tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/biodiversite-20584/articlesbiodiversité – The Conversation2024-03-28T09:16:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2267522024-03-28T09:16:11Z2024-03-28T09:16:11ZMesurer le bonheur pour mieux penser l’avenir : l’initiative du Bonheur Réunionnais Brut<p>Pour qu’une réalité soit tangible, et pour pouvoir espérer, éventuellement la changer, encore faut-il pouvoir la mesurer. Mais que faire quand les indicateurs disponibles ne vous renseignent pas sur les paramètres que vous voudriez choisir comme moteurs de changements ?</p>
<p>Malgré de nombreuses critiques, le PIB reste, aujourd’hui encore, l’indicateur phare qui permet de jauger un territoire. Pourtant, la croissance économique qu’il indique n’est pas nécessairement synonyme de réduction des inégalités ou du bien-être de la population. Sur le plan environnemental, la quête de croissance économique semble également de plus en plus difficilement compatible avec un respect des limites planétaires.</p>
<p>Dès lors, il paraît nécessaire de ne pas se contenter de ce seul indicateur. Voici l’histoire, encore en cours d’écriture, d’une de ces alternatives, celle de la création de l’indicateur du bonheur réunionnais brut.</p>
<h2>La possibilité d’une île moins dépendante ?</h2>
<p>Ces dernières années, l’île de la Réunion a été traversée par diverses crises qui ont aggravé le sentiment de défiance envers le pouvoir centralisé en métropole et le monde de la recherche, tout en exacerbant, d’autre part le désir des Réunionnais de voir leur résilience territoriale renforcée, afin de rendre l’île moins dépendante des aléas extérieurs. Les prémisses de la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21642850.2023.2252902">pandémie de Covid-19 </a>ont ainsi été vécues avec une certaine absurdité par les habitants de l’île, confinés au même moment que la France hexagonale, sans pourtant que le virus ait sévèrement touché La Réunion. Avant cela, le mouvement social des gilets jaunes s’était incarné dans ce territoire d’outre-mer avec des revendications particulières, mais aussi de rudes conséquences, des routes bloquées qui ont pu paralyser toute l’île et ses commerces.</p>
<p>Sur les côtes, enfin, cette dernière décennie, ce que l’on a appelé « la crise des requins » a également durablement entaché la confiance des habitants envers les scientifiques et les pouvoirs publics qui pouvaient peiner à expliquer la recrudescence d’attaques de requins et à trouver des solutions à cela jugées convenables pour la population.</p>
<p>Si l’on prend maintenant les indicateurs classiques pour brosser un portrait de l’île de la Réunion, la réalité dressée n’est pas très optimiste. Selon l’<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4482473#:%7E:text=Au%201er%20janvier%202021,qu%E2%80%99entre%202010%20et%202015.">Insee</a>, seule une personne en âge de travailler sur deux occupe un emploi, et la moitié des Réunionnais ont un niveau de vie inférieur à 1 380 euros par mois, ce qui place l’île à la quinzième position sur dix-huit dans le classement évaluant la richesse des régions françaises.</p>
<p>Pourtant la vie sur l’île demeure bien chère, avec des prix jusqu’à <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7647041#:%7E:text=En%202022%2C%20les%20prix%20%C3%A0,en%20Martinique%20et%20en%20Guyane.">37 % plus élevés</a> pour l’alimentation qu’en France hexagonale. Ces derniers mois, la crise du commerce international en mer Rouge, avec les attaques répétées de navires par les miliciens houthis, ont, une nouvelle fois rappelé combien les Réunionnais pouvaient pâtir d’aléas extérieurs.</p>
<p>Mais les Réunionnais, eux, justement qu’ont-ils à dire de tout cela ? C’est notamment pour répondre à cette question, et penser des modèles de développement partant de leurs préoccupations, qu’est né, en 2020, le <a href="https://www.isopolis.re/fr/7_24/5e91b41d0d49381f26713c4a/isopolis.html">projet ISOPOLIS</a>, à l’initiative de l’association réunionnaise ISOLIFE, de différents acteurs de la société civile (RISOM, le Réseau d’innovations sociales ouvertes mutualisées), et coordonné par l’IRD en partenariat avec le <a href="http://www.cnfpt.fr/se-former/suivre-formation/inscription-ligne/vos-interlocuteurs-formation-a-delegation-reunion/vos-contacts-a-delegation-reunion/reunion">CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale)</a>. Notre ambition commune était alors de créer un nouvel indicateur tourné autour du bonheur, afin d’évaluer les aspirations des sociétés réunionnaises. L’originalité de notre démarche réside entre cette nouvelle alliance entre différents acteurs de la société civile, de la science et de l’action publique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Sur les traces du Bonheur National Brut</h2>
<p>Pour cela, notre inspiration a avant tout été l’indicateur du Bonheur National Brut créé au Bhoutan en 1972. Si, de prime abord, peu de choses semblent rapprocher ce royaume bouddhiste niché sur les contreforts de l’Himalaya, de l’île tropicale de la Réunion, lorsqu’on regarde de plus près, on peut néanmoins trouver quelques points de ressemblance. Une population de taille similaire par exemple, et une même ambition de moins dépendre des pays extérieurs, l’Inde et la Chine pour ce qui concerne le Bhoutan, coincé entre ces deux géants. </p>
<p>Enfin, la Réunion comme le Bhoutan disposent de territoires où les écosystèmes préservés sont encore importants, particularité à laquelle semblent tenir les populations. En 2007, 42 % de la surface de la Réunion ont ainsi été sanctuarisés sous la forme d’un parc national, tandis que la constitution bhoutanaise, elle, impose de conserver au moins 60 % du territoire sous couverture forestière. Les deux pays ayant, de ce fait, une superficie habitable limitée, ces ambitions environnementales, peuvent, pour certains, apparaître comme un frein aux développements de nouvelles activités et à la croissance économique.</p>
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<img alt="le temple de Paro Taktsang, niché à flanc de falaise, dans un paysage de reliefs forestiers typique du Bhoutan" src="https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/584816/original/file-20240327-18-u59rgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">le temple de Paro Taktsang, niché à flanc de falaise, dans un paysage de reliefs forestiers typique du Bhoutan.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/temple-de-paro-taktsang-au-bhoutan-vue-sur-la-montagne-sous-le-ciel-bleu-et-blanc-ZdwVvRdel8A">Aaron Santelices/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Mais le Bhoutan semble avoir décidé de ne plus privilégier celle-ci depuis la création, par son ancien roi Jigme Singye Wanchuck, de l’indicateur du Bonheur National Brut annoncé en 1972 et mis en place à la fin des années 1990. Inspiré par des valeurs spirituelles bouddhistes, le BNB est désormais un indicateur reconnu par l’OCDE et l’ONU et incorporé aux statistiques nationales du pays. Il a également été le moteur de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/le-bhoutan-seul-pays-au-monde-a-avoir-un-bilan-carbone-negatif_2631956.html">divers projets de grandes ampleurs</a> comme la quête de l’autonomie énergétique, et d’une empreinte carbone négative, et l’instauration d’une partie quotidienne du cursus scolaire des écoliers dédiés à l’éducation environnementale.</p>
<p>Concrètement, le BNB est le résultat de 250 questions posées sur neuf thématiques : le bien-être psychologique, la santé, l’éducation, l’utilisation du temps, la culture, la bonne gouvernance, la vitalité de la communauté, l’écologie et le niveau de vie.</p>
<p>Si nous avons conservé ces critères, nous avons néanmoins tâché de réduire le nombre de questions à 150, et fait en sorte d’adapter le questionnaire au cadre réunionnais, en ôtant par exemple, les interrogations liées au contexte bouddhiste bhoutanais, mais en ajoutant, à l’inverse, des questions sur l’impact de certains fléaux réunionnais, comme les cyclones présents du fait du climat tropical ou les embouteillages, omniprésents du fait de la quasi-absence de transports en commun sur l’île.</p>
<h2>L’environnement : une clef du bonheur ?</h2>
<p>Le questionnaire une fois établi, nous avons pu le tester auprès de 92 Réunionnais représentatifs de la société de l’île dans son ensemble (genre, âge, localisation géographique, niveau social…) à travers des séries d’entretiens d’une heure trente. Ce premier échantillon étant trop petit pour avoir une analyse quantitative représentative de la Réunion, il s’agissait pour nous avant tout, lors de cette première étape, de tester le questionnaire et d’avoir des éléments d’analyse qualitative.</p>
<p>Voici ce qu’il en est <a href="https://hal.science/hal-04493033">ressorti</a>. Si plus de la moitié des personnes interrogées ont atteint un score de bonheur global supérieur à 66 %, des disparités sont également apparues. Les répondants de plus de 55 ans sont ceux qui présentaient par exemple les scores de bonheur les plus élevés. Le niveau de qualification, lui, semble en revanche ne pas être déterminant du bonheur.</p>
<p>Égalemennt, l’écologie, malgré des scores moyens de satisfaction plutôt faible, fait partie des domaines les plus déterminants, quand le niveau de vie et la gouvernance, eux semblent parmi les domaines les moins impactants pour les citoyens interrogés.</p>
<p>Parmi les impacts de l’environnement sur le bonheur général, nous pouvons par exemple noter que les habitants des régions centrales de l’île demeuraient les plus heureux. Or ces territoires escarpés sont bien plus verdoyants que les côtes, elles sous la pression de l’urbanisation, du fait notamment de l’augmentation de la population générale, qui a doublé ces cinquante dernières années.</p>
<p>Dans une nouvelle étude sur le bonheur que nous avons depuis réalisé auprès des lycéens, nous avons retrouvé cette importance de la biodiversité avec des scores de bonheur plus bas au sein des établissements scolaires où l’on ne trouve pas d’arbres, et donc pas d’ombre.</p>
<h2>Les limites de l’exercice et les travaux futurs</h2>
<p>Si ce premier test nous a donc permis de faire de l’analyse qualitative, nous tâchons désormais de pouvoir transformer l’indicateur en outil d’analyse quantitative à travers une collaboration IRD-Insee. Notre but serait, ainsi, de pouvoir rejoindre le cahier des charges des statistiques publiques, qui manquent, de leur côté, d’indicateur sur le bonheur et le bien-être.</p>
<p>Nous travaillons pour cela à réduire considérablement notre premier questionnaire à 20 questions, afin de pouvoir multiplier les portées de nos études, et nous sommes également en train de travailler à deux nouvelles études du bonheur réunionnais brut qui porteront sur 2000 Réunionnais pour la première, et sur 3000 lycéens pour la deuxième.</p>
<h2>Le bonheur reste une idée neuve en statistique</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/584825/original/file-20240327-22-gxsy36.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Bonheur Réunionnais Brut en Une du Quotidien de la Réunion, le journal le plus lu de l’île.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran de la Page Facebook du Quotidien de la Réunion</span></span>
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<p>« Le bonheur est une idée neuve en Europe. » déclarait le révolutionnaire Saint-Just dans une allocution restée célèbre, prononcée en 1794 devant la Convention nationale. Si depuis lors, l’aspiration au bonheur est devenue une revendication plutôt consensuelle, le bonheur, reste cependant encore bien absent du domaine des statistiques. </p>
<p>Notre projet de Bonheur Réunionnais Brut demeure de fait le premier travail scientifique de reproduction du Bonheur National Brut en France. Et si dans d’autres pays comme le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1517758015300321#:%7E:text=According%20to%20this%20database%2C%20for,%2C%2033.6%25%20and%2035.4%25.">Brésil</a> ou la <a href="https://www.jstor.org/stable/48704906">Thaïlande</a>, ou à l’échelle d’une ville comme <a href="https://www.happycounts.org/uploads/2/4/4/6/24468989/seattle-happiness_report_card-2011.pdf">Seattle</a>, des travaux de chercheurs ont été réalisés pour tenter d’adapter cet indicateur, jamais cela n’a abouti à l’incorporation d’un Bonheur National Brut dans les statistiques officielles de ces deux pays. </p>
<p>Par ailleurs, si les indicateurs existants dans les statistiques publiques françaises sont généralement construits en France métropolitaine, puis adaptés aux outre-mer, notre démarche est la première à viser le contraire en proposant un indice né d’une expérimentation dans un territoire d’outre-mer, qui pourrait ensuite bénéficier à d’autres régions de France.</p>
<p>Mais travailler sur le bonheur n’est pas toujours aisé, en France notamment, où nous avons pu constater que le mot bonheur générait même un certain malaise, du fait notamment d’une certaine confusion entre bonheur et bien-être personnel. Considéré comme purement subjectif, le bonheur et toute étude statistique qui pourrait lui être consacré, ont dès lors tendance à pâtir d’un manque de sérieux. </p>
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<iframe src="https://embed.acast.com/$/64c3b1758e16bd0011b77c44/20-changer-le-systeme-croissance-verte-ou-decroissance-avec-?feed=true" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
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<p>Pourtant, notre questionnaire, à l’instar de celui du Bhoutan, ne pose pas une seule fois la question « Êtes-vous heureux ? », mais s’échine à proposer une analyse multidimensionnelle reposant sur un ensemble de critères, pour certains subjectifs, comme la santé mentale, pour d’autres objectifs et extérieurs, comme le niveau de vie, l’éducation, l’utilisation du temps. Deux approches qu’il nous semble crucial de coupler pour jauger du bonheur d’un individu. « Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue », constatait avec humour l’homme politique américain Robert Kennedy. À travers l’indicateur du Bonheur, c’est bien le contraire que nous espérons faire.</p>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Louisiana Teixeira est économiste et membre du Think Tank BSI Economics et a bénéficié du fonds européen de développement regional (FEDER) dans le cadre du projet ISOPOLIS.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amandine Payet-Junot est membre présidente de l'Association de Psychologie Positive de l'Océan Indien.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Le projet ISOPOLIS a bénéficié de fonds européen de développement régional (FEDER)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jaëla Devakarne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur le modèle du Bonheur National Brut forgé au Bhoutan, des chercheurs nous racontent comment ils ont bâti l'indice de Bonheur Réunionais Brut, afin de mieux penser le développement futur de l'île.Louisiana Teixeira, Research associate (Economics), Institut de recherche pour le développement (IRD)Amandine Payet-Junot, Enseignante en sciences de l'environnement, Institut de recherche pour le développement (IRD)Jaëla Devakarne, Coordinatrice de projet, Institut de recherche pour le développement (IRD)Pascale Chabanet, Directrice de recherche, spécialiste des récifs coralliens, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252202024-03-19T16:57:58Z2024-03-19T16:57:58ZDes printemps toujours plus précoces ? Comment les plantes déterminent leur date de floraison<p>À la mi-février, au Royaume-Uni, les haies sont normalement blanchies par le givre ou la neige. Mais cette année, elles apparaissaient mouchetées de blanc du fait de la floraison des prunelliers, signe avant-coureur du printemps. Une floraison précoce bienvenue après un hiver humide et maussade, mais qui inquiète les observateurs des saisons.</p>
<p>Cette plante a-t-elle toujours fleuri à la mi-février, me suis-je demandé, ou bien quelque chose est-il en train de changer ?</p>
<p>Heureusement, la science qui suit et cherche à comprendre les événements saisonniers, la phénologie, a une longue histoire en Grande-Bretagne. <a href="https://www.robertmarsham.co.uk/">Robert Marsham</a>, un naturaliste du XVIII<sup>e</sup> siècle, a consigné les dates d’apparition des fleurs, des oiseaux et des insectes dans son village du Norfolk dès 1736. Les descendants de Marsham ont poursuivi cet enregistrement jusqu’en 1958. Aujourd’hui, le Woodland Trust perpétue la tradition avec le <a href="https://naturescalendar.woodlandtrust.org.uk/">Nature’s Calendar</a>, un programme dans le cadre duquel les membres du public sont invités à consigner divers événements saisonniers.</p>
<p><a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2021.2456">L’analyse détaillée</a> de près d’un demi-million de recensements réalisés par des scientifiques en 2022 a montré que, toutes espèces confondues, la durée moyenne de floraison au Royaume-Uni avait avancé d’un mois au cours des 40 dernières années.</p>
<p>Il existe des variations entre les différentes espèces. L’aubépine, la plante commune des haies, fleurit généralement 13 jours plus tôt qu’au début des années 1980, tandis que les fleurs du marronnier d’Inde apparaissent dix jours plus tôt en moyenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-changements-climatiques-modifient-le-rythme-saisonnier-du-cycle-de-vie-des-plantes-181812">Les changements climatiques modifient le rythme saisonnier du cycle de vie des plantes</a>
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<p>Le climat s’est réchauffé à un rythme intense depuis les années 1980. En fleurissant plus tôt qu’avant, les plantes prennent acte que les hivers deviennent plus courts et plus doux. Elles sentent que les jours se réchauffent, et modifient leur développement printanier en conséquence.</p>
<p>De la même façon, si on veut, que les humains, sentant la chaleur sur leur peau, vont choisir de porter moins de couches de vêtements. Dans le détail, la façon dont sont perçus les indices de changement de saison sont différents chez les plantes et les animaux, mais tous deux réagissent aux changements de climat.</p>
<h2>Comment les plantes sentent la lumière et la chaleur</h2>
<p>Les plantes détectent le raccourcissement des jours en automne grâce à un pigment dit phytochrome, qui est particulièrement sensible aux longueurs d’onde du spectre électromagnétique de la lumière autour du rouge. Or, les nuits d’automne plus longues, affectent qualitativement la lumière rouge perçue par les plantes. Bien que ce changement subtil échappe aux humains (nos yeux n’étant pas sensibles à cette partie du spectre lumineux), une plante peut détecter cette transition.</p>
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<img alt="Un banc près d’un bois au coucher du soleil" src="https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578640/original/file-20240228-18-qoad8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les plantes détectent les changements subtils de la lumière rouge et entrent en dormance à l’approche de l’automne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/romantic-autumn-mood-sunset-lake-ammersee-690569119">Art180/Shutterstock</a></span>
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<p>Tout comme l’automne peut provoquer une baisse du taux de sérotonine dans notre sang, une plante qui a senti l’approche de l’hiver va augmenter la production d’une phytohormone appelée acide abscissique. Ses effets sont multiples. Chez les arbres à feuilles caduques, les rameaux cessent de croître et développent des bourgeons d’hiver résistants, capables de survivre au gel et à la neige. Et les feuilles tombent.</p>
<p>Au printemps, ce sont à nouveau la longueur d’onde et la température qui vont déclencher la croissance des végétaux. C’est toutefois la température qui joue généralement le rôle le plus important. En effet, si les plantes ne se préoccupaient que de la lumière, elles risqueraient de commencer à croître alors que des gelées fatales les menacent encore. Ou encore, de rater une période de croissance propice pendant les journées douces du début du printemps. La détection de la température <a href="https://theconversation.com/ce-qui-pousse-les-plantes-a-fleurir-138844">détermine donc l’apparition des fleurs au printemps</a>. C’est pourquoi le réchauffement climatique se traduit par une apparition de plus en plus précoce de ces fleurs.</p>
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<p>La façon dont les plantes détectent la température n’est pas entièrement comprise. Cela pourrait être lié en partie à la façon dont une hormone inhibant la croissance des cellules végétales réagit aux changements de températures.</p>
<p>Alors que les humains ont des terminaisons nerveuses sur la peau pour détecter la température, les plantes s’appuient probablement sur leurs pigments, bien que le mécanisme ne soit pas entièrement compris. La chaleur faisant partie de la même partie du spectre électromagnétique que celle auquel le phytochrome est sensible (<em>Autour du rouge, dans l’infrarouge, ndlt</em>), il est possible que ce pigment soit impliqué. Quels que soient les mécanismes responsables du déclenchement de la croissance, la température va également déterminer la vitesse de croissance des plantes</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-qui-pousse-les-plantes-a-fleurir-138844">Ce qui pousse les plantes à fleurir</a>
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<h2>Quand les fleurs et les pollinisateurs se déphasent</h2>
<p>Les insectes pollinisateurs comme les abeilles doivent synchroniser leur cycle de vie de manière à être actifs lorsque les fleurs dont ils se nourrissent apparaissent. Leur sortie de l’hiver est donc également déterminée par les effets de la température et de la longueur du jour, par l’intermédiaire de leurs propres mécaniques hormonales.</p>
<p>Pendant des générations, l’évolution a fait converger dans le temps le réveil des pollinisateurs et celui des fleurs. Si l’apparition des fleurs et celle des pollinisateurs n’étaient pas synchronisées, les insectes n’auraient pas de nectar et les plantes ne seraient pas fécondées.</p>
<p>Un lien similaire existe entre l’émergence des feuilles et celle des insectes herbivores qui s’en nourrissent. Or, la rapidité du changement climatique et les légères différences dans la façon dont les insectes et les végétaux y réagissent risquent de rompre cette synchronisation, avec de graves conséquences des deux côtés</p>
<p><a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2021.2142">Une vaste étude</a> menée par des scientifiques allemands portant sur la date d’apparition des fleurs et de leurs pollinisateurs entre 1980 et 2020 a mis en évidence une situation complexe. Les deux ont réagi au changement climatique, respectivement par une floraison et une apparition plus précoces, mais les plantes ont opéré un changement plus important.</p>
<p>Des variations ont été observées entre les groupes d’insectes : les abeilles et les papillons se sont déplacés en synchronisation avec les plantes, ce qui n’a pas été le cas pour les syrphes. Des variations ont également été observées entre les espèces.</p>
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<img alt="Un papillon blanc sur une fleur violette" src="https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578642/original/file-20240228-30-erxph1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les plantes et les insectes ont co-évolué pour émerger à peu près au même moment au printemps.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/blackveined-white-butterfly-aporia-crataegi-perfect-79443766">Marek Mierzejewski/Shutterstock</a></span>
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<p>Même lorsque les plantes et les insectes qui en dépendent modifient leur calendrier de manière synchronisée, l’étape suivante de la chaîne alimentaire n’est pas toujours aussi flexible. La chenille de la teigne du chêne se nourrit des feuilles de chêne. Celle-ci, à son tour, est la principale nourriture des oisillons d’oiseaux tels que la <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-018-0543-1">mésange bleue et le gobe-mouche pédonculé</a>. Jusqu’à présent, les oisillons éclosent toujours à la même période, tandis que les feuilles de chêne et les chenilles apparaissent plus tôt – et restent encore synchronisées. Mais pour combien de temps ?</p>
<p>Les fleurs de prunellier sont un signe que le printemps est en route. Mais elles sont aussi un reflet du changement climatique : une expérience en cours sur le calendrier et la synchronisation des plantes et des animaux, ainsi que sur les chaînes alimentaires complexes dont ils font partie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul Ashton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réactions du vivant à l’apparition du printemps ont coévolué pour converger vers les mêmes dates. La floraison précoce à cause du changement climatique vient changer la donne.Paul Ashton, Professor of Botany, Edge Hill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251192024-03-17T15:33:11Z2024-03-17T15:33:11ZLes animaux aussi ont leurs traditions, et elles sont menacées par l’activité humaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582003/original/file-20240314-24-46rzl4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6720%2C4476&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Premier exemple de culture chez les animaux, les macaques japonais développent des comportements spécifiques à certains groupes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Cédric Sueur/Université de Strasbourg</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Dans un monde où la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/biodiversite-20584">biodiversité</a> est menacée, la découverte que les animaux possèdent leurs propres cultures bouleverse notre compréhension de la nature. Depuis l’observation à la fin des années 1940 de comportements culturels chez les macaques japonais, le catalogue des espèces présentant des comportements transmis socialement n’a cessé d’augmenter. Au même titre qu’une tradition humaine doit être sauvegardée, nous avons le devoir de protéger les cultures animales. Les programmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conservation-27945">conservation</a> doivent désormais intégrer cette composante, mais la manière de mener ces actions de sauvegarde reste discutée.</p>
<h2>Les macaques japonais lavent leur nourriture</h2>
<p>L’arrivée en 1948 du primatologue japonais <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kinji_Imanishi">Kinji Imanishi</a> sur l’île de Koshima, au Japon, marque un tournant décisif dans l’étude du comportement animal. Avec ses étudiants, il se lance dans une entreprise audacieuse : observer les macaques japonais dans leur milieu naturel pour en apprendre davantage sur les origines évolutives des sociétés humaines. Cette quête de connaissance survient dans un Japon post-Seconde Guerre mondiale, une période de reconstruction et de réflexion sur la nature humaine.</p>
<p>Le travail de terrain intensif mené par Imanishi et son équipe révèle des aspects fascinants de la vie des macaques. Leurs observations montrent que ces singes possèdent une structure sociale complexe, en clan familial et avec une hiérarchie de dominance. Mais c’est en 1952 que la découverte la plus marquante a lieu : une jeune femelle nommée Imo commence à <a href="https://youtu.be/EmB31R1NP1c?si=RRqgGB0jq8Y7MlQ-">laver des patates douces</a> dans une rivière avant de les consommer. Ce comportement est rapidement repris par ses congénères, inaugurant ainsi une forme de transmission culturelle chez les macaques. Ce concept s’étendra ensuite chez de nombreuses autres espèces animales.</p>
<h2>La culture animale</h2>
<p>La transmission du lavage de patates douces est interprétée par les chercheurs comme une manifestation de « proto-culture ». Cette découverte illustre la capacité des macaques japonais à apprendre et à transmettre des comportements novateurs, démontrant ainsi que la culture n’est pas l’apanage des humains.</p>
<p>Après cette découverte, les scientifiques vont parcourir le Japon pour découvrir d’autres traditions au sein des populations de macaques : <a href="https://youtu.be/JRJOS-ZwHSM?si=lirroPECM7sicuKM">bains dans les sources d’eau chaude</a>, <a href="https://youtu.be/ceh7yclfl68?si=BjgFDm7gbgaEvqsB">manipulation des pierres</a>, création de boules de neige, <a href="https://youtu.be/Df0lw_tBRu8">rodéo sur les cerfs</a>… Ces découvertes invitent à repenser les frontières traditionnelles entre nature et culture, et à reconnaître la présence de pratiques culturelles chez d’autres espèces que la nôtre. Elles soulignent par ailleurs une continuité dans l’évolution des comportements sociaux et culturels à travers le règne animal.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un macaque dans une source chaud" src="https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581874/original/file-20240314-16-637ode.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Certains macaques japonais se baignant dans les sources d’eau chaude. Ce comportement culturel n’est présent que dans un groupe de singes, à Jigokudani, Nagano.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cédric Sueur/Université de Strasbourg</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Quelques années plus tard, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jane_Goodall">Jane Goodall</a> révolutionne notre compréhension des chimpanzés, révélant l’existence de comportements culturels complexes parmi ces primates. Ses observations minutieuses en Tanzanie ont mis en lumière l’utilisation d’outils, des traditions de chasse, et des structures sociales élaborées.</p>
<p>Aujourd’hui, notre connaissance de la culture animale s’est considérablement élargie, englobant diverses espèces telles que les orangs-outans, les dauphins, les baleines, les éléphants, et certains oiseaux comme les corbeaux et les perroquets. Les orques et les suricates enseignent comment tuer des proies à leur progéniture. Même les insectes tels que les bourdons et les drosophiles présentent de la transmission d’informations et des formes de traditions.</p>
<h2>La culture, une richesse dont la valeur n’est pas à prouver</h2>
<p>L’Unesco définit la culture comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Cette définition s’applique aux cultures animales.</p>
<p>La reconnaissance des comportements culturels chez les animaux nous invite à repenser la manière dont nous valorisons et protégeons la nature. Traditionnellement, la conservation de la biodiversité a été justifiée par l’utilité écologique des espèces, leur rôle dans l’écosystème, ou leur potentiel bénéfique pour l’humanité. Cependant, cette perspective risque de négliger l’importance intrinsèque de la diversité culturelle, qui, tout comme la diversité écologique, constitue une richesse inestimable de notre planète.</p>
<p>De la même manière que nous ne devons pas chercher une valeur écologique spécifique pour justifier la préservation d’une espèce, la culture chez les animaux devrait être valorisée pour elle-même et non pas pour une valeur économique ou écologique. Ces cultures animales, dans leur complexité et leur spécificité, témoignent de l’intelligence, de l’adaptabilité, et de la profondeur sociale des espèces non humaines, offrant une nouvelle dimension à notre compréhension de la nature.</p>
<p>En somme, valoriser et préserver la diversité culturelle chez les animaux revient à reconnaître que la richesse de la nature ne se limite pas à sa valeur écologique ou économique pour l’humanité, mais réside aussi dans la complexité des sociétés non humaines et dans les cultures qu’elles développent. Cette approche élargit notre responsabilité envers la nature, nous incitant à protéger non seulement les espèces et les habitats, mais aussi les patrimoines culturels uniques qu’ils représentent. Ainsi, en préservant la diversité culturelle, nous enrichissons notre propre culture et étendons notre compréhension de ce que signifie être vivant sur cette planète.</p>
<h2>L’impact des activités humaines sur la culture animale</h2>
<p>L’impact humain sur les animaux peut être observé par la fragmentation des habitats, le changement climatique, et les interférences directes avec des activités humaines. Tout cela modifie les conditions de vie et les interactions sociales des groupes d’espèces sauvages. Ces perturbations peuvent altérer des comportements culturels transmis de génération en génération.</p>
<p>De même, la distribution de nourriture par les humains peut modifier les stratégies alimentaires traditionnelles des animaux. Cela peut les faire s’éloigner de leurs pratiques naturelles et entraîner des conséquences imprévues sur la structure sociale et le bien-être de l’espèce. Par exemple, les macaques japonais sauvages et libres mais nourris par les humains ont développé un comportement de <a href="https://youtu.be/ceh7yclfl68?si=JhqirZVBDqKMiij5">manipulation des pierres</a> pour compenser le temps à ne pas chercher par eux-mêmes la nourriture. Ce comportement se transmet de génération en génération et diffère en fonction des groupes. Au total, plus de 48 façons différentes de manipuler ces pierres ont été observées.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un macaque est penché vers le sol, où il prend des pierres entre ses mains" src="https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581875/original/file-20240314-26-wxet0v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les macaques japonais nourris par des humains ont développé sur leur temps libre des comportements culturels de manipulation des pierres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cédric Sueur/Université de Strasbourg</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le changement climatique et l’anthropisation des milieux soulèvent la question de la conservation de la diversité animale, génétique mais aussi culturelle, et de la préservation de cette dernière. Tout comme le relativisme culturel humain, c’est-à-dire l’idée que les croyances et les pratiques d’une personne doivent être comprises en fonction de sa propre culture, préconise une approche non interventionniste pour préserver la diversité des cultures humaines, une approche similaire pourrait être envisagée pour les cultures animales. Elle mettrait l’accent sur la protection des habitats, la réduction des interférences humaines, et le soutien aux processus écologiques et culturels naturels.</p>
<h2>Protéger et sauvegarder les cultures animales</h2>
<p>Le défi réside dans l’équilibre entre le respect de l’autonomie des cultures animales et la nécessité d’intervenir pour prévenir les effets négatifs de l’anthropisation. La solution pourrait résider dans une interaction culturelle consciente et respectueuse. Il faut pour cela que les efforts de conservation soient soigneusement évalués pour leur impact sur les communautés animales et qu’ils intègrent une compréhension des besoins et des traditions spécifiques des espèces.</p>
<p>Récemment, l’importance de la transmission culturelle a été reconnue comme un élément clé à conserver par un <a href="https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.aaw3557">consortium de scientifiques éthologues</a>, allant au-delà de la préservation de la diversité génétique pour la survie des espèces. Le <a href="https://osf.io/svg7x/download">« capital animal »</a> culturel de chaque espèce doit être inclus dans tout plan de conservation au même titre que le « capital animal » matériel ou écologique. Les instruments juridiques internationaux, tels que la <a href="https://whc.unesco.org/en/glossary/480">Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage</a>, jouent un rôle essentiel dans la conservation ciblée de diverses espèces en prenant explicitement en compte leur socialité et leurs cultures.</p>
<p>La conservation de la culture animale implique notamment la protection des individus clés, qui sont dépositaires de connaissances socialement transmises, telle la matriarche chez les éléphants, pour ne donner qu’un exemple. Ces efforts de conservation cherchent aussi à améliorer les programmes de réintroduction en gérant stratégiquement les connaissances sociales des animaux, c’est-à-dire en tâchant de ne pas perturber les diversités culturelles en mixant des populations différentes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un éléphant boit avec sa trompe dans une mare" src="https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581873/original/file-20240314-24-7qgo7a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chez les éléphants d’Afrique, les individus âgés sont dépositaires du savoir, en particulier les matriarches qui peuvent emmener les clans vers des points d’eau en temps de sécheresse alors qu’elles n’y sont pas allées depuis plusieurs années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cedric Sueur/Université de Strasbourg</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Mobiliser de nombreux acteurs</h2>
<p>Il est de plus crucial d’impliquer une diversité de parties prenantes, y compris des scientifiques, dont des éthologues, des responsables de parcs, des responsables gouvernementaux, des communautés locales et des ONG dans la définition des objectifs de conservation et dans le développement de stratégies d’action.</p>
<p>Le documentaire <a href="https://youtu.be/i0CIX8HOkIk"><em>Saru, une histoire de transmission culturelle</em></a> offre une fenêtre sur cette richesse culturelle. Ce film explore avec une équipe internationale d’éthologues les processus de transmission culturelle chez le macaque japonais, espèce habitant différents milieux de la grande île.</p>
<p>Ce film est un pas important vers une meilleure compréhension et appréciation de la culture animale. En tant que société, nous avons la responsabilité de protéger ces cultures, non seulement pour préserver la biodiversité, mais aussi pour enrichir notre propre compréhension du monde naturel. L’observation de ces cultures animales peut améliorer notre cohabitation avec les autres vivants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Sueur est membre de l’Institut Universitaire de France, membre du conseil scientifique de Reworld Media et de la fondation LFDA. Il a reçu des financements de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires (MITI) du CNRS ainsi qu'un financement IDEX de l'université de Strasbourg. Il est conseiller scientifique du film "Saru une histoire de transmission culturelle" mentionné dans l'article ainsi que du livre "Les péripéties d'un primatologue" publié cette année aux Editions Odile Jacob et qui traite en partie de ce sujet.</span></em></p>La découverte de comportements culturels chez d’autres espèces que la nôtre questionne notre rapport au vivant et la façon de protéger les animaux.Cédric Sueur, Maître de conférences en éthologie, primatologie et éthique animale, CNRS, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251082024-03-13T15:57:43Z2024-03-13T15:57:43ZPlanter une nouvelle haie ne compense pas la destruction d’une haie ancienne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581348/original/file-20240312-29-dfogyv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C13%2C4672%2C3084&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paysage avec haies</span> <span class="attribution"><span class="source">Guillaume Decocq</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>La haie est revenue sur le devant de la scène médiatique : tandis que les victimes des inondations dans le Pas-de-Calais déplorent leur arrachage intempestif, les agriculteurs en colère dénoncent les mesures réglementaires entravant leur destruction. Au-delà de ces positions médiatiques, les haies sont accusées de tout et son contraire, tantôt considérées comme un obstacle au développement agricole ou érigées comme une infrastructure agroécologique au rôle protecteur, taxées de zones enfrichées peuplées de nuisibles ou présentées comme des réservoirs de biodiversité utiles à l’agriculture. Alors qu’en est-t-il ? Les haies sont-elles les reliques d’un modèle paysan frappé d’obsolescence ou bien un levier pour engager l’agriculture dans une nécessaire transition écologique ?</p>
<p>Universitaires, chercheurs et botanistes travaillant de longue date sur les haies, nous nous sommes rassemblés en un groupe de travail au sein de la <a href="https://societebotaniquedefrance.fr/">Société botanique de France</a> pour synthétiser les connaissances sur cet écosystème très particulier. En réalité, toutes les haies ne se valent pas. Si replanter des haies là où elles ont disparu est une avancée écologique indéniable, protéger les haies anciennes là où elles subsistent devrait être une priorité absolue.</p>
<h2>Aux origines des haies, une vocation oubliée ?</h2>
<p>Pour comprendre les débats actuels sur les haies, il est d’abord nécessaire de revenir à leur raison d’être initiale. Car les haies d’aujourd’hui sont <a href="https://revueforestierefrancaise.agroparistech.fr/article/view/5105">issues de plantations plus ou moins anciennes</a>, répondant à des objectifs précis : délimiter des parcelles, empêcher la divagation des troupeaux, protéger les chemins et les cultures du vent ou encore limiter l’érosion des terres arables.</p>
<p>Les haies étaient aussi, à l’origine, pourvoyeuses de biens : fruits sauvages (mûres, noisettes, voire fruits d’arbres fruitiers) ou bois de chauffage à l’origine de la taille « en têtard » des arbres, dont la silhouette typique inspira de nombreux peintres. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581310/original/file-20240312-22-f31n8t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La motivation initiale de la création des haies était donc purement utilitaire. Elles ont accompagné, entre la fin du 18ème et la fin du 19ème siècle, le développement des grands systèmes bocagers français, en complétant une trame jusque-là concentrée autour des villages, remontant parfois au Haut Moyen Âge.</p>
<p>Aujourd’hui, leur vocation a été oubliée ; plus de 1,4 million de kilomètres de haies anciennes ont été arrachées, perçues comme un obstacle à la circulation des engins agricoles et comme une perte de surface cultivable. Selon le <a href="https://agriculture.gouv.fr/la-haie-levier-de-la-planification-ecologique">Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux [MOU2]</a> « depuis 1950, 70 % des haies ont disparu des bocages français ». Le phénomène s’accélère même puisque, d’après le même rapport, 23 500 km de haies ont été annuellement détruits entre 2017 et 2021, contre 10 400 km entre 2006 et 2014.</p>
<p>Paradoxalement, dans le même temps, on replante des haies là où il n’y en avait pas, pour compenser la destruction d’autres haies ou pour réintroduire un peu de « naturalité » dans des paysages de grandes cultures. Mais les politiques d’incitation à la création de haies se sont traduites par la replantation de seulement 3 000 km de haies par an, avec parfois des espèces peu adaptées ou exotiques.</p>
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<h2>La haie ancienne est un réservoir de biodiversité</h2>
<p>Maintenant, observons un peu ce qui se passe à l’intérieur d’une haie. La haie est un objet hybride : une création humaine artificielle qui se naturalise au fil du temps, et dont l’ensauvagement progressif efface peu à peu l’artificialité au point qu’elle devienne un habitat presque « naturel ». <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jvs.12845">Un nombre croissant d’espèces végétales, animales et microbiennes la colonise alors spontanément</a> : d’abord des espèces « généralistes », participant à la biodiversité ordinaire, puis, au fil des siècles, des espèces de plus en plus « spécialistes », notamment forestières, à la valeur patrimoniale importante. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581253/original/file-20240312-28-v7a8cf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Parallèlement, la structuration verticale et horizontale de la haie se complexifie, créant autant de micro-habitats pour une grande diversité d’espèces. Ni ouverte, ni forestière, la haie constitue un habitat semi-naturel unique : entre 60 et 80 % des espèces animales des campagnes s’y nourrissent ou s’y reproduisent. Si la haie est implantée sur un talus ou au bord d’un chemin creux, abeilles sauvages solitaires et mammifères fouisseurs y creusent leur terrier. Les tas de pierres attirent lézards, serpents et amphibiens. L’exploitation et l’entretien des haies contribuent également à en accroître la biodiversité, en favorisant par exemple la formation de cavités dans les troncs des vieux arbres de la haie, propices à de nombreux invertébrés, oiseaux et mammifères parmi les plus menacés dans les paysages agricoles.</p>
<p>À l’échelle du paysage, les haies forment également un réseau relié à des éléments forestiers ou à des zones humides, facilitant ainsi la circulation de nombreux organismes d’un milieu à l’autre et abritant par-là une diversité plus importante. Les haies les mieux préservées des usages agricoles adjacents, souvent les plus larges et les plus hautes, sont les plus riches et doivent être conservées prioritairement. Il existe en effet une relation entre l’ancienneté d’une haie et sa biodiversité : une nouvelle haie n’offrira pas avant longtemps la richesse en espèces d’une haie ancienne détruite ailleurs ; il faudra plusieurs siècles, si les espèces n’ont pas disparu entre-temps.</p>
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<a href="https://theconversation.com/climat-biodiversite-le-retour-gagnant-des-arbres-champetres-174944">Climat, biodiversité : le retour gagnant des arbres champêtres</a>
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<h2>La haie ancienne rend de multiples services à l’Homme</h2>
<p>Si la haie a donc été créée pour répondre à des objectifs humains, avant de devenir un important réservoir de biodiversité, elle demeure aujourd’hui pourvoyeuse de nombreux services bénéfiques à l’Homme et au fonctionnement des écosystèmes.</p>
<p>Pour comprendre cela, il faut notamment s’intéresser à la partie souterraine des haies. </p>
<p>L’enracinement des arbres et arbustes est plus profond que pour leurs congénères forestiers : la <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-defi-alimentaire-9782701175836.html">majorité des racines des arbres forestiers</a> se trouvent dans le premier mètre cinquante du sol, tandis que les racines des arbres agroforestiers se concentrent entre 1 et 3 m. Les végétaux des haies freinent de ce fait l’écoulement de l’eau en surface et favorisent son infiltration dans les sols, ainsi que sa remontée par capillarité lors d’épisodes de sécheresse.</p>
<p>Les haies stabilisent également les sols, réduisent la lixiviation des particules limoneuses les plus fines et le lessivage des engrais et pesticides. L’actualité récente a démontré comment la disparition de haies aggravait les inondations lors d’épisodes pluvieux exceptionnels… Alliée des populations locales, mais aussi des agriculteurs, la haie limite l’érosion des sols et les enrichit en matière organique et en nutriments via son tapis de feuilles et de bois morts. Les produits de taille peuvent aussi, après broyage, servir de couvre-sol remplaçant les herbicides.</p>
<p>Les haies peuvent aussi contribuer à améliorer la qualité de l’eau, en fixant certains polluants tels les nitrates ou les métaux lourds lorsqu’ils sont présents dans l’eau de ruissellement. Elles participent aussi à une meilleure qualité de l’air, en interceptant les pesticides volatilisés lorsqu’ils sont épandus par temps chaud.</p>
<p>Les haies, enfin, créent des conditions microclimatiques favorables, par un effet « climatiseur » qui met les cultures et le bétail à l’abri des vagues de chaleur, du vent sec et des gelées tardives. Leur effet « brise-vent » s’étend jusqu’à une distance de dix à vingt fois leur hauteur. À l’heure des changements climatiques, cet effet « tampon » salvateur est plus que bienvenu. Dans ce contexte, selon l’<a href="https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/5388-stocks-de-bois-et-de-carbone-dans-les-haies-bocageres-francaises.html">ADEME</a>, les haies fixent et stockent au moins 100 tonnes de carbone par kilomètre linéaire, via les troncs, les branches et les feuilles mais aussi leur système racinaire.</p>
<p>Face à l’étendue de ces services écosystémiques, on objecte parfois que les haies seraient des réservoirs de maladies et de bioagresseurs des cultures. Si ce fait est indéniable, l’impact actuel sur les rendements des cultures reste cependant très limité et bien inférieur aux bénéfices apportés par les organismes auxiliaires vivant dans les haies : pollinisateurs des cultures ou prédateurs des bioagresseurs (insectes, araignées, rapaces, chauve-souris…). Or ces auxiliaires sont d’autant plus nombreux et abondants que la haie est ancienne, et de ce fait riche en espèces. Ainsi, selon un <a href="https://www.inrae.fr/actualites/augmenter-diversite-vegetale-espaces-agricoles-proteger-cultures">rapport de l’INRAE de 2022</a>, une haie réduit de 84 % l’abondance de bioagresseurs dans les cultures adjacentes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/planter-des-arbres-venus-de-regions-seches-la-migration-assistee-une-fausse-bonne-idee-221340">Planter des arbres venus de régions sèches : la « migration assistée », une fausse bonne idée ?</a>
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<h2>Préserver les haies anciennes avant d’en planter de nouvelles</h2>
<p>Combinés, tous ces services améliorent le rendement des cultures et le potentiel fourrager des prairies, avec une intensité qui dépend des types de sol, de la composition et de l’ancienneté des haies et des modes de culture. La possible baisse de productivité liée à la surface de production occupée par la haie et à l’effet « lisière » en bordure de celle-ci, est insignifiante au regard de l’augmentation des services apportés par la biodiversité qu’elle renferme, mais une haie nouvellement plantée mettra plusieurs décennies voire siècles à rendre les mêmes services qu’une haie ancienne. Malheureusement, les acteurs du monde agricole et les décideurs méconnaissent cette réalité : l’arrachage d’une haie amène, à moyen terme, davantage de pertes que de gains.</p>
<p>De fait, le <a href="https://agriculture.gouv.fr/pacte-en-faveur-de-la-haie">« pacte en faveur de la haie »</a> du gouvernement, qui vise à « arrêter la saignée » en plantant « en quantité et qualité » 50 000 km de haies d’ici 2030, ne pourra jamais compenser la destruction des haies anciennes qui se poursuit, car un kilomètre de haies nouvelles n’équivaut pas à un kilomètre de haies anciennes. « Déplacer » une haie ne conserve ni la biodiversité qu’elle hébergeait, ni la qualité et la quantité des services qu’elle rendait. La préservation des haies anciennes est donc une urgence, au nom de la sauvegarde d’un patrimoine historique, culturel et naturel inestimable, non seulement compatible mais vital pour l’agriculture du 21ème siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225108/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Decocq est vice-président de la Société botanique de France</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mouly est membre du conseil d'administration de la Société botanique de France. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Déborah Closset est membre du conseil d'administration de la Société Botanique de France</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc-André Selosse est membre du conseil d'administration de la Société botanique de France. Son laboratoire a reçu des financements de l'ANR, du NCN (fond polonais pour la recherche) et de la Fondation de France. Il est membre des conseils scientifique de Mycophyto et Pour une Agriculture du Vivant.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Botineau est membre de la Société botanique de France</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-Antoine Précigout est membre du conseil scientifique de la Société botanique de France. Ses travaux sur les haies au sein de l'INRAE ont été en partie financés par le projet TRAVERSéES (TRAjectoires de transition VErtueuses pour la Réduction des usages des pesticides aSsociant les leviers Ecologiques, Economiques, Sociaux et institutionnels à l’échelle du territoire, 2020-2024) soutenu par le Ministère de la Transition Ecologique, le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, le Ministère des Solidarités et de la Santé, le Ministère de l'Enseignement Supérieur de la Recherche et de l'Innovation et l'Office Français de la Biodiversité (Appel à projets "Leviers territoriaux pour réduire l’utilisation et les risques liés aux produits phytopharmaceutiques" du plan Ecophyto II+).</span></em></p>Une nouvelle haie n'offrira pas avant longtemps la richesse en espèces d’une haie ancienne détruite ailleurs ; il faudra pour cela plusieurs siècles, si les espèces n’ont pas disparu entre-temps.Guillaume Decocq, Professeur en sciences végétales et fongiques, directeur de l’UMR EDYSAN, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Arnaud Mouly, Maître de Conférences en Systématique et Ecologie Végétales, Université de Franche-Comté – UBFCDéborah Closset, Maitre de conférences en écologie forestière, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Marc-André Selosse, Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, Professeur invité aux universités de Gdansk (Pologne) & Viçosa (Brésil), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Michel Botineau, professeur de botanique, Université de LimogesPierre-Antoine Précigout, Chargé de recherche en agroécologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2217642024-03-12T16:04:05Z2024-03-12T16:04:05ZQuand les cormorans huppés collaborent avec les biologistes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580672/original/file-20240308-30-hix4g6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2619%2C2005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Par les pelotes qu'ils rejettent, les cormorans livrent régulièrement de précieuses informations sur la biodiversité marine aux scientifiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">Philippe Maes/Université Bretagne Sud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Voici une pelote de réjection de cormoran huppé, <em>Gulosus aristotelis</em>, posée sur la vitre d’un scanner de bureau. Je l’ai ramassée avec beaucoup d’autres en mai 2012 sur l’îlot Er Valueg, non loin de l’île de Houat, à une quinzaine de kilomètres au large de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bretagne-35081">côte du Morbihan</a>. Ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/oiseaux-20808">oiseaux</a> marins rejettent à peu près une pelote par jour sur les îlots qu’ils fréquentent toute l’année. Ils s’y retrouvent en période de reproduction mais aussi le reste du temps pour se toiletter, interagir socialement, digérer, dormir, et aussi… pour régurgiter des pelotes entre deux sessions de pêche en mer.</p>
<p>Les pelotes contiennent les restes non digérés des proies des cormorans. Ils attrapent et engloutissent tout ce qui bouge sous la surface de la mer : essentiellement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/poissons-21149">poissons</a>, mais aussi des crevettes et d’autres crustacés. Parmi ces restes, on peut voir ici des fragments de crâne, des vertèbres et même, au centre de la pelote sur cette image, la petite bille transparente d’un cristallin, reste indigeste d’un œil de poisson.</p>
<h2>Récolteur de pelotes</h2>
<p>Si je suis devenu ramasseur de pelotes, c’est en fait pour étudier la biodiversité marine. Peu de recherches sont menées pour caractériser les peuplements de poissons côtiers, qui entrent largement dans le régime alimentaire d’<a href="https://www.documentation.eauetbiodiversite.fr/notice/00000000015df173f15a0ec0cffbb6ff">espèces exploitées par la pêche</a>. Ainsi, merlans, merlus, lieus, bars, des poissons habituels des étals de nos marchés, sont <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.0022-1112.2004.00400.x">des prédateurs de petites espèces côtières communes</a> tels le lançon ou le tacaud, sans grande valeur commerciale. De plus, ces petites espèces abondantes et ordinaires sont une composante essentielle de la biodiversité marine, un peu comme le sont les oiseaux communs de nos jardins. Ainsi leur suivi temporel à long terme permet de réaliser un état des lieux des écosystèmes et nous renseigne globalement sur leur évolution.</p>
<p>Il est donc intéressant de mieux connaître l’état des peuplements de ces espèces. L’abondance des différentes espèces fluctue-t-elle avec les saisons ? Ou d’une année à l’autre ? Est-elle dépendante de facteurs environnementaux comme la température et donc du réchauffement global ? Le biologiste peut aussi avoir besoin de mesurer certains paramètres biologiques de ces espèces comme leur vitesse de croissance ou encore de déterminer quelle est leur période de reproduction.</p>
<p>Mais pour répondre à ces questions, il faut des moyens en mer : bateaux, lignes, filets… Il faut aussi prélever des spécimens toute l’année, par tous les temps, en toutes saisons. Et répéter ces campagnes plusieurs années de suite, pour consolider les données. La méthode est à la hauteur du questionnement, mais coûte très cher et demande beaucoup de temps et d’énergie. Idéalement il faudrait, pour le chercheur biologiste que je suis, sous-traiter cette phase de prélèvements : trouver une main-d’œuvre motivée, compétente et capable d’échantillonner à bas coût par tout temps. Bref, il faut un plan B.</p>
<h2>Des déchets pleins de données</h2>
<p>La main-d’œuvre est justement fournie par les cormorans huppés et la pelote sur l’image montre comment ils nous font parvenir leurs échantillons. De fait, il est possible d’en ramasser tout au long de l’année sur les îlots de la côte sud-morbihannaise où stationnent les cormorans. Ensuite, au laboratoire, en triant et étudiant les restes non digérés qui s’y trouvent, nous obtenons des indices sur ce que ces oiseaux marins chassent et mangent, et donc sur les espèces de poissons présentes dans les zones prospectées.</p>
<p>Les éléments qui nous intéressent tout particulièrement ici sont les « otolithes » : ces petites concrétions blanches en forme d’écaille ou de pointe de lance visibles sur l’image. L’otolithe, littéralement « pierre d’oreille », fait partie de l’oreille interne des poissons osseux, organe de l’équilibre qui leur permet de capter et ressentir leurs mouvements dans les trois directions de l’espace.</p>
<p>La forme des otolithes est <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-the-marine-biological-association-of-the-united-kingdom/article/abs/t-harkonen-guide-to-the-otoliths-of-the-bony-fishes-of-the-northeast-atlantic-256-pp-hellerup-denmark-danbiu-aps-1986-price-5200/9D245F52472A7FD0D81EB5262EDA427C">propre à chaque espèce de poisson</a>. Ce sont eux qui nous permettent d’identifier les proies des cormorans huppés, de les dénombrer, et même d’en calculer la taille ou la masse, celles-ci étant proportionnelles à la longueur de l’otolithe. On peut mentionner que ces otolithes enregistrent aussi les caractéristiques du milieu dans lequel a vécu le poisson, entre leurs cernes de croissance semblables à celles des arbres, <a href="https://www.inc.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/biodiversite-lotolithe-un-gps-chimique-dans-loreille-des-poissons">mais c’est une autre histoire</a>.</p>
<h2>Reconstituer les cycles de vie des petits poissons côtiers</h2>
<p>Notre suivi à long terme montre qu’une bonne vingtaine d’espèces différentes peuvent être capturées par les cormorans de la côte sud du Morbihan. Certaines sont présentes toute l’année, d’autres nettement saisonnières. C’est le cas du chabot par exemple, un poisson benthique (c’est-à-dire vivant sur le fond de l’océan). La <a href="https://cdnsciencepub.com/doi/10.1139/f70-227">littérature mentionne</a> que les chabots mâles, qui surveillent et défendent leurs œufs, ne fuient pas les prédateurs, voire même les attaquent, et ce quelle que soit leur taille. Ce comportement expliquant l’abondance d’otolithes de chabot dans les pelotes en hiver et la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1095-8649.2002.tb02489.x">surmortalité des mâles à cette période</a>. Le gobie est capturé pour les mêmes raisons mais un peu plus tard que le chabot, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1095-8649.2002.tb01743.x">sa reproduction s’étendant d’avril à août</a>.</p>
<p>Autre exemple : le tacaud commun, un poisson à croissance rapide se reproduisant en fin d’hiver. Ici, les adultes sont trop gros pour les cormorans, et les otolithes vus dans les pelotes à partir d’avril-mai correspondent exclusivement à la capture de jeunes tacauds de l’année. Leur croissance peut être déduite des longueurs d’otolithes mesurées au fil des mois. On sait ainsi que de mai à septembre leur croissance est linéaire et d’environ 7 cm. En déduisant la date correspondant à de jeunes tacauds de 0 cm, on peut aussi remonter à la date de ponte, qui se situe vers la 3<sup>e</sup> semaine de mars. Intéressant à savoir quand on sait que le tacaud est au menu du merlu, espèce pêchée et d’intérêt économique.</p>
<p>Sans s’en douter, le cormoran huppé est devenu un collaborateur, un auxiliaire du biologiste, fonctionnant comme un engin de pêche à maille fine rapportant dans ses pelotes un échantillonnage régulier et ininterrompu de petits poissons côtiers communs. Dans le contexte actuel, où les changements globaux impriment des modifications de plus en plus importantes dans le fonctionnement des écosystèmes, ce type de suivi à long terme fournit un jeu de données permettant de décrire un état biologique initial des écosystèmes côtiers. Cela permet de dresser une sorte de « point zéro » auquel se référer en cas de grosse variation climatique ou d’un accident environnemental imprévu. Ce travail de suivi permet de voir qu’en réalité, l’état initial est dynamique et caractérisé par de fortes variations saisonnières ou interannuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Maes a reçu des financements de l'Agence des Aires Marines Protégées</span></em></p>Cette pelote, constituée des restes de proies non digérés par un cormoran, contient de précieuses données que les biologistes qui les ramassent utilisent pour suivre la biodiversité marine.Philippe Maes, Maître de conférences en biologie marine, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252092024-03-07T10:40:46Z2024-03-07T10:40:46ZQuelle place pour le Sud global dans la décroissance ?<p>Le constat est sans appel : les activités humaines sont la principale cause du réchauffement climatique mais aussi d’autres crises environnementales, telles que l’aggravation de la perte de biodiversité. Cependant, la question sur les mesures à prendre pour faire face à ces crises reste elle sujet à débat. Dans les milieux politiques, la solution la plus promue demeure celle la « croissance verte », qui consiste à rendre les activités économiques respectueuses de l’environnement.</p>
<h2>Décroissance ou croissance verte ?</h2>
<p>Mais l’idée de croissance verte n’implique pas de réduire les activités économiques pour éviter la destruction de l’environnement. Bien au contraire, les économies du monde entier y sont encouragées à poursuivre leur croissance. Les détracteurs du concept de croissance verte soulignent dès lors le succès limité de cette approche, en convoquant pour cela l’évolution de la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité, ces dernières décennies.</p>
<p>Malgré les efforts déployés depuis les années 1970 en matière de politique climatique mondiale, les émissions continuent d’augmenter de manière exponentielle : comme le montre le <a href="https://wir2022.wid.world/">Rapport sur les inégalités dans le monde</a>, près de la moitié des émissions historiques ont été émises après 1990. Il semble ainsi que le <em>statu quo</em> actuel, fait de petits changements politiques, d’innovations technologiques ou de modifications du comportement humain ne suffit pas à empêcher la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Partant de ce constat, le concept de « décroissance » s’impose de plus en plus comme une alternative à la croissance verte, car il constitue une critique plus radicale du paradigme actuel.</p>
<h2>Les origines de la décroissance</h2>
<p>La décroissance est un discours académique et un mouvement militant qui a émergé à la fin des années 2000 en Europe, en particulier en France. Il a été conceptualisé par des penseurs comme le philosophe <a href="https://theconversation.com/re-lire-andre-gorz-le-pere-de-lecologie-politique-francaise-84657">André Gorz</a> et l’économiste <a href="https://www.lemonde.fr/climat/article/2018/12/13/serge-latouche-la-decroissance-vise-le-travailler-moins-pour-travailler-mieux_5397115_1652612.html">Serge Latouche</a>, avant d’être popularisé dans le monde anglo-saxon par des chercheurs comme l’économiste <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2013-1-page-152.htm">Tim Jackson</a>. Ces partisans de la décroissance affirment que l’incapacité à lutter efficacement contre la destruction de l’environnement s’explique en grande partie par le modèle économique mondial actuel, centré sur la croissance économique et le profit. Car ce n’est pas la seule activité « humaine » qui a provoqué le réchauffement de la planète, mais surtout l’activité économique promue par les pays du Nord depuis la révolution industrielle.</p>
<p>À l’origine, cependant, cette critique de la croissance n’était pas toujours liée aux enjeux écologiques. Le mouvement de la décroissance est plutôt né d’une critique du mode de vie occidental, de ses récits de progrès et de développement, et si le volet écologique de cette critique de la croissance a pris de l’ampleur ces dernières années, elle n’était au départ qu’un des nombreux piliers de la critique de la décroissance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580304/original/file-20240306-16-dw08c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« La seule croissance durable, c’est la décroissance » assure ce pochoir.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_Only_Sustainable_Growth_is_Degrowth.jpg">Paul Sableman</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-croissance-verte-de-moins-en-moins-credible-pour-les-universitaires-213965">La croissance verte de moins en moins crédible pour les universitaires</a>
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<h2>Qu’en est-il des pays du Sud ?</h2>
<p>Aujourd’hui, la majorité des spécialistes de la décroissance affirment que, puisque les pays du Nord sont responsables de la plupart des dégâts environnementaux sur notre planète, ce sont principalement ces pays qui devraient réduire leur activité économique pour éviter une catastrophe écologique. Mais qu’en est-il des pays du Sud ? La décroissance s’applique-t-elle aussi à eux ? Doivent-ils également « décroître » ? Mais est-ce que cela n’impliquerait pas, alors, une démarche néo-coloniale, où les pays du Nord définissent à nouveau l’ordre du jour du développement mondial ? D’autant plus que certains pays plus pauvres pourraient avoir besoin de croître pour lutter contre la pauvreté. Et si la décroissance ne s’appliquait dès lors qu’au Nord, n’impacterait-elle pas quand même le Sud ? Et ces effets seraient-ils bons ou mauvais pour les habitants des pays les plus pauvres ?</p>
<p>Nous avons voulu trouver des réponses à toutes ces questions et avons pour cela passé en revue la littérature académique sur la décroissance. En partant d’environ 1000 publications sur la décroissance, nous avons abouti à un ensemble de 52 publications qui évoquaient tout à la fois la décroissance et le Sud global. Ironiquement, la majorité d’entre elles était rédigée par des chercheurs du Nord.</p>
<p>Une lecture attentive de ces publications a révélé l’existence d’une série de réponses nuancées à ces questions, que l’on peut grosso modo diviser en deux positions : celles qui soulignent les « défis » qu’il y à à allier les appels à la décroissance et les préoccupations du Sud global, et celles qui en présentent les synergies.</p>
<p>Lorsqu’on se penche, d’abord, sur les défenseurs de la décroissance partisans d’une synergie avec les enjeux des Sud, on retrouve trois arguments principaux. La décroissance serait inspirée par des penseurs du Sud, la décroissance permettrait d’achever la décolonisation des Sud, enfin, la dépendance à l’égard de la croissance serait tout aussi problématique dans les Nord et dans les Sud.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Des penseurs et mouvements du Sud comme source d’inspiration et comme alliés</h2>
<p>Les partisans de la décroissance soulignent souvent que nombre de leurs idées originelles ne proviennent pas des universitaires occidentaux qui ont inventé le terme « décroissance », mais plutôt de voix autochtones, d’universitaires et de mouvements d’activistes des Sud. Sont par exemple <a href="https://eprints.lse.ac.uk/110918/1/1_s2.0_S0962629821000640_main.pdf">cités</a> par l’anthropologue Jason Hickel le philosophe et historien d’origine sri-lankaise Ananda Coomaraswamy, le poète, philosophe et réformateur social bengali Rabindranath Tagore ou les économistes indiens Radhakamal Mukerjee et J.C. Kumarappa.</p>
<p>Bien que ces penseurs n’utilisent pas le terme « décroissance », mais se réfèrent plus fréquemment à des concepts tels que le <em>Sumak kawsay</em> (<a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2018-1-page-66.htm">« ou Buen Vivir »</a>) latino-américain ou l’<a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2011-3-page-44.htm"><em>Ubuntu</em></a> africain, leurs idées et leurs concepts ont été une source d’inspiration essentielle pour le développement du discours sur la décroissance dans les pays du Nord. C’est cet argument qui est de loin le plus souvent avancé dans la littérature sur la décroissance et le Sud.</p>
<h2>La décroissance au Nord comme décolonisation du Sud</h2>
<p>Au-delà des similitudes au niveau conceptuel, la décroissance pourrait également fournir une occasion concrète de briser la division inégale du travail à l’échelle mondiale. Dimension visible notamment par l’extraction des ressources principalement effectuée dans le Sud et souvent associée à des coûts sociaux et écologiques considérables.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580303/original/file-20240306-23-qw84vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue aérienne d’une mine d’or au Brésil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/aerial-view-gold-mining-area-amazon-1162062136">Tarcisio Schnaider/Shutterstock</a></span>
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<p>Ces matières premières sont ensuite exportées vers le Nord, où elles sont transformées en biens de consommation et souvent revendues au Sud. Cependant, la plupart des bénéfices économiques restent dans les pays déjà riches du Nord. L’argument selon lequel le Nord devrait dès lors <a href="https://www.researchgate.net/publication/260161434_What_is_Degrowth_From_an_Activist_Slogan_to_a_Social_Movement">« payer pour l’exploitation coloniale passée et présente dans le Sud »</a>, pour emprunter les mots du chercheur en écologie politique Federico Demaria et de ses co-auteurs, est au cœur de ce cadrage très typique du discours contemporain sur la décroissance.</p>
<h2>La dépendance à l’égard de la croissance est problématique dans le Nord comme dans le Sud</h2>
<p>Enfin, plusieurs chercheurs affirment qu’il n’est jamais bon pour un pays de dépendre de la croissance économique pour assurer sa stabilité sociétale, que ce pays soit situé au Nord ou au Sud. Ils soulignent qu’à elle seule, la croissance ne permet pas de sortir de la pauvreté : la distribution des richesses et les institutions sont tout aussi importantes, si ce n’est plus.</p>
<p>Si la décroissance est comprise comme un appel à rendre les économies plus indépendantes de la croissance, c’est-à-dire à rendre les prestations sociales et le bien-être des personnes moins dépendants d’une économie en expansion constante, alors la décroissance dans ce sens pourrait s’appliquer à la fois au Nord et au Sud, « en empêchant les pays du Sud d’être <a href="https://www.fayard.fr/livre/petit-traite-de-la-decroissance-sereine-9782755500073/">piégés dans l’impasse</a> » à laquelle les économies de croissance conduiraient pour Serge Latouche.</p>
<p>Environ deux tiers des articles sur la décroissance et le Sud global suivent cette vision d’une synergie entre décroissance des Nord et intérêts des Sud. Mais, d’autres chercheurs évoquent eux les défis qu’il y a à lier les deux.</p>
<h2>La décroissance est un concept inadapté au Sud</h2>
<p>Certains soulignent par exemple que le cadrage et l’orientation théorique de la décroissance appliqués aux Sud ne sont tout simplement pas très attrayants pour ses habitants des pays du Sud.</p>
<p>S’appuyant sur des entretiens avec des universitaires et des activistes du Sud, ces sources affirment que le langage de la décroissance est souvent exclusivement axé sur le contexte du Nord, que ses débats sont trop détachés des luttes concrètes auxquelles les gens sont confrontés dans le Sud, et que le cadre général est trop eurocentré.</p>
<p>Ainsi, même si les mouvements et les universitaires du Sud sont d’accord avec certaines des idées de la décroissance, ils ne veulent pas utiliser son langage. En d’autres termes, le Nord pourrait continuer à apprendre du Sud, mais le Sud a très peu à apprendre de la décroissance en tant que concept, et plutôt que de se présenter comme une alliance naturelle, les chercheurs du Nord et du Sud devraient <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800918307626">« renforcer les synergies potentielles, par une reconnaissance affirmée des barrières »</a> soulignent par exemple l’économiste Beatriz Rodríguez Labajos et ses co-auteurs.</p>
<h2>Le danger de la décroissance en tant que projet néocolonial</h2>
<p>De même, si la décroissance, en tant que concept occidental, était imposée au Sud comme un concept pour tous, il ne s’agirait dès lors d’un projet néocolonial. En outre, les critiques affirment que dans le système économique mondial actuel, la décroissance dans les pays du Sud signifierait que ces pays seraient privés de la voie vers la prospérité que les pays du Nord ont empruntée, souvent sur le dos de ces pays plus pauvres.</p>
<p>De fait, le discours de la décroissance ne prête pas assez attention aux racines coloniales du développement, et ce manque d’attention à l’histoire coloniale représente un défi pour ce mouvement, surtout s’il se revendique comme un projet décolonial.</p>
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<iframe src="https://embed.acast.com/$/64c3b1758e16bd0011b77c44/19-changer-de-systeme-croissance-verte-ou-decroissance-avec-?feed=true" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
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<h2>Le problème des dépendances mondiales</h2>
<p>Enfin, il existe des dépendances globales qui provoqueraient des défis pour le Sud si le Nord mettait en œuvre des politiques de décroissance. Ce défi, contrairement aux deux autres, est plus matériel que conceptuel : un nombre important d’individus dans le Sud dépendent d’activités économiques liées aux exportations dans le Nord.</p>
<p>Une réduction de ces activités dans le Nord pourrait dès lors, au moins à court terme, avoir des effets néfastes sur les populations du Sud. Une baisse significative de la demande dans le Nord aurait des répercussions négatives sur de nombreux habitants du Sud, qui tirent leurs revenus de la vente de produits aux clients aisés du Nord.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-rose-rouge-objet-de-la-mondialisation-des-serres-kenyanes-aux-plateformes-de-hollande-223210">La rose rouge, objet de la mondialisation : des serres kenyanes aux plateformes de Hollande</a>
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<h2>Un dilemme fondamental pour la décroissance</h2>
<p>Ce dernier point, l’interdépendance entre le Nord et le Sud, constitue un dilemme pour la décroissance. Car il peut à la fois être perçu comme une motivation et un obstacle à la décroissance. Pour ses partisans, la solution à ce dilemme ne peut être l’abandon de l’idée de décroissance dans le Nord. Comme ils le soulignent, il est cynique de justifier des schémas d’exploitation par l’argument selon lequel l’arrêt de l’exploitation aggraverait encore la situation des exploités. Mais dans le même temps, ils doivent reconnaître que des réformes institutionnelles non négligeables des systèmes internationaux de commerce, de finance, de politique et de droit sont nécessaires si l’on veut éviter des conséquences indésirables pour les populations du Sud.</p>
<p>Mais le mouvement de la décroissance n’a pas encore discuté concrètement de la forme que pourraient prendre ces réformes institutionnelles mondiales. C’est donc l’une des travaux les plus importants pour les spécialistes de la décroissance que de faire avancer ces débats et de formuler des suggestions viables sur la manière d’aborder efficacement le problème des dépendances structurelles mondiales et de concrétiser la promesse d’un changement radical de système pour le bien de tous les habitants de la planète.</p>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudius Gräbner-Radkowitsch est membre du parti Bündnis90/Die Grünen (Les Verts). Il a reçu des subventions de recherche, notamment du FWF autrichien et de la DFG allemande. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Birte Strunk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'inclusion ou non du Sud global dans un scenario décroissant est sujet à de nombreux débats. Car cela implique de penser les dépendances économiques, le risque d'être néocolonial et la dette écologique.Claudius Gräbner-Radkowitsch, Junior Professor of Pluralist Economics, Europa-Universität FlensburgBirte Strunk, PhD candidate in economic, The New SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2236902024-03-06T16:08:44Z2024-03-06T16:08:44ZRestaurer ou réensauvager la nature ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577990/original/file-20240226-23-zie9ae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1999%2C1316&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un loup dans le parc de Yellowstone, au États-Unis.
La réintroduction du loup dans ce parc national est un projet pionnier du ré-ensauvagement </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/oregonstateuniversity/5936762417">Oregon State University/Yellowstone Park/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>En écologie comme ailleurs, les mots qui commencent par « ré » sont à la mode tels la restauration ou le réensauvagement de la nature. Ils se sont imposés, ces dernières années comme divers chemins possibles pour faire face à un problème de taille : la destruction, la dégradation, la pollution des écosystèmes et la perte de biodiversité qui en découle. Ils sont désormais des vocables débattus dans l’arène politique et utilisés par les législateurs, avec par exemple l’adoption, en juillet 2023 d’une proposition de règlement pour la restauration de la nature par le Parlement européen. Mais que décrivent réellement ces deux termes ? Sont-ils antagonistes ? Quelles visions de la nature proposent-ils ? Tâchons de faire le point.</p>
<h2>Aux sources de la restauration écologique et du réensauvagement</h2>
<p>Commençons d’abord par ce qui unit ces deux projets. Tous deux viennent des États-Unis, portent en leur germe une volonté de retour vers un état moins dégradé du vivant mise en évidence par le préfixe « ré ». Tous les deux, enfin, ambitionnent la réparation ou <a href="https://theconversation.com/peut-on-restaurer-la-nature-220297">remédiation des écosystèmes</a> altérés ou détruits.</p>
<p>Mais pour cela, les méthodes employées comme les ambitions divergent sur certains points comme nous avons pu le constater en réalisant une synthèse de la bibliographie scientifique internationale anglophone impliquant la lecture intégrale de pas moins de 215 articles dédiés à ces deux notions.</p>
<p>Ainsi, le réensauvagement encouragerait plus la libre évolution des écosystèmes sans objectif totalement défini, tandis que la restauration écologique serait plutôt axée sur le pilotage des processus naturels vers des objectifs à atteindre notamment en termes de biodiversité et de services rendus par les écosystèmes.</p>
<p>Ces deux orientations sont d’ailleurs notables dès la genèse de ces deux concepts.</p>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/rec.13035">La restauration écologique</a> (traduction de <em>ecological restoration</em>) est définie aujourd’hui comme « le processus d’aide au rétablissement d’un écosystème qui a été dégradé, endommagé ou détruit tout en prenant en compte son intégrité écologique ». Cette approche est apparue dans les années 1930 aux États-Unis où la monoculture du maïs et plusieurs années de sécheresse consécutives avaient généré de terribles tempêtes de poussières « Dust Bowl » ayant entraîné la perte de milliers d’hectares de terres arables.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576575/original/file-20240219-18-jhm56v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image de tempête de poussière approchant Stratford, Texas, en 1935.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://photolib.noaa.gov/Collections/National-Weather-Service/Meteorological-Monsters/Dust/emodule/647/eitem/3001">George Everett Marsh Jr./National Oceanic and Atmospheric Administration/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est alors sous l’impulsion du célèbre naturaliste Aldo Léopold, professeur à l’université de Madison dans le Wisconsin, que furent mises en place dès 1935, les premières expériences de <a href="https://arboretum.wisc.edu/content/uploads/2015/04/16_ArbLeaflet.pdf">restauration écologique de prairies</a> au monde via des techniques de transfert de sol, de foins et de semis de graines d’espèces locales encore très utilisées aujourd’hui.</p>
<p>On le voit bien ici, la restauration advient afin de contrer un problème précis (les tempêtes de poussières et l’érosion des sols consécutive) pour des écosystèmes liés à des intérêts économiques (agriculture – élevage), et implique le déploiement de techniques visant à rétablir des indicateurs précis (la richesse des prairies en espèces locales), dont la présence ou le retour est perçu comme un gage de succès de la démarche.</p>
<p>Le concept de réensauvagement a lui émergé bien plus tard, vers la fin des années 1990 en lien notamment avec les conséquences de la <a href="https://doi.org/10.1016/j.biocon.2011.11.005">réintroduction du loup en 1995 dans le parc national de Yellowstone</a> d’où il avait disparu depuis les années 1930. Cette réintroduction, qui visait avant tout la reconstitution de la faune sauvage originellement présente, y a entraîné d’importants changements (appelés cascades trophiques) transformant même au final les paysages suite à l’action de prédation du loup sur les herbivores sauvages qui y vivaient. Autant de modifications qui, au nom d’un certain laisser-faire, n’ont pas été combattues ou perçues comme néfastes par cette démarche de « réensauvagement ». Celle-ci est définie en 2021, par une <a href="https://doi.org/10.1111/cobi.13730">équipe de chercheurs anglo-saxons</a> comme :</p>
<blockquote>
<p>« le processus de reconstruction d’un écosystème naturel après arrêt des perturbations humaines, en restaurant ses fonctions et chaînes alimentaires afin qu’il redevienne autonome et résilient avec une biocénose (ensemble d’êtres vivants coexistant dans un espace écologique) qui aurait été présente si la perturbation ne s’était pas produite ».</p>
</blockquote>
<p>On voit ici que le but est aussi de retrouver un écosystème pouvant fonctionner de manière autonome mais où l’humain serait moins impliqué dans sa gestion future et qui va bien au-delà de la réintroduction d’espèces sauvages ayant disparu dans tout ou partie de leur aire de distribution historique au regard des résultats</p>
<p>attendus sur toutes les autres composantes des écosystèmes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576570/original/file-20240219-16-2pq4dc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tarpans dits de Bilgoraj. Une souche d’origine polonaise proche des chevaux métissés et probablement féraux de la période historique et protohistorique eux-mêmes descendants du véritable cheval sauvage européen (<em>Equus ferus ferus</em>) disparu au Néolithique et introduit à des fins conservatoires par l’Association pour le retour des grands herbivores dans les espaces naturels (ARTHEN) dans le Bugey (Ain). C’est un exemple de retour au pâturage naturel caractéristique d’une opération de réensauvagement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Clémentine Mutillod, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Outre ces différences dans les concepts, objectifs et méthodes d’intervention ; d’autres divergences existent au niveau des porteurs de ces projets et de la façon dont ils sont perçus. Les opérations de restauration écologiques proviennent plus du monde académique tant au niveau des recherches qui accompagnent ces projets (l’écologie de la restauration) que de leur intégration dans les dispositifs légaux de protection de la nature en France. Les projets de réensauvagement sont par contre, plus portés par le monde associatif et ils sont moins reliés à des laboratoires académiques de recherches. Enfin si la restauration écologique des écosystèmes est maintenant bien acceptée en phase de compensation quand tous les impacts d’un aménagement n’ont pu être évités ou réduits ; le réensauvagement continue à susciter des craintes car il renvoie à une nature dont l’humain serait exclu tant au niveau de la finalité des projets que de leur pilotage.</p>
<h2>Des visions différentes de la nature</h2>
<p>Si la restauration et le réensauvagement portent donc des objectifs qui diffèrent, ces deux démarches se démarquent aussi par des rapports différents à la nature. La restauration écologique consiste plutôt à rétablir des dynamiques avec en ligne de mire un écosystème de référence fonctionnel et/ou à forte valeur patrimoniale bien identifiée, réelle ou théorique comme des prairies traditionnellement pâturées ou fauchées par exemple. L’objectif à atteindre est ainsi explicite et mesurable. Sont alors mises en œuvre des interventions quelquefois lourdes de génie civil pour non seulement dépolluer quand c’est une nécessité préalable, mais aussi déconstruire les héritages des anciennes exploitations destructrices qu’elles soient d’origine industrielle, militaire ou agricole.</p>
<p>À titre d’exemple, dans la plaine de Crau, entre la Camargue et l’étang de Berre, dans le département des Bouches-du-Rhône, des opérations considérables de restauration écologique ont ainsi été réalisées pour convertir un verger intensif de plusieurs centaines d’hectares et réhabiliter une zone polluée par la fuite d’un oléoduc sur cinq hectares. Dans les deux cas, ces interventions ont mobilisé des sommes considérables – plusieurs millions d’euros. Des techniques de génie civil très lourdes ont été utilisées comme l’excavation et le transfert de dizaines de milliers de tonnes de sol, pour une hypothétique restauration à très long terme de l’écosystème de type steppique qui préexistait.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576572/original/file-20240219-28-2lnq7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Restauration de l’écosystème de type steppique de la plaine de Crau par transfert et reconstitution du sol après dépollution suite à une fuite d’hydrocarbures.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Renaud Jaunatre, Institut méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Une autre étape de la restauration écologique est de reconstruire des habitats potentiellement favorables à la flore et à la faune des écosystèmes ciblés comme des mares, des dunes, des zones tourbeuses ou encore des méandres et bras morts de rivière, selon une approche ascendante. Enfin ces opérations peuvent aussi comprendre la réintroduction de certaines espèces de plantes, d’animaux, voire de bactéries ou encore de champignons non seulement par rapport à leur rareté mais aussi parce qu’ils peuvent avoir des rôles majeurs dans le fonctionnement de l’écosystème à restaurer (espèces clés de voûte ou ingénieures des écosystèmes). L’éradication d’espèces non désirées, notamment les espèces exotiques envahissantes, peut aussi y être réalisée.</p>
<p>Enfin, pour terminer, sont remis en place les systèmes de gestion mimant bien souvent des systèmes d’exploitation antérieurs à notre époque, qualifiés de « traditionnels », comme les régimes de pâturage, de fauchage, voire même d’incendies, tous à l’origine de la création et du maintien de la plupart des formations végétales de paysages ouverts en Europe tels les prairies, pelouses, terres de parcours, landes, garrigues, maquis, etc.</p>
<p>Le réensauvagement utilise lui plutôt une approche descendante, impliquant la réintroduction de prédateurs et de grands herbivores quand ils ont disparu. À l’inverse de la restauration écologique, le réensauvagement est communément vu et perçu comme laissant plus de liberté quant au choix de l’écosystème cible, laissant ainsi la possibilité d’utiliser des espèces dites de substitution (lorsque l’espèce sauvage originelle a disparu) pour rétablir certaines fonctions mais alors sans élevage des espèces réintroduites. C’est le cas des nombreuses démarches de réensauvagement qui sont apparus autour de la conservation d’espaces naturels via des opérations d’introduction ou de réintroduction en Europe d’herbivores sauvages (bison d’Europe, cheval Tarpan, cerf Elaphe), reconstitués (Auroch), dé-domestiqués (mouflon méditerranéen, vache Bétizu) ou rustiques (vache Highland Cattle, cheval Camargue, chèvre du Rove).</p>
<p>L’implantation de grands herbivores de races rustiques rentre bien dans le cadre du réensauvagement mais seulement à partir du moment ou leur gestion implique très peu d’interactions avec l’humain. Si grands prédateurs et herbivores peuvent être considérés comme emblématiques des opérations de réensauvagement, d’autres espèces plus discrètes peuvent aussi être réimplantées par exemple des <a href="https://rewildingeurope.com/news/dung-beetle-release-highlights-the-key-role-of-small-critters-in-rewilding/">bousiers</a> ou des <a href="https://theconversation.com/restaurer-la-nature-un-travail-de-fourmis-142750">fourmis</a>. Le réensauvagement n’est pas non plus toujours initié par l’humain à l’image de la reconquête du loup ou du castor dans nos rivières, on parle alors de réensauvagement passif.</p>
<h2>Quel succès pour la restauration écologique et le réensauvagement ?</h2>
<p>Pour la restauration écologique comme pour le réensauvagement, le retour à des écosystèmes historiques ou préhistoriques semble impossible. Les changements climatiques et sociaux-économiques, les héritages des exploitations humaines passées ainsi que la constante évolution du vivant rendent en effet peu probable une restauration muséale d’une nature figée telle une vieille carte postale mais aussi, la création de « Pleistocene Park ».</p>
<p>Par contre, en matière de succès de la restauration écologique, les méta-analyses réalisées depuis les années 2000 sur des centaines d’opérations ont montré des résultats prometteurs avec des impacts en majorité significativement positifs sur la biodiversité par rapport aux états dégradés. Le succès des opérations de réensauvagement est quant à lui beaucoup plus difficile à quantifier car cette approche et le nombre des suivis scientifiques associés sont apparus beaucoup plus récemment.</p>
<p>Dans l’attente de résultats issus de comparaisons entre succès de la restauration écologique et du réensauvagement, nos résultats plaident pour une mutualisation de ces deux approches, car l’une n’exclut pas nécessairement l’autre. Ainsi, elles pourraient contribuer de manière synergique dans l’espace et le temps à améliorer la restauration des espaces dégradés au regard de la très grande variabilité des situations rencontrées à travers le monde.</p>
<p>La restauration active apparaît ainsi comme indispensable quand la dégradation ou la fragmentation a fait franchir à la résilience globale de la nature, des seuils d’irréversibilité que les processus naturels ne pourront jamais franchir. Difficile donc de réensauvager de trop petits espaces enclavés dans des zones urbaines ou d’agriculture intensive, déconnectées de zones naturelles. Impossible également de le faire dans des zones encore polluées chimiquement ou physiquement car recouvert de béton ou de bitume. Par contre, le réensauvagement semblerait particulièrement pertinent dans certains espaces de moyennes montagnes en complément de l’élevage traditionnel pour y diversifier les écosystèmes face à la colonisation forestière tout en intervenant pour permettre la coexistence avec les activités humaines encore présentes.</p>
<p>À une époque où les objectifs internationaux visent à retrouver des fonctions écologiques pour tous les écosystèmes et mettent en avant des <a href="https://theconversation.com/solutions-fondees-sur-la-nature-de-quoi-parle-t-on-exactement-166993">solutions fondées sur la nature</a>, il est plus que temps d’étudier les multiples possibilités offertes par la complémentarité entre ces deux approches. Il serait donc dommage de se priver d’un de ces deux atouts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Dutoit a reçu des financements via l'école doctorale "Sciences et Agrosciences de l'université d'Avignon (ED 536)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clémentine Mutillod a reçu des financements de l'Ecole Doctorale 536 d'Avignon Université. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elise Buisson est membre des conseils d'administration de REVER - Réseau d'Echanges et de Valorisation en Ecologie de la Restauration et de SER-Europe - Society for Ecological Restoration. A reçu des financements via l'école doctorale "Sciences et Agrosciences d'Avignon Université (ED 536)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tatin Laurent est membre du bureau de la commission de sauvegarde des espèces à l'UICN France. </span></em></p>Si certains préconisent la libre évolution, d’autres préfèrent se baser sur des objectifs de biodiversité à atteindre. Deux approches différentes qui correspondent à deux visions de la nature.Thierry Dutoit, Directeur de recherches au CNRS en ingénierie écologique, Université d’Avignon, Institut méditerranéen de la biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE), Aix-Marseille Université (AMU)Clémentine Mutillod, Doctorante en écologie, Université d'Avignon Elise Buisson, Docteur en écologie, Université d'Avignon Tatin Laurent, Docteur en écologie, biologiste de la conservation de la natureLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239272024-03-01T16:30:15Z2024-03-01T16:30:15ZRevoir notre vision de la nature pour réconcilier biodiversité et agriculture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578652/original/file-20240228-24-g22th9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3986%2C2982&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux approches s'opposent : celle du land sparing, qui veut séparer les espace agricoles et ceux de la biodiversité, et celle du land sharing, qui vise à combiner production agricole et conservation de la biodiversité sur les mêmes territoires</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/aerial-view-car-driving-on-road-1675885519">nblx/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’instant était qualifié d’historique par Ursula von der Leyen, elle-même. En <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/declaration-de-la-presidente-von-der-leyen-au-sujet-de-laccord-de-kunming-montreal-sur-la-2022-12-19_fr">décembre 2022</a>, la présidente de la Commission européenne se félicitait de l’<a href="https://theconversation.com/accord-de-kunming-montreal-sur-la-biodiversite-pourquoi-on-peut-vraiment-douter-de-son-efficacite-197183">accord de Kunming-Montréal</a> sur la biodiversité, dont la protection, soulignait-elle, est capitale à l’heure où « la moitié du PIB mondial dépend des services écosystémiques ». Les objectifs de ce traité étaient aussi précis qu’ambitieux : la protection de 30 % des zones terrestres et marines mondiales et la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés.</p>
<p>Un an et demi plus tard, à l’échelle européenne, le report de mesures phares (<a href="https://agriculture.gouv.fr/derogation-lobligation-de-maintenir-des-jacheres-sur-les-terres-arables-pour-la-campagne-pac-2024">4 % de terres arables en jachère</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/291363-glyphosate-une-autorisation-renouvelee-dans-lue-jusquen-2033">interdiction du glyphosate</a>, diminution de <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/mise-en-pause-du-plan-ecophyto-les-ong-vent-debout-contre-le-possible-abandon-du-nodu_6363886.html">l’usage des pesticides</a>…) semble cependant sonner le glas d’une telle ambition. De quoi nous interroger : si les enjeux de protection de la biodiversité sont colossaux, les politiques qui la concernent sont-elles condamnées à cet incessant mouvement d’avancées trop rapidement qualifiées d’historiques et de reculs ? Comment comprendre de tels rétropédalages ?</p>
<p>On explique souvent ces revirements par les limites évidentes d’un système influencé par les intérêts commerciaux et financiers, mais une autre explication est peut-être à trouver dans la vision de l’écologie qui transparaît derrière ces ambitions : celle d’un humain forcément destructeur de la biodiversité. Partant d’un tel a priori, il convient de compartimenter l’espace, d’isoler l’humain de la « Nature » remarquable (dans la <a href="https://biodiv.mnhn.fr/fr/strategie-de-lue-pour-la-biodiversite-lhorizon-2030">stratégie pour la biodiversité 2030 par exemple</a>) et de lui imposer des règles pour <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20231031IPR08714/loi-sur-la-restauration-de-la-nature-les-deputes-concluent-un-accord">l’empêcher de détruire les autres espaces</a>, via les lois sur la restauration de 2023 par exemple. Cette écologie, qui ignore le poids des contextes socio-écologiques comme les dimensions géographiques et territoriales des problèmes, n’a guère de chance de réussir. Voici pourquoi.</p>
<h2>La dimension spatiale n’est pas bien pensée</h2>
<p>L’objectif phare de la <a href="https://biodiversite.gouv.fr/les-objets-phares-de-la-strategie-nationale-pour-la-biodiversite-2030">stratégie biodiversité 2030</a> de l’Union européenne consiste à protéger 30 % des terres et des mers de l’Union européenne, dont le tiers en protection stricte.</p>
<p>Cet objectif répond-il à une nécessité identifiée par les scientifiques ? il est permis d’en douter. De nombreux travaux d’écologues, s’ils soulignent les résultats obtenus pour la conservation d’espèces et d’écosystèmes remarquables,constatent dans le même temps que les aires de protection ne font souvent qu’atténuer la perte de biodiversité. Elles s’avèrent en outre peu adaptées au contexte du changement climatique qui devrait entraîner un déplacement des aires de répartition des espèces et des écosystèmes. Dès lors, est-il judicieux de se focaliser sur des aires de protection alors <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1461-0248.2011.01610.x">que 60 % des espèces actuellement présentes</a> dans les aires de protection européennes ne bénéficieront plus d’un climat adapté en 2080 ?</p>
<p>Cet objectif possède en outre l’inconvénient de concentrer l’attention et les crédits sur la biodiversité remarquable alors que depuis plus de 20 ans les travaux des écologues ont montré le <a href="https://journals.openedition.org/ethnoecologie/1979#tocto2n1">rôle décisif de la biodiversité ordinaire</a> dans le maintien de l’ensemble du vivant.</p>
<p>De plus, les aires de protection restent peu connectées entre elles car entourées d’espaces longtemps délaissés par les politiques de protection.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’alouette des champs fait partie de ces espèces d’oiseaux autrefois ordinaire dans les plaines agricoles qui ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yann Brilland/Flickr</span></span>
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<p>Une telle démarche avait déjà été critiquée lors de la COP15 par <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/12/biodiversity-cop15-biodiversity-deal-a-missed-opportunity-to-protect-indigenous-peoples-rights/">nombre d’associations</a> la considérant comme une émanation de la pensée conservationniste étasunienne, reposant sur la patrimonialisation d’une nature sauvage largement fantasmée. Or l’histoire nous montre que la réalisation d’une telle vision, s’est souvent traduite par la spoliation des terres des communautés locales. Elle paraît donc aujourd’hui inadaptée à bien des situations dans lesquelles les communautés locales vivent en partie de la biodiversité et l’entretiennent avec attention.</p>
<p>Pour les espaces « ordinaires » (notamment les espaces agricoles dégradés), l’UE s’appuie sur une approche de type « land sharing » selon laquelle l’ensemble des espaces doit combiner biodiversité et production agricole : introduction de <a href="https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/150209_fiche-sie_cle49c446.pdf">surfaces d’intérêts ecologiques</a> (haies, bandes enherbées, bosquets…), diminution de 50 % des pesticides, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/bio-secteur-resilient-au-coeur-transition-alimentaire">25 % d’agriculture biologique sur l’ensemble du territoire</a>. Là encore, de nombreux travaux d’écologues et d’agronomes discutent le <a href="https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jzo.12920">bien-fondé d’une telle approche</a>.</p>
<p>Une étude récente menée <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0065250420300301">au niveau européen</a> montre que la coexistence d’espaces d’agriculture bio et conventionnelle adaptée est à privilégier et à équilibrer à l’échelle des territoires, tant en termes de productions agricoles qu’en termes de biodiversité, s’approchant ainsi plus du « land sparing » qui vise à compartimenter les espaces agricoles et les espaces réservés à la biodiversité. <a href="https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jzo.12920">Certains auteurs</a> plaident également au niveau international pour une telle approche. Le débat est ainsi loin d’être clos sur le sujet dans la communauté scientifique avec nombre de travaux avançant l’idée d’une cohabitation des deux modèles en fonction des contextes propres aux différents socio-écosystèmes.L’<a href="https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/etude-4-pour-1000-resume-en-francais-pdf-1_0.pdf">étude de l’Inrae</a> de 2019 sur le carbone dans le sol, indicateur important pour la biodiversité et pour la transition énergétique, conclut ainsi que « La solution la plus efficace est une combinaison de bonnes pratiques aux bons endroits, où chaque région contribue en fonction de ses caractéristiques ».</p>
<p>Faut-il dès lors imposer, sur l’ensemble d’un continent européen morcelé par l’histoire et la géographie, une approche uniformisante fondée sur une démarche quantitative à base d’objectifs chiffrés, de critères, et d’indicateurs bien peu pertinents pour caractériser les dynamiques du vivant et leurs multiples déclinaisons en fonction de contextes variés ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-oiseaux-victimes-collaterales-de-lintensification-agricole-en-europe-223495">Les oiseaux, victimes collatérales de l’intensification agricole en Europe</a>
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<h2>Une approche managériale incapable de mobiliser</h2>
<p>Ouvrir le débat est d’autant plus nécessaire que la stratégie européenne en faveur de la biodiversité peine à susciter l’adhésion.</p>
<p>Ses critères et indicateurs manquent également de justifications scientifiques. Protection légale de 30 % de la superficie terrestre, protection stricte de 30 % des zones protégées ; veiller à ce que 30 % des habitats dégradés atteignent un état favorable ; réduire de moitié l’utilisation de pesticides chimiques, gérer un quart des terres agricoles en agriculture biologique ; réduire l’utilisation des engrais de 25 %… L’accumulation des chiffres n’est pas une garantie de scientificité et le flou masque mal les approximations.</p>
<p>Le chiffre de 30 % est déjà considéré par certains comme insuffisant car il ne constituerait qu’une étape vers les 50 % – le <a href="https://reporterre.net/Pour-sauver-la-vie-sauvage-il-faut-lui-reserver-la-moitie-de-la-Terre">« Half Earth » cher au biologiste américain E.O. Wilson</a>. On ignore également ce que recouvre le terme « protection stricte » : libre évolution ou gestion conservatoire ? et qu’est-ce qu’un état favorable ? Certains, comme l’UICN, parlent de « protection stricte » (Zones I et II de la nomenclature UICN), quand les autres parlent de « protection forte » sans non plus définir véritablement ce terme. Ainsi, en France, par exemple, l’OFB parle de <a href="https://www.ofb.gouv.fr/la-strategie-nationale-pour-les-aires-protegees">1,8 %</a> du territoire national en protection forte, le gouvernement de <a href="https://aides-territoires.beta.gouv.fr/aides/proteger-et-restaurer-les-espaces-naturels-4/">4,2 %</a>.</p>
<p>Faute d’avoir été discutés, ces critères et ces indicateurs apparaissent comme une norme imposée d’en haut sans véritable fondement. L’approche quantitative est vite considérée comme technocratique et mise en cause dans son application : il ne suffit pas, par exemple, de planter une haie pour accroître la biodiversité ; il faut encore la planter avec des espèces différenciées, l’entretenir, la tailler au bon moment, hors des périodes de nidification, qu’elle soit connectée à d’autres haies, bref il faut avoir envie d’entretenir la haie. La quantité ne remplace pas la qualité.</p>
<p>Une telle approche par les seuls indicateurs ne fait au final que des mécontents : les agriculteurs conventionnels qui considèrent les normes comme des handicaps et les agriculteurs engagés dans la transition qui ne bénéficient pas du soutien qu’ils attendent. La démarche top-down se solde alors soit par des reculades comme celle que nous voyons actuellement, soit par des compromis boiteux tel celui qui fut adopté pour le Parc national des forêts en France avec l’autorisation d’exploitation du bois dans la zone cœur du parc et de la chasse dans la réserve dite intégrale normalement exempte de toute activité anthropique. Un compromis entre l’état et les acteurs locaux de la chasse et de la filière-bois qui marque, selon certains juristes, une <a href="https://www.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2020-1-page-81.htm">régression du droit de l’environnement</a>.</p>
<h2>Privilégier le processus, l’engagement, le commun</h2>
<p>Tous ces débats qui traversent le monde scientifique permettent d’esquisser une autre démarche que celle adoptée par l’UE.</p>
<p>Davantage qu’un plan d’action prédéfini, c’est d’une <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/87556">démarche réellement stratégique</a> dont l’Europe a besoin. Il faut bien évidemment développer l’agriculture écologique mais fixer un seuil de 25 % sans connaître l’état futur du marché et de la demande revient à prendre un risque considérable pour la filière agroécologique. Les épisodes récents avec la guerre en Ukraine et la crise agricole soulignent que le réel n’est que rarement conforme aux plans d’action.</p>
<p>Pour que cette stratégie soit efficace, elle se doit également de susciter l’adhésion, de favoriser les engagements en faveur du vivant. Tous les travaux de recherche fondés sur l’étude de cas pratiques soulignent combien <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320718306700">l’adhésion des populations</a> est une condition du succès des actions entreprises. Pourquoi ne pas valoriser davantage l’agriculture de conservation et les pratiques innovantes qui, dans l’agriculture productiviste, permettent de limiter les impacts négatifs voire de protéger un compartiment essentiel de la biodiversité à savoir le sol ? Mieux cibler par ailleurs les aides aux agriculteurs engagés dans la transition, leur assurer une visibilité à long terme est également indispensable.</p>
<p>Sortir enfin d’une démarche qui individualise les choix, qui laisse les agriculteurs souvent seuls face aux difficultés pour soutenir les initiatives territoriales qui existent déjà ou qui cherchent à se développer et qui associent agriculture écologique – biodiversité – alimentation et santé. De tels dispositifs existent déjà (<a href="https://www.ofb.gouv.fr/territoires-engages-pour-la-nature">Territoires engagés pour la Nature</a>, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/territoires-energie-positive-croissance-verte">territoires à énergie positive</a>…) mais restent peu soutenus et peu reconnus. Les développer et les soutenir constituerait un levier d’action pertinent et permettrait la structuration des réseaux d’acteurs motivés.</p>
<p>La politique de l’Union européenne, dans le droit fil de la COP 15, résulte très largement d’une expertise, celle des grandes ONG, qui masque les débats et les interrogations traversant le monde scientifique. Ces débats laissent entrevoir en creux la possibilité d’une écologie humaniste qui prenne en compte les dynamiques en partie incertaines du vivant (humain compris), la diversité des contextes et des histoires et la nécessité de rassembler les énergies <a href="https://www.jstor.org/stable/26677964">pour dépasser les blocages et les verrouillages</a>. Si l’on veut bien sortir d’une approche qui fonctionne de manière indifférenciée avec des objectifs, des critères et des indicateurs, guère pertinents pour tracer les chemins du changement, peut-être pourra-t-on alors dépasser les fausses oppositions, les manipulations et les simplifications et laisser place aux vraies questions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223927/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Simon est expert au sein de "La Fabrique Ecologique"</span></em></p>Un dilemme continue d’animer la recherche sur la biodiversité. Faut-il séparer les espaces agricoles et ceux de la biodiversité, ou combiner production agricole et conservation sur les mêmes terres ?Laurent Simon, Professeur émérite en géographie de l’environnement, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234952024-02-27T16:17:20Z2024-02-27T16:17:20ZLes oiseaux, victimes collatérales de l’intensification agricole en Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575366/original/file-20240213-22-rm2wz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le bruant proyer (Emberiza calandra) a vu sa population décliner en Europe, comme d’autres espèces liées aux milieux agricoles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Luiz Lapa / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les alarmes de la communauté scientifique sur les effets de l’emploi des pesticides sur la santé humaine et la disparition de nombreuses espèces dans les milieux agricoles <a href="https://www.inrae.fr/actualites/biodiversite-services-rendus-nature-que-sait-limpact-pesticides">s’accumulent depuis un demi-siècle</a>. Le <a href="https://wildproject.org/livres/printemps-silencieux-60">travail pionnier de Rachel Carson</a> annonçait dès 1962, des « printemps silencieux » provoqués par le déclin des oiseaux, victimes collatérales des pesticides via l’empoisonnement des milieux et la disparition des insectes.</p>
<p>En cause, un modèle agricole reposant sur une industrialisation toujours plus poussée pour rester compétitif sur le plan international ayant massivement recours aux <a href="https://theconversation.com/plan-ecophyto-tout-comprendre-aux-annonces-du-gouvernement-223571">pesticides</a>. Un modèle toujours plus dominant en France, où les exploitations sont de <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Pri2213/Primeur%202022-13_RA2020_%20VersionD%C3%A9finitive.pdf">moins en moins nombreuses (-40 % depuis 2000)</a> et de plus en plus grandes (leur surface moyenne a été <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277860?sommaire=4318291">multipliée par quatre depuis les années 1960</a>).</p>
<p>Conséquence : la surface agricole couverte par des fermes à forte utilisation de pesticides et d’engrais <a href="https://ec.europa.eu/eurostat">n’a cessé d’augmenter</a>. Si bien que seuls 17 % des sols en Europe ne sont pas contaminés par des <a href="https://solagro.org/focus/atlaspesticides">pesticides</a>. Depuis 2009, plus de 300 000 ha de terres agricoles, souvent fertiles, <a href="https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/determinants-artificialisation-2009-2022">ont disparu sous le bitume</a>.</p>
<p>Au-delà des constats inquiétants et des prophéties, dispose-t-on de preuves scientifiques tangibles et sans équivoque de la dangerosité de ce modèle de production agricole pour le vivant à l’échelle européenne ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pesticides-et-biodiversite-les-liaisons-dangereuses-182815">Pesticides et biodiversité, les liaisons dangereuses</a>
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<h2>De la difficulté à expérimenter sur le vivant en conditions réelles</h2>
<p>L’expérimentation semble à première vue un procédé idéal. Par exemple, faites manger des graines enrobées de pesticides à des moineaux, et ils seront en moins bonne forme. Soit. Le procédé a de grandes chances de fonctionner.</p>
<p>Mais, hors du laboratoire, lorsque les <a href="https://parlonssciences.ca/ressources-pedagogiques/documents-dinformation/determiner-les-variables">variables ne sont plus directement contrôlables</a> par le chercheur, on entre dans un monde complexe où les processus sont causés par de multiples facteurs enchevêtrés. Dans ces conditions, comment construire la preuve de l’effet d’un facteur en particulier sur la santé ou l’environnement ?</p>
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<p>Pour s’affranchir de cette difficulté, la méthode scientifique peut toujours s’appuyer sur des protocoles et des variables de contrôle. Ainsi, l’effet des substances que l’on suppose problématiques et de tous les autres facteurs ayant un effet potentiel ne sera pas manipulé expérimentalement, mais étudié statistiquement.</p>
<p>Car, s’il est déjà un peu brutal de faire manger des pesticides de force à des oiseaux, il est encore plus absurde d’imaginer pouvoir tout expérimenter. On pourra plutôt vérifier si l’emploi d’une quantité croissante de pesticides se manifeste dans le temps par une baisse de la quantité d’insectes. En d’autres termes, on abordera la question sous un angle épidémiologique.</p>
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<a href="https://theconversation.com/debat-scientifique-sur-le-declin-des-insectes-que-reste-t-il-a-prouver-154109">Débat scientifique sur le déclin des insectes : que reste-t-il à prouver ?</a>
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<p>Il y a pourtant un piège. On pourra toujours supposer que ce ne sont pas les pesticides qui sont en cause mais le stress, la pollution de l’air, la sécheresse ou toute variable qui influencerait de près ou de loin le système étudié.</p>
<p>Il fallait donc se donner les moyens d’y voir plus clair. C’est ce que nous avons réalisé avec une équipe de 50 chercheuses et chercheurs dans une <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2216573120">étude à ciel ouvert</a> publiée en mai 2023. Notre motivation était de vérifier si une pression dominait sur les autres, et si oui laquelle, pour expliquer le déclin des populations de nombreuses espèces d’oiseaux en Europe.</p>
<h2>L’ampleur inédite de l’hécatombe dans les milieux agricoles</h2>
<p>Il fallait tout d’abord mettre un chiffre sur ce déclin. Grâce au travail assidu de nombreux ornithologues bénévoles qui ont reproduit chaque année le même protocole de suivi dans 28 pays européens, un jeu de données exceptionnel a pu être constitué, couvrant la période allant de 1980 à 2016. C’était une étape essentielle : partir des oiseaux eux-mêmes dans leurs habitats, pas seulement d’une expérience sur quelques individus isolés en laboratoire.</p>
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<a href="https://theconversation.com/recenser-les-oiseaux-identifier-les-plantes-les-sciences-participatives-font-elles-vraiment-avancer-la-recherche-214008">Recenser les oiseaux, identifier les plantes : les sciences participatives font-elles vraiment avancer la recherche ?</a>
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<p>L’étude a permis de suivre 170 espèces différentes, avec des populations en liberté et subissant de plein fouet les pollutions, le changement climatique, les pratiques de chasse, le dérangement ou encore le risque de prédation.</p>
<p>Loin de nous limiter aux milieux agricoles, nous nous sommes intéressés à tous les habitats : forêts, villes, montagnes, milieux ouverts ou non, cultivés ou non… En résumé, nous sommes allés ausculter l’état de santé des oiseaux européens, sans filtre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577353/original/file-20240222-22-fyycrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un Pic vert cherchant des fourmis au sol.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hedera.Baltica/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Résultat ? Les oiseaux ont perdu un quart de leur abondance en Europe entre 1980 et 2016, soit 800 millions d’individus sur la période, 20 millions par an en moyenne. Une hécatombe, pourtant sans surprise : les oiseaux doivent composer avec les modifications profondes qu’ont connu les paysages et les modes de vie au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Toutes les espèces d’oiseaux ne sont pas affectées de la même manière.</p>
<ul>
<li><p>Par exemple, les oiseaux vivants dans les milieux forestiers ont perdu 18 % de leurs effectifs ;</p></li>
<li><p>Ceux des milieux urbains, 25 %,</p></li>
<li><p>Ce qui est surprenant en revanche c’est l’intensité du déclin, spectaculaire, des oiseaux des plaines agricoles : leur effectif a chuté de 57 % !</p></li>
</ul>
<p>Un record peu enviable : c’est <a href="https://theconversation.com/que-signifie-vraiment-le-declin-des-insectes-pour-la-biodiversite-122676">l’une des baisses les plus spectaculaires</a> jamais enregistrées à cette échelle pour des organismes vivants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-mesure-t-on-la-perte-de-biodiversite-lexemple-de-lafrique-222320">Comment mesure-t-on la perte de biodiversité ? L’exemple de l’Afrique</a>
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<h2>Prouver le lien entre intensification agricole et déclin des oiseaux</h2>
<p>Il fallait aller plus loin pour comprendre à quoi attribuer ce déclin. Or, nous avions à disposition les données idéales pour tester si le climat, les changements d’habitats et le modèle agricole industriel pouvaient être tenus responsables.</p>
<p>Imaginons un instant : dans un lieu précis, par exemple au bord d’un champ de colza, un ou plusieurs ornithologues ont compté chaque année, avec la même méthode, le nombre d’oiseaux. Et, précisément, pour cette année et cet endroit, nous avons aussi à disposition des données comme l’expansion des surfaces en agriculture intensive, l’évolution des températures, de l’étalement des sols artificialisés, ou encore les variations du couvert forestier.</p>
<p>C’est ce procédé, répété sur des milliers de sites dans les 28 pays étudiés, au cours de plusieurs décennies, qui a permis de construire la <a href="https://pecbms.info/">base de données la plus complète</a>, la plus précise, jamais collectée de suivi d’espèces sauvages en Europe.</p>
<p>Cela nous a permis de faire le lien statistique entre devenir des oiseaux et ces multiples pressions, et de construire un deuxième résultat fort : le déclin des espèces coïncide avec l’augmentation de l’intensification des pratiques agricoles. Dans les environnements dans lesquels l’agriculture industrielle est plus présente, et cela, quels que soient le climat et les autres conditions, les oiseaux déclinent plus vite.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pesticides-et-sante-les-agriculteurs-ont-ete-sont-et-seront-les-principales-victimes-de-ces-substances-223102">Pesticides et santé : les agriculteurs ont été, sont et seront les principales victimes de ces substances</a>
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<p>Nous étions toutefois conscients d’un autre piège possible : que ce lien ne soit qu’une simple coïncidence attribuable au hasard. Or, ce n’est pas le cas. Nos analyses montrent que nous ne sommes plus dans le domaine de la corrélation, mais du lien sans équivoque.</p>
<p>Un dernier résultat nous a permis d’ajouter une brique supplémentaire à notre compréhension de la situation : les espèces qui se nourrissent préférentiellement d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/insectes-24857">insectes</a>, éradiqués par les pesticides, sont encore plus impactées que les autres espèces.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-cest-grave-que-les-insectes-disparaissent-206643">Pourquoi c’est grave que les insectes disparaissent ?</a>
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<h2>Réchauffement et artificialisation des sols également en cause</h2>
<p>Bien entendu, l’intensification des pratiques agricoles n’est pas le seul facteur des déclins observés. Le changement climatique, notamment l’élévation des températures, constitue une deuxième pression importante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577359/original/file-20240222-30-ic55iq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une mésange boréale (<em>Poecile Montanus</em>) en plein vol.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Estormiz/Wikimedia</span></span>
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<ul>
<li><p>Les espèces septentrionales, adaptées aux milieux froids (comme la Mésange boréale, qui a décliné de 79 %), remontent vers le nord et voient leurs populations décliner fortement avec l’augmentation des températures.</p></li>
<li><p>À l’inverse, d’autres espèces adaptées aux milieux chauds (comme la Fauvette mélanocéphale, dont la population augmente) peuvent en profiter.</p></li>
</ul>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577363/original/file-20240222-20-sl6uvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le martinet noir ne se pose que pour couver ses œufs, généralement dans des bâtiments en pierre de grande hauteur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre-Marie Epiney/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>L’étalement des zones artificialisées se fait aussi aux dépens des oiseaux, incapables de vivre dans des milieux minéraux et pollués, et dont l’habitat se fragmente.</p>
<p>Même les espèces capables de nicher en milieu urbain sont en recul (comme le Martinet noir, dont les populations ont chuté de 17 %), notamment face au manque de sites disponibles sur les constructions modernes et à la faible abondance d’insectes dans ces milieux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-architectes-peuvent-ils-aider-les-oiseaux-a-ne-pas-secraser-contre-les-vitres-216302">Comment les architectes peuvent-ils aider les oiseaux à ne pas s’écraser contre les vitres ?</a>
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<p>Enfin, le retour du <a href="https://theconversation.com/un-autre-regard-sur-levolution-contemporaine-de-la-foret-francaise-207398">couvert forestier</a> en Europe, encore récent, et souvent le fait de plantations, ne suffit pas à enrayer le déclin des espèces dépendantes de forêts naturelles.</p>
<h2>Semer le doute… et gagner du temps ?</h2>
<p>Des résultats qui devrait nous inciter à <a href="https://theconversation.com/plan-ecophyto-tout-comprendre-aux-annonces-du-gouvernement-223571">réduire drastiquement notre recours aux pesticides</a>. Mais pour les défenseurs de l’agrochimie, le niveau de preuve apporté par la science n’est jamais assez grand.</p>
<p>Une situation qui rappelle celles de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/amiante-42690">amiante</a>, du tabac, ou même l’action des producteurs d’énergie fossile pour <a href="https://theconversation.com/climat-comment-lindustrie-petroliere-veut-nous-faire-porter-le-chapeau-213142">retarder la prise de conscience climatique</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577538/original/file-20240223-18-9alkcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Plusieurs pétroliers, dont Shell, avaient prédit le risque de crise climatique des décennies dès les années 1980.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mike Mozart/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Toutes ces industries ont mis à profit la difficulté inhérente à la construction d’une preuve scientifique afin de gagner du temps, perpétuer le doute, maintenir leur réputation ainsi que leurs profits. <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2013-1-page-462.htm">L’entretien du doute est ainsi devenu stratégique</a>.</p>
<p>Au point que les industriels se sont désormais <a href="https://theconversation.com/le-glyphosate-revelateur-de-linfluence-des-lobbys-industriels-sur-la-science-reglementaire-215604">imposés comme référence scientifique auprès des agences de contrôle, notamment en Europe</a>.</p>
<p>Il est devenu irresponsable de minimiser l’effet du modèle agricole industriel et de ses pesticides et de se cacher derrière de prétendus biais, manque de recul ou supposée absence d’alternatives, <a href="https://www.inrae.fr/actualites/agriculture-europeenne-pesticides-chimiques-2050-resultats-dune-etude-prospective-inedite">qui existent pourtant</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">Pesticides : les alternatives existent, mais les acteurs sont-ils prêts à se remettre en cause ?</a>
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<p>L’utilisation généralisée de pesticides <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fsufs.2022.1027583/full">a un coût social et économique considérable</a>, qui ne se répercute d’ailleurs pas sur les prix dès lors que leur emploi demeure encouragé et subventionné. Sur le plan de la santé humaine, <a href="https://theconversation.com/pesticides-et-sante-les-agriculteurs-ont-ete-sont-et-seront-les-principales-victimes-de-ces-substances-223102">leurs effets sont de mieux en mieux documentés</a>.</p>
<p>Tout devrait pousser à <a href="https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/etude/une-europe-agroecologique-en-2050-une-agriculture">changer ce modèle de production</a>. Comment peut-on se satisfaire de qualifier de « conventionnelle » une agriculture incompatible avec le maintien de la <a href="https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/">santé des humains</a> et des non-humains ?</p>
<p>Les changements nécessaires ne peuvent reposer seulement sur la bonne volonté d’agricultrices et d’agriculteurs empêtrés dans un modèle industriel conçu par et pour l’agro-industrie et inscrit dans un modèle d’exportation régulé par la spéculation ou la recherche du prix le plus faible.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">Une vraie souveraineté alimentaire pour la France</a>
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<p>Ce sont des <a href="https://www.ipbes.net/node/42052">changements transformateurs</a> dans notre manière d’habiter le monde, de produire et de consommer qui sont nécessaires. Les outils politiques devraient être des leviers capables d’amorcer cette transformation, plutôt que de maintenir « quoi qu’il en coûte » un modèle en bout de course.</p>
<p>Il est urgent que les décideurs, aux échelles européenne, nationale et locale, regardent enfin en face les ravages d’une certaine agriculture chimique dépassée qui détruit la vie, piège les paysans et les paysannes et se moque des consommateurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude d’une ampleur inédite a montré le lien entre déclin des oiseaux et agriculture intensive. Une coïncidence, plaide le discours de l’agrochimie. Les chiffres sont pourtant sans équivoques.Vincent Devictor, Directeur de recherche en écologie, Université de MontpellierStanislas Rigal, Postdoctorant en biologie de la conservation, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213622024-02-27T15:41:23Z2024-02-27T15:41:23ZComment migrent les flétans ? Une petite structure dans leur crâne permet de mieux le comprendre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576890/original/file-20240220-18-5yndy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C18%2C3953%2C2999&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les habitats utilisés tout au long de la vie du flétan et les mouvements effectués entre ceux-ci sont difficiles à caractériser.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Charlotte Gauthier)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Hausse des températures, modification des grands courants, diminution de l’oxygène en profondeur : le golfe du Saint-Laurent a subi de <a href="https://theconversation.com/lestuaire-maritime-du-saint-laurent-est-a-bout-de-souffle-180069">grands changements au niveau de ses conditions environnementales</a> dans les dernières décennies. Résultat ? De nombreuses espèces se retrouvent en difficulté et sont donc plus sensibles aux effets de la pêche.</p>
<p>Ces changements se font toutefois au profit de certaines autres espèces, comme le flétan de l’Atlantique, qui bat présentement des records d’abondance avec les valeurs les plus élevées des <a href="https://waves-vagues.dfo-mpo.gc.ca/library-bibliotheque/41206708.pdf">60 dernières années</a>.</p>
<p>Chercheuse en biologie, je propose d’apporter un éclairage sur certains mystères qui planent encore sur cette espèce qui détonne.</p>
<h2>Le flétan de l’Atlantique : champion du golfe du Saint-Laurent</h2>
<p>Le flétan de l’Atlantique est un poisson plat qui habite le fond des eaux du fleuve Saint-Laurent. Il est exploité pour sa chair blanche fine et ferme, très appréciée des consommateurs.</p>
<p>Le flétan peut atteindre des tailles impressionnantes de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23308249.2021.1948502">plus de deux mètres</a>. En raison de la qualité de sa chair et de sa popularité dans les assiettes, il représente actuellement le poisson à la plus haute valeur commerciale de tout le golfe du Saint-Laurent.</p>
<p>Mais cette tendance n’a pas toujours été la même. Dans les années 1950, la portion adulte et exploitable des populations de flétan, que l’on nomme le stock, <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/73/4/1104/2458915?login=false">a subi un déclin majeur en raison de la surpêche</a>.</p>
<p>Dans l’idée de vouloir continuer d’exploiter cette ressource pour une période prolongée, il est impératif de ne pas répéter les mêmes erreurs que dans le passé. Pour y arriver, il est primordial d’avoir une bonne compréhension du cycle de vie du flétan et des effets que la pêche peut avoir sur le stock. Cependant, ce n’est pas complètement chose faite.</p>
<h2>Des enjeux pour une exploitation durable</h2>
<p>On connaît assez bien la biologie de base du flétan de l’Atlantique. Toutefois, les habitats utilisés tout au long de sa vie et les mouvements effectués entre ceux-ci sont plus difficiles à caractériser.</p>
<p>De <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/77/7-8/2890/5923787?login=false">récentes études</a> ont installé des étiquettes satellites sur des flétans pour enregistrer des données sur la profondeur et la température de l’eau où ils se trouvent et ainsi permettre de calculer précisément leurs déplacements. Grâce à cette méthode, les chercheurs ont pu identifier des trajectoires de flétans adultes sur une période d’un an et découvrir qu’ils se reproduisent en hiver dans les chenaux profonds du golfe.</p>
<p>Dans les différentes trajectoires annuelles, les chercheurs ont observé que, l’été, certains flétans demeurent dans les chenaux profonds, alors que d’autres entreprennent des migrations vers les zones moins profondes.</p>
<p>Même avec ces nouvelles informations, plusieurs questions demeurent, spécifiquement sur les plus jeunes stades de vie qui ne sont capturés que de façon anecdotique dans le golfe. Aussi, les étiquettes satellites fournissent des informations précises, mais uniquement sur une période d’un an, ce qui n’offre pas toute l’histoire pour un poisson qui peut vivre jusqu’à 50 ans.</p>
<p>C’est dans cette optique que l’utilisation d’un nouvel outil permettant d’étudier toute la vie des poissons devient fort pertinente.</p>
<h2>Les « os » des oreilles à la rescousse</h2>
<p>Tous les poissons osseux possèdent de petites structures calcaires dans leur oreille interne qu’on nomme otolithes, ou os d’oreilles, et qui remplissent des fonctions d’équilibre et d’audition.</p>
<p>Les otolithes se développent au tout début de la vie des poissons et grandissent au même rythme qu’eux. Les otolithes forment des cernes de croissance annuels qui sont comparables à ceux visibles dans le tronc des arbres.</p>
<p>Pour croître, les otolithes accumulent des éléments chimiques qui se retrouvent dans le milieu dans lequel baigne le poisson. Ainsi, lorsque le poisson se déplace, les éléments chimiques accumulés dans les otolithes seront différents d’un endroit à un autre. Chaque endroit est caractérisé par une combinaison unique de différentes concentrations d’éléments chimiques. C’est ce qu’on appelle une empreinte élémentaire. L’identification de ces empreintes peut donc nous fournir des informations cruciales sur les déplacements des poissons à différents endroits, et ce, tout au long de leur vie.</p>
<p>C’est cette méthode de caractérisation des éléments chimiques des otolithes que j’ai utilisée pour me pencher sur les patrons migratoires du flétan de l’Atlantique dans le golfe du Saint-Laurent.</p>
<h2>Un large spectre de stratégies migratoires</h2>
<p>Pour pouvoir savoir à quelles concentrations d’un élément chimique correspond le lieu de capture du poisson, on utilise l’empreinte de la marge de l’otolithe, c’est-à-dire la matière de la fin du cerne le plus à l’extérieur de l’otolithe, qui a été accumulée en dernier.</p>
<p>On considère que les concentrations des éléments qu’on y retrouve sont caractéristiques du lieu où le poisson a été capturé. En analysant les marges de près de 200 otolithes de flétans provenant d’un peu partout dans le golfe, j’ai pu distinguer deux empreintes élémentaires : une représentative des eaux de surface (moins de 100 mètres de profondeur) et une caractérisant les eaux plus profondes (plus de 100 mètres de profondeur).</p>
<p>Une fois ces empreintes identifiées, j’ai observé la concentration des éléments chimiques sur toute la vie des poissons pour pouvoir associer chaque moment de la vie soit à l’empreinte des eaux de surface, soit à celle des eaux profondes.</p>
<p>En ayant séparé la vie de chacun des individus entre moments passés en eaux de surface ou profondes, j’ai pu ressortir les patrons récurrents et les regrouper en trois stratégies migratoires différentes : les résidents, les migrants annuels et les migrants irréguliers.</p>
<p>Ainsi, j’ai pu observer que les flétans capturés dans le sud du golfe étaient majoritairement des migrants annuels, et donc qu’ils entreprennent des migrations entre les eaux profondes et peu profondes chaque année. Au contraire, dans la partie nord du golfe, on y retrouve une majorité de résidents. Les résidents correspondent à des poissons qui peuvent avoir migré au début de leur vie, mais qui ont fini par s’installer définitivement dans les eaux profondes avant d’avoir atteint la maturité. Les migrants irréguliers, quant à eux, montrent des migrations sur une fréquence plus sporadique, et se retrouvent en proportions similaires partout dans la zone d’étude.</p>
<h2>Sur la bonne voie pour une gestion optimale</h2>
<p>Mon étude est la première à offrir une vision globale des mouvements effectués par les flétans sur toute leur vie.</p>
<p>Ces nouvelles informations permettent de mieux comprendre la structure du stock et la diversité des stratégies migratoires qu’on peut y retrouver.</p>
<p>Considérant que ces stratégies sont réparties différemment selon les zones du golfe, on peut s’assurer de ne pas cibler de manière disproportionnelle les flétans utilisant la même stratégie migratoire et éviter la surpêche d’une seule composante du stock.</p>
<p>De cette manière, il est possible de conserver cette diversité qui bénéficie à la résilience du stock face aux différents changements qui peuvent survenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221362/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Gauthier a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et de la fondation de l'Université du Québec à Chicoutimi. </span></em></p>Le flétan de l’Atlantique revient en force dans le golfe du Saint-Laurent. Mais comment savoir où il se déplace pendant toute sa vie ?Charlotte Gauthier, Étudiante au doctorat, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173312024-02-15T10:46:58Z2024-02-15T10:46:58ZCombien reste-t-il d’éléphants de forêt au Gabon ? Quand la science éclaire le débat sur une espèce en danger critique d’extinction<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569619/original/file-20240116-29-eiq2v9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Distinct de son cousin de savane avec lequel il peut néanmoins s'hybrider, l'éléphant de forêt est aujourd'hui en danger critique d'extinction.</span> <span class="attribution"><span class="source">ANPN</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Connaissez-vous les éléphants de forêt (<em>Loxodonta cyclotis</em>) ? En 2021, ils ont été <a href="https://theconversation.com/new-decisions-by-global-conservation-group-bolster-efforts-to-save-africas-elephants-158157">reconnus comme une espèce à part entière</a> par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Dès 1999, des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0764446999800936">données génétiques</a> ont en effet suggéré l’existence de deux espèces d’éléphants distinctes en Afrique, jusqu’ici suspectées sur la base d’observations morphologiques et comportementales. Il aura fallu encore 20 ans supplémentaires de collecte d’échantillons pour les distinguer définitivement.</p>
<p>Cette espèce discrète, qui vit dans les forêts d’Afrique centrale et de l’Ouest, est pourtant menacée. Dès la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, ses effectifs ont chuté drastiquement. L’UICN l’a classée en 2021 comme « en danger critique d’extinction », une catégorie réservée aux espèces dont les populations ont perdu plus de 80 % de leur effectif en seulement trois générations. On estime aujourd’hui qu’il reste <a href="https://cites.org/sites/default/files/documents/F-SC77-63-01-R1.pdf">moins de 150 000 éléphants de forêt</a>, alors que leur population a pu compter, à son apogée, jusqu’à <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.1993.0042">plusieurs millions d’individus</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>En cause, l’intensification du commerce de l’ivoire dès l’ère industrielle, combinée à une augmentation de la déforestation. La demande d’ivoire, loin de fléchir ces dernières années, a explosé en Asie et a entraîné une résurgence du braconnage d’éléphants en Afrique. Même les populations présentes dans les forêts du bassin du Congo, relativement préservées jusque-là du fait de l’accès difficile de leur habitat, ont fini par être touchées au cours de la dernière décennie. Elles ont ainsi connu une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0059469">perte brutale de plus de 60 % de leurs effectifs et de 30 % de leur habitat</a>. 95 % des forêts de la République démocratique du Congo sont désormais dépourvues d’éléphants.</p>
<p>Mais l’éléphant de forêt est aussi devenu un enjeu sociétal. C’est le cas au Gabon, où l’espèce est la plus abondante, mais où les conflits entre humains et éléphants, entre pertes de récoltes ou de vies humaines, sèment le doute chez les populations : et s’il y avait « trop » d’éléphants de forêt ?</p>
<h2>L’éléphant de forêt, un « ingénieur écologique »</h2>
<p>Plus petit que l’éléphant de savane (<em>Loxodonta africana</em>), l’éléphant de forêt se distingue également par des unités familiales plus réduites, généralement composées d’une ou deux femelles accompagnées de leurs petits. Son régime alimentaire est adapté à un environnement forestier, avec une consommation importante de fruits.</p>
<p>Se déplaçant le long de pistes façonnées par des générations successives, l’éléphant de forêt joue un rôle d’ingénieur écologique et contribue à la dispersion de graines de nombreuses espèces d’arbres (par exemple, <em>Irvingia gabonensis</em> – Andok ; <em>Sacoglottis gabonensis</em> – Ozouga ; <em>Drypetes gossweileri</em> – Doussié rouge). Il est indispensable à l’équilibre des forêts du bassin du Congo et <a href="https://www.nature.com/articles/s41561-019-0395-6">au maintien de leur rôle de puits de carbone</a>.</p>
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<p>Beaucoup reste à découvrir sur l’écologie de l’espèce, encore peu étudiée en raison de son habitat dense, difficile d’accès, ce qui rend les observations rares. Le développement des techniques de suivi indirectes et non-invasives de la faune sauvage, au cours des dernières décennies, a toutefois permis d’améliorer les connaissances sur les espèces forestières, dont l’éléphant de forêt.</p>
<p>À noter que les éléphants de forêt et les éléphants de savane restent deux espèces qui peuvent se reproduire, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26577954/">donnant naissance à des hybrides</a>. Cependant, les analyses génétiques ont démontré que les éléphants de savane et de forêt d’Afrique sont <a href="https://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1000564">aussi distincts que le mammouth laineux (<em>Mammuthus primigenius</em>) et l’éléphant d’Asie (<em>Elephas maximus</em>)</a>.</p>
<h2>Le Gabon, un habitat préservé mais victime des braconniers</h2>
<p>Aujourd’hui, plus de la moitié des individus recensés vivent au Gabon, même si le pays ne représente qu’une petite portion de l’habitat historique de l’espèce. Le pays constitue un habitat exceptionnel, avec un couvert forestier sur plus de 88 % de son territoire, sans barrière physique infranchissable. On y trouve des éléphants aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des aires protégées.</p>
<p>Ces derniers sont aujourd’hui menacés par le développement des industries extractives, de l’agriculture et par le braconnage persistant pour leur ivoire. Le parc national de Minkébé, situé au nord-est du pays, autrefois considéré comme la zone abritant la plus forte densité d’éléphants de forêt connue, a subi une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28222286/">perte de plus de 25 000 individus</a> en une décennie en raison du braconnage intense qui y sévit.</p>
<p>Une étude basée sur le traçage génétique de l’origine des grandes saisies internationales d’ivoire a également identifié le Gabon comme <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aaa2457">l’une des deux principales sources d’ivoire illégal</a> en Afrique. Toutefois, les massacres d’éléphants ont été largement sous-estimés, car il est difficile de recenser des carcasses dissimulées sous la canopée qui se décomposent rapidement. Les patrouilles d’écogardes de l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN) opérant à pied doivent surveiller de vastes zones d’habitat forestier dense et marécageux, ce qui rend la tâche encore plus difficile.</p>
<h2>Des éléphants et des hommes</h2>
<p>Le développement des activités et des infrastructures humaines crée des conflits autour de l’occupation de l’espace. Les conséquences des conflits homme-éléphant peuvent être lourdes pour les populations rurales, avec des pertes de récoltes, voire de vies humaines dans les cas extrêmes.</p>
<p>Au Gabon, cette problématique est devenue un enjeu social et politique majeur, au point que certains médias nationaux avancent l’idée selon laquelle les éléphants seraient devenus trop nombreux. Une étude publiée en 2021 a utilisé une nouvelle approche génétique pour estimer la <a href="https://theconversation.com/a-first-for-large-african-mammals-dna-used-to-count-gabons-endangered-forest-elephants-178233">taille des populations d’éléphants de forêts au Gabon</a>. Ces travaux ont provoqué un vif débat quant à la tendance démographique de l’espèce.</p>
<p>En effet, cette étude a conclu à une population d’environ 95 000 individus, avec un intervalle de confiance compris entre 59 000 et 131 000 individus. Ce chiffre, quoique entouré d’incertitudes, est supérieur aux estimations précédentes notamment celles de 52 000 individus publiée par <a href="https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371/journal.pone.0059469&type=printable">Maisels et al. en 2013</a> et de <a href="https://africanelephantdatabase.org/report/2016/Africa/Central_Africa">70 000 individus publiée par l’UICN en 2016</a>.</p>
<p>Mais le diable est dans les détails : l’intervalle de confiance élevé de la nouvelle estimation de 2021 inclut bien les valeurs hautes des précédentes estimations de 2013 et de 2016.</p>
<h2>La guerre des chiffres</h2>
<p>Pourquoi de tels écarts et de telles marges d’erreur ? Il faut savoir que pendant trente ans, le comptage des éléphants de forêt a principalement reposé sur une technique indirecte basée sur le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1365-2028.2001.00266.x">relevé des fèces d’éléphants</a>. À partir du taux quotidien de défécation évalué par éléphant et la rapidité de décomposition des crottes, on peut calculer la densité d’éléphants. Or, ces deux paramètres présentent une forte variabilité, pouvant passer du simple au double en fonction du lieu et de la saison.</p>
<p>De plus, en l’absence de données sur certains sites, il a souvent fallu extrapoler à partir de modèles statistiques. Le <a href="https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/SSC-OP-060_A.pdf">rapport de l’UICN de 2016</a> soulignait que 90 % des données disponibles pour le Gabon étaient soit trop anciennes, soit considérées comme peu fiables, qualifiées de « suppositions éclairées ». Bien qu’un travail remarquable ait été effectué par <a href="https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371/journal.pone.0059469&type=printable">Maisels et al. en 2013</a> et par l’UICN pour rassembler les sources, il est clair que les chiffres ainsi obtenus sont entourés d’une grande incertitude.</p>
<p>La méthode de l’étude de 2021, réalisée à l’échelle du Gabon, est plus fiable. En effet, elle repose sur l’identification individuelle par ADN, s’affranchissant des problèmes précédents. Mais comme toute méthode d’estimation, elle conserve une marge d’incertitude liée à la taille de l’échantillonnage réalisé. Un effort pour augmenter la taille de l’échantillon étudié, avec les coûts associés, permettrait d’améliorer la précision de l’estimation.</p>
<p>Mais de ce fait, cette étude de référence ne saurait être directement comparée avec les chiffres antérieurs, basés sur une méthodologie trop différente. En d’autres termes, cette étude ne permet pas de conclure à une augmentation de la taille de la population des éléphants de forêt au Gabon.</p>
<h2>Récupérer du braconnage prendra des décennies</h2>
<p>Au contraire, tous les indicateurs pointent une persistance des menaces, avec en tête le braconnage pour l’ivoire. Les densités faibles estimées dans le nord-est du Gabon confirment que les populations d’éléphants de cette région n’ont pas encore récupéré des pertes liées au braconnage. De plus, les <a href="https://cites.org/sites/default/files/documents/F-CoP19-66-06_0.pdf">importantes quantités d’ivoire régulièrement saisies</a> témoignent d’une demande persistante en ivoire en Asie.</p>
<p>La récupération post-braconnage de l’éléphant de forêt prendra des décennies, car le taux d’accroissement des populations de l’espèce est très lent. En effet, les femelles de cette espèce longévive ne se reproduisent pas avant l’âge de 10 ans et donnent souvent naissance à leur premier jeune après l’âge de 23 ans. Le temps de génération (temps écoulé entre la naissance d’une femelle et la naissance de son premier jeune de sexe femelle) de l’espèce est le <a href="https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1365-2664.12764">plus long connu chez les mammifères</a>. Il a par exemple été estimé à 31 ans en République Centre Africaine, contre 24 ans chez les éléphants de savane.</p>
<p>Une simulation menée par des <a href="https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1111/1365-2664.12764">chercheurs en 2017</a> a montré qu’il faudrait au minimum 40 ans pour doubler la taille d’une population d’éléphants de forêt victime du braconnage, quand bien même elle ne serait plus soumise à aucune pression anthropique. Cette étude indique que l’augmentation souvent avancée de 50 % à 100 % des effectifs d’éléphants de forêt au Gabon au cours de la dernière décennie serait tout simplement invraisemblable.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566149/original/file-20231217-19-4c4vdx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Eléphant de forêt dans son habitat naturel, la forêt tropicale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ANPN</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des erreurs d’interprétation au coût élevé</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que des scientifiques mettent en garde contre le risque d’une mauvaise interprétation des estimations de taille de population chez des espèces charismatiques. Une <a href="https://www.pnas.org/doi/pdf/10.1073/pnas.2203244119">équipe de chercheurs a tiré la sonnette d’alarme en 2022</a> sur la politisation des comptages des tigres et des lions, qui a entraîné des politiques de gestion inefficaces.</p>
<p>Il est essentiel de relever et de corriger ces erreurs d’interprétation des chiffres. Le risque serait d’entraîner un relâchement des efforts de protection considérables qui ont été investis, permettant au Gabon de rester l’un des derniers bastions des éléphants de forêt.</p>
<p>Les menaces persistent, aussi bien le braconnage, la perturbation des habitats que les conflits homme-éléphant. L’apparente hausse des conflits hommes-éléphants pourrait être causée par des modifications du comportement des éléphants attribuables aux perturbations de leur habitat, <a href="https://theconversation.com/fruit-famine-is-causing-elephants-to-go-hungry-in-gabon-152757">par une diminution de la disponibilité des fruits sauvages due au réchauffement climatique</a>, voire par le vieillissement des populations humaines dans les zones rurales.</p>
<p>Il est donc crucial de continuer à protéger, à étudier et à recenser de manière rigoureuse les éléphants de forêt, pour générer des données plus fiables sur les tendances démographiques de l’espèce. Le déclin d’une population peut être extrêmement rapide, mais sa récupération extrêmement lente. La survie des éléphants de forêt au Gabon, espèce clé pour l’équilibre des écosystèmes forestiers et de leur rôle de régulateur du carbone, demeure fragile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217331/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Bourgeois a reçu des financements de l'Agence Française de Développement dans le cadre de l'accord de conversion de Dette France-Gabon (Convention AFD CGA 1188.01.H/Projet Eléphant Gabon). Elle travaille pour l'Agence nationale des parcs nationaux du Gabon depuis 2013.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie Sigaud a reçu des financements du programme Horizon 2020 de l'Union Européenne.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carla Louise MOUSSET MOUMBOLOU et Stephan NTIE ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’éléphant de forêt, en danger critique d'extinction, est un enjeu de société au Gabon, où certains l'estiment trop présent. Mais cette opinion résulte d'erreurs dans l'interprétation des études.Stéphanie Bourgeois, Coordonnatrice Eléphant et laboratoire de génétique, Agence Nationale des Parcs Nationaux du GabonCarla Louise MOUSSET MOUMBOLOU, Coordinatrice scientifique, Agence Nationale des Parcs Nationaux du GabonMarie Sigaud, Chercheuse, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Stephan NTIE, Conseiller Scientifique, Agence Nationale des Parcs Nationaux du GabonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223202024-02-15T10:46:24Z2024-02-15T10:46:24ZComment mesure-t-on la perte de biodiversité ? L’exemple de l’Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575668/original/file-20240214-28-o5b6x2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La biodiversité africaine est aujourd'hui menacée par les crises climatiques et environnementales.</span> <span class="attribution"><span class="source">Emmanuel Fourmann</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À l’échelle planétaire, les messages d’alerte se multiplient quant au déclin de la diversité biologique des espèces. Une crise qui touche les habitats et les pools génétiques et qui résulte de la dégradation des écosystèmes, ces lieux où le vivant interagit avec son environnement. <a href="https://www.wwf.fr/rapport-planete-vivante">75 % des milieux terrestres et 40 % des milieux marins sont touchés</a>. <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/biodiversite-presentation-et-informations-cles">Un million d’espèces</a> sont menacées d’extinction dans le monde.</p>
<p><a href="https://www.collectionreperes.com/l_economie_africaine_2024-9782348081903">Une étude menée en 2023</a> par les experts de l’AFD et de l’Observatoire du Sahel et du Sahara (OSS) confirme cette dégradation écologique en Afrique, avec des zones particulièrement préoccupantes dans le nord-ouest et le sud du continent, ainsi que dans plusieurs régions de Madagascar. Mais pour parvenir à cette conclusion, il faut d’abord se mettre d’accord sur les bonnes façons de mesurer la perte de biodiversité, une question loin d’être triviale.</p>
<h2>Afrique : une biodiversité remarquable</h2>
<p>Avec plus de 50 000 espèces végétales, 1100 espèces de mammifères (dont près de 200 variétés de primates), environ 2500 espèces d’oiseaux et une riche diversité d’amphibiens et de reptiles, l’Afrique abrite des <a href="http://www.oss-online.org/sites/default/files/2022-06/OSS-LivreEcosystemesAfrique.pdf">écosystèmes variés</a>.</p>
<p>Elle compte également huit des 34 <a href="https://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/index.php?pid=decouv_chapA&zoom_id=zoom_a1_4">« réserves critiques de biodiversité »</a> listées en 1989 par Conservation International, telles que la forêt côtière de l’Ouest africain ou l’ensemble formé par Madagascar et les îles de l’océan Indien.</p>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
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<p>Au-delà de son rôle fondamental dans le fonctionnement et la résilience des écosystèmes, la biodiversité est le socle de la subsistance et de l’existence des communautés humaines. Et notamment celles des ménages ruraux pauvres, qui dépendent très directement des écosystèmes.</p>
<p>Comment mesurer cette érosion de la biodiversité ?</p>
<h2>Une méthode pour mesurer la dégradation écologique</h2>
<p>En 2022, <a href="http://www.oss-online.org/">l’Observatoire du Sahara et du Sahel</a> (OSS) a compilé selon la méthode ENCA les informations provenant de bases de données internationales selon une approche <a href="https://www.cbd.int/doc/publications/cbd-ts-77-fr.pdf">développée sous l’égide de la Convention pour la diversité biologique</a>.</p>
<p>Cette méthode <a href="https://unece.org/fileadmin/DAM/stats/documents/ece/ces/ge.33/2018/mtg2/COPERNICEA_document.pdf">ENCA</a> a été mise en œuvre par différentes équipes (WWF, UICN, Université d’Antananarivo, OSS) dans différentes zones et pays (Afrique, Amérique latine, Asie, France), ce qui a permis d’en apprécier la faisabilité, l’intérêt et la fiabilité.</p>
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<p>Les comptes ENCA utilisent une unité non monétaire, l’ECU (<em>Ecosystem Capability Unit</em>, unité de capabilité écosystémique), qui a un statut comparable à celui de la <a href="https://theconversation.com/reduction-des-emissions-du-bon-usage-du-cout-de-la-tonne-de-co-evitee-207509">« tonne-équivalent CO<sub>2</sub> »</a> dans la comptabilité du carbone : c’est une valeur conventionnelle virtuelle permettant de quantifier les responsabilités des divers acteurs économiques.</p>
<p>Pour chaque écozone, s’appuyant sur les données consolidées provenant d’une quarantaine de bases de données internationales en accès libre, les comptes ENCA intègrent la mesure du carbone organique de la biomasse et du sol, de l’eau et de l’intégrité de la biodiversité. De quoi fournir un indicateur synthétique de la « capabilité écosystémique totale » locale (ou CET), définie comme le potentiel des écosystèmes à fournir des services au cours du temps et à se renouveler durablement.</p>
<p>Les comptes <a href="http://oss-online.org/sites/default/files/2023-05/ArfikENCA.pdf">AfrikENCA</a> couvrent ainsi le continent africain et l’île de Madagascar, de 2001 à 2020 et à l’échelle de 200 874 zones écologiques (écozones) d’une taille d’environ 12 x 12 km, <a href="http://www.oss-online.org/sites/default/files/2023-07/AfrikENCA.pdf">agrégées par bassins versants</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=146&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=146&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=146&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574751/original/file-20240210-22-ezl961.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte Afrique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Base de données AfrikENCA, calculs F. Mar, A. Ben Romdhane, T. Tapsoba, J.L. Weber et E. Fourmann</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>La diminution de la valeur en ECU du CET d’une écozone reflète donc une détérioration de son capital naturel. Si elle est stable ou s’améliore sur une période assez longue, c’est le signe du bon état probable de l’écosystème. On peut additionner la CET des écozones, lesquelles peuvent être regroupées selon une approche écologique (bassin versant, aire protégée, corridor écologique) ou administrative (commune, district, pays, région).</p>
<h2>Forte dégradation</h2>
<p>Ces comptes ont déjà permis d’offrir un regard sur <a href="http://www.oss-online.org/sites/default/files/2023-07/AfrikENCA.pdf">l’évolution de la couverture forestière</a>, sur les aires protégées abritant des espèces menacées, sur la dynamique des écosystèmes au sein de la <a href="https://theconversation.com/grace-a-la-grande-muraille-verte-une-meilleure-qualite-de-vie-dans-le-sahel-205421">Grande muraille verte</a> et sur les enjeux du stress hydrique affectant l’Afrique du Nord.</p>
<p>Tandis que la population en Afrique a crû de 35 % entre 2010 et 2019, la production a quant à elle augmenté de 40 % et le revenu moyen par tête est resté assez stable, avec des gains modestes (+5 % en 2019 par rapport à 2005) probablement effacés par la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Sur la même période, la CET par habitant a fortement décru (-30 %), ce qui signifie à la fois une perte de ressources pour les populations dont les moyens d’existence sont très dépendants des services écosystémiques et une dégradation du potentiel des écosystèmes à se maintenir, à s’adapter au changement climatique et à fournir des services à l’avenir.</p>
<p>Ce constat rejoint celui formulé en 2021 par un <a href="https://www.gov.uk/government/publications/final-report-the-economics-of-biodiversity-the-dasgupta-review">rapport indépendant sur l’économie de la biodiversité</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574750/original/file-20240210-24-zsag4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Afrique : Produit intérieur brut, Démographie et Capital écosystémique 2010-2020 (base 100 en 2010).</span>
<span class="attribution"><span class="source">PIB : Banque Mondiale (PPA, prix constants 2017) ; Population : WorldPOP ; CET : OSS AfrikENCA</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>60 % des écozones en situation « non soutenable »</h2>
<p>La CET de certaines écozones baisse continûment sur les quinze dernières années (de 2005 à 2019) et de façon accélérée sur les cinq dernières années (2015 à 2019), indiquant une dégradation des écosystèmes liée notamment à leur surexploitation. Ces écozones en dégradation écologique « continuelle » sont qualifiées de non soutenables et cela pose la question de l’avenir des 750 millions d’Africains qui y vivent.</p>
<p>Plus de 60 % des écozones sont en situation non soutenable et, dans la base AfrikENCA, 36 % (un tiers !) ont perdu plus de 10 % de leur capabilité écosystémique totale sur les cinq dernières années. Par contraste, les autres écozones sont réputées soutenables. Mais sur les 200 874 écozones du continent, elles ne représentent que 39 %.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574753/original/file-20240210-20-2hol5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Situation des écozones de la base AfrikENCA (*ppa = parité de pouvoir d’achat).</span>
<span class="attribution"><span class="source">AfrikENCA, calcul des auteurs</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>La carte ci-dessous montre la proportion des écozones soutenables dans chacun des sous-bassins versants. Les zones les plus rouges sont composées à plus de 90 % d’écozones en situation non soutenable, caractérisant un risque pour la croissance économique. À l’inverse, les zones les plus vertes abritent peu d’écozones non soutenables.</p>
<p>Cette première vue d’ensemble montre l’étendue du problème, la disparité des situations et les zones où des investigations doivent être poursuivies, afin d’affiner l’analyse et confirmer par des études de terrain, le lieu, les causes et l’intensité de la dégradation écosystémique constatée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575646/original/file-20240214-22-c30cpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Localisation des écozones non-soutenables par sous-bassins versants (période 2005-2020).</span>
<span class="attribution"><span class="source">AfrikENCA, calcul des auteurs</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Des populations rendues vulnérables</h2>
<p>En croisant avec les données spatialisées de production et de population, on observe que les écozones non soutenables concentrent 55 % du PIB de l’Afrique et 57 % de sa population. On peut légitimement s’interroger sur l’avenir à moyen terme de la production, notamment agricole, au regard de l’évolution du capital naturel qui le sous-tend plus ou moins directement, et par extension sur l’avenir des communautés elles-mêmes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changement-climatique-et-agriculture-les-economistes-alertent-sur-la-necessite-dintensifier-les-efforts-dadaptation-en-afrique-subsaharienne-218184">Changement climatique et agriculture : les économistes alertent sur la nécessité d'intensifier les efforts d'adaptation en Afrique subsaharienne</a>
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<p>Pour les populations pauvres et rurales qui dépendent fortement des ressources naturelles, leur exposition aux risques environnementaux est forte et leur vulnérabilité s’accroît. Plus de 750 millions de personnes vivent ainsi sur des écozones non soutenables, dont 157 millions dans des écozones en très forte dégradation écologique (perte de capital naturel supérieure à 25 % depuis 2015).</p>
<p>En filigrane, on peut imaginer que les populations habitant dans des écozones en voie de dégradation importante vivront moins bien et devront à terme migrer vers d’autres lieux.</p>
<h2>Des outils pour s’adapter</h2>
<p>Ces résultats montrent qu’un travail important s’annonce pour adapter les territoires et les économies, pour tenter de ralentir leur « désertification » écologique et économique. Or, les décisions économiques continuent à être prises sur la base d’analyses <a href="https://www.cairn.info/apprehender-les-trajectoires-de-developpement-a-l---1000000148984-page-1.htm?contenu=resume">qui n’intègrent pas les limites biophysiques des écosystèmes et leur résilience</a>.</p>
<p>Mesurer l’état des écosystèmes – une préoccupation qui anime économistes et écologues – est effectivement loin d’être simple. Pourtant, les premières applications d’outils de comptabilité environnementale (comme ENCA) montrent qu’ils peuvent fournir des analyses intégrant les limites biophysiques des écosystèmes.</p>
<p>S’ils sont bien évidemment perfectibles, ces outils peuvent permettre d’éclairer les acteurs concernés – gouvernements, société civile, entreprises et institutions financières – et peuvent contribuer à inventer de nouvelles politiques publiques <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3lYClDIBcWQ">conciliant les dimensions économique, sociale et environnementale</a> dans une perspective de soutenabilité forte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-doit-on-prendre-soin-de-la-biodiversite-220563">Pourquoi doit-on prendre soin de la biodiversité ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/222320/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Fourmann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La méthode ENCA consiste à mesurer l’état de santé des écosystèmes d’un territoire et de fournir une métrique comparable à celle de la « tonne équivalent CO₂ » dans la comptabilité du carbone.Emmanuel Fourmann, Chargé de recherche, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140082024-02-14T14:27:25Z2024-02-14T14:27:25ZRecenser les oiseaux, identifier les plantes : les sciences participatives font-elles vraiment avancer la recherche ?<p>Le phénomène des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-participatives-28466">sciences participatives</a> n’est pas nouveau, mais il a pris de l’ampleur au cours des de la dernière décennie. D’ailleurs avez-vous peut-être vous-même contribué en observant les oiseaux depuis votre balcon ou votre jardin pendant le confinement de 2020, ou en <a href="https://theconversation.com/plantnet-ebird-spipoll-inaturalist-ces-applis-au-service-de-li-ecologie-174383">utilisant votre smartphone pour identifier une plante</a> ou un insecte lors d’une promenade en forêt. Ce faisant, vous avez partagé vos observations avec les scientifiques qui les utilisent pour décrire la biodiversité et comprendre son évolution. Mais comment savoir à quel point vous les avez aidés ? Dans la recherche en écologie, cette démarche a un réel impact sur les publications scientifiques, surtout sur des thématiques qui font le lien entre société et environnement.</p>
<p>Les sciences participatives se définissent comme la production de connaissances scientifiques à laquelle sont associées des personnes dont ce n’est pas la profession, qui participent de manière active, délibérée et souvent bénévole. Les sciences participatives sont bien développées dans le <a href="https://www.inserm.fr/nous-connaitre/college-relecteurs-inserm/">domaine de la santé</a>, des <a href="https://francaisdenosregions.com/">sciences humaines</a>, et même en <a href="https://www.vigie-ciel.org/">astronomie</a>. C’est toutefois dans le domaine des sciences de l’environnement et de l’écologie que cette démarche d’ouverture de la pratique de la recherche aux acteurs non professionnels est la plus répandue.</p>
<h2>Pourquoi, ou pour quoi participer ?</h2>
<p>Pour les scientifiques en écologie, la participation des acteurs non professionnels à la recherche donne accès à des données qui seraient inaccessibles par ailleurs, ou à un rythme trop lent, incompatible avec le besoin de connaissances scientifiques face à l’urgence écologique. Les plates-formes <a href="https://plantnet.org/">Pl@ntNet</a> et <a href="https://www.inaturalist.org/">iNaturalist</a> s’appuient sur des photos prises par les curieux de nature, identifiées par un algorithme et validées par la communauté des utilisateurs. Elles permettent un recensement de la biodiversité à très grande échelle et sur le temps long.</p>
<p>Plusieurs auteurs ont analysé la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-58278-4_13">motivation du public à s’engager dans des programmes de science participative</a>. Ce qui revient souvent, c’est la curiosité et le souhait d’en apprendre plus sur un sujet (par exemple, apprendre à <a href="https://plantnet.org/">reconnaître les plantes</a> ou les <a href="https://www.oiseauxdesjardins.fr/">oiseaux</a>), mais aussi la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320719313771">volonté d’être utile</a>, à la recherche d’une part, et à la préservation de l’environnement d’autre part.</p>
<p>Le lien entre l’utilité pour la recherche et l’utilité pour l’environnement doit se comprendre, très schématiquement, en suivant cette séquence : les observations fournissent des données, qui sont analysées, pour aboutir à la publication d’un article scientifique, qui permet de mettre en place des mesures concrètes pour l’environnement.</p>
<p>C’est évidemment très caricatural. Trop, parce qu’en amont de cette séquence, une somme de connaissances et des constructions théoriques orientent les scientifiques dans la manière de poser les questions de recherche et de définir les stratégies d’analyse des données permettant d’y répondre. Il est également évident, mais il faut le rappeler, que les applications des résultats de la recherche en termes de stratégie de gestion de l’environnement ne s’appuient pas sur un, mais sur un ensemble d’articles scientifiques.</p>
<p>D’où une question simple : les démarches de sciences participatives contribuent-elles à la production et à l’évolution des connaissances scientifiques dans le domaine de l’écologie ? Autrement dit : « Suis-je vraiment utile si je participe » ?</p>
<p>À noter au passage que cette question est légitime des deux côtés de la participation, pour les volontaires comme pour les scientifiques. L’acquisition de certaines données peut en effet requérir de solides connaissances naturalistes ou la manipulation de capteurs complexes ou onéreux. Dans de tels cas, <a href="https://hal.science/hal-03856478/document">on peut s’interroger sur la pertinence ou la précision des observations</a> réalisées par des personnes qui ne sont pas spécifiquement formées.</p>
<p>Cela nous amène donc à une seconde question : produit-on les mêmes connaissances lorsque la recherche est menée par des professionnels uniquement, ou au travers de la participation de volontaires dont le degré d’expertise est variable ?</p>
<h2>À quoi ma participation sert-elle vraiment ?</h2>
<p>Nous avons cherché à répondre à ces deux questions dans un article publié en accès ouvert dans la revue <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ece3.10488"><em>Ecology and Evolution</em></a>. Nous avons utilisé une approche bibliométrique pour évaluer l’impact des sciences participatives sur l’évolution de l’écologie comme discipline scientifique.</p>
<p>Nous avons interrogé la base de données <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Web_of_Science"><em>Web of Science</em></a>, une référence au niveau international, pour retrouver tous les articles faisant mention des sciences participatives et publiés sur la période 2011-2022. Nous avons identifié plus de 3000 articles à propos des sciences participatives en écologie. Cela représentait moins de 1 % du nombre total d’articles en écologie publiés sur cette période, mais ce nombre était en constante augmentation. </p>
<p>D’un strict point de vue quantitatif, la réponse est sans appel : la science participative se publie. <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0258350">Une étude récente</a> montre non seulement que c’est le cas, mais que les articles qui s’appuient sur elles sont également cités par les chercheuses et les chercheurs. Les articles scientifiques étant à la base de la diffusion des savoirs, c’est une première indication que les sciences participatives, et donc la participation des volontaires, contribue bien à l’avancement des connaissances en écologie. Qu’en est-il dans le détail ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574226/original/file-20240207-24-w3wq5s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1. Évolution du nombre d'articles sur les sciences participatives en écologie entre 2011 et 2022. L'axe horizontal représente l'année de publication. L'axe vertical indique le pourcentage d'articles en écologie s'appuyant sur les sciences participatives. Le nombre absolu d'articles de sciences participatives publiés chaque année est indiqué à l'intérieur de la figure.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bastien Castagneyrol et Baptiste Bedessem</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour faire simple, appelons SP le corpus d’articles s’appuyant sur les sciences participatives. Nous l’avons comparé à un corpus témoin, assemblé en tirant au hasard un même nombre d’articles parmi ceux publiés en écologie sur la période 2011-2022. Nous avons extrait les mots clés utilisés par les auteurs et autrices des articles de ces deux corpus pour les comparer. Cette approche nous a permis de déterminer si les mêmes thématiques sont abordées dans les articles qui s’appuient sur les sciences participatives (le corpus SP) et les articles disons conventionnels (le corpus témoin).</p>
<p>Nous avons constaté une certaine similitude dans les mots clés les plus fréquemment utilisés dans les deux corpus. Au cours des deux dernières années, la biodiversité (les mots clés <em>biodiversity</em>, <em>conservation</em>) et le changement climatique (<em>climate change</em>) étaient au cœur des recherches en écologie, quelle que soit l’approche employée (participative ou non) par les écologues pour aborder ces sujets. Il y a toutefois des subtilités dans le détail.</p>
<p>En examinant de plus près les différences dans l’utilisation des mots clés les plus fréquents dans chaque corpus (comment les mots clés sont associés entre eux), une différence majeure apparaît entre les articles du corpus SP et ceux du corpus témoin. Les mots clés liés aux processus écologiques (prédation, compétition, dispersion…) ou évolutifs (plasticité phénotypique, adaptation) étaient plus fréquents dans le corpus témoin, voire seulement présents dans celui-ci. Au contraire les mots clés liés aux interactions entre les êtres humains et leur environnement (socio-écosystèmes, services écosystémiques, services culturels, écologie urbaine) étaient plus fréquents, ou présents uniquement dans le corpus SP.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=540&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574227/original/file-20240207-24-yswhv7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=679&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2. Principaux mots clés décrivant les articles du corpus SP et du corpus témoin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bastien Castagneyrol et Baptiste Bedessem</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les associations de mots clés dans le corpus SP sont également révélatrices de la manière dont les thématiques « biodiversité » et « changement climatique » sont abordées dans les sciences participatives. Ces thèmes étaient associés à des mots clés suggérant une approche descriptive de la biodiversité, par exemple surveillance (<em>monitoring</em>), répartition des espèces (<em>species distribution</em>), ou modèle de répartition des espèces (<em>species distribution model</em>).</p>
<p>Il semble donc que lorsque les scientifiques ont recours aux démarches de sciences participatives, ce soit avant tout pour décrire l’état de la biodiversité, la manière dont elle est impactée par les changements globaux (notamment le changement climatique et l’urbanisation), et les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement des <a href="https://sitesweb-tmp35.dsi.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/media/2022-01/Couvet_socio%C3%A9cosyst%C3%A8me.pdf">socio-écosystèmes</a> (l’ensemble formé par l’écosystème et les activités humaines qui s’y déroulent). Les associations de mots clés du corpus témoin faisaient quant à elle plutôt référence aux mécanismes régissant les interactions entre espèces. On peut expliquer cette différence par le fait que les personnes contribuant à la science participative sont plus à même de s’investir dans des projets qui les touchent directement que dans des projets plus théoriques.</p>
<p>Les sciences participatives en écologie contribuent bien, de manière significative, à la production de connaissances nouvelles qui s’insèrent dans les grandes questions qui traversent l’écologie. Il y a là de quoi rassurer les personnes qui donnent de leur temps et de leur énergie en participant volontairement à ces programmes : oui, elles sont utiles. Il y a également de quoi rassurer les écologues : les sciences participatives ne sont pas en marge de la recherche traditionnelle en écologie, elles s’inscrivent parfaitement dans la boîte à outils dont les scientifiques disposent pour décrire et comprendre le monde dans lequel nous vivons.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bastien Castagneyrol a reçu, pour ses travaux sur les sciences participatives, des financements de la région Nouvelle Aquitaine, de l'ANR, de l'université de Bordeaux et de la fondation BNP Paribas au travers de son initiative pour le climat et la biodiversité.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Baptiste Bedessem a reçu des financements de l'ADEME, de l'INRAE </span></em></p>Les sciences participatives invitent tout un chacun à apporter sa pierre à l'édifice de la recherche. Mais comment déterminer l'apport réel de cette pratique aux connaissances ?Bastien Castagneyrol, Chercheur en écologie, InraeBaptiste Bedessem, Chargé de recherche, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2205632024-01-09T18:25:06Z2024-01-09T18:25:06ZPourquoi doit-on prendre soin de la biodiversité ?<p>Si le changement climatique préoccupe beaucoup de monde, les scientifiques alertent aussi régulièrement sur la <a href="https://theconversation.com/biodiversite-proteger-30-de-la-planete-quid-des-70-restants-175779">crise de la biodiversité</a> causée majoritairement par les activités humaines. La biodiversité, c’est un mot popularisé par une convention internationale en 1992 qui est la contraction de « diversité » et de « biologique ».</p>
<p>Elle désigne la diversité du monde vivant et peut s’observer à trois niveaux :</p>
<ul>
<li><p>Au niveau des espèces : c’est la diversité des animaux (les mammifères, les poissons, les oiseaux, mais aussi les insectes et les mollusques), des plantes (dont les arbres et les algues) ou encore des champignons et des bactéries. Parmi ces espèces, certaines ont été domestiquées par les humains, comme les vaches ou les chiens, mais ces dernières font aussi partie de la biodiversité ;</p></li>
<li><p>Au niveau des individus d’une même espèce : c’est le fait que <a href="https://theconversation.com/proteger-la-diversite-genetique-pour-mieux-faire-face-a-ladversite-180917">chaque individu est unique</a>, et qu’il y a plusieurs races ou variétés au sein d’une même espèce. Par exemple, l’espèce des chiens regroupe différentes races (chihuahuas, labradors, caniches, etc.) ;</p></li>
<li><p>Au niveau des écosystèmes et des paysages : ce sont tous les types de forêts, de savanes, de prairies, de milieux marins, ou encore de déserts qui sont le fruit de la rencontre entre des êtres vivants variés et leur environnement.</p></li>
</ul>
<p>La biodiversité est donc présente dans tout ce qui nous entoure, y compris en ville et à la campagne, dans les terres, les mers et les rivières. Sa disparition pose problème pour trois raisons principales.</p>
<h2>La biodiversité a le droit d’exister</h2>
<p>Nous constatons aujourd’hui que les <a href="https://ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr">activités humaines menacent la biodiversité</a> : sur environ huit millions d’espèces animales et végétales connues, près d’un million est menacé d’extinction.</p>
<p>Or on peut considérer que chaque être vivant a le droit d’exister sur cette planète : cette dernière est un lieu de vie pour toutes et tous, pas seulement pour les humains. Ainsi, chaque être a une valeur en soi (valeur intrinsèque) et devrait à ce titre pouvoir vivre, même si les humains le jugent inutile.</p>
<h2>La biodiversité est nécessaire au bien-être des humains</h2>
<p>Si vous pensez à ce que vous mangez chaque jour, vous réaliserez que tout est fourni par la biodiversité. La viande provient de divers animaux élevés ou chassés (poules, vaches, sangliers, etc.). Le pain et les pâtes sont préparés à partir de céréales comme le blé.</p>
<p>La biodiversité est aussi indispensable pour se soigner : la plupart des médicaments que nous utilisons sont issus des plantes et, dans beaucoup de pays, on utilise encore les plantes médicinales directement. Par exemple, le thym (<em>Thymus vulgaris</em>) peut être employé en décoction contre la toux et les bronchites. La molécule qu’il contient, le thymol, entre dans la composition de certains médicaments.</p>
<p>Sur un autre plan, les forêts sont particulièrement importantes, car elles participent à rendre l’eau que nous buvons potable, à limiter l’érosion des sols et à réguler le climat.</p>
<p>Par conséquent, les humains ne pourraient tout simplement pas vivre sans la biodiversité. Elle est importante parce qu’elle est utile à notre bien-être : on parle de valeur instrumentale. Bien qu’un peu égoïste, c’est un bon argument pour en prendre soin.</p>
<h2>Les humains entretiennent des relations intimes avec la biodiversité</h2>
<p>Au même titre que les relations amicales et familiales, les humains ont parfois des relations très profondes et intimes avec la biodiversité.</p>
<p>Par exemple, certaines personnes sont attachées aux rivières ou aux montagnes où elles ont grandi, ces lieux étant associés à des souvenirs. À leurs yeux, aucune autre rivière ou montagne ne peut les remplacer. On associe aussi l’identité de certains pays à la biodiversité : l’érable est le symbole du Canada, tandis que le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Arbre_du_voyageur">ravinala (ou arbre du voyageur)</a> et le lémurien sont ceux de Madagascar. De même, la population française est associée au coq ou aux grenouilles. Qu’adviendrait-il de ces identités si ces espèces venaient à disparaître ?</p>
<p>C’est ce qu’on appelle la valeur relationnelle de la biodiversité : elle est importante parce qu’elle définit qui nous sommes, notre histoire et notre identité. C’est d’ailleurs en <a href="https://theconversation.com/comment-avoir-envie-de-preserver-une-nature-dont-on-seloigne-de-plus-en-plus-198007">se reconnectant à la biodiversité</a> que l’on pourra en avoir davantage conscience.</p>
<p>Ce sont ces trois grandes valeurs (d’existence, d’utilité et relationnelle) qui rendent la biodiversité si importante et irremplaçable. Il est donc crucial d’en prendre soin et de faire preuve de réciprocité vis-à-vis d’elle.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre. En attendant, tu peux lire tous les articles <a href="https://theconversation.com/fr/topics/the-conversation-junior-64356">« The Conversation Junior »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220563/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Blanco a reçu des financements de diverses institutions et fondations pour ses différentes recherches, dont notamment l'Institut de Recherche pour le Développement, la Fondation de France et la Fondation Agropolis. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sarah Paquet est membre de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Elle reçoit un financement de l'Agence française de développement (AFD) pour son travail de thèse.</span></em></p>La biodiversité est menacée sur notre planète. Au-delà des services indispensables qu’elle nous rend, il est crucial de la préserver, car elle contribue à notre identité et a le droit d’exister.Julien Blanco, Chercheur en ethnoécologie, Institut de recherche pour le développement (IRD)Sarah Paquet, Doctorante en économie écologique, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2205042024-01-04T21:56:24Z2024-01-04T21:56:24ZDossier : L’humain doit-il avoir une place spéciale au sein du vivant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567899/original/file-20240104-23-syqbz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C8%2C5982%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Où doit-on se placer par rapport à l'animal ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/une-femme-avec-un-parapluie-rouge-passe-devant-un-buffle-deau-h3aBP-EA0WA">Nathan Cima/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Au fur et à mesure des découvertes scientifiques, les barrières entre l’humain et les animaux semblent se briser : intelligence, sociabilité, capacité d’abstraction… À tel point que l’on pourrait se demander si parler du « propre de l’homme » a encore un sens. Pour y réfléchir, nous vous proposons une série de quatre articles pour mieux trouver notre place parmi le vivant qui nous entoure.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/quest-ce-qui-separe-vraiment-lhumain-de-lanimal-une-histoire-de-la-classification-zoologique-218204">Qu’est-ce qui sépare vraiment l’humain de l’animal ? Une histoire de la classification zoologique</a></h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567712/original/file-20240103-25-up09js.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’humain fait partie du groupe des primates, tout comme l’orang-outan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Joshua J. Cotten/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Homme ou animal, homme et animal, homme-animal, homme sage versus animal machine… Qu’est-ce qui distingue l’humain des autres animaux ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/peut-on-encore-parler-de-propre-de-lhomme-et-comment-se-place-homo-sapiens-parmi-les-autres-especes-humaines-218630">Peut-on encore parler de « propre de l’homme » et comment se place Homo Sapiens parmi les autres espèces humaines ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567880/original/file-20240104-27-rttb38.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sommes-nous si différents des autres espèces humaines ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Crawford Jolly/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous sommes la dernière espèce vivante du genre Homo, mais pouvons-nous vraiment nous différencier de nos cousins, aujourd’hui disparus ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/parentalite-ce-qui-distingue-les-humains-des-animaux-220114">Parentalité : ce qui distingue les humains des animaux</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567883/original/file-20240104-17-78kwgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Difficile de ne pas comparer ce comportement à celui d’un humain avec son enfant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lewis Roberts/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>La grande majorité des animaux s’occupent de leurs petits, surtout les femelles, parfois les mâles. Sommes-nous des parents-animaux comme les autres ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/faire-societe-du-chimpanze-a-lhumain-217949">« Faire société », du chimpanzé à l’humain</a></h2>
<p>Les chimpanzés s’organisent en groupes, avec une hiérarchie bien établie. Peut-on alors parler de société ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220504/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoît Tonson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au fil de l’histoire, l’humain a souvent été tenté de se placer au-dessus de l’animal ; comment penser notre rapport au vivant aujourd’hui ?Benoît Tonson, Chef de rubrique Science + Technologie, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159342023-12-27T16:27:26Z2023-12-27T16:27:26ZGuyane française : un site à la biodiversité unique menacé par un projet d’exploitation<p><em>Hot spot</em> de la biodiversité, le lac de Petit Saut, en Guyane française, a été créé par la mise en eau d’un barrage en 1994. S’y est développé depuis un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SJK3s6fh3XY">écotourisme</a> dédié à l’observation de la faune, qui lui vaut le surnom de petit Pantanal, en référence au Pantanal, écorégion de prairies et savanes inondées qui s’étend principalement dans le Mato Grosso do Sul au Brésil – et actuellement en proie à de violents feux de forêt.</p>
<p>Mais cet espace de forêt inondée, avec sa particularité géographique et notamment la présence de bois mort, aiguise aussi les appétits industriels. L’entreprise Triton, filiale de Voltalia, a depuis 2012 pour projet de couper et de collecter les bois immergés du lac. Son but, extraire 5 millions de tonnes de bois sur 25 ans. Deux enjeux à la clé : récupérer les bois précieux immergés en bois d’œuvre et alimenter la future centrale biomasse de Petit-Saut.</p>
<p>Ce projet a l’intention de couvrir 210 km<sup>2</sup> pendant 25 ans, une surface qui représente la <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Le-barrage-de-Petit-Saut-(Guyane)-et-son-impact-sur-Calmont/cbb25f9f0c0aa54189249457d8a096fa44b3ef61">quasi-totalité du lac en saison sèche</a>, ce qui questionne non seulement sur ses impacts environnementaux mais aussi sur sa cohabitation possible avec des <a href="https://theconversation.com/quel-monde-dapres-pour-le-tourisme-183738">activités touristiques durables</a>.</p>
<h2>Le barrage de Petit-Saut</h2>
<p>La spécificité du lieu repose sur l’originalité de son paysage. En 1989, la construction du <a href="https://theconversation.com/avec-les-secheresses-pourra-t-on-toujours-produire-de-lelectricite-avec-des-barrages-204414">barrage</a> hydroélectrique de Petit-Saut avait pour objectif de répondre à une demande grandissante en énergie – il produit aujourd’hui 50 % de l’électricité consommée par la Guyane.</p>
<p>Mais l’implantation d’une telle infrastructure en pleine <a href="https://theconversation.com/rencontres-au-sommet-de-la-foret-tropicale-en-guyane-160293">forêt tropicale</a> a engendré une <a href="https://www.editions.ird.fr/produit/265/9782709924757/le-fleuve-le-barrage-et-les-poissons">agression majeure pour l’environnement</a>, conduisant à l’immersion de 365 km<sup>2</sup> de forêt primaire.</p>
<p>Les arbres ont perdu leurs feuilles mais les conditions d’anoxie (diminution de la quantité d’oxygène disponible) dans lesquelles ils se sont retrouvés <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/15525254.pdf">ont évité leur décomposition</a>.</p>
<p>Parallèlement, des moyens de compensation mis en place ont permis d’aider et de suivre les animaux dans ce changement de paysage, contribuant par la même occasion à mieux connaître les espèces de ce milieu, tout en le perturbant.</p>
<p>En est né un paysage unique et insolite, où environ 1400 îles se sont formées lors de la mise en eau et où la faune s’est réadaptée.</p>
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<h2>Une faune très riche</h2>
<p>Rappelons que la Guyane est dotée d’une biodiversité particulièrement riche : elle compte 183 espèces de mammifères (dont des espèces emblématiques comme le jaguar, le puma ou la loutre géante), 718 espèces d’oiseaux nicheurs, 158 espèces de reptiles, 108 espèces d’amphibiens, 480 espèces de poissons d’eaux douces et saumâtres et d’environ 400 000 espèces d’insectes… Et ces chiffres augmentent <a href="https://parcnaturel-guyane.fr/le-territoire/faune-du-parc/">au fur et à mesure des découvertes</a></p>
<p>Le lac de Petit-Saut, en particulier, est devenu un lieu privilégié pour apercevoir le roi de la jungle, le jaguar. Il est aussi le lieu de vie et la zone d’observation la plus importante de la loutre géante, une espèce classée en « danger » sur la liste rouge de l’UICN. La dernière étude menée par l’OFB estime que la Guyane française abriterait <a href="http://www.kwata.net/index.php?pg=44&">jusqu’à 10 % de la population mondiale</a> de l’espèce.</p>
<p>Le projet de Triton pose la question du dérangement de la faune par les machines industrielles et la coupe de bois : de ses espèces emblématiques d’Amazonie (loutre, jaguar, tapir…) et donc notamment de la loutre géante (<em>Pteronura brasiliensis</em>). Celle-ci est d’ailleurs considérée comme un « bio-indicateur » de la bonne santé du milieu.</p>
<h2>Menaces pour l’équilibre écologique du site</h2>
<p>Après 30 ans de transformations, ce milieu est aujourd’hui en <a href="https://www.persee.fr/doc/revec_1168-3651_2002_sup_57_8_6239">phase de stabilisation écologique</a>. Les bois ennoyés <a href="https://www.researchgate.net/publication/227940274_The_rapid_effects_of_a_whole-lake_reduction_of_coarse_woody_debris_on_fish_and_benthic_macroinvertebrates">jouent un rôle majeur</a> dans l’équilibre du milieu : ils limitent les vagues sur le lac, donc l’érosion des berges, permettent l’établissement de nouveaux habitats pour l’ichtyofaune et de nombreux autres organismes. Leurs parties aériennes servent par exemple de support aux Broméliacées qui elles-mêmes accueillent des invertébrés aquatiques, de nichoirs, postes de chant ou sites d’alimentation pour de nombreuses espèces d’oiseaux et de reposoirs pour des mammifères.</p>
<p>La particularité du lac est aussi la proximité entre la forêt inondée et la ripisylve, c’est-à-dire l’ensemble des formations végétales et boisées qui bordent le lac. Cette dernière assure comme le bois des fonctions indispensables à l’équilibre de l’écosystème du lac (stabilisation des berges, filtre naturel, abris pour les petits poissons et juvéniles, ainsi que pour les insectes terrestres). L’érosion des berges qu’engendrerait le projet risque pourtant de l’endommager.</p>
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<img alt="paysage avec un fleuve entouré de forêt tropicale" src="https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C0%2C5991%2C3768&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=309&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=309&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555090/original/file-20231021-15-77fklu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=309&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le lac du Petit-Saut, en Guyane française.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laura Jannot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La disparition, par l’exploitation, des bois morts provoquerait ainsi un second bouleversement majeur du paysage et des écosystèmes qui ont réussi à s’adapter depuis 30 ans. En outre, comme tous les sols de Guyane, le lac est le réceptacle de mercure d’origine naturelle, mais aussi issu de l’orpaillage illégal : la coupe de bois mort pourrait contribuer à augmenter la contamination des écosystèmes et des espèces présentes.</p>
<h2>Menace pour l’écotourisme</h2>
<p>Mais c’est aussi tout un pan de l’économie locale que le projet pourrait mettre en péril. La réappropriation de l’espace par une faune exceptionnelle et l’originalité paysagère du lieu ont conduit ces dernières années une vingtaine de prestataires touristiques à développer une activité d’observation de jours et de nuits, des sorties en canoë, pirogue, pêche, découverte du lieu.</p>
<p>Un tourisme animalier en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2213078016300457">plein essor</a> qui consiste, selon sa définition, en la rencontre pacifique entre êtres humains et animaux sauvages <a href="https://shs.hal.science/halshs-00202432/document">dans leur habitat naturel</a>, et peut contribuer aux objectifs de développement durable des territoires : le souci de préserver la biodiversité animale et végétale, de prendre en considération les intérêts socioculturels des populations locales, mais aussi de <a href="https://belsp.uqtr.ca/id/eprint/705/1/PNUE_OMT_2002_%C3%A9cotourisme_d%C3%A9claration_de_qu%C3%A9bec_A.pdf">faire avancer la recherche scientifique</a>. Les caractéristiques actuelles du lac en font un site d’études scientifiques exceptionnelles pour la France et à l’international.</p>
<p>Alors que ces activités pourraient contribuer à protéger la biodiversité fragile et mal connue de ce territoire, la pérennité de ces activités est aujourd’hui en jeu, même si l’entreprise assure vouloir partager l’espace. La possibilité d’une cohabitation sur un même espace entre tourisme d’observation et exploitation industrielle demeure alors que le projet entend couvrir, pendant 25 ans, la <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Le-barrage-de-Petit-Saut-(Guyane)-et-son-impact-sur-Calmont/cbb25f9f0c0aa54189249457d8a096fa44b3ef61">quasi-totalité du lac en saison sèche</a>.</p>
<p>L’accord d’exploitation de l’entreprise <em>Triton</em> a été signé, et celle-ci démarre malgré les <a href="https://ofb.hal.science/hal-04380529">avis négatifs de l’OFB – qui sont disponibles sur demande auprès de l’organisme et que nous avons mis en ligne sur la plateforme HAL</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Avec la participation de Michael Peytard prestataire touristique et de la Compagnie des Guides de Guyane.</span></em></p>Un projet d’exploitation de bois mort va être lancé au détriment de l’écotourisme et de la biodiversité exceptionnelle de ce site tropical.Laura Jannot, Doctorante en géographie du tourisme, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182042023-12-26T16:58:54Z2023-12-26T16:58:54ZQu’est-ce qui sépare vraiment l’humain de l’animal ? Une histoire de la classification zoologique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567338/original/file-20231226-15-s1lto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C10%2C3500%2C2609&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'humain fait partie du groupe des primates, tout comme l'orang-outan.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/singe-brun-couche-sur-textile-vert-73gRvjpsqz8">Joshua J. Cotten/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>En ces temps de crise de la biodiversité et de questionnements sur le vivant, la vieille question de la dualité homme-animal est, semble-t-il, toujours d’actualité. Même si le « vraiment » de la question laisse entendre qu’au fond la séparation n’est pas si profonde.</p>
<p>Sur le plan de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/biologie-22231">biologie</a>, de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/zoologie-35459">zoologie</a> même devrait-on préciser, le paradoxe a été levé depuis longtemps. L’homme est un animal. Il ne peut donc se séparer de lui-même.</p>
<p>La question n’est donc plus de nature scientifique, mais philosophique et sociologique. Il reste que pour la plupart d’entre nous la réponse scientifique importe peu tant les termes sont connotés. Affirmer que l’homme est un animal a peu de poids. L’affirmation serait-elle admise que la question deviendrait : qu’est-ce qui distingue l’humain des autres animaux ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parentalite-ce-qui-distingue-les-humains-des-animaux-220114">Parentalité : ce qui distingue les humains des animaux</a>
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<h2>L’humain classé parmi les primates par Linné</h2>
<p>Depuis des siècles les caractéristiques biologiques de l’humanité ont toutes été intégrées dans le panorama des traits des êtres vivants en général et des animaux en particulier. Et pourtant l’homme s’est quasiment toujours singularisé par rapport au reste du monde vivant. Toute une tradition de réflexion philosophique et spirituelle s’oppose à la vision unitaire de la science biologique.</p>
<p>C’est là le grand problème que Linné au 1VIII<sup>e</sup> siècle a cru résoudre définitivement. Dans son <a href="https://www.biodiversitylibrary.org/item/10277#page/1/mode/1up"><em>Systema Naturae</em></a> dont la 10<sup>e</sup> édition datant de 1758 est considérée comme le point de départ de la nomenclature zoologique moderne, l’homme, genre Homo, est classé, parmi les animaux, dans l’ordre des Primates – les « premiers », noblesse oblige –, mais en compagnie de trois autres genres : Simia (les singes), Lemur (les lémuriens incluant, pour Linné, le galéopithèque, un petit mammifère arboricole planeur d’Indonésie) et Vespertilio (les chauves-souris).</p>
<p>Ce choix est significatif et fait de Linné un pionnier qui, d’une certaine manière, dépassa les concepts de la majorité de ses successeurs du 1IX<sup>e</sup> siècle. De fait en 1910, une fois la biologie devenue évolutionniste, l’anatomiste <a href="https://www.biodiversitylibrary.org/creator/1818#/titles">William K. Gregory</a> nomma Archonta un groupe réunissant les primates (singes, lémuriens, homme), les chauves-souris (ordre des chiroptères), le galéopithèque (ordre des dermoptères) à quoi s’ajoutent des mammifères insectivores inconnus de Linné, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tupaiidae">toupayes</a> (mammifères arboricoles d’Asie).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=715&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=715&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=715&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=898&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=898&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567339/original/file-20231226-15-ny6ez0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=898&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un toupaye.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tupaiidae#/media/Fichier:Tupaia_cf_javanica_050917_manc.jpg">W. Djatmiko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’homme était non seulement un membre des Primates, mais aussi un membre des Mammalia (tous ces termes sont dus à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_von_Linn%C3%A9">Carl Von Linné</a>). On peut remonter la hiérarchie classificatoire est inclure l’homme dans les amniotes, dans les vertébrés, dans les animaux. Les animaux c’est-à-dire dans les classifications le règne des Animalia, aujourd’hui appelé Metazoa (mot qui signifie la totalité des animaux) – les deux termes sont synonymes.</p>
<p>Le terme de Metazoa à la sonorité incontestablement scientifique ne heurte aucune oreille. Dire que l’homme est un métazoaire ne choque personne. Dire qu’il est un métazoaire parce qu’il est pluricellulaire et possède une protéine qui structure le lien entre les cellules – le collagène – est affaire de spécialistes et empêche invariablement toute percée philosophique. Aucune sensibilité là-dedans. Un animal, c’est autre chose, n’est-ce pas ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-pionniers-de-la-biologie-ont-ils-participe-a-la-construction-du-racisme-194105">Les pionniers de la biologie ont-ils participé à la construction du racisme ?</a>
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<h2>Les successeurs de Linné ont voulu placer l’humain hors du règne animal</h2>
<p>Linné à sa manière a été un révolutionnaire. Ses successeurs se sont attachés à défaire le regroupement des Primates. Le naturaliste français <a href="https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/12116326/page1">Armand de Quatrefages</a> classa en 1861 l’homme seul dans le <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/quatrefages_armand_de/quatrefages_armand_de_photo/quatrefages_armand_de_photo.html">« règne humain »</a>, caractérisé par « l’âme humaine » reprenant une suggestion émise plus de quarante ans auparavant par l’agronome lamarckien <a href="https://data.bnf.fr/fr/10725384/charles-helion_barbancois-villegongis/">Charles-Hélion de Barbançois</a> : classer l’homme dans un règne à part, le « règne moral ».</p>
<p>Quatrefages s’attacha autant à réfléchir à l’unité de l’espèce humaine qu’à analyser la singularité de ses composantes. Pour Quatrefage, en savant positiviste, c’est-à-dire qui s’en tient aux faits, la notion de Règne (la plus haute des catégories de la classification) s’impose à l’esprit humain : les caractères qui définissent l’homme sont évidents et ne sont liés à aucune hypothèse ou théorie.</p>
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<a href="https://theconversation.com/enseigner-la-theorie-de-levolution-en-france-aller-au-dela-des-voeux-pieux-71318">Enseigner la théorie de l’évolution en France : aller au-delà des voeux pieux</a>
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<p>L’âme humaine, différente de l’âme animale serait un pur fait d’observation. Auparavant, l’anatomiste allemand <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Johann_Friedrich_Blumenbach">Johann Friedrich Blumenbach</a> et l’anatomiste français <a href="http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-cuvier.htm">Georges Cuvier</a> opposèrent l’homme seul (ordre des Bimana) aux autres primates (ordre des Quadrumana). Le naturaliste allemand J. C. Illiger avait classé l’homme seul (seul à être debout) dans les Erecta, tandis que l’anatomiste britannique Richard Owen, adversaire résolu du darwinisme, en fit le seul représentant des Archencephala, introduction notable du cerveau comme spécificité humaine.</p>
<p>On peut remarquer toutefois qu’à l’exception de Quatrefages, tous les autres auteurs cités subordonnent l’espèce humaine au règne animal et à la classe des mammifères. On saisit bien la difficulté de ces anatomistes distingués qui, bien conscients des caractères morphologiques et physiologiques qui tout en intégrant parfaitement l’homme dans les mammifères, étaient tentés irrépressiblement, aussi en tant que croyants, de l’opposer au reste de la création.</p>
<h2>« L’homme sage »</h2>
<p>L’anatomiste, celui qui décide, c’est bien l’homme, <em>Homo sapiens</em> (« l’homme sage » que Linné n’a pas nommé comme tel par hasard). On aura donc compris que ces affirmations taxinomiques ont pour objet de placer l’Homo sapiens à part, en fonction de traits qui lui sont propres, du psychisme à la bipédie, et non d’identifier une séquence de caractères partagés par l’homme et différents animaux.</p>
<p>Que l’homme soit opposé au reste du règne animal ou bien à son plus proche parent animal revient au même. Un évolutionniste tel que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Julian_Huxley">Julian Huxley</a> prit en 1957 l’exemple de la classification de l’homme pour illustrer sa conception du « grade évolutif ». L’activité intellectuelle de l’homme est telle qu’elle lui suffit pour concevoir une niche écologique sans précédent. Le cerveau humain situerait l’homme, seul, au niveau de la plus haute des catégories, le règne : le règne des Psychozoa.</p>
<p>On le sait, le plus proche parent vivant de l’homme (Homo) est le chimpanzé (Pan). Dans les années 1960, les premières classifications incluant les deux genres dans la famille des Hominidae firent scandale. Le tableau de famille était dégradé, gâché, détruit.</p>
<h2>7 millions d’années d’évolution</h2>
<p>La biologie moléculaire nous dit que l’homme et les chimpanzés sont presque identiques génétiquement parlant. Mais c’est en pure perte : on reconnaît aisément un homme d’un chimpanzé. On devrait dire : on reconnaît aisément les deux animaux. La baleine bleue et la musaraigne aussi sont des animaux, et même des mammifères, certes bien distincts. Leurs différences sont infiniment plus grandes que celles qui séparent l’homme et le chimpanzé, mais elles ne sont pas importantes à nos yeux d’hommes sages. Philosophiquement parlant, ce ne sont pas elles qui nous concernent. L’anthropocentrisme est patent. En fait, après des centaines de millions d’années d’évolution animale, la lignée humaine est celle des chimpanzés se sont séparées il y a 7 millions d’années environ.</p>
<p>Sept millions d’années d’évolution : voilà qui est responsable de l’existence des humains et des chimpanzés à la surface de la planète. Et rien d’autre.</p>
<p>L’homme est pétri de caractères animaux depuis le liquide amniotique dans lequel baigne l’embryon rappelant les origines aquatiques des animaux jusqu’à l’éminence mentonnière qui fait saillie à l’avant de la mâchoire inférieure (la grande invention ostéologique des humains !) en passant par tous les traits de vertébrés, de tétrapodes, de mammifères et de primates. L’homme n’est qu’un animal comme les autres et différent de tous les autres comme le sont toutes les espèces animales les unes des autres.</p>
<p>Peut-on se contenter d’une telle affirmation ? Les mots du quotidien sont lourds de sens et de contresens. Le verbe persiste, tenace. Malgré l’idéologie et la perte des repères scientifiques, on n’aura pas la mauvaise grâce de s’en plaindre puisque le verbe, après tout, est l’une des caractéristiques d’Homo sapiens, au moins dans la nature actuelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218204/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascal Tassy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Homme ou animal, homme et animal, homme-animal, homme sage versus animal machine… Qu’est-ce qui distingue l’humain des autres animaux ?Pascal Tassy, Professeur, paléontologue, paléomammalogie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201312023-12-21T14:28:23Z2023-12-21T14:28:23ZLa faim justifie les moyens – quand l’ours polaire s’attaque à l’oie des neiges<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566997/original/file-20231220-19-d2je5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C1%2C989%2C745&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les adaptations que les ours devront déployer pour faire face aux défis imposés par les changements climatiques sont multiples et imprévisibles.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>C’est durant l’hiver que les ours polaires (<em>Ursus maritimus</em>) constituent leurs <a href="https://doi.org/10.1086/physzool.69.2.30164186">réserves de graisses</a>. La chasse intensive de phoques – une ressource <a href="https://doi.org/10.1139/z75-117">riche en gras</a> – leur permet d’emmagasiner assez d’énergie pour traverser l’été.</p>
<p>Avec le réchauffement du climat, les opportunités de chasse sur la banquise <a href="https://doi.org/10.1111/1365-2656.12685">diminuent</a>. Et les experts estiment qu’il n’y a pas assez de nourriture sur la terre ferme pour compenser la <a href="https://doi.org/10.1890/140202">diminution des réserves énergétiques chez les ours</a>.</p>
<p>Face à ces changements, certains individus profitent des colonies <a href="https://doi.org/10.1098/rspb.2013.3128">d’oiseaux nicheurs et de leurs œufs</a>, l’une des rares ressources faciles à obtenir sur la terre ferme, pour combler en partie leurs déficits énergétiques. Les adaptations que les ours devront déployer pour faire face aux défis imposés par les changements climatiques sont multiples et imprévisibles.</p>
<p>Étudiant-chercheur en écologie, je profitais d’un court séjour au nord de l’île de Baffin, au Nunavut, pour travailler sur la petite faune de l’île Bylot. Le temps d’un après-midi, un ours polaire en a décidé autrement. Nous vous livrons ici ses prouesses, qui ont mené à l’observation d’un comportement inédit.</p>
<h2>L’observation inusitée – l’ours polaire en eau douce</h2>
<p>Nous sommes le 8 août 2021. À 80 km de la communauté inuite de Mittimatalik, le camp de recherche de l’île Bylot fourmille d’activité.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1139/as-2023-0029">Établi depuis 30 ans</a>, il est situé en plein cœur de l’aire d’élevage de la plus grande colonie connue d’oie des neiges (<em>Anser caerulescens caerulescens</em>). Aujourd’hui, les scientifiques de différents horizons parcourent le fond de la vallée Quarliktuvik – généralement plat – pour étudier le sol, l’eau, les plantes et la faune.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Bylot Island main research station TimMoser x" src="https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=246&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566995/original/file-20231220-25-jybcic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=310&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le camp de recherche de l’île Bylot.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Tim Moser)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En sortant d’un ravin, l’un des rares reliefs des environs, je balaie la vallée de mes jumelles. Deux paires de jambes retiennent mon attention au loin. Les brumes de chaleur brouillent l’image, mais ce que je considérais être des collègues marchant côte à côte prend soudainement la forme floue – mais caractéristique – d’un ours polaire. Bien que tous aient l’équipement nécessaire – vaporisateurs chasse-ours, cartouches anti-ours et parfois même un fusil – je retourne <em>presto</em> au camp après avoir alerté le groupe par radio.</p>
<p>Plusieurs collègues se sont regroupés sur une petite colline pour garder à l’œil le nouveau venu. En effet, le temps que je parcoure le kilomètre me séparant du camp, <em>nanuk</em> en avait fait trois dans sa direction et s’affairait autour d’un étang occupé par des oies. À cette période de l’année, <a href="https://doi.org/10.1111/jav.00982">celles-ci sont en mues</a> – donc incapables de voler – et s’attroupent près des étangs pour échapper au <a href="https://doi.org/10.14430/arctic604">renard arctique (<em>Vulpes lagopus</em>)</a>, qui dédaigne de se jeter à l’eau. Avec un ours dans les parages, les activités sur le terrain cessent et nous profitons de cet après-midi radieux pour observer le roi de la banquise.</p>
<p>Fidèles à leur habitude, les oies se sont réfugiées dans l’étang le plus proche à la vue du danger. Elles pataugent suffisamment rapidement pour maintenir l’ours, qui nage à la surface, à une bonne distance.</p>
<p>Celui-ci utilise alors une technique inédite : il plonge sous l’eau, disparaît aux yeux des oies qui cessent de fuir, et sort sous l’une d’elle.</p>
<p>Ma collègue Mathilde Poirier consigne ce comportement dans son carnet :</p>
<blockquote>
<p>13h45 – 14h00 : l’ours nage dans le lac […], effectue 4 plongées pour essayer d’attraper une oie. Réussi à sa 4<sup>e</sup> tentative (attrape l’oie par en dessous, lors d’une plongée).</p>
</blockquote>
<p>Au cours de l’après-midi, l’ours utilise cette technique deux autres fois, avec un échec et une réussite.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma" src="https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566996/original/file-20231220-19-utj9iv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nous avons observé une technique de chasse inédite chez un ours polaire : il plonge sous l’eau, disparaît aux yeux des oies qui cessent de fuir, puis sort sous l’une d’elle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Quels bénéfices les ours peuvent-ils tirer de ce comportement ?</h2>
<p>Deux mois plus tard, de retour l’Université Laval, cette observation nous fascine toujours. Nulle part dans la littérature scientifique ne fait-on mention d’un tel comportement. Au mieux, on y rapporte des <a href="https://doi.org/10.33265/polar.v41.8176">attaques sur des guillemots dans l’océan</a>, près des côtes, un environnement fort différent des étangs calmes et peu profond où nous avons observé les attaques.</p>
<p>Étant au fait des <a href="https://doi.org/10.1890/140202">défis énergétiques</a> auxquels font face les ours durant l’été, notre groupe de recherche a voulu répondre à la question suivante : est-ce que cette technique de chasse permettrait à l’ours polaire de bénéficier de la consommation d’oie des neiges ?</p>
<p>L’information consignée sur le terrain, soit le temps nagé par l’ours et son succès de chasse, nous permettait justement d’y répondre. En combinant nos observations avec des <a href="https://doi.org/10.1007/s00300-017-2209-x">estimations du coût énergétique</a> de la nage chez l’ours et <a href="https://doi.org/10.1093/conphys/cow045">l’énergie contenue dans une oie des neiges</a>, nous avons pu modéliser l’efficacité énergétique de la technique.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1139/AS-2023-0036">Ces calculs révèlent</a> que cette technique de chasse pourrait permettre aux ours d’acquérir plus d’énergie qu’ils n’en dépensent, particulièrement pour les ours de petite taille, et s’ils arrivent rapidement à attraper l’oie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="ours polaire" src="https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566994/original/file-20231220-25-lint0u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’ours en question s’affairait autour d’un étang occupé par des oies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Yannick Seyer)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un apport énergétique qui est loin d’être suffisant</h2>
<p>Cet apport énergétique aurait toutefois une portée très limitée.</p>
<p>Tout d’abord, une oie fournit relativement peu d’énergie – environ 200 fois moins qu’un <a href="https://doi.org/10.1139/z75-117">phoque annelé de 45 kilogrammes</a>.</p>
<p>De plus, elles sont rarement disponibles comme proies : elles perdent la capacité de voler seulement 3 ou 4 semaines chaque été et leurs colonies sont situés à <a href="http://dx.doi.org/10.1002/jwmg.879">quelques endroits</a> seulement dans l’arctique.</p>
<p>La chasse d’oies pourrait donc bénéficier ponctuellement à certains ours, mais ne permettra pas, à l’échelle de la population, d’alléger les déficits énergétiques causés par la fonte de la banquise.</p>
<p>Bien que notre observation souligne l’éventail comportemental que peuvent déployer les ours pour exploiter les ressources terrestres, ce type d’interaction entre l’oie des neiges et l’ours polaire ne devrait pas avoir d’impact sur les populations des deux espèces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220131/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Bolduc a reçu des financements du PFSN et de l'Association canadienne pour le trappage sans cruauté. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Matthieu Weiss-Blais a reçu des financements de CRSNG, FRQNT, PFSN. </span></em></p>Des chercheurs ont fait une observation fascinante : un ours polaire a employé une technique de chasse en plongée, encore jamais rapportée, pour capturer de grandes oies des neiges en mue.David Bolduc, Étudiant au doctorat en écologie animale, Université LavalMatthieu Weiss-Blais, Étudiant la maîtrise en biologie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189402023-11-30T11:32:32Z2023-11-30T11:32:32ZSocotra : un joyau de biodiversité menacé par les appétits émiratis ?<p>Alors que la COP28 débute à Dubaï, un petit archipel risque de faire parler de lui : celui de Socotra. Ces quatre petites îles yéménites, situées au nord-ouest de l’océan Indien sont dans le collimateur des Émirats arabes unis (EAU) depuis le début de la guerre du Yémen. Pour rappel, les EAU ont pris part à ce conflit en rejoignant la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui intervient depuis 2015 contre les Houthis soutenus par l’Iran. Mais Socotra n’est toutefois pas concernée par la guerre civile ou par les Houthis à l’heure actuelle.</p>
<p>Célèbre pour sa faune et sa flore uniques au monde, Socotra est considérée par certaines légendes comme l’emplacement originel du jardin d’Eden. L’archipel est aujourd’hui inscrit sur la <a href="https://whc.unesco.org/en/list/1263/">liste du patrimoine mondial de l’Unesco</a> afin de protéger ces îles parmi les plus riches en biodiversité du monde. Les scientifiques estiment en effet que 37 % des 825 espèces de plantes, 90 % des espèces de reptiles et 95 % des espèces d’escargots terrestres de l’île ne se retrouvent nulle part ailleurs dans le monde.</p>
<p>Mais ces dernières années, ce joyau de biodiversité est également soupçonné d’intéresser les EAU pour de nombreuses raisons potentielles. Tout d’abord, sa position stratégique, au milieu des voies navigables du Golfe, de l’Afrique et de l’Asie. Une localisation idéale pour faire de l’île une plaque tournante pour le transport maritime, la logistique et la défense militaire, et ainsi faire avancer les objectifs géostratégiques des Émirats, tout en contrant ceux de ses concurrents et adversaires. Mais c’est aussi son potentiel touristique qui pourrait intéresser les EAU. Autant de scénarios qui mettraient en péril sa grande biodiversité.</p>
<p>Mais que sait-on exactement de toutes ces possibilités ? Tâchons de faire le point.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Des influences émiraties anciennes</h2>
<p>Tout d’abord, il serait simpliste de décrire les jeux d’influence des EAU à Socotra comme un simple cas d’« intrusion » : les Socotris et les Émiratis sont liés de longue date, bien avant le début de la guerre au Yémen. Avant la découverte du pétrole à Abou Dabi à la fin des années 1950, certains Émiratis, en particulier des commerçants d’Ajman, ont émigré sur l’île. À l’inverse, de nombreux Socotris ont rejoint les pétromonarchies dans les années 1960 pour y trouver un emploi. Actuellement, environ 30 % de la population de Socotra vit aux Émirats arabes unis, principalement dans <a href="https://gulfstateanalytics.com/socotra-denying-rivals-of-refuge/">l’émirat d’Ajman</a>.</p>
<p>La pénétration économique, militaire et culturelle des EAU dans l’archipel s’est intensifiée tandis que l’île connaissait une profonde transformation sociale. Celle-ci a été principalement déclenchée par la <a href="https://journals.openedition.org/cy/1766">mise en œuvre de projets de conservation organisés et financés de l’extérieur</a> et par les <a href="https://merip.org/2012/05/revolution-in-socotra/">échos locaux du printemps arabe</a>, qui s’est incarné, au Yémen par un soulèvement contre l’ancien président Ali Abdallah Saleh. Pour poursuivre leurs objectifs géostratégiques, les Émiratis ont alors capitalisé sur ce vent de changement. Ils ont ainsi mis en place des réseaux de clientélisme et réussi à diviser les insulaires entre « partisans » et « opposants » à leurs politiques.</p>
<p></p><div style="position: relative; width: 100%; height: 0; padding-top: 56.2500%; padding-bottom: 0; box-shadow: 02px 8px 0 rgba(63,69,81,0.16); margin-top: 1.6em; margin-bottom: 0.9em; overflow: hidden; border-radius: 8px; will-change: transform;"><p></p>
<iframe loading="lazy" style="position: absolute; width: 100%; height: 100%; top: 0; left: 0; border: none; padding: 0;margin: 0;" src="https://www.canva.com/design/DAF1olphH8c/view?embed" allowfullscreen="allowfullscreen" allow="fullscreen" width="100%" height="400"> </iframe>
<p></p></div><a href="https://www.canva.com/design/DAF1olphH8c/view?utm_content=DAF1olphH8c&utm_campaign=designshare&utm_medium=embeds&utm_source=link" target="_blank" rel="noopener"></a><p></p>
<p>La présence émiratie a aussi accéléré la politisation et la militarisation de Socotra. Malgré cela, Socotra a surtout été étudiée par des environnementalistes et des anthropologues plutôt que par des politologues et des experts en sécurité. En effet, il reste compliqué d’étudier l’évolution des équilibres politiques et militaires dans l’archipel. Une difficulté qui n’a fait que croître depuis le début de la guerre au Yémen du fait de la difficulté d’accéder à des informations fiables, en particulier sur le rôle des Émirats depuis 2015.</p>
<h2>La politisation progressive de Socotra</h2>
<p>Dans l’histoire de Socotra, la question d’être ou non gouverné de l’extérieur a toujours été présente, probablement en raison de son isolement géographique. Le soulèvement yéménite de 2011 a ainsi alimenté le débat sur l’autonomie parmi les habitants de l’île. Au fil des ans, l’augmentation de la présence émiratie dans l’archipel a également renforcé les craintes d’une ingérence étrangère à Socotra, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’archipel.</p>
<p>En 2011 et 2012, les manifestations à Hadiboh, la plus grande ville de Socotra, remarquablement décrites par l’anthropologue <a href="https://merip.org/2012/05/revolution-in-socotra/">Nathalie Peutz</a>, reprenaient les slogans scandés à Sanaa et Taiz, les deux plus grandes villes du Yémen, qui réclamaient alors la chute du régime d’Ali Abdallah Saleh, des réformes politiques et une vraie lutte contre la corruption. En parallèle, l’accès à Internet n’a fait qu’augmenter dans l’archipel <a href="https://merip.org/2012/05/revolution-in-socotra/">depuis 2011</a> et les habitants se sont alors divisés en deux camps : ceux qui réclamaient un gouvernorat yéménite à Socotra et ceux qui demandaient l’autonomie par rapport au gouvernement central.</p>
<p>Une dualité qui a rapidement pénétré la société de l’île dans son ensemble. Des assemblées concurrentes, reflétant les divisions de la politique yéménite dans son ensemble, ont essaimé sur l’île pour protester contre les autorités officielles, perçues comme corrompues et inefficaces. En 2013, l’archipel de Socotra est finalement devenue un gouvernorat à part entière, et non plus sous l’autorité administrative de l’Hadhramawt, région du sud du Yémen.</p>
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<p>Dans les années qui ont suivi, l’archipel a été frappé par la <a href="https://www.thenationalnews.com/uae/fourth-uae-aid-ship-reaches-socotra-1.50668">série de cyclones Chapala et Megh</a> en 2015 puis <a href="https://www.thenationalnews.com/uae/government/uae-sends-aid-to-help-socotra-recover-from-cyclone-mekunu-1.738573">Mekunu</a> en 2018. Ces derniers ont causé des dommages aux bâtiments, aux infrastructures mais aussi à l’environnement de façon générale.</p>
<p>Dès les premiers cyclones, les EAU ont apporté leur aide, principalement par l’intermédiaire du Croissant-Rouge émirati et de la fondation caritative Khalifa bin Zayed Al Nahyan. De quoi financer la reconstruction des mosquées, de la <a href="https://www.thenationalnews.com/world/mena/uae-s-role-in-yemen-s-socotra-essential-for-development-and-reconstruction-says-sheikh-hamdan-1.728914.">création d’un réseau d’eau et équiper la ville Shaykh Zayed avec des installations d’éducation et de santé</a>.</p>
<p>Une aide humanitaire perçue par certains observateurs comme un <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/80827">« cheval de Troie »</a>. Les EAU ont également reconstruit le port de Hadiboh et l’aéroport de l’île.</p>
<p>Un mode opératoire pas vraiment inédit : dans le sud du Yémen, les Émirats arabes unis avaient déjà établi une influence remarquable dans les villes portuaires à Mokha, Aden, Mukalla, en contrôlant et en développant les infrastructures. Ce faisant, les Émiratis ont capitalisé sur des relations de clientélisme tissées avec des groupes et des milices du Sud, principalement liés au Conseil transitoire du Sud (CTS), <a href="https://www.yemenpolicy.org/institutional-prerequisites-for-the-stc-coup-in-aden-and-perspectives-on-the-jeddah-deal-2/">pro-sécessionniste et explicitement soutenu par Abou Dabi</a></p>
<p>Suivant le même schéma, la reconstruction de Socotra s’est entremêlée avec des initiatives commerciales et touristiques, par exemple des vols hebdomadaires reliant <a href="https://www.ft.com/content/37c1ce68-ea4e-4c97-978e-531c11bbbfb6">Abou Dabi à Hadiboh</a>. Autant d’actions brouillant les frontières entre l’aide et les investissements financiers.</p>
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<img alt="Ces dernières années, Socotra est devenue une destination touristique de plus en plus populaire, comme en témoigne par exemple cette vidéo de l’influenceuse voyage Eva zu Beck à Socotra" src="https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562477/original/file-20231129-15-yrse3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ces dernières années, Socotra est devenue une destination touristique de plus en plus populaire, comme en témoigne par exemple cette vidéo de l’influenceuse voyage Eva zu Beck à Socotra.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
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<h2>La militarisation croissante des Émirats et de l’Arabie saoudite</h2>
<p>En <a href="https://www.france24.com/en/20180506-uae-says-military-presence-yemens-socotra-distorted">2018</a>, le déploiement de troupes et de véhicules blindés émiratis à Socotra, sans coordination avec les autorités locales, toujours fidèles au gouvernement officiel yéménite, a marqué un tournant pour l’île. Selon des responsables émiratis, les Émirats arabes unis ont envoyé des troupes pour « soutenir les <a href="https://www.thenationalnews.com/world/mena/uae-deploys-to-yemen-island-to-protect-residents-1.727456">habitants de Socotra en quête de stabilité, de soins de santé, d’éducation et de conditions de vie</a> ».</p>
<p>L’arrivée des troupes émiraties a provoqué une vague de <a href="https://acleddata.com/2019/05/31/yemens-fractured-south-socotra-and-mahrah/">protestations de la part des habitants</a>, en particulier de la part des sympathisants des Frères musulmans opposés aux Émirats arabes unis et qui ont donc exigé leur départ de l’île. Pour tenter d’apaiser la situation, les autorités de Socotra ont demandé la médiation de l’Arabie saoudite. Le compromis négocié par Riyad a abouti au retrait de la plupart des forces et équipements militaires émiratis de l’île.</p>
<p>Mais en coordination avec le gouverneur local, l’Arabie saoudite a également envoyé des soldats à Socotra pour une <a href="https://apnews.com/8b09a56849ee432890f488a019f61cc7/config/newrelic/prod">« mission de formation et de soutien aux forces yéménites »</a> et pour gérer le <a href="https://www.middleeasteye.net/news/uae-military-withdraws-yemens-socotra-under-saudi-deal">port et l’aéroport</a>. En outre, l’accord saoudien prévoyait « le lancement d’un programme complet de <a href="https://www.middleeasteye.net/news/uae-military-withdraws-yemens-socotra-under-saudi-deal">développement et d’aide pour Socotra</a> », révélant que le royaume avait également ses propres <a href="https://www.spa.gov.sa/w689247">projets de développement</a> pour l’île. Une nouvelle fois, les divisions locales, les ingérences étrangères, la division du Yémen entre les forces pro-gouvernementales, soutenues par l’Arabie saoudite, et le CTS, sécessionniste et soutenu par les Émirats arabes unis, ont frappé l’île.</p>
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<img alt="L’un des arbres endémiques emblématiques de Socotra, le dragonnier de Socotra (Dracaena cinnabari)" src="https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C49%2C8231%2C5438&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562432/original/file-20231129-25-ar4yr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/un-arbre-etrange-au-milieu-dune-zone-rocheuse-siq3xkHUhSg">Andrew Svk/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Depuis 2019, le CTS a renforcé sa présence sur l’île, avec des combattants venant principalement <a href="https://orientxxi.info/magazine/yemen-the-socotra-archipelago-threatened-by-the-civil-war,4988">d’Aden et du Sud-Ouest du Yémen</a> ou, selon d’autres sources, des locaux formés par les EAU à Aden, puis déployés à Socotra dans le cadre des <a href="https://acleddata.com/2019/05/31/yemens-fractured-south-socotra-and-mahrah/">Security Belt Forces</a>, un groupe paramilitaire soutenu par les Émirats et favorables au CTS.</p>
<p>La pénétration militaire émiratie à Socotra s’est également faite par le biais de la formation : en 2019, les EAU ont confirmé qu’une centaine de femmes de Socotra avaient été admises à la prestigieuse académie Khawla bint Al Azwar à Abou Dabi pour y suivre une formation militaire et créer une <a href="https://www.terrasanta.net/2019/03/le-amazzoni-di-socotra/">unité militaire féminine sur l’île</a></p>
<p>En 2020, le CTS a finalement pris le contrôle de Socotra, après que le gouverneur loyal au gouvernement yéménite se soit opposé à la création d’une force locale pro-émiratie, <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-saudi-forces-abandon-security-points-in-socotra/1831978">ce qui a poussé les forces saoudiennes à se retirer rapidement</a></p>
<p>Ce coup d’État de facto du CTS a permis aux Émiratis de contrôler indirectement l’île en étendant leur influence : les <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210607-yemen-s-socotra-isolated-island-at-strategic-crossroads">salaires des fonctionnaires</a> de Socotra seraient désormais payés par les Émirats arabes unis et une unité des garde-côtes locaux aurait <a href="https://www.newarab.com/news/socotra-coast-guard-battalion-defects-uae-backed-southern-separatists">prêté allégeance au CTS</a>. Un <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210607-yemen-s-socotra-isolated-island-at-strategic-crossroads">reportage de l’AFP</a> de 2021 évoque pour sa part des drapeaux du STC éclipsées par les drapeaux des EAU, bien plus grands, qui flottent aux postes de contrôle de la police, tandis que les antennes de téléphonies récemment érigés relient les téléphones directement aux réseaux des EAU, et non à ceux du Yémen.</p>
<p>Dès lors, les rapports sur la militarisation de Socotra se sont multipliés. Les EAU ont construit une <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/socotra-yemen-civil-war-uae-saudi-arabia-occupation-military-emirates-a8360441.html">base militaire sur l’île</a>, à proximité du <a href="https://acleddata.com/2019/05/31/yemens-fractured-south-socotra-and-mahrah/andmanagedbytheSTC">port de Hawlaf</a> précédemment reconstruit.</p>
<h2>Le problème de la fiabilité des sources</h2>
<p>« L’île est devenue un ring de boxe régional » écrivait en 2020 <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/80827">Ahmed Nagi</a> l’un des rares chercheurs en sciences politiques à s’être rendu à Socotra récemment.</p>
<p>Pour les analystes travaillant à l’étranger, les informations disponibles sur l’archipel proviennent principalement d’organes de presse des EAU <a href="https://www.thenationalnews.com/uae/government/2021/07/31/uae-has-pledged-110-million-in-humanitarian-aid-to-socotra-since-2015/">liés au gouvernement</a>, ou de médias liés aux <a href="https://www.presstv.ir/Detail/2022/01/02/673875/UAE-establishing-second-military-airport-on-Yemen%E2%80%99s-strategic-Socotra-Island,-report-says">rivaux régionaux des EAU</a>, ce qui expose au risque d’informations biaisées.</p>
<p>Tant qu’il n’y aura pas de sources fiables sur les questions politiques et militaires à Socotra, la possibilité pour les analystes d’évaluer l’impact du « développement » et de « l’intervention étrangère » sur l’archipel, y compris la présence émiratie, sera difficile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eleonora Ardemagni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette île yéménite à la biodiversité unique au monde, inscrite sur la liste du patrimoine mondiale de l'UNESCO, subit l'influence grandissante des Émirats Arabes Unis.Eleonora Ardemagni, Teaching Assistant ("New Conflicts") Catholic University of Milan, Senior Associate Research Fellow at ISPI, and Adjunct Professor at ASERI ("Yemen: Drivers of Conflict and Security Implications"), Università Cattolica del Sacro Cuore - Catholic University of MilanLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167102023-11-28T15:14:54Z2023-11-28T15:14:54ZRégime alimentaire toxique : la santé des orques du Canada est fortement menacée par la pollution<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556701/original/file-20231024-15-edlqwl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6720%2C4476&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les toxines issues de la pollution s’accumulent dans le corps des épaulards par l’intermédiaire des petits poissons qu’ils consomment.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Audun Rikardsen)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les orques, également appelées épaulards, sont connues pour leur intelligence et leur présence impressionnante. Elles sont également confrontées à une menace silencieuse, mais persistante, sous la surface de nos océans. </p>
<p>Mes recherches sont consacrées aux orques et à leur régime alimentaire dans l’Atlantique Nord. D’autres études se sont déjà penchées sur les populations de l’océan Pacifique. Jusqu’à présent, il n’existait que très peu de données sur celles de l’Atlantique Nord, particulièrement pour celles de l’est du Canada et de l’Arctique canadien. </p>
<p>En collaboration avec d’autres chercheurs internationaux, j’ai récemment publié une étude dans <em>Environmental Science & Technology</em> qui révèle une réalité troublante : ces prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire transportent des taux élevés de polluants organiques persistants (POPs) dans leur graisse. L’accumulation de ces contaminants synthétiques <a href="https://doi.org/10.1021/acs.est.3c05516">entraîne des risques pour leur santé</a>.</p>
<h2>Polluants éternels</h2>
<p>Les POPs sont également appelés « polluants éternels » en raison de leur remarquable stabilité et de leur caractère durable. Ce groupe comprend des composés bien connus comme les <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/vie-saine/votre-sante-vous/environnement/bpc.html">biphényles polychlorés (BPC)</a>, les pesticides chlorés comme le <a href="https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/gestion-substances-toxiques/liste-loi-canadienne-protection-environnement/dichlorodiphenyltrichloroethane.html">dichlorodiphényltrichloréthane (DDT)</a> et les <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/substances-chimiques/fiches-renseignements/en-bref/sommaire-polybromodiphenylethers.html">retardateurs de flammes bromés</a>.</p>
<p>Au siècle dernier, ces produits chimiques ont été fabriqués en masse et utilisés dans un large éventail d’applications, notamment dans les processus industriels ou dans l’agriculture. Mais des recherches menées en Suède à la fin des années 1960 ont révélé que <a href="https://doi.org/10.1038/224247a0">ces substances s’accumulent dans les organismes vivants et persistent dans l’environnement</a>. </p>
<p>Les produits chimiques se lient aux graisses et leur concentration augmente au fur et à mesure qu’ils remontent la chaîne alimentaire, ce qui affecte surtout les dauphins et les baleines. Ces animaux, qui sont des prédateurs avec un niveau trophique élevé, en accumulent de plus grandes quantités et peinent à les éliminer. Cette accumulation de contaminants dans leur régime alimentaire – <a href="https://www.sciencedirect.com/topics/chemistry/biomagnification">appelée bioamplification</a> – est particulièrement préoccupante pour les mammifères marins, dont la température corporelle et les besoins énergétiques dépendent d’une quantité importante de graisses. </p>
<p>À des concentrations élevées, ces substances chimiques perturbent les systèmes <a href="https://doi.org/10.1016/j.envint.2015.10.007">immunitaires</a> et <a href="https://doi.org/10.1016/j.envint.2020.105725">hormonaux</a> des mammifères, mais affectent également leur <a href="https://www.jstor.org/stable/4312230">capacité à se reproduire</a> et peuvent même <a href="https://doi.org/10.1016/j.envint.2018.05.020">provoquer des cancers</a>.</p>
<h2>Une contamination qui varie beaucoup</h2>
<p>Notre étude, qui porte sur 160 orques, révèle un schéma inquiétant de contamination par les BPC dans l’ensemble de l’Atlantique Nord. Les concentrations <a href="https://doi.org/10.1021/acs.est.3c05516">varient considérablement d’un endroit à l’autre de l’océan</a>, allant d’une quantité stupéfiante de 100 mg/kg dans l’ouest de l’Atlantique Nord à environ 50 mg/kg au centre de cette même région. Fait intrigant, les orques vivant dans l’est de l’Atlantique Nord, notamment en Norvège, présentent des concentrations de BPC plus faibles, de l’ordre de 10 mg/kg. </p>
<p>Signalons que les effets sur le système immunitaire liés aux BPC <a href="https://www.jstor.org/stable/4312230">commencent à se manifester à partir de 10 mg/kg</a> ; l’infertilité a été observée chez les mammifères marins à partir de 41 mg/kg. Les orques de l’est du Canada et de l’Arctique canadien présentent des taux de BPC dépassant le double du seuil associé aux problèmes de reproduction chez ces animaux.</p>
<h2>Dis-moi ce que tu manges</h2>
<p>Le régime alimentaire joue un rôle essentiel dans ce schéma de contamination. Les orques qui se nourrissent principalement de poissons montrent généralement des taux de contaminants plus faibles. En revanche, celles qui consomment des mammifères marins, en particulier des phoques et des baleines à dents, affichent des concentrations plus élevées. </p>
<p>Les orques dont le régime alimentaire est mixte – contenant à la fois du poisson et des mammifères marins – ont tendance à afficher des taux élevés de contaminants, principalement en Islande. </p>
<p>Nos recherches ont pour but d’étudier les répercussions potentielles des préférences alimentaires sur la santé des orques. Les évaluations des risques suggèrent que les individus de l’ouest de l’Atlantique Nord et de certaines zones à l’est, dont le régime alimentaire est mixte, sont exposés à des risques plus élevés, directement liés à ce qu’ils mangent.</p>
<p>Parmi les contaminants émergents, l’<a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/substances-chimiques/autres-substances-chimiques-interets/hexabromocyclododecane.html">hexabromocyclododécane (HBCDD)</a>, un retardateur de flamme, est particulièrement préoccupant. Les concentrations de HBCDD chez les orques de l’Atlantique Nord sont parmi les plus élevées mesurées parmi les mammifères marins, dépassant les concentrations observées dans leurs congénères du Pacifique Nord.</p>
<h2>Disparition de la glace marine</h2>
<p>Ce constat révèle la fascinante complexité de l’écologie des orques et souligne l’impact considérable de leurs préférences alimentaires sur leur exposition aux polluants environnementaux. </p>
<p>Cela soulève également des inquiétudes pour les <a href="https://doi.org/10.1007/978-90-481-9121-5_6">orques « envahissant l’Arctique »</a> qui se déplacent progressivement vers le nord en raison des changements climatiques. Leur grande nageoire dorsale les empêche normalement de naviguer parmi les glaces marines denses. Mais la fonte de ces glaces a permis aux orques d’accéder à un nouvel habitat abritant d’autres espèces de proies.</p>
<p>Les chercheurs pensent qu’ils y chasseront de plus en plus de mammifères marins, tels que les phoques annelés, les narvals et les bélugas. Ces changements de régime alimentaire, influencés par l’évolution de notre environnement, peuvent entraîner des risques accrus pour la santé des prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire.</p>
<h2>Les femelles sont moins contaminées grâce au transfert maternel</h2>
<p>L’étude met également en évidence une différence de concentration de contaminants selon le sexe. Les orques mâles semblent plus touchées que leurs homologues femelles, en raison du <a href="https://doi.org/10.1002/etc.5064">transfert de contaminants</a> des femelles adultes à leur progéniture pendant la gestation et l’allaitement. </p>
<p>Les mères orques utilisent leur propre énergie pour produire du lait très gras pour leurs petits, les aidant ainsi à grandir rapidement et à rester en bonne santé. Ce lait nutritif provient de la graisse de la mère, où les contaminants sont stockés. Lorsqu’elle nourrit ses petits, elle peut leur transmettre jusqu’à 70 % de ces contaminants stockés.</p>
<h2>Mesures d’urgence</h2>
<p>Face à ces résultats, il est urgent d’agir pour protéger les orques de l’Atlantique Nord et leurs écosystèmes. <a href="https://chm.pops.int/Home/tabid/2121/Default.aspx">L’objectif du traité des Nations unies de 2001</a>, qui consiste à éliminer progressivement et à détruire les BPC d’ici 2028, est de moins en moins réalisable. </p>
<p>Des quantités considérables de déchets contaminés par les BPC <a href="https://doi.org/10.1021/acs.est.2c01204">sont stockées dans des entrepôts en mauvais état</a>, au risque de voir les polluants se retrouver dans l’environnement et d’affecter encore davantage nos écosystèmes. Qui plus est, lorsqu’un produit chimique est interdit, un autre apparaît souvent, avec suffisamment de variation pour échapper aux réglementations précédentes, perpétuant ainsi un cycle dévastateur.</p>
<p>Pour s’attaquer efficacement au problème de l’accumulation de contaminants chez les orques, il est nécessaire de prendre les mesures suivantes :</p>
<ul>
<li><p>des actions urgentes sont indispensables pour l’élimination adéquate des déchets contaminés par les BPC, en privilégiant la collaboration internationale pour aider les pays qui ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire à la gestion des déchets ;</p></li>
<li><p>il est essentiel d’empêcher la libération de nouveaux contaminants potentiellement plus nocifs dans l’environnement en améliorant les tests de toxicité des produits chimiques avant leur mise en marché ;</p></li>
<li><p>la coopération entre les écotoxicologues, les biologistes de la conservation, les décideurs politiques et les autres parties prenantes est primordiale. Des stratégies efficaces pour atténuer les effets néfastes de la pollution ne peuvent être élaborées que grâce à des efforts collectifs ;</p></li>
<li><p>des initiatives de conservation ciblées doivent être prises en faveur des populations les plus menacées, telles que les orques de l’est de l’Arctique canadien et de l’est du Canada.</p></li>
</ul>
<p>La pollution chimique a été identifiée comme l’une des <a href="https://doi.org/10.1126/science.1259855">neuf menaces mondiales de notre époque pour la faune et la flore, ainsi que pour la santé humaine</a>. Il est temps d’apporter à notre planète – et aux orques – le répit dont elle a besoin en réduisant les contaminants existants par des actions concrètes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216710/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïs Remili ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accumulation de polluants synthétiques dans la graisse des orques nuit à la santé de ces mammifères marins. Il est urgent d’agir pour résoudre ce problème.Anaïs Remili, Postdoctoral fellow, Wildlife Ecotoxicology, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141652023-11-26T15:36:24Z2023-11-26T15:36:24ZLes rivières intermittentes, des écosystèmes encore trop souvent méconnus et négligés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550896/original/file-20230928-27-88889f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=258%2C17%2C3288%2C2138&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Moutons dans un segment en cessation d’écoulement dans le Barranc del Carraixet, Espagne.</span> <span class="attribution"><span class="source">Nuria Cid</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>550 000km, c’est la longueur totale des cours d’eau en France. Rus, rivières, <a href="https://theconversation.com/fleuves-francais-est-il-possible-de-retrouver-un-bon-etat-ecologique-169043">fleuves</a> : l’immense majorité de la population <a href="https://theconversation.com/des-rivieres-et-des-riverains-les-emotions-comme-approche-de-la-preservation-de-leau-179210">vit à proximité d’un cours d’eau</a>. Nous sommes nombreux à avoir été témoins d’une forte crue ou de l’assèchement soudain du cours d’eau auprès duquel nous jouions enfant.</p>
<p>Une partie de nos rivières sont d’ailleurs dites « intermittentes » : de manière récurrente, elles cessent de s’écouler ou s’assèchent complètement. C’est un phénomène naturel, tous les cours d’eau possèdent des segments intermittents : à l’échelle mondiale, ils sont même plus importants que les segments qui coulent toute l’année ; à l’échelle française ils représentent <a href="https://hess.copernicus.org/articles/17/2685/2013/hess-17-2685-2013.html">environ un tiers de l’ensemble des cours d’eau du pays</a>.</p>
<p>La biodiversité et les processus écosystémiques des cours d’eau intermittents sont régis par les cycles répétés de phases d’écoulement, de non-écoulement et d’assèchement. À leur tour, ces phases influencent la dynamique écologique de tout le cours d’eau, y compris des écosystèmes aquatiques pérennes connectés en surface, dans le milieu souterrain (nappes phréatiques) et ce jusqu’aux estuaires et zones littorales.</p>
<p>Liée au climat, à la géologie ou aux échanges avec la nappe, cette intermittence n’est donc pas négative pour la biodiversité. Mais le <a href="https://theconversation.com/dans-le-jura-le-rechauffement-climatique-aggrave-la-pollution-des-eaux-par-les-nitrates-206785">changement climatique</a> vient introduire des perturbations qui elles, peuvent avoir des effets néfastes. C’est ce que nous montrons dans des travaux publiés dans <a href="https://www.nature.com/articles/s43017-023-00495-w"><em>Nature Reviews Earth & Environment</em></a>.</p>
<h2>Des espèces qui s’adaptent</h2>
<p>Tant qu’elle est naturelle, l’intermittence n’est pas nécessairement néfaste pour la biodiversité. Beaucoup d’espèces animales et végétales ont développé des adaptations à la « dessiccation », c’est-à-dire au fait de se dessécher. C’est le cas par exemple de <a href="https://experts.arizona.edu/en/publications/resistance-resilience-and-community-recovery-in-intermittent-rive">certains insectes trichoptères et plécoptères</a>.</p>
<p>Sous certains climats, des crustacés comme certaines écrevisses, des copépodes ou des ostracodes, peuvent également survivre hors de l’eau pendant des semaines voire des années, <a href="https://experts.arizona.edu/en/publications/resistance-resilience-and-community-recovery-in-intermittent-rive">sous des formes de résistance</a> – œufs, larves ou adultes en dormance. Certains poissons peuvent même respirer de l’air <a href="https://experts.arizona.edu/en/publications/resistance-resilience-and-community-recovery-in-intermittent-rive">durant les périodes d’assec en Afrique</a>, en Australie ou en Amérique du Sud.</p>
<p>Certains organismes sont par ailleurs capables de recoloniser très vite les segments asséchés une fois l’eau revenue, que ce soit à partir de segments pérennes, de la zone saturée en eau sous le lit des cours d’eau ou de refuges aquatiques dans le bassin versant.</p>
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<p>D’autres espèces profitent de cet assèchement et donc de l’absence fréquente de prédateurs pour se développer dans ces segments. C’est le cas d’espèces de saumons au Canada mais aussi du crapaud sonneur à ventre jaune (<em>Bombina variegata</em>) en Europe.</p>
<p>Cette intermittence est également un frein naturel à la propagation d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/especes-invasives-29442">espèces invasives</a>. Elle génère une forte diversité régionale, en réajustant constamment les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/fwb.13611">successions écologiques</a>.</p>
<p>Des organismes terrestres profitent enfin aussi largement des assèchements, que ce soit pour se nourrir de matière organique aquatique morte, occuper les lits de cours d’eau asséchés <a href="https://www.researchgate.net/publication/370133726_Intermittent_rivers_and_ephemeral_streams_are_pivotal_corridors_for_aquatic_and_terrestrial_animals">ou les utiliser pour se déplacer</a>.</p>
<h2>La faune prise de court</h2>
<p>Les transformations globales viennent malheureusement perturber ces cycles naturels dans nos rivières. Le changement climatique, marqué par de longues périodes sans pluie et des températures de plus en plus élevées, modifie la dynamique d’assèchement des cours d’eau. Certains s’assèchent plus, d’autres moins, et de nombreux segments historiquement pérennes deviennent intermittents.</p>
<p>Ces changements brutaux affectent fortement la biodiversité. Certaines espèces qui se réfugiaient dans ces cours d’eau sont menacées, soit par un assèchement plus précoce qui les empêche de rejoindre leur lieu de frayage ou perturbe leur cycle de vie. Par exemple, l’arrivée précoce d’assecs – périodes sans eau – peut mettre en péril les stratégies sélectionnées par l’évolution, comme le fait pour les larves des trichoptères du groupe <em>Stenophilax</em> sp. d’émerger sous forme d’adultes au printemps pour aller se réfugier dans des grottes ou troncs d’arbres durant l’assèchement estival.</p>
<p>Les refuges sont aussi parfois tellement dégradés durant les canicules et périodes de sécheresse qu’ils ne jouent plus leur rôle et menacent la dynamique biologique de ces cours d’eau.</p>
<h2>Des pans de l’économie menacés</h2>
<p>De plus en plus de rivières historiquement pérennes deviennent par ailleurs intermittentes du fait des prélèvements excessifs dans les nappes et les rivières.</p>
<p>Les trajectoires biologiques de ces « nouveaux » écosystèmes sont encore très méconnues mais représentent une sérieuse menace pour la riche diversité des cours d’eau et les <a href="https://academic.oup.com/bioscience/article-abstract/73/1/9/6835545?redirectedFrom=fulltext">nombreux services qu’ils rendent</a> aux sociétés.</p>
<p>Une intermittence imprévue, associée à une baisse drastique du débit, peut ainsi affecter les loisirs nautiques sur certaines rivières : en 2022, l’absence de pluie a par exemple provoqué une chute du débit et un assèchement extrême de la Drôme et donc empêché les descentes en canoë. L’irrigation et par extension la production agricole sont également touchées, avec un impact économique majeur sur tout un secteur. Même constat pour la pêche, qu’elle soit professionnelle ou non.</p>
<h2>Une bombe à retardement environnementale</h2>
<p>Ces zones asséchées sont aussi beaucoup plus actives biogéochimiquement que l’on ne le soupçonnait. Ce sont notamment des lieux d’accumulation de matières organiques terrestres qui, une fois remises en eau, peuvent produire des pulses de CO<sub>2</sub>, c’est-à-dire des émissions brutales et ponctuelles dans l’atmosphère <a href="https://www.nature.com/articles/s41561-018-0134-4">dans l’atmosphère</a>, ainsi que des flux d’eau très peu oxygénée et chargée d’éventuels contaminants vers l’aval, avec des effets dévastateurs pour l’environnement, mais également pour la santé humaine.</p>
<p>Il apparaît donc nécessaire que l’intermittence des cours d’eau soit prise en compte dans la gestion des milieux aquatiques. Considérer cela comme un épisode occasionnel, sans importance, peut avoir de graves conséquences sur la biodiversité des eaux douces, leur intégrité écologique et les populations vivant à proximité.</p>
<h2>Des milieux trop négligés</h2>
<p>Malheureusement, ces écosystèmes souffrent <a href="https://www.researchgate.net/publication/365292418_It%E2%80%99s_dry_it_has_fewer_charms_Do_perceptions_and_values_of_intermittent_rivers_interact_with_their_management">d’une perception très négative</a> chez les gestionnaires et le public, parce qu’ils sont méconnus, complexes et jusqu’à récemment, peu étudiés. Les segments asséchés sont souvent utilisés comme décharges, réceptacles de rejets d’eaux usées, de circuit de 4x4 et quads, ou encore comme sources de granulats.</p>
<p>Du point de vue de leur gestion, cela freine la mise en place de politiques publiques dédiées à la protection des milieux aquatiques. Ils ne sont pas suivis hydrologiquement, malgré des évolutions positives comme le <a href="https://onde.eaufrance.fr/">réseau national ONDE</a>, et <a href="https://hal.inrae.fr/hal-02600226">sont oubliés des suivis de l’état écologique</a> dans le cadre de la Directive cadrée européenne. En France, les efforts pour conserver ou restaurer ces milieux demeurent extrêmement rares.</p>
<p>Sur le plan législatif, plusieurs tentatives ont même lieu pour les exclure de la police de l’eau, que ce soit <a href="https://www.researchgate.net/publication/365292418_It%E2%80%99s_dry_it_has_fewer_charms_Do_perceptions_and_values_of_intermittent_rivers_interact_with_their_management">aux Etats-Unis</a> <a href="https://www.zabr.assograie.org/les-cours-deau-intermittents-en-danger/">ou en France</a>.</p>
<p>Pourtant, ces segments qui font partie intégrante des réseaux hydrographiques sont connectés aux segments pérennes, mais aussi aux eaux souterraines, zones humides adjacentes, estuaires et milieux côtiers, au moins durant les phases en écoulement : les négliger met en péril l’ensemble des écosystèmes aquatiques d’eau douce.</p>
<h2>Une app pour signaler les rivières asséchées</h2>
<p>Afin de mieux comprendre ces rivières, l’Inrae et ses partenaires ont développé une application de sciences participatives open-source dans le cadre d’un projet de recherche européen : <a href="https://www.dryver.eu/app">DryRivers</a>.</p>
<p>Cette application permet à n’importe quel citoyen de signaler un assèchement d’un cours d’eau. Les données ainsi recueillies sont disponibles sur le site Internet du projet. Leur analyse nous a déjà aidés à <a href="https://academic.oup.com/bioscience/article/73/7/513/7223627">mieux cartographier ces rivières</a> au niveau européen, de calibrer et valider des modèles hydrologiques indispensables à la compréhension et à la gestion des cours d’eau, non seulement aujourd’hui mais aussi dans le futur.</p>
<p>Ces observations contribuent enfin à sensibiliser le public à la prévalence de ces écosystèmes dans le paysage, tout en alertant sur les effets du réchauffement climatique sur nos cours d’eau.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibault Datry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si beaucoup d’espèces sont adaptées à l’intermittence naturelle des cours d’eau, le changement climatique perturbe cet équilibre en amplifiant les périodes de sécheresse et les crues.Thibault Datry, Directeur de Recherche, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171332023-11-23T09:28:46Z2023-11-23T09:28:46ZLe lierre « tueur d’arbre » : entre préjugés, ignorance et réalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559361/original/file-20231114-27-ysrjkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C31%2C4220%2C2792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le nom savant du lierre est Hedera Helix</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/plante-verte-et-brune-en-photographie-rapprochee-CadWmqaZCr4">Benjamin Huggett/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le procès du lierre semble avoir été rendu il y a bien longtemps. Dès 77 après Jésus-Christ, Pline l’Ancien assurait au <a href="https://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/livre16.htm">livre XVI</a> de son <em>Histoire naturelle</em> « Le lierre tue les arbres ». Dont acte, déplorent aujourd’hui certains acteurs de la protection de la biodiversité par exemple l’office national des forêts qui alertait en <a href="https://x.com/ONF_Officiel/status/1711765741261693378?s=20">octobre 2023</a> sur le nombre de personnes coupant les tiges de lierres en forêt, privant ainsi les écosystèmes d’une plante jouant plusieurs rôles bénéfiques pour les écosystèmes. Alors, ce lierre, on le coupe ou on le garde ? Faisons le point.</p>
<h2>Le lierre tue-t-il les arbres ?</h2>
<p>Le lierre n’est pas un parasite. C’est une liane, il n’a donc pas de tronc et, incapable de porter son propre poids, il a besoin d’un support. Il rampe ainsi au sol pendant la première partie de sa vie, puis s’approche de la lumière en grimpant sur un support, arbre ou autre, et seulement alors il fleurit et fructifie. Il s’accroche à son support par de petites racines collantes courtes et brunes, qui n’absorbent ni eau ni nourriture.</p>
<p>Le lierre n’enserre pas non plus les arbres à la manière d’un figuier étrangleur, car ses tiges qui grimpent sur un même tronc sont peu liées les unes aux autres. Les figuiers dits étrangleurs, eux, vivent dans la forêt équatoriale, où la compétition pour la lumière est beaucoup plus intense que dans la forêt tempérée. À la mort de l’arbre porteur, le figuier, qui peut soutenir son propre poids, hérite de sa place au soleil dans la canopée et de l’apport nutritif lié à la décomposition de son tronc.</p>
<p>Le lierre, au contraire, a tout à perdre de la mort de son support, puisqu’il se retrouve alors, sauf exception, précipité à terre et dans l’impossibilité de continuer son cycle de croissance et de reproduction.</p>
<p>Cependant le lierre peut peser très lourd, contraignant l’arbre à produire davantage de bois, ce qui lui coûte des ressources. Et la présence de lierre augmente beaucoup la surface de feuillage sur laquelle le vent appuie, comme sur une voile: cette prise au vent peut devenir importante au point de briser ou déraciner l’arbre.</p>
<h2>Compétition pour l’eau et les sels minéraux du sol ?</h2>
<p>Le lierre peut-il nuire aux arbres, même s’il ne s’en nourrit pas ? Il puise l’eau et les sels minéraux par les racines de sa partie rampante qui, contrairement aux racines de la partie grimpante, ne sont pas transformées en crampons. Il pourrait donc être en compétition avec les arbres dans le sol pour ces ressources. Mais le lierre garde son feuillage toute l’année, et une <a href="https://doi.org/10.1007/s00425-011-1363-6">étude</a> a montré qu’il utilise l’eau surtout lors des journées douces de fin d’hiver et de printemps, quand les arbres à feuilles caduques n’en ont pas besoin parce qu’ils sont en repos hivernal. De plus, le lierre perd ses feuilles tout au long de l’année, et non pas en une seule fois comme les arbres à feuilles caduques. En se décomposant ces feuilles <a href="https://iris.unipv.it/handle/11571/571105">apportent dans le sol</a> des minéraux qui semblent pouvoir être utilisés rapidement par les arbres voisins et favoriser leur croissance.</p>
<h2>Compétition pour la lumière ?</h2>
<p>C’est la lumière qui permet la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/photosynthese-63763">photosynthèse</a>, unique source de matière et d’énergie des plantes. Les feuilles des arbres et celles du lierre sont en compétition pour la lumière dans les parties hautes des arbres. Cependant, le lierre, dont les feuilles sont plutôt situées près du tronc et des grosses branches de l’arbre, supporte en outre très bien l’ombre. Les feuilles de l’arbre sont davantage situées sur les extrémités des rameaux, en pleine lumière. Cette compétition est donc plutôt en faveur de l’arbre, sauf si son feuillage est déjà très clairsemé, comme c’est le cas pour les arbres affaiblis par l’âge ou la maladie.</p>
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<p><a href="https://www.canva.com/design/DAFzYtQwEi0/view?utm_content=DAFzYtQwEi0&utm_campaign=designshare&utm_medium=embeds&utm_source=link" target="_blank" rel="noopener"></a></p>
<h2>Bilan des relations entre l’arbre et le lierre</h2>
<p>On a du mal à savoir ce qui l’emporte, l’aspect bénéfique ou les dommages, car si le lierre peut être l’objet de beaucoup d’émois et de discussions, évaluer la balance bénéfice-risque de sa présence sur le long terme et dans différents cas de figure serait méthodologiquement long et difficile. Peu de publications scientifiques sont disponibles pour jauger cela.</p>
<p>Une étude conduite en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/11263500902722428">Turquie</a> indique cependant que les arbres qui portent du lierre ont une croissance moindre que ceux qui n’en portent pas. Les auteurs interprètent cette corrélation en concluant que le lierre est nuisible aux arbres. Mais comme pour toute corrélation, on peut envisager la causalité inverse (le lierre s’installerait de préférence sur les arbres qui poussent moins vite), ou l’absence de causalité, ce que les auteurs n’ont pas fait. Notons aussi que les conditions climatiques de la Turquie ne sont pas les mêmes que celles de la France, et on ne sait pas si ces résultats seraient transposables avec des rythmes de croissance et un effet de l’éclairement susceptibles d’être différents.</p>
<p>Une <a href="http://www.arborecology.com/article_forf.htm">étude</a> rapportée dans l’excellente revue <a href="https://www.lahulotte.fr/index.php"></a> <a href="https://www.lahulotte.fr/index.php"><em>La Hulotte</em></a>, qui consacre ses numéros 106 et 107 au lierre, porte quant à elle sur la qualité du bois : un propriétaire forestier avait fait éliminer systématiquement le lierre sur une de ses parcelles pendant 75 ans, et était arrivé à la conclusion que la qualité de bois n’était pas différente entre les parcelles avec lierre et les parcelles sans lierre. Ce qui ne nous renseigne pas sur les différences de mortalité entre les arbres, mais donne pour indication que les forestiers n’ont pas d’intérêt à arracher le lierre pour favoriser la vente du bois.</p>
<p>Alors le lierre tue-t-il les arbres ? Ça arrive, mais pas systématiquement, et, en tous cas, il ne les parasite pas. Parfois le lierre favorise son arbre support. Lierre et arbre entretiennent des interactions complexes, comme le sont les interactions dans les écosystèmes, pas entièrement nuisibles, pas entièrement bénéfiques… Avant donc de détruire le lierre voyons un peu s’il est utile à d’autres espèces de l’écosystème.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>D’autres arguments pour défendre le lierre ?</h2>
<p>Oui ! Il suffit d’observer un lierre en fleur en octobre-novembre pour constater la présence abondante d’abeilles, nourries par le nectar de la plante. Dernière plante à fleurir avant l’hiver dans bien des endroits, le lierre favorise la survie hivernale de très nombreux insectes pollinisateurs, dont une visiteuse spécialisée, l’abeille du lierre. Pierre Deom dans <a href="https://www.lahulotte.fr/index.php"><em>La Hulotte</em> n°106</a> « Les trois vies du Lierre » rapporte qu’au moins 200 espèces d’insectes se nourrissent du nectar des fleurs du lierre. En automne, le lierre peut constituer <a href="https://doi.org/10.1038/srep40568">jusqu’à 90 % des ressources</a> alimentaires des abeilles.</p>
<p>Après la floraison vient la fructification, toujours à contre-saison par rapport aux plantes dominantes : les fruits sont à maturité en décembre-janvier. Ils sont comestibles pour les oiseaux, bien que pas très recherchés. Mais quand l’hiver est rude et que les autres sources de nourriture sont épuisées, les merles, grives et autres passereaux y trouvent de quoi survivre. Attention cependant, les fruits du lierre sont toxiques pour les humains !</p>
<p>Et même quand il n’offre rien à manger, le lierre offre l’abri de son feuillage toujours vert et de ses branches enchevêtrées, un bon endroit pour se cacher, faire son nid <a href="https://www.jstor.org/stable/3599428">pour des dizaines d’espèces d’oiseaux et d’insectes</a>.</p>
<p>Les lianes jouent d’autres rôles importants dans les écosystèmes forestiers. Comme suggéré <a href="https://iris.unipv.it/handle/11571/571105">pour le lierre</a>, il a été <a href="https://doi.org/10.1007/s11434-011-4690-x">montré en forêt subtropicale</a> que la chute des feuilles des lianes fournissait proportionnellement plus de litière, et une litière de meilleure qualité que celle des arbres. La litière est le tapis de feuilles mortes et autres débris qui tombent au sol et y sont décomposés. Cette décomposition permet de séparer les éléments minéraux des molécules organiques, et de les recycler lors de la nutrition minérale des plantes. De plus, en raison de leur croissance à l’horizontale, les lianes prélèvent les éléments minéraux loin des troncs, et la chute des feuilles relocalise ces minéraux au pied des arbres.</p>
<p>Qu’elles aident à nourrir les arbres ou qu’elles en fassent tomber certains, ouvrant ainsi la place pour d’autres, les lianes ont une influence considérable sur l’écologie forestière, et les spécialistes estiment que leur action est globalement favorable à la biodiversité forestière. On peut vouloir éliminer le lierre sur des arbres de parc, pour mieux les admirer, c’est une question de goût… Mais en dehors de ces considérations esthétiques, respecter le lierre c’est favoriser des centaines d’espèces qui en vivent ou s’y abritent, et, sauf cas particuliers, sans nuire aux arbres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès Schermann Legionnet a reçu des financements de l’Union Européenne et de l’état français pour ses recherches. </span></em></p>Parasite, tueur d'arbre, toxique… Le lierre pâtit d'une bien mauvaise réputation. À raison ?Agnès Schermann Legionnet, Maîtresse de conférences, Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1965302023-11-22T14:17:17Z2023-11-22T14:17:17ZAu Québec, les feuillus pourraient se déplacer vers le nord. Voici les conséquences potentielles sur le paysage forestier boréal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557106/original/file-20231101-23-x790gm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C994%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'impact combiné de l'augmentation des températures (de 2 à 8°C d'ici 2100) et de l'aménagement forestier dans la forêt boréale mixte pourrait modifier la croissance et la distribution des espèces tempérées.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec, on retrouve deux types de forêt distincts : la forêt tempérée nordique au sud et la forêt boréale au nord. </p>
<p>Ces écosystèmes forestiers fournissent une <a href="https://doi.org/10.1126/science.abf3903">diversité de services importants</a> au fonctionnement global de la planète et de notre économie. On peut par exemple penser au stockage de grandes quantités de carbone atmosphérique, aux habitats pour de nombreuses espèces, ainsi qu’à la fourniture de matière première pour l’industrie du bois, qui est un pilier de l’économie québécoise et canadienne.</p>
<p>Étudiant au doctorat à l’UQAT, je travaille sur le potentiel de colonisation de l’érable à sucre, du bouleau jaune et de l’érable rouge au nord de leur aire de répartition, dans la forêt boréale mixte. Ces trois espèces emblématiques des forêts d’Amérique du Nord sont d’une importance capitale au niveau économique (bois d’œuvre, fabrication de contreplaqué, pâte, ou sirop d’érable pour l’érable à sucre) et contribuent à la diversité des forêts québécoises.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><strong>Cet article fait partie de notre série <a href="https://theconversation.com/ca-fr/topics/foret-boreale-138017">Forêt boréale : mille secrets, mille dangers</a></strong></p>
<p><br><em>La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !</em></p>
<hr>
<h2>La forêt mixte, entre biome tempéré et boréal</h2>
<p>La forêt mixte est située au niveau de la zone de transition (écotone) entre les forêts boréale et tempérée. </p>
<p>Elle désigne la région où ces deux forêts se rencontrent, créant une zone dans laquelle les <a href="https://mffp.gouv.qc.ca/nos-publications/zones-vegetation-domaines-bioclimatiques/">caractéristiques de ces deux types de forêts s’entremêlent</a>. Cet amalgame se caractérise par une coexistence complexe entre les espèces feuillues tempérées et les conifères typiques de la forêt boréale. </p>
<p>C’est dans cet écotone que les feuillus tempérés atteignent la limite nord de leur répartition. </p>
<h2>Un futur incertain pour la forêt boréale mixte</h2>
<p>L’impact combiné de l’augmentation des températures (de 2 à 8 °C d’ici 2100) et de l’aménagement forestier dans la forêt boréale mixte pourrait <a href="https://doi.org/10.1111/gcb.16014">modifier la croissance et la distribution des espèces tempérées</a>. Les services écosystémiques fournis par ces espèces pourraient être alors altérés.</p>
<p>Cette transformation pourrait être profonde. Car les espèces de feuillus tempérés pourraient migrer vers le nord et même devenir des <a href="https://doi.org/10.1111/ecog.06525">espèces dominantes au sein des peuplements de la forêt boréale mixte</a>.</p>
<p>Un tel changement dans la composition forestière de la forêt boréale mixte pourrait avoir des conséquences majeures pour l’industrie forestière, les régimes de perturbations naturelles et la biodiversité associée aux espèces d’arbres dominantes dans les forêts. Cependant, l’incertitude entourant l’implication des facteurs qui influencent le succès de l’établissement et de la croissance des feuillus tempérés dans la forêt boréale mixte reste considérable. </p>
<p>Il est essentiel de comprendre comment la croissance et la capacité d’établissement des feuillus tempérés au sein des peuplements de la forêt mixte sont influencées par des facteurs tels que le climat, les caractéristiques du sol et les interactions de compétition entre les arbres pour obtenir une vision complète de l’avenir de la forêt boréale mixte.</p>
<h2>Des feuillus dans la forêt boréale mixte ?</h2>
<p>Dans le cadre de mes travaux de doctorat, nous avons tenté de modéliser les interactions de compétition entre les arbres en tenant en compte des effets des changements climatiques sur leur croissance. Ce modèle simule chaque arbre dans un peuplement. Chaque année, les arbres croissent, se reproduisent et peuvent éventuellement mourir. La croissance de chaque arbre dépend de la lumière que l’arbre reçoit, de la compétition pour les nutriments et pour l’espace, et du climat. </p>
<p>Dans notre étude, <a href="https://doi.org/10.1111/ecog.06525">publiée dans la revue <em>Ecography</em></a>, nous avons exploité ce modèle pour évaluer la capacité des feuillus tempérés à s’établir au sein de peuplements de la forêt boréale mixte. Pour ce faire, nous avons procédé à la modélisation de peuplements typiques de la forêt boréale mixte, auxquels nous avons intégré des espèces de feuillus tempérés, offrant l’opportunité de coloniser ces peuplements. </p>
<p>Nous avons montré que les trois espèces de feuillus tempérés pouvaient coloniser le peuplement. Le bouleau jaune avait une meilleure capacité de colonisation, avec ses graines plus nombreuses et plus légères qui peuvent se disperser plus loin. L’érable rouge et l’érable à sucre présentaient quant à eux des capacités similaires pour coloniser les peuplements mixtes boréaux. Cependant, l’érable à sucre montrait une meilleure capacité à coloniser les forêts plus vieilles, en raison de sa croissance supérieure sous une canopée fermée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="forêt enneigée" src="https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557904/original/file-20231106-27-ukk16g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les espèces de feuillus tempérés pourraient migrer vers le nord et même devenir des espèces dominantes au sein des peuplements de la forêt boréale mixte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La capacité d’établissement des feuillus tempérés dans la forêt boréale mixte était plus élevée dans les peuplements les plus jeunes, ainsi que dans les peuplements après une coupe totale. Par conséquent, l’aménagement forestier et les feux de forêts, en rajeunissant les paysages de la forêt mixte boréale, pourraient accélérer la migration des espèces d’arbres tempérés vers le nord. </p>
<p>L’augmentation des températures due aux changements climatiques ne devrait pas augmenter la capacité des feuillus tempérés à coloniser les peuplements de la forêt boréale mixte, que ce soit dans le climat actuel ou dans des scénarios de forçage climatique élevé. Cela signifie que le climat ne serait pas un facteur influençant la limite nord de répartition des espèces de feuillus tempérés, et que les changements climatiques ne devraient pas avoir d’effet immédiat sur la distribution nordique des feuillus tempérés.</p>
<p>Les types de sols de la forêt boréale mixte pourraient cependant être une limite à la croissance des feuillus tempérés. Dans des sols argileux, la croissance de l’érable rouge et de l’érable à sucre serait faible et ne leur permettrait pas d’être compétitifs avec les espèces déjà présentes, qui tolèrent très bien l’argile. </p>
<p>Les facteurs régissant la croissance des arbres tels que le climat, le sol et la compétition interagissent ensemble et peuvent <a href="https://doi.org/10.1139/cjfr-2019-0319">rendre les prédictions concernant la distribution future des différentes espèces d’arbres très complexes</a>. </p>
<h2>Des effets tant positifs que négatifs</h2>
<p>L’établissement des feuillus tempérés dans la forêt boréale mixte pourrait accroître la complexité et la diversité dans les peuplements. Cela pourrait renforcer la <a href="https://doi.org/10.1111/1365-2435.13257">résistance et la résilience de la forêt boréale mixte face aux perturbations</a>. </p>
<p>La présence des feuillus tempérés en forêt boréale mixte pourrait notamment atténuer les épidémies de tordeuse des bourgeons de l’épinette, car la proportion de sapins et d’épinettes serait plus faible et ces espèces seraient <a href="http://link.springer.com/10.1007/s004420050441">davantage dispersées dans les peuplements</a>. </p>
<p>L’établissement des feuillus tempérés provoquera une augmentation de la proportion de feuillus dans le paysage. Ce phénomène, connu sous le nom « d’enfeuillement », est observé dans la forêt boréale mixte depuis les 100 dernières années et est principalement dû à l’aménagement forestier. Cet enfeuillement pourrait rendre les épidémies de <a href="https://mffp.gouv.qc.ca/les-forets/protection-milieu-forestier/protection-forets-insectes-maladies/fiches-insectes/livree-forets/">livrée des forêts</a> plus sévères. Cet insecte défoliateur s’attaque aux feuillus et spécialement au peuplier faux-tremble, au bouleau à papier et à l’érable à sucre.</p>
<p>Enfin, les régimes de feux de forêt pourraient être modifiés par les différences d’inflammabilité des feuillus et des conifères. La présence de feuillus tempérés, qui sont moins inflammables que les conifères, pourrait rallonger les cycles de feu. Cet effet positif sera cependant associé à un défi majeur pour l’industrie forestière qui aménage la forêt boréale mixte, puisque la filiale est actuellement tournée majoritairement vers les conifères.</p>
<h2>On ne peut s’arrêter là</h2>
<p>D’autres études de modélisation sont nécessaires pour explorer l’impact d’autres facteurs susceptibles d’influencer la capacité des feuillus tempérés à coloniser la forêt boréale mixte. </p>
<p>On peut notamment penser à l’impact du sol et des mycorhizes (symbiose entre les racines des plantes et des champignons) sur la germination et la croissance des arbres. Mais aussi à la prise en compte des phénomènes météorologiques, tels que les gelées tardives, qui peuvent affecter la survie et la croissance des jeunes arbres tempérés. </p>
<p>De plus, une modélisation à l’échelle du paysage serait bénéfique pour prendre en considération la topographie du terrain, un facteur potentiellement influent sur la capacité des feuillus tempérés à s’établir plus au nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196530/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gennaretti Fabio a reçu des financements grâce à la Chaire de Recherche du Canada en dendroécologie et dendroclimatologie (CRC-2021-00368) et par le ministère des Ressources Naturelles et des Forêts (contrat no. 142332177-D), et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (Subvention à la Découverte no. RGPIN-2021-03553 et Subvention Alliance no. ALLRP 557148-20, obtenue en partenariat avec le MRNF et Produits forestiers Résolu).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Maxence Soubeyrand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des recherches montrent que la distribution des feuillus tempérés (érable à sucre, érable rouge et bouleau jaune) pourrait se décaler vers le nord, entraînant de lourdes conséquences sur la forêt boréale.Maxence Soubeyrand, Doctorant en écologie forestière, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)Fabio Gennaretti, Professeur en sciences forestière, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179762023-11-17T19:41:56Z2023-11-17T19:41:56ZLa répartition géographique des poissons d’eau douce, nouveau marqueur de l’anthropocène ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560005/original/file-20231116-17-iwx39x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C15%2C2035%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le poisson rouge est l'une des nombreuses espèces de poissons d'eau douce introduites par les humains dans les milieux naturels, bouleversant durablement leur aire de répartition naturelle.</span> <span class="attribution"><span class="source">Watts / Flickr / Creative Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Est-on entré dans l’ère géologique de l’anthropocène, une « époque de l’homme » où l’humain serait devenu la principale force de changement planétaire, surpassant les forces géologiques naturelles ? La question est débattue par la communauté scientifique, en particulier au sein de la Commission internationale de stratigraphie, qui travaille sur le sujet depuis 2009. En juillet dernier, l’enregistrement sédimentaire pressenti pour faire figure de référence et définir la transition de l’holocène à l’anthropocène avait été <a href="https://theconversation.com/voici-comment-le-lac-crawford-en-ontario-a-ete-choisi-pour-marquer-le-debut-de-lanthropocene-209454">sélectionné en Ontario, au Canada</a>.</p>
<p>Quels sont les indices qui peuvent témoigner de l’entrée dans l’anthropocène ? Les géologues et paléontologues <a href="https://theconversation.com/la-terre-a-lepoque-de-lanthropocene-comment-en-est-on-arrive-la-peut-on-en-limiter-les-degats-206523">accumulent toutes sortes de preuves</a> : traces visibles dans les couches sédimentaires telles que la pollution plastique ou la radioactivité, ou encore les changements dans les fossiles à cause de la crise de la biodiversité. Ainsi certains chercheurs proposent même de considérer, comme marqueur les <a href="https://theconversation.com/et-los-de-poulet-devint-le-symbole-de-lanthropocene-108857">os des poulets que nous consommons</a>, qui deviendront fossiles d’ici quelques millions d’années.</p>
<p>Mais ce n’est pas la seule façon dont notre espèce a bouleversé la biodiversité planétaire. Avec une équipe internationale, qui réunissait notamment le laboratoire BOREA du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), le CNRS et l’IRD, nous avons montré comment les sociétés humaines ont redessiné la géographie de la biodiversité des poissons d’eau douce.</p>
<p>Nous postulons qu’il s’agit là de changements majeurs, qui constituent une nouvelle preuve de l’entrée dans l’anthropocène. Nos travaux ont été publiés ce 17 novembre dans la revue <a href="https://doi.org/10.1126/sciadv.adi5502"><em>Science Advances</em></a>.</p>
<h2>Comment la tectonique des plaques a isolé les poissons d’eau douce</h2>
<p>Pour bien comprendre ces résultats, il faut remonter un peu dans l’histoire de la planète. Les 11 000 espèces de poissons d’eau douce qui peuplent la planète sont cantonnées à leurs milieux d’eau douce : rivières et lacs. Ils ne tolèrent pas l’eau salée, et pour eux, les collines, les montagnes, ou les océans représentent des barrières infranchissables.</p>
<p>Ce sont les forces géologiques naturelles qui ont toujours dicté leur évolution au cours de l’histoire de la Terre. La tectonique des plaques, en isolant les continents, <a href="https://doi.org/10.1111/jbi.13674">a séparé les poissons d’eau douce en six grandes régions géographiques</a>. Chaque région a évolué isolément pendant des dizaines de millions d’années, jusqu’à disposer d’un cortège d’espèces unique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560189/original/file-20231117-17-55jvwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des régions biogéographiques naturelles de poissons d’eau douce.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Boris Leroy/MNHN</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces grandes régions sont appelées « régions biogéographiques », et elles possèdent toutes un taux d’endémisme – c’est-à-dire une proportion d’espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs – exceptionnellement élevé, de l’ordre de 96,7 à 99,7 %. Ce chiffre est beaucoup plus élevé que chez les autres groupes de vertébrés.</p>
<p>Chaque région possède donc des poissons d’eau douce qui lui sont propres, et, depuis des millions d’années, à leur mort, ces poissons forment des restes fossiles que l’on ne retrouve pas ailleurs dans le monde.</p>
<h2>Nos sociétés ont changé les règles du jeu</h2>
<p>Cette tranquille évolution orchestrée par la tectonique des plaques a très récemment été bouleversée à par les activités humaines. Pour la première fois dans l’histoire de la Terre, il est devenu possible pour les poissons d’eau douce de traverser les océans et les montagnes.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, des <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-ecolsys-032522-015551">« sociétés d’acclimatation » s’étaient fixé l’objectif</a> d’établir des peuplements de poissons familiers dans les colonies, et de poissons exotiques dans les eaux européennes. Ces sociétés ont ainsi introduit de nombreuses espèces européennes en Australie, Nouvelle-Zélande, ou encore ont introduit des espèces nord-américaines en Europe ou en Russie.</p>
<p>Rapidement, d’autres motifs sont apparus pour justifier l’introduction d’espèces hors de leurs aires natives. La lutte biologique par exemple, avec l’introduction des petites gambusies d’Amérique du Nord partout dans le monde pour manger les larves de moustiques. La construction de canaux connectant différents fleuves a également permis aux espèces d’atteindre des zones auparavant inaccessibles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560177/original/file-20231117-15-92jrjj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution des régions naturelles de répartition des poissons d’eau douce en fonction du temps.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Boris Leroy/MNHN</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Mais c’est surtout au milieu du XX<sup>e</sup> siècle que nous avons commencé à massivement déplacer les espèces entre les continents. À partir de 1947, on a observé une <a href="https://doi.org/10.1111/geb.13714">accélération exponentielle des introductions</a>, avec une globalisation des origines et des destinations des espèces introduites. Ce phénomène s’explique par l’explosion et la globalisation des échanges commerciaux à partir de cette date.</p>
<p>Les espèces ont alors été transportées entre continents pour <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-ecolsys-032522-015551">l’aquaculture ou pour le commerce ornemental (aquariophilie)</a>, et trop souvent elles se sont échappées, accidentellement ou intentionnellement. Par exemple, les tilapias d’Afrique ont été introduits partout dans le monde pour l’aquaculture, et se sont rapidement échappés des élevages pour s’établir dans de nouvelles zones. Les poissons des aquariums comme les guppys, les poissons rouges ou encore les carpes se sont, eux aussi, échappés pour coloniser les milieux naturels.</p>
<p><iframe id="3IBEv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/3IBEv/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En parallèle de ces introductions accidentelles, les hommes ont introduit de nombreuses espèces volontairement dans les milieux sauvages, pour la pêche récréative ou la pêche de subsistance. L’usage de poissons exotiques comme appât pour la pêche ou pour empoissonner les milieux naturels s’est développé et a causé de nombreuses introductions dans le monde entier, comme le goujon asiatique ou la perche-soleil en Europe.</p>
<p>Au total, ce sont 453 espèces qui ont été introduites hors de leur aire naturelle, entre les continents, ce qui a profondément redessiné la géographie de la biodiversité des poissons d’eau douce.</p>
<h2>L’humain a recréé la Pangée</h2>
<p>Pour étudier les conséquences de ces introductions, nous avons comparé la géographie naturelle de la biodiversité par rapport à la géographie modifiée par les introductions avec la même méthode d’analyse, appelée <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-017-0114">« biorégionalisation »</a>.</p>
<p>Nos résultats ont été sans appel. Nous avons observé l’émergence inédite d’une super-région qui couvre tous les continents : Amérique du Nord, Europe, Asie de l’Est, Océanie, et une petite partie de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Cette nouvelle répartition illustre de toute évidence le lien entre introductions d’espèces exotiques et commerce international, car <a href="https://viz.ged-project.de/">elle connecte les pays du monde ayant les plus grands échanges commerciaux</a>.</p>
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<p>Nous avons appelé cette super-région « PAGNEA » pour Pan-Anthropocenian Global North and East Asia. L’acronyme de PAGNEA est volontairement évocateur de la Pangée (Pangea en anglais), qui est le dernier supercontinent de la planète à avoir existé il y a plus de 200 millions d’années.</p>
<p>À l’époque, les organismes avaient la possibilité de disperser sur toute la Pangée, car les océans ne constituaient pas encore une barrière. Ce que la région PAGNEA nous montre aujourd’hui, c’est que les sociétés humaines recréent artificiellement les conditions de la Pangée, en permettant aux organismes de se disperser sur tous les continents.</p>
<h2>Une uniformisation des couches fossiles</h2>
<p>Avant les activités humaines, chaque continent avait ses fossiles uniques, qu’on ne trouvait nulle part ailleurs. Désormais, à cause des introductions, nous aurons des fossiles partagés entre les différents continents de la région PAGNEA. La carte ci-dessous illustre les changements attendus dans les couches fossiles du monde entier, et en particulier pour plusieurs bassins versants notables.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560190/original/file-20231117-21-qrks15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des régions de l’Anthropocène, avec des exemples de changements attendus dans les bassins versants qui se répercuteront sur les fossiles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Boris Leroy/MNHN</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces changements dans la distribution des fossiles à l’échelle planétaire sont un critère déterminant pour la reconnaissance de l’anthropocène. Il s’agit ici de la première cartographie qui montre une telle ampleur dans les changements attendus, tout en utilisant une grande masse de données quantitatives sur les répartitions de poissons d’eau douce.</p>
<p>Cette découverte contribuera donc probablement aux travaux <a href="http://quaternary.stratigraphy.org/working-groups/anthropocene/">du Groupe de Travail sur l’Anthropocène</a>, qui étudie les éléments de preuves accumulés par les scientifiques et décidera dans le futur d’entériner le passage à l’Anthropocène.</p>
<h2>Message aux paléontologues du futur</h2>
<p>Au-delà de l’anthropocène, cette démonstration de l’ampleur de l’effet des introductions d’espèces à l’échelle globale doit nous pousser à réfléchir sur deux conséquences majeures.</p>
<p>Tout d’abord, l’introduction d’espèces non natives pose le risque de créer de nouvelles invasions biologiques dont les <a href="https://zenodo.org/records/10127924">conséquences peuvent être dramatiques pour les écosystèmes</a> et les <a href="https://doi.org/10.1038/s41586-021-03405-6">économies</a>, d’autant plus que les principales espèces introduites sont très abondantes et déjà connues pour être envahissantes.</p>
<p>Il est donc absolument nécessaire de <a href="https://invacost.fr/wp-content/uploads/2021/08/RapportCoutsFrance.pdf">prévenir les nouvelles introductions</a>, en s’inquiétant tout particulièrement des <a href="https://doi.org/10.1007/s10750-020-04407-7">menaces émergentes comme le commerce en ligne d’espèces vivantes</a>.</p>
<p>La seconde raison est presque d’ordre philosophique : elle nous aide à réaliser que nos actions, sur une échelle de temps très courte – à peine 70 ans – auront des répercussions visibles dans les couches fossiles qui seront étudiées par les paléontologues du futur. Mais ces impacts seront non seulement d’ampleur, mais aussi irréversibles, car nous sommes en train d’altérer durablement la trajectoire évolutive de la biodiversité sur la planète en créant de nouveaux points de départ évolutifs pour les lignées du futur.</p>
<p>Dans plusieurs millions d’années, la biodiversité portera encore l’empreinte évolutive d’une époque où la dispersion des organismes est à nouveau devenue possible entre les continents. Le propre de cette époque, de notre époque, réside bien là : les forces géologiques naturelles ont été surpassées par une nouvelle force de changement planétaire, l’espèce humaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217976/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Boris Leroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les introductions de poissons d'eau douce, à travers le commerce, mais aussi l'ouverture de nouvelles voies de navigation, ont bouleversé la géographie de ces espèces. Un nouveau marqueur de l'Anthropocène ?Boris Leroy, Maître de conférences en écologie et biogéographie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157792023-11-15T14:27:05Z2023-11-15T14:27:05ZLe Saint-Laurent manque d’oxygène. Et l’impact est grand pour les petits animaux qui y vivent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555875/original/file-20231025-23-oo8vam.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C0%2C4001%2C2752&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le majestueux Saint-Laurent, joyau à l'importance économique, historique et environnementale, nous rappelle la nécessité de préserver cet écosystème essentiel.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Ludovic Pascal)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les eaux du Saint-Laurent s’essoufflent. Et ce manque d’oxygène en profondeur n’est pas sans conséquence pour les organismes qui vivent au fond. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lestuaire-maritime-du-saint-laurent-est-a-bout-de-souffle-180069">L’estuaire maritime du Saint-Laurent est à bout de souffle</a>
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<p>Mais comment les écosystèmes profonds réagissent-ils à cette désoxygénation ?</p>
<p>Dans un précédent article, nous avons mis en évidence les <a href="https://theconversation.com/lestuaire-maritime-du-saint-laurent-est-a-bout-de-souffle-180069">causes de la diminution de la concentration en oxygène dans les eaux de fond de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent</a>. Ce phénomène, que l’on qualifie d’hypoxie, s’intensifie de plus en plus dans cet environnement. Ici, nous nous penchons sur les impacts de ces faibles teneurs en oxygène sur les organismes vivant au fond de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent et sur le fonctionnement global de cet écosystème. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><strong><em>Cet article fait partie de notre série <a href="https://theconversation.com/ca-fr/topics/fleuve-saint-laurent-116908">Le Saint-Laurent en profondeur</a></em></strong>
<br><em>Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d'une remarquable beauté. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les enjeux auxquels il fait face. Cette série vous est proposée par La Conversation.</em></p>
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<h2>Les fonds marins, un environnement qui grouille de vie</h2>
<p>Un grand nombre d’organismes vit tout au fond des océans. Ce sont des <a href="https://theconversation.com/decouvrez-six-animaux-fascinants-qui-vivent-au-fond-du-fleuve-saint-laurent-189941">organismes benthiques</a>. </p>
<p>Ce groupe de petits animaux comprend notamment des étoiles de mer, des vers, des crustacés et des mollusques. Ils colonisent la surface du sédiment (on parle alors d’épifaune ; « épi » pour « sur » et « faune » pour « animal ») ou creusent dans le sédiment (on parle dans ce cas d’endofaune ; « endo » pour « à l’intérieur »). </p>
<p>Ces organismes sont peu mobiles et ne peuvent pas se déplacer sur de grandes distances.</p>
<h2>La bioturbation ou l’art de mélanger le sédiment</h2>
<p>Les organismes benthiques ne bougent pas beaucoup, mais ils sont loin d’être inutiles. Au contraire, ils jouent un rôle crucial dans le fonctionnement des écosystèmes benthiques, via la bioturbation. </p>
<p>La <a href="https://doi.org/10.3354/meps09506">bioturbation</a> est un processus qui désigne l’ensemble des activités que les organismes benthiques effectuent sur et dans les sédiments. On peut comparer la bioturbation à ce que font les vers de terre dans nos jardins : ils creusent des terriers, mélangent les grains de sédiment, et injectent de l’eau contenant de l’oxygène dans des zones du sédiment qui en sont dépourvues. </p>
<p>Les organismes benthiques sont donc en quelque sorte les « jardiniers » du fond de l’océan. Et ils contribuent à maintenir un écosystème en bonne santé. En apportant de l’oxygène dans les sédiments, la bioturbation permet à de nombreux organismes de s’y établir, augmente la biodiversité, et favorise la décomposition de la matière organique tout en <a href="https://doi.org/10.1007/s00227-019-3597-y">réduisant la concentration de déchets pouvant être toxiques, tels que les sulfures d’hydrogène</a>.</p>
<h2>Oxygène et bioturbation, une relation pas si simple</h2>
<p>Il y a une vingtaine d’années, des chercheurs ont utilisé des <a href="https://doi.org/10.4319/lo.2007.52.6.2555">modèles pour tenter de prédire les conséquences de la désoxygénation sur les écosystèmes du fond du Saint-Laurent</a>. Leur travail a mis en lumière un élément critique pour anticiper les changements futurs : la réponse de la bioturbation à la diminution d’oxygène.</p>
<p>La désoxygénation peut entraîner plusieurs types de réponses dans les écosystèmes. Dans un scénario de réponse linéaire, l’intensité de la bioturbation diminue de manière graduelle et proportionnelle à la diminution de la concentration en oxygène. Dans de tels cas, il est relativement simple de prédire les conséquences, car la relation est prévisible. </p>
<p>Cependant, il existe un autre type de réponse, non linéaire, caractérisée par un effet seuil. Cela signifie qu’il existe un certain point critique, un seuil, où les réponses changent brusquement. Avant ce seuil, les réponses diffèrent de celles observées après. Ces réponses non linéaires sont associées à la mise en place de mécanismes de résistance (ou compensatoires). Ces mécanismes opèrent à l’échelle de l’individu, de la population (ensemble d’individus de la même espèce à un endroit donné) et/ou de la communauté (ensemble de population à un endroit donné). Ils permettent de compenser les effets d’une perturbation, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus suffisants. Ce sont ces mécanismes compensatoires qui rendent difficile de prévoir les conséquences d’une perturbation.</p>
<h2>Une relation qui n’est pas linéaire</h2>
<p>Notre équipe étudie depuis plus de 20 ans la désoxygénation du Saint-Laurent, mais nous n’avions pas encore observé de relation claire entre la bioturbation des communautés d’organismes benthiques et les concentrations d’oxygène.</p>
<p>Une question importante se pose alors : la bioturbation répond-elle linéairement ou non à la diminution d’oxygène ? Est-ce une relation prévisible ?</p>
<p><a href="https://doi.org/10.5194/bg-20-839-2023">La récente chute des concentrations d’oxygène dans les eaux de fond du Saint Laurent</a> nous a permis de répondre à cette question en observant pour la première fois un effet seuil. <a href="https://doi.org/10.1111/gcb.16994">Nous savons maintenant que la relation entre la concentration en oxygène et le fonctionnement des écosystèmes benthiques n’est pas linéaire</a>. </p>
<p>En d’autres termes, ces écosystèmes peuvent résister à la désoxygénation jusqu’à un certain seuil critique, qui est observé à une concentration en oxygène d’environ 60 µM (soit approximativement 20 % de saturation, ou 20 % de ce que la concentration en oxygène dissous devrait être si l’eau était en équilibre avec l’atmosphère). Cette concentration est proche de la valeur à partir de laquelle on parle d’hypoxie. En dessous de ce seuil, les communautés d’organismes benthiques changent, mais, de manière étonnante, sans perte significative de biodiversité. </p>
<p>Par contre, les organismes constituant ces communautés sont beaucoup moins actifs. Ils manquent d’air ! Ils réduisent considérablement leurs déplacements, remontent vers la surface du sédiment et l’intensité de la bioturbation devient pratiquement nulle. </p>
<p>En d’autres termes, dans ces conditions d’hypoxie sévère, les organismes n’ont plus suffisamment d’énergie pour mélanger et irriguer le sédiment.</p>
<h2>Quand la bioturbation cesse, que se passe-t-il ?</h2>
<p>Ces résultats ont de grandes implications sur le rôle des sédiments sur la santé globale des écosystèmes de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. En effet, lorsque la bioturbation s’arrête, les sédiments ne sont donc ni mélangés ni irrigués efficacement, ce qui entraîne l’accumulation de déchets toxiques très proche sous la surface du sédiment. </p>
<p>À force de s’accumuler, ces déchets pourraient même se propager jusque dans la colonne d’eau et faire fuir des espèces sensibles, en plus d’accentuer la désoxygénation. </p>
<p>Quand et sous quelles conditions cela se passerait-il ? Il s’agit de la question à laquelle nous devons maintenant répondre. </p>
<p>La désoxygénation des eaux de fond du Saint-Laurent est particulièrement préoccupante, car elle est susceptible d’entraîner des changements dans l’abondance et la distribution des ressources halieutiques – soit les pêcheries. Elle entraînerait donc, indirectement, des effets socio-économiques encore peu évalués.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215779/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Pascal est membre du regroupement inter-institutionnel Québec-Océan et de l'association scientifique Nereis Park. Il a reçu des financements du FRQNT, du réseau de centres d'excellence MEOPAR, et du Gouvernement du Québec (Réseau Québec Maritime, MEIE, MELCCFP). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gwénaëlle Chaillou a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), des Fonds de Recherche du Québec, des Chaires de Recherche du Canada, et du Gouvernement du Québec (Réseau Québec Maritime, MEIE, MELCCFP). Elle est membre du regroupement inter-institutionnel Québec Océan, de l'ACFAS, de la Geochemical Society et de International Association of Hydrogeologists – Canadian National Committee (IAH-CNC).</span></em></p>Les eaux du Saint-Laurent s’essoufflent, et les organismes du fond en subissent déjà les effets. Voici comment les écosystèmes réagissent.Ludovic Pascal, Postdoctorant en biogéochimie marine, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Gwénaëlle Chaillou, professeure de chimie marine à l'Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER-UQAR), Université du Québec à Rimouski (UQAR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.