservateurs. Comme le parti du général Prayut l’a <a href="https://www.facebook.com/photo/?fbid=639599454879233&set=a.366191288886719">communiqué</a> lors de la campagne électorale : « Vous devez protéger le pays et non la démocratie. Le pays doit passer en premier, car s’il n’y a pas de nation, la démocratie n’est rien. »</p>
<p>Si Move Forward n’arrive pas à former un gouvernement, le choix se portera peut-être sur Pheu Thai. Dans les coulisses de la politique thaïlandaise, l’agitation bat son plein, mais pas forcément dans le sens d’une démocratisation. Mais que les politiques décident d’aller de l’avant ou de retourner en arrière, le peuple a parlé : c’est la démocratie qu’il a choisie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Les élections qui viennent de se tenir en Thaïlande se sont soldées par la victoire de deux partis d’opposition. Les militaires au pouvoir risquent toutefois de refuser de s’effacer…
Alexandra Colombier, Spécialiste des médias en Thaïlande, Université Le Havre Normandie
Duncan McCargo, Directeur de l'Institut nordique d'études asiatiques et professeur de sciences politiques, University of Copenhagen
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/205902
2023-05-22T16:37:40Z
2023-05-22T16:37:40Z
Pakistan : le spectre de l’embrasement
<p>Au Pakistan, <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230509-pakistan-l-ex-premier-ministre-imran-khan-arr%C3%AAt%C3%A9-alors-qu-il-comparaissait-devant-un-tribunal">l’arrestation</a>, le 9 mai dernier, de l’ancien premier ministre Imran Khan (août 2018-avril 2022), pour des faits supposés de corruption, a mis le feu aux poudres.</p>
<p>Dans plusieurs villes, de <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230511-au-pakistan-l-arm%C3%A9e-d%C3%A9ploy%C3%A9e-face-aux-manifestants-soutenant-l-ex-premier-ministre-khan">violents affrontements</a> ont mis aux prises les sympathisants de son parti, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (Mouvement du Pakistan pour la justice, PTI, de tendance islamo-nationaliste) et les forces de sécurité.</p>
<p>Le 12 mai, l’homme politique a été <a href="https://www.lejdd.fr/international/pakistan-lex-premier-ministre-imran-khan-libere-sous-caution-par-la-cour-supreme-135688">remis en liberté</a> à la suite d’une décision de la Cour suprême, mais <a href="https://news.sky.com/story/imran-khan-pakistans-former-prime-minister-says-police-have-surrounded-his-house-12882936">ses ennuis judiciaires ne sont pas terminés</a>, puisqu’il doit encore comparaître pour les faits qui lui sont reprochés.</p>
<p>Cet épisode de contestation, inédit par son intensité, s’inscrit dans le long bras de fer opposant le PTI à la coalition réunie autour de l’actuel premier ministre Shahbaz Sharif, alors que l’armée, dans ce pays de 230 millions d’habitants, continue de jouer un rôle de premier plan. </p>
<h2>Une déflagration inattendue</h2>
<p>L’ampleur et la virulence des mobilisations semblent avoir pris de court le gouvernement et l’armée, qui pour la première fois a <a href="https://www.nation.com.pk/10-May-2023/ghq-attacked-lahore-corps-commander-house-set-on-fire-by-pti-protesters">directement été prise pour cible par les protestataires</a>. Cet effet de surprise tient notamment à une perception erronée de la base sociale d’Imran Khan : selon un cliché largement répandu chez leurs opposants et dans les cercles gouvernementaux, les soutiens du PTI seraient essentiellement des « activistes du clavier » cantonnant leur engagement aux réseaux sociaux. </p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ces clichés ont été sévèrement démentis par la composition des foules émeutières des derniers jours, au sein desquelles on retrouvait aussi bien des femmes très motivées que des hommes d’affaires et des jeunes de milieu populaire. À cet égard, il faut souligner que 65 % des Pakistanais ont moins de 30 ans et environ 30 % d'entre eux ont entre 15 et 29 ans. Cette génération a grandi dans un monde où la menace djihadiste a perdu son caractère existentiel et où le rôle central de l’armée ne va plus de soi. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657017808851554309"}"></div></p>
<p>La capacité d’Imran Khan et de son parti à fédérer les colères et à donner un sens et une direction à des sections très différentes de la population a été minimisée par les autorités, tant civiles que militaires.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas la première fois que le PTI démontre ses capacités de mobilisation : en 2014, le parti avait organisé une <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2014/08/14/1934318-pakistan-islamabad-prepare-grandes-manifestations-contre-pouvoir.html">« marche de la liberté »</a> qui, quatre mois durant, avait drainé des milliers de personnes de Lahore à Islamabad. </p>
<h2>Une société traversée d’une multitude de clivages sociaux, ethniques et religieux</h2>
<p>Les conflits sociaux qui agitent le Pakistan se mesurent aussi à travers les mouvements antimilitaristes apparus ces dernières années dans les marches tribales du pays, notamment au <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/pakistan-au-moins-neuf-policiers-tues-dans-un-attentat-suicide-20230306_GFSGKSH4N5EWPJKFN332VD7LCE/">Baloutchistan</a>, et dans les <a href="https://www.diploweb.com/En-Afghanistan-et-au-Pakistan-qui-sont-les-Pachtouns-Un-peuple-sans-pays.html">régions pachtounes</a>, où le Pashtun Tahafuz Movement (Mouvement de protection des Pachtounes – PTM) est parvenu à mobiliser massivement pour dénoncer les exactions commises par les forces de sécurité dans le cadre des opérations antiterroristes, et ce malgré une <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2019/02/pakistan-end-crackdown-on-ptm-and-release-protestors/">féroce répression</a>.</p>
<p>Au cours des dernières années, les groupes nationalistes <a href="https://minorityrights.org/minorities/sindhis-and-mohajirs/">sindhis</a>, plutôt marqués à gauche, ont également refait parler d’eux, notamment en <a href="https://www.samaaenglish.tv/news/40018121">s’attaquant aux intérêts chinois</a>. Mais c’est surtout au Baloutchistan, à la frontière de l’Iran, que le nationalisme ethnique pose le plus grand défi à l’État et à une conception unitaire de la nation qui se suffirait de l’islam comme référent. C’est d’ailleurs dans cette région, interdite aux observateurs étrangers, que l’armée pakistanaise et les milices pro-gouvernementales font preuve de la violence la plus désinhibée. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1341720208541503489"}"></div></p>
<p>À cela s’ajoutent des clivages religieux, opposant sunnites et chiites (autour de 20 % de la population musulmane, qui constitue elle-même 96 % de la population) mais aussi différents courants religieux sunnites, notamment les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-pakistan-qui-sont-les-barelwis-islamistes-soufis-mobilises-contre-la-france-1066731">Barelwis</a>, adeptes d’un islam dévotionnel aux influences soufies, et les <a href="https://newlinesmag.com/essays/the-long-shadow-of-deobandism-in-south-asia/">Deobandis</a>, appartenant à un courant réformé qui s’est détaché de l’islam populaire par son rigorisme et son scripturalisme. </p>
<p>Enfin, la société pakistanaise est profondément inégalitaire. Au Pendjab et à Karachi – deux régions historiquement ancrées dans le monde indien –, les hiérarchies de caste restent très prégnantes. En pays pachtoune ou au Baloutchistan, la société reste dominée par des notables ou des chefs tribaux tandis que dans le Sindh rural le pouvoir économique et politique est concentré entre les mains des grands propriétaires terriens. Dans ce contexte de hiérarchies sociales superposées, le thème du « peuple contre l’establishment », dont le PTI s’est emparé, est fortement mobilisateur. </p>
<p>La grande force du PTI est d’être parvenu à surmonter ces clivages structurels en articulant un discours antisystème transcendant les divisions de caste, de classe et d’ethnie, tout en promouvant un islamo-nationalisme qui, s’il apparaît excluant pour les minorités religieuses (hindous, chrétiens, ahmadis), permet de rassembler l’ensemble de la population musulmane. </p>
<p>Tout en rassemblant largement, Imran Khan a cependant <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/may/09/how-imran-khan-became-the-man-who-divided-pakistan">fortement polarisé la société pakistanaise</a>. Il a divisé l’armée, dont une partie des officiers semblent le soutenir, mais aussi les familles, où le PTI et son chef suscitent des opinions fortement contrastées. Ce sont aussi ces divisions qui expliquent la profondeur de la crise actuelle, qui traverse les institutions plutôt qu’elle ne les oppose frontalement.</p>
<h2>Une coalition au pouvoir désunie</h2>
<p>Il n’y a qu’une unité de façade dans la coalition du Pakistan Democratic Movement (PDM) actuellement au pouvoir.</p>
<p>Les dynasties politiques qui se trouvent à la tête du Pakistan Peoples Party (les Bhutto-Zardari) et de la Pakistan Muslim League Nawaz (les Sharif) sont des rivaux historiques, qui n’ont cessé de se disputer le pouvoir depuis la fin du régime militaire de Zia-ul-Haq en 1988.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1515181395039211522"}"></div></p>
<p>Ils partagent cependant un objectif : consolider les institutions démocratiques pour renforcer leur autonomie face au pouvoir militaire, même s’il leur arrive fréquemment de s’incliner devant les coups de force de l’armée, par faiblesse ou par opportunisme. L’objectif du PTI et de son chef est sensiblement différent : il s’agit plutôt pour eux de soumettre l’ensemble des institutions, y compris l’armée, en les contraignant à faire allégeance au leader de la nation.</p>
<p>Imran Khan ne se bat ni pour la démocratie, ni contre l’institution militaire. Il est dans un rapport de force très personnalisé avec le chef de l’armée, qui par certains côtés rappelle la tentative de Zulfikar Ali Bhutto, dans les années 1970, de monopoliser le pouvoir autour de sa personne.</p>
<h2>Le poids de l’armée</h2>
<p>L’armée conserve un rôle central dans tous les domaines d’activité. On trouve des généraux à la retraite à la tête de nombreuses institutions, du National Accountability Bureau (l’agence anti-corruption, à l’origine de l’arrestation d’Imran Khan, le 9 mai) jusqu’aux instances de direction des universités. À travers ses fondations, l’armée contrôle des pans entiers de l’économie. Elle est aussi l’un des premiers propriétaires fonciers du pays, tant en milieu rural (où les officiers méritants se voient attribuer des terres en fin de carrière) que dans les grandes villes (où elle gère de nombreux projets immobiliers). </p>
<p>Au plan politique, depuis la fin des années 2000, les militaires veillent à ne pas se mettre en première ligne et préfèrent contrôler les affaires en coulisse. C’est ce qui les a conduits à soutenir l’accession au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections de 2018. Il s’agissait alors pour l’armée de contenir le PPP et la PMLN, qui représentaient pour elle une menace, avec leur volonté de renforcer l’autonomie du pouvoir civil et des institutions démocratiques aux dépens du pouvoir militaire.</p>
<p>Au cours des années suivantes s’est mis en place un régime hybride, présentant une façade démocratique mais en réalité contrôlé par les militaires. Imran Khan n’a cependant pas tardé à vouloir s’autonomiser de ses anciens patrons, notamment en tentant de placer à la tête de l’armée et de ses puissants services de renseignement des généraux réputés proches de lui.</p>
<p>C’est ce qui a provoqué sa chute, à l’issue d’une motion de censure, en avril 2022 – une destitution dans laquelle la direction du PTI a vu un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-pakistan-imran-khan-destitue-joue-la-carte-du-martyr-9350584">complot ourdi par l’armée pakistanaise et les États-Unis</a>. Le conflit est encore monté d’un cran suite à la récente arrestation de Khan, dont il a publiquement tenu responsable le chef de l’armée, le général Asim Munir.</p>
<p>Pour le leader du PTI, il s’agit pourtant moins de lancer un processus de démilitarisation du pays que de régler ses comptes et de remporter un bras de fer avec le seul homme susceptible de lui tenir tête. Même s’il engage l’avenir des relations civils-militaires, il s’agit plus là d’un conflit de personnes que d’institutions.</p>
<h2>Quels scénarios peut-on envisager ?</h2>
<p>Le premier scénario est celui d’une montée des tensions entre le PTI et l’armée. Jouant la carte de la polarisation et de l’agitation, Imran Khan pourrait appeler ses partisans à la résistance, en pariant sur le soutien d’une partie de l’armée voire sur une mutinerie qui pousserait le général Munir vers la sortie. Ce scénario est très improbable. Si l’armée semble plus divisée que jamais, elle reste pour l’instant unie derrière son chef.</p>
<p>Un second scénario est celui d’un retour au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections actuellement programmées pour octobre 2023. La tenue du scrutin à la date prévue semble cependant compromise par la crise actuelle et l’on voit mal les chefs de l’armée et les opposants du PTI se résigner au retour de Khan, dont l’un des premiers objectifs sera de punir et d’emprisonner ses adversaires.</p>
<p>Le dernier scénario, le plus probable à court terme, est celui d’une consolidation autoritaire à l’initiative et au bénéfice de l’armée. Celle-ci semble déterminée à instrumentaliser les mobilisations violentes des dernières semaines pour mettre au pas le PTI. Des milliers de sympathisants du parti ont été interpellés ces derniers jours et pourraient être jugés devant des tribunaux militaires. Une grande partie des dirigeants du parti sont également sous les barreaux. Cette stratégie répressive a le soutien du gouvernement de Shahbaz Sharif qui, non sans cynisme, instrumentalise la colère de l’armée pour régler ses propres comptes avec le PTI. Certains membres de la coalition au pouvoir souhaiteraient même profiter des événements des derniers jours pour interdire leur principal rival, afin de l’empêcher de se présenter aux prochaines élections.</p>
<p>En tout état de cause, la démocratie risque de ne pas sortir grandie de cette épreuve…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205902/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les partisans de l’ex-premier ministre Imran Khan s’en prennent avec une véhémence sans précédent au pouvoir en place, qui veut emprisonner leur leader. Le spectre de la guerre civile rôde.
Laurent Gayer, Directeur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/203011
2023-04-13T17:49:31Z
2023-04-13T17:49:31Z
Le petit pas inaperçu de l’UE vers une défense commune
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519821/original/file-20230406-21-u4lshj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C13%2C4585%2C3063&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’UE n’a pas d’armée, mais elle a depuis un an une boussole stratégique.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Roman Barkov/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans l’actualité internationale, un bouleversement peut rapidement en cacher un autre : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a éclipsé nombre d’autres sujets bien moins choquants pour les Européens. Il en est ainsi de la <a href="https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/strategic_compass_fr_4.pdf">Boussole stratégique</a>, adoptée par le Conseil européen (composé des chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept) fin mars 2022, soit un mois après le début de l’« opération militaire spéciale » de Vladimir Poutine. Il s’agit pourtant d’un texte important, qui va servir de feuille de route à l’UE concernant la sécurité et la défense de ses membres.</p>
<p>S’agit-il d’une avancée miraculeuse ou d’un énième texte assurément décevant ? À défaut de prédire l’avenir ou de parler d’<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-vers-une-defense-europeenne-178261">armée européenne</a>, il est déjà possible d’affirmer que la Boussole stratégique est un <a href="https://www.grip.org/la-boussole-strategique-de-lue-repond-elle-aux-enigmes-existentielles-de-la-defense-europeenne/">document innovant</a> par plusieurs aspects, qui mérite d’être considéré pour son apport au processus long et complexe de construction d’une Europe de la défense.</p>
<h2>Un texte fondé sur la concertation des Vingt-Sept</h2>
<p>Premier aspect novateur, les lignes directrices de la Boussole et les modalités pratiques de leurs mises en œuvre ont été déterminées par concertation entre tous les États membres. Cela peut paraître anecdotique : pourquoi un tel exercice est-il inédit, important et hautement symbolique pour l’Union ?</p>
<p>Tout d’abord, même si l’UE affiche un niveau d’intégration inégalé entre États – <a href="https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-la-zone-euro/">monnaie commune</a> pour 20 de ses 27 États, <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-marche-unique/">marché commun</a>, espace de libre circulation des <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/147/la-libre-circulation-des-personnes">personnes</a> et des <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/38/libre-circulation-des-marchandises">marchandises</a>, il lui a cependant fallu des décennies pour <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/revue-internationale-et-strategique-2002-4-page-119.htm">amorcer une coopération dans le domaine de la sécurité, et encore plus dans celui de la défense</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4pUGa-3mrJ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Il y a bien eu des tentatives, mais le sujet est épineux, pour deux raisons principales. En premier lieu, parce que <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/quels-sont-les-pays-europeens-membres-de-l-otan/">21 des 27 des États de l’UE sont également membres de l’OTAN</a>, qui leur permet de compter sur l’appui des États-Unis, première puissance militaire mondiale. Ensuite, parce que la défense est encore intrinsèquement liée, pour certains, à la souveraineté étatique. Cette dernière serait donc mise en péril par le transfert de compétences à l’Union, dont le potentiel d’intégration inquiète davantage que celui de l’OTAN, qui n’a vocation qu’à fonctionner par consensus.</p>
<p>En outre, la concertation qui en est à l’origine <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/revue-defense-nationale-2022-3-page-99.htm">différencie la Boussole stratégique des précédents textes</a> qui visaient à doter l’UE d’une ligne de conduite pour sa Politique extérieure de sécurité commune (PESC), comprenant une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ces documents étaient le fruit d’un travail interne du <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/eeas_fr">Service européen pour l’action extérieure</a> et de <a href="https://www.eeas.europa.eu/node/410576_fr">son Haut représentant</a>, qui prenaient nécessairement en compte les points de vue étatiques, mais ne mettaient pas en place un exercice de concertation et de négociation.</p>
<p>Avec la Boussole, chaque État est censé être d’autant plus lié qu’il y a activement participé. Ainsi, les États ont non seulement fourni les renseignements permettant de réaliser l’analyse des menaces pesant sur la sécurité européenne, mais ont aussi participé au débat stratégique pour s’accorder sur le contenu concret des solutions à y apporter. Dès lors, quel est l’apport de ces solutions ?</p>
<h2>Un texte présentant un agenda précis</h2>
<p>Les États ne se sont pas seulement mis d’accord sur les menaces existantes, qu’il s’agisse de crises ciblées géographiquement (par exemple le recours à la force par la Russie, les risques pour la sécurité et la stabilité dans les Balkans occidentaux, les crises en Libye et en Syrie ou encore les conflits dans la région du Sahel et du golfe de Guinée) ou de défis transnationaux (le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive ou les cyberattaques). Ils ont également décidé d’un plan d’action à mettre en œuvre, selon un calendrier déterminé.</p>
<p>Cela passe tout d’abord par une révision de la Boussole stratégique tous les trois ans, toujours par un processus de concertation entre États. Cette actualisation systématique permettra aussi de développer une politique et une culture communes.</p>
<p>De surcroît, les États expriment clairement leur volonté d’assumer davantage de responsabilités en atteignant l’autonomie stratégique, à savoir la capacité d’agir seuls, sans aide extérieure (qui provient bien souvent des États-Unis). Pour cela, des objectifs clairs à court terme ont été décrétés, tels que la création d’une <a href="https://www.leprogres.fr/defense-guerre-conflit/2022/03/21/force-de-5000-soldats-hausse-des-budgets-l-europe-muscle-sa-defense">force de réaction rapide de 5 000 militaires</a> ou la tenue d’exercices réels réguliers destinés à préparer les différents acteurs civils et militaires pouvant participer à la sécurité du continent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1522243632413171713"}"></div></p>
<p>Il est également prévu de renforcer les mécanismes existants permettant la coopération entre États dans des domaines variés tels que le renseignement ou la sécurité du cyberespace. Ainsi, une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52022JC0049&from=EN">nouvelle politique de cyberdéfense</a> a été adoptée fin 2022, tandis que de nouveaux outils de prévention et de réponse aux cyberattaques ont été développés (afin de renforcer la <a href="https://www.cyber-diplomacy-toolbox.com/">« Cyber Diplomacy Toolbox »</a>).</p>
<p>Un autre point important de la Boussole stratégique touche aux investissements conjoints : l’argent est le nerf de la guerre, et donc de la défense. Or, il est indéniable que dépenser en commun permet de réaliser des économies d’échelle, et qu’investir ensemble permet de renforcer la recherche et le développement.</p>
<p>Les États membres se sont donc engagés à effectuer 35 % de leurs dépenses en commun, contre 18 % en 2021. Pour cela, une <em>Task Force</em> a été créée afin d’identifier les besoins urgents des États et les capacités de production pouvant y répondre. À plus long terme, <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/eda_fr">l’Agence européenne de défense</a> doit les accompagner pour développer l’industrie européenne de défense et des achats communs.</p>
<p>La Commission européenne finance également, avec un <a href="https://defence-industry-space.ec.europa.eu/eu-defence-industry/european-defence-fund-edf_en">Fonds européen pour la défense</a>, des projets collaboratifs de recherche et de développement dans le domaine de la défense. L’accent est mis sur l’implication de PME européennes et de consortiums européens qui bénéficieront d’une exemption de TVA.</p>
<h2>Un texte qui reste dépendant des États</h2>
<p>La Boussole stratégique comporte donc de nombreux éléments intéressants, mais reste un texte sur lequel des États se sont accordés à un moment donné. Pourraient-ils, à terme, si par exemple les dirigeants à leur tête changeaient ou se rétractaient, se désolidariser de ce texte ? Ou sont-ils désormais juridiquement contraints de s’y conformer en toutes circonstances ?</p>
<p>À court terme, la <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/court-justice-european-union-cjeu_fr">Cour de justice de l’UE</a> ne peut pas condamner les États s’ils ne respectent pas leurs engagements en matière de sécurité et de défense, car cette option a été expressément exclue (article 24 du <a href="https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF">Traité sur l’UE</a>). Théoriquement, il serait <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2388165">possible de condamner un État</a> en arguant qu’il ne respecte pas le principe de coopération loyale (article 4§3 du TUE), mais cela reste peu probable en cas de retard dans les objectifs, de manquement ponctuel ou relativement peu important, ou encore si une écrasante majorité d’entre eux s’y soustrait.</p>
<p>Une autre limite est due à des engagements au caractère plutôt vague, comme celui d’augmenter <em>considérablement</em> les dépenses en matière de défense. L’appréciation du <em>considérable</em> restant l’apanage des États, il n’y a donc aucune certitude sur ce que cette notion implique concrètement et sur ce qui constituerait un manquement.</p>
<p>Enfin, à plus long terme, rien n’oblige les États à s’accorder systématiquement sur leurs politiques, ni à accentuer leur coopération en matière de défense.</p>
<h2>Un texte qui ne peut révolutionner instantanément l’Union européenne</h2>
<p>La Boussole stratégique n’est donc pas une solution miracle pour ceux qui souhaitent des avancées plus rapides, mais un simple texte peut-il l’être ?</p>
<p>Il est indéniable que les États coopèrent beaucoup moins en matière de défense que dans d’autres domaines. La Boussole n’a pas drastiquement changé cette situation, ce qui n’a rien d’étonnant au regard de l’histoire de la construction européenne. En effet, si nous sommes aujourd’hui habitués à l’utilisation de l’euro, il ne faut pas oublier que la monnaie commune n’a été instaurée qu’entre 1999 et 2002, alors que les trois premiers traités de coopération économique ont été signés en 1951 et 1957.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>La Boussole stratégique doit donc être prise pour ce qu’elle a vocation à être : un nouveau texte prometteur, qui cherche à encadrer la coopération à court et moyen terme, et participe à la construction d’une culture stratégique commune à long terme. De ce point de vue, elle semble remplir efficacement son rôle et s’inscrit dans ce qui est prévu dans le traité : « La définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union [qui] conduira à une défense commune » lorsque les États en prendront la décision, à l’unanimité (article 42.2 du Traité de l’UE).</p>
<p>Dans cette perspective, il est notable que la Boussole stratégique s’appuie sur des mécanismes qui existent depuis plusieurs années, en les renforçant. Elle ne crée pas de nouveaux instruments susceptibles de tomber en désuétude. Par exemple, il a été décidé de renforcer le rôle du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (nommé par le Conseil européen avec l’accord du président de la Commission), ou de <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/eda_fr">l’Agence européenne de défense</a> qui aide les États afin de développer leurs ressources militaires en collaborant.</p>
<p>Une défense commune européenne ne peut donc pas être simplement instaurée par un texte révolutionnaire, et ce n’est d’ailleurs pas la vocation de la Boussole stratégique. Pour autant, il ne faut pas nier les avancées juridiques et politiques importantes qu’elle comporte, et qui méritent d’être reconnues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203011/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Hélène Bertana ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Il y a un an, l’UE adoptait un document novateur : la Boussole stratégique. Si ce texte n’a pas instauré une politique de défense commune, il s’agit d’un pas dans cette direction.
Anne-Hélène Bertana, Doctorante (ATER) en Droit international public, Université de Bordeaux
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/200122
2023-03-14T20:00:52Z
2023-03-14T20:00:52Z
Le Service national universel, un retour en arrière ?
<p>Contesté dès son lancement en 2018, le Service national universel (SNU) fait à nouveau parler de lui. Le dispositif a concerné <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4003845-20221006-service-national-universel-snu-desormais-accessible-tous-annonce-sarah-el-hairy">15 000 jeunes entre 15 et 17 ans en 2021</a> et la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse Sarah El Haïry a indiqué <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/02/snu-emois-autour-d-une-possible-generalisation-du-programme_6163900_3224.html">être favorable à sa généralisation</a> à l’ensemble d’une classe d’âge.</p>
<p>En quoi consiste ce dispositif ? Lancé en 2018 et actuellement fondé sur le volontariat, le <a href="https://theconversation.com/debat-le-service-national-universel-un-echec-pedagogique-programme-115609">Service national universel</a> se compose d’un <a href="https://www.snu.gouv.fr/phase-1-sejour-cohesion/">« séjour de cohésion »</a> de 12 jours dans des centres dédiés – avec un uniforme et des rituels comme le <a href="https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/lever-des-couleurs">lever des couleurs</a> –, d’une <a href="https://www.snu.gouv.fr/phase-2-mission-interet-general/">mission d’intérêt général</a>, puis d’un « <a href="https://www.snu.gouv.fr/phase-3-lengagement-volontaire/">engagement volontaire » facultatif</a>, qui peut prendre la forme d’un service civique, d’un service militaire volontaire, ou d’un engagement dans la réserve opérationnelle.</p>
<p>Si les modalités précises de sa potentielle généralisation restent à définir, la mesure évoque un retour au service militaire, suspendu en 1997.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/associations-benevolat-pourquoi-les-etudiants-sengagent-ils-198839">Associations, bénévolat : pourquoi les étudiants s’engagent-ils ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pourtant, le SNU n’est pas le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/service-militaire-44695">service militaire</a>. Ses objectifs sont flous, évoquant pêle-mêle la <a href="https://www.snu.gouv.fr/wp-content/uploads/2022/11/accueillir-un-volontaire.pdf">« cohésion nationale », la « culture de l’engagement »</a>, la sensibilisation aux enjeux de défense, l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.</p>
<p>De cette manière, ce projet s’inscrit dans une longue histoire. Les tentatives de <a href="https://theses.hal.science/tel-03622606">mêler école, armée et monde associatif</a> sont en effet une constante depuis les débuts de la III<sup>e</sup> République, dans les années 1870-1880. Revenir sur ce passé permet de mettre en perspective ces tentatives et leurs impasses.</p>
<h2>Durant la IIIᵉ République, former des citoyens-soldats</h2>
<p>Les dimensions militaires et éducatives sont indissociablement liées dans l’histoire de la République. Dès 1871, un des pères fondateurs de la III<sup>e</sup> République, Léon Gambetta, affirmait vouloir instituer une école du citoyen-soldat : « je ne veux pas seulement que cet homme pense, lise et raisonne, je veux qu’il puisse agir et combattre. Il faut mettre partout, à côté de l’instituteur, le gymnaste et le militaire ».</p>
<p>Ainsi, les grandes lois des années 1880 qui ont rendu l’école gratuite et laïque comprennent dès le départ un volet militaire, avec une gymnastique obligatoire dans les écoles primaires (loi George). <a href="https://doi.org/10.3406/rnord.1985.4149">Des « bataillons scolaires » existent même pendant quelques années</a>. Les adolescents y apprennent à marcher au pas, le dimanche matin, en uniforme, fusil de bois à l’épaule, sous les ordres d’un sous-officier.</p>
<p>Cette dimension militariste s’atténue au tournant du siècle, mais ne disparaît jamais totalement. La mémoire collective a complètement oublié l’existence du <a href="https://www.cairn.info/revue-vingt-et-vingt-et-un-revue-d-histoire-2021-1-page-95.htm">« tir scolaire » dans les années 1900</a>, avec l’organisation d’un championnat de France de tir à la carabine, dans les écoles, sous l’égide des instituteurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514198/original/file-20230308-26-jgc7wr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Défilé d’un bataillon scolaire à Breteuil-sur-Noye (Oise), en 1899.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bataillon_scolaire_Breteuil_sur_Noye.jpg">Musée national de l’Éducation, INRP Rouen, via Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le même temps, l’armée devient une armée nationale, avec la mise en place progressive d’un service militaire véritablement universel en 1889, encore plus égalitaire après la loi de 1905, qui impose le service de deux ans pour tous.</p>
<p>Les militaires imaginent alors, comme le montre un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k839522/f442.item">article</a> du maréchal <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_Lyautey">Hubert Lyautey</a> resté célèbre, que les officiers doivent assumer un « rôle social », prolongeant l’effort éducatif des instituteurs. L’expérience partagée de la caserne est alors vue comme un facteur décisif d’unification culturelle d’un pays encore très divers.</p>
<p>L’idée d’associer cadre militaire et ambition éducative n’est donc pas neuve. Elle n’avait pourtant pas le même sens hier qu’aujourd’hui. L’éducation civique n’était pas l’objectif principal du service militaire. C’était avant tout un dispositif de défense, dans un contexte international où la guerre était un horizon très proche, comme l’a montré le déclenchement soudain de la Première Guerre mondiale en 1914.</p>
<h2>Le service militaire, une institution nationale</h2>
<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/premiere-guerre-mondiale-25897">Grande Guerre</a> a d’ailleurs un effet très direct. <a href="https://www.numeriquepremium.com/content/books/9782070346837#toc-articles">Le service militaire est resté une institution importante dans la société française</a>, avec l’idée que seule une armée forte garantissait la paix et l’indépendance de la France.</p>
<p>En revanche, <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2020-2-page-5.htm">l’uniforme militaire est sorti presque totalement de l’école dès les années 1920</a>. Ce qui devient le « ministère de l’Éducation nationale » dans les années 1930 ne s’occupe plus guère de former des soldats.</p>
<p>L’épisode des « chantiers de jeunesse », durant la période du régime de Vichy, relance au contraire l’idée de former des groupements éducatifs dans un cadre militaire ou paramilitaire. L’ambition en était idéologique, mais il s’agissait aussi de remplacer la conscription, interdite par le traité d’Armistice de 1940.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Hors cette parenthèse vichyste, des années 1920 à la guerre d’Algérie, le service militaire est donc resté donc une institution proprement militaire, avec une séparation plus nette entre l’armée et le secteur éducatif. Les conscrits ont été mobilisés en 1939, et plus tard le contingent des appelés a été massivement envoyé assurer le « maintien de l’ordre » en Algérie, selon l’expression des années 1950, notamment <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/guerre_d_Alg%C3%A9rie/104808">durant la guerre d’Algérie, entre 1954 et 1962</a>.</p>
<p>Les années 1960 constituent un intense moment de réflexion et de <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/combattants/conscription-et-recrutement-militaire-en-europe-XIXe-XXIe-si%C3%A8cles">débat autour de l’utilité du service militaire</a>, notamment à propos de son coût et de la place à laisser à l’objection de conscience, qui reçoit un statut officiel en 1963.</p>
<p>La situation à partir des années 1970 est bien différente. La France continue à faire la guerre régulièrement, mais dans des opérations lointaines, qui mobilisent des troupes bien entraînées et équipées de matériel de plus en plus technique. L’armée devient donc progressivement une armée de métier.</p>
<p>Le service militaire obligatoire de 12 mois puis de 10 mois, devenu coûteux et inutile militairement, est suspendu par le président Jacques Chirac ; la mesure rentre en vigueur en 1997. <a href="https://www.senat.fr/rap/r95-349/r95-349_mono.html">Plus de 30 % d’une classe d’âge était exemptée</a>, pour des raisons médicales ou administratives (soutien de famille, par exemple), et les formes de services étaient très diverses, y compris sous des formes civiles.</p>
<h2>Le Service national universel, pour quoi faire ?</h2>
<p>Si de <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/presidentielle-2022-melenchon-souhaite-retablir-un-service-militaire-obligatoire-elargi-a-la-police-20201130">nombreux hommes politiques</a> voient aujourd’hui dans la suppression du service militaire une erreur, il y a matière à douter de l’intérêt d’un retour en arrière.</p>
<p>D’un point de vue pragmatique, aucun des objectifs affichés par le SNU ne relève véritablement du domaine professionnel des militaires, à savoir la défense de la France. Comme le rappelle régulièrement la <a href="https://theconversation.com/rendre-aux-armees-leur-vraie-place-80840">chercheuse Bénédicte Chéron</a>, il semble y avoir un malentendu sur le rôle effectif de l’armée. L’encadrement d’adolescents ne semble pas relever des missions fondamentales de forces qui souffrent déjà de problèmes de financement. Il faut d’ailleurs noter la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/michel-goya-faire-dormir-des-adolescents-dans-un-dortoir-ne-renforcera-pas-la-cohesion-nationale-20190619">méfiance de nombreux militaires envers le dispositif</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fKXpSj1DoSQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 2019, Gabriel Attal, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, et Frédérique VIDAL, ex-ministre de l’Enseignement supérieur, lancent le Service national universel dans le Nord.</span></figcaption>
</figure>
<p>De plus, des difficultés de recrutement des encadrants ont été soulignées par les rapports sur la mise en place progressive du dispositif. Cette inadaptation a déjà provoqué des incidents médiatisés, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/130722/service-national-universel-la-punition-collective-nocturne-dans-un-lycee-strasbourgeois-passe-mal">comme cette punition collective en pleine nuit à Strasbourg, ordonnée par un ancien officier</a>. La question des infrastructures d’accueil pose aussi problème, à l’heure où les services publics sont sommés de faire toujours plus d’économies.</p>
<p>Cette priorisation relève ainsi d’une vision idéologique, qui repose sur des mythes. Le recours au cadre militaire serait un moyen pour unifier la jeunesse d’une nation. Mais il faut rappeler que ses rituels ont un sens, celui de former des groupes efficaces au combat. La mise en perspective historique permet de mettre en lumière le décalage entre cet imaginaire fantasmé et le véritable rôle du service militaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200122/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lionel Pabion ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le Service national universel, que le président de la République voudrait généraliser, s’inscrit dans une longue histoire de tentatives visant à mêler école, armée et monde associatif.
Lionel Pabion, Maître de conférences en histoire, Université Rennes 2
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/198465
2023-01-27T15:21:41Z
2023-01-27T15:21:41Z
Voici pourquoi près d’un an plus tard, le conflit en Ukraine change de nature
<p>L’ <a href="https://blogs.mediapart.fr/touriste/blog/270222/document-discours-integral-de-poutine-le-24-fevrier">« opération militaire spéciale »</a> de Vladimir Poutine en Ukraine approche de son premier anniversaire. Mais la nature même du conflit a changé depuis l’invasion.</p>
<p>En février 2022, l’attaque russe sur Kyïv — <a href="https://jmss.org/article/view/76586/56341">prétendument pour provoquer un changement de régime en Ukraine</a> — a vite échoué. Le régime ukrainien actuel, au lieu de s’effondrer comme un château de cartes, est sorti renforcé.</p>
<p>Pourtant, les forces séparatistes et russes combattant dans la région du Donbass depuis 2014 avaient pu constater <a href="https://www.businessinsider.com/ukraine-modernizing-military-to-make-war-more-costly-for-moscow-2021-6">l’amélioration des capacités militaires ukrainiennes</a> — malgré ce que croyait ou pensait le président russe. Néanmoins, les forces russes <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-60506682">se sont emparées d’un territoire important</a> dans l’est de l’Ukraine au début du conflit.</p>
<p>Cette guerre de mouvement initiée par la Russie s’est rapidement enlisée. À leur tour, les forces ukrainiennes ont également reconquis des territoires relativement rapidement à l’automne 2022, <a href="https://www.7sur7.be/monde/les-combats-entre-l-ukraine-et-la-russie-dans-l-impasse-nous-ne-pouvons-pas-battre-les-russes-mais-eux-non-plus%7Ea976361d/?referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F">mais cette phase de mouvement s’est également interrompue</a>.</p>
<p>Aucun des deux camps n’a su gagner un avantage décisif sur le champ de bataille. <a href="https://thehill.com/opinion/national-security/3727910-the-russian-armys-trouble-runs-deep/">Malgré les prédictions de nombreux observateurs occidentaux</a>, les forces russes en Ukraine ne sont pas effondrées — et n’en montrent aucun signe. Voici pourquoi.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-vladimir-poutine-reagira-t-il-aux-recentes-victoires-ukrainiennes-190709">Comment Vladimir Poutine réagira-t-il aux récentes victoires ukrainiennes ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Redéploiement russe</h2>
<p>La Russie a envahi l’Ukraine avec une <a href="https://jmss.org/article/view/76588/56337">force trop petite pour y mener une guerre d’envergure</a>.</p>
<p>La débâcle de l’attaque russe au nord de Kyïv a entraîné un redéploiement vers l’est. Ce mouvement a permis de simplifier considérablement les lignes d’approvisionnement russes et de concentrer les troupes à l’Est. Plus au sud, la retraite russe du territoire de Kherson a produit le même effet.</p>
<p>Même si Vladimir a longtemps refusé de reconnaître que sa prétendue « opération militaire spéciale » était en réalité une guerre ouverte, <a href="https://www.themoscowtimes.com/2022/12/23/lawmaker-attacks-putin-for-ukraine-war-reference-a79790">il l’a maintenant fait en paroles et en actes</a>.</p>
<p>Ce changement de cap s’est accompagné d’un renforcement important de l’armée russe en Ukraine. <a href="https://www.csis.org/analysis/what-does-russias-partial-mobilization-mean">La mobilisation partielle des réservistes</a> a considérablement accru ses ressources humaines par rapport à ce dont elle disposait au départ.</p>
<p>Les réservistes russes sont concentrés dans l’est de l’Ukraine en <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-odesa-mykolayiv-strikes-russia-invasion-svitlodarsk/31961614.html">position défensive sur presque tout le front</a>. Cette stratégie signifie moins de pertes et des ressources plus concentrées qu’un an auparavant quand l’armée russe menait l’offensive sur un très large front.</p>
<p>Les Russes ont axé leurs opérations <a href="https://article19.ma/accueil/archives/163407">offensives sur la sécurisation du territoire restant de Donetsk et de Louhansk</a> — ce qui était la <a href="https://www.cnbc.com/2022/04/19/why-does-russia-want-the-donbas-region-so-much.html">justification initiale de l’invasion</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme chauve serre la main d’un soldat en tenue de combat" src="https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le président Vladimir Poutine visite un centre d’entraînement pour réservistes dans le district militaire occidental près de Riazan, en Russie, en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Mikhail Klimentyev, Sputnik, via AP)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une avancée fulgurante</h2>
<p>Les opérations actuelles de la Russie dans la région de Bakhmout, dans le Donbass, n’ont rien de fulgurant, mais à bien des égards, cette stratégie de <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-bakhmut-russia-assault-invasion-analysis/32174980.html">rouleau compresseur</a> convient mieux à l’armée russe.</p>
<p>Ces opérations de portée limitée corrigent aussi les <a href="https://www.janes.com/defence-news/news-detail/ukraine-conflict-russian-military-adapts-command-and-control-for-ukraine-operations">lacunes de la structure de commandement et de contrôle du début du conflit</a>. Cette approche limitée et méthodique convient également mieux à des réservistes généralement moins formés et peu expérimentés.</p>
<p>Les forces russes ont également une longue expérience des combats d’artillerie à forte intensité qui caractérise le conflit actuellement.</p>
<p>Fin 1994, les forces russes ont tenté de prendre d’assaut la capitale tchétchène de Grozny, d’une manière assez semblable à l’attaque de Kyïv en 2022. À la lumière de cet échec, elles ont adopté le type d’approche centrée sur l’artillerie, qu’ils avaient perfectionnée pendant la Seconde Guerre mondiale pour réduire la ville avant de la capturer. Cette approche <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/04/21/ukraine-russia-mariupol-fall-maps/">a été appliquée à Marioupol</a> avec succès.</p>
<p>En tant qu’historien de l’armée russe et soviétique, j’ai été en mesure de constater une tendance « culturelle » où les opérations offensives téméraires initiales sont suivies d’une approche plus méthodique et mesurée. Outre le cas de la prise de Grozny, la <a href="https://www.cambridge.org/core/books/red-army-and-the-second-world-war/2E01D8047C13AE63A3A92D6DEE2CD71F">Grande Guerre patriotique soviétique de 1941 à 1945 est jonchée d’exemples similaires</a>.</p>
<p>Cela s’est souvent accompagné d’un engagement plus profond dans la tâche à accomplir afin d’y mettre les bouchées doubles. De nombreux signes indiquent que telle est la situation de l’armée russe depuis l’automne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme âgée s’accroche à un arbre en regardant les décombres qui l’entourent" src="https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des Tchétchènes pendant une accalmie durant les combats à Grozny en janvier 1995.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mindaugas Kulbis)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Méfiance envers l’Occident et l’OTAN</h2>
<p>Malgré les pertes et les revers subis, les <a href="https://www.levada.ru/en/2022/12/12/conflict-with-ukraine-november-2022/">sondages d’opinion indiquent que la population russe soutient toujours l’effort</a> de guerre en Ukraine. Ce soutien est crucial.</p>
<p>Bien des Russes considèrent la Crimée <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/11/guerre-en-ukraine-la-crimee-l-annexion-russe-qui-embarrasse-les-occidentaux_6145335_3210.html">comme une partie intégrante de la Russie</a>, et le soutien occidental aux tentatives de l’Ukraine de la reconquérir est un affront particulier.</p>
<p>L’appui à tout crin des Occidentaux aux Ukrainiens dans leur effort de reconquête des territoires perdus depuis 2014 favorise justement l’acceptation de la propagande russe. Devant « l’évidence » que l’Occident <a href="https://jmss.org/article/view/76584/56335">s’acharne sur la Russie</a> et que l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie fait partie d’un processus, la Russie ne peut que fixer une limite.</p>
<p>À mesure que le conflit s’éternisera, les deux parties souffriront de pénuries d’effectifs et de matériel. La Russie dispose <a href="https://news.err.ee/1608815692/edf-intelligence-chief-russia-still-has-long-term-offensive-capabilities">d’importantes réserves</a> et de quelques alliés déclarés comme l’Iran et la Corée du Nord. L’Ukraine, elle, est soutenue par le poids de l’OTAN.</p>
<h2>Une longue guerre est probable</h2>
<p>Dans un avenir prévisible, les deux parties conservent leur capacité de se battre. Davantage d’équipements, <a href="https://www.gov.uk/government/news/pm-accelerates-ukraine-support-ahead-of-anniversary-of-putins-war">y compris les chars dernier cri et autres véhicules blindés occidentaux</a>, renforceront l’armée ukrainienne à court terme. Mais cet avantage se verra réduit si la trop grande variété de véhicules complique la formation, l’entretien et l’approvisionnement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un grand char militaire sur un terrain plein d’ornières" src="https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le char Léopard 2 lors d’une démonstration. L’Allemagne vient de décider d’envoyer les premiers chars à l’Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Michael Sohn)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950734/chars-assaut-blindes-combat-berlin-kiev-invasion-russe">L’envoi de chars allemands en Ukraine</a> renforcera de manière considérable la propagande de Vladimir Poutine. Les médias russes <a href="https://ria.ru/20230121/zapad-1846366533.html">tracent déjà le parallèle</a> entre l’invasion allemande de juin 1941 et la présence de chars allemands sur les champs de bataille ukrainiens aujourd’hui.</p>
<p>Si la guerre suit sa trajectoire actuelle, la victoire demeurera élusive. L’un ou l’autre camp pourra tirer un gain dans un scénario d’escalade et de contre-escalade, mais sans doute jamais de manière durable.</p>
<p>Mais jusqu’à ce que les deux parties acceptent d’amorcer de véritables pourparlers et de jouer à donnant-donnant, le bain de sang se poursuivra.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198465/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexander Hill ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’armée russe en Ukraine mène une guerre beaucoup plus intense en artillerie et plus méthodique qu’il y a un an. C’est devenu une guerre totale.
Alexander Hill, Professor of Military History, University of Calgary
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/198093
2023-01-24T19:09:17Z
2023-01-24T19:09:17Z
Ukraine : trois scénarios pour la suite (et la fin ?) du conflit
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505782/original/file-20230123-51865-8bd7ue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5760%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La ville de Borodianka (Ukraine), après des bombardements aériens russes en mai 2022. La guerre ne baissera probablement pas d’intensité en 2023.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/borodyanka-ukraine-may-28-2022-houses-2164158987">Adrey Sarysamkov/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Près d’un an après le déclenchement de l’opération militaire russe contre l’Ukraine, le 24 février 2022, quelles sont les évolutions possibles du conflit dans les mois qui viennent ? La difficulté de la prospective est particulièrement marquée pour ce conflit car les « surprises » militaires, diplomatiques et stratégiques ont été nombreuses.</p>
<p>D’un côté, la combativité des forces ukrainiennes, le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/12/21/quels-sont-les-pays-qui-ont-le-plus-aide-l-ukraine-financierement-depuis-le-debut-de-la-guerre_6126677_4355774.html">soutien</a> de l’UE et des États-Unis à Kiev, les difficultés <a href="https://www.revuepolitique.fr/attaque-russe-contre-lukraine-des-revers-logistiques-encore-mal-apprehendes/">logistiques</a> et <a href="https://regard-est.com/larmee-russe-mise-en-difficulte-par-le-conflit-en-ukraine">tactiques</a> des forces armées russes ont pris Moscou de court. D’un autre côté, la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/30/comment-l-economie-russe-resiste-au-choc-des-sanctions_6147934_3234.html">résistance de l’économie russe aux sanctions</a>, <a href="https://www.iss.europa.eu/content/how-big-storm-assessing-impact-russian%E2%80%93ukrainian-war-eastern-neighbourhood">l’ampleur des migrations ukrainiennes vers l’Europe</a>, le blocage des instances de l’ONU ainsi que le soutien mesuré de la Chine, de l’Inde et de plusieurs pays d’Afrique à la Russie ont surpris les chancelleries occidentales.</p>
<p>Trois scénarios majeurs sont aujourd’hui envisageables.</p>
<h2>Scénario 1 : un revers russe caractérisé</h2>
<p>Sur le plan militaire, les forces armées de Moscou lanceraient une nouvelle offensive sur Kiev, comme en <a href="https://theconversation.com/larmee-russe-sest-retiree-du-nord-de-kiev-defaite-ou-repli-tactique-180620">février 2022</a>, ainsi que sur le bassin du Don (le Donbass, dont une large partie se trouve toujours aujourd’hui sous le contrôle des Ukrainiens) et sur la province de Kherson afin d’essayer d’obtenir un succès éclatant aux yeux de la population russe.</p>
<p>Mais ces attaques échoueraient. La Russie perdrait de nombreux hommes et une grande partie des quatre provinces ukrainiennes <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">illégalement rattachées à la Fédération de Russie</a> en septembre 2022. Elle constaterait que son objectif stratégique initial (le changement de régime à Kiev) s’est soldé par un échec. L’Ukraine reprendrait des bastions russes dans le Bassin du Don et ferait mouvement vers la Crimée.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Plusieurs facteurs pourraient consacrer cette défaite russe. Sur le plan intérieur, la mobilisation et l’entraînement des réservistes se heurteraient à plusieurs limites : nouvelle <a href="https://kyivindependent.com/uncategorized/forbes-russia-700-000-people-have-left-russia-since-mobilization-began">fuite des mobilisables hors du territoire russe</a> ; incapacité du commandement russe à <a href="https://information.tv5monde.com/info/russie-des-mobilises-pas-ou-peu-formes-ni-equipes-expriment-leur-mecontentement-475131">entraîner efficacement les nouvelles recrues</a> ; épuisement de la Base industrielle et technologique de Défense (BITD) russe ; montée en puissance des <a href="https://www.foreignaffairs.com/russian-federation/sanctions-russia-are-working">effets des sanctions occidentales</a> sur le budget de la Fédération ; crise dans les cercles dirigeants russes, notamment au niveau du ministère de la Défense.</p>
<p>En Ukraine, la réalisation de ce scénario est subordonnée à plusieurs conditions : la résistance de la présidence ukrainienne à l’usure de la guerre, sa capacité à remporter les élections législatives de l’automne 2023, la poursuite de l’aide militaire américaine et européenne à un niveau compatible avec la consommation inévitable de matériels de guerre sur les champs de bataille, et la capacité à tenir plusieurs fronts en même temps. Le chef d’état-major ukrainien, Valeri Zaloujny, a exprimé un <a href="https://www.economist.com/zaluzhny-transcript">certain nombre de souhaits en décembre</a> : 300 chars, 600-700 véhicules de combat d’infanterie, 500 obusiers pour la victoire.</p>
<p>Enfin, sur le plan international, ce scénario suppose que la Russie perde la position de force que lui a conférée en 2022 la hausse des prix des produits énergétiques. Il faudrait pour cela que ses clients développent des sources d’approvisionnement alternatives, ce qu’ils ont <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-gas-supply/">déjà commencé à faire</a>.</p>
<p>L’horizon de ce scénario favorable à l’Ukraine serait l’ouverture de négociations de cessez-le-feu puis de paix.</p>
<p>Toutefois, si la défaite russe est d’ampleur, un désordre politique interne pourrait paralyser le <em>leadership</em> russe et instaurer à Moscou un chaos privant le pays de la capacité à s’engager réellement dans des négociations. Pour que de telles négociations soient couronnées de succès, il conviendrait donc tout à la fois que la Russie considère la guerre comme durablement perdue, et qu’elle conserve une chaîne de commandement efficace. Deux points redoutablement durs à traiter seraient le sort de la Crimée et l’avenir de la <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/neuf-allies-de-lotan-soutiennent-ladhesion-de-lukraine/">candidature de l’Ukraine à l’OTAN</a>. En somme, ce scénario serait l’extrapolation des contre-offensives ukrainiennes réussies d’août à octobre 2022.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1569023233239695362"}"></div></p>
<h2>Scénario 2 : un succès tangible pour la Russie</h2>
<p>Le scénario inverse consisterait en une série de succès militaires pour la Russie à partir de la fin de l’hiver. Par exemple, la Russie réussirait à reprendre l’essentiel de la province de Kherson, menacerait directement Kiev en pénétrant dans ses faubourgs à partir de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2022/12/19/guerre-en-ukraine-en-direct-la-russie-et-la-bielorussie-vont-renforcer-leur-cooperation-dans-tous-les-domaines-declare-vladimir-poutine_6154994_3210.html">Biélorussie</a> et reprendrait une progression marquée vers le sud-ouest en direction d’Odessa. La réalisation de ce scénario découlerait de plusieurs hypothèses, la principale étant l’épuisement humain et matériel des forces armées ukrainiennes.</p>
<p>Du côté russe, cela supposerait la réussite de plusieurs actions pour le moment infructueuses. Notamment, la mobilisation réalisée à l’automne 2022 serait efficace en matière d’entraînement et correctement utilisée sur le plan tactique. Et les chaînes logistiques russes résisteraient aux difficultés d’approvisionnement sur trois fronts majeurs (Nord sur Kiev, Est dans le Donbass et Sud en direction de Kherson). L’armée russe a déjà disposé de centres logistiques à plus de 80 km de la ligne de front, soit une distance hors de portée des HIMARS, tirant les leçons de la contre-offensive ukrainienne.</p>
<p>Ces succès déboucheraient sur une victoire nette de la Russie en Ukraine : les annexions illégales dans l’est seraient consolidées, le gouvernement de Kiev (fragilisé et possiblement renversé en raison de l’offensive russe) serait issu de négociations de paix et prendrait une orientation plus ou moins ouvertement pro-russe, l’ouest du pays revendiquerait une forte autonomie avec le soutien de la Pologne, etc. L’objectif stratégique de la Russie serait ainsi atteint : disposer d’une zone tampon avec l’OTAN.</p>
<p>Du côté ukrainien, ce scénario du pire pourrait gagner en crédibilité si plusieurs évolutions se constatent : usure des forces armées, <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13426712-en-ukraine-larmee-recrute-jusque-dans-les-supermarches.html">insuffisance du nombre de nouvelles recrues</a>, diversité trop forte des livraisons d’armes internationales, engendrant des difficultés à articuler les différents dispositifs ; fragilisation de la présidence Zelensky à l’approche des élections législatives de l’automne 2023 sous la pression d’un « parti de la paix » ou au contraire de nationalistes réclamant un pouvoir plus fort ; incapacité à conserver et accroître le soutien des Occidentaux, par exemple en raison d’un maximalisme stratégique visant la défaite complète de la Russie, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/24/en-ukraine-des-affaires-de-corruption-ebranlent-le-gouvernement_6159085_3210.html">la découverte de détournements de fonds</a> ou tout simplement du fait de la « fatigue » des opinions occidentales et de leur volonté de se recentrer sur des questions politiques internes.</p>
<p>Sur le plan international, ce scénario suppose un maintien des cours et des <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/poutine-veut-reorienter-les-exportations-energetiques-russes-de-leurope-vers-lasie/">exportations de produits énergétiques russes vers l’Asie</a> (Chine et Inde au premier chef) ; une stratégie de prix de la part des puissances gazières ; une mobilisation des réseaux diplomatiques russes pour montrer que le pays n’est isolé qu’à l’Ouest ; un appui marqué de la Chine face à l’influence américaine ; une perte d’influence dans l’UE des gouvernements les plus favorables à l’Ukraine, notamment en Europe du Nord (législatives finlandaises en février) et en Pologne (élections générales à l’automne 2023). Un tel scénario serait favorisé par une crise à Taïwan ou au Moyen-Orient qui absorberait l’attention des États-Unis, déjà fortement polarisés dans leur politique intérieure.</p>
<h2>Scénario 3 : un conflit qui s’enlise</h2>
<p>Un troisième type d’évolution pour ce conflit pourrait être caractérisé par l’incapacité des deux protagonistes à prendre l’ascendant sur l’autre sur une période de plusieurs années.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/a8CsX9Og82I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Il se manifesterait par une stabilisation (violente et meurtrière) des grandes lignes de front sur les positions actuelles mais des batailles régulières pour des localités d’importance secondaire, des nœuds routiers, des verrous fluviaux ou des ponts. Par exemple, les forces armées russes pourraient être tentées de reprendre l’offensive par le nord en direction de Kiev avec des succès limités et de concentrer leurs efforts sur la consolidation des parties du Donbass contrôlées ou contrôlables par elles.</p>
<p>De son côté, l’Ukraine pourrait essayer de pousser ton avantage à partir de Kherson vers le sud afin de menacer le bastion criméen à l’horizon d’août 2023. Ce scénario n’exclut pas – loin de là – des combats intensifs, des changements de zones de contrôle et des succès limités de part et d’autre. Mais l’équilibre général du conflit ne serait pas modifié, la Russie continuant à contrôler 15 % à 20 % du territoire ukrainien dans des zones essentielles (Crimée, Donbass, région de Kharkiv) et l’Ukraine démontrant sa capacité à résister sur le long terme.</p>
<p>Plusieurs facteurs pourraient se conjuguer pour faire advenir cette situation. Un « plateau » pourrait être atteint dans l’aide militaire occidentale à l’Ukraine en raison de l’état des stocks et de la nature des armements envoyés sur le front. La combativité ukrainienne pourrait demeurer sans pour autant produire les effets spectaculaires de la fin de l’été 2022 en raison d’une « courbe d’apprentissage » du côté russe, notamment dans l’articulation entre les différentes armées et les autres forces (milices Wagner, <em>Kadyrovtsy</em>).</p>
<p>Côté russe, ce <em>statu quo</em> violent pourrait advenir en raison des limites structurelles de l’outil militaire manifestées en 2022 : rigidité tactique, logistique déficiente, étirement des fronts et des chaînes d’approvisionnement, limites des ressources humaines, culture du mensonge dans les administrations publiques, etc.</p>
<p>Des facteurs exogènes pourraient conduire à un pourrissement militaire et diplomatique. Aucun des deux protagonistes n’est en mesure de faire accepter à sa propre population et à son propre réseau d’alliances l’entrée en négociation sur la base du rapport de force militaire actuel. Pour la Russie, aucun succès indiscutable n’a été remporté ; pour Kiev, l’intégrité territoriale reste à restaurer. Entrer en négociation serait un aveu d’échec pour Vladimir Poutine et le mettrait à risque. Accepter de discuter serait pour Volodymyr Zelensky un renoncement qui lui ferait perdre le soutien très large dont il bénéficie aujourd’hui à l’intérieur et à l’extérieur : un autre leadership devrait se mettre en place, et serait vraisemblablement moins soucieux de compromis en raison des coûts irrécupérables de cette guerre.</p>
<p>Dans cette option, l’Ukraine deviendrait en 2023 un <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">nouveau conflit non résolu de l’espace post-soviétique</a>, mais de grande envergure. Cela n’empêcherait pas un durcissement des hostilités, notamment contre les populations civiles ou les prisonniers, bien au contraire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198093/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Présentation des conditions nécessaires à la réalisation des trois principaux scénarios envisageables : un succès russe, une victoire ukrainienne ou un enlisement durable.
Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po
Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/197827
2023-01-15T12:52:54Z
2023-01-15T12:52:54Z
Nomination du général Guerassimov à la tête des opérations en Ukraine : un tournant dans la guerre ?
<p>L’opération russe en Ukraine a un nouveau commandant en chef, le général Guerassimov. C’est un « poids lourd » et un vétéran de l’appareil militaire russe : général d’armée de 67 ans, il est depuis 2012 à la fois premier vice-ministre de la Défense et chef d’état-major des armées (CEMA) et, à ce double titre, membre du Conseil de défense nationale.</p>
<p>L’Occident le connaît car il est (à tort) considéré comme le père d’une <a href="https://www.nato-pa.int/download-file?filename=/sites/default/files/2018-12/166%20CDS%2018%20F%20fin%20-%20PARADES%20AUX%20MENACES%20HYBRIDES%20EMANANT%20DE%20LA%20RUSSIE%20-%20RAPPORT%20JOPLING_0.pdf">« doctrine » qui porte son nom</a> théorisant la guerre hybride. Il figure surtout sur les listes de sanctions individuelles adoptée par l’UE en 2014 puis en 2022 en raison de sa contribution aux actions contre l’Ukraine.</p>
<p>Quelle est la portée de cette nouvelle nomination, non seulement sur la guerre elle-même mais sur la posture stratégique de la Russie ?</p>
<h2>Nomination technique, geste politique ou inflexion stratégique ?</h2>
<p>Valéri Guerassimov, qui conserve son poste de CEMA, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-jeudi-12-janvier-2023-3028927">remplace</a> au commandement des forces armées russes en Ukraine le général Sourovikine, qui avait été nommé à ce poste le 8 octobre dernier. Pour autant, ce dernier n’est pas destitué : il est simplement rétrogradé aux fonctions d’adjoint de Guerassimov.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ce changement soulève de nombreuses questions en raison de son <em>tempo</em>, du statut du nouveau « chef de guerre » russe et de la donne stratégique. S’agit-il d’une nomination technique d’un spécialiste des opérations militaires ou bien d’un geste politique fort destiné à l’opinion internationale ? Est-ce simplement une sanction contre le général Sourovikine après la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/14/apres-la-liberation-de-kherson-les-ukrainiens-lorgnent-sur-la-crimee_6149718_3210.html">défaite à Kherson</a> et la mort de dizaines (voire centaines) de soldats russes à <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/lhecatombe-de-makiivka-symbole-de-lamateurisme-de-larmee-russe-20230103_STXKZEAFGNADLKJKN52OFE6OJM/">Makiivka</a> le 1<sup>er</sup> janvier ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/86vI_yHacL0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Plus généralement, faut-il prévoir une inflexion dans la posture stratégique russe ? La valse des commandants en chef est-elle achevée et cette nomination annonce-t-elle un durcissement supplémentaire ?</p>
<h2>Un « poids lourd » militaire… et politique</h2>
<p>Guerassimov a connu un parcours typique pour les militaires professionnels de la génération née dans les années 1950 : entrés dans la carrière au moment de l’apogée de l’Union soviétique dans les années 1970, ils ont accédé aux grades d’officiers supérieurs après la fin de l’URSS en 1991. Guerassimov, comme son aîné de trois ans Vladimir Poutine, a donc connu l’ivresse de l’hégémonie militaire et l’amertume de la chute stratégique de son pays.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nous-avons-ete-humilies-le-discours-du-kremlin-sur-les-annees-1990-et-la-crise-russo-ukrainienne-176075">« Nous avons été humiliés » : le discours du Kremlin sur les années 1990 et la crise russo-ukrainienne</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Tankiste de formation, il est très sensible à la dimension territoriale de la campagne russe en Ukraine : au niveau technique, sa nomination doit permettre de répondre aux <a href="https://air-cosmos.com/article/plus-de-1200-chars-russes-hors-de-combat-en-ukraine-60863">difficultés rencontrées par les divisions blindées russes</a>. Fer de lance de l’offensive de l’hiver et du printemps 2021, les unités de tanks russes ont subi de nombreux revers, du point de vue des équipements comme sur le plan tactique. Sa compétence (même ancienne) en la matière annonce sans doute une inflexion dans l’usage des blindés en Ukraine – et donc de nouvelles avancées territoriales.</p>
<p>Surtout, Guerassimov est un officier chevronné bien au fait du fonctionnement de l’armée aux niveaux tactique, opératif (à l’échelon de l’opération) et stratégique. Sa principale expérience tactique date de la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000), une campagne inflexible et très meurtrière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1613502425519759360"}"></div></p>
<p>Plus tard, c’est en tant que CEMA qu’il a supervisé la préparation, le déploiement et la réalisation de la <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/rnv_109_adamsky_campagne_syrienne_moscou_2018.pdf">campagne russe en Syrie à partir de l’été 2015</a>. En somme, à la différence du général Sourovikine, il peut se targuer d’un spectre d’expérience militaire très large, du terrain aux cercles politiques, des conflits sur le sol national aux opérations extérieures lointaines. Combinée à sa longévité au poste de CEMA et à la confiance dont celle-ci témoigne de la part de Poutine, cette carrière lui confère au sein de l’armée un prestige qui est sans équivalent, même pour le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou.</p>
<p>C’est donc un vétéran des commandements opérationnels, un apparatchik des états-majors et un familier des cercles de décision politique qui est désormais en charge de la guerre en Ukraine. Une décision qui semble confirmer qu’une nouvelle offensive russe de grande ampleur est prévue pour les prochaines semaines.</p>
<h2>Un nouveau chef pour une nouvelle offensive ?</h2>
<p>Le nouveau commandant en chef de l’opération devra renforcer la coordination interarmées, <a href="https://ecfr.eu/article/lessons-for-the-west-russias-military-failures-in-ukraine/">traditionnellement déficiente en Russie</a>. Pour bien des observateurs, la mauvaise coopération entre l’artillerie, l’infanterie et la dimension aérienne est une explication majeure des revers subis depuis août 2022, au premier rang desquels la reprise de Kherson par les Ukrainiens en octobre.</p>
<p>En outre, Guerassimov est très conscient de l’importance du <em>continuum</em> entre les outils militaires et civils dans les conflits. <a href="https://inmoscowsshadows.wordpress.com/2014/07/06/the-gerasimov-doctrine-and-russian-non-linear-war/">Dans un discours prononcé en 2013</a> sur les révolutions arabes, il avait insisté sur l’usage de moyens médiatiques, culturels, financiers et sociaux pour préparer les opérations militaires. C’est ce qui avait conduit à lui attribuer l’invention d’une doctrine de « guerre hybride ». Sa nomination pourrait donc non seulement répondre aux déficiences de coordination entre armes sur le terrain mais également préparer une offensive multidimensionnelle en 2023, par exemple dans le cyberespace, sur les scènes politiques régionales ou encore sur des théâtres territoriaux connexes comme le Caucase Sud, la mer Noire ou encore la Moldavie.</p>
<p>Le prestige militaire national lié à son statut de « héros de la Fédération de Russie » doit également permettre, dans l’esprit des dirigeants russes, de reprendre en main la mobilisation des réservistes actuellement en cours. La « catastrophe de Makiivka » le 1<sup>er</sup> janvier 2023 avait pointé un certain <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/general-trinquand-la-frappe-de-makiivka-montre-lamateurisme-des-forces-russes-XB5IDLKZ7NDFTKWVOHIOU3ECXA/">amateurisme organisationnel</a> et un certain laxisme disciplinaire des officiers encadrant les nouveaux mobilisés. L’arrivée du CEMA à la tête de l’opération devrait consolider la chaîne de commandement au sein de l’institution militaire pour améliorer la discipline à l’intérieur et, éventuellement, élargir la mobilisation, même s’il est encore trop tôt pour savoir si cette nomination prépare une mobilisation générale.</p>
<p>En somme, sur le plan militaire, cette nomination donne des indications fortes sur la nature et le rythme de la nouvelle offensive russe à venir. Celle-ci utilisera toutes les composantes des forces armées russes (terre, air, mer, cyber, forces spéciales, auxiliaires de la société Wagner) et sera probablement élargie à la région dans son ensemble : les Russes, sous Guerassimov, se montreront sans doute plus actifs en mer Noire et à partir du territoire de l’allié biélorusse. Au niveau militaire, l’opération russe en Ukraine n’est plus « spéciale » au sens où elle n’est pas l’usage d’un corps expéditionnaire chargé de prendre possession rapidement d’un État considéré comme faible. Elle devient stratégique au sens où elle est planifiée dans un sens multidimensionnel et de long terme.</p>
<h2>Syndrome Joukov ou malédiction Lebed ?</h2>
<p>Quels sont les bénéfices et quels sont les risques de cette nomination pour la direction politique et, en particulier, pour Vladimir Poutine ?</p>
<p>Changer fréquemment de commandement militaire est un aveu d’insuccès. De même, nommer le CEMA commandant d’une opération souligne que le vivier des chefs militaires est limité et que l’échelon politique se prive de « fusibles ». La rétrogradation du général Sourovikine acte les revers russes de l’automne. Et en confondant le niveau stratégique (celui du CEMA) avec le niveau opératif (celui du chef de l’opération militaire), le niveau politique s’expose. En cas d’échec patent, le bouc émissaire médiatique sera tout désigné : le CEMA. Or la proximité de celui-ci avec le ministre de la Défense et le président de la Fédération signifie que son échec serait aussi, plus directement que sous Sourovikine, celui des dirigeants du pays.</p>
<p>Enfin, sur le strict plan politique, cette nomination souligne la compétition entre cercles dirigeants pour bénéficier du soutien du président russe.</p>
<p>La guerre en Ukraine et ses résultats (maigres) pour la Russie ont aiguisé les rivalités internes. La question du dauphin de Vladimir Poutine se repose dans des termes nouveaux, plus durs mais plus ouverts. La communication publique du groupe Wagner et de son dirigeant, Evguéni Prigojine, manifeste l’appétit de promotion de celui qui a longtemps été surnommé le « cuisinier de Poutine » car il avait commencé par la création d’une chaîne de fast food. Il n’avait d’ailleurs pas hésité, fin décembre, à <a href="https://www.businessinsider.com/wagner-group-prigozhin-backs-video-cursing-russia-top-general-gerasimov-2022-12?r=US&IR=T">s’en prendre avec véhémence à Guerassimov</a>, le jugeant responsable d’un mauvais approvisionnement des troupes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1613089191578968065"}"></div></p>
<p>De même, l’ancien premier ministre et président Dmitri Medvedev essaie depuis plusieurs mois de rallier à lui les mouvements nationalistes en multipliant les déclarations xénophobes provocatrices. D’autres acteurs encore, plus discrètement, essaient d’exploiter l’évolution du conflit pour gagner les faveurs de Poutine.</p>
<p>Quant à Guerassimov lui-même, sa nomination l’expose comme jamais. Bien sûr, son autorité sera ruinée en cas de revers militaires. Mais en cas de succès, le CEMA sera également en danger. S’il tente de gagner une dimension politique, il pourrait être victime de la « malédiction Lebed ». On se souvient que le général Alexandre Lebed avait essayé d’exploiter son prestige militaire acquis en Afghanistan (du temps de l’URSS) et en Moldavie (après l’indépendance) pour <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/09/11/alexandre-lebed-a-annonce-sa-candidature-a-l-election-presidentielle-russe_3566774_1819218.html">faire une carrière politique</a>. Il avait disparu dans un <a href="https://www.letemps.ch/monde/alexandre-lebed-ne-connaitra-jamais-victoire-venir-tot-tard">accident d’hélicoptère</a> dont les causes sont controversées.</p>
<p>De même, avec cette nomination, le président Poutine pourrait être confronté à un « syndrome Joukov ». Le maréchal <a href="https://www.cairn.info/les-marechaux-de-staline--9782262085384-page-243.htm">Joukov</a> s’était imposé, en 1944 et 1945, comme l’un des grands vainqueurs militaires de la Seconde Guerre mondiale. Staline avait d’abord bénéficié du prestige de Joukov pour faire oublier l’effondrement soviétique de 1941 face à l’armée allemande. Mais il avait ensuite tout fait pour marginaliser ce maréchal très populaire avant d’engager de nouvelles purges dans l’armée.</p>
<p>En un mot, la nomination du général Guerassimov annonce non seulement une nouvelle offensive plus rigoureuse et plus continue sur le plan militaire mais aussi une nouvelle posture stratégique à l’échelle de la région… et, possiblement, une nouvelle donne politique à Moscou.</p>
<hr>
<p><em>Merci à Laurent Célérier et à Florent Parmentier pour leurs contributions à cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197827/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le chef d’état-major de l’armée russe sera désormais directement en charge de la guerre en Ukraine. Cette nomination aura des effets militaires mais, aussi, politiques.
Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/197124
2023-01-09T20:22:17Z
2023-01-09T20:22:17Z
Doctrine spatiale française : pas de tirs antisatellites mais plus d’« ambiguïté stratégique » ?
<p>Fin novembre 2022, le ministère des Armées s’est <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/actualites-et-evenements-lies-a-la-securite-au-desarmement-et-a-la-non/2022/article/spatial-engagement-de-la-france-a-ne-pas-conduire-d-essais-de-missiles">formellement engagé à ne pas conduire de tirs de missiles antisatellites</a>.</p>
<p>Pourtant, la <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194000642.pdf">stratégie spatiale française de 2019</a> ne s’interdit pas de « durcir » les capacités d’action de la France dans l’espace.</p>
<p>À trois ans d’intervalle, la posture spatiale militaire française se contredit-elle ?</p>
<h2>Une décision aussi historique que surprenante ?</h2>
<p>Après avoir coparrainé la résolution <a href="https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FC.1%2F77%2FL.62&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False">A/C.1/77/L.62</a> (adoptée par la première Commission de l’Assemblée générale des Nations unies en <a href="https://press.un.org/en/2022/gadis3703.doc.htm">octobre 2022</a>), la France joint la parole aux actes et s’est engagée à ne pas procéder à des tirs de missiles antisatellites destructifs à ascension directe, c’est-à-dire tirés depuis la surface ou les airs. La France n’a <a href="https://www.opex360.com/2022/11/30/la-france-sengage-a-ne-pas-effectuer-dessais-de-missiles-antisatellites-destructifs-a-ascension-directe/">jamais formellement disposé d’une telle capacité</a>, même si elle possède l’expertise technique nécessaire pour la développer.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le <a href="https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/29.11.2022_Spatial%20%E2%80%93%20Engagement%20de%20la%20France%20%C3%A0%20ne%20pas%20conduire%20d%E2%80%99essais%20de%20missiles%20antisatellites%20destructifs%20%C3%A0%20ascension%20directe.pdf">communiqué</a> français, publié le 29 novembre 2022, utilise des éléments de langage forts. Il qualifie de tels tirs de « déstabilisateurs et irresponsables », rappelle que la France n’en a jamais effectué, et s’alarme des risques de débris spatiaux et des conséquences pour l’intégrité des satellites en activité et de l’ensemble du domaine spatial. La décision française suit celle des États-Unis adoptée le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/04/18/remarks-by-vice-president-harris-on-the-ongoing-work-to-establish-norms-in-space/">9 avril 2022</a>. La France avait d’ailleurs <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/etats-unis/evenements/article/etats-unis-la-france-salue-l-engagement-des-etats-unis-a-ne-pas-effectuer-de">salué</a> l’engagement américain.</p>
<p>La détermination du ministère des Armées est d’autant plus historique que la France est l’un des rares pays à avoir développé une <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-2-page-65.htm">« triade stratégique »</a> comprenant missiles intercontinentaux, arme atomique et capacités aérospatiales. Son programme balistique se poursuit notamment dans le cadre du <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-3-page-17.htm">renouvellement de la dissuasion nucléaire</a>, de la <a href="https://www.ariane.group/fr/defense/programme-m51/">modernisation du missile balistique mer-sol M51 d’Ariane Group</a>, et du <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/ou-en-est-la-france-dans-la-bataille-des-armes-hypersoniques-et-des-missiles-de-nouvelle-generation.N1799472">développement du missile air-sol nucléaire de 4ᵉ génération (ASN4G) et d’un planeur hypersonique V-Max</a>. Cet effort de modernisation, même s’il n’est pas directement lié à la question de la destruction des satellites, témoigne néanmoins de l’importance portée au développement des capacités balistiques françaises.</p>
<p>En parallèle, le programme Syracuse est destiné à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/24/paris-lance-un-satellite-militaire-derniere-generation_6099685_3210.html">doter les armées de satellites militaires de nouvelle génération</a> pour leur permettre de communiquer à haut débit depuis n’importe quel relais (terrestre, aérien, marin et sous-marin). Ces satellites sont d’ailleurs équipés de moyens de surveillance de leur environnement immédiat (leur permettant de se déplacer pour éviter toute attaque). Avec les satellites CSO et CERES, ils représentent les <a href="https://theconversation.com/satellites-les-yeux-les-oreilles-et-le-porte-voix-de-la-defense-francaise-dans-lespace-187381">yeux, oreilles, et porte-voix de la Défense française <em>dans</em> et <em>depuis</em> l’espace</a> et seront suivis des programmes « Céleste » (renseignement d’origine électromagnétique) et « Iris » (capacités d’observation optique) (dont le lancement est <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/cso-3-iris-les-futurs-satellites-espions-francais-cloues-au-sol-927346.html">contrarié par la guerre en Ukraine, les retards d’Ariane 6, et le Covid-19</a>).</p>
<p>L’espace extra-atmosphérique figure enfin et surtout dans les chantiers consacrés comme prioritaires par <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/11/09/a-toulon-le-president-de-la-republique-presente-la-revue-nationale-strategique">Emmanuel Macron le 9 novembre 2022</a> en vue de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/12/les-grandes-lignes-de-la-future-loi-de-programmation-militaire-se-dessinent_6154084_823448.html">prochaine Loi de Programmation militaire 2024-2030</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, il était possible d’envisager que la France développe un jour ou l’autre un missile antisatellite (par exemple, une version lourde et très haute altitude du missile antibalistique <a href="https://www.mbda-systems.com/product/aster-15-30/">Aster 30</a> ?) et procède à un « tir de démonstration » sur un ancien satellite non fonctionnel (et dans une orbite limitant l’impact des débris).</p>
<p>Les tirs antisatellites ont en effet ponctué l’histoire spatiale et sont de forts marqueurs de puissance militaire. La <a href="https://swfound.org/news/all-news/2020/06/swf-releases-updated-compilation-of-anti-satellite-testing-in-space/">Secure World Foundation</a> recense d’ailleurs <a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/1e5GtZEzdo6xk41i2_ei3c8jRZDjvP4Xwz3BVsUHwi48/edit">plus de 70 tests antisatellites depuis 1959</a>, dont plus de 20 tirs depuis 2005. Les plus importants incluent le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10163270709464125">tir chinois de janvier 2007</a>, la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14777620801907913">réponse américaine de février 2008</a>, le <a href="https://muse.jhu.edu/article/754917/summary">tir indien de mars 2019</a>, et le <a href="https://spacenews.com/russia-destroys-satellite-in-asat-test/">tir russe de novembre 2021</a> (dont la NASA rappelle dans un point presse du <a href="https://blogs.nasa.gov/spacestation/2022/10/24/space-station-maneuvers-to-avoid-orbital-debris/">24 octobre 2022</a> qu’il est toujours à l’origine de manœuvres d’évitement de débris de la station spatiale internationale).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rJ3l5tbnuGU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un essai de missile anti-satellite russe met en danger l’équipage de l’ISS • France 24, 16 novembre 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Notons d’ailleurs que la décision américaine constitue elle-même un <a href="https://theconversation.com/amid-tensions-on-earth-the-united-states-claims-that-conflict-in-space-is-not-inevitable-181993">revirement</a> par rapport au <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9781503609402-009/html">renouveau nationaliste spatial américain</a> d’après-guerre froide et la <a href="https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF11495">création de l’U.S. Space Force</a> en 2020 sous les forts accents offensifs de Donald Trump.</p>
<p>Bien que la tendance d’ensemble des dernières décennies ait été à la <a href="https://www.un.org/disarmament/topics/outerspace-sg-report-outer-space-2021/">recherche de normes de comportement dans l’espace</a> (ce à quoi la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2019-1-page-29.htm">France participe activement</a>), cette recherche ne va pas de soi. L’histoire spatiale est en effet caractérisée par une <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=31357">alternance entre vision militariste et « retenue stratégique »</a>, et le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/physique-et-astrophysique/le-nouvel-age-spatial/">« nouvel âge spatial »</a>, malgré son ouverture grandissante aux <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/christian-davenport/the-space-barons/9781610398299/">acteurs privés</a> et aux <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2019-3-page-215.htm">logiques de commercialisation</a>, reste marqué par la dimension militaire.</p>
<h2>« Affermir » la doctrine spatiale française : vers une approche plus offensive ?</h2>
<p>La France a connu une forte <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2020-10-page-37.htm">montée en puissance du spatial de défense</a>, voire un véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-4-page-114.htm">sursaut</a> sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron et le mandat de la ministre des Armées Florence Parly.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039060428">création du Commandement de l’Espace en septembre 2019</a>, concomitante de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/25/la-france-militarise-sa-politique-spatiale_5493327_3210.html">élaboration d’une doctrine spatiale de défense</a>, a représenté un point d’inflexion (qui sera suivi de la transformation de l’Armée de l’Air française en « Armée de l’Air et de l’Espace » en <a href="https://otan.delegfrance.org/L-Armee-de-l-Air-devient-l-Armee-de-l-air-et-de-l-Espace-12-septembre-2020">septembre 2020</a>). Des députés avaient alors appelé à <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-france-doit-avoir-des-armes-dans-l-espace-olivier-becht-depute-udi-804106.html">allier « défensif » et « offensif »</a>, usant d’une dichotomie qui n’en finit plus de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/001632878290057X">caractériser les activités spatiales</a> sur fond d’<a href="https://link.springer.com/book/10.1057/978-1-349-95851-1">« astroculture »</a>. À la croisée des chemins entre science-fiction et <em>realpolitik</em>, la technologie militaire (et les visions de puissance qu’elle porte) demeure indissociable de la « modernité spatiale » et façonne notre rapport à l’espace.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/t_TIG6aiCZ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Maîtriser l’espace, le nouveau défi des armées, Ministère des Armées, 25 mai 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est vrai que la stratégie spatiale française présente néanmoins le souci de la mesure et du respect du droit international. Elle affirme clairement comme buts premiers l’appui aux opérations et la protection des moyens spatiaux français pour « décourager nos adversaires d’y porter atteinte » (p. 4). Elle considère donc l’espace avant tout comme un « multiplicateur de force » adossé aux autres champs (et non pas distinct d’eux) et souligne l’enjeu de la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2018-3-page-201.htm">surveillance spatiale</a>.</p>
<h2>Comment protéger les satellites français ?</h2>
<p>Cependant, si l’on poursuit le raisonnement, développer des capacités de protection nécessite deux éléments : une capacité d’action technique et un cadre d’emploi.</p>
<p>Du point de vue technique d’abord, à l’image des États-Unis, de la Russie, ou de la Chine, la France développe elle aussi les technologies à énergie dirigée afin d’aveugler ou de « brûler » des éléments critiques de satellites hostiles. En <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/la-france-travaille-sur-une-arme-laser-anti-satellites_657432">juin 2019, dans la revue Challenges</a>, l’Office national d’Études et de Recherches aérospatiales (ONERA) explique travailler sur de futures armes laser antisatellites. Dans une <a href="https://www.onera.fr/fr/actualites/espace-nouveau-theatre-militaire">note de mai 2019</a>, le laboratoire public précise que « des essais grandeur nature de neutralisation de satellites en fin contractuelle de vie opérationnelle ont été menés ». Ces essais se distinguent difficilement des tirs antisatellites si ce n’est pour les débris générés. Les lasers font eux-mêmes partie d’un éventail de moyens spatiaux (entourés d’un certain silence aux États-Unis comme en France) comprenant également les <a href="https://www.gov.uk/government/news/russia-behind-cyber-attack-with-europe-wide-impact-an-hour-before-ukraine-invasion">attaques cyber</a> et autres <a href="https://theconversation.com/apres-le-gaz-poutine-va-t-il-nous-couper-le-gps-194508">brouillages</a> sur les satellites, des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/guerre-des-etoiles-la-russie-t-elle-mis-en-orbite-un-tueur-de-satellites">satellites « tueurs de satellites »</a>, ainsi que des <a href="http://www.opex360.com/2022/11/13/le-drone-spatial-militaire-americain-x-37b-est-revenu-sur-terre-apres-908-jours-passes-en-orbite/">drones spatiaux</a>.</p>
<p>Du point de vue du cadre d’emploi, ensuite, la stratégie française ouvre une brèche vers une forme d’« ambiguïté stratégique » (une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/23/avec-la-guerre-en-ukraine-le-retour-a-l-ambiguite-strategique-principe-indispensable-de-la-doctrine-nucleaire_6151159_3232.html">notion réactivée par la guerre en Ukraine</a>), que vient paradoxalement renforcer la décision de pas conduire de tirs antisatellites. La France se réserve ainsi « le droit de prendre des mesures de rétorsion » face à « un acte inamical dans l’espace » (p. 28), de déployer des « contre-mesures » en réponse « à un fait illicite commis à son égard » (p. 29), et de « faire usage de son droit de légitime défense » en cas « d’agression armée dans l’espace » (p. 29).</p>
<p>Nul doute que les termes employés gardent une souplesse d’interprétation à même d’entretenir un certain flou sur la caractérisation d’une agression tout comme sur la nature de la riposte. Cette ambiguïté est une règle de base du lexique stratégique pour ainsi garantir l’efficacité de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2020-1-page-147.htm">« dissuasion spatiale » française</a>. (Elle permet aussi de répondre à agressions menées « sous le seuil » de déclenchement d’un conflit).</p>
<p>En cela, la stratégie française semble s’inscrire dans une recherche de l’équilibre « psychotechnique » cher au réalisme aronien (voir Raymond Aron, <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/paix-et-guerre-entre-les-nations-9782702134696/">Paix et Guerre</a>, 1962, p. 669) : la détermination (et sa perception dans le champ psychologique) importe autant que la crédibilité technologique et la capacité technique à « frapper » (cette dernière a d’ailleurs pu être <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14682745.2020.1832472">mise à mal dans l’histoire de la dissuasion française</a>).</p>
<p>En s’interdisant les tirs antisatellites, la France renonce à une possibilité de la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2019-4-page-187.htm">grammaire stratégique spatiale</a> mais laisse d’autres possibilités d’action ouvertes, sans toutefois bien les spécifier (les modalités de réponse exactes à une agression dans l’espace ne sont pas publiques). Il reste donc à voir dans quelle mesure la doctrine spatiale française sera amenée à évoluer (et avec quel discours public). En l’état, rien n’exclut une possible forme de convergence (voire une <a href="https://www.areion24.news/2021/04/15/cyberespace-une-intersection-redoutable%E2%80%89/">intersection</a>) avec la <a href="https://www.defense.gouv.fr/nos-expertises/cyberdefense-au-ministere-armees">doctrine française cyber</a> (en majeure partie <a href="https://www.numerama.com/politique/456551-la-france-a-sa-doctrine-pour-operer-militairement-dans-le-cyber.html">secrète</a> également), pour laquelle le <a href="https://www.defense.gouv.fr/ema/commandement-cyberdefense-comcyber">Commandement de la Cyberdéfense créé en 2017</a> affiche une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/18/armees-la-france-prepare-ses-cyberoffensives_5410983_3210.html">posture plus offensive</a>, tournée vers la <a href="https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/Lutte%20informatique%20offensive%20%28LIO%29.PDF">supériorité opérationnelle</a>, et prévoit une <a href="https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/CEMA%20-%20Cyber%20militaire%20-%2018%20janvier%202019.pdf">montée en puissance du cyber militaire</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197124/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas G. Chevalier a reçu un financement doctoral de l'Université de Kent (Vice Chancellor’s Research Scholarship) pour ses recherches. </span></em></p>
De nombreux pays ont déjà effectué des tirs antisatellites. La France vient de s’engager à ne pas le faire. Pour quelles raisons, et avec quelles conséquences ?
Thomas G. Chevalier, Chercheur Doctoral (Technologie, Relations Internationales, et Affaires Militaires) | Doctoral Researcher (Technology, International Relations, and Military Affairs), University of Kent
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/191705
2022-10-06T18:32:41Z
2022-10-06T18:32:41Z
Le réarmement massif de la Pologne : causes, conséquences et controverses
<p>À la faveur de la guerre en Ukraine, la Pologne a vu son image s’améliorer sensiblement en Europe. Varsovie a, en effet, massivement accueilli les réfugiés de guerre ukrainiens et fourni des armes à l’Ukraine, mettant à profit la proximité technique des matériels entre les deux pays.</p>
<p>Le gouvernement polonais a également marqué sa différence en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/16/visite-surprise-a-kiev-de-trois-premiers-ministres-europeens_6117720_3210.html">envoyant son premier ministre à Kiev dès mars 2022</a> en même temps que ses homologues tchèque et slovène, soit trois mois avant que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/16/emmanuel-macron-en-visite-de-rattrapage-a-kiev_6130551_3210.html">chefs d’État et de gouvernement allemand, français et italien</a> en fassent de même. Le parti de droite Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, s’est appuyé sur les atermoiements dont certaines capitales ouest-européennes ont fait preuve au début du conflit pour tenter d’accréditer la thèse d’un <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2022/04/28/poland-now-true-leader-free-europe/">glissement du leadership européen vers l’est de l’UE</a>.</p>
<p>De plus, en donnant davantage de visibilité aux enjeux de sécurité du flanc Est de l’OTAN, le conflit a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/16/mateusz-morawiecki-la-guerre-en-ukraine-a-aussi-revele-la-verite-sur-l-europe_6138131_3232.html">semblé valider les positions dures de Varsovie à l’égard de la Russie</a> – des positions qui font du reste l’objet d’un solide consensus en politique intérieure depuis plusieurs décennies, au moins en apparence.</p>
<p>Dans ce contexte, le ministère polonais de la Défense multiplie depuis quelques mois les <a href="http://www.opex360.com/2022/08/31/la-pologne-va-plus-que-doubler-ses-depenses-militaires-en-2023/">annonces en matière d’achats d’armements</a>, avec l’objectif revendiqué de construire une « grande armée » capable de résister au choc d’une agression armée de la Russie. L’analyse de cette politique de réarmement fait apparaître des lignes de division dans le consensus pro-occidental des élites politiques polonaises. Elle permet également de mettre en évidence les contours de l’ordre géopolitique que le PiS appelle de ses vœux, en Europe et au-delà.</p>
<h2>Un effort militaire sans précédent</h2>
<p>Le gouvernement, qui a annoncé que 3 % du budget seraient désormais consacrés à la défense, entend modifier le format de l’armée de terre, qui devrait <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/new-divisions-of-the-polish-army-equipped-with-modern-weapons-will-be-established">passer de quatre à six divisions</a> ; elle disposerait ainsi à terme de près de 300 000 combattants, contre 115 000 actuellement. Elle verrait également sa puissance de feu considérablement augmenter, en cohérence avec la <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/polish-defence-in-the-perspective-of-2032">doctrine de défense du pays</a>, qui exclut les frappes préventives mais vise à dissuader toute agression armée.</p>
<p>L’activisme de Varsovie porte aussi bien sur des acquisitions d’armements « sur étagère » (c’est-à-dire déjà existants) que sur des partenariats susceptibles de renforcer l’industrie nationale de l’armement.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les futures acquisitions devraient porter sur des chars lourds et des hélicoptères américains, ainsi que sur des missiles HIMARS, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-artillerie-de-precision-modifie-l-equilibre-en-ukraine-selon-des-experts-15-07-2022-2483421_24.php">dont l’efficacité a été prouvée lors des combats en Ukraine</a>. D’autres contrats ont été conclus <a href="http://www.opex360.com/2022/05/30/la-pologne-mise-sur-la-coree-du-sud-pour-se-doter-dobusiers-et-de-vehicules-de-combat-dinfanterie/">avec la Corée du Sud</a>, notamment pour renforcer l’artillerie en nouveaux canons automoteurs. Surtout, les achats auprès de Séoul semblent inclure des transferts de technologie et des coopérations qui pourraient, à terme, rendre plus autonome l’industrie de défense polonaise, et même la poser en concurrente de ses homologues ouest-européennes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FQ4wFpCo0pQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Défense internationale : l’Ukraine a changé toutes les perspectives de réarmement du monde, France 24, 15 juin 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce processus de modernisation ferait alors de l’armée de terre polonaise la plus puissante en Europe. Le site Méta Défense <a href="https://meta-defense.fr/2022/07/26/pologne-et-coree-du-sud-sassocient-sur-le-long-terme-pour-une-cooperation-industrielle-defense-ambitieuse/">souligne</a> ainsi le « renforcement spectaculaire des capacités des armées polonaises, qui aligneront à la fin de la décennie 1 500 chars modernes, autant de véhicules de combat d’infanterie, 1200 systèmes d’artillerie mobile et plusieurs milliers de blindés légers, soit davantage que les forces françaises, allemandes, britanniques, italiennes, néerlandaises et belges réunies ».</p>
<p>Au fil de ces annonces, les industries de défense de l’UE ont cependant été systématiquement écartées au profit d’équipements américains ou britanniques, ainsi que coréens (après Airbus, c’est l’Italien Leonardo qui a fait les frais du choix polonais en faveur des <a href="https://www.flightglobal.com/helicopters/poland-to-buy-almost-100-apaches-as-defence-spending-accelerates/150126.article">hélicoptères Apache produits par Boeing</a>). Récemment, le ministère de la Défense a englobé sa nouvelle politique sous le label de « Model 2035 », même si les orientations générales de ce plan n’ont pas été communiquées à ce jour.</p>
<h2>Le PiS préfère « le grand large » à l’UE</h2>
<p>L’ensemble de ces annonces illustre « l’imaginaire géopolitique » <a href="https://www.e-ir.info/2018/02/27/introducing-realism-in-international-relations-theory/">réaliste</a> qui travaille le PiS et une large partie des milieux conservateurs polonais, et éclaire incidemment leurs positions européennes.</p>
<p>Depuis le début des années 1990, la droite polonaise privilégie l’intégration à l’OTAN par rapport à l’appartenance à l’UE, tandis que les libéraux et les modérés affichent plus ouvertement des positions favorables à l’intégration européenne. Même si de telles nuances ont longtemps été noyées dans le souci plus général de rejoindre dans un même mouvement les organisations internationales européennes et occidentales, elles prennent aujourd’hui une vigueur inédite.</p>
<p>Pour le PiS, l’appartenance au camp occidental est avant tout assimilée à l’OTAN, tandis que l’UE apparaît comme un espace secondaire, d’autant qu’elle n’hésite pas à aller au bras de fer avec Varsovie quand elle estime que le gouvernement polonais s’affranchit de certains principes européens. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YAN6EEHhQNc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pologne : fonds européens sous conditions, Euronews, 2 juin 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’annonce de nouvelles coopérations avec la Corée du Sud montre clairement que le gouvernement PiS entend s’affranchir de toute dépendance et de toute solidarité interne à l’UE en matière de défense, pour créer des partenariats susceptibles de faire basculer le pays de sa position périphérique vers un statut d’acteur global.</p>
<p>On peut relier ces orientations aux tentatives amorcées dès janvier 2022 de créer une <a href="https://kafkadesk.org/2022/05/30/uk-proposes-european-commonwealth-with-poland-ukraine-and-baltics/">nouvelle alliance avec la l’Ukraine et le Royaume-Uni</a>, après le Brexit, lui-même adossé à une <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-facts/what-is-global-britain/">idéologie de Global Britain</a>. En creux, s’affichent ainsi des préférences idéologiques souverainistes, qui montrent que l’UE n’est aux yeux du PiS que l’une des modalités d’accès à la globalisation libérale, plus qu’un projet d’intégration et de solidarités nouvelles entre États-membres.</p>
<h2>Un réarmement tous azimuts qui ne fait pas l’unanimité</h2>
<p>Ces annonces se sont toutefois retrouvées sous le feu des critiques de l’opposition, qui tente de constituer une coalition pour les élections de 2023, autour de la Plateforme civique (PO), le parti de Donald Tusk. Les partis d’opposition dénoncent l’improvisation, l’incohérence et le peu de crédibilité de cette politique, au regard des perspectives économiques et démographiques du pays ; ils tentent, fait nouveau, d’en faire l’un des thèmes de la campagne électorale à venir, comme l’a montré le <a href="https://tvn24.pl/polska/warszawa-spotkanie-liderow-opozycji-donalda-tuska-wladyslawa-kosiniaka-kamysza-szymona-holowni-i-wlodzimierza-czarzastego-6120960">récent colloque</a> consacré à ces enjeux par deux anciens présidents polonais, Aleksander Kwasniewski et Bronislaw Komorowski.</p>
<p>De plus, si les partis d’opposition ont unanimement soutenu la <a href="http://dziennikzbrojny.pl/aktualnosci/news,1,11684,aktualnosci-z-polski,nawet-137-mld-pln-na-obronnosc-w-2023-roku">loi « Défense de la patrie » qui porte à 3 % du budget l’effort en matière de défense</a>, certaines voix dénoncent la surenchère de Jaroslaw Kaczynski, président du PiS et véritable leader du gouvernement, qui soutient que ce ratio devrait à l’avenir <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/poland-to-spend-5-of-gdp-on-defence/">atteindre les 5 %</a>.</p>
<p>Selon d’anciens ministres de la Défense qui ont occupé ce poste entre 2011 et 2015 dans le gouvernement de la PO, comme <a href="https://www.rmf24.pl/tylko-w-rmf24/siedem-pytan-o-7-07/news-siemoniak-o-modernizacji-polskiej-armii-mamy-tylko-festiwal-,nId,6295603#crp_state=1">Tomasz Siemoniak</a>, cette frénésie d’acquisitions va conduire à l’empilement de systèmes d’armes hétérogènes et se faire au détriment de l’industrie locale. Pour donner du poids à cet argument, ils rappellent que le directeur de l’entreprise polonaise produisant des canons automoteurs <a href="https://defence24.pl/przemysl/prezes-hsw-zlozyl-rezygnacje">a récemment démissionné</a>, pour protester contre le choix d’un nouvel équipement développé avec la Corée du Sud.</p>
<p><a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/helicopteres-caracal-quand-la-pologne-fache-tout-rouge-la-france-605889.html">L’affaire des Caracals français</a>, qui date de 2016, ressurgit également, à travers des fuites de mails internes au gouvernement appelant à tout faire pour <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,27990878,jak-mowic-o-klesce-caracali-medialna-instrukcja-w-mailach-dworczyka.html">instiller dans le débat public l’idée que ces appareils étaient peu performants</a>. Les hélicoptères Caracals d’Airbus devaient être livrés à la Pologne entre 2017 et 2022, tandis que les 96 Apache américains viennent à peine d’être commandés et que seules 18 livraisons sont pour l’instant actées – et ce, en dehors de toute procédure d’appel d’offre, au grand dam de l’opposition.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1568275564007505921"}"></div></p>
<p>Celle-ci dénonce d’autres goulets d’étranglement, par exemple avec les HIMARS, dont la production est lente et doit être répartie entre l’armée américaine elle-même et les clients des États-Unis.</p>
<p>Les leaders de l’opposition dénoncent, <em>last but not least</em>, les positions anti-européennes du PiS et soulignent que l’UE doit être l’un des espaces de coopération occidentale en matière de défense. Ces critiques attestent d’un réaménagement au sein du consensus pro-atlantique, comme si les ambiguïtés de celui-ci ne résistaient pas au contexte nouveau de la guerre en Ukraine. Au total, les <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,28760915,po-chce-po-wygranych-wyborach-przejrzec-wojskowe-kontrakty-blaszczaka.html">partis d’opposition promettent de revoir l’ensemble de cette politique</a> en cas de victoire aux élections de 2023.</p>
<h2>Des projets annulés si le PiS perd en 2023 ?</h2>
<p>De fait, l’actuelle politique de réarmement se déploie dans un contexte électoral de plus en plus défavorable au PiS, <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/poland/">dont les intentions de vote s’effritent dans les sondages</a>. À la crise du Covid sont venues s’ajouter <a href="https://www.reuters.com/markets/europe/polish-inflation-could-rise-september-finance-minister-says-2022-09-24/">l’inflation</a>, la plus élevée depuis les années 1990 (près de 16,4 % en 2022) et diverses crises mal gérées par le gouvernement, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/110698-000-A/catastrophe-de-l-oder-la-pologne-en-eaux-troubles/">comme la catastrophe écologique de l’Oder durant l’été 2022</a>.</p>
<p>L’explosion des prix de l’énergie et les <a href="https://tvn24.pl/biznes/z-kraju/wegiel-braki-w-polsce-lukasz-horbacz-z-izby-gospodarczej-sprzedawcow-polskiego-wegla-podaje-liczby-6126542">pénuries apparaissant sur le marché du charbon</a> pour les particuliers risquent en outre de pénaliser les groupes les plus enclins à voter pour le PiS (ménages âgés ou ruraux, zones géographique de moindre dynamisme économique), qui pourraient moins se mobiliser aux législatives de l’année prochaine.</p>
<p>Dans cette situation difficile, l’activisme du PiS en matière de défense et de discours souverainiste permet de raviver des lignes de clivage et de polariser le jeu politique, notammennt en jouant la carte anti-allemande. Jaroslaw Kaczynski a récemment déclaré, à propos de <a href="https://theconversation.com/lallemagne-face-a-la-guerre-en-ukraine-un-changement-depoque-189861">l’effort de défense annoncé en Allemagne par Olaf Scholz</a> qu’on pouvait <a href="https://goodwordnews.com/polands-kaczynski-raises-the-german-threat/">« se demander contre qui il était dirigé »</a> – réactivant une fois de plus un vieux mantra de la <a href="https://histmag.org/Propaganda-antyniemiecka-PRL-Pogrobowcy-Hitlera-z-NRF-16172">propagande du pouvoir communiste</a> d’avant 1989 qui faisait de l’Allemagne fédérale une menace pour la paix en Europe.</p>
<p>En outre, le PiS a réussi à imposer dans le débat public la question des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/01/la-pologne-veut-negocier-avec-berlin-des-reparations-pour-les-pertes-liees-a-la-seconde-guerre-mondiale-qu-elle-estime-a-1-300-milliards-d-euros_6139858_3210.html">réparations que l’Allemagne devrait à la Pologne pour les destructions de la Seconde Guerre mondiale</a>. Reste qu’il n’est pas certain que, cette fois, ces « grosses ficelles » électorales fonctionnent aussi bien que par le passé. </p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191705/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’ambitieux programme de réarmement de la Pologne illustre la vision géopolitique du parti au pouvoir, qui fait la part belle à Washington, Londres et même Séoul au détriment des pays de l’UE.
Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/187381
2022-10-05T15:14:35Z
2022-10-05T15:14:35Z
Satellites : les yeux, les oreilles et le porte-voix de la défense française dans l’espace
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/482332/original/file-20220901-13-dimh13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C2262&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration d'un satellite en orbite </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/search/satellite?c3apidt=p15458942753&gclid=CjwKCAjwsMGYBhAEEiwAGUXJaevwX3LC2t9GxE4wYZIs3wRBm46aw4TX9EzO1wREjAAwoanrB5weyBoCDk8QAvD_BwE&gclsrc=aw.ds&kw=shutterstock">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Convaincues d’emblée de la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2003-1-page-59.htm">dimension stratégique du domaine spatial</a>, les autorités politiques françaises ont, dès la fin des années 1950, consenti au profit de celui-ci des efforts substantiels et continus.</p>
<p>Cette ligne de conduite a porté ses fruits, si bien que nos armées sont aujourd’hui dotées de <a href="https://www.geostrategia.fr/la-france-un-challenger-majeur-de-lespace-militaire/">capacités spatiales hautement performantes</a> et couvrant un très large spectre de missions (télécommunications spatiales, observation et écoute électronique), ce que peu de pays peuvent mettre en avant. Une <a href="https://www.3af.fr/news/le-systeme-cso-atout-maitre-de-la-defense-pour-se-renseigner-anticiper-et-intervenir-2025">nouvelle génération de satellites</a> destinée à apporter un appui aux opérations interarmées se met d’ailleurs actuellement en place.</p>
<p>À l’issue de ce mouvement, les armées disposeront en propre de <a href="https://www.meretmarine.com/fr/defense/mise-en-orbite-du-satellite-militaire-d-observation-francais-cso-2">trois satellites d’observation optique CSO</a>, d’une constellation de <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/ceres-la-nouvelle-arme-de-surveillance-spatiale-de-la-france_789062">trois satellites d’écoute électronique CERES</a> et de <a href="https://theatrum-belli.com/lancement-reussi-du-satellite-de-telecommunications-militaires-syracuse-4a/">deux satellites de télécommunications militaires Syracuse 4</a> ; en quelque sorte, les yeux, les oreilles et le porte-voix de la défense française dans l’espace.</p>
<h2>CSO : les yeux</h2>
<p>En 1995 est mis en orbite le premier satellite militaire d’observation optique européen. Il est français et s’appelle <a href="https://www.liberation.fr/planete/1999/12/03/helios-l-oeil-espion-des-militaires-le-satellite-d-observation-franco-italo-espagnol-est-lance-aujou_290742/">Hélios 1</a>. Avec lui, les armées françaises accèdent à l’imagerie spatiale à haute résolution. Les deux Hélios 1 furent remplacés, au milieu des années 2000, par deux <a href="https://cnes.fr/fr/web/CNES-fr/2669-helios-ii-une-nouvelle-generation-de-satellites-militaires.php">Hélios 2</a> aux performances accrues.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-a-la-conquete-du-cosmos-60-ans-daventures-spatiales-francaises-173264">Bonnes feuilles : « À la conquête du cosmos, 60 ans d’aventures spatiales françaises »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La relève de la <a href="https://helios.cnes.fr/fr">famille Helios</a> en orbite est assurée depuis décembre 2018 par le <a href="https://cnes.fr/fr/media/cso-1-lespace-au-service-de-la-defense">programme CSO</a> (pour composante spatiale otique) qui prévoit trois satellites identiques évoluant sur une <a href="https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Orbite-heliosynchrone.html">orbite polaire héliosynchrone</a> ; deux à 800 kilomètres pour la mission de reconnaissance et un à 480 kilomètres pour la mission d’identification permettant l’accès à des informations plus précises. Les deux premiers CSO sont opérationnels, le troisième le sera en 2023.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Maquette d’un satellite de la Composante spatiale optique" src="https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482324/original/file-20220901-17-u22lha.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Maquette d’un satellite de la composante spatiale optique (CSO).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Composante_spatiale_optique.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>CSO ouvre l’accès à une qualité d’image visible et infrarouge sans équivalent en Europe. Des innovations technologiques appliquées à son miroir de grand diamètre et ses plans focaux permettent ainsi d’acquérir des images couleur en extrêmement haute résolution, autrement dit des images qui permettent non seulement de détecter des éléments d’intérêt, mais aussi d’en comprendre la nature et de les identifier. Ainsi, avec CSO, il devient possible de distinguer si un individu est armé ou les détails d’un système d’armes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1344006324447813642"}"></div></p>
<p>Grâce à sa capacité infrarouge, qui capte la signature thermique des scènes observées, l’instrument de CSO permet également la prise de vues nocturnes à un niveau de performances sans commune mesure avec celui obtenu avec Hélios 2.</p>
<p>Mais pour un militaire, voir, caractériser et identifier n’est pas suffisant en soi. Il s’agit également de géolocaliser, avec la meilleure précision possible, les objets observés et, de ce point de vue, la performance obtenue par CSO lui permet de répondre aux exigences militaires les plus élevées. Avec CSO, le recueil de renseignements depuis l’espace fait non seulement un bond qualitatif considérable en avant, grâce aux très hautes performances des satellites, mais il se renforce aussi en termes de volume d’informations obtenues et de réactivité. Comparé à la génération précédente, on dispose ainsi de beaucoup plus d’images livrées beaucoup plus vite.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans ce programme, l’État et l’industrie spatiale française ont su unir leurs talents pour réaliser un système au meilleur niveau mondial. La <a href="https://www.defense.gouv.fr/dga">Direction générale de l’armement (DGA)</a> en a assuré la direction, assistée par le <a href="https://cnes.fr/fr">Centre national d’études spatiales (CNES)</a> auquel elle a délégué la maîtrise d’ouvrage de la réalisation des satellites et du segment sol de mission, tandis que l’industrie nationale a aussi su répondre aux défis technologiques du programme.</p>
<h2>CERES : les oreilles</h2>
<p>Pour certains, <a href="https://mythologica.fr/rome/ceres.htm">Cérès</a> est la déesse romaine des moissons et de la fertilité ; pour les militaires français, ce nom évoque surtout un système de renseignement spatial.</p>
<p>En effet, depuis novembre 2021, évoluent en orbite les trois satellites <a href="https://ceres.cnes.fr/fr">CERES</a> (pour CapacitÉ de Renseignement Électromagnétique Spatiale). La constellation CERES permet de détecter, de caractériser et de localiser avec précision des signaux électromagnétiques émis par des radars ou des systèmes de communication. Le système couvre une large gamme de fréquences et permet de revisiter chaque jour les émetteurs détectés.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/14ywg8TZnEk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La constellation de satellites CERES, un système unique en Europe, ministère des Armées, 16 novembre 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Avec CERES, les militaires français peuvent ainsi surveiller le spectre électromagnétique aux fins d’élaboration d’un ordre de bataille ennemi ou de préparation de mesures de guerre électronique ; ils peuvent également surveiller de manière précise des cibles potentielles. Premier du genre en Europe, le système CERES est l’héritier de 25 années d’effort national dans le domaine de l’écoute électromagnétique depuis l’espace et capitalise sur les acquis d’une série de démonstrateurs qui ont permis de valider les technologies embarquées sur CERES.</p>
<p>Dans les années 1990, les démonstrateurs <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-293.htm">Cerise et Clémentine</a> ont d’abord permis de valider la faisabilité de la détection d’un signal électromagnétique depuis l’espace, puis les <a href="https://www.lesechos.fr/2001/05/larmee-francaise-veut-mettre-ses-grandes-oreilles-dans-lespace-718795">démonstrateurs Essaim</a> dans les années 2000 et <a href="https://elisa.cnes.fr/fr/elisa/en-detail/mission">Elisa</a> dans les années 2010 ont permis de valider le principe d’une localisation d’un émetteur au sol au travers du vol en formation.</p>
<p>C’est précisément par cette technique que les trois satellites CERES déterminent la position d’un émetteur à la surface du globe. Celle-ci sera d’autant plus précise que la tenue de position des satellites sera rigoureuse. C’est là que le savoir-faire des équipes du CNES, qui assurent le maintien en orbite de CERES, est mis à contribution. Avec les démonstrateurs <a href="https://thales-group.prezly.com/lancement-reussi-du-systeme-spatial-de-renseignement-ceres-construit-par-airbus-et-thales">Essaim et Elisa</a>, les précurseurs de CERES, ces équipes ont mis au point, puis affiné, une technique pour constituer une formation de satellites et la maintenir dans la durée avec précision et efficience.</p>
<h2>Syracuse : le porte-voix</h2>
<p>Depuis une quarantaine d’années, plusieurs générations de satellites de télécommunications ont apporté aux armées françaises une capacité de communication à très longue élongation. Les systèmes Syracuse 1 à 3 se sont ainsi succédé, et <a href="https://cnes.fr/fr/web/CNES-en/4142-syracuse-set-for-launch.php">Syracuse 4</a> est actuellement mis en place. Avec ce système aux performances décuplées, l’ambition est de répondre à l’augmentation des besoins en débit des armées liée à la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01811385/document">numérisation croissante du champ de bataille</a>, et d’apporter un service à de nouveaux utilisateurs comme des aéronefs ou des véhicules en mouvement.</p>
<p>À cette fin, outre sa très forte résistance au brouillage et ses capacités de communication en bande X, Syracuse 4 fournit de nouvelles capacités en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bande_Ka">bande Ka</a> militaire. Ce nouveau système tire pleinement profit de la dynamique du secteur civil commercial, où nos industriels sont particulièrement bien placés, en s’appuyant sur les innovations les plus prometteuses en matière de technologie numérique. Le premier satellite Syracuse 4 est en place sur l’orbite géostationnaire et sera rejoint en 2023 par une seconde plate-forme.</p>
<h2>Vers une nouvelle ère</h2>
<p>« Savoir pour prévoir afin de pouvoir » ; la formule est d’Auguste Comte et lie opportunément dans une suite logique trois verbes essentiels à l’art militaire. Dans ce domaine, plus que dans tout autre, ceux-ci ne sauraient aujourd’hui se conjuguer sans l’apport de capacités spatiales.</p>
<p>La défense française l’a bien compris et s’est engagée depuis quelques années dans le remplacement de ses systèmes spatiaux de renseignement et de télécommunications. Avec CSO, CERES et Syracuse 4, elle dispose désormais de capacités au meilleur niveau. D’ores et déjà, elle prépare cependant avec le CNES et l’industrie la génération suivante qui est attendue au début de la prochaine décennie. <a href="https://www.numerama.com/politique/526882-renseignement-spatial-la-france-officialise-deux-nouveaux-programmes-de-satellites-militaires.html">Iris, Céleste et Syracuse 4C</a> ouvriront alors une nouvelle ère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187381/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Steininger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’importance stratégique du domaine spatial ne cesse d’augmenter. La France se trouve aux premiers rangs de l’innovation dans ce secteur.
Philippe Steininger, Conseiller militaire du président du CNES, Centre national d’études spatiales (CNES)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.