tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/fake-news-38582/articlesfake news – The Conversation2024-03-07T16:15:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2250512024-03-07T16:15:11Z2024-03-07T16:15:11ZL’IA générative, un acteur majeur dans une société de la désinformation ?<p>Les progrès récents de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-intelligence-artificielle-generative-220570">l’intelligence artificielle générative</a> (ces outils qui permettent de produire du texte, du son, des images ou des vidéos de manière complètement automatique) font craindre un regain de fausses informations. Cette crainte est exacerbée par le fait que de très nombreuses élections vont avoir lieu dans les mois à venir, à commencer par les élections européennes. Qu’en est-il vraiment ?</p>
<h2>L’IA générative, un faux problème ?</h2>
<p>Il faut déjà observer que, même si l’idée que l’IA générative est une source de danger en matière de désinformation est largement répandue, le point de vue opposé existe aussi. Ainsi, pour les chercheurs Simon, Altay et Mercier, <a href="https://misinforeview.hks.harvard.edu/wp-content/uploads/2023/10/simon_generative_AI_fears_20231018.pdf">l’arrivée des systèmes génératifs ne change pas fondamentalement la donne</a>, ni sur le plan qualitatif, ni sur le plan quantitatif.</p>
<p>Ils remarquent que les sources d’information traditionnelles continuent d’occuper le haut du pavé (la <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Une-consommation-de-l-information-transformee-par-le-numerique">grande majorité des gens s’informent à travers les médias traditionnels, qui gardent un pouvoir d’influence supérieur</a>). Le public qui s’informe à partir de <a href="https://m.uneseuleplanete.org/Qu-est-ce-qu-un-media-alternatif-Essais-de-definition">médias alternatifs</a> et qui « consomme » des fausses informations est, selon eux, déjà abreuvé de telles sources et ne recherche pas tant une information précise que des informations qui confirment leurs idées (fondées sur une méfiance généralisée vis-à-vis des politiques et des médias).</p>
<p>Leur étude contredit le point de vue courant, voyant dans l’IA une source de danger majeure pour la démocratie. Elle repose sur des enquêtes qui montrent effectivement le poids de l’idéologie en matière de consommation d’information (on est orienté en fonction de son idéologie quand on s’informe, et un biais classique consiste à vouloir confirmer ce que l’on croit, quand plusieurs interprétations d’un événement sont possibles).</p>
<h2>Des outils très simples d’utilisation</h2>
<p>Il semble que l’augmentation des capacités de production de texte ne soit pas l’élément essentiel : c’est la capacité à diffuser l’information qui joue un rôle majeur. C’est aussi vrai pour les images et les vidéos, mais l’IA générative semble quand même ici créer une vraie rupture. La prise en main d’un outil comme Photoshop est longue et complexe ; à l’inverse, des outils d’IA comme <a href="https://openai.com/dall-e-2">Dall-e</a> et <a href="https://www.midjourney.com/home">Midjourney</a> pour l’image, ou <a href="https://openai.com/sora">Sora</a> pour la vidéo, permettent de générer des contenus réalistes à partir de quelques mots clés seulement, et on connaît le poids de l’image dans l’information. <a href="https://www.numerama.com/tech/1499280-parler-plusieurs-langues-sans-effort-cette-app-fait-parfaitement-illusion.html">La possibilité de créer automatiquement de fausses vidéos avec la voix, et même le mouvement des lèvres rendu de façon hyper réaliste</a>, crée aussi un état de fait nouveau, qui n’était pas imaginable il y a encore quelques mois.</p>
<p>Notons enfin que les outils de détection de documents générés par IA sont très imparfaits et aucune solution ne permet à l’heure actuelle de déterminer à 100 % si un document est d’origine humaine ou non. Le marquage automatique (watermarking, code indétectable à l’œil nu, mais indiquant qu’un document a été généré par une IA) pourra aider, mais il y aura bien évidemment toujours des groupes capables de produire des fichiers sans marquage, à côté des grosses plates-formes ayant pignon sur rue (il s’agit de procédés qui ne sont pas encore mis en œuvre à large échelle, mais qui pourraient l’être avec l’évolution de la législation).</p>
<h2>Une société fracturée</h2>
<p>Mais, au-delà, l’argumentaire montre surtout que ce n’est pas l’IA le point essentiel dans ce problème, mais une question avant tout humaine et sociale. La consommation de fausses informations est souvent motivée par des sentiments d’opposition envers les institutions et les corps sociaux établis, perçus comme ayant failli dans leur mission. La crise du Covid en a fourni une illustration récente, avec l’émergence rapide de figures très médiatisées, en opposition frontale et systématique avec les mesures proposées, et très soutenues par leurs supporters sur les médias sociaux.</p>
<p>Pour de nombreux individus, la propagation et la consommation de fausses informations sont un moyen de remettre en question l’autorité et de s’opposer au statu quo. En ralliant ceux qui partagent des points de vue similaires, la diffusion de fausses informations peut également servir à créer un sentiment d’appartenance et de solidarité au sein de groupes qui s’opposent au pouvoir en place. Dans ce contexte, la désinformation devient un outil pour la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/07/14/sur-les-reseaux-sociaux-les-methodes-extremes-des-pro-raoult_6088257_4355770.html">construction de communautés unies par des valeurs ou des objectifs communs</a>, renforçant ainsi leur cohésion et leur résilience face aux structures de pouvoir établies. Cette dynamique entraîne donc une <a href="https://www.polarizationlab.com/">polarisation accrue et des divisions au sein de la société</a>, c’est même un objectif <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-tour-du-monde-des-idees/l-hysterisation-du-debat-public-engendre-la-polarisation-politique-8608660">quasi revendiqué de certains émetteurs de fausses informations</a>, qui ne s’en cachent pas.</p>
<p>La propagation de la désinformation est donc favorisée par les « fractures de la société » où les divisions sociales, politiques et économiques sont prononcées (<a href="https://www.jean-jaures.org/expert/jerome-fourquet/">phénomène largement étudié par Jérôme Fourquet</a> ; <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/fractures-francaises-2023-tableau-dune-france-en-colere">Ipsos mène aussi régulièrement des enquêtes sur ce thème</a>).</p>
<p>Dans ces contextes, les individus peuvent être plus enclins à croire et à propager des théories du complot, des rumeurs et des fausses informations qui correspondent à leurs préjugés, à leurs craintes ou à leurs frustrations. Une société fragmentée est caractérisée par un manque de confiance mutuelle et une polarisation croissante, ce qui crée un terrain fertile pour la propagation de la désinformation. La cohésion sociale et la confiance mutuelle jouent un rôle crucial dans la prévention de la propagation de la désinformation et dans le maintien de la santé démocratique d’une société.</p>
<p>Le facteur humain est enfin important dans la production de fausses informations. Les « bots » automatiques produisant en masse du texte ont une influence quasi nulle (sinon pour noyer l’information au sein d’une masse de textes). On sous-estime souvent le facteur humain, qui reste indispensable pour produire de contenu qui aura un impact, même pour de fausses informations. La découverte encore récente de réseaux efficaces, mais usant de méthodes relativement rudimentaires en est la preuve.</p>
<h2>Des enjeux géopolitiques</h2>
<p>Le problème de la désinformation dépasse donc largement le cadre de l’IA générative ou même celui de quelques individus isolés. Il est largement alimenté par des organisations puissantes, souvent dotées de ressources quasi étatiques, qui déploient des moyens importants pour propager de fausses informations à grande échelle (par exemple <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_Research_Agency">l’Internet Research Agency</a> basée à Saint-Pétersbourg).</p>
<p>Ces organisations mettent en place des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/05/kevin-limonier-le-controle-du-cyberespace-est-devenu-un-enjeu-de-survie-pour-le-regime-russe_6220186_3210.html">réseaux comprenant des sites web, une forte présence sur les réseaux sociaux, des bots automatisés, mais impliquent aussi des individus réels</a>, soudoyés ou non, chargés de relayer ces informations trompeuses (on voit donc ainsi que le réseau de propagation de l’information a autant sinon plus d’importance que la production de contenu en elle-même). Cette stratégie de désinformation vise à influencer l’opinion publique, à semer la confusion et à manipuler les processus démocratiques, mettant ainsi en péril la confiance dans les institutions et la crédibilité des élections.</p>
<p>Pour contrer efficacement ce phénomène, il est crucial de prendre des mesures à la fois techniques, politiques et sociales pour identifier, contrer et sensibiliser le public à la désinformation orchestrée à grande échelle. <a href="https://www.arcom.fr/internet-et-reseaux-sociaux/lutte-contre-la-manipulation-de-linformation-en-periode-electorale-les-mesures-prises-par-les-plateformes-en-ligne">Les plates-formes en ligne sont particulièrement sollicitées</a>.</p>
<p>La stratégie de propagation de fausses nouvelles poursuit un double objectif, ce qui représente un double écueil pour les institutions établies. En effet, en diffusant des informations erronées, non seulement on pollue le débat public en semant la confusion et en brouillant les pistes de la vérité, mais on nourrit également un climat général de méfiance envers toute forme d’autorité et d’information « officielle ». Les autorités en place, déjà sujettes à un fort discrédit et perçues comme étant en situation de faiblesse, peinent à réagir de manière efficace face à cette prolifération de désinformation. Le doute généralisé quant à leur capacité à agir avec transparence et impartialité renforce l’impression que leurs actions pourraient être motivées par des intérêts cachés. Ainsi, les institutions en place se retrouvent prises au piège d’un cercle vicieux où leur crédibilité est constamment remise en question, les rendant d’autant plus vulnérables face aux attaques orchestrées par ceux qui cherchent à déstabiliser l’ordre établi.</p>
<p>L’enjeu est donc de protéger la liberté d’opinion et la liberté d’information, tout en luttant contre la propagation de fausses informations qui peuvent nuire au fonctionnement démocratique. Cette frontière entre ces principes fondamentaux est souvent difficile à tracer, et les autorités doivent jongler avec ces enjeux complexes. Dans certains cas jugés flagrants, des mesures ont été prises pour contrer les tentatives de manipulation de l’opinion publique et de déstabilisation des processus démocratiques. Des chaînes de télévision comme RT, soupçonnées d’être sous l’influence russe, ont été fermées. Des personnalités politiques ont été interrogées en raison de soupçons de corruption et d’influence étrangère. De même, les réseaux sociaux sont étroitement surveillés, et des comptes ou des réseaux liés à des puissances étrangères ont été fermés. Ces mesures visent à protéger l’intégrité des processus démocratiques et à préserver la confiance du public dans les institutions, tout en préservant les principes fondamentaux de liberté et de pluralisme. Cependant, trouver un équilibre juste entre la protection contre la désinformation et le respect des libertés individuelles demeure un défi constant dans les sociétés démocratiques.</p>
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<p><em>Cet article a été écrit dans le cadre de la deuxième édition des <a href="https://dauphine.psl.eu/dauphine-digital-days">Dauphine Digital Days</a>, qui a eu lieu à l’Université Paris Dauphine – PSL, du 20 au 22 novembre 2023.</em></p>
<p><em>Il est illustré par <a href="https://www.cartooningforpeace.org/">Cartooning for Peace</a>, un réseau international de dessinateurs et dessinatrices de presse engagés à promouvoir, par le langage universel du dessin de presse, la liberté d’expression et les droits de l’Homme.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225051/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Poibeau est membre de l'Institut 3IA Prairie (Paris AI Research Institute) et a reçu des financements à ce titre.</span></em></p>L’IA générative offre la possibilité de créer facilement de fausses informations visuelles, mais cette nouvelle technologie va-t-elle réellement nous faire entre dans une nouvelle ère ?Thierry Poibeau, DR CNRS, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229162024-02-12T16:11:20Z2024-02-12T16:11:20ZPourquoi tant d’Américains croient-ils que la présidentielle a été « volée » à Donald Trump en 2020 ?<p>La campagne présidentielle américaine 2024, qui a débuté avec les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/04/presidentielle-americaine-2024-joe-biden-remporte-aisement-la-primaire-democrate-de-caroline-du-sud_6214634_3210.html">primaires démocrates</a> et, surtout, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/06/dans-le-nevada-primaires-et-caucus-en-ordre-disperse-chez-les-republicains_6215004_3210.html">républicaines</a>, est déjà historique à plus d’un titre.</p>
<p>Pour la première fois de l’histoire des États-Unis, un candidat, Donald Trump, de surcroît ancien président, brigue la Maison Blanche alors même qu’il est visé par de <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/804860/etats-unis-91-chefs-accusation-dessus-presidentielle-singuliere">multiples inculpations</a> et a été reconnu coupable d’<a href="https://fr.euronews.com/2023/05/10/donald-trump-reconnu-coupable-dagression-sexuelle">agression sexuelle</a> (un <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/07/19/trump-carroll-judge-rape/">viol</a> en réalité).</p>
<p>Plus grave encore : après sa défaite de novembre 2020, Trump a tenté d’empêcher le transfert démocratique du pouvoir en <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220610-l-assaut-du-capitole-%C3%A9tait-une-tentative-de-coup-d-%C3%A9tat-et-encourag%C3%A9e-par-trump-dit-une-enqu%C3%AAte">encourageant ses partisans à s’opposer par la violence à l’investiture de son successeur</a>, et continue à ce jour <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220613-d%C3%A9tach%C3%A9-de-la-r%C3%A9alit%C3%A9-donald-trump-s-est-accroch%C3%A9-au-mythe-de-l-%C3%A9lection-vol%C3%A9e">d’affirmer qu’il a, de fait, remporté l’élection</a>.</p>
<p>Il n’y a <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2103619118">aucune preuve</a> de fraudes dont l’existence aurait pu changer le résultat, et tous les recours légaux de l’ancien président ont <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Post-election_lawsuits_related_to_the_2020_U.S._presidential_election">été rejetés, car sans objet, ou perdus, après des audiences sur le fond</a>. Pourtant, <a href="https://www.washingtonpost.com/dc-md-va/2024/01/02/jan-6-poll-post-trump/">près de 3 Américains sur 10 – et deux tiers des sympathisants républicains</a> – continuent de croire que l’élection <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4318153">a bel et bien été volée à Trump</a>. Selon eux, des fraudes massives auraient été mises en œuvre dans certains États (faux électeurs, machines à voter truquées, etc.) avec la bénédiction des fonctionnaires chargés du bon déroulement des élections et de juges peu scrupuleux.</p>
<h2>L’obsession du complot</h2>
<p>Pour ses partisans, Trump est une nouvelle fois <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/31/donald-trump-indictment-00090001">victime d’une « chasse aux sorcières »</a> (tout comme lors des <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210113-en-direct-la-chambre-des-repr%C3%A9sentants-vote-une-proc%C3%A9dure-de-destitution-du-pr%C3%A9sident-donald-trump">deux procédures de destitution</a> auxquelles il a été confronté à la fin de son mandat), parce qu’il s’est attaqué à un système corrompu.</p>
<p>Loin de lui nuire, ses ennuis judiciaires lui ont, en fait, permis de <a href="https://time.com/6555904/donald-trump-gop-primary-2024/">récolter des millions de dollars</a> pour financer sa campagne et <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/trump-political-committee-has-spent-more-than-40-million-on-lawyers-fees-as-his-legal-peril-mounts">payer ses avocats</a>, et de <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-primary-r/2024/national/">monter dans les sondages</a> dans le cadre des primaires républicaines. Aujourd’hui, il est en passe de devenir le candidat du parti républicain à l’élection de novembre 2024.</p>
<p>Comment expliquer que plusieurs dizaines de millions d’Américains continuent d’adhérer à ce récit de l’élection volée, alors que <a href="https://www.brennancenter.org/sites/default/files/analysis/Briefing_Memo_Debunking_Voter_Fraud_Myth.pdf">toutes les études</a> en ont démontré le caractère mensonger ?</p>
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<p>Il s’agit là d’une croyance de masse de <a href="https://www.researchgate.net/publication/355068117_The_Rise_of_Presidential_Eschatology_Conspiracy_Theories_Religion_and_the_January_6th_Insurrection">type complotiste</a>, à savoir un contre-récit non vérifié qui remet en question l’explication officielle et s’appuie sur l’idée qu’il existe des acteurs puissants et malveillants qui agissent dans l’ombre. Ce qui caractérise les États-Unis n’est pas forcément que leur population croit davantage aux théories du complot que d’autres peuples (on peut le constater <a href="https://www.researchgate.net/publication/352490730_Why_are_conspiracy_theories_more_successful_in_some_countries_than_in_others_An_exploratory_study_on_Internet_users_from_22_Western_and_non-Western_countries">ici</a>, ou <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0032321720972616">ici</a>), mais plutôt qu’une grande partie de leur classe politique et médiatique est prête à accepter, exploiter et organiser la pensée complotiste pour en tirer bénéfice.</p>
<p>En 1964 déjà, l’historien Richard Hofstadter ciblait, dans un <a href="https://harpers.org/archive/1964/11/the-paranoid-style-in-american-politics/">article devenu célèbre</a>, l’obsession de la droite américaine pour le complot communiste pendant le maccarthysme. Le christianisme a alors fusionné avec le nationalisme, devenant un élément central de l’identité américaine par opposition à celle d’un bloc communiste athée. Ce fut l’un des facteurs de l’émergence de la droite chrétienne dans les années 1970. Le récit politique d’une lutte universelle entre le Bien et le Mal devient alors un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1460-2466.2006.00021.x">thème incontournable des discours présidentiels</a>.</p>
<h2>La suspicion au cœur de la guerre culturelle</h2>
<p>Au début des années 1990, avec la fin de la guerre froide, ce récit binaire, <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/7/9/21291493/donald-trump-evangelical-christians-kristin-kobes-du-mez">rappelle l’historienne Kristin Kobes Du Mez</a>, a été adapté à la <a href="https://iasculture.org/research/publications/culture-wars-struggle-define-america">« guerre culturelle »</a> opposant progressistes et fondamentalistes religieux sur les questions morales et sociétales comme l’avortement ou la sexualité.</p>
<p>Il s’agit d'un récit de décadence qui identifie toute opposition politique à un « ennemi » mettant en péril les fondements moraux de la nation. Il a été alimenté par un sentiment d'impuissance et d'humiliation à la suite des attaques du 11 septembre 2001, de la crise financière de 2008 et de 20 ans de « guerre contre la terreur » sans victoire tangible. Le <a href="https://academic.oup.com/socrel/article/81/3/272/5836966">ressentiment racial</a>, lié à l’évolution démographique et illustré par le <a href="https://www.prri.org/spotlight/replacement-theory-is-not-a-fringe-theory/">récit du Grand Remplacement</a>, et la crise du Covid, ont accentué la défiance envers l’État (le <a href="https://theconversation.com/demons-of-the-deep-state-how-evangelicals-and-conspiracy-theories-combine-in-trumps-america-144898"><em>Deep State</em>, perçu comme démoniaque</a>).</p>
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<p>La politisation de la religion a atteint son paroxysme avec Donald Trump, qui a utilisé le langage religieux <a href="https://www.researchgate.net/publication/331071656_The_God_Card_Strategic_Employment_of_Religious_Language_in_US_Presidential_Discourse">davantage que n’importe quel autre président</a>. À la différence de ses prédécesseurs, il a explicitement <a href="https://www.researchgate.net/publication/344337560_Thou_Art_in_a_Deal_The_Evolution_of_Religious_Language_in_the_Public_Communications_of_Donald_Trump">associé l’américanité au christianisme</a>. Il a ainsi décliné des thèmes du nationalisme chrétien, très populaires chez les évangéliques blancs qu’il courtisait. C’est, du reste, dans ce groupe religieux, que l’adhésion au mythe de l’élection volée est la <a href="https://www.prri.org/spotlight/after-three-years-and-many-indictments-the-big-lie-that-led-to-the-january-6th-insurrection-is-still-believed-by-most-republicans/">plus forte</a>.</p>
<h2>Donald Trump : Un sauveur sans foi, ni loi</h2>
<p>L’ironie est que Trump lui-même est loin d’être religieux. Ses moqueries à l’égard d’un journaliste handicapé, ses calomnies xénophobes envers les immigrés, ses appels à la violence contre ses opposants politiques et son <a href="https://edition.cnn.com/2016/10/21/politics/trump-religion-gospel/index.html">manque patent de culture religieuse</a> semblent difficilement compatibles avec l’éthique chrétienne.</p>
<p>Il n’a pas non plus hésité à mettre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qIHhB1ZMV_o">sur le devant de la scène</a> des groupes extrémistes, comme les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Proud_Boys"><em>Proud Boys</em></a>, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GNI553Np__k">complotistes</a>, comme Q-anon. Ce dernier mouvement diffuse notamment un <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/QAnon">récit empreint de tropes évangéliques</a> liés à la fin du monde.</p>
<p>Le lien entre complotisme et nationalisme chrétien blanc est bien documenté (<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642211046557">ici</a>, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4318153">ici</a> ou <a href="https://theconversation.com/evangelical-leaders-like-billy-graham-and-jerry-falwell-sr-have-long-talked-of-conspiracies-against-gods-chosen-those-ideas-are-finding-resonance-today-132241">ici</a>), y compris au <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/2378023120977727">sujet des vaccins</a>, ou du <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0096340215599789">changement climatique</a>. Les évangéliques « rationalisent » tout cela en <a href="https://www.vox.com/identities/2018/3/5/16796892/trump-cyrus-christian-right-bible-cbn-evangelical-propaganda">comparant Trump à Cyrus</a>, un roi perse historique qui, dans l’Ancien Testament, ne vénérait pas le Dieu d’Israël, mais est dépeint dans Isaïe comme un instrument utilisé par Dieu pour délivrer le peuple juif.</p>
<p>Ces croyances sont le fruit d’une vision littéraliste (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mill%C3%A9narisme">« pré-millénariste »</a>) du livre de l’Apocalypse, adoptée par une majorité d’évangéliques (<a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2022/12/08/about-four-in-ten-u-s-adults-believe-humanity-is-living-in-the-end-times/">63 %</a>) qui pensent que l’humanité vit actuellement « la fin des temps ». </p>
<p>Cette vision du monde s’est parfaitement incarnée dans l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021. Le leadership républicain avait là une occasion unique de condamner Donald Trump dans un procès en destitution qui aurait mis fin à toutes ses ambitions politiques. Or, malgré l’enjeu, ni le président de la Chambre des Représentants, Kevin McCarthy, ni l’influent chef des Républicains au Sénat, Mitch McConnell, n’ont voté la destitution, tout en <a href="https://www.npr.org/sections/trump-impeachment-trial-live-updates/2021/02/13/">déclarant</a> que Trump était bien <a href="https://www.npr.org/sections/trump-impeachment-effort-live-updates/2021/01/13/956452691/gop-leader-mccarthy-trump-bears-responsibility-for-violence-wont-vote-to-impeach">responsable moralement</a>. Tout comme lors du premier procès en destitution, ou des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/False_or_misleading_statements_by_Donald_Trump">nombreux mensonges</a> de Donald Trump, y compris pendant la <a href="https://www.vox.com/2020-presidential-conventions/2020/8/25/21400657/trump-rnc-2020-coronavirus-Covid-19-pandemic">crise du Covid</a>, ils ont ainsi sacrifié une nouvelle fois la démocratie sur l’autel de leurs ambitions.</p>
<p>Résultat : le mensonge triomphe au sein du parti et devient un test de loyauté. Une <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2022/11/09/us/politics/election-misinformation-midterms-results.html">très large majorité des nouveaux élus au Congrès en 2022</a> mettent en doute les résultats de 2020. Kevin McCarthy a été remplacé par Mike Johnson, un <a href="https://slate.com/news-and-politics/2024/01/january-6-insurrection-mike-johnson-evangelical-christian-apostolic-reformation.html">nationaliste chrétien des plus radicaux</a> et l’un des <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/analysis-opinion/mike-johnson-now-most-powerful-election-denier-washington">architectes de la tentative d’annulation de l’élection de 2020</a>.</p>
<h2>Un mensonge généralisé et financé par de puissants intérêts</h2>
<p>Mais ce mensonge n’est pas l’expression démocratique et populiste d’un anti-élitisme de la base. Il est alimenté par des organisations nationales puissantes et bien <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2021/08/09/the-big-money-behind-the-big-lie">financées par certains des conservateurs les plus riches du pays</a>. Le <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/big-donors-working-overturn-2020-election-are-backing-election-denial"><em>Brennan Center for Justice</em></a> de la faculté de droit de l’université de New York a identifié plusieurs de ces groupes tels que l’<a href="https://www.eip-ca.com/"><em>Election Integrity Project California</em></a>, <a href="https://www.freedomworks.org/issue/election-protection/"><em>FreedomWorks</em></a>, ou le <a href="https://www.honestelections.org/"><em>Honest Elections Project</em></a>.</p>
<p>Parmi ces groupes, on peut souligner le poids de la <a href="https://fedsoc.org/commentary/publications/voter-fraud-in-our-republic"><em>Federalist Society</em></a>, qui s’attaque au <a href="https://www.motherjones.com/politics/2023/12/how-leonard-leos-dark-money-network-orchestrated-a-new-attack-on-the-voting-rights-act/"><em>Voting Rights Act</em></a> (une loi de 1965 interdisant les discriminations raciales dans l’exercice du droit de vote) et a favorisé la nomination des membres les plus conservateurs de la Cour suprême.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1744856646659035466"}"></div></p>
<p>On note aussi le rôle de la <a href="https://www.heritage.org/voterfraud"><em>Heritage Foundation</em></a>, l’une des organisations conservatrices les plus puissantes et influentes, dont l’un des buts est d’utiliser le doute et la peur de la fraude électorale comme prétexte pour supprimer des électeurs sur les listes. L’un de ses fondateurs, Paul Weyrich, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8GBAsFwPglw">déclarait en 1980</a> : ¡ Je ne veux pas que tout le monde vote. En fait, notre influence sur les élections augmente franchement au fur et à mesure que le nombre de votants diminue. »</p>
<p>Il faut ajouter à cela une <a href="https://time.com/6334985/trump-fox-news-lies-brian-stelter-essay/">stratégie médiatique de désinformation</a> utilisée par Trump et ses alliés, parfaitement résumée par Steve Bannon, l’ancien dirigeant de Breitbart News et ancien conseiller de Donald Trump : <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/1/16/20991816/impeachment-trial-trump-bannon-misinformation">« Flood the zone with shit »</a> – littéralement, « inonder la zone de merde ». Il s’agit tout simplement de submerger la presse et le public avec tant de fausses informations et de désinformation que distinguer le vrai du faux devient cognitivement éprouvant, voire impossible.</p>
<p>Tout cela est bien sûr amplifié par l’extrême <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/U/bo27527354.html">polarisation politique, enracinée dans l’identité sociale</a>, qui se manifeste <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2018/11/why-are-americans-so-geographically-polarized/575881/">géographiquement par des préférences partisanes</a> corrélées à la densité de la population (urbain vs rural pour schématiser).</p>
<p>Impossible pour ces Républicains de croire que Joe Biden a pu être élu par une majorité : personne, autour d’eux, n’a voté démocrate. Cette polarisation physique est renforcée par une <a href="https://www.pewresearch.org/journalism/2020/01/24/u-s-media-polarization-and-the-2020-election-a-nation-divided/">polarisation médiatique</a> qui constitue une véritable bulle informationnelle. Ainsi, une majorité des Républicains ne font confiance qu’à <em>Fox News</em>, et à des journaux télévisés d’extrême droite (comme <a href="https://edition.cnn.com/2023/09/05/media/dominion-exec-oan-lawsuit-settlement/index.html"><em>One American News</em></a>) dont les animateurs sans scrupules, comme <a href="https://abcnews.go.com/Politics/fox-news-hosts-allegedly-privately-versus-air-false/story?id=97662551">Tucker Carlson</a>, ont <a href="https://www.nytimes.com/2023/02/27/business/media/fox-news-dominion-rupert-murdoch.html">cautionné les mensonges sur la fraude électorale</a>, mensonges ensuite <a href="https://www.axios.com/2022/09/19/election-misinformation-social-media-big-lie-report">amplifiés par les réseaux sociaux</a>.</p>
<h2>Bis repetita en novembre prochain ?</h2>
<p>La remise en question des résultats électoraux est une constante chez Donald Trump. Déjà, en 2012, il <a href="https://abcnews.go.com/Politics/donald-trumps-2012-election-tweetstorm-resurfaces-popular-electoral/story?id=43431536">avait qualifié la ré-élection</a> de Barack Obama de <a href="https://twitter.com/realdonaldtrump/status/266035509162303492">« véritable simulacre et parodie_ »</a>, ajoutant que « nous ne sommes pas une démocratie » et qu’il faudrait « marcher sur Washington et mettre fin à cette mascarade. »</p>
<p>Même en 2016, il avait contesté, toujours sans preuve, les résultats du caucus de l’Iowa, puis celui du vote populaire gagné par Hillary Clinton grâce, <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-38126438">selon lui</a>, à « des millions de voix illégales ». La différence entre 2020 et aujourd’hui est que Donald Trump est suivi par des millions de citoyens chauffés à blanc par une élite que le pouvoir a corrompue. Ainsi, presque un quart des citoyens (<a href="https://www.prri.org/spotlight/after-three-years-and-many-indictments-the-big-lie-that-led-to-the-january-6th-insurrection-is-still-believed-by-most-republicans/">23 %</a>) est aujourd’hui prêt à recourir à la violence pour « sauver le pays ». Quelle que soit l’issue de l’élection, on peut donc s’inquiéter de ce qui s’ensuivra, sachant que, comme à son habitude, Donald Trump <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3998962-trump-wont-commit-to-accepting-2024-election-results/">refuse de s’engager à reconnaître</a> le résultat de l’élection de novembre 2024 si celui-ci ne lui est pas favorable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222916/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>30 % des Américains pensent que Donald Trump a été le vrai vainqueur de la dernière élection ; Ce ratio est doublé chez les électeurs républicains.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2217132024-01-23T16:35:53Z2024-01-23T16:35:53Z« Je n’ai pas menti » : le discours politique à l’épreuve des faits<p>En janvier 2017, la cérémonie d’investiture du nouveau président Trump <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-nord/etats-unis/combien-de-personnes-ont-assiste-a-l-investiture-de-donald-trump_AN-201701200074.html">est moquée</a> car regroupant moins de citoyens que celles de ses prédécesseurs. <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-realite-alternative-de-donald-trump-23-01-2017-2099405_24.php">Vexée</a> par cette participation faible, l’équipe du président Trump inaugure dans la parole publique de la droite américaine l’expression de <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/kellyanne-conway-sourire-de-donald-trump-et-reine-des-faits-alternatifs-26004">« faits alternatifs »</a> en <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-les-alarmants-faits-alternatifs-du-president-trump">affirmant</a> que c’était « la plus large audience à avoir jamais assisté à une investiture – point final ».</p>
<p>Plus récemment, en France, les déclarations de la ministre de l’Éducation nationale sur les raisons de la scolarisation de ses enfants dans une <a href="https://theconversation.com/derriere-le-choix-dune-ecole-privee-des-ambitions-parentales-a-long-terme-220247">école privée</a> contestée rappellent qu’effets de langage et politique font bon ménage.</p>
<p>Quel éclairage les sciences du langage apportent-elles sur ces phénomènes ? Comment la gestion de crise de l’affaire Oudéa-Castéra peut-elle illustrer ces situations de communication ? Quelle place pour les citoyens dans cet exercice ?</p>
<h2>La langue en situation de crise politique</h2>
<p>11 janvier 2024, Amélie Oudéa-Castéra se voit élargir son portefeuille ministériel avec la responsabilité de l’Éducation nationale. <a href="https://www.leprogres.fr/education/2024/01/15/quatre-jours-de-polemique-on-vous-resume-l-affaire-amelie-oudea-castera">Une affaire politique</a> à rebondissements commence dès lors. Le 12 janvier, Médiapart révèle que la ministre a choisi Stanislas, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/politique/120124/la-ministre-de-l-education-choisi-un-etablissement-prive-ultra-reac-pour-ses-enfants">« un établissement privé ultra réac pour ses enfants »</a>. Interpellée le jour même, lors de son premier déplacement, elle justifie ce choix en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8_59cyu5FDM">évoquant</a> :</p>
<blockquote>
<p>« la frustration de ses parents – mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées. Et à un moment, on en a eu marre comme des centaines de milliers de familles qui, à un moment, on a fait le choix d’aller chercher une solution différente ».</p>
</blockquote>
<p>La version de la ministre est rapidement contredite par différentes sources académiques dont <a href="https://www.francebleu.fr/infos/education/ecole-l-ex-enseignante-du-fils-d-amelie-oudea-castera-contredit-la-version-de-la-ministre-sur-l-absenteisme-2960885">l’enseignante concernée qui précise</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème de remplacement à Littré qui est une petite école très cotée ».</p>
</blockquote>
<p>La presse ajoute que les raisons de ce changement d’école pourraient être liées à <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/amelie-oudea-castera/enfants-d-amelie-oudea-castera-scolarises-dans-le-prive-l-ancienne-institutrice-de-son-fils-affirme-n-avoir-jamais-ete-absente_6304461.html">d’autres événements</a>, ce que l’entourage de la ministre dément rapidement. La porte-parole du gouvernement déclare <a href="https://twitter.com/franceinter/status/1746787604907921478">« Je ne sais pas si elle a menti »</a>. Le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/150124/affaire-oudea-castera-et-maintenant-le-soupcon-du-mensonge">soupçon du mensonge</a> apparaît. Le 16 janvier, face à l’Assemblée nationale, la <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/avancons-appelee-a-la-demission-oudea-castera-regrette-d-etre-allee-sur-le-terrain-de-la-vie-privee_AV-202401160727.html">ministre ajoute</a> s’être appuyée sur « le ressenti d’une expérience » et sur « des problèmes d’organisation ». Un jour plus tard, lorsqu’on lui pose la question <a href="https://twitter.com/telematin/status/1747524139601052040">« Est-ce que vous avez menti ? »</a> à la télévision, elle reconnaît que les faits lui donnent tort.</p>
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<p>Le champ lexical du mensonge reviendra suite à la publication du rapport de l’inspection académique sur <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160124/affaire-oudea-castera-mediapart-publie-le-rapport-sur-stanislas-cache-par-les-ministres">l’école Stanislas</a>. La ministre affirme alors qu’un seul cas d’homophobie a été rapporté à ce jour au sein de l’établissement – <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/170124/un-seul-cas-d-homophobie-stanislas-le-nouveau-mensonge-d-amelie-oudea-castera">situation contestée par Médiapart</a>.</p>
<p>Tentant de clôturer la polémique (en vain, puisque deux autres affaires la concernant éclatent dans les jours qui suivent – <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200124/le-fils-de-la-ministre-oudea-castera-beneficie-d-un-systeme-de-contournement-de-parcoursup-stanislas/prolonger">contournement de Parcoursup</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/22/amelie-oudea-castera-epinglee-par-le-rapport-d-une-commission-d-enquete-parlementaire-sur-les-federations-sportives_6212245_3224.html">rémunération à la tête d’une fédération sportive)</a>, elle cherche à saturer le débat en recentrant ses prises de parole autour de la politique générale réaffirmée par le président.</p>
<blockquote>
<p>« Le président et le Premier ministre m’ont confié un continuum de responsabilités aux synergies nombreuses avec, en son cœur, une ambition : le réarmement civique de notre jeunesse ».</p>
</blockquote>
<h2>Un « réarmement » linguistique éprouvé</h2>
<p>Cette séquence est représentative de l’utilisation de formules creuses, voire vides de sens, que l’on associe à <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-201.htm">« la langue de bois » en politique</a>, et qui illustre la manipulation des mots pour tenter de modifier le réel (tel qu’il est perçu par les citoyens). Ce rapport au réel, qui permet de discuter d’une manière plus complexe la catégorisation entre vérité et mensonge, rejoint pour beaucoup ce que les linguistes <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/jun/13/how-to-report-trump-media-manipulation-language">Georges Lakoff et Gil Duran</a> ont décrit à propos de Donald Trump. Selon eux, Trump « a transformé les mots en armes. Et il est en train de gagner la guerre linguistique « . Ils ajoutent que « le langage peut façonner notre façon de penser ». Les auteurs mettent en avant plusieurs techniques, décrites à propos de la communication de Trump en 2018 et que l’on pourrait retrouver dans les prises de parole de la ministre de l’Éducation.</p>
<p><strong>Première technique : utiliser des mots comme des armes.</strong> Il s’agit de marteler des termes, dans le but de créer par effet de répétition, de reprise, de viralité, un bain discursif auquel sont soumis les médias comme les citoyens. Dans cette affaire, c’est le champ lexical de l’expérience et du souvenir, avec une <a href="https://theconversation.com/quand-les-politiques-font-de-leur-vulnerabilite-un-outil-de-communication-200193">tentative d’humanisation</a> (« de maman »), qui tente de recadrer le message polémique comme provenant du ressenti d’une mère. Ceci tendrait à rendre le propos comme possiblement légitime – le <a href="https://theconversation.com/quand-les-larmes-des-puissants-incarnent-leur-force-politique-125007">ressenti subjectif</a> ne peut être contesté ou vu comme un mensonge.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747524139601052040"}"></div></p>
<p><strong>Seconde technique : nommer stratégiquement</strong> (« Strategic name-calling »). Il s’agit d’utiliser certains termes de manière inexacte par rapport aux référents qu’ils visent, et cette inexactitude est stratégique. Les mots employés donnent une représentation différente de la réalité. Dans les prises de parole d’Amélie Oudéa-Castéra, on pense au « réarmement civique de notre jeunesse » ou au « choc des savoirs ». Ces expressions désignent des réformes en matière d’éducation mais introduisent une connotation militaire énergique. La formule « l’attractivité des métiers de l’enseignement » efface les personnes (les enseignants), l’exercice d’une profession-vocation (le métier d’enseignant) au profit d’une catégorie non-définie (les métiers de l’enseignement) : en faisant cela, la ministre gomme la dimension humaine et incarnée du métier d’enseignant, pour mettre à distance les personnes.</p>
<p><strong>Troisième technique : utiliser des exemples saillants</strong> (« salient exemplars »). Il s’agit d’utiliser des cas individuels et généraliser pour faire croire que l’exemple particulier s’applique à un ensemble complet. Dans le cas de la réponse déjà évoquée, « la frustration de ses parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées », l’exemple particulier est érigé en cas emblématique d’un phénomène général et problématique.</p>
<p>Cet exemple saillant a ici un double avantage : d’un côté il s’intègre à un discours ambiant, familier pour certains parents, afin de créer une certaine empathie avec l’électorat ; d’un autre côté, on peut y voir une tentative de justification de la politique de son prédécesseur sur l’obligation du temps de formation des enseignants en dehors des heures de cours, <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/09/15/formation-continue-hors-de-travail-cest-non/">décision contestée par les syndicats</a>.</p>
<h2>Cadrage et sandwich de vérité</h2>
<p>Finalement, ces différentes illustrations permettent de caractériser le phénomène de <a href="https://www.marianne.net/medias/pour-combattre-les-fake-news-un-linguiste-propose-la-methode-du-sandwich-de-verite">cadrage ou pré-contrainte</a> (« framing »). Le linguiste Georges Lakoff l’explicite ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Plus une idée de départ est forte, plus la personne a de chances de l’imposer […] Une fois l’idée implantée, la nier ne sert plus à rien. […] Rendant vain, par exemple, tout effort de fact-checking pour démonter une fake news puisqu’en exposant les faits censés la contredire, le journaliste renforce sans le vouloir le cadre initial, qui est faux ».</p>
</blockquote>
<p>L’observation linguistique faite dans le cas d’Amélie Oudéa-Castéra laisse à penser que le même procédé est à l’œuvre. Les éléments de langage déployés renvoient vers un langage « alternatif », qui a pour objectif d’intercaler différentes « couches » d’information, et de proposer un cadrage différent du réel.</p>
<p>Ce phénomène est à l’image de ce qu’a pu décrire la journaliste politique Danielle Kurtzleben aux États-Unis en constatant que <a href="https://www.npr.org/2017/02/17/515630467/with-fake-news-trump-moves-from-alternative-facts-to-alternative-language">« Trump est passé de faits alternatifs à l’expression d’un langage alternatif »</a>. Ce langage alternatif est maintenant repris par une part importante de la <a href="https://www.humanite.fr/politique/emmanuel-macron/les-verites-alternatives-de-la-majorite-789139">classe politique</a>.</p>
<p>Lakoff, comme solution à ce procédé de manipulation, suggère la technique du « sandwich de vérité » :</p>
<blockquote>
<p>« Commencez d’abord par la vérité que la personne essaie de cacher. Vous tirez ça au clair et puis ensuite, vous montrez ce qu’elle essaie de cacher par son mensonge. Vous pouvez dire ce qu’est le mensonge en peu de temps et de mots. Et ensuite, vous revenez à la vérité ».</p>
</blockquote>
<p>Cette technique du « sandwich de vérité » permet à ses utilisateurs (journalistes comme citoyens) de repérer le vrai du faux à l’intérieur d’une information, et d’exercer leur esprit critique vis-à-vis des discours, politiques notamment, <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/24108-fausses-nouvelles-manipulation-comment-lutter-contre-les-fake-news">malgré les difficultés pour y faire face</a>. Mais comme nous l’avons vu avec les stratégies linguistiques mises en œuvre par Amélie Oudéa-Castéra, il est aussi primordial de prendre en compte la manière dont le réel est présenté, à travers le choix des expressions et du vocabulaire.</p>
<p>Ainsi, si l’<a href="https://cfeditions.com/grandir-informes/">éducation aux médias</a> est déjà un <a href="https://eduscol.education.fr/1531/education-aux-medias-et-l-information">enjeu éducatif</a>, tout comme la prise en compte des <a href="https://www.francenum.gouv.fr/guides-et-conseils/strategie-numerique/comprendre-le-numerique/culture-numerique-quest-ce-que-cest">cultures numériques</a>, une sensibilisation aux enjeux linguistiques de l’information consoliderait davantage encore l’esprit critique. C’est ce que font des linguistes comme <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avoir-raison-avec/la-critique-chomskyenne-des-medias-auto-censure-et-propagande-en-democratie-4318746">Noam Chomsky</a>, <a href="https://press.uchicago.edu/books/excerpt/2016/lakoff_trump.html">Georges Lakoff</a> ou dans le contexte du français, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_francais_est_a_nous_-9782348041877">Laélia Véron</a>. Cette dernière y participe de manière humoristique en posant la question de ce qu’implique la métaphore du « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SfgeMYoWpM8">réarmement de l’école</a> « , loin de l’image d’une école indépendante et humaniste.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SfgeMYoWpM8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/221713/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Utiliser des exemples saillants pour généraliser, se servir des mots comme d’armes : analyse des ressources linguistiques employées par la nouvelle ministre de l’Éducation.Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de LorraineJulien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2188762023-12-25T20:23:45Z2023-12-25T20:23:45ZLa guerre de l’information tous azimuts de la Russie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567164/original/file-20231221-25-uac9ue.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C11%2C1862%2C989&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d’écran provenant de l’un des dessins animés produits par la CMP Wagner à destination des pays africains. On voit ici un combattant de Wagner, avec sur la manche un chevron de la CMP et le drapeau russe, voler au secours d’un soldat malien qui défend son pays face à une agression militaire française.
</span> </figcaption></figure><p>Dans sa <a href="https://www.sgdsn.gouv.fr/publications/revue-nationale-strategique-2022">Revue nationale stratégique (RNS) de 2022</a>, la France a porté l’influence <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23071">au rang de priorité stratégique</a>. La précédente RNS, <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/2017-revue_strategique_dsn_cle4b3beb.pdf">publiée en 2017</a>, avait déjà été révisée en 2021 afin de préciser les priorités stratégiques françaises à l’horizon de 2030 ; mais les tensions observées en 2022 ont poussé à sa révision anticipée.</p>
<p>L’influence est un sujet majeur des relations internationales. Les acteurs étatiques et privés en ont douloureusement pris conscience avec le début de la guerre dans le Donbass en 2014, puis avec l’affaire <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Le-scandale-Cambridge-Analytica-raconte-linterieur-2020-03-09-1201082963">Cambridge Analytica en 2016</a>. Depuis, la prégnance de cette thématique n’a fait que croître, et elle est devenue incontournable avec la guerre de l’information observée dès l’invasion de l’Ukraine en février 2022, la sphère informationnelle y étant un <a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-se-joue-egalement-dans-le-cyberespace-178846">enjeu de conflictualité significatif</a>.</p>
<p>Marquée par <a href="https://theconversation.com/la-russie-est-elle-vraiment-en-train-de-perdre-la-guerre-de-la-communication-contre-lukraine-183761">différentes étapes</a>, cette guerre de la communication a comporté des <a href="https://theconversation.com/face-a-la-contre-offensive-ukrainienne-la-russie-hesite-sur-la-communication-a-adopter-190622">phases d’hésitation dans la gestion de la rhétorique russe</a> lorsque, au cours de l’été 2022, l’Ukraine gagnait du terrain lors de sa contre-offensive. Moscou a ensuite adapté son discours de façon à survaloriser la portée de victoires de moyenne importance, par exemple <a href="https://theconversation.com/la-bataille-de-soledar-lecons-militaires-et-communicationnelles-198422">lors de la prise de Soledar</a> en janvier 2023.</p>
<p>Enfin, alors que le Kremlin doit gérer une invasion de l’Ukraine plus longue et plus délicate que prévu, son action informationnelle s’étend à d’autres théâtres et domaines pour affaiblir les alliés de Kiev. Pour autant, ces opérations ne sont pas toujours couronnées de succès, comme l’a montré, par exemple, le récent épisode de la peinture au pochoir d’étoiles de David sur les murs de Paris, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/07/pochoirs-d-etoiles-de-david-a-paris-la-piste-d-une-operation-d-ingerence-russe-privilegiee_6198775_3224.html">imputée à la Russie</a>. Rapidement détectée par le <a href="https://www.sgdsn.gouv.fr/notre-organisation/composantes/service-de-vigilance-et-protection-contre-les-ingerences-numeriques">Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)</a>, l’opération n’a pas eu les conséquences sans doute souhaitées par ses organisateurs.</p>
<h2>L’Occident, une cible de plus en plus cruciale au fil du temps</h2>
<p>Si, au début du conflit, la Russie a davantage axé ses efforts d’influence sur le continent africain et le Moyen-Orient que sur les Occidentaux, l’inscription du conflit dans la durée a infléchi cette orientation. En effet, Moscou parie sur l’usure des soutiens de l’Ukraine et sur leurs divisions que pourraient alimenter des tensions sociales internes, des agendas politiques propres ou des intérêts divergents. L’Ukraine restant profondément dépendante de l’appui occidental, notamment en matière d’armement, tout événement de nature à fragiliser ce soutien aura une importance majeure sur la poursuite du conflit.</p>
<p>En ce sens, l’opération <a href="https://theconversation.com/operation-doppelganger-quand-la-desinformation-russe-vise-la-france-et-dautres-pays-europeens-208071">Dôppelganger</a>, si elle n’était pas originale sur le fond, a revêtu une ampleur inédite. Rappelons que la Russie a, dans ce cadre, créé des « clones » de nombreux journaux occidentaux afin d’y diffuser des contenus visant à nuire à la réputation de l’Ukraine, voire à diviser les Européens. La campagne Dôppelganger a été accompagnée d’un intéressant dispositif de suivi destiné à évaluer la pénétration de cette opération au sein des populations et à mesurer l’effet réel de la campagne.</p>
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<p>Cette opération avait duré plusieurs mois mais avant d’être officiellement démasquée à l’été 2023. Pour autant, la révélation de l’existence du projet Dôppelganger n’a pas mis un terme aux opérations informationnelles, qui sont la trame de la <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230929-guerre-cognitive-le-cerveau-nouveau-champ-de-bataille">guerre cognitive</a> à laquelle nous assistons actuellement. Plus récemment, alors que l’attaque du Hamas du 7 octobre a profondément <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/11/le-hamas-fait-tout-pour-attirer-israel-dans-le-piege-d-une-operation-terrestre_6193806_3232.html">déstabilisé le Moyen-Orient</a> et que les Occidentaux craignent que l’onde de choc de cette explosion de violence ne se traduise par des troubles sur leurs territoires, une nouvelle opération a été identifiée.</p>
<p>C’est Viginum qui, en tirant la sonnette d’alarme, a permis à l’État français de <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/russie/evenements/evenements-de-l-annee-2023/article/russie-nouvelle-ingerence-numerique-russe-contre-la-france-09-11-23">mettre officiellement en cause le site « Recent Reliable News » (RNN)</a> pour avoir sciemment amplifié sur la toile l’impact des images d’étoiles de David taguées dans le X<sup>e</sup> arrondissement de Paris.</p>
<p>Outre le millier de bots employés pour relayer l’information au travers de quelque 2 600 tweets, les <a href="https://www.lejdd.fr/societe/etoiles-de-david-taguees-paris-le-couple-interpelle-en-flagrant-delit-ete-renvoye-en-moldavie-139642">ressortissants moldaves</a> interpellés en flagrant délit fin octobre ont indiqué avoir agi moyennant rémunération. Par ailleurs, les enquêteurs sont remontés jusqu’à un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/etoiles-de-david-taguees-a-paris-le-commanditaire-presume-choque-par-les-accusations-d-antisemitisme_AV-202311100167.html">personnage trouble</a>, connu pour ses anciennes accointances pro-russes en Moldavie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720333601391124855"}"></div></p>
<p>L’action tentait de capitaliser sur une crise existante et sur un contexte social tendu, marqué par <a href="https://www.la-croix.com/france/Actes-antisemites-France-justice-elle-moyens-sanctionner-2023-11-02-1201289161">l’augmentation des agressions physiques contre des personnes juives</a>, afin d’en tirer profit en termes d’influence et de guerre cognitive.</p>
<h2>La démultiplication des zones de crises</h2>
<p>Cette instrumentalisation de contextes perturbés dans le but de les exacerber et d’en tirer profit pour la Russie est une méthode qui a été souvent employée, y compris assez récemment sur le continent africain, nouveau théâtre de confrontation avec l’Occident, et spécialement avec la France. Des versions africaines des médias <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-information-russie-ukraine-medias-influence-rt-sputnik-afrique-nouveau-rideau-de-fer">Sputnik et RT</a> ont été lancées dès 2014, et on a également constaté, dès 2018, la présence de groupes de mercenaires, comme Wagner, <a href="https://www.irsem.fr/media/report-irsem-97-russia-mali-en.pdf">notamment au Soudan et en République centrafricaine (RCA)</a>.</p>
<p>Dans le même sens, ont fait leur apparition des films produits par des agences de la constellation Prigojine comme <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210603-centrafrique-touriste-une-fiction-au-service-de-la-propagande-russe">« <em>Le Touriste</em> »</a> ou « <em>Granit</em> », produits par la <a href="https://www.areion24.news/2022/06/10/le-geant-endormi-lessor-du-cinema-comme-instrument-de-soft-power-russe/6/">société Aurum</a>.</p>
<p>Plus récemment encore, des dessins animés présentant la France et ses forces armées tour à tour comme des serpents, des rats ou des zombies ont déferlé sur l’Afrique de l’Ouest, et plusieurs pseudo-fondations et ONG ont repris des dialectiques servant les intérêts russes.</p>
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<p>En outre, après que le président Bazoum au Niger, considéré comme proche de la France, a été <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">renversé par un coup d’État militaire</a> rapidement soutenu par la sphère informationnelle rattachée à la Russie, l’armée française a été <a href="https://www.tf1info.fr/international/niger-une-campagne-de-desinformation-menee-par-moscou-accuse-l-armee-francaise-d-avoir-enleve-des-enfants-enlevements-2266282.html">accusée d’avoir enlevé des enfants dans ce pays dans le cadre d’un trafic pédophile</a>. Ces contenus, diffusés par une « fondation de défense des droits de l’homme » <a href="https://fondfbr.ru/fr/articles_fr/france-niger-minors-fr/">connue pour être une officine de désinformation rattachée à la Russie</a> et pour avoir gravité dans la mouvance d’Evguéni Prigojine, seront repris par Dimitri Poliansky, représentant permanent de la Russie auprès des Nations unies <a href="https://archive.ph/ZsFZP">sur son compte Telegram</a>.</p>
<h2>La psychologie humaine, un champ de bataille parmi d’autres</h2>
<p>La guerre cognitive peut être définie comme la militarisation de tous les aspects de la société, y compris de la psychologie humaine et des relations sociales, afin de modifier les convictions des individus et, in fine, leur façon d’agir.</p>
<p>Ce thème, et le concept qui le sous-tend, sont pris au sérieux au point d’avoir été le sujet du défi d’innovation de l’OTAN de l’automne 2021, organisé par le Canada cet automne-là, qui s’intitulait <a href="https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/campagnes/defi-d-innovation-de-l-otan-automne-2021.html">« La menace invisible : Des outils pour lutter contre la guerre cognitive »</a>.</p>
<p>Dans le cas présent, la démultiplication des crises peut, en tant que telle, représenter une forme de « stress test » visant à mesurer la capacité des Occidentaux à gérer une pluralité de désordres. En outre, le continent africain est un enjeu d’autant plus important pour la Russie que les sanctions européennes consécutives à l’invasion de l’Ukraine poussent le Kremlin à diversifier ses sources de financement, par exemple en recourant à des sociétés militaires privées afin de capter des fonds et des matières premières pour concourir au soutien d’une économie russe contrainte d’assumer l’effort de sa guerre contre l’Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En de nombreux points du globe, la Russie mène de nombreuses opérations informationnelles visant à affaiblir les alliés de l’Ukraine.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175782023-12-06T17:45:34Z2023-12-06T17:45:34ZDe Twitter à X : un an après, les suprémacistes blancs sont-ils de retour ?<p>Le 28 octobre 2022, un jour seulement après avoir fait l’acquisition de Twitter, Elon Musk publie un message qui résume à lui seul sa vision pour le futur de la compagnie : « L’oiseau est libéré ».</p>
<p>Le bleu symbolique, partagé par les premiers réseaux sociaux, cède rapidement sa place au <a href="https://theconversation.com/desinformation-et-souverainete-des-continents-virtuels-de-linternet-113523">X noir du dark web</a> lorsque la X Corp., filiale de X Holdings Corp. et détenue par Elon Musk, prend le contrôle de Twitter. Dans la foulée, le milliardaire annonce la <a href="https://www.platformer.news/p/why-some-tech-ceos-are-rooting-for">restauration de 62 000 comptes préalablement suspendus</a>, y compris, ce qui fera les gros titres, de celui de Donald Trump.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/twitter-2-0-le-populisme-assume-delon-musk-195476">Twitter 2.0 : le populisme assumé d’Elon Musk</a>
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<p>De fait, le magnat de la technologie énonce clairement son dessein : métamorphoser Twitter en une plate-forme où la liberté de parole se rapprocherait de l’absolu. Il se place ainsi en <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/14/twitter-supprime-une-grande-partie-de-ses-capacites-de-moderation_6149773_4408996.html">rupture radicale</a> avec les dispositifs de modération encouragés par le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/27/facebook-twitter-et-google-devant-le-senat-americain-pour-repondre-de-leur-responsabilite-sur-les-contenus-publies_6057588_4408996.html">Congrès états-unien</a> pour tenter de contenir les discours haineux et de contrer l’épidémie de désinformation.</p>
<p>Cette nouvelle orientation engendre des réactions polarisées aux États-Unis. Certains craignent une montée de l’extrémisme, en particulier des mouvements suprémacistes, en raison de la possibilité de voir se propager et normaliser des <a href="https://www.tf1info.fr/international/elon-musk-accuse-de-faire-une-promotion-abjecte-de-l-antisemitisme-sur-x-twitter-par-la-maison-blanche-2276594.html">contenus à caractère raciste et antisémite</a>. Parallèlement, de nombreuses voix s’élèvent sur Twitter pour réclamer le rétablissement des comptes de leaders nationalistes blancs qui aspirent à retrouver leur place sur la plate-forme, appels manifestés par des interpellations directes faites à Musk.</p>
<p>Un peu plus d’un an plus tard, alors que, à l’occasion de l’anniversaire de son rachat, Musk a retweeté son message initial en l’agrémentant du mot « Freedom », quelle est la situation effective des comptes nationalistes blancs sur le réseau social, et quelles sont les implications prévisibles pour l’évolution de l’extrémisme dans le discours public ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1717917213301055508"}"></div></p>
<h2>La suspension persistante des leaders nationalistes blancs</h2>
<p>Les équipes de X ont procédé à une première vague de restaurations des comptes suspendus <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/24/elon-musk-annonce-le-retablissement-des-comptes-suspendus-sur-twitter_6151502_4408996.html">à partir de novembre 2022</a>.</p>
<p>Parmi les comptes dont le retour était le plus craint se trouvent ceux de leaders nationalistes blancs suspendus de 2017 à 2021, lors de vagues de <a href="https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/deplatform">déplatforming</a> consécutives aux <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/aux-etats-unis-les-reseaux-sociaux-mobilises-contre-les-extremistes-blancs_115584">événements de Charlottesville</a> puis à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/direct-violences-au-capitole-twitter-suspend-le-compte-de-donald-trump-de-facon-permanente_4250747.html">l’assaut du Capitole</a>.</p>
<p>Avaient alors été suspendus les comptes de personnalités notoires comme la figure emblématique du Ku Klux Klan, <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/twitter-suspend-le-compte-de-david-duke-l-ancien-chef-du-ku-klux-klan_4063395.html">David Duke</a>. La mesure avait également concerné des individus moins médiatisés mais tout aussi importants, tels le théoricien du « réalisme racial » <a href="https://www.cnet.com/culture/white-nationalist-jared-taylor-american-renaissance-sues-twitter-for-account-suspension/">Jared Taylor</a>, fondateur du site suprémaciste blanc <a href="https://www.amren.com/">American Renaissance</a>, ou encore <a href="https://academic.oup.com/book/25370/chapter-abstract/192454202?redirectedFrom=fulltext">Greg Johnson</a>, éditeur du magazine nationaliste blanc <a href="https://counter-currents.com/">Counter-Currents</a>.</p>
<p>Contre toute attente, même avec l’arrivée de Musk, ces comptes sont demeurés inaccessibles. Ayant en commun la promotion organisée d’un État racial aux États-Unis, basé sur une identité blanche homogène, leurs contenus sont restés en contradiction avec les nouvelles règles de sécurité de la plate-forme X, qui interdisent les <a href="https://help.twitter.com/en/rules-and-policies/x-rules">associations avec les entités violentes ou haineuses</a>. D’autres comptes clés ont ainsi été désactivés par les équipes d’Elon Musk, comme celui du psychologue antisémite et nationaliste blanc <a href="https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/individual/kevin-macdonald">Kevin MacDonald</a> en avril 2023.</p>
<p>Si l’absence persistante de ces leaders prive un mouvement fragmenté de points de convergence idéologique, cela ne signifie pas pour autant que le racialisme anti-démocratique est absent de la plate-forme. De nombreux comptes de personnalités secondaires, déjà présents sur Twitter, sont parvenus à passer entre les mailles du filet des nouvelles règles de X et à exploiter la situation pour s’établir comme les nouvelles voix à suivre.</p>
<p>En outre, X a procédé à une deuxième vague de restaurations en janvier 2023. Sans rétablir les théoriciens du racialisme, des groupes que l’on peut qualifier d’adjacents au nationalisme blanc tels que les <a href="https://www.isdglobal.org/explainers/groypers/">Groypers de Nick Fuentes</a> ont ainsi tenté de réinvestir la plate-forme.</p>
<h2>Le dark web intellectuel ou l’authentique X de droite</h2>
<p>Le Twitter de Musk tend à ouvrir ses portes à une ligne essentialisante de <a href="https://intellectualdarkweb.site/">l’Intellectual dark web</a>, ensemble hétéroclite de personnalités médiatiques revendiquant leurs qualifications académiques pour se définir comme penseurs. Leur idéologie commune s’appuie néanmoins sur une conception biologique des genres, cristallisant des rôles traditionalistes qui confinent l’homme à une puissance masculine productive, tout en assignant à la femme une féminité délicate et protectrice du foyer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1604080906746355719"}"></div></p>
<p>Le compte de l’influenceur Stefan Molyneux, qui a fait partie de la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/16/etats-unis-qu-est-ce-que-l-alt-right-et-le-supremacisme-blanc_5173096_4355770.html">mouvance alt-right</a>, est l’un de ceux qui ont été rétablis dès novembre 2022. Suivi par plusieurs centaines de milliers d’abonnés, il est connu pour ses prises de position libertariennes au sein des sphères de la <a href="https://unherd.com/2021/12/why-the-right-is-obsessed-with-masculinity/">« manosphère »</a>. Cette manosphère est une version particulièrement réactionnaire du masculinisme, largement caractérisée par une hostilité militante à l’encontre de tout ce qui relève, aux yeux de ses membres, du wokisme. Cette tendance idéologique a été confortée par la <a href="https://www.tvqc.com/2022/11/19/news/video/twitter-jordan-peterson-remercie-elon-musk-davoir-reactive-son-compte/">réactivation des comptes de Jordan B. Peterson</a> et de <a href="https://www.louderwithcrowder.com/james-lindsay-exclusive-part-one">James Lindsay</a>, deux figures controversées de ce mouvement.</p>
<p>La manosphère tend en outre à servir de porte d’entrée à d’autres groupes adjacents au nationalisme blanc. La synthèse identitaire est incarnée par le retour sur X de Bronze Age Pervert – dit « BAP » par ses followers – pseudonyme provocateur du philosophe roumano-américain <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2023/09/bronze-age-pervert-costin-alamariu/674762/">Costin Alamariu</a>. Son marketing repose sur une hiérarchie sexuelle explicite dominée par des mâles alpha amateurs de séductions éphémères. Il y rajoute également l’ambiguïté d’amitiés viriles marquées par une esthétique guerrière.</p>
<p>Depuis le feu vert offert par Elon Musk, le contenu proposé par « BAP » rencontre un public croissant qui dépasse désormais les 130 000 fidèles, soit une augmentation de deux tiers en un an. Sa présence a permis de rendre sa structure pyramidale à un mouvement qui se désigne couramment comme l’authentique Twitter de Droite (Right-Wing Twitter). Elle favorise en outre un glissement du libertarianisme anti-woke vers le néofascisme.</p>
<p>En effet, BAP n’est pas si différent des comptes nationalistes blancs pourtant inaccessibles sur X. <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/07/16/bronze-age-pervert-masculinity-00105427">Promoteur décomplexé d’un projet antidémocratique</a>, il souscrit à une philosophie néo-nietzschéenne qui oppose sa notion élitiste de la fraternité à des groupes ethniques qu’il décrit comme de simples « ferments ». Les rapports sociaux sont essentialisés à leur paroxysme : ils ne sont plus euphémisés, mais sublimés par l’illusion d’appartenir à une communauté basée sur la célébration d’une force qui se réalise dans la seule domination d’autrui.</p>
<h2>Vers une même cohérence politique masculiniste anti-woke, la mouvance NatCon</h2>
<p>Il peut de prime abord sembler paradoxal de refuser, comme le fait actuellement Twitter-X, la présence de comptes explicitement racialistes ou antisémites tout en admettant la présence et la croissance d’un réseau néofasciste adjacent. Plusieurs explications sont envisageables.</p>
<p>D’un point de vue sémiotique, cette faction de la droite extrême a développé ses propres codes de langage qui lui permettent de contourner les algorithmes de recommandation. Au niveau thématique, les discours masculinistes, qui se positionnent contre les théories du genre, semblent <a href="https://www.europe1.fr/people/elon-musk-une-biographie-depeint-les-obsessions-et-les-methodes-brutales-du-milliardaire-4203220">rencontrer les faveurs d’Elon Musk</a>. Celui-ci a en effet exprimé sans détour son opposition au « virus woke » quand il a rétabli le <a href="https://www.foxnews.com/media/the-babylon-bees-twitter-account-reinstated-elon-musk-suspension-transgender-joke-back">compte satirique Babylon Bee</a>. Enfin, les influenceurs de la droite extrême réadmis sur la plate-forme répondent à une cohérence idéologique qui tend à étayer un projet politique convergent.</p>
<p>En effet, ces acteurs gravitent autour de la mouvance NatCon, un <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">conservatisme nationaliste</a> rassemblant diverses branches politiques illibérales, <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">sous la houlette de Yoram Hazony</a>. Alors qu’il ne peut être catégorisé comme conservateur nationaliste, BAP a <a href="https://newrepublic.com/article/174656/claremont-institute-think-tank-trump">bénéficié dès 2019 du relais du Claremont Institute</a>, un think tank étroitement associé au réseau NatCon, pour la <a href="https://claremontreviewofbooks.com/are-the-kids-altright/">promotion de son ouvrage _Bronze Age Mindset</a>_.</p>
<p>Cette inclusion dans une organisation clé du conservatisme national établit un lien vers le <a href="https://reason.com/2020/08/02/wait-wasnt-peter-thiel-a-libertarian">libertaire Peter Thiel</a>, fondateur de Palantir, co-fondateur de Paypal et ancien associé d’Elon Musk, devenu l’un des principaux influenceurs du mouvement. La relation entre un magnat de la Silicon Valley et un philosophe masculiniste peut sembler ténue. Pourtant, Thiel est un important donateur du Parti républicain et n’a jamais caché son adhésion à une idéologie antidémocratique proche de la <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/28/opinion/marc-andreessen-manifesto-techno-optimism.html">pensée néo-réactionnaire de Curtis Yarvin</a>. Bénéficiant d’importants soutiens, le BAPtisme se situe à l’extrême du <a href="https://www.vanityfair.com/news/2022/04/inside-the-new-right-where-peter-thiel-is-placing-his-biggest-bets">continuum promouvant une « Nouvelle Droite »</a>. Cette New Right est une actualisation de la faction non racialiste de l’alt-right qui tente de gagner en prépondérance en utilisant la plate-forme X.</p>
<p>La question du nationalisme blanc peut donc se poser en termes stratégiques. Malgré une proximité idéologique, le refus des organisateurs des conférences NatCon d’accepter la présence des leaders du mouvement est justifié par le <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/rosiegray/national-conservatism-trump">souci de ne pas voir leur image liée à une mouvance aussi ouvertement extrême</a>. L’association avec ce qui est étiqueté « nationalisme blanc » est considérée comme dommageable à l’attraction d’une audience large et diversifiée. La mise en scène de son rejet permet au contraire de rassurer et de renforcer la respectabilité du NatCon.</p>
<p>Dans les salles de conférence comme sur X, le NatCon semble avoir entrepris de reconstruire un mouvement sur la base de nouveaux codes et de nouvelles figures. Ce sont ces choix qui détermineront si le projet antidémocratique peut être perçu comme acceptable par le plus grand nombre. Et si l’extrémisme masculiniste peut devenir la norme politique du Parti républicain. En 2022 déjà, le républicain Blake Masters, candidat malheureux à la fonction de Sénateur de l’Arizona, a su rassembler le soutien de la droite dure grâce à un programme à la fois traditionaliste et protectionniste.</p>
<p>L’oiseau Twitter est peut-être libéré, mais le X se montre sélectif. Un an après la prise de contrôle du réseau social par Elon Musk, il apparaît que les craintes sur la montée en puissance du nationalisme blanc ont plus que jamais besoin d’être contextualisées et rationalisées. L’étude des comptes influents effectivement actifs montre que les termes du débat risquent de passer de l’alt-right à la New Right. À l’approche des élections de 2024, ce cadre sera d’une grande importance pour analyser la résurgence de toutes les formes de suprémacisme aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Après la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk en octobre 2022, beaucoup s’inquiètent de la réapparition des comptes nationalistes qui avaient été suspendus auparavant.Sarah Rodriguez-Louette, Doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle, membre de la Chaire Unesco « Savoir Devenir à l'ère du développement numérique durable»., Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179622023-11-21T16:52:55Z2023-11-21T16:52:55ZContenus haineux en ligne : oui, les modérateurs humains ont les moyens de l’emporter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559947/original/file-20231116-27-dle1wd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4031%2C2824&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour les principales plates-formes de services numériques, le règlement européen DSA est entré en vigueur le 25&nbsp;août dernier.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://theconversation.com/topics/reseaux-sociaux-20567">réseaux sociaux</a> sont devenus les « places publiques numériques » de notre époque. Ils permettent la communication et l’échange d’idées à l’échelle mondiale. La nature non réglementée de ces plates-formes y a toutefois permis la prolifération de contenus préjudiciables, de <a href="https://theconversation.com/topics/desinformation-49462">désinformation</a> et de <a href="https://theconversation.com/topics/messages-haineux-110208">discours haineux</a>.</p>
<p>Bien qu’il s’avère difficile de réglementer le monde en ligne, une voie prometteuse a été ouverte par le <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act"><em>Digital services act</em></a> (DSA), adoptée en novembre 2022. Le règlement est entré en vigueur depuis le 25 août dernier pour les plates-formes les plus importantes et vaudra pour toutes à partir du 17 février prochain.</p>
<p>Cette loi prévoit que des « signaleurs de confiance » (« trusted flaggers ») rapportent certains types de contenus problématiques aux plates-formes, qui doivent alors les retirer dans les 24 heures. Qu’en attendre étant donnée la rapidité et de la complexité de la dynamique virale des médias sociaux ? Pour le savoir, nous avons simulé l’effet de la nouvelle règle, dans une <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2307360120">recherche</a> publiée dans la revue <em>Proceedings of the National Academy of Sciences</em>. </p>
<p>Nos résultats montrent que cette approche peut effectivement réduire la diffusion de contenus préjudiciables. Nous proposons également quelques pistes pour une mise en œuvre optimale des règles.</p>
<h2>Modérer après 24h n’est pas inefficace</h2>
<p>Nous avons pour cela utilisé un modèle mathématique de propagation de l’information pour analyser la manière dont les contenus préjudiciables sont diffusés sur les réseaux sociaux. Chaque message préjudiciable y est traité comme un <a href="https://www.jstor.org/stable/2334319">« processus ponctuel auto-excitant »</a>. Cela signifie qu’il attire de plus en plus de personnes dans la discussion au fil du temps et génère d’autres messages préjudiciables, dans un processus de bouche-à-oreille. L’intensité de l’autopropagation d’un message diminue, certes, avec le temps. Toutefois, s’il n’est pas contrôlé, sa « progéniture » peut générer d’autres progénitures, ce qui conduit à une croissance exponentielle.</p>
<p>Dans notre étude, nous avons utilisé deux mesures clés pour évaluer l’efficacité du type de modération prévu par la loi sur les services numériques : le préjudice potentiel et la demi-vie du contenu. Le potentiel de nuisance d’un message représente le nombre de descendants nuisibles qu’il génère. La demi-vie du contenu estime le temps nécessaire pour que la moitié de tous les « descendants » du message soient générés. Autrement dit, nous évaluons à la fois le nombre de messages haineux ou de désinformation généré par un message à la racine et leur vitesse d’apparition.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1625764066202382338"}"></div></p>
<p>Nous avons constaté que les mécanismes mis en place par le DSA peuvent réduire efficacement le préjudice, même sur les plates-formes dont la demi-vie du contenu est des plus courtes, comme X (anciennement Twitter). Bien qu’une modération plus rapide soit toujours plus efficace, nous avons observé qu’une modération même après 24 heures pouvait encore réduire le nombre de descendants nuisibles jusqu’à 50 %. </p>
<p>Par ailleurs, plus la demi-vie est longue, plus le temps de réaction efficace s’allonge : une intervention plus tardive permet encore d’éviter de nombreux posts ultérieurs préjudiciables. Un temps de réaction plus tardif est également plus efficace pour les contenus dont le potentiel de nuisance est plus élevé. Bien que cela semble contre-intuitif, par ailleurs, nos résultats indiquent qu’il est pertinent de cibler la génération des descendants : cela rompt le cycle du bouche-à-oreille.</p>
<h2>Cibler les efforts</h2>
<p>Des recherches antérieures ont montré que les outils fondés sur l’intelligence artificielle peinent à détecter les contenus préjudiciables en ligne. Les auteurs de ces contenus sont en effet souvent au fait du fonctionnement des outils de détection et adaptent leur langage pour éviter d’être repérés. L’approche de la modération prévue par la loi sur les services numériques repose ainsi sur le marquage manuel des messages par des « signaleurs de confiance », qui disposent néanmoins d’un temps et de ressources limités. Pour tirer le meilleur parti de leurs efforts, les signaleurs doivent donc se concentrer sur les contenus à fort potentiel de nuisance.</p>
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<p>Les plates-formes de réseaux sociaux emploient déjà des équipes de modération de contenu, et nos recherches suggèrent que les principales d’entre elles ont déjà suffisamment de personnel pour appliquer la législation de la loi sur les services numériques. Des questions se posent toutefois quant à la sensibilité culturelle du personnel existant, car certaines de ces équipes sont localisées dans des pays différents de la majorité des auteurs de contenu qu’elles modèrent.</p>
<p>Le succès de la législation dépendra ainsi de la nomination de signaleurs de confiance ayant des connaissances culturelles et linguistiques suffisantes, de la mise au point d’outils pratiques de signalement des contenus préjudiciables et de la garantie d’une modération en temps utile.</p>
<p>Alors que les plates-formes de médias sociaux continuent de façonner le discours public, il est essentiel de relever les défis posés par les contenus préjudiciables. Nos recherches sur l’efficacité de la modération des contenus préjudiciables en ligne offrent des indications aux décideurs politiques. En comprenant la dynamique de la diffusion des contenus, en optimisant les efforts de modération et en mettant en œuvre des réglementations telles que la loi sur les services numériques, nous pouvons aspirer à une place publique numérique plus saine et plus sûre, où les contenus préjudiciables sont atténués et où le dialogue constructif prospère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217962/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marian-Andrei Rizoiu a reçu des financements du Département australien des affaires intérieures, du Groupe australien de science et technologie de la défense et du Réseau d'innovation de la défense.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philipp Schneider ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une recherche démontre les avantages du délai de 24 heures accordé aux plates-formes pour retirer un contenu haineux prévu dans le récent « Digital Services Act » européen.Marian-Andrei Rizoiu, Senior Lecturer in Behavioral Data Science, University of Technology SydneyPhilipp Schneider, Doctoral Student, EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne – Swiss Federal Institute of Technology in LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182132023-11-21T16:23:48Z2023-11-21T16:23:48ZL’assassinat de John Kennedy : 60 ans de théories du complot<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560509/original/file-20231120-27-f6ckm.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1022%2C768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dallas, le 22 novembre 1963. </span> <span class="attribution"><span class="source">Walt Cisco, Dallas Morning News/Wikipedia</span></span></figcaption></figure><p><em>Ce fut l’une des dates les plus marquantes du XX<sup>e</sup> siècle : le 22 novembre 1963, il y a exactement soixante ans aujourd’hui, John Fitzgerald Kennedy était assassiné à Dallas. Deux jours plus tard, son assassin supposé Lee Harvey Oswald, 24 ans, était abattu à son tour par un patron de boîte de nuit, Jack Ruby, dont les motivations restent à ce jour peu claires.</em></p>
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<p><em>Aujourd’hui encore, cet épisode historique donne lieu à d’innombrables interrogations que les enquêtes successives diligentées par les autorités américaines, en <a href="https://www.archives.gov/research/jfk/warren-commission-report">1963-1964</a> puis en <a href="https://www.intelligence.senate.gov/sites/default/files/94755_V.pdf">1976-1979</a> n’ont pas totalement levées. David Colon, professeur agrégé d’histoire et enseignant à Sciences Po, spécialiste des théories du complot, auteur notamment en 2021 de <a href="https://www.tallandier.com/livre/les-maitres-de-la-manipulation/">« Les Maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse »</a>, répond ici à nos questions sur la diffusion et l’impact des théories complotistes liées à l’assassinat de JFK – des théories, souligne-t-il, largement propagées par les services secrets soviétiques</em>. </p>
<p><strong>Quand les premières théories complotistes sur l’assassinat de JFK apparaissent-elles ?</strong></p>
<p>Pratiquement dès le 22 novembre 1963. Le KGB lance le 26 novembre 1963 <a href="https://www.encounterbooks.com/books/operation-dragon/">l’opération Dragon</a>, qui vise d’abord à détourner de l’URSS les soupçons américains – des soupçons d’autant plus forts qu’Oswald <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1963/11/25/lee-harvey-oswald-avait-vecu-trois-ans-en-u-r-s-s_2220401_1819218.html">avait vécu en URSS</a> et était un sympathisant communiste.</p>
<p>L’opération, qui implique des investissements importants de la part du KGB, vise ensuite à éroder la confiance des citoyens américains dans leurs institutions en attribuant la mort de leur président à la CIA.</p>
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<p>En 1964, cette thèse est <a href="https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/2003/11/22/how-moscow-undermined-the-warren-commission/4e30c89b-40c4-4f31-8a0d-32d3a76c8af9/">diffusée par le rédacteur stalinien d’un journal britannique contrôlé par le KGB, <em>Labour Monthly</em></a>, puis par un éditeur new-yorkais secrètement financé par le KGB, <a href="https://spartacus-educational.com/JFKmarzani.htm">Carl Aldo Marzani</a>, qui publie le premier livre popularisant la thèse du complot de la CIA : <a href="https://www.cia.gov/readingroom/docs/CIA-RDP80B01676R000600120027-6.pdf"><em>Oswald : Assassin or Fall Guy?</em></a>.</p>
<p>Le journaliste américain Victor Perlo, également rétribué par le KGB, rédige une <a href="https://kenrahn.com/JFK/History/WC_Period/New_Times/1964-38_Assassin_or_fall_guy.html">critique élogieuse de cet ouvrage</a>, qui paraît en septembre 1964 dans le <em>New Times</em>, une façade du KGB imprimée secrètement en Roumanie.</p>
<p>Aujourd’hui, il est beaucoup question de <a href="https://www.reuters.com/world/europe/french-foreign-minister-prevented-attack-website-likely-carried-out-by-russian-2023-06-13/">« typosquatting »</a>, avec <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/06/14/doppelganger-autopsie-d-une-operation-de-desinformation_6177621_4408996.html">Doppelgänger</a>, une opération du renseignement russe qui consiste à imiter des médias occidentaux et à installer ces faux sites sur des adresses URL qui ressemblent aux vraies. C’est une pratique très ancienne, puisque le KGB faisait déjà la même chose, avec les moyens de l’époque, il y a 60 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/operation-doppelganger-quand-la-desinformation-russe-vise-la-france-et-dautres-pays-europeens-208071">Opération Doppelgänger : quand la désinformation russe vise la France et d’autres pays européens</a>
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<p><strong>La désinformation soviétique à destination des pays étrangers liée à l’assassinat de Kennedy s’inscrivait-elle dans une tradition établie ?</strong></p>
<p>Oui. Avant le KGB, il y a eu le NKVD, avant lui la Guépéou, avant encore la Tchéka, et du temps du tsarisme l’Okhrana ; tous ces services avaient eu recours à des méthodes de ce type. Les services du tsar avaient notamment forgé, on s’en souvient, l’un des faux les plus célèbres de l’histoire, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/08/15/les-protocoles-des-sages-de-sion-fake-news-antisemite-a-succes-des-annees-1920_6091475_4355770.html"><em>Les Protocoles des Sages de Sion</em></a>, afin d’offrir une justification aux pogroms anti-juifs. Ce texte a d’ailleurs été, quelques décennies plus tard, <a href="https://www.tabletmag.com/sections/news/articles/timmerman-disinformation">traduit en arabe par le KGB</a> et diffusé dans les pays arabes dans le cadre de la politique soviétique de la guerre froide. Ce qui est nouveau, avec l’opération Dragon, c’est sa durée et son efficacité.</p>
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<p>Sa durée parce que, à ma connaissance, cette opération est toujours active : ceux qui dirigent aujourd’hui la Russie relancent très régulièrement les supputations. Vladimir Poutine en personne, intervenant en 2017 à la télévision américaine, sur NBC, a <a href="https://tass.com/politics/949795">explicitement mentionné</a> la théorie selon laquelle ce seraient les Américains eux-mêmes qui auraient assassiné leur président. On lui demandait s’il avait interféré dans l’élection présidentielle américaine de 2016, qui s’était soldée par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche : il a réagi en ressortant cette théorie sur Kennedy, affirmant que puisque les Américains ont pu tuer leur président en 1963, ils auraient aussi bien pu, plus de cinquante ans plus tard, monter de toutes pièces des accusations infondées visant la Russie. </p>
<p>Quant à son efficacité, elle se mesure à la proportion d’Américains qui adhèrent à cette théorie. En 1963, 52 % des Américains croyaient qu’il avait été victime d’un complot. En 1976, ce chiffre était passé à 81 %. C’est justement en 1976 que le KGB a relancé son opération visant à diffuser l’idée qu’il y aurait aux États-Unis un « deep state » – une sorte de structure parallèle prenant les vraies décisions.</p>
<p>Cette idée de « deep state » avait commencé à être diffusée dès 1957, par les services est-allemands, qui avaient publié dans le <em>Neues Deutschland</em>, le journal officiel de la RDA, une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1957/02/16/le-journal-communiste-neues-deutschland-publie-une-lettre-que-m-rockefeller-aurait-envoyee-a-m-eisenhower-sur-l-aide-economique_2327430_1819218.html">lettre secrète</a> qui aurait prétendument été adressée au président des États-Unis, Dwight Eisenhower, par le président de la Standard Oil Nelson Rockefeller. Il ressortait de cette fausse lettre que la Maison Blanche était l’instrument de puissants instruments capitalistes, et qu’elle leur donnait la priorité au détriment des intérêts du pays.</p>
<p><strong>À la fin des années 1970, une enquête parlementaire américaine a conclu que la commission Warren, qui en 1963 avait décrété qu’Oswald avait été l’unique tireur et avait agi de son propre chef, était allée trop vite en besogne, et que la possibilité d’un complot n’était pas à exclure… sans aller jusqu’à incriminer la CIA.</strong></p>
<p>Effectivement. Mais le narratif soviétique, d’après lequel la CIA a assassiné Kennedy, n’en a pas moins largement imprégné les esprits. Qu’on en juge par le <a href="https://www.bfmtv.com/people/cinema/on-connait-deja-la-verite-c-etait-un-complot-oliver-stone-revient-sur-l-assassinat-de-jfk_AN-202107220200.html">film « JFK », d’Oliver Stone</a>, sorti en 1991. Il reprend totalement les théories diffusées par le KGB dans le cadre de l’opération Dragon, d’après lesquelles le président aurait été la victime d’un vaste complot impliquant le complexe militaro-industriel commandité par nul autre que son vice-président Lyndon Johnson, qui lui a succédé à la Maison Blanche.</p>
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<p>Pour autant, cela ne signifie évidemment pas que Stone et les journalistes et autres écrivains colportant ces thèses aient été stipendiés par le KGB ! La bonne désinformation, comme le disait Andropov lui-même, est celle qui trouve dans les sociétés ciblées des relais de bonne foi qui vont l’amplifier. </p>
<p>Le KGB n’a pas créé la théorie du complot, mais il l’a largement amplifiée, si bien qu’elle s’est auto-propagée au point de devenir une sorte de lieu commun aux États-Unis. Et une fois que vous avez convaincu une large partie des Américains que leur président a été tué par leurs propres services de sécurité, vous avez affaibli leur confiance dans leur système, dans leurs institutions, dans la démocratie elle-même. C’est cela, l’objectif. Ce travail de sape, qui avait commencé bien avant 1963, a été démultiplié avec l’assassinat de Kennedy, et s’est poursuivi par la suite, y compris avec la chute de l’URSS, comme on l’a vu avec toutes ces théories sur le 11 Septembre, les Illuminati, le groupe de Bilderberg, le Covid depuis peu, et ainsi de suite.</p>
<p><strong>Des théories dont le mouvement Qanon est un relais actif…</strong></p>
<p>Tout à fait. Ce mouvement est d’ailleurs en partie opéré depuis la Russie. Le fameux <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/18/comment-nous-avons-trouve-qui-etait-derriere-qanon/">« Q »</a> publie sur le forum 8Kun, qui est <a href="https://www.forbes.fr/technologie/qanon-le-forum-8kun-est-de-nouveau-en-ligne-avec-laide-de-hackers-russes/">hébergé sur un serveur à Vladivostok</a>. Et ses théories sont <a href="https://edition.cnn.com/2022/03/09/media/biolab-ukraine-russia-qanon-false-conspiracy-theory/index.html">volontiers répétées par les propagandistes russes</a>, et inversement. Ce mouvement reprend tous les thèmes complotistes qui étaient jusqu’ici diffusés par la Russie.</p>
<p>Le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/rassemblement-de-complotistes-qanon-a-dallas-ne-pas-regarder-ce-genre-d-evenement-avec-serieux-serait-prendre-un-risque_4832939.html">rassemblement Qanon à Dallas en 2021 pour accueillir John Kennedy Jr</a>,. supposé réapparaître ce jour-là 22 ans après sa mort et apporter son soutien à Donald Trump, est lié aux théories relatives à l’assassinat de JFK lui-même : son fils, sachant que son père avait été assassiné par « le système » et qu’il était lui-même ciblé, aurait fait croire à son propre décès puis se serait caché pendant plus de deux décennies… </p>
<p>Encore une fois, il y a à la base de cette histoire la croyance profondément ancrée chez de nombreux Américains que Kennedy a été tué suite à un complot ; à partir de là, toutes sortes de théories nouvelles, aussi insensées soient-elles, peuvent naître.</p>
<p>Aujourd’hui, un <a href="https://www.ipsos.com/en-us/news-polls/npr-misinformation-123020">Américain sur trois</a> dit croire que son gouvernement est contrôlé en secret par un « deep state ». La propagation de ce type de croyances s’explique bien sûr en bonne partie par <a href="https://theconversation.com/regarde-jai-vu-ca-sur-facebook-quand-nos-bavardages-nourrissent-les-fake-news-123426">l’essor des réseaux sociaux</a> ; mais à l’origine, il y a cette défiance envers tout ce qui est « mainstream » qui a été démultipliée depuis 1963.</p>
<p><strong>On constate en effet sur les réseaux sociaux que les croyances complotistes sont souvent associées : les personnes qui épousent le discours russe sur la question de l’Ukraine ont également plus tendance que les autres à se montrer sceptiques sur l’origine humaine du changement climatique ou sur la vaccination, par exemple…</strong> </p>
<p>Évidemment. En la matière, il convient de distinguer la propagande authentique de la propagande inauthentique. Cette dernière est celle qui est mise en œuvre par des <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/visite-guidee-dune-ferme-a-trolls-russe-142088">fermes de trolls et de bots</a> contrôlées <a href="https://openfacto.fr/2022/01/18/rapport-la-galaxie-des-sites-russophones-du-gru/">par le GRU</a>. La propagande authentique, elle, est diffusée par des gens de chair et de sang assis devant leur ordinateur qui adhèrent à ces théories complotistes. Et celles-ci, effectivement, s’alimentent mutuellement.</p>
<p>Une fois que vous avez réussi à convaincre quelqu’un que Kennedy a été assassiné à l’issue d’un complot impliquant la CIA, le FBI et ainsi de suite, que Ben Laden n’est pas à l’origine du 11 Septembre ou, plus encore, que la Terre est plate, alors vous pouvez lui faire croire n’importe quoi. L’objectif essentiel des services de renseignement russes, mais aussi chinois, est de saper le cadre même sur lequel se construit la vérité, ce que Michel Foucault appelait « le régime de vérité ». Si vous parvenez à détruire cela, à rendre suspects les gens dont le métier est de distinguer le vrai du faux, alors vous encouragez un scepticisme généralisé, et vous instaurez ce que l’on appelle depuis maintenant un certain nombre d’années <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-de-la-philo/l-ere-de-la-post-verite-3741908">« l’ère post-vérité »</a>.</p>
<p>Cette ère post-vérité n’est pas, en soi, le produit des ingérences informationnelles russes ou aujourd’hui chinoises. Il n’en reste pas moins qu’elle est le principal véhicule par lequel les États autoritaires fragilisent l’espace du débat dans les régimes démocratiques. À rebours de la formule de l’ancien ambassadeur américain à l’ONU <a href="https://www.vanityfair.com/news/2010/11/moynihan-letters-201011">Daniel Patrick Moynihan</a>, on pourrait dire aujourd’hui que chacun a droit non seulement à ses propres opinions, mais aussi à ses propres faits. </p>
<p><strong>Tout cela pourrait contribuer au retour de Donald Trump à la Maison Blanche en 2024…</strong></p>
<p>Oui, mais il n’est pas le seul à bénéficier de cette tendance – il suffit de regarder le <a href="https://www.la-croix.com/debat/Argentine-Javier-Milei-droite-radicale-populiste-autoritaire-2023-11-20-1201291540">résultat de la présidentielle qui vient de se tenir en Argentine</a>. En ce moment, j’aime citer ce passage de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/bloch_marc/etrange_defaite/etrange_defaite.html"><em>L’Étrange défaite</em></a> de Marc Bloch consacré à la désinformation déployée dans la presse française de l’entre-deux-guerres à la fois par les fascistes et par les communistes :</p>
<blockquote>
<p>« Ce peuple français auquel on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité. »</p>
</blockquote>
<p>La question aujourd’hui est de savoir comment donner à nos concitoyens les informations sûres qui leur permettront de faire des choix rationnels pour ne pas être l’objet d’opérations de désinformation de la part d’États hostiles. Nous avons besoin de rétablir un espace public intègre, tant numérique que médiatique, et de préserver le régime de vérité sur lequel reposent nos démocraties.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Colon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Soixante ans après les faits, l’assassinat de « JFK » continue de susciter les théories les plus diverses.David Colon, Professeur agrégé d'histoire à l'IEP de Paris, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171482023-11-08T13:50:47Z2023-11-08T13:50:47ZContenu des médias sociaux en temps de guerre : un guide d'experts sur la manière d'éviter la violence sur vos fils d'actualité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557803/original/file-20231030-25-2np8f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il existe des moyens pratiques de filtrer la quantité de contenus violents et graphiques que vous voyez sur les médias sociaux.</span> <span class="attribution"><span class="source">bubaone</span></span></figcaption></figure><p>Les plateformes de médias sociaux sont une importante source d'information et de divertissement. Elles nous permettent également de rester en contact avec nos amis et notre famille. Mais les réseaux sociaux peuvent aussi devenir - <a href="https://theconversation.com/mounting-research-documents-the-harmful-effects-of-social-media-use-on-mental-health-including-body-image-and-development-of-eating-disorders-206170">et sont</a>, <a href="https://doi.org/10.1093/joc/jqab034">souvent devenus</a> - un environnement toxique où se propagent la désinformation, la haine et les conflits. </p>
<p>La plupart des gens ne peuvent pas ou ne veulent pas se passer des réseaux sociaux. Les mesures prises par les tribunaux et des <a href="https://foreignpolicy.com/2022/04/25/the-real-threat-to-social-media-is-europe/">organismes publics</a> pour les réguler ou les contrôler sont en train de rattraper lentement leur retard, mais ont jusqu'à présent infructueuses. Et les entreprises de médias sociaux ont l'habitude de <a href="https://www.bfmtv.com/economie/desinformation-facebook-a-dissimule-un-rapport-qui-risquait-de-ternir-son-image_AD-202108220068.html">donner la priorité à l'interaction</a> au détriment du bien-être social.</p>
<p>Les utilisateurs se retrouvent face à un dilemme : comment tirer profit des réseaux sociaux sans s'exposer à des contenus qui génèrent du stress, nuisibles ou illégaux? Cette question se pose avec encore plus d'acuité en période de tensions et de conflits mondiaux. Le conflit en Ukraine et maintenant la guerre de Gaza ont augmenté le risque de voir des <a href="https://www.ledevoir.com/monde/moyen-orient/800452/guerre-israel-hamas-guerre-images-images-guerre">images horribles et nuisibles</a> sur son fil d'actualité. </p>
<p>Cet article, basé sur <a href="https://orcid.org/0000-0001-5171-663X">mes recherches</a> sur l'actualité dans les médias sociaux, est un guide de sélection et d'édition de vos flux de médias sociaux afin de vous assurer que le contenu que vous voyez est adapté à vos besoins et n'est pas offensant ou dérangeant. </p>
<p>Il est organisé selon les catégories de médias sociaux les plus grands. Je ne couvre pas les nouveaux services tels que <a href="https://www.threads.net/login">Threads</a>, <a href="https://mastodon.social/explore">Mastodon</a>, <a href="https://post.news/feed">Post</a> et <a href="https://bsky.app/">Bluesky</a>, bien que les principes leur soient généralement applicables. Je me suis focalisée sur l'utilisation de ces applications sur un téléphone portable, car c'est ce que font <a href="https://www.pewresearch.org/global/2022/12/06/internet-smartphone-and-social-media-use-in-advanced-economies-2022/">la majorité des utilisateurs</a>, plutôt que de les utiliser sur un navigateur web. Je me concentre principalement sur le contenu vidéo.</p>
<p>Les réseaux sociaux peuvent être un outil puissant d'information et d'apprentissage, mais ils sont imparfaits. Quelle que soit l'approche que vous adoptez pour gérer vos flux, restez prudents et sceptiques. Soyez attentifs aux mises à jour des politiques et des accords d'utilisation et réfléchissez bien aux personnes auxquelles vous faites confiance et que vous suivez. </p>
<h2>Est-ce votre choix ou le leur ?</h2>
<p>De nombreux réseaux sociaux proposent un flux sélectionné de manière algorithmique comme premier point de contact. Les détails des algorithmes ne sont pas connus du public et les entreprises les affinent constamment. Le flux est en grande partie basé sur votre localisation et sur les sujets et les personnes pour lesquels vous avez manifesté un intérêt précédemment (que vous ayez suivi ou simplement regardé ou interagi avec le contenu). Il peut également inclure d'autres informations telles que votre âge et votre sexe, que vous avez peut-être déjà communiquées au service. </p>
<p>Les organisations et les particuliers investissent de l'argent et du temps pour s'assurer que leur contenu soit vu. Les annonceurs paieront également pour que leur contenu soit montré aux clients qui répondent à leurs critères. Il est également important de se rappeler que les contenus payants ne sont pas seulement des biens et des services à vendre, mais qu'ils peuvent aussi avoir un objectif politique ou social, souvent caché. C'est la base des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s13278-023-01028-5">fake news et de la désinformation</a>.</p>
<p>Voici quelques outils pour gérer vos fils d'actualité sur les réseaux sociaux</p>
<h2>Soyez prudents dans le choix de vos abonnements</h2>
<p>Sur tous les réseaux, à l'exception de TikTok, la clé consiste à sélectionner avec soin les personnes que vous suivez.</p>
<p>Sur Twitter (X), la meilleure solution consiste à s'éloigner de la page “Pour vous” (qui est l'interface par défaut) et à se concentrer sur la page “Abonnements”. Vous ne pouvez pas supprimer entièrement la page “Pour vous”. Le flux “Abonnements” comprend toutes les personnes que vous suivez, leurs tweets et leurs retweets. </p>
<p>Si vous voyez des contenus que vous ne souhaitez pas voir, vous pouvez vous désabonner, les bloquer ou les masquer.</p>
<p>La manière la plus simple de nettoyer votre fil d'actualité Facebook est “défreinder” (cesser d'être l'ami de quelqu'un sur le réseau social). Une autre option est de ne plus suivre quelqu'un: vous restez amis, la personne concernée peut voir votre contenu et s'y intéresser, mais ses publications n'apparaîtront pas dans votre fil d'actualité, à moins qu'elle ne vous mentionne ou que vous ne la recherchiez. Vous pouvez également “faire une pause” avec quelqu'un, ce qui constitue une sorte de blocage temporaire. Le blocage est l'option la plus extrême. Il supprime la personne et tout son contenu, et cache tout le vôtre.</p>
<p>Instagram propose des options similaires pour supprimer un utilisateur et le masquer (à l'instar de l'option “prendre une pause” de Facebook).</p>
<p>TikTok n'offre aux utilisateurs que des options limitées pour filtrer ou organiser leur fil d'actualité. La page “Abonnements” n'affiche que les créateurs que vous suivez (et les publicités). Elle n'est pas et ne peut pas être définie comme l'affichage par défaut.</p>
<p>La page “Pour vous” est entièrement pilotée par des algorithmes. Cliquer sur un créateur vous permet uniquement de le suivre, et non de le masquer ou de le bloquer. Vous pouvez toutefois bloquer des utilisateurs spécifiques. Cliquez sur leur profil, puis sur l'icône de partage. Les options “Signaler” et “Bloquer” se trouvent sous les différentes options de partage. Le blocage supprime le contenu de l'utilisateur, mais pas le contenu des autres utilisateurs qui le présentent.</p>
<h2>Explorez vos paramètres</h2>
<p>De nombreuses plateformes proposent des options permettant de limiter les contenus violents ou graphiques. Sur Facebook, ces options se trouvent dans le menu Paramètres. De là, cliquez sur “Fil d'actualité”, puis sur “Réduire”. Vous ne pouvez pas supprimer ce contenu, mais vous pouvez le déplacer vers le bas de votre fil d'actualité. </p>
<p>Sur TikTok, un appui long sur l'écran fait apparaître le panneau des options. De là, vous pouvez signaler une vidéo ; il y a aussi une option “pas intéressé” pour supprimer cette vidéo et d'autres avec des hashtags similaires de votre fil d'actualité. Si vous cliquez sur “détails” pour voir quels hashtags seront filtrés, vous pouvez en sélectionner certains à bloquer. Toutefois, la fiabilité de cette option n'est pas évidente : les hashtags changent au fil du temps. Un certain nombre de hashtags ne peuvent apparemment pas être filtrés, mais on ne sait pas exactement de quoi il s'agit ni pourquoi ils ne peuvent pas l'être.</p>
<p>L'option “Préférences de contenu” sous “Paramètres” vous permet de filtrer les mots-clés vidéo. Cela permet de les supprimer de votre page “Pour vous”, de votre page “Abonnements”, ou des deux.</p>
<p>Vous pouvez également mettre TikTok en “mode restreint”. Cela limite l'accès aux “contenus inappropriés” – une description opaque.</p>
<h2>Attention aux utilisateurs</h2>
<p>Il ne s'agit pas d'un guide parfait, car les médias sociaux ne sont pas conçus pour être contrôlés par l'utilisateur. Ces entreprises sont basées sur l'engagement des utilisateurs : plus vous passez de temps sur leur application, plus elles gagnent de l'argent. Elles ne s'intéressent pas particulièrement à l'utilité ou à l'exactitude du contenu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Megan Knight does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Quelle que soit l'approche que vous adoptez pour gérer vos flux, restez prudents et sceptiques.Megan Knight, University of HertfordshireLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152792023-10-24T17:12:44Z2023-10-24T17:12:44ZÀ l’école, apprendre à évaluer l’information dans un monde numérique<p>Sujet relativement marginal il y a une vingtaine d’années, <a href="https://theconversation.com/in-extenso-decrypter-linfo-sur-ecran-ca-sapprend-155506">l’évaluation de l’information sur Internet</a> est aujourd’hui un enjeu majeur pour notre société. Le nombre très important de messages frauduleux, douteux ou biaisés publiés tous les jours sur les réseaux sociaux et sur le web en général rend tout un chacun vulnérable à la désinformation. On l’a vu avec des sujets d’actualité comme la vaccination contre le <a href="https://theconversation.com/science-et-Covid-19-pourquoi-une-telle-crise-de-confiance-147808">Covid-19</a>, les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/election-au-bresil-une-campagne-de-fake-news-et-de-desinformation-dans-le-camp-bolsonaro-comme-dans-celui-des-partisans-de-lula_5425105.html">élections présidentielles au Brésil</a>, ou encore la <a href="https://www.la-croix.com/France/Guerre-Ukraine-France-denonce-vaste-campagne-desinformation-provenance-Russie-2023-06-13-1201271314">guerre en Ukraine</a>.</p>
<p>Si l’évaluation est plus que jamais essentielle à tous les citoyens, et ce dès le plus jeune âge, elle est aussi une compétence complexe. Elle requiert des connaissances sur les règles de publication sur Internet et les critères de fiabilité de l’information, mais aussi une motivation et des habilités métacognitives, c’est-à-dire la capacité à réfléchir sur ses actions et à les réguler. Ces compétences posent de nombreux défis aux internautes et interrogent le rôle de l’école.</p>
<h2>Aller au-delà des indices superficiels</h2>
<p>Prenons le cas d’un élève de CM2 qui a pour consigne de trouver des informations sur les causes du réchauffement climatique sur Internet pour une présentation en classe. Après avoir saisi des mots-clés dans un moteur de recherche, il trouve plusieurs articles en apparence intéressants. L’un d’entre eux s’intitule « Les zones climatiques : causes et conséquences ». Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959475210000216">recherches</a> auxquelles j’ai pu contribuer montrent que le fait de trouver des mots-clés de la requête dans le titre de l’article augmente beaucoup les chances que l’élève considère l’article comme pertinent pour sa recherche, alors même que celui-ci ne traite pas de son sujet…</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Jusqu’à un certain âge et niveau scolaire, les élèves se laissent influencer très facilement par des indices superficiels, tels que la présence de mots-clés, la taille et le type de police de caractères utilisés dans les pages de résultats de recherche. Vers la fin du collège, ces effets s’atténuent considérablement, mais d’autres défis de l’évaluation prennent le pas, tels que le fait de ne pas savoir ce qu’il faut évaluer exactement quand on demande de juger la fiabilité d’une page web pour une recherche.</p>
<p>Ainsi, dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0360131517301252">étude menée auprès d’élèves de troisième en France et en Allemagne</a>, publiée dans la revue <em>Computers & Education</em>, mes collègues et moi-même avons montré que la quasi-totalité des participants ne prête pas attention à la source des informations lorsqu’on leur demande de répondre à une question telle que « L’aspartame est-il mauvais pour la santé ? » à partir de quatre pages web sur le thème. Ils se centrent sur le contenu des articles, alors même que certains sites ont un conflit d’intérêts notoire vis-à-vis du sujet (par exemple, un fabricant de sodas qui contiennent de l’aspartame).</p>
<p>Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ne prêtent pas attention à la source de l’information, les élèves évoquent le manque de consignes explicites de la part de l’enseignant, le type de tâche et leur motivation personnelle à trouver des informations fiables sur le sujet.</p>
<p>Pour autant, ils ne sont pas insensibles ni incapables de percevoir les enjeux liés à la source pour l’évaluation de la fiabilité de l’information. Lorsqu’on leur pose la question directement, ils perçoivent rapidement le conflit d’intérêts derrière certaines sources. Le problème est que la recherche d’informations et la consultation quotidienne des réseaux sociaux ne se font pas avec un adulte à côte pour poser ce genre de questions…</p>
<h2>Faut-il appliquer la méthode des « check lists » ?</h2>
<p>Que peut faire l’école pour aider les élèves à développer des compétences d’évaluation de l’information sur Internet ? La réponse à cette question est moins évidente qu’elle n’y paraît. Il existe en effet une multitude de méthodes, contenus et approches pédagogiques aujourd’hui disponibles sur Internet et dans les écoles. Cependant, la plupart de ces approches manquent de preuves empiriques de leur efficacité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-contrer-infox-et-propagande-le-fact-checking-ne-suffit-pas-179984">Pour contrer infox et propagande, le fact-checking ne suffit pas</a>
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<p>Pour donner un exemple, une approche couramment utilisée se base sur l’application de « check lists » à l’analyse des sites web trouvés par les élèves dans le cadre de leurs recherches. On demande ainsi aux élèves de vérifier, pour chaque site, si les informations sont « à jour », le texte « lisible » et la source « fiable », entre autres critères d’évaluation. Les revues de la littérature scientifique par <a href="https://crl.acrl.org/index.php/crl/article/view/24799">Ziv et Benne</a>, en 2022, et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0360131519302647">Sarah McGrew</a>, en 2020, montrent que cette approche est prépondérante, voire exclusive, dans un grand nombre d’universités et d’écoles. Or, elle est inefficace pour l’apprentissage de l’évaluation de l’information car la plupart des critères demandent des connaissances relativement expertes et/ou ne sont pas suffisamment objectifs pour permettre un jugement indépendant de l’avis de l’élève ou étudiant.</p>
<p>Une formation à l’évaluation de l’information efficace demande de bases théoriques solides sur les processus sociocognitifs de lecture et compréhension de « documents » (textes, images, vidéos…), ainsi que des preuves empiriques obtenues à travers des études scientifiques rigoureuses et impliquant une collaboration étroite entre chercheurs et praticiens. Ces recherches existent depuis quelques années, mais elles ne sont pas encore assez nombreuses pour couvrir tous les domaines et problématiques pédagogiques liées à l’évaluation de l’information.</p>
<p>Dans mon livre <a href="https://cfeditions.com/savoir-chercher/"><em>Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information</em></a>, je passe en revue les théories et études scientifiques réalisées à l’échelle internationale, dans les années récentes, sur ce sujet. Ce n’est pas une revue exhaustive, mais elle couvre un grand nombre d’études et de synthèses d’études montrant que les défis de l’éducation à l’évaluation de l’information peuvent être surmontés à certaines conditions (par exemple, proposer des exercices structurés d’évaluation de l’information, créer des liens entre l’évaluation et d’autres activités scolaires tels que la lecture et la résolution de problèmes).</p>
<p>Il n’existe pas de recette miracle, mais un nombre croissant d’études pointe vers la nécessité d’un enseignement explicite de cette compétence à l’école, c’est-à-dire, un enseignement qui combine des phases de réactivation des connaissances préalables, de modelage, de pratique guidée et autonome des élèves. Par exemple, l’enseignant peut partir de l’expérience des élèves sur des informations fausses ou erronées diffusées sur Internet, pour leur expliquer la notion de source d’information et montrer pas à pas les étapes d’évaluation de la source. Ensuite, les élèves s’exercent sur des exercices partiellement résolus par/avec l’enseignant pour aller progressivement vers des exercices en autonomie.</p>
<h2>Imaginer de nouvelles formes d’apprentissage</h2>
<p>Les recherches pointent vers la nécessité d’imaginer de nouvelles formes de collaboration entre les enseignants de différentes disciplines, par exemple en identifiant un corpus de textes dans différentes disciplines qui peuvent se prêter à un travail d’évaluation des informations. Ceci afin de montrer l’importance de l’évaluation dans tous les domaines de connaissances, et en même temps sa complexité car les critères d’évaluation ne sont pas absolus, ils demandent une adaptation au contexte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-du-fact-checking-cinq-pistes-pour-renforcer-leducation-aux-medias-127524">Au-delà du fact-checking, cinq pistes pour renforcer l’éducation aux médias</a>
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<p>Les liens entre les processus cognitifs fondamentaux, tels que la compréhension de textes, et l’évaluation de l’information, que l’on peut considérer comme un processus de lecture finalisée ou « fonctionnelle », pour utiliser les termes de <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-derniere-enquete-pisa-de-l-ocde-met-en-lumiere-les-difficultes-des-jeunes-a-l-ere-du-numerique.htm">l’enquête PISA de l’OCDE</a> et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Observatoire_national_de_la_lecture">l’Observatoire national de la lecture</a>, mission ministérielle d’expertise menée au début des années 2000, sont à creuser et à développer dans les recherches actuelles.</p>
<p>L’évaluation est une compétence que l’on souhaite voir s’appliquer non seulement aux tâches scolaires, mais aussi à toutes les tâches de la vie courante qui demandent une vigilance particulière quant à la qualité et à la crédibilité de l’information. Pour cette raison, impliquer les élèves dans la formation de leurs pairs, par exemple en les incitant à animer des ateliers (pour lesquels ils devraient être préparés) sur l’évaluation des l’information dans les réseaux sociaux, est sans doute une piste prometteuse pour identifier des situations intéressantes et pertinentes pour les jeunes, et promouvoir l’engagement de tous dans cette activité, l’évaluation, aujourd’hui essentielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215279/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mônica Macedo-Rouet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’évaluation de l’information est plus que jamais une compétence essentielle à tous les citoyens, elle est complexe à acquérir. Retour sur les défis qu’elle pose à l’école.Mônica Macedo-Rouet, Professeure des universités en psychologie cognitive, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088002023-07-04T20:13:18Z2023-07-04T20:13:18ZUne expo, un chercheur : les crânes géants de Ron Mueck vus par un paléoanthropologue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534862/original/file-20230629-17-6gxigk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C18%2C3977%2C2999&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Antoine Balzeau en pleine inspection de l'oeuvre de Ron Mueck, « Mass ».
Vue de l’exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier pour l’art
contemporain, matériaux divers, dimensions variables.
</span> <span class="attribution"><span class="source">National Gallery of Victoria, Melbourne, Felton Bequest, 2018 / Photo Sonia Zannad, The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Antoine Balzeau est paléoanthropologue au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle. Il étudie l’évolution des humains préhistoriques et s’intéresse surtout aux caractéristiques internes des fossiles, grâce aux méthodes d’imagerie.</em>
<em>Au cours d’une longue visite de l’exposition Ron Mueck à la fondation Cartier pour l’art contemporain, le chercheur nous a confié ses réflexions, entre observations scientifiques liées à la morphologie des crânes, curiosité pour la méthode de l’artiste et étonnement face à une œuvre qui pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses.</em></p>
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<p>Les crânes, je suis bien placé pour trouver ça joli : je les manipule et les examine au quotidien. Mais un crâne, même fossile, ce n’est pas un objet anodin : il s’agit de <a href="https://theconversation.com/faut-il-continuer-a-exposer-les-momies-egyptiennes-dans-nos-musees-203645">restes humains</a>, c’est important de s’en rappeler.</p>
<p>En découvrant l’installation monumentale de Ron Mueck, je suis d’abord saisi par l’image de cette accumulation, qui fait forcément penser à des circonstances dramatiques et violentes, en particulier au moment où la guerre est aux portes de l’Europe et dans le contexte d’un dérèglement climatique inéluctable : impossible de ne pas imaginer une extinction, une tuerie de masse ou un charnier ; une impression décuplée par le gigantisme de l’installation. Les visiteurs sont d’ailleurs très silencieux (<em>Mass</em> signifie à la fois masse et messe en anglais, NDLR), comme recueillis.</p>
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<img alt="Vignette de présentation de la série Une expo, un chercheur, montrant une installation artistique de l'artiste Kusama" src="https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539052/original/file-20230724-21-ipn5gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>« Une expo, un·e chercheur·euse » est un nouveau format de The Conversation France. Si de prime abord, le monde de l’art et celui de la recherche scientifique semblent aux antipodes l’un de l’autre, nous souhaitons provoquer un dialogue fécond pour accompagner la réflexion sans exclure l’émotion. Cette série de rencontres inattendues vous guidera à travers l’actualité des expositions en les éclairant d’un jour nouveau.</em></p>
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<p>Troublante aussi, la proximité avec les catacombes de Paris, qui se trouvent à un jet de pierre de la Fondation Cartier ; l’artiste est d’ailleurs allé y faire un tour avant de peaufiner le montage de son installation. Il y a cependant une grande différence entre le travail de Mueck et les crânes que l’on voit aux catacombes : ici, ils se présentent d’emblée comme « faux », du fait de leur échelle, et ce malgré le réalisme du moulage. </p>
<p>Mais ils sont également disposés les uns sur les autres, dans un désordre apparent, baignés dans la lumière vive d’un bâtiment entièrement vitré. Certains sont renversés, retournés, posés sur le côté, comme en équilibre précaire. On dirait qu’un géant a joué avec, avant de s’en désintéresser, comme dans un roman de science-fiction – je pense à l’univers de Stefan Wul <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oms_en_s%C3%A9rie">dans <em>Oms en série</em></a>. Aux catacombes, en revanche, la mise en scène morbide des vrais crânes humains est plus ouvertement associée au « memento mori » : ils sont alignés et empilés, orbites vides dirigées vers les visiteurs, semblant questionner notre vanité, dans la pénombre.</p>
<p>À la fondation Cartier, c’est une planche de Franquin, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Id%C3%A9es_noires_(bande_dessin%C3%A9e)">dans ses <em>Idées noires</em></a>, qui me vient à l’esprit : des mouches discutent, installées dans des boîtes crâniennes. Dans l’image « dézoomée », on comprend que le sol est jonché de crânes humains, et que les mouches ont tiré profit de leur violence et/ou de leur bêtise mais aussi qu’elles craignent de répéter les mêmes erreurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534847/original/file-20230629-17-flu2cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans une planche des « Idées noires », Franquin imagine une colonie de mouches dans des crânes humains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les Idées Noires, Franquin.</span></span>
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<h2>La question de la méthode</h2>
<p>En observant les crânes de loin, je comprends tout de suite deux choses : il s’agit du même crâne démultiplié, et il s’agit du crâne d’un individu jeune. Difficile, en revanche, d’en déterminer le genre.</p>
<p>Si je sais qu’il s’agit du même crâne démultiplié, malgré les « accidents » provoqués par Ron Mueck pour nous faire croire qu’ils sont différents – l’artiste a cassé certains os ou retiré certaines dents en fonction des crânes – c’est en raison des sutures ouvertes qui sont très apparentes : chez l’être humain, les os du crâne sont en effet unis par des sutures, qui disparaissent avec l’âge, quand le crâne a fini de se former. Cette croissance est presque terminée à l’âge de 12 ans, et complètement achevée lorsqu’on atteint l’âge de 20 ans. Chez un adulte, ces « marques » sont peu visibles. Or ici, on voit même les sutures du palais. Toutes ces marques si nettes sont comme une signature, illustrant que c’est bien le même crâne décliné.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535510/original/file-20230704-24-79yx9v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ron Mueck, Mass (2017), matériaux divers, dimensions variables. Ron Mueck pendant le montage de l’exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain..</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Gallery of Victoria, Melbourne, Felton Bequest, 2018, photo Marc Domage</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La taille géante des crânes, leur couleur légèrement différente – du blanc éclatant au gris très pâle – et l’utilisation répétée d’un même crâne contribuent à renforcer l’aspect fictionnel de l’ensemble, malgré une première impression « réaliste » : Ron Mueck joue visiblement avec les sens et la raison des visiteurs, pour mieux les déstabiliser peut-être.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Un réalisme à nouveau mis à mal quand on observe l’intérieur des crânes : certains sont posés au sol, sur le côté, et on peut regarder dedans. Je découvre alors que si le modelé de la surface extérieure est très précis, ce n’est pas du tout le cas de l’intérieur ; d’ailleurs les deux ne « communiquent » pas, les parties habituellement connectées ne le sont pas. On a bien affaire à une représentation artistique, à une interprétation plastique du crâne.</p>
<p>Je détecte également quelques anomalies : on dirait que ce crâne a été moulé après reconstitution en 3D, et le passage par l’informatique lui donne des proportions étranges, comme si certains éléments avaient été déformés ou « rejoués ». Il s’agit peut-être de la combinaison de plusieurs modèles, comme un souhait de multiplier les détails réalistes pour faire encore plus vrai. Décidément, l’impression de vérité ou de réalisme qui fonctionne de loin est vite troublée par une observation plus précise – mais j’ai l’habitude de fréquenter des crânes, ce n’est pas le cas de la plupart des visiteurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535513/original/file-20230704-19-hdro0p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ron Mueck, <em>Mass</em> (2017). Visiteuses à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Gallery of Victoria/Marc Domage</span></span>
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<p>En tant que scientifique, j’examine mes crânes avec des techniques de pointe : si j’observe un fossile, j’utilise de petites caméras filaires dotées de lampes, qui me permettent de repérer des microdétails. Quant aux modèles 3D, les microtomographes actuels permettent une précision 100 fois supérieure à celle d’un scanner médical, avec un niveau de résolution incroyable. Quand j’explore virtuellement un fossile sur un écran, la question de l’échelle change beaucoup ma perception, et ne permet pas toujours de bien apprécier les dimensions d’un objet et de le percevoir par rapport aux autres fossiles.</p>
<p>En voyant ces crânes géants, je me dis que si je pouvais examiner des répliques parfaites en format « géant », je découvrirais certainement des choses que je ne peux pas voir sur des modèles 3D. Je pourrais me faufiler dans tous les recoins du crâne, observer le moindre détail sans avoir recours à des verres grossissants.</p>
<h2>Un avertissement ?</h2>
<p>La vision des visiteurs qui déambulent parmi ces crânes géants me rappelle un danger qui menace en permanence la connaissance scientifique, celui de la désinformation et du manque d’esprit critique : si on filmait ou photographiait la scène et qu’on la diffusait sur les réseaux sociaux sans contexte ou avec une légende fallacieuse, certaines personnes pourraient croire qu’il s’agit de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux-numerique/les-squelettes-de-geants-n-existent-pas_1789267.html">fossiles de géants</a>. Des théories de ce type émergent régulièrement sur le net, « fakes » à l’appui : civilisations extra-terrestres, squelettes géants, faux charniers…</p>
<p>La réflexion sur l’origine d’une image, sur la validité d’une expertise, le questionnement systématique de ce qui se présente comme des faits et la recherche du contexte de production d’une information ou d’une image restent les meilleurs outils contre la désinformation. Parmi la foule de questions existentielles que semble nous poser l’œuvre de Ron Mueck, il y a aussi celles-ci : que tenons-nous pour vrai ? Et quel est notre rapport aux images, si « séduisantes » et convaincantes soient-elles ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208800/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Que se passe-t-il quand un paléoanthropologue découvre l’œuvre monumentale de Ron Mueck, faite d’un amoncellement de crânes géants ?Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2080712023-07-03T16:58:12Z2023-07-03T16:58:12ZOpération Doppelgänger : quand la désinformation russe vise la France et d’autres pays européens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534919/original/file-20230629-12044-v0fp6i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C24%2C5472%2C3317&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des mois durant, des copies de sites de grands médias ou de ministères occidentaux ont été mises en ligne, affichant des contenus visant à faire pencher les internautes dans le sens de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Thx4Stock/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Mi-juin, le site du ministère français des Affaires étrangères a été victime d’un <a href="https://www.europe1.fr/international/desinformation-doppelganger-loperation-de-destabilisation-numerique-visant-la-france-4188694">« clonage »</a>. Pendant une durée qui n’a pas encore été définie avec exactitude, une partie des internautes croyant se connecter sur le véritable site ont été exposés à des messages présentés comme des communiqués du ministère mais reprenant en réalité la propagande russe sur la guerre qui oppose actuellement Moscou à Kiev.</p>
<p>Les sites de plusieurs médias français – ceux du <em>Monde</em>, de <em>20 Minutes</em>, du <em>Figaro</em> ou encore du <em>Parisien</em> <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-qu-est-ce-que-l-operation-doppelganger-que-la-russie-a-menee-en-france_219177.html">ont connu le même sort</a>, ainsi qu’un certain nombre de médias allemands, britanniques ou encore italiens. Certains de ces « clones » sont restés actifs durant des semaines.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2017-3-page-145.htm">À défaut d’être originale</a>, cette opération, surnommée « Doppelgänger » (mot allemand signifiant « double » ou « sosie »), est notable par son ampleur et par certaines de ses modalités. Identifiée depuis plusieurs mois, elle a fait l’objet d’analyses poussées, <a href="https://www.disinfo.eu/doppelganger/">notamment de la part de l’EU DisinfoLab</a>, l’organe de lutte contre la désinformation de l’UE.</p>
<p>En outre – et ce n’est pas anodin, car il est toujours délicat d’attribuer de tels agissements à des acteurs précis –, le ministère français des Affaires étrangères a cette fois affirmé avec assurance que <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/la-ministre-des-affaires-etrangeres-denonce-une-campagne-de-desinformation-en-provenance-de-russie_AD-202306130560.html">l’attaque a été organisée par les autorités russes</a>.</p>
<h2>Une pratique ancienne, des méthodes nouvelles</h2>
<p>La pratique consistant à réaliser des copies de certains sites, suffisamment fidèles pour que les internautes ne détectent pas l’usurpation d’identité et accordent leur confiance à ces clones malveillants, existe depuis des années sous la dénomination de <a href="https://www.kaspersky.fr/resource-center/definitions/what-is-typosquatting">« typosquatting »</a>. De telles méthodes avaient déjà pu être observées <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/05/12/le-site-vite-ma-dose-parasite-par-un-site-vaccinosceptique_6079997_4355770.html">pendant la pandémie de Covid-19</a>, et dès avant l’ère numérique, au travers de la diffusion de contrefaçons de journaux, en particulier durant la guerre froide.</p>
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<p>Les premiers sites reconnus comme étant liés à la campagne Doppelgänger sont apparus en juin 2022, pour atteindre quelque 50 contrefaçons répertoriées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1668287423170637824"}"></div></p>
<p>Le seul fait que ces différents sites clonés partagent tous la même thématique – promouvoir la vision russe de la guerre en Ukraine – ne suffit pas à affirmer avec certitude qu’ils sont liés entre eux. En revanche, les éléments fournis par les analyses techniques ont permis de démontrer qu’ils relèvent tous d’une même campagne.</p>
<p>En effet, à l’examen des différents sites, des caractéristiques communes apparaissent. Par exemple, les vidéos accompagnant les articles contrefaits avaient des métadonnées et des formats de nom communs, et étaient hébergées sur les mêmes serveurs. En outre, les liens contenus sur les Doppelgänger renvoyaient tous vers les sites authentiques des médias dont l’identité était contrefaite, afin de rendre les sites clonés plus crédibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534906/original/file-20230629-27-qsl40m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran du faux site du Parisien mis en place dans le cadre de l’opération Doppelgänger.</span>
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<p>Ajoutons que les sites ont initialement été hébergés sous réseau de diffusion de contenu (Content Delivery Network – CDN). Il s’agit d’un groupe de serveurs répartis dans diverses régions dont la coordination permet d’accélérer la diffusion d’un contenu, mais aussi de mieux résister aux attaques par déni de service (DDOS) qui visent à saturer un serveur jusqu’à rendre un site inaccessible : la multiplication des serveurs rend la surcharge plus difficile à mettre en place. Un autre avantage particulièrement appréciable, en l’espèce, est la multiplication des pistes à suivre pour qui voudra remonter jusqu’à l’origine de l’action.</p>
<p>Les chercheurs de plusieurs organismes parmi lesquels <a href="https://www.qurium.org/alerts/under-the-hood-of-a-doppelganger/">Qurium</a>, ont analysé les domaines de premier niveau (top-level domain -TLD), qui apparaissent à la fin du nom de domaine utilisé par les faux sites : ltd, fun, ws, today, cfd, asia et autres. Ils ont ensuite collecté et analysé les certificats de SSL qui sécurisent la communication entre le navigateur et le site pour constater que la cinquantaine de domaines déployés en quelque dix semaines était exploitée par un petit nombre de sites d’hébergement.</p>
<p>Un point intéressant, tant du point de vue technique que de la stratégie employée, réside dans la géolocalisation et, plus exactement, le géoblocage des internautes. En effet, les clones des journaux allemands (huit des principales agences de presse du pays ont été victimes de cette opération) ne pouvaient être consultés que depuis une adresse IP identifiée en Allemagne. Toute autre localisation dirigeait vers un autre site, totalement décorrélé du Doppelgänger, notamment un site menant vers un conte de Grimm. Il en allait de même pour les clones britanniques, italiens ou français – spécificité qui a rendu l’analyse plus compliquée, montrant une finesse des stratèges ayant mis en œuvre cette opération.</p>
<h2>L’enjeu de la viralité</h2>
<p>L’étude des cookies utilisés par les Doppelgänger a montré qu’ils employaient un logiciel de suivi de flux et de trafic, <a href="https://keitaro.io/en/">Keitaro</a>. Le choix de ce logiciel témoigne de connaissances en marketing et laisse supposer que l’équipe inclut des acteurs familiers des milieux de la publicité. Grâce à ce logiciel, les différents contenus peuvent être suivis comme des campagnes à part entière, laissant supposer que les auteurs des sites ont voulu avoir une vision très précise des performances de ceux-ci (fréquentation, temps passé par les internautes à les consulter, etc.).</p>
<p>L’intégration à l’opération informationnelle de ces pratiques venues du marketing est loin d’être anodine. En effet, l’un des enjeux des opérations d’influence est de générer une viralité suffisante pour atteindre le public le plus large possible. On constate que cet objectif était particulièrement recherché par les auteurs des Doppelgänger. Les articles contrefaits ont ainsi été largement diffusés sur les réseaux sociaux par l’entremise de nombreux comptes, dont une bonne partie était des faux. Une fois utilisés, la plupart de ces comptes ont été abandonnés par leurs propriétaires, rappelant la destruction de « comptes brûlés ».</p>
<p>Pour augmenter la viralité et l’impact d’un contenu contrefait, l’un des moyens les plus efficaces est de parvenir à ce qu’un média le reprenne : il bénéficiera alors d’une légitimité et d’une caisse de résonance nettement supérieures à celles offertes par les seuls réseaux sociaux où ses promoteurs l’afficheront.</p>
<p>Toujours dans cette recherche de viralité, on a pu observer que les auteurs de l’opération ont réalisé une forme d’investissement en achetant des espaces de publicité sur les réseaux sociaux.</p>
<h2>Comment évaluer l’impact de Doppelgänger ?</h2>
<p>Un élément central reste ambigu : la mesure de l’effet de la campagne d’influence. Pour mesurer l’impact d’une opération informationnelle, il faudrait, de fait, disposer d’un point de mesure delta à partir duquel procéder à un comparatif. Or il est difficile de dater avec précision le début d’une opération informationnelle par nature discrète, ce qui permettrait de tenter d’en mesurer les répercussions sur la période suivante. En outre, à supposer que cette condition soit remplie, il faudrait encore pouvoir isoler les variables à l’origine de l’infléchissement des comportements ou des points de vue afin de mesurer l’incidence de l’opération d’influence sur ces modifications.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534917/original/file-20230629-12044-xe1vkl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Capture d’écran du faux site du ministère des Affaires étrangères, où est « annoncée » une nouvelle taxe visant à financer l’effort de guerre ukrainien.</span>
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<p>L’appréciation de la portée d’une telle opération reste un point sensible pour les cibles comme pour les attaquants. Si <a href="https://ojs.aaai.org/index.php/ICWSM/article/view/14169">plusieurs recherches</a> ont établi des <a href="https://doi.org/10.1016/j.chb.2015.01.024">liens</a> entre <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2022-73-page-85.htm">viralité et persuasion</a> et, plus récemment, mis en évidence <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-management-2021-7-page-24.htm">l’effet de l’enfermement dans des bulles informationnelles</a> la mesure, et plus encore la prévision, demeure un enjeu significatif et un point sensible.</p>
<p>Un point également intéressant tient à la réutilisation en Russie de ces contenus. Certains d’entre eux ont été diffusés par des médias russes, qui les présentaient comme de vraies informations parues sur les sites officiels occidentaux visés, et ont enregistré d’importants taux de visite et de lecture.</p>
<p>En effet, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’une campagne informationnelle, si elle a une cible initiale, pourra être récupérée et servir à conforter des rhétoriques locales. De tels effets vont au-delà de ceux initialement escomptés sur des publics étrangers.</p>
<h2>La réaction des Occidentaux et des Russes</h2>
<p>La réaction officielle à l’égard de cette opération d’influence appelle une observation particulière.</p>
<p>En effet, comme pour les attaques cyber sur les systèmes, les opérations informationnelles, particulièrement celles usant de formats numériques, posent un problème quant à leur attribution à un auteur. Si les éléments techniques peuvent être utiles, ils ne suffisent cependant pas à remonter toute la ligne de commandement à l’origine de l’action analysée.</p>
<p>Dans ce cas particulier, si des noms de fichiers étaient en russe, si les fuseaux horaires à partir desquels les auteurs des campagnes de Doppelgänger ont officié correspondaient, notamment, à la région d’Irkoutsk, cela ne suffit pas pour incriminer avec une certitude absolue la Russie, car les hackers auraient parfaitement pu être engagés par un commanditaire privé ou étatique d’un pays tiers.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1578648845957070850"}"></div></p>
<p>Si le « qui bono » ainsi que les thématiques retenues pointent vers la Russie, la possibilité pour Moscou d’adopter une position de déni plausible rend ces opérations particulièrement séduisantes, car elles augmentent l’épaisseur du fameux brouillard de la guerre. C’est pour cette raison que les éditeurs de sécurité et les agences nationales restent prudents dans leurs rapports. À défaut de pouvoir prouver à 100 % l’implication directe d’un État, ils préféreront parler, par exemple, d’acteurs sinophones, russophones ou hispanophones.</p>
<p>Dans le cas de Doppelgänger, la ministre française des Affaires étrangères n’a pas pris de précautions de langage. En <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-des-agissements-indignes-la-france-denonce-une-vaste-campagne-de-desinformation-russe-15556142.php">déclarant</a> que les autorités françaises avaient « mis en évidence l’existence d’une campagne numérique de manipulation de l’information [..] impliquant des acteurs russes et à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l’État russe ont participé », l’État français, par la voix de Catherine Colonna, a opté pour une prise de position ferme qui intervient, certes, au lendemain de l’attaque ayant visé le site du ministère, mais aussi au moment où la <a href="https://theconversation.com/contre-offensive-ukrainienne-pourquoi-et-pour-quoi-207557">contre-offensive ukrainienne vient de démarrer</a> et à la veille de la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_214116.htm">réunion de l’OTAN des 11-12 juillet</a>, qui débattra largement de la situation ukrainienne et de l’action russe.</p>
<p>Pour autant, la campagne Doppelgänger était à peine annoncée dans les médias grand public que des profils connus, vrais et faux, y ont réagi en mettant en doute la véracité des enquêtes menées et en cherchant à réorienter le débat vers les lignes éditoriales et l’impartialité des journaux occidentaux en général. Cette ligne de défense a notamment été employée par <a href="https://headtopics.com/fr/desinformation-russe-en-france-le-vice-president-de-la-douma-accuse-catherine-colonna-de-mentir-40207613">Piotr Tolstoï</a>, le vice-président de la Douma.</p>
<p>On le voit : si les campagnes informationnelles restent au cœur de l’actualité des conflits, elles peuvent déborder au-delà des États directement impliqués dans la guerre. Si les États occidentaux avaient déjà pris la mesure de leur existence et du danger qu’elles représentent, ils adoptent aujourd’hui, à l’image de la France, une attitude plus claire et moins timide que par le passé en matière d’attribution de ces opérations. Cette évolution fait échos à la ligne adoptée par la lutte informatique d’influence (L2I) <a href="https://www.defense.gouv.fr/ema/actualites/armees-se-dotent-dune-doctrine-militaire-lutte-informatique-dinfluence-l2i">annoncée fin 2021 par Florence Parly, alors ministre des Armées</a>, dont il ressort que la France cherche à mieux comprendre ce nouvel espace de conflictualité et ne s’interdit pas de réaliser elle-même des opérations d’influence numériques, cependant <a href="https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7079448802348175360/">encadrées par un cadre éthique strict</a>.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une cinquantaine de sites occidentaux ont récemment été « clonés » afin de diffuser un message allant dans le sens des intérêts de la Russie. Radioscopie d’une opération d’influence.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2050732023-05-08T18:06:23Z2023-05-08T18:06:23ZAux États-Unis, avec l’affaire Dominion vs Fox News, la désinformation a désormais un prix<p><a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/dominion-fox-news/54e33f20f7fb6e8d/full.pdf">Le très attendu procès</a> opposant l’entreprise spécialisée dans la fabrication de machines à voter électroniques Dominion Voting Systems à Fox News Channel, dont la maison mère est Fox Corporation, s’est ouvert le 17 avril 2023… et s’est clos dès le lendemain, le 18 avril, <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/apr/18/dominion-wins-but-the-public-loses-fox-settlement-avoids-paying-the-highest-price">par un règlement à l’amiable</a>.</p>
<p>En échange de l’abandon des poursuites, Fox News a accepté de verser la somme de 787,5 millions de dollars à Dominion. Celle-ci avait traîné la chaîne devant les tribunaux pour diffamation, Fox News ayant amplement affirmé, trois ans durant, que les machines de Dominion avaient permis à Joe Biden de « voler » l’élection présidentielle de 2020 à Donald Trump.</p>
<p>Cette séquence juridique aura été amplement commentée. Faut-il y voir une défaite sans appel des tenants des fake news et théories du complot ou bien, au contraire, le signe que, désormais, tout se monnaie, y compris le droit de diffuser des informations mensongères ?</p>
<h2>Quand Fox News accusait Dominion d’avoir truqué l’élection de 2020</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/11/20/qu-est-ce-que-dominion-le-logiciel-electoral-attaque-par-donald-trump_6060562_4408996.html">Dominion Voting Systems</a> est une entreprise qui édite un logiciel électoral et vend des « urnes numériques », ce qui permet de voter à distance. Entreprise canadienne créée en 2003, elle est le deuxième fournisseur de services électoraux aux États-Unis, derrière l’américain <a href="https://www.essvote.com/">Election Systems and Software</a>, créé dès 1979. Et ce, dans un <a href="https://www.reuters.com/graphics/USA-ELECTION/VOTING/mypmnewdlvr/">écosystème bien établi</a> du fait des distances à couvrir pour aller voter, des millions d’électeurs à traiter et de la confiance implicite des Américains dans la technologie. En 2020, <a href="https://www.newsweek.com/dominion-voting-systems-categorically-denies-election-tech-glitches-following-trump-accusations-1547405">28 États ont utilisé Dominion</a>, dont les États-pivots que sont la Georgie, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin.</p>
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<p>La plainte de Dominion concernait les théories du complot propagées par Fox News selon lesquelles les urnes auraient été manipulées pour truquer le résultat des élections 2020 en faveur de Joe Biden, au détriment de Donald Trump.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1648450762295611397"}"></div></p>
<p>Les accusations de fraude électorale furent nombreuses, <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines/trump-accuse-les-democrates-lui-voler-l-election-20201106">relayées par Donald Trump</a> sur Twitter dès le 12 novembre (soit une semaine après l’annonce des résultats) et reprises par <a href="https://www.foxnews.com/opinion/tucker-carlson-2020-presidential-election-rigged-big-tech-mainstream-media">Fox News</a>, <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/jan/12/greg-kelly/newsmax-host-recycles-out-context-clip-call-joe-bi/">Newsmax</a> et un <a href="https://eu.usatoday.com/story/entertainment/tv/2021/01/11/dc-riots-how-newsmax-oan-conservative-outlets-fueled-mob/6589298002/">faisceau de médias pro-Trump</a>. Selon eux, des millions de votes auraient été effacés, des votes Trump auraient été attribués à Joe Biden, des vulnérabilités techniques auraient facilité le piratage, etc.</p>
<p>Suite à une série de <a href="https://abcnews.go.com/Politics/dominion-employees-latest-face-threats-harassment-wake-trump/story?id=74288442">harcèlements et même de menaces de mort</a> visant ses employés, Dominion a contre-attaqué, réclamant 1,6 milliard de dollars de dommages et intérêts pour compenser la perte de nombreux clients et la baisse de son chiffre d’affaires… et pour protéger sa réputation et son avenir dans le milieu très concurrentiel des services électoraux.</p>
<p>Fox News, quant à elle, s’est réclamée du Premier amendement, affirmant qu’elle était dans son droit en rapportant de telles théories, car celles-ci étaient « newsworthy » (dignes d’intérêt). Et d’ajouter que la somme demandée n’était pas réaliste, au vu du coût d’achat de Dominion (80 millions de dollars) en 2018 par ses nouveaux propriétaires, Staple Street Capital, un fonds d’investissement basé à New York.</p>
<p>L’affaire devait être jugée devant la Delaware Superior Court, reconnue pour ses compétences en matière de litiges technologiques et de droit à la concurrence.</p>
<h2>Fox News, machine de propagande pro-Trump</h2>
<p>Selon les preuves fournies par Dominion en préparation de son dossier, les présentateurs de Fox News auraient propagé ces infox pour satisfaire leur auditoire, largement acquis à Trump, lequel refusait de reconnaître sa défaite.</p>
<p>Fait sans précédent, les détails des échanges d’emails internes, des mémos et autres conversations entre les animateurs de talk-shows et la direction, y compris le propriétaire de Fox Corp, Rupert Murdoch, et son fils Lachlan (directeur en titre du réseau), <a href="https://www.businessinsider.com/rupert-murdoch-lachlan-dominion-smartmatic-lawsuit-fox-news-text-email-2021-12?r=US&IR=T">sont désormais publics</a>. Ils démontrent une mauvaise foi manifeste : les responsables de Fox News <a href="https://www.npr.org/2023/02/28/1160157733/rupert-murdoch-knew-fox-news-stars-were-endorsing-2020-election-lies-he-says">avaient conscience que leurs messages étaient mensongers</a> mais ont continué à les diffuser pour ne pas froisser les auditeurs… et surtout pour ne pas perdre les revenus attenants (les taux d’audience élevés de Fox lui permettent de vendre ses programmes aux autres chaînes câblées du pays, aux tarifs les plus forts).</p>
<p>Ce faisant, le personnel de Fox News a délibérément propagé de fausses informations pour complaire à l’extrême droite du Parti républicain, qui voit le média comme son porte-parole.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524620/original/file-20230505-19-buudsz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation de partisans de Donald Trump le 14 novembre 2020 à Washington, DC.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bob Korn/Shutterstock</span></span>
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<p>C’est la confirmation que Fox News est une machine de propagande en lien direct avec l’aile du parti qui est dominée par Donald Trump. Et cela, dans un contexte marqué par une concurrence croissante au sein de ce camp, où Fox doit se méfier d’autres organes plus radicaux comme NewsMax (de Christopher Rudy, ami proche de Donald Trump), War Room (de Steve Bannon, ancien directeur de campagne de Donald Trump) ou encore One America News Network (de Robert Herring Sr, conservateur pro-Trump).</p>
<h2>Pourquoi Dominion a accepté de transiger</h2>
<p>Si Dominion a, au dernier moment, accepté la transaction proposée par Fox News – 787,5 millions de dollars, ce qui correspond à la moitié de la somme réclamée –, c’est parce que l’entreprise n’avait pas la garantie qu’elle remporterait son procès pour diffamation.</p>
<p>Si le tribunal avait donné tort à Fox News, cette dernière aurait sans doute invoqué le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787a.htm">Premier amendement de la Constitution</a> et fait appel devant la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cour-supreme-etats-unis-120273">Cour suprême</a>. Celle-ci défend traditionnellement la liberté d’expression et de la presse, et, dans sa configuration actuelle, est favorable à Trump (et donc, on peut imaginer, à Murdoch). Dominion a jugé que le risque n’en valait pas la chandelle et que ses révélations avaient suffi à rétablir sa réputation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">Politisation de la Cour suprême : la démocratie américaine en péril ?</a>
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<p>La compagnie n’a même pas demandé d’excuses officielles à Fox. Justin Nelson, l’avocat de Dominion, a pourtant <a href="https://transcripts.cnn.com/show/cg/date/2023-04-18/segment/01">commenté l’accord</a> en des termes non pas commerciaux mais politiques : « Les mensonges ont des conséquences. […] Ce jour représente un soutien retentissant à la vérité et à la démocratie. »</p>
<p>De son côté, <a href="https://www.nytimes.com/live/2023/04/18/business/fox-news-dominion-trial-settlement">Fox a émis un communiqué</a> ne reconnaissant pas sa culpabilité sur le fond de l’affaire :</p>
<blockquote>
<p>« Ce règlement reflète l’engagement continu de Fox à respecter les normes journalistiques les plus élevées. Nous espérons que notre décision de résoudre ce litige avec Dominion à l’amiable, au lieu de l’acrimonie d’un procès qui divise, permettra au pays d’aller de l’avant sur ces questions. »</p>
</blockquote>
<h2>Les retombées pour Fox et les autres diffuseurs de « fake news »</h2>
<p>En creux, cet épisode montre que la désinformation est désormais un business comme un autre, normalisé dans le contexte américain, qui peut se régler comme du droit commercial.</p>
<p>Certains considèrent que <a href="https://time.com/6272910/dominion-settlement-fox-news-nightmare/">Fox a essuyé une lourde défaite</a>. Verser cette somme faramineuse revient à reconnaître ses torts. La résolution hors procès est venue tard, avec des révélations sordides pour l’entreprise, montrant notamment son mépris envers le public, malgré la course à l’audience. Cette affaire peut mettre une limite à la propagande abusive et à la création malveillante de <a href="https://www.la-croix.com/Debats/faits-alternatifs-torpille-Kellyanne-2021-01-25-1201136896">« faits alternatifs »</a> pour reprendre l’expression de KellyAnne Conway. Elle peut obliger les diffuseurs des théories du complot à prendre davantage de précautions ou à se cacher dans des médias plus obscurs. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230425-tucker-carlson-et-fox-news-un-divorce-avec-pertes-et-fracas-pour-tous">Le renvoi rapide et sans appel de Tucker Carlson</a>, animateur vedette dont les <a href="https://www.vanityfair.com/news/2023/03/tucker-carlson-continues-stolen-election-lies">propos ont contribué à diffuser la fake news sur le trucage de l’élection de 2020</a> (malgré son antipathie révélée pour Trump), montre que la firme procède à un nettoyage interne, pour marquer son retour au business as usual.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1650527705723543553"}"></div></p>
<p>D’autres estiment que <a href="https://www.npr.org/2023/04/18/1170339114/fox-news-settles-blockbuster-defamation-lawsuit-with-dominion-voting-systems">Fox a gagné</a>. Les 787,5 millions versés à Dominion n’entament qu’à peine le trésor de guerre accumulé par la firme de Murdoch, qui s’évite l’humiliation d’un procès prolongé et la présentation d’excuses publiques.</p>
<p>C’est l’essentiel, somme toute : cette absence d’humiliation n’a pas de prix ! Elle ouvre la porte à tous les abus car cela confirme l’impunité politique, voire économique, de la désinformation – quand on a les moyens financiers – et l’absence de conséquences légales liées à sa propagation et à ses effets dans la vie réelle, y compris quand la diffusion de fake news mène à <a href="https://www.tdg.ch/sur-fox-news-une-realite-parallele-317720323812">l’insurrection</a>.</p>
<h2>Une victoire à la Pyrrhus pour l’information</h2>
<p>Les révélations faites sur le fonctionnement interne de Fox News ont éclairé et confirmé bien des mécanismes à l’œuvre dans la désinformation comme norme des relations d’un média avec son audience. Le choix de la désinformation comme stratégie commerciale par une entreprise de communication ayant pignon sur rue et faisant concurrence frontale à CNN et autres médias de référence est révélateur du risque qui pèse sur l’intégrité de l’information.</p>
<p>Paradoxalement, le journalisme de référence et de vérification, aux États-Unis et ailleurs, ressort affaibli de cet épisode, qui entérine l’avènement d’une nouvelle ère, avec le passage d’un journalisme de l’offre à celui d’un <a href="https://carism.u-paris2.fr/fr/axe-1-le-journalisme-en-reconfiguration">journalisme de la demande</a>. Celui-ci touche toutes les formes de journalisme. Le journalisme basé sur les faits repose déjà sur des pratiques très imprégnées de la veille en ligne et des recommandations faites par les algorithmes. Le journalisme d’opinion plie son agenda en réponse aux attentes de certains publics cibles, au détriment des autres et de l’attention aux faits avérés.</p>
<p>Il ressort de cette affaire que les institutions et le système judiciaire américains ne sont pas vraiment prêts à faire face aux défis de la désinformation. En outre, les fake news diffusées par Fox News sur Dominion peuvent affaiblir la confiance de nombreux citoyens dans le vote électronique. L’affaire est close, mais ses effets n’ont pas fini de se faire ressentir…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205073/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Divina Frau-Meigs ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le « procès en diffamation du siècle » n’aura pas eu lieu : la Fox a versé une somme colossale à l’entreprise qui la traînait en justice, mettant ainsi fin à la procédure judiciaire.Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2024572023-03-29T18:20:44Z2023-03-29T18:20:44ZPour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?<p>Il est courant de lire que les jeunes ne se préoccupent plus de l’actualité, qu’ils délaissent les médias traditionnels pour se focaliser sur les contenus diffusés par les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reseaux-sociaux-20567">réseaux sociaux numériques</a>. Dans ces déclarations, souvent sous forme de déploration, plusieurs approches sont confondues. Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité.</p>
<p>Seulement, il est vrai que la presse quotidienne et magazine est confrontée à un problème de renouvellement des générations qui laisse à penser qu’une véritable gageure est à relever dans les décennies à venir pour relayer <a href="https://educationauxecrans.fr/fileadmin/user_upload/Observatoire_EAE_2021.pdf">son lectorat vieillissant</a>. Un nouveau rapport avec la presse s’instaure, passant par le numérique et davantage basé sur l’information.</p>
<h2>Un accès à l’information par les réseaux sociaux</h2>
<p>À rebours des idées reçues, les résultats des <a href="https://www.mediametrie.fr/en/les-jeunes-toujours-plus-accros-leur-smartphone">enquêtes quantitatives et qualitatives</a> confirment depuis plusieurs années l’intérêt des jeunes pour l’actualité, et cette tendance s’est renforcée depuis la pandémie. Quand ils recherchent une information, un quart à un tiers des 18-25 ans a le réflexe de se tourner vers les sites numériques des journaux de presse nationale, qu’ils considèrent comme des sources fiables.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les jeunes et leur façon de s’informer (France 3 Bourgogne, 2018).</span></figcaption>
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<p>Mais alors que les <a href="https://theconversation.com/generation-un-concept-a-utiliser-avec-moderation-161040">générations</a> précédentes développaient des préférences pour tel ou tel titre, ils consultent les uns ou les autres relativement indifféremment. Quand on les interroge, lycéens comme étudiants peinent à situer les lignes éditoriales des quotidiens ou leur sensibilité sur l’échiquier politique. Ce qui les intéresse, c’est l’information journalistique, plus que de savoir si elle émane du <em>Monde</em>, de <em>Libération</em> ou du <em>Figaro</em>. Ils ne consultent pas un quotidien pour son positionnement mais pour la garantie de qualité qu’il représente. Ainsi, les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des « marques » de référence.</p>
<p>Avant 18 ans, ce sont plutôt les journaux télévisés et les <a href="https://www.clemi.fr/fr/formation-declic/3-comprendre-linfluence-des-formats-sur-linfo.html">chaînes d’information en continu</a> qui sont regardés et continuent d’être jugés comme des sources fiables. En revanche, la grille horaire des programmes, avec la « grand-messe » du 20 heures n’a plus vraiment de sens pour eux, à moins que les traditions familiales ne perpétuent les dîners en famille devant le JT.</p>
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<p>Pour les adolescents, comme pour les jeunes majeurs, la plus grande scission avec les générations précédentes réside dans les usages numériques de l’information. À une écrasante majorité, ce sont les réseaux sociaux numériques qui leur servent de portes d’entrée vers l’actualité, en particulier <a href="https://theconversation.com/twitter-snapchat-tiktok-brut-une-nouvelle-facon-de-sinformer-pour-les-jeunes-171226">YouTube, Instagram et Twitter, mais aussi Spotify et TikTok</a> dans une moindre mesure.</p>
<p>Les formes brèves qui sont en usage sur ces réseaux font écho au rapport que les jeunes eux-mêmes entretiennent avec l’écrit, à travers textos et <a href="https://theconversation.com/podcast-objets-cultes-les-emojis-201256">émojis</a>. La mise en image des messages y est appréciée, tout comme la possibilité d’envoyer à ses contacts les informations, éventuellement avec ses propres commentaires, ce qui permet d’adopter une posture plus active face à l’information.</p>
<h2>Flux d’actualité et risques d’infobésité</h2>
<p>Alors que les seniors demeurent très attachés à la presse papier, les jeunes la jugent souvent difficile à lire, parfois absconse et onéreuse. Surtout, aller en kiosque suppose une démarche volontaire dont ils ne voient pas forcément l’utilité puisqu’ils ont pris l’habitude d’obtenir des nouvelles directement sur leur smartphone, sans aucune sollicitation de leur part, si ce n’est d’avoir activé des notifications sur leur téléphone une fois pour toutes.</p>
<p>Tous les matins, ils sont ainsi alertés des principales actualités : « Quand je regarde mon smartphone, j’ai tout de suite accès à l’essentiel des informations importantes et cela me renvoie vers les grands journaux » nous explique Charlotte, 16 ans, dans une enquête en cours auprès de lycéens et d’étudiants de la région Grand Est. Si le sujet l’intéresse, elle n’a donc plus qu’à cliquer.</p>
<p>Cette manière de s’informer a rendu particulièrement floues les logiques éditoriales. L’intérêt est suscité par la nouvelle, peu importe aux yeux du jeune internaute vers quel journal ou le <em>pure player</em> d’information <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2022-06/Digital_News-Report_2022.pdf">l’algorithme du smartphone</a> le renvoie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/epidemie-dinfox-des-gestes-barrieres-numeriques-a-adopter-aussi-135219">Épidémie d’infox : des « gestes barrières » numériques à adopter aussi</a>
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<p>Au final, le risque serait plutôt celui d’une « infobésité » que d’une anémie informationnelle. Être informé en continu par les réseaux sociaux peut provoquer une anxiété face aux désordres du monde. Nous pourrions parler de « stress informationnel », provoqué par le fait d’être informé en continu. Cela ne laisse aucune respiration et peut même devenir culpabilisant pour celle et celui qui désireraient s’en soustraire. Ainsi, le temps de la lecture que représentait la lecture d’un journal papier a volé en éclats. S’y est substituée une logique du clic et du rebond bien plus chronophage, et sans hiérarchisation éditoriale.</p>
<p>Lorsqu’il s’agit des réseaux sociaux, cela peut aussi laisser la part belle aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fake-news-38582">« fake news »</a> et à la désinformation puisque la reprise et la viralité des informations échangées sont facilitées, quels que soient leur valeur et leur degré de fiabilité.</p>
<h2>Le rôle de l’éducation à l’information</h2>
<p>Faudrait-il en conclure que les adultes n’ont plus de place dans le rapport que les jeunes entretiennent avec l’actualité ? Lorsque des journaux et des magazines sont achetés par les parents et laissés à disposition dans la maison, les enfants ont tendance à les feuilleter. Maxence (20 ans), jeune étudiant, lit le journal local acheté par sa mère, tout comme Amel (19 ans) : « Papa laisse sur la table du salon <em>l’Est éclair</em>, ce qui me donne envie de le lire le week-end ». Chloé (19 ans), quant à elle, déjeune avec son grand-père tous les midis et en profite pour lire le journal régional.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leducation-aux-medias-une-necessite-110051">L’éducation aux médias, une nécessité ?</a>
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<p>L’avis des adultes, et en particulier des professeurs, compte. En témoigne Pauline (17 ans) : « J’ai choisi de recevoir les nouvelles du <em>Figaro</em> sur mon téléphone car c’est un enseignant qui nous l’a conseillé ». Les séances d’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-education_aux_medias_en_europe_histoire_enjeux_et_perspectives_laurence_corroy-9782140297847-75068.html">éducation aux médias et à l’information</a> en classe portent leurs fruits et <a href="https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Les-jeunes-et-l-information-une-etude-du-ministere-de-la-Culture-vient-eclairer-les-comportements-des-jeunes-en-matiere-d-acces-a-l-information">sensibilisent les jeunes à la lecture de la presse</a> et à l’actualité. <a href="https://hal.science/hal-03899342/">Les pays européens</a> prennent progressivement conscience de son importance, certains ayant par exemple soutenu le <a href="https://medeanet.eu/">programme européen MEDEAnet</a> promouvant l’apprentissage aux médias numériques et audiovisuels.</p>
<p>De la même manière, <a href="https://theconversation.com/la-presse-au-lycee-histoire-dune-education-pratique-a-lactualite-179425">produire des journaux lycéens et étudiants</a> suscite le goût pour la presse et l’information journalistique, et permet de mieux comprendre les exigences déontologiques de la profession. Ainsi, Lucie (20 ans) se rappelle des séances en EMI au collège qui lui ont fait découvrir les métiers liés au journalisme.</p>
<p>Il revient enfin aux journalistes et aux médias traditionnels de penser davantage aux jeunes, en leur donnant la parole, en traitant de sujets dont ils se sentent proches : l’écologie, les questions de genre, la parité… La participation des journalistes à la <a href="https://www.clemi.fr/fr/semaine-presse-medias.html">semaine de la presse à l’école</a> est aussi un moyen de mieux faire connaître la presse et la diversité de l’offre médiatique, son importance pour vivifier la démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Corroy a reçu des financements d'organisations publiques.</span></em></p>Si les jeunes s’éloignent de la presse papier, ils ne se désintéressent pas de l’actualité et vivent dans un flux continu d’information numérique. Explications.Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010342023-03-15T19:57:50Z2023-03-15T19:57:50ZMieux penser le fact-checking en temps d’infodémie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515494/original/file-20230315-360-90bxmf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=71%2C11%2C1845%2C1187&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le fact-checking a connu une poussée extraordinaire à partir de 2016, et plus encore à partir de 2020 dans le contexte de la pandémie de Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pexels</span></span></figcaption></figure><p>Loin de faire l’unanimité, la pratique du fact-checking soulève des questions épistémologiques qui sont au cœur à la fois du journalisme et de la sociologie des sciences. L’analyse d’un corpus d’articles scientifiques pendant la pandémie de Covid-19, contexte propice au développement de cette pratique, révèle l’existence de plusieurs approches pour étudier le fact-checking.</p>
<p>La vérification des faits a toujours été une activité centrale de la routine journalistique. Cependant, le <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/fact-checking/">fact-checking moderne</a>, c’est-à-dire la pratique systématique de la vérification des déclarations politiques, des canulars, des rumeurs, etc. comme moyen de lutter contre la désinformation, <a href="https://ora.ox.ac.uk/objects/uuid:d55ef650-e351-4526-b942-6c9e00129ad7">s’est fortement développé</a> depuis les années 2000. Considéré comme la conséquence de l’expansion de l’internet participatif et des médias sociaux numériques, il a connu une poussée extraordinaire à partir de 2016 (Brexit, élection du président Donald Trump aux États-Unis), et plus encore à partir de 2020 dans le contexte de la pandémie due au coronavirus SARS-CoV-2.</p>
<h2>La pandémie de Covid-19 : un contexte propice au développement du fact-checking</h2>
<p>En effet, face à l’<a href="https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/2003/05/11/when-the-buzz-bites-back/bc8cd84f-cab6-4648-bf58-0277261af6cd/">« infodémie »</a> au sujet du Covid-19, plusieurs rédactions et médias d’information, observatoires et régulateurs, instituts de recherche, les Nations unies, ainsi que l’Organisation mondiale de la santé ont pris de <a href="https://journals.openedition.org/rechercheseducations/9898">initiatives pour lutter contre la désinformation</a> en tentant d’identifier et de réfuter les fausses nouvelles. Les organisations et équipes dédiées au fact-checking (<a href="https://www.factcheck.org/">FactCheck.org</a>, <a href="https://firstdraftnews.org/">First Draft</a>, <a href="https://www.politifact.com/">PolitiFact</a>, <a href="https://give2asia.org/taiwanfactcheck/">Taiwan Fact-Check Center</a>, <a href="https://pesacheck.org/">PesaCheck</a>, <a href="https://www.boomlive.in/">BoomLive</a>, <a href="https://dubawa.org/">Dubawa</a>, <a href="https://leadstories.com/">Lead Stories</a>, <a href="https://pagellapolitica.it/">Pagella Politica</a>, <a href="https://eufactcheck.eu/">EUFactcheck.eu</a>, etc.) ont également travaillé sur la vérification de contenus suspects.</p>
<p>La <a href="https://www.poynter.org/coronavirusfactsalliance/">CoronaVirusFacts Alliance</a> a été mise en place par <a href="https://www.poynter.org/ifcn/">l’International Fact-Checking Network</a> (IFCN), ralliant progressivement des fact-checkeurs dans 110 pays, ayant effectué plus de 17 000 vérifications dans 40 langues, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Des initiatives à l’instar du projet pilote <a href="http://calypso-info.ue.katowice.pl/index.php/fr/summary-francais/">CALYPSO (Collaborative AnaLYsis, and exPOsure of disinformation</a>, 2021-2022), dans le cadre duquel cette étude a été menée – attribué en réponse à <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/node/683">l’appel de la DG Connect/2020/5464403 de la Commission européenne</a>–, ont également vu le jour.</p>
<h2>Une pratique contestée</h2>
<p>Cependant, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08913811.2013.843872">attentes surdimensionnées vis-à-vis du fact-checking</a> et contre un certain engouement de nos sociétés contemporaines pour cette pratique. Elles pointent des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1461670X.2022.2031259">problèmes fondamentaux</a> liés à cette dernière : sa légitimité épistémologique, la logistique de son implémentation, ses biais inhérents et les limites de son efficacité, sa prétendue objectivité et sa difficulté de prendre en compte les ambiguïtés de réalités complexes, etc.</p>
<p>Vérifier des faits conduit en effet à questionner les règles qui déterminent ceux-ci et la manière dont les contextes matériels, sociaux et discursifs structurent l’enquête du factuel. Néanmoins, ainsi que d’autres le soulignent, les réserves sur les limites du processus de vérification <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/cccr.12163">ne signifient pas pour autant que l’effort doit être abandonné</a>.</p>
<h2>La recherche sur le fact-checking : trois approches, trois thématiques</h2>
<p>Si la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1461670X.2016.1196602">recherche académique s’est très tôt intéressée au fact-checking</a>, les années de pandémie ont consolidé l’intérêt scientifique pour cet objet.</p>
<p>Notre analyse d’un corpus de 120 articles de recherche (en langue anglaise et contenant le terme « fact-check » et ses dérivés), publiés dans des revues académiques entre 2020 et 2022, confirme que la recherche sur ce sujet a répercuté le contexte et les préoccupations sociétales dans le domaine de la santé publique. En effet, les mots-clés les plus récurrents pendant cette période ont notamment été : « Covid-19 », « désinformation », « médias sociaux », « santé », « politique », « risque », « éducation », « vaccins », etc. Bien évidemment, d’autres aspects liés au fact-checking ont aussi été investigués (contextes d’élections, immigration, etc.)</p>
<p>L’analyse a aussi révélé l’existence de trois approches pour étudier le fact-checking, avec des prémisses et des questions de recherche sous-jacentes spécifiques : fonctionnelle, organisationnelle, épistémique. Au-delà d’une simple posture « pour ou contre » le fact-checking et au-delà de la question – déjà ancienne – du <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/246">rapport à la vérité</a>, elles dévoilent les problématiques de recherche que cette pratique soulève actuellement. Ces approches sont brièvement présentées ci-dessous, accompagnées de renvois vers des exemples de travaux.</p>
<h2>Approche fonctionnelle</h2>
<p>L’approche fonctionnelle du fact-checking s’appuie sur la définition <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1525/aa.1935.37.3.02a00030">durkheimienne de la « fonction »</a> en tant que correspondance entre une institution et les besoins de l’organisme social, c’est-à-dire la contribution que la première apporte à la vie de l’organisme dans son ensemble.</p>
<p>Dans ce cadre, l’approche fonctionnelle du fact-checking s’intéresse et questionne son efficacité au sein d’un contexte de <a href="https://rm.coe.int/information-disorder-toward-an-interdisciplinary-framework-for-researc/168076277c">désordre informationnel</a>.</p>
<p>Les articles de cette catégorie s’appuient principalement sur des études empiriques. Ils introduisent des variables qui tentent de comprendre le rôle des formats et des méthodes (nous appellerons cette <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03637751.2022.2097284">approche « descendante »</a>), comme, par exemple, l’impact des alertes, des métriques ou celui de la longueur des fact-checks.</p>
<p>D’autres études se penchent davantage sur la « consommation » des informations, les perceptions, les motivations des publics et la manière dont elles interfèrent avec l’efficacité du fact-checking. Il s’agit d’explorer, par exemple, le rôle de la confiance envers les sources ou celui des affinités politiques de ceux qui sont pour ou contre la vérification, ou bien encore l’importance des émotions dans le partage de fact-checks (<a href="https://www.mdpi.com/1660-4601/18/19/10058">approche « ascendante »</a>.</p>
<p>La recherche sur les <a href="https://doi.org/10.1080/15205436.2022.2097926">techniques automatisées (ou semi-automatisées)</a> fait partie de cette catégorie, car ces articles traitent généralement de l’efficacité des modèles et méthodologies proposés (<em>deep learning</em>, etc.).</p>
<h2>Approche organisationnelle</h2>
<p>L’approche organisationnelle s’intéresse au fact-checking en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1461670X.2022.2069588">tant qu’activité professionnelle</a> et explore le milieu, les infrastructures et les méthodes de travail, à savoir les procédures, les stratégies et les perceptions qui sous-tendent cette pratique au sein des rédactions et autres organisations (organismes de fact-checking, médias sociaux numériques, etc.), parfois entre différents pays.</p>
<p>Elles mettent en évidence la complexité des articulations entre les dimensions matérielles et symboliques du fact-checking. En ce sens, les approches organisationnelles se concentrent principalement sur les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1329878X221088050">relations et interactions</a> entre journalistes/fact-checkeurs, leurs <a href="https://www.cogitatiopress.com/mediaandcommunication/article/view/3443">pratiques de travail</a>, comme, par exemple, les grilles et critères utilisés, les thématiques privilégiées, leurs sources de financements, ainsi que <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/14648849221100862">leurs regards sur leur propre activité</a>.</p>
<h2>Approche épistémique</h2>
<p>Cette position analyse les compréhensions et les cadrages qui façonnent le fact-checking en tant que construction symbolique, objet de connaissance et de recherche. Évidemment, tous les articles scientifiques réfléchissent à la signification et à la définition de la vérification des faits et du fact-checking, mais cette visée n’est pas nécessairement leur objectif principal ; dans cette catégorie cependant, c’est le cas.</p>
<p>Le fact-checking est ici étudié dans une approche « méta », à savoir réflexive, parfois critique, à la fois en termes de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1467-923X.12999">légitimité scientifique</a>, de <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JD-03-2021-0061/full/html">significations sociales</a> (croyances sous-jacentes sur les connaissances existantes sur ce sujet), <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17512786.2022.2097118">d’acceptation par des publics</a>, <a href="https://cognitiveresearchjournal.springeropen.com/articles/10.1186/s41235-021-00291-4">d’aptitudes et de compétences</a> impliquées. Se fait sentir dans certains de ces travaux l’écho des débats sur l’intérêt et la pertinence du fact-checking, et les questions épistémiques que ce dernier soulève, notamment le rapport à la vérité.</p>
<p>Lorsqu’elles sont combinées, ces trois approches clés au sein desquelles la recherche académique étudie le fact-checking (fonctionnelle, organisationnelle, épistémique) tendent à révéler trois domaines thématiques qui définissent également le fact-checking en tant qu’objet d’investigation scientifique :</p>
<ul>
<li><p>les routines et les pratiques des fact-checkeurs/praticiens ;</p></li>
<li><p>les outils, techniques, méthodes et protocoles : humains, automatisés ou semi-automatisés ;</p></li>
<li><p>les attitudes pour comprendre le sens du fact-checking, son rôle ou son efficacité.</p></li>
</ul>
<p>Inévitablement, plusieurs approches et thématiques peuvent se recouper au sein d’un même article et les catégorisations proposées ici ne constituent que des « <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2003-3-page-531.htm">types idéaux », au sens wébérien</a>, soulignant leurs éléments les plus saillants. Même si le corpus analysé est certes loin d’être exhaustif et concerne uniquement une littérature en langue anglaise, ces observations permettent de mieux appréhender le débat sur fact-checking, ainsi que les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1467-923X.12892">apports de la recherche</a> au sujet de cette pratique, qui est loin de faire l’unanimité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201034/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angeliki Monnier a reçu des financements de la Commission européenne. </span></em></p>L’analyse d’un corpus d’articles scientifiques parus pendant la pandémie de Covid-19 révèle l’existence de plusieurs approches pour étudier le fact-checking.Angeliki Monnier, Professeure en Sciences de l'information et de la communication, directrice du Centre de recherche sur les médiations, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009232023-03-05T16:50:45Z2023-03-05T16:50:45ZTikTok : piratage de données ou piratage des cerveaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513292/original/file-20230302-29-en7y8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5760%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">TikTok est largement en tête des applications les plus utilisées par les jeunes du monde entier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/girl-dark-side-tiktok-promoting-social-1945379527">Ti Via/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.tiktok.com/fr">TikTok</a> est une application de médias sociaux, propriété de l’entreprise chinoise <a href="https://www.bytedance.com/en/">ByteDance</a>. Le principe de TikTok, née en septembre 2016 sous le nom de <a href="https://www.douyin.com/">Douyin</a> (nom qu’elle a conservé à ce jour en Chine) repose sur le partage de courtes vidéos. Elle définit sa mission de <a href="https://www.tiktok.com/about?lang=fr">façon très sympathique</a> : « TikTok est la meilleure destination pour les vidéos mobiles au format court. Notre mission est d’inspirer la créativité et d’apporter la joie. »</p>
<p>Aujourd’hui, du fait des récentes <a href="https://www.liberation.fr/economie/economie-numerique/espionnage-pourquoi-tiktok-fait-tiquer-20230301_573ZFW5JNBBFJJWAD3JRBLBJ3Q/">révélations</a> sur son fonctionnement exact, elle inspire plutôt l’inquiétude : les États-Unis et l’UE ont déjà interdit à leurs fonctionnaires de s’en servir, et d’autres mesures pourraient suivre.</p>
<h2>1,7 milliard d’utilisateurs</h2>
<p>Il faut garder à l’esprit que, comme toute entreprise chinoise, TikTok, apparue sur les smartphones des habitants des pays occidentaux en 2017, est <a href="https://www.liberation.fr/economie/economie-numerique/restriction-de-tiktok-si-le-gouvernement-chinois-veut-acceder-aux-donnees-il-le-peut-20230301_EHIJTVEJUJEQHDR3R34IWIOLPQ/">tenue de servir les intérêts de la Chine</a> et de répondre aux desiderata gouvernementaux.</p>
<p>Si l’usage de TikTok est illimité pour les utilisateurs étrangers, en Chine, Douyin, sa version chinoise, est <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1297299/article/2023-03-01/tiktok-avertissement-limite-de-temps-d-ecran-des-mesures-pour-faire-face-l">limitée à quarante minutes par jour pour les moins de quatorze ans</a>. Cela n’est pas anodin. Nous y reviendrons.</p>
<p>Autre particularité : c’est le gouvernement chinois qui décide des contenus qui seront mis en avant. Certains contenus sont pour le moins troublants et ciblent un public très jeune : en décembre 2022, le Centre de lutte contre la haine en ligne (<a href="https://www.ccdh.fr/">CCDH</a>), a démontré dans une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/une-etude-montre-comment-tiktok-met-en-avant-des-videos-relatives-au-suicide-et-aux-troubles-alimentaires-3983189">étude</a> que « l’algorithme du réseau social TikTok favorise la diffusion de contenus relatifs aux troubles alimentaires et à l’automutilation pour certains comptes ». Et ce, en fonction des publications vues et « likées » par les utilisateurs cherchant des contenus relatifs à « l’image de soi et à la santé mentale ». Est-ce le fait d’une modération insuffisante de la plate-forme au regard de <a href="https://www.tiktok.com/community-guidelines?lang=fr#33">ses règles</a> ? La question peut se poser !</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans un tout autre domaine, la guerre en Ukraine, la <a href="https://www.lexpress.fr/economie/high-tech/ukraine-quand-tiktok-devient-un-outil-de-propagande-pour-les-mercenaires-russes-de-wagner_2184495.html">propagande des mercenaires russes de Wagner sur TikTok</a> et la désinformation afférente ont été récemment dénoncées dans un <a href="https://www.newsguardtech.com/fr/misinformation-monitor/novembre-2022/">rapport de NewsGuard</a>. Ici encore, au regard du positionnement du gouvernement chinois dans ce conflit, la question d’une véritable volonté de modération peut se poser.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bZpTMQJHDxU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Comme le <a href="https://www.tf1info.fr/high-tech/la-maison-blanche-ordonne-aux-agences-de-bannir-tiktok-au-dela-du-risque-d-espionnage-l-autre-crainte-c-est-que-la-chine-manipule-l-opinion-publique-2249586.html">pointe Fabrice Ebelpoin</a>, entrepreneur, professeur à Sciences Po et spécialiste des réseaux sociaux, autant la version chinoise propose massivement à ses utilisateurs « des vidéos sur le sens de la nation, l’unité, l’ambition personnelle mise au service du collectif, tout un tas de valeurs qui font la spécificité chinoise », autant aux États-Unis comme en Europe, « la plate-forme est dédiée exclusivement à de l’entertainment niais ou alors des choses qui peuvent prêter à confusion ». Et le professeur d’ajouter : « On est sur quelque chose qui peut s’apparenter à une destruction de l’état d’esprit de la jeunesse occidentale. »</p>
<p>En 2022, TikTok comptait pas moins de <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1350197/pays-ayant-le-plus-utilisateurs-tiktok-monde/">1,7 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512927/original/file-20230301-28-84w8hi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pays comptant le plus d’utilisateurs de TikTok. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Statista</span></span>
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<h2>« Un cheval de Troie » à retardement ? Pas si sûr !</h2>
<p>En termes de confidentialité, si TikTok, comme d’autres réseaux sociaux, a accès à de nombreuses informations « traditionnelles » des utilisateurs – navigations, visionnages, conversations, listes de contacts, localisation, accès à leur appareil photo et au micro du mobile –, l’entreprise a précisé, dans la mise à jour de sa politique de confidentialité, que les données des utilisateurs français (entre autres) étaient accessibles aux employés de la plate-forme. C’est ce qu’a indiqué <a href="https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/mise-a-jour-politique-confidentialite">dans un billet de blog</a> publié le 2 novembre 2022, Elaine Fox, « Head of Privacy Europe » pour la firme.</p>
<p>Nous l’avons évoqué : aux États-Unis, depuis décembre 2022 le réseau social est <a href="https://leclaireur.fnac.com/article/220181-aux-etats-unis-la-chambre-des-representants-bannit-tiktok-de-ses-appareils-officiels/">banni des téléphones professionnels des membres la Chambre des représentants</a> et des agences fédérales. Dans la même dynamique, le 23 février 2023, la Commission européenne a annoncé l’interdiction d’installer l’application sur tous les appareils professionnels de son personnel. Le 27 février, c’était au tour de la présidente du Conseil du Trésor canadien Monat Fortier d’annoncer <a href="https://twitter.com/MonaFortier/status/1630267732326338563">l’interdiction d’utiliser TikTok sur les appareils mobiles du gouvernement du Canada</a>, précisant que l’application disparaîtrait automatiquement de tous les appareils gouvernementaux et qu’il sera impossible de la réinstaller. La plupart des gouvernements qui, en Occident, « contraignent » ainsi leurs fonctionnaires mettent en avant <a href="https://www.nouvelobs.com/o/20230228.OBS70149/etats-unis-canada-europe-les-interdictions-de-tiktok-se-multiplient-pour-les-fonctionnaires-occidentaux.html">« la protection des données ou encore une menace pour la sécurité nationale »</a>.</p>
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<p>Dans certains pays, ce sont les usages de TikTok qui, selon les lois locales, peuvent amener des utilisateurs devant les tribunaux. Exemples parmi d’autres : en 2022 une <a href="https://fr.africanews.com/2022/04/19/une-egyptienne-condamnee-a-3-ans-de-prison-pour-ses-videos-sur-tiktok//">Égyptienne se voyait condamnée à trois ans de prison pour ses vidéos sur TikTok</a>. En février 2023, un couple iranien a été <a href="https://www.tiktok.com/@brutofficiel/video/7195290186329214214">condamné à 10 ans de prison pour une vidéo de danse devenue virale</a>.</p>
<p>La France, où le réseau social fait l’objet d’une <a href="https://www.la-croix.com/France/TikTok-addictif-reseaux-2023-02-15-1201255262">commission d’enquête au Sénat</a> qui devrait bientôt rendre un rapport sur son fonctionnement, qualifié d’« addictif et d’opaque », ne fait pas exception : un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/tik-tok-un-influenceur-condamne-apres-sa-video-de-danse-en-crop-top-dans-une-eglise_AN-202204270548.html">influenceur a été condamné après sa vidéo de danse en crop top dans une église</a>. D’autres pays <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/TikTok-interdit-fonctionnaires-europeens-quels-pays-restreignent-lutilisation-reseau-social-2023-02-23-1201256496">restreignent l’usage de TikTok</a>, jusqu’à des décisions plus radicales : l’application est ainsi interdite en Inde, au Pakistan ou encore en Afghanistan, et avait été interdite un temps au Bangladesh et en Indonésie… qui jugeaient le contenu diffusé « inapproprié et blasphématoire », le temps que <a href="https://www.reuters.com/article/us-indonesia-bytedance-idUSKBN1K10A0">TikTok revienne</a> avec une version hautement censurée.</p>
<p>Par ailleurs il existe de <a href="https://www.vpnscanner.com/fr/tik-tok-ne-rabotaet/">nombreux moyens de contourner les interdictions et les blocages</a> : en Inde, deux ans apres l’interdiction gouvernementale de la plate-forme chinoise en juin 2020, les applications « copy-cat » se sont multipliées : citons <a href="https://play.google.com/store/apps/details?id=com.eterno.shortvideos&hl=fr&gl=US&pli=1">Josh</a>, <a href="https://chingari.io/">Chingari</a>, <a href="https://play.google.com/store/apps/details?id=mx.takatak&hl=fr&gl=US">MX TakaTak</a>…</p>
<h2>Piratage « traditionnel » : l’arbre qui cache la forêt ?</h2>
<p>Certes, les risques de piratage existent, et des mises à jour peuvent intégrer des failles de sécurité volontaires, comme un <a href="https://www.oracle.com/fr/security/qu-est-ce-qu-un-programme-backdoor.html">programme backdoor</a>. Toutefois, il convient à ce stade de faire plusieurs remarques.</p>
<p>Nous pouvons raisonnablement nous interroger sur le caractère symbolique des décisions des administrations occidentales évoquées ci-dessus. D’une part, les fonctionnaires concernés possèdent des téléphones personnels – à moins qu’ils n’en soient dépossédés lorsqu’ils accèdent à ces institutions – et des échanges sensibles peuvent être effectués via ces téléphones privés. Donc, à première vue, un piratage massif à ciel ouvert pouvant bénéficier de l’aide des utilisateurs pourrait être possible lors d’une mise à jour, et rendre ces derniers complices de leur propre espionnage !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1631357950806614016"}"></div></p>
<p>La ficelle semble un peu grossière. Les services de renseignements disposent probablement d’autres méthodes, et la véritable prudence dans les domaines sensibles va au-delà de la vigilance à l’égard d’une simple application pouvant potentiellement être utilisée à des fins d’espionnage.</p>
<p>Quand on connaît, par exemple, le [potentiel de Pegasus], un puissant logiciel espion commercialisé par la société israélienne NSO, et qui était utilisé en 2022 par pas moins de <a href="https://www.nextinpact.com/article/69792/nso-denombre-22-utilisateurs-actifs-son-logiciel-espion-pegasus-dans-12-pays-europeens">22 services de sécurité dans douze pays européens</a>, l’intérêt premier de TikTok pour la Chine semble se situer ailleurs… et le gouvernement chinois paraît être intéressé par d’autres potentialités de l’application, à savoir celles liées à sa couverture mondiale démesurée. Par ailleurs les smartphones sont déjà en soi des outils d’espionnage de leurs utilisateurs, ce n’est pas une application, quelle qu’elle soit, qui change la donne.</p>
<h2>« Un cheval de Troie » visant… le « brain hacking » ?</h2>
<p><a href="https://blog.digimind.com/fr/agences/tiktok-chiffres-et-statistiques-france-monde-2020">Les statistiques concernant les usagers en 2023 dans le monde sont les suivantes</a> :</p>
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<li><p>56 % sont des femmes, 44 % des hommes.</p></li>
<li><p>51,3 % de l’audience sont des femmes entre 13 et 24 ans.</p></li>
<li><p>23,6 % des utilisateurs sont âgés entre 13 et 24 ans.</p></li>
<li><p>40 % des visiteurs quotidiens se situent dans la tranche 15-24 ans.</p></li>
</ul>
<p>Les chiffres relevés par <a href="https://static.qustodio.com/public-site/uploads/2023/02/06151022/ADR_2023_en.pdf">l’étude annuelle de Qustodio</a> – un fournisseur de logiciels de contrôle parental – indiquent qu’en 2022, dans le monde, les enfants (4-18 ans) ont passé en moyenne près de deux heures par jour sur TikTok (1h47).</p>
<p>Par-delà les contenus qui peuvent s’avérer inappropriés – sans l’activation et le paramétrage d’une fonctionnalité mise en place par TikTok en 2020 sous le nom de « Family Pairing », qui permet aux parents d’avoir le contrôle sur les activités de leurs enfants –, un autre risque pernicieux existe, qui semble plus réaliste que les piratages de données évoqués par les institutions précitées, un risque qui concerne une population majoritairement jeune au travers de campagnes de manipulation des opinions publiques. Une sorte de « brain-hacking » déclenchable à l’envi…</p>
<p>Le 2 décembre 2022, le directeur du FBI, Chris Wray, se préoccupait ainsi des possibilités offertes au gouvernement chinois de <a href="https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/tiktok-le-fbi-s-inquiete-d-une-possible-manipulation-des-contenus-par-la-chine-n199987.html">« manipuler le contenu et, s’ils le souhaitent, de l’utiliser pour des opérations d’influence »</a>, c’est-à-dire d’engager des campagnes d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Astroturfing">astroturfing</a> à très grande échelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/desinformation-politique-quelques-cles-pour-se-proteger-196309">Désinformation politique : quelques clés pour se protéger</a>
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<p>Dans l’attente d’un réseau de substitution qui serait, lui, maîtrisé, l’Europe prépare peut-être son opinion publique à une interdiction pure et simple – une interdiction que Donald Trump <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/01/trump-annonce-qu-il-va-interdire-tiktok-aux-etats-unis_6047883_3210.html">appelait de ses vœux en 2020 pour les États-Unis</a>. Par les mesures prises dernièrement, les Occidentaux adressent de façon concomitante au gouvernement chinois une exigence pour ne pas arriver à une telle issue : l’abrogation du contrôle par Pékin des contenus mis en avant. Une exigence qui s’apparente à un vœu pieux. C’était là, d’ailleurs ce qui expliquait la volonté de Donald Trump de contraindre TikTok à se faire racheter aux États-Unis par les groupes américains Oracle et Walmart, projet auquel <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/tiktok-va-echapper-a-une-vente-forcee-aux-etats-unis-20210210">Washington à finalement renoncé.</a> Ce qui est plus réaliste, c’est un stockage de données respectueux de la souveraineté numérique des États de l’UE. Mais que les usagers se rassurent : Cormac Keenan, Head of Trust and Safety, chez TikTok le promet : la <a href="https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/notre-travail-contre-la-desinformation">lutte contre la désinformation est une priorité de la firme</a> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200923/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Chatelain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>TikTok est sur la sellette dans de nombreux pays occidentaux du fait des risques de sécurité liés à son utilisation. Mais la vraie menace est peut-être dans les contenus qui y sont diffusés…Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1995732023-02-14T20:34:57Z2023-02-14T20:34:57ZLa modération des contenus est-elle compatible avec l’activité commerciale des réseaux sociaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509004/original/file-20230208-29-rmuq13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C19%2C979%2C662&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un pic à près de 200&nbsp;millions d’engagements mensuels a récemment été enregistré pour des histoires de désinformation sur Facebook.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1240848">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>De nouvelles formes de conflit, qui n’ont rien à voir avec la violence physique, se multiplient sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a> de partage de contenu en ligne : réseaux sociaux, sites de partage de vidéos, services de messagerie, etc. Un pic à près de <a href="https://journolink.com/resources/post/319-fake-news-statistics-2019-uk-worldwide-data">200 millions d’engagements mensuels</a> a été enregistré pour des histoires de désinformation sur Facebook.</p>
<p>Les plates-formes numériques qui hébergent ces contenus sont généralement créées et administrées par des entreprises privées, telles que Facebook et Instagram, qui définissent ces environnements en ligne et tiennent compte de diverses considérations et contraintes économiques rarement évoquées dans les études sur la sécurité.</p>
<p>Les développeurs de ces plates-formes numériques font souvent le choix d’exploiter des « <a href="https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Philippe-Gattet-Comprendre-les-effets-de-reseau-les-consequences-strategiques_3661.html">effets de réseau</a> », phénomènes par lesquels la valeur d’un utilisateur est d’autant plus grande qu’il y a d’utilisateurs sur le réseau. Idéalement, une plate-forme doit présenter une grande quantité de contenus prêts-à-consommer par les utilisateurs, tout en les incitant à créer de nouveaux contenus que d’autres voudront consommer.</p>
<p>Malheureusement, les effets de réseau rendent ces plates-formes tout aussi attirantes pour les diffuseurs de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fake-news-38582">fake news</a>, qui savent s’y adapter. C’est la raison pour laquelle les plates-formes de partage de contenu doivent réussir à modérer efficacement leurs contenus (processus par lequel elles contrôlent et suppriment les contenus qui violent leurs conditions d’utilisation).</p>
<p>Or, comme nous avons pu le constater à l’occasion d’un <a href="https://www.irsem.fr/institut/actualites/report-irsem-no-99-2022.html">travail de recherche</a> récent, ces activités de modération sont souvent très chronophages et difficilement automatisables, car les algorithmes sur lesquels elles s’appuient restent imprécis.</p>
<h2>Une position délicate</h2>
<p>Le modèle économique des plates-formes numériques consiste généralement à développer la base d’utilisateurs afin de maximiser les effets de réseau. Les plates-formes doivent trouver le juste équilibre entre les utilisateurs, les créateurs de contenu et les annonceurs.</p>
<p>Chaque type d’utilisateur paie un prix différent : les personnes lambda utilisent les services gratuitement, celles qui produisent un contenu particulièrement intéressant peuvent être rémunérées, et enfin, celles qui tirent le plus grand profit de la plate-forme, c’est-à-dire les annonceurs, doivent payer. Outre la gestion des effets de réseau et de la tarification, les plates-formes numériques profitent d’économies d’échelle grâce au déploiement de logiciels qui facilitent le travail.</p>
<p>Mais en regardant de plus près, on constate que certains choix peuvent contribuer à transformer ces plates-formes en lieux de conflit. Par exemple, elles fournissent des outils qui augmentent les chances de rendre certains contenus « viraux », c’est-à-dire qu’ils atteignent une grande notoriété grâce aux partages et aux vues. Cet effet est facile à exploiter pour les militants qui défendent des programmes extrémistes et suscitent des réactions encore plus hostiles de la part des utilisateurs qui ne partagent pas leur avis.</p>
<p>Tout cela met les plates-formes de partage de contenu dans une position délicate : si la modération est insuffisante ou inefficace, cela peut avoir des conséquences négatives sur les utilisateurs et le grand public. À l’inverse, les modérateurs peuvent aussi être accusés de partialité lorsqu’ils choisissent ce qu’ils autorisent, suppriment, relèguent au second plan ou interdisent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-sur-les-reseaux-sociaux-aussi-la-mauvaise-monnaie-chasse-la-bonne-148240">Podcast : Sur les réseaux sociaux aussi, « la mauvaise monnaie chasse la bonne »</a>
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<p>S’ensuit un cercle vicieux : le manque de modération entraîne une polarisation des utilisateurs, laquelle conduit à ce que l’une ou l’autre des factions critique la modération, critiques qui à leur tour poussent la modération à s’abstenir de modérer, et ainsi de suite.</p>
<h2>Légitimité et équité</h2>
<p>Au regard de leur volume, les opérateurs ont du mal à modérer efficacement les contenus partagés sur les plates-formes numériques, alors que les acteurs malveillants sont capables d’adapter rapidement leurs stratégies et leurs tactiques, par exemple en coordonnant des activités non authentiques.</p>
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<p>Les groupes politiques extrémistes dans les États démocratiques, comme les climatosceptiques, ou l’appareil d’État lui-même dans les États autoritaires sont des exemples de groupes qui constituent des menaces par la diffusion d’informations déformées. Au-delà des frontières, il arrive que les services de renseignement et de propagande de certains États se livrent à de telles activités à l’encontre d’autres États.</p>
<p>Parmi les cas récents de manipulation de l’information en ligne, citons les tentatives russes de <a href="https://time.com/5565991/russia-influence-2016-election/">déstabilisation</a> des élections américaines de 2016, ou l’intox des <a href="https://www.cnbc.com/2017/05/07/macron-email-leaks-far-right-wikileaks-twitter-bots.html">« Macron leaks »</a> lors des élections présidentielles françaises de 2017. Dans le contexte de la <a href="https://theconversation.com/invasion-russe-de-lukraine-lheure-de-gloire-de-losint-187388">guerre entre la Russie et l’Ukraine</a>, des informations sur l’existence présumée de laboratoires de production d’armes biologiques en Ukraine ont été diffusées sur les réseaux sociaux par des organisations secrètes qui seraient russes et chinoises. Des campagnes anti-vaccination ont également été menées depuis le début de la pandémie de Covid-19.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fake-news-resultats-peu-fiables-comment-distinguer-bonne-et-mauvaise-recherche-biomedicale-195262">Fake news, résultats peu fiables… Comment distinguer « bonne » et « mauvaise » recherche biomédicale ?</a>
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<h2>Réduction des coûts</h2>
<p>La modération des contenus doit donc s’inscrire dans le modèle économique des plates-formes. Aujourd’hui, elles consacrent une très grande partie de leur personnel à la modération des contenus, mais il n’est pas certain que cette activité puisse être maintenue, compte tenu de leurs revenus actuels.</p>
<p>Les difficultés financières chroniques de Twitter illustrent la difficulté, pour une plate-forme de petite taille, à rester rentable tout en assurant une modération appropriée. La nouvelle stratégie de gestion d’Elon Musk semble miser sur une <a href="https://apnews.com/article/elon-musk-twitter-inc-technology-business-san-francisco-fa63069c6cb48850f3c36d052bd96044">réduction drastique de tous les coûts</a>, y compris de modération, avec l’espoir que les revenus ne chutent pas trop du fait du départ d’annonceurs qui ne veulent pas être associés à une plate-forme sans modération. Reste à voir si cela est possible.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rachat-par-elon-musk-risque-daggraver-le-probleme-de-desinformation-de-twitter-181980">Le rachat par Elon Musk risque d’aggraver le problème de désinformation de Twitter</a>
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<p>Lorsqu’une plate-forme décide de se lancer dans des activités de modération, l’élaboration de procédures en la matière peut être assez décourageante. D’abord, il faut trouver un consensus sur le traitement des contenus politiques ou idéologiques. Les orientations et les critères doivent être étayés par une légitimité claire et établie.</p>
<h2>Le « comment » plus que le « quoi »</h2>
<p>À cet égard, des règles, instituées par un processus démocratique, peuvent s’avérer très utiles. Avec l’entrée en vigueur de la législation européenne sur les services numériques (<a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act">règlement DSA</a>), les dirigeants de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">l’Union européenne</a> seront d’ailleurs autorisés à imposer un niveau minimum de modération.</p>
<p>Pour être légitime, un cadre doit être porté par un processus démocratique. Le règlement DSA porte essentiellement sur les moyens de modération que les plates-formes doivent mettre en œuvre ou dans lesquels elles doivent investir, c’est-à-dire sur le « comment » plutôt que sur le « quoi » modérer, en partant du principe qu’il sera plus facile de s’entendre sur le premier point que sur le second.</p>
<p>L’objectif du règlement DSA est de garantir un niveau minimum de modération sur toutes les plates-formes, ce qui pourrait tourner à l’avantage des plus grandes, seules susceptibles de rester rentables tout en assurant la modération requise. On pourrait alors assister à une plus forte concentration au sommet, avec de nouvelles plates-formes qui restent petites et suivent des modèles dans lesquels la modération est soit inutile, soit impossible, afin d’éviter les coûts y afférents.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Chatain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte contre la désinformation représente ainsi un coût important et se heurte aux contraintes des modèles économiques. Les pouvoirs publics sont ainsi appelés à se mobiliser davantage.Olivier Chatain, Professor, Strategy and Business Policy, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1995462023-02-09T23:43:07Z2023-02-09T23:43:07ZVercingétorix contre César : la propagande romaine de La Guerre des Gaules<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508951/original/file-20230208-26-itjk67.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2194%2C1464&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vercingétorix se rend à César, tableau de Lionel-Noël Royer, 1899. Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_d%27Al%C3%A9sia#/media/Fichier:Siege-alesia-vercingetorix-jules-cesar.jpg">Wikimédia</a></span></figcaption></figure><p>La saga Astérix, imaginée sous forme de bande dessinée par René Goscinny et Albert Uderzo, fait désormais partie du paysage cinématographique français, ayant inspiré cinq films depuis 1999. Le dernier, réalisé par Guillaume Canet – <em>Astérix et Obélix, l’Empire du milieu</em> – rencontre déjà un certain succès, quelques jours seulement après sa sortie en salles. L’occasion de réfléchir sur l’histoire de Vercingétorix et la façon dont elle a été racontée et revisitée dès l’Antiquité.</p>
<p>En 52 av. J.-C. éclate en Gaule la fameuse révolte menée par Vercingétorix contre César. Le récit des événements nous en est uniquement transmis par des sources romaines, de langue latine ou grecque, <a href="https://www.babelio.com/livres/Olivier-Cesar-contre-Vercingetorix/1198594">toutes favorables au vainqueur</a> : César lui-même dans <em>La Guerre des Gaules</em> dont il est à la fois l’acteur et le commentateur ; puis les historiens Plutarque (vers 46-125), Florus (vers 70-140) et Dion Cassius (vers 155-235).</p>
<p><em>La Guerre des Gaules</em> n’est pas un livre d’histoire, comme on l’entend aujourd’hui, mais d’abord une œuvre de propagande à la gloire de César. C’est un ouvrage biaisé dans lequel l’auteur n’hésite pas à travestir les faits.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-le-manuel-du-parfait-dictateur-161602">Bonnes feuilles : le « Manuel du parfait dictateur »</a>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508954/original/file-20230208-21-jtcjqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Attaque de la cavalerie gauloise à Gergovie. Dessin de Victor de la Fuente, <em>Vercingétorix, César</em>, <em>Histoire de France en bandes dessinées</em>, 1976.</span>
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<h2>Les femmes d’Avaricum et les oies du Capitole</h2>
<p>Ainsi, dans son récit du siège d’Avaricum, chef-lieu du peuple des Bituriges, aujourd’hui Bourges, César (<em>Guerre des Gaules</em> VII, 26) invente une anecdote très peu crédible. Les guerriers gaulois assiégés, sentant que la partie est perdue, se décident à abandonner la ville, à la faveur de la nuit. C’est alors, raconte l’auteur, que leurs femmes sortent subitement des maisons ; elles se jettent aux pieds de leurs époux et les supplient de rester.</p>
<p>Comme les guerriers refusent de céder, elles se mettent à hurler si fort qu’elles <a href="http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BGVII.html">avertissent les Romains</a> du projet de fuite. Les Bituriges renoncent alors, craignant que les cavaliers ennemis leur coupent la route.</p>
<p>Tout cela est invraisemblable : les Romains, à l’extérieur des murailles et à des centaines de mètres de là, n’auraient pu entendre les cris des Gauloises. Comme le fait remarquer l’historien Jean-Louis Brunaux, le récit de César est calqué sur la célèbre anecdote des <a href="https://www.babelio.com/livres/Brunaux-Vercingetorix/1026203">oies du Capitole</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508955/original/file-20230208-23-kpjzeu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Les oies sacrées sauvent le Capitole</em>, dessin d’après un tableau de Henri-Paul Motte, vers 1883.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9d/Henri-Paul_Motte_Les_oies_sacr%C3%A9es_sauvent_le_Capitole.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Une histoire bien connue, grâce au récit qu’en donne Tite-Live (<em>Histoire romaine</em> V, 47). Vers 390 av. J.-C., des Gaulois, commandés par le roi Brennus, envahissent l’Italie et prennent Rome qu’ils mettent à sac. Seule la colline du Capitole échappe au pillage. Alors que les Gaulois tentent un assaut nocturne de la citadelle, les oies consacrées à la déesse Junon se mettent à pousser des hurlements, réveillant les Romains <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Tite/livre5.htm">et les alertant du danger</a>.</p>
<p>La similitude avec le récit de César est évidente : grâce aux cris poussés par les oies comme par les femmes d’Avaricum, les Romains échappent, chaque fois, à une manœuvre militaire de leurs ennemis gaulois.</p>
<h2>Vercingétorix livré à César</h2>
<p>La scène la plus célèbre de la guerre des Gaules est la reddition de Vercingétorix à l’issue du siège d’Alésia, en septembre 52 av. J.-C. Pourtant, l’évocation qu’en donne César est très brève. Après avoir réuni un ultime conseil de guerre, Vercingétorix <a href="http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BGVII.html">annonce à ses hommes</a> : « Vous pouvez disposer de moi, me tuer ou me livrer aux Romains » (César, <em>Guerre des Gaules</em> VII, 89).</p>
<p>Les Gaulois décident de livrer leur commandant après avoir envoyé des émissaires à César. Le vainqueur vient s’asseoir sur un siège, devant son camp. Puis : « les chefs lui sont amenés, Vercingétorix est livré, les armes sont jetées » (<em>eo duces producuntur, Vercingetorix deditur, arma proiciuntur</em>).</p>
<p>La phrase latine, en trois temps, est rythmée par des verbes au passif qui produisent une rime intérieure. Vercingétorix n’est pas l’acteur de sa reddition : il est livré par les siens, en même temps que les autres chefs de la révolte. Cette fois, César s’en tient strictement aux faits. Il ne brode pas pour enjoliver la réalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508963/original/file-20230208-23-vdqj2k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vercingétorix se rend à César. Tableau de Henri-Paul Motte, 1886. Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/02/Vercing%C3%A9torix_se_rend_%C3%A0_C%C3%A9sar_1886_HPMotte.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>Une reddition romanesque</h2>
<p>Plutarque (<em>Vie de César</em> 27), Florus (<em>Abrégé de l’Histoire romaine</em> III, 11) et Dion Cassius (<em>Histoire romaine</em> XL, 41) nous donnent une autre version, beaucoup plus romanesque, de cette reddition. Selon eux, Vercingétorix serait venu de lui-même se rendre à César.</p>
<p><a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/florus/livre3.htm">Écoutons Florus</a>, « Le roi lui-même, le plus bel ornement de la victoire, vint en suppliant au camp romain et jeta au pied de César les harnais de son cheval et ses armes […]. “Prends-les, dit-il, tu as vaincu, toi le plus valeureux des hommes, un homme valeureux”. »</p>
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<p>Il est totalement improbable que Vercingétorix soit ainsi arrivé seul à cheval et armé. Il était sans doute déjà enchaîné, lorsqu’il fut livré aux Romains. Le face-à-face entre les deux chefs militaires, popularisé par les peintres du XIX<sup>e</sup> en une imagerie mainte fois reproduite dans les ouvrages scolaires, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/alesia-5379066">n’a jamais eu lieu</a>.</p>
<p>Mais pourquoi avoir inventé cette reddition si improbable ? Et pourquoi César lui-même n’en a-t-il pas parlé ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508964/original/file-20230208-27-8w7183.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Le Brenn et sa part de butin</em>, tableau de Paul Jamin, 1893.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/archive/a/ac/20161121170138%21Paul_Jamin_-_Le_Brenn_et_sa_part_de_butin_1893.jpg]">Wikimedia</a></span>
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<h2>Vercingétorix mis en scène par César</h2>
<p>César exploite la figure de Vercingétorix dont l’échec contribue à forger la légende du vainqueur. Sans Vercingétorix, César ne serait pas César. Pompée, rival de César, n’avait pas réussi à capturer son ennemi, Mithridate, roi du Pont, qui s’était suicidé, échappant ainsi à son vainqueur. Par contraste, César se fera un plaisir de montrer aux Romains le Gaulois captif, couvert de chaînes, lors des cérémonies de son triomphe à Rome, en 46 av. J.-C.</p>
<p>C’est pour cette raison qu’il a délibérément mis en valeur Vercingétorix, faisant du chef gaulois le personnage le plus important de la <em>Guerre des Gaules</em>, après lui-même, bien sûr. Un ennemi idéal et à sa hauteur, ou presque. César a compris qu’il était bien plus valorisant pour lui de vaincre un ennemi puissant qu’un adversaire faible n’ayant <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251328850/l-art-de-la-deformation-historique-dans-les-commentaires-de-cesar">dès le départ aucune chance de l’emporter</a>.</p>
<p>Mais César utilise différents canaux simultanés de propagande qui n’ont pas le même statut. Il laisse à des collaborateurs, qui ne signent pas leurs compositions de son nom, le soin de diffuser les anecdotes les plus improbables, <a href="https://www.babelio.com/livres/Canfora-Jules-Cesar-le-dictateur-democrate/33601">afin qu’il n’ait pas lui-même à les accréditer</a>.</p>
<p>Le récit romanesque de la reddition de Vercingétorix entre dans cette catégorie. Plutarque, Florus et Dion Cassius l’ont tirée d’un ouvrage, aujourd’hui perdu, composé à la gloire de César, et offrant une version de la <em>Guerre de Gaules</em> plus attrayante que le récit césarien. L’épisode contribue à renforcer la figure charismatique de César. C’est pourquoi, selon Florus, Vercingétorix se définit lui-même comme un « homme valeureux », vaincu par « l’homme le plus valeureux ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508965/original/file-20230208-25-mymwa2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Vae Victis !</em> Dessin de Jacques Martin, <em>Alix, Les légions perdues</em>, 1965.</span>
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<h2>Brennus vaincu</h2>
<p>C’est encore dans l’histoire de Brennus que les conseillers de César ont pu trouver le modèle qui a inspiré ce récit. Après l’échec de sa tentative d’assaut nocturne, Brennus finit par négocier la levée du siège du Capitole avec le tribun militaire romain Quintus Sulpicius. Il se retirera en échange de mille livres d’or. Les Romains acceptent le marché. Tandis qu’ils apportent le métal précieux pour le peser, Brennus jette son épée dans la balance, exigeant son poids en or, en plus du montant préalablement négocié. Il lance alors son fameux <a href="https://latogeetleglaive.blogspot.com/2012/10/vae-victis-malheur-aux-vaincus.html">« Malheur aux vaincus ! »</a> (<em>Vae Victis !</em>).</p>
<p>Le récit de la reddition de Vercingétorix pourrait se référer à ce célèbre épisode dont il fournit une image retournée dans un sens positif pour les Romains. Vercingétorix, comme Brennus, jette son arme, mais il est en position de vaincu. On a, dans les deux cas, une confrontation entre Romains et Gaulois, une tentative de négociation qui échoue et une conclusion comparable : malheur au vaincu ! César n’accordera pas son pardon à Vercingétorix.</p>
<p>Le schéma narratif est le même, mais dans un sens inversé, pour permettre au vainqueur de la guerre des Gaules de laisser entendre qu’il est venu à bout d’un nouveau Brennus. Une belle revanche pour les Romains autrefois humiliés par les Gaulois !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508966/original/file-20230208-468-vym94g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vercingétorix selon Vercingétorix et Vercingétorix selon César. A gauche, monnaie gauloise en électrum, 52 av. J.-C. Paris, Cabinet des Médailles. A droite, denier romain en argent, 48 av. J.-C. Paris, Cabinet des Médailles.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Vercingétorix barbarisé</h2>
<p>César fit frapper de nombreuses monnaies qui lui servirent autant à payer ses hommes qu’à diffuser sa propagande. À l’avers d’un denier, émis en 48 av. J.-C., apparaît le visage caricatural d’un Gaulois dans lequel on peut reconnaître Vercingétorix, grimé en Barbare hirsute. C’est dans cet accoutrement que le vaincu fut exhibé dans les rues de Rome, lors du triomphe de César.</p>
<p>Le véritable Vercingétorix était parfaitement rasé, à l’instar des Romains de l’époque, comme le montrent ses propres monnaies. Son profil y est très différent de celui du denier romain. Membre éminent de l’élite du peuple des Arvernes, Vercingétorix se trouve, après sa défaite, assigné par César à l’apparence du Gaulois caricatural selon l’imaginaire des Romains. César voulait un vrai Barbare comme faire-valoir, non un Gaulois romanisé.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=313&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=393&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=393&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508967/original/file-20230208-25-q668pe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=393&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Denier en argent de César, 46 av. J.-C. Buste de Vénus. Au revers : trophée gaulois surmonté d’un casque à cornes ou doté de protège-joues dressés vers le haut.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un faux casque à cornes ?</h2>
<p>Au revers d’un autre denier, César fit représenter un trophée <a href="https://blog.cgb.fr/les-cornes-des-gaulois,10812.html">constitué d’armes gauloises traditionnelles</a> dont un impressionnant casque qui semble pourvu de cornes, à moins qu’il s’agisse de protège-joues dressés vers le haut.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, l’intention de rendre l’ennemi terrifiant est évidente. On peut même supposer que si les trophées de César étaient surmontés de ces casques, c’est parce que César lui-même les avait fait fabriquer. De faux couvre-chefs effrayants pour mettre en valeur César <a href="http://mediomatrici-gaulois.eklablog.com/des-gaulois-au-xix-eme-si%C3%A8cle-a112692954">comme héros et sauveur de la civilisation</a>.</p>
<p>Plus de 2 000 ans après Jules César, le président américain George W. Bush et son administration inventeront les prétendues armes de destruction massive qu’aurait possédées Saddam Hussein. Un mensonge qui servit de prétexte à l’invasion américaine de l’Irak en 2003.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a publié <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-chroniques/manuel-du-parfait-dictateur-christian-georges-schwentzel/">« Manuel du parfait dictateur. Jules César et les “hommes forts” du XXIᵉ siècle »</a>, aux éditions Vendémiaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que la saga Astérix est de nouveau sur le grand écran, retour sur La uerre des Gaules qui n’est pas un livre d’histoire comme on l’entend, mais une œuvre de propagande à la gloire de César.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1973062023-01-26T18:11:11Z2023-01-26T18:11:11ZChatGPT nous rendra-t-il moins crédules ?<p>Il y a quelques semaines, le 30 novembre 2022, la société <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/OpenAI">OpenAI</a> a livré au monde une nouvelle intelligence artificielle spectaculaire, <a href="https://openai.com/blog/chatgpt/">ChatGPT</a>. Après <a href="https://openai.com/dall-e-2/">DALL·E</a>, qui génère des images à partir d’instructions rédigées en langage courant, ChatGPT est capable de mimer presque à la perfection des discussions entières, ou de répondre à des questions complexes en produisant des textes qui semblent tout droit sortis d’un cerveau humain. </p>
<p>Cette nouvelle avancée ne manque pas d’inquiéter, pour des raisons économiques (avec notamment la possible destruction de certains <a href="https://theconversation.com/quel-avenir-pour-les-producteurs-de-contenus-une-conversation-avec-chatgpt-194111">emplois</a>), éthiques (avec par exemple le risque de voir les modèles de langage comme ChatGPT reprendre des discours <a href="https://www.newstatesman.com/quickfire/2022/12/chatgpt-shows-ai-racism-problem">racistes</a>), ou « épistémiques », ce type d’IA ne faisant pas, à ce jour, la différence entre les informations fiables et les informations douteuses (le terme « épistémique » renvoie à la production ou l’acquisition de connaissances et d’informations fiables). </p>
<p>Il y a pourtant des raisons de penser que la démocratisation de ChatGPT et confrères pourrait être une bonne nouvelle, du moins pour notre rapport à l’information.</p>
<h2>Menaces épistémiques</h2>
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<p>« L’intelligence artificielle peut être un danger épistémique parce qu’elle peut générer des informations convaincantes mais fausses. Cela pourrait remettre en question notre compréhension du monde ou même mettre en danger la validité de notre savoir. Cela a suscité des inquiétudes quant à la possibilité d’utiliser l’IA pour diffuser de la désinformation ou manipuler les croyances des gens. »</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est pas moi qui le dis, c’est… ChatGPT lui-même ! Le paragraphe qui précède a été généré par cette IA en lui posant cette question : « En quoi l’intelligence artificielle est-elle un danger épistémique ? » On le voit avec cet exemple, les réponses peuvent être très convaincantes. Et pourtant parfaitement sottes. Parfois la sottise saute aux yeux, parfois elle est moins facile à débusquer. </p>
<p>En l’occurrence, s’il n’y a pas grand-chose à redire à propos de la première phrase, la seconde est un cliché vide de sens : que veut dire au juste « remettre en question notre compréhension du monde » ou « mettre en danger la validité de notre savoir » ? La troisième phrase est une simple idiotie : ces IA ne diffusent rien, et ne sont peut-être pas les plus adaptées pour « manipuler » (car on ne contrôle pas bien ce qu’elles produisent). </p>
<p>Mais c’est bien ça qui pose problème : il faut réfléchir pour découvrir le pot aux roses. </p>
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<h2>Générateur de « bullshit »</h2>
<p>Ce qu’il faut comprendre, c’est que ChatGPT n’est pas programmé pour répondre à des questions, mais pour produire des textes crédibles. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quel-avenir-pour-chatgpt-197553">Quel avenir pour ChatGPT ?</a>
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<p>Techniquement, ChatGPT est ce que l’on appelle un <a href="https://theconversation.com/quand-lia-prend-la-parole-des-prouesses-aux-dangers-153495">« modèle de langage »</a>. Un modèle de langage est un algorithme, basé sur des technologies développées ces dernières décennies (les <a href="https://theconversation.com/deep-learning-des-reseaux-de-neurones-pour-traiter-linformation-76055">réseaux de neurones</a>, l’<a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">apprentissage profond</a>…), capable de calculer la probabilité d’une séquence de mots à partir de l’analyse d’un corpus de textes préexistants. Il est d’autant plus performant que la quantité de texte qu’il a pu « lire » est grande. Dans le cas de ChatGPT, elle est absolument phénoménale. </p>
<p>Ainsi, étant donnée une certaine séquence de mots, ChatGPT est capable de déterminer la séquence de mots la plus probable qui pourrait venir la compléter. ChatGPT peut ainsi « répondre » à une question, de manière nécessairement crédible, puisqu’il calcule la réponse la plus probable. Mais il n’y a aucune logique ni réflexion dans cette réponse. Il n’y a rien de plus qu’un calcul de probabilités. ChatGPT ne se préoccupe pas le moins du monde de la vérité de ses réponses. Autrement dit, c’est un <a href="https://nautil.us/welcome-to-the-next-level-of-bullshit-237959/">générateur de « bullshit »</a>.</p>
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<p>Le « bullshit », depuis quelques années, n’est plus seulement une interjection anglo-américaine, traduisible en français par « foutaise » ou « fumisterie », mais aussi un concept philosophique, depuis que le philosophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Harry_Frankfurt">Harry Frankfurt</a> en a fait le sujet d’un <a href="https://raritanquarterly.rutgers.edu/issue-index/all-volumes-issues/volume-06/volume-06-number-2">article</a> puis d’un <a href="https://www.fayard.fr/autres/de-lart-de-dire-des-conneries-9782863744413">livre</a> dans les années 2000. </p>
<p>Aujourd’hui, ce sont des chercheurs très sérieux en <a href="https://gordonpennycook.com/">psychologie</a>, en <a href="https://agone.org/livres/lesvicesdusavoir">philosophie</a>, en <a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">neurosciences</a> ou en <a href="https://www.routledge.com/Business-Bullshit/Spicer/p/book/9781138911673">sciences de gestion</a> qui s’intéressent au bullshit. Le concept s’est complexifié mais on peut en retenir ici sa définition originale : le bullshit, c’est l’indifférence à la vérité. Ce n’est pas le mensonge : le menteur est préoccupé par la vérité, en sorte de mieux la travestir. Le bullshiteur, lui, s’en désintéresse et ne cherche qu’à captiver — ce qu’il dit peut parfois tomber juste, parfois non, peu importe. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-cas-de-bullshit-a-propos-du-bullshit-le-rationalisme-perd-il-son-sang-froid-153340">Les cas de « bullshit à propos du bullshit » : le rationalisme perd-il son sang-froid ?</a>
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<p>C’est exactement le cas du très talentueux ChatGPT : lorsque ça ne tombe pas juste, ça ne se voit pas — ou pas immédiatement. Un super-générateur de bullshit, accessible à tous, très simple d’utilisation ? Il y a bien de quoi être inquiet. On peut imaginer sans trop de peine comment cet instrument pourrait être employé très simplement par des éditeurs de contenu peu scrupuleux pour produire de l’« information », d’autant que ChatGPT semble bien pouvoir <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-023-00056-7">tromper même des experts académiques sur leurs propres sujets</a>.</p>
<h2>Vices et vertus épistémiques</h2>
<p>Ce qui est en jeu, c’est une certaine <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/09/10/verite-norme-ideal-engel/">éthique</a> <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711629350/lethique-intellectuelle">intellectuelle</a>. Contrairement à une opinion très répandue, la production ou l’acquisition de connaissances (scientifiques ou non) n’est pas seulement une affaire de méthode. C’est aussi une affaire morale. Les philosophes parlent de <a href="https://academic.oup.com/book/10598">vices</a> ou de <a href="https://intellectualvirtues.org/">vertus « intellectuelles »</a> (ou « épistémiques »), qui peuvent être définis comme des traits de caractère entravant ou au contraire facilitant l’acquisition et la production d’informations fiables. </p>
<p>L’ouverture d’esprit est un exemple de vertu épistémique, le dogmatisme un exemple de vice. Ces notions sont l’objet d’une littérature philosophique toujours plus abondante depuis le début des années 1990, l’<a href="https://plato.stanford.edu/entries/epistemology-virtue/">épistémologie des vertus</a>. Au départ essentiellement technique, puisqu’il s’agissait de définir correctement la connaissance, ces travaux concernent aussi aujourd’hui les problèmes épistémiques de notre temps : désinformation, fake news, bullshit notamment, ainsi bien sûr que les dangers soulevés par les intelligences artificielles.</p>
<p>Jusque récemment, les épistémologues des vertus discutant des conséquences épistémiques des IA <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11229-021-03379-y">portaient surtout leur attention aux « deepfakes »</a>, ces vidéos entièrement générées par des IA du type de DALL·E, et pouvant mettre en scène des individus bien réels dans des <a href="https://www.nytimes.com/2018/03/04/technology/fake-videos-deepfakes.html">situations scabreuses parfaitement imaginaires</a> mais saisissantes de réalisme. Les enseignements tirés de ces réflexions sur les deepfakes sont utiles pour penser les effets possibles de ChatGPT, et peut-être pour nuancer un pessimisme sans doute excessif.</p>
<p>La production de deepfakes est évidemment un problème, mais il est possible que leur généralisation puisse susciter dans le public l’apparition d’une forme de scepticisme généralisé à l’endroit des images, une forme de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/royal-institute-of-philosophy-supplements/article/abs/deepfakes-intellectual-cynics-and-the-cultivation-of-digital-sensibility/8816107D865CC3170DC32C272F3F0282">« cynisme intellectuel »</a>. L’auteur ayant formulé cette proposition (en 2022) y voit un vice épistémique, car cela conduirait à douter autant des informations faisandées que des informations fondées. Je ne suis pas certain qu’un tel cynisme serait si vicieux : ce serait équivalent à revenir à une époque, pas si lointaine, où l’image n’occupait pas une place si grande pour l’acquisition d’information. Il ne me semble pas que cette époque (<a href="https://www-cairn-info.inshs.bib.cnrs.fr/revue-reseaux1-2008-5-page-9.htm">avant les années 1930</a>) eut été particulièrement vicieuse épistémiquement. </p>
<p>Quoi qu’il en soit, ce cynisme pourrait à son tour susciter le développement d’une vertu épistémique : une certaine <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/royal-institute-of-philosophy-supplements/article/abs/deepfakes-intellectual-cynics-and-the-cultivation-of-digital-sensibility/8816107D865CC3170DC32C272F3F0282">« sensibilité numérique »</a>, qui permettrait de correctement discerner le bon grain de l’ivraie dans la masse des images et des vidéos circulant sur Internet.</p>
<p>Une telle sensibilité numérique pourrait également être stimulée par ChatGPT. Les lecteurs des productions de cette IA, échaudés par le torrent de « bullshit » qu’elle risque de déverser, pourraient redoubler d’attention à la lecture d’un texte en ligne de la même manière qu’ils pourraient redoubler d’attention face à une image (de crainte d’être trompés par une deepfake) — sans pour autant tomber dans une forme de scepticisme généralisé.</p>
<p>D’un mal pourrait ainsi naître un bien. Plus généralement encore, la montée en puissance de ces IA pourraient mettre au premier plan la nécessité de cultiver les vertus épistémiques, et de combattre les vices, comme la <a href="https://social-epistemology.com/2019/10/03/fake-news-conspiracy-and-intellectual-vice-marco-meyer/">disposition trop commune à ne pas mettre en doute les théories conspirationnistes circulant sur les réseaux sociaux</a>. Au bout du compte, ces technologies inquiétantes pourraient être une bonne nouvelle pour l’éthique intellectuelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Lamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si ChatGPT soulève des inquiétudes, notamment éthiques, il pourrait contribuer à élever le niveau de « sensibilité numérique » dans notre rapport à l’information.Erwan Lamy, Associate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1944152022-11-27T16:00:21Z2022-11-27T16:00:21ZComment établir une cartographie des ressources de fact-checking ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497428/original/file-20221126-24-8w8yqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=88%2C22%2C3586%2C2423&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les ressources de fact-checking vont bien au-delà du simple verdict vrai/faux.</span> <span class="attribution"><span class="source">Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>La lutte contre la propagation de la désinformation au cours des dernières années a donné naissance à une <a href="https://www.investintech.com/resources/blog/archives/9120-fact-check-tools-tips.html">grande variété d’outils dits de fact-checking</a>. Il s’agit de <a href="https://www.publicmediaalliance.org/tools/fact-checking-investigative-journalism/">plates-formes et de dispositifs</a> dont la <a href="https://www.rand.org/research/projects/truth-decay/fighting-disinformation/search.html">diversité en termes de fonctions et de conception</a> entraîne des utilisations diverses (moteurs de recherche, archives, recherche inversée d’images/vidéos, plates-formes collaboratives, sites web, rubriques médias, etc.). Dans ce qui suit, nous essayons d’opérer une cartographie de ces ressources afin de mieux comprendre <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/fact-checking/">l’évolution sémantique de cette pratique</a>. Notre approche est ascendante : dans le cadre d’une collaboration européenne, nous avons demandé à des étudiants en journalisme et en communication venant de France, de Grèce et de Pologne de lister et de classer les ressources fact-checking qu’ils utilisent ou dont ils ont connaissance. Cette démarche faisait partie du projet pilote <a href="http://calypso-info.ue.katowice.pl/index.php/fr/summary-francais/">CALYPSO (Collaborative AnaLYsis, and exPOsure of disinformation</a>, 2021-2022), attribué en réponse à l’appel de la DG Connect/2020/5464403 de la Commission européenne <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/node/683">EU grants for small-scale online media</a> « Soutenir les produits d’information de haute qualité et lutter contre les fausses informations ».</p>
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<p>Les <a href="https://edmo.eu/wp-content/uploads/2022/07/Calypso_report_v3.pdf">résultats de l’enquête publiée par The European Digital Media Observatory (EDMO)</a> montrent que la pratique de fact-checking relève d’une signification très large auprès de ces publics. Elle est censée impliquer des ressources de divers formats et contenus, fonctionnalités et objectifs, périmètres et champs d’application géographiques, ainsi que des degrés variés de participation des utilisateurs.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une ressource de fact-checking ?</h2>
<p>Plus particulièrement, les étudiants de notre enquête identifient de multiples ressources qui vont au-delà du « baromètre Vrai/Faux » : plates-formes et médias (<a href="https://www.politifact.com/">Politifact</a>, <a href="https://www.newsguardtech.com/">NewsGuard</a>, <a href="https://www.snopes.com/">Snopes</a>, <a href="https://fullfact.org/">FullFact</a>, <a href="https://theconversation.com/fr">The Conversation France</a>, <a href="https://fakehunter.pap.pl/">FakeHunter</a>, <a href="https://www.conspiracywatch.info/">ConspiracyWatch</a>), sections de vérification des faits dans les médias (<a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/">Les Décodeurs</a>, <a href="https://factuel.afp.com/">AFP Factuel</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/">Vrai ou Fake de France Info</a>, <a href="https://www.liberation.fr/checknews/">Checknews de Libération</a>, <a href="https://www.reuters.com/fact-check">Reuters Fact-check</a>), applications d’agrégation d’informations (<a href="https://news.google.com/">Google News</a>, <a href="https://feedly.com/">Feedly</a>), blogs, programmes télévisés, programmes radiophoniques, podcasts (<a href="https://www.radiofrance.fr/sujets/les-idees-claires">Les idées claires</a>, <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/dessous-infox/">Les Dessous de l’infox – RFI</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/">Complorama – France Info</a>), hubs technologiques collaboratifs, pages web ou moteurs de recherche (<a href="http://www.hoaxkiller.fr/">Hoaxkiller</a>, <a href="https://whopostedwhat.com/">WhoPostedWhat</a>, <a href="https://toolbox.google.com/factcheck/explorer?hl=it">FactCheckExplorer</a>, <a href="https://www.rtbf.be/article/fake-ou-pas-fake-testez-votre-capacite-a-reperer-les-fausses-infos-avec-ce-quiz-interactif-10966510">Faky</a>, <a href="https://www.invid-project.eu/">InVid</a>, <a href="https://weverify.eu/">WeVerify</a>, <a href="https://images.google.com/">Google Search by Image</a>, <a href="https://tineye.com/">TinEye</a>, <a href="https://chrome.google.com/webstore/detail/reveye-reverse-image-sear/keaaclcjhehbbapnphnmpiklalfhelgf ?hl=en">RevEye</a>, <a href="https://www.pixsy.com/">Pixsy</a>, <a href="https://yandex.com/">Yandex Search</a>, <a href="https://mediaarea.net/en/MediaInfo">MédiaInfo</a>, <a href="https://citizenevidence.amnestyusa.org/">Amnesty Int. YTB dataviewer</a>), bases de données, extensions et applications mobiles (<a href="https://chrome.google.com/webstore/detail/media-biasfact-check-exte/ganicjnkcddicfioohdaegodjodcbkkh ?hl=en">Media Bias/Fact Check Extension</a>, <a href="https://chrome.google.com/webstore/detail/project-fib/njfkbbdphllgkbdomopoiibhdkkohnbf ?hl=en">Project Fib</a>, <a href="https://www.rand.org/research/projects/truth-decay/fighting-disinformation/search/items/fakerfact.html">FakerFact</a>), outils d’analyse (<a href="https://www.crowdtangle.com/">Crowdtangle</a>), pages ou chaînes sur les médias socionumériques (<a href="https://twitter.com/infointoxf24">« Info ou intox » France24 sur Twitter</a>, la <a href="https://www.youtube.com/channel/UCRAbwEqGDnUBt_gPOkplGBA/playlists ?app=desktop">chaîne YouTube « L’instant Détox »</a>), collectifs et sites web de type observatoire (<a href="https://www.acrimed.org/">Acrimed</a>, <a href="https://www.arretsurimages.net/">Arrêts sur Image</a>, <a href="http://www.odoxa.fr/">Odoxa</a>, <a href="https://www.bellingcat.com/">Bellingcat</a>), répertoires (<a href="https://odil.org/">Observatoire des initiatives de lutte contre la désinformation</a>), etc.</p>
<p>Les ressources de fact-checking vont bien au-delà du simple verdict vrai/faux et incluent des activités et des ressources d’éducation aux médias (<a href="https://www.getbadnews.com/books/english/">Bad news</a>, <a href="https://www.rand.org/research/projects/truth-decay/fighting-disinformation/search/items/fake-news-the-game.html">fake news : The Game</a>, <a href="https://www.spicee-educ.com/">Spicee Educ</a>, <a href="https://www.fake-off.eu/">Fake Off</a>, <a href="http://www.stopintox.fr/">Stop Intox</a>), compétence importante pour cultiver l’esprit critique et <a href="https://theconversation.com/pour-contrer-infox-et-propagande-le-fact-checking-ne-suffit-pas-179984">faire face aux limites du fact-checking</a>.</p>
<p>Par ailleurs, les ressources identifiées portent à la fois sur la fiabilité des identités numériques et des sites Web (<a href="https://www.scamdoc.com/">ScamDoc</a>, <a href="https://whopostedwhat.com/">WhoPostedWhat</a>), l’activité des bots (<a href="https://botometer.osome.iu.edu/">botomètre</a>), la reconnaissance faciale (<a href="https://www.bellingcat.com/resources/how-tos/2019/02/19/using-the-new-russian-facial-recognition-site-searchface-ru/">FindClone</a>), l’analyse des deepfakes (<a href="https://sensity.ai/">Sensity Tool</a>), mais aussi sur les tendances au sein de médias socionumériques (<a href="https://trends.google.com/">Google Trends</a>), les noms de domaine, les sites web et adresses IP (<a href="https://who.is/">WHOIS</a>), les arnaques et fraudes dans le commerce électronique (<a href="https://www.fakespot.com/">FakeSpot</a>), les données et pages web archivées (<a href="https://archive.org/web/">Wayback Machine</a>, <a href="https://perma.cc/">Pema CC</a>), les bases de données universitaires (<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/">PubMed</a>, <a href="https://scholar.google.com/">Google Scholar</a>), etc.</p>
<h2>Modéliser les ressources de fact-checking</h2>
<p>Il devient alors évident que la classification des ressources de fact-checking doit prendre en considération une vision globale du processus de recherche de la vérité, allant de ses instruments et plates-formes orientés vers la vérification du vrai/faux à ceux visant une compréhension plus large des enjeux de l’univers informationnel. De même, elle doit tenir compte de <a href="https://iamcr.org/papers/PCR/PCR-5/765.pdf">l’expansion progressive des capacités de vérification et de participation</a>, allant des journalistes en tant que « gardiens » aux utilisateurs non professionnels en tant que citoyens informés (avec les plates-formes de <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abf4393">vérification crowdsourcing</a> et les pratiques de signalement). <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abf4393"></a>La combinaison de ces deux échelles (finalité de la ressource/usagers concernés et degrés de participation) révèle quatre catégories distinctes de ressources de fact-checking, permettant d’enrichir les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17512786.2017.1363657">quelques travaux disponibles sur le sujet</a> :</p>
<p><strong>Services</strong></p>
<p>Associant une faible participation des utilisateurs non professionnels et orientés vers le verdict faux/vrai, les services de fact-checking désignent une variété de sections de médias et/ou de plates-formes, principalement en ligne, qui fournissent des vérifications de faits, des « démystifications » (debunking). Ils peuvent être gratuits ou nécessiter un abonnement, et peuvent parfois intégrer un engagement limité de l’utilisateur profane, par exemple en donnant la possibilité aux citoyens de poser des questions et de demander des vérifications des faits spécifiques. Ces plates-formes sont le plus souvent gérées par des journalistes.</p>
<p><strong>Outils</strong></p>
<p>lls désignent les logiciels (applications, programmes, plugins, etc.) utilisés pour authentifier toutes les formes d’informations (textes, images, etc.) et/ou pour vérifier leur exactitude. Les outils de vérification peuvent être gratuits ou sur abonnement, open source ou propriétaires. Même s’ils sont initialement destinés aux journalistes, ils sont de plus en plus accessibles aux utilisateurs non professionnels, malgré le fait qu’ils nécessitent encore des compétences qui ne sont pas forcément à la portée de tous.</p>
<p><strong>Aides</strong></p>
<p>Nous classons ici les ressources à faible participation des utilisateurs non professionnels qui visent à transmettre des connaissances, c’est-à-dire de la <a href="https://journals.openedition.org/edc/3411">littératie informationnelle</a> : littératie visuelle, culturelle, médiatique, informatique, etc. Les tutoriels, les tableaux de tendances, etc. peuvent entrer dans cette catégorie. Les citoyens peuvent utiliser ces ressources, mais ils interviennent rarement dans leur fabrication.</p>
<p><strong>Environnements</strong></p>
<p>Cette catégorie fait référence à une variété d’expériences en ligne plus ou moins immersives à des fins éducatives (maîtrise de l’information) tournant autour de la désinformation et de la vérification des faits, nécessitant un haut degré de participation et d’engagement des utilisateurs profanes (par exemple, serious games, MOOC, etc.).</p>
<p>Certes, les <a href="https://www.mdpi.com/2078-2489/12/5/201">contextes éducatifs et médiatiques locaux doivent être pris en considération</a> dans cette réflexion. Nous savons, par exemple, que la <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2017-2-page-131.htm">France a été l’un des premiers pays à adopter le fact-checking en Europe</a>, ce qui explique probablement l’importance des ressources françaises répertoriées par les étudiants français, contrairement aux étudiants grecs et polonais qui recourent beaucoup à des ressources anglophones. Cependant, ces derniers citent aussi des outils d’origine russe (<a href="https://findclone.ru/">FindClone</a>, <a href="https://yandex.com/">Yandex</a>), portugaise (<a href="https://poligrafo.sapo.pt/">Jornal Poligrafo</a>), sud-africaine (<a href="https://africacheck.org/">Africa Check</a>), qatarie (<a href="http://tanbih.qcri.org/">TANBIH</a>), et française (<a href="https://crosscheck.firstdraftnews.org/france-fr/">CrosscheckFrance</a>, <a href="https://fr.captainfact.io/">CaptainFact</a>), révélant une compréhension de la vérification des faits en tant que pratique internationale, ancrée localement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194415/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angeliki Monnier a reçu des financements de la Commission européenne. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julie Dandois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les étudiants en journalisme et en communication identifient-ils les « bons » outils de fact-checking? Nous avons mené l'enquête.Angeliki Monnier, Professeure en Sciences de l'information et de la communication, directrice du Centre de recherche sur les médiations, Université de LorraineJulie Dandois, assistante de recherche , Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1952622022-11-27T15:57:25Z2022-11-27T15:57:25ZFake news, résultats peu fiables… Comment distinguer « bonne » et « mauvaise » recherche biomédicale ?<p>En science, les conceptions évoluent en permanence. Ainsi, la recherche sur les drogues psychédéliques a fait récemment un retour spectaculaire suite à un mélange d’assouplissement des attitudes sociétales, d’attrait pour les opportunités commerciales, de doutes sur la « guerre contre les drogues » et de désir de développer de nouveaux moyens de traiter certains problèmes de santé mentale.</p>
<p>Vous avez peut-être lu par exemple que de nouvelles études montraient que la <a href="https://theconversation.com/comment-la-ketamine-agit-elle-sur-les-croyances-depressives-192370">kétamine pouvait agir sur la dépression</a>, la <a href="https://ichgcp.net/fr/clinical-trials-registry/NCT05562973">psilocybine sur le syndrome de stress post-traumatique</a> ou encore le <a href="https://i-d.vice.com/en/article/akz5m4/can-microdosing-lsd-or-mushrooms-help-creativity-productivity-and-mental-health">microdosage de LSD sur la créativité</a>…</p>
<p>Beaucoup d’annonces, mais finalement quelle recherche mérite votre intérêt et, surtout, votre confiance ? Tout dépend notamment de ce que vous cherchez, mais il faut être conscient que toutes les études ne se valent pas, quelle que soit la discipline scientifique considérée. Comment les distinguer ?</p>
<p>Je suis médecin, spécialisé dans la recherche de nouveaux médicaments et des essais cliniques. En tant que tel, je m’intéresse à la question de savoir si les <a href="https://www.inserm.fr/actualite/therapies-psychedeliques-une-panacee/">« thérapies psychédéliques »</a> peuvent être une nouvelle forme de médecine. Cette question nécessite des preuves et cela passe notamment par des essais cliniques solides. C’est ce sur quoi je vais me concentrer ici, et voici les précautions à prendre avant de donner du crédit à une information que vous avez vu passer.</p>
<p>Bien sûr, la majorité des principes et précautions que je vais développer dans cet article s’appliquent à la recherche médicale de manière plus large – essais cliniques pour les <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-infections-virales-ce-quil-faut-savoir-135339">molécules efficaces contre le Covid</a>, etc.</p>
<h2>Attention à la revue dans laquelle l’article a été publié</h2>
<p>D’abord, vérifiez votre source. Une recherche solide est le plus souvent publiée dans des revues scientifiques examinées par des pairs (les <em>peer-reviewed scientific journals</em>). L’examen par les pairs signifie que des experts indépendants ont lu et critiqué anonymement l’article. Il s’agit d’une forme importante et minutieuse d’examen. Si l’article que vous lisez fait référence à une revue qui n’a pas recours à cette relecture, méfiez-vous.</p>
<p>De plus, certaines revues prétendent être de qualité et publier des articles examinés par des pairs… mais sont en fait juste des <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-019-03759-y">montages destinés à faire de l’argent</a> (car généralement les auteurs paient pour être publiés dans une revue vérifiée par des pairs), qui publient tout ce qu’ils reçoivent sans vérification véritable. On parle de <a href="https://coop-ist.cirad.fr/publier-et-diffuser/eviter-les-revues-et-editeurs-predateurs/1-qu-est-ce-qu-une-revue-predatrice-ou-un-editeur-potentiellement-predateur">« revues prédatrices »</a>, dont plus de 10 000 ont été recensées en 2021. (<em>Près d’un <a href="https://blog.cabells.com/2020/07/15/cabells-top-7-palpable-points-about-predatory-publishing-practices/">tiers des revues prédatrices sont actives dans le domaine de la santé</a>. Des guides sont publiés pour faciliter leur identification par les auteurs, ndlr</em>)</p>
<p>Les traquer, c’est un peu comme chercher à repérer un spam ou un mail frauduleux. Une date de création récente du journal, une mauvaise grammaire, des fautes d’orthographe et de formatage, des sites web de qualité inférieure et des déclarations trop belles pour être vraies sont autant de signes révélateurs d’une revue qui ne laisserait pas une vérité trop complexe ou nuancée s’opposer à de bons honoraires de publication…</p>
<p>En revanche, les revues de bonne qualité sont généralement établies depuis longtemps, sont indexées dans des bases de données scientifiques telles que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/">PubMed</a> et ont généralement de bons <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Facteur_d%27impact">« facteurs d’impact »</a> (le rapport entre le nombre de citations reçues par une revue dans une année et le nombre d’articles publiés par cette revue au cours des deux années précédentes). Indiqué sur la page d’accueil de la revue, le facteur d’impact n’est certes pas une mesure parfaite, mais elle est utile en tant que guide. Un chiffre plus élevé est plus rassurant. (<em>Les deux prestigieuses revues Nature et Science ont des facteurs d’impact de plus de 40, The Lancet de plus de 50 et The New England Journal of Medicine de plus de 70. Les revues spécialisées de haut niveau ont, pour des raisons mécaniques, des facteurs d’impact inférieurs à 5 – ce qui reste bien dans ce cas de figure, ndlr</em>)</p>
<p>Vous référer à un journal de bonne tenue, c’est avoir déjà fait la moitié du chemin.</p>
<h2>Vérifier qui écrit l’article</h2>
<p>Avant de vous lancer dans votre lecture, cherchez ensuite à savoir qui sont les auteurs, où ils travaillent, ce qu’ils déclarent et quelles sont leurs sources de financement (cela est généralement indiqué à la fin de l’article). Des auteurs reconnus dans leur domaine ont, souvent, une excellente réputation…</p>
<p>Mais ils ont aussi plus à perdre si leurs résultats ne correspondent pas à leurs théories préalablement publiées. Ils sont également plus susceptibles d’être des consultants rémunérés par des entreprises cherchant à commercialiser de nouveaux traitements par exemple. Les conflits d’intérêts doivent être signalés.</p>
<p>Et ce n’est pas parce qu’une étude provient d’une institution pionnière et de grande qualité que vous devez lui accorder une confiance aveugle. Les équipes pionnières peuvent même être biaisées, pour diverses raisons. Par exemple, pourquoi se seraient-elles lancées dans un domaine contesté si elles n’avaient pas, à la base, une idée déjà fortement orientée et positive ?</p>
<p>Cela dit, les institutions et équipes de recherche qui ont une bonne réputation obtiennent cette dernière parce que leurs pairs ont confiance en leurs méthodes et résultats. Donc, dans l’ensemble, optez pour des auteurs respectés dans leur domaine (et publiant dans leur domaine…), tout en gardant à l’esprit les autres facteurs entrant potentiellement en jeu.</p>
<h2>Quelle qualité pour les données publiées</h2>
<p>Maintenant, <a href="https://theconversation.com/petit-guide-pour-bien-lire-les-publications-scientifiques-151158">intéressez-vous à l’article lui-même</a>. Pour la recherche clinique, l’<a href="https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8873376">essai multicentrique</a> (effectuée sur plusieurs centres, qui peuvent donc faire appel à des milliers de personnes, ce qui impose des protocoles bien calés), <a href="https://www.ligue-cancer.net/article/26170_quest-ce-quun-essai-randomise">randomisé</a> (l’intégration d’un patient à un groupe ou l’autre de l’essai se fait par tirage au sort) et contrôlé par placebo est roi.</p>
<p>Les premiers essais ont généralement lieu au sein d’une seule institution. C’est normal, mais ne dit encore rien sur l’efficacité du traitement en dehors de cette institution. Pour cela, il faut passer à l’essai multicentrique. Plus il y a de centres impliqués, mieux c’est.</p>
<p>Si le traitement fonctionne dans de nombreux centres, il y a déjà plus de raisons de penser qu’il fonctionnera aussi dans le monde « réel ». C’est ce qu’on appelle la « généralisation »… et c’est une étape encore sans certitude pour les psychédéliques notamment.</p>
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<p>Les études randomisées et contrôlées par placebo font référence à des participants répartis au hasard dans deux groupes ou plus, dont l’un est traité avec un placebo (pilule factice). Sans groupe de contrôle placebo avec lequel comparer, vous ne pouvez pas savoir si l’effet que vous observez dans le groupe ayant reçu le traitement n’aurait pas pu se produire tout seul.</p>
<p>De même, s’il n’y a pas de randomisation, tout effet observé peut être dû à quelque chose de commun à l’un des groupes et que les expérimentateurs n’ont pas vu.</p>
<p>Les premiers essais de psychédéliques n’étaient souvent ni randomisés ni contrôlés. Si bien que vous ne pouvez pas forcément conclure grand-chose de ces études pilotes. Elles montrent simplement que la recherche peut être effectuée. Pour l’heure, la majorité des recherches sur les psychédéliques ne sont ainsi pas (encore) à ce niveau.</p>
<h2>Quelle taille pour les essais</h2>
<p>Plus un essai compte de participants, nous l’avons évoqué précédemment, plus sa <a href="https://www.scribbr.com/statistics/statistical-power/">« puissance statistique »</a> est grande – et plus il est pertinent pour détecter un effet réel (ou son absence). Il faut souvent des centaines, voire des milliers de participants pour avoir une résultat significatif.</p>
<p>Cela coûte cher, c’est pourquoi de nombreux essais cliniques à grande échelle sont financés par des entreprises – c’est le seul moyen de réunir les fonds nécessaires. Mais ce n’est pas parce qu’un essai est « commercial » qu’il faut le négliger…</p>
<p>Oui, profit et soins de santé ne font pas bon ménage. Mais pour contrôler les risques, les essais commerciaux sont en fait beaucoup plus réglementés que les essais non commerciaux. Presque tous les médicaments que nous possédons aujourd’hui ont été homologués sur la base d’essais commerciaux.</p>
<h2>Quelle était l’hypothèse de départ de la recherche menée</h2>
<p>Tous les essais cliniques doivent avoir un « résultat primaire pré-enregistré ». Il peut s’agir d’un résultat de test sanguin, de neuro-imagerie ou d’une mesure de la dépression, etc. C’est autour de ce résultat que l’essai est conçu. Un essai sérieux doit donc <a href="https://www.academie-medecine.fr/lessai-clinique-controle-randomise/">avoir un objectif principal, qui est de confirmer ou d’infirmer une hypothèse préalable</a>.</p>
<p>Le préenregistrement s’effectue sur des sites web tels que <a href="https://clinicaltrials.gov/">clinicaltrials.gov</a> avant le début de l’essai. Si les chercheurs n’ont pas préenregistré leur hypothèse ou leurs méthodes d’analyse notamment, ils ont pu sélectionner a posteriori leurs résultats. Si vous <a href="https://www.wired.com/story/were-all-p-hacking-now/">triturez vos données suffisamment fort</a>, elles vous diront en effet presque toujours ce que vous voulez… C’est l’un des grands péchés de la recherche.</p>
<p>Si je tire à pile ou face encore et encore, je finirai par obtenir dix fois de suite le côté face, par hasard, et décider que c’est ce que je voulais avoir. C’est la même idée ici : plus je mets de mesures dans un essai, et plus je multiplie les façons d’analyser les données que je récolte, plus j’ai de chances d’obtenir un résultat « significatif » – en fait celui qui m’intéresse. D’où l’importance de toutes les règles posées pour bâtir et valider des protocoles de recherche, d’essais cliniques, etc. et ainsi permettre d’avoir les résultats les plus solides possibles.</p>
<p>Une dernière pensée avant de partir. Aucun essai clinique ni aucune recherche unique ne peut vous dire quoi que ce soit avec certitude : plus un résultat est reproduit par d’autres équipes, plus il devient crédible. C’est ainsi que la science et nos connaissances évoluent…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195262/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Rucker a reçu des financements du National Institute for Health Research, du Compass Pathfinder, Beckley PsyTech et de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies.</span></em></p>Psychotropes, traitements anti-Covid, vaccins… Comment s’y retrouver dans les milliers d’études publiées sur des sujets délicats ? Petit guide pour faire le tri entre annonces parfois tonitruantes…James Rucker, Senior Clinical Lecturer & Consultant Psychiatrist, King's College LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1884042022-09-01T17:50:53Z2022-09-01T17:50:53ZDu tic à la tactique : les mécanismes grammaticaux de l’infox à travers les tweets de Donald Trump<p>Sur Twitter, le format court et percutant impose une certaine standardisation de l’expression. Pour autant, chaque « twitto » a son propre style, ses habitudes d’écriture. Mais quand on se penche sur des comptes particulièrement populaires ou influents, observer les tics d’écriture peut se révéler riche d’enseignements. Dans quelle mesure l’auteur utilise-t-il un écrit systématisé pour maximiser l’effet de ses paroles sur ses followers et assurer une certaine viralité à ses propos ?</p>
<p>Regardons en quelques lignes la manière dont Donald Trump use de Twitter pour propager des informations contenant des informations dont les faits sont prouvés comme faux (des infox, ou fake news en anglais).</p>
<p>Donald Trump, entre 2017 et 2021, a envoyé 30 573 tweets <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/politics/trump-claims-database/?itid=lk_inline_manual_11">jugés fallacieux et erronés par les médias américains</a> ; parmi ces messages, 14 928 prennent le lecteur à témoin (« You »), 2685 lui rappellent ce qu’il sait (« You know ») et 746 ajoutent des informations avec « et c’est »/« et ça » (« And then,/and that’s »), quand plusieurs milliers utilisent une forme assez étrange de conjonction de coordination en tête de phrase ? : « Et » précédé d’un point (« . And »).</p>
<p>Est-ce là un style simplement allégé pour public pressé, qui lit sur son écran de téléphone ? Disons plutôt que Donald Trump utilise une écriture <em>efficace</em> – faite de prises à témoin, d’appositions, d’affirmations du couple <em>je/vous</em>, de rupture grammaticale et d’élisions (la suppression d’éléments essentiels au sens ou à la grammaire) – qui se situe à deux niveaux de l’analyse grammaticale : la grammaire de phrase et la grammaire de modélisation. La première <a href="https://grammaire.reverso.net/la-phrase/">analyse comment on construit les phrases</a> ; la seconde analyse <a href="https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/modalisation.php">comment on construit un texte qui donne un avis ou une opinion</a>. Donald Trump choisit des effets stylistiques renforçant la perte de jugement du lecteur en insistant sur la position d’autorité qui est la sienne.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Par ses tics d’écriture, Donald Trump ne convainc pas, il subjugue. Sa grammaire n’est pas argumentative mais émotionnelle, il s’exprime à la manière d’un prédicateur, ce qui, en termes de raisonnement démocratique, n’est pas des plus rassurant, mais en vue d’une élection permet de se constituer un faction de fidèles en fractionnant la société en groupes irréconciliables.</p>
<p>Rappelons que les infox sont étudiées avec des outils qui permettent de les cibler ou de les penser selon des méthodologies différentes qui ont été analysées dans l’ouvrage publié sous la direction de Ioan Roxin, <a href="https://www.researchgate.net/profile/Ioan-Hosu/publication/336603703_Information_Communication_et_Humanites_Numeriques/links/5da80d22a6fdccdad54ade6d/Information-Communication-et-Humanites-Numeriques.pdf"><em>Information, Communication et Humanité numérique</em></a>.</p>
<p>Rappelons que la grammaire permet de construire le discours, donc de porter l’information. Une utilisation très neutre et informative de la langue crée une relation au lecteur, quand une utilisation très personnelle, marquée par des Je, des adjectifs de valeurs, des exclamations fabrique une tout autre posture qui lie plus intimement émetteur et récepteur.</p>
<h2>Grammaire de modélisation</h2>
<p>Une analyse grammaticale permet de signaler les phénomènes à l’œuvre dans l’écriture du message. En effet, la grammaire utilisée par les infox courtes (quelques dizaines de mots) correspond à ce qu’on appelle la grammaire de la modélisation. Ce champ grammatical consiste à utiliser des procédés linguistiques pour renforcer la présence de l’émetteur, d’insister sur la dimension personnelle, pour affirmer de manière très forte l’avis et l’opinion de celui qui écrit. Ainsi le « Je », les verbes d’opinion (penser, croire, estimer, vouloir), les adjectifs et adverbes de valeurs (meilleurs, bien, utile, supérieur, vrai et faux) sont utilisés massivement.</p>
<p>Cette utilisation de la grammaire de modélisation est inattendue car on aurait plutôt pensé qu’une information trompeuse était construite comme un raisonnement, donc correspondait à une grammaire de l’argumentation. En réalité, une infox n’est pas un discours trompeur qui embarque le lecteur dans une série d’arguments qui perturbe son sens de la logique et du raisonnement. Ce serait alors une grammaire de l’argumentation, avec par exemple des liaisons de type « ainsi, alors, c’est pourquoi, donc », des verbes comme « déduire, conclure, montrer, signaler, analyser », et une grammaire de phrase reposant sur la subordination de cause (parce que), de condition (si) de conséquence (si bien que), de concession (bien que), de but (pour que)…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-donald-trump-et-vladimir-poutine-devoient-le-concept-de-verite-177886">Comment Donald Trump et Vladimir Poutine dévoient le concept de vérité</a>
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<p>En réalité, nous ne sommes pas trompés par un tweet, nous y adhérons parce qu’il exprime l’avis clairement assumé d’une personne que nous considérons comme référentielle. Ce qui explique ainsi que malgré des affirmations largement dénoncées comme fausses, monsieur Donald Trump continue de jouir d’une grande popularité : on le croit parce que sa parole est perçue comme honnête. Indépendamment de son contenu.</p>
<p>C’est dans une fausse simplicité que se niche l’enjeu de l’écriture grammaticale du tweet.</p>
<p>La grammaire de l’infox repose en effet sur des effets très travaillés de ruptures grammaticales qu’on pourrait analyser comme des tics de langage. On utilise des formules répétées, au style relâché, mais qui sont en fait calculées pour leur effet « naturel » ou pour l’aspect peu travaillé qu’elles semblent manifester. Je dis la vérité car mon style est brut, peu littéraire, naturel, directement issu de ma pensée profonde. J’écris sans fard (sans effet stylistique), donc je parle vrai !</p>
<p>Analysons quelques phénomènes très répétés, dans les tweets de Donald Trump, de cette forme d’affirmation grammaticale de l’opinion véridique.</p>
<h2>Connecteurs logiques et familiarité</h2>
<p>L’usage en début de phrase d’un connecteur logique (comme « And by the way », « Et d’ailleurs », par exemple) permet de poursuivre un raisonnement absent, mais qui enchaîne uniquement sur ce que le lecteur aurait déjà dans l’esprit. « Et au fait/et d’ailleurs » introduit théoriquement une suite, et ne peut être un début… c’est aussi induire l’idée d’une conversation ininterrompue, donc d’une proximité de pensée entre locuteur et récepteur.</p>
<p>C’est le cas ici : </p>
<blockquote>
<p>« Et au fait, est-ce que quelqu’un croit que Joe a eu 80 millions de votes ? Est-ce que quelqu’un croit cela ? Il avait 80 millions de votes par ordinateur. C’est une honte. » (« And by the way, does anybody believe that Joe had 80 million votes ? Does anybody believe that ? He had 80 million computer votes. It’s a disgrace », 6 janvier 2021.)</p>
</blockquote>
<p>Ou encore ici : </p>
<blockquote>
<p>« Et au fait, Joe Biden n’a pas battu Barack Obama avec, euh, le vote noir. Ne l’a pas battu, d’accord ? » (« And by the way, Joe Biden did not beat Barack Obama with, uh, the Black vote. Didn’t beat him, okay ? », 26 novembre 2020.)</p>
</blockquote>
<p>On retrouve ici tic d’écriture, faute de grammaire (l’absence de sujet dans la seconde phrase), élisions, mais il s’agit surtout d’indiquer que lecteurs et auteur sont sur la même longueur d’onde puisque capables de poursuivre un raisonnement non énoncé. En somme, dit Trump à travers cette formulation, vous êtes à ce point complices avec moi que vous pouvez suivre ma pensée même si je ne l’exprime pas. Vous poursuivez ma logique même en la prenant en cours de route, sans qu’elle ait besoin d’être formulée.</p>
<h2>Créer des ruptures</h2>
<p>Le goût de la rupture, qui brise la fluidité de la lecture, permet d’authentifier la pensée ou de prendre à témoin le lecteur. Donald Trump utilise les appositions introduites par des tirets ou des virgules plutôt que par des parenthèses, en vue d’apporter des jugements très personnels qui insistent sur le fait qu’il exprime une pensée qui lui est propre.</p>
<p>On note la grande présence par exemple sous sa plume des « vous savez » en apposition (« you know »). C’est un avis très individuel qui s’exprime, qui semble s’appuyer sur la pensée déjà acquise du lecteur :</p>
<blockquote>
<p>« Et au fait, nous avons annoncé, vous savez, que j’ai prépayé des millions et des millions de dollars d’impôts. » (« And by the way we announced, you know, I prepaid millions and millions of dollars in taxes », 2 novembre 2020.)</p>
</blockquote>
<p>Le procédé se trouve souvent en relation avec un autre tic d’écriture qui consiste à placer le sujet en apposition en début de phrase, puis à le répéter par un pronom immédiatement après. </p>
<blockquote>
<p>« Nos magnifiques vétérans, ils ont été très mal traités avant notre arrivée. Et, comme vous le savez, nous leur obtenons un excellent service de [santé] et nous prenons en charge la facture, et ils peuvent sortir et consulter un médecin s’ils doivent attendre longtemps. » (« Our beautiful vets, they were very badly treated before we came along. And, as you know, we get them great service and we pick up the bill, and they can go out and they can see a doctor if they have to wait long periods of time », 20 janvier 2021.)</p>
</blockquote>
<p>Les appositions en général sont le lieu de l’information très personnelle, et donc très fallacieuse : l’apposition met en valeur une partie de la phrase (puisque cette partie est isolée par la ponctuation) et permet d’autant plus au message qu’elle contient d’imprégner le lecteur. C’est donc là que s’expriment les idées les plus contestables. Les appositions rompent la lecture et invitent le lecteur à partager leur contenu.</p>
<h2>Abuser des verbes de jugement</h2>
<p>La prise à témoin par l’usage de verbe de jugement (croire, pouvoir, deviner, estimer) permet au Président de rappeler qu’une communauté de pensée l’unit à son électorat/lectorat : </p>
<blockquote>
<p>« Ne peux pas croire qu’un juge puisse mettre notre pays dans un tel péril. Si quelque chose arrive, blâmez-le lui, et le système judiciaire. Les gens affluent. Mauvais ! » (« Just cannot believe a judge would put our country in such peril. If something happens blame him and court system. People pouring in. Bad ! », 5 février 2017.)</p>
</blockquote>
<p>C’est le cas ici :</p>
<blockquote>
<p>« Vous y croyez ? L’administration Obama a accepté de prendre des milliers d’immigrants illégaux venus d’Australie. Pourquoi ? Je vais étudier cette affaire de fou ! » (« Do you believe it ? The Obama Administration agreed to take thousands of illegal immigrants from Australia. Why ? I will study this dumb deal ! », 2 février 2017.)</p>
</blockquote>
<p>Ou encore ici :</p>
<blockquote>
<p>« Un reportage du Time magazine – et j’ai été en couverture 14 ou 15 fois. Je crois que nous avons le record de tous les temps dans l’histoire du Time magazine ». (« A reporter for Time magazine – and I have been on their cover 14 or 15 times. I think we have the all-time record in the history of Time magazine », 23 février 2017.)</p>
</blockquote>
<p>En réalité, le président Nixon a été en couverture du <em>Time</em> 50 fois et le président Reagan 37 fois… Mais peut-on reprocher à un homme de se tromper lorsqu’il dit « je crois » ? Le mot « believe » (croire) apparaît dans plus de 600 de ses tweets, « you can » (« vous pouvez ») près de 500 fois, « you want » (vous voulez) 176 fois, « think » (penser) 2 050 fois…</p>
<p>Pour analyser une habitude d’écriture (« And by the way », « what », « you know » ou l’importance des verbes de parole ou de sentiment), il faut s’interroger sur l’effet produit avant de réfléchir en termes de pauvreté d’expression. En se mettant en scène comme un individu possédant son propre jugement, l’auteur provoque par ses multiples tics une adhésion forte de son lectorat à sa pensée.</p>
<p>En jouant sur la certitude de la pensée vraie et non sur le raisonnement, cette écriture est dangereuse pour le débat démocratique, en ce qu’elle appelle une adhésion au jugement clairement assumée et non à l’idée sous-tendue : ce qui est mis en évidence par l’écriture est l’avis très personnel et non l’idée démontrable.</p>
<p>En fait, vous voyez, en politique, je crois que nous sommes dans l’ère des gourous…</p>
<hr>
<p><em>A lire :<br>
● <a href="https://www.researchgate.net/profile/Ioan-Hosu/publication/336603703_Information_Communication_et_Humanites_Numeriques/links/5da80d22a6fdccdad54ade6d/Information-Communication-et-Humanites-Numeriques.pdf">« Grammaire de la fake news. Deux modalités de l’écriture de la fake news en média court et média long »</a>, Florent Montaclair, Accent, 2019.<br>
● <a href="http://www.pcub.fr/Le-D%C3%A9fi-galil%C3%A9en/">« Le Défi Galiléen et autres discours »</a>, Florent Montaclair et Noam Chomsky, UPAE, Lewes (DE, États-Unis), 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188404/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Montaclair ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Par ses tics d’écriture sur Twitter, Donald Trump ne convainc pas, il subjugue. Sa grammaire n’est pas argumentative mais émotionnelle : il s’exprime à la manière d’un prédicateur.Florent Montaclair, Enseignant, Directeur des Etudes de l'Institut National Supérieur de l'Enseignement et de la Pédagogie, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1873882022-07-24T15:49:15Z2022-07-24T15:49:15ZInvasion russe de l’Ukraine : l’heure de gloire de l’OSINT<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/475429/original/file-20220721-10402-apb1dk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5000%2C3667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’OSINT est un outil stratégique important dans les conflits dits «&nbsp;hybrides&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/digital-crime-by-anonymous-hacker-1102776092">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Avec l’invasion russe en Ukraine, l’OSINT connaît <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/3313419-20220626-guerre-ukraine-assiste-avenement-osint-enquete-ligne-accessible-tous">son heure de gloire</a>. En effet, si l’<em>open source intelligence</em> – à savoir l’exploitation de sources d’information accessibles à tous (journaux, sites web, conférences…) à des fins de renseignement – est largement utilisée pour contrecarrer la diffusion de fake news et la désinformation, elle est aussi d’un grand secours tactique, voire stratégique, pour glaner des informations à caractère militaire.</p>
<p>Dans ce contexte, il paraît important de rappeler ce qu’est l’OSINT, ainsi que la façon dont elle est employée et les enjeux organisationnels et de gouvernance qui y sont liés.</p>
<h2>D’où vient l’OSINT ?</h2>
<p>Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les partisans de Kiev ont largement recours à l’OSINT pour vérifier des informations diffusées sur Internet, particulièrement sur les réseaux sociaux, et, le cas échéant, démasquer les fausses nouvelles.</p>
<p>L’origine de l’OSINT remonte à la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette époque que le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt crée le Foreign Broadcast Monitoring Service (FBMS), qui a pour mission d’écouter, de transcrire et d’analyser les programmes de propagande conçus et diffusés par l’Axe. Développé à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, ce programme deviendra le <a href="https://apps.dtic.mil/sti/citations/ADA510770">Foreign Broadcast Intelligence Service</a>, appelé à être placé sous l’autorité de la CIA. En 1939, parallèlement à la structure américaine, les Britanniques chargent la <a href="https://kclpure.kcl.ac.uk/portal/files/83578898/2013_Johnson_Laurie_Marie_0743872_ethesis.pdf">British Broadcasting Corporation</a> (BBC) de déployer un service destiné à scruter la presse écrite et les émissions radio pour produire des « Digest of Foreign Broadcasts », qui deviendront les « Summary of World Broadcasts » (SWB) puis le BBC Monitoring.</p>
<p>La guerre froide accentue ces pratiques d’observation des informations ouvertes, faisant rapidement de ces dernières un élément majeur du renseignement, voire <a href="https://warwick.ac.uk/fac/soc/pais/people/aldrich/vigilant/mercado.sailing.pdf">sa principale source d’information</a>, y compris sur les capacités et les intentions politiques adverses. Leur exploitation permet également d’identifier et d’anticiper les menaces et de lancer les premières alertes.</p>
<p>Pour autant, le terme d’OSINT n’apparaît réellement que dans les années 1980 à l’occasion de la <a href="https://irp.fas.org/congress/1992_cr/s920205-reform.htm">réforme des services de renseignement américains</a>, devenue nécessaire pour s’adapter aux nouveaux besoins d’information, notamment en matière tactique sur le champ de bataille. La loi sur la réorganisation du renseignement aboutit en 1992. Elle sera suivie en 1994 par la création, au sein de la CIA, du Community Open Source Program et du <a href="https://irp.fas.org/offdocs/dcid212.htm">Community Open Source Program Office</a> (COSPO).</p>
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<p>Les attentats du 11 Septembre sont un « game changer » pour l’OSINT. En effet, c’est à la suite de la réforme de 2004 portant sur le renseignement et la prévention du terrorisme, l’<a href="https://www.justice.gov/sites/default/files/usao/legacy/2006/02/14/usab5304.pdf">Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act</a> qu’est créé, en 2005, le <a href="https://www.ege.fr/infoguerre/2005/11/focus-sur-l-open-source-center">Centre Open Source</a> (OSC) chargé de filtrer, transcrire, traduire, interpréter et archiver les actualités et les informations de tous types de médias.</p>
<p>Si l’OSINT est née de la nécessité de capter des informations à des fins militaires, le secteur privé n’a pas tardé à s’emparer de ces techniques, notamment dans la sphère de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2021-1-page-67.htm">intelligence économique</a>. Cette discipline a connu de nombreuses mutations au fil de son évolution : dans les premiers temps, il s’agissait d’accéder à des contenus recelant des informations parfois délicates à obtenir, mais l’explosion des nouvelles technologies a orienté davantage l’OSINT vers l’identification des informations pertinentes parmi la multitude de celles disponibles. C’est ainsi que se sont développés les outils et méthodes à même de trier ces informations et, particulièrement, de discerner celles susceptibles d’être trompeuses ou falsifiées.</p>
<h2>En Ukraine, une utilisation déjà relativement ancienne</h2>
<p>Si l’OSINT a gagné ses lettres de noblesse en Ukraine en permettant de valider ou d’invalider certains contenus, notamment diffusés sur les réseaux sociaux depuis février 2022, il faut remonter plus loin dans le temps pour mesurer sa réelle montée en puissance.</p>
<p>En effet, dès la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/l-euromaidan-ou-la-revolution-ukrainienne-pour-la-democratie">révolution du Maïdan</a> en 2014, les séparatistes pro-russes duu Donbass et leurs soutiens diffusent un grand nombre de contenus dont la rhétorique, soutenue par Moscou, cherche à discréditer le nouveau gouvernement de Kiev. L’ampleur fut telle que les Occidentaux ont rapidement parlé de <a href="https://www.nato.int/docu/review/articles/2021/11/30/hybrid-warfare-new-threats-complexity-and-trust-as-the-antidote/index.html">guerre hybride</a> (même si le terme continue de faire <a href="https://www.nato.int/docu/review/articles/2015/05/07/hybrid-war-does-it-even-exist/index.html">l’objet de débats</a>) pour décrire la mobilisation de l’information. On parle également d’« information warfare » – c’est-à-dire l’art de la guerre de l’information – qui sert en temps de conflits autant qu’en temps de paix.</p>
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<p>Rapidement, des <a href="https://www.stopfake.org/fr/a-propos-de-nous/">structures</a> issues de la société civile sont mises en place afin de discréditer les fausses nouvelles dont le nombre explose sur la toile. Au-delà de ces initiatives, beaucoup d’internautes commencent à vérifier les contenus qui leur parviennent et à se familiariser avec des <a href="http://geo4i.com/">outils de base</a> pour, par exemple, identifier ou géo-localiser une image, afin de voir si elle est réellement représentative du sujet qu’elle est censée illustrer.</p>
<p>Certaines communautés se spécialisent ainsi sur des domaines plus ou moins précis. À titre d’exemple, <a href="https://informnapalm.rocks/">InformNapalm</a> se consacre aux contenus touchant aux sujets militaires et, en ne se limitant pas seulement à l’Ukraine, a constitué une base de données qui recense notamment les pilotes russes actifs sur le théâtre syrien. C’est une force de l’OSINT : elle transcende les frontières physiques et permet ainsi le développement de communautés transnationales.</p>
<p>Ce savoir-faire, acquis par nécessité depuis 2014, s’est renforcé au fil du temps, notamment à la faveur des vagues de désinformation liées à la pandémie de Covid-19. Ces réseaux ont permis aux Ukrainiens et à leurs soutiens d’être immédiatement très opérationnels au début de la guerre. En outre, le besoin croissant des journalistes de vérifier leurs sources a aussi participé à développer le recours à l’OSINT qui, disposant d’une multitude d’outils souvent disponibles en Open Source, facilite la pratique de <em>fact checking</em>.</p>
<p>Ainsi, de nombreuses publications explicitent désormais comment, en utilisant des moyens d’OSINT, elles ont validé ou invalidé tel ou tel contenu.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1545018493267058689"}"></div></p>
<h2>Enjeu de gouvernance et consolidation des réseaux</h2>
<p>On le voit, l’une des forces de l’OSINT consiste à s’appuyer sur une société civile parfaitement légitime à s’autosaisir en fonction de ses centres d’intérêt. Cette dynamique a permis la création de réseaux efficaces et transnationaux.</p>
<p>Cependant, si les États peuvent eux aussi déployer des compétences d’OSINT, un enjeu majeur demeure : coordonner les besoins et les capacités. En effet, les États pourraient avoir avantage à se saisir des réseaux efficaces de l’OSINT, particulièrement dans un contexte de conflit. Cependant, outre le risque relatif à l’infiltration de ces réseaux, la capacité de recenser les besoins de l’État et de mettre ces derniers en relation avec la communauté susceptible d’y répondre représente une difficulté majeure.</p>
<p>D’un point de vue organisationnel, à moyen et long terme, cela pose également la question de la structuration de la ressource OSINT pour les gouvernements. Dans le cas de l’Ukraine, le gouvernement est encore jeune, l’indépendance remontant à août 1991. En outre, contraint depuis 2014 de faire face à un conflit puis, depuis février 2022 à à une invasion massive, la problématique peut être difficile à résoudre. De fait, il s’agit de trouver un équilibre entre l’urgence de la gestion quotidienne du conflit et la mise en place d’une organisation dont la finalité serait de manager l’OSINT au regard de la centralisation des besoins, de leur transmission ou du renforcement d’un vivier de compétences.</p>
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<p>Pour essayer de répondre à cette problématique, un projet d’audit des besoins, préalable à l’élaboration d’un cadre organisationnel et juridique, a été mis en place. Piloté par l’<a href="https://www.infosecurity.institute/t-en-gb/">Institute for Information Security</a> – une ONG créée en 2015 et centrée sur les enjeux relatifs à la sécurité de l’information tant pour l’État que pour la société et les individus –, le projet « Strengthening the Institutional Capacity of Public Actors to Counteract Disinformation » (Renforcement de la capacité institutionnelle des acteurs publics à lutter contre la désinformation) a débuté en avril 2022 alors que le conflit faisait déjà rage. Il doit aboutir en mars 2023. Son objectif est d’améliorer la capacité institutionnelle des autorités publiques et des institutions de la société civile ukrainienne pour identifier et combattre la désinformation.</p>
<p>Parallèlement, un projet de Centre d’excellence de l’OSINT est mis en route, notamment porté par <a href="https://2017.cybersecforum.eu/prelegenci/dmytro-zolotukhin/">Dmitro Zolotoukhine</a>, vice-ministre ukrainien de la politique d’information de 2017 à 2019, et mené en partenariat avec l’Université Mohyla de Kiev et avec le secteur privé, notamment ukrainien. Son objet est de construire un pont entre les différentes strates de la société pour constituer un lieu de recherche et de développement. Cette démarche s’inscrit clairement dans le droit fil de celle qui a présidé à la création des Centres d’excellence pilotés par l’OTAN – qui, à Tallinn, portent sur la <a href="https://ccdcoe.org/">cyberdéfense</a>, à Riga sur la <a href="https://stratcomcoe.org/">communication stratégique</a> et à Vilnius sur la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_102853.htm">sécurité énergétique</a> – ou encore dans celle du Centre d’excellence européen pour la lutte contre les <a href="https://www.hybridcoe.fi/">menaces hybrides</a> d’Helsinki.</p>
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<a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-se-joue-egalement-dans-le-cyberespace-178846">Ukraine : la guerre se joue également dans le cyberespace</a>
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<h2>L’OSINT, au-delà de l’Ukraine</h2>
<p>Reste à savoir si les Occidentaux qui soutiennent l’Ukraine soutiendront également ce projet alors même que ce pays est aujourd’hui un point phare de l’OSINT et que l’UE, qui <a href="https://www.coe.int/fr/web/campaign-free-to-speak-safe-to-learn/dealing-with-propaganda-misinformation-and-fake-news">prend très au sérieux</a> les risques liés à la désinformation, tout particulièrement depuis la <a href="https://ec.europa.eu/info/live-work-travel-eu/coronavirus-response/fighting-disinformation_fr">pandémie</a>, vient de renforcer son arsenal contre ces menées hostiles, notamment au travers de son <a href="https://www.forbes.fr/politique/lue-intensifie-la-lutte-contre-la-desinformation/">code de bonnes pratiques</a> paru en 2022.</p>
<p>Finalement, même si beaucoup de nos concitoyens associent l’OSINT à l’Ukraine et à l’invasion russe, la cantonner à la guerre en cours serait excessivement restrictif. Là encore, le conflit ukrainien est en passe de servir de révélateur d’enjeux qui dépassent largement les frontières physiques du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre en Ukraine rappelle l’utilité stratégique de l’OSINT – Open Source Intelligence –, qui vise à exploiter les innombrables informations disponibles et à démêler le vrai du faux.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1814002022-04-28T21:21:44Z2022-04-28T21:21:44ZMalgré la levée du passe vaccinal, l’opposition au vaccin continue : pourquoi ?<p>Le 15 mars 2022, lors de sa visite d’un centre de réfugiés, <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/maine-et-loire/maine-et-loire-emmanuel-macron-interpelle-par-une-aide-soignante-non-vaccinee-c1c57052-a48c-11ec-919e-3636eb4b723e">Emmanuel Macron était interpellé par une aide-soignante de 35 ans non-vaccinée</a>. En pleurs, elle soulignait avoir perdu son travail et demandait l’arrêt de l’obligation vaccinale pour les soignants.</p>
<p>Les « anti-passe, anti-vax » sont en effet toujours actifs malgré la levée des restrictions sanitaires le 14 mars. À Toulouse le 5 mars, ils <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/03/05/toulouse-les-anti-pass-vaccinal-toujours-mobilises-dans-le-centre-ville-10150593.php">défilaient au nom de leurs « libertés »</a>, contre une « dictature sanitaire et numérique », persuadés d’être fichés et stigmatisés, réclamant la « liberté vaccinale ». Le même jour à Rodez, ils <a href="https://www.centrepresseaveyron.fr/2022/03/05/a-rodez-les-anti-pass-denoncent-la-derive-securitaire-du-gouvernement-10150557.php">dénonçaient « la dérive sécuritaire du gouvernement »</a>, la « restriction des libertés collectives et individuelles », la fracturation de la société selon le statut vaccinal et surtout « l’absence de débat démocratique » permettant à chacun de se faire une opinion vis-à-vis du vaccin.</p>
<p>En juillet 2021, OpinionWay publiait un sondage indiquant que <a href="https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/economie/ecoscope.html">16 % des Français n’avaient « pas l’intention de se faire vacciner »</a>.</p>
<p>Mais l’hésitation vaccinale n’est pas un phénomène uniquement français, il s’agit même de l’une des <a href="https://www.who.int/fr/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019">dix plus grandes menaces pour la santé mondiale indiquait l’OMS</a> en 2019.</p>
<p>Le <a href="https://www.who.int/groups/strategic-advisory-group-of-experts-on-immunization">groupe d’experts SAGE de l’OMS</a> met en exergue, antérieurement et parallèlement au <a href="https://osf.io/agqem/">modèle classique des « 5 C »</a> (confiance, complaisance, commodité/convenance, calcul du risque et la responsabilité collective), une conjonction de trois grandes dimensions au phénomène d’hésitation vaccinale face au Covid-19 :</p>
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<li><p>liées au vaccin et à la vaccination (sécurité, accès à la vaccination, coût, résultat attendu),</p></li>
<li><p>liées aux individus (croyances, mythes et convictions, niveau de compréhension, normes sociales et communautaires),</p></li>
<li><p>liées à l’environnement (culturel, politique, socio-économique, médiatique).</p></li>
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<p>Ces éléments se retrouvent essentiellement dans les pays démocratiques, à forte accessibilité et disponibilité vaccinale. Ils contribuent à générer un certain populisme « antivax », largement relayé par les médias numériques, et leur mise en avant démultipliée a pour conséquence que l’<a href="https://theconversation.com/la-reticence-vaccinale-une-specificite-francaise-162670">effet thérapeutique du vaccin n’est plus évalué à sa juste dimension</a>.</p>
<h2>Retour sur une défiance générale</h2>
<p>La défiance envers la vaccination n’est ni récente ni figée, comme le <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7yscl2">rappelle en 2021 l’historien Laurent-Henri Vignaud</a>.</p>
<p>Le phénomène trouve ses origines au XVIII<sup>e</sup> siècle avec les premières inoculations varioliques, ancêtres de la vaccination. Des études menées alors à partir de tables de mortalité démontrent que la variole contractée par inoculation est dix fois moins mortelle que la variole après infection naturelle. On pouvait penser que les railleries « anti-variolisation » allaient cesser, mais c’est l’inverse qui se produisit. Les discours s’alimentent par la médiatisation de rares cas de complication et la publication de <a href="https://histoirebnf.hypotheses.org/11052/cham-consequences-du-vaccin-de-vache-le-charivari-3-avril-1870-gallica-bnf">caricatures qui effraient</a>.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, la création de son institut par Pasteur va faire naître deux débats : l’un sur l’expérimentation animale, l’autre sur des accusations de profit de l’institut – préfigurant les attaques actuelles sur les « Big Pharma ».</p>
<p>Il faut attendre le XX<sup>e</sup> siècle pour voir la reconnaissance d’un bénéfice de la vaccination se développer. En France, depuis 1992, les <a href="https://professionnels.vaccination-info-service.fr/Aspects-sociologiques/Perception-et-adhesion-a-la-vaccination/Perception-et-adhesion-a-la-vaccination-en-France">baromètres santé assurent une veille de la perception de cette pratique</a>. Comme le rapporte le spécialiste en prévention et maladies infectieuses Jocelyn Raude, en 2000 et 2005, <a href="https://theconversation.com/vaccination-une-hesitation-francaise-150773">environ 90 % des Français y étaient favorables</a>.</p>
<p>Toutefois, plusieurs scandales sanitaires et la montée des théories conspirationnistes vont ensuite modifier le paysage statistique. En 2010, 40 % des Français auraient ainsi été défavorables à la vaccination en général. Ce rejet concerne en premier lieu la vaccination contre la grippe, qui chute de plus de 30 % l’année suivante.</p>
<h2>Le cas du rejet de la vaccination anti-Covid</h2>
<p>En novembre 2020, alors que la pandémie frappe la planète depuis près d’un an, <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/11/09/covid-19-pfizer-annonce-que-son-candidat-vaccin-est-efficace-a-90-les-bourses-s-envolent_6059122_3244.html">Pfizer-BioNTech présente les résultats d’un essai clinique</a> où leur vaccin anti-Covid-19 serait efficace à 90 %. Rapidement, en parallèle de l’espoir généré par cette annonce, émerge un phénomène de défiance. Fin décembre, <a href="https://theconversation.com/vaccination-une-hesitation-francaise-150773">45 % des Français déclaraient ne pas souhaiter se faire vacciner</a>, soit un taux des plus élevés au monde.</p>
<p>Les motifs de ce rejet sont nombreux. S’y mêlent oppositions religieuses (se soumettre à la volonté de Dieu) et spirituelles, écologiques (dégradation de l’environnement) ou naturalistes (laisser faire la nature), intentions néfastes prêtées à Big Pharma et à un <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2016/11/02/2450725-la-crainte-d-un-etat-big-brother.html">État Big Brother (contrôle et atteinte des libertés)</a> qui serait en plein développement, manque de confiance dans les institutions chargées de garantir la santé de chacun, remises en cause à l’égard du corps médical et de la science (la science n’explique pas tout)…</p>
<p>Cet ensemble disparate est repris et renforcé par le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hold-up_(film,_2020)">« documentaire » Hold-Up</a>.</p>
<p>Internet et les réseaux sociaux vont faciliter la diffusion d’injonctions paradoxales, de fake news, de slogans tendancieux assurant le terreau des théories conspirationnistes.</p>
<p>La très populaire plate-forme de Podcast Spotify accueille ainsi l’animateur Joe Rogan qui va diffuser à ses 190 millions d’auditeurs beaucoup d’informations fausses (pas besoin de se vacciner si l’on est jeune, etc.) ou controversées sur le vaccin sans aucun avertissement. Au point que l’artiste Neil Young, également hébergé par la plate-forme, décide de la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-des-reseaux-sociaux/spotify-laxiste-face-a-la-desinformation">boycotter</a>, se privant ainsi de 60 % de ses revenus.</p>
<h2>Mésinformation, désinformation et malinformation</h2>
<p>Les questions de <a href="https://www.mediadefence.org/ereader/publications/modules-de-synthese-sur-les-litiges-relatifs-aux-droits-numeriques-et-a-la-liberte-dexpression-en-ligne/fausses-nouvelles-mesinformation-et-propagande/la-mesinformation-la-desinformation-et-la-malinformation/?lang=fr">mésinformation, de désinformation ou de malinformation</a> deviennent ainsi essentielles pour appréhender l’hésitation vaccinale.</p>
<p>Au IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., le philosophe grec Aristote dénonçait déjà les ruses utilisées pour piéger un interlocuteur. Le « sophisme » par exemple part ainsi d’éléments vrais puis développe un raisonnement faussé pour aboutir à une conclusion erronée afin d’induire son interlocuteur en erreur.</p>
<p>En <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/rh%C3%A9torique">rhétorique</a>, une autre technique est surnommée « empoisonnement de puits ». Elle consiste à donner de l’information négative, vraie ou fausse, à propos d’un adversaire dans le but de le discréditer. Une troisième à changer soudain de sujet et l’envoyer sur une autre piste que celle prévue.</p>
<p><a href="https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782416000959/petite-philosophie-des-arguments-fallacieux">« Affirmer », c’est avant tout s’affirmer et vaincre…</a> Sur les réseaux sociaux, beaucoup se parlent sans « s’écouter », les dialogues solitaires y côtoient les monologues à plusieurs, laissant cette impression d’exister davantage.</p>
<p>Avec Internet, <a href="https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782416000959/petite-philosophie-des-arguments-fallacieux">sophistes et rhétoriciens numériques disposent d’une arme de persuasion massive</a> ! Des professionnels mixent algorithmes et neurosciences pour créer l’addiction aux réseaux et un accroissement d’audience… et donc de recettes publicitaires.</p>
<h2>Un phénomène de repli sur soi</h2>
<p>Dans un autre registre, l’engagement (envers une cause par exemple, basé sur la confiance et la satisfaction et l’attachement aux idées développées) est un puissant facteur de résistance à la persuasion, particulièrement en santé publique, par défaut de traitement approfondi de l’information « persuasive » diffusée. Avec pour effet là encore que les messages de prévention ne sont plus considérés à leur juste valeur.</p>
<p>De nombreuses recherches, notamment effectuées par Facebook comme l’a précisé la lanceuse d’alerte <a href="https://www.franceinter.fr/societe/facebook-ce-qu-a-dit-la-lanceuse-d-alerte-frances-haugen-aux-parlementaires-francais">Frances Haugen</a>, indiquent clairement qu’un contenu négatif, clivant ou incitant à la haine est facteur d’engagement donc d’audience et de diffusion.</p>
<p>Un <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/taux-de-clic/">taux de clic</a> plus important sur les contenus publicitaires incite les plates-formes à une certaine « clémence algorithmique » dans leur filtration. Ceci rejoint l’appétence des individus à communiquer sur les événements négatifs et les dangers dans une <a href="https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/vers-une-societe-de-mise-en-scene-4199">« société de mise en scène de la peur » selon le philosophe Michel Serres</a>. Les « agissants » sur les réseaux sociaux sont par définition des « engagés », par la répétition et la fréquence de leurs interventions.</p>
<p>La question d’infox (fake news) en santé interroge également. Des communautés virtuelles se forment et s’enferment dans une logique de renforcement de leurs points de vue. Il y a alors une réduction de la diversité des informations reçues et un rejet systématique des arguments alternatifs. C’est le phénomène de « chambres d’écho », à l’origine un lieu où augmente la résonance de propos similaires et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bulle_de_filtres">« bulles de filtre »</a>.</p>
<p>Selon le spécialiste du cybermilitantisme Eli Pariser, qui utilise le terme d’« autopropagande », ces bulles sont le fruit de dispositifs algorithmiques de personnalisation et de partage des contenus en ligne. Elles <a href="https://techland.time.com/2011/05/16/5-questions-with-eli-pariser-author-of-the-filter-bubble/">appauvrissent intellectuellement leurs membres et façonnent la réalité des faits</a>, conduisant parfois à la radicalisation des opinions.</p>
<p>Sur Internet, la moindre information persiste dans le temps et devient « searchable » sans mise en perspective ni contexte pour l’interpréter. Or les plates-formes digitales renvoient principalement vers un contenu souhaité, grâce aux données fournies implicitement par leurs utilisateurs qui entraînent leurs algorithmes. Ce qui alimente les « bulles de filtre », les résultats des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Search_engine_results_page">moteurs de recherche</a> proposant à l’internaute les idées (y compris alternatives et controversées) qui viendront renforcer ses positions initiales.</p>
<h2>La part des biais cognitifs</h2>
<p>Les individus peuvent également être sous l’<a href="https://theconversation.com/covid-19-et-biais-dancrage-quand-notre-cerveau-nous-empeche-de-prendre-la-mesure-du-risque-141390">influence de biais cognitifs</a>, définis comme un écart systématique entre la réalité et la pensée logique et rationnelle lorsque celle-ci ne suffit plus à appréhender un événement ou un contexte.</p>
<p>La littérature distingue les <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-65052-4_15">biais individuels des biais collectifs</a>. Les premiers sont liés à des erreurs de jugement, et donc de décision, qui restent propres à un individu. Les seconds naissent lorsque le jugement et la décision finale relèvent d’un contexte de groupe ou de communauté.</p>
<p>Très étudiés en psychologie, ces biais sont cognitifs, motivationnels ou émotionnels. Certains sont susceptibles d’expliquer le rejet total ou partiel des vaccins anti-Covid. Ils peuvent être directement attribuables (ou renforcés par) soit à une information mal contrôlée, soit à une mésinformation, désinformation ou malinformation sur les réseaux sociaux, soit encore à l’entourage social.</p>
<h2>L’importance de la méfiance envers les institutions</h2>
<p>Plusieurs auteurs (<a href="https://www.researchgate.net/publication/353751768_Vaccination_l%27enjeu_du_dernier">Christophe Benavent, spécialiste des conséquences des technologies de l’information sur les stratégies</a> ou le <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0262192">sociologue Alexis Spire</a> montrent que le jugement de confiance envers les politiques dans la gestion de la pandémie, reflet de la confiance envers les institutions, s’impose comme l’une des variables principales du rejet vaccinal. Ces études identifient un facteur allant de 1 à 5 (de < 10 % à > 50 %) entre les citoyens qui ont une certaine confiance et ceux qui n’en ont aucune, et ce indépendamment de la catégorie socioprofessionnelle.</p>
<p>Comment expliquer cette remise en question de l’État ?</p>
<p>Dans la logique de protéger prioritairement les plus vulnérables, les autorités de santé ont sans doute délégitimé le vaccin chez les individus non éligibles en début de campagne. Or privilégier les personnes les plus à risque, c’est également tolérer plus d’effets indésirables du vaccin et apprendre à les connaître pour mieux les maîtriser ensuite.</p>
<p>D’autre part, la communication gouvernementale est restée ambiguë sur les notions d’immunité collective et de protection individuelle ou encore sur la possibilité de contamination malgré la vaccination. Les experts et les politiques ont souvent asséné leur(s) vérité(s) en amplifiant sporadiquement la gravité du Covid-19 afin de mieux sensibiliser la population, alors qu’il aurait fallu sans doute plus <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andragogie">d’andragogie</a>.</p>
<p>Enfin, il a pu y avoir l’impression d’une mise en cause de l’autorité scientifique par le politique (avec les premières annonces sur l’inutilité des masques, le refus de confinement fin janvier 2021, etc.). L’injonction politique envers des citoyens, qui s’estiment informés et responsables et revendiquent leurs droits individuels et leur liberté, scelle la rupture du contrat sanitaire jusqu’ici implicite.</p>
<p>Le détachement du politique vis-à-vis des scientifiques trouble un peu plus une lecture juste de la situation, d’autant que des mesures perçues comme liberticides sont prises en se référant au… conseil scientifique.</p>
<h2>Une large méfiance envers les autorités de santé et l’industrie pharmaceutique</h2>
<p>Deux faits notables, associés à la vaccination, sont fortement inscrits dans la mémoire des Français : la relation, non avérée, entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques, et l’échec de la campagne vaccinale H1N1.</p>
<p>En parallèle, les scandales du <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/03/31/mediator-levothyrox-depakine-des-scandales-sanitaires-et-judiciaires_6075134_4500055.html">Mediator, du Levothyrox, de la Depakine</a>, de la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2010/04/09/un-scandale-qui-a-renforce-la-pharmacovigilance_1331285_3244.html">Thalidomide</a> ou encore du sang contaminé vont cristalliser le phénomène de défiance. Ces crises politico-sanitaires installent des doutes à la fois sur la sécurité des vaccins ou des médicaments et l’aptitude des autorités à prendre des décisions indépendamment de l’industrie pharmaceutique.</p>
<p>Elles nourrissent la défiance et expliquent, en partie, le niveau important d’hésitation vaccinale.</p>
<p>Concernant la vaccination contre le Covid-19, la longue litanie des effets indésirables les plus dramatiques (<a href="https://www.inserm.fr/dossier/maladies-auto-immunes/">maladies auto-immunes</a>, <a href="https://sante.lefigaro.fr/sante/maladie/thromboses-veineuses-arterielles/quest-ce-que-cest">thromboses</a>, <a href="https://sfcardio.fr/actualite/risque-de-pericardite-ou-de-myocardite-apres-vaccin-arnm-contre-la-covid-19">myocardites, péricardite</a>, <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/guillain-barr %C3 %A9-syndrome">syndrome de Guillain et Barré</a>, etc.), réels mais extrêmement rares, mais aussi les médicaments <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-infections-virales-ce-quil-faut-savoir-135339">supposés être efficaces puis soustraits à la prescription comme l’hydroxychloroquine</a>, vont venir remettre en cause la bienveillance de l’État et des scientifiques.</p>
<p>De plus, la <a href="https://theconversation.com/un-vaccin-contre-la-covid-19-pour-debut-2021-cest-possible-148383">rapidité du développement du vaccin</a>, suspecté de passer outre les standards scientifiques habituels pour raison politico-économique, engendre de larges soupçons. Pourtant, les raisons principales de cette rapidité ont été un <a href="https://theconversation.com/que-repondre-a-ceux-qui-hesitent-a-se-faire-vacciner-contre-la-covid-19-153131">allègement de la bureaucratie et le recours à des procédures parallèles de validation des essais cliniques</a> sans jouer sur la sécurité. Ceci aurait mérité une information honnête, transparente, répondant aux doutes légitimes en s’assurant de sa plus large diffusion – jusque dans les « bulles » évoquées précédemment.</p>
<p>Autre exemple : la polémique liée aux thromboses aurait pu être limitée en mettant largement en avant deux études. La première d’avril 2021, émanant de l’Université d’Oxford, démontre que <a href="https://www.bmj.com/content/374/bmj.n1931">« le risque de thrombose lié à une infection Covid-19 serait huit fois plus élevé qu’avec le vaccin AstraZeneca et 10 fois pour les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna »</a>. La seconde de juillet 2021, montre qu’en Angleterre depuis que le vaccin AstraZeneca est injecté uniquement aux plus de 40 ans, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34379914/">aucun cas de thrombose vaccinale n’a été signalé</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Défilé de soignants en blouse blanche et panneau « Vaccination des soignants = mort à la santé publique »" src="https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459432/original/file-20220425-26-2dkstt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une partie du personnel soignant s’est également opposée aux nouveaux vaccins et à la vaccination obligatoire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Samson/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une partie du corps médical présente également des signes de défiance. Différents facteurs sans lien avec la vaccination sont venus amplifier leur propre hésitation, comme la généralisation du tiers payant, la crise organisationnelle et financière des hôpitaux, le manque de reconnaissance, les problématiques de sous-effectif, etc. Aux phénomènes structurels s’ajoutent des incertitudes et doutes alimentés par la gestion de crise sanitaire, notamment le fait que des soignants Covid positifs, asymptomatiques ou paucisymptomatiques pouvaient (devaient) continuer à travailler.</p>
<p>L’évolution rapide des données et comptes-rendus sur lesquels s’appuient l’État et les autorités de santé pour mener la stratégie de lutte contre la propagation du SARS-CoV-2 ne permettent ainsi plus toujours de convaincre les professionnels de santé.</p>
<p>Certains soignants n’ont pas confiance dans les vaccins proposés, d’autres s’opposent au principe d’obligation vaccinale en s’appuyant sur le manque de recul par rapport aux traditionnels vaccins obligatoires pour l’exercice de leur métier… Tout cela se transformant en outil de protestation contre les politiques de santé.</p>
<h2>Le rôle complexe des scientifiques</h2>
<p>Les interventions publiques d’experts ont pour objectif de susciter l’adhésion à la stratégie de vaccination, de nombreux citoyens hésitants cherchant à être persuadés de ses bienfaits.</p>
<p>Cependant, la polémique portée par Andrew Wakefield (1998) sur la soi-disant relation entre vaccination anti-rougeole/oreillons/rubéole (ROR) et l’autisme, a généré une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article ?id=10.1371/journal.pone.0256395">crise de confiance sur la vaccination infantile en Angleterre</a>. En France, c’est le vaccin contre l’hépatite B qui est alors suspecté de provoquer la sclérose en plaques. Ces deux exemples de controverses mettent en avant le rôle des scientifiques en tant qu’influenceurs négatifs.</p>
<p>De plus, certaines publications diffusées avant validation par les pairs font l’objet d’une interprétation fallacieuse. Retransmises sur les réseaux sociaux, elles augmentent les doutes et le scepticisme sur l’information scientifique. <a href="https://www.mdpi.com/2076-393X/9/7/693/htm">Un exemple est celui de la célèbre revue Vaccines</a> qui a publié le 28 juin 2021 une étude, validée scientifiquement, qui affirmait que le vaccin provoquait deux décès pour trois personnes protégées… Étude retirée quelques jours plus tard (le 2 juillet) en raison d’erreurs dans l’interprétation des conclusions.</p>
<p>D’autres grandes revues internationales (<em>The _Lancet</em>, New England Journal of Medicine et Annals of Internal Medicine_…) ont dû également retirer des publications litigieuses de leur site, renforçant l’idée que les scientifiques doivent mieux s’assurer de la robustesse de leurs travaux avant diffusion.</p>
<p>Pour l’OMS, les réseaux sociaux sont abondamment mobilisés par les « antivax » pour partager des résultats d’études scientifiques litigieuses dont la robustesse des travaux est questionnable, disponibles en pré-print et libre accès, elles sont susceptibles d’alimenter leurs thèses.</p>
<p>Cette grave pandémie, complexe et qui dure, responsable aujourd’hui de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/21/covid-19-dans-le-monde-le-bresil-a-detecte-des-premiers-cas-de-variant-indien_6080956_3244.html">6,23 millions de morts au niveau mondial, possiblement 2 à 3 fois plus selon l’OMS</a>, pose ainsi la question générale des stratégies de communication à la fois des organismes de Santé publique et des mouvements alternatifs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181400/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’hésitation vaccinale est un phénomène mondial, complexe et pluriel. Son décryptage fait ressortir des causes spirituelles, cognitives ou politiques et le rôle des réseaux sociaux. Explication.Dominique Crié, Professeur des Universités, Laboratoire LUMEN ULR 4999, Université de LilleChristelle Quero, Maître de Conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819802022-04-26T19:48:22Z2022-04-26T19:48:22ZLe rachat par Elon Musk risque d’aggraver le problème de désinformation de Twitter<p>Elon Musk, la personne la plus riche du monde, <a href="https://www.wsj.com/articles/twitter-and-elon-musk-strike-deal-for-takeover-11650912837">a acquis Twitter</a> pour 44 milliards de dollars américains le 25 avril 2022, 11 jours après avoir fait son offre. Twitter a annoncé que l’entreprise, côtée à la bourse de New York depuis 2013, <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/26/elon-musk-rachete-twitter-ce-que-cela-pourrait-changer-pour-la-plateforme_6123662_4408996.html">passerait entièrement sous la propriété d’Elon Musk</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.sec.gov/Archives/edgar/data/0001418091/000110465922045641/tm2212748d1_sc13da.htm">dépôt auprès de la Securities and Exchange Commission</a> (SEC) des États-Unis, Elon Musk a expliqué : </p>
<blockquote>
<p>« J’ai investi dans Twitter car je crois en son potentiel d’être la plate – forme de la liberté d’expression dans le monde entier, et je pense que la liberté d’expression est un impératif sociétal pour une démocratie en bonne santé. »</p>
</blockquote>
<p>En tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=JpFHYKcAAAAJ">chercheuse spécialiste des réseaux sociaux</a>, je trouve que l’acquisition de Twitter par Elon Musk et les raisons qu’il a invoquées pour ce rachat soulèvent des questions importantes. Ces questions sont liées à la nature même des plates-formes de médias sociaux, qui se distinguent des plates-formes classiques.</p>
<h2>Ce qui rend Twitter unique</h2>
<p>Twitter occupe une place unique. Ses messages courts et ses fils de discussion favorisent les conversations en temps réel entre des milliers de personnes, ce qui le rend populaire auprès des célébrités, du monde des médias et des politiques.</p>
<p>Les analystes des médias sociaux prennent en compte la demi-vie du contenu sur ces plates-formes, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’un contenu atteigne 50 % de l’engagement qu’il aura totalisé à la fin de sa durée de vie, généralement mesuré en nombre de vues ou d’autres mesures de popularité. La demi-vie moyenne d’un tweet est <a href="https://www.business2community.com/social-media-articles/how-your-contents-half-life-should-drastically-impact-your-social-media-strategy-in-2020-02290478">d’environ 20 minutes</a>, contre cinq heures pour les publications Facebook, 20 heures pour les publications Instagram, 24 heures pour les publications LinkedIn et 20 jours pour les vidéos YouTube. Cette demi-vie beaucoup plus courte illustre le rôle central qu’occupe désormais Twitter en suscitant des conversations en temps réel, à mesure que se déroulent les évènements.</p>
<p>La capacité de Twitter à façonner le discours en temps réel, ainsi que la facilité avec laquelle les données, y compris les données géomarquées, peuvent être recueillies sur Twitter, en ont fait une mine d’or pour les chercheurs qui souhaitent analyser une variété de phénomènes sociétaux, allant de la santé publique à la politique. Les données issues de Twitter ont été utilisées pour prédire les <a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/7045443">visites aux urgences liées à l’asthme</a>, mesurer la <a href="https://www.cs.jhu.edu/%7Emdredze/publications/2016_ossm.pdf">sensibilisation du public aux épidémies</a> et modéliser la <a href="https://doi.org/10.1080/1369118X.2016.1218528">dispersion de la fumée des feux de forêt</a>.</p>
<p>Les tweets qui constituent une discussion sont <a href="https://blog.twitter.com/en_us/a/2013/keep-up-with-conversations-on-twitter">affichés par ordre chronologique</a> et, même si une grande partie de l’engagement d’un tweet se fait en amont, les archives de Twitter <a href="https://blog.twitter.com/en_us/a/2015/full-archive-search-api">offrent un accès instantané et complet à tout tweet public</a>. Twitter permet ainsi <a href="https://twitter.com/sarahkendzior/status/1514590065674047488">d’enregistrer les évènements</a>, ce qui en fait, de facto, un outil pour « fact-checker » ce qui s’est réellement passé.</p>
<h2>Les projets d’Elon Musk</h2>
<p>Il est donc crucial de comprendre comment l’acquisition par Elon Musk de Twitter, ou plus généralement le contrôle privé de plates-formes de médias sociaux affectent le bien-être collectif. Dans une série de tweets supprimés, Elon Musk a fait plusieurs <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/moderation-services-payants-correction-des-tweets-ce-qu-elon-musk-prevoit-de-changer-chez-twitter-20220426">suggestions sur la façon de changer Twitter</a>, notamment en ajoutant un bouton d’édition pour les tweets et en accordant aux utilisateurs premium des badges distinctifs sur leur profil.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1511143607385874434"}"></div></p>
<p>Il n’existe aucune preuve expérimentale de la manière dont un bouton d’édition modifierait la transmission des informations sur Twitter. Cependant, il est possible d’extrapoler les analyses de recherches antérieures sur les tweets supprimés.</p>
<p>Il existe de nombreux moyens de <a href="https://www.tweettabs.com/find-deleted-tweets/">récupérer les tweets supprimés</a>, ce qui permet aux chercheurs de les étudier. Alors que certaines études montrent des <a href="https://www.aaai.org/ocs/index.php/ICWSM/ICWSM16/paper/viewPaper/13133">différences de personnalité significatives</a> entre les utilisateurs qui suppriment leurs tweets et ceux qui ne le font pas, ces résultats suggèrent que la suppression de tweets est un <a href="https://doi.org/10.1080/1369118X.2016.1257041">moyen pour les gens de gérer leur identité en ligne</a>.</p>
<p>L’analyse du comportement menant à ces suppressions de tweets peut fournir des indices précieux sur la <a href="https://ojs.aaai.org/index.php/ICWSM/article/view/14874">crédibilité et la désinformation en ligne</a>. De la même façon, si Twitter ajoutait un bouton d’édition, l’analyse des comportements menant à l’édition des tweets pourrait fournir des informations sur les intentions des utilisateurs de Twitter et l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes.</p>
<p>Des études sur l’activité des robots informatiques sur Twitter ont montré que <a href="https://www.npr.org/sections/coronavirus-live-updates/2020/05/20/859814085/researchers-nearly-half-of-accounts-tweeting-about-coronavirus-are-likely-bots">près de la moitié des comptes qui publient des tweets à propos du Covid-19 sont probablement des robots</a>. Étant donné les <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1804840115">clivages partisans et la polarisation politique dans les espaces en ligne</a>, permettre aux utilisateurs – qu’il s’agisse de robots informatiques ou de personnes réelles – de modifier leurs tweets pourrait devenir une nouvelle arme dans l’arsenal de désinformation utilisé par ces robots et les propagandistes. L’édition des tweets permettrait aux utilisateurs de déformer ce qu’ils ont dit, de manière sélective, ou de nier certains de leur propos, y compris les plus controversés, ce qui pourrait compliquer le traçage de la désinformation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514590065674047488"}"></div></p>
<p>Elon Musk a également indiqué vouloir lutter contre les robots sur Twitter, ces comptes automatisés qui tweetent rapidement et de façon répétitive tout en se faisant passer pour de vrais utilisateurs. Il a appelé à <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1517215736606957573">authentifier les comptes gérés par de véritables êtres humains</a>.</p>
<p>Compte tenu des défis posés par les atteintes malveillantes à la vie privée en ligne, <a href="https://doi.org/10.1145/3131365.3131385">comme la pratique dite du « doxxing »</a> – la divulgation de données personnelles pour nuire à un individu –, il est nécessaire que les méthodes d’authentification respectent la vie privée des utilisateurs. Cela est particulièrement important pour les activistes, les dissidents et les lanceurs d’alerte qui sont menacés à cause de leurs activités en ligne. Des mécanismes tels que les <a href="https://www.ijert.org/decentralized-access-control-technique-with-anonymous-authentication">protocoles décentralisés</a> permettraient l’authentification tout en garantissant l’anonymat.</p>
<h2>La modération du contenu sur Twitter et son business model</h2>
<p>Pour comprendre les intentions d’Elon Musk et ce qui attend les plates-formes de médias sociaux telles que Twitter, il est important de prendre en compte le gargantuesque – et opaque – <a href="https://warzel.substack.com/p/the-internets-original-sin?s=r">écosystème de la publicité en ligne</a>, qui comprend une variété de technologies utilisées par les réseaux publicitaires, les médias sociaux et les éditeurs qui proposent des espaces publicitaires. La publicité est la <a href="https://www.wsj.com/articles/social-media-may-have-to-embrace-the-musk-11649691208">principale source de revenus pour Twitter</a>.</p>
<p>Elon Musk a pour projet de <a href="https://www.zonebourse.com/barons-bourse/Elon-Musk-1364/actualites/Musk-propose-un-remaniement-de-l-abonnement-a-Twitter-Blue-quelques-jours-apres-avoir-divulgue-une-p--40016527/">générer les revenus de Twitter à partir des abonnements</a> plutôt qu’à partir de la publicité. En s’épargnant le souci d’attirer et de retenir les annonceurs, Twitter aurait moins besoin de se concentrer sur la modération du contenu. Twitter deviendrait ainsi une sorte de site d’opinion, pour des abonnés payants, dénué de contrôle. À l’inverse, Twitter s’est montré jusqu’à présent très actif <a href="https://www.techdirt.com/2021/02/10/content-moderation-case-study-twitter-attempts-to-tackle-covid-related-vaccine-misinformation-2020/">dans sa modération du contenu</a> afin de lutter contre la désinformation.</p>
<p>La description faite par Elon Musk d’une <a href="https://qz.com/2155098/elon-musks-twitter-bid-isnt-about-free-speech/">plateforme qui ne se préoccupe plus de modérer le contenu</a> est inquiétante en considération des préjudices causés par les algorithmes des médias sociaux. Des recherches en ont mis en évidence un grand nombre, comme les <a href="https://doi.org/10.1145/3468507.3468512">algorithmes qui attribuent un sexe</a> aux utilisateurs, les <a href="https://doi.org/10.1145/3287560.3287587">inexactitudes et biais potentiels des algorithmes</a> utilisés pour récolter des informations sur ces plates-formes, et les conséquences <a href="https://theconversation.com/biases-in-algorithms-hurt-those-looking-for-information-on-health-140616">pour la santé de ceux qui s’informent en ligne sur ce sujet</a>.</p>
<p>Le témoignage de la lanceuse d’alerte <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/qui-est-frances-haugen-la-lanceuse-d-alerte-de-facebook-431702">Frances Haugen</a>, ancienne employée de Facebook, et les récents efforts de réglementation, tels que le <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-legislateurs-britanniques-demandent-un-renforcement-du-projet-de-loi-sur-la-securite-en-ligne/">projet de loi sur la sécurité en ligne dévoilé au Royaume-Uni</a> ou les <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220423-l-union-europ %C3 %A9enne- %C3 %A9limine-les-zone-de-non-droit-sur-internet">futures législations de l’Union européenne</a>, montrent que le public est largement préoccupé par le rôle joué par les plates-formes technologiques dans la formation des idées de société et de l’opinion publique. L’acquisition de Twitter par Elon Musk <a href="https://www.mac4ever.com/divers/170524-twitter-elon-musk-devra-respecter-les-normes-de-l-ue-pour-son-paradis-de-la-liberte-d-expression">met en lumière toute une série de préoccupations réglementaires</a>.</p>
<p>En raison des autres activités d’Elon Musk, la <a href="https://www.nasdaq.com/articles/how-does-social-media-influence-financial-markets-2019-10-14">capacité de Twitter à influencer l’opinion publique</a> dans les secteurs sensibles de l’aviation et de l’automobile provoque automatiquement un conflit d’intérêts, sans compter les implications quant à la divulgation des <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/delit-d-initie-1348718">informations importantes</a> nécessaires aux actionnaires. En ce sens, Elon Musk a déjà été accusé de <a href="https://www.clubic.com/internet/twitter/actualite-418056-elon-musk-poursuivi-par-un-actionnaire-de-twitter-pour-avoir-fausse-le-cours-de-l-action-de-l-entreprise.html">retarder la divulgation de sa participation dans Twitter</a>.</p>
<p>Le <a href="https://blog.twitter.com/engineering/en_us/topics/insights/2021/learnings-from-the-first-algorithmic-bias-bounty-challenge">challenge lancé par Twitter aux hackers pour détecter les biais existants dans ses propres algorithmes</a> a montré qu’une approche communautaire était nécessaire pour créer de meilleurs algorithmes. Ainsi, le MIT Media Lab a imaginé un exercice très créatif consistant à demander aux collégiens de <a href="https://www.media.mit.edu/galleries/youtube-redesign/">réimaginer la plate-forme YouTube en tenant compte de l’éthique</a>. Il est peut-être temps de demander à Elon Musk de faire de même avec Twitter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anjana Susarla reçoit un financement de l'Institut national de la santé et de la chaire Omura-Saxena en AI responsable.</span></em></p>Twitter, plus que tout autre réseau social, permet de suivre et de commenter les événements en temps réel. L'acquisition de la plate-forme par Elon Musk pourrait radicalement changer la donne.Anjana Susarla, Professor of Information Systems, Michigan State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1799842022-03-29T19:29:52Z2022-03-29T19:29:52ZPour contrer infox et propagande, le fact-checking ne suffit pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454202/original/file-20220324-13-1ugavqy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'expansion du storytelling nourrit une méfiance généralisée.</span> </figcaption></figure><p>La rencontre avec des individus tenant des discours complotistes ou relayant des « infox » est toujours chose étonnante. De même que les Parisiens de <a href="https://www.livredepoche.com/livre/lettres-persanes-9782253082224">Montesquieu</a>, rencontrant pour la première fois des personnes venues d’ailleurs, s’exclamaient « Comment peut-on être persan ? », la tentation est grande de réagir par la stupéfaction et de se demander « Comment est-ce possible ? »</p>
<p>Lorsqu’il s’agit de personnes relativement proches et que l’on estime capables d’esprit critique, une autre question fuse : « Comment en sont-ils arrivés là ? » Quels sont les <a href="https://theconversation.com/covid-19-comment-les-biais-cognitifs-ont-diminue-lefficacite-de-la-communication-officielle-132818">biais cognitifs</a> – ou les ratés de l’insertion dans une société qui reste, quoi qu’on en dise, démocratique – susceptibles d’apporter un début d’explication ? À moins qu’il ne s’agisse, dans un temps prompt à accuser l’école de tous les maux, d’une défaillance du système scolaire, incapable de s’adapter au régime nouveau de la « post-vérité » ?</p>
<p>Quoi qu’il en soit, nous avons tous fait le constat que, lorsque nous subissons pareille confrontation, il est bien tard pour opposer à notre interlocuteur des arguments rationnels ou des faits que nous estimons établis. Le dialogue semble alors dresser l’un contre l’autre deux récits et, à ce jeu, il n’est pas sûr que les critères pour choisir le « meilleur » aient forcément à voir avec la vérité. Le récit plausible, le discours le plus en rapport avec les angoisses des intervenants sont ceux qui risquent le plus souvent d’emporter l’adhésion.</p>
<h2>Une injonction à « faire récit »</h2>
<p>Il serait dommage cependant de s’en tenir à des explications psychologisantes. Le souci est qu’il y a derrière ces informations fausses, intentionnellement ou pas, une « part de vérité » comme on dit. De la part de vérité à la vérité « à dévoiler », il n’y a qu’un pas, que la méfiance (envers les institutions, les médias alors qualifiés d’« officiels », etc.) aide à franchir.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-ce-que-leur-defiance-envers-les-medias-nous-apprend-111273">« Gilets jaunes » : ce que leur défiance envers les médias nous apprend</a>
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<p>Il faut y voir ici une raison profonde : tout est désormais mis en récit, qu’il s’agisse du marketing, du jeu, de la politique, voire de la science elle-même. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/storytelling-9782707156518">Christian Salmon invite</a> « à se méfier d’une pensée narrative de plus en plus instrumentalisée par les spin doctors de la communication politique, les stratèges du marketing ou de l’art de la guerre. »</p>
<p>Il est vrai qu’aucune activité sociale ne semble aujourd’hui épargnée et il serait fâcheux de confondre le phénomène et le thermomètre. Les racines d’une méfiance aujourd’hui largement distribuée ne sont pas à rechercher dans une expression ou une mise en scène de soi plus faciles via le « numérique » ou les réseaux sociaux mais davantage dans une injonction généralisée à faire récit qui clôture l’expression publique. L’interprétation des faits semble en effet de plus en plus bornée par des récits qui se présentent comme des commentaires autorisés. Sans vouloir les excuser, les réactions épidermiques (trop souvent de bas niveau) que l’on constate sur les réseaux sociaux (accentuées il est vrai par un anonymat déresponsabilisant) découlent certainement en partie de ce verrouillage.</p>
<p>Ajoutons que ces récits ne s’embarrassent pas toujours de vérité, voire la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/16/laurent-petit-nous-sommes-assurement-dans-une-epoque-de-mal-information_6077064_3232.html">manipulent</a>. Il n’y a qu’à souligner ici la puissance de récits alternatifs véhiculés, avec une ampleur de moyens souvent insoupçonnée, par des groupes de pression ou des États illibéraux, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en fournissant des exemples quotidiens, le plus énorme étant certainement la prétendue russophobie des Ukrainiens, « un premier pas vers un génocide » <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Ukraine-Poutine-evoque-un-premier-pas-vers-un-genocide-dans-l-est-du-pays-1775292">selon Poutine</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Russie – Ukraine : la désinformation comme arme de guerre • FRANCE 24 (février 2022).</span></figcaption>
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<p>D’autres récits, sans vouloir induire sciemment en erreur, ont davantage, dans le cas du marketing par exemple, la vraisemblance comme horizon. Ils s’apparentent alors à des discours fictionnels auxquels il est possible d’adhérer. Citons ici les discours promotionnels sur l’intelligence artificielle, censée faire advenir un monde meilleur. Cet état généralisé laisse penser que les discours les plus relayés, car portés par des institutions, y compris démocratiques, ou par des médias à forte audience, ou bien encore correspondant à une opinion majoritaire, sont nécessairement suspects.</p>
<p>Face à ces récits « mainstream », il est plus payant de s’afficher comme un récit alternatif qui cherche, en bravant les obstacles, à faire émerger la vérité face à un récit plus puissant. Les relais de la propagande russe dans les pays occidentaux se présentent souvent ainsi.</p>
<h2>Cultiver le doute constructif</h2>
<p>On prend la mesure, jour après jour, des ravages d’une méfiance généralisée. Il faut reconnaître qu’elle peut être parfois fondée lorsqu’il y a collusion d’intérêts entre les multinationales et les scientifiques, lorsque les scientifiques sortent dans les médias de leur domaine de compétences, lorsque les médias et les politiques affichent une proximité suspecte, etc.</p>
<p>Comment y remédier ? Les outils de « fact-checking » ne manquent pas. Tous les grands journaux et les agences de presse ont désormais un service dédié : en France, citons <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/">celui du journal <em>Le Monde</em></a>, de <a href="https://www.liberation.fr/checknews/"><em>Libération</em></a> ou de <a href="https://factcheck.afp.com/">l’AFP</a>. De nombreux sites spécialisés dans la <a href="https://www.hoaxbuster.com/">lutte contre la désinformation</a> ont été créés. À l’École, l’éducation aux médias et à l’information (EMI), quoiqu’on en dise et quelles que soient ses insuffisances, existe et dans les établissements scolaires les professeurs-documentalistes font un travail remarquable : en témoigne la 33<sup>e</sup> édition de la « semaine de la presse et des médias dans l’École » <a href="https://www.clemi.fr/fr/semaine-presse-medias.html">organisée par le CLEMI</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">La semaine de la presse dans les écoles en 2015, reportage en collège (France 3 Nouvelle-Aquitaine).</span></figcaption>
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<p>Il faut évidemment accentuer l’effort mais je ne m’intéresse pas principalement dans cet article aux personnes qui sauront utiliser toutes les ressources mises à disposition lorsqu’un doute sur une information surgit. Il y a une <a href="https://www.pug.fr/produit/1875/9782706147272/l-education-aux-medias-et-a-l-information">réflexion à mener</a> sur les gestes à inculquer en amont d’une éducation spécifique mobilisant une <a href="https://theconversation.com/reseaux-numeriques-trois-gestes-barrieres-a-cultiver-en-famille-149843">riche panoplie d’outils</a>.</p>
<p>La piste mise en avant ici pourra paraître paradoxale et susceptible d’aggraver le mal : il s’agirait d’apprendre à douter ! Mais pas n’importe comment. Il ne s’agit pas d’introduire le doute nihiliste qui s’applique à tout, sans discernement, et qui essaie de faire passer l’ignorance des faits et des mécanismes de la communication pour la manifestation la plus aboutie de l’esprit critique. Mais le doute constructif, celui qui amène à une suspension provisoire du jugement, dans l’attente d’investigations plus poussées menées de manière méthodique.</p>
<h2>L’esprit de la démarche scientifique</h2>
<p>Ce doute-là, qui pousse dans une démarche rationnelle à poser les « bonnes » questions pour trouver ensuite des éléments de réponse plausibles, n’est autre que celui qui est pratique dans la recherche. Ces réponses sont certainement provisoires, dans tous les cas discutables, mais dans le respect des règles collectives de la discussion.</p>
<p>Une objection peut alors être faite : pourquoi vouloir introduire les méthodes de la recherche dans un plus large public alors que la science s’établit dans un dialogue pointu et spécialisé entre pairs ? Parce que nous partons d’un fait établi : la science, ses résultats comme ses méthodes, sont présents dans le domaine public, par la figure de l’expert, aujourd’hui omnipotente. La pandémie de Covid-19 n’a rien inventé mais a exacerbé cette tendance lourde.</p>
<p>Or, il serait tout à fait irresponsable de contribuer à cette exposition médiatique sans donner les moyens aux publics d’accueillir ces informations. Il s’agit de leur permettre de les soumettre à un questionnement fécond, pas à une remise en question indifférenciée et systématique, la nuance est d’importance.</p>
<p>Vouloir être à la hauteur de cette ambition suppose une autre approche du rôle de la recherche dans l’enseignement et donc en amont dans la formation des enseignants. La recherche y est encore trop souvent convoquée pour présenter les dernières avancées scientifiques dans une discipline, plus rarement pour faire comprendre les méthodes. Lorsque l’apprentissage de celles-ci est mis en avant dans l’enseignement scolaire, c’est encore trop exclusivement dans le spectre limité des disciplines expérimentales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-du-fact-checking-cinq-pistes-pour-renforcer-leducation-aux-medias-127524">Au-delà du fact-checking, cinq pistes pour renforcer l’éducation aux médias</a>
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<p>Il faudrait y mettre sur le même plan les sciences humaines et sociales et leurs méthodes, parfois jugées « molles », mais infiniment mieux armées pour rendre compte de l’humain en société dont les ressorts comportementaux ne sont pas que biologiques ni psychologiques. En bref, c’est à un art du questionnement que nous appelons, fondé sur les méthodes de la recherche et à inculquer <a href="https://theconversation.com/enfants-lesprit-critique-une-qualite-innee-a-aiguiser-des-le-plus-jeune-age-132714">dès le plus jeune âge</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179984/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Petit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les outils de fact-checking se multiplient, il faut, pour utiliser ces antidotes, être déjà sensible aux risques de la désinformation. Et donc cultiver une forme de doute constructif.Laurent Petit, Professeur en sciences de l'information et de la communication, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.