tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/drogues-27914/articlesdrogues – The Conversation2024-03-20T16:00:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2262522024-03-20T16:00:56Z2024-03-20T16:00:56ZMarseille vue de l’intérieur : une exploration de la violence urbaine<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué et que le président de la République s'y est rendu le 19 mars 2024, annonçant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/19/a-marseille-emmanuel-macron-annonce-plus-de-82-interpellations-dans-le-cadre-d-une-operation-sans-precedent-contre-le-trafic-de-drogue_6222863_823449.html">« une opération sans précédent »</a> pour lutter contre le trafic de drogue.
Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône.</em></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-1-4-la-mauvaise-reputation-220875">La mauvaise réputation</a></h2>
<p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">Des trafics pas si juteux, des morts complexes</a></h2>
<p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat, qu'il est nécessaire saisir dans son contexte social, économique, et culturel pour véritablement le comprendre.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-34-des-murs-devant-les-yeux-221139">Des murs devant les yeux</a></h2>
<p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-44-etat-partout-etat-nulle-part-221195">État partout, État nulle part ?</a></h2>
<p>Les habitants de cités comme Félix-Pyat ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant d’un état de droit, mais plutôt dans des lieux d’exception devant être disciplinés et punis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark</span></em></p>À partir du quartier Félix Pyat à Marseille, deux anthropologues ont choisi de comprendre le contexte de violence au-delà du phénomène de trafic de drogue qui mine la cité phocéenne.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211392024-03-13T15:56:04Z2024-03-13T15:56:04ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (3/4) - Des murs devant les yeux<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. L’une de ses caractéristiques : un parc urbain défaillant et dangereux.</em></p>
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<p>La violence du trafic de la drogue est souvent perçue comme faisant partie intégrante de la vie dans les cités de Marseille. Nous l’avons constaté un après-midi d’avril 2022, lorsque nous avons parcouru la cité avec Nadia, une femme d’une trentaine d’années qui est née et a grandi dans le quartier.</p>
<p>Pendant notre marche, elle nous a parlé de la transformation du quartier au fil des ans, et notamment <a href="https://www.calameo.com/books/007482417572bb6428aec">d’un plan de rénovation urbaine qui eut lieu entre 2001 et 2005</a>. Celui-ci avait impliqué la démolition de plusieurs bâtiments afin « d’aérer » la cité, c’est-à-dire créer des espaces ouverts entre les bâtiments construits à l’origine de manière très rapprochée, et rendre la cité architecturalement moins opprimante. Même s’il y avait eu des oppositions à cette initiative à l’époque, Nadia pensait qu’en fin de compte cela avait bien amélioré la vie quotidienne dans la cité.</p>
<p>Ceci étant dit, plusieurs endroits de la cité mettaient néanmoins Nadia mal à l’aise. Parmi ces derniers, la piste de pétanque qui, selon elle, était « un espace très masculin », mais aussi et surtout, les lieux proches des points de vente de drogue connus. Plus particulièrement, la place centrale à l’entrée du quartier qu’elle nous disait avoir peur de traverser.</p>
<p>Elle nous a notamment expliqué qu’elle l’évitait régulièrement en raison des « petits » qui y traînaient souvent. « Je préférerais qu’ils ne soient pas là », nous dit-elle, malgré le fait qu’elle les connaissait presque tous, car eux aussi étaient originaires de la cité.</p>
<h2>« les petits » et « les grands »</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/2022PA100107">Comme c’est le cas dans de nombreuses autres cités à Marseille et ailleurs</a>, les personnes qui participent au trafic de drogue à Félix-Pyat peuvent être catégorisées en groupe d’âge. Il y a « les petits », généralement âgés de 14 et 18 ans, et « les grands », qui ont plutôt entre 19 et 25 ans.</p>
<p>Ces groupes d’âge ont des rôles différents au sein de l’organisation du trafic – les « petits » sont des « guetteurs » ou des « rabatteurs » (qui dirigent les clients vers le point de vente), et les « grands » sont des « charbonneurs » (vendeurs), ou bien des « gérants » de point de vente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-marseille-lespace-public-vu-par-ceux-et-celles-qui-sinjectent-des-drogues-209646">À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues</a>
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<p>Les « petits » sont très visibles dans les rues de la cité, soit individuellement, soit en groupe. Beaucoup d’habitants de Félix-Pyat – de toutes générations – nous ont dit au cours de nos recherches qu’ils étaient devenus « incontrôlables ». Ils faisaient notamment la comparaison avec quelques années auparavant, quand « ils respectaient les grands », et les habitants de la cité plus généralement.</p>
<blockquote>
<p>« Ils rendaient service… ils ne nous embêtaient pas, sauf en fumant ou en encombrant les escaliers, mais maintenant ils nous menacent », nous a raconté Noémie, une ancienne habitante qui a longtemps vécu dans de la cité et qui y revient souvent.</p>
</blockquote>
<p>Faisant explicitement écho au malaise de Nadia et Noémie, deux autres jeunes femmes de la cité âgées d’une vingtaine d’années, que nous appellerons Mariama et Jeanne, ont souligné lors d’un entretien :</p>
<blockquote>
<p>« On les connaît tous – on a grandi avec ! – mais on ne passe pas à côté d’eux. Il vaut mieux éviter… Ils sont imprévisibles et c’est dangereux… On ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas ce qu’ils disent… Ils ne sont pas bienveillants, on va dire, et ils sont… ils s’en foutent !… Il vaut mieux prendre des distances… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres habitants nous ont relaté souffrir des menaces et des insultes répétées. Ils nous ont dit aussi devoir périodiquement justifier leur présence dans les espaces publics de la cité.</p>
<p>Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes fait l’expérience, lors de nos recherches. Plusieurs fois, un ou plusieurs jeunes de ce groupe de « petits » nous ont interpellé, demandant de manière menaçante ce que nous faisions là, nous disant que nous n’avions rien à faire dans la cité, ou bien nous accusant d’être des policiers et nous sommant de partir.</p>
<h2>La lettre</h2>
<p>En mai 2023, après une série de fusillades dans la cité liée à la guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> qui a ensanglanté la ville, un groupe de mères de Félix-Pyat a organisé des marches pour protester contre l’insécurité ambiante.</p>
<p>Ces marches ont été accompagnées d’une forte présence policière qui a considérablement perturbé le trafic de drogue, effrayant les clients et freinant les livraisons.</p>
<p>Après la troisième marche, la lettre suivante a été affichée un peu partout dans la cité :</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle initiative était menée à Félix-Pyat, même si ce genre de message a déjà été observé dans d’autres cités en France. La lettre ressemblait d’ailleurs fortement à une lettre similaire qui avait été affichée en banlieue parisienne et qui a circulé sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, cette lettre a marqué un tournant dans les relations avec les « jeunes du quartier ».</p>
<p>Même si certains habitants ont été choqués par sa nature menaçante – certains parlant même de la « honte » de voir « des fils menacer leurs mères » – la plupart ont jugé cette lettre de manière plus positive, soulignant que les « jeunes » s’excusaient et proposaient d’essayer de minimiser l’impact du trafic de drogue sur la vie quotidienne du quartier.</p>
<p>Aamira nous a dit, par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rigolé pour les fautes d’orthographe… C’est un avertissement, mais ils ont aussi dit qu’il ferait un effort, c’est du donnant-donnant – les jeunes essayent de faire propre, ils respectent les parents, ils nettoient… C’est uniquement menaçant si on ne respecte pas l’avertissement. »</p>
</blockquote>
<p>Comme nous l’a dit un autre de nos interlocuteurs, Abu, « ils ont fait un effort et se sont responsabilisés ! », notant en particulier que « les jeunes » allaient tenter de « sécuriser » les rues contre les fusillades après celles ayant sévi dans Félix-Pyat au cours des derniers mois.</p>
<p>Ces derniers ont de facto placés des bennes à ordures à des points stratégiques dans les rues de la cité afin de faire office de barrage et de ralentir les voitures. Même si certains habitants s’en plaignaient – notamment parce qu’il avait été stipulé de façon claire qu’ils n’avaient pas le droit de bouger ces conteneurs – beaucoup voyaient cette initiative d’un bon œil.</p>
<p>Par exemple, lors d’une conversation avec une personne travaillant pour une association locale, nous avons observé ensemble des CRS venus remettre les bennes à leur place, et celle-ci a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« la police nous enlève le peu de sécurité que nous avons, elle rend l’endroit ouvert aux attaques en enlevant les conteneurs ».</p>
</blockquote>
<h2>L’ambiguïté de la gouvernance criminelle</h2>
<p>Ces différents exemples illustrent bien comment le trafic de drogue impacte l’organisation urbaine de Félix-Pyat et influence la vie quotidienne des habitants de la cité, tantôt de manière négative, mais aussi parfois plus positivement (même si, bien sûr, la défense de la cité à travers la réorganisation de bennes d’ordures ne peut être vue que comme une action assez désespérée et ponctuelle…).</p>
<p>La plupart des médias ont tendance à décrire ce phénomène de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/perspectives-on-politics/article/abs/conceptualizing-criminal-governance/0105EC32BB9F26830179CF0B16917B02">« gouvernance criminelle »</a> à Marseille comme étant uniquement dérogatoire à l’ordre public, parlant de l’émergence de <a href="https://www.laprovence.com/article/actualites/2628570/marseille-existe-t-il-des-cites-interdites.html">« cités interdites »</a>.</p>
<p>Le problème avec cette vision des choses trop étroite est qu’elle situe la dynamique d’agencement urbain des cités marseillaises comme étant uniquement liée aux impulsions d’acteurs locaux, tels que les trafiquants de drogues d’un quartier.</p>
<p>Plus particulièrement, l’idée des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">« cités interdites »</a> place la responsabilité de l’interdiction au sein des cités, ce qui n’est que partiellement le cas. En fait, ces actes d’agencement urbain découlent souvent d’éléments qui sont extérieurs à la cité, comme nous venons de le montrer. Dans le cas de la violence à laquelle étaient confrontés les habitants du quartier en 2023, elle était due à une guerre de réseaux de drogues plus larges que le petit trafic dans le quartier.</p>
<h2>Que deviendra le bâtiment B ?</h2>
<p>La nature problématique de ce type de représentation devient encore plus claire en se penchant sur une autre forme d’organisation des espaces urbains : les processus d’aménagement du territoire (qu’ils soient portés par des institutions étatiques ou privées).</p>
<p>La question du futur du bâtiment B à Félix-Pyat est souvent revenue dans nos conversations avec les habitants et acteurs du quartier, par exemple.</p>
<p>Plus grand immeuble de la cité – avec 20 étages, 146 appartements, et plus de 600 habitants – c’est aussi l’un des plus insalubres : les vide-ordures sont remplis à ras bord, les murs couverts de graffiti, les appartements prennent régulièrement feu, et les ascenseurs sont généralement en panne.</p>
<p>Depuis des années, il fait l’objet de rumeurs concernant sa destruction imminente. Bien que cette dernière ait été <a href="https://marsactu.fr/a-felix-pyat-la-tour-b-va-tomber/">actée par l’Agence nationale de rénovation urbaine</a> (ANRU), le déficit budgétaire du bailleur social propriétaire de la majorité des appartements, <a href="https://marsactu.fr/marseille-habitat-face-a-un-mur-de-dettes-a-cause-de-471-parkings-hors-de-prix/">Marseille Habitat</a>, ainsi que le refus par les quelques propriétaires individuels de vendre leurs appartements à des prix inférieurs au marché, empêche sa mise en œuvre.</p>
<p>Aucune information officielle n’a cependant filtré sur l’état d’avancement ou pas de la destruction auprès des habitants, comme nous avons pu le constater lors de multiples réunions organisées par divers acteurs locaux dans la cité. De nombreuses personnes y présentaient des signes d’exaspération et d’énervement.</p>
<p>Certains habitants propriétaires d’appartements dans l’édifice se demandaient s’ils seraient expropriés sans recevoir une compensation adéquate. D’autres, locataires, <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2023-1-page-5.htm">s’inquiétaient à l’idée de devoir être relogés loin de la cité</a>. Tous en tout cas partageaient le sentiment que « personne ne sait rien », mais aussi que c’était une stratégie voulue afin de créer de l’incertitude et du stress, dans le but d’épuiser les habitants et de faciliter la destruction de l’édifice.</p>
<p>Ces inquiétudes concernant la destruction du bâtiment B viennent aussi s’additionner à d’autres incertitudes liées à l’initiative de rénovation urbaine baptisée <a href="https://www.euromediterranee.fr/">Euroméditerranée</a>. Lancé en 1995, ce partenariat public-privé de 7 milliards d’euros vise à <a href="https://www.theses.fr/2019EHES0135">remodeler une vaste zone</a> située immédiatement au nord du centre-ville de Marseille. Felix-Pyat ne fait pas partie de la zone, mais la borde, et constitue donc un site de développement immobilier potentiel de premier ordre.</p>
<p>Certains habitants de Félix-Pyat avec qui nous avons discuté nous ont explicitement exprimé leur anxiété – « tout le monde est stressé » – face à cette gentrification potentielle, Selim nous disant même carrément :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que ce quartier, il est voué à être détruit. Parce que là, le projet Euromed… il y a plein d’échos qui disent qu’il y a plein de plans différents et parmi ces plans-là, Félix-Pyat n’existe pas… Donc, je pense qu’ils veulent détruire Félix-Pyat… Enfin, le détruire pour le reconstruire et ramener d’autres personnes, en fait, d’autres, euh… on va dire d’autres catégories de personnes… »</p>
</blockquote>
<h2>Détruire le quartier pour le reconstruire</h2>
<p>Ces craintes sont devenues particulièrement apparentes autour de l’aménagement dans le cadre de l’initiative Euroméditerranée d’un espace vert, le parc Bougainville, en bordure nord de la cité Félix-Pyat. Les travaux, <a href="https://www.euromediterranee.fr/projets/parc-bougainville">prévus en deux étapes</a>, ont commencé en 2022, et dureront jusqu’en 2027. <a href="https://madeinmarseille.net/155624-parc-municipal-bougainville-ouvre-public/">Une fois terminé</a>, le parc comprendra entre autres des jardins thématiques, des espaces pour différents sports de plein air, un parc aquatique, un hectare de « prairie sauvage », une rivière réhabilitée, des jardins potagers collectifs, ainsi qu’un « jardin pédagogique ».</p>
<p>Quand le parc Bougainville sera finalisé, un grand mur le séparera de Félix-Pyat, et il n’existera qu’un seul accès au Parc à partir de la cité, comme le montre l’image ci-dessous.</p>
<p>Cette architecture particulière du côté sud du Parc contraste brutalement avec le côté nord plus ouvert, une situation que de nombreux habitants de Félix-Pyat ne manquaient pas de noter lors de nos échanges avec eux en 2022, se plaignant aussi plus généralement d’un manque de concertation avec eux. En même temps, beaucoup avaient néanmoins l’espoir que le projet leur soit bénéfique.</p>
<h2>Une clôture grillagée</h2>
<p>Des représentants de la politique de la ville avec qui nous avons effectué des entretiens en 2022 nous avaient cependant déclaré que « le parc Bougainville n’est pas prévu pour eux [<em>ndlr, les habitants de la cité Félix Pyat</em>] ». C’est donc sans surprise qu’au fur et à mesure que le projet s’est mis en place, les discours des habitants de Félix-Pyat ont évolué.</p>
<p>Lors de notre retour à la cité en 2023, presque plus personne ne parlait positivement du parc. Un nouvel élément particulièrement dérangeant pour les habitants de la cité était apparu : une grande clôture grillagée érigée au-dessus du mur séparant la cité du parc, ostensiblement afin de minimiser le jet de déchets venant des édifices bordurant le parc.</p>
<p>« C’est comme si on était des animaux qu’on met en cage » nous a commenté laconiquement une personne travaillant pour une association locale de Félix-Pyat.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La clôture grillagée. À noter que la tombée du mur de l’autre côté fait plus de 3 mètres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers, S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier commentaire reflète bien les effets psychosociologiques négatifs que ce genre d’aménagement du territoire exclusif peut avoir. Cela peut potentiellement contribuer à la normalisation de visions ségrégationnistes de la société, et c’est pour cela que dans d’autres contextes, par exemple à <a href="https://www.jstor.org/stable/43497506">Managua</a> au Nicaragua, des initiatives de rénovation urbaine analogues à l’Euroméditerranée ont été qualifiées de « violence infrastructurelle », pour souligner comment elles peuvent être intrinsèquement oppressives.</p>
<p>Toute proportion gardée – le contexte nicaraguayen étant plus violent et autoritaire – on pourrait se demander dans quelle mesure l’aménagement des infrastructures du territoire à Marseille peut lui aussi être vu dans certains cas comme une forme de violence, dont les effets sociospatiaux sont tout aussi déstabilisants que ceux des activités du trafic de la drogue.</p>
<p>Pour les habitants des cités telles que Félix-Pyat en tout cas, il s’agit de se confronter à un autre type de stress émotionnel qui ne fait que renforcer leur sentiment d’isolation et de mise à l’écart.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208932024-03-12T16:05:11Z2024-03-12T16:05:11ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (2/4) - Des trafics pas si juteux, des morts complexes<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Mais le pouvoir d’attraction de la drogue et de son trafic recèle aussi de nombreuses parts d’ombre.</em></p>
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<p>« Il faut se méfier des apparences… Ça paraît déstructuré, on sait nous en les observant que tous les 2-3 jours, tout le monde change de rôle… [Le réseau], ça génère… à peu près, 80,000 euros par semaine, donc ça fait beaucoup d’argent dans l’arrondissement le plus pauvre de France… ».</p>
</blockquote>
<p>Cette phrase est issue d’un entretien que nous avons effectué avec un policier, lors de nos recherches dans la cité de Félix-Pyat dans le III<sup>e</sup> arrondissement de Marseille. Elle résume bien la manière contradictoire dont le trafic de drogue dans les cités de la ville est perçu : il est à la fois opaque et énigmatique, organisé et lucratif.</p>
<h2>Un guetteur ne touche pas quatre fois le smic</h2>
<p>Si l’on s’attarde par exemple sur la particularité du vocabulaire utilisé, l’expression « le réseau », confère au trafic un certain formalisme et une structure tentaculaire, tout comme la rhétorique qui l’accompagne via d’autres termes communément mis en avant, tels que le « business » ou le <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/marseille-comment-le-trafic-de-drogue-gangrene-des-quartiers-de-la-ville-7900063451">« supermarché de la drogue »</a>.</p>
<p>Pourtant, de profondes contradictions et ambiguïtés sous-tendent le trafic de drogue à Félix-Pyat. Le chiffre de 80 000 euros de bénéfice hebdomadaire avancé par le policier nous semble difficile à réconcilier avec les niveaux de trafic que nous avons pu observer lors de nos recherches dans la cité. Et ceci même en prenant en compte le fait qu’une grande partie des ventes se font par <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxcg2dc.pdf">internet</a> plutôt que par le deal de rue.</p>
<p>En tout cas, les chiffres de saisies policières partielles concernant le trafic prenant place dans la cité auxquels nous avons eu accès impliquent souvent des quantités de drogue très faibles. Nous avons également essayé de confirmer certains des chiffres sur les rémunérations des différents « métiers » de la drogue, comme les « guetteurs », c’est-à-dire l’échelon le plus bas du trafic qui concerne surtout des jeunes de 14 à 18 ans. Postés en des lieux stratégiques de la cité, ils ont la responsabilité de donner l’alerte si la police ou toute personne jugée « suspecte » pénètre dans les lieux. Les autorités, mais aussi les travailleurs sociaux, associatifs, et même certains habitants du quartier, affirment qu’ils gagnent près de 200 euros par jour.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5QVjvvVH0yc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">So La Zone, le jeune rappeur marseillais, originaire de la Castellane, s’est fait connaître en racontant notamment son quotidien de dealer et ses relations avec la police et les institutions judiciaires.</span></figcaption>
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<p>Cela signifierait donc qu’un « guetteur » gagne quatre fois plus que le smic. À la lumière de nos observations sur le terrain, ce montant nous parait peu probable. En effet, les guetteurs que nous avons vus n’affichent que très peu de signes ostentatoires d’une quelconque richesse et donnent souvent même plutôt l’impression d’être dans le besoin à la façon dont ils sont habillés.</p>
<p>De plus, il s’agit d’une activité irrégulière et à temps partiel. Les jeunes proches du réseau avec qui nous avons échangé ont suggéré qu’au mieux un guetteur pouvait s’attendre à recevoir « un kebab ou un peu de drogue, peut-être 20 euros, s’il a de la chance ». Certains <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">reportages</a> à propos du trafic de drogue à Félix-Pyat semblent en outre confirmer ces dires.</p>
<p>Il arrive même que les guetteurs ne perçoivent aucune rémunération, en tout cas quand ils commencent cette activité. Comme nous l’a expliqué un jeune de Félix-Pyat qui avait été « aspirant guetteur », il s’était mis à guetter « juste comme ça », en imitant d’autres jeunes, pour essayer de se rapprocher du réseau, parce qu’il « voulait se faire de l’argent facile ». Ce dernier a rapidement déchanté et a vite délaissé le trafic après quelques semaines.</p>
<p>Au vu de la condition socio-économique de ceux qui nous ont confié avoir été impliqués par le passé dans le trafic de la drogue à Félix-Pyat, on peut aussi estimer que la grande majorité ne s’est pas enrichie (une situation qui s’applique aussi à <a href="https://www.berghahnjournals.com/downloadpdf/view/journals/focaal/2017/78/fcl780109.pdf">d’autres contextes</a>).</p>
<p>Selon nos recherches et nos entretiens, il apparaîtrait donc que les niveaux de rémunérations liés au trafic de drogue restent en vérité assez flous et souvent de l’ordre du fantasme, en tout cas au niveau de la cité – ceci ne veut pas dire que le trafic de drogue ne génère pas des revenus importants, mais ceux-ci sont surtout associés avec les hautes sphères du crime organisé, comme l’ont par exemple documenté <a href="https://www.cairn.info/milieux-criminels-et-pouvoirs-politiques--9782811100179.htm">Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garrigues</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un règlement de compte ?</h2>
<p>S’il existe des éléments de contradictions et de confusion autour des discours concernant les rémunérations associées avec le trafic de drogue, ils sont encore plus importants concernant d’autres notions associées avec celui-ci, comme celle du « règlement de compte », largement relayée par les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/reglement-de-comptes-a-marseille-coup-de-filet-contre-une-equipe-de-la-dz-mafia-suspectee-d-un-narchomicide-a-la-cite-des-micocouliers-2905520.html">médias</a> pour parler des homicides liés au trafic de drogue à Marseille.</p>
<p>Si l’expression n’a aucun statut juridique formel, elle n’en est pas moins utilisée, notamment par la police ou les institutions publiques, pour décrire une grande partie des <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/carte-reglements-de-comptes-dans-quels-quartiers-ont-eu-lieu-les-narchomicides-a-marseille-en-2023-2873189.html">homicides</a> liés au trafic de drogue qui ont lieu dans cité phocéenne ou ailleurs. À Marseille, on dénombre chaque année entre 20 et 30 règlements de compte par an depuis 2015, avec un pic exceptionnel de <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">49 morts en 2023</a>.</p>
<p>La logique sous-jacente du « règlement de compte » est de distinguer les <a href="https://books.openedition.org/pup/50550">meurtres liés aux dynamiques internes du trafic de drogue</a> – par exemple pour des questions de conflits d’ordre financiers ou de contrôle du marché – de meurtres qui seraient plus d’ordre interpersonnel ou accidentel.</p>
<p>Les médias parlent clairement beaucoup moins de ces derniers, préférant plutôt établir des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_r%C3%A8glements_de_comptes_%C3%A0_Marseille_et_sa_r%C3%A9gion">décomptes annuels</a> du nombre croissant de règlements de compte à Marseille.</p>
<p>Mais décrire un homicide systématiquement comme un « règlement de compte » est épistémologiquement problématique, car il décontextualise cette violence, limitant sa cause et ses conséquences au seul trafic de drogue et aux personnes directement impliquées, c’est-à-dire à un conflit entre la victime et son meurtrier.</p>
<p>En réalité, les dynamiques et les motivations qui sous-tendent la violence liée au trafic de drogue ont souvent d’autres dimensions, et trouvent leurs origines dans un contexte plus large qui reste méconnu.</p>
<h2>Comprendre les logiques de la violence</h2>
<p>Prenons par exemple le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/homme-24-ans-abattu-cite-felix-pyat-marseille-1364327.html">conflit violent survenu à Félix-Pyat en 2017</a> impliquant la mort d’un trafiquant local, tué par d’autres trafiquants de la cité. À priori, ce meurtre correspondrait très bien à la notion d’un règlement de compte, c’est-à-dire une tuerie entre dealers pour le contrôle du trafic dans la cité. C’est effectivement ce qui a été rapporté dans les médias à l’époque.</p>
<p>Mais même si ces éléments étaient factuels, parler de ce meurtre uniquement en termes de règlement de compte est réducteur et masque certains facteurs significatifs, historiques, communautaires ou démographiques. Le fait notamment que la victime était d’origine maghrébine et que ses assassins étaient Comoriens. Aucun média ne l’a mentionné, or c’est capital si l’on veut comprendre les logiques de cette violence.</p>
<p>L’assassinat peut être lié à un moment critique de transition dans l’organisation du trafic de drogue à Félix-Pyat. Ce dernier était jusque-là dominé par un groupe de Maghrébins qui cantonnait les Comoriens à des tâches subalternes, en les maltraitant au passage. Suite à l’assassinat du trafiquant maghrébin, c’est un groupe de Comoriens qui a pris les commandes du trafic local.</p>
<p>Ce basculement peut être associé à des évolutions démographiques plus larges, et plus particulièrement à la minorisation de la population maghrébine de Félix-Pyat suite à une <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">importante vague migratoire comorienne</a> dans les années 1990 et 2000.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SUO3NGtd8FU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage LCP sur la diaspora comorienne à Marseille.</span></figcaption>
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<p>Ceci a conduit à des tensions raciales dans la cité, qui ont certainement contribué au cycle de violences débouchant sur le meurtre, et dont on retrouve trace lors d’entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Les discours, tant de ceux impliqués dans le trafic que de nombreux habitants du quartier, expliquaient le meurtre comme une vengeance des « esclaves noirs » contre les « esclavagistes arabes », reprenant une rhétorique historique et racialisée symboliquement puissante.</p>
<p>Ce meurtre montre ainsi que les causes de ce genre de violence débordent souvent les seuls enjeux du trafic de drogue et qu’ils peuvent être liés à une histoire et à des dynamiques locales particulières.</p>
<p>Cette contextualisation est d’autant plus importante quand on considère la réponse policière à ces meurtres. La stratégie dite de « pilonnage » notamment qui, comme <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3227239-20220201-marseille-quoi-strategie-pilonnage-trafics-stup">l’indiquait un article récent</a>, consiste principalement à « taper de façon massive et répétée sur les endroits les plus problématiques pour effriter les points de deals et les réseaux de trafiquants » ne prend pas forcément en compte ces éléments contextuels.</p>
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<img alt="Contrôle d’un scooter dans le IIIᵉ arrondissement de Marseille, 2010. Photo d’illustration" src="https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577976/original/file-20240226-17-zie9ae.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Contrôle d’un scooter, 2010. Photo d’illustration.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/25998107@N03/4460904556/in/album-72157623565134453/">Philippe Pujol/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comme le relèvent les chercheurs Michel Peraldi et Claire Duport, ces interventions policières s’inscrivent dans un champ d’action limitée, celui du <a href="https://www.transverscite.org/IMG/pdf/marseille_une_affaire_d_etat_aoc_2021.pdf">« harcèlement policier et judiciaire »</a> uniquement des individus perçus comme directement associés avec le trafic de la drogue. Une compréhension plus large des enjeux démographiques et historiques pourrait peut-être permettre de mettre en place des mesures plus efficaces – et pas uniquement répressives – pour lutter contre et pallier les effets du trafic de la drogue.</p>
<h2>Des morts imbriquées dans des dynamiques plus larges</h2>
<p>La violence liée au trafic de la drogue est également indissociable de la vie sociale de la cité, dans la mesure où un trafiquant de drogue assassiné dans un règlement de compte est toujours le fils, l’ami, l’amant, le voisin ou une connaissance de quelqu’un. Autant de perspectives qui nourrissent un récit plus complexe que celui généralement rendu public et qui permettent aussi de mieux comprendre la place et les conséquences du trafic et de sa violence dans la cité.</p>
<p>Prenons par exemple un deuxième homicide qui a eu lieu à Félix-Pyat en février 2022, lorsque nous étions sur le terrain. La victime était un jeune homme de 23 ans. Selon les médias et la police, il était <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/un-marseillais-de-23-ans-tue-par-balles-a-la-cite-felix-pyat-1644832997">« connu des forces de l’ordre »</a>, laissant ainsi entendre que cette mort était probablement un règlement de compte on ne peut plus « classique ».</p>
<p>Dans la cité, par contre, de nombreuses rumeurs contradictoires ont circulé. Si aucune de celles-ci ne remettait en cause le fait que la victime ait été impliquée dans le trafic de drogue, il a été dit que les causes de sa mort étaient toutes autres, et que le jeune homme aurait « mal regardé » ou « mal parlé » à quelqu’un, qu’il aurait fait de l’œil à la femme d’un d’autre, qu’il devait de l’argent ou encore qu’il était au centre d’un conflit familial.</p>
<p>Nous ne savons pas ce qui est vrai ou pas, mais le fait qu’il y ait eu de multiples rumeurs est significatif, car cela suggère, comme dans le cas du meurtre qui a eu lieu à Félix-Pyat en 2017, que cette mort était potentiellement au cœur de dynamiques plus larges que des conflits d’intérêts internes au trafic de drogue.</p>
<p>Il ne s’agit pas juste d’un problème d’ordre conceptuel ou de représentation. Une expression telle que la notion du « règlement de compte » – ou bien aussi celle plus récente de <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/narchomicide-a-marseille-deux-hommes-mis-en-examen-20240112">« narchomicide »</a> – finit par conditionner la manière dont on traite la violence.</p>
<p>La couverture médiatique des règlements de compte contribue en particulier à déshumaniser les protagonistes de ces violences, les qualifiant en général uniquement de personnes « connues des services de police », « connues pour des délits liés aux stupéfiants », ou bien « connues pour des faits de trafic de drogue ».</p>
<p>Réduire ainsi tant les auteurs et victimes d’un règlement de compte ou narchomicide à leur seul statut de criminel récidiviste conditionne non seulement la réponse des autorités publiques au trafic de la drogue mais aussi la réception émotionnelle et morale de cette violence, empêchant en particulier de comprendre comment cette violence peut émerger et les conséquences profondes qu’elle peut avoir.</p>
<h2>Une ambiance changée</h2>
<p>En mai 2023, nous sommes retournés à Félix-Pyat après quelques mois d’absence. La cité était en deuil, car <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/trois-jeunes-hommes-tues-par-balles-devant-une-boite-de-nuit-a-marseille-2777410.html">trois jeunes avaient été assassinés</a> dans leur voiture à la sortie d’une boite de nuit. Les médias ont présenté l’affaire comme un règlement de compte, soulignant en particulier :</p>
<blockquote>
<p>« parmi les occupants de la voiture (visée) trois étaient connus des services de police pour trafic de stupéfiants et sont originaires d’une cité qui est connue pour les trafics de stupéfiants, la cité Félix-Pyat ».</p>
</blockquote>
<p>Il y avait en fait <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/marseille-trois-hommes-tues-par-balles-ce-matin-selon-les-secours-21-05-2023-UTW5UM74QVHIBEYLXIGD5XNIXQ.php">cinq personnes dans la voiture</a>, et d’après les habitants de Félix-Pyat avec qui nous en avons parlé, une seule des trois victimes aurait été impliquée dans le trafic.</p>
<p>Cependant, tous « étaient des gens que tout le monde connaissait ». Des centaines de personnes de la cité sont allées à leurs prières funéraires, et encore plus ont circulé sans discriminer entre les appartements des familles des trois défunts afin de leur présenter leurs condoléances, et en particulier aux mères, « qui sont celles qui souffrent le plus de la violence », comme nous a dit Nadia lors d’un entretien.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/meres-des-quartiers-populaires-des-intermediaires-sur-le-fil-210141">Mères des quartiers populaires : des intermédiaires sur le fil</a>
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<hr>
<h2>« Tu pourrais mourir juste parce que tu sors acheter du pain… »</h2>
<p>Mais au-delà du choc, l’ambiance dans la cité nous a semblé particulièrement pesante en mai 2023, en partie parce que ces meurtres ont eu lieu durant une période de six mois de violence accrue à Félix-Pyat.</p>
<p>De multiples attaques perpétrées depuis des voitures en marche par des personnes extérieures à la cité avaient notamment eu lieu, faisant plusieurs dizaines de blessés, dont beaucoup de victimes « collatérales » qui n’étaient pas liées au trafic de drogue.</p>
<p>Les habitants du quartier liaient cette nouvelle violence indiscriminée à une guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> opérant au niveau de la ville de Marseille tout entière <a href="https://www.ouest-france.fr/provence-alpes-cote-dazur/marseille-13000/dz-mafia-vs-yoda-trois-choses-a-savoir-sur-ces-deux-gangs-de-trafiquants-en-guerre-a-marseille-1ccb662a-3ce2-11ee-96f7-905515ebb819">et avec des ramifications internationales</a>. Ils n’en comprenaient pas la logique car elle n’était plus locale, dépassant le cadre de la cité, ce qui générait une énorme peur.</p>
<p>Les habitants de la cité se voyaient comme les victimes d’enjeux qui les dépassaient totalement :</p>
<blockquote>
<p>« Avant la personne qui mourrait était la personne qui était visée, c’était normal. Maintenant il n’y a plus de logique… » nous dit Aamira, une habitante de longue date.</p>
</blockquote>
<p>Fatima, pour sa part, renchérit :</p>
<blockquote>
<p>« on a tous peur, tu t’imagines, tu pourrais mourir juste parce que tu sors acheter du pain… ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette violence imprévisible et d’origine externe, la réponse des habitants a donc été de mettre en avant les liens sociaux et la solidarité au sein de la communauté, et de commémorer les trois jeunes morts. Cette réaction collective démontre bien à quel point les effets de la violence du trafic de la drogue vont au-delà de celui-ci, et comment ils affectent la communauté locale tout entière.</p>
<p>Sans une compréhension plus globale du contexte et des conséquences sociales et culturelles de cette violence et de la façon dont elle se structure, nous ne pourrons pas développer d’outils efficaces pour la contrer. Et limiter ses effets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208752024-03-11T16:14:07Z2024-03-11T16:14:07ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (1/4) – La mauvaise réputation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572905/original/file-20240201-15-ld5s43.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C28%2C6287%2C3416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grands ensembles à Félix Pyat, Marseille, 3e arrondissement, 2021.
</span> <span class="attribution"><span class="source">D.Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Une image difficile à déconstruire mais qui masque aussi des violences structurelles tenaces.</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le film <em>BAC Nord</em>, sorti en 2021.</span>
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<p>Une course-poursuite s’engage entre policiers et trafiquants de drogues. Trois agents de la Brigade anticriminalité (BAC) de Marseille s’engouffrent dans une cité afin d’y kidnapper un trafiquant, puis s’échappent en franchissant une barricade de deux mètres de haut, poursuivis par une horde de jeunes hommes cagoulés et armés sur des motos, tout en faisant face à une véritable pluie de détritus jetés depuis les tours environnantes par les habitants hostiles de la cité. Cette scène rocambolesque ouvre le film Bac Nord. Sorti en salle en 2021, il traite plus largement du trafic de drogue et de la corruption policière à Marseille.</p>
<p>Promu sous le label « inspiré par des faits réels », le film articule un ensemble de discours médiatiques et politiques reflétant un imaginaire violent censé caractériser Marseille. Un sujet qui a été rapidement instrumentalisé en politique comme en témoigne par exemple un <a href="https://twitter.com/MLP_officiel/status/1433132385214816278">tweet</a> de Marine Le Pen daté du 1<sup>er</sup> septembre 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« BAC Nord : alors que le président va faire un show médiatique à <a href="https://twitter.com/hashtag/Marseille">#Marseille</a>, la réalité c’est ce film ! Allez le voir ! Prenez conscience de cette terrible réalité et de l’urgence à reprendre la main. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, le ministre de l’intérieur <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/a-marseille-gerald-darmanin-vise-uber-shit-et-les-consommateurs-de-drogues-des-beaux-quartiers-20240104">Gérald Darmanin</a> a évoqué la cité phocéenne, en mettant l’accent sur ses « points de deal » à « nettoyer » et la responsabilité des consommateurs de drogues issus des « beaux quartiers ».</p>
<h2>Des représentations symboliques violentes</h2>
<p>Il est en fait commun d’entendre des expressions telles que « Marseille, c’est Chicago », « Marseille, c’est le Far West », ou bien « Marseille, la capitale du crime français ». Comme l’ont analysé <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100397430">Cesare Mattina et Nicolas Maisetti</a>, ce genre de représentation constitue une forme de stigmatisation et de violence symbolique, au sens où elles s’inscrivent durablement dans nos schémas de perception à propos du monde d’une manière qui dépasse les statistiques.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Peut-on vraiment qualifier Marseille de « French Chicago » ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">myretroposter</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Marseille – comme d’autres villes telles que Glasgow, Naples, ou Chicago – est, dans notre imaginaire, une métropole gangrénée par la violence, <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5159567/marseille-est-la-ville-la-plus-dangereuse-deurope-selon-un-site-americain.htm">« la plus dangereuse d’Europe »</a>, après certains médias. Pourtant, statistiquement parlant, les niveaux de violence à Marseille ne sont souvent pas plus élevés qu’à Paris. Le chercheur Laurent Mucchielli l’avait déjà souligné en 2013 dans son rapport <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/publication-print/mucchielli_marseille.pdf">« Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités »</a>. Et les statistiques récentes concernant les crimes et délits sur <a href="https://ville-data.com/delinquance/classement-des-villes-les-plus-dangereuses-de-france">d’autres villes françaises</a> le confirment encore : Marseille arriverait 13<sup>e</sup> derrière Paris.</p>
<p>Il faut de plus distinguer délinquance, vols avec violence armée ou non, criminalité organisée et <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/insecurite-nantes-paris-marseille-les-villes-francaises-devissent-dans-le-classement-mondial-des-villes-les-plus-sures-20220923">sentiment d’insécurité</a>, autant de critères qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/cartes-delinquance-a-paris-lyon-ou-marseille-les-arrondissements-centraux-ou-touristiques-sont-les-plus-cibles_5702228.html">peuvent faire varier les statistiques</a>.</p>
<p>Ainsi, les représentations de la violence à Marseille sont souvent liées à des effets de loupe ou à des distorsions, des perceptions, et des expériences très variées.</p>
<p>La scène d’ouverture du film Bac Nord est particulièrement pertinente à ce niveau là, car elle a été tournée à Félix-Pyat, une cité dans laquelle nous avons effectué un travail de terrain de sept mois entre 2021 et 2023, ce qui nous permet d’affirmer avec certitude que sa réalité quotidienne ne correspond absolument pas aux images véhiculées par le film.</p>
<h2>Du Parc Bellevue à Félix-Pyat</h2>
<p>La cité Félix-Pyat – aussi connue comme le <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Parc Bellevue »</a> – a été construite en copropriété entre 1958 et 1961 pour accueillir les colons Pieds-noirs revenant d’Algérie et du Protectorat français de la Tunisie. Au cours de la décennie qui a suivi la construction de la cité, une deuxième vague d’immigrants est arrivée, principalement d’Afrique du Nord. Cette population maghrébine a lentement, puis plus rapidement, remplacé les premiers habitants de la cité. Cependant, au lieu de vendre leurs appartements, beaucoup de ces derniers ont commencé à les louer aux nouveaux arrivants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Félix Pyat, 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/44359189@N08/5096826992">Catherine Champerneau/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Dès lors, un grand nombre de propriétaires, parce qu’ils n’habitaient plus à Félix-Pyat, ont cessé de payer les services et les charges de la copropriété, qui s’est lourdement endettée. Les édifices se sont peu à peu dégradés et un cercle vicieux s’est enclenché : ceux qui ont pu se le permettre ont déménagé le plus rapidement possible, alors que ceux qui sont restés étaient les plus paupérisés.</p>
<p>Dès les années 1980, la cité se caractérise par une pauvreté croissante. A partir des années 1990, l’immigration maghrébine est remplacée par les arrivées de réfugiés bosniaques et kurdes, mais aussi albanais et surtout, une nouvelle immigration comorienne. De fait, Félix-Pyat est aujourd’hui connue comme la <a href="https://www.routledge.com/The-Diaspora-of-the-Comoros-in-France-Ethnicised-Biopolitics-and-Communitarisation/Fritsch/p/book/9780367627942">« capitale des Comores »</a> à Marseille, qui concentre elle-même le plus grand nombre de Comoriens en dehors des Comores.</p>
<p>Félix-Pyat se distingue aussi par le fait que, géographiquement, c’est le soi-disant « Quartier Nord » le plus central de Marseille, située dans le III<sup>e</sup> arrondissement de la ville, dans le quartier de Saint-Mauront. La cité est donc beaucoup plus accessible depuis et vers le reste de la ville que d’autres cités plus au nord comme La Castellane ou bien Frais Vallon à l’Est.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement" src="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/maps/search/felix+pyat+marseille+cit%C3%A9/@43.3179808,5.3438843,13.89z?hl=fr&entry=ttu">Google maps</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2022, nous avons mené une « enquête de ménage » – porte à porte – auprès d’un échantillon représentatif de 228 des 605 ménages que compte la cité dont les résultats seront publiés dans un livre en cours de rédaction. Notre objectif était à la fois de collecter des données socio-économiques sur la population de la cité, mais aussi à propos des perceptions concernant la violence et l’insécurité dans la cité.</p>
<p>La population de la cité est d’environ 3,500 habitants, avec un ratio moyen de 5,8 personnes par ménage, réparties dans des logements de taille variables. La population de la cité est en générale jeune ; l’âge moyen est de 28 ans. Elle se partage de manière plus ou moins égale en termes de sexes.</p>
<p>Une majorité des ménages de la cité disent s’identifier avec « la communauté comorienne » : 57 % de la population, contre 30 % s’identifiant avec « la communauté maghrébine », et 13 % s’identifiant avec une autre communauté. Notre enquête de ménage confirme aussi que Félix-Pyat reste une cité pauvre : 63 % des chefs de famille gagnent moins de 1,000 euros par mois.</p>
<p>En parallèle, Félix-Pyat concentre aussi de nombreuses organisations associatives, et il existe clairement un tissu social et culturel collectif très fort, qui se mobilise de façon visible lors des célébrations de <a href="https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2009_num_15_1_1195">« grands mariages »</a>, autour de la religion, ou bien lors de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quipe_des_Comores_de_football_%C3%A0_la_Coupe_d%27Afrique_des_nations_2021">l’épopée sportive de l’équipe de foot des Comores à la CAN 2021</a> par exemple, quand les matchs furent projetés en plein air sur la place principale de la cité.</p>
<p>On vit, on rit, on aime, on pleure à Félix-Pyat, dont l’histoire, en fin de compte, est une « histoire plurielle et emblématique de l’évolution de la société française durant les cinq dernières décennies », comme l’ont très bien décrit Marie d’Hombres et Blandine Scherer dans leur superbe livre <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Au 143 rue Félix Pyat »</a>, recueillant textes, propos, et témoignages d’habitants du quartier.</p>
<h2>« Tout se passe là-bas, rien ici »</h2>
<p>Nous ne voulons pas, pour autant, minimiser ni la présence ni la violence du trafic de drogue à Félix-Pyat. Les deux y sont indéniablement manifestes. Mais compte tenu des représentations sensationnalistes qui abondent autour du phénomène, nous tenons à remarquer en premier lieu que les activités liées à la drogue sont bien plus visibles dans d’autres cités de la ville que nous avons pu visiter. Il est important de réaliser que le trafic de la drogue à Marseille est un phénomène très variable, comme cela est par ailleurs très bien décrit dans une étude sur <a href="https://theses.hal.science/tel-01955264/">« La concentration du crime et les caractéristiques de l’aménagement de l’espace urbain à Marseille »</a>.</p>
<p>Ceci étant dit, sur les murs de l’un des premiers bâtiments que l’on croise en entrant dans la cité Félix-Pyat, un graffiti suggère que « tout se passe là-bas, rien ici », avec une flèche indiquant le bâtiment suivant, où se trouverait le « charbon », c’est-à-dire un point de vente de la drogue. On voit régulièrement une clientèle variée s’y rendre pour acheter de la drogue, le plus souvent en soirée, mais aussi pendant la journée.</p>
<p>Les « guetteurs » sont aussi une présence régulière aux coins des rues de la cité, qu’ils barricadent à intervalles réguliers afin de faciliter les livraisons de drogue, tandis que plusieurs habitants nous ont raconté comment les cages d’escalier d’immeubles pouvaient aussi être barricadées pour ralentir la police en cas de descente.</p>
<p>Un interlocuteur, que nous nommerons Tarek, nous a précisé :</p>
<blockquote>
<p>« mais quand une vieille dame arrive, ils enlèvent les barricades pour qu’elle puisse passer ». Après une petite pause, il ajouta, « en fait, non, je blague. Ils ne sont pas gentils ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Tout se passe là-bas, rien ici. »</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a aussi eu plusieurs <a href="https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/6009924/relaxe-par-la-justice-tue-a-felix-pyat.html">meurtres</a> liés au trafic de drogue dans la cité au cours des dernières années, ainsi que de multiples <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/58910306011716/marseille-des-tirs-a-felix-pyat-cette-nuit-quatre-blesses-dont-trois-graves">blessés</a>.</p>
<p>Félix-Pyat a en outre fait les titres des journaux début septembre 2023 pour un cas de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/ce-qu-il-faut-savoir-sur-le-proces-des-agresseurs-presumes-de-l-adolescent-sequestre-et-torture-au-chalumeau-a-marseille-2835617.html">torture d’un jeune trafiquant</a> de drogue extérieur à la cité qui avait voulu y vendre indépendamment du trafic local.</p>
<h2>D’abord la saleté, la pauvreté et ensuite la peur</h2>
<p>L’angoisse des parents de jeunes dans la cité, qu’ils soient impliqués dans le trafic ou pas, était souvent palpable lors de beaucoup des entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Certains habitants ont aussi exprimé le sentiment plus général de « vivre avec la peur » à cause de la délinquance et du trafic de drogue, même si celle-ci variait clairement en fonction des personnes ainsi que de leur relation avec différents espaces de la cité : paradoxalement, ceux qui vivaient plus prêt d’un point de vente exprimaient moins de peur que ceux dont les appartements étaient plus éloignés, à cause vraisemblablement d’un effet de familiarisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/serie-drogues-en-france-loin-des-cliches-204829">Série : Drogues en France, loin des clichés</a>
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<p>Beaucoup de jeunes femmes ont néanmoins souligné qu’elles évitaient de passer par certaines zones de la cité, en particulier lorsqu’elles y voyaient des attroupements de « guetteurs ». Les jeunes hommes, par contre, exprimaient plus de peur face aux risques de violence policière lors des descentes de CRS cherchant à perturber et interrompre le trafic de drogue.</p>
<p>Cependant, les résultats de notre enquête de ménage rapportent que la violence et la délinquance ne sont pas perçues comme étant le problème le plus important auquel les habitants de la cité sont confrontés au quotidien. Lors des entretiens, la « saleté », la « pauvreté », « l’état des bâtiments » et la « santé » sont des préoccupations qui sont apparues en premier comme l’indique le tableau ci-dessous.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que la saleté est un problème réel à Félix-Pyat. Le mistral fait fréquemment voler les ordures non ramassées dans les rues de la cité, qui sont peuplées de rats et de gabians agressifs qui se battent entre eux pour les déchets alimentaires.</p>
<p>La même chose vaut pour la pauvreté : 54 % des ménages dépendent de l’assistance sociale. L’insalubrité des bâtiments de la cité est évidente et leur détérioration telle qu’elle se constate sur le plan visuel, sonore ou même olfactif. Les infrastructures de la cité – routes, parcs, bâtiments scolaires – sont généralement en mauvais état, en raison du manque d’entretien. Les bâtis endommagés par les incendies fréquents – plusieurs se sont déclarés lors de notre travail de terrain – sont rarement réparés et souffrent d’un vandalisme constant.</p>
<p>Beaucoup des habitants de Félix-Pyat sont aussi clairement en mauvaise santé. Certains par exemple souffrent de maladies respiratoires pour des raisons très certainement liées aux conditions environnementales ambiantes, <a href="https://marsactu.fr/legionelle-273-habitants-dair-bel-poursuivent-leur-combat-hors-norme-au-tribunal/">comme cela a été le cas dans d’autres cités marseillaises</a>.</p>
<h2>De quelles violences parle-t-on ?</h2>
<p>Les résultats de notre enquête de ménage nous permettent donc de remettre la violence associée à la délinquance et au trafic de drogues à Félix-Pyat à sa juste place parmi d’autres préoccupations au quotidien.</p>
<p>Dans d’autres contextes, ces préoccupations auxquelles sont confrontés la population de la cité sont souvent caractérisées comme des formes de violences – la pauvreté comme de la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520243262/pathologies-of-power">« violence structurelle »</a>, le délabrement des bâtiments et espaces publics comme de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43497507">« violence infrastructurelle »</a>, ou bien la saleté comme de la <a href="https://global.oup.com/academic/product/flammable-9780195372939">« violence environnementale »</a> – qui s’enchevêtrent et se renforcent.</p>
<p>À Félix-Pyat également, ces phénomènes s’auto-alimentent et créent un environnement qui impacte de manière systémique la vie quotidienne de la population de la cité. Vu ainsi, il ne suffit pas de décrire Félix-Pyat comme une cité violente du fait du trafic de drogue pour comprendre – encore moins résoudre – quoi que ce soit. Au contraire, ce constat peut masquer – et potentiellement légitimer – la situation plus large d’oppression structurelle dans laquelle vivent ses habitants, et dont les dynamiques dépassent le seul contexte de la cité.</p>
<p>Il nous parait dès lors opportun de mobiliser une autre notion de violence pour penser à la manière dont la situation globale dans les cités telles que Félix-Pyat est perçue, qui est celle de la violence « épistémique », mise en avant par <a href="https://monoskop.org/images/b/b7/Foucault_Michel_L_archeologie_du_savoir.pdf">Michel Foucault</a>.</p>
<p>Celle-ci caractérise une forme de violence à travers laquelle est imposée une <em>épistémè</em>, ou autrement dit, des règles de production du savoir qui déterminent les limites de nos connaissances. La violence épistémique fonctionne donc en imposant un cadre de pensée préétabli, dans le cas présent en focalisant le regard sur certains processus comme des formes de violences au détriment d’autres.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/K63Rr7zpIKY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Visite de Félix Pyat : quartier défavorisé de Marseille (avec le rappeur Yassta) par le reporter GabMorrison, YouTube, 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Appréhender la violence dans les cités de Marseille uniquement à partir de la violence liée au trafic de drogue et limiter son analyse à l’échelle des cités constituent donc une violence épistémique qui empêche de réfléchir autrement.</p>
<p>Afin de la contrecarrer, nous avons clairement besoin d’un nouveau vocabulaire concernant la violence. Il faudrait en particulier parler de violences au pluriel, pour nous permettre de montrer la nature systémique du phénomène, mais aussi de comparer les effets de différentes formes de violence.</p>
<p>Ce n’est qu’en élargissant notre regard et en analysant ensemble plutôt que séparément différentes violences que nous pourrons faire place à de nouvelles idées et changer l’optique des discussions contemporaines concernant la violence dans les cités de Marseille, qui va bien au-delà de la criminalité et la délinquance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark </span></em></p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075542024-03-10T16:46:25Z2024-03-10T16:46:25ZCannabis : Des idées reçues à déconstruire !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580373/original/file-20240307-32-eazgkk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3846%2C2572&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ces dernières années, plusieurs pays ont choisi d'encadrer l'usage du cannabis plutôt que de le prohiber. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/plantes-vertes-sur-cadre-en-metal-blanc-yovhXPl8V1M">Richard T/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« Le cannabis amène à consommer des drogues plus dures », « le cannabis entraîne des troubles psychiatriques », « prohiber le cannabis fait baisser la consommation de cannabis », « l’autoriser fait augmenter la consommation »… Qui n’a jamais entendu, ou relayé, ces affirmations réductrices, voire erronées ?</p>
<p>Ces discours tendent à simplifier des interactions qui sont, dans les faits, très complexes. Ancrés dans un registre émotionnel et reposant sur des imaginaires caricaturaux, ils ne tiennent pas compte des données scientifiques, et empêchent la mise en place de politiques efficaces de prévention et de réduction des risques et dommages, qui les prendraient en compte. En réalité, les <a href="https://cnrs.hal.science/hal-03478935">usages du cannabis – et les conséquences de ces usages – diffèrent beaucoup selon les profils sociaux et les contextes de consommation</a>. Déconstruisons donc quelques idées reçues, avec l’aide de la recherche scientifique.</p>
<h2>Une substance très consommée</h2>
<p>Le cannabis est la <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/DACC-2022.pdf">première substance psychoactive illicite la plus consommée</a> dans notre pays : 18 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis au cours de leur vie. Parmi eux, 1,3 million sont des usagers réguliers (au moins 10 consommations dans le mois) et 850 000 sont des usagers quotidiens.</p>
<p>Le profil type du consommateur de cannabis est celui d’un homme jeune, mais les dernières tendances observées montrent une <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/usages-du-cannabis-en-france-premiers-resultats-du-barometre-sante-de-sante-publique-france-2020">augmentation de la consommation de cannabis chez les femmes et un vieillissement des consommateurs</a>, plus souvent trentenaires ou plus âgés.</p>
<p>Dans la plupart des cas, cet usage irrégulier n’occasionne pas de conséquences sociales ou sanitaires majeures, mais certains groupes tels que les adolescents et les jeunes adultes sont particulièrement exposés aux risques liés au cannabis. Les études disponibles mettent en évidence <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3069146/">qu’une personne qui consomme du cannabis sur onze pourrait développer une dépendance</a>, voire une sur six, si la consommation démarre à l’adolescence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-jeunes-et-cannabis-au-dela-des-caricatures-208160">Podcast : Jeunes et cannabis, au-delà des caricatures</a>
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<h2>Une plante à double tranchant</h2>
<p>S’il existe effectivement des risques à consommer du cannabis, ces risques ne sont pas <a href="https://esprit.presse.fr/article/marie-jauffret-roustide-et-jean-maxence-granier/cannabis-les-risques-de-la-repression-43568">efficacement prévenus</a> par le contexte politique et social dans lequel les consommations se déroulent, dont la prohibition. En effet, un tel contexte limite la possibilité d’un dialogue clair et d’une prévention efficace sur les conséquences de la consommation de cannabis. Par ailleurs, il rend aussi plus difficile le fait d’aborder les bénéfices potentiels de certaines substances actives contenues dans cette plante.</p>
<p>Car le cannabis est une <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-premiere-prescription-de-cannabis-medical-en-france-ou-en-est-on-179711">plante qui a aussi un intérêt médical</a>. Certaines des substances actives qu’elle contient, comme le tetrahydrocannabinol (THC) ou le cannabidiol (CBD), composent majoritairement certains médicaments prescrits dans des indications précises, comme la douleur neuropathique (douleur étant la conséquence d’une atteinte du système nerveux, suite à un accident, une intervention chirurgicale, un zona, etc.), la rigidité musculaire (spasticité) ou des formes d’épilepsie résistante aux médicaments.</p>
<p>Comment les données scientifiques peuvent-elles nous aider à y voir plus clair ?</p>
<h2>Le cannabis est-il une plante sans risque ?</h2>
<p>Rappelons que l’origine naturelle d’une substance n’est pas une garantie d’absence de risque (ou de présence de bienfait) pour le corps humain.</p>
<p>Au-delà des effets recherchés (plaisir ou autothérapeutique), les substances, comme le THC ou le CBD, peuvent aussi induire des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34282851/">effets indésirables</a>.</p>
<p>L’apparition de ces complications dépend notamment de la façon dont le cannabis est consommé, de la composition du produit (en particulier de sa concentration en THC), des vulnérabilités individuelles et du contexte de consommation.</p>
<p>Parmi les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32877036/">principaux risques liés à un usage de cannabis</a>, on peut citer diverses complications :</p>
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<li><p>neurologiques : somnolence,convulsions ;</p></li>
<li><p>cognitives : troubles de la mémoire, de l’attention et des capacités d’apprentissage ;</p></li>
<li><p>psychiques : anxiété, attaques de panique, paranoïa voire dépendance ;</p></li>
<li><p>digestives : douleurs abdominales, vomissements, prise de poids car le cannabis augmente l’appétit (effet orexigène) ;</p></li>
<li><p>hormonales et sexuelles : perturbations des cycles menstruels et altération de la qualité du sperme et troubles de l’érection et de l’éjaculation chez l’homme ;</p></li>
<li><p>cardio-vasculaires.</p></li>
</ul>
<p>Ces dernières complications sont rares, mais potentiellement graves. En effet, les décès imputables à un usage de cannabis (qui sont eux aussi très rares) sont le plus souvent associés à des troubles du rythme cardiaque, de l’hypertension, un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral.</p>
<p>Des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36115751/">complications respiratoires</a> peuvent elles aussi survenir, mais elles sont directement liées à l’usage par voie pulmonaire avec combustion (joint, bang), et le plus souvent en lien avec l’utilisation de tabac.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cbd-lessentiel-a-savoir-avant-den-prendre-171970">CBD : l’essentiel à savoir avant d’en prendre</a>
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<h2>Le cannabis mène-t-il à l’usage d’autres substances plus à risque ?</h2>
<p>C’est un argument fréquent des discours des tenants de la prohibition. Apparu aux États-Unis dès les années 30, il est encore souvent brandi par les opposants à la légalisation d’accès au cannabis, pour qui consommer du cannabis conduirait inéluctablement à expérimenter d’autres drogues comme la cocaïne ou l’héroïne. On parle de « théorie de l’escalade », de « théorie du tremplin » ou de « théorie de la « porte d’entrée ».</p>
<p>La théorie de l’escalade n’a jamais été prouvée scientifiquement, il n’est pas démontré que l’usage de cannabis puisse être la cause d’un usage d’autres drogues illicites. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1156108/">Elle s’est construite sur une confusion entre lien de causalité et corrélation</a>. En effet, la plupart des usagers d’héroïne ont consommé du cannabis auparavant. Mais ils ont également consommé de l’alcool et du tabac. Or, tous les usagers d’alcool, de tabac ou de cannabis ne passent pas pour autant à l’héroïne… Autrement dit, le fait de fumer du cannabis, donc d’être exposé au THC, n’incite pas à lui seul à consommer d’autres produits.</p>
<p>Élaborée en 2002, une autre théorie est plus scientifiquement crédible : celle du « Common liability model », qui repose sur la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12472629/">propension individuelle</a> à consommer des substances psychoactives. Cette dernière refléterait une vulnérabilité individuelle globale qui serait dépendante de facteurs génétiques et environnementaux, et non des substances consommées.</p>
<p>Ainsi, selon ce modèle, les individus ayant consommé du cannabis, puis de la cocaïne (ou de l’héroïne) seraient passés de l’un à l’autre à cause d’une vulnérabilité générale commune à l’usage de ces drogues. L’ordre d’initiation aux drogues refléterait alors plutôt l’ordre dans lequel les individus auraient l’opportunité d’essayer les drogues, et donc aussi de la facilité d’accès à ces drogues et de leur statut dans la société. La disponibilité grandissante de la cocaïne pourrait d’ailleurs changer l’ordre des choses.</p>
<h2>Le cannabis rend-il forcément schizophrène ?</h2>
<p>La schizophrénie est une maladie chronique et sévère qui concerne jusqu’à 1 % de la population, selon les estimations. Elle débute habituellement entre 15 et 25 ans, soit dans les mêmes tranches d’âge que celles des premiers usages de cannabis.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2022-1-page-135.htm">C’est une maladie multifactorielle</a>, qui associe non seulement des facteurs de causalité environnementaux, mais aussi génétiques (la part de l’hérédité est importante : jusqu’à 80 %).</p>
<p>Le passage d’un état de vulnérabilité psychotique (qui concerne environ 10 % de la population générale) vers la maladie schizophrénie dépend de facteurs de risque au moment de l’adolescence, parmi lesquels l’usage de cannabis semble impliqué. En effet, chez les adolescents ayant des niveaux importants de consommation, le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31664453/">risque de présenter un trouble psychotique est multiplié par 4 en moyenne</a>.</p>
<p>Les patients schizophrènes consommateurs de cannabis ont développé la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24345517/">maladie en moyenne trois ans plus tôt que les autres</a>. C’est aussi un facteur péjoratif sur la sévérité et le pronostic de la maladie. L’usage de cannabis est donc non seulement un facteur aggravant mais aussi probablement un <a href="https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2022-1-page-135.htm">facteur explicatif, mais non suffisant</a>, de trouble psychotique.</p>
<p>Il n’est pas nécessaire de consommer du cannabis pour développer une schizophrénie, mais <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32459328/">15 % des nouveaux patients</a> n’auraient pas développé ce trouble s’ils n’avaient pas utilisé du cannabis. D’où la nécessité d’éviter ou retarder le plus tard possible une exposition – notamment chronique – au cannabis chez les personnes de moins de 25 ans.</p>
<h2>La prohibition fait-elle baisser la consommation de cannabis chez les jeunes ?</h2>
<p>Avant tout, il est essentiel de rappeler que les modèles politiques choisis pour encadrer les drogues n’ont que peu d’effets sur les niveaux de consommation chez les jeunes. Ainsi, la France a l’une des législations les plus répressives d’Europe. Pourtant, elle se situe en tête de classement (<a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/drogues-et-addictions-chiffres-cles/drogues-et-addictions-chiffres-cles-9e-edition-2022/">2<sup>e</sup> sur 34</a>) pour la consommation de cannabis chez les adolescents. La Suède, qui a également un modèle très répressif, se situe en fin de ce même classement.</p>
<p>Dans un contexte prohibitionniste, les campagnes de prévention adoptent le plus souvent un discours axé sur la peur et les risques. Or, cela peut avoir un effet contre-productif, et <a href="https://journals-sagepub-com.inshs.bib.cnrs.fr/doi/10.1177/001789690506400206">favoriser l’expérimentation de cannabis chez les adolescents</a></p>
<p>La prohibition du cannabis n’a donc pas tous les effets escomptés : elle ne fait pas baisser la consommation. Par ailleurs, elle a des effets néfastes, car elle ne protège pas suffisamment les consommateurs des risques éventuels.</p>
<h2>La légalisation du cannabis fait-elle augmenter sa consommation ?</h2>
<p>À l’inverse, les pays qui ont assoupli leurs législations vis-à-vis du cannabis, en optant pour des modèles axés sur la santé publique et la réduction des risques, ont des résultats plutôt encourageants concernant les tendances de l’usage chez les jeunes et la prévention.</p>
<p>C’est par exemple le cas du Québec, qui a choisi un modèle de légalisation très axé sur la santé publique. Les autorités ont observé une diminution de la consommation de cannabis au cours des 12 derniers mois chez les jeunes de 15 à 17 ans (de <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/flash-surveillance/evolution-consommation-cannabis/">22 % à 19 %</a>), ainsi qu’une stabilité chez les 18-20 ans et une augmentation chez les 21-24 ans (de <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/flash-surveillance/evolution-consommation-cannabis/">39 à 43 %</a>).</p>
<p>En outre, différentes études ont montré que des politiques plus libérales vis-à-vis du cannabis <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0955395919300210">ne se sont pas accompagnées d’une augmentation importante de la consommation chez les plus jeunes</a>.</p>
<p>Par ailleurs, la légalisation du cannabis au Canada a permis de développer la sensibilisation des usagers face au risque, <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/programmes/engagement-legalisation-reglementation-cannabis-canada-bilan-progres/document.html">grâce à des investissements massifs dans les campagnes de prévention</a> (108,6 millions de dollars canadiens sur 6 ans, de 2017 à 2023). Les dernières données québécoises montrent que la population a acquis une <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/flash-surveillance/evolution-normes-sociale-regard-cannabis-quelques-chiffres/">meilleure connaissance des risques liés au cannabis</a> depuis la légalisation.</p>
<h2>Quel modèle politique adopter ?</h2>
<p>Les <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/resultats/les-usages-de-substances-psychoactives-chez-les-collegiens-et-lyceens-resultats-enclass-2022/">données françaises</a> montrent une baisse de la consommation de cannabis chez les jeunes et un recul de l’âge à la première consommation chez les collégiens. Malgré cette baisse, les <a href="https://www.emcdda.europa.eu/data/stats2023/gps_en">jeunes Français âgés de 15 à 24 ans se caractérisent par un niveau de consommation de cannabis plus élevé que les autres jeunes Européens</a>. À titre d’exemple, à l’âge de 16 ans, les jeunes Français consomment deux fois plus de cannabis que la moyenne européenne : 13 % déclarent avoir consommé du cannabis dans le dernier mois, contre 7 % en Europe, <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxss2ab.pdf">selon l’enquête ESPAD</a>.</p>
<p>Face à cet échec de la prohibition à protéger les plus jeunes des risques, de plus en plus de pays choisissent une autre voie, et en particulier celle de la légalisation du cannabis.</p>
<p>Nous <a href="https://bmjopen.bmj.com/content/10/9/e035148.long">manquons de recul aujourd’hui pour faire un bilan complet de ces initiatives de légalisation</a>. Toutefois, il ressort clairement des premières données disponibles que les modèles très libéraux et commerciaux mis en place aux États-Unis, qui ont fait de la vente du cannabis un symbole du capitalisme, peuvent avoir des <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/bilans/legalisation-du-cannabis-aux-usa-janvier-2021/">effets délétères</a>. En revanche, les modèles très encadrés, axés sur la santé publique, tels que ceux mis en place au Canada semblent plus <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/programmes/engagement-legalisation-reglementation-cannabis-canada-bilan-progres/document.html">prometteurs</a>.</p>
<p>La France est confrontée par ailleurs confrontée à un paradoxe : le cannabis fait le plus souvent l’objet d’un discours très alarmiste, notamment chez les politiques, alors que dans le même temps, l’alcool reste très valorisé. Pourtant, là aussi les données scientifiques sont claires : en France, la <a href="https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/addictions/article/l-addiction-a-l-alcool">mortalité liée à l’alcool représente 49 000 cas par an (et 7 % des décès en Europe)</a>. Mais les campagnes de prévention telles que le <a href="https://theconversation.com/alcool-et-dry-january-relever-le-defi-de-janvier-est-toujours-benefique-meme-en-cas-dechec-220556">« Dry January »</a> ne reçoivent pas le <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/addictions/alcool/enquete-comment-le-lobby-de-l-alcool-et-du-vin-fait-tout-pour-limiter-l-ampleur-du-dry-january-f5eed272-8c14-11ed-9fb2-0b86ee40425f">soutien de l’État</a>. Il reste manifestement encore des progrès à faire dans notre pays pour que les politiques des drogues soient axées sur les données scientifiques probantes…</p>
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<h2><em>Pour en savoir plus :</em></h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture de l’ouvrage « Le cannabis pour les nuls », First Éditions." src="https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=728&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=728&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=728&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=915&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=915&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578542/original/file-20240228-26-7z0yk8.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=915&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture de l’ouvrage « Le cannabis pour les nuls ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/le-cannabis-pour-les-nuls-grand-format/9782412089347">First Éditions</a></span>
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<p><em>Authier N., Julia V. (avec la collaboration de Marie-Jauffret Roustide, Ivana Obradovic et Alexandre Maciuk) « Le cannabis pour les nuls », First Éditions, parution le 15 mars.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Jauffret-Roustide est sociologue, chercheure à l'Institut sur la santé et la recherche médicale (INSERM). Elle est membre du comité Stupéfiants et Psychotropes de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) et a été membre du groupe d'experts ayant produit l'avis sur l'expérimentation du cannabis à des fins médicales. Elle est membre du collège scientifique de l'Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives (OFDT) et de l'Agence Européenne des Drogues (EMCDDA). Elle dirige le programme Sciences sociales, drogues et sociétés (D3S) à l'EHESS, avec le soutien de l'IRESP.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Président de la Fondation Institut Analgesia (fondation partenariale de soutien à la recherche sur la douleur chronique). Président du comité de suivi de l'expérimentation d'accès au cannabis médical de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé. (ANSM). Membre du collège scientifique de l'Observatoire Français des Drogues et Tendances addictives (OFDT). </span></em></p>Pour sortir de la caricature, les débats récurrents sur le cannabis nécessitent une argumentation moins idéologique. Loin des opinions, voici quelques vérités scientifiques sur cette plante.Marie Jauffret-Roustide, Chargée de recherche Inserm, sociologue et politiste au Centre d'études des mouvements sociaux (CEMS), InsermNicolas Authier, Professeur des universités, médecin hospitalier, Inserm 1107, CHU Clermont-Ferrand, Président de la Fondation Institut Analgesia, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2218922024-01-24T17:15:18Z2024-01-24T17:15:18ZÉquateur : comment le « havre de paix » de l’Amérique du Sud est devenu l’un des pays les plus violents du monde<p>Qui l’eût cru ? La célèbre phrase prononcée en 1991 par le président équatorien de l’époque, Rodrigo Borja Cevallos (1988-1992), lors de la conférence « Paix pour le développement », et répétée dix ans plus tard par un autre président, Gustavo Noboa Bejarano (2000-2003), dans son rapport à la nation de 2002, selon laquelle l’Équateur serait un « havre de paix » dans le monde, a complètement perdu de son sens au début de la troisième décennie du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>En effet, ces dernières années, l’Équateur est devenu l’un des pays les plus violents du monde. Selon une <a href="https://globalinitiative.net/analysis/ocindex-2023/">étude</a> de la <a href="https://globalinitiative.net/about-us/our-story/">Global Initiative against Transnational Organized Crime</a>, il se classe au onzième rang des pays les plus violents du monde, non loin de la Syrie, de l’Irak ou encore de l’Afghanistan.</p>
<p>L’Équateur occupe également la 96<sup>e</sup> place sur 146 pays (23<sup>e</sup> sur 32 au niveau régional) dans <a href="https://worldjusticeproject.org/rule-of-law-index/">l’indice 2023 de l’État de droit établi par le World Justice Project</a>, qui suit et évalue des indicateurs tels que les limites du pouvoir étatique, l’absence de corruption, l’ouverture politique, les droits fondamentaux, l’ordre et la sécurité, l’application des lois et le fonctionnement de la justice civile et pénale.</p>
<p>Il y a moins de cinq ans, en 2019, l’Équateur était encore considéré comme l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine, avec un taux de 6,7 morts violentes pour 100 000 habitants. Aujourd’hui, ce ratio est passé à 45 pour 100 000.</p>
<p>Début janvier, le président Daniel Noboa, dont le mandat a démarré en novembre 2023, a <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-09-janvier-2024-9073446">proclamé l’état d’urgence</a> et annoncé la mise en place d’un couvre-feu dans l’ensemble du pays à la suite de <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-latine/chef-de-gang-homme-dangereux-qui-est-fito-le-narcotrafiquant-le-plus-recherche-d-equateur_AV-202401110428.html">l’évasion d’Adolfo Macias, alias Fito</a>, chef du plus important groupe criminel d’Équateur, Los Choneros. Se sont ensuivis des affrontements extrêmement violents entre les forces de l’État et les organisations criminelles.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_s8GSsZGnqs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce fut une démonstration éclatante de la puissance de feu dont disposent les gangs. Il ne s’agit pas d’incidents isolés : ce à quoi on assiste ne peut être qualifié que de guerre entre les groupes criminels et l’État, avec pour enjeu le contrôle du territoire et des populations.</p>
<h2>L’économie du trafic de drogue alimente la criminalité</h2>
<p>Si les mafias se livrent aux activités criminelles les plus diverses, c’est le trafic de drogue qui se trouve à la racine du cycle de violence actuel. Il ne s’agit pas seulement de cocaïne, mais aussi d’héroïne et, plus récemment, de cette drogue synthétique destructrice qu’est le fentanyl.</p>
<p>La « narcotisation » de l’économie criminelle est due à plusieurs facteurs : la situation géographique du pays, puisque l’Équateur se trouve dans le voisinage des plus grands États producteurs de cocaïne au monde ; le fait que l’économie soit <a href="https://books.openedition.org/pur/46393">dollarisée</a>, donc plus attrayante pour le blanchiment d’argent sale ; la capacité limitée de l’État à surveiller les différents itinéraires aériens, maritimes et terrestres d’acheminement de la drogue à destination et en provenance du pays ; les causes structurelles, telles que le chômage et les inégalités sociales ; et la forte influence des médias, en particulier des réseaux sociaux, sur une jeunesse de plus en plus séduite par la « culture du trafic de drogue » en tant que modèle de leadership, de pouvoir et d’argent facile.</p>
<p>Les barons de la drogue locaux ont également formé des alliances stratégiques avec les cartels transnationaux. Outre les avantages économiques qu’ils procurent, ces liens ont conduit à :</p>
<ul>
<li><p>une professionnalisation de la gestion des marchés criminels en Équateur ;</p></li>
<li><p>une spécialisation accrue dans les tâches criminelles (extorsion, blanchiment d’argent, exploitation minière illégale, entre autres) ;</p></li>
<li><p>une meilleure formation des tueurs à gages, des experts en explosifs et des spécialistes du renseignement criminel ;</p></li>
<li><p>une communication plus efficace entre les guérilleros dans tout le pays, notamment par le biais des graffitis muraux.</p></li>
</ul>
<h2>Crise du système pénitentiaire</h2>
<p>Parmi les nombreux facteurs qui ont déclenché la crise systémique actuelle de la sécurité, il y a la réduction, il y a plusieurs années, du budget consacré par le gouvernement central à la rénovation du système pénitentiaire du pays.</p>
<p>Les investissements ont chuté en 2014, provoquant une crise qui s’est accentuée en 2020 avec la pandémie. De nombreux fonctionnaires du système pénitentiaire ont été licenciés et des directions entières dans le secteur de la justice ont été supprimées. Sous l’ancien président <a href="https://theconversation.com/en-equateur-lavenir-incertain-du-president-lenin-moreno-125084">Lenin Moreno</a>, le ministère de la Justice, des droits de l’homme et des affaires religieuses a été supprimé et le secrétariat des droits de l’homme et le Service national de prise en charge globale des adultes privés de liberté, qui gère les prisons, ont été créés.</p>
<p>Tout cela a provoqué un manque de clarté dans la gestion des graves problèmes des prisons et une augmentation de la surpopulation dans les 34 centres de détention du pays. Les prisons sont devenues, au fil du temps, des arrière-gardes stratégiques pour les barons de la drogue, qui y font régner leur loi par la violence.</p>
<p>Les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/26/equateur-31-morts-apres-trois-jours-demeutes-dans-la-prison-del-litoral">émeutes dans les prisons</a> sont de plus en plus fréquentes depuis la pandémie de Covid-19 : au cours des trois dernières années, il y a eu 11 massacres dans les prisons, qui se sont soldés par 412 morts, dans six prisons de cinq villes du pays.</p>
<p>Cette violence déborde sur l’ensemble de la société. La diffusion sur Internet de diverses atrocités – démembrements, décapitations, pendaison de cadavres sur des ponts et dans des lieux publics – est devenue monnaie courante.</p>
<p>Les mafias locales s’inspirent en cela des cartels colombiens et mexicains. Les actions les plus spectaculaires sont le fait des groupes relevant du cartel <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Jalisco_New_Generation_Cartel">Jalisco Nueva Generación</a>, dont certains membres ont reçu une formation militaire – y compris parfois aux États-Unis – et dont les opérations répondent à des logiques culturelles religieuses, notamment le <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-12885917/Inside-Ecuadors-brutal-gangs.html">cannibalisme</a> et le culte de la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Santa_Muerte">Sainte Mort</a>, deux éléments qui se traduisent dans des pratiques de violence glaçante.</p>
<h2>Écoles de tueurs à gages</h2>
<p>Le 1<sup>er</sup> avril 2023, le président d’alors, Guillermo Lasso, a émis le <a href="https://www.reuters.com/world/americas/ecuadors-lasso-authorizes-civilian-use-guns-citing-insecurity-2023-04-02/">décret exécutif 707</a> qui facilite le port et l’utilisation d’armes par les civils. Les groupes criminels ont alors encore intensifié leurs attaques, en particulier les assassinats de cibles spécifiques par des tueurs à gages.</p>
<p>Il est surprenant que l’existence de quatre écoles notoires de tueurs à gages, situées dans les villes de Durán, Manta, Lago Agrio et Esmeraldas, n’ait pas été formellement dénoncée à ce jour.</p>
<p>Selon des informations provenant de sources policières, ces écoles forment des assassins juniors, intermédiaires et seniors. Selon leur expérience, leur discipline et le niveau d’importance des cibles, leurs salaires varient entre 200 et 10 000 dollars américains par mois.</p>
<p>La formation de ces assassins ne se fait pas nécessairement en personne, mais, souvent, « en distanciel », par le biais de jeux vidéo destinés à faire perdre aux recrues leurs sentiments de peur et de remords. Il s’agit d’une préparation psychologique essentielle pour les jeunes qui, en raison de la pauvreté, du chômage et du manque d’opportunités d’études, sont facilement recrutés en tant qu’assassins pour les différents groupes mafieux.</p>
<p>Les gangs disposent de mécanismes de plus en plus puissants pour attirer les habitants des régions les plus défavorisées du pays, qui sont contraints (sous la menace ou par nécessité économique) de rejoindre le monde criminel.</p>
<h2>Un narco-État en construction</h2>
<p>De plus en plus, les groupes criminels se révèlent en mesure d’exercer une influence sur les autorités locales pour dissimuler leurs activités sous des formes pseudo-légales et faire avancer leurs objectifs stratégiques visant à transformer l’Équateur en un narco-État.</p>
<p>Ce sont avant tout les citoyens équatoriens qui en paient le prix. Les meurtres macabres, les enlèvements et autres actes de violence les obligent à changer leurs habitudes ou à opter pour une existence complètement isolée.</p>
<p>Un climat d’insécurité et de méfiance s’installe dans la société, exacerbé par les médias traditionnels et les réseaux sociaux, qui continuent d’opérer sans véritable engagement en matière d’éthique journalistique et de responsabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maria Fernanda Noboa Gonzalez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le pays semble en train de perdre sa guerre contre les gangs mafieux étroitement liés au narco-trafic mondial.Maria Fernanda Noboa Gonzalez, Doutora em Estudos Internacionais, Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (FLACSO) - EcuadorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2097322024-01-04T15:49:00Z2024-01-04T15:49:00ZL’activité physique, un outil thérapeutique pour traiter la dépendance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541260/original/file-20230804-15-8qg771.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C0%2C6189%2C4095&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Notre revue scientifique indique que les personnes qui intègrent des activités physiques dans leur traitement pour la dépendance connaissent une réduction plus significative de leur consommation de substance par rapport à celles qui n'en incluent pas.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Pexels cottonbro studio)</span>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>L’activité physique est reconnue pour ces nombreux bienfaits, <a href="https://www.acsm.org/docs/default-source/publications-files/acsm-guidelines-download-10th-edabf32a97415a400e9b3be594a6cd7fbf.pdf">autant au niveau de la santé physique que mentale</a>. Elle peut, entre autres, réduire le taux de mortalité, le risque de nombreuses maladies chroniques ainsi qu’améliorer les symptômes de dépression et d’anxiété.</p>
<p>Il existe aussi un autre aspect bénéfique à considérer : nous avons observé que l’activité physique peut également contribuer à diminuer la consommation de drogue et d’alcool. </p>
<p>En tant que kinésiologue et candidate au doctorat en science de l’activité physique, cette découverte a renforcé ma passion pour ce domaine de recherche. Dans cet article, je vais vous expliquer comment notre équipe de recherche sommes parvenus à ce résultat. </p>
<p>Nous avons d’abord conduit une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0283861#pone.0283861.ref014">revue systématique de la littérature</a> scientifique, c’est-à-dire une compilation et analyse de toutes les études portant sur l’activité physique et la dépendance. </p>
<p>Nous avons choisi de ne pas inclure le tabac dans notre revue en raison de sa sur-représentation dans les études <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1360-0443.2012.04034.x">liées à l’effet de l’activité physique</a>. Nous nous sommes concentrés sur l’alcool et les autres drogues, car bien que le tabac puisse mener à une dépendance, celle-ci est singulièrement différente des autres substances au niveau fonctionnel ainsi qu’au niveau des traitements.</p>
<p>Ainsi, un total de quarante-trois articles incluant plus de 3 135 personnes suivant un traitement pour la dépendance ont été analysés. La plupart des études proposaient des interventions en activité physique trois fois par semaine, pendant une heure. L’activité physique la plus utilisée a été la course, suivie par l’entraînement en musculation, le vélo et le yoga. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/contre-la-depression-lexercice-peut-etre-plus-efficace-que-les-therapies-ou-la-medication-201257">Contre la dépression, l’exercice peut être plus efficace que les thérapies ou la médication</a>
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<h2>Des dépendances communes</h2>
<p>Pour des raisons complexes et encore mal comprises, la consommation de drogue et d’alcool, courante en Occident, peut parfois amener à un état de dépendance. Cet état se nomme <a href="https://mcc.ca/fr/objectifs/expert/key/103/">trouble de l’usage de substance</a>. Il s’agit d’un trouble de santé mentale diagnostiqué et défini par le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3767415/">DSM-5</a> comme étant la persistance de la consommation de substances malgré l’apparition de symptômes cognitifs, comportementaux et physiologiques. On note par exemple l’incapacité de remplir ses obligations majeures au travail, à l’école ou au domicile ; des symptômes de sevrage lors de la cessation ou encore une haute tolérance lors de la consommation.</p>
<p><a href="https://bdso.gouv.qc.ca/docs-ken/multimedia/PB01671FR_portrait_sante_mentale2015H00F00.pdf">Les dépendances touchent environ 18 % de la population québécoise</a>. Les <a href="https://bdso.gouv.qc.ca/docs-ken/multimedia/PB01671FR_portrait_sante_mentale2015H00F00.pdf">plus courantes</a> sont celles liées à l’alcool (53 %), au cannabis (5 %), et aux autres drogues telles que les opioïdes ou l’héroïne par exemple (13 % des dépendances). </p>
<p>Sortir d’une situation de dépendance, seul ou accompagné, peut être difficile. <a href="https://nida.nih.gov/publications/drugs-brains-behavior-science-addiction/treatment-recovery">On estime qu’entre 40 à 60 % des personnes vont rechuter plusieurs fois avant d’atteindre leur objectif personnel de consommation</a>. En effet, certaines peuvent vouloir diminuer leur consommation sans vouloir nécessairement atteindre la complète sobriété. Les traitements psychologiques ou pharmacologiques restent encore peu efficaces sur la diminution des symptômes de dépendance. On estime qu’entre <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0376871616308675?via%3Dihub">35 à 54 % des personnes vont atteindre une rémission complète à la suite d’un traitement</a> tout dépendant de la sorte de traitement suivi. </p>
<p>C’est pourquoi il est important de trouver de nouvelles façons de soigner les personnes ayant des dépendances. </p>
<h2>Les trois-quarts des études observent une amélioration à la suite de la pratique d’une activité physique</h2>
<p>Parmi les traitements pour contrer les dépendances, l’activité physique est considérée comme une avenue thérapeutique potentielle, vu ses bienfaits au niveau physiologique, psychologique ou encore social. </p>
<p>Nous avons ainsi découvert que 75 % des études montraient une plus grande diminution de la consommation de substance chez les personnes qui pratiquaient des activités physiques pendant leur traitement de dépendance comparativement à celles qui n’en pratiquent pas. </p>
<p>Par ailleurs, un effet a aussi été observé au niveau du <em>craving</em>, un symptôme central dans la dépendance et qui peut grandement influencer la rechute. Il est défini comme un manque intense souvent ressenti pendant le sevrage d’une substance. Les trois-quarts des études montraient que les personnes pratiquant de l’activité physique pendant leur traitement ressentaient moins de symptômes de manque. </p>
<p>Ce dernier résultat est très important, car il montre l’importance de l’activité physique d’un point de vue thérapeutique, soit le pouvoir d’aider concrètement les personnes pendant leur traitement et d’améliorer l’issue de celui-ci. </p>
<h2>Meilleure pour la santé mentale</h2>
<p>Un deuxième point que nous avons relevé est le fait que le traitement pour la dépendance incluant de l’activité physique s’avérait plus efficace pour la santé mentale. L’activité physique en complémentarité avec le traitement pour la dépendance a amélioré les symptômes de dépression et d’anxiété. </p>
<p>En effet, les symptômes de dépression se sont améliorés dans plus de la moitié des études, et les symptômes anxieux, dans plus de 70 %. Ces résultats sont cliniquement utiles, car ces troubles sont souvent présents chez cette population, et peuvent fortement influencer le rétablissement. </p>
<h2>Un outil peu coûteux</h2>
<p>Les équipes en dépendance vont prioriser les symptômes reliés directement à la dépendance (comme le <em>craving</em>) souvent par manque de temps ou de ressources, une réalité incontournable dans les centres de dépendances. Ainsi, l’activité physique pourrait être un outil peu coûteux, demandant peu de ressources et apportant des bénéfices considérables, tant pour contrer la dépendance elle-même que la dépression et l’anxiété.</p>
<p>Notre recherche montre l’importance, autant pour les personnes ayant une dépendance que pour les intervenants et les professionnels de la santé qui travaillent avec cette clientèle, d’ajouter de l’activité physique dans les traitements. </p>
<p>Il s’agit d’une option thérapeutique efficace, peu coûteuse, faisable et bénéfique pour les personnes souhaitant diminuer leur consommation et améliorer, en même temps, leur santé mentale et physique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209732/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florence Piché est membre de la fédération des Kinésiologues du Québec. Elle a reçu des financements de l'Institut Universitaire en Santé Mentale de Montréal, des Fonds de recherche en Santé du Québec et de l'Institut universitaire sur les dépendances. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ahmed Jerome Romain a reçu des financements de la Fondation de l'Institut Universitaire en Santé Mentale de Montréal et du Fonds de Recherche en Santé du Québec</span></em></p>L’activité physique pourrait influencer le traitement des personnes ayant une dépendance. Il s’agit d’une option thérapeutique efficace et peu coûteuse.Florence Piché, Phd candidat, Université de MontréalAhmed Jerome Romain, Professeur adjoint en promotion de l'activité physique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195352023-12-10T15:48:06Z2023-12-10T15:48:06ZOpioïdes : Aux États-Unis, les overdoses sont en augmentation chez les adolescents<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564502/original/file-20231107-21-ue8q0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5674%2C3771&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour limiter le risque de décès dus à la drogue, il est important de vérifier régulièrement la santé mentale des adolescents.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/multiracial-male-and-female-friends-sitting-in-royalty-free-image/1439953643?phrase=teens&adppopup=true">DigitalVision/Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Aux États-Unis, les overdoses mortelles sont en constante augmentation. Entre mai 2022 et mai 2023, elles ont coûté la vie à plus de <a href="https://www.cdc.gov/nchs/nvss/vsrr/drug-overdose-data.htm">112 000 Américains</a>, selon les <em>Centers for Disease Control and Prevention</em>, soit une augmentation de 37 % par rapport à la période qui s’étalait de mai 2019 à mai 2020.</p>
<p>En grande majorité, les personnes décédées étaient des adultes. On note cependant une augmentation sans précédent des overdoses fatales chez les adolescents : le nombre de décès mensuel est passé de <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">31 en juillet 2019 à 87 en mai 2021</a> (la période la plus récente pour laquelle des données sont disponibles).</p>
<p>En tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?user=0nERiGAAAAAJ&hl=en&oi=ao">chercheur, je travaille sur les consommations de drogues</a>. Mes travaux se focalisent sur les spécificités existant au sein des différents groupes d’âge. Lorsque l’on s’intéresse aux décès par overdose, on constate d’importantes différences entre les adolescents et les adultes, non seulement en matière de types de drogues impliqués, mais aussi de genre des consommateurs ou d’origine ethnique.</p>
<p>En raison de ces différences, les groupes qui doivent être considérés comme à haut risque ne sont pas les mêmes chez les adolescents et chez les adultes. Les stratégies mises en place pour prévenir les overdoses doivent en tenir compte.</p>
<h2>Qui sont les victimes ?</h2>
<p>Lorsque les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont examiné les données correspondant aux jeunes Américains âgés de 10 à 19 ans, ils ont constaté que, <a href="https://www.cdc.gov/nchs/products/databriefs/db457.htm">comme pour les adultes</a>, la <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">plupart des adolescents décédés d’une overdose de drogue étaient de sexe masculin</a>. Cependant, on constate également que la proportion de jeunes filles parmi ces décès adolescents est plus élevée que la proportion de femmes dans les classes d’âge adulte.</p>
<p>Chez les préadolescents et les adolescents, plus de deux garçons meurent d’une overdose de drogue pour chaque fille de ce groupe d’âge. Chez les adultes, le rapport est plutôt de trois hommes pour deux femmes.</p>
<p><iframe id="ipOYD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ipOYD/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La proportion d’overdoses mortelles <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">chez les adolescents caucasiens non hispaniques est nettement plus élevée</a> que chez leurs pairs non caucasiens – <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7146a4.htm">plus encore que chez les adultes</a> (<em>de juillet 2019 à décembre 2021, sur 2231 adolescents décédés par overdose, plus des deux tiers (69,0 %) étaient de sexe masculin, et étaient en majorité considérés comme <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">« blancs non hispaniques »</a> (59,9 %), ndlr</em>).</p>
<h2>Le fentanyl souvent en cause</h2>
<p>Une autre différence entre adolescents et adultes se situe au niveau des substances à l’origine de ces overdoses mortelles.</p>
<p>Chez les adultes, les consommateurs qui utilisent <a href="https://nida.nih.gov/research-topics/trends-statistics/overdose-death-rates">plus d’une drogue ont plus de risques de mourir d’une overdose</a> que ceux qui n’utilisent qu’une seule drogue. Les combinaisons les plus couramment constatées impliquent le fentanyl, un puissant analgésique opioïde (<em>les opioïdes sont des substances <a href="https://www.e-cancer.fr/Dictionnaire/O/opioide">aux effets similaires à ceux de l’opium</a>, ndlr</em>). Il s’agit de l’un des opioïdes les plus puissants disponibles : on estime qu’il est environ <a href="https://www.cdc.gov/stopoverdose/fentanyl/index.html">100 fois plus puissant que la morphine</a>, un autre opioïde très puissant souvent utilisé en milieu hospitalier.</p>
<p>Lors des usages détournés, le fentanyl est souvent associé soit à un autre opioïde, par exemple un médicament délivré uniquement sur ordonnance, soit <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/13/health/polysubstance-opioids-addiction.html?searchResultPosition=1">à un stimulant</a>, tel que la cocaïne ou la méthamphétamine.</p>
<p><a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">Chez les adolescents</a>, le principal responsable des overdoses mortelles est le fentanyl seul : il est impliqué dans 84 % d’entre elles, et 56 % de toutes les overdoses impliquaient uniquement cette molécule.</p>
<p><iframe id="tJnR5" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/tJnR5/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les adolescents et les préadolescents ont généralement peu de tolérance aux opioïdes, car ils n’y ont souvent pas été exposés auparavant, et la grande puissance du fentanyl les rend <a href="https://sf.gov/information/about-fentanyl">plus susceptibles de faire une overdose</a>.</p>
<p>Nombre d’entre eux ingèrent accidentellement du fentanyl en prenant des comprimés contrefaits qu’ils croient être des opioïdes délivrés sur ordonnance ou des stimulants. Il arrive aussi que ces cachets contiennent d’autres drogues illicites, sans qu’ils ne le sachent.</p>
<p>Ce constat est cohérent avec nos résultats de recherche, qui indiquent que les <a href="https://doi.org/10.1111%2Fajad.13289">usages détournés des opioïdes délivrés sur ordonnance ont diminué</a> entre 2015 et 2019 chez les adolescents et les jeunes adultes. Cela concorde également avec d’autres données montrant que les décès liés aux <a href="https://nida.nih.gov/research-topics/trends-statistics/overdose-death-rates">overdoses impliquant de l’héroïne ont eux aussi diminué</a> au cours des dernières années.</p>
<p>Cette utilisation involontaire augmente le risque d’overdose, car les personnes qui ne sont pas conscientes qu’elles prennent du fentanyl ont moins de chances d’avoir à portée de main de <a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-la-naloxone-puissant-antidote-aux-overdoses-dopio-des-121149">la naloxone, un médicament utilisé comme antidote aux overdoses dues aux opioïdes</a>, ou des <a href="https://www.nmhealth.org/publication/view/general/6756/">bandelettes de test pour détecter le fentanyl</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-la-naloxone-puissant-antidote-aux-overdoses-dopio-des-121149">Connaissez-vous la naloxone, puissant antidote aux overdoses d’opioïdes ?</a>
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<p>Être préparé peut pourtant changer l’issue d’une overdose : l’analyse des décès survenus chez des adolescents a en effet montré que dans 67 % des cas un <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">témoin était présent et aurait pu intervenir</a>. La naloxone n’a été administrée que dans moins de la moitié de ces cas, alors que cette substance empêche le fentanyl et d’autres opioïdes de provoquer une overdose en bloquant l’accès aux récepteurs opioïdes dans le cerveau.</p>
<p><iframe id="7zauq" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/7zauq/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Peu ou pas d’antécédents</h2>
<p>Seul un adolescent sur dix décédé d’une overdose de drogue présentait un <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">historique de traitement pour un problème d’usage de substances</a>, et seul un sur sept avait déjà fait l’expérience d’une overdose non mortelle. Par ailleurs, les adolescents victimes d’une overdose mortelle n’avaient généralement pas de problème avec l’alcool ou d’autres substances, des prémices qui constituent habituellement des <a href="https://americanaddictioncenters.org/adult-addiction-treatment-programs/know-is-someone-on-drugs">facteurs de risque et doivent généralement alerter</a>.</p>
<p>Ce constat souligne l’importance pour les parents d’aborder avec leurs enfants les questions liées à l’usage de substances, et ce <a href="https://www.samhsa.gov/talk-they-hear-you/parent-resources/why-you-should-talk-your-child">dès l’âge de 12 ans</a>. Il a été constaté que l’expression de leur désapprobation a tendance à <a href="https://www.samhsa.gov/sites/default/files/TTHY-Mini-Broch-Bleed-2020.pdf">prévenir ou à retarder la prise de drogue</a>. Il faut cependant garder à l’esprit qu’il peut être irréaliste, voire inutile, d’espérer que ses enfants ne recourront jamais à aucune substance psychotrope – après tout, la <a href="https://www.samhsa.gov/data/sites/default/files/reports/rpt39443/2021NSDUHFFRRev010323.pdf">plupart des adultes boivent de l’alcool, au moins occasionnellement</a>.</p>
<p>En tant que parent, il peut être plus judicieux d’insister auprès de ses enfants sur le fait qu’à leur âge, le cerveau est encore en construction et <a href="https://doi.org/10.1080%2F10550490701756146">subit de ce fait des changements rapides et importants</a>. Éviter de consommer des drogues ou de l’alcool pendant sa jeunesse permet donc de <a href="https://www.addictionpolicy.org/post/prevention-101-delay-the-onset-of-first-use">favoriser un développement cérébral sain</a>.</p>
<h2>Que peut-on faire d’autre ?</h2>
<p>Il est important d’avoir de la naloxone à disposition. Ce médicament potentiellement salvateur est facile à utiliser, mais le <a href="https://www.npr.org/2023/08/30/1196874196/over-the-counter-narcan-may-be-too-expensive-for-some-people-advocates-fear">coût de sa version en vente libre</a>, qui <a href="https://www.goodrx.com/naloxone">peut dépasser aux États-Unis 50 $ pour deux doses</a>, le rend inaccessible pour certaines des personnes qui en ont le plus besoin. </p>
<p>Il faut néanmoins l’envisager comme le pendant d’une assurance automobile : on préfère éviter d’avoir à y recourir, mais il est important d’en souscrire une malgré tout, au cas où quelque chose tournerait mal.</p>
<p>Et même si son propre enfant ne s’essaiera jamais à la consommation d’aucune drogue, le fait d’avoir de la naloxone sur lui pourrait lui permettre d’être en mesure d’intervenir et de sauver un ami qui ferait une overdose.</p>
<p>À ce sujet, tout le monde devrait être formé à reconnaître les <a href="https://www.cdc.gov/stopoverdose/fentanyl/index.html">symptômes d’une overdose d’opioïdes</a> : respiration superficielle (de petits volumes d’air sont inspirés et expirés, gonflant au minimum les poumons) ou inexistante, difficultés à rester conscient, peau froide et moite. Face à une telle situation, il faut être prêt à intervenir rapidement.</p>
<p>Pour conclure, un dernier point est particulièrement important à souligner : plus de quatre adolescents sur dix victimes d’une overdose fatale <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/71/wr/mm7150a2.htm">avaient des antécédents de problèmes de santé mentale</a>. Cela concorde avec <a href="https://doi.org/10.1097%2FCHI.0b013e318172ef0ld">nos propres travaux</a>, qui ont établi un lien, chez les adolescents, entre une <a href="https://doi.org/10.1097/ADM.0000000000001131">santé mentale moins solide et un mésusage d’opioïdes</a>. Cette forte association entre <a href="https://doi.org/10.1007%2Fs00127-021-02199-2">problèmes de santé mentale et overdoses de drogue</a> existe aussi chez les adultes.</p>
<p>Pour cette raison et bien d’autres, telle que <a href="https://www.cdc.gov/childrensmentalhealth/data.html">l’augmentation des taux de dépression chez les adolescents</a>, je recommande à tous les adultes (non seulement aux professionnels de santé, mais aussi à ceux qui comptent des préadolescents et des adolescents parmi leurs proches), de rester attentifs à l’évolution de leur santé mentale. Et au moindre doute, de recommander un traitement si l’on est soignant, ou de consulter un professionnel dès que possible si on ne l’est pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219535/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ty Schepis est financé par le National Institute on Drug Abuse et la US Food and Drug Administration. Le Centre de recherche translationnelle sur la santé de l'Université d'État du Texas a également apporté son soutien à ses travaux.</span></em></p>Chez les adolescents américains, les garçons sont plus susceptibles de mourir d'une overdose que les filles. Le fentanyl, un opioïde 100 fois plus puissant que la morphine, est très souvent en cause.Ty Schepis, Professor of Psychology, Texas State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164042023-10-26T17:56:42Z2023-10-26T17:56:42ZCinq ans plus tard, quel bilan pour la légalisation du cannabis au Canada ?<p>Avant que le <a href="https://theconversation.com/topics/canada-20444">Canada</a> ne légalise le <a href="https://theconversation.com/topics/cannabis-30937">cannabis</a> récréatif en octobre 2018, ses effets potentiels faisaient, comme cela est toujours le cas ailleurs dans le monde, l’objet de <a href="https://www.euractiv.fr/section/sante/news/cannabis-lallemagne-legalise-la-france-penalise/">nombreux débats</a>. </p>
<p>Aux États-Unis, le gouverneur du Nebraska, Pete Ricketts, a déclaré que le cannabis était une <a href="https://www.usatoday.com/story/news/politics/2021/03/12/nebraska-gov-pete-ricketts-legal-marijuana-kill-your-kids/4663466001">« drogue dangereuse »</a> qui tuerait les enfants. L’homme politique allemand Markus Söder a exprimé des <a href="https://www.spiegel.de/panorama/gesellschaft/cannabis-legalisierung-bayern-plant-zentrale-kontrolleinheit-a-284e3aeb-63eb-4fb2-87cc-95f142707717">préoccupations similaires</a> alors que le gouvernement s’est accordé au mois d’août autour d’un <a href="https://fr.euronews.com/next/2023/08/22/le-cannabis-bientot-legal-en-allemagne-comment-se-positionne-le-reste-de-leurope-sur-la-co">projet de loi</a> qui ferait de l’Allemagne le deuxième pays de l’Union européenne à légaliser la possession de cannabis. Le candidat à la présidence du Kenya, George Wajackoyah, a même proposé la légalisation et la commercialisation du cannabis comme moyen d’<a href="https://africacheck.org/fact-checks/reports/ganjanomics-fact-checking-kenyan-presidential-candidate-george-wajackoyahs">éliminer la dette publique</a> de son pays.</p>
<p>En France le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis au mois de janvier dernier un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/288005-cannabis-recreatif-le-cese-favorable-une-legalisation-encadree">avis favorable</a> quant à sa légalisation. Une <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/legalisation-du-cannabis-la-moins-mauvaise-des-solutions-pour-le-senateur-devinaz-auteur-dune-proposition-de-loi">proposition de loi</a> sur le sujet a été déposée au Sénat au mois de juin par le député socialiste Gilbert-Luc Devinaz.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1558120647523540992"}"></div></p>
<p>Certains prédisent une <a href="https://www.thestar.com/business/real_estate/2018/08/09/cannabis-gold-rush-will-boost-retail-in-canada-riocan-says.html">« ruée vers l’or »</a> grâce à la légalisation d’un nouveau marché, tandis que d’autres craignent des <a href="https://doi.org/10.1503/cmaj.170555">« tragédies »</a> en matière de santé publique. Mes <a href="https://brocku.ca/goodman/faculty-research/faculty-directory/michael-armstrong/">recherches</a> se sont depuis penchés ses effets réels au Canada. Elles mettent en évidence que certaines tendances étaient déjà à l’œuvre avant la légalisation et se sont simplement poursuivies par la suite. D’autres changements ne sont en revanche pas intervenus comme prévu.</p>
<h2>Une consommation déjà en hausse</h2>
<p>Nombreux sont ceux qui craignaient que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation considérable de la consommation, avec pour conséquence des <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/wherry-marijuana-trudeau-1.4069815">« hordes d’adolescents défoncés »</a>. Pour les opposants à la légalisation, toute augmentation de la consommation prouverait l’<a href="https://doi.org/10.1503/cmaj.181287">échec de la mesure</a>.</p>
<p>Au Canada, le pourcentage d’adultes consommant du cannabis augmentait déjà avant 2018. Sans surprise, le mouvement s’est poursuivi après la légalisation. Selon des <a href="https://www.canada.ca/en/health-canada/services/canadian-alcohol-drugs-survey/2019-summary.html">enquêtes gouvernementales</a>, le taux de consommation était de 9 % en 2011, de 15 % en 2017 et de 20 % en 2019. La légalisation a donné un coup de fouet qui va au-delà de la tendance actuelle. Mais il se peut que cela soit en partie dû au fait que les gens parlent plus ouvertement de leur consommation de cannabis.</p>
<p>Par ailleurs, la consommation de cannabis des adolescents n’a pratiquement pas évolué après 2018. Cela suggère que les adolescents qui voulaient du cannabis pouvaient déjà en acheter facilement auprès de revendeurs.</p>
<h2>Conséquences néfastes sur les enfants</h2>
<p>Les effets sur la santé avaient également été une préoccupation importante lorsque le Canada débattait de la légalisation du cannabis. Stephen Harper, Premier ministre entre 2006 et 2015, affirmait que le cannabis était <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/stephen-harper-pot-marijuana-1.3255727">« infiniment pire »</a> que le tabac. Son successeur, Justin Trudeau, a au contraire déclaré que la légalisation serait <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/c-24.5/page-1.html">« protectrice »</a>.</p>
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<p>Dans les faits, le nombre de visites d’adultes à l’hôpital liées au cannabis était, lui aussi, <a href="https://doi.org/10.24095/hpcdp.40.5/6.07">déjà en augmentation avant 2018</a> et <a href="https://doi.org/10.1111/add.16152">a continué de croître par la suite</a>. Par rapport au début de 2011, le taux dans l’Ontario, par exemple, était environ trois fois plus élevé en 2018 et cinq fois plus élevé en 2021. La croissance après 2018 était, une fois de plus, en <a href="https://doi.org/10.1111/add.15834">partie liée à la légalisation</a> et en partie une tendance qui se poursuivait.</p>
<p>Certains effets sur la santé ont toutefois été plus graves. Le nombre de <a href="https://theconversation.com/legalizing-cannabis-led-to-increased-cannabis-poisonings-in-canadian-children-it-could-get-a-whole-lot-worse-191938">visites d’enfants à l’hôpital</a> dues à une consommation accidentelle de cannabis a augmenté de manière significative. Chez les enfants de moins de 10 ans, le nombre de visites aux urgences a été multiplié par neuf et le nombre d’hospitalisations par six.</p>
<h2>Et sur la route ?</h2>
<p>Les forces de l’ordre craignaient en outre que la légalisation du cannabis n’entraîne une <a href="https://cacp.ca/index.html?asst_id=1332">augmentation de la conduite</a> sous l’emprise de stupéfiants. Les policiers se sont de plus plaints de ne pas disposer de l’équipement nécessaire pour détecter la consommation.</p>
<p>Les recherches visant à déterminer si la légalisation a effectivement <a href="https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2023.31551">entraîné</a> ou <a href="https://doi.org/10.1111/add.16188">non</a> une augmentation de la conduite sous l’influence du cannabis ne sont pas concluantes. Malheureusement, les rapports gouvernementaux ne précisent pas toujours quelles substances sont à l’origine de l’affaiblissement des facultés des conducteurs.</p>
<p>Cependant, nous savons que la conduite sous l’influence de drogues – toute substance à l’exception de l’alcool – a <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/en/cv.action?pid=3510017701">augmenté avant et après 2018</a>. Par rapport à 2011, les arrestations pour conduite sous l’emprise de drogues ont pratiquement doublé en 2017 et quadruplé en 2020. Le nombre de blessés dans les accidents de la route impliquant du cannabis n’a, lui, cessé d’<a href="https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2023.31551">augmenter</a>. Par rapport à 2011, dans l’Ontario, ils étaient environ deux fois plus nombreux en 2017 et trois fois plus en 2020.</p>
<h2>Un gain de temps pour les forces de l’ordre ?</h2>
<p>La légalisation a également suscité des inquiétudes en matière de criminalité et de justice sociale. Le gouvernement fédéral s’attendait à ce que la légalisation <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/c-24.5/page-1.html">réduise le temps</a> que la police consacre à la lutte contre les trafics de cannabis. Les partisans de la légalisation espéraient également voir diminuer le nombre d’arrestations parmi les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8315217/">groupes marginalisés</a>.</p>
<p>La baisse du <a href="https://doi.org/10.1016/j.drugalcdep.2023.109892">nombre d’arrestations provoquées par la légalisation</a> n’a, en fait, pas été très importante. Les arrestations pour possession illégale de cannabis avaient <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/en/cv.action?pid=3510017701">déjà diminué</a> au Canada bien avant la légalisation. En 2018, le taux d’arrestation était déjà inférieur de 71 % à son niveau de 2011. Les arrestations pour des infractions liées à la distribution illégale de cannabis, comme la culture et le trafic, ont chuté de 67 % entre 2011 et 2018. Cette tendance s’est largement poursuivie après 2018.</p>
<h2>Un marché qui s’équilibre</h2>
<p>Les entreprises espéraient que la légalisation entraînerait une <a href="https://thetyee.ca/News/2015/05/19/Stephen-Harper-Marijuana-Politics/">ruée vers l’or</a>. Des <a href="https://thetyee.ca/News/2015/05/19/Stephen-Harper-Marijuana-Politics/">investisseurs étrangers</a> ont ainsi aidé à financer les entreprises canadiennes de cannabis. Les gouvernements ont également débattu de la manière de répartir les nouvelles <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/finance-ministers-pot-tax-1.4442540">recettes fiscales</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1681027749605957632"}"></div></p>
<p>Après la légalisation, le commerce du cannabis a connu un certain essor. Alors que la plupart des provinces n’avaient <a href="https://theconversation.com/scarce-retail-weed-shops-means-most-canadians-still-use-black-market-pot-113503">pas assez de magasins</a> dans les premiers temps pour répondre à la demande, il y en a aujourd’hui plus de 3 600 au Canada. Les ventes ont bondi de 42 millions de dollars en octobre 2018 à 446 millions de dollars en juillet 2023. Ces valeurs sont désormais <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230224/dq230224a-eng.htm">à peine deux fois moins importantes que les ventes de bière</a>.</p>
<p>Cependant, certaines régions ont désormais <a href="https://www.theglobeandmail.com/business/commentary/article-too-many-marijuana-shops-too-much-pot-production-the-industrys/">trop de magasins</a> de cannabis et de <a href="https://www.cbc.ca/listen/live-radio/1-63-the-current/clip/16001923-the-challenges-facing-struggling-cannabis-business-owners">nombreuses entreprises luttent pour se maintenir à flot</a>. En conséquence, certaines sociétés et leurs actionnaires ont réalisé de <a href="https://www.wsj.com/articles/legal-marijuana-canadian-cannabis-pot-stocks-11665678274">grosses pertes</a>. Seules les <a href="https://mjbizdaily.com/most-profitable-cannabis-businesses-in-canada-are-owned-by-government/">agences publiques</a> semblent être constamment rentables.</p>
<h2>Des leçons pour ailleurs</h2>
<p>En somme, trois leçons peuvent être tirées de l’expérience canadienne. La première est que la recherche sur la légalisation du cannabis doit tenir compte des tendances existantes. Elle ne peut pas s’appuyer sur de simples comparaisons avant/après. Les gouvernements peuvent y contribuer en publiant <a href="https://doi.org/10.1503/cmaj.202041">davantage de données</a> sur le cannabis.</p>
<p>La deuxième leçon est que les décideurs publics dans les États qui ont légalisé le cannabis devraient moins se préoccuper de savoir si la légalisation a causé des problèmes spécifiques mais plutôt s’attacher à les résoudre. La troisième leçon concerne les autres pays qui envisagent la mesure. Les décideurs politiques devraient examiner leurs propres tendances avant de légaliser, car les résultats ultérieurs ne seront peut-être pas aussi différents qu’ils l’espèrent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216404/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael J. Armstrong ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les tendances statistiques observées depuis la légalisation du cannabis au Canada en octobre 2018 étaient pour certaines déjà en cours auparavant.Michael J. Armstrong, Associate Professor, Operations Research, Brock UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125002023-10-05T17:50:00Z2023-10-05T17:50:00ZÀ la fin du XIXᵉ siècle, l’usage de la cocaïne a transformé les consultations chez le dentiste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552085/original/file-20231004-16-tkx3nb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C615%2C479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Edouard Vuillard, Le Docteur Georges Viau dans son cabinet dentaire, 1914
</span> <span class="attribution"><span class="source">Musée d'Orsay</span></span></figcaption></figure><p>En 1884, la cocaïne produit une « révolution » dans l’histoire de la médecine : pour la première fois, il est possible, grâce à cette substance, de pratiquer des anesthésies locales, et les dentistes vont particulièrement bénéficier de cette découverte.</p>
<p>En cette fin du XIX<sup>e</sup> siècle, aller chez un ou une dentiste reste un moment angoissant et douloureux. On peut par exemple se rendre compte de la terreur qui saisissait les patients et patientes lors des extractions de dents grâce <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5820319m/f23.item.r=poitrine%20serree">aux observations d’Henri Rodier en 1890 dont voici quelques extraits</a> :</p>
<blockquote>
<p>Femme de 26 ans : « Malaise général à la vue de l’instrument. Larmes, sanglots. Attaque d’hystérie légère. Yeux convulsés. Pupilles contractées. Jambes paralysées et insensibles. Pouls, 116. Respiration forte avec contraction et dilatation alternatives des narines. »</p>
<p>Femme de 22 ans, couturière : « Sueurs profuses. Grande émotion. Pleurs. Anéantissement et trépidation générale. Jambes paralysées. Angoisse précordiale. Pouls accéléré. »</p>
<p>Homme de 32 ans « très faible » : « Agitation. Poitrine serrée, angoisse précordiale. Sueurs froides. Tête lourde, étourdissement, envie de vomir. »</p>
</blockquote>
<p>Cette spécialité a encore une forte aura de charlatanisme. Il n’existe pas d’école pour former les futurs dentistes, pas non plus de diplôme obligatoire. Dans ces conditions, n’importe qui pouvait se déclarer dentiste.</p>
<p><a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/actes/les-dentistes-americains-a-paris-au-XIXe-si%C3%A8cle/">Un diplôme de chirurgien-dentiste existait bien depuis 1699</a>, mais la plus grande partie de la population ne pouvait pas se payer les services de ces spécialistes.</p>
<p>Dans l’imaginaire collectif d’ailleurs, la population ne faisait pas de distinction entre les « dentistes-experts » et les autres. Ce corps de métier était donc méprisé mais il était impossible de s’en passer. Les praticiens et praticiennes se déplaçaient de ville en ville pour proposer leurs services lors des marchés et des foires, s’entourant parfois de musiciens pour couvrir les cris des malades. Ils annonçaient leur présence dans des publicités publiées dans la presse locale :</p>
<p>Leur travail principal était en fait d’arracher les dents, sans anesthésie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jean Veber – L’Arracheuse de dents, 1904.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8577598v?rk=21459;2">Gallica</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On trouve à l’époque des dentistes femmes, comme Hélène Purkis (en image) ou Marie Delpeuch, <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/cabinet-dentaire/deux-personnages-insolites-helene-purkis-dentiste-pour-dames-georges-fattet-dentiste-des-gens-du-monde/">cette dernière obtenant en 1827 le droit pour toutes les femmes d’exercer le métier</a>.</p>
<p><a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76124805/f2.item">Elles sont au moins quarante en 1900 à Paris selon Hubertine Auclert</a>, qui explique combien cette profession est désormais perçue comme « honorable », une « carrière de rêve » pour les jeunes filles. Que s’est-il donc passé pour que les représentations sur la profession changent ainsi si rapidement ? À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la possibilité de supprimer la douleur des opérations va transformer en quelques années la pratique de cette profession.</p>
<h2>La cocaïne, médicament prometteur</h2>
<p>À partir de 1884, les dentistes disposent en effet désormais de la cocaïne, permettant de réaliser des anesthésies locales en quelques minutes. La substance, synthétisée par le chimiste allemand Nieman dès 1859, coûtait jusque là trop cher pour être utilisée.</p>
<p>Avec l’amélioration des moyens de transport pour acheminer plus rapidement les feuilles de coca en Europe, les médecins en explorent les propriétés ; la substance n’est alors pas considérée comme une “drogue” : il s’agit d’un médicament très prometteur, notamment grâce à ses vertus stimulantes.</p>
<p>En septembre 1884, l’ophtalmologue Carl Koller publie une découverte révolutionnaire pour la médecine de l’époque : la cocaïne peut insensibiliser pour quelques dizaines de minutes de petites zones du corps. Les dentistes sont parmi les premiers à s’en emparer. Des publicités fleurissent dans la presse populaire pour annoncer la découverte et l’emploi de l’anesthésique, fautes d’orthographe comprises !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Publicité parue dans le Courrier de Saône-et-Loire le 25 avril 1887, p. 3.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/journal/courrier-de-saone-et-loire/25-avril-1887">Retronews/Gallica</a></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Publicité parue dans le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 23 août 1885.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/journal/memorial-de-la-loire-et-de-la-haute-loire/23-aout-1885/231/1749481/3%20%22%22">Retronews</a></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=243&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=243&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=243&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Publicité parue dans Le Petit Marseillais, 30 mars 1885, p. 4.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/journal/le-petit-marseillais/30-mars-1885/437/2221985/4%20%22%22">Retronews</a></span>
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<p>L’usage de la cocaïne va leur apporter une légitimité inespérée auprès de la population. Il leur suffit de badigeonner la gencive et de placer le coton imbibé de cocaïne dans le creux de la dent pour voir la zone presque immédiatement insensibilisée. On peut aussi injecter directement la cocaïne dans la gencive. Les malades « même les plus douillets » sont enchantées par l’effet « extraordinaire » de la substance. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56085227/f10.item.texteImage">Les dentistes quant à eux se réjouissent de ce que leurs clients et clientes ne craignent plus leur spécialité</a>.</p>
<p>C’est également à partir de l’usage de la cocaïne que la posture d’examen chez les dentistes va évoluer : on passe ainsi de la position assise à allongée pour éviter les syncopes dues à l’injection. Or cette position, nouvelle pour les malades comme pour les praticiens, n’allait pas de soi. En 1898, le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57302822/f19.item">docteur L. O’Folowell décrit ses difficultés à allonger ses malades, en particulier les hommes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons vu des malades souffrant atrocement d’une dent cariée venir en réclamer l’extraction. Ils s’installent dans le fauteuil, nous examinons la dent malade et jugeant que l’avulsion sera très douloureuse, nous décidons d’anesthésier le sujet. Nous faisons alors jouer la vis qui incline le dossier, à peine le malade est-il tombé en arrière qu’il se redresse et l’air inquiet demande ce qu’on va lui faire. – Une simple piqûre sur la gencive pour que vous ne souffriez pas ; allons, couchez-vous. Le malade proteste, prétend celle position inutile et, pensant qu’on veut l’étendre parce que l’on craint de lui une faiblesse, vous assure qu’il est plein de courage. Vous donnez des explications, vous insistez, peine perdue. Le plus souvent, ou vous êtes obligé d’opérer sans anesthésie, ou le malade refuse l’extraction. »</p>
</blockquote>
<p>Le premier fauteuil permettant au dentiste d’opérer en position horizontale (avec la tête au même niveau que le tronc) est présenté en <a href="https://archive.org/details/BIUSante_PF092x1893/page/291/mode/2up?q=fauteuil">1893 à la Société d’Odontologie par le professeur de l’École dentaire de Paris, Paul Martinier, qui l’a fait réaliser par la maison Billard</a>. Cette innovation technique est directement et expressément liée à l’usage de la cocaïne.</p>
<p>Auparavant, les fauteuils s’inclinaient en même temps que le siège ou ne s’inclinaient pas suffisamment. En cas de syncope, les dentistes devaient coucher la personne sur le sol.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=199&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=199&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=199&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fauteuils de dentistes, années 1860 et 1890.</span>
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<p><a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/cabinet-dentaire/le-cabinet-dentaire-de-green-vardiman-black/">Fauteuils de dentistes, années 1860 et 1890</a> :</p>
<p>Mais cet usage de la cocaïne par des professionnels est vécue comme une concurrence déloyale par les médecins pratiquant la dentisterie. Ils parviendront à obtenir le monopole de l’usage de cocaïne en 1892 suite à un lobbying intense au sein de la presse médicale pour dénoncer de supposés abus et accidents parfois mortels.</p>
<p>Le professeur Reclus, fervent défenseur de la cocaïne, condamne quant à lui une entreprise de diabolisation de la substance. Après une étude méticuleuse menée entre 1889 et 1892 au sujet des 126 prétendus accidents mortels causés par la cocaïne au niveau international, il parvient à les réfuter un par un et déclare : <a href="https://archive.org/details/lacocaneenchirur00recl/page/46/mode/2up?view=theater">« l’alcaloïde n’est pas responsable des méfaits commis en son nom »</a>.</p>
<p>En réalité, la plupart des « empoisonnements » répertoriés sont des intoxications « légères » n’ayant pas causé la mort ; les quelques cas de décès sont liés à des usages inappropriés de la substance ou à des malades ayant une pathologie grave. Bien employée, la cocaïne est selon lui d’une parfaite innocuité.</p>
<p>Il souligne d’ailleurs qu’étant donné le grand nombre de dentistes qui l’emploient chaque jour, comme <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56013246/f20.item.r=(prOx:%20%22dentiste%22%2010%20%22coca%C3%AFne%22)">Bouchart, dentiste à Lille, qui déclare avoir depuis six ans retiré plus de 5 000 « dents ou chicots » grâce à la cocaïne en 1890</a>, le nombre d’accidents rapporté est bien faible.</p>
<p>Reclus insiste : les médecins eux-mêmes sont en fait bien plus souvent en cause que les dentistes, tel <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90182x1889x06&p=204">ce médecin de Philadelphie qui injecte d’un coup 3,60g de cocaïne dans l’urètre de son patient</a>, soit 40 fois la dose normale ! (Ici le patient est bien décédé mais Reclus considère – à juste titre – que c’est le médecin et non la cocaïne qui est à condamner).</p>
<p>En 1892 donc, les dentistes perdent malgré tout le droit d’utiliser la cocaïne s’ils ne sont pas accompagnés d’un docteur en médecine. Dans la foulée, un diplôme de chirurgien-dentiste est enfin créé, légitimant définitivement cette profession. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5729041z/f100.item">Ces nouveaux praticiens et praticiennes reçoivent dès lors une formation spécifique concernant l’anesthésie à la cocaïne</a>, qui aura donc tant marqué la pratique de la dentisterie qu’elle l’aura fait passer du domaine du charlatanisme à celui de la médecine officielle !</p>
<p>Elle révolutionne par ailleurs à la même époque d’autres disciplines médicales en permettant des opérations jusqu’alors impossibles, en ophtalmologie ou en laryngologie par exemple. Son usage permettra en 1901 d’inventer la péridurale. De nos jours, bien qu’étant désormais très rarement employée, la cocaïne fait toujours partie de la pharmacopée française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212500/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Zoë Dubus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À partir de 1884, les dentistes disposent de la cocaïne, permettant de réaliser des anesthésies locales en quelques minutes.Zoë Dubus, Post docorante en histoire de la médecine, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101412023-07-31T16:19:37Z2023-07-31T16:19:37ZMères des quartiers populaires : des intermédiaires sur le fil<blockquote>
<p>« Vous avez des femmes qui depuis des décennies agissent dans les quartiers pour apporter du calme, de la sérénité, calmer les jeunes, et pour donner des perspectives positives pour occuper cet espace public. »</p>
</blockquote>
<p>Cette <a href="https://www.20minutes.fr/politique/3230315-20220206-presidentielle-2022-ministre-ville-nadia-hai-soutient-gilets-roses">déclaration de Nadia Hai</a> alors ministre chargée de la ville, remonte à février 2021.</p>
<p>Elle venait présenter sur un plateau de télévision le programme « Gilets roses » du gouvernement, destiné à soutenir des collectifs de femmes engagées dans la médiation au sein des quartiers. Un bien bel exemple de la figure de la « mère-tampon » dénoncée par la militante <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/une-journee-particuliere/fatima-ouassak-politologue-les-meres-ont-la-possibilite-de-faire-le-monde-de-demain-4152861">Fatima Ouassak</a>.</p>
<p>Cette conception des mères comme relais sécuritaires s’inscrit dans une histoire longue du rapport entre l’État et les quartiers populaires qu’il s’agit de « reconquérir », selon le <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Quartier-de-reconquete-republicaine-QRR/?nomobredirect=true">langage gouvernemental</a>. Tantôt perçues comme des victimes à sauver, des <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-1-page-27.htm">complices à réprimer</a> ou des intermédiaires à soutenir, les mères des quartiers populaires sont l’objet de nombreux fantasmes. Qu’en est-il en réalité sur le terrain, au plus près de ces femmes qui habitent les quartiers populaires ?</p>
<h2>L’ethnographie contre les clichés</h2>
<p>« À la fin de la journée, ils partent et nous on reste » souffle avec colère Nadia, une femme d’une cinquantaine d’années qui a accepté de venir discuter de la stigmatisation de sa cité lors de cercles de parole de femmes (<a href="https://linktr.ee/lacitedesfemmes">à écouter ici</a>).</p>
<p>« Ils » ce sont les journalistes, ceux qui parlent sans cesse des « quartiers Nord » de la ville comme des bastions du trafic de drogue. C’est ici, dans une de ces cités d’habitat social construites à la fin des années 1960 au nord de Marseille que j’ai réalisé <a href="https://www.graduateinstitute.ch/discover-institute/alice-daquin">ma recherche</a> en socio-anthropologie urbaine et politique sur les expériences des femmes en quartier populaire.</p>
<p>L’ethnographie que j’ai menée a pris sens dans le temps long, celui du quotidien partagé avec les femmes de la cité. Une façon de se détourner du sensationnel pour partager un café dans le local d’une association de couture, « cavaler » avec elles de La Poste à Pôle emploi, aider aux distributions de colis alimentaires, célébrer les enfants qui obtiennent le BAC, ou encore participer avec elles aux réunions institutionnelles liées au cadre de vie.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dessin extrait du projet la Cité des femmes, dans les quartiers Nord, en collaboration avec la recherche menée par Alice Daquin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Projet La cité des femmes</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Au cours de presque un an de terrain, je me suis rapprochée de femmes entre 40 et 60 ans, d’origines maghrébines (dont une partie étant née en France), avec ou sans enfants, et qui occupaient dans la cité une place respectable de « mamans de quartier ». Cette place se situe au croisement d’un rôle communautaire de care (« soin ») visibilisé notamment lors des <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2022-1-page-119.htm">confinements liés au Covid-19</a>, et d’un rôle d’interlocutrice privilégiée des agents publics et associatifs qui se reposent sur ces « mamans » pour atteindre les familles.</p>
<h2>Ce que la guerre contre la drogue fait à la vie dans les cités</h2>
<p>« Ce sont vos enfants. Fermez les fenêtres ». Tel est le rappel à l’ordre qu’entend Yasmina de la part d’un agent de police en bas de sa fenêtre après des tirs de bombes lacrymogènes destinés à disperser les jeunes de la cité.</p>
<p>Pour cette femme, agente d’entretien d’une quarantaine d’années dont les poumons ont été abîmés par des produits ménagers agressifs, les altercations entre la police et les jeunes menacent directement sa sécurité et son bien-être. Telle la fumée lacrymogène, la violence du conflit pénètre les espaces extérieurs que les forces de l’ordre saturent, de jour comme de nuit, selon la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3227239-20220201-marseille-quoi-strategie-pilonnage-trafics-stup">stratégie de « pilonnage »</a> des points de vente, défendue par la préfète de police des Bouches-du-Rhône. Mais elle pénètre aussi l’intimité des appartements, régulièrement perquisitionnés par une police en quête d’appartements de « nourrices », cachant drogues, armes, ou argent du trafic.</p>
<p>Le simple fait de vivre dans la cité, confronte les mères au risque d’une « complicité forcée » avec les activités du trafic de drogues qu’elles perçoivent lors de leurs sorties quotidiennes, dans leurs blocs ou depuis leurs fenêtres. D’un côté, les policiers accusent les mères de protéger leurs enfants, de mal les éduquer ou de participer elles-mêmes au trafic en tant que nourrice, et de l’autre, elles subissent l’omerta et les menaces de représailles des réseaux qui cherchent à protéger leurs activités.</p>
<p>À ces conflits de loyauté, s’ajoute une instrumentalisation plus pernicieuse de la capacité de sécurisation des mères dans les espaces publics, en particulier par les agents de police. « La police doit se donner un timing : ils arrivent exprès à 16h, 16h30, à la sortie des écoles… Et à tout moment ça peut dégénérer. » s’indigne Alexandra, jeune mère célibataire lors d’un cercle de parole. La police est régulièrement accusée d’intervenir aux horaires de sortie d’école afin d’utiliser la proximité des corps des mères pour minimiser l’agressivité des jeunes.</p>
<p>Confrontées à une constante insécurité, les mères de ces quartiers subissent ainsi un phénomène de dépossession spatiale qui les empêche de profiter librement de leur espace résidentiel : intimidations verbales et violences physiques peuvent survenir à tout moment.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mavZLfLavtQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La dépossession spatiale, Observatoire national du droit à la ville.</span></figcaption>
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<h2>Surveiller, protéger, s’interposer : des résistances au quotidien</h2>
<p>Par le corps et par le regard, les mères s’engagent dans des pratiques d’évitement des points de vente de drogues et des brigades policières. Ici, il vaut mieux « tourner la tête », pour se distancier, spatialement et moralement, de ces deux acteurs.</p>
<p>Elles cherchent aussi à maintenir les enfants à bonne distance, à la fois des activités du trafic qui cherchent à les recruter, mais aussi des interpellations agressives d’une police qui ciblent les jeunes. Si ces pratiques de surveillance sont parfois source d’entraide entre mères, elles sont aussi au cœur de stratégies de distinction sur la bonne éducation des enfants, comme une réaction au stigmate de la « mauvaise mère » entretenu par l’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">“Front de mères », les quartiers populaires s’organisent, ici dans des communes franciliennes, dans des combats de luttes pour les égalités et la scolarisation (Just See Real).</span></figcaption>
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<p>Loin de se limiter à une place de spectatrices, les femmes sont aussi parties prenantes de ces logiques de conflits, en tant qu’intermédiaires imbriquées dans les relations de la cité. Elles s’interposent régulièrement sur le quartier dans des altercations entre policiers et jeunes, ou entre jeunes, pour calmer le jeu. C’est le cas de Samantha, une jeune mère qui assume son côté « grande gueule marseillaise » :</p>
<blockquote>
<p>« Quand il y a un truc en bas, il faut que je descende. Pas pour faire l’héroïne, hein. Je vais parler : "S’il te plaît, laisse tomber, c’est pas grave.” Même si la personne je la connais pas hein ! J’arrive à apaiser, que les histoires, que chacune se mette dans son coin et moi je suis tranquille. »</p>
</blockquote>
<p>Proche de jeunes membres du trafic, elle n’hésitera pourtant pas, à une autre occasion, à les solliciter pour intimider brutalement un jeune voisin qui lui manquait de respect et menaçait sa famille.</p>
<p>Loin d’un rôle unique et caricatural qui assignerait les mères des quartiers populaires à des agentes du contrôle d’État ou des complices des activités criminelles, ces femmes occupent un entre-deux délicat pour protéger leurs familles. Figures de lien tout autant que fusibles, peuvent-elles « médier » sans se « griller » ?</p>
<hr>
<p><em>Les participantes à la recherche sont anonymisées par sécurité.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210141/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Daquin a reçu des financements du Conseil européen de la recherche dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention n° 787935). Elle est aussi impliquée au sein d'une association locale de femmes dans les quartiers Nord de Marseille.</span></em></p>La conception des mères comme relais sécuritaires s’inscrit dans une histoire longue du rapport entre l’État et les quartiers populaires.Alice Daquin, Doctorante en socio-anthropologie urbaine et politique, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102002023-07-30T15:12:38Z2023-07-30T15:12:38ZDrogues au travail : un phénomène aggravé par 40 ans de prévention mal ajustée<p>En France, l’action publique sur les usages de substances psychoactives (SPA) au travail, <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1980_num_32_1_2081">n’est pas nouvelle</a>. L’<a href="https://www.iiac.cnrs.fr/article229.html">histoire de la lutte contre l’alcool au travail</a> en témoigne. Cependant, les produits ont changé, se sont diversifiés ; leur mode de consommation et la lutte contre leurs effets au travail aussi. Désormais, une politique de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/prevention-sante-51166">prévention</a> et de gestion des conduites addictives, impliquant des produits (légaux ou illégaux) ou des comportements excessifs (écrans, travail, etc.), oriente l’action publique.</p>
<p>La trajectoire de cette politique reste marquée par des tensions et bifurcations expliquant les difficultés de sa mise en œuvre. Trois grandes phases scandent son histoire. Tout d’abord, le problème des drogues au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a> émerge dans la seconde moitié des années 1980. Dans un contexte international de relance de la « guerre à la drogue », les premières mesures françaises répondent à une demande de l’entreprise pharmaceutique Syva-bioMérieux, alors leader mondial sur le marché du dépistage des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/drogues-27914">drogues</a>.</p>
<p>Par le biais d’une charte destinée aux entreprises françaises, l’objectif est de généraliser le dépistage des toxicomanies sur le modèle étatsunien. Saisie, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (Mildt) charge alors le ministère du Travail et le Conseil consultatif national d’éthique d’évaluer la conformité de cette charte avec les règles juridiques et éthiques du travail. Les avis rendus réfutent la spécificité des toxicomanies pour les traiter comme des enjeux de santé au travail tout en cantonnant le dépistage aux seuls postes à risques.</p>
<p>Or, ces premières régulations révèlent une tension entre deux approches du problème : la première envisage les drogues comme un problème de sécurité au travail, la seconde insiste sur la prévention et la prise en charge de travailleurs consommant des SPA.</p>
<h2>Les employeurs deviennent chargés de la prévention</h2>
<p>Jusqu’aux années 2000, l’action publique reste relativement discrète, laissant aux entreprises la possibilité d’adopter les mesures qu’elles jugent nécessaires. Puis débute une deuxième phase. Objet d’attention accrue des pouvoirs publics, la prévention des usages de substances psychoactives au travail fait l’objet d’actions spécifiques dans les différents Plans de lutte contre les drogues et la toxicomanie et, dans une moindre mesure, dans les Plans santé travail (PST).</p>
<p>De nouveaux acteurs participent à l’action publique. Celle-ci est désormais pensée en termes de risques sanitaires et d’épidémiologie. Ainsi, on ne parle plus de consommation de toxiques ou de toxicomanies mais de conduites ou de pratiques addictives envisagées comme risques pour les travailleurs, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> et les tiers.</p>
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<img alt="Ouvrier buvant une bière et fumant une cigarette" src="https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538705/original/file-20230721-25-ricvh2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les premières politiques de lutte contre les conduites addictives au travaul se cantonnaient au dépistage des travailleurs occupant des postes à risques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pxfuel.com/en/free-photo-xztod">Pxfuel</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2010-1-page-5.htm">notion d’addiction reste alors centrale</a> dans l’élaboration par la Mildt d’une politique sanitaire englobant les SPA légales (alcool, tabac) comme illégales (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/cannabis-30937">cannabis</a>, amphétamines, cocaïne, etc.). Cette sanitarisation de l’action publique s’inscrit dans un rapprochement entre santé publique et santé au travail, entérinée par la réforme de la médecine du travail de 2011. La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000024389212/">loi du 20 juillet 2011</a> change ainsi la prévention des usages de SPA au travail : elle en fixe le cadre légal et redistribue les responsabilités. Désormais, les services de santé au travail conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les mesures de prévention de la consommation d’alcool et de drogue en milieu professionnel. Indirectement, les employeurs sont ainsi dans l’obligation de prévenir ces consommations.</p>
<p>Au cours des années suivantes, une troisième phase s’engage. Pilotée par la <em>Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives</em> (Mildeca, ancienne Mildt) l’action publique privilégie une logique incitative pour que les entreprises peu familiarisées, voire réticentes à aborder les questions de conduites addictives, adoptent des programmes de prévention.</p>
<p>Le récent dispositif <a href="https://www.drogues.gouv.fr/lancement-du-dispositif-esper-pour-la-prevention-des-conduites-addictives-et-la-promotion-de-la">ESPER</a> « (Les entreprises et les services publics s’engagent résolument) dont l’objectif est de « briser les tabous » illustre cette dynamique. Via des partenaires locaux, dont le réseau de l’Agence nationale des conditions de travail (<a href="https://www.anact.fr/services/prevcamp">Anact</a>), les entreprises sont invitées à adopter une nouvelle charte. Il s’agit de valoriser leur action et leur donner accès à un ensemble d’outils pour développer « une démarche cohérente de prévention collective et individuelle des conduites addictives ».</p>
<h2>L’analyse du travail devient secondaire</h2>
<p>La prévention est notamment justifiée par l’ampleur du problème des drogues au travail qu’attesteraient des études chiffrées sur les consommations de SPA chez les travailleurs. Or, les données disponibles sont rarement élaborées dans cette optique. Comme toute quantification, leurs méthodologies et objectifs sont limités. À l’instar d’autres activités illicites ou socialement réprouvées, la consommation de drogues au travail est une pratique souvent cachée par les travailleurs comme par les employeurs.</p>
<p>De plus, les estimations de consommations de SPA s’inscrivent souvent dans des dispositifs rapprochant l’expertise en santé publique de celle en santé au travail. Cela favorise un raisonnement analogique : puisque les consommations de substances psychoactives sont répandues dans la population générale, elles seraient forcément présentes dans les espaces professionnels, notamment parce que les jeunes ayant expérimenté divers produits importeraient ces pratiques dans le monde du travail.</p>
<p>L’analyse du travail devient ainsi secondaire. De même, si des études montrent des consommations de SPA présentes dans tous les secteurs professionnels, elles n’indiquent pas si les travailleurs interrogés consomment sur leur lieu de travail (sauf pour l’alcool et le tabac). En outre, des statistiques issues de cohortes épidémiologiques établissent que certaines situations professionnelles stressantes favorisent des consommations de SPA mais sans préciser si ces dernières ont lieu au travail.</p>
<p>Elles peuvent resituer des consommations dans des parcours de vies sociales et professionnelles pour orienter les mesures de prévention mais sans conclure quant à la gravité du problème. Dès lors, comment élaborer une démarche de prévention globale si les études et statistiques disponibles sont éloignées du travail réel ?</p>
<h2>Les produits sont-ils le problème ?</h2>
<p>Les approches préventives les plus courantes restent centrées sur les produits consommés. Or, l’entrée par les produits réactive une approche individualisante de la prévention des usages de SPA au travail. De plus, les approches préventives dominantes envisagent ces usages uniquement comme une faute ou un risque pour le travail. Faute, parce que certains de ces usages sont juridiquement ou moralement condamnés. Risque, parce que certains usages sont associés à l’absentéisme, aux accidents du travail, aux désordres et conflits dans les entreprises. Pour autant, cette association est rarement étayée par des études menées dans le cadre de situations de travail.</p>
<p>Les approches préventives dominantes envisagent ces usages uniquement comme une faute ou un risque pour le travail.</p>
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<p>Plus encore, l’affinité persistance pour la faute et du risque contribue à occulter les dynamiques professionnelles et organisationnelles pouvant expliquer le recours à des produits par les travailleurs. Cette occultation est renforcée par la généralisation de la notion de conduites addictives. Pour nombre d’acteurs du monde professionnel, cette notion reste ambiguë car elle peut amalgamer et pathologiser des usages ne relevant pas forcément de la maladie ou de la dépendance, sauf à considérer que toutes les consommations, quelles que soient leur fréquence, leur intensité et leurs situations professionnelles, relèvent de l’action sanitaire.</p>
<h2>Les usages peuvent aussi avoir des fonctions professionnelles</h2>
<p>En ce contexte, il est nécessaire de réintroduire l’enjeu des conditions et des formes d’organisation de travail comme moteur ou vecteur aggravant des usages professionnels de SPA. À cet égard, nous avons mené des enquêtes dans le cadre de plusieurs recherches financées par la Mildeca, l’Agence nationale de sécurité sanitaire et l’Anact.</p>
<p>Ces <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4032/se-doper-pour-travailler">travaux</a> ont déjà permis de caractériser différentes fonctions des usages professionnels de produits : ils montrent que le recours à des SPA légales ou illégales sert dans la grande majorité des cas « à tenir et se tenir au travail » et donc à continuer à « faire son travail » malgré les difficultés organisationnelles, les horaires variables ou décalés, l’intensification et la répétition des tâches, l’imbrication de la vie personnelle et professionnelle, la pression des objectifs à atteindre voire l’ennui, etc.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OsQuPF8KlBI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Renaud Crespin : « Se doper pour travailler » (Xerfi Canal, 2018).</span></figcaption>
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<p>Ces fonctions professionnelles sont des outils analytiques pour sortir les usages de SPA au travail de la seule catégorie de « risques ». Elles permettent de comprendre comment ces usages peuvent s’avérer des ressources pour les travailleurs et les collectifs de travail.</p>
<p>Quatre fonctions professionnelles des usages de SPA peuvent être distinguées :</p>
<ul>
<li><p><strong>Anesthésier pour tenir physiquement et psychiquement</strong> : le recours à des SPA sert à calmer la fatigue, la peur, l’ennui, la douleur ou l’angoisse associés à des métiers éprouvants, relevant, par exemple, de la sécurité ou de la sûreté publique ou privée. On retrouve également cette fonction d’usage chez les travailleurs atteints de troubles musculo-squelettiques ou de maladies chroniques.</p></li>
<li><p><strong>Stimuler, euphoriser, désinhiber</strong> : cette fonction est proche du « dopage » mais elle s’en différencie. Il s’agit moins de « tricher » pour « gagner » que de parvenir à « bien faire » son travail. Les SPA servent à rester éveillé, à pouvoir enchaîner pour « assurer » le travail en optimisant ses capacités mentales et physiques. Cette fonction est souvent présente dans les métiers soumis à des « deadlines » ou des « charrettes » pour l’atteinte d’objectifs de production.</p></li>
<li><p><strong>Récupérer</strong> : dormir, lâcher prise, se détendre, « redescendre » après des activités intenses relève de cette fonction. Que l’on songe aux pauses cigarette ou café ou à des consommations d’alcool ou de cannabis après le travail, ces usages de SPA s’inscrivent dans une logique de récupération ou de « sas » entre le travail et le hors-travail. C’est aussi souvent le cas des usages de somnifères. Parvenir à (s’en)dormir rend la journée de travail qui suit moins difficile.</p></li>
<li><p><strong>Intégrer, entretenir les liens socioprofessionnels</strong>. Cette fonction recouvre des usages s’inscrivant dans des stratégies de présentation de soi visant la reconnaissance et l’insertion dans un groupe socioprofessionnel. Ainsi, des usages collectifs d’alcool (pots pour diverses occasions) considérés comme vecteurs de convivialité, et de solidarité sont des pratiques prégnantes dans les métiers où la cohésion, entre et dans les équipes, sont essentielles.</p></li>
</ul>
<h2>Au-delà des tabous, les défis de la prévention</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=927&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538703/original/file-20230721-29-v0seqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1165&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Se doper pour travailler », Renaud Crespin, Dominique Lhuilier, Gladys Lutz. Prix du livre RH 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4032/se-doper-pour-travailler">Édition Eres (2017)</a></span>
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<p>Les approches dominantes de la prévention comme certaines logiques organisationnelles participent à invisibiliser les usages professionnels de SPA. Or, ces usages s’inscrivent pleinement dans le travail et remplissent des fonctions professionnelles. Les usages <em>problématiques</em> de SPA sont des symptômes d’organisations et de conditions de travail dégradées nuisant à la santé des travailleurs. Cette approche existe pour la prévention et gestion d’autres problèmes de santé au travail comme les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les troubles psychosociaux.</p>
<p>Pour les SPA, les entreprises ont-elles la volonté et les moyens d’adopter une telle approche ? Comment faire en sorte que les organisations de travail s’inscrivent dans une démarche collective interne de prévention ? Nombre de salariés craignent que révéler des consommations de SPA nuisent à leur carrière.</p>
<p>En outre, les encadrants s’inquiètent des conséquences des remontées des signalements de consommation – dégradation des relations avec leurs équipes, leurs supérieurs hiérarchiques voire de l’image de l’entreprise. Les acteurs de la prévention soucieux de comprendre les dimensions professionnelles des usages de SPA ont donc raison : le chantier est énorme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210200/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Crespin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte contre les conduites addictives n’a jamais pris en compte la question des conditions de travail qui peuvent amener à la consommation de substances psychoactives.Renaud Crespin, Sociologie, Chargé de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094292023-07-27T19:38:48Z2023-07-27T19:38:48ZLes dealers, des professionnels de la distribution comme les autres ?<p>Le trafic de drogues est-il une voie professionnelle sans issue ? Oui, si on le pense selon un cadre moral, opposant vertu et infâme. Oui, aussi, si les activités criminelles étaient improvisées et s’opposaient aux activités professionnelles, organisées et planifiées. Pourtant, à bien des égards, les <a href="https://www.emerald.com/insight/publication/issn/1746-5680/vol/15/iss/3">organisations criminelles sont comparables à beaucoup d’autres</a>. Leurs besoins opérationnels s’incarnent dans les compétences que leurs membres développent. Or, pour beaucoup d’acteurs, comme les dealers rencontrés dans le cadre d’une recherche menée au cœur de plusieurs quartiers populaires français, le cadre illicite est le seul connu.</p>
<p>Ainsi, cet interlocuteur, reprenant contact avec l’un de nous :</p>
<blockquote>
<p>Contact dealer : Salut Thomas, comment vas-tu ?</p>
<p>Moi : Très bien et toi ? Cela fait un bail… Que faisais-tu ?</p>
<p>Contact dealer : Ah, bah tu sais je suis tombé, j’étais au placard pendant quelque temps…</p>
<p>Moi : Que vas-tu faire maintenant ?</p>
<p>Contact dealer : que veux-tu que je fasse ? La « stup », je ne sais faire que ça !</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, comment transférer ces compétences dans un environnement légal ?</p>
<h2>Des compétences comme les autres dans des organisations aux mêmes besoins</h2>
<p>Dans l’imaginaire populaire, <a href="https://theconversation.com/trafic-de-stupefiants-comment-leconomie-legale-se-rend-co-responsable-208311">l’économie criminelle</a> n’est régie que par l’opportunisme : les menaces de répression judiciaire contraindraient les individus à des actions rapides, audacieuses et peu reproductibles.</p>
<p>Effectivement, les activités illégales sont majoritairement issues d’alliances de circonstances engendrées par la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716208330490">proximité géographique ou familiale</a>. Certains groupes, pourtant, survivent et prospèrent malgré la répression judiciaire. Ceux-là se sont transformés en organisations durables. Cette pérennité est rendue possible par des mécanismes qui accordent les <a href="https://www.researchgate.net/publication/311519626_Network_closure_and_integration_in_the_mid-20th_century_American_mafia">enjeux opposés d’efficacité et de sécurité</a>. L’efficacité suppose des communications nombreuses pour faciliter l’action. La sécurité requiert l’inverse : confidentialité, cloisonnement et faible interconnaissance sont nécessaires. Les réseaux pérennes sont donc devenus des organisations évoluées, structurées par une ligne hiérarchique et des liens d’interdépendance qui permettent la circulation d’informations, le commandement et la sécurité.</p>
<p>Les menaces de répression pèsent sur le fonctionnement de ces organisations, mais leur activité est un autre facteur organisant tout aussi important. Le trafic de drogues est un commerce. Il implique des stocks, des points de vente et des clients. Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre.</p>
<p>En conséquence, les membres de ces réseaux développent des ressources communes avec celles des employés de la distribution. Gérer un stock et anticiper les besoins des clients, valoriser des produits, négocier, mettre en œuvre des actions de marketing ou mener des ventes sont parmi ces ressources. Si la revente de drogues est un commerce comme un autre, les revendeurs sont des commerçants comme les autres. Mais il est évident que les trajectoires vers l’emploi légal sont difficiles à mener.</p>
<h2>Quelle reconversion ?</h2>
<p>La participation à des activités délictueuses est rarement investie sur un mode pérenne. Elle est intrinsèquement une source de risques et de menaces pour les individus. Et, malgré les propos régulièrement avancés sur le sort enviable que pourraient connaître les délinquants dans certains territoires, les criminels demeurent stigmatisés par leurs activités.</p>
<p>La délinquance est parfois <a href="https://www.cairn.info/revue-securite-globale-2012-2-page-11.htm">excusée</a> : l’exclusion de jeunes issus de certains territoires rendrait tolérable ce qui peut s’assimiler à <a href="https://theconversation.com/se-debrouiller-face-a-une-precarite-qui-nen-finit-plus-183991">l’économie de la débrouille</a>. Mais les revendeurs de drogues ne sont pas des parrains : très en bas dans l’échelle hiérarchique, très exposés à la répression policière mais très peu protégés par leurs chefs, ils ne tirent aucun statut de leurs activités délictueuses. La question de l’évolution vers un emploi légal est un sujet de préoccupation quotidien. Et, avec elle, se pose la question du transfert des compétences.</p>
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<p>Cette question est, au fond, banale. Tout candidat est confronté au <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.5465/AMJ.2006.22798174">paradoxe de carrière</a>. En un mot : nul n’est candidat à son propre remplacement. Chaque poste à pourvoir est éloigné un peu ou beaucoup des ressources de ceux qui y postulent. Le rôle du candidat est donc de développer des tactiques pour convaincre le recruteur de la faiblesse de ces écarts. Celui du recruteur, réciproquement, est de s’assurer que cet écart est modeste ou, au moins, résorbable.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chiffre d’affaires d’une journée de deal pour un détaillant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Sorreda</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le cas des revendeurs est évidemment atypique. Comment faire part de ressources acquises dans des contextes illégaux ? Le paradoxe de carrière prend ici une autre forme. Le candidat peut exhiber ses expériences dans l’activité illégale ; il pourra alors se montrer compétent mais malhonnête. Il peut, à l’inverse, taire son expérience dans l’économie informelle. Il évitera d’exposer ses activités illégales et de recevoir les stigmates associés, mais il omettra des pans significatifs de ses compétences et aura peu de chances d’être recruté. Pour faire face à ce paradoxe, les individus peuvent mobiliser trois tactiques : le différemment, le contournement ou la médiation.</p>
<h2>Trois tactiques de réinsertion</h2>
<p>Le différemment correspond à une stratégie d’attente dans laquelle le revendeur va reporter son insertion professionnelle légale à une date ultérieure. Dans ce cas, l’individu attend un moment ou un moyen propice. Les activités illégales sont prolongées de semaine en semaine. Cette tactique est motivée par les opportunités de revenus et par les demandes de consommateurs qui, s’adressant à leur même contact, le maintiennent dans le trafic. Elle est surtout causée par l’absence d’alternatives : dans ce cas, le paradoxe demeure une énigme impossible à résoudre.</p>
<p>Le contournement est une pratique consistant à choisir un emploi distinct des compétences acquises dans la revente de drogues, mais dont l’accès est plus simple. L’impossibilité de prendre appui sur les ressources acquises dans l’économie illégale renvoie les individus vers d’autres acquis, plus modestes mais plus faciles à utiliser.</p>
<p>Devenir chauffeur de VTC est un parfait exemple de cette tactique : le permis de conduire est une ressource facile à obtenir ; il donne accès facilement à la licence de chauffeur et à l’affiliation aux applications qui proposent des courses. <a href="https://www.leparisien.fr/yvelines-78/yvelines-faux-vtc-mais-vrais-livreurs-d-herbe-ils-ecopent-de-deux-mois-ferme-08-06-2020-8331990.php">Ce parcours est plutôt connu des revendeurs</a> : chacun a un ami ou une connaissance qui l’a emprunté. De tels modèles permettent de résoudre le paradoxe de carrière. Mais cette tactique n’est pas sans défauts, dont la renonciation à des acquis et à un projet professionnel. Être chauffeur de VTC c’est, aussi, pouvoir stocker, transporter et livrer des substances ou des biens illicites. Le revenu modeste apporté par la conduite au regard du temps passé peut inciter à conserver quelques activités illégales.</p>
<p>La médiation correspond à un processus dans lequel une tierce partie vient négocier la relation entre un individu et un employeur. La légalité et la légitimité du tiers, qui se pose d’abord au service de l’entreprise, prend comme en relais les déficits de crédibilité des candidats. Les agences d’emploi jouent ce rôle. La contribution majeure de ces acteurs tiers ne se limite pas à être une caution. Leur expertise du marché du travail et des clés de décision des entreprises leur permet de reformuler les candidatures sous des formes acceptables et pertinentes : elle rend les candidatures conventionnelles. Ce processus est le plus efficace pour permettre l’insertion durable dans l’économie légale.</p>
<h2>Les limites de la métaphore marchande</h2>
<p>Les entreprises illégales restent une voie de recherche peu explorée du fait de la difficulté d’accès au terrain, les personnes s’adonnant à la pratique d’un commerce illégal voyant d’un mauvais œil le regard tourné vers eux par des journalistes ou des chercheurs.</p>
<p>Dans la conduite de leurs travaux, des chercheurs comme <a href="https://www.amazon.fr/Gang-Leader-Day-Sociologist-Crosses/dp/0713999934">Sudhir Venkatesh</a> ou <a href="https://www.managementtoday.co.uk/why-need-think-criminal-risk/food-for-thought/article/1461860">Bertrand Monnet</a> ont même été kidnappés. Pourtant, l’étude d’organisations situées au-delà de frontières sociales permet de caractériser ces frontières. Ici, on redécouvre les limites de la métaphore marchande pour comprendre le recrutement.</p>
<p>Trouver un emploi n’est pas marchander sa force de travail. C’est manipuler des conventions sociales en matière de force de travail. Les rhétoriques des compétences, des qualifications ou des expériences transférables sont de ces conventions qui construisent l’accès à l’emploi. Elles en sont donc, aussi, les frontières.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209429/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre mais transférer ses compétences dans le secteur légal demeure difficile.Thomas Sorreda, Professeur de Management, EM NormandieJean Pralong, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071562023-07-26T18:17:51Z2023-07-26T18:17:51ZDu chemsex aux fêtes… La 3-MMC, cette drogue de synthèse qui gagne du terrain chez les jeunes<p>La <a href="https://www.ofdt.fr/ofdt/fr/trend/syntheseTREND2018_Paris_SSD.pdf">3-MMC</a> est une drogue de synthèse (ou <em>research chemical</em>) appartenant à la famille des cathinones, molécules ayant des propriétés stimulantes et empathogènes. Elle se présente sous la forme de poudre ou de cristaux, et est principalement consommée en sniff ou en injection.</p>
<p>La consommation de 3-MMC, associée à celle de GHB/GBL, est initialement <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2017-2-page-151.htm?contenu=resume">rattachée au milieu du <em>chemsex</em></a>, pratique de consommation de drogues en contexte sexuel, qui est essentiellement le fait d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), dans des contextes de sexe à plusieurs. Les <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/thema/chemsex-slam">chemsexeurs</a> attribuent souvent à la 3-MMC des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1158136019300556">propriétés aphrodisiaques</a> facilitant les rapports sexuels (augmentation du désir, facilité à avoir une érection, retardement de l’éjaculation…).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chemsex-les-dessous-de-lalliance-dangereuse-du-sexe-et-des-amphetamines-157804">« Chemsex » : les dessous de l’alliance dangereuse du sexe et des amphétamines</a>
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<p>Ces dernières années, une diffusion des usages de 3-MMC au-delà des contextes de chemsex est constatée par différents acteurs travaillant dans le champ de la réduction des risques. Cette substance est désormais consommée par des hommes et des femmes qui ne s’identifient pas toujours comme LGBTQI+, et en dehors de tout contexte sexuel.</p>
<p>Cette tendance est notamment rapportée en Nouvelle-Aquitaine par des usagers et usagères et par des professionnels de réduction des risques, interrogés dans le cadre de cette enquête. Cet article met en lumière, de manière sociologique, les motivations à la consommation de 3-MMC d’usagers qui ne sont pas chemsexeurs, les réseaux de vente de cette substance et les conséquences sanitaires rapportées.</p>
<h2>Des motivations liées au coût et aux effets de la 3-MMC</h2>
<p>Les usagers et usagères de 3-MMC semblent être le plus souvent des personnes jeunes, plutôt insérées socialement et polyconsommatrices, qui ont expérimenté d’autres drogues illicites (cannabis, cocaïne, MDMA/ecstasy…) avant d’essayer la 3-MMC. Certaines ont été initiées par des amis pratiquant le chemsex ou proches de ce milieu, d’autres par des personnes hétérosexuelles éloignées du chemsex. Les consommations ont presque systématiquement lieu en contexte festif, dans des clubs techno et des <em>raves</em> urbaines, parfois lors de soirées privées. D’après des intervenants en espace festif alternatif en Nouvelle-Aquitaine, les usages de 3-MMC semblent plus rares dans les <em>free parties</em> en espace rural, les usages étant davantage visibles en ville.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouvelles-drogues-les-cathinones-de-synthese-circulent-de-plus-en-plus-en-france-187684">Nouvelles drogues : les cathinones de synthèse circulent de plus en plus en France</a>
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<p>Les usagers rapportent apprécier les effets de ce produit, qui se situent entre ceux de la MDMA/ecstasy (amplification des ressentis sensoriels, effets entactogène et empathogène) et de la cocaïne (diminution de la sensation de fatigue, facilité à aller vers autrui et à échanger). Ils consomment principalement en sniff. Arthur a 22 ans, travaille dans le secteur de la restauration et consomme des substances diversifiées, notamment de la 3-MMC en contexte festif (essentiellement en club techno et dans des <em>afters</em> privées). Il apprécie les effets stimulants de la 3-MMC, qui lui donne « envie de faire des trucs » : « Tu prends une trace et tu cours un marathon ! » Contrairement à de nombreux chemsexeurs, Arthur ne lie pas ce produit à un effet aphrodisiaque, affirmant que cette consommation ne lui donne « pas envie de baiser ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Bu7khVwlOb8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois minutes sur : 3-MMC, la nouvelle cocaïne ? (OFDT, 2023).</span></figcaption>
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<p>Autre élément central rapporté par les consommateurs, le coût : le prix au gramme de la 3-MMC en Nouvelle-Aquitaine est d’environ 40 euros (avec un prix bas de 30 euros et un prix haut de 50 euros), contre un prix courant de 60 euros le gramme pour la cocaïne.</p>
<p>Dans son mémoire de sociologie intitulé <em>Les nouveaux produits de synthèse : entre politiques prohibitives et a priori. Étude des particularités des carrières de consommateurs de 3-MMC</em>, réalisé à l’Université de Bordeaux, <a href="https://www.linkedin.com/in/m%C3%A9lina-lapeyronie-soula-367473280/">Mélina Lapeyronie-Soula</a> a interrogé neufs consommateurs de 3-MMC, dont huit ne pratiquent pas le chemsex. La plupart des usagers interrogés présente le faible coût de ce produit, comparé à celui de la cocaïne, comme une motivation importante à l’usage. Selon Mélina Lapeyronie-Soula, le fait que la 3-MMC ait des effets proches de deux drogues bien connues et appréciées des usagers (la MDMA/ecstasy et la cocaïne) et que son prix soit assez faible contribue à sa diffusion en espaces festifs.</p>
<h2>Vente en ligne de drogues, livraison et achat en espaces festifs</h2>
<p>La 3-MMC a toujours été commandée <em>via</em> Internet par les chemsexeurs, qui se procurent la substance sur le <em>dark web</em> et sur des sites illégaux sur le <em>surface web</em>. Du fait des changements législatifs autour des drogues de synthèse, notamment concernant les <a href="https://nltimes.nl/2021/05/27/netherlands-restricts-designer-drug-3-mmc">plateformes de vente aux Pays-Bas</a>, les molécules vendues comme de la 3-MMC peuvent régulièrement s’avérer être des dérivés (notamment de la 3-CMC, aux propriétés similaires). Pour les chemsexeurs qui ne souhaitent pas acheter en ligne, il est possible de se fournir <em>in real life</em> (IRL) essentiellement via des réseaux d’usagers-revendeurs eux-mêmes chemsexeurs. On a donc depuis plusieurs années à faire à des réseaux de vente IRL très communautaires, assez fermés aux personnes ne pratiquant pas le chemsex.</p>
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<p>Ce modèle a évolué, et il est désormais possible pour des personnes éloignées du milieu du chemsex d’acheter de la 3-MMC IRL. La substance est vendue en espaces festifs par des <em>dealers</em> et usagers-revendeurs, au même titre que la cocaïne ou la MDMA/ecstasy. Il est également possible de se faire livrer de la 3-MMC à son domicile par des réseaux de livraison opérant dans la ville de l’usager, la substance n’échappant pas à <a href="https://www.ofdt.fr/ofdt/fr/trend/lyon19.pdf"><em>l’ubérisation du deal</em></a> en cours depuis maintenant plusieurs années. Plusieurs usagers rapportent ainsi que la disponibilité de la 3-MMC s’est accrue en 2022 et 2023, et que la substance est désormais assez facile à trouver. Si Arthur estime que la 3-MMC reste moins disponible en espaces festifs que la cocaïne ou l’ecstasy, il rapporte que « <em>la 3</em> » est bien plus facile à acheter aujourd’hui :_ « C’est répandu maintenant, tu peux trouver facilement _ ».</p>
<h2>Les conséquences sanitaires de la consommation de 3-MMC</h2>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0955395915000729">Les conséquences sanitaires ont bien été identifiées au sein du public chemsexeur</a>, qui peut cumuler trouble de l’usage de drogues et addiction au sexe, et qui est régulièrement confronté à des problématiques liées au consentement, aux pratiques sexuelles à risque et à des problématiques générées par l’injection. Concernant les conséquences spécifiquement rattachées à la 3-MMC, elles sont similaires à celles liées à la cocaïne (<em>craving</em>, insomnies, perte d’appétit…) et à la MDMA/ecstasy (redescentes difficiles avec idées noires, regret d’avoir accepté certaines pratiques sexuelles ou de s’être rapproché de personnes vers lesquelles l’usager n’aurait pas été s’il avait été sobre…).</p>
<p>Les usagers de 3-MMC en espaces festifs échappent aux problématiques associées au chemsex, mais pas aux conséquences directes de l’usage de cette substance qui, lorsqu’elle est consommée en sniff, semble particulièrement nocive pour les cloisons nasales. Les usagers se plaignent en effet de douleurs intenses lors de la prise en trace : Antoine, un usager polyconsommateur de 25 ans, a ainsi testé la 3-MMC et n’a pas apprécié, « parce que ça arrache le nez ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OtKrR3_TiJw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La 3-MMC : une drogue d’initié devenue populaire (Libération, 2022).</span></figcaption>
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<p>Les professionnels de réduction des risques commencent à voir arriver dans leurs structures des usagers de 3-MMC qui ne sont pas chemsexeurs, et qui se plaignent d’une perte de contrôle de l’usage et des conséquences sanitaires rapportées. Une association de réduction des risques intervenant en <em>free</em> et <em>rave parties</em> explique ainsi que des usagers de 3-MMC se plaignent par exemple d’insomnie, de nausées, de <em>bad trip</em> et de <em>craving</em>. Ces usagers étant souvent polyconsommateurs, le motif de prise en charge initial en addictologie n’est pas toujours la 3-MMC ; d’après les professionnels rencontrés, la plupart des usagers semblent consulter pour des problèmes de consommation de cocaïne ou d’alcool.</p>
<p>Une éducatrice spécialisée en CSAPA bordelais a ainsi rencontré un usager consommant « de la 3-MMC en dehors de tout contexte sexuel, pour expérimenter, pour faire la fête », qui venait demander de l’aide pour ses « usages de cocaïne ». Notons cependant que, comme pour les autres drogues, la plupart des usages de 3-MMC sont récréatifs et n’entraînent pas de conséquences sanitaires majeures.</p>
<p>Si la 3-MMC est, pour le moment, moins visible en espaces festifs que d’autres psychostimulants, il y a fort à parier que sa diffusion ne fait que commencer, et que les expérimentations se multiplieront dans les années à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Perrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Initialement rattachée au milieu du chemsex, la 3-MMC se diffuse de plus en plus en milieu festif. Regard sur les motivations des consommateurs grâce à une enquête menée en Nouvelle-Aquitaine.Sarah Perrin, Docteure en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000262023-07-25T17:52:53Z2023-07-25T17:52:53ZLégalisation du cannabis récréatif : les défis français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans un rapport publié début 2023, le Conseil économique et social recommande une légalisation encadrée du cannabis en France.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/NxRx7_mPdEk">Wesley Gibbs / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Fin janvier 2023, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2023/2023_02_cannabis.pdf">rapport</a> prônant une commercialisation encadrée du cannabis. En 2021, une mission d’information de l’Assemblée nationale avait elle aussi <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/341940/3351816/version/1/file/210505+Rapport+cannabis+recreatif.pdf">recommandé</a> une légalisation du cannabis sous contrôle de l’État.</p>
<p>Depuis quelques années, les débats sur le contrôle et la riposte au cannabis se sont multipliés en France. Ces travaux ont en commun, face à <a href="https://www.unodc.org/res/wdr2022/MS/WDR22_Booklet_2.pdf">l’augmentation de la consommation, du trafic et des saisies</a>, d’appeler à <a href="https://www.lemonde.fr/addictions/article/2016/11/08/la-commission-nationale-des-droits-de-l-homme-prone-la-depenalisation-de-l-usage-de-cannabis_5027608_1655173.html">abandonner la répression</a> de l’usage récréatif, en suivant l’exemple de pays qui se tournent vers la légalisation et la régulation du marché.</p>
<p>Cette vague atteint doucement l’Europe. Au Luxembourg et à <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/malte-devient-le-premier-pays-deurope-a-legaliser-le-cannabis-recreatif-1372722">Malte</a>, la production et la consommation personnelles sont régulées. En <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/26/cannabis-l-allemagne-presente-un-projet-pour-legaliser-son-usage-recreatif-des-2024_6147440_3210.html">Allemagne</a> et en Suisse, la légalisation de l’usage récréatif au niveau fédéral commence ses parcours législatifs. Certaines villes néerlandaises et <a href="https://www.letemps.ch/suisse/vente-publique-cannabis-bale-sy-essaie-canton-berne-refuse">suisses</a> expérimentent la production légale pour fournir leurs coffee-shops ou leurs consommateurs locaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bienfaits-et-risques-du-cannabis-ce-que-dit-la-science-71184">Bienfaits et risques du cannabis : ce que dit la science</a>
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<p>En France, avec une importante prévalence d’usage mais également un système <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2018-1-page-19.htm">plus répressif que chez ses voisins avec des résultats peu probants</a>, le cannabis pose divers problèmes qui requièrent une stratégie de riposte lisible. Ces problèmes sont sécuritaires (du deal visible à la violence armée), économiques (le marché illégal offre des opportunités aux habitants des quartiers prioritaires), ou sanitaires (<a href="https://www.ofdt.fr/produits-et-addictions/de-z/cannabis/#conso">prévalence d’usage élevée parmi les mineurs et les adultes</a>).</p>
<p>Le débat <a href="https://theconversation.com/le-consensus-international-sur-la-repression-des-drogues-seffrite-59789">se divise</a> avec peu de nuances entre les tenants de la répression et les partisans de la légalisation.</p>
<h2>Quels arguments en faveur de la légalisation ?</h2>
<p>La légalisation est en place depuis quelques années en Californie ou au <a href="https://theconversation.com/legalisation-du-cannabis-lexemple-des-marches-licites-et-illicites-du-canada-159016">Canada</a>. En supposant que la société accepte la consommation de cannabis comme état de fait, elle se défend par son potentiel à remplacer le marché illégal et à mieux protéger la <a href="https://theconversation.com/consommer-du-cannabis-a-ladolescence-augmente-le-risque-de-schizophrenie-15-ans-plus-tard-96753">santé des consommateurs</a> par des régulations concernant la qualité et des restrictions sur les quantités. Elle offre de surcroît un cadre juridique pour régler les conflits entre les acteurs de ce marché (droit commercial, droit du travail et de la concurrence, par exemple).</p>
<p>En limitant l’accès aux mineurs, en améliorant la qualité des produits disponibles à la vente et en établissant des règles légales claires pour cette filière, la légalisation promet un meilleur contrôle de la substance, de ses différents usages et de ses conséquences sociales, économiques et sanitaires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512297/original/file-20230226-2421-mamx70.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En juin 2022, la Thaïlande a retiré le cannabis de sa liste des stupéfiants. Cela n’implique pas une légalisation totale de sa consommation : fumer du cannabis dans un lieu public demeure par exemple illégal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Aurélie Louchart/The Conversation</span></span>
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<p>Mais compte tenu de son usage diffus, de sa présence dans différentes strates de la société et de son imbrication dans d’autres politiques publiques (de la sécurité, à l’éducation, au travail ou à la santé publique), la légalisation du cannabis peut-elle être considérée sans y intégrer d’autres dimensions clés pour la France ? Par exemple, la <a href="https://www.cairn.info/revue-notes-du-conseil-d-analyse-economique-2019-4-page-1.htm">politique de la ville</a> et l’effacement des casiers judiciaires pour des actes qui deviendraient légaux ? Ou encore la viabilité même d’un modèle économique d’un marché « nouveau » qui se superpose à un marché illégal résilient et bien installé ? Est-il possible, dans l’état actuel de polarisation du débat, de légaliser le cannabis mais aussi d’adapter en conséquence une myriade de règles durant les années qui viennent ?</p>
<p>Ces questions n’ignorent pas que le <a href="https://www.unodc.org/unodc/fr/treaties/single-convention.html">droit international</a> interdit la légalisation autre que <a href="https://theconversation.com/cannabis-medical-contre-cannabis-recreatif-une-vision-trop-simpliste-129090">médicale</a> ou à visée de recherche scientifique du cannabis. Nous nous focalisons ici sur les défis et les objectifs nationaux d’une éventuelle légalisation récréative du cannabis.</p>
<h2>La reconversion des acteurs du marché illégal</h2>
<p>Le <a href="https://slper.senate.ec/sound%20Supplemental%20-%20Prop%2064%20Text.pdf">modèle de légalisation californien</a>, plus que les divers modèles provinciaux au Canada, est d’intérêt pour la France. Ce dernier intègre des dimensions de riposte qui se concentrent sur les <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cannabis-importer-le-modele-californien-dans-nos-quartiers-13046">quartiers prioritaires et sur l’intégration dans le marché légal d’acteurs pénalisés dans le passé</a>. De plus, la loi permet aux élus municipaux d’accepter ou non des dispensaires cannabiques sur leurs territoires. Elle permet également aux personnes avec des casiers judiciaires pour des faits non violents (incluant la consommation, le deal ou le transport de cannabis) de les faire effacer. Ainsi, des villes comme Los Angeles ou Oakland ont essayé de donner des permis de dispensaires en priorité aux anciennes petites mains du marché illégal, afin de leur permettre de s’intégrer dans le nouveau marché régulé.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Loin d’une image caricaturale et hormis la quasi-impossibilité de sa mise en place dans une économie de marché compétitive dans laquelle les investisseurs et entrepreneurs aguerris maîtrisent mieux les règles du jeu, cette disposition juridique est un cas d’études pour la France. Les problèmes visibles et les activités de trafic semblent se concentrer dans certains <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2012-3-page-50.htm">quartiers prioritaires</a> et au sein de populations éloignées des opportunités de travail légal.</p>
<p>Toutefois, ce point central de la riposte au cannabis n’a été jusque-là mentionné par aucun responsable politique français tenant de la légalisation. Pourtant, le <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/15/business/cannabis-dispensaries-oakland.html">modèle d’une future industrie légale du cannabis</a> dépend en grande partie de l’intégration dans le débat public de cette relation intrinsèque entre le marché illégal du cannabis et l’économie illicite dans les quartiers prioritaires. S’intéresser à cette question permettrait de déterminer la taille et les contours potentiels des marchés légaux et illégaux, d’en réduire les acteurs ou d’y augmenter la concurrence, et ainsi la violence. Cela participerait aussi à définir la qualité, la traçabilité et la puissance des produits disponibles dans le pays.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511636/original/file-20230222-730-84e4k9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de consommateurs de cannabis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/CP_T153_OFDT_SpF.pdf">JB Dzehoc/Unsplash</a></span>
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<h2>D’une panacée à une autre</h2>
<p>Le débat actuel occulte également la <a href="https://www.politico.com/news/2021/10/23/california-legal-illicit-weed-market-516868">difficulté de la mise en place d’un marché légal</a> et de sa capacité à réussir. Comme la prohibition du cannabis qui a été présentée comme une solution pragmatique, unique et réaliste au début du <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/100_Years_of_Drug_Control.pdf">XXᵉ siècle</a>, la légalisation est promue actuellement comme une icône et une solution définitive. De l’espoir que la prohibition serait en mesure d’éliminer l’usage du cannabis par la répression de ses producteurs, ses revendeurs et ses consommateurs, nous assistons à la promotion de la légalisation comme la panacée pour éliminer le marché illégal, son économie et ses acteurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/legalisation-du-cannabis-lexemple-des-marches-licites-et-illicites-du-canada-159016">Légalisation du cannabis : l'exemple des marchés licites et illicites du Canada</a>
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<p>Mais la légalisation est bien plus complexe à mettre en place qu’une série de règles édictées par le gouvernement et <a href="https://press-files.anu.edu.au/downloads/press/n2304/pdf/book.pdf">dont le non-respect est puni</a>. C’est un effort collaboratif où une série d’acteurs et d’intérêts (acheteurs, industriels, agriculteurs, etc.) s’influencent les uns les autres et influencent les résultats du modèle de légalisation lui-même. Dans la chaîne d’approvisionnement de cannabis légal, par exemple, qui définit les standards de qualité que doivent suivre les agriculteurs ? Est-ce l’État qui établit des normes, les spécifications des revendeurs, ou les labels de standardisation privés ? Et qu’est-ce qui influence le plus les comportements des consommateurs dans un marché légal ? Les lois qui établissent les normes sanitaires et les limites de concentration des ingrédients psychoactifs, ou les boutiques qui disposent les produits selon leur valeur commerciale ?</p>
<p>La légalisation a besoin d’une approche graduelle, longue et construite autour des problématiques propres à l’économie illicite. En France, celles-ci relèvent de la sécurité et des affaires sociales pour répondre aux besoins nationaux et minimiser les <a href="https://www.unodc.org/documents/wdr/WDR_2009/WDR2009_Confronting_unintended_consequences.pdf">conséquences inattendues</a> pour les citoyens. La prohibition du cannabis a été un choix de facilité du début du XX<sup>e</sup> siècle. La légalisation, elle, est la réponse publique la plus exigeante et la plus compliquée à définir et à mettre en place pour contrôler le cannabis. C’est peut-être sur ce point que les stratégies diffèrent le plus. C’est aussi là que réside la plus grande incompréhension dans ce débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200026/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Khalid Tinasti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La légalisation de la consommation de cannabis a le vent en poupe. Adoptée par de plus en plus de pays, cette réponse publique est plus complexe à mettre en place qu’une politique de prohibition.Khalid Tinasti, Chercheur au Center on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101462023-07-24T18:35:37Z2023-07-24T18:35:37ZLa France au cœur des trafics de drogue : un regard géopolitique<p>« Narco-État » : le terme est désormais très répandu pour qualifier un territoire où de colossales sommes d’argent issues du trafic de drogue structurent l’économie criminelle. Cette formule est parfois employée pour désigner certains pays européens, y compris la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/stupefiants-le-senat-veut-eviter-que-la-france-ne-devienne-un-narco-etat-20">France</a>, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/anvers-face-a-l-explosion-du-trafic-de-coke-5207660">Belgique</a> et les <a href="https://www.europe1.fr/international/drogue-pourquoi-les-autorites-francaises-qualifient-les-pays-bas-de-narco-etat-4177348">Pays-Bas</a>.</p>
<p>Certes, au regard des milliards d’euros produits par les entreprises, ces trois pays sont loin d’être des narco-États où tout l’appareil de production serait dédié à une activité criminelle. Il n’en demeure pas moins que le crime organisé est en plein essor en <a href="https://www.europol.europa.eu/publications-events/main-reports/socta-report">Europe</a> et en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/18/laure-beccuau-procureure-de-paris-l-infiltration-de-nos-societes-par-les-reseaux-criminels-depasse-toutes-les-fictions_6150397_3224.html">France</a>.</p>
<p>La drogue reste le premier facteur d’accumulation de richesse du crime organisé. Quelles sont les raisons qui font de la France un pays situé au cœur de la majorité des trafics sur le continent européen ?</p>
<h2>France : augmentation continue du trafic et de la consommation</h2>
<p>Pour dresser un état des lieux du trafic de drogue, les chercheurs s’appuient sur trois indicateurs : les saisies, les surfaces de production et les enquêtes de consommation. Ces informations peuvent être croisées avec les déclarations des trafiquants qui témoignent devant les tribunaux ou dans des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/truand-mes-50-ans-dans-le-milieu-corso-marseillais/">livres</a>.</p>
<p>À l’échelle mondiale, le cannabis est de loin la drogue la plus consommée, mais la consommation de cocaïne augmente de manière significative, le <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/world-drug-report-2022.html">nombre de saisies ayant explosé dans le monde depuis 2014</a>. Le marché de l’héroïne est relativement stable, tout comme celui des drogues de synthèse. La grande nouveauté est <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/sante-publique/lobservatoire-europeen-des-drogues-sinquiete-de-lexplosion-des-produits-de-synthese">l’essor des opioïdes de synthèse</a>.</p>
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<p>La situation de la France, notamment en <a href="https://insightcrime.org/wp-content/uploads/2023/03/2023-02-DP-BILAN-2022-LUTTE-CONTRE-LES-DROGUES.pdf">termes d’augmentation des saisies</a> (cf. tableau ci-dessous), est en cohérence avec la géopolitique mondiale des drogues.</p>
<p><iframe id="8PRr6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8PRr6/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces 20 dernières années, l’offre de cocaïne s’est « démocratisée » et a fortement augmenté dans les quartiers urbains populaires comme dans les territoires ruraux. On observe une <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/thema/la-cocaine-un-marche-en-essor-evolutions-et-tendances-en-france-thema/">hausse de la consommation de cocaïne proportionnellement aux autres drogues</a>.</p>
<p>Les prix médians de toutes les drogues sont relativement stables, mais la pureté des produits est de plus en plus élevée. Le cannabis consommé aujourd’hui en France contient <a href="https://www.europe1.fr/sante/de-plus-en-plus-fort-en-thc-le-cannabis-comporte-plus-de-risques-quavant-4038196">4 à 5 fois plus de THC que celui consommé il y a 20 ans</a>. Le nombre de personnes interpellées pour trafic de stupéfiants en France est en forte augmentation depuis 20 ans (doublement de 2005 à 2009). 44 000 personnes ont été interpellées en 2020.</p>
<p>Le secteur de la drogue générerait en France environ 3 milliards d’euros de gains par an et impliquerait <a href="https://www.la-croix.com/France/La-drogue-genere-23-milliards-deuros-chiffre-daffaires-France-2016-11-02-1200800282#">240 000 personnes pour le seul trafic de cannabis</a>. Un des principaux moyens de distribution des drogues en France demeure le consommateur-revendeur. Une partie d’entre eux constituent une multitude de petits réseaux d’usagers-revendeurs qui s’approvisionnent via un trafic de « fourmis », en particulier aux Pays-Bas ou en Espagne. Le reste de la drogue consommée en France est acheminée par des réseaux criminels qui profitent de la mondialisation de l’économie.</p>
<h2>Géopolitique des drogues en France : des contraintes structurelles</h2>
<p>Produites au Sud, les drogues sont consommées au Nord. Ni la France, ni la Belgique, ni les Pays-Bas ne sont en capacité de stopper leur arrivée. Le cannabis provient avant tout du Maroc, qui est l’un des principaux producteurs de résine de cannabis au monde. Cette production est un facteur de stabilité sociale dans la région du Rif, traditionnellement rebelle, très pauvre, où le <a href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias">cannabis fait vivre des centaines de milliers de personnes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La culture du cannabis, une activité répandue au nord du Maroc.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias).">Carte Fabrizio Maccaglia, Atlas des mafias, ed. Autrement, 2014, p. 47</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si le cannabis marocain arrive si aisément en France, c’est dans une vaste mesure parce que Paris et Rabat ont des intérêts géopolitiques communs dont la préservation se fait au détriment de la lutte contre le trafic. Les forces de l’ordre sont tributaires de ces intérêts géopolitiques qu’elles ne maîtrisent pas. D’une part, une partie de l’élite politique et administrative marocaine est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2004-1-page-63.htm">impliquée dans le trafic de drogue à travers des schémas de corruption</a> ; mais, d’autre part, le Maroc est un allié important de la France dans la <a href="https://ladepeche.mr/?p=4644">lutte contre le djihadisme</a> en Afrique du Nord et dans la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/20/madrid-salue-le-role-essentiel-du-maroc-en-matiere-migratoire_6170295_3212.html">lutte contre l’immigration clandestine</a>. C’est pourquoi, en dépit d’actions représsives dans les deux pays (éradication des plants de cannabis au Maroc et saisies en France), le trafic de cannabis perdure.</p>
<p>Notons également que, depuis cinq ans, le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/749599/politique/maroc-la-nouvelle-route-de-la-cocaine/">Maroc est devenu un hub pour la cocaïne</a>, bien qu’il n’en soit pas producteur.</p>
<p>La cocaïne arrive en France par différents moyens. La voie maritime du commerce mondial demeure prégnante. La drogue voyage par conteneurs, avec la complicité de sociétés de transport ou à leur insu selon la technique du <em>rip off</em>. Les saisies de cocaïne dans le port du Havre sont passées de 2,8 tonnes en 2019 à 3,8 tonnes en 2020 puis 11 tonnes en 2021. Les ballots de cocaïne peuvent aussi être largués en mer et récupérés par des trafiquants, selon une <a href="http://www.annecoppel.fr/wp-content/uploads/1996/01/ATLAS-intro-XXIII.pdf">technique mise en place par les clans galiciens</a> dans les années 1980.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/cocaine-les-antilles-guyane-zone-de-rebond-du-trafic-selon-un-rapport-de-l-ofdt-1380154.html">15 à 20 % du marché français de cocaïne est alimenté par la Guyane</a> et 55 % des quantités de cocaïne saisies à l’entrée en métropole <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/plus-de-la-moitie-de-la-cocaine-saisie-dans-l-hexagone-en-2022-provenait-des-antilles-guyane-1370926.html">proviennent des Antilles et de la Guyane réunies</a>. En 2021, le nombre de passeurs interpellés en Guyane a augmenté de 75 % par rapport à 2017 : 608 passeurs avaient été interpellés en 2017, pour 921 kilos saisis, contre <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxco2d3.pdf">1 065 passeurs et 2 tonnes en 2021</a>. 50 passagers par avion en provenance de Kourou sont potentiellement des « mules » !</p>
<p>En outre, le trafic vers la France passe par les <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/crime-trafics-et-reseaux-geopolitique-de-leconomie-parallele/">zones de stockage mises en place par les trafiquants dans les années 2000</a> en Afrique subsaharienne (500 kilos saisis en 1997, 5 tonnes en 2007), puis dans les Caraïbes. Les trafiquants français installés dans les Caraïbes ont créé une « autoroute de la cocaïne par voilier » comme le démontrent les saisies de cocaïne depuis 10 ans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les zones de transit de la cocaïne dans les Caraïbes et en Afrique. Carte de Pascale Perez, dans <em>Crime trafics et réseaux</em>, Ellipes, 2012, p. 61.</span>
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</figure>
<p>De nouvelles routes s’ouvrent en envoyant la cocaïne par bateau en Russie et en Ukraine. Cette cocaïne revient ensuite sur le marché occidental par camion, comme en témoignent les saisies de cocaïne impliquant des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/un-reseau-de-cocaine-demantele-un-coup-porte-au-milieu-des-balkans-25-07-2019-2326877_24.php">organisations serbes et monténégrines</a>. La guerre actuelle semble toutefois avoir provisoirement interrompu cette route.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La route « Amérique du Sud-Europe de l’Est » pour livrer la cocaine en Europe de l’Ouest. Carte Pascale Perez dans Crime trafics et réseaux, ed. Ellipes, 2012, p. 61.</span>
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<p>La France est également le terminal de la route de la soie… de l’héroïne. Fabriquée essentiellement en Afghanistan, l’héroïne <a href="https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/rubrique-strategies-des-acteurs-internationaux/carte-3C42-production-et-trafic-des-principales-drogues-(hors-cannabis)-situation-au-milieu-des-annees-2010.html">traverse toute l’Europe pour arriver en France à travers Milan puis la Suisse</a>.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne les drogues de synthèse, le trafic est moins documenté mais il fait l’objet d’un « trafic de fourmis », en particulier en provenance des Pays-Bas (et de la province belge du Limbourg) devenus le <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/ecstasy-la-viet-connection-decapitee-a-paris-apres-lincarceration-du-gros-et-une-saisie-de-120-kg-02-04-2023-IDAEDD7NPJCYBN7SSPIFSR6XK4.php">principal producteur d’ecstasy au monde</a>.</p>
<h2>La force des organisations criminelles françaises</h2>
<p>L’émergence des organisations trafiquantes des quartiers populaires est confirmée. Investies dans la vente de tous les stupéfiants soit en gros, soit en détail, elles gèrent <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/drogue-l-office-anti-stupefiants-a-permis-l-identification-de-pres-de-4000-points-de-deal-450-ont-ete-demanteles_4336949.html">4 000 grands points de deal en France</a> dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes.</p>
<p>Ces dernières années, on observe <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/288921.pdf">leur mainmise croissante sur le marché de la cocaïne</a>, la diversification des produits revendus dérivés du cannabis (variétés hybrides, huiles, résines, concentrés) et le recours de plus en plus fréquent aux livraisons à domicile via des « centrales d’achat » recourant aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/trafic-de-drogue-sur-snapchat-des-pubs-et-des-promos-comme-dans-l-economie-legale-3858056">techniques propres au marketing direct</a> (packaging, promotions, carte de fidélité…) par l’entremise des réseaux sociaux.</p>
<p>Pour protéger leur système, les coteries trafiquantes françaises n’hésitent plus désormais à <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/a-armes-illegales-le-trafic-darmes-a-feu-en-france/">employer des armes de guerre</a> lors des règlements de comptes. Les enlèvements et séquestrations liés au trafic de stupéfiants sont devenus une pratique courante en France : 129 en 2020, 128 en 2022, soit une fois tous les trois jours, les chiffres réels étant sans doute plus élevés, toutes les victimes ne se signalant pas au regard de leurs activités.</p>
<p>La violence systémique déjà évoquée s’accompagne parfois d’une véritable <a href="https://www.lexpress.fr/societe/une-demi-tonne-de-cannabis-dans-un-local-municipal-debut-du-proces-lundi-a-bobigny_2070266.html">force de corruption</a>. À <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/trafic-de-drogue-une-maire-normande-et-son-adjoint-mis-en-examen-pour-complicite_5299789.html">Canteleu</a>, dans la banlieue de Rouen, une bande avait acquis un tel pouvoir d’intimidation qu’elle exerçait des pressions sur la mairie afin que celle-ci ferme les yeux sur ses activités. Les affaires de <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/trafic-jusqua-deux-ans-de-prison-pour-danciens-responsables-des-douanes-coupables-de-derives-avec-un-informateur-20220929_HWNCIRGQJJGNRHDN2SJZJ6CRAI/">corruption des forces de l’ordre</a> se succèdent. Sur la corruption du personnel politique, nous manquons de données judiciaires mais des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/la-france-des-caids/">sources existent</a>.</p>
<h2>Les narco-comptoirs du nouveau banditisme français</h2>
<p>Les réseaux dits « de cité » sont <a href="https://www.autrement.com/atlas-des-mafias/9782746739604">très organisés</a> et efficaces en matière de logistique. Ils ne sont plus les petites mains des anciens gangsters français, qui dépendaient de l’approvisionnement de ces derniers. Dans les années 1990/2000, les caïds des cités devaient <a href="http://www.mafias.fr/2009/11/17/etats-generaux-de-lantimafia-2009/">se rendre en Espagne</a> pour discuter avec un narco-courtier de l’ancienne génération pour obtenir du cannabis. Depuis vingt ans, les narco-bandits des cités ont acquis une <a href="https://crimhalt.org/1971/06/25/la-guerre-de-lombre-2/">dimension transnationale</a> en s’approvisionnant directement en Colombie et au Maroc, où ils sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/17/le-caid-marseillais-hakim-berrebouh-extrade-et-mis-en-examen-pour-trafic-de-drogue_6106377_3224.html">parfois propriétaires des champs de cannabis</a>.</p>
<p>Des barons français du narcotrafic sont présents à Saint-Domingue, à Dubaï ou au Maroc, et <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3304163-20220608-maroc-baron-francais-drogue-recherche-interpol-enfin-arrete">gèrent leur trafic à distance</a>. Aujourd’hui, les cartels colombiens peuvent même envoyer des chimistes en France pour <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">reconstituer la cocaïne dans un laboratoire de fortune</a>.</p>
<p>Enfin, les narcos français scellent des alliances avec des mafias internationales, comme dans le cas de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1970243-20161128-reseaux-mafia-italienne-france">« joint-ventures » entre les gangs des cités et la mafia calabraise</a> ou avec des <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">cartels internationaux de la drogue</a>.</p>
<p>Ce phénomène d’alliance est favorisé par le fait que la France est aussi une terre de repli, de blanchiment et parfois de trafic de drogue pour les organisations étrangères. Par exemple, la mafia albanophone joue un rôle important dans le trafic d’héroïne, particulièrement dans la région Rhône-Alpes, <a href="https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2021/06/13/pays-de-savoie-quand-les-mafias-albanaises-inventent-le-uberheroine">où elle tient 90 % du trafic d’héroïne</a>.</p>
<p>Les données analysées ici révèlent la <a href="https://www.causeur.fr/face-a-la-drogue-la-confiscation-261291">relative inefficacité du dispositif répressif en France</a>. En plus du débat sur la légalisation des drogues, une des pistes qui pourrait être privilégiée est la <a href="https://crimhalt.org/2023/06/29/crimhalt-partenaire-du-projet-rinse-research-and-information-sharing-on-freezing-and-confiscation-orders-in-european-union/">confiscation des avoirs criminels générés par le trafic</a>.</p>
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<p><em>Cet article, rédigé à l’aide de la revue de presse quotidienne du site <a href="https://crimorg.com/">crimorg.com</a> a été co-écrit avec Mehdi Ajerar, spécialiste de la géopolitique du crime organisé et du terrorisme. Mehdi Ajerar a rédigé, à l’Université Paris 8, un mémoire de géopolitique sur les représentations criminelles du trafic de drogue à Saint-Ouen à l’Université Paris 8. Il est titulaire d’un <a href="https://formation.cnam.fr/rechercher-par-discipline/master-criminologie-securite-defense-renseignement-cybermenaces-1085602.kjsp">master 2 de criminologie au CNAM</a> et membre de l’association <a href="https://crimhalt.org/">Crim’HALT</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rizzoli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il est exagéré de qualifier la France de « narco-État », le pays ne s’en trouve pas moins au cœur de nombreux trafics de drogue, celle-ci provenant aussi bien des Amériques que d’Afrique et d’Asie.Fabrice Rizzoli, Spécialiste des mafias et président de l'association Crim'HALT. Enseignant en géopolitique des criminalités., Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048292023-07-24T13:40:36Z2023-07-24T13:40:36ZSérie : Drogues en France, loin des clichés<p><em>Comment mieux appréhender la drogue en France ? Son économie, ses trafics, ses usages, son impact sur la société. Dans le cadre de cette série intitulée « Drogues en France, loin des clichés », nos journalistes ont sollicité les meilleurs chercheurs et chercheuses afin d'apporter des réponses parfois surprenantes à nos questions. Avec la même volonté de vous donner les meilleurs éléments de compréhension.</em></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/lhero-ne-en-milieu-rural-en-france-une-realite-ignoree-207844">L’héroïne en milieu rural en France : une réalité ignorée</a></h2>
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<img alt="Deux seringues sont posées sur une table. On distingue une poudre blanche à côté." src="https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539035/original/file-20230724-25-hy2ck7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>L’ampleur, ces dernières années, des saisies d’héroïne dans les villes moyennes et les zones rurales témoigne de la persistance de la consommation d’héroïne.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/trafic-de-stupefiants-comment-leconomie-legale-se-rend-co-responsable-208311">Trafic de stupéfiants : comment l’économie légale se rend co-responsable</a></h2>
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<img alt="Téléphone à claper posé sur une table avec indiqué sur l'écran OM Encrochat" src="https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539034/original/file-20230724-27-awfyx9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Services d’immatriculation de sociétés-écrans, messageries cryptées et modes de régulation des infrastructures portuaires sont autant d’exemples de supports fournis par l’économie légale aux trafics.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/cannabis-mais-aussi-alcool-et-tabac-chez-les-jeunes-une-consommation-de-drogues-en-baisse-206796">Cannabis, mais aussi alcool et tabac : chez les jeunes, une consommation de drogues en baisse ?</a></h2>
<p>La consommation de tabac, d’alcool et de cannabis serait globalement en recul chez les plus jeunes. Est-ce le résultat des politiques de prévention ? Ou est-ce lié au succès de nouvelles drogues ?</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/a-marseille-lespace-public-vu-par-ceux-et-celles-qui-sinjectent-des-drogues-209646">À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539029/original/file-20230724-29-os6tz6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Durant un à trois mois, des usagers de drogue ont participé à une recherche en documentant leur quotidien et leur environnement afin de mieux comprendre les pratiques liées à l'injection.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/crack-et-coca-ne-pourquoi-deux-drogues-si-proches-sont-elles-traitees-si-differemment-dans-la-sphere-publique-207555">Crack et cocaïne : pourquoi deux drogues si proches sont-elles traitées si différemment dans la sphère publique ?</a></h2>
<p>Cocaïne et crack sont des drogues apparentées : le second est un produit dérivé de la première. Pourtant, leurs images et leurs traitements médiatique ou politique sont radicalement différents. Pourquoi ?</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/coca-ne-ecstasy-hallucinogenes-quels-sont-les-comportements-des-jeunes-face-aux-drogues-illicites-209431">Cocaïne, ecstasy, hallucinogènes… Quels sont les comportements des jeunes face aux drogues illicites ?</a></h2>
<p>D’après une étude réalisée sur plus de 23 000 adolescents de 17 ans, la consommation de drogues illicites autres que le cannabis est en baisse et à de faibles niveaux..</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/les-dealers-des-professionnels-de-la-distribution-comme-les-autres-209429">Les dealers, des professionnels de la distribution comme les autres ?</a></h2>
<p>Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre mais transférer ses compétences dans le secteur légal demeure difficile.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/du-chemsex-aux-fetes-la-3-mmc-cette-drogue-de-synthese-qui-gagne-du-terrain-chez-les-jeunes-207156">Du chemsex aux fêtes… La 3-MMC, cette drogue de synthèse qui gagne du terrain chez les jeunes</a></h2>
<p>Initialement rattachée au milieu du chemsex, la 3-MMC se diffuse de plus en plus en milieu festif. Regard sur les motivations des consommateurs grâce à une enquête menée en Nouvelle-Aquitaine.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/legalisation-du-cannabis-recreatif-les-defis-francais-200026">Légalisation du cannabis récréatif : les défis français</a></h2>
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<img alt="Dans un rapport publié début 2023, le Conseil économique et social recommande une légalisation encadrée du cannabis en France." src="https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511638/original/file-20230222-330-61sitj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/NxRx7_mPdEk">Wesley Gibbs / Unsplash</a></span>
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<p>La légalisation de la consommation de cannabis a le vent en poupe. Adoptée par de plus en plus de pays, cette réponse publique est plus complexe à mettre en place qu’une politique de prohibition.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/la-france-au-coeur-des-trafics-de-drogue-un-regard-geopolitique-210146">La France au cœur des trafics de drogue : un regard géopolitique</a></h2>
<p>S’il est exagéré de qualifier la France de « narco-État », le pays ne s’en trouve pas moins au cœur de nombreux trafics de drogue, celle-ci provenant aussi bien des Amériques que d’Afrique et d’Asie.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/drogues-au-travail-un-phenomene-aggrave-par-40-ans-de-prevention-mal-ajustee-210200">Drogues au travail : un phénomène aggravé par 40 ans de prévention mal ajustée</a></h2>
<p>La lutte contre les conduites addictives n’a jamais pris en compte la question des conditions de travail qui peuvent amener à la consommation de substances psychoactives.</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/meres-des-quartiers-populaires-des-intermediaires-sur-le-fil-210141">Mères des quartiers populaires : des intermédiaires sur le fil</a></h2>
<p>La conception des mères comme relais sécuritaires s’inscrit dans une histoire longue du rapport entre l’État et les quartiers populaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204829/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment mieux appréhender la drogue en France ? Son économie, ses trafics, ses usages, son impact sur la société. Une série inédite de The Conversation France.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094312023-07-23T15:17:00Z2023-07-23T15:17:00ZCocaïne, ecstasy, hallucinogènes… Quels sont les comportements des jeunes face aux drogues illicites ?<p>Beaucoup de clichés circulent autour de la consommation de drogues chez les jeunes, ils consommeraient de plus en plus tôt et en plus grande quantité que leurs aînés, mais qu’en est-il vraiment ? Pour le savoir, nous menons <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/tendances/les-drogues-17-ans-analyse-de-lenquete-escapad-2022-tendances-155-mars-2022/">l’enquête sur la santé et les consommations</a> lors de la Journée d’appel et de préparation à la défense (ESCAPAD). Cette dernière est conduite depuis l’an 2000 par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) en collaboration avec la Direction du service national et de la jeunesse (DSNJ). Menée pour la première fois en 2000, elle a été réalisée neuf fois et nos derniers résultats datent de 2022.</p>
<p>Elle porte principalement sur les consommations de substances, mais d’autres thématiques de santé, selon les années, sont abordées dans le questionnaire comme les conduites addictives sans substance (jeux d’argent et de hasard, par exemple), la santé mentale, le handicap ou les comportements alimentaires. </p>
<p>ESCAPAD interroge tous les adolescents convoqués à la journée défense et citoyenneté (JDC) durant une période de 15 jours. En 2022, 23 701 adolescents présents, âgés de 17,4 ans en moyenne, ont ainsi reçu un questionnaire autoadministré anonyme entre le 21 et 25 mars 2022. L’échantillonnage aléatoire, un taux de participation de 84 % (présents vs convoqués) ou encore un taux de réponse supérieur à 95 % (présents vs questionnaires valides) garantissent la bonne représentativité de l’échantillon de répondants. L’enquête permet ainsi d’estimer, entre autres données épidémiologiques, les niveaux de consommation de drogues licites ou illicites parmi les jeunes Français âgés de17 ans et d’en suivre les évolutions sur deux décennies. </p>
<h2>Niveaux d'expérimentation</h2>
<p>La première substance illicite expérimentée durant l’adolescence est le cannabis, en 2022, 29,9 % des adolescents de 17 ans en avaient déjà consommé au moins une fois dans leur vie. En comparaison, les niveaux d’expérimentation des autres produits illicites comme la cocaïne, l’ecstasy (ou MDMA), l’héroïne… sont bien moindres et inférieurs à 2 %, niveau d’expérimentation le plus élevé observé en 2022 pour l’ecstasy. </p>
<iframe title="Evolution de l'expérimentation des drogues illicites" aria-label="Interactive line chart" id="datawrapper-chart-rF216" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rF216/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="421" data-external="1" width="100%"></iframe>
<p>Ces niveaux marquent tous une baisse importante par rapport à 2017. Derrière l’ecstasy, la cocaïne (hors freebase/crack) est la deuxième substance expérimentée avec 1,4 % des adolescents de 17 ans, viennent ensuite les drogues hallucinogènes (LSD, champignons, kétamine) autour de 1 %, l’expérimentation de l’héroïne et du crack demeurant résiduelle avec des niveaux inférieurs à 1 %. Au final, avoir déjà consommé au moins une des huit substances questionnées concerne, en 2022, 3,9 % des jeunes Français de 17 ans.</p>
<p>Il convient de préciser que l’expérimentation de ces produits survient plus tardivement que celles de l’alcool, du tabac et du cannabis, soit au-delà de 16 ans en moyenne.</p>
<p>L’expérimentation de ces substances s’est accrue de manière continue jusqu’en 2014, avant d’amorcer une baisse qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Derrière cette évolution généralisée de baisse se cachent des dynamiques propres à chaque substance. Par exemple, si les niveaux pour la cocaïne ont progressé régulièrement avant de baisser, ceux de l’usage d’ecstasy (ou MDMA) ont connu des variations erratiques au cours des deux dernières décennies. Ces variations sont difficiles à expliquer, mais peuvent être liées à des phénomènes de mode qui peuvent à l’adolescence être parfois éphémères.</p>
<h2>Statut scolaire</h2>
<p>À l’instar de la consommation d’alcool ou de cannabis, ces expérimentations de produits illicites (autres que le cannabis) restent un peu plus le fait des garçons même si, compte tenu des niveaux, il est difficile de conclure que les comportements entre filles et garçons puissent diverger ou converger. Les usages de LSD et de champignons hallucinogènes s’avèrent cependant légèrement plus marqués par le genre. </p>
<iframe title="Expérimentation des drogues illicites chez les filles et les garçons " aria-label="Split Bars" id="datawrapper-chart-ZB8Bh" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZB8Bh/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="569" data-external="1" width="100%"></iframe>
<p>Elles sont, par ailleurs, très fortement associées au statut scolaire, les jeunes sortis du système scolaire (adolescents déscolarisés, en service civique ou, plus rarement, en emploi) sont les plus nombreux à consommer au moins un autre illicite (11,3 % d’expérimentation), devant les apprentis (6,9 %) et les lycéens (3,5 %). Ces différences peuvent, pour partie, s’expliquer à la fois par une autonomie financière (même si elle reste limitée) ou un moindre contrôle parental. Il convient de noter que la relation entre usages de substances et sortie précoce du système scolaire ne relève pas d’une causalité à sens unique : si l’effet de ces substances sur les performances scolaires à l’adolescence <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/josh.12723">est bien établi</a>, les problèmes conduisant à une <a href="https://www.jstor.org/stable/2657556">sortie précoce du système scolaire</a> apparaissent généralement bien avant les premiers usages de substances psychoactives illicites (après 16 ans), et en constituent même un déterminant.</p>
<iframe title="Expérimentation des drogues illicites selon la situation scolaire" aria-label="Split Bars" id="datawrapper-chart-IgVK1" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IgVK1/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="324" data-external="1" width="100%"></iframe>
<p>Cette photographie en 2022 des usages de substances psychoactives illicites parmi les adolescents de 17 ans traduit une évolution favorable en termes de santé publique. Si les tendances observées sont le fruit des dynamiques à l’œuvre depuis une dizaine d’années, il convient de ne pas oublier qu’elles interviennent après deux années singulières, marquées par la crise sanitaire liée au Covid-19 et plusieurs confinements de la population qui ont perturbé fortement les sociabilités juvéniles. Cela pourrait avoir contribué au recul observé entre 2017 et 2022 des expérimentations, qui se déroulent majoritairement dans des contextes de sociabilité et festifs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stanislas Spilka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’après une étude réalisée sur plus de 23 000 adolescents de 17 ans, la consommation de drogues illicites autres que le cannabis est en baisse et à de faibles niveaux..Stanislas Spilka, Responsable unité DATA, Observatoire français des drogues et tendances addictivesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096462023-07-20T15:55:32Z2023-07-20T15:55:32ZÀ Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538505/original/file-20230720-27-21ff1r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C31%2C3019%2C1969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">#Mise en abîme : « C’est la fenêtre extérieure du Tipi, où du coup y a un graff dessous, j’ai posé sur le mur la boite de l’appareil photo, avec le plastique, et en fait c’est dans l’entrebâillement du volet, et on voit au fond le jardin, et en fait on vous voyait, vous. »</span> <span class="attribution"><span class="source">Projet Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À Marseille, l'attente et les résistances liées à l'ouverture <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/drogues-une-salle-de-consommation-a-moindre-risque-doit-ouvrir-a-marseille-20230608_D25DJ5IGNJF2PHVH2FJPDKNB3E">d'une salle de consommation à moindre risque</a> révèlent une grande méconnaissance des réalités vécues au quotidien par les personnes qui s'injectent des drogues.</p>
<p>Les réactions hostiles à ce type de dispositif indiquent aussi une forme de frilosité quant à une <a href="https://www.ajpmonline.org/article/S0749.3797(21)00275-0/fulltext">réelle politique de réduction des risques</a>, qui se caractérise par une approche pragmatique de santé publique, qui favorise l'aller-vers et une meilleure compréhension du monde social qui les entoure.</p>
<p>Afin de pallier cette ignorance et de mieux comprendre comment vivent les personnes qui injectent des drogues à Marseille, une <a href="https://doi.org/10.1177/10497323231169607">enquête</a> mobilisant une méthodologie «photovoix» a été mise en place début 2020.</p>
<h2>Donner une voix par l'image</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1177/109019819702400309">Cette méthode photovoix</a> est aujourd'hui fréquemment utilisée dans les recherches communautaires et participatives afin d'approcher des terrains sensibles et de collecter des données dans le souci de mieux inclure les participants, en leur donnant une <a href="https://doi.org/10.1016/j.healthplace.2019.05.001">voix dans la recherche par la photographie</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538510/original/file-20230720-25-n80ysy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">#Poubelle à seringues «Les seringues ! Je les mets dans des bouteilles. Après je les rapporte ici. Il doit y en avoir quarante ou cinquante, enfin ça dépend des bouteilles, souvent j'prends des grosses bouteilles, voilà, ça recycle la bouteille… J'fais super attention, je jette jamais mon matos, sauf dans la rue, quand j'ai pas le choix….</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Durant un à trois mois, nous avons donné aux participant·e·s (n=10) un appareil photographique, ici un jetable Fujifilm, 27 poses, 400 ISO, couleurs, pour qu'elles et ils prennent des clichés de leur environnement, de leurs pratiques, des outils utilisés pour l'injection ainsi que des lieux fréquentés, tout en veillant à l'anonymat et au fait de ne pas prendre de photographies identifiantes.</p>
<p>L'intérêt de cette approche réside dans son caractère participatif : il s'agit d'inclure les participant·e·s comme co-chercheurs et co-chercheuses à chacune des étapes de la recherche : élaboration de la question de recherche, réflexion autour des enjeux éthiques propre à la recherche, collecte des données par la photographie, analyse des photographie lors d'un entretien individuel travail de codage des photographies lors d'atelier en groupe, et enfin valorisation de la recherche lors d'expositions ou d'élaboration de dossier dans une <a href="https://drive.google.com/file/d/1h9JUcZkiArqpmm_l-fJF4QSJKgYvzo06/edit">revue d'auto-support</a> (Sang d'Encre n°7) ou encore sur un <a href="https://vif-fragiles.org/photovoix/">site web</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537728/original/file-20230717-96368-40gorh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Expert de l'expérience»: La préparation c'est une grosse pompe de dix millilitres, tout est stérile, on se lave les mains, moi avec les collègues et tout, on met tout sur une table, des fois on essaye de prendre un truc assez propre pour le poser, voilà. On prend de l'eau, on remplit notre pompe sans mettre l'aiguille, on la remplit jusqu'à cinq, même des fois dix, on met l'eau dedans, on prend une gélule, de deux cents milligrammes, on la met dedans, on le chauffe un peu, une fois que c'est chaud, faut bien savoir, faut bien connaître le système parce que après, faut pas que ce soit trop chaud, ni trop froid, sinon après les grains ils vont mal s'écraser ou bien savoir il faut bien connaître le procédé du truc, écraser tous les grains, après prendre un filtre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une immersion</h2>
<p>Cette méthode permet une certaine immersion, médiée par la photographie, dans les vies des personnes et donne accès à leur intimité, au plus près de leurs pratiques.</p>
<p>Les entretiens réalisés à partir des photographies permettent au photographe-participant de revenir sur l'intentionnalité du cliché, d'expliquer ce que l'on regarde et d'aider à décoder les indices des consommations, des pratiques et de ces gestes du quotidien devenus banals pour elles et eux mais qui pourtant relèvent de stratégies et de débrouille qui pourraient être mises en commun ou accompagnées.</p>
<p>Ces savoirs de l'expérience mobilisés par les personnes utilisatrices de drogues sont indispensables à la fois dans une approche de réduction des risques et dans toute clinique des addictions. Les personnes prennent des habitudes et échangent des savoirs entre pairs. La pratique de l'injection est un geste technique qui nécessitent des outils tels que les seringues, les filtres ou encore les «cups» (récipient stérile).</p>
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<p>Testés en laboratoire ces outils ne sont pas toujours adaptés aux modes de consommations et aux conditions de vie précaire des personnes, notamment lorsqu'elles doivent s'injecter rapidement entre deux voitures, afin d'éviter le regard des passants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537730/original/file-20230717-200541-1nr3qo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Entre deux voitures»: C'est la rue Thiers, en fait en bas c'est Curiol et là c'est la rue Thiers et en fait c'est des marches, je trouvais ça sympa, la prise elle est trop cool, j'aime trop. Ouais, c'est parce que là en fait tu as tous les déchets de la société. T'y as le plus vieux travail du monde qui est représenté dans c'te rue, t'y as les tox, parce que les marches elles sont prises et tout et puis en plus c'est des petites rues, t'as plein de voitures, la nuit il n'y a pas beaucoup de personnes qui passent, t'as des putes, t'as tout, genre t'as jamais les flics qui passent, ils s'en battent les couilles tu peux faire ce que tu veux ici, puis tu retrouves des seringues, tout ça, c'est sympa c'te rue, enfin pas vraiment, et puis, la voilà pour dire, tu t'caches derrière la voiture, entre les voitures, parce que on te voit pas, et puis c'est tout, voilà.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les photographies collectées permettent de documenter les lieux de consommation et les stratégies mobilisées pour faire face aux différents risques, notamment ceux liés aux contrôles de police. Les témoignages associés montrent également combien la stigmatisation est intériorisée par les personnes. La violence des termes que ce participant utilise « déchets » ; « tox » ; « putes » renvoie à la violence subie au quotidien, notamment dans le <a href="https://www.psychoactif.org/forum/t29074-p1-Toxicophobie-mon-amour.html">langage toxicophobe</a> qui peut être entendu dans les familles, dans les discours politiques et parfois même jusque dans les cabinets de consultations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537732/original/file-20230717-98971-5tvzpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Savoir plus»: Et c'est comme il disait, tu as toute la documentation, tu as tout pour prendre ton matos et au final, tu te retrouves à t'injecter dans un endroit crasseux. Tu peux lire et t'informer sur tout, si tu te retrouves dans un endroit crasseux, tu ne peux rien y faire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le paradoxe entre le fait de pouvoir récupérer du matériel d'injection stérile et de ne pas avoir ensuite de lieu pour consommer a fait l'objet de nombreuses discussions. Les participant·e·s soulignent les conditions très précaires dans lesquelles ils se trouvent et ils expriment ici tous les freins qu'ils rencontrent pour un accès à leurs droits et à la santé. Sans logement ou vivant dans des squats, leur pratique de l'injection dans des lieux insalubres leur fait courir autant de risques sanitaires (infectieux, santé mentale, etc.) que sociaux (intégration sociale, estime de soi).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537733/original/file-20230717-29-5ep5bx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«Invisible»: Ce qui est intéressant, aussi, c'est qu'il y a des gens, c'est la vie quotidienne, le tramway, des voitures, plein de gens qui ne se doutent pas de ce qui peut se passer à 20 mètres d'eux, dans ce lieu-là.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Eposim</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, parmi les motivations des participants, beaucoup ont souhaité éveiller les consciences, montrer leur misère et rendre visible les conditions dans lesquelles ils se trouvent. <a href="https://harmreductionjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12954-019-0334-2">Cette photographie des mouvements urbains</a> vient souligner le sentiment d'invisibilité, voire d'abandon, que ressentent les personnes. L'omniprésence de la misère, à chaque coin de rue, façonne le regard des passant·e·s qui apprennent à l'ignorer, détourner le regard.</p>
<p>Ce projet photographique aura permis, le temps de quelques ateliers, d'interroger avec les personnes le poids du regard social, les effets du stigmate mais surtout les capacités d'expressivité des personnes lorsqu'un cadre leur est ouvert pour affirmer leurs opinions et contribuer à produire des savoirs dans le champ de la réduction des risques. Enfin, ce projet vient souligner la nécessaire ouverture d'une salle de consommation afin de répondre aux besoins de ces personnes qui font avec ce qu'elles ont.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://iresp.net/wp-content/uploads/2021/08/Projet-EPOSIM-IReSP-10-juin-2021.pdf">Le projet Eposim</a> est issu d'une étroite collaboration entre des associations communautaires marseillaises (ASUD Mars Say Yeah, Le Tipi et Nouvelle Aube et une équipe de recherche SanteRcom qui travaille sur des questions de santé communautaire au sein du laboratoire SESSTIM.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209646/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Durant un à trois mois, des usagers de drogue ont participé à une recherche en documentant leur quotidien et leur environnement afin de mieux comprendre les pratiques liées à l'injection.Marie Dos Santos, docteure en sociologie, InsermPerrine Roux, Directrice de Recherche INSERM, Santé Publique, Recherche communautaire, VIH et réduction des risques , InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075552023-07-19T19:12:59Z2023-07-19T19:12:59ZCrack et cocaïne : pourquoi deux drogues si proches sont-elles traitées si différemment ?<p>« Affaire Pierre Palmade », scènes ouvertes de crack dans le nord-est de Paris… Ces dernières années, la cocaïne et le crack ont défrayé la chronique.</p>
<p>Malgré leur proximité pharmacologique, ces deux drogues font l’objet de traitements très différents, du point de vue médiatique, mais aussi politique et symbolique. Alors que la cocaïne, bien que prohibée, est considérée comme une drogue « festive », le crack est associé <a href="https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/crack-la-guerre-contre-la-drogue-na-plus-de-sens">aux imaginaires de la violence et à la précarité</a>. </p>
<p>Ce qui a notamment des conséquences sur les politiques publiques destinées à encadrer la situation vis-à-vis du crack, lesquelles se résument souvent à « éloigner et enfermer ». Pourquoi de telles différences ? Vers quelles politiques publiques se tourner pour dépasser cette vision binaire, dans l’intérêt de tous ?</p>
<h2>Cocaïne et crack, deux drogues intimement liées</h2>
<p>La cocaïne est extraite de la feuille de coca, une plante d’Amérique du Sud utilisée pour ses propriétés stimulantes. </p>
<p>C’est en 1860 que la cocaïne est isolée pour la première fois (par le chimiste Albert Niemann). C’est aussi au XIXe siècle que la cocaïne <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2004-1-page-66.htm">commence à se diffuser sur le marché européen</a>. Consommée comme drogue dès le <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-la-cocaine-connection-en-france-125787">début du siècle dernier</a>, la cocaïne est généralement associée à des imaginaires liés à la sociabilité, la fête, et la vie nocturne. </p>
<p>Certes, les discours médiatiques diffusent l’idée que la consommation de cette substance progresse dans la population, et que « tous les Français pourraient être concernés ». Cependant, des <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/04/27/pierre-palmade-je-veux-m-eloigner-de-mes-demons_5455759_3246.html">témoignages personnels d’artistes</a> renforcent l’image d’une drogue festive, et lui apportent une dimension d’<a href="https://www.elle.fr/People/La-vie-des-people/News/Rose-la-chanteuse-parle-de-ses-addictions-a-l-alcool-et-a-la-cocaine-3826465">humanité</a>. </p>
<p>Le crack, en revanche, ne bénéficie pas d’une telle image, il est associé aux marges de la société. Lorsque des témoignages de consommateurs parviennent dans les médias, ils sont le plus souvent <a href="https://www.konbini.com/videos/jai-ete-addict-au-crack-le-speech-doscar/">anonymes et déshumanisés</a>. Pourtant, du point de vue pharmacologique, il n’est pas si éloigné de la cocaïne, dont il dérive (il est obtenu à partir de cette dernière par adjonction d’ammoniaque ou de bicarbonate). </p>
<p>Généralement fumé, ses effets sont certes plus rapides et plus puissants que ceux de la substance dont il provient. Mais la différence, dans les imaginaires sociaux, entre cette « cocaïne du pauvre » (l’un des surnoms du crack) et la cocaïne ne tient pas tant aux effets des substances en elles-mêmes qu’aux caractéristiques sociales et ethnoraciales des publics qui les incarnent. </p>
<p>Pour le comprendre, il faut se pencher sur l’histoire du crack.</p>
<h2>Le crack, drogue de l’animalité et de la folie ?</h2>
<p>Le crack est arrivé en France à la fin des années 1980, dans le sillage des États-Unis, avec des <a href="https://harmreductionjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12954-022-00625-5">imaginaires sociaux liés à la précarité sociale, à la communauté afro-américaine et à la guerre des gangs</a>.</p>
<p>Cette nouvelle drogue a rapidement donné lieu <a href="https://www.liberation.fr/vous/1995/06/02/la-france-se-retrouve-au-bord-du-crack-diabolisee-aux-usa-cette-drogue-beneficie-ici-du-mystere-qui-_135742/">à des discours relevant de la « panique morale », dans lesquels le crack était « diabolisé »</a>. Au fur et à mesure que le crack se diffusait en France, son traitement médiatique et politique a produit des imaginaires dévalorisants, renvoyant à <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-inquietante-errance-des-crackeux-a-paris-20221128">l’animalité et la folie</a>. </p>
<p>Les articles dépeignaient une drogue rendant « accro » dès la première prise, relataient des actes de violence commis « sous l’emprise du crack », présentaient les <a href="https://www.nytimes.com/2009/01/27/health/27coca.html">« crack babies »</a>, des bébés dépendants au crack dès leur naissance.</p>
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<p>Aujourd’hui encore, on constate dans les médias que les usagers de crack sont le plus souvent traités comme un groupe anonyme, contrairement aux descriptions des consommateurs de cocaïne, qui dépeignent des publics issus des classes sociales favorisées blanches. Dénommés les <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ces-crackeux-qui-errent-a-paris-20230419">« crackeux »</a>, ils vivent à « zombie land », et font objet de discours renvoyant la figure de l’« autre » : le « pauvre », l’« étranger », le « fou ». </p>
<p>Au-delà de ce discours médiatique « sensationnaliste » et déshumanisant, d’autres enjeux, politiques ceux-là, peuvent aussi expliquer dans une certaine mesure la mauvaise image d’une substance.</p>
<h2>Un motif de contrôle social</h2>
<p>La lutte contre les drogues peut être un moyen détourné visant à servir de prétexte pour atteindre d’autres fins politiques, comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=eJtF9fWYIIM">contrôle social de groupes perçus comme dangereux</a>. </p>
<p>Ainsi, le caractère répressif de la loi sur 31 décembre 1970 régissant l’usage de drogues en France peut être interprété comme une volonté de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-drogues_consommation_interdite_la_genese_de_la_loi_de_1970_sur_les_stupefiants_jacqueline_bernat_de_celis-9782738444806-5779.html">contrôler les jeunes contestataires de mai 68</a>. De l’autre côté de l’Atlantique, la guerre contre la drogue menée aux États-Unis a été analysée comme une volonté de réprimer les communautés afro-américaines par leur incarcération massive, selon l’analyse de Michelle Alexander, activiste et spécialiste des droits civiques, dans son ouvrage <a href="https://newjimcrow.com/"><em>the New Jim Crow</em></a>. </p>
<p>Cette dimension de contrôle social s’incarne ainsi dans le différentiel des sanctions proposées aux États-Unis : jusqu’en décembre 2022, les peines étaient beaucoup plus lourdes pour les usagers de crack. </p>
<h2>Deux drogues, deux discours publics</h2>
<p>En France, les discours publics sur la problématique du crack sont construits en miroir des représentations dévalorisantes dont fait l’objet cette drogue. Le traitement médiatique et politique du crack se traduit par un discours dominé par l’exclusion, la répression et la stigmatisation. </p>
<p>Le contraste par rapport au traitement de la cocaïne est saisissant : celle-ci est présentée le plus souvent comme un problème relevant de la sphère privée, et nécessitant une prise en charge de la personne dépendante. </p>
<p>Certes, <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/affaire-palmade-dans-les-medias-loverdose-20230304_IPSI2UZVGZE6LKMHDK3W53TL7A/">« l’hystérie médiatique » autour de Pierre Palmade</a> a mis en évidence la “dangerosité” de la conduite automobile sous cocaïne. Mais cette affaire a surtout donné lieu à un discours public axé sur l’obligation de soins et le renforcement des sanctions, en favorisant le cadrage sanitaire. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des « cailloux » de crack." src="https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=665&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=665&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=665&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537593/original/file-20230715-123600-ttindx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des « cailloux » de crack.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crack_(stup%C3%A9fiant)#/media/Fichier:Rocks_of_crack_cocaine.jpg">Drug Enforcement Administration / Gouvernement fédéral des États-Unis / Wikimedia Commons</a></span>
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</figure>
<p>Le crack, au contraire, fait l’objet le plus souvent d’un <a href="https://theconversation.com/drogues-dans-lespace-public-quelle-ethique-de-la-ville-pour-les-candidats-aux-presidentielles-169141">cadrage sécuritaire</a> relevant de la <a href="https://laviedesidees.fr/Faut-il-enfermer-les-fumeurs-de-crack">gestion de « publics considérés comme indésirables » qu’il faudrait « enfermer »</a> et mettre à l’écart.</p>
<p>Cette mise à l’écart est à la fois sécuritaire et sanitaire. Ainsi, de septembre 2021 à 2022, plusieurs centaines d’usagers de crack ont vécu dehors, <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/crack-a-paris-une-nouvelle-evacuation-des-toxicomanes-ordonnee-par-darmanin-et-lallement-20210924_XWWA3W56XVHUFFG5BHNB3VL25I/">dans un campement insalubre dénommé Forceval</a>, porte de la Villette, entre Aubervilliers et Pantin, des communes limitrophes de Paris. </p>
<p>Ces personnes ont été déplacées de force à plusieurs reprises par les forces de l’ordre dans ce quartier de banlieue populaire, après avoir vécu plusieurs mois dans Paris, dans un jardin public. Ces déplacements ont créé une scène ouverte de drogues (la scène de Forceval), un lieu où se mêlent trafic et usage, de jour comme de nuit, au même endroit. </p>
<p>Désordre public, violence, insalubrité… Ces scènes ouvertes génèrent des problèmes dont souffrent non seulement les riverains, mais aussi les usagers. </p>
<p>Malgré ce constat, la réponse apportée par les autorités n’a pas eu les effets escomptés. À ce titre, le cas d’Aubervilliers est emblématique.</p>
<h2>Éloigner et enfermer</h2>
<p>À Aubervilliers, chaque semaine durant une année, des habitants du quartier désespérés ont manifesté avec le slogan « Soignez-les, protégez-nous ! » afin que des solutions soient mises en œuvre par les pouvoirs publics. </p>
<p>Certains politiques ont à nouveau interprété ce slogan comme une demande de déplacement et d’enfermement. S’il s’agissait cette fois de forcer les usagers à se sevrer loin de Paris, à la campagne, les logiques de déplacement et d’enfermement demeuraient similaires à la logique sécuritaire. Et c’est bien le problème.</p>
<p>Si les troubles sont bien réels, cette approche ne tient pas compte de l’expérience des usagers, qui peuvent eux-mêmes être des individus en situation de vulnérabilité. Elle accorde peu d’intérêt ou de valeur à leurs conditions d’existence. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537594/original/file-20230715-99683-m2ur33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des riverains manifestent pour demander le démantèlement d’un campement à Aubervilliers, dans le nord de Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane de Sakutin / AFP</span></span>
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</figure>
<p>Dans les discours publics portés par le gouvernement, c’est la dimension ordre public qui domine. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, très présent dans ce débat, a annoncé régulièrement « vouloir « frapper beaucoup plus fort » pour <a href="https://www.dailymotion.com/video/x8cliqa">« éradiquer le crack »</a>. </p>
<p>Dans ce contexte, la réponse politique a été de laisser ce camp subsister durant une année et de construire un mur à Forceval, sous la supervision de l’ancien préfet de police Didier Lallement. Qualifiée de <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/crack-ce-mur-est-le-symbole-de-lechec-de-la-politique-francaise/">« mur de la honte »</a>, cette construction a non seulement symbolisé la mise à l’écart des usagers de crack, mais aussi l’échec de l’État français dans sa politique des drogues. </p>
<h2>Miser sur la réduction des risques plutôt que sur la répression</h2>
<p>La stratégie politique mise en œuvre jusqu’à présent, qui laisse des usagers de crack et des habitants des quartiers populaires vivre dans des espaces de non-droit constitue une violence d’État vis-à-vis de publics en situation de fragilité. </p>
<p>Déplacées, les scènes ouvertes se reforment. Cette politique répressive accentue les dommages, les désordres et les souffrances tant pour les usagers que pour les riverains et aboutit à une impasse, symbolisée par le mur de Forceval. Preuve de son inefficacité, les scènes ouvertes se disséminent aujourd’hui dans différentes villes de France, comme à <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/drogue-avec-l-augmentation-du-crack-a-bordeaux-tout-un-quartier-est-en-detresse-2551576.html">Bordeaux</a> par exemple.</p>
<p>Pourtant, d’autres solutions existent, qui permettraient de pallier cet échec. Elles nécessitent de <a href="https://esprit.presse.fr/article/jean-maxence-granier-et-marie-jauffret-roustide/repenser-la-politique-des-drogues-introduction-39223">repenser les politiques des drogues</a> à partir d’une approche de réduction des risques qui promeut la santé, le soin, l’inclusion sociale et la capacité d’agir des usagers et la pacification de l’espace public pour les riverains. </p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/consommateurs-de-crack-quelles-solutions-adopter-7525933">Mal connues en France</a>, ces politiques ne s’opposent pas au sevrage. S’inscrivant dans une démarche de soin, elles sont complémentaires de la lutte contre les trafics. Elles ont fait la preuve de leur efficacité pour mettre fin aux scènes ouvertes de consommation <a href="https://theconversation.com/les-villes-face-a-lusage-de-drogues-dans-lespace-public-quels-modeles-hors-de-nos-frontieres-133083">chez nos voisins européens</a> </p>
<h2>Les cas de la Suisse et du Danemark</h2>
<p>Dès 1986, <a href="https://www.rts.ch/info/economie/11073175-le-letten-scene-ouverte-de-la-drogue-a-zurich-fermait-il-y-a-25-ans.html">la Suisse a mis fin aux scènes ouvertes qui rassemblaient des milliers d’usagers consommant à ciel ouvert</a> dans des parcs de Zürich ou de Berne grâce à une politique de réduction des risques volontariste et à l’ouverture de salles de consommation à moindre risque. Implantées aujourd’hui sur tout le territoire suisse, elles ont permis d’améliorer considérablement le quotidien des usagers de drogues et des habitants. </p>
<p>Le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/salles-de-shoot/crack-a-paris-3-exemples-europeens-de-prise-en-charge-des-consommateurs-de-drogues-dures-dont-pourrait-s-inspirer-la-france_4786227.html">Danemark</a> a également implanté des salles de consommation à moindre risque à Copenhague. Ce pays scandinave a fait le choix de l’inclusion sociale des usagers en favorisant leur accès à l’hébergement et en implantant ces dispositifs à côté d’espaces de sociabilité tels que des bars, restaurants, salles de spectacle, où différentes populations se côtoient. </p>
<p>Pour être efficaces, ces deux pays ont mis en œuvre des projets de collaborations entre la police et les travailleurs médico-sociaux qui œuvrent ensemble afin de produire une ville plus inclusive. Ils ont fait le choix de considérer qu’améliorer la santé et la situation sociale des usagers de drogues fait partie de la responsabilité de l’État et de la ville. Le pari étant que cela contribue également à pacifier la vie quotidienne des habitants. </p>
<p>La réduction des risques est une politique pragmatique, qui produit des bénéfices pour les deux parties prenantes impactées par les scènes ouvertes de drogues : les usagers qui vivent sur ces scènes et les riverains en proximité. </p>
<h2>Une demande de mise à l’abri</h2>
<p>Dans mes terrains d’<a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/resultats/synthese-des-principaux-resultats-de-letude-crack-en-ile-de-france/">enquête sociologique</a>, les entretiens menés avec les usagers de crack rendent compte de la dureté extrême de leurs conditions de vie à la rue et de l’opprobre social qu’ils subissent. Bon nombre d’usagers utilisent le crack pour supporter les difficultés auxquelles ils sont confrontés, et en particulier la <a href="https://www.rfi.fr/en/france/20211016-no-quick-fix-for-paris-s-growing-crack-cocaine-problem-drugs">violence de la vie à la rue</a>.</p>
<p>Le crack permet de soulager les souffrances liées à des trajectoires de vie difficiles, les violences subies, d’oublier sa vie et le regard des autres le temps d’une consommation. Ainsi, Katia (les prénoms ont été modifiés), 50 ans, expose ce qui l’amène à consommer : « Tout d’un coup, tout d’un coup plus de problèmes, tu te rends pas compte que t’es dans la rue, tu te rends pas compte que t’as plus de vie, que les gens te regardent comme un chien et tout… t’oublie tout »</p>
<p>Surtout, les discours des usagers révèlent leur souhait d’être à l’abri, tel Ousmane, 40 ans : « Cela va faire 20 ans que je suis à la rue… Je n’en peux plus, je suis fatigué de la rue, de tout ça… J’ai besoin d’un hébergement ». Une condition sine qua none pour parvenir à mettre à distance le produit qui envahit leur quotidien. Comme l’exprime David, 24 ans : « Quand on est dans la rue, c’est la vadrouille parce qu’on n’a pas d’endroit vraiment pour se poser. Donc, on va occuper nos journées en fumant du crack parce qu’on voit pas nos journées défiler en fumant du crack. »</p>
<p>Ils mentionnent également se sentir enfin respectés dans les lieux de réduction des risques qui les accueillent, tel que le dit Ali, 43 ans : « Ils nous offrent à manger, à boire, ce qui est très important. On peut s’asseoir, on peut se regarder, il y a de la musique. En plus, on peut prendre une douche […] C’est très important qu’on puisse avoir le respect de la dignité. »</p>
<p>Quand les usagers de drogues bénéficient d’une prise en charge adaptée, en phase avec leurs besoins, les bénéfices sont individuels et collectifs. Les scènes ouvertes disparaissent et la prise en charge des usagers est respectueuse des droits humains.</p>
<h2>Une approche qui peine à s’imposer en France</h2>
<p>La France a, elle aussi, mis en place des <a href="https://www.federationaddiction.fr/unions-regionales/ile-de-france/crack-a-paris-les-propositions-des-professionnels-pour-mettre-fin-aux-scenes-ouvertes-de-consommation/">initiatives de réduction des risques</a>. Des <a href="https://drogueshs.hypotheses.org/942">espaces de dialogue entre habitants et usagers de crack</a> ont également été ouverts, comme celui instauré par le <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/230622/scene-ouverte-du-crack-eradiquer-ou-integrer">dispositif Agora</a>. Dans ces espaces de citoyenneté, on considère que la <a href="https://congres.federationaddiction.fr/fr/programme/live/6441479bbcd5de00894d611c">parole des usagers de drogues</a> et la diversité de la parole des riverains, souvent invisibilisées, doivent être replacées au centre du débat public.</p>
<p>Ces initiatives sont cependant constamment freinées par la dimension répressive de l’approche des drogues dans notre pays. Celle-ci empêche le développement de dispositifs de prise en charge pluridisciplinaires tels que les <a href="https://www.federationaddiction.fr/unions-regionales/ile-de-france/resoudre-la-crise-du-crack-cest-possible-haltes-soins-addictions-et-soin-residentiel-sont-des-solutions-complementaires/">haltes « soins addiction »</a> inscrites dans la loi de santé publique de 2022. </p>
<p>Soulignons cependant que l’arrivée du nouveau préfet de Paris, Laurent Nunez, en juillet 2022, s’est accompagnée d’un discours sensiblement différent sur le crack. À la veille de l’évacuation du camp de Forceval le 15 septembre 2022, il <a href="https://www.bfmtv.com/paris/paris-le-prefet-de-police-laurent-nunez-veut-eradiquer-le-trafic-de-crack-d-ici-un-an_AN-202209150307.html">déclarait</a> que « l’action ne peut pas être que policière et répressive, elle doit aussi être sanitaire et sociale ». Son discours est donc plus en phase avec celui de l’agence régionale de santé et celui de la ville de Paris porté par <a href="https://www.liberation.fr/portraits/anne-souyris-sante-pour-tous-20230428_CKTIWB2DRZDEHLMZ42KD55HKVU/">l’adjointe à la santé Anne Souyris qui promeut une approche de réduction des risques</a>.</p>
<p>Espérons qu’il s’agit là d’une amorce de changement, car pour l’heure, le traitement politique des usagers de crack et des riverains des scènes ouvertes met en évidence l’existence de <a href="https://laviedesidees.fr/Didier-Fassin-La-vie-Mode-emploi-critique">« hiérarchies morales » qui accordent des valeurs différentes à la vie des personnes qui constituent notre société</a>, pour reprendre l’expression de l’anthropologue Didier Fassin. Cette situation éclaire d’une lumière crue les failles de notre démocratie, qui est encore loin de parvenir à déployer équitablement les principes d’égalité, de liberté et de fraternité qui la fondent…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Jauffret-Roustide a mené plusieurs études sur la prise en charge des usagers de crack dont une recherche intitulée Crack en Ile de France menée en collaboration entre l'Inserm et l'OFDT.
<a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/resultats/synthese-des-principaux-resultats-de-letude-crack-en-ile-de-france/">https://www.ofdt.fr/publications/collections/resultats/synthese-des-principaux-resultats-de-letude-crack-en-ile-de-france/</a>
Cette recherche a bénéficié d'un financement de la ville de Paris, de la Mildeca et de l'Agence Régionale de Santé d'Ile de France. Ce budget a servi à financer le salaire d'assistants de recherche. Le salaire de Marie Jauffret-Roustide est pris en charge par l'Inserm, aucune rémunération n'a été reçue de la part de ces financeurs.
</span></em></p>Cocaïne et crack sont des drogues apparentées : le second est un produit dérivé de la première. Pourtant, leurs images et leurs traitements médiatique ou politique sont radicalement différents. Pourquoi ?Marie Jauffret-Roustide, Chargée de recherche, sociologue et politiste, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2067962023-07-18T18:30:46Z2023-07-18T18:30:46ZCannabis, mais aussi alcool et tabac : chez les jeunes, une consommation de drogues en baisse ?<p>Si les politiques des drogues restent très clivées, un point fait aujourd’hui consensus : la protection des mineurs. C’est notamment dû à leur vulnérabilité et aux dommages que ces substances peuvent causer à leur corps, plus particulièrement à leur cerveau, encore en maturation. C’est aussi lié au fait qu’à cet âge, on prend des habitudes qui peuvent se révéler problématiques, voire dangereuses, pour la santé toute la vie. On s’accorde donc à vouloir préserver les populations les plus jeunes des dégâts parfois irréversibles que peuvent causer ces produits.</p>
<p>Soulignons cependant qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant longtemps, la consommation de tabac et d’alcool <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-01-04/pourquoi-servait-on-du-vin-aux-enfants-dans-les-cantines-scolaires-francaises-jusqu-en-1956-b6580c58-f21d-4fdf-aeba-2eb7cd06932e">n’était pas interdite aux mineurs</a>, voire, dans certains milieux, familiaux et professionnels, encouragée. Ainsi, le vin Mariani, qui contenait de la cocaïne, conseillait sur son étiquette une dose d’un verre à Bordeaux pour les adultes, précisant que, <a href="https://angelomariani.files.wordpress.com/2016/09/img_0e.jpg">pour les enfants, un verre à Madère est suffisant</a> !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-sensibiliser-les-jeunes-aux-dangers-de-lalcool-sur-les-reseaux-sociaux-191875">Comment sensibiliser les jeunes aux dangers de l’alcool sur les réseaux sociaux ?</a>
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<p>De nos jours, la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/288604-drogues-une-consommation-en-baisse-chez-les-jeunes-de-17-ans">consommation de substances psychoactives</a> semble globalement en recul chez les plus jeunes.</p>
<p>À quoi cela est-il dû ? Les campagnes de prévention sont-elles efficaces ? Qu’est-ce qui influence les comportements des adolescents ? Ce questionnement est complexe car le lien de causalité peut difficilement être prouvé. Les différentes études réalisées montrent une pluralité de facteurs, en plus de considérations psychologiques (mal-être, dépassement des limites, recherche de sensations inédites, de plaisir, de performances, goût de l’interdit, etc.) qui varient selon les individus.</p>
<h2>Un marketing des drogues qui cible les jeunes</h2>
<p>Si l’environnement social et familial joue assurément un grand rôle, le marketing des drogues doit être pris en compte, et, depuis Mariani, il a beaucoup évolué. Il s’est non seulement appuyé sur une forme classique de publicité, mais a aussi utilisé les créations audiovisuelles. <a href="https://www.slate.fr/story/154304/histoire-cigarette-tabac-cinema">Hollywood</a> et ses producteurs ont ainsi pu compter sur le soutien financier de l’industrie du tabac, parfois dans des dessins animés pour enfants comme les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Pierrafeu">Flintstones</a> (les Pierrafeu en français).</p>
<p>Comme la cigarette au bec des héros de westerns ou de films policiers, le verre d’alcool ou la bière prisés par les protagonistes de fictions ont probablement contribué à banaliser ces types de consommations auprès des jeunes publics ; il en fut de même pour les <a href="https://journals.openedition.org/contextes/4453">scènes « amusantes » d’ivresse dans les comédies</a>, qui contournèrent les codes moraux alors en vigueur outre-Atlantique. Mais le marketing ne s’arrête pas là pour les producteurs d’alcool, les directives actuelles concernant le packaging des paquets de cigarettes présentant désormais des messages préventifs explicites ne s’appliquant pas aux bouteilles ou canettes, qui peuvent, par leur forme ou leurs couleurs, encore largement séduire.</p>
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<p>Pour les drogues dites illégales, et en particulier le cannabis, une forme de marketing artistique en direction des jeunes existe également. En plus d’un ensemble de <a href="https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/LIRSA-CNAM/hal-03346361v1">films et séries qui ont banalisé l’usage de joints</a>, la scène musicale a extrêmement popularisé la « fumette », de nombreuses célébrités, depuis les années 1960-1970, exposant leur consommation. Un genre musical, le <a href="https://www.castorastral.com/livre/le-reggae/">reggae</a>, a même contribué à donner une sorte de dimension culturelle à toute une génération de fumeurs de ganja.</p>
<p>Plus récemment, sur un tout autre registre, on observe dans nos cités, où les dealers, c’est à noter, sont parfois mineurs, de véritables campagnes de publicité pour certains points de vente et des emballages coloriés, représentant parfois des personnages/visuels de la pop culture (dessins animés, jeux vidéos, <a href="https://www.bfmtv.com/societe/le-choix-de-marie-nutellhash-haribeuh-chitapic-les-nouvelles-techniques-marketing-des-vendeurs-de-cannabis-qui-inquietent_VN-202304070070.html">marques de bonbons détournées</a>).</p>
<h2>Des campagnes de prévention efficaces ?</h2>
<p>Pourtant, en dépit des efforts de tous ces marketeurs, l’usage de drogues semble reculer chez les jeunes. <a href="https://www.ofdt.fr/files/2916/8543/2322/OFDT_Tendances_ESCAPAD_VF.pdf">Dans sa dernière enquête Escapad</a>, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) indique une baisse continue et générale des trois principales substances consommées par les adolescents – le tabac, l’alcool et le cannabis – même si certains groupes sociaux paraissent plus fragiles, comme les élèves en filière professionnelle ou les jeunes déscolarisés.</p>
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<figcaption><span class="caption">1983 : Les jeunes et l’alcool (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Comme le notait Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (Mildeca), dans le deuxième numéro de la revue en ligne <a href="https://esd.cnam.fr/actualite/revue-politiques-des-drogues/revue-politiques-des-drogues-1275624.kjsp?RH=1479718129770"><em>Politiques des drogues</em></a>, cette nette tendance à la baisse est perceptible depuis une dizaine d’années. D’après lui, un ensemble de programmes et de campagnes de prévention, parfois dès le plus jeune âge, ont notamment contribué à donner aux jeunes les compétences psychosociales susceptibles de renforcer la prévention de conduites à risques. D’autres initiatives ont permis à des élèves d’échanger en classe avec des <a href="https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-03615883v1/document">policiers formateurs anti-drogue</a>, tandis que des méthodes plus pointues sont conçues, comme la <a href="https://www.revue-interrogations.org/La-fiche-Ageven-entre-outil-de,436">fiche Ageven</a>, qui questionne les parcours de consommation à l’adolescence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vers-des-generations-de-non-fumeurs-oui-mais-comment-192225">Vers des générations de non-fumeurs : oui, mais comment ?</a>
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<p>Face à toutes ces actions, il convient cependant de rester prudent. Il faut tout d’abord mentionner que les chiffres qui montrent ces diminutions des usages, par définition, ne sont pas totalement fiables.</p>
<p>Quand on parle d’une population représentative de quelques milliers de jeunes (sollicités lors de la journée défense et citoyenneté pour l’enquête Escapad), on peut légitimement s’interroger sur les critères qui ont permis de constituer l’échantillon et d’affirmer cette représentativité, mais aussi sur la véracité des déclarations des adolescents, gênés ou au contraire parfois fiers de parler de leur consommation. Surtout, il serait extrêmement difficile de démontrer un lien de causalité entre ces politiques publiques de prévention et les baisses constatées, quand bien même on peut penser à une contribution – mais dans quelle proportion ?</p>
<h2>Une consommation de nouveaux produits</h2>
<p>En considérant cependant comme établi cette baisse pour les trois produits phares, le fait est que le secteur des drogues étant particulièrement dynamique, des produits originaux voient régulièrement le jour, parvenant à capter de nouveaux clients.</p>
<p>Ainsi, alors qu’aujourd’hui la consommation classique du tabac a nettement diminué chez les jeunes, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cigarettes-electroniques-76129">cigarettes électroniques</a> connaissent au contraire une nette progression. Certains fabricants, jamais à court d’inventivité quand il s’agit de rechercher un profit à la fois rapide et pérenne grâce aux addictions induites, ont mis au point les « puffs », e-cigarettes avec ou sans nicotine, avec un prix compétitif, un emballage attractif, des saveurs sucrées et fruitées qu’apprécient les adolescents, et que <a href="https://www.academie-medecine.fr/la-puff-nouvelle-cigarette-electronique-jetable-un-piege-pour-les-enfants-et-les-adolescents/">l’Académie de médecine</a> considère comme un piège pour les enfants. Le gouvernement français songe d’ailleurs à <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/interdiction-souhaitee-des-cigarettes-electroniques-puffs-il-faut-agir-rapidement-pour-arreter-cette-epidemie-avertit-le-comite-national-contre-le-tabagisme_5804993.html">interdire</a> les puffs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Puff : quels sont les risques des cigarettes électroniques jetables pour la santé des jeunes ? (Le blob, avril 2023).</span></figcaption>
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<p>Le recours à des produits complètement légaux, mais détournés de leur utilisation habituelle, menace aussi les jeunes publics. Colles, éther, eau écarlate, solvants, etc., qui peuvent détruire les cellules du cerveau, sévissent tout particulièrement auprès des enfants des rues, comme ce fut le cas en Roumanie ou encore en <a href="http://www.medinapart.com/2012/03/13/colle-et-diluant-les-enfants-aussi-ont-leur-drogue/">Tunisie</a>. Récemment, c’est le <a href="https://www.chu-lyon.fr/alerte-sur-lusage-detourne-du-protoxyde-dazote-gaz-hilarant">protoxyde d’azote (gaz hilarant)</a> qui a beaucoup fait parler de lui en France, avec une propagation de ses usages.</p>
<p>Illégale, mais également facilement accessible et peu onéreuse, une autre drogue paraît actuellement connaître un fort succès auprès des jeunes, le « buddha blue », cannabinoïde de synthèse qui s’avère bien plus dangereux que le cannabis naturel et <a href="https://www.20minutes.fr/sante/4024101-20230220-buddha-blue-drogue-marketee-jeunes-beaucoup-plus-dangereuse-cannabis">marketé spécialement pour les adolescents</a>, qui peuvent s’en procurer facilement sur Internet. Le cannabis naturel, qui est toujours consommé en masse en France, s’est ainsi un peu « ringardisé », <a href="https://actu.fr/societe/des-consommateurs-de-cannabis-de-plus-en-plus-vieux-ca-met-de-cote-les-soucis_56302598.html">ses utilisateurs étant de plus en plus vieux</a>.</p>
<p>Finalement, si la drogue n’est donc plus nécessairement, comme ce fut le cas dans les années 1960-80, <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-drogues_la_longue_marche_bertrand_leibovici-9782140301117-75012.html">l’apanage d’une jeunesse contestataire</a>, les nouveaux usages et produits semblent conserver quand même quelques invariants, en particulier leur faible coût et leur accessibilité. Or ce sont deux paramètres contre lesquels les politiques publiques ciblant les jeunes ont justement montré une certaine efficacité, en tout cas pour l’alcool et le tabac, c’est-à-dire les drogues dites légales…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonny Perseil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La consommation de tabac, d’alcool et de cannabis serait globalement en recul chez les plus jeunes. Est-ce le résultat des politiques de prévention ? Ou est-ce lié au succès de nouvelles drogues ?Sonny Perseil, HDR en science politique et sc. de gestion, Lirsa EA4603, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2083112023-07-17T19:22:06Z2023-07-17T19:22:06ZTrafic de stupéfiants : comment l’économie légale se rend co-responsable<p>Et si l’économie légale endossait une responsabilité non négligeable dans l’<a href="https://www.lepoint.fr/dossiers/monde/cocaine-europe-drogue-trafic-france-narcos/">explosion actuelle du trafic de stupéfiants</a> et en particulier de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/drogue-explosion-de-la-consommation-de-cocaine-en-france_5668124.html">cocaïne</a> ? On a souvent tendance à penser la réalité de façon manichéenne avec, d’un côté, le <a href="https://theconversation.com/topics/commerce-illegal-37412">monde de l’illégal</a> recourant communément à la violence et, de l’autre, une sphère légale, par essence saine et pacifique, prospérant indépendamment du crime.</p>
<p>La réalité est bien <a href="https://www.puf.com/content/La_face_cach%C3%A9e_de_l%C3%A9conomie">moins binaire</a>. Le comprendre devient un impératif afin de mieux combattre la banalisation de la consommation de stupéfiants en France et ailleurs. Cette consommation affecte nos économies, nos systèmes de santé et même nos <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-cocaine-represente-une-menace-pour-les-democraties-europeennes-27-11-2022-2499382_24.php">démocraties</a> avec les sommes d’argent dont dispose le commerce illégal à des fins de corruption, comme l’expliquait récemment au <em>Point</em> le directeur du Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les <a href="https://theconversation.com/topics/drogues-27914">stupéfiants</a> regroupant six pays européens.</p>
<p>Trois exemples de détournement d’outils légaux au profit des narcotrafiquants illustrent comment l’économie légale fournit – parfois sciemment – des instruments de développement des activités criminelles, dont le trafic de stupéfiants. Il s’agit des <em>trust and company service providers</em>, des fournisseurs de <a href="https://theconversation.com/topics/telecommunications-33904">messagerie cryptée</a> et des infrastructures <a href="https://theconversation.com/topics/port-35998">portuaires</a>.</p>
<h2>Déclarer légalement une entreprise de couverture</h2>
<p>Le terme de « sociétés-écrans » revient régulièrement lorsqu’il s’agit de trafic de stupéfiants, qu’elles servent de façade légale pour l’activité illégale ou d’outil de blanchiment de l’argent sale.</p>
<p>Des prestataires légaux, les <em>trust and company service providers</em> (TCSP) (« prestataires de services aux sociétés et fiducies »), offrent en toute légalité des services d’enregistrement et de domiciliation des sociétés et fiducies permettant de garantir l’opacité sur la propriété réelle des entités. En quelques clics sur Internet, il est possible d’immatriculer une société dans une place <em>offshore</em> pour une somme modique et sans même forcément se déplacer.</p>
<p>Ces prestataires agissent en toute liberté malgré des <a href="https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/Moneylaunderingusingtrustandcompanyserviceproviders.html">rapports</a> du Groupe d’action financière (Gafi) pointant la responsabilité de ces sociétés dans le blanchiment d’argent. Le Gafi est l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.</p>
<p>En particulier, ces TCSP peuvent proposer, moyennant finance, des « directeurs désignés » (nominee directors), c’est-à-dire des personnes dont le nom apparaitra dans les registres en lieu et place du nom du véritable propriétaire (<em>beneficial owner</em>). Ils ne disposent d’aucun pouvoir opérationnel et décisionnel dans la société, n’ont pas non plus de droit d’accès ou de regard sur les comptes bancaires de la société : dit autrement, ce sont des hommes de paille. Cette option est évidemment fort appréciée des narcotrafiquants.</p>
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<p>L’approvisionnement de la France se fait via des organisations internationalisées pour l’import de gros. Ce sont ces organisations qui ont des sociétés-écrans. La <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-OFFSHORE-707-1-1-0-1.html">lutte est compliquée</a> car elle suppose de s’immiscer dans la souveraineté des places offshore. Le traçage des flux financiers est aussi difficile du fait de la multiplication des juridictions dans lesquelles les sociétés et les comptes bancaires associés sont créés.</p>
<h2>Des « WhatsApp » pour gangsters</h2>
<p>Les fournisseurs de messagerie cryptés ne peuvent pas non plus se dédouaner de certaines responsabilités. L’<a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/enquetes/2020/retour-sur-l-affaire-encrochat">opération d’infiltration d’EncroChat</a> menée en 2020 sous l’égide d’Europol et d’Eurojust l’a bien mis en évidence. Elle a permis aux forces de l’ordre de divers pays associés d’accéder à plus de 120 millions de messages cryptés largement émis par des acteurs du narcobanditisme. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/constitutionnalite-d-une-preuve-penale-classee-secret-defense">jugé</a> que les éléments collectés ainsi par des moyens classés secret défense pouvaient être utilisés dans un procès sans porter atteinte aux droits de la défense.</p>
<p>C’est grâce à une société légale, EncroChat, vite surnommée « le WhatsApp des gangsters », qu’ils ont été envoyés. Les activités de cette entreprise de télécommunications des Pays-Bas ont cessé en juin 2020 juste après la révélation de l’infiltration du système par les forces de l’ordre.</p>
<p>Aujourd’hui placée sous enquête, l’entreprise proposait des téléphones modifiés aux fonctionnalités propres à attirer spécifiquement des organisations criminelles. Sans micro, ni caméra, ni GPS, ces téléphones n’étaient pas traçables. Ils étaient également reliés à un système de messagerie chiffrée.</p>
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<p>Via ce canal, les criminels géraient divers points du trafic : organisation logistique de l’acheminement des stupéfiants, règlements des factures, approvisionnement en armes, location de services illégaux tels que des tueurs à gages… Toutes ces opérations pouvaient être réalisées en des temps record. Outre le cryptage des messages, le système offrait un ensemble d’options utiles aux activités criminelles. On retrouvait notamment la possibilité d’utiliser un code PIN spécifique pour effacer toutes les données du téléphone et pour afficher de fausses interfaces de nature à dérouter les enquêteurs qui se saisiraient de l’objet.</p>
<p>Assurant que l’offre de tels services n’était pas problématique, les dirigeants d’EncroChat ont toujours prétendu que le cryptage, le non-traçage et l’effacement des données répondaient à des besoins typiques des journalistes ou bien des activistes, donc de personnes craignant que leurs actions soient espionnées sans pour autant s’inscrire dans l’illégalité.</p>
<p>L’analyse par les forces de l’ordre des messages interceptés montre cependant que la quasi-totalité d’entre eux conduit à des membres d’organisations criminelles comme la Mocro-Maffia néerlandaise ou le cartel de Sinaloa. Sans boutiques, ni revendeurs officiels, il était d’ailleurs quasi nécessaire d’être coopté par le membre d’une organisation criminelle pour acquérir un « Encro ».</p>
<h2>Des ports qui ne s’estiment pas responsables</h2>
<p>Nombre de messages décryptés par les autorités concernaient l’organisation du transport des stupéfiants, notamment de la cocaïne. Or le mode principal d’acheminement des drogues reste la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-4-page-119.htm">voie maritime</a>. Cela pose la question stratégique des zones portuaires et de l’utilisation en ces endroits d’infrastructures légales par des organisations criminelles.</p>
<p>Récemment, l’actualité a braqué les projecteurs sur les ports d’<a href="https://www.courrierinternational.com/article/drogues-anvers-et-rotterdam-points-d-entree-du-marche-europeen-de-la-cocaine">Anvers et de Rotterdam</a>, principaux ports européens et portes d’entrée de la cocaïne en Europe. Des saisies ont toutefois montré que d’autres ports européens sont concernés, en particulier, pour ce qui est de la France, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/seine-maritime/havre/drogue-pres-de-2-tonnes-de-cocaine-saisies-sur-le-port-du-havre-le-19-fevrier-2724110.html">Le Havre</a>, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/brest/saisie-de-343-kilos-de-cocaine-pres-de-brest-un-homme-interpelle-2796350.html">Brest</a> et <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/quelque-400-kg-de-cocaine-saisis-par-les-douanes-sur-le-port-de-montoir-lundi-soir-a61f768a-f3dd-11ed-9f02-f7c1b8f6226c">Montoire-de-Bretagne</a>.</p>
<p>Le commerce mondial ne cesse de croître et passe à 90 % par les voies maritimes. D’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) ce sont plus de <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/rmt2022overview_fr.pdf#page=5">11 milliards de tonnes de marchandises</a> qui circulent annuellement dans le monde sur des porte-conteneurs et des vraquiers. Loin de se répartir harmonieusement entre les différents ports, l’activité commerciale maritime est extrêmement <a href="https://www.mdpi.com/2220-9964/10/1/40">polarisée</a> avec de grands ports se livrant une concurrence sans merci pour capter toujours plus de flux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Avec seulement 2 % de containers inspectés à Rotterdam, la porte est ouverte pour faire circuler en quantité importante des marchandises illégales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guilhem Vellut/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cela se traduit par une <a href="https://theconversation.com/transport-maritime-40-ans-de-course-au-gigantisme-206780">course au gigantisme</a> des infrastructures – en réponse aussi au développement des capacités de charge des nouvelles générations de super porte-conteneurs – et à la rapidité de traitement du dépotage des cargaisons. Le <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/rotterdam-10e-port-mondial-en-2019">port de Rotterdam</a> se targue ainsi de fonctionner <a href="https://www.marfret.fr/ports/rotterdam/">24h/24, 365 jours/365</a> et de prendre en charge un conteneur toutes les six secondes.</p>
<p>Naturellement, la quête d’une extrême fluidité dans la circulation des marchandises s’accommode mal du ralentissement induit par d’éventuels contrôles sur la nature – légale ou non – des marchandises. Au nom de l’efficience économique, le choix a clairement été fait de peu contrôler : environ <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cocaine/reportage-saisies-records-de-cocaine-le-port-belge-d-anvers-plus-que-jamais-cible-par-les-narcotrafiquants_5593875.html">2 % des marchandises seulement sont inspectés</a>, totalement ou partiellement, à Anvers et Rotterdam, au détriment de la sécurité.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Cela ouvre des possibilités majeures de dissimulation de marchandises illégales au milieu des chargements légaux avec un risque de détection faible. À cela s’ajoutent des stratégies pour dévier d’éventuels contrôles, là aussi en exploitant les failles de l’économie légale. Les organisations criminelles vont exploiter leur capacité de corruption pour obtenir la complicité de professions clefs comme les dockers, les douaniers, les transporteurs. Cette corruption passe par des pots-de-vin mais aussi par des pressions (menaces, éventuelles violences) sur les personnes.</p>
<p>Si le rôle des ports dans l’entrée de stupéfiants sur nos territoires est avéré, la route semble pourtant encore longue pour que les autorités portuaires en endossent pleinement la responsabilité si l’on en croit cet extrait du <a href="https://reporting.portofrotterdam.com/FbContent.ashx/pub_1011/downloads/v230308163517/Highligths-Annual-Report-2021-Port-of-Rotterdam-Authority.pdf#page=12">rapport annuel d’activité 2021 du port de Rotterdam</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le crime lié aux stupéfiants au port a régulièrement été dans l’actualité l’année dernière. S’attaquer à la criminalité subversive est un défi posé à la société dans son ensemble qui, à strictement parler, n’est pas de la responsabilité de l’Autorité du Port de Rotterdam. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, une lutte efficace contre le trafic de stupéfiants doit intégrer le fait que l’économie légale fournit des « facilitateurs » auxquels il convient également de s’attaquer dans une logique d’entrave aux trafics.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clotilde Champeyrache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Services d’immatriculation de sociétés-écrans, messageries cryptées et modes de régulation des infrastructures portuaires sont autant d’exemples de supports fournis par l’économie légale aux trafics.Clotilde Champeyrache, Associate Professor in Economics, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078442023-07-16T15:34:10Z2023-07-16T15:34:10ZL’héroïne en milieu rural en France : une réalité ignorée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535499/original/file-20230704-17-kolvrh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C5168%2C2902&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le trafic d’héroïne affecte particulièrement le nord-est de la France.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Cavaillon, Avignon, Valence, Villerupt, la vague de règlements de comptes liée aux trafics de drogues, qui touche actuellement les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/drogue-comment-enrayer-la-guerre-des-gangs-dans-les-villes-moyennes_5824271.html">villes moyennes</a>, pose la question de l’extension de leur offre en dehors des grandes métropoles.</p>
<p>Aujourd’hui, aucun territoire ne semble épargné, y compris les <a href="http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxmgvc.pdf">zones rurales</a>. Si celles-ci n’échappent pas au fort développement du <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/20102/Drugstore">marché des drogues</a> à l’œuvre depuis 20 ans, la consommation semble marquée par une spécificité, singulièrement dans les territoires du nord-est de la France : la forte présence de l’héroïne.</p>
<p>Même si on évoque souvent la cocaïne et les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-26-novembre-2022-6949741">drogues de synthèse</a>, l’ampleur, ces dernières années, des saisies d’héroïne témoigne de la persistance de la consommation de cette substance. Après 2020 et 2021, l’année 2022 a été marquée en effet par un nouveau record historique (1,4 tonne confisquée), qui place la France, avec les Pays-Bas, en tête des pays de l’Union européenne en matière de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/dossiers-de-presse/bilan-2022-de-lutte-contre-drogues">saisies</a>.</p>
<h2>Contre-culture et popularisation</h2>
<p>L’usage d’héroïne n’est certes pas une nouveauté. On peut même dire que la problématique a près d’un demi-siècle. C’est en effet à partir de la fin des années 1960 que la France va connaître un essor de la consommation, qui sera symbolisé par la surdose mortelle d’une adolescente de 16 ans à Bandol, laquelle va connaître un écho national et déboucher sur la <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-la-france-et-la-french-connection-retour-sur-les-origines-geopolitiques-de-la-loi-de-1970-152332">loi du 31 décembre 1970</a> qui durcit considérablement les peines contre les trafiquants et les usagers.</p>
<p>À cette époque, la consommation est plutôt circonscrite dans les milieux relevant de la contre-culture, née dans les années post-68, pour laquelle l’usage d’héroïne exprime une forme de contestation de la société. Ce n’est qu’à partir des années 1980, que l’héroïne va toucher d’autres milieux sociaux et notamment celui des jeunes des <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/11/20/heroine-histoire/">banlieues ouvrières</a> dans un contexte de crise et d’implosion du modèle économique hérité des Trente Glorieuses.</p>
<p>Une véritable épidémie se développe. Elle connaîtra son acmé au milieu des années 1990. Le nombre des consommateurs est alors estimé à près de <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">160 000 personnes</a>, tandis que chaque année des centaines de personnes meurent à la suite de surdoses. En outre, les virus du sida et des hépatites, à travers la circulation des seringues, contaminent chaque année des milliers d’usagers.</p>
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<p>Ces réalités inciteront les pouvoirs publics à adopter des politiques plus pragmatiques fondées notamment sur la <a href="https://www.lecrips-idf.net/reduction-des-risques">réduction des risques</a> (RdR) et l’introduction massive à partir de 1995 des traitements de substitution à la méthadone et à la buprénorphine haut-dosage permettant aux personnes dépendantes de s’émanciper du produit et de sa quête quotidienne.</p>
<p>Les effets de cette politique sont spectaculaires. Très rapidement les surdoses décélèrent et le marché connaît un déclin brutal. À l’aube des années 2000, il semble que la dynamique du marché est brisée. L’héroïne passe à l’arrière-plan du paysage des drogues marquée plutôt par l’essor de la visibilité de la cocaïne et des stimulants de synthèse, drogues plus en phase avec <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/08/19/la-cocaine-star-de-la-mondialisation-et-drogue-phare-du-xxi-si%C3%A8cle_6138493_3451060.html">l’esprit du temps</a>.</p>
<h2>Dans les années 2000, une reprise de l’héroïne</h2>
<p>Pourtant, ce recul du marché de l’héroïne ne sera pas durable. Dès le milieu des années 2000, un certain nombre d’indicateurs montre une <a href="https://bdoc.ofdt.fr/doc_num.php?explnum_id=13098">certaine reprise</a>. Les saisies, portées par une <a href="https://theconversation.com/vingt-ans-de-guerre-a-lopium-en-afghanistan-retour-sur-une-deroute-americaine-167851">offre afghane</a> qui ne cesse d’augmenter, reprennent de même que les interpellations d’usagers et de trafiquants locaux.</p>
<p>En matière de consommation, entre 2005 et 2017, le nombre d’expérimentateurs passe de 350 000 à 500 000, tandis que le noyau actif des consommateurs est estimé à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Cela signifie-t-il pour autant un retour à la situation pré substitution ? Non. L’acquis de la RdR, de même que les traitements de substitution ont changé définitivement la donne. L’héroïne tue beaucoup moins que dans les années 1990 et surtout elle a perdu de sa centralité.</p>
<p>Dans un contexte où l’offre légale, voire illégale, de médicaments opioïdes est présente, il existe de multiples alternatives pour les usagers en cas de manque. L’héroïne s’inscrit désormais dans le paysage d’une consommation d’opioïdes très diversifiée. Les enquêtes <a href="https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2003-3-page-57.htm">ethnographiques</a> montrent qu’une partie des usagers sous substitution, ils sont près de 180 000 aujourd’hui en France, en prennent de temps en temps pour rompre la monotonie de leur traitement.</p>
<h2>Une demande dans les zones rurales et le nord-est particulièrement touché</h2>
<p>Mais ce qui a peut-être le plus changé réside dans le paysage sociologique des usages. Aujourd’hui, contrairement aux années 1990, l’héroïne, à l’exception de Lille, a quasiment déserté les métropoles. Les <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/tendances/profils-et-pratiques-des-usagers-recus-en-caarud-en-2019-tendances-142-decembre-2020/">usagers marginalisés</a>, quand ils ne consomment pas de la cocaïne basée, privilégient les sulfates de morphine, tandis que dans les couches plus aisées de la population la mode est plutôt à la cocaïne et aux drogues de synthèse.</p>
<p>Dès lors, d’où la demande du produit provient-elle ? La réponse se situe en partie dans les zones rurales et périurbaines.</p>
<p>Les statistiques des forces de l’ordre permettent de l’appréhender, notamment celles relatives à la part de la gendarmerie dans les saisies d’héroïne, qui est beaucoup plus élevée que pour les autres substances, et leur origine géographique.</p>
<p>Le trafic d’héroïne affecte particulièrement le nord-est de la France, les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Moselle et la Meurthe-et-Moselle faisant partie des dix premiers départements où les services de police saisissent le plus d’héroïne.</p>
<p>En 2009, les dernières données disponibles en matière d’interpellations d’usagers montraient que La Lorraine et le Nord-Pas-de-Calais, soit 10 % de la population française, concentraient près de 40 % du total des consommateurs interpellés en France avec une surreprésentation des ouvriers et des employés. Le cas de la <a href="https://vih.org/20160905/nord-de-la-meuse-lepidemie-dheroine-ignoree/">Meuse</a> et de la région de Verdun, situées en Lorraine, est emblématique de la diffusion de l’héroïne dans l’espace périurbain et rural depuis une dizaine d’années comme en témoigne le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">sociologue Benoît Coquard</a> évoquant cette fraction de la jeunesse rurale qui, faute de diplômes, n’a pu migrer dans les métropoles pour trouver du travail ou poursuivre des études : </p>
<blockquote>
<p>« [Je] parle dans le livre d’un mal, à mon avis, qui est un petit peu méconnu, bien que maintenant, il y a deux, trois reportages là-dessus, c’est la consommation de drogues dures, notamment d’héroïne. Si on prend les départements sur lesquels je travaille à la Meuse et la Haute-Marne, on est sur les départements avec les plus forts taux de consommation d’héroïne. »</p>
</blockquote>
<p>Outre l’usage autochtone, il existe aussi un usage alimenté par l’accélération des mouvements de population que connaît la France depuis une vingtaine d’années des métropoles en direction des zones périurbaines. Ces mouvements affectent bien évidemment les consommateurs eux-mêmes, souvent en situation précaire, qui viennent chercher des conditions de vie plus décentes que dans les grandes villes.</p>
<p>Un des facteurs qui expliquent également le fort ancrage géographique de l’héroïne tient à la proximité des Pays-Bas, le principal <a href="https://www.emcdda.europa.eu/publications/joint-publications/drug-markets_en">hub de redistribution</a> de l’héroïne en Europe occidentale. De multiples réseaux d’usager-revendeurs, issus des territoires ruraux, vont s’y approvisionner à raison de quelques dizaines de grammes. La ville de Maastricht, au sud des Pays-Bas, située à 250 km de la frontière française, propose une héroïne en gros à des prix très attractifs : en moyenne 7 000 euros le kg, soit 7 euros le gramme contre 40 euros en moyenne sur le marché de détail en France. Ce qui la rend accessible à des consommateurs à faible pouvoir d’achat. Les revendeurs en milieu rural, du fait des réseaux très denses d’interconnaissances n’éprouvent, en général, guère de difficultés à écouler leur produit.</p>
<hr>
<p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouvelles-drogues-les-cathinones-de-synthese-circulent-de-plus-en-plus-en-france-187684">Nouvelles drogues : les cathinones de synthèse circulent de plus en plus en France</a>
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</p>
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<p>En matière d’offre, la proximité avec le monde urbain, notamment dans les communes rurales dites <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1648">multipolarisées</a>, facilite un approvisionnement qui s’effectue essentiellement sur les mêmes marchés que ceux fréquentés par les citadins ou selon les mêmes modalités, notamment la livraison à domicile qui touche de plus en plus les zones rurales.</p>
<h2>Rhône-Alpes et mafia albanaise</h2>
<p>Mais, la mutation la plus spectaculaire en matière de trafic d’héroïne en France concerne l’implantation de la mafia albanaise au début des années 2010 dans la région Rhône-Alpes-Auvergne. Il semble que l’on ait assisté à un effet de déplacement de l’offre de la Suisse vers la France. De nombreux usagers d’héroïne de la région Rhône-Alpes avaient en effet l’habitude de s’y approvisionner, essentiellement à Genève, auprès de revendeurs d’origine kosovare et/ou albanaise, lesquels contrôlent en Suisse, et ce depuis une vingtaine d’années, le marché de l’héroïne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La photo montre des sacs contenant 700 kilos de résine de cannabis et 45 kilos d’héroïne saisis par la police dans la région Nord-Pas-de-Calais" src="https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’année 2022 a été marquée par un nouveau record historique (1,4 tonne d’héroïne confisquée), qui place la France, avec les Pays-Bas, en tête des pays de l’Union européenne en matière de saisies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philippe Huguen/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce trafic de fourmis, très peu visible, irriguait les régions situées à proximité de la Confédération helvétique comme le décrit <a href="http://www.editionsdelolivier.fr/catalogue/9782823609851-l-inconnu-de-la-poste">Florence Aubenas</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Montréal-la-Cluse, et les bourgades autour se trouvent sur la route des trafics, pile entre Lyon et la Suisse, à moins d’une heure de route des deux. Dans ce grand flot de la drogue, un peu d’écume est venue se déposer ici, sur les bords du lac. Des gens qui ont fait fortune dans la came, vous n’en trouverez pas : les dealers sont eux-mêmes des toxicos, qui paient leurs doses en vendant, un petit milieu d’une cinquantaine de personnes en tout. Ce n’est pas Mexico, mais ça fait du monde dans les villages. » </p>
</blockquote>
<p>Initialement implantées dans les villes moyennes de Savoie et de Haute-Savoie (Annecy, Annemasse, Cluses, etc.), les filières semblent se déployer désormais dans les départements plus ruraux comme l’Allier et le Puy-de-Dôme.</p>
<p>Alors, l’héroïne, aujourd’hui, est-elle devenue la drogue emblématique des perdants de la « mondialisation heureuse » ? Des territoires ruraux en déclin économique ? La question mérite d’être posée à l’aune de la <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-avant-le-Covid-19-retour-sur-lepidemie-mortelle-des-opio-des-137664">crise des opioïdes</a> qui dévaste les États-Unis. Une épidémie qui est partie du nord-est du pays dans les anciennes régions industrielles de la Rust Belt pour toucher des populations fragilisées par les nouvelles configurations productives du capitalisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ampleur, ces dernières années, des saisies d’héroïne dans les villes moyennes et les zones rurales témoigne de la persistance de la consommation d’héroïne.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement au sein du master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2081602023-06-21T18:40:10Z2023-06-21T18:40:10ZPodcast : Jeunes et cannabis, au-delà des caricatures<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/533021/original/file-20230620-23-bbais9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C62%2C7000%2C4285&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Que sait-on des habitudes de consommation des jeunes en matière de cannabis ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/7d7P6b2xz5Y">Unsplash / Elsa Olofsson</a></span></figcaption></figure><figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Découvrez le nouveau podcast de The Conversation France : « L’échappée Sciences ». Deux fois par mois, un sujet original traité par une interview de scientifique et une chronique de l’un·e de nos journalistes.</em></p>
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<iframe src="https://playerbeta.octopus.saooti.com/miniplayer/large/262072?distributorId=c3cfbac6-2183-4068-a688-866933d3b5a6&color=40a372&theme=ffffff" width="100%" height="180px" scrolling="no" frameborder="0"></iframe>
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<p><iframe id="tc-infographic-819" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/819/ead8432336c6ce4f706df8b24a22c635bc3dd209/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Alors que l’expérimentation du cannabis thérapeutique suit son cours en France, encadrée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), cette plante demeure au centre de débats parfois houleux dans notre pays. La consommation de cannabis par les jeunes, en particulier, fait encore l’objet de nombreux fantasmes.</p>
<p>Quels risques, à court et long terme, font courir les usages problématiques ? Sont-ils en progression ? Pourquoi la prévention envers les plus jeunes est-elle particulièrement importante ? Que sait-on des liens entre cannabis et schizophrénie ? La consommation de cannabis mène-t-elle à des drogues plus dures ? Alors que la prohibition montrait ses limites, certains pays ont choisi la voie de la légalisation : avec quelles conséquences ?</p>
<p>Sociologue et spécialiste des pratiques sociales des usagers de drogues à l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Marie Jauffret-Roustide revient sur les idées reçues, et nous présente l’état des connaissances sur ce sujet sensible.</p>
<p>Loin de l’image d’Épinal d’adolescents des quartiers populaires fumant des « joints » de plus en plus tôt, de plus en plus nombreux, déscolarisés et repliés sur eux-mêmes, la recherche scientifique dépeint un tableau tout en nuance des habitudes de consommation des jeunes. Et ouvre des pistes pour mettre en place des politiques de santé publique mieux adaptées, à même d’aider ceux qui en ont réellement besoin.</p>
<p>Dans sa chronique, Émilie Rauscher explore le goût de notre espèce pour les substances psychotropes. Opium et cannabis dans l’Antiquité, tabac et coca au XVI<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, éther au XIX<sup>e</sup>… Les contextes et les modes de consommation ont beaucoup varié au fil des époques, tout comme les substances expérimentées, sans grande préoccupation pour les conséquences sanitaires. Puis est venu le temps des premières alertes lancées par les médecins. Qui ont abouti à des interdictions… Parfois tardives, lorsque les recommandations de santé publique allaient à l’encontre de certains intérêts économiques. Une époque révolue… Vraiment ?</p>
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<p><em>Animation et conception, Lionel Cavicchioli et Emilie Rauscher. Réalisation, Romain Pollet. Musique du générique : « Chill Trap » de Aries Beats. Extrait, « Je fume pu d’shit », Stupeflip. Écrit et composé par Julien Barthélémy, 2003 Etic System.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Jauffret-Roustide a été désignée par l'Inserm pour évaluer la salle de consommation à moindre risque à Paris. Elle mène également actuellement une recherche sur les trajectoires des usagers de crack en Ile-de-France. Ces deux recherches ont reçu un soutien financier de la Mildeca, de l'Agence régionale de santé Ile-de-France et de la Ville de Paris. Son salaire de chercheure n'est subventionné par aucune des institutions citées ci-dessus dans la mesure où elle a un poste statutaire de chercheure à l'Inserm et est à ce titre fonctionnaire de l'État. L'Inserm est un organisme indépendant qui a la liberté de produire des connaissances scientifiques et peut donc à ce titre mener une évaluation critique des politiques publiques menées dans le champ de la santé.</span></em></p>S’agissant du cannabis, que dit la recherche scientifique des habitudes de consommation des plus jeunes ? Des risques encourus ? De l’efficacité des réglementations actuelles ? Les réponses en podcast.Marie Jauffret-Roustide, Chargée de recherche, sociologue et politiste, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034562023-04-12T13:12:16Z2023-04-12T13:12:16ZPodcast : Notre cerveau dans tous ses états (mentaux)<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Découvrez le nouveau podcast de The Conversation France : <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lechappee-sciences-135626">« L’échappée Sciences »</a>. Deux fois par mois, un sujet original traité par une interview de scientifique et une chronique de l’un·e de nos journalistes.</em></p>
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<p>Bienvenue dans l’agrégat de milliards de neurones qui constitue notre cerveau. Mais cet organe unique est bien plus que cela : il est le siège de notre pensée et de notre conscience. C’est lui gère notre rapport au monde qui nous entoure… et c’est peu dire que la tâche est complexe !</p>
<p>Comment fait-il ? Comment, grâce à lui, réussissons-nous à nous adapter à notre environnement toujours changeant ? Longtemps on l’a cru réceptacle passif des informations reçues – de l’extérieur comme de l’intérieur de notre corps. Mais de nouvelles théories émergentes bouleversent notre compréhension du fonctionnement cérébral.</p>
<p>L’une d’elle, appelée « théorie du cerveau bayésien », suppose que <a href="https://theconversation.com/lesprit-est-il-une-machine-predictive-introduction-a-la-theorie-du-cerveau-bayesien-173707">notre cerveau serait une machine à prédire</a> : en permanence, il anticipe, évalue les probabilités que les événements qui parsèment notre vie se produisent, prévoit quelles vont être nos réactions… Et produit notre pensée, parfois irrationnelle, souvent en décalage avec la réalité brute du monde qui nous entoure.</p>
<p>La médecine s’est emparée de cette idée du cerveau prédictif et explore ainsi des pistes de recherche jusque-là inaccessibles… se tournant vers des molécules longtemps bannies des laboratoires : les psychédéliques ! Kétamine, psilocybine ou encore LSD retrouvent peu à peu une <a href="https://theconversation.com/comment-la-ketamine-agit-elle-sur-les-croyances-depressives-192370">place dans l’arsenal thérapeutique</a> grâce à leurs capacités inégalées à provoquer une altération de nos états de conscience, de notre rapport au monde.</p>
<p>Pour le Dr. <a href="https://www.sorbonne-universite.fr/portraits/hugo-bottemanne">Hugo Bottemanne</a>, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière et chercheur à l’Institut du Cerveau – Sorbonne Université, invité du nouvel épisode de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lechappee-sciences-135626">« L’échappée Sciences »</a>, ces molécules ouvrent de nouvelles pistes de recherche sur les origines de l’esprit. Comprendre comment elles agissent est un des défis des neurosciences. Là encore, les découvertes sur les capacités prédictives de notre cerveau vont s’avérer primordiales…</p>
<p>Et si nous hallucinions le monde qui nous entoure plutôt que de « juste » le percevoir ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>Dans sa chronique, Elsa Couderc nous propose d’explorer la question de la conscience… chez les non-humains ! À l’été 2022, un ingénieur de Google s’est ainsi vu persuadé par une intelligence artificielle que le système informatique présentait un certain niveau de conscience… alors qu’il accomplissait simplement ce pour quoi il avait été programmé : prolonger la conversation, en l’occurrence, comme nous le fait remarquer <a href="https://theconversation.com/google-a-t-il-developpe-une-ia-consciente-186254">Aïda Elamrani, doctorante en philosophie de l’IA à l’ENS</a>.</p>
<p>Mais notre tendance à percevoir des qualités humaines chez les robots est très commune et <a href="https://theconversation.com/pourquoi-prenons-nous-parfois-les-robots-pour-des-humains-188935">partagée par différentes cultures : c’est l’anthropomorphisme, dont Nicolas Spatola, de Sciences Po, décrypte les mécanismes</a>. Elle s’exprime aussi pour les <a href="https://theconversation.com/une-synthese-inedite-des-connaissances-actuelles-sur-la-conscience-animale-99394">animaux, qui, eux, présentent bien des niveaux de conscience avérés</a>, et détaillés par Muriel Dunier et Pierre Le Neindre de l’INRAE.</p>
<p>Bonne écoute !</p>
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<p><em>Crédits : Animation et conception, Émilie Rauscher et Elsa Couderc. Réalisation, Romain Pollet. Musique du générique : « Chill Trap » de Aries Beats. Extrait : « Marche à l’ombre », réalisation : Michel Blanc, Films A2, Les Films Christian Fechner.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment créons-nous notre vision du monde, clef indispensable pour interagir avec lui ? Pas comme on l'a longtemps cru… Plongée dans un pouvoir méconnu de notre cerveau (et des psychédéliques).Hugo Bottemanne, Psychiatre à la Pitié-Salpêtrière & chercheur à l'Institut du Cerveau - Sorbonne Université AP-HP, Sorbonne UniversitéElsa Couderc, Cheffe de rubrique Science + Technologie, The Conversation FranceÉmilie Rauscher, Cheffe de rubrique Santé, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.