tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/assouplissement-quantitatif-84573/articlesassouplissement quantitatif – The Conversation2023-09-28T19:14:31Ztag:theconversation.com,2011:article/2134102023-09-28T19:14:31Z2023-09-28T19:14:31ZGestion de la dette publique : que retenir des expériences de John Law au XVIIIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/547787/original/file-20230912-26-b1v6iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=589%2C388%2C1419%2C959&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portait de John Law par Alexis Simon Belle
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Law_de_Lauriston#/media/Fichier:John_Law_by_Alexis_Simon_Belle.jpg">Londres, National Portrait Gallery / Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>Une <a href="https://theconversation.com/topics/dette-20647">dette publique</a> proche de 120 points de PIB ? La France s’en est approchée à la sortie des confinements, jusque 117,8 points au premier trimestre 2021, une valeur redescendue à <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7638614">112,5 au premier trimestre 2023</a>.</p>
<p>Par le passé, elle avait déjà atteint de tels sommets, notamment au début du XVIII<sup>e</sup> siècle. En 1715, à sa mort, Louis XIV laissait la France au bord de la faillite en raison, notamment, des guerres incessantes lancées par le Roi Soleil et de l’organisation fiscale du pays.</p>
<p>Nos <a href="https://hal.science/hal-04010978/">travaux</a> portent sur cette époque qui permet de nourrir une réflexion sur les enjeux d’aujourd’hui. Aux commandes du pays en attendant que grandisse le jeune Louis XV, le Régent, Philippe d’Orléans, fit appel à John Law (nom que ses contemporains français prononçaient « Lass ») et à ses idées audacieuses pour redresser les finances de la France. Né en 1671 à Édimbourg, il s’était intégré dans les milieux financiers londoniens avant de parcourir l’Europe et de s’établir à Paris.</p>
<h2>Un partenariat public/privé</h2>
<p>Le but du système de Law était, à la fois, d’assainir les <a href="https://theconversation.com/topics/finances-publiques-24847">finances publiques</a> et d’augmenter la <a href="https://theconversation.com/topics/monnaie-21214">masse monétaire</a> en circulation afin de permettre le financement de l’économie. À cette fin, le Régent a tout d’abord autorisé son futur Contrôleur général des Finances à fonder une banque privée garantie par l’État, le 10 mai 1716. Avec cette création, Law poursuivait deux objectifs. Le premier était de faire évoluer le financement de l’économie en augmentant la part des billets dans la masse monétaire globale. Le second était de gérer la dette publique. En 1718, cette banque privée est devenue la Banque Royale. Dans une lettre adressée au Régent en 1715, John Law écrit ; </p>
<blockquote>
<p>« La banque n’est pas la seule, ni la plus grande de mes idées ; je produirai un travail qui surprendra l’Europe par les changements qu’il portera en faveur de la France, des changements plus forts que ceux qui ont été produits par la découverte des Indes ou par l’introduction du crédit. »</p>
</blockquote>
<p>La seconde pièce du système portait sur la création d’une compagnie commerciale. Au gré d’acquisitions et de fusions d’entreprises exerçant un monopole sur une aire géographique, John Law donne vie à un ensemble puissant qui reprend le nom de la « Compagnie des Indes » (appelée parfois aussi « Compagnie du Mississippi »). Elle avait pour mission première non le négoce mais la gestion des dettes d’État, selon les modalités suivantes : la Compagnie procédait à des augmentations de capital successives pouvant être payées au moyen de titres de dettes d’État. </p>
<p>De ce fait, elle avait vocation à centraliser progressivement l’endettement public pour octroyer ensuite à l’État des prêts à des taux d’intérêt très inférieurs à ceux pratiqués avant l’opération. Les finances publiques étaient ainsi assainies au moyen d’un lien entre le secteur public et le secteur privé.</p>
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<p>La Compagnie n’avait cependant pas les fonds pour payer les titulaires des titres. Elle devait donc lever des capitaux à hauteur des demandes potentielles de remboursement. Elle le fit d’une part au moyen d’augmentations de capital incessantes. Cela fut d’abord un succès, le cours de l’action de la Compagnie n’arrêtait pas de grimper. D’autre part, elle avait recours à des prêts octroyés par la Banque Royale. Ceux-ci étaient gagés sur les titres de ladite Compagnie dont la valeur était volatile et soutenue par les crédits octroyés.</p>
<p>C’est ce lien entre création monétaire et cours de l’action qui allait faire courir le mécanisme à sa perte. L’ensemble était totalement artificiel.</p>
<h2>Une tentative de régulation du système</h2>
<p>Law, qui voyait bien la faiblesse potentielle de son système, tenta de l’enrayer en faisant baisser le poids de la monnaie métallique en circulation au profit de la monnaie fiduciaire sous format papier, qui devait ainsi permettre à cette dernière d’en sortir consolidée. Il élabora ainsi une réglementation restrictive (interdiction par exemple de posséder plus d’un certain montant de métaux et incitation aux dénonciations) et fixa le cours légal des billets sur tout le territoire, en janvier 1720. En imposant la monnaie fiduciaire, le but de Law était, à terme, de stabiliser le cours de l’action de la Compagnie des Indes et d’en faire également une monnaie. Il voulait donc créer une monnaie-action.</p>
<p>Law a ainsi réussi en trois ans à créer une Banque Royale permettant une création monétaire nécessaire à l’économie, une compagnie commerciale restructurant la dette d’État afin d’assainir les finances royales et à imposer la monnaie fiduciaire, qui était alors impopulaire (la masse monétaire fait <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/john-law-l-aventure-des-finances-1051333">plus que doubler</a> au deuxième semestre 1719).</p>
<p>Pourtant, ce système va basculer très rapidement au cours du premier semestre 1720. À la fin de la même année, après des scènes d’émeutes et des morts rue Quincampoix à Paris où était installée la Banque Royale, John Law est contraint de s’enfuir du pays.</p>
<h2>Contradictions et délits d’initiés</h2>
<p>Comment expliquer cette issue ? On peut, d’une part, repérer des facteurs économiques. La spéculation exacerbée était un facteur de risque – on parlait alors d’agiotage –, alimentant le circuit financier sans profiter à l’économie réelle. Les deux sphères étaient totalement déconnectées. On est au cœur des contradictions du système : une volonté de stabiliser le cours de l’action de la Compagnie des Indes pour en faire une monnaie contrebalancée par une spéculation effrénée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/547786/original/file-20230912-17-limj5h.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=560&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Rue Quinquempoix en l année 1720, gravure d’Antoine Humblot.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On peut, d’autre part, repérer des facteurs sociologiques. Plus le système montait en puissance, plus la haute société a reçu des informations et des subventions pour spéculer sans risque. En revanche, quand le système fut menacé par l’excès de la spéculation, l’entourage de Law, dès l’été 1719, a vendu massivement des titres de la Compagnie des Indes, fragilisant encore davantage le système. On qualifierait ces opérations, en droit contemporain, de délits d’initiés.</p>
<p>Le renversement de cette folie spéculative eut lieu fin mai 1720. Cet épisode financier a marqué les esprits, a miné la confiance dans le système et freinera l’innovation dans ce domaine, pendant de longues décennies.</p>
<h2>Précurseur de la banque centrale</h2>
<p>En réalité, le système de Law a-t-il été si négatif ? Deux éléments permettent d’en douter.</p>
<p>D’une part, la Banque Royale est la première ébauche d’une banque centrale que Law voulait créer sur le modèle de la Banque d’Angleterre. Ce système était nouveau en France. Il avait non seulement pour finalité de créer de la monnaie permettant le soutien de l’économie mais également un rôle de régulateur financier. Law a ainsi établi un lien entre la <a href="https://theconversation.com/topics/politique-monetaire-39994">politique monétaire</a> et la politique économique. Son système a échoué non pas parce que la création d’une telle banque n’était pas une bonne idée mais du fait des excès de création monétaire. Celle-ci alimentait alors davantage la spéculation sur les actions de la Compagnie des Indes qu’il ne permettait à l’économie réelle de se développer. Par conséquent, l’excès de monnaie, permettant à une bulle spéculative d’exister, a entraîné la chute du système.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1640465175592464385"}"></div></p>
<p>Si nous transposons à l’époque contemporaine, les banques centrales sont solidement implantées mais depuis l’abandon du système de Bretton Woods, au début des années 1970, et à la suite des chocs pétroliers, nous avons connu une période d’inflation puis une déconnexion entre la création de liquidités et l’évolution de l’économie réelle d’une part et la constitution de bulles spéculatives, d’autre part.</p>
<p>Plus récemment, après la crise financière de 2008, les banques centrales, devenues libres de créer de la monnaie, ont mis en place des politiques de <a href="https://theconversation.com/topics/assouplissement-quantitatif-84573">« quantitative easing »</a> consistant en des achats massifs de titres de dette publique. Cela a pour effet d’augmenter la masse monétaire en circulation, d’abaisser les taux d’intérêt et d’augmenter le volume du crédit afin de relancer l’économie mais avec un risque de reprise de l’inflation. Or, les crises financières arrivent toujours avec l’éclatement de bulles spéculatives.</p>
<p>L’ébauche d’un système de banque centrale mis en place par Law était ainsi une idée fondatrice mais l’excès de création monétaire devait ruiner son entreprise. Ne vivons-nous pas également une période comparable marquée par une masse monétaire en circulation trop importante ? Law ne serait-il pas d’actualité ?</p>
<h2>Des idées et des erreurs qui font référence</h2>
<p>Schumpeter, dans son <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Histoire-de-l-analyse-economique"><em>Histoire de l’analyse économique</em></a>, considère par ailleurs John Law au premier rang des théoriciens de la monnaie de tous les temps. Ses idées et ses erreurs restent aujourd’hui présentes dans les discours qui analysent le <a href="https://www.banque-france.fr/la-banque-de-france/histoire/seminaire-de-la-mission-historique/la-credibilite-des-monnaies-de-john-law-au-bitcoin">développement des cryptomonnaies</a> par exemple.</p>
<p>L’Écossais voulait moderniser le système monétaire français par la création de la monnaie-papier et la Banque Royale devait permettre d’y parvenir. Il avait aussi une idée plus originale de faire des actions de la Compagnie des Indes, une nouvelle forme de monnaie.</p>
<p>La valeur fluctuante des actions n’a pas permis à cette idée de devenir réalité. Law pensait que la monnaie-action permettrait de supprimer la monnaie métallique. En revanche, il n’a sûrement pas assez pensé à un fondement suffisamment solide de la monnaie afin d’établir un lien entre celle-ci et l’économie réelle.</p>
<p>Par conséquent, même si le bilan est mitigé du fait de l’explosion du système et de ses conséquences, des mécanismes nouveaux ont été mis en place à cette époque et ont permis de renouveler, avec audace, les débats sur les problèmes monétaires et leurs structures qui sont toujours d’actualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annick Bienvenu-Perrot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système mis en place par l’économiste écossais en France à partir de 1716 a échoué. Il portait néanmoins en germes des idées qui restent éclairantes pour la gestion actuelle des comptes publics.Annick Bienvenu-Perrot, Docteur en droit - HDR - Enseignant-chercheur en droit privé - Co-directrice du master Juriste Financier - Université Paris Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021602023-03-21T00:14:50Z2023-03-21T00:14:50ZFaillites bancaires : le retour de bâton des politiques de taux bas des banques centrales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516353/original/file-20230320-20-hvqobw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=392%2C22%2C943%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour enrayer la hausse des prix, les politiques monétaires ont conduit à resserrer l’accès au crédit.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1638987">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En rédigeant <a href="https://classiques-garnier.com/taux-d-interet-negatifs-le-trou-noir-du-capitalisme-financier-essai.html">l’essai</a> que j’ai consacré aux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9drkIQNOE40">taux négatifs</a>, à l’été 2016, je suis tombé un peu par hasard, sur un rapport publié l’été précédent par le groupe des 30, think tank réunissant des grands argentiers (banquiers centraux et ministres des finances) à la retraite et quelques banquiers privés. Ouvrage stupéfiant, intitulé <a href="https://group30.org/images/uploads/publications/G30_FundamentalsCentralBanking.pdf"><em>Fundamentals of central banking. Lessons from the crisis</em></a>, en réalité véritable confession des erreurs des banquiers centraux, dans leur vision de l’économie, dans la prévention de la crise financière de 2008 et, surtout, dans sa gestion par les politiques non conventionnelles.</p>
<p>La dernière partie du rapport était consacrée aux différentes voies envisageables pour un « retour à la normale » sans qu’un consensus se dégage quant à la prévention des dérives du crédit et sans trancher, pour y remédier, entre le risque d’en faire trop/trop tôt et de plonger les économies en récession et celui d’en faire trop peu ou trop tard et de créer les conditions d’une rechute plus violente. Bizarrement, ce rapport n’a eu pratiquement aucun écho dans la sphère financière et encore moins dans le monde académique.</p>
<p>Dans l’essai précité, sous-titré <em>Le Trou Noir</em>, j’avançais l’idée que les taux zéro, qui permettent aux banques de se financer quasi gratuitement auprès de la banque centrale, voire négatifs, et les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/assouplissement-quantitatif-84573">assouplissements quantitatifs</a> (programmes de rachats massifs d’actifs privés et publics), ou« quantitative easing » (QE), tout en évitant l’écroulement d’un système surendetté, créaient effectivement les conditions d’une prochaine crise, encore plus profonde.</p>
<p>Ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politique-monetaire-39994">politiques monétaires</a>, mises en place aux États-Unis en réponse à la crise de 2008 et dans la zone euro en 2015 pour protéger la dette souveraine des États membres, ont en effet favorisé l’accroissement incontrôlé de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/endettement-24846">endettement</a>. En conséquence, des opérations à levier financier et des <a href="https://theconversation.com/bourses-un-scenario-de-bulles-localisees-se-dessine-155885">bulles d’actifs</a> se sont développées.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i2aAwJ6ElcI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Survalorisation des actifs financiers : attention danger ! (Xerfi canal, 2022).</span></figcaption>
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<p>J’ajoutais alors que tout délai pour y mettre fin, alors que les économies étaient reparties, ne ferait qu’élargir le fossé entre l’euphorie du moment et la catastrophe à venir.</p>
<h2>Trou noir, épisode 1</h2>
<p><a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/S2043-905920210000015012/full/html?skipTracking=true">À l’été 2019</a>, j’ai tenté, sans rencontrer beaucoup d’échos, de mettre en évidence la gravité, dans cette optique, de la volte-face de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reserve-federale-etats-unis-120711">Réserve fédérale américaine (Fed)</a> qui, après avoir enfin amorcé une normalisation de sa politique monétaire, avait dû se soumettre aux injonctions du président Donald Trump et de la bourse et revenir sans tarder à une politique hyperaccommodante.</p>
<h2>Trou noir, épisode 2</h2>
<p>Le schéma du trou noir semblait alors parfaitement en place. La « colère du marché » de novembre 2018, expression employée par Hervé Hannoun, autre ex-banquier central non complaisant et co-auteur d’un ouvrage percutant, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3060168"><em>Revolution Required, the Ticking Bomb of the G7 Model</em></a>, pour désigner la baisse violente de Wall Street à l’automne 2018, était le signal de l’intolérance absolue de la sphère financière et, par ricochet, de l’économie tout entière à l’interruption du flot d’argent gratuit.</p>
<p>Les banques centrales se trouvaient donc prises à leur propre piège. Les remèdes monétaires aux déséquilibres structurels des économies occidentales étaient devenus parfaitement iatrogènes. Les arrêter déclencherait crise financière et récession ; les poursuivre aggraverait le risque d’instabilité financière ultérieure.</p>
<p>On peut toujours imaginer que cette façon de toujours repousser les « aggiornamento » douloureux aurait pu continuer de recueillir la confiance mimétique et autoproduite des marchés. Sauf que le monde financier, même s’il s’emploie à y croire avec un acharnement croissant depuis une vingtaine d’années, ne peut vivre éternellement hors du monde réel et s’expose à des retours sur terre aussi brutaux qu’imprévisibles.</p>
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<p>Dans les causes externes d’une reconnexion en forme de déraillement, il était convenu d’évoquer les risques géopolitiques, sociopolitiques (populisme), environnementaux, nucléaires… personne ou presque n’avait considéré le risque sanitaire et la double conséquence d’une pandémie, fût-elle de faible létalité, sur la conduite des affaires monétaires :</p>
<p>1/ la relance des plans de QE en 2020, ou plutôt la mise en route de <a href="https://theconversation.com/lhelicoptere-monetaire-le-dernier-recours-des-politiques-economiques-134672">l’hélicoptère monétaire</a> dans sa version « dépense publique financée par émission de dette instantanément monétisée » ; 2/ l’impact sur les capacités de production (à l’arrêt pour cause de confinement ou freinées par des goulots d’étranglement).</p>
<p>Dans un monde gavé de liquidités, ce choc d’offre, alors que la demande restait soutenue par le « quoi qu’il en coûte » général, allait créer immanquablement la résurgence d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a> que la génération aux affaires pensait enterrée pour toujours. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la renaissance d’une capacité de négociation salariale, elle aussi éteinte depuis deux décennies, firent le reste.</p>
<p>Face à la flambée des prix, les taux directeurs des banques centrales, c’est-à-dire le taux auquel elles prêtent de l’argent aux banques commerciales, ont <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">commencé à remonter depuis le printemps 2022 aux États-Unis et l’été 2022 eu Europe</a>. Au plancher depuis des années, ils atteignent aujourd’hui respectivement 4,75 % et 3,5 %.</p>
<p><iframe id="Et6cW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Et6cW/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="AkVL7" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/AkVL7/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Avant même ce resserrement monétaire, le trilemme des banques centrales était déjà bien identifié :</p>
<ul>
<li><p>Les effets iatrogènes des politiques non conventionnelles nécessitaient d’y mettre fin sans délai.</p></li>
<li><p>Il était impératif de reconstituer des marges de manœuvre en termes de taux d’intérêt et de taille de bilan pour reconstituer un pouvoir contra-cyclique.</p></li>
<li><p>Mais la fragilité des marchés financiers (l’ampleur des opérations à levier d’endettement) rendait l’opération extrêmement périlleuse.</p></li>
</ul>
<p>Après avoir digéré les facteurs conjoncturels exceptionnels du premier semestre 2022, l’inflation, quatrième élément du puzzle, a certes bien décéléré depuis son pic de l’été 2022, mais elle semble aujourd’hui nourrie par des éléments structurels, dont la renaissance d’un pouvoir social revendicatif. Elle vient de donc de s’ajouter à ce véritable casse-tête à un moment où le secteur bancaire semble à nouveau en grande difficulté.</p>
<h2>Trou noir, épisode 3 ?</h2>
<p>Les crises financières commencent presque toujours par des crises bancaires qui ont quant à elles toujours pour cause une solvabilité insuffisante résultant d’une transformation excessive ou, plus pour le dire plus techniquement, d’une asymétrie d’exigibilité entre dettes et créances. Dans le cas de Silicon Valley Bank (SVB), il s’agirait du réemploi en titres longs (<em>treasuries</em>), valorisés au marché, de liquidités à exigibilité immédiate, déposées par les start-up californiennes. D’un côté (actif), le resserrement monétaire a sérieusement déprécié les obligations et de l’autre (passif) lesdites start-up ont brulé leur cash plus rapidement que prévu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faillite-de-la-silicon-valley-bank-pourquoi-les-risques-dune-nouvelle-crise-financiere-restent-limites-201650">Faillite de la Silicon Valley Bank : pourquoi les risques d’une nouvelle crise financière restent limités</a>
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<p>S’agit-il, comme on le disait en 2007 au déclenchement de la crise des subprimes, d’une fracture profonde mais étroite sans risque de propagation ? Après tout, cela ne concernerait que des banques régionales américaines, la SVB apparaissant toutefois, avant de s’écrouler, comme la 16<sup>e</sup> banque américaine en termes de bilan. Ou cela constitue-t-il, au contraire, un signal précurseur de problèmes beaucoup plus graves liés à la généralisation de l’effet de levier dans le système financier (y compris via le <em>shadow banking</em>, c’est-à-dire l’ensemble des activités financières non règlementées), favorisée par les politiques monétaires expansives menées partout dans le monde ? D’après Moody’s, les obligations représentent 80 % des actifs détenus par les banques américaines, contre seulement 40 % pour les banques européennes.</p>
<p>L’assouplissement par Donald Trump des règles bancaires instaurées par le Dodd-Franck act, pâle réplique mise en place, après la crise de 2008, du Glass Steagall act aboli par le président Bill Clinton, a servi de cadre à un nouveau laisser-aller coupable dans la surveillance des risques sur les banques « moyennes ». Révélateurs du relâchement général, les emprunts destinés à financer les <a href="https://theconversation.com/la-vague-inquietante-des-rachats-dactions-sur-les-bourses-americaines-117766">rachats d’actions</a> sont devenus les nouveaux moteurs de l’euphorie boursière.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/rachats-dactions-face-aux-exces-des-marches-une-regulation-encore-trop-timide-191179">Rachats d’actions : face aux excès des marchés, une régulation encore trop timide</a>
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</p>
<hr>
<p>Quant au caractère « régional » de l’affaire (jusqu’au <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise-du-credit-suisse-ubs-accepte-de-doubler-la-mise-pour-racheter-la-banque_5720822.html">rachat, le lundi 20 mars, du Credit Suisse</a>, en grandes difficultés, par sa rivale UBS) il est bon de rappeler encore une fois l’intrication totale du système financier mondial.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1637699909171179520"}"></div></p>
<p>À l’été 2013, l’ancien sous-gouverneur de la Banque de France Jean-Pierre Landau avait présenté au symposium annuel des banquiers centraux, à Jackson Hole aux États-Unis, un papier intitulé <a href="http://www.jeanpierrelandau.com/wp-content/uploads/2013/05/Jackson-Hole-Print.pdf"><em>La Liquidité mondiale, publique et privée</em></a>. Sa thèse était que la surabondance de liquidité au centre du système financier mondial se propage dans toute sa périphérie, du fait des organisations bancaires transnationales et du poids des facteurs « push » qu’elle implique ; cette surliquidité fausse les prix des actifs en attisant l’appétit des investisseurs pour le risque, phénomène auquel s’ajoutent des taux réels trop bas du fait de l’accumulation de réserves de change placées en actifs sans risque des pays avancés.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516344/original/file-20230320-26-xnjl62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Taux d’intérêt négatifs, le trou noir du capitalisme financier</em>, par Jacques Ninet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://classiques-garnier.com/taux-d-interet-negatifs-le-trou-noir-du-capitalisme-financier.html">Éditions Classiques Garnier</a></span>
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<h2>Épilogue</h2>
<p>Il est définitivement impossible de prédire quelles seront les conséquences d’un accident financier ou bancaire. Le diagnostic est pourtant sans appel quant à la complexification qu’introduit la lutte contre l’inflation, notamment via le rétablissement de taux réels neutres, dans la conduite des affaires monétaires du monde occidental.</p>
<p>Au-delà de la question de la nature de l’inflation et de la pertinence ou non d’une politique monétaire restrictive (ce que de toute façon elle n’est pas aujourd’hui) pour la combattre, je reste persuadé que la politique des taux zéro a été en son temps le marqueur de la pathologie profonde du capitalise financier occidental, la réponse inefficiente à la contradiction entre son besoin de croissance et le creusement inexorable des inégalités, débouchant sur un endettement, public et privé, toujours croissant.</p>
<p>La mission première des banques centrales est alors devenue la garantie de la solvabilité des États et la préservation de leur possibilité d’emprunter. Dans cette optique, de manière symétrique aux taux zéro dans la décennie 2010, la « lutte contre l’inflation » est devenue à leurs yeux, l’élément central de cette mission de « crédibilisation ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Ninet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La sphère financière réagit vigoureusement à la fin des taux bas que tentent aujourd’hui de mettre en place la Fed et la BCE pour enrayer l’inflation.Jacques Ninet, Professeur associé, IAE de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1948592022-11-24T22:30:43Z2022-11-24T22:30:43ZInflation ou hausse des taux ? Le dilemme des banques centrales n’a rien d’inéluctable…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496128/original/file-20221118-12-m38xdy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=93%2C17%2C1090%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les banques centrales comme la BCE (photo) ne contrôlent aujourd'hui qu'indirectement le volume de monnaie en circulation qui entraîne la hausse des prix.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Europäische_Zentralbank_-_European_Central_Bank_%2819190136328%29.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La hausse du niveau général des prix atteint actuellement, dans de nombreux pays, des niveaux inédits depuis les années 1980. Ce phénomène inflationniste s’explique généralement par une <a href="https://publications.banque-france.fr/laugmentation-de-la-masse-monetaire-pendant-la-crise-Covid-analyse-et-implications">croissance excessive de la masse monétaire</a> ; et même si d’autres causes y contribuent, l’inflation peut toujours être évitée ou corrigée par un ajustement de la quantité de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/monnaie-21214">monnaie</a> en circulation. C’est pourquoi les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-45337">banques centrales</a>, qui ont pour mandat de stabiliser le pouvoir d’achat de la monnaie, entreprennent aujourd’hui de relever leurs taux pour combattre l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a>.</p>
<p>Dans nos systèmes monétaires actuels, cependant, les banques centrales ne contrôlent qu’indirectement, et très imparfaitement, le volume de monnaie en circulation. La monnaie de banque centrale, qu’elles émettent directement, ne représente en effet qu’une fraction du total des moyens de paiement, essentiellement limitée aux pièces et aux billets. La <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6bDQG9LWwk4">masse monétaire</a> se compose surtout, aujourd’hui, de monnaie bancaire scripturale (les soldes de nos comptes courants transférables par carte bancaire ou virement), qui est <a href="https://abc-economie.banque-france.fr/leco-en-bref/qui-cree-la-monnaie">créée par les banques commerciales</a> lorsque celles-ci financent des prêts ou des investissements.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">Fed et BCE : deux rythmes mais une même stratégie contre l’inflation</a>
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<p>L’un des défauts de cette monnaie bancaire est qu’elle confère au moyen d’échange un comportement procyclique : le volume de monnaie augmente (ou se contracte) à mesure que les emprunteurs accroissent (ou réduisent) leur endettement auprès des banques, ce qui amplifie les bulles spéculatives là où les banques prêtent le plus – sur le <a href="https://theconversation.com/marche-immobilier-krach-ou-simple-correction-194093">marché de l’immobilier</a> notamment.</p>
<h2>Entre Charybde et Scylla</h2>
<p>Cette dépendance de la création monétaire envers les prêts bancaires explique aussi que les banques centrales, dans le système existant, soient conduites à manipuler le prix du marché des prêts (les taux d’intérêt) pour stabiliser le niveau des prix. En usant notamment du pilotage des <a href="https://abc-economie.banque-france.fr/les-taux-directeurs">taux d’intérêt directeurs</a>, auxquels elles prêtent aux banques, ou d’opérations d’achat ou vente d’actifs à destination de ces dernières, elles vont impacter les taux d’intérêt que les banques, en retour, appliqueront à leurs clients. Les banques centrales, de cette manière très indirecte, peuvent ainsi encourager ou décourager la création de monnaie bancaire, de sorte à stabiliser le pouvoir d’achat de la monnaie.</p>
<p>En période d’inflation, <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">comme actuellement</a>, cela se traduit par des hausses de taux qui, au-delà de leurs effets monétaires, sont tout sauf indolores : en renchérissant le coût de l’endettement, elles pénalisent l’investissement. C’est pourquoi les banquiers centraux naviguent maintenant entre Charybde et Scylla : si une hausse des taux insuffisamment forte laissait filer l’inflation, une hausse trop forte pourrait précipiter une récession.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laisser-filer-linflation-ou-freiner-la-reprise-le-dilemme-des-banquiers-centraux-164813">Laisser filer l’inflation ou freiner la reprise, le dilemme des banquiers centraux</a>
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<p>Un tel <a href="https://theconversation.com/laisser-filer-linflation-ou-freiner-la-reprise-le-dilemme-des-banquiers-centraux-164813">dilemme</a>, cependant, est-il vraiment inévitable ? Loin s’en faut. Il n’y a rien d’inéluctable, en effet, à ce que la création monétaire dépende si largement des prêts bancaires. Comme l’expliquait déjà l’économiste anglais David Ricardo il y a deux siècles, <a href="https://archive.org/details/planfortheestablishmentofanationalbank/page/n9/mode/2up">il n’y a « aucun lien nécessaire »</a> entre l’émission de monnaie d’un côté, et l’avance de monnaie par voie de prêt de l’autre. Ces deux fonctions, affirmait-il, pourraient très bien être séparées « sans la moindre perte d’avantage, que ce soit pour le pays, ou pour les marchands qui bénéficient de ces prêts ». L’émission de billets, depuis lors, est d’ailleurs devenue un monopole des banques centrales dans la plupart des pays.</p>
<h2>La piste du « 100 % monnaie »</h2>
<p>Dans la même optique, plusieurs économistes ont réclamé que l’émission de monnaie scripturale, transférable par chèque ou virement, soit dissociée des prêts bancaires. Telle était l’essence de la proposition <a href="https://doi.org/10.3917/redp.325.0835">« 100 % monnaie »</a> formulée aux États-Unis, durant la Grande Dépression des années 1930, par plusieurs économistes dont l’Américain <a href="https://mises.org/library/100-money">Irving Fisher</a>. Selon ce plan de réforme, qui a fait l’objet de nos <a href="https://sites.google.com/view/samueldemeulemeester/research">travaux de recherche</a> récents, les dépôts de transaction seraient couverts par 100 % de réserves en monnaie d’État, de sorte à ce que l’autorité monétaire soit seule habilitée à créer ou détruire des moyens de paiement.</p>
<p>Un certain nombre d’économistes, parmi lesquels les prix Nobel Maurice Allais, Milton Friedman et James Buchanan, ont continué à soutenir différentes versions de cette idée de réforme. Cette dernière a cependant souvent été rejetée au motif qu’elle mettrait fin, soi-disant, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01830363">à l’intermédiation bancaire</a> – ce qui n’est pourtant vrai que pour les versions les plus radicales, qui imposeraient 100 % de réserves sur l’ensemble des dépôts bancaires sans distinction.</p>
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<p>La version basique de ce plan de réforme ne concernerait, quant à elle, que les seuls dépôts de transaction, à finalité de paiement, laissant les banques libres d’utiliser des comptes d’épargne, à finalité d’investissement (et dont les soldes seraient convertibles à vue ou à terme mais non transférables en eux-mêmes), pour financer des prêts. L’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=8I4sdXbgk4g">intermédiation bancaire</a> serait ainsi maintenue, mais le volume de moyens de paiement n’en serait plus affecté.</p>
<h2>Le système actuel accroît les inégalités</h2>
<p>À la suite de la crise financière mondiale de 2007-2008, divers auteurs ont soutenu une version moderne de cette idée avec la proposition de <a href="https://positivemoney.org/our-proposals/sovereign-money-introduction/">« monnaie souveraine »</a>, selon laquelle la monnaie de banque centrale serait directement utilisée, sous forme scripturale ou numérique, par l’ensemble de la communauté de paiement en remplacement de la monnaie bancaire.</p>
<p>Dans un tel système, la création monétaire cesserait de dépendre des prêts bancaires pour devenir un monopole de l’autorité monétaire. Celle-ci injecterait de la nouvelle monnaie dans la circulation soit par le canal de l’<em>open market</em> (le marché secondaire des titres sur lequel la banque centrale intervient), soit, en coopération avec le Trésor, par le canal fiscal, c’est-à-dire par une augmentation des dépenses publiques, une réduction des impôts (à niveau de dépenses égal), voire des transferts monétaires directs aux contribuables ou aux citoyens (selon le principe de la <a href="https://theconversation.com/faut-il-sinquieter-des-pertes-des-banques-centrales-193876">« monnaie hélicoptère »</a>).</p>
<p>Le volume de moyens de paiement cesserait ainsi de varier de manière cyclique au gré des décisions d’emprunt et d’investissement. L’autorité monétaire serait en position de parfaitement contrôler l’émission de monnaie et de stabiliser, à travers celle-ci, la valeur de l’unité de compte, sans avoir pour cela à interférer avec le marché des prêts.</p>
<p>Dans les années qui ont suivi la crise de 2008, un système « 100 % monnaie », ou de « monnaie souveraine », aurait représenté un atout évident lorsque, dans un contexte de surendettement généralisé, le secteur privé était réticent à s’endetter davantage (même à des taux très bas) et les banques peu enclines à prêter ou investir. Les banques centrales ont ainsi dû procéder à des achats massifs d’actifs bancaires, via leurs programmes d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/assouplissement-quantitatif-84573">« assouplissement quantitatif »</a> (QE), pour éviter que la réduction des bilans bancaires ne se traduise en contraction monétaire. Si ces opérations ont permis d’éviter une déflation, elles ont en revanche maintenu les taux d’intérêt à un niveau artificiellement bas et gonflé les prix d’actifs, <a href="https://doi.org/10.3917/ecofi.128.0165">accroissant au passage les inégalités</a>.</p>
<h2>Éviter les distorsions monétaires</h2>
<p>Dans le contexte actuel, un système « 100 % monnaie » permettrait, symétriquement, de contrôler l’inflation beaucoup plus facilement : face à une hausse rapide du niveau des prix, l’autorité d’émission pourrait directement réduire le rythme de la création monétaire, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-pour-une-revision-monetaire-radicale-1193673">sans avoir à manipuler les taux d’intérêt</a> de quelque manière que ce soit.</p>
<p>Cet argument fut <a href="https://mises.org/library/100-money">avancé dès 1935</a> par Irving Fisher :</p>
<blockquote>
<p>« Même lorsque le niveau des prix est, pour un temps, stabilisé avec succès, sous le système en [vigueur], l’effort même de parvenir à cette fin par une manipulation des taux d’intérêt […] implique nécessairement une certaine distorsion du taux d’intérêt par rapport à la normale, c’est-à-dire par rapport au taux que la seule offre et demande de prêts aurait établi. C’est parce que, lorsque la [banque centrale] relève ou baisse le taux d’intérêt en vue d’empêcher l’inflation ou la déflation, une telle hausse ou baisse interfère nécessairement quelque peu avec le marché monétaire naturel ».</p>
</blockquote>
<p>Sous un système « 100 % monnaie », poursuivait-il, « les taux d’intérêt s’équilibreraient d’une manière naturelle selon l’offre et la demande de prêts, et les taux réels ne seraient pas pervertis par des écarts de conduite monétaires ». Ce n’est qu’en dissociant l’émission de monnaie des prêts de monnaie, comme le propose une telle réforme, que le niveau des prix et le taux d’intérêt pourraient chacun atteindre, séparément et simultanément, leur niveau optimal.</p>
<p>Jusqu’à ce qu’un tel système soit mis en place, les autorités monétaires resteront occasionnellement confrontées au type de dilemme qu’elles subissent actuellement. L’introduction d’une <a href="https://abc-economie.banque-france.fr/monnaie-digitale-de-banque-centrale">monnaie numérique de banque centrale</a> (MNBC), dont le projet est à l’étude dans de nombreux pays, pourrait en faciliter l’adoption.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194859/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samuel Demeulemeester ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis les années 1930, de nombreux économistes appellent à ne plus conditionner l’émission de monnaie à la demande de prêts des banques commerciales pour renforcer le pouvoir de l’autorité monétaire.Samuel Demeulemeester, Doctor in Economics, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1926912022-10-20T15:11:06Z2022-10-20T15:11:06ZBonnes feuilles : « Déclin et chute du néolibéralisme »<p><em>Depuis la crise de 2008, l’idée selon laquelle les banques centrales peuvent se limiter à des interventions monétaires dépolitisées a complètement été remise en cause. Les politiques de taux zéro adoptées dans les pays développés à la suite de la crise financière de 2008, mais surtout les pratiques non conventionnelles dites de « quantitative easing » (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/assouplissement-quantitatif-84573">« assouplissement quantitatif »</a>) ont permis aux banquiers centraux d’intervenir directement au sein des marchés financiers et les ont transformés en véritables acteurs politiques.</em></p>
<p><em>Dans ce texte, extrait de</em> <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807338616-declin-et-chute-du-neoliberalisme">Déclin et chute du néolibéralisme</a> <em>(De Boeck Supérieur, 2022), l’économiste David Cayla étudie le renouveau des théories monétaires dans le monde académique. Il s’interroge sur l’affaiblissement de la pensée monétariste développée dans les années 1960 par Milton Friedman et Anna Schwartz et sur les difficultés des approches hétérodoxes à s’imposer. Selon lui, le problème réside dans la difficulté qu’elles rencontrent à concevoir un cadre économique plus général sur lequel s’appuyer.</em></p>
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<p>Depuis quelques années, les questions monétaires ont été remises sur le devant de la scène par de <a href="https://www.veblen-institute.org/La-monnaie-helicoptere-contre-la-depression-dans-le-sillage-de-la-crise.html">nombreux chercheurs</a>. C’est une conséquence de la crise financière. Avec la faillite de Lehman Brothers, en septembre 2008, les économistes se sont trouvés confrontés à un évènement de « crise systémique », une situation théorique qui ne s’était encore jamais produite à une telle échelle.</p>
<p>L’apparition des cryptomonnaies ou le développement des monnaies complémentaires locales ont montré que la nature de la monnaie pouvait être questionnée et que d’autres mécanismes de paiement ou d’épargne pouvaient apparaitre et concurrencer les systèmes bancaires traditionnels. Plus largement, le monde académique prit conscience, dans les années 2010, que les systèmes monétaires soulevaient de nombreuses questions qui avaient été négligées par la pensée monétariste.</p>
<p>Au sein des économistes hétérodoxes, ce regain d’intérêt intellectuel pour les questions monétaires prit la forme d’une nouvelle approche, la « théorie monétaire moderne » soit, en version originale, la « modern monetary theory » (MMT).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=891&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=891&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=891&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1119&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1119&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490160/original/file-20221017-8454-sx0w56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1119&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Telle qu’elle est formulée par l’économiste américaine Stephanie Kelton dans <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_mythe_du_d%C3%A9ficit-9791020909732-1-1-0-1.html">Le Mythe du déficit</a>, paru en 2021, la MMT relève davantage d’une nouvelle façon de présenter la relation entre État et monnaie que d’une <a href="https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/170321/propos-de-l-ouvrage-de-stephanie-kelton-le-mythe-du-deficit">théorie originale</a>. Pour la présenter brièvement, cette approche repose sur deux grands principes. Le premier est que la monnaie contemporaine n’étant plus indexée sur un actif réel tel que l’or, il n’y a plus de limite au pouvoir de création monétaire. Le second principe est que l’émetteur exclusif de cette monnaie est la banque centrale, c’est-à-dire l’État. Il résulte de ces deux principes qu’un État ne peut faire faillite et qu’il n’a pas besoin de trouver des recettes pour couvrir ses dépenses puisqu’il peut se financer lui-même via sa propre banque centrale.</p>
<p>Dès le début de son ouvrage, Kelton précise toutefois que sa théorie n’est valable que pour les États monétairement souverains, c’est-à-dire qui sont essentiellement financés par de l’épargne domestique, ce qui exclut les pays en voie de développement dont les systèmes financiers sont dépendants de l’extérieur et les pays de la zone euro. Elle précise également qu’affirmer que l’État peut se financer lui-même sans limite ne signifie pas qu’il n’y aurait aucune contrainte à la dépense publique. Seulement, cette limite n’est pas financière mais réelle. En effet, si un État dépense trop, il détourne des emplois et des ressources de la sphère privée vers la sphère publique, ce qui peut avoir pour effet de diminuer la disponibilité de l’offre marchande et des biens de consommation.</p>
<h2>Réhabiliter la dépense publique</h2>
<p>Lorsqu’on va au bout de la logique de la MMT, on comprend que la dette et les déficits publics n’ont pas l’importance qu’on leur accorde dans le débat public. La dette publique, explique Kelton, n’est pas d’une nature profondément différente de la monnaie publique. C’est seulement une forme de monnaie qui rapporte des intérêts à son détenteur.</p>
<p>La MMT renverse la logique et les raisonnements monétaristes. Elle affirme que ce n’est pas la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politique-monetaire-39994">politique monétaire </a>qui est à l’origine de l’inflation mais la politique budgétaire ; que le problème n’est pas tant l’accroissement de la masse monétaire que la raréfaction de l’offre de marchandises. De même, l’effet d’éviction entre les secteurs public et privé ne relèverait pas d’un problème financier, mais de l’économie réelle. En effet, du point de vue de la MMT, tant qu’il y a des chômeurs à employer, la dépense publique ne risque pas de se faire au détriment du secteur privé puisque l’existence du chômage démontre que des ressources productives disponibles n’ont pas été utilisées par le secteur marchand.</p>
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<p>Finalement, ce que permet la MMT c’est surtout de réhabiliter la politique budgétaire et de montrer l’importance des interventions discrétionnaires publiques dans l’économie. Ainsi, à l’opposé des principes monétaristes, Kelton défend l’utilité de l’interventionnisme et affirme la nécessité de piloter politiquement l’économie.</p>
<h2>Une approche théorique incomplète</h2>
<p>Si les propositions de la MMT sont intellectuellement stimulantes dans leur manière de renverser la logique monétariste, elles ne font <a href="https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/170321/propos-de-l-ouvrage-de-stephanie-kelton-le-mythe-du-deficit">pas l’unanimité</a>, y compris parmi ceux qui sont opposés aux monétaristes. Ainsi, l’économiste keynésien Henri Sterdyniak, membre du collectif des Économistes atterrés, en fait une <a href="https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/170321/propos-de-l-ouvrage-de-stephanie-kelton-le-mythe-du-deficit">analyse critique</a> intéressante sur son blog. Selon lui, Stephanie Kelton omet de préciser que sa théorie n’est valable qu’en période de sous-emploi.</p>
<p>De plus, il apparait très compliqué d’utiliser l’emploi public comme un mécanisme de stabilisation du chômage. Cela supposerait qu’on recrute en période de sous-emploi, mais qu’en période de plein-emploi et de tension inflationniste, l’État devrait se séparer d’une partie des personnes embauchées précédemment afin de permettre au secteur privé de les recruter.</p>
<p>Plus fondamentalement, Sterdyniak note que la vision proposée par Kelton est incomplète. En premier lieu, en se focalisant sur le rôle de la banque centrale en tant qu’institution émettrice de monnaie, elle oublie le rôle pourtant central des banques et du crédit bancaire dans le processus de création monétaire. De même, le rôle des marchés financiers et les contraintes liées à la mondialisation sont sous-estimés.</p>
<p>Enfin, la dernière limite de la MMT concerne le souverainisme monétaire. Kelton le pose comme principe de sa théorie, mais elle n’en explique pas toutes les conditions. La tâche fondamentale incombant à la MMT ne devrait pas être de résoudre des problèmes de financement public dont elle affirme qu’ils n’existent pas. Elle devrait être d’expliquer comment créer les conditions d’une véritable souveraineté monétaire dans tout pays dont la monnaie n’est pas le dollar américain. Cette tâche est théoriquement simple, mais pratiquement très délicate. Il faudrait limiter le taux d’ouverture des économies, c’est-à-dire instaurer des politiques protectionnistes pour diminuer les échanges commerciaux avec l’étranger et produire davantage localement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490159/original/file-20221017-6604-nghkc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Il faudrait aussi instaurer un contrôle des changes pour éviter toute fuite des capitaux et orienter prioritairement l’épargne nationale vers des investissements intérieurs. Il faudrait, en somme, démondialiser, isoler en partie les économies des circuits commerciaux et financiers internationaux. Sans un relatif isolement économique, il est difficile de faire de la MMT une solution praticable pour la plupart des pays.</p>
<p>Ce qu’il faut retenir de ce qui précède n’est pas que la MMT serait sans intérêt pratique ou théorique, mais plutôt qu’elle ne constitue pas une réponse magique qui permettrait de résoudre par miracle toutes les difficultés économiques d’un pays. Elle n’est, en vérité, qu’une réponse partielle qui suppose des conditions tout à fait particulières pour être mise en œuvre. C’est d’ailleurs le cas de toutes les politiques alternatives au monétarisme. Aucune n’est entièrement satisfaisante. Toutes manquent, pour être vraiment opérationnelles et crédibles, d’un élément dont seul le monétarisme dispose : une relation symbiotique avec le mode de fonctionnement général de la société.</p>
<h2>Le poids des institutions</h2>
<p>Une politique n’est réellement praticable que si elle est menée dans un cadre institutionnel adapté, c’est-à-dire si elle est cohérente avec l’ensemble des règles formelles et informelles qui participent à l’organisation des comportements sociaux.</p>
<p>Le rôle des institutions est d’organiser la coordination des comportements dans la durée. Les institutions sont premières. Elles définissent les limites et les conditions de tous les comportements possibles. Les individus choisissent par la suite leurs comportements dans le cadre et les limites ainsi posées.</p>
<p>La pensée néolibérale est non seulement inscrite dans les institutions formelles, c’est-à-dire dans les textes de loi, dans les constitutions et le fonctionnement de certaines administrations, mais elle est encore plus fortement incrustée dans les habitudes, les représentations et les idéologies.</p>
<p>Le problème avec les politiques alternatives qui entendent rompre avec le monétarisme, c’est que ceux qui les ont conçues n’ont pas de théorie globale leur permettant de comprendre le fonctionnement des institutions. De ce fait, ils ne parviennent ni à articuler leurs propositions dans le cadre actuel ni à proposer un discours clair sur la manière de transformer ce cadre pour rendre leurs politiques possibles.<a href="https://theconversation.com/fr/topics/monnaie-21214">link text</a> </p>
<h2>Le monétarisme : un élément du système néolibéral</h2>
<p>La grande force idéologique des néolibéraux vient du fait <em>qu’ils ont pensé les institutions</em>, et que leur pensée inclut non seulement des réflexions sur le cadre légal et formel au sein duquel les marchés doivent fonctionner, mais qu’ils sont également parvenus à changer en profondeur les manières de voir, les idéologies et les modes de pensée.</p>
<p>Dans le mode de pensée néolibéral, le monétarisme tient une place essentielle. Mais il ne représente, en fin de compte, que l’un des éléments d’une pensée plus globale. Le monétarisme est un rouage – mais il n’est qu’un rouage – d’une machinerie bien plus vaste. De ce fait, si l’on suit les recommandations des économistes hostiles au monétarisme et que l’on retire ce rouage sans remplacer l’engrenage dans son ensemble, on casse la machine sans être capable d’y substituer une machine alternative.</p>
<p>Le monétarisme est, en fin de compte, une doctrine qui vise à faire de l’État l’arbitre neutre de la politique monétaire. Le problème est que sortir du monétarisme sans penser plus largement le rôle de l’État et sans réfléchir aux manières alternatives d’organiser l’économie n’est pas possible. À partir du moment où l’on admet que l’État ne doit pas simplement être un superviseur neutre de la monnaie, mais que le pouvoir politique peut utiliser l’outil monétaire pour agir de manière discrétionnaire sur l’économie, il faut admettre que l’État pourrait avoir le droit d’agir de la même façon sur bien d’autres marchés. Pourquoi les taux d’intérêt devraient-ils être décidés de manière politique mais pas les autres prix ? Et si l’on admet que le rôle de l’État peut être d’établir des prix à la place des marchés, jusqu’où va-t-on dans cette logique ?</p>
<p>Cette question est d’autant plus importante que nos institutions et la manière de penser des experts et des économistes ont intégré le principe qu’une économie de marché n’est pas un simple espace où l’on échange librement, mais que c’est surtout un système au sein duquel les prix sont déterminés par des marchés en concurrence. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. En fait, on pourrait même affirmer qu’avant les années 1970, ce n’était pas du tout le cas. Beaucoup de prix étaient alors largement administrés par les autorités politiques et cela ne posait aucun problème à personne. Ce n’est qu’à partir des années 1970, et plus encore dans les années 1980 et 1990, que la logique s’est inversée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192691/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Cayla est économiste à l'Université d'Angers et chercheur au Granem. Il est membre du CA du collectif des économistes atterrés.</span></em></p>Monnaie « hélicoptère », annulation des dettes publiques… Pourquoi les approches monétaires hétérodoxes ne parviennent-elles pas à remplacer la doxa monétariste ?David Cayla, Enseignant-chercheur en économie, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1732932021-12-07T21:24:57Z2021-12-07T21:24:57ZL’affaiblissement de l’euro face au dollar, une tendance qui s’annonce durable<p>Depuis le début de l’année 2021, l’euro s’est affaibli par rapport au dollar américain, passant d’environ 1,23 dollar à son taux de change actuel de 1,13 dollar. Cela représente une baisse d’environ 9 %, ce qui reste significatif, d’autant plus qu’il s’agit des deux principales devises du monde.</p>
<p>La chute s’est également intensifiée en novembre, avec une baisse de 3 % environ. Ce recul a été enregistré dans un contexte marqué par des violences dans les capitales européennes en raison des restrictions sanitaires liées au Covid-19, par des problèmes de migrants à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne et par l’amassement de troupes russes à la frontière de l’Ukraine.</p>
<p>Cette baisse doit toutefois être considérée dans un contexte plus large. L’euro reste encore plus fort qu’il y a deux ans, lorsqu’il valait environ 1,10 dollar. Il a également connu une forte volatilité hebdomadaire entre février et avril 2020, au début de la pandémie de Covid-19, oscillant entre 1,07 et 1,13 dollar à ce jour (au 6 décembre), à une époque où de nombreux investisseurs se réfugiaient dans la devise américaine et où l’incertitude régnait quant aux conséquences des confinements.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435875/original/file-20211206-17-kvpm9l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de l’euro face au dollar depuis début 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.tradingview.com/chart/?symbol=FX%3AEURUSD">Trading view</a></span>
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<p>Il est bien connu qu’il est extrêmement difficile d’expliquer les mouvements des devises sur une base hebdomadaire ou même mensuelle, surtout lorsqu’il s’agit d’économies majeures comme les États-Unis et les pays de la zone euro. Mais il est certain que nous devons examiner ce qui se passe dans les deux régions, et pas seulement dans l’une ou l’autre. En utilisant cette idée simple, il existe plusieurs explications à la récente dépréciation de l’euro.</p>
<h2>Différences d’inflation</h2>
<p>La première explication est liée au fait que la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) stimulent leurs économies en recourant à l’assouplissement quantitatif (<em>quantitative easing</em>, ou QE), qui consiste essentiellement à injecter des liquidités en rachetant des actifs financiers comme des obligations d’État auprès des banques et d’autres grands investisseurs. Depuis le début de la pandémie, les deux banques centrales ont accéléré cette opération de manière intensive.</p>
<p>Toutefois, l’inflation annuelle aux États-Unis atteignant désormais un <a href="https://news.sky.com/story/us-inflation-hits-highest-level-since-1990-at-6-2-as-food-and-fuel-prices-surge-12465340">niveau de 6,2 %</a>, contre <a href="https://www.reuters.com/world/europe/euro-zone-oct-inflation-confirmed-41-yy-energy-spike-2021-11-17/">4,1 % dans la zone euro</a>, la Fed pourrait <a href="https://www.reuters.com/business/cop/dollar-hovers-near-peaks-fed-heads-taper-2021-11-03/">mettre fin plus tôt que prévu à ses achats d’actifs</a> pour limiter l’envolée des prix. En effet, l’augmentation de la masse monétaire reste susceptible d’alimenter l’inflation.</p>
<p>D’ailleurs, la Fed a déjà commencé récemment à ralentir le rythme de l’assouplissement quantitatif (<em>tapering</em>) en vue de l’arrêter au second semestre 2022. D’autre part, la BCE <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-10-06/ecb-said-to-study-new-bond-buying-plan-for-when-crisis-tool-ends">réfléchit à un nouveau programme de QE</a> lorsque l’actuel, d’un montant global de 2 200 milliards de dollars, prendra fin en mars 2022.</p>
<p>Dans ce contexte, on s’attend de plus en plus à ce que les États-Unis commencent à <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-11-18/jpmorgan-economists-now-predict-fed-to-raise-rates-in-september">relever leurs taux d’intérêt à partir de la mi-2022</a> pour juguler l’inflation. De son côté, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, vient d’indiquer clairement que le relèvement de ses taux ne devrait pas avoir lieu <a href="https://www.cnbc.com/2021/11/19/ecbs-lagarde-says-a-rate-hike-unlikely-for-2022.html">avant au moins 2023</a>.</p>
<p>Ces différences émergentes dans les positions de politique monétaire des États-Unis et de la zone euro ont jusqu’alors clairement favorisé un renforcement du dollar, puisque l’assouplissement quantitatif et des taux d’intérêt bas ont tendance à faire déprécier une monnaie.</p>
<h2>Covid et politique</h2>
<p>Un deuxième facteur déterminant a été la force relative récente de l’économie américaine, par rapport à la zone euro, dans son redressement après la pandémie. Pour 2021, le Fonds monétaire international prévoit une <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2021/10/12/world-economic-outlook-october-2021">croissance de 6 % pour les États-Unis</a>, contre 5 % pour la zone euro, tandis qu’en 2022, les prévisions sont respectivement de 5,2 % et 4,3 %. Là encore, cela laisse présager la force du dollar.</p>
<p>Il semble peu probable que le Covid-19 fasse l’objet d’autres mesures de verrouillage aux États-Unis (même si le <a href="https://www.nytimes.com/2021/11/22/us/us-covid-cases-rising-thanksgiving.html?mc_cid=6d76cfd520&mc_eid=c825ac9090">nombre de cas augmente à nouveau</a>), mais pas dans la zone euro, où le taux d’infection a fortement augmenté ces dernières semaines dans des pays comme l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Autriche et la Belgique. <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-59369488">L’Autriche</a> est à nouveau en quarantaine, et <a href="https://news.sky.com/story/covid-19-germany-may-follow-austria-into-full-lockdown-as-coronavirus-cases-hit-new-high-12472233">d’autres pays de la zone euro pourraient suivre</a>.</p>
<p>Une plus grande stabilité politique constitue enfin un dernier moteur de la récente force du dollar. L’administration Biden dispose encore de trois ans de mandat et a récemment réussi à faire adopter son plan de relance <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/nov/19/house-democrats-pass-biden-expansive-build-back-better-policy-plan"><em>Build Back Better</em></a> de 1 700 milliards de dollars américains.</p>
<p>En revanche, les pays de la zone euro sont actuellement confrontés à une période de plus grande instabilité politique. L’Allemagne voit les 16 années de stabilité relative sous Angela Merkel toucher à leur fin. En France, l’éventuelle victoire d’un candidat populiste aux prochaines élections présidentielles <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/french-election-2022-macron-is-sitting-pretty-but-sitting-presidents-often-tumble-fqfb6t5g0">inquiète également les investisseurs</a>, tout comme les frictions commerciales persistantes post-Brexit entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.</p>
<p>Tout cela se produit à un moment où le <a href="https://www.businessinsider.com/russian-invasion-of-ukraine-a-real-possibility-russia-watchers-warn-2021-11?r=US&IR=T">renforcement des forces de la Russie à proximité de l’Ukraine</a> soulève la perspective d’un conflit militaire à la lisière de l’Europe – sans compter que la Russie a déjà <a href="https://www.reuters.com/markets/europe/living-hand-mouth-europes-gas-crunch-shows-little-sign-easing-2021-11-22/">limité l’approvisionnement en gaz</a> de la région et que l’un de ses principaux pipelines traverse l’Ukraine. En outre, d’importantes <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/skbaer/antivax-europe-covid-mandates">manifestations anti-vaccins</a> ont eu lieu aux Pays-Bas, en Allemagne, en France ou encore en Italie, et les gouvernements européens sont désormais soumis à de <a href="https://thehill.com/opinion/finance/580976-is-europe-headed-toward-another-debt-crisis">plus en plus de pression</a> pour maîtriser leurs dépenses.</p>
<p>Ainsi, bien que les mouvements monétaires à court terme soient très difficiles à prévoir, il y a de nombreuses raisons de croire que la récente période de faiblesse de l’euro va se poursuivre. Cela rend les importations dans la zone euro plus chères, notamment l’énergie. En outre, si cela présente certains avantages pour un grand exportateur comme l’Allemagne, l’affaiblissement de la devise européenne sape également la crédibilité de la zone euro en tant que force économique mondiale.</p>
<p>Ce qui pourrait changer la donne, c’est que la BCE reconnaisse l’existence d’un problème d’inflation auquel il faut s’attaquer, en mettant fin à son expérience d’assouplissement quantitatif et en entamant le processus de relèvement des taux d’intérêt. Mais cela ne semble pas à l’ordre du jour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Keith Pilbeam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les différents rythmes d’inflation des deux côtés de l’Atlantique et les réponses monétaires envisagées face à la hausse des prix devraient entretenir la dépréciation de la devise européenne.Keith Pilbeam, Professor of Economics, City, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1659212021-08-17T17:59:32Z2021-08-17T17:59:32ZPlier mais ne pas rompre : les secrets de la souplesse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416032/original/file-20210813-6629-1lnhffr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C2093%2C1395&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nous ne sommes pas tous égaux en matière de souplesse…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/goN37drOal8">Ernesto Velázquez / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Raide comme un bout de bois, souple comme une liane… La souplesse, cette capacité qu’on a (ou pas) à se transformer en élastique provoque bien des débats et des jalousies. Concrètement, il s’agit de l’amplitude de mouvement que l’on peut développer. </p>
<p>Une aptitude qui s’avère particulièrement variable d’un individu à l’autre, et d’une partie du corps à une autre…</p>
<p>Derrière nos éventuels dons de contorsionniste se cachent des explications physiologiques très simples : la souplesse dépend de notre santé, de la structure de nos ligaments, muscles et tendons qui permettent de jouer sur l’amplitude que peut atteindre une articulation. Celle-ci se manifeste de deux façons.</p>
<h2>Deux types de souplesse</h2>
<p>Premier type de souplesse, la souplesse statique. Elle correspond à l’intervalle de mouvement (ou degré) d’une ou plusieurs articulations. Elle se mesure classiquement par le test du « touche-orteils » (en position debout, jambes tendues, il faut se pencher pour tenter de toucher les orteils ou le sol), ou du « sit and reach » (en position assise, jambes tendues, il faut aller chercher le plus loin possible en direction des pieds avec ses doigts).</p>
<p>L’autre type, la souplesse dynamique, correspond à la facilité d’une articulation à se mouvoir au sein de son intervalle de mouvement. On l’évalue de manière passive, en quantifiant les angles que l’articulation peut atteindre au moment de la génération de la force de résistance (ou tension passive) par le muscle, lorsque ce dernier est étiré. La souplesse dynamique peut aussi être mesurée de manière active, par la mesure des oscillations de la force suite à la stimulation d’un muscle préalablement contracté.</p>
<h2>Une capacité qui n’est pas figée</h2>
<p>Pas de défaitisme, ces souplesses peuvent être améliorées de diverses façons ! </p>
<p>On peut s’en rendre compte soi-même au cours d’un même exercice sollicitant un muscle. Lorsqu’un muscle est étiré passivement, dans une position donnée, il résiste à la déformation et revient après l’effort à son état initial ; les professionnels parlent de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1470021/">« réponse viscoélastique »</a>. Lors d’un travail d’étirement, on peut sentir la tension passive du muscle diminuer peu à peu. Ainsi, une simple répétition d’étirements statiques entraîne une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/036354659602400510">atténuation de la réponse viscoélastique</a> et une diminution de la raideur passive de l’articulation.</p>
<p>Notre souplesse évolue également de manière plus profonde avec des étirements réguliers. Après de longues périodes d’étirement, une articulation affiche en effet un degré supérieur de mouvement, souvent décrit comme une <a href="https://apemedical.com.au/wp-content/uploads/2018/03/neuromuscular_basis_for_stretching.pdf">diminution de la raideur des tissus environnants</a>. Un bénéfice indéniable, mais qui ne s’observe pas de façon identique dans <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2782533/">tout notre corps</a>, et qui dépend entre autres du <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8085933/">type de muscles sollicités</a>. Il faut savoir que globalement, plus il y a de muscles autour d’une articulation et plus celle-ci mettra du temps à s’assouplir. Les épaules sont par exemple plus souples que les hanches.</p>
<p>Le vieillissement a également un impact. La souplesse des articulations des épaules et des hanches <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23862064/">diminue d’environ 6 degrés de mouvement par décennie</a> entre 55 et 86 ans, chez les femmes comme chez les hommes. Cette dégradation est en partie due à la formation de liaisons au sein des tissus des muscles et des tendons, particulièrement au niveau des fibres de collagène. Ces liaisons vont <a href="https://pennstate.pure.elsevier.com/en/publications/exercise-and-physical-activity-for-older-adults">affecter l’élasticité de l’ensemble ainsi que la souplesse des articulations</a>. L’élasticité des tendons et leur résistance à la traction sont également amoindris, ce qui augmente d’autant le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16224113/">risque de maladie des tendons (tendinopathie)</a>.</p>
<h2>La souplesse peut se préserver</h2>
<p>La souplesse, comme la masse musculaire, peut être protégée, voire améliorée tout au long de la vie sous toutes ses composantes (articulaire, élasticité tendineuse…) par un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9624661/">entraînement adapté</a>. Des séances d’assouplissement de 10 minutes avec trois à quatre répétitions d’étirements statiques de 10 à 30 secondes, à raison de deux sessions par semaine, donnent déjà des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17762378/">résultats intéressants</a>.</p>
<p>Et parfois, le réconfort se fait aussi utile que l’effort ! Il a ainsi été démontré que l’utilisation d’un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3924612/">rouleau de massage</a> permettait d’<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3679629/">augmenter la souplesse</a> des muscles ischiojambiers (le groupe musculaire de la cuisse permettant l’extension de la hanche et la flexion du genou) chez des sujets sains actifs. Le rouleau peut s’utiliser de diverses façons : 10 secondes de massage à une intensité et une fréquence constante (respectivement 13 kg de pression et 120 passages, un passage correspondant à un aller-retour de haut en bas des muscles ischiojambiers) ou bien 10 minutes de massage à une intensité constante (pression modérée) et à une fréquence constante (une à deux secondes par coup allant de haut en bas des ischiojambiers), etc.</p>
<p>Le gain en souplesse est alors fugace… Il s’étire sur 10 minutes au mieux après la séance, puis la souplesse revient à son niveau initial en 30 à 60 minutes. Il n’est pas inutile pour autant : l’idéal serait de procéder à ces massages juste avant des exercices physiques, ce qui assurerait à ces derniers un gain de souplesse optimum.</p>
<p>Par ailleurs, il semblerait que le pilates - un système d’activité physique « douce » développé au début du XXᵉ siècle par Joseph Hubertus Pilates - soit bénéfique lui aussi pour la souplesse des membres inférieurs. En effet, il a été démontré, chez des femmes faisant une heure de pilates deux fois par semaine pendant 8 semaines, que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26473443/">la souplesse des jambes était améliorée</a>.</p>
<h2>Les bienfaits des étirements</h2>
<p>Enfin, les étirements restent des valeurs sûres et <a href="https://europepmc.org/article/med/25268286">des études analysant plusieurs techniques ont permis d’évaluer leurs effets</a>. Premièrement, il a été démontré que des sessions « d’étirements balistiques » (rebondir une fois par seconde pendant 5 secondes) réalisées au moment de l’échauffement permettaient à des sujets masculins sportifs avec une faible souplesse et une faible puissance musculaire d’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24755866/">atteindre de meilleures performances</a>. En revanche, les étirements statiques (30 secondes d’étirement des muscles sans mouvement) sont à éviter dans ce contexte. </p>
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<img alt="Homme pratiquant des étirements" src="https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416038/original/file-20210813-6629-1x8bd17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pratiquer des étirements reste un bon moyen de travailler sa souplesse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/gx46N5wvp5Y">Benn McGuinness / Unsplash</a></span>
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</figure>
<p>Deuxièmement, chez des femmes sportives, un entraînement de 12 semaines combinant des exercices de force et de souplesse et des étirements statiques et dynamiques s’est avéré profitable tant pour la souplesse que la force musculaire. Les sessions de travail de la souplesse enchaînaient trois séries de 30 répétitions d’étirements dynamiques (des membres inférieurs et supérieurs, des épaules, des hanches et du tronc) jusqu’au point d’inconfort, pour une durée totale de 60 minutes. Logiquement, l’amélioration de la force reste négligeable avec un entraînement en souplesse seul comparé à du renforcement musculaire spécifique.</p>
<p>Il est aussi ressorti que l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27984497/">intensité des exercices est un facteur important d’amélioration</a> de la souplesse. Réaliser des étirements statiques de 3 minutes des muscles ischiojambiers entre 100 et 120 % de l’intensité maximale tolérable sans douleur, assure un gain supplémentaire en degré de mouvement articulaire et une plus grande diminution de la raideur musculo-tendineuse passive chez des sujets sains actifs par rapport à une intensité de 80 %.</p>
<p>Étirements balistiques avant l’effort, massages, pilates… Travailler sa souplesse revient décidément à allier l’utile à l’agréable ! Preuves scientifiques à l’appui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165921/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Vitiello ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La souplesse n'est pas une aptitude également partagée… Ce qui n'empêche pas de la travailler ! Massages, étirements, pilates sont autant de techniques capables de l'améliorer, en tout confort.Damien Vitiello, Associate professor, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1609362021-05-19T16:36:13Z2021-05-19T16:36:13ZDécryptage : pourquoi les bourses n’ont (presque) pas connu la crise de la Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/400975/original/file-20210517-17-1kmt1ot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C921%2C618&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les investisseurs conservent une perception positive quant au devenir des entreprises aux futurs les plus prometteurs.
</span> <span class="attribution"><span class="source">bjmyers - Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Aux mois de mars et avril 2020, la crise sanitaire du coronavirus a déclenché une série de krachs qui ont affecté simultanément toutes les bourses mondiales.</p>
<p>Les chocs se sont avérés plus ou moins marqués. Moins forts en Chine, ils l’ont été bien davantage dans des pays comme l’Italie ou l’Espagne. Pour les principales économies, États-Unis, Japon, Royaume-Uni ou pays de l’Union européenne, la <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/does-the-fall-in-the-stock-market-risk-amplifying-the-crisis/">chute des cours au printemps 2020 s’est montrée violente</a> et figure même parmi les 3 grands évènements boursiers de ce début de XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400784/original/file-20210514-21-1a2tppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les principales économies mondiales connaissent au printemps 2020 une violente chute des cours en bourse.</span>
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<p>Si on prend le cas des États-Unis, l’indice S&P500, qui regroupe les 500 plus grandes capitalisations boursières du pays, a enregistré le 23 mars 2020 une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3638208">baisse de l’ordre de 34 %</a> par rapport au pic mesuré le 19 février. L’amplitude de la variation se trouve comparable à ce qui avait été observé lors de la grande crise financière qui a suivi la faillite de la Banque Lehman Brothers en 2008 ou encore lorsque la bulle Internet a éclaté au début des années 2000.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400786/original/file-20210514-21-uuecob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En 2020, l’indice S&P 500 s’est redressé aussi vite qu’il avait chuté.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gunther Capelle-Blancard et Adrien Desroziers, « The Stock Market Is not the Economy ? Insights from the Covid-19 Crisis » (Juin 2020). CEPR Covid Economics, 2020</span></span>
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</figure>
<p>Deux différences apparaissent cependant de façon saillante. Si les courbes ont décru avec un même ordre de grandeur, la baisse est intervenue cette fois avec beaucoup plus de brutalité. Elle s’est réalisée en à peine quelques semaines alors que la chute s’était étalée sur plus de 8 mois lors de la grande crise financière et sur plus d’un an pour l’explosion de la bulle Internet.</p>
<p>Deuxième différence, la remontée des cours a suivi presque aussi brutalement (un peu moins rapidement en Europe). L’indice américain regagnait le seuil de 2 930 au 30 avril pour effacer pratiquement toutes ses pertes le 9 juin (3 213).</p>
<h2>Un miroir déformant</h2>
<p>Cette volatilité extrême traduit-elle une situation d’« exubérance irrationnelle du marché des actions », comme l’avait suggéré en 1996 le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Alan Greenspan ?</p>
<p>Notre propos défend une idée quelque peu différente. Il met en exergue le rôle des banques centrales et les formes de rationalité qui animent les différents agents sur les marchés boursiers dans leurs représentations des conséquences de la crise sanitaire.</p>
<p>N’oublions pas ce que représente un cours boursier. Il s’agit de la somme à dépenser pour acquérir un titre qui donnera, dans le futur, droit à l’encaissement de dividendes. Comme est ici considéré un investissement, celui qui l’engage en attend une rémunération.</p>
<p>En finance, nous avons l’habitude de résumer ce constat en écrivant que le cours est la contrepartie d’un flux de dividendes futurs actualisés, c’est-à-dire la somme des dividendes attendus à l’avenir divisée par le taux de rentabilité espéré par l’investisseur. Dividendes et taux de rentabilité : il y a donc deux paramètres à prendre en considération.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400788/original/file-20210514-21-7zmglo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Alan Greenspan, alors président de la Fed, avait lancé en 1996 l’expression d’« exubérance irrationnelle du marché des actions ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">bjmyers -- Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Sans nous y attarder plus, retenons les messages principaux. La valeur d’une action dépend des revenus que l’on anticipe grâce à elle, et la bourse ne reflète pas l’état présent de l’économie, mais le futur tel qu’il est perçu par un très grand nombre de professionnels de la finance.</p>
<p>Les indices boursiers ne prennent, par ailleurs, en compte que les plus grandes entreprises sans refléter leur situation actuelle mais plutôt leur devenir. Le constructeur américain Tesla pèse ainsi plus lourd que son homologue allemand Volkswagen, bien qu’il vende aujourd’hui beaucoup moins de véhicules. De ce point de vue, c’est un miroir déformant par rapport à l’économie présente.</p>
<h2>Confiance à long terme</h2>
<p>Ceci étant, comment ont évolué les attentes des investisseurs concernant les dividendes à venir ? A priori, les anticipations en matière de dividendes formulées pour les plus grandes entreprises par les professionnels de la finance ne semblent guère pouvoir être observées. Il ne s’agit que de simples prévisions.</p>
<p>Dans la réalité, on dispose toutefois de deux sources très riches d’informations. Il y a, d’un côté, les prévisions effectuées par les analystes et recensées par les grandes bases de données financières. De l’autre, des marchés très spécialisés communiquent des cotations gratuitement accessibles : les marchés de contrats à terme ou « futures ».</p>
<p>Y sont cotés des contrats où l’une des parties s’engage à payer une somme librement débattue en contrepartie de l’engagement de percevoir le montant du dividende de façon certaine. Ces contrats servent à sécuriser les revenus de portefeuilles et à les protéger contre une baisse éventuelle des dividendes.</p>
<p>Comme pour tous ces marchés, le <a href="https://www.cmegroup.com/company/visit/">Chicago Mercantile Exchange</a> donne une indication sur la progression attendue pour les dividendes durant les 10 prochaines années qui seront payés par les 500 plus grandes sociétés américaines.</p>
<p>Qu’apprenons-nous ? En octobre 2019, bien avant la crise sanitaire, les professionnels attendaient une croissance régulière, mais très modérée en comparaison avec les années précédentes. Au début du mois d’avril 2020, ils avaient révisé fortement à la baisse leurs attentes pour l’année en cours et encore plus pour 2021.</p>
<p>Mais, fait remarquable, les investisseurs restaient confiants à plus long terme : ils conservaient les mêmes niveaux de dividendes pour 2030. Ainsi la crise était-elle vécue comme un choc exogène à l’économie, certainement fort à court terme mais ne remettant pas en question le futur des sociétés les plus performantes.</p>
<h2>Augmentation de la prime de risque</h2>
<p>La révision à la baisse des dividendes prévus n’apparaît cependant pas suffisante pour comprendre la chute brutale des cours. L’autre paramètre doit alors être considéré : le taux de rentabilité attendu par les investisseurs. Lui non plus ne s’observe pas directement.</p>
<p>Une étude récente des économistes français Augustin Landier et David Thesmar, respectivement professeurs à HEC et au MIT, portant sur cette période critique apporte toutefois un éclairage complémentaire. À partir des cours observés et des dividendes provenant des anticipations des analystes financiers, les auteurs estiment ce taux de rentabilité implicite.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400791/original/file-20210514-21-174t46l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les économistes Augustin Landier et David Thesmar mettent en évidence une forte variation des primes de risque au début de la crise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Review of Asset Pricing Studies, Volume 10, Issue 4, December 2020, Pages 598–617</span></span>
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<p>Que montrent-ils ? Ce dernier <a href="https://academic.oup.com/raps/article/10/4/598/5911128?login=true">augmente brutalement d’environ 3 %</a> au début de la crise. Face à l’incertitude, les investisseurs pressentent des risques plus élevés et veulent être rémunérés en conséquence.</p>
<p>Cette augmentation de la « prime de risque » conjuguée à la baisse des attentes en matière de dividendes permet d’expliciter la mécanique du krach violent. Les auteurs prolongent néanmoins leur estimation du taux de rentabilité attendu et montrent que ce dernier va très rapidement revenir à son niveau initial. La raison s’avère ici différente.</p>
<h2>Vaccination par les banques centrales</h2>
<p>Celui qui investit en actions espère au moins gagner ce qu’il obtiendrait en achetant un actif moins risqué comme une obligation d’État, et même plus en compensation du risque qu’il prend.</p>
<p>En finance, nous avons l’habitude de décomposer ce taux en deux parties : le taux sans risque et la prime de risque. Du fait de l’incertitude, la prime de risque a augmenté, mais que s’est-il passé du côté du taux sans risque ?</p>
<p>Les banques centrales sont entrées dans le jeu et ont acheté massivement les titres d’État. Ce faisant, elles ont fait augmenter leurs prix et donc baisser leur taux de rapport, les coupons des obligations émises restant fixes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400794/original/file-20210514-23-kp195r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les politiques des banques centrales peuvent être considérées comme « un vaccin » pour les marchés boursiers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kiefer -- Wikimedia</span></span>
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<p>La baisse du taux sans risque est ainsi venue contrebalancer en avril la hausse de la prime de risque. Ce fut le signal de la brusque remontée.</p>
<p>Il faut ajouter un second effet. En achetant massivement des actifs financiers, les banques centrales donnaient aux États et aux banques les moyens de soutenir les agents économiques qui risquaient autrement de se retrouver, à court terme, en grandes difficultés. Ce soutien hors norme apporté aux économies a permis aux professionnels des marchés de retrouver de l’optimisme pour les revenus à venir et de revoir leurs anticipations à la hausse.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lWSTE-yGxWU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quels retentissements de la crise sanitaire sur les marchés boursiers ? (Task Force Covid-19 Lille, avril 2021).</span></figcaption>
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<p>En résumé, si le choc lié à la Covid-19 a provoqué un effet brutal à court terme, il n’a pas modifié en 2020 une perception positive des professionnels de la finance quant au devenir des entreprises aux futurs les plus prometteurs.</p>
<p>Surtout, en intervenant massivement, les banques centrales les ont rassurés à court terme. En faisant baisser les taux d’intérêt, elles ont contribué à rendre les actions attractives en matière de rendement. Avant même l’arrivée des vaccins, les espoirs associés au futur et à ses innovations dominaient la perception des risques immédiats associés à la crise sanitaire. Les banques centrales avaient, en quelque sorte, délivré les doses de vaccin adéquates aux marchés financiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160936/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Levasseur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les cours ont rapidement rebondi après le choc du printemps 2020, notamment grâce aux politiques des banques centrales.Michel Levasseur, Président de la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, Professeur Honoraire, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1521172020-12-16T19:16:59Z2020-12-16T19:16:59ZComment la BCE peut (enfin) verdir sa politique monétaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/375130/original/file-20201215-13-v6xzyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C10%2C991%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’institution Francfort doit réviser sa stratégie d’ici mi-2021. L’occasion d’intégrer les impératifs climatiques dans son action&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><span class="source"> Inter reality / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>D’ici juin 2021, la Banque centrale européenne (BCE) rendra les décisions de sa révision stratégique. Elle devrait alors annoncer des mesures de réorientation de son cadre de politique monétaire. La soutenabilité environnementale en fera partie. L’heure des décisions approche ; la BCE saura-t-elle, pour aider à parer à la crise climatique, se montrer aussi réactive et flexible que face à la crise sanitaire actuelle ? Au-delà des discours prononcés ces derniers mois, notamment par la directrice générale Christine Lagarde, qui laissent entendre que la BCE <a href="https://fr.euronews.com/2020/07/08/christine-lagarde-veut-une-banque-centrale-europeenne-plus-verte">va verdir son action</a>, les décisions iront-elles au-delà de tout petits pas ?</p>
<p>Le risque climatique est depuis quelques années dans le viseur des banques centrales, sous l’angle des risques financiers qu’il induit. Depuis 2015, banques centrales et superviseurs ont constitué un réseau (<a href="https://www.ngfs.net/en">NGFS</a>) dans lequel sont réalisés des travaux pour en guider l’estimation. Si l’approche est louable, elle comporte cependant un risque d’enlisement dans des travaux débouchant au mieux sur des instruments d’alerte tels que les stress tests climatiques.</p>
<p>Dans deux notes publiées le 2 décembre dernier dans un dossier intitulé <a href="https://www.veblen-institute.org/La-BCE-a-l-heure-des-decisions-951.html">« La BCE à l’heure des décisions »</a>, le think tank Institut Veblen pointe les sources du blocage et appelle la BCE à affirmer un « quoi qu’il en coûte » climatique, en montrant toute une panoplie de mesures monétaires qui pourraient être adoptées dans ce sens. Certaines exigent une modification des statuts de la BCE, mais d’autres peuvent être adoptées dès aujourd’hui.</p>
<h2>Les traités ne sont pas un obstacle</h2>
<p>Il faut d’abord noter que le mandat de la BCE ne lui interdit pas d’orienter sa politique monétaire vers l’atténuation du risque climatique, bien au contraire. L’article 127 du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012E/TXT">traité sur le fonctionnement de l’Union européenne</a> fait attendre du Système européen de banques centrales (le SEBC, composé de la BCE et des 27 banques centrales nationales) qu’il « apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, dès lors que cela ne porte pas préjudice à l’objectif de stabilité des prix ».</p>
<p>Or, l’objectif de l’UE est d’atteindre la <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/climate-change/">neutralité climatique à l’horizon 2050</a>. En vertu de son mandat, la BCE devrait donc contribuer à cet objectif. Le fait-elle ? Pour le moment, elle n’a pas adopté de démarche active de contribution à la transition écologique. Les représentants de la BCE ont souvent invoqué leur doctrine de « neutralité monétaire » pour justifier de ne pas privilégier certains actifs (en l’occurrence, les plus « verts ») ou de ne pas en exclure dans les programmes d’achats d’actifs ou encore dans les collatéraux acceptés en garanties dans les opérations de refinancement des banques.</p>
<p>Cette justification sonne de plus en plus comme un mauvais prétexte, dans la mesure où, depuis la gestion de crise financière, et plus encore depuis la crise sanitaire, les actifs souverains sont bel et bien privilégiés dans les programmes d’achats d’actifs, ce qui ne permet plus de parler d’approche non sélective.</p>
<p>De plus, l’ampleur des programmes d’achats d’actifs que la BCE a commencé à mener en 2015, dans le cadre de sa politique monétaire non conventionnelle, pour gérer les conséquences de la crise financière de 2007-2008, puis à intensifier, à l’instar des autres grandes banques centrales, pour faire face à la crise sanitaire à partir de mars 2020, l’ont transformé en une véritable teneur du marché, voire même en faiseur de marché (« market maker »).</p>
<p>À fin novembre 2020, les 3 800 milliards d’euros de titres détenus dans le cadre de ces programmes de la BCE en faisaient un très gros investisseur, avec un portefeuille plus de deux fois supérieur à celui du GPIF japonais qui est le plus gros fonds de pension au monde ! Avec un tel poids, la BCE ne va plus pouvoir très longtemps ignorer les principes de la responsabilité environnementale.</p>
<p>Comment s’inquiéter d’un côté que les banques européennes continuent de financer les secteurs et projets les plus intensifs en émission des gaz à effets de serre par les <a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/financial-stability/fsr/html/ecb.fsr202011%7Eb7be9ae1f1.en.html">banques européennes</a>, et continuer de présenter elle-même un portefeuille trop carboné ? Sa conversion en la matière aurait une importante valeur de signal et contribuerait à l’alignement des flux financiers sur une trajectoire plus compatible avec les objectifs climatiques et environnementaux de l’Union.</p>
<p>À l’inverse, quand la BCE effectue ses achats d’actifs publics et privés sur les marchés obligataires en restant totalement aveugle à leur empreinte carbone, ses achats bénéficient fatalement plus à des entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre, ou du secteur des énergies fossiles, qu’à celles qui le sont moins. En ne rectifiant pas le tir, la BCE retardera l’objectif de neutralité climatique de l’Union.</p>
<p>C’est donc en ne s’engageant pas plus avant dans une action d’atténuation du risque climatique que la BCE enfreindrait son mandat. Sans compter qu’une crise climatique produirait inévitablement une instabilité monétaire, économique, et financière potentiellement irrémédiable.</p>
<h2>Un nuancier de mesure</h2>
<p>Sous un angle ou sous un autre, la soutenabilité environnementale constitue donc bien un objectif pour la BCE. L’existence implicite de cet objectif dans l’article 127 n’ayant toutefois pas suffi pour que l’institution contribue activement à la transition écologique, sans doute faudra-t-il l’expliciter. Confier un rôle à la BCE dans le pacte vert de l’Union européenne (Green deal) ou inscrire formellement la notion de soutenabilité environnementale dans l’article 127 favoriserait l’orientation de la politique monétaire vers la transition écologique. Cela n’amenderait que très à la marge son cadre institutionnel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1334502702768943110"}"></div></p>
<p>Quoi qu’il en soit, il existe un assez large nuancier d’options opérationnelles possibles pour « verdir » la politique monétaire :</p>
<ul>
<li><p>Tout un ensemble d’options « vert clair », consistant, par exemple, à verdir les refinancements en y intégrant un surcoût climatique (MRO vert), en faisant en sorte que les collatéraux acceptés soient alignés sur des trajectoires suffisamment bas carbone (collatéraux verts), en conditionnant les refinancement des banques à l’encours de financements verts qu’elles octroient (TLTRO verts), ou à verdir les achats de titres privés (QE vert responsable). Toutes ces options sont réalisables dans le cadre institutionnel actuel ou restent fidèles à son esprit. Elles ont en commun de ne pas impliquer directement la banque centrale dans le financement de la transition écologique et, de ce fait, lui feraient exercer un rôle certes plus actif qu’actuellement mais limité.</p></li>
<li><p>La plus vive des options « vert clair » serait un programme d’achats d’actifs publics émis pour financer des investissements climats, la seule dans ce premier ensemble à « faciliter » l’investissement public dans la transition, sans cependant le financer directement.</p></li>
<li><p>Une autre option, celle « vert vif », consisterait à monétiser des dépenses publiques nécessaires à la transition écologique. La banque centrale participerait alors directement au financement de la transition écologique. Son pouvoir de création monétaire serait mis au service de la collectivité et permettrait de réaliser les investissements dont le rendement insuffisant ou à trop long terme rend inenvisageable un financement privé. C’est l’option qui combinerait le mieux politique monétaire, politique budgétaire et politique prudentielle dans un policy-mix vert. Seule cette option assurerait, en effet, un financement qui préserverait les finances publiques et, parce qu’il n’alimenterait pas la dette, préserverait aussi la stabilité financière, dans le même sens que la politique prudentielle. Mais c’est aussi l’option exigeant le plus de changements sur le plan institutionnel, donc forcément celle qui suscitera le plus d’oppositions.</p></li>
</ul>
<p>Pour avancer vers le « vert vif », il faudra probablement passer d’abord par les nuances du « vert clair », moins pour des raisons de fond qu’au vu des blocages institutionnels et politiques qui ne sont pas aisés à lever. Toutes ces options ne sont en tout cas pas exclusives les unes des autres. Même si face à l’urgence écologique, les petits pas ne suffiront pas.</p>
<hr>
<p><em>Wojtek Kalinowski, sociologue et directeur de l’Institut Veblen, a co-rédigé cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152117/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jézabel Couppey-Soubeyran est conseillère scientifique à l'Institut Veblen. </span></em></p>Sans outrepasser les règles qui fixent son mandat, la Banque centrale européenne dispose d’un ensemble de leviers pour contribuer à atteindre l’objectif européen de neutralité carbone d’ici 2050.Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520312020-12-14T19:00:02Z2020-12-14T19:00:02ZQue se passerait-il si la BCE annulait la dette publique qu’elle détient ? Conversation avec Jézabel Couppey-Soubeyran<p>Pour atténuer les conséquences de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, la Banque centrale européenne (BCE) a déployé des mesures déjà expérimentées après la crise financière de 2007-2008, mais à une échelle sans précédent : en quelques mois, elle a créé plus de monnaie centrale qu’en plusieurs années de gestion de crise financière. L’institution chargée de la politique monétaire de la zone euro a ainsi décidé, le 10 décembre, de prolonger jusqu’en 2022 son recours au « bazooka monétaire » et d’augmenter de 500 milliards d’euros son programme d’achats d’urgence face à la pandémie (<em>Pandemic emergency purchase programme – PEPP</em>) pour porter le montant total à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/11/la-banque-centrale-europeenne-porte-son-intervention-a-2-400-milliards-d-euros_6063024_3234.html">1 850 milliards d’euros</a>.</p>
<p>Depuis son premier programme de quantitative easing (assouplissment quantitatif, ou QE), lancé en 2015 par Mario Draghi qui était alors à sa tête, la BCE rachète massivement des titres de dettes privées et publiques aux investisseurs qui veulent les vendre. La BCE se retrouve ainsi avec un épais portefeuille de titres, qui représentait à fin novembre 2020 quelque 3 800 milliards d’euros sur les 6 800 milliards de son bilan, en forte hausse depuis la crise sanitaire. Le bilan de l’institution était passé en quelques années de 25 % à 40 % du PIB de la zone euro en 2017 pour ensuite se stabiliser à ce niveau jusqu’à la veille de la crise sanitaire. Depuis, il a gonflé pour atteindre plus de 6 800 milliards d’euros, l’équivalent de 60 % du PIB de la zone euro !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1337020225166962695"}"></div></p>
<p>Les rachats de titres de dette publique par la BCE ne financent pas directement les États de la zone euro mais facilitent leur financement, car ils rassurent les investisseurs. Les États dans ce contexte n’ont pas de mal à se financer, d’autant que les taux d’intérêt sont très bas. Cela tombe bien, car les besoins de dépenses sont énormes. Mais la dette peut-elle continuer d’augmenter sans limites ? Les États n’auront-ils aucun mal à la rembourser ? Certains économistes, comme Jézabel Couppey-Soubeyran, avancent la piste d’une annulation d’une partie des dettes publiques détenue par la BCE. Une option qui suscite aujourd’hui un vif débat…</p>
<p><strong>The Conversation : Que se passerait-il si la BCE annulait la dette publique qu’elle détient ? Quels pourraient être les effets sur l’économie réelle ?</strong></p>
<p>L’Eurosystème, c’est-à-dire la BCE et les banques centrales nationales (BCN), détient un peu plus de 2 400 milliards d’euros de titres de dette publique, soit à peu près le quart de la dette publique totale des pays de la zone euro. Si la BCE effaçait d’un trait cette dette, cela neutraliserait complètement l’augmentation de l’encours de dette provoquée par la dette Covid.</p>
<p>Et ainsi, cela écarterait deux risques. D’abord, celui d’un retour à l’austérité orchestrée par ceux-là mêmes qui clament aujourd’hui que la hausse cumulée de la dette publique n’est pas un problème, alors qu’hier ils disaient exactement le contraire et prônaient le respect de règles budgétaires, ce qui a bridé la politique budgétaire et totalement déséquilibré la politique économique de la zone euro.</p>
<p>Ensuite, cela couperait cours à la crainte que pourraient avoir les contribuables, d’impôts nouveaux ou augmentés pour rembourser la dette. Autrement dit, une annulation de dette supprimerait les deux tensions qui risquent de prolonger la dépression économique et d’approfondir la déflation. Autant dire que l’économie réelle se porterait mieux libérée de ces tensions.</p>
<p><strong>TC : Fin novembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, déclarait dans une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/linvite-2-des-matins-du-mardi-24-novembre-2020">interview</a> à France culture : « on ne peut pas annuler la dette, pour une histoire de confiance absolument clé : si vous me prêtez 100 euros et que moi je vous dis ‘je ne vous rembourserai pas’, et bien vous ne me prêterez plus jamais ! Ce sera logique ». Que faut-il penser de cet argument ?</strong></p>
<p>Cette prise de position « de bon père de famille » occulte le fait que la proposition d’annulation de dette ne concerne évidemment aucun créancier privé. Cela concerne uniquement la dette publique que détient la banque centrale. Or, une banque centrale, ce n’est pas vous et moi, ce n’est pas non plus une entreprise, ni même comparable à une banque commerciale. Une banque centrale a un pouvoir extraordinaire : celui de créer de la monnaie centrale à partir de rien ! D’ailleurs, il s’en crée énormément aujourd’hui dans le cadre des programmes d’achats d’actifs et de refinancement des banques.</p>
<p>À la différence de n’importe quelle autre institution, une banque centrale n’a pas à craindre de réaliser des pertes. Car au passif de la banque centrale, du côté de ce qu’elle doit, il y a les réserves des banques en monnaie centrale. C’est une dette pour la banque centrale qu’elle pourra toujours honorer avec de la monnaie centrale qu’elle peut créer par elle-même à partir de rien.</p>
<p>Alors bien sûr, si la banque centrale effaçait une partie de ses créances, elle essuierait une perte. Ce sont ses fonds propres qui absorberaient ces pertes et deviendraient négatifs. Cela ne l’empêcherait pas de fonctionner pour les raisons que je viens d’expliquer. Et même si, symboliquement, on refusait de voir le bilan rétréci par cette perte (le mouvement inverse d’augmentation énorme de la taille du bilan n’interroge pas, mais passons…), la recapitalisation passerait par les BCN qui recevraient de la monnaie centrale de la BCE pour le faire.</p>
<p><strong>TC : L’annulation de la dette détenue par la BCE serait-elle un signal qu’il existerait effectivement de « <a href="https://youtu.be/d5y1ndJi6WQ">l’argent magique</a> », contrairement à ce qu’affirmait le président Emmanuel Macron avant la crise ?</strong></p>
<p>Il faut reconnaître que c’est un peu magique la création de monnaie, en particulier celle créée ex nihilo par la banque centrale (car les banques commerciales ont aussi un pouvoir de création monétaire puisque, comme le dit l’adage, « les crédits font les dépôts », mais pas tout à fait ex nihilo). C’est ainsi, et ceux qui pensent brandir l’insulte suprême en parlant d’« argent magique » sont dans l’ignorance de ce pouvoir de création monétaire par les banques centrales – ou feignent de l’ignorer.</p>
<p>Cette création monétaire de la banque centrale n’est toutefois pas directement au service du financement des États. Pour se financer, ces derniers empruntent sur les marchés. Les rachats de titres par la BCE leur facilitent la tâche en rassurant les investisseurs. Ces derniers savent en effet qu’ils n’auront pas de problème pour revendre leurs titres tant que la banque centrale les rachète.</p>
<p>Ainsi, quand les États ont aujourd’hui besoin de financement, la banque centrale est là pour les aider à le satisfaire. Mais avec un tel pouvoir de création monétaire, la banque centrale pourrait directement financer les États et leur éviter de s’endetter sur les marchés. Cela est rigoureusement interdit par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les achats d’actifs contournent un peu cette interdiction puisque la banque centrale se retrouve créancière des États en rachetant leurs titres. La seule chose qui raccroche l’opération au traité, c’est le fait que la BCE rachète les titres sur le marché secondaire (le compartiment où s’échangent des titres déjà émis) et n’intervient pas au moment de leur émission sur le marché primaire. C’est intéressant de le rappeler à l’heure où beaucoup rejettent la proposition d’annulation des dettes à l’actif de la BCE au motif que ce serait contraire à l’esprit du traité. Les achats d’actifs l’étaient aussi !</p>
<p>Quoi qu’il en soit, cela signifie que la dépense publique est avant tout une décision politique. Il n’y a pas besoin d’argent préalable. La dépense engendre un besoin de financement à satisfaire. L’endettement sur le marché est l’instrument de financement privilégié aujourd’hui. La banque centrale le sécurise comme je l’ai indiqué avec ses rachats d’actifs. Mais ça va l’obliger à prolonger très longtemps ses rachats, sans bénéfice assuré pour l’économie, car leurs effets sont faibles et assez mal distribués entre les plus riches et les plus modestes, entre grandes et petites entreprises, et au détriment très vraisemblablement aussi de la stabilité financière.</p>
<p>Notons que l’annulation de dette ne renverserait pas totalement la vapeur, mais soulagerait les États de la zone euro autant que la BCE, car elle ne serait plus autant prisonnière de cette nécessité de prolonger une mesure qui compromet ses objectifs, et donc son mandat…</p>
<p><strong>TC : Une annulation de la dette pourrait-elle engendrer un scénario « à l’argentine », avec une inflation incontrôlable, c’est-à-dire une perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix, telle que celle qu’avait connue le pays au début des années 1990 ?</strong></p>
<p>Une annulation de dette ne fait pas en soi augmenter l’inflation. Car ce n’est pas une création de monnaie, mais une « non destruction » de monnaie. La nuance est importante : elle signifie qu’une annulation de dette peut faire diminuer la déflation (un remboursement de dette a un effet déflationniste, donc une annulation viendrait contrer cet effet) mais pas augmenter l’inflation. Même en supposant que l’annulation de dette à l’actif de la BCE s’accompagne d’une recapitalisation de l’institution (dont j’ai précisé plus haut qu’elle ne serait pas indispensable), étant donné que celle-ci serait obtenue par une émission de monnaie centrale de la BCE transmise aux banques centrales nationales afin qu’elles augmentent leurs parts de capital respectives, il n’y aurait aucune raison que cela vienne augmenter l’inflation, puisque la monnaie centrale créée resterait au bilan de la BCE.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250477704950022151"}"></div></p>
<p>J’ajoute, du reste, que la crainte de voir augmenter l’inflation ne fait que traduire les réflexes du monde passé. Le problème aujourd’hui n’est plus l’inflation mais la déflation. C’est pour cela d’ailleurs que la prise en charge des dépenses Covid par la BCE au moyen d’un transfert sans contrepartie aurait davantage d’impact, en augmentant possiblement l’inflation. Mais… c’est interdit par le Traité de fonctionnement de l’UE (TFUE) !</p>
<p><strong>TC : Début décembre, la direction générale du Trésor publiait une <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/11/30/annuler-la-dette-detenue-par-la-bce-est-ce-legal-utile-souhaitable">note</a> qui expliquait qu’une telle annulation serait illégale car « contraire au traité européen »… Là encore, que faut-il penser de cet argument ?</strong></p>
<p>À la différence de la monétisation, clairement interdite par l’<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12008E123&from=FR">article 123</a> du TFUE, une annulation de dette ne l’est pas stricto sensu. Mais ce serait vraisemblablement interprété par les juristes de la BCE et de la Cour européenne comme étant « contraire à l’esprit du traité », et il aurait été plus juste que la direction générale du Trésor le formule ainsi.</p>
<p>La question importante est, me semble-t-il : faut-il s’interdire aujourd’hui de penser à des solutions hors cadre, hors traité ? Je crois important, au contraire, de penser à des solutions nouvelles plutôt que de se conformer à un cadre inadapté aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. La monétisation, interdite par le traité, serait par exemple un moyen de financement bien utile pour gérer la crise sanitaire et prévenir la crise climatique, car elle permettrait d’engager des dépenses de grande ampleur sans faire augmenter la dette, donc sans soumettre ultérieurement les États à la pression des marchés ou à des pressions politiques visant à installer l’austérité pour mieux étendre le domaine privé et réduire encore le domaine public.</p>
<p>À défaut de monétisation, une annulation de dette, bien que contraire à l’esprit du traité, serait, un moyen de limiter l’augmentation de la dette et de gérer la crise plus sereinement, sans craindre des retournements de marché et en obligeant moins la BCE à empêcher le retour d’une crise des dettes souveraines avec ses rachats massifs de titres publics.</p>
<p><strong>TC : En Europe, il existe une ligne de fracture sur ce sujet entre les États membres. Les pays du Nord, au premier rang desquels figure l’Allemagne, s’opposent à cette annulation de dette. Pourquoi ?</strong></p>
<p>Précisément parce que la dette est un sujet politique, un instrument de pression. Un pays fortement endetté est plus facile à contraindre, à soumettre, qu’un pays qui ne l’est pas. Annuler une dette, c’est perdre l’usage de cette pression.</p>
<p>Il y a également un rapport moral, très particulier, à la dette qui confine au religieux. Ce n’est pas tout à fait un hasard si certains des opposants à l’annulation de la dette convoquent un vocabulaire de l’ordre du religieux. L’économiste Jean Pisani-Ferry, qui fut l’un des artisans du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, voit par exemple dans la proposition d’annulation de dette, « un péché contre la démocratie » (Le 1 hebdo, n°324, mercredi 25 novembre 2020). La dette est une « faute » (d’ailleurs, cela se dit <em>schuld</em> en Allemand, ce qui signifie exactement « faute ») et son remboursement vient en quelque sorte racheter cette faute, comme on lave un péché pour obtenir la rédemption dans la morale chrétienne. L’économiste et sociologue Max Weber (1864-1920) ironisait déjà sur le sujet. Nous le mentionnions avec mes collègues dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/26/l-annulation-de-la-dette-publique-detenue-par-la-bce-libererait-les-acteurs-economiques-de-la-crainte-d-une-future-augmentation-d-impots_6040748_3232.html">tribune parue dans le Monde le 26 mai 2020</a> pour défendre la proposition d’annulation.</p>
<p>Et puis il y a aussi une forme de soumission aux marchés financiers qui se gavent tels des ogres de ces titres de dettes, surtout quand la banque centrale fait monter leur prix avec ses rachats. Sans du tout être lésés par une annulation des dettes détenues par la BCE (puisque ces dettes-là ne sont plus détenues par des créanciers privés), les investisseurs professionnels qui forment le marché – des grandes banques et tout autre type d’intermédiaires financiers – seraient sans doute fâchés à l’idée que la BCE réduise la voilure. Or c’est bien ce que permettrait une annulation de dette puisqu’elle réduirait le risque d’une crise de la dette que les achats d’actifs de la BCE servent à éloigner.</p>
<p><strong>TC : Pourquoi le débat est-il si vif sur le sujet ? Qui seraient les perdants d’une annulation de la dette et qu’ont-ils à y perdre ?</strong></p>
<p>C’est un sujet passionnel, parce que moral et politique. Mais plus prosaïquement, et il serait bien de le voir aussi sous cet angle plus froid, c’est un sujet d’économie financière. La dette est un instrument de financement parmi d’autres, parfois adapté, parfois pas. La dette est un instrument de financement adapté lorsque les conditions de son remboursement sont assurées, lorsque la dépense que l’on finance avec crée les conditions favorables à son remboursement.</p>
<p>Par exemple, lorsqu’on finance avec des dépenses d’investissement ou des transferts ayant un effet multiplicateur important, alors c’est le bon instrument. Mais quels seront les effets multiplicateurs des soutiens financés avec la dette Covid ? On a absolument besoin de ces soutiens, ce n’est pas la question, mais leurs effets multiplicateurs seront faibles car on ne fait que combler des manques à gagner. Auquel cas, il faudrait une alternative, non pas à ces dépenses, mais à leur mode de financement !</p>
<p>L’impôt est un autre mode de financement, mais on imagine mal l’augmenter en pleine crise économique. Faire reposer l’augmentation sur les plus riches serait juste socialement, mais cela ne suffirait pas à rembourser la dette Covid. La monétisation est une alternative, impossible pour le moment, mais qui pourtant serait la mieux adaptée dans le cas de dépenses lourdes avec de trop faibles effets multiplicateurs.</p>
<p><strong>TC : Vous avez beaucoup travaillé sur la rhétorique du lobby bancaire (cf. votre livre <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/blabla-banque-9782841868018/">« Blablabanque »</a> publié en 2015 aux Éditions Michalon). Retrouve-t-on des éléments de cette rhétorique dans le débat actuel ?</strong></p>
<p>Il me semble que oui ! Les mots d’oiseaux (« irresponsables », « pompiers pyromanes », économistes « vaudou », etc.) dont se sont retrouvés affublés les économistes soutenant ces propositions alternatives – j’en fais partie – sont typiquement dans le registre de la rhétorique de l’inanité. Ce sont des mots de réactionnaires, conservateurs, opposés au changement, gardiens du statu quo. Ce qui est étonnant dans cette histoire est que même des économistes supposés progressistes ou hétérodoxes se soient pour certains laissés emportés dans cette rhétorique réactionnaire insultante.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jézabel Couppey-Soubeyran : décrypter le discours du lobby bancaire (Xerfi canal, 2015).</span></figcaption>
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<p>C’est que pour les libéraux d’un côté, la dette est un objet sacré qui se rembourse et, de l’autre, pour la vieille gauche qui n’a pas encore intégré dans son logiciel de pensée la monnaie, la banque, la finance, et plus encore l’extrême financiarisation de nos économies à partir des années 2000, il est interdit de dire que la dette peut être un problème. Peut-être parce qu’ils confondent dette et dépense publique. Or, la dette n’est pas le seul moyen de financer la dépense publique. On peut donc vouloir plus de dépenses publiques et moins de dettes dans certaines circonstances.</p>
<p><strong>TC : Quelles conséquences pourrait comporter le statu quo et donc la poursuite des programmes d’assouplissement quantitatif (avec à la clé un alourdissement du bilan de la BCE) ? Depuis 2015, on a notamment constaté un gonflement du prix des actifs (financiers ou encore immobiliers)…</strong></p>
<p>À mon sens, la poursuite et l’augmentation du programme d’achats d’actifs de la BCE qui ont été annoncées le 10 décembre dernier ne nous aideront pas à sortir de la déflation et n’auront que peu d’effets d’entraînement sur l’économie réelle, au demeurant des effets inégaux, mal distribués car c’est ce qu’on observe depuis 2015.</p>
<p>Surtout, on peut craindre une forte instabilité financière à terme vu l’ampleur de ces programmes, que ce soit dans la zone euro, ou ailleurs, aux États-Unis notamment, la Réserve fédérale (Fed) ne se donnant plus aucune limite dans ses achats d’actifs. Les marchés sont désormais dans une totale dépendance vis-à-vis des liquidités de la banque centrale. L’addiction est devenue maladive, au point qu’à la moindre déception, ils pourraient défaillir. Prises dans ce cercle vicieux, les banques centrales, et la BCE notamment, devront servir toujours plus les marchés financiers et toujours moins l’économie. Socialement, cela me semble explosif…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152031/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jézabel Couppey-Soubeyran est conseillère scientifique à l'Institut Veblen.</span></em></p>En réponse à la crise, la banque centrale européenne a accéléré son programme de rachat de dettes en portant son montant à 1 850 milliards d’euros le 10 décembre dernier.Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1468662020-09-29T21:07:26Z2020-09-29T21:07:26ZLa politique de la BCE favorise-t-elle les riches ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359796/original/file-20200924-25-1vadnhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C42%2C1934%2C1318&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certains emprunteurs ont profité de la baisse des taux pour renégocier leur crédit et économiser sur leurs mensualités.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fufuwolf/6748966341/">FuFu Wolf / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Prenez un cadre supérieur à Paris, dont les revenus de ménage avoisinent 10 000 euros nets par mois, qui aurait souscrit un prêt immobilier de 500 000 euros en 2013 au taux d’intérêt de 3 %. Grâce à la politique d’expansion monétaire menée depuis par la Banque centrale européenne (BCE), il a réussi à renégocier son prêt en 2017 à un taux d’intérêt de seulement 1 %.</p>
<p>En conséquence, ses mensualités sont passées de 2 300 euros à 1 800 euros, soit un « cadeau » de la BCE de 500 euros par mois. Comme il n’a pas encore fini de repayer son prêt, ce cadeau mensuel dure maintenant depuis plus de trois ans, soit un bénéfice cumulé de presque 20 000 euros.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359793/original/file-20200924-22-bi3zyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Touchatou/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Imaginons que ce cadre supérieur a également investi une partie de son épargne sur les marchés boursiers. Les rendements trop bas sur les comptes épargne et obligations d’état ont en effet poussé nombre d’investisseurs à <a href="https://www.lesechos.fr/2012/12/la-chasse-aux-rendements-est-ouverte-367609">chercher des rendements plus élevés</a> sur les marchés boursiers, causant une envolée des prix boursiers.</p>
<p>Les 5 000 euros qu’il a investis dans un <a href="https://www.lerevenu.com/bourse/trackers/trackers-la-solution-pour-faire-aussi-bien-que-lindice-cac-40">fond indexé au CAC 40</a> en 2011 se sont transformés en 10 000 euros juste avant l’arrivée de la Covid, soit une plus-value de 5 000 euros, dont la majeure partie peut être considérée comme un <a href="https://graphseobourse.fr/quantitative-easing-impact-et-consequences/">cadeau de la BCE</a>.</p>
<h2>Pour la BCE, un outil de réduction des inégalités</h2>
<p>Prenez, sur la même période, un homme qui touche le revenu de solidarité active (RSA), soit environ 500 euros par mois, n’a pas connu d’amélioration de ses revenus à la suite de la politique d’expansion monétaire de la BCE. À l’inverse de certaines de ses connaissances, il n’a pas réussi à trouver un travail qui valorise son expertise dans un contexte de chômage, et à l’approche de ses 60 ans, a préféré laisse la place aux jeunes plutôt que de se reconvertir.</p>
<p>Aucune banque n’accepterait de lui prêter de l’argent, donc un taux d’intérêt plus bas n’a rien changé pour lui. Il a également décidé de ne pas risquer ses maigres économies sur les marchés boursiers, encore une occasion manquée de bénéficier des cadeaux distribués par la BCE.</p>
<p>Pourtant, un <a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecb.wp2190.en.pdf">document de travail</a> réalisé par des économistes de la BCE suggère en fait que la politique expansionniste menée par la BCE aurait réduit les inégalités de revenus, principalement en permettant aux travailleurs les plus précaires de retrouver un travail, voire d’augmenter leurs revenus.</p>
<p>Les 20 % les plus pauvres auraient bénéficié d’une augmentation de revenus d’environ 3 % grâce aux politiques de la BCE alors que les 20 % les plus riches auraient seulement bénéficié d’une augmentation de moins de 1 %.</p>
<p>Les deux cas décrits plus haut seraient-ils donc sans aucun lien avec la réalité ? La plupart des personnes précaires aurait-elle effectivement retrouvé un travail grâce aux politiques de la BCE ? Le cadre supérieur aurait-il été exceptionnellement chanceux en prenant un prêt immobilier et en investissant sur les marchés boursiers aux moments les plus opportuns ?</p>
<p>Pour essayer de mieux comprendre, j’ai converti en euros les cadeaux estimés par les économistes de la BCE. Selon leur document de travail, les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles touchent en moyenne 9 200 euros par an. Une augmentation de leurs revenus de 3 % correspond à un cadeau de la BCE d’environ 300 euros par an. En revanche, les 20 % les plus riches touchent eux 94 900 euros par an. Grâce à la BCE, leurs revenus ont augmenté de près de 1 % ou 900 euros par an.</p>
<p>Pour résumer, les politiques de la BCE ont offert 300 euros par an aux plus pauvres contre 900 euros aux plus riches, soit 3 fois plus. Bien que moins extrêmes que les cas décrits plus haut, ces chiffres indiquent que les politiques de la BCE favorisent les plus riches.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359783/original/file-20200924-18-vnck7c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
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<p>L’outil principal de la BCE pour stabiliser l’économie en période de crise repose sur une <a href="https://www.ecb.europa.eu/mopo/decisions/html/index.en.html">baisse des taux d’intérêt</a>. Traditionnellement, la BCE baisse directement les taux auxquels elle prête aux banques mais, depuis la crise de 2008, elle a expérimenté l’achat massif d’obligations d’état (quantitative easing), envoyant les taux d’intérêt à des niveaux encore plus bas.</p>
<p>Une première conséquence de ces politiques a été de stimuler l’emprunt des ménages (tout du moins, ceux qui peuvent se le permettre), par exemple, en baissant les mensualités des contrats de leasing ou des prêts immobiliers.</p>
<h2>Payer pour prêter à l’Allemagne</h2>
<p>Une seconde conséquence a été une fuite des investisseurs sur les marchés obligataires, compréhensible quand on sait qu’il faut désormais <a href="https://www.bloomberg.com/markets/rates-bonds/government-bonds/germany">payer l’État allemand</a> pour pouvoir lui prêter, et une ruée vers les marchés boursiers, provoquant l’envolement des cours boursiers et l’enrichissement des détenteurs d’actions.</p>
<p>Qu’est-ce que pourrait faire la BCE pour rendre ses politiques plus équitables ? À première vue, la BCE ne devrait rien faire. La question de la redistribution des revenus est en effet du ressort des politiciens, et non pas de la BCE, dont les missions principales restent la stabilisation de l’inflation et le secours auprès des banques en difficulté.</p>
<p>Cependant, d’autres outils sont à sa disposition, tel que <a href="https://theconversation.com/lhelicoptere-monetaire-un-outil-de-lutte-contre-les-inegalites-134670">l’hélicoptère monétaire</a>, qui serait non seulement <a href="https://voxeu.org/article/helicopter-money-time-now">au moins aussi efficace</a> que les politiques de taux d’intérêt pour stabiliser l’inflation mais qui serait également plus équitable, dans la mesure où la BCE donnerait le même montant à tous les ménages, quels que soient leurs revenus.</p>
<p>En ayant pioché un outil peu équitable et dont <a href="https://www.bis.org/publ/work628.pdf">l’efficacité reste discutable</a>, la BCE est-elle vraiment restée neutre face à la question des inégalités ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Baptiste Massenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un rapide calcul montre que l’expansion monétaire aurait généré un surplus de revenus trois fois plus important pour les ménages les plus aisés que pour les plus pauvres.Baptiste Massenot, Professeur Associé en Economie et Finance, TBS EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1432962020-07-30T20:42:06Z2020-07-30T20:42:06ZLes politiques des banques centrales portent le risque d’épuisement de la croissance et de creusement des inégalités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/349175/original/file-20200723-17-1wa3vcp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=65%2C104%2C928%2C561&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les programmes d’assouplissement quantitatif (_quantitative easing_) ont davantage bénéficié aux détenteurs d’actifs qu’à l’économie réelle ces dernières années.</span> <span class="attribution"><span class="source">Anikin Denis / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pendant une grande partie de la dernière décennie, les économistes et les investisseurs se sont demandé si l’inflation – mesure de la hausse des prix des biens et des services à la consommation acquis par les ménages – avait disparu. En effet, de mémoire d’économiste, l’inflation constitue l’une des composantes majeures des cycles économiques qui rythment la croissance depuis plus de 300 ans.</p>
<p>Sa non-résurgence soulève la question de la solidité de nos paradigmes économiques et par voie de conséquence, des politiques mises en œuvre.</p>
<p>Le débat est d’autant plus vif en Europe que la Banque centrale européenne (BCE) s’est durablement engagée dans des politiques monétaires « non conventionnelles », et notamment depuis 2015 avec ses programmes de rachats massifs de dettes privées et publiques (assouplissement quantitatif ou <em>quantitative easing</em>).</p>
<p>Pour le moment, tout le monde se concentre sur les effets à court terme du choc Covid-19, qui seront sans aucun doute déflationnistes. Au cours des prochains mois, les taux d’inflation vont chuter, notamment parce que la baisse des prix des matières premières entraînera un recul des prix à la production. Parallèlement, la contraction de la demande fera pression sur les prix à la consommation. Les taux d’inflation seront sans doute négatifs pendant quelques mois.</p>
<h2>Scénario à la japonaise</h2>
<p>Mais à l’horizon d’un an, deux scénarios majeurs sont probables.</p>
<p>Le premier, à la japonaise, caractérisé par une croissance économique chroniquement anémique et une faible inflation voire une déflation tel que l’archipel le subit depuis que la bulle immobilière a éclaté au début des années 1990. Bien que la banque centrale du Japon ait adopté deux formes extraordinaires de politique monétaire – des taux d’intérêt négatifs et des achats d’actifs d’une valeur supérieure à la taille totale de son économie – le pays n’a pas pu renouer avec un cycle de croissance suffisamment fort pour générer une inflation supérieure à 2 % après près de trois décennies.</p>
<p>Le second est celui qui correspond aux enseignements des manuels d’économie, dicté par la dynamique de la reprise. S’il y a peu de débats quant à la « forme » de la reprise (U ou Z), soutenue en particulier par les effets des politiques publiques sur la demande, arrêtons-nous sur les facteurs susceptibles d’engendrer un redémarrage de l’inflation.</p>
<p>Du côté de l’économie réelle, les facteurs qui alimentent traditionnellement la hausse des prix sont connus :</p>
<ul>
<li><p>hausse du prix des matières premières, en l’espèce, pour des raisons autres que le simple rapport offre/demande ;</p></li>
<li><p>déséquilibre entre l’offre et la demande au profit de la première, handicapée par la fragmentation des chaînes d’approvisionnement, les tensions commerciales et géopolitiques accentuées par la crise sanitaire, et une restructuration probable, par voie de concentration, de certains secteurs d’activités.</p></li>
</ul>
<p>Pour autant, nous identifions autant de facteurs venant contrecarrer ce schéma cyclique traditionnel :</p>
<ul>
<li><p>un chômage massif qui prévient d’une inflation par les coûts de production, dont on peut imaginer qu’il soit durable, y compris dans des économies traditionnellement dynamiques (par exemple en Allemagne) tant la crise sanitaire soulève des inquiétudes quant à la reprise de la croissance du commerce international ;</p></li>
<li><p>un niveau durablement bas des prix de l’énergie – hors taxation écologique.</p></li>
</ul>
<p>Dès lors, la seule source potentielle d’inflation résiderait dans l’impact de la politique monétaire plus qu’accommodante mise en place par les banques centrales.</p>
<p>Dans ce cadre, l’objectif de ces dernières se focalise sur le soutien de la croissance, et semble reléguer définitivement au second plan celui de la maîtrise de l’inflation. Et ressurgit ainsi le spectre de l’hyperinflation avec la crainte que le remède ne soit finalement bien pire que le mal.</p>
<h2>La théorie prise en défaut</h2>
<p>Notre analyse nous incite à écarter cette vision pessimiste.</p>
<p>Reportons-nous une nouvelle fois aux principes de la théorie économique :</p>
<ul>
<li><p>la quantité de monnaie en circulation influence les prix, plus que les volumes ;</p></li>
<li><p>la valeur d’une monnaie repose sur la confiance qu’ont les agents économiques dans sa valeur et son sous-jacent, l’économie qu’elle représente.</p></li>
</ul>
<p>Par voie de conséquence, plus de monnaie, par le biais du canal du crédit par exemple, incite les agents économiques à investir/dépenser dès lors qu’ils ont confiance et que l’évolution des prix ne neutralise pas l’effet de richesse induit (présenté traditionnellement comme un effet d’encaisses réelles, c’est-à-dire l’incidence d’un élément de la richesse comme la quantité réelle de monnaie sur la demande de biens et de services dans l’économie).</p>
<p>Dans le cas contraire, l’abondance de monnaie entraîne soit une hausse des prix des biens/actifs correspondants, soit une baisse de sa valeur.</p>
<p>Or, l’histoire récente semble prendre à défaut cette mécanique dans la mesure où l’afflux massif de liquidité n’a induit en apparence ni relance généralisée de l’inflation ni entraîné un effondrement relatif des principales devises.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=228&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=228&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=228&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=287&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=287&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349148/original/file-20200723-29-15zv5p8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=287&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’euro, comme les autres principales devises sont restées relativement stables depuis le lancement des politiques non conventionnelles en 2015.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quelques facteurs nous semblent de nature à pouvoir expliquer cette mise en défaut des enseignements de la théorie économique :</p>
<ul>
<li><p>d’abord des outils imparfaits de mesure de l’inflation, soit pour des raisons de conception soit pour des causes de politique de communication, qui ont sans doute pour conséquence de sous-estimer l’inflation effective ;</p></li>
<li><p>ensuite, la structuration du marché des changes autour de quatre grandes zones monétaires qui réduisent les possibilités d’arbitrage entre ces devises et donc leur volatilité ;</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">BIS</span></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li>enfin, un rythme de croissance qui tend à se réduire progressivement dans les économies développées.</li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=91&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=91&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=91&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=114&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=114&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349166/original/file-20200723-27-b2j7r8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=114&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d e cran a.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FMI</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il est donc légitime de se poser la question de la contrepartie de la valeur économique de la dette amassée depuis plus de 20 ans.</p>
<p>Au cours de cette période, le montant de la variation de la dette mondiale est estimé à 62 000 milliards de dollars (avant impact de la crise sanitaire) et l’on constate que les principales zones économiques prennent toutes la même voie, tracée par le Japon depuis 30 ans.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349168/original/file-20200723-17-1dc9xyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Refinitiv/Datastream</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un tel accroissement de la dette n’a pu être possible que dans la mesure où celle-ci a été prise en charge par les principales banques centrales qui, de par leur statut, échappent aux risques de faillite et de défaut.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349169/original/file-20200723-35-dxppgq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette situation s’accompagne de 2 phénomènes :</p>
<ul>
<li><p>la hausse des actifs des banques centrales se matérialise principalement au niveau des dettes d’état considérées pour les principales banques (Fed, BCE) comme peu risquées, relativement liquides, et qui sont largement financées par l’émission monétaire ;</p></li>
<li><p>à notre connaissance, aucune étude économique n’est parvenue à mettre clairement en évidence la taille optimale du bilan d’une banque centrale, pas plus qu’une relation entre risque pays et <a href="https://www.bis.org/publ/bppdf/bispap71.pdf">risque sur la banque concernée</a>.</p></li>
</ul>
<p>Pour autant, cette croissance des ressources s’est bien traduite par une hausse des prix de certains actifs, nettement plus rapide que ne le laissent apparaître les indices d’inflation, en respectant globalement l’adage du « fly to quality ».</p>
<p>À titre d’exemple, l’évolution des prix de l’immobilier en Europe, du franc suisse contre l’euro ou de l’or, même si ce dernier conserve le comportement caractéristique des actifs de dernier recours.</p>
<p>Les banquiers centraux auraient-ils ainsi fourni la martingale absolue aux responsables économiques nationaux, en leur permettant de repousser indéfiniment les limites d’une politique budgétaire expansionniste ?</p>
<h2>Un risque de creusement des inégalités</h2>
<p>Si nous écartons le retour d’une inflation galopante, une telle stratégie, bien que confortable, n’est pas dénuée de risques.</p>
<p>Parmi les principaux, nous identifions :</p>
<ul>
<li><p>une baisse du rythme de croissance qui hypothèque sur le long terme la capacité des États à rembourser leur dette ;</p></li>
<li><p>un risque d’accroissement des inégalités au profit des détenteurs d’actifs générateurs de rendement, au détriment des acteurs qui ne disposent pas d’une capacité financière suffisante pour investir (par exemple les salariés) ;</p></li>
<li><p>la question de l’épargne et de l’efficience du secteur financier. Dès lors que les taux restent structurellement bas. Quelles performances attendre du secteur bancaire qui, en Europe, assure majoritairement le financement des agents économiques et comment imaginer les perspectives des régimes de retraite et d’assurance faute de placement sans risque susceptible d’assurer des rendements suffisants à long terme ? Si ce n’est de réorienter massivement les investissements des assureurs et autres institutions financières non bancaires vers d’autres classes d’actifs (actions, immobilier) et favoriser ainsi l’émergence de bulles ?</p></li>
<li><p>à l’échelle internationale, des effets collatéraux dévastateurs sur les économies émergentes peu diversifiées, fortement dépendantes du commerce international et hors des grands blocs monétaires protecteurs.</p></li>
</ul>
<p>En conclusion, la succession de deux crises majeures en un peu plus d’une décennie a eu deux conséquences principales :</p>
<ul>
<li><p>la faculté à engendrer une réponse rapide et coordonnée des principales économies et banques centrales, afin de contrer le risque d’effondrement de l’activité économique ;</p></li>
<li><p>un recours systématique à la dette « quel qu’en soit le prix », d’autant mieux maîtrisé qu’il est endossé par les banques centrales de manière coordonnée.</p></li>
</ul>
<p>Nous pensons que le prix à payer n’est pas le retour d’une hyperinflation mais de manière plus insidieuse, d’un épuisement de croissance, c’est-à-dire la mise en place d’une dynamique où la croissance économique, et donc de la création de richesse, sera durablement inférieure à son potentiel.</p>
<p>Parallèlement à quoi, nous devrions assister à un creusement des inégalités entre les détenteurs d’actifs et les autres, ponctué par une volatilité accrue du prix des actifs. Cela étant, le Japon a largement apporté la preuve qu’une telle configuration pouvait perdurer dès lors que la dette n’est jamais exigée et que la cohésion sociale n’est pas remise en cause. Mais l’Europe n’est pas le Japon et ici s’arrête la comparaison !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143296/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les injections massives de liquidité ne déboucheront pas sur une résurgence de l’inflation mais sur une baisse durable de la croissance et un creusement des inégalités.Jean Pascal Brivady, Professeur, EM Lyon Business SchoolAbdel Mokhtari, Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1402692020-06-10T18:17:17Z2020-06-10T18:17:17ZL’euro, un rempart contre l’hyperinflation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/340292/original/file-20200608-176542-mpaqq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C21%2C1794%2C1145&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La banque centrale européenne, en charge de la politique monétaire de la zone euro, a pour objectif principal de maintenir le pouvoir d'achat et donc la stabilité des prix.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://images.unsplash.com/photo-1443110189928-4448af4a2bc5?ixlib=rb-1.2.1&ixid=eyJhcHBfaWQiOjEyMDd9&auto=format&fit=crop&w=597&q=80">Didier Weemaels / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Toutes les critiques que l’on peut adresser à l’euro ne doivent pas faire oublier l’un de ses grands succès : avoir évité aux pays les plus endettés de sombrer dans l’hyperinflation, qui trouve son origine et son développement dans le financement monétaire de déficits budgétaires excessifs.</p>
<p>En effet, les <a href="https://www.academia.edu/4690826/Cagan_-_The_monetary_dynamics_of_hyperinflation">études</a> menées sur les épisodes d’hyperinflation de l’entre-deux-guerres en Europe centrale et en <a href="https://econpapers.repec.org/bookchap/mtptitles/0262022796.htm">Amérique latine</a> dans les années 1980 ont fait apparaître un seuil de déclenchement de l’hyperinflation au niveau d’un financement monétaire des déficits publics de l’ordre d’une dizaine de points de pourcentage du produit intérieur brut (PIB).</p>
<p>Or, en l’espace d’une dizaine d’années, des pays tels que l’Italie, Espagne, le Portugal, ou la Grèce ont connu deux épisodes majeurs de crises budgétaires. Après la crise économique de 2008-2009, ces pays avaient vu les déficits publics dépasser largement le seuil de 10 % du PIB.</p>
<h2>La BCE, gardienne de la stabilité des prix</h2>
<p>Aujourd’hui, du fait de la crise sanitaire extrême, les prévisions du Fonds monétaire international annoncent pour 2020 une nouvelle dérive dangereuse des déficits publics vers le seuil de 10 % du PIB pour ces mêmes pays.</p>
<p>L’inflation <a href="https://theconversation.com/trois-arguments-qui-laissent-penser-quil-ny-aura-pas-dinflation-apres-la-crise-136278">ne devrait pas repartir</a> pour autant : pour sortir de la crise, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé mi-mars la mise en place de nouveaux programmes de rachat massif de dettes publiques (programmes <em>Pandemic Emergency Purchase Programme</em>, PEPP, et <em>Public Sector Purchase Programme</em>, PSPP). Ce type de politique, initié en 2015 et accéléré fin 2019, a conduit au <a href="https://www.contrepoints.org/2016/01/31/236995-la-folie-des-banques-centrales-de-patrick-artus-et-marie-paule-virard">gonflement du prix des actifs</a>, soutenant les cours de la bourse ou encore la hausse de l’immobilier, mais pas à une hausse des prix à la consommation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250477704950022151"}"></div></p>
<p>La BCE, institution indépendante, a justement comme mission essentielle de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro et donc de préserver la valeur de la monnaie unique. L’aversion de la société allemande envers l’inflation, qui trouve sa source dans le traumatisme de l’hyperinflation des années 1920, s’est ainsi, d’une certaine façon, transmise à la BCE.</p>
<p>Dans la zone euro, la responsabilité de l’émission et la gestion de la monnaie unique étant entre les mains de la BCE, aucun de ces gouvernements n’avait ni n’a la possibilité d’envisager un financement monétaire de ses déficits.</p>
<p>Que se serait-il passé si des pays tels que l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou encore le Portugal, faisant face aux deux crises budgétaires majeures de cette décennie, avaient conservé leurs propres monnaies ?</p>
<p>Face à l’ampleur des déficits publics, la défiance des investisseurs, et l’extrême difficulté d’un financement par émission de nouveaux titres de dettes ou prélèvements fiscaux supplémentaires, on peut imaginer l’exercice d’une forte pression des gouvernements sur les banques centrales nationales pour obtenir un financement monétaire.</p>
<p>L’issue d’une telle pression aurait pu être le développement de l’hyperinflation, c’est-à-dire une accélération de l’inflation pouvant conduire à des hausses des prix importantes et difficilement supportables pour les populations.</p>
<h2>Quand l’économie est entraînée vers le chaos</h2>
<p>L’hyperinflation est un phénomène rare, mais elle n’appartient pas au passé. Aujourd’hui, le Venezuela est en <a href="https://sites.krieger.jhu.edu/iae/files/2018/02/Hanke-Bushnell_Venezuela.pdf">situation d’hyperinflation</a> depuis 2016. Le phénomène se produit principalement dans un contexte de troubles politiques et de fragilité financière des autorités publiques qui les conduisent à n’avoir plus d’autres recours pour financer un déficit budgétaire important que la création monétaire.</p>
<p>Cependant, la faiblesse et le laxisme politique de certains gouvernements sont aussi de nature à orienter ces derniers vers l’option de financement la plus simple qu’est la création monétaire.</p>
<p>Le cas de la Bolivie illustre cette possibilité. À la fin des années 1970, les autorités boliviennes laissèrent croître dangereusement le déficit budgétaire. Après que les limites du recours à l’emprunt aient été dépassées, le gouvernement bolivien se mit à recourir à l’option la plus aisée à mettre en place c’est-à-dire la création monétaire. L’<a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">hyperinflation bolivienne</a> qui a suivi, avec plus de 120 % de hausse des prix mensuelle à son paroxysme, a été sévère.</p>
<p>Toutefois, il faut remarquer que l’escalade hyperinflationniste est un phénomène qui n’a pratiquement pas de limites. Les trois épisodes d’hyperinflations les plus extrêmes de l’histoire monétaire en sont l’illustration.</p>
<p>En janvier 1994 en Yougoslavie, lors de la troisième hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire, le taux d’inflation mensuel le plus élevé avait atteint <a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">309 millions de pourcent</a>, correspondant à un taux d’inflation quotidien de 64,6 % et à un doublement du niveau des prix tous les 1,4 jours.</p>
<p>En novembre 2008 au Zimbabwe, la deuxième hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire avait conduit à un taux d’inflation mensuel de <a href="https://www.cato.org/sites/cato.org/files/serials/files/cato-journal/2009/5/cj29n2-8.pdf">79,6 milliards de pourcent</a>, équivalent à un taux d’inflation quotidien de 98 % impliquant un doublement des prix toutes les 24,7 heures.</p>
<p>L’hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire reste l’hyperinflation hongroise, qui a eu lieu entre 1945 et 1946, et qui a enregistré le taux d’inflation mensuel le plus élevé de plus de <a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">12 millions de milliards de pourcent</a> en juillet 1946, équivalant à un rythme quotidien d’inflation de 195 % soit un doublement des prix toutes les quinze heures.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=544&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=544&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=544&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=683&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=683&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340282/original/file-20200608-176546-zboqlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=683&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Médaille en souvenir de l’hyperinflation allemande de 1923 sur laquelle est écrit : « 1 livre de pain : 3 milliards ; 1 livre de viande : 36 milliards ; 1 verre de bière : 4 milliards ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Inflationmedal.jpg">Gary M. Greenbaum/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>En comparaison, la célèbre hyperinflation allemande de 1923, c’est-à-dire celle qui a causé le traumatisme allemand et qui est à la source de l’aversion de la société allemande à l’encontre de l’inflation, n’arrive qu’en « quatrième position » de l’histoire monétaire avec le <a href="https://www.uni-ulm.de/fileadmin/website_uni_ulm/mawi.inst.150/lehre/ws1112/GundW/BernholzKugler.pdf">taux d’inflation mensuel de 29525 %</a> relevé en octobre 1923 correspondant à un taux d’inflation quotidien de 20,9 % et un doublement des prix tous les 3,7 jours.</p>
<p>Ces chiffres effrayants permettent de comprendre que l’hyperinflation entraîne l’économie dans le chaos. Les crises budgétaires en Grèce, Italie, Espagne et Portugal depuis une dizaine d’années sont répétées et sévères.</p>
<p>Les financements des déficits publics par émission de titres de dette sur les marchés financiers ou prélèvements fiscaux supplémentaires sont problématiques. Les gouvernements sont fragilisés. Sans l’euro il n’est pas exagéré de considérer qu’une menace d’hyperinflation ait été probable. Mais la zone euro offre un environnement de stabilité monétaire particulièrement appréciable en période de crises majeures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Sokic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La zone monétaire a permis ces dernières années aux États membres les plus endettés d’éviter de sombrer des scénarios à la vénézuélienne.Alexandre Sokic, Economie, Finance, ESCE International Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1400742020-06-07T18:33:14Z2020-06-07T18:33:14ZSortie de crise : jusqu’où pourra aller la BCE ?<p>Pour sortir de la crise, la Banque centrale européenne (BCE) a accéléré son programme d’achat de titres publics et privés (quantitative easing, ou QE), porté à hauteur de <a href="https://www.boursorama.com/videos/actualites/la-bce-dope-son-dispositif-anti-crise-porte-a-1-350-milliards-d-euros-2c57ced5cc16f01610aa6ac568b5a19d">1 350 milliards d’euros</a> début juin, qui intensifie les mesures engagées depuis 2015 ayant déjà mobilisé près de 2 500 milliards d’euros de liquidités.</p>
<p>Cette intervention non conventionnelle devrait porter son bilan à quelque <a href="https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN22R1FN">6 500 milliards d’euros</a> à fin 2020, soit l’équivalent de la moitié du PIB de la zone euro. Surtout, la BCE semble s’éloigner de plus en plus de l’esprit de son mandat.</p>
<h2>L’Allemagne hausse le ton</h2>
<p>Rappelons que la BCE a notamment fait sauter, au cours des derniers mois, deux « règles d’or » qu’elle s’était librement fixées pour ne pas s’engager trop loin dans le financement indirect des déficits publics : elle s’était astreinte à ne pas détenir plus d’un tiers du gisement d’une dette nationale ; elle s’était astreinte également à limiter en termes relatifs la part dans son bilan de chaque gisement de dette nationale à la fraction détenue par chaque pays dans son capital ; cette règle disparue, la BCE peut donc acheter autant de titres de dette italienne qu’elle juge nécessaire pour contenir les spreads de taux, c’est-à-dire l’écart entre les taux de contraction de dette publique de deux pays (rappelons qu’en avril, la dette italienne se plaçait à 10 ans à + 1,88 % lorsque la dette allemande se négocie au taux négatif de – 0,49 %, soit un écart considérable pour une même zone monétaire).</p>
<p>Cet élargissement de son mandat de facto a entraîné une contestation de son action par des centaines de citoyens et universitaires allemands qui ont porté plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsrhue. Le 5 mai, le juge a sommé la BCE de justifier, sous 3 mois, son action depuis 2015 en se référant au simple principe de <a href="https://institutdelors.eu/publications/juges-contre-technocrates/">« proportionnalité »</a> de la réponse. Autrement dit, la Cour s’interroge sur une réponse excessive par rapport aux objectifs à atteindre.</p>
<p>Les plaignants estiment que le rôle de la politique monétaire n’est pas d’assurer les dettes publiques. C’est un dévoiement qu’ils qualifient de « fiscalisation de la politique monétaire ».</p>
<p>En 2015, lors du lancement du programme de QE, la Cour constitutionnelle allemande avait déposé une première plainte, mais s’était inclinée devant la Cour de Justice européenne qui avait blanchi la BCE ; cette fois-ci, elle se rebelle et menace d’interdire à la Bundesbank de participer au programme de la BCE !</p>
<p>Il faut replacer ces faits dans le contexte de l’Allemagne, pays d’épargne et conservant en mémoire le traumatisme de la République de Weimar minée par l’hyperinflation dans les années 1920. Outre-Rhin, le retour de l’inflation grignoterait notamment les retraites par capitalisation d’une population vieillissante qui s’inquiète que la BCE ne devienne le bras armé des « cigales du Sud ».</p>
<h2>Une stratégie qui n’est pas sans danger</h2>
<p>Cette création monétaire massive en effet avoir plusieurs effets pernicieux, y compris pour d’autres pays que l’Allemagne : elle peut conduire, comme on l’a observé ces dernières années, à gonfler la bulle boursière au profit des détenteurs d’actifs financiers et la bulle immobilière au profit des plus riches et au détriment des salariés urbains, ce qui en fin de compte <a href="http://www.agefi.fr/asset-management/actualites/etude-texte-reference/20160217/effets-indesirables-qe-inegalites-174302">aggrave les inégalités</a>.</p>
<p>Le défaut sur une dette souveraine constitue un autre risque : L’Italie au premier chef, mais aussi dans une moindre mesure la France, sont menacées, même si à court terme l’intervention de la BCE l’en empêche.</p>
<p>Les <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-taux-d-interet-auxquels-l-etat-francais-s-endette-ont-commence-a-augmenter-20200318">spreads ont déjà augmenté</a> depuis le début de la crise. Que deviendront-ils si l’intervention de la BCE devait se ralentir, ou si simplement le gouvernement français perdait le sens de la mesure budgétaire sous la pression des événements ?</p>
<p>Enfin, cette situation pourrait aboutir à l’éclatement de l’euro : la zone euro se trouve en effet déjà prise en étau entre, d’une part, la dérive économique et financière des États du Sud, et d’autre part, les critiques croissantes contre la politique d’assouplissement quantitatif poursuivie par la BCE depuis 2015 émanant des pays du nord, notamment de l’Allemagne.</p>
<p>La crise sanitaire pourrait donc se transformer en crise politique et provoquer un choc asymétrique en aggravant les écarts dans la zone euro, qui pourrait lui être fatale.</p>
<p>La zone euro aurait au contraire besoin de mutualiser progressivement les dettes pour mieux les financer. Cela reste aujourd’hui nécessaire à l’achèvement de notre zone monétaire, car contribuerait à une « Union de transferts » au profit des pays les plus fragiles et verrouillerait la pérennité de la monnaie unique sans accroître l’endettement global de la zone euro. Elle supposerait cependant une convergence des trajectoires économiques et budgétaires des différents pays consolidées par des réformes communes. C’est le prix à payer pour l’acceptation des pays dont les taux sont les plus favorables, mais un prix trop lourd du point de vue allemand.</p>
<h2>Des petits pas vers la mutualisation des dettes</h2>
<p>Quelle piste reste-t-il dès lors pour sortir de la crise ? La plus plausible serait que les chefs d’État se constituent demain en « directoire fédéral », nomment un ministre des finances de la zone euro, et émettent des eurobonds, c’est-à-dire des titres de dettes européens collectifs émis par l’ensemble des États membres. Il n’est pas besoin de modifier les Traités pour cela, ils en auraient le droit.</p>
<p>D’ailleurs, le plan de relance conjoint de <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/comment-le-plan-dangela-merkel-et-emmanuel-macron-instaure-une-vraie-solidarite-europeenne-1370559">500 milliards d’euros</a> annoncé par le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, le 18 mai dernier, devrait être financé en partie par des emprunts contractés par l’Union européenne en elle-même sur les marchés obligataires internationaux. Le fait que l’Allemagne adhère à ce mécanisme constitue une première, mais quatre pays ont d’ores et déjà <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Quatre-pays-europeens-tentent-contrer-plan-franco-allemand-2020-05-23-1201095643">marqué leur désaccord</a> (Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède).</p>
<p>Le 27 mai, la Commission européenne a également semblé confirmer cette direction en confortant un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/27/la-commission-europeenne-propose-un-plan-de-relance-de-750-milliards-empruntes-en-commun_6040931_3210.html">plan de relance de 750 milliards d’euros</a> qui pourrait permettre à terme d’arriver à une véritable <a href="https://www.experimentalforschung.econ.uni-muenchen.de/studium/veranstaltungsarchiv/sq2/mundell_aer1961.pdf">union de transferts</a>, conforme à la théorie des zones monétaires optimales.</p>
<p>Le chemin vers plus de solidarité européenne semble toutefois encore long, mais la BCE n’est plus seule et d’autres institutions prennent désormais part à la relance. Est-ce à dire qu’elle est bel et bien arrivée aux limites de son action ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Verdié est membre de :
- l'Association Française des Trésoriers d'Entreprise (AFTE)
- de l'Association Française des Directeurs Financiers et Contrôleurs de Gestion (DFCG)
- de la Société Française des Evaluateurs (SFEV)
- de l'Association Française de Finance (AFFI)
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Maxime Maury ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La poursuite du programme de rachat de dettes de la banque centrale pourrait à terme aggraver les inégalités, conduire au défaut de certains pays voire mener à l’éclatement de la zone euro.Jean-François Verdié, Professeur, Département Economie Finance, TBS EducationMaxime Maury, Professeur affilié, TBS EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376102020-05-03T17:45:47Z2020-05-03T17:45:47ZLa monnaie et les économistes : je t’aime moi non plus !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/331659/original/file-20200430-42908-1kw9wqr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C8%2C995%2C687&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comprendre la monnaie a toujours représenté un défi pour la science économique...</span> <span class="attribution"><span class="source">Steve Heap / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Monnaie libre, monnaie pleine, cryptomonnaie, monnaie hélicoptère, drone monétaire, monnaie moderne, monnaie positive, monnaie écologique, etc. de la monnaie comme s’il en pleuvait ces derniers temps dans les travaux des économistes. Ça n’a pas été toujours le cas, car, entre les économistes et la monnaie, c’est plutôt : « je t’aime, moi non plus ».</p>
<p>Entre ceux qui n’y voient que désir d’accumulation capitaliste et ceux qui, à l’inverse, dans une tradition ancienne héritée des classiques et néo-classiques, continuent d’y voir un simple voile autour des échanges, sans autre effet sur l’économie réelle qu’un effet sur les prix, bien peu (trop peu) d’économistes se sont intéressés à la monnaie au cours des siècles passés. L’effervescence récente autour de ce sujet ne provient d’ailleurs pas tant d’un intérêt spontané des économistes pour le sujet de la monnaie, mais du fait que les crises, celle, financière, de 2007-2008, puis la crise sanitaire actuelle, les obligent à s’en emparer.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=894&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=894&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=894&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1124&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1124&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/331660/original/file-20200430-42962-3gumkf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1124&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait d’Adam Smith de 1787.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Si les économistes de l’école classique, Adam Smith, David Ricardo ou Jean‑Baptiste Say ont réduit la monnaie à un pur instrument de facilitation de l’échange, c’est parce que leur analyse de l’échange s’est d’abord focalisée sur la valeur, le prix n’étant pour eux que l’expression de cette valeur. La monnaie apparaît alors comme le meilleur intermédiaire des échanges, mais n’est que cela.</p>
<p>Dans cette optique, les classiques ont assez largement nourri la <a href="https://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_2001_num_6_157_2314">« fable du troc »</a> décrite par l’économiste Jean‑Michel Servet : la monnaie aurait été inventée, un beau jour, pour dépasser les contraintes du troc et faciliter l’échange. De quoi faire sourire des générations d’historiens et d’anthropologues, dont les recherches montrent que la plupart des sociétés humaines, y compris les sociétés « primitives », ont eu recours à des instruments monétaires perpétuant des pratiques à caractère non pas fondamentalement marchand au départ mais plus largement social et politique.</p>
<h2>La monnaie, ça compte !</h2>
<p>Les néo-classiques, dans le sillage de Léon Walras en 1874 puis de Kenneth Arrow et Gérard Debreu en 1954, ont quant à eux entrepris d’établir un modèle d’équilibre « général », en excluant la monnaie de leur raisonnement. Ils ont ensuite essayé de l’y introduire après coup, mais uniquement pour vérifier que leurs résultats ne s’en trouvaient pas perturbés ! Et ils s’y sont cassé les dents, y compris Don Patinkin, le plus engagé d’entre eux dans cette entreprise « d’intégration » de la monnaie à l’économie « réelle ». Pour eux, la monnaie demeure un voile.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/331657/original/file-20200430-42946-101z8sd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">John Maynard Keynes, en 1946.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Maynard_Keynes.jpg">IMF/Wikimedia</a></span>
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<p>Il faut attendre John Maynard Keynes pour réaliser l’importance de la monnaie dans l’économie, c’est-à-dire sa non-neutralité. Keynes rompt avec le cadre d’analyse des néo-classiques et leur vision dichotomique des sphères réelle et monétaire qui, selon lui, n’a pas de sens. Ce n’est pas dans une économie d’échanges réels (c’est-à-dire sans monnaie) qu’il faut raisonner, mais dans celui d’une « économie monétaire de production » : la monnaie, ça compte !</p>
<p>D’ailleurs, quand Keynes revisite les fonctions de la monnaie, la plus importante selon lui est celle de l’unité de compte, comme il le souligne dans les premières pages de son plus long ouvrage, longtemps resté dans l’oubli, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/07/11/un-traite-sur-la-monnaie-une-etape-de-la-revolution-keynesienne_5488102_3232.html"><em>A Treatise on Money</em></a> (1930). Dans <em>la Théorie générale</em> (1936), ouvrage qui aura plus d’influence, il enfonce le clou avec la théorie de la préférence pour la liquidité. La monnaie peut être demandée pour elle-même et les individus peuvent être victimes d’illusion nominale. Par exemple, une augmentation de 5 % sur la fiche de paie quand le taux d’inflation est à 5 % est préférée à l’absence d’augmentation quand le taux d’inflation est à 0, alors qu’en termes réels celles-ci reviennent au même.</p>
<p>Le temps et l’incertitude, absents du cadre originel des néo-classiques, sont au cœur de la théorie élaborée par Keynes. La monnaie devient alors primordiale car elle est un « pont entre le présent et le futur ».</p>
<h2>La création monétaire absente des modèles</h2>
<p>L’analyse monétaire de Keynes n’est cependant pas exempte d’ambiguïté. La Théorie générale n’offre pas d’explication claire de l’origine de la monnaie et de son offre. Keynes se contente d’écrire que le stock de monnaie est une des « données » de l’économie, ou d’indiquer, de manière elliptique, que la quantité de monnaie est « déterminée par l’action de la banque centrale ». La monnaie semble exogène.</p>
<p>À l’inverse, le Treatise on Money, et surtout les articles sur le « motif de finance » publiés après la Théorie générale, ouvrent la voie à une vision endogène de la monnaie : la quantité de monnaie n’est pas une donnée exogène, constante ou fixée par la banque centrale, mais une variable déterminée par la demande de financement de l’économie. Comprendre la monnaie n’est pas une démarche aisée, comme on le voit, même pour le maître de Cambridge !</p>
<p>Parmi ses héritiers, les <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/leconomie-post-keynesienne-histoire-theories-politiques/00086451">post-keynésiens</a> reprennent et enrichissent cette vision de la monnaie endogène : la monnaie est endogène car elle est créée en réponse aux besoins de l’économie. Sans monnaie, pas de production et d’échanges, et donc pas d’économie. Cette hypothèse de monnaie endogène est essentielle pour comprendre le mécanisme de la création monétaire, sans doute l’un des mécanismes les plus mal compris et à l’origine de nombreuses controverses.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑François Ponsot : « Qu’est-ce que l’économie post-keynésienne ? » (Xerfi canal, 2019).</span></figcaption>
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<p>Dans les économies modernes, la création monétaire est, en effet, le résultat d’une réponse des banques à la demande de crédits des agents économiques. Les banques ont le « pouvoir de création monétaire », que la banque centrale leur délègue en vertu de la délégation qu’elle-même se voit confiée par les pouvoirs publics : les crédits que les banques octroient à leurs clients font les dépôts de ces mêmes clients et donc la monnaie qui circule dans l’économie.</p>
<p>Une part de la monnaie en circulation correspond aux billets qui ne sont pas une monnaie de banques commerciales, mais une monnaie de banque centrale. Car la banque centrale a aussi ce pouvoir de création monétaire : sa monnaie est celle créée, selon le même mécanisme, en réponse aux besoins de liquidité des banques, donc inscrite sur le compte des banques au passif de la banque centrale. Cette monnaie scripturale de banque centrale ne circule qu’entre les banques, mais sa disponibilité plus ou moins grande influence leur capacité de réponse aux besoins de financement de l’économie.</p>
<p>Pour autant, la création monétaire et le processus dynamique de circulation de la monnaie dans l’économie sont totalement absents des modèles macroéconomiques contemporains, comme ceux utilisés par les banques centrales et les institutions financières internationales…</p>
<p>Même rejet dans la microéconomie contemporaine appliquée à la banque. La théorie bancaire fait paradoxalement abstraction de la création monétaire : que l’on pense aux modèles fondateurs (ceux de <a href="https://academic.oup.com/restud/article-abstract/51/3/393/1545858">Douglas Diamond</a> (1984), ou <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/261155">Diamond avec Philip Dybvig</a> (1983)), ou à leurs prolongements, ceux-ci ont beau traiter d’une manière stimulante des raisons d’être de l’activité bancaire, il n’est nulle part question de monnaie, les banques n’y sont que de purs intermédiaires financiers : elles s’interposent entre des déposants auprès desquels elles collectent des ressources, et des emprunteurs à qui elles les prêtent. Jamais n’est prise en compte cette capacité qu’ont les banques de créer elles-mêmes ce qu’elles doivent à leurs clients.</p>
<h2>Quand la monnaie devient une phobie…</h2>
<p>Et quand la monnaie n’est pas ignorée par la théorie économique, pire, elle est pour ainsi dire honnie. Il en va ainsi de la théorie monétariste héritée de Milton Friedman. La monnaie n’a pas d’autre effet sur l’économie que son influence sur le niveau général des prix : qu’elle vienne à circuler trop abondamment et c’est l’inflation assurée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/331663/original/file-20200430-42923-1id53b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Milton Friedman, en 2004.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Portrait_of_Milton_Friedman.jpg">RobertHannah89/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Mal absolu, dévorant le pouvoir d’achat des ménages, l’inflation est pour Friedman « toujours et partout un phénomène monétaire ». Dans sa perspective, la politique monétaire de relance à la mode keynésienne est à bannir car jamais elle n’atteindra son but : elle élève le niveau de l’inflation et finit par faire remonter le chômage à son niveau naturel ou structurel. La seule mission à confier aux banques centrales, dans le cadre de la politique monétaire, devient donc la stabilité des prix à partir d’un contrôle attentif de l’évolution de la masse monétaire.</p>
<p>Les macroéconomistes de la nouvelle économie classique de la fin du XXe (Robert Lucas, Robert Barro, Finn Kydland et Edouard Prescott…) vont encore plus loin dans la phobie de la monnaie : la politique monétaire devient <a href="https://www.editions-ellipses.fr/accueil/7932-fiches-des-theories-economiques-de-la-monnaie-9782340029002.html">« super nocive »</a>. Les banques centrales, garantes de la stabilité de la monnaie, doivent donc impérativement être indépendantes du pouvoir politique ! Le pouvoir discrétionnaire du décideur politique, ou du banquier central, doit laisser place à des règles automatiques. Il n’est plus question de mettre la banque centrale au service du politique pour l’aider à relancer l’économie. À cette aune, autant dire que les perspectives actuelles de monétisation des États par les banques centrales sont un cauchemar absolu pour ce courant de pensée encore très présent aujourd’hui.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/331670/original/file-20200430-42942-1q3f1ux.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Michel Aglietta, en 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.xerficanal.com/economie/emission/Michel-Aglietta-Capitalisme-le-temps-des-ruptures-1-3-Crise-ideologique-et-derive-de-la-finance_3747948.html">Capture d’écran Xerfi canal</a></span>
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<p>La monnaie fait également assez peu d’émules parmi les hétérodoxes. Car les héritiers de la tradition marxiste n’y voient que l’objet du désir d’accumulation capitaliste. C’est cependant parmi les économistes hétérodoxes français que l’on trouve des théoriciens de la monnaie. Michel Aglietta et André Orléan (1982) sont les premiers à mettre en lumière <a href="https://www.cairn.info/la-violence-de-la-monnaie--9782130374855.htm">l’ambivalence de la monnaie</a>, objet de désir mais aussi lien social par excellence. La monnaie devient dans leur approche constitutive de l’échange. Peu importe le support de la monnaie, qu’il s’agisse d’une marchandise, d’un métal précieux, d’un morceau de papier, d’une écriture dans un livre de compte ou écriture numérique, la monnaie est une institution <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=n-UG-WwjrU4C&oi=fnd&pg=PA7&dq=La+monnaie+entre+violence+et+confiance,+Ed.+Odile+Jacob,+2002.&ots=gK9_RTYniw&sig=1mUDBxCJDTxYA3Fc93rD_V1rg1k#v=onepage&q=La%20monnaie%20entre%20violence%20et%20confiance%2C%20Ed.%20Odile%20Jacob%2C%202002.&f=false">reposant sur la confiance et sur une communauté</a>.</p>
<p>La libéralisation financière, amorcée dans les années 1970-1980, n’a pas aidé à réconcilier les économistes avec la monnaie. En favorisant une expansion sans précédent de la sphère bancaire et financière, dont la crise financière de 2007-2008 a légèrement infléchi la tendance sans la renverser totalement, la libéralisation financière a financiarisé l’économie. Et cette financiarisation a, tout à la fois : brouillé la frontière entre la monnaie et les titres rendant la monnaie encore plus difficile à appréhender ; étendu le domaine de circulation de la monnaie ; et décuplé le pouvoir de création monétaire des banques.</p>
<h2>Après 2008, l’ère des innovations monétaires</h2>
<p>C’est l’innovation financière, qui a brouillé la frontière entre la monnaie et les titres, en accouchant, au tournant des années 1970-1980, d’instruments combinant la rentabilité des titres financiers avec la liquidité de la monnaie : c’est ainsi que sont apparues les parts de fonds monétaires, amenant à étendre la définition des agrégats monétaires.</p>
<p>Quant au domaine de circulation de la monnaie, il s’est étendu à une sphère financière croissant à une vitesse exponentielle et se déconnectant de l’économie réelle. C’est ainsi que s’est distendu le lien supposé entre la quantité de monnaie en circulation dans l’économie et le niveau des prix des biens et des services.</p>
<p>Comme la monnaie circule en plus grande quantité et à plus grande vitesse dans la sphère financière, ses variations causent celles des prix des actifs financiers et immobiliers, jusqu’à parfois former des bulles source d’instabilité financière, bien moins celle des prix des biens et services sur la base desquels l’inflation est mesurée. Et, enfin, le pouvoir de création monétaire des banques s’est étendu à la mesure de leurs activités déployées sur les marchés financiers : ce ne sont plus seulement les crédits qui font les dépôts, mais aussi les achats de titres et de produits financiers divers et variés.</p>
<p>Ces évolutions ont pu alimenter le sentiment d’un pouvoir excessif et dévoyé des banques. Des propositions s’en font l’écho, qui remettent au goût du jour le 100 % monnaie d’Irving Fisher dans les années 1930 : la monnaie devrait être à 100 % de la monnaie centrale. L’initiative « monnaie pleine » en Suisse avait dans cette perspective soumis à la <a href="https://www.tdg.ch/suisse/comprendre-initiative-monnaie-pleine/story/13891079">votation</a> populaire de juin 2018 la question suivante : « Qui doit créer notre argent : les banques privées ou la banque nationale ? ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/331668/original/file-20200430-42962-13how8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 2018, les électeurs suisses ont été invités à se prononcer sur la création monétaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Vladimir Wrangel/Shutterstock</span></span>
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<p>Cette initiative (rejetée à plus de 75 %) est assez emblématique de la période post-2008. La crise financière et la défiance qu’elle a suscitée envers les banques, mais plus largement envers l’ensemble des institutions du système financier, ont en effet constitué un terrain fertile pour les innovations monétaires. Le bitcoin et les cryptomonnaies, d’un côté, et les monnaies locales complémentaires, de l’autre, n’ont pas grand chose en commun dans leurs systèmes de valeurs respectifs.</p>
<p>D’un côté, un système de monnaie virtuelle créé par une communauté de geeks, emmenée par Satoshi Nakamoto (groupe ou personne peu importe), contestant l’emprise des États et des banques centrales. De l’autre, des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_monnaies_alternatives-9782707186362.html">instruments monétaires alternatifs</a> développés par des associations d’économie sociale et solidaire visant à reconstituer un lien social et à revitaliser des territoires en redéfinissant un espace de circulation et d’usage d’une monnaie locale. Dans les deux cas, cependant, s’exprime une volonté forte de se réapproprier la monnaie et de mieux l’asseoir sur les valeurs d’une communauté.</p>
<h2>Faire décoller des hélicoptères monétaires ?</h2>
<p>La crise sanitaire que nous vivons actuellement fait également surgir d’épineuses questions monétaires qui s’entremêlent avec des questions budgétaires. Les dépenses publiques que les États doivent engager pour compenser des pertes et tenter de limiter la dépression qui s’annonce posent en effet la question du mode de financement à privilégier. Comment les banques centrales doivent-elles agir face à cette crise ? Comment doivent-elles financer les États ? Doivent-elles simplement faciliter leur financement par des achats de titres sur les marchés de la dette, comme elles le font avec leur programme d’assouplissement quantitatif (<em>quantitative easing</em>) ?</p>
<p>Ces achats massifs sont assurément un soutien à la dépense publique, mais comme ils ajoutent de la dette à la dette, des voix s’élèvent pour interroger la question de la soutenabilité de cette dette : cela ne fait-il pas courir, tout particulièrement pour les États de la zone euro, le risque d’une insoutenabilité à terme de la dette, qui pourrait conduire à une réédition de la crise des dettes souveraines ? Faudra-t-il envisager des annulations pures et simples des dettes ?</p>
<p>Pour les tenants de la théorie monétaire moderne (comme Stephanie Kelton, aux États-Unis, dont l’influence a été grande auprès de Bernie Sanders dans l’actuelle campagne des démocrates à la présidentielle), un financement des dépenses publiques par un transfert direct et sans contrepartie de la banque centrale serait la meilleure option pour permettre aux États de piloter une relance de grande ampleur et de mener une politique d’employeur en dernier ressort.</p>
<p>La monétisation, entendue au sens d’un transfert direct de monnaie centrale aux États sans contrepartie fait également partie des options de financement pour orienter la monnaie de la banque centrale vers la transition écologique (<a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/sciences-de-la-terre/une-monnaie-ecologique_9782738152220.php">monnaie écologique</a>), à côté d’autres propositions, de dettes perpétuelles, d’annulations de dettes publiques <a href="http://tnova.fr/notes/des-annulations-de-dette-publique-par-la-bce-lancons-le-debat">conditionnelles à des investissements verts</a>, etc. qui permettraient d’accélérer la transition écologique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251160425204334593"}"></div></p>
<p>La monnaie centrale pourrait aussi être <a href="https://www.veblen-institute.org/La-monnaie-helicoptere-contre-la-depression-dans-le-sillage-de-la-crise.html">directement transférée aux ménages et aux entreprises</a>, pour venir directement augmenter la dépense globale sans se heurter aux problèmes de transmission que rencontre la politique monétaire lorsqu’elle passe par les canaux bancaires et financiers. Faire décoller des hélicoptères et des drones monétaires, ou rendre la monnaie « positive », fait partie des débats académiques suscités par la crise sanitaire, même si ces propositions pénètrent difficilement l’univers très feutré des banques centrales.</p>
<p>Tels sont les débats du moment, ils sont vifs, prolifiques et essentiels au débat démocratique. Ce sont des débats sur la nature et le rôle d’une institution majeure, trop longtemps négligée par les économistes : la monnaie. Son rôle à court terme, pour éviter l’effondrement de l’économie. Mais aussi à long terme, pour répondre aux défis sociétaux, démographiques et environnementaux qui nous attendent dans les prochaines décennies. Il est grand temps que les économistes se réconcilient avec la monnaie !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137610/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Longtemps mise à l’écart des modèles, la question de la monnaie revient dans le débat sur les moyens de sortir de la crise.Jézabel Couppey-Soubeyran, Conseillère éditoriale au CEPII, maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneJean-François Ponsot, Professeur des universités, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1372642020-04-27T17:43:25Z2020-04-27T17:43:25ZUne solution « à la japonaise » pour éviter la crise des dettes souveraines<p>La très forte <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/covid-19-le-fmi-anticipe-une-forte-hausse-de-la-dette-mondiale-845124.html">augmentation actuelle des dettes publiques</a> laisse craindre le retour d’une crise des dettes souveraines. Pourtant, une telle évolution n’a rien d’inéluctable. Au Japon, si l’endettement public avoisine <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/coronavirus-pour-attenuer-la-crise-le-japon-va-offrir-850-euros-a-chaque-citoyen-1195744">250 % du PIB</a>, les taux d’intérêt sur la dette sont <a href="https://fr.tradingeconomics.com/japan/interest-rate">proches de 0 %</a>.</p>
<p>Ce qui compte pour juger de la soutenabilité de la dette, c’est moins son niveau en pourcentage du PIB, que l’écart entre le taux d’intérêt et le taux de croissance de l’économie : si le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance, la dette publique n’explose pas et peut être stabilisée, ce qui explique que la dette japonaise reste soutenable malgré son niveau record.</p>
<p>Actuellement en Europe, le risque est que les taux d’intérêts sur la dette explosent comme lors de la crise des dettes souveraines (2009-2012). Une maîtrise des taux d’intérêt reste pourtant possible si la banque centrale joue pleinement son rôle.</p>
<h2>Une politique de contrôle des taux longs</h2>
<p>À ce titre, la stratégie suivie par la Banque centrale du Japon (BoJ) pourrait servir de modèle à la Banque centrale européenne (BCE) pour se prémunir des risques d’envolée des coûts d’emprunt des États européens. Depuis 2016, la BoJ applique une <a href="https://www.lesechos.fr/2016/09/la-banque-du-japon-assouplit-sa-politique-monetaire-217100">politique de contrôle des taux longs</a> (<em>yield curve control</em>) qui consiste à s’engager à acheter le montant d’obligations souveraines nécessaire pour atteindre le niveau de taux d’intérêt qu’elle s’est fixé : autour de 0 % pour les obligations à 10 ans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/330661/original/file-20200427-145525-jhught.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Siège de la banque centrale du Japon, à Tokyo.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mjaniec/4442319949">Maciej Janiec/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Étant donné que les prix des obligations évoluent à l’inverse de leurs rendements, l’achat d’obligations et l’augmentation de leur prix entraînent une baisse des taux. Cette politique a été également <a href="https://theconversation.com/yield-curve-control-the-reserve-banks-plan-for-when-cash-rate-cuts-no-longer-work-133223">mise en place en Australie</a> en début d’année. Aux États-Unis, cette piste est sérieusement <a href="https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-yield-control/as-treasury-yields-rise-investors-see-possibility-of-fed-yield-curve-control-idUSKBN216403">envisagée par la Réserve fédérale (Fed)</a>.</p>
<p>La banque centrale américaine l’avait déjà d’ailleurs utilisé <a href="https://libertystreeteconomics.newyorkfed.org/2020/04/how-the-fed-managed-the-treasury-yield-curve-in-the-1940s.html">dès 1942</a> et au sortir de la Deuxième Guerre mondiale pour abaisser le coût du financement des dépenses publiques, notamment militaires : elle avait plafonné les coûts d’emprunt du Trésor en déclarant qu’elle achèterait la quantité d’obligations d’État nécessaire pour que le taux d’intérêt ne dépasse pas un certain niveau.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/330656/original/file-20200427-145560-vkqdb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Salle du conseil de la Fed, en 1940.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_Federal_Reserve_Board_room_1940.jpg">Federal Reserve/Wikimedia</a></span>
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<p>La BCE pourrait s’inspirer de cette stratégie pour lutter non seulement contre l’envolée des taux, mais aussi contre un élargissement des <em>spreads</em>, c’est-à-dire un accroissement de l’écart des taux entre les pays du sud (Italie, Espagne, etc.) et l’Allemagne notamment.</p>
<p>Si le pilotage de cette stratégie est plus complexe dans une zone monétaire (avec en théorie 19 taux à contrôler), la BCE n’aurait en pratique à se focaliser que sur les pays menacés par une envolée de leurs taux. Le passage à un tel contrôle des taux permettrait ainsi aux États européens de s’endetter en ayant la garantie que la BCE fera « tous les achats d’actifs nécessaires » pour que leur taux reste dans la fourchette qu’elle s’est préalablement fixée.</p>
<h2>Une alternative au QE</h2>
<p>La BCE avait lancé les prémices d’une telle politique avec le « whatever it takes » (« quoi qu’il en coûte ») de Mario Draghi, alors à la tête de l’institution, en 2012. Le <em>quantitative easing</em> (QE), c’est-à-dire le rachat massif d’actifs sur les marchés financiers, reste toutefois d’une nature différente car il agit sur les quantités et non sur les prix.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/330658/original/file-20200427-145536-146pe3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mario Draghi, en 2012.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mario_Draghi_-_World_Economic_Forum_Annual_Meeting_2012.jpg">World Economic Forum/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La BCE a fait un pas dans cette direction avec l’annonce le 18 mars d’un programme de <a href="https://www.lepoint.fr/economie/coronavirus-la-bce-sort-le-bazooka-avec-750-milliards-d-euros-19-03-2020-2367879_28.php">750 milliards d’euros</a> pour acheter d’ici fin 2020 des obligations des pays en difficulté, alors qu’elle achetait jusque-là les dettes des pays selon leur poids dans son capital.</p>
<p>Cette décision diminue la pression sur les taux souverains, mais elle ne garantit pas qu’en cas d’inquiétude accrue des marchés ces 750 milliards seront suffisants pour éviter une montée des taux. La <a href="https://www.boursorama.com/patrimoine/actualites/dette-l-ecart-entre-le-taux-italien-et-allemand-sous-haute-surveillance-avant-la-revue-de-s-p-6365e457b4dc6264e516746ebc795a72">remontée récente du spread italien</a> – à un niveau proche de celui qui prévalait avant le 18 mars – montre du reste que cette stratégie n’est pas suffisante.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1252901916318879744"}"></div></p>
<p>C’est la raison pour laquelle il faut aller plus loin en adoptant explicitement un objectif de contrôle du coût des emprunts. Une telle politique empêcherait de façon préventive une crise des dettes souveraines dans la mesure où la BCE contrôlerait les niveaux des taux des pays de la zone euro.</p>
<p>La BCE pourrait définir un niveau de taux maximal et l’écart permis entre les taux souverains allemands et les autres taux de la zone euro, par exemple le taux souverain italien. Elle s’obligerait à acheter le montant d’obligations italiennes nécessaire « quel qu’il soit » pour que l’écart de taux soit celui qu’elle aurait défini.</p>
<p>Parce que les marchés internaliseraient cet engagement de la BCE, ce prix-cible deviendrait le prix de marché : qui vendrait en effet une obligation à un investisseur privé à un prix inférieur à ce qu’il pourrait obtenir en la vendant à la banque centrale ? Et si un jour les investisseurs privés étaient, pour une raison ou une autre, moins disposés à payer ce prix, la banque centrale achèterait plus d’obligations afin de maintenir les rendements dans la fourchette de prix cible.</p>
<p>En pratique, la BCE ne devrait pas être contrainte à de tels achats, dans la mesure où l’affichage d’un tel objectif devrait dissuader les marchés de vouloir en dévier. C’est d’ailleurs ce qu’on observe au Japon, où les achats d’obligations ont diminué depuis l’instauration de cette politique.</p>
<h2>Éviter les politiques de rigueur</h2>
<p>La forte progression des dettes publiques pourrait donc être soutenable si la BCE contrôle les coûts d’emprunts des États européens et si les erreurs catastrophiques commises lors de la crise des dettes souveraines, notamment le remède de cheval imposé à la Grèce, ne sont pas réitérées.</p>
<p>Il s’agirait à tout prix éviter d’être contraint, faute d’avoir su contenir les coûts d’emprunts, à des politiques de rigueur qui transformerait la crise sanitaire en crise économique de longue durée. Alors que les pays européens <a href="https://theconversation.com/zone-euro-lopposition-aux-eurobonds-apparait-de-moins-en-moins-tenable-136396">se divisent</a> au sujet de la question de la mutualisation des dettes publiques, une politique de contrôle des taux serait une solution beaucoup plus facile à mettre en œuvre – et plus acceptable pour l’Allemagne !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137264/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Grjebine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La BCE pourrait s’inspirer de la politique de contrôle des taux longs menée par Tokyo pour plafonner les coûts d’emprunt. Une stratégie qu’avait suivie la Fed dès 1942 puis au sortir de la guerre.Thomas Grjebine, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1347442020-03-26T18:48:53Z2020-03-26T18:48:53ZEt si le quantitative easing se mettait au service du plus grand nombre ?<p>Face à l’inéluctable récession qui se profile, il paraît indispensable tant immédiatement de se confronter à la baisse considérable de ressources subie par une partie de la population et secteurs d’activités que de préparer les conditions d’une sortie de crise, une fois la pandémie jugulée.</p>
<p>Les autorités monétaires européennes ont décidé, le 19 mars dernier, de dégainer le « bazooka » monétaire. La Banque centrale européenne (BCE) s’apprête à déverser rapidement <a href="https://www.lepoint.fr/economie/coronavirus-la-bce-sort-le-bazooka-avec-750-milliards-d-euros-19-03-2020-2367879_28.php">750 milliards d’euros</a>, soit l’équivalent d’un peu plus de 2 200 euros par Européen, avec la possibilité d’accroître ce volume. Il s’agit d’une relance des plans d’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing (QE), déjà mis en œuvre pour soutenir l’économie européenne en 2015 puis réactivée en fin d’année dernière ; le but étant de redonner des moyens de répondre aux besoins de financement des acteurs économiques.</p>
<p>Or, les limites sur l’économie réelle d’un ciblage de ce soutien vers le secteur financier ne peuvent être ignorées. Ces dernières années, le QE, qui dès 2008 avait été utilisé aux États-Unis et au Royaume-Uni, a provoqué un accroissement considérable d’une surliquidité propice à une finance spéculative. Celle-ci a alimenté un accroissement du prix des actifs financiers et de l’immobilier intensifiant la financiarisation de l’économie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1172078536615530498"}"></div></p>
<p>On peut dès lors s’interroger : le QE reste-t-il aujourd’hui une solution à la fois bonne et réaliste ? Le ciblage et la temporalité sont-ils appropriés ?</p>
<h2>Les moins aisés en première ligne</h2>
<p>Si la trésorerie moyenne disponible des ménages ou des entreprises est supérieure à 120 jours et si le confinement dure 60 jours, une partie de la population peut y faire face. Mais il s’agit d’un raisonnement en moyenne. Celle-ci masque des disparités considérables car quelques rares secteurs sont aujourd’hui hyperactifs et d’autres totalement à l’arrêt.</p>
<p>On sait aussi que l’épargne disponible des ménages est directement proportionnelle au montant de leurs revenus. Le livret A, que possèdent plus de 80 % de la population française, a un encours moyen d’environ <a href="https://publications.banque-france.fr/rapport-de-lobservatoire-de-lepargne-reglementee-2018">4 800 euros</a> en 2018, avec un encours de <a href="https://argent.boursier.com/epargne/actualites/livret-a-plus-de-2-2-millions-de-livrets-crevent-le-plafond-3654.html">moins de 150 euros pour 40 % des livrets</a> et de plus de 15 300 pour à peine 15 % d’entre eux. Les plus pauvres sont ceux qui disposent des capacités les plus faibles de résilience financière. Car déjà avant la crise sanitaire leur survie était assurée au prix de retards de paiement et d’autres dettes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323182/original/file-20200326-168922-zcwfov.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://publications.banque-france.fr/rapport-de-lobservatoire-de-lepargne-reglementee-2018">Rapport de l’Observatoire de l’Épargne réglementée 2018/Banque de France</a></span>
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<p>On se situe là dans le court terme et cette réserve moyenne, que les établissements financiers verront en partie leur échapper du fait de retraits, cache des différences considérables, dans les besoins que vont connaître de larges fractions de la population, celles les plus fragiles.</p>
<p>Par ailleurs, prétendre sortir demain de l’inéluctable récession par une injection à partir du secteur financier, c’est ignorer l’endettement massif des entreprises et plus encore des ménages – ou dette privée – lesquels ont représenté les deux tiers de l’accroissement du stock de dettes à l’échelle mondiale depuis 2008 (240 % d’augmentation). Le rapport de la Banque Mondiale, <a href="https://www.worldbank.org/en/research/publication/waves-of-debt">« Gobal waves of debt, causes and consequences »</a>, publié en décembre 2019, indique aussi qu’en 2017, la dette globale représentait 262 % du PIB mondial.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323006/original/file-20200325-168912-1vnp4hv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dette mondiale en pourcentage du PIB.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2019/12/19/debt-surge-in-emerging-and-developing-economies-is-largest-fastest-in-50-years">Banque mondiale (2019)</a></span>
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</figure>
<p>La baisse des revenus ne peut qu’accroître le poids relatif de cette dette et diminuer fortement la capacité des acteurs économiques à faire face à leurs échéances pour les charges non reportables. Le niveau actuel très faible des taux d’intérêt empêche que ceux-ci puissent jouer un rôle de levier pour un redémarrage des capacités de production mises à l’arrêt.</p>
<h2>Une distribution sous forme de carte de paiement</h2>
<p>Pour être efficace rapidement, à court terme mais aussi à moyen terme, un quantitative easing nouveau devra cibler l’ensemble de la population. Mais il ne s’agit pas d’un rachat des dettes, cette fois-ci des particuliers. La proposition est celle de distribuer à chaque résident un revenu additionnel financé par création monétaire grâce à un accroissement du déficit budgétaire public, dans une <a href="https://major-prepa.com/economie/effet-multiplicateur-keynesien/">logique keynésienne d’effet multiplicateur</a> des revenus ; donc de la demande et de l’offre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323186/original/file-20200326-168918-o2bi6c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le revenu additionnel pourrait être distribué sous la forme d’une carte personnelle de paiement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://pngimg.com/download/78895">Pngimg</a></span>
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<p>Elle est souvent désignée comme « argent hélicoptère ». Son circuit de distribution pourrait être non les banques mais les systèmes de protection sociale qui, en Europe, bénéficient à la quasi-intégralité des populations. Il devrait être distribué non comme avoir sur des comptes en banque mais sous forme d’une carte personnelle de paiement utilisable chez les prestataires de biens et services à la manière d’une carte de crédit ou actuelle carte de paiement, à la manière des anciennes cartes téléphoniques. Elle serait débitée au fur et à mesure des dépenses – à la différence que cet instrument de paiement serait nominal. Même les plus jeunes et ceux qui ne disposent pas d’un compte bancaire ou d’épargne pourraient ainsi en bénéficier.</p>
<p>Sa règle de distribution serait celle d’un revenu de base mais ciblé vers les segments les plus affectés par la crise et limité dans le temps. Ce revenu distribué de façon inconditionnelle pourrait être mis en place tant à un niveau national ou fédéral qu’à celui de collectivités territoriales décentralisées, qui, selon leur capacité, pourraient aussi le renforcer y compris en le ciblant. On pourrait ainsi le tester en vue d’une généralisation.</p>
<p>Mais comme on l’a relevé, pour le court terme, une distribution de revenu sera indispensable pour les salariés totalement ou partiellement privés d’emploi ou pour les indépendants qui connaissent une réduction drastique de leur activité et donc de leurs revenus. Ils devraient donc en être les premiers bénéficiaires.</p>
<h2>Encourager des dépenses plus vertueuses</h2>
<p>L’existence en Europe d’institutions de protection sociale tenant un fichier des populations ainsi couvertes permettrait une distribution rapide de ces fonds. À la différence des États-Unis, pour lesquels on peut s’interroger sur leur capacité effective de réaliser une telle politique sans en exclure les plus précaires. L’injection de ce revenu additionnel devrait se faire au rythme de la reprise des capacités réelles de production et d’échange de biens et services.</p>
<p>Il serait aussi envisageable de cibler les dépenses en ne permettant que celles qu’une commission réunissant des parties prenantes, par exemple à partir du Conseil économique, social et environnemental, jugerait utiles. Les investissements pour faire face au changement climatique pourraient aussi être encouragés en augmentant automatiquement auprès des commerçants habilités par la carte de paiement la capacité de dépenses de l’avoir sur celle-ci, grâce à une traçabilité de l’usage. De même pour les dépenses culturelles et sportives dont l’impact environnemental est limité.</p>
<p>On devrait par ailleurs encourager l’affichage de l’empreinte environnementale de tout produit et service ; ce qui permettrait dans un premier temps d’encourager des dépenses plus vertueuses et dans un deuxième temps de restreindre les dépenses nuisibles à l’environnement en les contingentant en fonction de leur empreinte ; et cela à la manière des tickets de rationnement en période de guerre.</p>
<p>La possibilité de convertir en monnaies locales complémentaires cet avoir distribué pourrait aussi grandement soutenir les circuits courts et la production locale de biens et services. Le ré-ancrage territorialisé des activités nécessite de maintenir les marchés de proximité en y limitant l’afflux de consommateurs à la manière des hypermarchés et de favoriser les producteurs locaux dans les circuits de la grande distribution.</p>
<h2>L’impossible devient possible</h2>
<p>On pourrait aussi donner la possibilité de transmettre cet avoir à des associations caritatives de proximité. Elles pourraient ainsi distribuer, y compris par conversion en monnaies locales complémentaires, ce revenu additionnel à ceux et celles qui seraient le plus dans le besoin.</p>
<p>Mais, dans les périodes de forte incertitude, le risque est qu’une partie des populations, n’anticipant pas de hausse de prix à la consommation, préfère thésauriser cette capacité de dépense et reporte son usage. L’objectif de relance serait alors difficilement atteint car ses fonds ne se retrouveraient pas rapidement dans les circuits économiques et financiers et ne serviraient pas de levier pour une reprise. Grâce une distribution sous forme de carte de paiement, il est possible d’y faire face en rendant cette monnaie fondante ; c’est-à-dire que tous les mois de façon automatique sa valeur décroîtrait.</p>
<p>Le quantitative easing post 2007 à destination directe des banques était a priori impensable pour la plupart des décideurs économiques et financiers imbus des dogmes des équilibres financiers. La Banque centrale européenne avait d’ailleurs attendu près de sept années pour suivre l’exemple du Royaume-Uni et des États-Unis. Difficile d’imaginer qu’il en aille autrement aujourd’hui pour un quantitative easing au bénéfice de tous.</p>
<p>Toutefois, le contexte actuel est propice à des politiques audacieuses par leur ampleur et leur degré d’innovations économiques et sociales. Ce qui paraissait au plus grand nombre quasi impossible hier le devient subitement comme autant d’expérimentations à large échelle pour penser et construire l’à venir d’une crise qui s’annonce profonde en ébranlant bien des idées reçues et des habitudes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solène Morvant-Roux receives funding from the Swiss Science National Foundation</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Servet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces dernières années, les plans d’assouplissement quantitatif ont intensifié la financiarisation de l’économie européenne. La crise actuelle pourrait donc constituer l’occasion de recibler le soutien.Jean-Michel Servet, Honorary professor, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Solène Morvant-Roux, Professeure assistante, Université de Genève, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.