tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/gouvernement-22226/articlesgouvernement – The Conversation2024-02-22T15:52:30Ztag:theconversation.com,2011:article/2239472024-02-22T15:52:30Z2024-02-22T15:52:30ZCrise agricole : une réponse politique mal ciblée ?<p>En ce début d’année 2024, les agriculteurs français ont largement manifesté leur mécontentent à l’égard de la <a href="https://theconversation.com/de-la-fin-des-quotas-de-la-pac-a-aujourdhui-20-ans-de-politiques-agricoles-en-echec-222535">Politique agricole commune</a> (PAC) et du Pacte vert européen, perçus comme des politiques de contraintes et de décroissance pesant négativement sur leurs revenus. Leurs griefs ciblaient aussi le gouvernement au double titre de la surtransposition des injections bruxelloises et de l’inefficacité des lois EGalim d’équilibre des relations commerciales agro-alimentaires.</p>
<p>À situation de crise, mesures de crise annoncées par le premier ministre en trois salves les 26, 28 et 30 janvier. Ces <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/colere-des-agriculteurs-ce-quil-faut-retenir-des-nouvelles-annonces-de-gabriel-attal-d023a8be-bf86-11ee-9812-c8f10941541a">annonces</a> comprennent des mesures de simplification et d’affaiblissement des contraintes, notamment environnementales dont la « mise sur arrêt » du Plan EcoPhyto de baisse des utilisations de pesticides. Elles sont associées à des décisions fiscales, dont le maintien de la niche sur le gazole non routier et des aides d’urgence à plusieurs secteurs pour un coût budgétaire de 400 millions d’euros.</p>
<p>Passées les annonces de Gabriel Attal, les principaux syndicats agricoles ont annoncé mettre le <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/l-attente-est-tres-forte-previent-le-president-de-la-fnsea-avant-le-salon-de-l-agriculture-20240219">mouvement sur pause</a>, conditionnant sa reprise à une concrétisation rapide ou non des dispositifs promis. Échéance fixée ? Le salon de l’agriculture qui se tient du 24 février au 3 mars, et qui s'est ouvert avec des affrontements entre agriculteurs et forces de l'ordre. </p>
<p>À quelques jours du salon, le premier ministre avait fait le point sur différents avancements au cours d’une <a href="https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/direct-video-colere-des-agriculteurs-suivez-la-conference-de-presse-de-gabriel-attal-9h00-1735092">conférence de presse</a> le 21 février.</p>
<p>Parallèlement, le président de la République obtenait de ses homologues européens des concessions sur <a href="https://www.lepoint.fr/politique/colere-des-agriculteurs-les-annonces-d-emmanuel-macron-apres-le-sommet-a-bruxelles-01-02-2024-2551313_20.php">trois dossiers communautaires</a> : la suspension temporaire du retrait de la production de 4 % des terres arables, le meilleur contrôle des exportations agro-alimentaires ukrainiennes, et la reconnaissance de l’intérêt d’une loi « EGalim like » à l’échelle européenne. Il réaffirmait son opposition à la ratification par la France de l’accord commercial avec le Mercosur en l’état, en désaccord avec plusieurs autres chefs d’état et de gouvernement.</p>
<p>Mais ce n'est clairement pas la fin de l’histoire. </p>
<h2>Une inégale répartition des soutiens</h2>
<p>Commençons par un petit retour en arrière. Sous la pression internationale exercée au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’Union européenne a remplacé, à compter du début des années 1990, sa politique de garantie des prix intérieurs à des niveaux supérieurs aux cours mondiaux par une <a href="https://www.quae.com/produit/1790/9782759234950/evolving-the-common-agricultural-policy-for-tomorrow-s-challenges">politique de soutien des revenus agricoles via des aides directes</a> progressivement déconnectées des choix et niveaux des productions. Ce processus dit de découplage est quasiment achevé.</p>
<p>Les aides étant versées à l’hectare, un lien étroit est maintenu entre la taille de l’exploitation, mesurée par sa surface, et le montant d’aides qu’elle perçoit. En moyenne sur les 3 années 2020, 2021 et 2022, une exploitation française du Réseau d’information comptable agricole (échantillon qui exclut les 30 % de micro-exploitations) a reçu <a href="https://theothereconomy.com/fr/fiches/evolution-du-revenu-des-agriculteurs/">13 200 euros d’aides directes si elle comptait moins de 50 hectares</a> contre 82 400 euros pour sa consœur de plus de 200 hectares. Sur les mêmes années, il existait un écart de 1 à 2, de 35 700 à 64 300 euros, entre le revenu courant avant impôt par unité de travail non salariée des petites exploitations par rapport aux grandes (indicateur qui inclut les aides et subventions). L’écart est variable toutefois, plus grand pour certaines productions (de 20 000 à 84 700 euros pour les exploitations spécialisées de grandes cultures céréales et oléo-protéagineux) et moindre pour d’autres en outre autour d’une moyenne bien plus faible (bovins, ovins et caprins).</p>
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<p>La nouvelle PAC en vigueur depuis le 1<sup>er</sup> janvier 2023 pour cinq ans <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s13280-023-01861-0">ne devrait pas modifier la donne</a>. Les mesures annoncées par le premier ministre ne sont donc pas une réponse à la double question des bas revenus de nombreuses petites exploitations et de l’<a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s41130-023-00192-8">inégale répartition des soutiens publics</a> entre exploitations.</p>
<h2>Entre producteurs, industriels et distributeurs</h2>
<p>En France, la première loi EGalim a été adoptée en 2018. Une seconde a suivi en 2021 et une troisième en 2023. Ces lois ont rendu non négociable entre industriels et distributeurs la part du prix du produit final correspondant au coût de la matière première agricole, y compris aujourd’hui pour les produits sous marques de distributeurs. Les exportations et les débouchés de l’alimentation du bétail ne sont toutefois pas concernés.</p>
<p>L’application de ces lois est défaillante. Industriels et distributeurs se renvoient la balle, les premiers reprochant aux seconds de délocaliser hors de nos frontières une partie des négociations via des centrales d’achat basées à l’étranger, les seconds accusant les premiers d’une forte opacité sur les coûts de la matière première agricole et leurs coûts de production de façon plus générale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1754931388837417156"}"></div></p>
<p>Le gouvernement a promis de renforcer les contrôles chez les deux acteurs et d’augmenter les amendes en cas de non-respect. Gabriel Attal l’a réaffirmé en conférence de presse le 21 février :</p>
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<p>« Les fraudeurs doivent être sanctionnés, les contrôles se multiplient et les sanctions seront au rendez-vous. »</p>
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<p>Une mission parlementaire a été lancée et un projet de loi pour renforcer le dispositif est attendu « d’ici l’été ».</p>
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<p>« La construction du prix, ça doit partir d’abord du producteur avec l’industriel, puis ensuite la grande distribution »</p>
</blockquote>
<p>Ceci sera-t-il suffisant ? Outre la question de la traduction pérenne de la promesse en actes, ces annonces ne répondent pas totalement aux griefs dont les deux acteurs s’accusent. Les négociations doivent par ailleurs être totalement transparentes pour qu’il soit possible de développer des analyses indépendantes et fiables de leurs effets.</p>
<h2>Des cercles vertueux qui ne seront pas appliqués</h2>
<p>Il en va de même de la (re)mise à l’agenda de la question de la supposée surtransposition des textes européens sur la base de cas certes avérés mais qui ne font pas toute l’histoire. Il n’est pas possible de démontrer qu’il y a aujourd’hui <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/environnement/colere-des-agriculteurs-en-france-on-ne-peut-pas-parler-de-surtransposition-des-normes-europeennes">surtransposition généralisée</a>. En pratique, la colère des agriculteurs porte tout autant sur l’excès de normes, notamment celles relevant du volet environnemental de la PAC. Celui-ci inclut des obligations, via la conditionnalité de l’octroi des aides au respect de certains textes européens et de bonnes conditions agricoles et environnementales.</p>
<p>Il comprend aussi des incitations financières via la compensation des surcoûts liés à l’emploi de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. À ce second titre, la PAC 2023-2027 inclut un nouvel instrument, l’écorégime, doté d’un budget annuel bien supérieur à celui des mesures agri-environnementales et climatiques en place depuis 1992 : en France, il équivaut à 1,6 milliard d’euros contre 260 millions pour les mesures agri-environnementales et climatiques qui néanmoins bénéficient d’une dotation additionnelle de 150 millions euros en 2023.</p>
<p>L’écorégime aurait pu être le vecteur du verdissement de la PAC. Ce ne sera pas le cas puisque la quasi-totalité des agriculteurs français aura accès au paiement de base de l’instrument (46 euros par hectare) <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/11331">sans changer leurs pratiques actuelles</a>, et plus de 80 % auront accès au niveau supérieur (62 euros par hectare) dans les mêmes conditions. Cet accès devrait également être facile dans un grande majorité d’États membres. Dans cette perspective, les réponses françaises à la crise ne font qu’accentuer le signal que l’environnement peut encore attendre.</p>
<p>La transition agroécologique gagnerait à être mise en œuvre par des mesures fiscales visant à modifier les comportements plutôt qu’au moyen d’une croissance des normes que dénoncent les agriculteurs. Il y aurait par ailleurs là un moyen de compenser une large part des impacts négatifs économiques de la transition, en redistribuant de façon découplée aux agriculteurs le <a href="https://hal.science/hal-04318187">produit de ces taxes environnementales</a>. Augmenter les ressources budgétaires allouées au secteur agricole peut aussi se faire via la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s13280-023-01861-0">création de marchés environnementaux</a>. Dans cette perspective, la suppression de la niche fiscale sur le gazole non routier et le ciblage des recettes ainsi générées sur le financement de la transition et de la transmission allaient dans le bon sens. Ce mécanisme vertueux ne sera finalement pas appliqué.</p>
<p>Cela vaut aussi pour le Pacte vert, qui vise à développer des systèmes alimentaires sains et durables. Si sa mise en œuvre a des effets positifs sur l’environnement, il aura aussi des <a href="https://www.nature.com/articles/s43247-023-01019-6">impacts négatifs</a> sur des acteurs des systèmes alimentaires. Y renoncer à ce titre n’est sans doute <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/5-183OFCE.pdf">pas la solution</a> et un accompagnement des « perdants » semble préférable. Notons qu’il n’est pas encore appliqué dans le secteur agro-alimentaire et ne peut donc pas être accusé des maux actuels.</p>
<h2>L’Europe, perdante du commerce international ?</h2>
<p>En ce qui concerne les échanges internationaux, enfin, l’échec du cycle de Doha, reconnu en 2006 par Pascal Lamy alors directeur général de l’OMC, a conduit l’Union à multiplier les accords commerciaux bilatéraux. Si elle a échoué à conclure le partenariat transatlantique avec les États-Unis, elle a signé avec le Canada, Singapour, le Japon ou le Vietnam, sans oublier le Royaume-Uni en 2020 dans le contexte du Brexit. D’autres accords attendent signature ou ratification avec le Mercosur, le Mexique ou la Nouvelle-Zélande. Et des discussions sont en cours avec des pays aussi différents que l’Australie ou la Thaïlande.</p>
<p>Ces accords peuvent être légitimement critiqués au motif qu’ils ne tiennent pas assez compte des aspects sociaux, sanitaires ou environnementaux. À ce jour, ils ont plutôt <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Extra-EU_trade_in_agricultural_goods">bénéficié au secteur agro-alimentaire européen</a> puisque ses exportations ont davantage augmenté que ses importations. Entre 2000 et 2022, les premières sont passées de [69 à 233 milliards d’euros], les secondes de <a href="https://hal.inrae.fr/hal-04353405/document">70 à 202 milliards d’euros</a>. En outre, ces accords sont loin d’ouvrir à tous les vents le marché communautaire agro-alimentaire. Quand les risques de déstabilisation de ce dernier sont élevés, l’ouverture à des droits de douane nuls ou réduits est limitée à des quantités prédéterminées faisant l’objet d’âpres négociations.</p>
<p>Qu’en-est-il de la France ? Avec 9,4 milliards d’euros, son excédent commercial agro-alimentaire en 2022 a atteint son plus haut niveau depuis 2013. Ce chiffre masque le fait que la balance commerciale agro-alimentaire de notre pays s’améliore avec les pays non-européens et se détériore avec le reste de l’Union. Double évolution qui questionne le positionnement produits et prix de notre pays sans se cacher derrière la seule cause de la surtransposition.</p>
<p>La concurrence des exportations ukrainiennes est une autre affaire car elle résulte d’une libéralisation temporaire des échanges via un règlement incluant la possibilité de rétablir des droits de douane en cas de trop fortes perturbations des marchés communautaires. Les deux priorités semblent ici de fonder de possibles restrictions aux échanges sur une mesure objective des perturbations, secteur par secteur, et de s’assurer que le règlement profite bien aux agriculteurs ukrainiens et non à un nombre réduit d’intermédiaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223947/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Guyomard a reçu des financements de la Commission européenne (projets BrightSpace, Step-Up). </span></em></p>Commerce international, transition verte, répartition des subventions, poids de la grande distribution… Le gouvernement répond-il vraiment aux difficultés des agriculteurs ?Hervé Guyomard, Chercheur, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157562024-01-16T14:07:19Z2024-01-16T14:07:19ZComment créer une nouvelle université, au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558123/original/file-20231107-21-ras0om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Si on créait une université aujourd’hui, comment s’y prendrait-on ?</p>
<p>Il arrive fréquemment que des gestionnaires ou des professeurs d’université peinent à mettre en place un projet au sein de leur institution. Ils expliquent alors cette difficulté par les contraintes imposées par l’administration, les conventions collectives, les règles en place, les traditions ou les usages. </p>
<p>Tel projet serait-il plus facile à réaliser si on repartait de zéro en créant une toute nouvelle université ? Peut-être, mais comment crée-t-on une université au XXI<sup>e</sup> siècle ? </p>
<p>Voici la grande question qui a hanté mes jours (et mes nuits) des quatre dernières années. J’ai récemment complété une <a href="https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/10732/1/eprint10732.pdf">thèse</a> sur les enjeux de communication et de gestion entourant la création d’une université à partir de zéro – un phénomène rare. Nous avons eu la chance d’assister à un tel événement avec la fondation en 2017 de <a href="https://uof.ca/">l’Université de l’Ontario français (UOF)</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">L'Université de l'Ontario français: voici ce qu'elle pourrait devenir</a>
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<p>J’ai ainsi pu décomposer les étapes de création de cette nouvelle institution, et réfléchir à la fois à la mise en place de composantes de l’université idéale, à l’influence des facteurs externes ainsi qu’à la façon dont les différentes communautés discutent d’un tel projet. </p>
<p>Dans un premier temps, j’ai analysé l’expérience vécue par les fondateurs de l’UOF et les publications médiatiques sur l’histoire de cette création. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré des experts de l’enseignement supérieur (chercheurs et dirigeants d’universités) pour discuter de la question de la naissance d’une université. J’ai ainsi vite constaté que de me pencher sur ce moment important m’en apprenait beaucoup sur les tensions vécues par l’université au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une université ?</h2>
<p>Le lieu nommé « université » peut se définir comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement-superieur-2005-2-page-9.htm">établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes</a>. </p>
<p>La notion d’université, quant à elle, peut être définie de plusieurs façons. En 1895, le philosophe Hastings Rashdall l’associe à la racine latine « universitas », qui sous-tend l’idée d’une organisation corporative, d’une communauté. </p>
<p>Cet espace d’entraide, de défense d’intérêt commun, réunit, dès son origine, l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant la mission commune d’explorer, de partager, de questionner les connaissances humaines. J’ai trouvé instructif d’observer comment l’UOF, université nouvelle, a tenté d’actualiser une telle notion. Pour développer la <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">signature pédagogique</a> de cette institution, ses fondateurs ont pris en compte les compétences requises par le marché du travail et la société à notre époque, ainsi que les pratiques innovatrices en enseignement supérieur. Cette signature pédagogique s’appuie ainsi sur quatre approches : la transdisciplinarité, l’apprentissage inductif, l’apprentissage expérientiel et les compétences.</p>
<p>La création de l’UOF constitue également l’aboutissement d’une <a href="https://histoireengagee.ca/quelle-universite-pour-quelle-societe-petite-histoire-du-debat-intellectuel-entourant-la-question-universitaire-franco-ontarienne/">revendication de longue date</a> émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. Une année après sa fondation en 2017, le gouvernement progressiste-conservateur stoppe le financement de l’UOF. Aussitôt, la communauté franco-ontarienne se mobilise pour contester cette décision. Ce mouvement populaire contribue à la volte-face du gouvernement ontarien. En 2020, ce dernier conclut une entente avec le gouvernement fédéral afin de financer les huit premières années d’existence de l’UOF. </p>
<h2>Une page avec peu d’espace de création</h2>
<p>Un constat a rapidement émergé de mes recherches : la création d’une nouvelle université ne se déroule pas sur une page complètement blanche. L’UOF a été créée selon des échéanciers serrés, en négociant avec les différents gouvernements en place et en luttant pour sa survie au sein d’un système d’enseignement supérieur parfois hostile, ainsi que dans un contexte social et historique mouvementé. À toutes les étapes de la création de l’institution, l’équipe fondatrice a dû composer avec la dynamique politique et avec les rapports de force entre les parties prenantes : représentants des collectivités francophones, des établissements d’enseignement supérieur, des ministères, des élus. </p>
<p>L’université rêvée est rapidement rattrapée par la réalité. </p>
<p>Pour les nombreux experts de l’enseignement supérieur rencontrés, la création d’une université passe nécessairement par la mise en place de composantes liées à sa mission soit : l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités. </p>
<p>La nouvelle université, comme les universités établies, est soumise à un cadre normatif assez contraignant. L’institution s’inscrit également au sein d’une communauté qui lui soumet de nombreuses attentes (formation, développement économique). Elle évolue, de plus, dans un système d’enseignement supérieur qui lui impose une concurrence féroce. </p>
<p>Les rapports entre les différents groupes d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur de l’université, façonnent alors ce qu’elle peut devenir. Quelle part de création demeure donc pour l’université ? </p>
<h2>Fortes pressions, faible cohésion</h2>
<p>Pour l’UOF, les attentes des différents acteurs concernés par le projet (communautés francophones de la province, associations franco-ontariennes, gouvernements, organisations issues des milieux politiques et économiques, administrateurs de l’UOF) étaient nombreuses et parfois contradictoires, tant au niveau du lieu de fondation (Toronto ou ailleurs en Ontario) que de l’offre de formation (programmation traditionnelle ou innovante). De plus, ces acteurs n’ont eu que très peu de temps pour discuter ensemble de ce projet. </p>
<p>Un deuxième constat émerge ainsi de l’analyse du discours des experts sur la question : la communauté universitaire à notre époque peine à se rassembler autour d’un projet commun. Ce projet tend à se réduire à un compromis, fragile et insatisfaisant pour la plupart des acteurs. </p>
<p>Dès sa création, et tout au long de son existence, il apparaît donc que la communauté universitaire est fragilisée par les tensions qui l’assaillent. L’institution doit composer avec des tensions inhérentes à la réalité universitaire multiséculaire (son mode de gouvernance par les pairs, l’équilibre à trouver entre recherche et enseignement ou entre recherche fondamentale et appliquée, notamment). Ces tensions s’additionnent à celles, plus nombreuses, que subit l’université à notre époque (mentionnons seulement les attentes du gouvernement en place et celles des milieux socio-économiques sur les types de formation ou de développement de la recherche, notamment). </p>
<p>Ces tensions sont intégrées dans les structures internes et sont alimentées par les universitaires eux-mêmes. Le gouvernement, les partenaires de la communauté externe, les différents types d’étudiants, de professeurs, de cadres et d’employés, les syndicats et les associations : tous ont et expriment des attentes multiples, complexes et souvent contradictoires. Les lieux de rencontre pour discuter d’éventuelles voies de passage ou d’un projet commun, autant aux niveaux institutionnel, communautaire ou public, ne semblent pas toujours efficaces. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="façade de l’UOF" src="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La création de l’Université de l’Ontario français constitue l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(https://uontario.ca)</span></span>
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</figure>
<h2>L’utopie de la corporation universitaire</h2>
<p>J’ai pu observer, en rencontrant les fondateurs de l’UOF ainsi que les experts de l’enseignement supérieur, que la corporation universitaire est encore aujourd’hui considérée comme une utopie. <em>Corporari</em>, en latin, signifie « se former en corps ». Cela évoque l’idée d’une organisation idéale constituée de plusieurs acteurs partageant un but commun. </p>
<p>L’université est donc représentée comme un corps, où professeurs, étudiants et artisans, issus de la communauté interne et externe à l’université, partagent une même compréhension de la raison d’être de l’institution. Les turbulences rapides vécues par les universités dans les dernières décennies, couplées aux tensions qu’elles vivent déjà, ont toutefois réduit la capacité de la communauté universitaire à « faire corps ». </p>
<p>À l’évidence, l’université ne se crée ni ne se développe en vase clos. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’UOF, l’université est à la fois influencée par la société qui l’accueille (actuellement marquée par la montée de l’individualisme, par la fragmentation des communautés et par la fragilisation du lien social) et contributive au développement de cette dernière. </p>
<p>Elle reste une de ces institutions qui peuvent, selon moi, être précurseures d’une façon nouvelle de concevoir le vivre-ensemble. </p>
<p>Mais cela passe nécessairement par l’apaisement de certaines tensions. Et par une communauté universitaire qui prend le temps nécessaire pour se rassembler en une corporation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215756/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-René Lord ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment crée-t-on une université au XXIᵉ siècle ? Comment cette expérience se déroule-t-elle ? Et que nous apprend l’analyse de ce phénomène ?François-René Lord, Professeur subsitut en communication , Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211342024-01-15T16:43:25Z2024-01-15T16:43:25ZEmmanuel Macron rebat ses cartes : nouveau gouvernement, nouvelle stratégie<p>Avant de s’adresser aux Français, Emmanuel Macron a donc décidé de changer de gouvernement : c’était, avec la dissolution, l’une des deux seules solutions dont il disposait pour tenter de sortir de la nasse où l’enfermaient ses adversaires. En effet, l’exécutif, pris dans les déboires procéduraux de l’examen de la loi sur l’immigration se trouvait <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">dans une impasse</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron devait dissiper l’atmosphère délétère de fin de partie entretenue par l’opposition, ainsi que les doutes apparus dans sa propre majorité, notamment sur la gauche, avec la loi Immigration. Resserrer les rangs de ses troupes, resserrer le gouvernement autour de quelques grands ministères incarnant les projets, restaurer la confiance dans l’action, s’entourer étroitement de proches totalement dévoués. En deux mots : rajeunir pour réagir, tel est le message qu’on tente d’impulser depuis l’Élysée.</p>
<p>Sur les dossiers névralgiques, il se voyait systématiquement entravé à l’Assemblée nationale, du fait d’un refus total du compromis par la tacite coalition des minorités d’opposition. Au mépris du <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">vote de juin 2022</a> par lequel les Français avait constitué une assemblée de type proportionnel ouvrant nécessairement la voie à des compromis politiques, la minorité plurielle s’est affirmée avant tout comme une majorité d’empêchements en refusant toute les mains tendues. La gauche emmenée par la Nupes, bloquant la majorité des propositions ; la droite tentant d’amener Renaissance à résipiscence en imposant son seul programme politique.</p>
<h2>Le changement, c’est maintenant</h2>
<p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec. C’est la fin de sa stratégie du « en même temps » de droite et de gauche, et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel. Or, c’est pourtant bien cette dernière qui aurait permis d’avancer sur le terrain des compromis politiques et qui aurait dû être entamée préalablement.</p>
<p>Emmanuel Macron a visiblement renoncé à toute ambition réformatrice de ce côté. Au moins pour l’instant, gardant peut-être cette idée pour un bouquet final de son quinquennat.</p>
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<p>Pour l’heure, à moins de la moitié du second mandat, il y avait, à peine de torpeur, urgence à tourner la page de ce redémarrage difficile et à tirer les conséquences de l’obstination de ses opposants. À la dissolution, Emmanuel Macron a cru préférable de sacrifier le gouvernement Borne, dans la plus pure logique de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://theconversation.com/le-choix-attal-lhyperpresidentialisme-macronien-au-defi-de-labsence-de-majorite-parlementaire-220671">comme le rappelle très justement Arnaud Mercier</a>.</p>
<h2>Serrer les rangs</h2>
<p>Il s’agit donc d’un changement de gouvernement et non d’un remaniement ministériel. Étrange (et peut-être délibérée) confusion entre ces deux opérations que le droit constitutionnel ne confond pas car les incidences politiques et les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes. L’article 8 de la Constitution ne connaît que la démission du Premier ministre qui entraîne celle du gouvernement, donc son remplacement.</p>
<p>Or, quasi tous les commentateurs s’en tiennent, à tort, au terme de remaniement, c’est-à-dire à une procédure de départ et de remplacement de quelques ministres au sein d’un même gouvernement (comme ce fut le cas en juillet 2023 par exemple). Ce qui, on le voit, aboutit à réduire la perception de la dimension de l’évènement. Il y a changement de gouvernement lorsqu’il y a démission (volontaire ou imposée) du premier ministre, lequel peut, éventuellement, être renommé. Cette démission implique qu’il y ait un nouveau décret de nomination du premier ministre et de l’ensemble d’un nouveau gouvernement par le président de la République. Puis d’une présentation au Parlement du programme de celui-ci, éventuellement sous la forme d’une déclaration de politique générale. Cette dernière, dans la logique de présidentialisme qui prédomine toujours, sera précédée ou accompagnée d’une prise de parole présidentielle. Il s’agit donc d’abord d’une rupture ouvrant une nouvelle période de la vie politique, alors qu’un remaniement s’inscrit dans la continuité.</p>
<p>Surtout, lorsque l’ancien titulaire du poste est remercié, la dimension symbolique et politique s’affiche fortement. Tel est bien le cas ici avec le départ d’Elisabeth Borne qui a poussé jusqu’au bout deux réformes emblématiques et qui, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/08/remaniement-le-supplice-d-elisabeth-borne-premiere-ministre-sur-un-siege-ejectable_6209608_823448.html">toute à surmonter les obstacles</a>, les traquenards voire les quolibets qu’on lui opposait, avait érodé son image de combattante.</p>
<h2>Le grand contournement</h2>
<p>Pour échapper à l’engourdissement politique et à moins de six mois des élections européennes, où les nuages populistes s’amoncellent au dessus de Strasbourg, Emmanuel Macron a désigné son ennemi principal : le Rassemblement national. Le parti est pronostiqué à 30 % au scrutin européen.</p>
<p>Pour le combattre, il en a signalé l’allié essentiel : l’immobilisme. Il a désigné son chef d’état-major : Gabriel Attal.</p>
<p>Le choix s’imposait presque naturellement : l’extrême jeunesse, synonyme d’audace qui n’attend pas le nombre des années, le sens de l’action et de la communication, le brio et l’énergie, tous éléments qui en quelques mois l’ont propulsé en tête des responsables politiques préférés des Français. Si l’on y ajoute son total dévouement à la personne du Chef de l’État, on aura le portrait idéal d’un Premier ministre pour Président voulant prendre les choses directement en main.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexi Kohler annonce le gouvernement Attal, jeudi 10 janvier 2023.</span></figcaption>
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<p>Nous voilà dans le style devenu classique de la V<sup>e</sup> République présidentialisée. Rien ne manque : la formation dans l’éxécutif d’une garde rapprochée en sus de Gabriel Attal, avec Prisca Thevenot au renouveau démocratique et au porte-parolat, Stéphane Séjourné à l’Europe et aux Affaires étrangères, Marie Lebec aux relations avec le Parlement. Voilà la génération Macron en marche gouvernementale. Classique également, le congédiement des ministres ayant franchi la ligne jaune de l’espace présidentiel ou s’étant montré critiques, comme la ministre de la Culture, ou celle des Affaires étrangères.</p>
<p>Le cas de Stéphane Séjourné relève de la lecture hypertexte : promu en tant qu’européaniste et fidèle d’Emmanuel Macron, sa nomination s’interprète aussi comme une exfiltration du Parlement européen. Le voici dispensé d’être le leader naturel de la liste de la majorité présidentielle, son départ libérant la place pour une personnalité plus marquante et plus rassembleuse pour combattre le RN.</p>
<p>La priorité n’est plus aux mains tendues et aux négociations, dont l’Exécutif a pu mesurer la vanité. Par sa composition, ce gouvernement indique un changement profond de stratégie. L’heure est désormais à rendre l’action et le travail de terrain plus visibles. Emmenés par Gabriel Attal, les ministres doivent multiplier les lieux d’intervention, prendre à rebours voire devancer les partis d’opposition. Et par cette tactique de contournement, saper leurs arrières en les plaçant en contradiction avec l’opinion publique.</p>
<h2>Glanage et labourage</h2>
<p>Cette stratégie tout terrain de l’offensive s’accompagne d’un efficace travail d’approche individuelle des membres de l’opposition. Particulièrement à droite car du côté de la gauche, tant que rôdera la tentation de la Nupes et la nostalgie des anciens responsables, il y a peu à glaner.</p>
<p>On observe naturellement que sur les 15 ministres déjà désignés, huit viennent de la droite : c’est que celle-ci, déchirée et inquiétée par les prélèvements du RN dans son électorat, a un urgent besoin de retrouver son centre de gravité.</p>
<p>L’interconnexion avec les réseaux sarkozistes a permis l’enrôlement d’une Rachida Dati, « nouvelle Madone » de la rue de Valois qui trouble profondément des Républicains en pleine incertitude.</p>
<p>Si le changement de gouvernement peut offrir un moment de ciel bleu au président, le fossé est encore profond qui sépare les Français de leurs gouvernants. Si l’on voit clairement l’écueil que le président Macron veut contourner, on mesure aussi la fragilité des moyens d’y parvenir, avec une majorité de plus en plus relative. Dans ce climat de doute profond quant à l’efficience des dirigeants, il est effectivement essentiel de fixer un cap pour la Nation. Cap sans lequel on s’exposerait au risque dévastateur d’un orage à sec.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec : la fin de sa stratégie du « en même temps » et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206712024-01-09T17:58:31Z2024-01-09T17:58:31ZLe choix Attal : l’hyperprésidentialisme macronien au défi de l’absence de majorité parlementaire<p>Le président Macron profite pleinement depuis six années des mécanismes institutionnels pour imposer son style hyperprésidentiel dans la façon de conduire l’exécutif. Mais l’absence de majorité absolue au parlement vient gripper la mécanique managériale qu’il a mise en place.</p>
<p>Le quatrième changement de premier ministre en six ans en offre l’illustration. Et le choix de Gabriel Attal ne garantit pas la sortie de ce qui ressemble à une impasse politique. Mais au moins il incarnera un style politique similaire à celui de son mentor.</p>
<h2>Le fait majoritaire, pilier du présidentialisme</h2>
<p>La V<sup>e</sup> République repose depuis 1962 sur un socle solide : le « fait majoritaire ». Le chef de l’exécutif, élu au suffrage universel direct, dispose dans ce cas d’une majorité solide au Parlement pour faire voter les lois correspondant à <a href="https://theses.hal.science/tel-03709759/file/LECOMTE.pdf">l’application de son programme</a>. Et si la majorité parlementaire renâcle sur certains sujets, les mécanismes du parlementarisme rationalisé (dont le plus connu est le fameux <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">article 49.3</a> permettant l’adoption d’une loi sans vote) obligeront les éventuels frondeurs de la majorité présidentielle <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_1_395258">à se soumettre</a>.</p>
<p>On a pensé que les institutions de la V<sup>e</sup> République seraient affaiblies le jour où la majorité présidentielle et parlementaire discorderaient. Pourtant, les trois cohabitations (1986-88 ; 1993-95 ; 1997-2002) sont venues prouver que la France pouvait être dirigée, chaque tête de l’exécutif assumant toute l’étendue de ses fonctions.</p>
<h2>Affaiblissement du rôle du premier ministre</h2>
<p>Néanmoins, la classe politique a souhaité en 2000 mettre fin à cette situation en raccourcissant le mandat présidentiel à cinq ans, et en inversant le calendrier électoral. Le but était de faire des élections législatives qui suivent l’élection d’un nouveau président une sorte de ratification par le peuple de la présidentielle, profitant, notamment, d’un découragement des électeurs d’opposition qui laissent <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">se (sur) mobiliser</a> l’électorat du président élu. Cela lui laisse une majorité absolue pour gouverner et appliquer son programme.</p>
<p>Le fait majoritaire en sort renforcé, puisque le programme du président devient de facto le programme législatif, le premier ministre est réduit au rang de « collaborateur » du président, chargé d’appliquer fidèlement la ligne fixée à l’Élysée. Cela a pu déjà être le cas avant la réforme du quinquennat, mais c’est encore plus flagrant depuis, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron incarnant cette inclination présidentialiste – que certains qualifieront de dérive – même si ce dernier <a href="https://theconversation.com/acte-ii-un-nouveau-macron-entre-en-scene-128030">affirmait avoir changé</a> pour l’acte II de sa mandature.</p>
<h2>Le management politique selon Emmanuel Macron</h2>
<p>Dès lors, Emmanuel Macron peut gérer le pays comme un PDG. Il s’entoure d’une garde rapprochée qui lui sert de conseil d’administration, opaque aux Français, et peut changer de directeur général (qu’on appellera ici premier ministre) très librement (déjà le quatrième en 6 ans et demi alors qu’en moyenne sous la V<sup>e</sup>, les premiers ministres restent en poste <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/07/03/edouard-philippe-est-reste-a-matignon-plus-longtemps-que-la-moyenne-des-premiers-ministres_6045094_4355770.html">2 ans et 10 mois</a>) pour redynamiser l’équipe – le gouvernement chargé de remplir les objectifs que le PDG lui assigne. Le Parlement ressemble alors furieusement à une assemblée générale des actionnaires ne servant que de chambre d’enregistrement, du moins si on maîtrise les droits de vote de plus de 50 % des actionnaires.</p>
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<h2>Impasses d’un hyperprésidentialisme sans majorité</h2>
<p>Toute cette belle mécanique se grippe dès qu’il n’y a plus de majorité absolue. Depuis un an, l’exécutif peine à dégager des majorités pour voter les textes essentiels. Il use et abuse des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">votes par 49.3</a> et s’est livré à des concessions idéologiques à l’extrême droite afin de faire voter la loi sur l’immigration. Ce passage en force s’est fait en tordant les abatis à ce qu’il est convenu d’appeler « l’aile gauche » des macroniens, et en tournant le dos au positionnement de campagne du candidat Macron. Celui-ci doit son élection à un appel à faire barrage à Marine Le Pen et avait déclaré aux électeurs de gauche qui s’étaient ralliés à lui (par défaut) que ce vote « l’obligeait ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1736491348868370744"}"></div></p>
<p>Et voilà le président Macron pouvant se vanter d’une loi votée qui a tout d’une victoire à la Pyrrhus. L’accouchement aux forceps de cette loi, loin de prouver l’aptitude à agir d’un Emmanuel Macron sans majorité parlementaire stable, est plutôt venu <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">étaler ses faiblesses</a>. S’il concède aux droites pour voter une loi, il perd sur sa gauche ce qu’il gagne là-bas, et des contestations se font alors entendre dans son propre camp.</p>
<p>Or, il est un épisode qu’Emmanuel Macron a vécu de l’intérieur, et qu’il ne souhaite pas voir se réitérer, c’est l’émergence du camp des « frondeurs » durant le quinquennat de François Hollande. Il veut éviter qu’une dynamique contestataire, pouvant devenir sécessionniste, apparaisse au sein des forces parlementaires soutenant le président.</p>
<h2>La disgrâce d’une Élisabeth Borne pourtant méritante</h2>
<p>Ainsi, loin de récompenser une première ministre loyale qui a réussi à faire voter des lois dans des procédures parlementaires très mal embarquées, le président Macron semble lui faire payer les divergences qu’elle a exprimées dans le tumulte de la loi sur l’immigration (et de ne pas avoir su faire taire celles de certains ministres et parlementaires macroniens).</p>
<p>C’est à cette même aune qu’on peut comprendre la saillie inattendue du président célébrant les talents de Gérard Depardieu, affirmant – contre toute vraisemblance – que la Légion d’honneur n’a rien à voir avec la morale, là où le dictionnaire de l’Académie française fait de l’honneur un « sentiment d’une dignité morale ». Le président s’est fait aussi le <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/12/22/affaire-depardieu-emmanuel-macron-partage-une-fake-news-les-journalistes-de-complement-denquete-se-defendent-de-tout-bidonnage-11659017.php">relais d’une fake news</a> laissant entendre que les journalistes de France 2 auraient truqué les propos au montage. Cette faute de communication politique, qui a provoqué un lourd malaise chez les féministes, peut être interprétée comme une façon de rappeler à l’ordre la ministre de la Culture qui avait dénoncé les propos de Gérard Depardieu et les reniements de la loi sur l’immigration.</p>
<h2>Des défis identiques avec un nouveau premier ministre</h2>
<p>L’arrivée d’une nouvelle figure pour incarner la suite du quinquennat ne changera pas la situation politique. La quête d’une nouvelle voie/voix ressemble à un choix contraint : dans quelle impasse entrer ?</p>
<p>Car qui qu’il ait choisi, Emmanuel Macron restera le seul décisionnaire, l’hyperprésident qui décide de tout et qui est jugé redevable devant les électeurs. Car il continuera à être confronté au lourd défi de l’invention d’un récit, crédible, à offrir aux Français pour justifier son second quinquennat. Car se pose toujours la question, pour laisser une trace dans l’histoire, de ce qu’il incarne, et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-vendredi-22-avril-2022-9462267">l’existence ou pas d’un « macronisme »</a>, au sens d’ossature idéologique. Car la bonne idée qui le fit élire en 2017 du « dépassement » du clivage gauche-droite s’est largement transformée en un pragmatisme opportuniste qui brouille son positionnement, au point de faire percevoir son action comme « de droite », <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-1-page-117.htm">à la façon d’un Valéry Giscard d’Estaing</a>, avec une politique économique très pro-business.</p>
<p>Il existe bien un guide qui sert de colonne vertébrale à Emmanuel Macron, même s’il ne clame jamais haut et fort, et que cela ne constitue pas un outillage idéologique : le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/084000041.pdf">rapport « Attali » de la Commission pour la libération de la croissance française</a>. Commandé par Nicolas Sarkozy – alors président, son rapporteur était un jeune énarque ambitieux, un certain… Emmanuel Macron.</p>
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<p>Relire aujourd’hui ce rapport de 2008, c’est y retrouver tous les mantras du discours macronien :</p>
<ul>
<li><p>« Favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés » (c’est la fameuse start-up nation)</p></li>
<li><p>« Faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi »</p></li>
<li><p>« Créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle. De permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi » (les réformes successives de l’assurance chômage par exemple)</p></li>
<li><p>« L’État et les autres collectivités publiques doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune (..) faire place à la différenciation et à l’expérimentation » (abolition de certains statuts dans la fonction publique, multiplication des dérogations et expérimentations à l’embauche des fonctionnaires…)</p></li>
<li><p>« Encourager la mobilité internationale (notamment par une procédure souple de délivrance de visas aux étudiants, aux chercheurs, aux artistes et aux travailleurs étrangers, en particulier dans les secteurs en tension) ».</p></li>
</ul>
<p>La mise en œuvre de ce catalogue de mesures rédigées en 2008 commence à s’épuiser, soit qu’elles aient été réalisées, soit qu’elles se heurtent à des freins politiques faute de majorité (comme pour la loi immigration), soient qu’elles ne soient plus d’actualité face aux nouvelles réalités du monde.</p>
<h2>Attal, le style macronien à Matignon</h2>
<p>Un dernier extrait de ce rapport vieux de 16 ans annonce aussi le style macronien :</p>
<blockquote>
<p>« Avant de se lancer dans l’action, il ne faut pas que la main tremble. Le pouvoir politique sait que les Français veulent la réforme, qu’ils croient en la réforme si elle est socialement juste et économiquement efficace, et qu’ils attendent qu’elle soit conduite tambour battant ».</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu’il ne faut pas céder sur les réformes et face aux <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798%5D">immenses protestations</a>, comme on l’a vu pour la réforme des retraites. Et c’est là que le choix de Gabriel Attal fait sens, par rapport au <a href="https://www.midilibre.fr/2022/05/16/elisabeth-borne-nouvelle-premiere-ministre-le-profil-de-celle-que-macron-a-choisie-pour-succeder-a-castex-10298653.php">style Élisabeth Borne</a>, tout en retenu, en femme de dossier, fuyant les effets de manche au profit d’une posture technicienne un peu rugueuse.</p>
<p>Du peu qu’on a pu observer de son action en tant que ministre de l’Éducation, Gabriel Attal dessine le profil d’un excellent communicant, sachant se mettre en avant comme celui qui sait trancher, prenant des décisions fortes et symboliques rapidement, parlant haut et clair, pratiquant la triangulation en allant puiser des idéaux nostalgiques dans les discours des droites (pour prôner un retour à l’école d’antan largement mythifiée). Ces aptitudes au faire-savoir expliquent en grande partie sa nomination.</p>
<p>Gabriel Attal aura pour double mission de conduire la campagne électorale des élections européennes – qui s’annoncent périlleuses, et de faire ruisseler des éléments de langage prouvant que l’ambition réformiste macronienne reste intacte et sa concrétisation possible. Fidèle de la première heure, il doit toute sa carrière politique à Emmanuel Macron et incarne la jeunesse comme naguère son mentor. Gabriel Attal sera le directeur général mais aussi le directeur de la communication de l’entreprise et de la <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-marque-macron/">« marque Macron »</a>. Mais pour combien de temps ? Quand l’hyperprésidentialisme se conjugue avec une logique managériale, où chaque ministre semble avoir un contrat d’objectifs, dans un contexte d’absence de majorité parlementaire et de gronde sociale, le turn-over s’accélère.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce quatrième changement de premier ministre en six ans est un phénomène inhabituel sous la Vᵉ République. Mécanique managériale, absence de majorité et hyperprésidence : focus sur la nomination de Gabriel Attal.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166902023-11-21T16:53:13Z2023-11-21T16:53:13ZTechnocratie : oui, il existe des élites attachées à l’intérêt général<p>La présidence Macron a réactivé le <a href="https://theconversation.com/le-macronisme-ou-la-privatisation-du-politique-102376">procès des élites technocratiques françaises</a>, de la défense de l’intérêt général et du devenir de la démocratie. La réforme de la haute fonction publique engageant la suppression de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et son remplacement le 1<sup>er</sup> janvier 2022 par <a href="https://insp.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/INSP-FeuilleRoute-2023-plaquette-web_0.pdf">l’Institut national du service public</a> (INSP) en est un exemple saillant.</p>
<p>C’est l’historien et essayiste Jacques Julliard, disparu en septembre dernier, qui, dans son ouvrage <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070407569-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/"><em>La faute aux élites</em></a> publié en 1997 avait initié le débat en France. Malgré son titre provocateur, ce livre ne faisait pas le procès des élites, mais celui de « ceux et de celles qui ne les aiment pas ! » Une ligne d’écriture peu tenue depuis, tant il est rentable politiquement d’alimenter la critique <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">antiélitiste</a>.</p>
<p>Les récente critiques des technocrates d’État à la française, par ceux qui en font partie, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Aquilino_Morelle">d’Aquilino Morelle</a>, énarque et inspecteur général des affaires sociales, à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Moatti">Alexandre Moatti</a>, polytechnicien et ingénieur au Corps des mines affirment que rien ne change. Mes recherches récentes sur la transformation des systèmes de protection maladie aux États-Unis et en France confirme qu’il existe des élites technocratiques attachées à la promotion de l’intérêt général.</p>
<h2>La prégnance de « l’Ancien régime »</h2>
<p>Il suffit de lire les deux récents essais d’Alexandre Moatti, <a href="https://store.cassini.fr/fr/documents-essais-culture-scientifique/143-un-regard-sur-les-elites-francaises.html">« Un regard sur les élites françaises »</a> (2022) et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/technocratisme/">« Technocratisme »</a> (2023), pour penser qu’en France rien ne change : la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Noblesse_d%27%C3%89tat">noblesse d’État</a> des grandes écoles et l’esprit de corps détient toujours le pouvoir. Cette caste de technocrates constituerait une survivance de « l’Ancien régime ».</p>
<p>Le premier ouvrage relate l’histoire de L’institut Auguste-Comte (1977-1981) dont l’objectif était « d’ouvrir » la formation des élèves de l’École Polytechnique, école qui forme les élites économiques et industrielles en France. Inauguré en 1977, il est supprimé dès l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ! L’auteur dévoile comment, à l’abri des regards, différentes coteries polytechniciennes s’affrontent sur la réforme de leur formation. Les porteurs d’un projet visant à « parfaire » le cursus scolaire d’un des fleurons de l’élitisme français sont défaits par les partisans de « l’Ancien régime » et du rien ne doit changer. Les guerres picrocholines d’alors préfigurent celles occasionnées, 45 ans plus tard, autour du <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/273449-rapport-thiriez-vers-une-modernisation-de-la-haute-fonction-publique">« Rapport Thiriez »</a> sur la réforme des grands corps et de l’ENA…</p>
<p>Alexandre Moatti confirme l’impossibilité d’ouvrir une brèche dans la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_recrutement_des_elites_en_europe-9782707124555">« tyrannie du diplôme initial »</a> lié au concours d’entrée, un système reléguant la reconnaissance de la formation scientifique (doctorat) au second plan. Ce diplôme constitue pourtant le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2017/03/07/doctorat-et-phd-des-valeurs-sures-a-l-international_5090488_4401467.html">standard pour les cadres dirigeants</a> dans la quasi-totalité des démocraties avancées… Tout d’abord, il permet de former les jeunes élites par la pratique de la recherche, ensuite, le doctorat pourrait constituer un pré requis permettant de sélectionner au mérite les candidats qui en milieu de carrière souhaitent accéder aux fonctions de directions supérieures.</p>
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<h2>Et la Révolution se fait toujours attendre !</h2>
<p>Dans un deuxième ouvrage, <em>Technocratisme. Les grands corps à la dérive</em>, Alexandre Moatti reprend des idées déja mobilisées (le <a href="https://dokumen.tips/documents/ifrap-le-dossier-noir-de-lena.html">dossier noir de l’ENA</a> ou en <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/ceux-d-en-haut-herve-hamon/9782021071375">« Ceux d’en haut. Une saison chez les décideurs »</a>) par d’autres avant lui, pour reprocher à la « technocratie d’État », celle des <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100448450">« grands corps »</a>, d’avoir pavé la voie au néolibéralisme au détriment de l’intérêt général, et d’avoir généré un lot de bérézinas industrielles et financières.</p>
<p>Avec sa « rétro-histoire des grands corps de l’État », il entend prolonger le regard sur les <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1979_num_34_4_294088_t1_0828_0000_002">élites en France</a> du politologue états-unien, Ezra Suleiman, tout en occultant d’autres <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-ressorts-caches-de-la-reussite-francaise-ezra-n-suleiman/9782020218412/">références clefs</a>. La défense de l’intérêt général par les corps des ingénieurs d’État influencés confiant des les vertus du progrès technique et les énarques durant les trente glorieuses s’est effacée au profit d’une « technocratie affairiste intimement liée aux grandes entreprises et aux grands cabinets de conseils ».</p>
<p>Bien que séduisante, l’assimilation du technocratisme à la seule « super élite » des grands corps de l’État, « où entrent les premiers classés à la sortie de polytechnique et de l’ENA », n’en est pas moins réductrice. Une « description minutieuse » de logiques de carrière – un diplôme prestigieux (Polytechnique, ENA, etc.), une appartenance aux grands corps (Inspection des finances, Conseil d’État, Mines, Ponts, etc.) et l’occupation d’un poste de cabinet ministériel ou d’un conseil d’administration – permettrait d’attester la formation d’une « techno-tyrannie (sic) ». La <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">sociologie politique</a> enseigne que ces indicateurs sont insuffisants pour témoigner de la réalité du pouvoir de l’élite.</p>
<p>De son côté, dans <a href="https://www.grasset.fr/livre/lopium-des-elites-9782246815280/"><em>L’opium des élites</em></a>, Aquilino Morelle partage le constat du renoncement de la technocratie française à ces valeurs originelles de l’intéret général et national. Pour lui, « l’européisme » des élites françaises, notamment de gauche, a favorisé le développement des idées néo-libérales.</p>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534-page-13.htm">sociologique des élites</a>, comme les comparaisons, nous invite à ne pas céder à ces « grandes simplifications » à la mode sur la technocratie.</p>
<h2>Des technocrates en Amérique</h2>
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<img alt="Portrait d’Alexis de Tocqueville (1805-1859), précurseur de la sociologie et auteur de l’ouvrage « De la démocratie en Amérique »." src="https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alexis de Tocqueville (1805-1859), précurseur de la sociologie et auteur de l’ouvrage <em>De la démocratie en Amérique</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.wikiwand.com/fr/De_la_d%C3%A9mocratie_en_Am%C3%A9rique"><em>De la démocratie en Amérique</em></a>, l’historien et philosphe Alexis de Tocqueville a montré l’intérêt de comparer la démocratie française et la démocratie étatsunienne. La question des élites technocratiques n’y échappe pas. Leur rôle politique est souvent perçu comme une obstruction au bon fonctionnement de la démocratie représentative. Le concept de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Technocracy"><em>technocracy</em></a> y est justement apparu sous la plume d’un ingénieur californien, William Henry Smyth en 1919.</p>
<p>Avec la Présidence Trump, la critique du technocratisme a connu un nouveau succès : avec la dénonciation de la contagion du gouvernement par les <a href="https://www.amazon.com/Inside-Job-Government-Insiders-Interest/dp/1316607771">« insiders »</a> et l’évocation du mythe du l’État profond (<a href="https://aoc.media/analyse/2020/10/29/trump-lobamacare-et-le-deep-state/"><em>deep state</em></a>) renvoyant à l’existence d’un groupe informel contrôlant l’appareil administratif et le gouvernement washingtonien.</p>
<p>Mon livre, <a href="https://www.press.jhu.edu/books/title/12877/government-insiders"><em>A Government of Insiders</em></a>, prend le contrepied de cette rhétorique. Dans mon étude, la technocratie prend les traits « des élites gouvernementales non-élues » qui, sous l’administration Obama, se sont engagées sur la question de l’extension de la couverture maladie aux États-Unis. Une série de 45 portraits sociologiques de ces collaborateurs (<em>staffers</em>) des élus au Congrès ou conseillers politiquement nommés à la Maison Blanche et au ministère de la santé, montre sur la longue durée que leur parcours de carrière explique la face cachée du succès de cette réforme. </p>
<p>Le rôle clef des vétérans de l’administration Clinton sous la présidence Obama prouvent l’attachement des ces « insiders » à la promotion de l’intérêt général. Ces élites ont défendu une réforme étendant la couverture maladie à plus de 25 millions de citoyens américains qui en étaient démunis jusqu’alors. Ainsi définit, les technocrates ne sont plus perçus comme le factotum des <em>lobbies</em> économiques ou encore de leurs propres intérêts.</p>
<p>De surcroît, l’étude du travail concret des élites gouvernementales non élues montre, non seulement que ces technocrates ne sont pas les ennemies de la démocratie représentative mais un élément clefs de son fonctionnement.</p>
<h2>Un « outre-regard » sur la technocratie à la française</h2>
<p>Inspiré par le cas des États-Unis, on peut observer les mutations de la technocratie française avec un autre regard. La transformation de l’administration de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2022-5-page-701.htm">Sécurité sociale</a> en France fournie un excellent exemple. L’étude des <a href="https://link.springer.com/book/9783031415814">technocrates de l’administration de la Sécurité sociale</a> (cabinets ministériels, directeurs d’administration centrales ou de caisses d’assurance maladie) confirme le déclin des grands corps et l’émergence de nouvelles élites engagées dans la défense du bien commun.</p>
<p>La sociologie des portraits de ces technocrates montre que, dès les années 1980-90, les conseillers d’État ont été supplantés dans les fonctions de direction par des magistrats de la Cour des comptes. Dès les années 2000, ces derniers sont remplacés, à leur tour par, des hauts fonctionnaires de la Direction de la sécurité sociale (ministère des affaires sociales). Leur carrière est façonnée en circulant de postes en postes entre la direction de la Sécurité sociale, la direction de l’union des caisses d’assurance maladies et les hautes autorités du secteur, ils façonnent leur carrière de façon originale à l’abri de l’influence des groupes d’intérêts.</p>
<p>Ces nouveaux technocrates partagent un leitmotiv : « rendre la sécurité sociale durable (sic) ». La politique de contrôle des dépenses avec l’<a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/37919-definition-ondam-objectif-national-des-depenses-dassurance-maladie">Objectif national de dépenses d’assurance maladie</a> (ONDAM) constitue une réponse à l’augmentation de la demande et des coûts du progrès de la médecine.</p>
<p>Face au défaut de la médecine libérale sur l’hôpital public (urgences), leur but n’est pas de réduire les dépenses selon la logique macro-économique de Bercy, ni de privatiser la « Sécu » mais plutôt de financer l’extension de son périmètre avec la Protection maladie universelle et la <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/11/10/autonomie-qu-est-ce-que-la-cinquieme-branche-de-la-securite-sociale_1805176/">5ᵉ branche « Autonomie »</a> (Handicap et Grand âge). En 2023, le choix de la Direction de la Sécurité sociale par le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/06/le-major-de-l-institut-national-du-service-public-ex-ena-a-choisi-la-direction-de-la-securite-sociale_6192867_823448.html">major de l’INSP, ex-ENA</a>, confirme le changement en cours.</p>
<p>Pour sortir de ces poncifs convenus, ne faudrait-il pas s’inspirer du peintre <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/peinture/quand-pierre-soulages-definissait-l-outrenoir-un-autre-pays-que-celui-emotionnel-du-noir-simple_5441179.html">Pierre Soulages</a> sculptant la lumière dans ses tableaux avec l’outrenoir, en proposant une « outre-regard » sociologique sur les élites technocratiques ? Ce choix permet de réfléchir le comportement réel – bien que caché – des technocrates. It’s the « outre-elites », stupid !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’assimilation du technocratisme à la seule « super élite » des grands corps de l’État est réductrice.William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173162023-11-14T18:56:10Z2023-11-14T18:56:10ZPologne : malgré sa défaite électorale, la droite dure menace l’État de droit<p>Comme la plupart des commentateurs s’y attendaient, le président polonais Andrzej Duda, membre du parti conservateur PiS (Droit et Justice), pourtant <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/pologne-fin-de-partie-pour-le-pis-l-opposition-centriste-et-pro-europeenne-remporte-les-legislatives-980164.html">perdant des dernières élections législatives</a>, tenues le 15 octobre dernier, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20231107-pologne-le-pr%C3%A9sident-charge-le-premier-ministre-de-former-un-gouvernement-sans-majorit%C3%A9">vient de reconduire dans ses fonctions le premier ministre sortant, Mateusz Morawiecki</a>.</p>
<p>L’arithmétique parlementaire indique pourtant que les trois partis d’opposition – la Plateforme civique (KO, menée par l’ancien premier ministre Donald Tusk, centre droit), Troisième voie (centristes) et La Gauche (Lewica) – ont remporté la majorité des sièges à la Diète. Or, même si aucun lien formel ne liait ces partis, ils n’ont cessé d’annoncer leur intention d’évincer le PiS du pouvoir en formant ensemble un gouvernement. Pourtant, Andrzej Duda, précédé et soutenu par son parti, s’en tient à l’idée que son camp est arrivé en première position le 15 octobre.</p>
<p>Il est vrai que le PiS a obtenu 35,4 % des suffrages, alors que KO en a récolté 30,7 %, Troisième Voie 14,4 % et La Gauche 8,6 %. Mais ensemble, ces trois derniers partis rassemblent 248 sièges sur les 460 que compte la Diète, et c’est donc, en toute logique, le leader de sa formation la plus importante, KO, Donald Tusk, qui aurait dû être chargé de former le nouveau gouvernement. Ces derniers jours, les futurs partenaires au gouvernement ont conclu un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/pologne-l-opposition-pro-europeenne-signe-un-accord-de-coalition-et-se-dit-prete-a-gouverner_6175644.html">accord de coalition</a> qui confirme leur détermination, malgré des <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/13/pologne-une-coalition-pour-renverser-le-pis/">dissensions persistantes sur la question de l’avortement</a> (Tusk souhaitant le rendre légal via l’adoption d’une loi, alors que Troisième Voie entend poser la question à la population par un référendum).</p>
<p>Comment expliquer le « coup de force » du PiS, et quelles conséquences pourrait-il avoir ?</p>
<h2>Le PiS veut avant tout gagner du temps</h2>
<p>La décision de Duda, qui ne devrait, sur le plan institutionnel, que retarder la formation du gouvernement Tusk, ne se résume pas à un geste de dépit né d’une déconvenue électorale.</p>
<p>En persistant dans son choix de désigner Morawiecki – malgré <a href="https://www.rp.pl/polityka/art39394141-szymon-holownia-zostal-marszalkiem-sejmu-woda-sodowa-nie-uderzy-do-glowy">l’élection le 13 novembre 2023 du leader de Troisième Voie, Szymon Holownia, à la présidence de la Diète</a>, qui démontre clairement quels sont les rapports de force parlementaires –, Andrzej Duda prépare, au mieux, une cohabitation dure avec le gouvernement Tusk. Au pire, cette décision indique que le PiS s’oriente vers une forme plus ou moins ouverte d’<a href="https://metahodos.fr/2021/05/06/autoritarisme-democratie-et-neutralite-axiologique-chez-juan-linz/">opposition déloyale à la démocratie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1722198668730847281"}"></div></p>
<p>Contrairement aux régimes autoritaires en bout de course des années 1970 ou 1980 – depuis les dictatures latino-américaines jusqu’aux <a href="https://www-cairn-info.faraway.parisnanterre.fr/revue-le-debat-1999-5-page-118.htm?contenu=resume">« totalitarismes aux dents ébréchées »</a> d’Europe de l’Est – qui se sont libéralisés avec l’appui de forces démocratiques auparavant ostracisées, les nouvelles formes de pouvoir néo-autoritaire qui ont essaimé depuis les années 2000 en Europe ont précisément comme projet de <a href="https://www.cairn.info/revue-red-2021-2-page-164.htm">restreindre l’espace de la démocratie libérale</a>.</p>
<p>Ils ont créé des dispositifs anti-démocratiques en apparence partiels et ponctuels, à l’instar des <a href="https://tvn24.pl/polska/elzbieta-witek-kandydatka-pis-do-prezydium-sejmu-jak-przebiegala-kontrowersyjna-reasumpcja-glosowania-z-2021-roku-7434562">entorses régulières au règlement intérieur de la Diète polonaise par sa propre présidente</a>, mais dont la visée globale est de contourner les normes de l’État de droit pour limiter le risque de devoir transférer le pouvoir à leurs concurrents. Ces stratégies ne sont en rien guidées par la concurrence démocratique, mais par des visées hégémoniques, comme en en a attesté entre autres la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2021-22-page-87.htm">transformation des médias publics en « médias nationaux »</a> dévolus à la propagande du PiS.</p>
<p>Mais malgré tous ces efforts, le PiS va selon toute vraisemblance céder les rênes du pays. Si Duda a nommé Morawiecki, alors même qu’il n’existe aucune chance que le Parlement confirme ce dernier, c’est avant tout pour permettre à son camp de gagner du temps et de construire des ressources pour la cure d’opposition qui l’attend.</p>
<p>Dans les ministères, des masses de documents <a href="https://natemat.pl/518711,pis-niszczy-dokumenty-michal-szczerba-z-ko-alarmuje">seraient en cours de destruction</a> pour éviter que ne soient exposés au grand jour les <a href="https://notesfrompoland.com/2023/09/08/senate-commission-finds-polish-governments-use-of-pegasus-spyware-to-be-illegal/">stratagèmes politiques ou les procédures entachées d’illégalité</a> par lesquels le PiS a entravé le fonctionnement ordinaire de la démocratie ou attribué des rémunérations à ses dirigeants via un système de primes ou de nominations de « représentants de l’État » dans les entreprises publiques – en réalité, des emplois fictifs.</p>
<p>Pendant des années, le PiS a enrôlé dans sa sphère d’influence les entreprises publiques grâce aux actifs qu’y détient l’État, mettant en place une sorte de Deep State depuis lequel il lui sera possible de mener une guerre de position contre le nouveau pouvoir, comme en atteste le <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,30343560,pis-nie-stworzy-rzadu-ale-sie-upiera-zrodla-wyborczej-chodzi.html">récent placement par Morawiecki de « ses » hommes au sein de l’autorité des marchés financiers</a>. Les titulaires de ces fonctions ne pourront pas tous être remplacés immédiatement et le nouveau gouvernement devra inévitablement composer avec ces nominations politiques.</p>
<h2>Enrayer le rétablissement de l’État de droit</h2>
<p>Cette période d’alternance permet également au PiS de roder ce qui sera probablement son narratif dominant dans la période qui vient, au moins à court terme : il se présente comme le « véritable » vainqueur des élections et feint de conduire des pourparlers avec Troisième Voie – ce qui lui permettra, à la première occasion, de dénoncer le fait que KO ait pris la direction du gouvernement.</p>
<p>Ce discours permet aussi d’actualiser la <a href="https://www.ft.com/content/302984e9-a762-453c-8a97-8c0ad661810d">vindicte que le PiS dirige contre Donald Tusk</a> et de se présenter, comme il l’a fait depuis les années 2000, comme un rempart contre « l’hégémonie des libéraux ». Il faut donc s’attendre à de virulentes campagnes contre Donald Tusk et son gouvernement, comme l’ont encore montré les dénonciations par Jaroslaw Kaczynski, le patron du PiS, d’une <a href="https://wiadomosci.onet.pl/krakow/jaroslaw-kaczynski-grzmi-polska-bedzie-zatruta-terroryzowana-przez-mafie/0mgwsm0">supposée « mafia des déchets » allemande que soutiendrait Tusk</a>.</p>
<p>Ce récit va probablement reposer, sur un autre plan, et dans un renversement de perspective assez improbable, sur la dénonciation du « chaos juridique » résultant du rétablissement de l’État de droit : grâce à son droit de veto, Andrzej Duda pourrait bloquer les tentatives d’abrogation de lois votées par le PiS et qui ont pourtant été jugées anticonstitutionnelles, <a href="https://www.euronews.com/my-europe/2023/06/05/polands-legal-overhaul-violates-the-right-to-have-an-independent-and-impartial-judiciary-e">comme celles visant à rendre la justice dépendante du pouvoir exécutif</a>.</p>
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<p>Le PiS conserve ainsi la capacité d’enrayer les politiques destinées à rétablir l’État de droit dans son intégrité, figeant pour partie le néo-autoritarisme qu’il a installé depuis 2015. La leçon de ces événements pourrait être que la sortie des « démocratures » s’avère plus risquée que de simples alternances et que le fonctionnement de celles-ci peut s’inscrire durablement dans les structures de l’État, laissant le débat public s’enliser dans des polémiques sans fin sur la nature même de la démocratie.</p>
<p>Les scénarios de l’alternance en cours dépendront en partie de la cohésion interne du PiS, et plus encore du <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20231007-jaroslaw-kaczynski-le-marionnettiste-des-conservateurs-polonais">leadership de Jaroslaw Kaczynski</a>, incontesté depuis 2015 et qui remonte aux années 1990, quand il s’est affirmé comme l’un des principaux artisans des reconstructions successives de la droite polonaise. La défaite électorale pourrait laisser place à des tentatives de refonder la droite polonaise sans ce dernier, malgré le rôle actif qu’il semble vouloir conserver. Mais, plus encore, c’est la cohésion de l’opposition, une fois aux affaires, qui sera décisive.</p>
<h2>Le rôle de l’UE</h2>
<p>La période qui se clôt actuellement a été marquée par un alignement stratégique exceptionnel des partis d’opposition, de la société civile et de la magistrature, entre autres pour défendre l’État de droit. Cette identité de vues sur les normes démocratiques a évité tout phénomène d’<a href="https://journals.openedition.org/sociologie/500">abdication collective</a>, comme l’histoire a pu en connaître face à la montée des autoritarismes au cours du siècle dernier.</p>
<p>Depuis 2015, la capacité de ces acteurs à se réclamer de l’Union européenne et de ses valeurs démocratiques a été un ferment puissant pour faire concorder leurs stratégies. À court terme, l’attitude de l’UE, après la <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-et-la-pologne/">vague de sanctions qui a frappé la Pologne</a>, sera décisive pour que se tourne la page des huit ans de pouvoir du PiS. <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20231025-%C3%A0-bruxelles-donald-tusk-promet-de-remettre-la-pologne-au-centre-de-l-ue">La récente visite à Bruxelles de Donald Tusk</a>, alors même qu’il n’est pas encore premier ministre, semble augurer d’une volonté conjointe de fluidifier les relations entre la Pologne et l’UE. Le déblocage des aides européennes sera, de fait, crucial pour la crédibilité de Tusk sur la scène politique intérieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217316/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti de droite PiS, au pouvoir depuis 2015, a été vaincu dans les urnes lors des législatives du 15 octobre dernier. Pourtant, il s’accroche au pouvoir.Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138172023-10-19T13:21:38Z2023-10-19T13:21:38ZChangements climatiques, pandémie : les scientifiques devraient pouvoir informer le public librement<p><a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/06/l-ete-2023-le-plus-chaud-jamais-mesure-marque-par-une-litanie-impressionnante-d-evenements-climatiques-extremes_6188157_3244.html">Les évènements climatiques récents</a> et la pandémie ont mis en lumière le besoin de mettre en œuvre des politiques préventives et d’adaptation. Comment s’y prendre ? Notamment, en s’appuyant sur les preuves scientifiques disponibles. L’annonce par Québec le 11 septembre dernier de la création d’un comité d’experts sur l’adaptation aux changements climatiques <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009380/adaptation-changements-climatiques-comite-experts?depuisRecherche=true">s’inscrit dans un tel objectif</a>.</p>
<p>Toutefois, plusieurs obstacles empêchent une meilleure contribution des scientifiques à la formulation de ces politiques. S’il va de soi que la science se doit d’informer l’assentiment populaire sans toutefois le remplacer, celle-ci devrait toutefois disposer d’une place de choix dans le débat politique. Pourtant, la science est souvent subordonnée à la parole politique, voire instrumentalisée. <a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">La pandémie</a>, les <a href="https://theconversation.com/climat-comment-lindustrie-petroliere-veut-nous-faire-porter-le-chapeau-213142">changements climatiques</a>, ou les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009928/environnement-doug-ford-rapport-chaleur-feux?depuisRecherche=true">récents déboires du gouvernement Ford en Ontario le démontrent</a>.</p>
<p>L’absence d’institutions scientifiques publiques autonomes en est l’une des raisons principales. En effet, le modèle démocratique de contrôle de l’administration implique dans la pratique que les organisations scientifiques publiques agissent sous le contrôle des représentants élus. Concrètement, cela signifie que des institutions comme l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne peuvent pas librement communiquer leurs recommandations au public, et donc participer pleinement au débat politique.</p>
<p>Doctorants en science politique, nos recherches portent sur l’utilisation de la science dans les politiques publiques. Dans cet article, nous apportons un éclairage sur les conséquences découlant de l’absence d’autonomie de la part des institutions scientifiques publiques, tant au Québec qu’aux États-Unis. Nous argumentons en conséquence pour la mise en place de procédures simples qui pourraient y remédier.</p>
<h2>L’influence de l’organisation du conseil scientifique sur les choix politiques</h2>
<p>Dans un premier temps, nos recherches sur la pandémie démontrent que l’organisation du conseil scientifique – c’est-à-dire la sélection des experts, leurs disciplines, et leur niveau de transparence et d’autonomie – a des implications concrètes sur la formulation des politiques publiques. En effet, une discipline scientifique dispose d’une vision encadrée par les méthodes, et les valeurs, de cette discipline. Et il en va de même pour les scientifiques. </p>
<p>Par exemple, durant la pandémie, le conseil scientifique suédois a été organisé autour de l’agence de santé publique, laquelle disposait d’une forte autonomie dans la formulation des politiques sanitaires. Or, le chef épidémiologiste de l’agence, A. Tegnell, avait lui-même participé à des publications, plusieurs années auparavant, dans lesquelles il <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19628172/">reconnaissait les incertitudes entourant des mesures sévères comme la fermeture des écoles dans un contexte de pandémie</a>.</p>
<p>L’approche d’A. Tegnell consistait à trouver un équilibre, en termes de santé publique, entre les effets délétères de politiques extrêmes, et ceux du virus sur la population ; ce qui a impliqué des mesures moins sévères qu’ailleurs dans le monde. <a href="https://www.cirst.uqam.ca/nouvelles/2021/ecouter-la-science-dans-la-conception-des-politiques-publiques-de-lutte-contre-la-Covid-19-le-cas-de-la-fermeture-des-ecoles-au-quebec-et-en-suede/">Pour Tegnell, davantage de preuves scientifiques étaient nécessaires pour justifier une telle sévérité</a>. On voit ici que l’organisation du conseil scientifique autour de Tegnell, et l’autonomie dont jouissait son agence, n’a pas été sans conséquence sur le choix politique. </p>
<p>Or, la création d’un groupe d’experts au Québec sur les changements climatiques pourrait avoir des implications similaires. D’une part, qui seront ces scientifiques ? On parle des « meilleurs experts reconnus en la matière », alors que <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009380/adaptation-changements-climatiques-comite-experts?depuisRecherche=true">l’identité de ces derniers n’est pas encore connue</a>. Et d’autre part, quel niveau d’autonomie caractérisera ce groupe ? Pourra-t-il communiquer librement au grand public ? Ces points méritent d’être éclaircis.</p>
<p>Dans les faits, le secret politique pèse lourd. L’Ontario a par exemple été récemment accusé d’avoir passé sous silence un rapport scientifique sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009928/environnement-doug-ford-rapport-chaleur-feux?depuisRecherche=true">conséquences des changements climatiques</a>. Durant la pandémie, les recommandations de la Santé publique du Québec ont manqué de transparence, et ont <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1851196/msss-revue-editeur-predateur-publication-scientifique">parfois difficilement justifié certaines mesures comme le couvre-feu</a>. Ceci implique de repenser nos institutions. </p>
<h2>L’utilisation de la science au service des intérêts privés</h2>
<p>Du côté des États-Unis, nos recherches soulignent l’impact des intérêts économiques sur les politiques d’adaptation. En Louisiane, un état républicain et conservateur, les dirigeants politiques au Sénat et à la Chambre des représentants se gardent de reconnaître l’existence des changements climatiques et leur impact sur l’immense perte de territoire et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes (inondations, sécheresses, incendies de forêt). </p>
<p>Les politiques actuelles visent plutôt à rétablir les processus naturels de sédimentation pour ralentir l’érosion des côtes de <a href="https://climatoscope.ca/article/reconstruire-ou-partir-les-defis-de-ladaptation-en-louisiane/">manière à préserver leur capacité à soutenir la production de pétrole et de gaz</a>. La légitimation de cette stratégie d’adaptation – la <a href="https://revuelespritlibre.org/le-controle-de-leau-en-louisiane-entre-repere-identitaire-et-menace-existentielle">restauration</a> – se fait par l’utilisation d’un discours scientifique et technique axé exclusivement sur les processus naturels du delta. Par ce biais, on ignore la science climatique et ses causes, en particulier le rôle des énergies fossiles dans l’accélération des dérèglements environnementaux et climatiques. </p>
<p>Cette sélectivité scientifique empêche l’évocation <a href="https://www.wwno.org/coastal-desk/2022-03-03/climate-change-could-prove-more-deadly-in-louisiana-without-immediate-action-report-says">d’autres options</a> d’adaptation, comme la relocalisation des populations côtières ou l’atténuation des changements climatiques. La compréhension du public quant aux effets à long terme des changements climatiques se voit ainsi brimée. </p>
<h2>Un déni partisan</h2>
<p>En argumentant que « la science » est de leur côté, même si elle ignore celle des changements climatiques, les décideurs empêchent le questionnement de leurs politiques. « La science montre que c’est la seule manière de nous sauver », proclame régulièrement le président de l’agence environnementale louisianaise. </p>
<p>Cette agence utilise un discours scientifique biaisé de manière à obtenir le soutien des républicains climatosceptiques au Sénat et à la Chambre des représentants. En évitant de contester l’influence des énergies fossiles dans le problème climatique, l’objectif est de dépolitiser l’adaptation et de la soustraire du débat public en brandissant le caractère rationnel de leurs politiques. </p>
<p>La recherche montre que le déni du changement climatique aux États-Unis <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1111/j.1533-8525.2011.01198.x">est fortement partisan</a> et qu’il s’appuie sur une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09644016.2016.1189233">« chambre d’écho » antiréflexive</a> d’outils politico-culturels conservateurs et néolibéraux. L’anti-réflexivité est <a href="https://doi.org/10.1177/0263276409356001">définie par les chercheurs Aaron McCright et Riley Dunlap</a> comme un contre-mouvement des républicains et conservateurs américains visant à préserver le système capitaliste productiviste de sa remise en question par la science climatique et les mouvements environnementaux.</p>
<p>Ces discours scientifiques antiréflexifs entretiennent l’ambiguïté sur la science climatique et sur l’impact de la production des énergies fossiles. Pire encore, ils encouragent l’ignorance et l’inaction et provoquent une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03623319.2020.1848294">« adaptation agnostique »</a>, à savoir une adaptation dénuée de toute croyance dans les changements climatiques. </p>
<h2>Pour la création d’institutions scientifiques publiques autonomes</h2>
<p>Le public devrait pouvoir être librement informé par les scientifiques.</p>
<p>Or, l’inexistence dans le paysage politique d’institutions scientifiques publiques autonomes l’en empêche, et non sans conséquences. Durant la pandémie, elle a eu un <a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">effet négatif sur l’adhésion de la population, qui a commencé à questionner la légitimité des experts</a>. Dans le cas des changements climatiques, l’instrumentalisation du discours scientifique restreint le débat public, et dépolitise les enjeux climatiques au profit de la satisfaction d’intérêts privés. </p>
<p>Nous proposons donc d’étendre l’autonomie d’institutions scientifiques publiques comme l’INSPQ. D’une part, en instaurant la possibilité de communiquer librement leurs recommandations au public, en dehors de toute tutelle. Et d’autre part, en permettant la formulation de demandes citoyennes de rapports ou de recommandations scientifiques de la part du public sous la forme de pétitions. </p>
<p>Ceci permettrait d’ajouter une « troisième voix » au débat politique, qui informerait le débat en permettant au public de faire un choix libre et éclairé. Mais cela permettrait également d’apporter un discours alternatif au discours partisan et à la polarisation, sans pour autant le remplacer. </p>
<p>Des auteurs comme Zynep Pamuk proposent également la création de <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691218939/politics-and-expertise">« tribunaux scientifiques » composés d’experts et de citoyens</a>. Ces tribunaux saisis par initiative citoyenne statueraient sur des problèmes publics mobilisant des connaissances scientifiques, comme la pandémie ou les changements climatiques. Suivant le modèle judiciaire, un jury composé de citoyens voterait sur une proposition de politiques publiques – par exemple, devrions-nous interdire la voiture à essence en ville ? – au terme d’une procédure contradictoire impliquant des vues opposées d’experts dans le domaine. </p>
<p>Si ces solutions ne sont pas à écarter, bâtir sur des institutions préexistantes et leurs solides expertises en leur offrant une place plus importante dans le débat apparaît une solution réalisable à court terme, et qui étendrait à la science le principe démocratique. </p>
<p>Une solution qui tirerait les leçons des crises récentes, dont la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213817/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Lemor a reçu un financement du Fond de recherche du Québec société et culture (FRQSC) dans le cadre de sa thèse de doctorat.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sarah Munoz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il n’existe pas d’institution scientifique publique autonome dans le débat politique. Quelles en sont les conséquences, en contexte de pandémie et de changements climatiques ?Antoine Lemor, Candidat au doctorat en science politique et chargé de cours / Political science PhD candidate and lecturer, Université de MontréalSarah M. Munoz, Doctoral researcher in political science / Doctorante en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143212023-10-16T13:57:12Z2023-10-16T13:57:12ZLe logement est bien plus qu’un bien marchand. Et la crise actuelle ne se réduit pas à équilibrer l’offre et la demande<p>La crise du logement est un défi mondial : près de 1,6 milliard de personnes vivent dans des conditions précaires ou inadéquates. Et ce nombre pourrait même doubler d’ici 2030, selon l’<a href="https://unhabitat.org/news/13-jul-2023/the-world-is-failing-to-provide-adequate-housing">UN Habitat</a>. </p>
<p>Le Canada n’est pas épargné. Amplifiée par la pandémie de Covid-19, la demande de logements y surpasse largement l’offre. D’ici 2030, <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/professionnels/marche-du-logement-donnees-et-recherche/recherche-sur-le-logement/rapports-de-recherche-en-habitation/accroitre-loffre-de-logements/penurie-de-logements-au-canada--resoudre-la-crise-de-labordabilite">3,5 millions de logements supplémentaires seront nécessaires</a>. Et pour y faire face, les initiatives gouvernementales se multiplient. </p>
<p>En tant que professeur en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal, je m’intéresse à la manière dont les villes canadiennes contribuent aux <a href="https://www.sosve.org/objectifs-de-developpement-durable-post-2015/">17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies</a>, notamment le 11<sup>e</sup>, qui vise à rendre les villes inclusives, sûres, résilientes et durables.</p>
<h2>Les gouvernements se mobilisent</h2>
<p>En septembre 2023, le gouvernement du Canada a annoncé une <a href="https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/nouvelles/2023/09/bonification-du-remboursement-de-la-tps-pour-immeubles-dhabitation-locatifs-afin-de-construire-plus-dappartements-pour-les-locataires.html">exonération de la TPS</a> pour la construction de nouveaux immeubles locatifs, dans l’optique d’alléger les coûts pour les constructeurs. Cette initiative s’ajoute à celles de la <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/strategie-nationale-sur-le-logement/questce-que-la-strategie#strategyfr">Stratégie nationale sur le logement</a> lancée en 2018, un plan de 82 milliards de dollars étalé jusqu’en 2028. Ce plan englobe des subventions pour de nouveaux logements abordables, la rénovation, le soutien au logement communautaire et la promotion de la recherche en matière de logement. </p>
<p>Les gouvernements provinciaux et municipaux sont également à pied d’œuvre. Par exemple, l’<a href="https://news.ontario.ca/mmah/en">Ontario</a> multiplie les soutiens financiers aux projets immobiliers. Le Québec propose, entre autres, une <a href="https://www.revenuquebec.ca/fr/citoyens/votre-situation/faible-revenu/programme-allocation-logement/">Allocation-Logement</a> aux ménages les moins aisés. Et la Colombie-Britannique a instauré la <a href="https://news.gov.bc.ca/releases/2023HOUS0059-000851">Housing Supply Act</a>, adoptée en 2022, visant à mieux cibler les besoins en logement en collaboration avec les municipalités. </p>
<p>Plusieurs villes, comme <a href="https://globalnews.ca/news/9738121/toronto-multiplex-policy-housing/">Toronto</a>, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/multiplex-housing-vancouver-1.6967977">Vancouver</a>, <a href="https://montreal.ca/articles/metropole-mixte-les-grandes-lignes-du-reglement-7816">Montréal</a> et <a href="https://www.lesoleil.com/actualites/actualites-locales/la-capitale/2023/09/27/un-plan-ambitieux-pour-contrer-la-crise-du-logement-UHZAPO6FXFGIDHBI255E4KY2E4/">Québec</a>, adoptent des stratégies pour augmenter la densité et favoriser la construction de logements sociaux et locatifs, collaborant souvent avec des <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/professionnels/financement-de-projets-et-financement-hypothecaire/programmes-de-financement/toutes-les-opportunites-de-financement/fonds-dinnovation-pour-le-logement-abordable#:%7E:text=Le%20Fonds%20d%27innovation%20a,municipaliti%C3%A9s%2C%20provinces%20et%20territoires">entités communautaires</a> pour innover.</p>
<p>L’objectif de ces mesures ? Faire passer le taux d’inoccupation des logements de <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/housing-research/research-reports/2022/housing-shortages-canada-solving-affordability-crisis-fr.pdf">1,9 % au Canada et de 1,7 % dans les grandes villes du Québec à une fourchette de 3 à 4 %</a>, considérée comme un équilibre entre l’offre et la demande de logements.</p>
<h2>La valeur sociétale du logement</h2>
<p>Cependant, la crise du logement ne se réduit pas simplement à une équation où il suffit d’équilibrer l’offre et la demande. Agir sur l’offre, en stimulant la construction et sur la demande, en fournissant des aides financières aux ménages, peut avoir un impact temporaire. Mais ces mesures ne ciblent que les symptômes de la crise, et non ses causes fondamentales. </p>
<p>Pourquoi ? Parce que le logement est bien plus qu’un bien marchand : il représente un foyer, un espace de vie et un élément structurant du tissu urbain, social et économique. Sa valeur sociétale dépasse ainsi sa valeur marchande, avec des implications sur l’accès aux services et aux lieux d’emploi, sur la stabilité de la population et l’attractivité urbaine, sur la santé physique et mentale ainsi que sur la compétitivité des entreprises locales.</p>
<p>La crise actuelle ne provient pas seulement d’un manque absolu de logements, mais surtout d’une pénurie relative de logements adaptés aux revenus de la majorité des habitants de chaque ville. À <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf">Montréal</a>, par exemple, le taux d’inoccupation pour les logements abordables pour les ménages les moins fortunés est seulement de 1 %. En revanche, pour les ménages à revenus moyens et élevés, il est de 5,4 %. À <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf">Québec et à Gatineau</a>, la situation est similaire, montrant que la compétition pour accéder à un logement est plus rude pour les individus et les familles les plus exposés à la crise.</p>
<p>La vision mercantile de la propriété a érodé sa valeur sociétale, transformant ce qui était autrefois un rêve en un simple outil d’investissement où l’objectif est d’acheter, rénover, fixer un loyer en fonction de l’investissement et séduire une population plus aisée.</p>
<h2>Des conséquences pour les citoyens et les entreprises</h2>
<p>Les conséquences sont nombreuses. D’une part, les prix élevés des propriétés ont transformé beaucoup de citoyens en locataires à long terme, écartant leur rêve de propriété. Cette situation crée une tension sur le nombre de logements locatifs disponibles, particulièrement pour les étudiants et les nouveaux arrivants. L’écart croissant entre les loyers des logements vacants et ceux occupés a aussi ralenti le taux de roulement, comme illustré à <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf">Québec et à Gatineau</a>. </p>
<p>Les populations économiquement précaires subissent les effets les plus sévères, devant opter pour des logements basés sur leur capacité financière plutôt que leurs besoins. Cela se traduit par une baisse de la qualité de vie, des trajets plus longs vers les lieux de travail et de services ainsi que des coûts de transport augmentés. </p>
<p>Enfin, cette situation impacte directement le développement économique régional. L’augmentation rapide des loyers par rapport aux salaires peut diminuer la compétitivité des entreprises locales qui peinent à attirer et retenir les talents. Cette situation peut entraîner une baisse de la productivité (par exemple, des employés stressés par leurs finances), des temps de trajet plus longs pour les employés (choisissant de vivre en périphérie où le coût de logement est moindre), un frein à l’innovation régionale (avec moins d’entrepreneurs prêts à prendre des risques dans des zones chères) et la migration des talents vers des régions plus abordables.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="homme noir travaille de la maison" src="https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les employeurs pourraient contribuer financièrement aux coûts du logement des employés en télétravail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<h2>Des solutions existent</h2>
<p>Pour aborder la crise, le logement doit avant tout être considéré comme un service sociétal essentiel et non seulement comme un bien marchand. Quatre pistes de solution peuvent compléter les interventions publiques actuelles.</p>
<p><strong>Ajuster les loyers aux réalités économiques locales.</strong> En plus des mesures gouvernementales actuelles visant à stimuler l’offre (par plus de constructions) et la demande (par l’aide financière aux ménages), l’idée est d’établir une fourchette de loyers acceptable en fonction des capacités financières des résidents locaux. Les propriétaires dépassant cette fourchette pourraient être soumis à des mesures fiscales, dont les recettes permettraient de soutenir des logements plus abordables. Un tel calcul peut paraître complexe, mais pas impossible à réaliser en travaillant, par exemple, avec le milieu universitaire. C’est pourquoi l’instauration d’un registre des loyers, comme le suggèrent <a href="https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/2023/09/17/crise-du-logement-manque-de-vision-des-gouvernements-LUYQVANSXVHTDAOV5FVKEGDH4A/">14 maires et mairesses au Québec</a>, est pertinente.</p>
<p><strong>Faire des employeurs des alliés.</strong> L’accès à un logement est devenu un atout pour attirer et retenir la main-d’œuvre. Les employeurs pourraient offrir des primes « logement » aux employés à faibles revenus. Pour ceux en télétravail, les employeurs pourraient contribuer financièrement aux coûts du logement (loyers et dépenses liées au travail). Comme de telles mesures contribuent au succès des entreprises, elles pourraient être appuyées par les agences de développement économique.</p>
<p><strong>Soustraire les groupes vulnérables de la compétition.</strong> Les jeunes, les familles monoparentales, les personnes âgées, les Premières Nations et les nouveaux arrivants doivent être soustraits de la compétition pour le logement, car ils ne sont pas en position de concurrence équitable. Des taxes sur certains logements de luxe, par exemple, permettraient de générer des fonds dédiés aux logements de ces groupes. </p>
<p>Enfin, des alternatives comme les résidences intergénérationnelles ou les micrologements temporaires pourraient être encouragées. Ces modèles offrent des solutions abordables et adaptées à divers besoins temporaires, surtout en milieu urbain. </p>
<p>Considérer le logement simplement comme un bien marchand à la merci des forces du marché est réducteur. Il a une profonde valeur sociétale, et c’est en la reconnaissant et en la préservant que nous aborderons la crise de front.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214321/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juste Rajaonson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise du logement ne peut pas être résolue simplement en équilibrant l’offre et la demande. Il faut plutôt repenser le logement comme un service sociétal plutôt que comme un simple bien marchand.Juste Rajaonson, Professeur en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119682023-09-13T13:36:51Z2023-09-13T13:36:51ZAu Québec, comme ailleurs au Canada, les programmes d’assistance sociale sont des « trappes à pauvreté »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544832/original/file-20230825-27-81kqwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C991%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. Ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le gouvernement du Québec est actuellement en <a href="https://consultation.quebec.ca/processes/consultationpauvrete">train de mener des consultations dans le but de renouveler son plan de lutte à la pauvreté</a>. </p>
<p>La ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Chantal Rouleau, a également annoncé <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/790087/la-ministre-chantal-rouleau-prepare-une-grande-reforme-de-l-aide-sociale">son intention de moderniser la <em>Loi sur l’aide aux personnes et aux familles</em></a>, dont sont issus les programmes d’assistance sociale dans la province. </p>
<p>Puisqu’il pourrait y avoir une opportunité de revoir et de bonifier ces programmes au Québec, j’ai cherché à mieux comprendre la situation des personnes qui en sont prestataires, en particulier les personnes en situation de handicap. Pourquoi ? Parce qu’elles <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/75-006-x/2017001/article/54854-fra.pdf">vivent davantage dans la pauvreté</a>, ont <a href="https://www.ophq.gouv.qc.ca/fileadmin/centre_documentaire/Bilans/Bilan_evaluation_APE_conditions_vie.pdf">moins accès au marché du travail que le reste de la population</a> et qu’<a href="https://web.archive.org/web/20221102104813/https://www.mtess.gouv.qc.ca/publications/pdf/STAT_clientele_prog-aide-sociale_ao%C3%BBt_2022_MTESS.pdf">elles représentent la majorité des prestataires de certains programmes au Québec</a>. </p>
<p>L’hiver dernier, dans le cadre de mes études doctorales en travail social, j’ai réalisé des entrevues avec des représentants d’organisations impliquées dans la lutte à la pauvreté et dans la défense des droits des personnes en situation de handicap au niveau provincial. Cet article rapporte leurs paroles : toutes les citations entre guillemets sont tirées de ces entrevues.</p>
<h2>Des programmes d’assistance sociale insuffisants pour sortir de la pauvreté</h2>
<p>En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. En d’autres termes, ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté. </p>
<p>En 2023, aucun des trois programmes d’assistance sociale ne permet d’atteindre la <a href="https://statistique.quebec.ca/fr/document/faible-revenu-menages-et-particuliers/tableau/seuils-faible-revenu-mesure-panier-consommation-type-collectivite-rurale-urbaine-taille-unite-familiale#tri_type_revenu=10">mesure du panier de consommation (MPC)</a>, <a href="https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/ref/dict/az/Definition-fra.cfm?ID=pop165">l’indicateur officiel du seuil de pauvreté au Canada</a>, et encore moins la mesure du « revenu viable » <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2023/">calculée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)</a>. À titre d’exemple, selon l’IRIS, l’aide sociale couvrait 47 % de la MPC pour un adulte seul à Montréal, la solidarité sociale 69 % et le revenu de base environ 86 %. Si l’on utilise le pourcentage du « revenu viable », ces montants passaient à 35 %, 51 % et 64 % respectivement. </p>
<p>Ces faibles montants génèrent « de graves inconvénients monétaires et moraux » et traitent les prestataires comme « des citoyens de seconde zone ». Le <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base#:%7E:text=En%202023%2C%20le%20montant%20de,532%20%24%20pour%20l%E2%80%99ann%C3%A9e.">nouveau programme de revenu de base</a> a amélioré les choses en misant sur une approche plus flexible, par exemple en permettant le travail à temps partiel ou en autorisant les prestataires à vivre avec un conjoint ou une conjointe. Les prestations sont aussi plus généreuses. Mais <a href="https://www.sqdi.ca/fr/actualites/le-programme-de-revenu-de-base-une-avancee-insuffisante-pour-les-personnes-handicapees-et-celles-ayant-des-troubles-de-sante-mentale/">il reste encore beaucoup de travail à faire</a> selon les organisations de défense des droits.</p>
<h2>Des critères d’admissibilité compliqués et problématiques</h2>
<p>Le principal programme utilisé par les personnes en situation de handicap est le <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale#c67401">Programme de solidarité sociale</a>. L’admissibilité y est conditionnelle à la présence de « contraintes sévères à l’emploi ». </p>
<p>Le principe peut sembler logique, puisqu’il s’agit d’une aide financière de dernier recours. Mais la réalité est tout autre. Plusieurs personnes interrogées lors des entrevues ont mentionné qu’il est « extrêmement difficile d’accéder au Programme de solidarité sociale pour les personnes ayant des handicaps cycliques, tels que des problèmes de santé mentale ». </p>
<p>Par exemple, les formulaires ne permettent pas réellement de « dire tout ce qu’on devrait savoir sur la personne » et « ne considèrent pas l’effet cumulatif des diverses conditions » de la personne. Les règles laissent aussi pour compte ceux et celles qui ne peuvent produire de rapports médicaux complets, <a href="https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/travail-interdisciplinaire-et-processus-complexes/">dont les populations marginalisées n’ayant pas accès à un médecin de famille</a>. Cela a pour effet de classer les individus en fonction de la nature de leur diagnostic, certains reconnus comme « valides », d’autres non, créant ainsi une « méritocratie du handicap ». </p>
<p>Notons que l’admission au <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base">Programme de revenu de base</a> est quant à elle généralement conditionnelle à la participation au Programme de solidarité sociale pendant 66 mois dans les 72 derniers mois, forçant les prestataires à vivre dans la pauvreté pendant de nombreuses années. </p>
<h2>Des règles contraignantes</h2>
<p>Par ailleurs, les régimes d’aide financière de dernier recours au Québec sont généralement « punitifs et contraignants ». Il est par exemple <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/a-13.1.1,%20r.%201#se:111">impossible de travailler pour plus de 200$ ou de recevoir des dons de plus de 100$ par mois</a> pour les prestataires de l’aide sociale et de la solidarité sociale. S’ils dépassent ces limites, leurs prestations sont coupées, dollar pour dollar. </p>
<p>De plus, les règles sont très compliquées, souvent expliquées de façon contradictoire, et les correspondances reçues ressemblent à des « mises en demeure », ce qui alimente « l’anxiété et la peur des répercussions » en cas d’erreur de bonne foi. </p>
<p>Ultimement, ces règles et cette complexité ont souvent pour conséquence de créer des « trappes à pauvreté » et de maintenir à long terme les prestataires dans ces programmes.</p>
<h2>Prioriser l’accompagnement et le « rétablissement »</h2>
<p>Tous les répondants sont sans équivoque : il est temps de changer de paradigme et de passer d’une approche punitive à une approche d’accompagnement. Ce changement implique nécessairement un abandon des clichés du profiteur ou du fraudeur à l’aide sociale, puisqu’il n’y aurait de toute façon « aucun avantage à frauder l’aide sociale » et que « personne ne se valorise en trichant ou en restant à la maison à [ne] rien faire ». </p>
<p>Il faut également « sortir de la dualité “capable/incapable” » pour donner accès aux régimes d’assistance sociale. L’incapacité doit être perçue comme un spectre et non comme une liste de cases à cocher dans un formulaire. Le handicap n’est « pas uniquement à propos de la condition médicale, mais aussi à propos de l’environnement et des aspects psychosociaux de la personne ». </p>
<h2>Un programme spécifique pour les personnes en situation de handicap ?</h2>
<p>Questionnés sur l’idée de créer un programme spécifique aux personnes en situation de handicap, <a href="https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/nouvelles/2023/06/le-projet-de-loi-historique-sur-la-prestation-canadienne-pour-les-personnes-handicapees-recoit-la-sanction-royale.html">comme celui récemment créé par le gouvernement fédéral</a>, les répondants ont affirmé qu’il s’agissait d’une idée intéressante, mais qu’il serait difficile de « tracer une ligne dans le sable » pour savoir qui y aurait accès ou non. </p>
<p>Cet enjeu, qui n’a pas encore été réglé par le gouvernement fédéral, est d’autant plus important puisque « le plus de gens il y a [dans les programmes], le plus cela coûte au gouvernement […] et vous pouvez entendre d’ici le bruit des calculatrices du ministère des Finances ». </p>
<p>Dans l’ensemble, les répondants ont souligné qu’une telle prestation pourrait « améliorer la santé mentale des prestataires » et « réduire l’anxiété des parents face au futur ». Elle pourrait également aider à changer la façon dont les prestataires sont perçus : « juste ne plus être “assisté” serait moralement plus facile », et cela les ferait passer d’« abuseur » du système à « citoyens » à part entière.</p>
<p>La création d’une prestation spécifique pourrait notamment « avoir un impact sur ceux qui restent dans les autres programmes », créant « des bons pauvres et des mauvais pauvres ». Loin de se désolidariser des autres prestataires, les représentants des groupes de personnes en situation de handicap ont évoqué qu’il ne faudrait pas qu’une telle prestation vienne discriminer et stigmatiser indirectement d’autres prestataires. On peut par exemple penser à ceux à la « croisée des chemins en matière de diagnostic » ou qui auraient de la difficulté à obtenir un certificat médical. Il ne faudrait pas non plus que la prestation devienne « un parking à personnes handicapées » contribuant à les « stigmatiser encore plus ».</p>
<h2>Pour que magasiner dans une friperie devienne un choix</h2>
<p>Depuis les entrevues, les organisations provinciales de personnes en situation de handicap ont publié un <a href="https://www.sqdi.ca/fr/actualites/memoire-commun-elaboration-du-quatrieme-plan-daction-gouvernemental-en-matiere-de-lutte-contre-la-pauvrete-et-lexclusion-sociale/">mémoire commun contenant 65 recommandations couvrant un ensemble de sujets</a>. Outre les habituelles demandes liées au montant des prestations, ces organisations demandent un changement de culture au sein du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, afin de faire du droit à la protection sociale une réalité.</p>
<p>Quelles que soient les solutions retenues par le gouvernement du Québec, ces dernières devront clairement prendre en compte les problèmes identifiés et tenter de mettre un terme à la stigmatisation des personnes prestataires de tous les régimes d’assistance sociale. </p>
<p>Pour ce faire, le ministère devrait notamment miser sur un changement de culture en priorisant l’accompagnement des personnes, revoir les critères d’admissibilité aux différents programmes et augmenter les prestations, pour qu’« acheter ses vêtements dans une friperie devienne un choix, non une nécessité. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211968/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samuel Ragot est étudiant au doctorat en travail social à l'Université McGill et analyste sénior aux politiques publiques à la Société québécoise de la déficience intellectuelle. Toutes les entrevues ont été réalisées dans le cadre de la scolarité doctorale pour laquelle un certificat d'éthique a été émis. </span></em></p>En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. Ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté. Et ils sont également punitifs et contraignants.Samuel Ragot, PhD student - étudiant au doctorat, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096592023-07-16T15:28:27Z2023-07-16T15:28:27ZLa chute du gouvernement Rutte aux Pays-Bas : illustration des forces et faiblesses du régime parlementaire<p>Le 7 juillet 2023, une annonce officielle secoue l’un des États membres fondateurs de l’Union européenne. Aux Pays-Bas, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/11/aux-pays-bas-la-demission-surprise-du-premier-ministre-mark-rutte-menace-les-liberaux-europeens_6181454_3210.html">gouvernement de Mark Rutte vient de chuter</a>. Le premier ministre, qui était à la tête de son quatrième gouvernement de coalition, se trouvait au pouvoir depuis douze ans, si bien qu’il avait été surnommé <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/10/mark-rutte-everyman-dutch-pm-whose-teflon-powers-finally-waned-netherlands">« Téflon »</a> par les commentateurs politiques (avec lui, les polémiques glissent sans laisser de taches). Pourtant, le débat de ce début d’été 2023 aura raison de son art du compromis.</p>
<p>Cette fois, Mark Rutte (VVD, parti libéral classé au centre droit) n’est pas parvenu à faire ce qu’il avait jusqu’alors toujours réussi : trouver un arrangement entre sa sensibilité et les autres partis membres de la coalition gouvernementale qu’il dirigeait (le D66, social-libéral, et les conservateurs chrétiens-démocrates du CDA et du CU) sur un sujet politique très clivant : « prendre des mesures pour limiter l’afflux de demandeurs d’asile ».</p>
<p>Les opinions des représentants de sa coalition se confrontaient sur la question – de fond davantage que d’actualité – du regroupement familial des immigrés et, plus spécifiquement, sur la question du quota d’enfants autorisés à rejoindre le pays pour y retrouver un parent (le quota mensuel de 200 enfants venait d’être dépassé). <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/pays-bas-le-gouvernement-de-mark-rutte-chute-apres-des-negociations-houleuses-sur-limmigration-7741a89c-1cf5-11ee-b2e8-5637fbb93cc6">Constatant son incapacité à trouver un terrain d’entente entre ses ministres</a>, Mark Rutte a décidé de présenter au roi Willem-Alexander la démission de son gouvernement.</p>
<h2>Le recours au chef de l’État face à la chute d’un gouvernement</h2>
<p>Le roi des Pays-Bas est en conséquence contraint de mettre fin à ses vacances en Grèce pour recevoir et conseiller son premier ministre. Comme dans presque tous les États européens, il faut en effet garder à l’esprit que le <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2005-1-page-6.htm">véritable chef du pouvoir exécutif est le premier ministre</a> (souvent également appelé « ministre président » en néerlandais) et non le chef de l’État. Ce dernier, en l’occurrence le monarque aux Pays-Bas, ne possède qu’un rôle protocolaire et de représentation.</p>
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<p>Ce système, qui est souvent présenté comme un folklore cantonné au Royaume-Uni et à quelques pays scandinaves, est en réalité le plus commun en Europe. Car, à l’exception notable de la France et de certains États d’Europe centrale, le chef de l’État, qu’il soit président de la République ou monarque, qu’il soit élu directement par les citoyens (Autriche, Finlande, Irlande, etc.) ou non (Allemagne, Italie, Suède, etc.), n’est que très marginalement à la manœuvre politique.</p>
<p>Son rôle principal – important toutefois – consiste à aider le premier ministre à s’entourer des bonnes personnalités au sein des différents ministères, puis à approuver formellement la création du gouvernement. Aux Pays-Bas, cela prend la forme d’une prestation de serment des ministres devant le roi. C’est en somme ce que l’on a coutume d’appeler un régime parlementaire, car si le chef de l’État est ainsi relégué à ce rôle de simple soutien, c’est parce que la légitimité électorale se concentre intégralement sur le Parlement.</p>
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<p>Le premier ministre tire alors sa légitimité et son pouvoir de la confiance que lui accorde son Parlement, au nom duquel il agit et auquel il doit obéir et rendre des comptes. De fait, pour obtenir la confiance du Parlement, la composition du gouvernement doit être un reflet fidèle des couleurs politiques dominantes dans l’hémicycle. La difficulté principale aux Pays-Bas, comme dans de nombreux autres États européens, est que le Parlement est élu selon le mécanisme du scrutin proportionnel, ce qui signifie qu’il n’existe que très rarement une majorité claire, et que les premiers ministres doivent parvenir à établir des coalitions.</p>
<h2>Les coalitions gouvernementales sont le modèle dominant en Europe, mais elles posent de nombreuses difficultés</h2>
<p>Le scrutin proportionnel est à la fois une force et une faiblesse pour la démocratie. Sa force principale est indéniablement le fait qu’il offre à tous les citoyens une chance d’être fidèlement représentés au sein du Parlement, puis plus tard à travers le gouvernement qui en sera le reflet, « à hauteur de ce qu’ils représentent effectivement dans la société ». C’est d’autant plus vrai dans les systèmes qui proposent une proportionnelle intégrale comme aux Pays-Bas.</p>
<p>Ainsi, un microparti comme le « Denk » (« Pense », gauche radicale) ou le « BBB » (<em>Mouvement agriculteur – citoyen</em>, divers centre) envoient des députés et des sénateurs au Parlement néerlandais malgré leur importance <a href="https://www.lepoint.fr/monde/aux-pays-bas-le-pouvoir-a-portee-de-fourche-des-national-farmers-08-07-2023-2527800_24.php">aujourd’hui encore modeste</a> dans l’échiquier politique.</p>
<p>La faiblesse d’un tel système est principalement de deux ordres. D’une part, le scrutin proportionnel peut offrir un poids important à des partis politiques populistes, voire antidémocratiques, ce qui représente un vrai risque aux Pays-Bas où le premier parti d’opposition est le <a href="https://www.lepoint.fr/europe/aux-pays-bas-geert-wilders-veut-desislamiser-la-societe-11-01-2021-2409064_2626.php#11">PVV</a> (<em>Parti pour la liberté</em>, extrême droite) de Geert Wilders.</p>
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<p>D’autre part, on l’a dit, le scrutin proportionnel offre rarement une majorité claire (plus de 50 % des sièges) à un seul parti politique. C’est le cas actuellement, puisque le parti de centre droit dont Mark Rutte était le chef (après sa démission, il a <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/apres-la-chute-de-son-gouvernement-le-premier-ministre-neerlandais-annonce-quitter-la-politique">annoncé la fin de sa carrière politique</a>) n’occupe que 22 % des sièges de l’hémicycle (une proportion comparable au poids politique du président Macron au premier tour de l’élection présidentielle française).</p>
<p>Il dispose du plus grand nombre de sièges, mais il est très éloigné des 50 % de sièges nécessaires pour obtenir une majorité. Il a donc été obligatoire pour Rutte après les élections de mars 2021 de chercher des alliés auprès d’autres formations, en l’occurrence chez les autres partis de droite, et de faire des compromis sur son propre programme. Ce processus peut s’avérer long (271 jours pour former la coalition qui vient tout juste de voler en éclats) et le risque d’une mauvaise entente qui peut mener à la chute plane toujours au-dessus d’un gouvernement de coalition…</p>
<h2>Malgré toutes les difficultés liées aux coalitions, il est possible que la démocratie y trouve son compte</h2>
<p>La question du remplacement du premier ministre démissionnaire est indissociable de l’élection d’un nouveau Parlement. S’il est possible pour un premier ministre de démissionner sans que cela entraîne une dissolution du Parlement, Mark Rutte a ici confirmé qu’il y aurait de nouvelles élections législatives en novembre 2023.</p>
<p>Dans un premier temps, il va donc rester en place et gérer, selon la formule consacrée, « les affaires courantes », sans être capable toutefois de prendre de décisions d’importance telle que la signature d’un traité international. En effet, dans la logique parlementaire, le gouvernement agit au nom du Parlement et risque à tout moment d’être renversé s’il n’agit pas dans le sens souhaité par la majorité des députés ; or il est impossible pour un gouvernement ayant déjà chuté de chuter à nouveau. Ces considérations nous replongent dans l’importance pour le droit constitutionnel de toujours rechercher l’équilibre et l’interdépendance des pouvoirs.</p>
<p>La chute des gouvernements est donc un problème. Elle est d’ailleurs souvent présentée comme une difficulté récurrente et insurmontable des III<sup>e</sup> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mai-1958-la-chute-de-la-ive-republique-7325983">IVᵉ</a> Républiques françaises. Pourtant, la situation qui existe aux Pays-Bas et dans de nombreux autres pays d’Europe au XXI<sup>e</sup> siècle peut laisser penser que, malgré l’échec du compromis gouvernemental et les divers coûts liés à de nouvelles élections, les mécanismes des régimes parlementaires peuvent tout de même s’avérer capables de répondre efficacement aux standards les plus élevés de la vie démocratique.</p>
<p>D’une certaine façon, la démission du gouvernement permet de remettre chaque acteur face à ses responsabilités. Les ministres tout comme les parlementaires prennent en effet à tout moment le risque de perdre leur siège s’ils refusent de jouer le jeu du compromis. La démission permet de poser une question au peuple, de lui permettre de trancher le différend politique que les membres du gouvernement n’ont pas su résoudre en interne : en l’occurrence, quelle politique migratoire souhaitez-vous ?</p>
<p>À la différence d’un référendum, la réponse qu’apporte une élection législative proportionnelle sera pleine de nuances. Elle ne sera pas simplement destinée à servir d’approbation ou de réprobation vis-à-vis de l’auteur de la question (comme c’est souvent le cas des référendums), mais obligera chaque citoyen à choisir le parti politique, petit ou grand, historique ou nouvellement créé, qui reflétera ses aspirations démocratiques du moment. Plutôt que de voir la politique en blanc et noir, en oui et non, ce système donne aux citoyens l’occasion d’apporter une réponse qui leur ressemble – subtile, complexe, multicolore.</p>
<p>Dans une période où les institutions de la V<sup>e</sup> République française sont si souvent remises en question, il paraît opportun de mieux comprendre quels sont réellement les points forts et les points faibles à l’œuvre dans les Constitutions de nos plus proches voisins européens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209659/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierrick Bruyas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du fait d’un désaccord sur la politique migratoire, la coalition gouvernementale néerlandaise a implosé. L’occasion de s’interroger sans a priori sur la pertinence des régimes parlementaires.Pierrick Bruyas, PhD in Law, postdoctoral researcher (Univ. of Strasbourg), guest researcher (Univ. of Aarhus, Denmark), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035132023-04-20T15:59:41Z2023-04-20T15:59:41ZLes mots choisis du ministre de l’Intérieur pour une stratégie très politique<p>Les propos du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la création de cellules <a href="https://reporterre.net/Cellule-antizad-Darmanin-accroit-la-criminalisation-des-ecologistes">« antizad »</a> pour début septembre 2023 ou sur l’appel à <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/07/menace-de-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-la-bataille-des-arguments-est-engagee_6168689_3244.html">dissoudre</a> le mouvement Les Soulèvements de la Terre illustrent une stratégie classique pour ceux qui occupent la place Beauvau.</p>
<p>Depuis Nicolas Sarkozy – pour ne parler que du XXI<sup>e</sup> siècle –, le ministère de l’Intérieur est considéré comme un tremplin menant aux plus hautes fonctions de la République. L’image de maintien de l’ordre et de protection attachée à ce poste répond aux désirs des citoyens en manque de sécurité.</p>
<p>Grande est alors la tentation de faire monter en puissance <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/203285-discours-de-m-jacques-chirac-president-de-la-republique-sur-la-democr">ce thème de l’insécurité</a>, surtout lorsque l’on se sent en faiblesse sur d’autres thèmes, à l’image de la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1852356001044/jacques-chirac">stratégie élaborée par Jacques Chirac</a> face à Lionel Jospin en 2001-2002, avec les résultats que l’on connaît. Or, les présentations fondées sur des travaux de long terme sur le sujet sont souvent balayées par des discours démagogiques et parfois simplistes <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/03/31/manifestations-et-violences-les-erreurs-et-approximations-de-gerald-darmanin_6167693_4355770.html">qui tordent les faits</a> pour mieux mettre en scène les qualités supposées du ministre et de ses troupes.</p>
<h2>Une rhétorique sécuritaire peu fondée mais politiquement efficace</h2>
<p>Faut-il pour autant se désintéresser de ces paroles ? Les exemples étrangers de leaders a priori fantaisistes ou ridicules mais néanmoins <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/donald-trump-quand-le-monde-ny-croyait-pas-20220414_6VQEYELMQ5HJHJWEOUEP2HVME4">élus par la suite</a> montrent que, même si on les considère comme <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/19/technology/whatsapp-brazil-presidential-election.html">irrationnels</a>, les arguments ou les constructions liées à la sécurité peuvent toucher des électeurs.</p>
<p>Lorsque de surcroît ces discours s’ancrent dans des figures redondantes du passé, cela leur confère une légitimité accrue, quel que soit leur degré de cohérence et de réalisme. Il est alors intéressant de regarder comment des dirigeants politiques s’enferment dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2007-3-page-68.htm">rhétorique passéiste sur la sécurité et les violences</a> censée rassurer les électeurs mais qui les <a href="https://www.cairn.info/la-police-contre-les-citoyens--9782353711055.htm">piègent eux-mêmes.</a></p>
<p>À force d’élaborer des déclarations martiales et n’acceptant aucune contestation ni aucun bémol, ces dirigeants deviennent incapables de produire une réflexion critique sur leur action ou sur le fonctionnement de leurs troupes. Plusieurs concepts sont utilisés de manière plus ou moins adroite pour construire l’image d’un ministre omnipotent servi par une police absolument irréprochable. Or, ces excès d’autosatisfaction conduisent au refus de débattre, et à la négation de tout travail d’analyse n’entrant pas dans le crédo ministériel.</p>
<h2>Un discours prisonnier du manichéisme</h2>
<p>À travers de telles questions, il s’agit moins d’écouter ou de comprendre des arguments que de classer rapidement les personnes en deux camps : ceux qui aiment la police et ceux qui la détestent, les seconds devenant les ennemis de la société dans son ensemble.</p>
<p>Dans ce cadre de pensée, toute tentative d’explication devient suspecte de complicité, cela nous renvoyant au fameux discours de Manuel Valls qui, à propos du terrorisme, lançait : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/03/03/terrorisme-la-cinglante-reponse-des-sciences-sociales-a-manuel-valls_4875959_3224.html%22%22">« comprendre, c’est déjà un peu excuser »</a>.</p>
<p>Ou encore <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/197172-declaration-de-m-manuel-valls-premier-ministre-en-reponse-diverses">d’affirmer devant le Sénat</a> :</p>
<blockquote>
<p>« j’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques aux événements qui se sont produits ! »</p>
</blockquote>
<p>La confusion entre la démarche de condamnation et celle de compréhension <a href="https://www.cairn.info/condamner--9782749246796.htm">n’est pas nouvelle</a>. Elle interdit par avance tout travail de réflexion prenant en compte la complexité des situations et conduit au simplisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du Parisien, des violences de la police sur les manifestants sont dénoncées par les opposants à la réforme.</span></figcaption>
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<p>On peut être pour la police dans son principe et condamner ses débordements, voire même chercher à les comprendre. On peut aussi avoir une conception de la police différente de celle du ministre en lui rappelant que selon <a href="https://www.education.gouv.fr/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-du-26-ao%C3%BBt-1789-10544">l’article 12</a> de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la force publique est « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».</p>
<h2>Une violence croissante ?</h2>
<p>Associée au manichéisme, et le nourrissant, l’idée selon laquelle notre société serait victime d’une violence croissante <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-de-la-violence-robert-muchembled/9782757850091">s’est depuis longtemps installée</a> dans le paysage politique français. Auparavant utilisé pour caractériser – et caricaturer – l’évolution des banlieues, cet argument sert désormais pour discréditer aussi bien les débats à l’Assemblée que les manifestants.</p>
<p>Il est évident qu’existe aujourd’hui une violence dans notre société, mais celle-ci n’est pas un phénomène nouveau. La loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038358582">« anticasseurs » du 10 avril 2019</a> fait écho aux précédentes lois <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/loi-anti-casseurs-un-air-de-1970-souffle-sur-la-france_3135749.html">« anticasseurs » de 1970</a> ou de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000516044">1981</a> élaborées pour lutter <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/autonomes-manifestations-anarchistes-annees-1970">contre les « autonomes »</a>, sans parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/09/01/apres-les-incidents-au-parc-des-princes-m-pasqua-se-dit-oppose-a-l-adoption-d-une-loi-specifique-pour-lutter-contre-la-violence-dans-les-stades_3938708_1819218.html">propositions « Pasqua » en 1993</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Interview de Charles Pasqua autour de la loi sur la sécurité intérieure, 1993, Antenne 2, INA.</span></figcaption>
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<p>Le romantisme associé à mai 1968 cache souvent la violence de ce moment, avec des barricades fermant des rues en plein centre de Paris et des policiers blessés par les petits pavés parisiens, excellente arme de jet. Le fameux discours du préfet Grimaud incitant les policiers à la modération dans la répression, en mai 1968, insiste aussi sur la « sauvagerie des agressions contre la police », évoquant comme aujourd’hui les « jets de produits chimiques destinés <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html">à aveugler ou à brûler gravement</a> ».</p>
<p>Comme on le voit, la violence n’est donc pas nouvelle ni croissante, et c’est bien pour cela qu’ont été créées les <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-et-dictionnaire-de-la-police-9782221085738.html">unités spéciales de maintien de l’ordre CRS en 1944 et gendarmes mobiles en 1921</a> : pour éviter que ne dérivent des situations potentiellement violentes tout en protégeant davantage l’État. Insister sur cette prétendue nouveauté, c’est montrer ses limites dans la gestion d’un phénomène pourtant courant.</p>
<h2>Des mobilisations policières récurrentes</h2>
<p>La nouveauté, pourtant non prouvée, de cette violence obligerait à des dispositifs <a href="https://www.leparisien.fr/economie/retraites/retraites-un-dispositif-de-securite-inedit-pour-ce-mardi-avec-13-000-policiers-et-gendarmes-mobilises-27-03-2023-BNM7TRQ7JBBA3J274OAJBXWOTQ.php">« exceptionnels » ou « inédits »</a>. Mais cet argument de « l’exceptionnel » ne cesse d’être répété par les différents titulaires du poste. Par exemple, le nombre des policiers mobilisés lors des manifestations anti-CPE de 2006 était plus important que celui annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite/2006/04/04/01001-20060404ARTFIG90236-_policiers_et_gendarmes_mobilises.php">lors des dernières mobilisations</a>. En 2018, les blindés de la Gendarmerie devaient apporter la réponse aux violences des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lk87fWhupcY">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Là aussi, ce rapide retour en arrière nous montre que <a href="https://journals.openedition.org/ejts/4720?lang=tr">« le spectacle de la police des foules »</a> exige des déclarations montrant combien le ministre est capable de mettre en place des troupes pour protéger les citoyens.</p>
<p>Et, parmi les discours récurrents dénonçant la violence croissante de « l’ultra gauche », on voit aussi ressortir <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/manifestations-du-28-mars-darmanin-annonce-un-dispositif-inedit-de-13-000-forces-de-l-ordre-dont-5500-a-paris_AN-202303270640.html">l’argument de l’étranger</a> qui serait responsable à lui seul d’une radicalisation des mouvements sociaux, sans que soit d’ailleurs précisé quel serait cet étranger.</p>
<p>Ce discours a été entendu dans le cas de Sainte-Soline, mais il s’inscrit dans le prolongement d’un discours anti-écologiste <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/vital-michalon-creys-malville-manifestation">né à Creys-Malville en 1977</a>. À cette époque, il était largement alimenté par la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00258/les-manifestations-de-creys-malville.html">xénophobie anti-allemande</a> où le souvenir de l’occupation était encore très fort et le désordre associé aux combats écologistes d’outre-Rhin.</p>
<h2>Discréditer les droits de l’Homme</h2>
<p>À une autre échelle, cette vision dénonçant « l’étranger » permet du même coup de <a href="https://journals.openedition.org/revdh/3598?lang=es">discréditer</a> toutes les instances internationales <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/06/21/violences-policieres-la-france-condamnee-par-la-cedh-pour-negligence-dans-la-mort-d-ali-ziri_1660971">condamnant</a> les violences commises par la police française, et qui feraient <a href="https://www.lepoint.fr/faits-divers/violences-policieres-la-condamnation-qui-embarrasse-la-france-27-05-2019-2315369_2627.php">partie du complot contre la France</a>. Le ministère de l’Intérieur qui disposerait selon lui de la meilleure police, impossible à critiquer, rejette ainsi toute comparaison internationale qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">pourrait lui nuire</a>.</p>
<p>Dans le même ordre d’idée, on pourrait évoquer les arguments sur la <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/perimetres-dinterdiction-de-manifestation-ladministration-prefectorale-organisait-sciemment-lincontestabilite-de-ses-arretes-par-serge-slama/">légalité de l’action gouvernementale</a> justifiant l’usage de la police à employer la force, ou l’utilisation <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2021-1-page-33.htm">détournée du sociologue Max Weber par G. Darmanin dans ce but</a>.</p>
<p>La reprise négative du discours contre les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/droit-de-l-hommisme-histoire-d-un-neologisme-pejoratif-8107313">« droits-de-l’hommisme »</a>, singeant Jean-Pierre Chevènement en 1999 ou N. Sarkozy en 2002 va dans le même sens.</p>
<h2>Artifices rhétoriques</h2>
<p>Tous ces artifices rhétoriques sont destinés à dissimuler les vraies questions qui se posent à l’occasion des manifestations et de leur répression : la qualité du débat démocratique et, pour ce qui concerne la police, la <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">qualité des armes et stratégies utilisées</a>. </p>
<p>Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-police, mais de réfléchir collectivement sur ce qu’est une bonne police, démocratique, acceptable, et qui ne justifie pas à tout prix les écarts de quelques-uns de ses éléments.</p>
<p>Une réflexion doit aussi être lancée sur l’instrumentalisation de plus en plus visible de l’outil policier pour éviter les débats qui ne conviennent pas à ceux qui tiennent le pouvoir exécutif, et les dérives de candidats à la magistrature suprême qui pense que les seules qualités pour y arriver sont l’autoritarisme, l’obstination et le manque d’ouverture sur l’extérieur.</p>
<p>Ce discours serait risible s’il ne causait pas des blessures de plus en plus graves tant du côté des manifestants que des forces de l’ordre. Car le mépris vis-à-vis des contestataires n’a d’égal que celui pour ses policiers, soignés certes à travers des <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4031564-20230406-reforme-retraites-darmanin-defend-gestion-maintient-ordre-manifestation-devant-alliance">mesures catégorielles</a> mais pourtant envoyés jusqu’à l’usure combattre des idées que beaucoup d’entre eux partagent pourtant, notamment sur les retraites.</p>
<p>Finalement, malgré les discours, le ministre soucieux d’imposer une image d’autorité se soucie assez peu que des policiers ou des gendarmes soient blessés pour défendre son image et celle de l’exécutif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna a reçu des financements du Ministère de la Justice, de l'ANR et de l'ADEME pour les recherches qu'il mène actuellement </span></em></p>La rhétorique sur l’insécurité et les violences émanant du ministère de l’Intérieur permettent d’éviter un débat de fond sur la réforme de l’institution policière.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2017262023-03-14T20:01:01Z2023-03-14T20:01:01ZRetraites : pourquoi de nombreuses pensions resteront inférieures à 1 200 euros malgré la réforme<p>Lors la <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/287799-elisabeth-borne-10012023-reforme-des-retraites">présentation du projet de loi</a> relatif à la réforme des retraites en conférence de presse, projet dont l’examen vient de s’achever au Sénat et examiné en commission mixte paritaire ce mercredi 15 mars, une revalorisation des petites retraites au niveau de 1 200 euros mensuels avait été annoncée par le gouvernement. Élisabeth Borne, première ministre, l’a ainsi formulé :</p>
<blockquote>
<p>« Conformément à notre engagement, les salariés et les indépendants, notamment les artisans et commerçants, qui ont cotisé toute leur vie avec des revenus autour du smic, partiront désormais avec une pension de 85 % du smic net, soit une augmentation de 100 euros par mois. C’est près de 1 200 euros par mois dès cette année. »</p>
</blockquote>
<p>Bien des controverses ont ensuite suivi. Qui serait véritablement concerné ? Ce plancher vaudrait-il pour tous ? À côté de l’économiste Michael Zemmour qui, dans les médias, invite à <a href="https://www.liberation.fr/checknews/debat-salamezemmour-les-salaries-ayant-eu-une-carriere-complete-sont-ils-assures-dune-pension-de-1-200-euros-20230208_4WIJVUBVMVC7JFEMJJOAV47WPE/">nuancer fortement</a> l’ampleur de ce progrès et à rejeter le vocable « pension minimum à 1 200 euros », la communication du gouvernement reste confuse. Montant brut, montant net ? Quelles conditions pour en bénéficier ? Tout récemment, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a par exemple <a href="https://www.tf1info.fr/politique/reforme-des-retraites-1200-euros-10-000-a-20-000-personnes-concernees-chaque-annee-au-lieu-des-40-000-annoncees-2249579.html">revu à la baisse</a> le nombre de bénéficiaires estimés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632341916560785409"}"></div></p>
<p>Ce flou semble en grande partie lié à la complexité du système de minima dans le système de retraite français. Coexistent en fait deux mécanismes destinés aux retraités ayant les revenus les plus faibles : les minima de pension et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Les minima renvoient à un mécanisme de calcul de la pension de retraite soumis à condition et ne constituent donc pas un minimum de pension unique (que l’on pourrait par exemple fixer à 1 200 euros). Certaines petites retraites y échappent d’ailleurs. L’Aspa qui garantit un niveau de vie minimum aux retraités, elle, est bien fixe, mais elle répond à une tout autre logique sociale que celle liée au calcul d’une pension de retraite.</p>
<h2>Des assurés non couverts par les minimas</h2>
<p>Les minima de pension ont vocation, comme leur nom l’indique, à garantir un niveau minimum de pension à certains retraités. Ils bénéficient uniquement aux retraités qui partent à la retraite à taux plein et qui auraient touché une pension de retraite inférieure. Le mécanisme le plus connu est celui du « minimum contributif » qui couvre les assurés du régime général, les plus nombreux.</p>
<p>Des dispositifs similaires existent néanmoins dans les autres régimes de retraite « de base », par exemple ceux de la fonction publique. En revanche, dans les régimes « complémentaires », comme l’Agirc-Arrco pour les salariés du secteur privé, ces systèmes n’existent pas : la pension de retraite y dépend uniquement d’un nombre de points acquis par le salarié au cours de sa carrière.</p>
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<p>Pour bénéficier du minimum de pension, il faut partir à la retraite à taux plein. C’est-à-dire qu’il faut soit avoir validé le nombre de trimestres requis, 168 pour un assuré né début 1961, l’équivalent de 42 ans, soit prendre sa retraite à 67 ans ou plus. Le taux plein est également acquis de droit pour les assurés qui sont reconnus invalides ou inaptes au travail.</p>
<p>Ce minimum ne concerne donc pas tout le monde. Pour les personnes qui ont de faibles revenus d’activité, des carrières incomplètes et qui ne peuvent pas prendre leur retraite à taux plein, c’est la triple peine : de petits salaires, une pension calculée avec décote et qui ne sera pas portée au niveau du minimum de pension.</p>
<h2>Il n’existe pas de minimum de pension universel</h2>
<p>Il faut bien avoir en tête qu’il n’y a pas de montant fixe derrière ce dispositif. C’est en fait un calcul qui repose sur un minimum « socle », fixé au 1<sup>er</sup> janvier à <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F15522">684 euros</a> mensuels (tous les montants évoqués par la suite sont mensuels). Il est « majoré » à 748 euros pour les assurés ayant validé au moins 120 trimestres au titre de l’emploi. Ne sont ainsi pas pris en compte pour le calcul de ces 120 trimestres, les trimestres validés pour congés maladie, maternité, ou pour les périodes de chômage.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632663576165900293"}"></div></p>
<p>Ce montant est ensuite multiplié par le nombre de trimestres validés par l’assuré et divisé par le nombre de trimestres requis pour le taux plein. Prenons par exemple le cas d’un salarié du secteur privé, né en 1961 qui a validé seulement 100 trimestres sur les 168 requis pour le taux plein. Le calcul se fera sur le « socle » car nous sommes en deçà des 120 trimestres et le minimum de pension qui s’applique est de (100/168) x 684 = 407 euros.</p>
<p>Pour donner un ordre d’idée, en 2016, parmi les nouveaux retraités, <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-05/08-Les_beneficiaires_d-un_minimum_de_pension.pdf">20 % bénéficient d’un minimum de pension</a> selon les données de la Drees. Dans son dernier <a href="https://www.cor-retraites.fr/node/595">rapport</a>, le Conseil d’orientation des retraites (COR), calcule qu’un assuré de la génération 1960 qui aurait eu une carrière complète au smic et une pension au taux plein n’en bénéficie quasiment pas : sa pension calculée au régime général atteint déjà quasiment les 748 euros du minimum majoré. En y ajoutant la pension servie par le régime complémentaire Agirc-Arrco (environ 380 euros), sa pension totale s’élève à 1130 euros brut soit 1080 euros net.</p>
<p>De nombreux paramètres (notamment les trimestres validés et la pension Agirc-Arrco) entrent donc en ligne de compte pour le calcul des petites pensions et il n’existe donc pas véritablement de pension de retraite minimale « universelle » qui s’appliquerait à tous les retraités. Lorsque le gouvernement propose « une pension minimale à 1 200 euros par mois soit 85 % du smic », de quoi s’agit-il alors exactement ? Comment parvenir à ces chiffres ?</p>
<p>En pratique, cette mesure se traduirait par la revalorisation des deux minima contributifs : le minimum socle serait revalorisé de 25 euros et le contributif majoré de 100 euros. Avec les régimes complémentaires, cela permettra alors, pour un salarié au smic durant une carrière complète, d’atteindre environ 1230 euros brut, 1150 euros net, soit environ 85 % du smic, le niveau annoncé par le gouvernement. Beaucoup de pensions de retraite resteront donc inférieures à 1 200 euros mensuels et la revalorisation s’avèrera surtout significative pour les retraités du secteur privé qui remplissent la condition des 120 trimestres validés au titre de l’emploi.</p>
<h2>Deux mécanismes, deux logiques</h2>
<p>Il ne faut de plus pas confondre les minimas de pensions avec un second mécanisme : l’Aspa, aussi appelée « minimum vieillesse ». Cette allocation garantit aux retraités âgés de plus de 65 ans un montant minimal de revenu de <a href="https://www.lassuranceretraite.fr/portail-info/hors-menu/annexe/salaries/montant-retraite/aspa.html">961 euros</a> pour une personne seule et de 1492 euros pour un couple. Elle vient en complément : une personne seule qui toucherait 700 euros au titre de sa pension de retraite se verrait verser le complément, soit 261 euros au titre de l’Aspa. Les sommes ainsi versées sont récupérées au moment de la succession si le patrimoine laissé par le défunt atteint un certain montant.</p>
<p>L’Aspa a fait l’objet d’une <a href="https://www.legislation.cnav.fr/Pages/bareme.aspx?Nom=aspa_montant_bar">revalorisation significative</a> sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron : +160 euros pour une personne seule et +240 euros pour un couple. En 2020, selon la Drees, un peu plus de <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-05/26%20-%20Les%20allocataires%20du%20minimum%20vieillesse%20et%20les%20montants%20vers%C3%A9s_0.pdf">4 % des personnes de plus de 65 ans</a> la recevaient, soit 635 000 allocataires.</p>
<p>L’Aspa et les minima de pension répondent en fait à des logiques et à des objectifs de politique publique différents. La première est un minimum social dont le fonctionnement est à rapprocher de celui du RSA : elle vise à garantir un niveau de vie minimum aux retraités, quelle que soit leur situation. À l’inverse les seconds doivent être perçus comme une contrepartie minimale offerte à l’assuré pour un effort contributif qu’il a fourni. Il revient à considérer que chaque trimestre validé par l’assuré ne peut pas être valorisé en dessous d’un certain seuil au moment de la retraite. Le minimum de pension peut ainsi être touché quels que soient les autres revenus dont dispose le foyer de l’assuré, en particulier les revenus d’un éventuel conjoint.</p>
<p>Une pension minimale à 1 200 euros, telle qu’on pourrait la discuter dans le cadre d’une réforme des retraites, diffère ainsi d’une Aspa à 1 200 euros, débats aux enjeux connexes mais distincts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201726/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Henri Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Parler de « retraite minimum » est chose complexe : les dispositifs de pension ne couvrent pas tous les assurés et n’octroient pas un montant fixe comme le minimum vieillesse.Henri Martin, Economie, systèmes de retraite, protection sociale, inégalités, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1995522023-03-02T20:01:00Z2023-03-02T20:01:00ZCovid-19 : comment les discours conspirationnistes se sont engouffrés dans les failles de com’ du gouvernement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511387/original/file-20230221-22-weafsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C2542%2C1644&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Outre la propagation rapide et massive de la pandémie, le monde s’est trouvé confronté dès le début de l’année 2020 à un autre type de perturbation : un dérèglement informationnel, parfois qualifié d’ infodémie ».</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis 2020, la pandémie de Covid-19 a généré dans différentes parties du monde des inquiétudes et des incertitudes légitimes face à la maladie et les réponses sanitaires et politiques qui lui ont été apportées. Mais, elle a également donné naissance à diverses <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/oa-edit/10.4324/9781003330769/Covid-conspiracy-theories-global-perspective-michael-butter-peter-knight">« théories du complot »</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2020-2-page-371.htm?contenu=resume">fake news</a> et autres expressions de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953618306798">« populisme médical »</a> contestant les avancées des connaissances scientifiques à propos du virus et certaines mesures mises en place par les gouvernements pour tenter de juguler le <a href="https://journals.openedition.org/revss/8113">développement de la pandémie</a>.</p>
<p>Précisons que contester ou critiquer les politiques sanitaires mises en place, notamment lorsqu’il s’agit de mesures de privation ou de restriction des libertés publiques, n’est en rien immédiatement réductible et (dis)qualifiable de <a href="https://theconversation.com/theories-du-complot-de-quoi-ne-parle-t-on-pas-162485">complotisme</a>, d’obscurantisme ou d’irrationalité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-laccusation-de-complotisme-disqualifie-et-polarise-le-debat-public-178666">Quand l’accusation de « complotisme » disqualifie et polarise le débat public</a>
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<p>Néanmoins, les failles de la communication gouvernementale en France, depuis le début de l’année 2020, ont facilité l’émergence de discours conspirationnistes. Ces derniers ont participé de différentes stratégies de démarcation pour plusieurs (pré)candidats, notamment <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/oa-edit/10.4324/9781003330769-20/Covid-19-conspiracy-theories-france-julien-giry?context=ubx&refId=253d1af9-3bf7-4c44-a760-d9969949481e">au sein des droites extrêmes</a>.</p>
<h2>Des épidémies aux « infodémies »</h2>
<p>A suivre l’<a href="https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/situation-reports/20200202-sitrep-13-ncov-v3.pdf">Organisation mondiale de la Santé (OMS)</a>, outre la propagation rapide et massive de la pandémie, le monde s’est trouvé confronté dès 2020 à un autre type de perturbation : un dérèglement informationnel, parfois qualifié d’<a href="https://www.jmir.org/2020/6/e21820/">« infodémie »</a>, c’est-à-dire la circulation et la succession, inédites dans leur rapidité et leur ampleur, d’informations vraies ou fausses, aux statuts incertains et fluctuants, et parfois contradictoires.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Il fut alors très difficile pour les publics de s’y retrouver et de savoir à quelles informations et à quelles autorités il convenait de faire confiance : les scientifiques et les experts, les professionnels des médias et de la politique, les influenceurs sur les réseaux socionumériques et les médias alternatifs ?</p>
<p>Dans ce contexte de brouillage informationnel, trois facteurs ont contribué à ouvrir une <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques--9782724615500-page-274.htm">fenêtre d’opportunité</a> pour l’émergence de discours alternatifs, conspirationnistes pour certains.</p>
<p>Le premier, et sans doute le plus évident, fut le développement même d’un virus à propos duquel le savoir scientifique et médical était encore balbutiant, y compris dans sa dénomination : le/la Covid-19, le coronavirus, le SARS-CoV-2, le 2019-nCoV,le « virus chinois », etc. Cette « science en train de se faire » et les discours parfois opposés des experts – on pense au cas du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2020-3-page-124.htm">Dr Raoult</a> – ou des journalistes invités à s’exprimer dans les médias traditionnels ont alimenté la confusion au sein des publics.</p>
<p>Ce virus a aussi émergé dans un contexte de haut degré de défiance structurelle des citoyens vis-à-vis des <a href="https://www.kantar.com/fr/inspirations/publicite-medias-et-rp/2021-barometre-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media">professionnels des médias</a> et de la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">politique</a>, et plus généralement des discours officiels et/ou institutionnels (OMS, ministère de la Santé, ARS, etc.).</p>
<p>Enfin, d’un point de vue conjoncturel, la cacophonie communicationnelle du gouvernement n’a rien fait pour améliorer la confiance dans les pouvoirs publics.</p>
<h2>Des injonctions contradictoires</h2>
<p>Dès la première quinzaine de mars, les injonctions contradictoires se succèdent à propos de la fermeture des écoles, de la nécessité de changer/maintenir nos habitudes de sociabilités (visites interdite dans les Ehpad mais sortie <a href="https://www.bfmtv.com/people/emmanuel-et-brigitte-macron-au-theatre-pour-inciter-les-francais-a-sortir-malgre-le-coronavirus_AN-202003070063.html">présidentielle au théâtre</a>), des élections municipales (<a href="https://www.lagazettedescommunes.com/749562/municipales-2020-le-juge-de-lelection-face-au-Covid-19/">restez chez vous, mais allez voter</a>). Le point d’orgue de cette séquence étant l’annonce, le 16 mars, par le président d’un confinement « de 15 jours au moins ».</p>
<p>Puis, en avril-mai, la nécessité du port du masque en population générale est sujette à revirement de doctrine. En septembre-octobre, contrairement à d’autres pays, la possibilité de mettre en place rapidement une campagne de vaccination massive est balayée de la main par les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-ethique-appliquee-2021-1-page-141.htm">experts gouvernementaux et les médias</a>. Enfin, la suspension/réintroduction du vaccin AstraZeneca en mars 2021 est l’objet d’une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/suspension-d-astrazeneca-les-complotistes-tourneront-toujours-la-situation-a-leur-avantage_2146931.html">communication totalement inaudible</a>).</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-de-communication-de-crise-lexecutif-face-aux-francais-158144">Un an de communication de crise : l’exécutif face aux Français</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En somme, tous ces éléments ont favorisé l’émergence et la circulation dans l’espace public de discours alternatifs ou complotistes à même de donner du sens à la pandémie.</p>
<h2>Des ressemblances avec les autres grandes crises sanitaires</h2>
<p>Sur le fond, plus que l’originalité des <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2022-2-page-43.htm">fake news et « théories du complot »</a> qui entourent le Covid-19, ce qui frappe l’observateur est au contraire les ressemblances avec celles avancées lors des précédentes crises sanitaires depuis les grippes <a href="https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2014-2-page-78.htm">« russe »</a> (1899-1890) et <a href="https://theconversation.com/Covid-19-et-grippe-espagnole-quand-la-presse-du-xx-si%C3%A8cle-rappelle-celle-de-2020-137035">« espagnole »</a> (1918-1921) jusqu’à la grippe « mexicaine » (2009) en passant par le sida (depuis 1982) ou le SARS-CoV (2002-2004).</p>
<p>Plusieurs thématiques, déclinées dans le tableau ci-dessous, semblent récurrentes. On pense à l’altérisation de la maladie menaçante, c’est-à-dire le fait de la désigner comme étrangère, le rejet des nouvelles technologies et des élites prétendument corrompues et aux intérêts opposés à ceux du peuple, la négation de la gravité de la maladie et la formulation de propositions thérapeutiques alternatives.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les principales thématiques complotistes et désinformationnelles en lien avec les crises sanitaires" src="https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511419/original/file-20230221-28-53ez16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les principales thématiques complotistes et désinformationnelles en lien avec les crises sanitaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien Giry, 2022</span></span>
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<p>Si ces théories conspirationnistes et fake news relatives au Covid-19 se sont principalement propagées sur Internet, tant sur les réseaux alternatifs tels <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2021.1938165">4Chan, Odyssée, Gab ou 8Kun</a>) que sur des plates-formes plus institutionnalisées comme Reddit, Twitter, Instagram, Facebook ou YouTube – on pense notamment au documentaire <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hold-up_(film,_2020)">Hold-Up</a> – ainsi que sur des sites conspirationnistes comme Égalité & Réconciliation, FranceSoir, RéInfo Covid, ou Riposte laïque, il convient toutefois de souligner que celles-ci ont débordé l’espace numérique et ont donné lieu à de véritables usages stratégiques durant la (pré)campagne électorale de 2022.</p>
<h2>Des usages politiques du complotisme</h2>
<p>Pour les candidats qui prétendaient accéder au second tour, voire à la victoire, lors de la dernière élection présidentielle, le complotisme médical a largement constitué un repoussoir, contrairement à d’autres thèmes conspirationnistes, comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_remplacement">« Grand Remplacement » par exemple</a> qui a été mobilisé par Éric Zemmour et Marine Le Pen par exemple.</p>
<p>Cependant, on observe que des « petits candidats » ont pu être tentés de chercher à convertir ces narratifs en ressources et capitaux politiques.</p>
<p>En adoptant des positions hétérodoxes, voire disqualifiées au sein des champs politiques, médiatiques et scientifiques à propos de la vaccination ou de l’instauration d’une prétendue « dictature sanitaire », des personnalités situées aux extrêmes droites telles que Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan ou encore François Asselineau ont cherché, certes sans succès, à porter un discours anti-élites à même de fédérer un mouvement de protestation populaire potentiellement monnayable en gains électoraux.</p>
<p>Ainsi, dès la mi-2020, Philippot et d’autres groupes ont organisé, à Paris d’abord et en province ensuite, des rassemblements hebdomadaires pour dénoncer l’introduction d’une « dictature sanitaire », puis du passe vaccinal, et défendre les libertés individuelles. Parmi les participants, citons différentes personnalités ayant endossé des positions complotistes : Francis Lalanne, Jean-Marie Bigard, Pierre Cassen (Riposte laïque), Richard Boutry (FranceSoir), Louis Fouché (RéInfo Covid) ou encore Martine Wonner.</p>
<p>Si ces tentatives de mobilisations ont été épisodiquement plus ou moins suivies dans la rue jusqu’en septembre 2021, elles ont clairement échoué sur le plan électoral en 2022. Plusieurs pistes d’explication <a href="https://www.slate.fr/story/229475/mouvement-anti-restrictions-complotistes-antivax-echec-lalanne-philippot-wonner-rohaut-legislatives">peuvent être avancées</a>.</p>
<p>Au sein du champ politique tout d’abord, bien que le complotisme pointe avec justesse certains dysfonctionnements et maux des régimes représentatifs, il ne constitue pas un programme de gouvernement dans la mesure où il procède davantage du registre de la dénonciation ou de la protestation que de propositions politiques alternatives réellement applicables. Surtout, même si le complotisme pointe des dysfonctionnements réels, il se méprend en les attribuant à l’action de groupes d’individus secrets et omnipotents alors que leurs causes et leurs effets sont le produit de structures sociales de domination qui échappent elles-mêmes largement aux titulaires du pouvoir.</p>
<p>Il convient aussi de répéter avec force qu’il n’existe pas d’équivalence totale entre ce qui se passe sur le web (clics, vues, traction, etc.), et en tout particulier sur les réseaux socionumériques, et le champ social. Le poids du complotisme est largement surestimé dans la société (effet de loupe à l’activité de minorités agissantes et organisées sur les réseaux socionumériques) par certains « experts » dans les médias et les militants « anti-conspi » qui participent et alimentent en même temps une panique morale qui touche une frange des <a href="https://aoc.media/analyse/2022/01/19/panique-morale-a-lelysee-sur-le-rapport-de-la-commission-bronner/">élites politiques et médiatiques</a>. Plus encore, les médias traditionnels participent d’un second effet de loupe en focalisant l’attention des publics sur des épiphénomènes limités aux réseaux socionumériques et qui, sans leur intervention, seraient passés inaperçus. On pense ainsi en décembre 2022 à cette rumeur transphobe insinuant que Brigitte Macron serait en réalité née de sexe masculin sous le <a href="https://www.liberation.fr/checknews/jeanmicheltrogneux-quelle-est-lorigine-de-la-fake-news-transphobe-visant-brigitte-macron-20211215_VADA3N3GAZDBJESOF2MYYAVEII/">patronyme de Jean-Michel</a>.]</p>
<p>Pour en revenir aux discours conspirationnistes en lien avec le Covid-19, bien que largement minoritaires au sein de la population, ils attestent cependant <a href="https://cnnumerique.fr/le-complotisme-est-un-processus-social-entretien-avec-julien-giry">d’une grande défiance d’une frange de la population, d’une forte polarisation</a> qui s’est traduite lors du cycle électoral de 2022 par une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/11/sept-cartes-et-graphiques-pour-comprendre-l-abstention-au-premier-tour-de-la-presidentielle-2022_6121706_4355770.html">forte abstention</a>, la marginalisation des partis de gouvernement traditionnel ainsi que l’accentuation de la poussée et de la normalisation des droites extrêmes. Ceux sont là autant de marqueurs d’une défiance profonde d’une patrie des Français envers les institutions que la réélection d’Emmanuel Macron <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284746-presidentielle-2022-les-resultats-du-premier-tour">ne doit en rien occulter</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199552/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Giry est membre du CSA - Fédération Wallonie Bruxelles</span></em></p>Partout à travers le monde, la pandémie de Covid-19 a donné lieu à de nombreuses théories complotistes. Retour sur les facteurs à l’origine de cette infodémie dans notre pays.Julien Giry, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988212023-01-31T19:33:27Z2023-01-31T19:33:27ZIsraël : sur fond de tensions croissantes, l’attaque frontale du gouvernement contre la Cour suprême<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507109/original/file-20230130-22-idyjyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C33%2C7326%2C4869&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestations à Tel-Aviv le 21&nbsp;janvier 2023 contre le projet de réforme de la justice avancé par le nouveau gouvernement Nétanyahou.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tel-aviv-israel-january-21-2023-2253746903">Avi Rozen/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Près d’un mois après l’arrivée aux affaires du gouvernement de Benyamin Nétanyahou – le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/israel-netanyahou-nomme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-20221229_VP5PALAYCBG5ZIQQGGNOXEAB5U/">plus à droite de toute l’histoire du pays</a> –, Israël est le théâtre d’une <a href="https://www.tdg.ch/jerusalem-au-bord-dun-nouvel-embrasement-771522050513">nouvelle flambée de violence</a>. En toile de fond, un âpre conflit met aux prises le pouvoir exécutif et la Cour suprême. Celle-ci a d’ailleurs <a href="https://www.lefigaro.fr/international/israel-la-cour-supreme-invalide-la-nomination-d-un-ministre-de-netanyahou-20230118">invalidé, le 18 janvier, l’un des ministres nommés par Nétanyahou</a>.</p>
<p>Voilà des années que la droite israélienne accuse les juges de la Cour suprême d’avoir confisqué le pouvoir des députés démocratiquement élus par le peuple. Les mêmes reproches reviennent en boucle : une petite élite se serait érigée en un « gouvernement des juges ». Elle se serait arrogé le droit d’annuler des lois ordinaires votées par la Knesset. Tout-puissants, ces juges, fortement marqués à gauche, entraveraient l’action de l’exécutif. Leurs arrêts seraient purement idéologiques. Et leur nomination relèverait d’un système de cooptation opaque.</p>
<p>Ce narratif prend très bien dans une partie de l’opinion. Il a récemment reçu le soutien de personnalités prestigieuses. Exemple parmi d’autres : Israel Aumann, prix Nobel d’Économie en 2005, vient de dénoncer « l’activisme de la Cour suprême » et ses décisions « tendancieuses, orientées nettement à gauche », affirmant que les juges « se nomment eux-mêmes et choisissent des magistrats qui pensent comme eux » et allant jusqu’à parler de « dictature du pouvoir judiciaire ».</p>
<p>De même, le magazine américain <a href="https://www.newsweek.com/israels-judicial-reform-controversy-much-ado-about-nothing-opinion-1775181"><em>Newsweek</em></a> critique la « juristocratie » israélienne qui se serait arrogé « un pouvoir sans précédent pour une Cour suprême dans une démocratie de type occidental », usurpant le pouvoir d’« annuler n’importe quel texte de loi à tout moment, pour quelque raison que ce soit ».</p>
<p>Ces accusations ont justifié les <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230105-en-isra%C3%ABl-une-r%C3%A9forme-majeure-de-la-cour-supr%C3%AAme-envisag%C3%A9e-par-le-ministre-de-la-justice-yariv-levin">initiatives du nouveau ministre de la Justice, Yariv Levin</a>, nommé fin décembre 2022, destinées à réduire significativement les prérogatives de la Cour suprême. Il projette, avec le soutien de Benyamin Nétanyahou, de faire adopter la « clause du contournement », qui permettrait aux parlementaires de revoter au bout de trois mois une loi ordinaire annulée par la Cour suprême, à une majorité non qualifiée de 61 députés sur les 120 que compte la Knesset. Auquel cas la loi annulée serait déclarée valide. Le ministre souhaite également peser sur les nominations des juges, pour « mettre fin à (leur) élection par leurs confrères ». Un programme que ne renierait pas <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-nouvelles-reformes-de-viktor-orban-provoquent-un-tolle-en-hongrie/">Viktor Orban</a>…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SBJ846Sl8mY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Qui nomme les juges ?</h2>
<p>Mais ces accusations sont-elles fondées ? Rien n’est moins sûr.</p>
<p>Commençons par la <a href="https://en.idi.org.il/galleries/25686">nomination des juges</a>. Il est faux de dire que les magistrats se « choisissent eux-mêmes ». Les 15 juges qui composent la Cour suprême sont choisis par une commission de neuf membres présidée par le ministre de la Justice : deux membres du gouvernement, trois juges de la Cour, dont son président, deux députés et deux représentants de l’Ordre des avocats.</p>
<p>Inamovibles, ils prennent leur retraite à l’âge de 70 ans. Le choix des juges dépend du rapport de forces qui se crée au sein de cette commission. Il arrive qu’il penche du côté des juges et à d’autres moments du côté du gouvernement.</p>
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<p>En février 2017, la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, a réussi, en <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20170223-cour-supreme-israel-quatre-nouveaux-juges-conservateurs-nommes">exerçant des pressions sur les représentants du barreau</a>, à faire nommer trois juges « conservateurs » parmi les quatre juges devant être nommés. Dans la même veine, le ministre Levin ne veut voir à la Cour que des juges favorables à la droite.</p>
<h2>Une « révolution constitutionnelle » exagérée</h2>
<p>Depuis la naissance de l’État, la <a href="https://www.cairn.info/revue-nouveaux-cahiers-conseil-constitutionnel-2012-2-page-243.htm">Cour suprême a joué un rôle très important</a> en matière de défense des droits et des libertés, désavouant à plusieurs reprises des lois qui ne respectaient pas les valeurs d’égalité et de justice. À partir de la décennie 1980, elle a connu une importante mutation. Le droit de saisine de la Cour s’est élargi. Elle a étendu le champ de son intervention, proclamant que « tout était justiciable ».</p>
<p><a href="http://juspoliticum.com/article/La-Cour-supreme-et-la-Constitution-en-Israel-Entre-activisme-et-prudence-judiciaire-156.html">Les juges allèrent encore de l’avant</a>, pour protéger des droits non expressément garantis, comme le principe d’égalité, qui n’est protégé par aucune loi fondamentale. Pour contourner cette anomalie, ils s’appuyèrent sur deux lois fondamentales votées en 1992, sur la « Liberté professionnelle » et sur la « Dignité et la liberté de l’homme », interprétant le droit à l’égalité comme relevant de la « dignité de l’homme ».</p>
<p>En 1995, <a href="https://versa.cardozo.yu.edu/opinions/united-mizrahi-bank-v-migdal-cooperative-village">l’arrêt United Mizrahi Bank</a> ébranla les règles du jeu. La Cour suprême affirma dans un premier temps que les lois fondamentales de 1992 devaient être considérées comme des textes suprêmes garantis par le juge. Ce fait ne fut pas contesté à l’époque par les députés. Une fois la supériorité de ces lois fondamentales admise, les juges se sont reconnu le droit de contrôler la constitutionnalité des lois ordinaires votées par la Knesset au regard de ces lois fondamentales. Ils étaient intervenus dans ce sens une première fois en <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/israel-law-review/article/abs/aharon-a-bergman-v-the-minister-of-finance-and/075AC022BCEE40EB9DCABC7A37282E2C">1969 (arrêt Bergman)</a>, et à l’époque cette décision ne fut pas contestée.</p>
<p>S’agit-il d’« un pouvoir sans précédent pour une Cour suprême dans une démocratie de type occidental », comme l’affirme <em>Newsweek</em> ? Son éditorialiste ignore sans doute que la Cour israélienne s’était inspirée… des États-Unis. Dans l’arrêt <a href="https://mafr.fr/fr/article/cour-supreme-des-etats-unis/">Marbury vs. Madison</a> du 24 février 1803, la Cour suprême américaine avait décidé, dans une affaire secondaire, qu’elle seule pouvait statuer sur la constitutionnalité des lois et rejeter celles qui ne sont pas conformes à la Constitution, bien qu’aucun texte constitutionnel ne lui confère cette prérogative. Pour le juge <a href="https://www.cairn.info/revue-droits-2019-2-page-121.htm">John Marshall</a>, la Constitution étant la norme suprême, tout acte contraire à la Constitution devant être frappé de nullité. Le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois par la Cour procédait, selon lui, de l’esprit de la Constitution américaine. Cette interprétation fut adoptée par le pays, malgré les <a href="https://www.yoramrabin.org/wp-content/uploads/2017/12/Yoram-Rabin-Arnon-Gutfeld-Marbury-v.-Madison-and-its-Impact-on-the-Israeli-Constitutional-Law-15-University-of-Miami-International-and-Comparative-Law-Review-303-2007..pdf">critiques émises par le président des États-Unis, Thomas Jefferson</a>, qui dénonça le « despotisme d’une oligarchie ».</p>
<h2>Un « gouvernement des juges » ?</h2>
<p>La droite reproche régulièrement à la Cour d’« abuser » de ses pouvoirs et d’« empêcher le gouvernement de gouverner ». Mais, en réalité, dans de nombreux cas, la Cour suprême a fait preuve d’une grande frilosité. Depuis la « révolution constitutionnelle » de 1995, elle s’est montrée prudente, consciente qu’un excès de pouvoir se retournerait contre elle.</p>
<p>Elle a réduit le nombre d’annulations pures et simples de lois ordinaires, de manière à épargner, autant que possible, une rebuffade aux parlementaires. La plupart du temps, elle a entretenu le dialogue avec eux, cherchant en amont des formules de compromis. Souvent, lorsqu’elle prononce une invalidation, elle assortit sa décision d’un délai de grâce afin de permettre au gouvernement de rectifier sa loi pour qu’elle soit compatible avec les lois fondamentales. Le gouvernement a également la possibilité de demander à la Cour un <a href="https://www.inss.org.il/publication/legislative-initiatives-to-change-the-judicial-system-are-unnecessary/">nouvel examen par un aréopage de juges élargi</a>.</p>
<p>À plusieurs reprises, la Cour a tranché en faveur de la droite au pouvoir, alors qu’on pouvait s’attendre à plus de fermeté de sa part. Ce fut le cas avec la <a href="https://www.adalah.org/en/law/view/494">loi des commissions d’admission</a>, la <a href="https://www.lalibre.be/international/2011/03/23/la-knesset-vote-une-loi-contre-la-commemoration-de-la-nakba-GBZVNESTC5GFXMQS7XIKC5WDUE/">loi sur la Naqba</a>, la <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/israel-anti-boycott-attaque-liberte-expression">loi anti-boycott</a> et la <a href="https://fr.timesofisrael.com/premiere-etape-pour-le-projet-de-loi-sur-la-suspension-de-deputes/">loi de suspension des députés</a> – des lois très contestées en raison de leur caractère liberticide. Début mai 2020, <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/israel-une-democratie-fragile-9782213716725">elle s’est déclarée incompétente</a> pour statuer sur la demande d’interdire à Benyamin Nétanyahou, sous le coup d’une triple inculpation, de former un gouvernement. En juillet 2021, elle a refusé d’invalider la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-etat-nation-juif-les-dessous-d-une-loi-controversee_5333745_3218.html">loi fondamentale de l’État-nation du peuple juif, votée en juillet 2018</a>, une loi humiliante pour les minorités, en particulier arabe et druze, et qui ne mentionne ni le mot « démocratie », ne celui d’« égalité ».</p>
<p>Faut-il rappeler également <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2005-3-page-41.htm">l’effacement de la Cour</a> face à la colonisation des territoires conquis en juin 1967 ? Elle a évité de se prononcer sur la légalité des colonies, au motif que cette question ne relevait pas de sa compétence. Elle s’est abstenue, la plupart du temps, d’interférer sur les questions sécuritaires, ne voulant pas risquer l’accusation d’entraver la lutte contre le terrorisme. Sur toutes les questions relatives aux arrestations, déportations, détentions administratives, assignations à résidence de Palestiniens et couvre-feux, elle a refusé de gêner l’armée. Elle s’est abstenue, sauf une fois, d’intervenir sur la question des démolitions de maisons des familles de terroristes, une mesure qui constitue pourtant une punition collective, <a href="https://www.zulma.fr/livre/le-mur-et-la-porte-israel-palestine-50-ans-de-bataille-judiciaire-pour-les-droits-de-lhomme/">interdite par les conventions de Genève</a>.</p>
<p>Sur la question de la <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2019/09/israel-opt-legally-sanctioned-torture-of-palestinian-detainee-left-him-in-critical-condition/">torture pratiquée par le Service de sécurité intérieure israélien</a> (Shabak), elle est intervenue avec une infinie précaution. En ce qui concerne les assassinats ciblés, elle n’a pas osé les interdire, elle a seulement encadré leur emploi. Elle a, en revanche, fait preuve de courage en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2005/10/07/israel-la-cour-supreme-bannit-le-recours-au-bouclier-humain_534842/">interdisant (au grand dam de l’armée) le recours par les militaires israéliens à des « boucliers humains »</a> lors d’arrestations de suspects palestiniens. Rien ne justifie donc les attaques frontales menées par la droite, si ce n’est la volonté de gouverner sans entrave.</p>
<h2>« La démocratie, c’est nous »</h2>
<p>Les pourfendeurs de la Cour suprême opposent souvent la représentativité des députés au mode de nomination élitaire des juges. Cet argument relève d’un populisme judiciaire. Les organes judiciaire et législatif ne sauraient être mis sur le même plan. Le rôle des juges n’est pas de représenter le peuple ; il est d’interpréter la loi et de défendre les droits fondamentaux des citoyens face aux éventuels abus des deux autres pouvoirs.</p>
<p>Les députés de droite sont attachés à une version étriquée de la démocratie, selon laquelle « la démocratie, c’est nous ». Mais la démocratie ne se limite pas à la procédure électorale. Elle se reconnaît aussi à ses contre-pouvoirs, à sa capacité de défendre les plus faibles et à faire respecter l’État de droit. Toutes les démocraties libérales se reconnaissent à ces critères.</p>
<p>En France, au Royaume-Uni et aux États-Unis il existe plusieurs autres contre-pouvoirs, soit sous la forme d’une deuxième chambre, soit du fait du rôle joué par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).Israël n’est lié par aucune convention internationale, et il n’existe pas d’autre institution susceptible de contrebalancer le pouvoir de la Knesset. Le seul vrai contre-pouvoir institutionnel est la Cour suprême. Limiter ses pouvoirs reviendrait à octroyer à la Knesset le pouvoir de légiférer sans frein sur tout et n’importe quoi. Dans la situation de forte polarisation qui est celle de la société israélienne aujourd’hui, la clause du contournement serait un instrument de domination sans partage de la majorité sur la minorité. Ça serait la fin des « checks and balances » et le début d’un autre Israël.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samy Cohen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La droite au pouvoir en Israël s’attaque avec virulence à la Cour suprême du pays, qu’elle juge politisée et anti-démocratique. Des accusations très largement infondées.Samy Cohen, Directeur de recherche émérite (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1953772023-01-16T18:16:47Z2023-01-16T18:16:47ZAu Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?<p>L’actuel président du Conseil constitutionnel <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/les-anciens-presidents-de-la-republique-nont-pas-leur-place-au-conseil-constitutionnel-affirme-laurent-fabius_5394814.html">Laurent Fabius</a> s’est récemment prononcé sur le statut des anciens présidents de la République en déclarant qu’ils ne devraient plus avoir le droit de siéger au Conseil aux côtés des <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres">membres nommés</a>. Il est vrai que l’institution a été plusieurs fois réformée depuis 1958. Elle exerce désormais les fonctions d’une véritable juridiction constitutionnelle, consistant pour l’essentiel à contrôler la constitutionnalité des lois.</p>
<p>Attribuer le rôle de juge constitutionnel aux anciens chefs de l’État toute leur vie durant constitue une <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/les-anciens-presidents-de-la-republique-membres-de-droit-du-conseil-constitutionnel-un-anachronisme-bien-vivant/">bizarrerie française</a> qui fait contre elle l’unanimité des constitutionnalistes.</p>
<p>Pour autant, la protection qu’elle pourrait un jour incarner n’est jamais évoquée, comme si on refusait d’imaginer un courant hostile à l’État de droit remporter les élections pour mener ensuite une politique attentatoire aux droits et libertés.</p>
<p>Une victoire à la présidentielle et aux législatives est pourtant susceptible de permettre à une famille politique aux convictions liberticides de composer la majorité au Conseil, et de créer à travers elle les conditions d’un bouleversement de l’État de droit.</p>
<h2>La composition politique du Conseil constitutionnel</h2>
<p>Lors d’un quinquennat, le chef de l’État et les présidents des assemblées parlementaires nomment chacun jusqu’à deux des membres du Conseil, par des choix souvent <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/nominations-au-conseil-constitutionnel-une-republique-dobliges-20220215_WOXKI6ERMBDCXIIHW7YFE3SPYA/">très politiques</a>. Actuellement, le Conseil <a href="https://blog.juspoliticum.com/2022/02/23/le-cru-2022-des-nominations-au-conseil-constitutionnel-en-dessous-du-mediocre-par-patrick-wachsmann/">accueille</a> par exemple en son sein Laurent Fabius et Alain Juppé, anciens premiers ministres ; Laurent Piller, ex-sénateur ; et Jacqueline Gourault, ancienne ministre.</p>
<p>Comprenant neuf membres nommés, le renouvellement de l’institution se fait par tiers tous les trois ans. Le <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mort-de-jean-louis-pezant-membre-du-conseil-constitutionnel-26-07-2010-1218895_20.php">décès d’un de ses membres</a> ou la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/remaniement-nicole-belloubet-nommee-ministre-de-la-justice-21-06-2017-7073538.php">démission</a> peut offrir aux autorités de nomination des possibilités supplémentaires dans la composition du Conseil.</p>
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<p>Les mandats des présidents Sarkozy, Hollande et Macron n’ont pas remis en cause les fondements ni la structure de l’État de droit. Faute d’une réforme profonde de l’institution, les voir tous les trois siéger au Conseil constitutionnel pourrait constituer un rempart pour les droits et libertés fondamentaux si une majorité hostile aux principes de l’État de droit se dessinait parmi les membres nommés.</p>
<h2>Un droit de siéger à vie au Conseil constitutionnel</h2>
<p>Cette étrangeté française prend origine à la fin de la IV<sup>e</sup> République, écourtée en 1958 pour repenser l’organisation des pouvoirs. Le constituant fit alors une <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/les-anciens-presidents-de-la-republique-membres-de-droit-du-conseil-constitutionnel-un-anachronisme-bien-vivant/">place institutionnelle</a> aux anciens présidents de la IV<sup>e</sup>. Dès 1962, René Coty mourut cependant, et Vincent Auriol se retira du Conseil. </p>
<p>À l’époque, l’institution servait surtout à vérifier que le Parlement <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-conseil-constitutionnel-est-il-toujours-le-bras-arme-du-gouvernement-dans-le-parlementarisme">n’empiète pas</a> dans le champ de compétence du Gouvernement. C’est à partir des années 1970, que le Conseil est devenu gardien du texte constitutionnel face aux lois contraires aux libertés. Par exemple, en <a href="https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/b/1/article/inconstitutionnalite-de-la-garde-a-vue-de-droit-commun-et-avant-projet-de-loi-de-reforme/h/680607d90b.html">2010</a> le Conseil a pu exiger du Parlement qu’il prévoie dans la loi l’intervention effective d’un avocat pour veiller au respect des droits des personnes placées en garde à vue.</p>
<p>Ce n’est qu’en 2004, lorsque Giscard abandonna la vie politique, et trois ans plus tard quand Chirac quitta l’Élysée, que <a href="https://www.lejdd.fr/Chroniques/Chirac-doit-il-sieger-au-Conseil-constitutionnel-Une-question-de-sagesse-100344">l’incongruité française prit corps</a>. Avant eux, de Gaulle et Mitterrand avaient refusé d’y siéger et moururent très vite après le terme de leur dernier mandat. Pompidou décéda, lui, avant d’achever le sien.</p>
<h2>L’« exception française de trop »</h2>
<p>La présence des anciens présidents au Conseil a posé des difficultés. Leur participation à l’examen d’un texte adopté sous leur présidence a été évitée par le jeu des règles de déport, permettant aux membres du Conseil de ne pas siéger lorsqu’ils estiment que les circonstances l’exigent notamment au regard de l’indépendance qu’ils doivent avoir pour contrôler les textes soumis au Conseil. Nicolas Sarkozy s’était par exemple <a href="https://www.leparisien.fr/archives/sarkozy-ne-peut-pas-se-prononcer-sur-la-regle-d-or-16-07-2012-2091493.php">déporté en 2012</a> lors de l’examen d’un traité qu’il avait négocié en tant que chef de l’État.</p>
<p>À l’occasion du <a href="https://www.challenges.fr/economie/chronologie-sur-l-affaire-des-emplois-fictifs-a-la-mairie-de-paris_321279">procès des emplois fictifs</a> de la ville de Paris pour lequel Jacques Chirac était jugé, en 2011, la Cour de cassation n’a pas transmis au Conseil la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/la-qpc">question prioritaire de constitutionnalité</a> qui aurait pu enrayer le système, faute du nombre suffisant de juges constitutionnels pour siéger. Une transmission aurait pu conduire en effet au <a href="https://www.lemonde.fr/justice/article/2011/03/10/le-conseil-constitutionnel-embarrasse-par-le-cas-chirac_5984393_1653604.html">déport de la plupart des membres du Conseil</a> à cause de leurs liens politiques avec Jacques Chirac.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Er_Ow1HqsKY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois membres du Conseil constitutionnel prêtent serment en 2010.</span></figcaption>
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<p>En 2013, Nicolas Sarkozy a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/07/04/le-conseil-constitutionnel-rejette-les-comptes-de-campagne-de-sarkozy-en-2012_3442620_823448.html">claqué la porte du Conseil</a> suite au rejet de ses comptes de campagne, revendiquant un droit à la démission que la Constitution lui déniait.</p>
<p>Après une <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2013/01/07/01002-20130107ARTFIG00619-francois-hollande-lance-sa-revision-constitutionnelle.php">tentative avortée</a> de son prédécesseur en 2013, la <a href="https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/la-fin-des-anciens-presidents-de-la-republique-au-conseil-constitutionnel-larbre-qui-cache-la-foret/">réforme amorcée cinq ans plus tard par le président Macron</a> n’est pas non plus allée à son terme. Toutes deux visaient à rayer d’un trait de plume ce que Robert Badinter nomme l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/05/19/l-exception-francaise-de-trop_1704190_3232.html">« exception française de trop »</a>. Depuis le décès de VGE en 2020, François Hollande ne s’y étant jamais aventuré, plus aucun ancien président n’a revêtu le costume de juge constitutionnel. La pratique a semblé pouvoir se consumer d’elle-même.</p>
<h2>Un bousculement suscité par le revirement américain sur le droit à l’avortement</h2>
<p>Et soudain, dans la chaleur de l’été 2022, les vents ont poussé jusqu’en France l’écho d’une Cour suprême américaine brusquement hostile à certains droits et libertés. Un changement dans la composition de la Cour a conduit à un revirement retentissant. L’interprétation de la Constitution américaine a été bousculée sous l’influence d’une nouvelle majorité conservatrice au sein de la Cour, imposant aux Américaines <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/24/droit-a-l-avortement-la-cour-supreme-des-etats-unis-revient-sur-l-arret-roe-vs-wade-et-laisse-les-etats-americains-libres-d-interdire-l-ivg_6131955_3210.html">sa vision restrictive du droit à l’avortement</a>. L’avertissement est de taille et rappelle que les droits et libertés ne sont pas un acquis éternel.</p>
<p>Une brèche s’est alors ouverte dans le marbre de nos certitudes. Et si la France connaissait un jour un destin similaire ? Le coup de semonce conservateur porté outre-Atlantique rappelle la fragilité du droit à l’avortement, déclaré conforme à la Constitution française par le Conseil, sur le fondement de la liberté des femmes, déduite de l’article 2 de la DDHC.</p>
<p>Le débat se focalise sur son <a href="https://journals.openedition.org/revdh/14979">inscription dans la Constitution</a> pour empêcher une loi de l’abroger. Et si le risque venait aussi du pouvoir d’interprétation du juge constitutionnel ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Pourquoi inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution est aussi une protection symbolique</a>
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<p>La crainte se propage à tous les droits et libertés, en premier lieu celui de mener une vie familiale normale dont la valeur constitutionnelle a été reconnue par le Conseil en 1993, ou le mariage pour tous, qu’il a déclaré conforme à la Constitution en 2013. Les <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/eric-zemmour-a-travers-l-etat-de-droit-les-juges-qui-sont-diriges-par-des">conditions du référendum</a> pourraient aussi être malmenées pour faciliter son détournement plébiscitaire. Comme rien n’est prévu pour éviter à la juridiction constitutionnelle une mue liberticide, certains revirements pourraient rompre la continuité constitutionnelle de la France.</p>
<h2>Prévoir le risque d’une majorité liberticide au Conseil constitutionnel</h2>
<p>Ainsi, la présence au Conseil d’anciens présidents fidèles aux fondements de l’État de droit pourrait les conduire à faire le contrepoids d’une majorité de membres nommés hostiles aux libertés. Aux États-Unis cet été, c’est bien une majorité de membres nommés <a href="https://www.actu-juridique.fr/administratif/libertes-publiques-ddh/la-fin-de-roe-v-wade/">qui a décidé</a> de revenir sur l’arrêt <em>Roe v Wade</em>.</p>
<p>Même constitutionnels, les droits et libertés peuvent faire l’objet d’une interprétation restrictive. La proposition de loi constitutionnelle adoptée à l’Assemblée prévoit d’introduire dans la Constitution un nouvel <a href="https://lcp.fr/actualites/ivg-dans-la-constitution-l-assemblee-nationale-a-vote-le-texte-153065">article 66-2</a>, qui disposerait : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».</p>
<p>Proscrire la privation d’un droit n’élude pas le risque de sa limitation. Un Conseil composé de membres hostiles à l’avortement pourrait valider une loi qui en compliquerait l’exercice, en restreignant à l’excès les délais ou en compliquant les modalités de l’avortement, par exemple en obligeant les femmes à écouter battre le cœur du fœtus à l’instar de la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/hongrie-les-femmes-contraintes-d-ecouter-le-coeur-de-leur-foetus-avant-l-avortement-7900185771">loi hongroise</a>.</p>
<p>Aucune condition matérielle n’encadre le choix des personnalités appelées à siéger au Conseil. Les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/18/les-parlementaires-tiennent-leur-role-dans-la-nomination-des-candidats-au-conseil-constitutionnel-de-facon-superficielle_6114204_3232.html">procédures parlementaires minimalistes</a> encadrant ces nominations n’entravent pas les choix occasionnés. Jusqu’à présent, le risque liberticide s’est tenu éloigné du Conseil, mais jusqu’à quand ?</p>
<p>L’inscription des droits et libertés dans la Constitution reste insuffisante pour en garantir une effectivité pérenne. Réformer le Conseil est nécessaire ; cela implique d’en <a href="https://blog.juspoliticum.com/2018/06/19/conseil-constitutionnel-la-suppression-de-la-categorie-des-membres-de-droit-une-reforme-indispensable-mais-insuffisante-par-elina-lemaire/">changer la composition en profondeur</a>. La demi-mesure qui ne viserait que les membres de droit pourrait, elle, s’avérer préjudiciable.</p>
<p>Si une vague liberticide submergeait nos institutions, la présence des anciens présidents au Conseil laisserait au peuple un répit de quelques années, le temps de recouvrer la raison constitutionnelle, ou de confirmer aux élections suivantes sa volonté de renier l’État de droit, en retournant contre lui les institutions censées le protéger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195377/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Pauthe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La présence d’anciens chefs de l’État au Conseil Constitutionnel pourrait un jour conduire à compenser des nominations de personnalités aux convictions liberticides.Nicolas Pauthe, Docteur en droit public, enseignant-chercheur post-doctorant, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1960982022-12-12T14:49:15Z2022-12-12T14:49:15ZCOP sur le climat, COP sur la biodiversité : voici pourquoi il faut une approche intégrée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499830/original/file-20221208-7231-1umnjf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=66%2C11%2C7377%2C4855&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mairesse de Montréal, Valérie Plante, prononce un discours lors de la cérémonie d'ouverture de la conférence de l'ONU sur la biodiversité, la COP15, à Montréal, le 6 décembre 2022.
</span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson</span></span></figcaption></figure><p>La conférence de l’ONU sur la biodiversité, la <a href="https://www.cbd.int/">COP15</a>, a débuté à Montréal le 7 décembre dernier, peu de temps après la fermeture du <a href="https://cop27.eg/#/">sommet sur les changements climatiques (COP27)</a>, tenu en Égypte en novembre 2022. Ce dernier a été « décevant » pour plusieurs participants, <a href="https://www.reuters.com/business/sustainable-business/after-disappointing-cop27-calls-grow-new-approach-fighting-climate-change-2022-11-28/">lesquels souhaiteraient entreprendre une réforme du processus délibératif</a>.</p>
<p>Alors que les critiques fusent de toutes parts, le temps serait-il venu de fusionner les deux types de conférences entre elles ?</p>
<p>La tenue de deux COP dans un intervalle de temps rapproché peut semer la confusion chez le public. Cet article s’intéresse à l’interaction des agendas sur le climat et la biodiversité, le tout dans un esprit réformiste.</p>
<p>Doctorante en science politique à l’Université de Montréal, mes travaux portent sur l’efficacité des cadres utilisés, notamment celui de santé, pour aborder la crise climatique et leur rôle dans l’apport de changements de politique publique.</p>
<h2>Qu’est-ce que la COP27 ? La COP15 ?</h2>
<p>Lors du <a href="https://www.un.org/fr/conferences/environment/rio1992">sommet de Rio</a> en 1992, les pays membres de l’ONU se sont rassemblés afin de signer trois conventions déterminantes pour favoriser le développement durable : la <a href="https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/organisation/affaires-internationales/partenariats-organisations/convention-cadre-nations-unies-changements-climatiques.html">Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)</a>, la <a href="https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/organisation/affaires-internationales/partenariats-organisations/convention-diversite-biologique.html">Convention sur la diversité biologique (CDB)</a>, et la <a href="https://ise.unige.ch/isdd/spip.php?article156">Déclaration sur les principes de gestion des forêts</a>. Depuis, des conférences sont organisées pour chacune d’entre elles afin de faire le point sur les avancées et de mettre à jour les objectifs fixés.</p>
<p>La COP 27 s’ajoute à la longue liste des conférences tenues annuellement pour tenter de ralentir le réchauffement climatique, par l’entremise d’une réduction de l’impact des activités humaines. De son côté, la COP15 est associée plus spécifiquement à la préservation de la biodiversité, elle aussi dégradée par ces mêmes activités.</p>
<p>Les COP portant sur la biodiversité sont plus rares que celles sur le climat, puisqu’elles ont lieu une fois tous les deux ans. Le dernier plan stratégique remonte néanmoins à la conférence de <a href="https://www.cbd.int/abs/">Nagoya</a> en 2010. Les gouvernements se sont alors engagés, entre autres, à réduire au moins de moitié la perte d’habitats naturels et à sauvegarder 17 % des zones terrestres et des eaux continentales, ainsi que 10 % des zones marines et côtières. Un rapport récent du secrétariat pour la CDB a cependant démontré que <a href="https://www.cbd.int/gbo5">ces cibles n’ont pas été atteintes</a>.</p>
<p>À l’issue de la COP15, les gouvernements se seront mis d’accord sur de nouveaux objectifs pour la prochaine décennie, d’où son importance capitale.</p>
<h2>Un système à deux vitesses ?</h2>
<p>De plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une approche intégrée des agendas sur le climat et sur la biodiversité, jusqu’ici systématiquement séparés.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="homme parle à d’autres personnes" src="https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499832/original/file-20221208-24-mk2q6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sameh Shoukry, président du sommet climatique de l’ONU, la COP27, s’entretient avec d’autres personnes lors de la session plénière de clôture, le 20 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, en Égypte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Peter Dejong)</span></span>
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<p>À peine dix ans après le sommet de Rio, plusieurs chercheurs, dont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378004000275">Joy A. Kim</a>, économiste au <a href="https://www.unep.org/fr/propos-donu-environnement">Programme des Nations unies pour l’environnement</a>, constataient déjà le manque de synergie entre les deux régimes. Pourtant, le climat et la biodiversité représentent des enjeux transnationaux, hautement complexes et connectés, auxquels il faut remédier rapidement. Ils partagent d’ailleurs des causes similaires, soit des activités humaines excessives.</p>
<p>Le réchauffement climatique, par ses conséquences directes ou par les mesures mises en place pour le contrer, vient cependant <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s43538-022-00073-6#:%7E:text=Marked%20increase%20in%20the%20frequency,main%20consequences%20of%20climate%20change.">exacerber ces mêmes impacts</a> sur la biodiversité. Celle-ci fait donc face à un double danger.</p>
<h2>Le climat et la biodiversité sont interdépendants</h2>
<p>Les deux crises sont aussi interdépendantes en termes de solutions, car la biodiversité peut aider à lutter contre les changements climatiques, notamment avec des <a href="https://cieem.net/wp-content/uploads/2020/07/Nature-Based-Solutions-designed.pdf">solutions fondées sur la nature</a> (SfN) pour séquestrer le carbone. Ces solutions incluent, entre autres, la restauration des habitats, la gestion des ressources en eau, et la construction d’infrastructures vertes.</p>
<p>Autrement dit, les impacts des mesures climatiques sur la biodiversité sont peu reconnus, et les atouts de celle-ci sont mal mis à profit. Au lieu de la détériorer, l’action climatique devrait <a href="https://cieem.net/wp-content/uploads/2021/08/CIEEM-COP15-and-COP26-Statement-FINAL.pdf">pouvoir la protéger et même lui permettre de prospérer</a>.</p>
<p>Cette interaction au sein de la gouvernance environnementale est <a href="https://shs.hal.science/halshs-01675503/document">peu reflétée dans le droit international</a>, où les deux régimes n’ont aucune obligation de coopérer. De manière implicite, on les retrouve néanmoins côte à côte dans les <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">Objectifs de développement durable</a> (ODD) de l’ONU.</p>
<p>Tandis que la CDB célèbre son 30<sup>e</sup> anniversaire cette année, sa secrétaire générale, Elizabeth Maruma Mrema, consciente du fait que la crise climatique fait de l’ombre à la crise de la biodiversité, a récemment déclaré que si cela était à refaire, <a href="https://www.carbonbrief.org/the-carbon-brief-interview-un-biodiversity-chief-elizabeth-maruma-mrema/">il n’aurait dû y avoir qu’une seule convention et non trois</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme parle dans un micro" src="https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499831/original/file-20221208-14410-krmmcp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire administrative de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, prend la parole lors de la conférence de presse d’ouverture de la COP15, la conférence des Nations unies sur la biodiversité, à Montréal, le 6 décembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes</span></span>
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<h2>Quand la pandémie s’en mêle</h2>
<p>Comme si cela ne suffisait pas, la pandémie de Covid-19 est venue distraire les programmes politiques, en se hissant au sommet des préoccupations des gouvernements. En plus d’avoir retardé l’organisation de la COP27 et de la COP15, celle-ci pourrait amener les décideurs à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969722042863">se concentrer en priorité sur des problèmes domestiques</a>, tels que le ralentissement économique qu’elle a elle-même engendré.</p>
<p>D’autres la voient plutôt comme une <a href="https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1365-2664.13985">fenêtre d’opportunité</a> pour une reprise économique verte, même si les résultats de la COP27 ont certainement affaibli leur optimisme.</p>
<p>Malgré les circonstances peu favorables, plusieurs initiatives scientifiques ont vu le jour afin de permettre un meilleur maillage d’expertise. Les liens entre les deux crises ont notamment été abordés par le <a href="https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/">Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)</a> et la <a href="https://fr.unesco.org/links/biodiversity/ipbes">Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)</a>, qui ont décidé de <a href="https://ipbes.net/sites/default/files/2021-06/20210609_workshop_report_embargo_3pm_CEST_10_june_0.pdf">coécrire un rapport</a> pour la première fois en 2021.</p>
<p>Les engagements pris lors de la COP15 permettront d’avoir une meilleure idée de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/global-sustainability/article/implications-of-covid19-on-progress-in-the-un-conventions-on-biodiversity-and-climate-change/5B62C3869C37AF0BC406EE17CFC1EDA5">l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la gouvernance environnementale</a>.</p>
<p>Qu’il s’agisse d’une crise sanitaire ou d’une crise environnementale, la solidarité internationale est de mise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196098/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alizée Pillod est membre du Laboratoire de l'opinion climatique (CO-LAB), actuellement financé par le consortium Ouranos, en partenariat avec le Ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) du Québec. Elle a notamment reçu des financements du Département de Science politique de l'Université de Montréal, et est affiliée à divers centres de recherche (CECD, CPDS, CERIUM).</span></em></p>Réflexion sur la pertinence de fusionner les agendas sur le climat et sur la biodiversité afin d’éviter un système à deux vitesses dans une ère post-pandémique.Alizée Pillod, Doctorante en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942682022-11-15T16:52:42Z2022-11-15T16:52:42ZLe pouvoir des mots : « écoterrorisme » ou « résistance écologiste » ?<p>Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a qualifié les récentes manifestations anti-bassines à Sainte-Soline en France <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/deux-sevres-la-mobilisation-se-poursuit-contre-les-bassines-a-sainte-soline-20221030">« d’écoterrorisme »</a>, terme repris, voire assumé par <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/manifestation-anti-bassines-le-mot-ecoterrorisme-ne-me-gene-pas-assure-le-ministre-de-l-agriculture_5461276.html">d’autres figures du gouvernement depuis</a>. Néanmoins, l’expression interroge : les dégradations de biens et les confrontations entre les activistes et les forces de l’ordre relèvent-elles bien d’« écoterrorisme » ?</p>
<p>Plutôt que proposer une réponse juridique à cette question, cet article vise à questionner le sens politique de la dénomination « écoterrorisme ». Les lecteurs et lectrices sont invité·e·s à faire un pas de côté et réfléchir à l’importance des mots employés en contexte, dont le pouvoir est amplifié selon la position sociale du locuteur. Il ne s’agit pas de nier la terreur à laquelle mène le terrorisme ni de se positionner sur la nature violente de l’évènement, mais d’interroger sa lecture politique à travers le procédé de dénomination. Comme le souligne le sociologue <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/langage-et-pouvoir-symbolique-pierre-bourdieu/9782757842034">Pierre Bourdieu</a>, le langage est porteur d’un pouvoir symbolique.</p>
<h2>Le choix du « mot-symptôme » : l’acte politique de dénomination</h2>
<p>Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin. Il est un <a href="https://journals.openedition.org/mots/22403">« mot symptôme »</a> d’après la terminologie de Patrick Charaudeau, c’est-à-dire « un mot qui est chargé sémantiquement par le contexte discursif dans lequel il est employé et par la situation dans laquelle il surgit ».</p>
<p>Les mots sont des contenants d’idées, de symboles, et d’images qui modèlent et déterminent la forme de ce que nous pensons. Nommer un phénomène n’est pas neutre, chaque mot renvoyant à une interprétation de la réalité, à un imaginaire particulier, à un point de vue <em>situé</em>. Autrement dit, le répertoire sémantique choisi pour désigner le phénomène en question est déjà chargé de sens, parce que bien souvent, il lui préexiste. Ainsi, les mots participent à la construction du sens apposé sur le phénomène. En tant que contenants, ils proposent une lecture spécifique de l’évènement. En France, le « terrorisme », au-delà d’une catégorie juridique, renvoie à un imaginaire bien spécifique (figure de l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/339752790_Radicalisation_de_l%27adversaire_a_l%27ennemi">ennemi intérieur</a> qui commet des attentats). Son champ sémantique est ici élargi et mis en rapport avec l’activisme écologiste, façonnant en conséquence les représentations sociales.</p>
<p>Comme l’indique <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/ce-que-parler-veut-dire-9782213012162">Pierre Bourdieu</a>, le statut de l’énonciateur joue également un rôle déterminant : le terme « écoterrorisme » est employé par une figure d’autorité étatique, le ministre de l’Intérieur, dont le rôle est notamment l’encadrement de la violence physique légitime (forces de police entre autres). La dénomination opérée légitime l’action répressive menée à l’encontre des manifestant·e·s, en même temps qu’elle décrédibilise et invisibilise le discours écologiste.</p>
<h2>Terrorisme ou résistance : frontière symbolique</h2>
<p>Qu’en serait-il si l’action menée par les écologistes à Sainte-Soline avait été qualifiée de « résistance écologiste » ?</p>
<p>Le sociologue et philosophe <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14656">Gérard Rabinovitch</a> rappelle que les notions de « résistance » et de « terrorisme », en principe antagonistes et dont la frontière ne devrait pas être floue, appartiennent pourtant, aujourd’hui, à la même catégorie sémantique politique. Sans glisser dans un relativisme qui consisterait à envisager les deux notions de façon absolument symétrique, on peut noter que les « résistant.es » comme les « terroristes » déploient une violence politique, et que l’étiquetage dont ils font l’objet est <em>radicalement</em> différent selon que leurs revendications et les moyens déployés sont considérés comme justes (moraux) ou injustes (immoraux) à un moment <em>t</em>.</p>
<p>Comme l’ont souligné <a href="https://journals.openedition.org/lectures/3784">Annie Collovald et Brigitte Gaiti</a>, le sens attribué à des actions et la narration dont elles font l’objet ne sont pas figés dans le temps. Ainsi, certaines actions collectives violentes peuvent être a posteriori célébrées, légitimées, voire romantisées (Révolution française, mai 68), quand d’autres sont requalifiées et délégitimées (relecture de la collaboration sous le régime de Vichy, colonialisme).</p>
<p>En parallèle, si on cherche à saisir le sens que les acteurs donnent à l’étiquette qui leur est apposée, on assiste à un flagrant contraste. Par exemple, ce qui est dénommé « terrorisme indépendantiste » correspond aussi à ce qui est vécu et revendiqué comme une juste <em>résistance</em> contre une autorité étatique jugée illégitime. On peut penser, dans les années 1960, au Front de Libération du Québec qui a déployé une violence politique au nom de la <a href="https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=1196">liberté territoriale</a>, politique et économique du Québec, contre l’hégémonie canadienne britannique. À l’époque, Charles de Gaulle avait d’ailleurs soutenu la cause indépendantiste en <a href="https://www.charles-de-gaulle.org/wp-content/uploads/2017/03/Discours-de-Montreal.pdf">proclamant</a> « Vive le Québec libre ! »</p>
<p>Dans une approche <a href="https://www.cairn.info/la-construction-sociale-de-la-realite--9782200621902.htm">constructiviste</a>, on suggère alors qu’un acte politique n’est pas éthique en soi, mais est désigné comme tel au sein d’un contexte sociohistorique, c’est-à-dire selon un ensemble d’indicateurs géographiquement et historiquement situés. La diversité des qualificatifs en fonction des points de vue témoigne de leur caractère politique : terroriste ici et aujourd’hui, résistant là-bas et demain, militant ou combattant ; l’imaginaire convoqué dans le discours est différent selon là où on se place.</p>
<h2>Le langage et les représentations</h2>
<p>On a vu que dans le discours, ce que représente la radicalité, le terrorisme ou la violence politique est <em>relatif</em>, dépendant des normes en vigueur dans une société donnée à une époque précise. Ainsi, comme le précisent <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques--9782200616878.htm">Xavier Crettiez et Nathalie Duclos</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il semble indispensable de penser la violence dans son contexte et de parvenir à la resituer dans ses espaces géographiques comme sociaux et politiques. La violence est toujours relationnelle et ne prendra sens qu’à travers le rapport de force qu’elle institue ou qu’elle traduit. » (p. 20)</p>
</blockquote>
<p>Pour analyser la construction sémantique d’un problème public, il importe de replacer les termes dans leur contexte. Ici, on peut parler d’une <a href="https://theconversation.com/debat-qui-a-peur-des-etudes-feministes-et-antiracistes-a-luniversite-190940">panique morale</a> autour de ce qui est nommé <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/02/un-ensauvagement-de-la-societe-les-etudes-montrent-elles-une-relative-stabilite-de-la-delinquance-depuis-quinze-ans_6050650_3224.html">« l’ensauvagement de la société »</a> selon l’expression employée en 2020 par Gérald Darmanin, justifiant la mise en place de politiques sécuritaires.</p>
<p>Cette rhétorique légitime à tout prix la prévention des risques et la gestion policière des problèmes sociaux en s’appuyant sur l’élaboration de figures dangereuses menant, <em>in fine</em>, à la stigmatisation de certaines franges de la population.</p>
<p>En <a href="https://www.cairn.info/outsiders--9782864249184.htm">sociologie de la déviance</a>, on considère que l’entreprise de labellisation (tracer la frontière entre l’activiste <em>modéré·e</em> et l’activiste <em>radical·e</em>) est un enjeu de pouvoir, en ce qu’elle détermine la frontière entre les idéologies et pratiques politiques légitimes, et celles qui ne le sont pas.</p>
<p>Dans le discours politique, on observe également une tendance à l’homogénéisation des individus présents aux manifestations anti-bassines à Sainte-Soline, tous désignés comme ultraviolents, ainsi qu’une apparente absence de réflexion autour de leurs revendications. En effet, les discours politiques et médiatiques n’ont pas, ou très peu, évoqué l’incidence écologique des bassins de rétention sabotés par les militant·e·s (monopolisation de l’eau par l’agro-industrie, conséquences sur la biodiversité, évaporation de l’eau stagnante). Le message porté par les catégorisé·e·s « déviant·e·s » est rendu hors de propos.</p>
<p>S’interroger sur le pouvoir des mots donne également l’occasion de poser la question de la légitimité éventuelle de la cause défendue, toujours considérée comme étant juste aux yeux de ceux et celles qui la commettent, et injuste ou insuffisamment juste par ses détracteurs.</p>
<hr>
<p><em>Lucile Dartois effectue son doctorat en cotutelle en psychologie sous la direction de Martine Batt et Romain Lebreuilly à l’Université de Lorraine (laboratoire Interpsy, axe GRC), et en sociologie sous la direction de Pr Marcelo Otero à l’Université du Québec à Montréal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucile Dartois est conseillère en recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence à Montréal.</span></em></p>Le choix du terme « écoterrorisme » pour nommer l’action portée par les militant·e·s écologistes n’est pas anodin et questionne notre rapport à l’action politique et sa nomination.Lucile Dartois, Doctorante en cotutelle à l'Université de Lorraine (en psychologie, laboratoire Interpsy, axe GRC) et à l'Université du Québec à Montréal (département de sociologie), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1931162022-10-27T17:44:45Z2022-10-27T17:44:45ZL’Élysée, palais infernal des Français ?<p>« Un palais de la main gauche, palais à femmes », <a href="https://www.edition-originale.com/fr/litterature/editions-originales/de-gaulle-memoires-despoir-1970-65293">ronchonnait le général de Gaulle</a> en s’installant à l’Élysée en janvier 1959. Et il ajoutait : « Cette maison est trop bourgeoise, l’esprit n’y souffle pas. »</p>
<p>Aux yeux du militaire qu’était de Gaulle, cet hôtel particulier transformé en palais républicain ne présentait pas la solennité et l’austérité nécessaires pour incarner la grandeur de la Nation. Par ailleurs, il le trouvait trop enclavé dans le faubourg Saint-Honoré et peu fonctionnel avec ses enfilades de salons exigus et surchargés de dorures. Aussi envisagea-t-il très sérieusement <a href="https://www.mollat.com/livres/734756/georges-poisson-l-histoire-de-l-elysee-de-madame-de-pompadour-a-jacques-chirac">d’installer ailleurs la présidence de la République</a>, par exemple aux Invalides, à l’Ecole militaire ou au château de Vincennes, dont la majesté reflétait le tragique du récit national.</p>
<p>Ce n’est donc qu’à regret qu’il accepta d’emménager à l’Élysée, au nom de la continuité de l’histoire républicaine, qui avait vu défiler entre ses murs tous les présidents depuis Louis-Napoléon Bonaparte.</p>
<h2>Un palais des plaisirs</h2>
<p>Au fond, ce qui fait le secret de l’Élysée, son attractivité presque mystérieuse, n’est-ce pas précisément qu’il se rattache à une histoire bien antérieure à celle de la République ? N’est-ce pas précisément la nostalgie de l’ancien régime qui lui donne tant de valeur dans un système politique profondément imprégné par l’image du pouvoir personnel et de la monarchie républicaine ?</p>
<p>Rappelons d’abord que ce palais républicain fut d’abord l’hôtel particulier d’un aristocrate du XVIII<sup>e</sup> siècle, le comte d’Évreux, qui le fit édifier en 1720 pour se hisser au rang des plus Grands du Royaume, parce qu’il était de noble lignée.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Madame de Pompadour (1721-1764) peinte par François Boucher (1703–1770)" src="https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=956&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=956&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491681/original/file-20221025-15-hcu33t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=956&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Madame de Pompadour (1721-1764) peinte par François Boucher (1703–1770).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Madame_de_Pompadour_by_Fran%C3%A7ois_Boucher.jpg">François Boucher/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce fut donc à l’origine un <a href="https://www.payot.ch/Detail/une_histoire_erotique_de_lelysee-jean_garrigues-9782228922944">palais des plaisirs</a>, l’une des plus belles demeures aristocratiques du faubourg, et c’est la raison pour laquelle Madame de Pompadour se le fit offrir en 1753 par le roi Louis XV qui ne pouvait rien refuser à son ancienne maîtresse, devenue sa principale conseillère.</p>
<p>Et il est intéressant de rappeler que dès cette époque l’hôtel de « la Putain du Roi », née Jeanne Poisson, apparut à la population environnante comme un symbole insupportable de l’arrogance des privilégiés. Sur les murs du quartier, on pouvait lire :</p>
<blockquote>
<p>« Fille d’une sangsue et sangsue elle-même,/Poisson, dans ce palais, d’une arrogance extrême,/Fait afficher partout, sans honte et sans effroi/Les dépouilles du peuple et l’opprobre du Roi. » (Quatrain fait par M. de Rességuier, chevalier de Malte, enseigne à pique dans le régiment des gardes françaises.)</p>
</blockquote>
<p>C’est ainsi que dès son origine, le futur palais républicain apparaissait comme un emblème répulsif du pouvoir absolu.</p>
<h2>De l’Élysée Bourbon à l’Élysée Napoléon</h2>
<p>La Révolution française le négligea, le laissant même habité par la duchesse de Bourbon, cousine de Louis XVI, et qui le baptisa « Elysée-Bourbon ». Mais celle qui s’était dénommée <a href="https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782374805399-bathilde-d-orleans-1750-1822-charles-henin/">« citoyenne Vérité »</a> dans l’enthousiasme de la révolution naissante finit néanmoins par s’enfuir en 1797.</p>
<p>Et c’est Napoléon I<sup>er</sup> qui en fit pour la première fois en 1805 un lieu de pouvoir en le confiant à sa sœur Caroline, marié à Joachim Murat, maréchal d’Empire, puis en occupant lui-même à partir de 1809 cette demeure princière, désormais appelée « Elysée-Napoléon. »</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Entièrement remanié en 1807 à l’arrivée des Murat, ce salon fut pensé comme la salle de réception principale du palais. Son vaste espace, formé de la réunion de deux pièces, fut alors orné d’un décor militaire prestigieux, suivant la vogue de l’Empire, fo" src="https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491688/original/file-20221025-19-ownt5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Salon Murat. Entièrement remanié en 1807 à l’arrivée des Murat, ce salon fut pensé comme la salle de réception principale du palais. Son vaste espace, formé de la réunion de deux pièces, fut alors orné d’un décor militaire prestigieux, suivant la vogue de l’Empire, formé de cinq tableaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nnova/8928080469">Nicolas Nova/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’ailleurs, aux yeux du général de Gaulle, la seule légitimité historique de l’Élysée résidait dans le fait que l’Empereur <a href="https://www.cairn.info/revue-napoleonica-la-revue-2014-1-page-3.htm">y ait signé son acte d’abdication</a> dans le salon d’Argent, le 22 juin 1815. Napoléon avait fait entrer la grande Histoire à l’Élysée, et désormais elle ne le quitterait plus.</p>
<p>Si l’Assemblée nationale décida d’attribuer « l’Elysée-National » au président de la République, qui venait d’être triomphalement élu le 10 décembre 1848, ce n’est parce que Louis-Napoléon Bonaparte était le neveu de l’Empereur, mais parce que l’on ne voulait pas l’installer au palais des Tuileries, symbole de la monarchie défunte. Le paradoxe étant que le premier président de la République qui s’installa à l’Élysée en 1874 était le maréchal de Mac-Mahon, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782262011437-mac-mahon-gabriel-de-broglie/">royaliste de cœur et de convictions</a>. Et l’on voit à quel point, dans l’histoire même de ce palais devenu le centre de la République, le rapport avec la monarchie a imprégné l’inconscient collectif des Français.</p>
<p>D’ailleurs, sous la III<sup>e</sup> République, qui se présentait pourtant comme <a href="https://livre.fnac.com/a16509535/Jean-Garrigues-La-Tentation-du-sauveur">l’antithèse du pouvoir personnel</a> hantée qu’elle était par le spectre du bonapartisme, le retour du refoulé monarchique ne tarda pas à se manifester.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491690/original/file-20221025-20-ntr7ko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Marguerite Steinheil, figure importante de la vie parisienne, eut une liaison avec le président Félix Faure. Elle est ici peinte par Léon Bonnat (1833-1922) le 1ᵉʳ janvier 1899.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_Steinheil">Wikimedia</a></span>
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<p>Si le vieux républicain Jules Grévy y maintint une austérité de façade, cloîtré dans son palais présidentiel, son successeur Sadi Carnot comprit très vite qu’il fallait donner une sorte de faste monarchique à sa fonction, se montrer, multiplier les réceptions au palais, tel un souverain d’ancien régime.</p>
<p>Sa femme Cécile y lança la tradition de l’arbre de Noël de l’Élysée, pour les enfants pauvres, elle organisa des « matinées musicales » dans les jardins, autant de <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/sadi-carnot--l-ingenieur-de-la-republique_0-937693_9782262011024.html">rites empruntés aux monarques du temps passé</a>.</p>
<p>Et la quintessence de ce mimétisme royal fut sans aucun doute Félix Faure, que la presse surnomma « Félisque I<sup>er</sup> » pour son goût du luxe et de l’ostentation, et dont la mort même, dans les bras de sa maîtresse Marguerite dite Meg Steinhell, renvoyait à tout un <a href="https://livre.fnac.com/a12978327/Jean-Garrigues-La-Republique-incarnee-De-Leon-Gambetta-a-Emmanuel-Macron">imaginaire monarchique</a>.</p>
<h2>Des monarques républicains</h2>
<p>Il est évident que le régime semi-présidentiel de la V<sup>e</sup> République n’a fait que renforcer cette perception collective d’un « monarque républicain » enfermé dans son palais, d’où il contrôle d’une main de fer chaque rouage de l’État. Les plus anciens se souviennent des conférences de presse du général de Gaulle dans la salle des fêtes de l’Élysée, surplombant de sa majesté souveraine le petit peuple des journalistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence de presse Du Général De Gaulle du 05/09/1961 | Archive INA.</span></figcaption>
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<p>D’autres encore se rappellent des dernières années du septennat giscardien, qui virent le président de la modernité se replier sur les rituels surannés d’une fin de règne difficile, ou des abus de pouvoir pharaoniques de François Mitterrand, qui fit installer à l’Élysée une <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03598552/">cellule d’écoutes illégales</a>, réminiscence lointaine des espions du roi.</p>
<p>Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le palais présidentiel exerce aujourd’hui une telle fascination-répulsion pour une grande partie des Français. Fascination pour le lieu du pouvoir par excellence, où se bousculent chaque année les visiteurs lors des journées du patrimoine, mais aussi répulsion pour ceux qui y voient la forteresse d’un souverain autoritaire et tout puissant.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des « gilets jaunes » tentent une percée vers l’Élysée (2018).</span></figcaption>
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<p>C’est ainsi qu’au premier samedi des manifestations des « gilets jaunes », le 17 novembre 2018, on pouvait entendre près de l’Élysée le slogan « Macron comme Louis XVI » ou « Manu, on arrive », comme en référence aux révolutionnaires venus chercher le roi à Versailles pour le ramener à Paris, le 6 octobre 1789. (Blog de Cerisette <a href="https://www.mesmauxdevie.com">« Mes Maux de Vie »</a>, 20 décembre 2018.)</p>
<p>Une référence que Jean-Luc Mélenchon a reprise à son compte pour mobiliser les manifestants contre la vie chère du 16 octobre 2022.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1578018968094113793"}"></div></p>
<p>En temps de crise sociale et politique, la légende noire de l’Élysée renvoie inévitablement au tropisme révolutionnaire des Français.</p>
<h2>Déplacer le problème sans le résoudre</h2>
<p>Faudrait-il donc déplacer le lieu du pouvoir présidentiel pour rompre avec cette image d’un palais monarchique au cœur des beaux quartiers ? Ce serait déplacer le problème sans le résoudre. Le véritable enjeu est en effet étatique et institutionnel.</p>
<p>Des siècles de centralisation administrative ont fait de Paris le cœur de tous les pouvoirs, et il serait artificiel de délocaliser la magistrature suprême dans un pays qui a tant de mal <a href="https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1997_num_49_1_5421">à se décentraliser</a>.</p>
<p>Même l’Allemagne, où la culture fédérale est séculaire, a ramené sa capitale de Bonn à Berlin lorsqu’elle a été réunifiée. Seul un changement de régime institutionnel pourrait véritablement changer l’image de l’Élysée en déplaçant la focale politique vers le Palais-Bourbon, comme c’était le cas dans les débuts de la III<sup>e</sup> République, ou vers l’hôtel de Matignon à partir de 1936.</p>
<p>Mais est-ce que ces lieux de pouvoir réhabilités échapperaient pour autant à la méfiance atavique d’un peuple en rupture avec ses élites décrédibilisées ? La crise démocratique n’est pas réductible à un déménagement de la magistrature suprême, fusse-t-elle associée à un régime redevenu parlementaire. La légende de l’Élysée a encore de beaux jours devant elle.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://livre.fnac.com/a17192003/Jean-Garrigues-Le-couple-infernal-Elysee-contre-Matignon">« Élysée contre Matignon, de 1958 à nos jours, le couple infernal »</a>, aux éditions Tallandier.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193116/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Garrigues ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En temps de crise sociale et politique, la légende noire de l’Élysée renvoie inévitablement au tropisme révolutionnaire des Français.Jean Garrigues, Historien, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1923632022-10-23T15:27:39Z2022-10-23T15:27:39ZQuelle justice pour les ministres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490378/original/file-20221018-12-n3odix.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C47%2C4000%2C2946&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plaque du bâtiment de la Cour de justice de la République, n°21 rue de Constantine (Paris, 7e), 2017. L'institution créée pour juger les ministres est régulièrement remise en cause pour son manque d'impartialité.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plaque_Cour_de_justice_de_la_R%C3%A9publique_Paris.jpg">Celette/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Seule juridiction habilitée à examiner les infractions commises dans l’exercice des fonctions <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527567/2019-07-01">ministérielles</a>, la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19542-la-cour-de-justice-de-la-republique-une-institution-contestee">Cour de justice de la République</a> (CJR) entend Eric Dupont-Moretti, actuel <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/eric-dupond-moretti/eric-dupond-moretti-juge-pour-conflit-d-interets-le-guide-pour-tout-comprendre-au-proces-inedit-d-un-ministre-de-la-justice-en-exercice_6145950.html">Garde des Sceaux</a>, jugé pour des faits présumés de prise illégale d’intérêts – à raison d’enquêtes administratives ordonnées contre des magistrats avec qui il avait été en conflit comme <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/03/eric-dupond-moretti-sera-juge-pour-prise-illegale-d-interets_6144143_3224.html">avocat</a>.</p>
<p>S’il n’est pas inédit de voir un ancien premier ministre convoqué pour audition par la Cour de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/manche/cherbourg-cotentin/affaire-karachi-qu-est-ce-que-cour-justice-republique-paris-est-juge-edouard-balladur-1916786.html">justice</a>, - comme cela a été le cas pour Edouard Philippe, en tant que pPremier ministre, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/info-franceinfo-covid-19-edouard-philippe-place-par-la-cjr-sous-le-statut-de-temoin-assiste-pour-sa-gestion-de-l-epidemie_5433721.html">dans le cadre de sa gestion de l'épidémie de Covid</a> - c’est bien la première fois qu’un membre du gouvernement en fonction, qui plus est ministre de la Justice, est renvoyé devant sa formation de jugement.</p>
<p>Or, les avocats du garde des Sceaux s’étaient dits sans « aucune illusion sur le sens de la <a href="https://www.20minutes.fr/justice/4003376-20221003-soupcons-conflits-interets-cjr-prononce-lundi-eventuel-renvoi-dupond-moretti">décision</a> » à venir le concernant, comme s’il n’était pas possible de faire confiance à la Cour pour faire preuve d’impartialité. D’où vient ce soupçon ?</p>
<h2>Une institution créée de toute pièce en 1993</h2>
<p>Alors qu’il était admis depuis le vote de l’article 12 de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1875-iiie-republique">loi constitutionnelle du 16 juillet 1875</a> que les victimes d’infractions imputables à un ministre en exercice pouvaient s’en plaindre devant le juge pénal, la Cour de cassation avait considéré en 1963 que seuls les parlementaires pouvaient les mettre en cause à raison de crimes ou délits accomplis dans <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007055418">l’exercice de leurs fonctions</a> devant la Haute Cour de justice.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Cour de Justice de la République, France Info/INA.</span></figcaption>
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<p>Des parties civiles ayant adressé une pétition au Sénat les 27 juillet et 20 août 1992 contre le blocage qu’engendrait à leurs yeux cette solution, le Parlement réuni en Congrès décidait de voter la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 créant la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-revisions-constitutionnelles/loi-constitutionnelle-n-93-952-du-27-juillet-1993">CJR</a> pour trouver le bon équilibre entre le droit légitime des victimes à pouvoir voir l’auteur de leur dommage condamné ; et le droit tout aussi légitime des ministres à voir les poursuites les visant instruites et jugées aux termes d’un procès équitable.</p>
<h2>Concilier deux visions antagonistes de la responsabilité ministérielle</h2>
<p>Il est vrai que l’élaboration de la révision de 1993 a vu s’affronter deux conceptions très différentes de la séparation des pouvoirs dont découlent deux visions opposées de la responsabilité ministérielle, toujours <a href="https://www.lgdj.fr/la-protection-des-decideurs-publics-face-au-droit-penal-9782275033129.html">en débat depuis la Révolution française.</a></p>
<p>Tandis que la première s’en remet à l’alliance du juge pénal et des justiciables pour prévenir l’arbitraire du pouvoir ministériel, la seconde subordonne toutes poursuites contre les ministres à l’accord préalable d’assemblées parlementaires par ailleurs seules à même de les juger par crainte du gouvernement des juges.</p>
<p>La création de la CJR était ainsi censée trouver un meilleur équilibre entre les dangers d’une immunité-impunité nocive pour la confiance des citoyens envers les institutions de la République ; et le risque d’une responsabilité sans limite, érigeant les membres du gouvernement en bouc-émissaires faciles de tous les maux de la société.</p>
<h2>Une quête de l’équilibre</h2>
<p>Les règles d’organisation et de fonctionnement de la CJR ont d’abord veillé à préserver les droits des ministres : d’une part, les plaintes ne peuvent prospérer devant la commission d’instruction qu’à condition de préalablement passer le filtre d’une autre commission : la commission des requêtes dont la composition est « extra-judiciaire » : puisqu’y siègent trois magistrats de la Cour de cassation entourés de deux conseillers d’État et de deux conseillers maîtres <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006492265">à la Cour des comptes</a>, afin que les recours puissent être examinés par des juges pour partie issus des <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/gouvernement/nouveau-gouvernement-combien-d-enarques-entourent-elisabeth-borne-on-vous-repond-d90102a0-d843-11ec-8904-9cb8c32f5ee6">mêmes écoles</a> de la haute administration que les gouvernants, et familiers de ce fait des difficultés de <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2018-4-page-111.htm">l’exercice du pouvoir</a>.</p>
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<p>D’autre part, 12 des 15 membres de la formation de jugement de la CJR sont des parlementaires – sans forcément de qualification juridique –, élus pour moitié par l’Assemblée nationale parmi les députés et pour moitié par le Sénat parmi les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006492265">sénateurs</a>.</p>
<p>La réforme n’en a ensuite pas moins constitué une avancée pour les victimes. Par rapport aux règles applicables depuis 1963, ces dernières ne se sont pas seulement vues reconnaître le droit d’initier les poursuites ; elles ont aussi pu compter sur l’expertise de magistrats indépendants : puisque trois nouveaux magistrats judiciaires élus par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046179853">Cour de cassation</a> composent la commission d’instruction de la CJR et que trois autres siègent dans sa formation de jugement.</p>
<p>L’importance des garanties offertes aux ministres devant la Cour n’en reste pas moins telle que la déclaration des avocats du garde des Sceaux peut surprendre.</p>
<h2>Des décisions souvent soupçonnées de partialité</h2>
<p>Cette déclaration s’explique néanmoins à la lumière de l’expérience, dans la mesure où les décisions de la CJR sont souvent accusées de partialité.</p>
<p>Sa commission d’instruction est régulièrement suspectée par le pouvoir politique d’être constituée de magistrats judiciaires aux ordres de la majorité du <a href="https://twitter.com/JLMelenchon/status/1366457530017320960?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1366457530017320960%7Ctwgr%5E92e5b171e7c66f6a0bbc8c17da5264f2f6b45313%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fle-proces-sarkozy-montre-aussi-comment-letat-se-preserve-des-affaires-nefastes-a-son-economie-156423">moment</a> ou cherchant à régler leurs comptes avec les gouvernants ; tandis que sa formation de jugement est tout aussi régulièrement soupçonnée par les victimes d’être composée de juges-parlementaires acquis à la cause des ministres.</p>
<p>Ce qui ne se vérifie d’ailleurs pas toujours en pratique – puisque si des parlementaires proches du mis en cause peuvent y siéger, l’intéressé peut également être jugé par ses opposants politiques – ; mais pose dans tous les cas des problèmes d’impartialité : puisque la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi être perçue comme l’ayant été sans parti pris et de façon indépendante, comme le juge la <a href="https://books.openedition.org/putc/283?lang=fr">CEDH</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait de Christine Lagarde en 2020, présidente de la Banque centrale européenne" src="https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490639/original/file-20221019-12170-tit42e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Christine Lagarde en 2020, présidente de la Banque centrale européenne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:(Christine_Lagarde)_New_ECB_Chief_Lagarde_to_address_plenary_for_first_time_(49521491927)_(cropped).jpg">European Union 2020 -- Source : EP</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Il est en outre arrivé que la CJR rende une décision plus sévère que la justice ordinaire à propos de mêmes faits, Christine Lagarde ayant par exemple été condamnée <a href="https://www.huffingtonpost.fr/justice/article/christine-lagarde-coupable-mais-dispensee-de-peine-comment-ca-marche_90829.html">avec dispense de peine</a> dans le cadre de l’affaire Tapie quand ses co-mis en cause, non concernés par le privilège de juridiction ministériel, étaient relaxés par le <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/affaire-tapie-christine-lagarde-condamnee-trop-tot-20190709">tribunal correctionnel de Paris</a>.</p>
<h2>Vers une nouvelle réforme de la responsabilité ministérielle ?</h2>
<p>Face aux défauts de la CJR révélés par la pratique, le <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/124000596.pdf">rapport Jospin de 2012</a> et un projet de révision constitutionnelle du 9 mai 2018 – présenté par Edouard Philippe <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0911_projet-loi">au nom du président Macron</a> – avaient proposé de la supprimer, pour confier au juge pénal le soin de connaître des infractions ministérielles – sous réserve de quelques aménagements procéduraux justifiés pour l’essentiel par les spécificités du statut de membre du gouvernement.</p>
<p>Dès lors que le juge judiciaire est déjà compétent pour juger les actes détachables de l’exercice des fonctions <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007066135">ministérielles</a>, l’idée a fait son chemin de revenir à la solution de la III<sup>e</sup> <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1875-iiie-republique">République</a>, de façon à confier à la « justice ordinaire » le soin de trancher les infractions commises dans l’exercice de ces fonctions.</p>
<p>À l’appui de cette solution, on peut relever que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme oblige depuis les années 1980 le juge pénal à respecter le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en cause, et à instruire à charge <em>et</em> à décharge les faits qui leur sont reprochés : pour que la loi soit « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » comme le commande l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527432/">article 6</a> de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.</p>
<h2>L’avenir des poursuites pour mauvaise gestion en question</h2>
<p>Le débat s’est pour cette raison déplacé depuis le tournant des années 2000 sur l’opportunité de dépénaliser les infractions non-intentionnelles pouvant être reprochées <a href="https://www.puf.com/content/Le_sang_contamin%C3%A9">aux ministres</a>, en contrepartie de leur soumission à la justice ordinaire – le Comité en charge du rapport sur les États généraux de la justice ayant même spontanément présenté la nécessité de « réarticuler responsabilité politique et responsabilité pénale » des gouvernants comme un moyen de rendre la justice aux citoyens… aussi paradoxal que cela puisse paraître lorsque l’on sait que la justice politique conduit en pratique à substituer les représentants aux citoyens dans la prise de <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/285620.pdf">décision</a>.</p>
<p>Ces infractions correspondent quoiqu’il en soit à la mauvaise gestion supposée des membres du gouvernement, notamment face à une situation de crise comme dans le cas du sang contaminé ou de l’épidémie du Covid-19.</p>
<p>Or, de tels faits relèvent aujourd’hui de l’article 121-3 du code pénal ; dont les conditions d’application ont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000205593/">déjà été durcies en 2000</a>, de façon à éviter une condamnation trop facile des décideurs publics face à des évènements imprévisibles.</p>
<h2>Le spectre du retour d’une immunité-impunité</h2>
<p>Dans sa version actuelle, l’article confirme l’impossibilité d’engager la responsabilité pénale de tout à chacun à raison de faits qui ne lui sont pas personnellement imputables. Il ne permet en outre de condamner pénalement les personnes qui ont indirectement créé le dommage ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter que dans deux cas. S’il est établi qu’elles ont :</p>
<p>1°) « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ;</p>
<p>2°) « soit commis une faute caractérisée » (l’équivalent d’une faute lourde) « et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».</p>
<p>En pratique, ces nouvelles règles ont permis la relaxe d’un certain nombre d’élus <a href="https://www.letelegramme.fr/ar/viewarticle1024.php?aaaammjj=20000920&article=1679236&type=ar">locaux</a> depuis leur adoption sans empêcher la condamnation d’autres – ce qui semble prouver qu’un équilibre satisfaisant a été atteint dans la répression de ce type d’infraction.</p>
<p>D’autant que la réforme doit être rapprochée d’autres <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/285620.pdf">évolutions de la procédure pénale</a>, comme la loi du 27 février 2017 qui plafonne en matière délictuelle à 6 ans la prescription en temps normal et à 12 en cas d’infraction dissimulée : de sorte par exemple que les ministres ne pourraient se voir reprocher leur inaction climatique au pénal au-delà de ce laps de temps.</p>
<p>Le projet de révision de 2018 estimait malgré tout que les ministres ne devaient être mis « en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable » ; formulation ambiguë qui aurait pu rendre à l’avenir impossible leur mise en cause pénale pour des infractions non-intentionnelles alors que la législation est déjà restrictive en la matière.</p>
<p>De sorte qu’on peut s’interroger : dès lors que la démocratie postule en toutes circonstances le respect de la volonté générale ; et le libéralisme l’obligation de chacun d’assumer personnellement la responsabilité de ses actes, la pénalisation de la vie politique constitue-t-elle véritablement une perversion de la démocratie libérale ou au contraire l’expression de sa maturité ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192363/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Bottini est chargé de mission pour la Fondafip, le think-thank des Finances publiques, membre de l'Observatoire de l'éthique publique (OEP), du Themis-UM et de la MSH Ange Guépin. Il a perçu ou perçoit des subventions de la part du LexFEIM, laboratoire de recherche en droit, et de la Mission de recherche Droit & Justice. Il est par ailleurs titulaire de la chaire "Innovation" de l'Institut Universitaire de France et de la chaire "Neutralité Carbone 2040" de Le Mans Université qui financent également en partie ses travaux.
</span></em></p>Les cas Dupont-Moretti et Philippe éclairent les tensions qui fragilisent la Cour de Justice de la République, censée arbitrer quant à la responsabilité des ministres dans des affaires publiques.Fabien Bottini, Professeur des Universités en droit public, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1928912022-10-20T15:09:12Z2022-10-20T15:09:12ZDevoir d’exemplarité : détricoter les cols roulés des politiques<p>L’hiver avant l’hiver. Cols roulés pour les figures de proue de l’exécutif, d’Emmanuel Macron à Bruno Le Maire, en passant par Agnès Pannier-Runacher, sans oublier la doudoune d’Élisabeth Borne. Des tenues qui font suite au <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf">« Plan de sobriété énergétique. Une mobilisation générale »</a> présenté par le gouvernement le 6 octobre dernier. Alors que les ministres s’évertuent à recevoir les journalistes en cols roulés, on pourrait se demander si ce nouvel attribut gouvernemental est vraiment nécessaire dès octobre lorsqu’il fait 19 °C dans une pièce. Les réactions suscitées oscillent entre moqueries, « trolls » et critiques politiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1574792222515630086"}"></div></p>
<p>Visiblement vexé, <a href="https://www.facebook.com/blm27/posts/650864646389870">dans une publication Facebook, le ministre de l’Économie écrit</a> : « Pardonnez-moi de vous déranger pour un col roulé », avant de poursuivre, dans un registre plus grave :</p>
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<p>« Tant de bruit pour si peu de sens : voilà le drame de notre vie démocratique. Qui ne se découragerait pas devant tant de futilité ? »</p>
</blockquote>
<p>Lui qui se met régulièrement en scène sur les réseaux sociaux pourrait se voir rétorquer la <a href="https://libertas.co/wiki/Jacques-B%C3%A9nigne_Bossuet">phrase fameuse de l’évêque Bossuet</a>, maxime qu’il aura peut-être déjà entendue chez les jésuites, où il a été formé, comme l’homme d’Église du XVII<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. »</p>
</blockquote>
<p>Revenons à ce mois d’octobre 2022, pendant lequel Pascal Riché, <a href="https://www.nouvelobs.com/editos-et-chroniques/20221013.OBS64550/la-politique-du-col-roule.html">dans une chronique pour l’Obs</a>, déplore que « face à l’immense défi environnemental, prôner le col roulé et autres « écogestes » ne peut tenir lieu de politique ».</p>
<p>Pourtant, les rires et les critiques provoquées nous révèlent des évolutions du concept d’« exemplarité » dans le contexte politique. Or, cette dernière peut-elle opérer sa transposition à la question environnementale ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/se-renouveler-en-politique-mission-impossible-189995">Se renouveler en politique : mission impossible ?</a>
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<h2>L’exemplarité comme concept</h2>
<p>Le concept d’« exemplarité » a une origine morale, qui renvoie à la capacité, généralement exigeante, à être cité en modèle à suivre, en raison de sa conduite édifiante, si l’on se tient à la <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/exemplarit%C3%A9/32075">définition du Larousse</a>. Historiquement, elle est (déjà) exigée concernant les monarques de l’Ancien Régime, qui se devaient, vis-à-vis de leurs sujets, de suivre scrupuleusement la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/le-devoir-d-exemplarite-politique-en-france-une-exigence-seculaire_1878852.html">praxis religieuse</a>. Si l’impératif de publicisation de l’exemplarité perdure pour nos gouvernants contemporains, la visibilité est néanmoins plus large que celle des monarques de l’Ancien Régime.</p>
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<p>En effet, à propos des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/05/31/l-affaire-richard-ferrand-en-cinq-questions_5136649_4355770.html">soupçons de malversations immobilières</a> pesant sur Richard Ferrand (qui devrait bénéficier d’un <a href="https://www.liberation.fr/politique/affaire-ferrand-lex-president-de-lassemblee-echappe-finalement-aux-poursuites-20221005_UV6GCRC5YJHAVDMVQC5E7VNI7Q/">non lieu</a> car les faits lui ayant été reprochés ont été considérés comme prescrits) au printemps 2017, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/affaire/affaire-richard-ferrand/video-edouard-philippe-defend-son-ministre-richard-ferrand-qui-peut-rester-au-gouvernement-malgre-l-exasperation-des-francais_2214468.html">Édouard Philippe, alors Premier ministre, glissait sur le plateau de France 2</a> qu’il attendait des ministres « d’être exemplaire dans leur attitude de ministre, et être exemplaire y compris dans leur vie privée ».</p>
<p>Cette déclaration s’inscrit dans le contexte plus général de <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/19557-moralisation-confiance-dans-la-vie-politique-que-changent-les-lois-du">lois de moralisation de la vie politique votées en 2013 et 2017</a>, qui suivent les premiers textes juridiques des années 1980, en raison d’une médiatisation accrue des scandales publics. Le fond (les scandales) combiné à la forme (la forte médiatisation) provoque une décroissance de la confiance accordée aux gouvernants, in fine de leur légitimité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-parlementaires-face-au-changement-climatique-quelles-convergences-avec-les-francais-154010">Les parlementaires face au changement climatique : quelles convergences avec les Français ?</a>
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<h2>Quand le privé est politique</h2>
<p>Dans une actualité plus récente, la sortie du foyer des <a href="https://theconversation.com/accusations-de-violences-a-lencontre-du-personnel-politique-ce-que-dit-le-droit-191561">questions de violences conjugales</a> alimente l’idée que le privé est politique, que ces questions doivent être traitées et débattues politiquement à l’échelle de la société. C’est à cet égard que la philosophe Geneviève Fraisse <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/violences-sexistes-en-politique-l-epineux-chemin-de-l-exemplarite-4543740">rappelle</a> le « tout est politique », mot d’ordre des féministes des années 1970, à l’occasion d’une matinale de France Culture revenant sur l’anniversaire du mouvement #MeToo.</p>
<p>Si l’exemplarité est souvent exigée par les gouvernés, il lui arrive d’être parfois stigmatisée, à l’instar d’Alain Juppé et Laurent Fabius, souffrant tous les deux de leur étiquette de « premier de classe » peu charismatique. Leurs cas montrent, <a href="https://books.openedition.org/pur/72665?lang=fr">selon Christian Le Bart</a>, que « la représentativité est donc moins affaire d’exemplarité et davantage de singularité, d’expressivité, et de visibilité ». Dans ce chapitre de <a href="https://pur-editions.fr/product/7754/pratiques-de-la-representation-politique">« Pratiques de la représentation politique »</a> (2014), le politiste poursuit en concluant :</p>
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<p>« C’était comme si l’exemplarité ne suffisait plus ; comme si, surtout, l’exigence de médiatisation imposait une contrainte de visibilité qui s’accommode mal de l’impersonnalité. »</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/petit-guide-de-survie-a-lusage-de-lhomme-politique-mis-en-cause-132392">Petit guide de survie à l’usage de l’homme politique mis en cause</a>
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<h2>La « conversion écologique »</h2>
<p>Dans le contexte de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/face_a_gaia-9782359251272">« nouveau régime climatique »</a>, expression chère du regretté Bruno Latour, l’« exemplarité » des gouvernés est désormais accolée à l’écologie. Revenons ici sur la « conversion écologique » du concept, de la sphère religieuse à la sphère gouvernementale, en passant <a href="https://irm.u-bordeaux.fr/L-Institut/Equipe/SIMON-Gauthier">par le militantisme</a>.</p>
<p>À la suite de l’idée de « prophète exemplaire » du sociologue Max Weber, dans le <a href="https://editions.flammarion.com/le-pelerin-et-le-converti/9782080674807"><em>Le Pèlerin et le converti</em></a> (1999), sa consœur Danièle Hervieu-Léger développe la thèse selon laquelle le converti serait une « figure exemplaire du croyant », présentant sa conversion comme une « protestation contre le désordre du monde ».</p>
<p>Plus spécialiste des mouvements sociaux contestataires, le politiste Gildas Renou <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724623550-page-244.htm%22">remarque</a>, à propos de l’exemplarité :</p>
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<p>« une acclimatation, au sein de la sociologie de l’activisme, de l’héritage de la sociologie des religions de Max Weber et, plus précisément, de son analyse des “conduites de vie” visant au salut par l’imitation de pratiques exigeantes ».</p>
</blockquote>
<p>Selon lui, le concept permet justement de « rendre compte de la diffusion, depuis environ deux décennies, de ce schème d’articulation entre le changement personnel et le changement sociopolitique ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/radicalite-et-emotions-comment-se-mobilisent-les-militants-pour-le-climat-181502">Radicalité et émotions: comment se mobilisent les militants pour le climat</a>
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<h2>Montrer sa révolution</h2>
<p>Geneviève Pruvost approfondit cette réflexion dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/quotidien_politique-9782348069666"><em>Quotidien politique</em></a> (2021), où elle énonce que :</p>
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<p>« Pour que le virage soit pris au sérieux et reconnu comme tel par les proches, des plus sceptiques aux plus véhéments, il faut de longues années de mise à l’épreuve et de démonstrations d’exemplarité, un certain jusqu’au-boutisme qui force le respect. »</p>
</blockquote>
<p>Pour des militants, parfois radicaux et critiques des institutions politiques, il s’agit de publiciser sa révolution afin d’espérer, ensuite, de révolutionner les autres.</p>
<p>Or, on retrouve cette même logique enroulée dans les cols des gouvernants institutionnels. La présentation de soi vestimentaire est analysée par le prisme de la « mise en cohérence », non plus du simple esthétisme politique, comme l’était le col, pas roulé mais Mao, de <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2017/06/27/01002-20170627ARTFIG00282-jean-luc-melenchon-refuse-symboliquement-de-porter-la-cravate-a-l-assemblee.php">Jean-Luc Mélenchon</a>.</p>
<p>Dans le déploiement du « Plan de sobriété énergétique », la conversion écologique est articulée à la fois à un niveau collectif, les politiques publiques, et à un niveau individuel des gouvernants. Et ce, dans un souci de cohérence, qui n’est plus entre la vie privée et la vie publique, mais qui relève davantage de la présentation de soi publique.</p>
<p>Y a-t-il aujourd’hui d’autres sujets politiques où le changement collectif est à ce point transposé à une échelle individuelle ? Que cela soit dans les sphères religieuse, militante ou gouvernementale, le concept d’« exemplarité » revêt une dimension stratégique de diffusion d’un message. En somme, ce détail vestimentaire dévoile une nouvelle déclinaison de l’exigence croissante de mise en cohérence entre la théorie et la pratique, ici de la part des gouvernants à l’égard des gouvernés. Certains pourraient toutefois y voir un tournant moral ou <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/lecologie-politique-face-a-la-depolitisation-des-enjeux-climatiques-et-environnementaux/">dépolitisant</a>, dans une rhétorique globale du « chaque geste compte ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192891/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gauthier Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les moqueries provoquées par le port de cols roulés par des personnalités politiques nous révèlent des évolutions du concept d’« exemplarité ». Mais vers quelle transition écologique ?Gauthier Simon, Doctorant contractuel en science politique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1902612022-09-13T19:18:14Z2022-09-13T19:18:14ZRishi Sunak premier ministre : la « diversité » toute relative du gouvernement britannique<p>Pour de nombreux britanniques d'origine sud-asiatique et particulièrement indienne, l'annonce de Rishi Sunak comme successeur à Liz Truss à Downing Street<a href="https://www.theguardian.com/politics/2022/oct/24/rishi-sunak-becomes-first-british-pm-of-colour-and-also-first-hindu-at-no-10"> est une occasion de se réjouir</a>. Premier <a href="https://www.hindustantimes.com/world-news/rishi-sunak-uk-new-prime-minister-rishi-sunak-news-liz-truss-boris-johnson-akshata-murty-rishi-sunak-becomes-uk-s-first-indian-origin-prime-minister-101666604703595.html">«Premier ministre» d'origine indienne</a> comme le souligne le <em>Hindustan Times</em> en Inde, la trajectoire de cet homme politique (parti conservateur) s'inscrit dans une nouvelle génération politique issue de l'immigration, mais aussi aisée financièrement et bien connectée. </p>
<p>Aux quatre postes clés de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/07/liz-truss-la-premiere-ministre-britannique-nomme-un-gouvernement-de-fideles_6140473_3210.html">l'éphémère gouvernement Truss</a>, on ne trouvait déjà aucun homme blanc. </p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220807-course-%C3%A0-downing-street-rishi-sunak-peut-il-rattraper-son-retard-sur-liz-truss">Rishi Sunak</a> est issu d’une famille aisée originaire de la communauté indienne jadis installée au Kenya. Il est par ailleurs <a href="https://www.journaldequebec.com/2022/10/24/lepouse-de-rishi-sunak--femme-daffaires-ultrafortunee-qui-nest-pas-domiciliee-au-royaume-uni-1">l'époux d'Akshata Murthy</a>, fille du fondateur d'Infosys, géant indien des technologies dont la valeur est aujourd'hui estimée à 100 milliards de dollars. </p>
<p>Autre membre important du gouvernement Truss: <a href="https://www.gov.uk/government/people/kwasi-kwarteng">Kwasi Kwarteng</a>, originaire du Ghana et chargé de l’Économie et les Finances. Les Affaires étrangères avaient été confiées à <a href="https://www.gov.uk/government/people/james-cleverly">James Cleverly</a>, d’origine sierra-léonaise, et l’Intérieur à <a href="https://www.gov.uk/government/people/braverman">Suella Braverman</a>, d’origine indienne et mauricienne.</p>
<p>Ces personnalités ne ressemblent donc guère à la majorité des quelque 160 000 adhérents au parti conservateur. Ce dernier dont la base militante est essentiellement <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/royaume-uni/ages-blancs-et-males-qui-sont-les-electeurs-conservateurs-qui-choisissent-le-premier-ministre-britannique-11832788.php">blanche, masculine et issue de la classe moyenne</a>, serait-il devenu le nouveau symbole de la diversité ?</p>
<p>Rien n’est moins sûr. Derrière cette vitrine, qui permet au parti d’afficher l’image d’une modernité représentative de la société britannique (14 % de la population est issue des minorités ethniques d’après le <a href="https://www.ons.gov.uk/census/2011census/2011censusdata">recensement de 2011</a>), transparaît une classe politique beaucoup plus uniforme qu’il n’y parait et unie par des convictions similaires et un profil socio-démographique homogène.</p>
<h2>« Less stale, pale and male »</h2>
<p>Depuis plusieurs années, les élections législatives sont l’occasion de voir émerger une nouvelle classe politique plus jeune, plus féminine et plus diverse – ou, pour reprendre la formule anglaise consacrée, « moins mûre, moins pâle et moins masculine » (« less stale, pale and male »).</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Aux <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/oee/oee-1586-fr.pdf">élections législatives de 2015</a>, 41 députés dits « BAME » (ou « Black and Asian Minority Ethnic ») (sur un total de 650) ont fait leur entrée au Parlement, dont 23 conservateurs. <a href="https://journals.openedition.org/rfcb/2079">En 2017</a>, ils étaient 52, dont 19 conservateurs ; et depuis les dernières élections de décembre 2019, qui ont <a href="https://theconversation.com/large-victoire-electorale-de-boris-johnson-quelles-consequences-pour-le-royaume-uni-et-pour-le-brexit-128866">permis au parti de Boris Johnson de remporter une forte majorité</a>, ils sont 65, dont 22 conservateurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1220117531031109633"}"></div></p>
<p>Au sein des Tories, ce résultat est le fruit d’un dispositif mis en place en 2006 par le nouveau dirigeant du parti, David Cameron, baptisé la <a href="https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/tories-quietly-drop-david-cameron-s-alist-for-minority-candidates-8199985.html">« A-list »</a> et favorisant les candidatures parlementaires de femmes et de personnes issues de minorités ethniques dans des circonscriptions acquises aux conservateurs.</p>
<p>Liz Truss elle-même avait <a href="https://www.politics.co.uk/reference/elizabeth-truss/">bénéficié de ce dispositif</a>. Mais qui sont aujourd’hui vraiment ces élus conservateurs d’origine immigrée ?</p>
<h2>Des personnalités au profil très libéral</h2>
<p>Sur le plan idéologique, ils présentent un profil assez homogène : la majorité d’entre eux a défendu le Brexit avec passion et affiche des positions ultra-libérales sur les questions économiques et sociales. Une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14782804.2020.1745161">étude</a> que j’ai réalisée auprès des nouveaux élus de 2015 montrait que les minorités ethniques étaient surreprésentées parmi les « Brexiters » du parti. Sur un total de 17 députés issus de l’immigration, 11 avaient fait campagne en faveur du retrait du pays de l’UE, soit 64,7 %, alors que sur l’ensemble du groupe parlementaire (330), ils n’étaient que 144 (43,6 %).</p>
<p>Mais cette proportion était encore plus forte chez les nouveaux élus conservateurs issus de l’immigration, car sur les 7 députés concernés, 5 avaient fait campagne pour le Leave, soit 71,4 %. Plusieurs explications pouvaient être avancées, notamment leur sélection par le parti dans des circonscriptions notoirement favorables au Brexit… ou leurs origines.</p>
<p>On peut en effet comprendre l’intérêt accru de ces députés, originaires pour la plupart des pays du Commonwealth, pour une diplomatie du « grand large » et non limitée à l’UE. Très critiques par ailleurs du principe de libre circulation qui aurait favorisé une <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-4-page-373.htm">immigration est-européenne</a> au détriment de l’immigration historique issue notamment de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh, ces députés ont souvent été de fervents défenseurs d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2020-4-page-166.htm">« Global Britain »</a> post-impériale, hyperglobale, ouverte au reste du monde mais surtout aux anciennes colonies et dominions de l’Empire britannique comme l’Inde ou l’Australie.</p>
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<p>Dans ce contexte précis, la politique inclusive mise en œuvre par le parti conservateur pour sélectionner ses futurs députés s’est avérée particulièrement efficace, la diversité apparaissant comme une stratégie judicieuse permettant à ces députés de parler sans complexe d’immigration et de Brexit sans craindre d’être taxé de xénophobie.</p>
<p>Autre point de convergence idéologique entre ces députés : une conception libertarienne qui plaide pour un désengagement massif de l’État. En 2012, Kwasi Kwarteng, ex-Chancelier de l’Échiquier <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/royaume-uni-kwasi-kwarteng-le-tres-critique-ministre-des-finances-prend-la-porte-20221014_KIJOZMUNENEGDP4ACWZV3DWO5A/">démis de ses fonctions le 14 octobre</a>, et Priti Patel, l’ancienne ministre de l’Intérieur (2019-2022), avaient cosigné avec Liz Truss et d’autres collègues un pamphlet intitulé <a href="https://www.theguardian.com/books/2012/sep/27/britannia-unchained-global-lessons-review"><em>Britannia Unchained: Global Lessons for Growth and Prosperity</em></a>, qui préconisait une libéralisation complète de l’économie britannique, l’extension de zones franches et déréglementées, une fiscalité minimale et dénonçait l’oisiveté des salariés britanniques.</p>
<p>Les partisans de cette tendance qu’on pourrait presque appeler néo-thatchérienne se retrouvent donc aujourd’hui proches d'un parti qui a pourtant été réélu en décembre 2019 sur la base d’un programme interventionniste destiné à aider significativement les régions les plus défavorisées du nord-est de l’Angleterre, en promettant de « rehausser » (« level-up ») le niveau de vie de leurs habitants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/boris-johnson-et-la-bataille-du-nord-de-langleterre-152330">Boris Johnson et la bataille du nord de l’Angleterre</a>
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<h2>L’effacement de l’ethnicité au profit d’une idéologie conservatrice</h2>
<p>La plupart des députés issus des minorités ethniques déclarent représenter leur parti avant tout. À l’inverse de leurs homologues travaillistes, souvent élus dans des circonscriptions à forte population immigrée pour défendre les intérêts des catégories sociales qu’ils représentent, leurs collègues conservateurs <a href="https://trueafrica.co/article/british-politician-kwasi-kwarteng-on-why-identity-politics-are-undemocratic/">réfutent</a> l’idée de servir les intérêts de ces seuls groupes.</p>
<p>Ils veillent même à s’en éloigner, agissant parfois contre leurs intérêts : Priti Patel s’est illustrée comme une ministre de l’Intérieur <a href="https://www.bbc.com/news/uk-61808120">intransigeante sur l’immigration</a> et particulièrement sévère envers l’immigration clandestine ; lorsqu’elle était procureure générale, Suella Braverman a œuvré pour <a href="https://news.sky.com/story/government-diversity-training-riddled-with-left-wing-views-says-suella-braverman-12665204">supprimer la formation à la diversité et à l’inclusion</a> au sein de son administration, jugeant qu’il s’agissait d’un gaspillage d’argent public.</p>
<p>Au-delà de leurs convictions communes, les élus conservateurs issus de l’immigration affichent aussi un profil social homogène. Les sept personnalités nommées par Liz Truss étaient issues de classes moyennes, souvent aisées. Kwasi Kwarteng est le fils d’un diplomate et d’une avocate. Le ministre des Relations intergouvernementales et de l’Égalité des chances Nadhim Zahawi est le fils d’un homme d’affaires d’origine kurde vivant en Irak. Kemi Badenoch, <a href="https://www.telegraph.co.uk/politics/2022/10/22/tory-leadership-race-boris-johnson-rishi-sunak-penny-mordaunt/">qui a soutenu Sunak </a> et a été secrétaire d’État au Commerce international sous Truss, est fille de médecin . Tous, sauf deux d’entre eux, ont étudié dans des écoles privées onéreuses ; et deux ministres, Suella Braverman et Kwasi Kwarteng, ont étudié à l’université de Cambridge.</p>
<p>Ce dernier, passé par le prestigieux pensionnat privé pour garçons d’Eton et par <a href="https://www.cairn.info/l-apprentissage-du-savoir-vivant--9782130474821-page-117.htm">« Oxbridge »</a> (formule indiquant les deux universités les plus sélectives du pays, Oxford et Cambridge), est un pur produit de l’éducation élitiste à l’anglaise. Tous les sept, à l’exception de Nadhim Zahawi, forment des couples mixtes avec des conjoints qui ne sont pas issus de minorités ethniques.</p>
<p>Si ces ministres n’hésitent pas à mettre leurs origines en avant pour assainir et moderniser l’image de leur parti, ils n’en sont pas moins des conservateurs radicaux qui rejettent le concept même de « minorité » et ce qu’il implique. Comme l’expliquait Suella Braverman pour justifier la fin de la formation à la diversité dans son ancien ministère :</p>
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<p>« (Cette réforme) a été source de division et non d’inclusion […] fondée sur l’hypothèse qu’en tant que femme d’origine asiatique, issue des classes populaires, je suis forcément une victime, opprimée. C’est une hypothèse erronée, source de division. »</p>
</blockquote>
<p>Cette diversité tant vantée dans les médias ressemble donc à une jolie vitrine qui lui permet de nommer des ministres appartenant à la ligne « dure » du parti sur les sujets les plus sensibles comme le rôle de l’État ou l’identité nationale. On pourrait même craindre qu’elle ne soit finalement qu’un alibi les autorisant à mener des réformes douloureuses au motif que leur parcours personnel les exonère d’emblée des critiques éventuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès Alexandre-Collier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs ministres de premier plan nommés par Liz Truss dénotent avec le profil des électeurs traditionnels du parti conservateur. Cela aura-t-il un impact sur la politique du nouveau gouvernement ?Agnès Alexandre-Collier, Professeur de civilisation britannique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897312022-09-06T21:40:30Z2022-09-06T21:40:30ZLa France insoumise peut-elle se donner les moyens de ses ambitions ?<p>« Je souhaite être remplacé » : les <a href="https://reporterre.net/Jean-Luc-Melenchon-Je-souhaite-etre-remplace">mots sont ceux de Jean-Luc Mélenchon</a>, lors d’un entretien avec Reporterre, au cours duquel le fondateur de La France insoumise aborde la question sensible de sa succession. Le sujet s’est parfois immiscé dans les conversations pendant l’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat-d-ete/le-temps-du-debat-du-mercredi-24-ao%C3%BBt-2022-8751073">université d’été</a> – les <a href="https://amfis2022.fr/">Amfis</a> – de la France insoumise édition 2022, qui a donné lieu aux traditionnelles discussions sur les « refondations » à engager.</p>
<p>Dans le sillage du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/resultats-presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-termine-troisieme-du-premier-tour-avec-20-1-des-voix-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5063749.html">résultat</a> de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle (21,95 % des voix au premier tour) et des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/resultats-des-legislatives-2022-la-nupes-obtient-149-sieges-et-devient-la-premiere-force-d-opposition-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5201320.html">scores de la Nupes</a> aux élections législatives, les débats ont beaucoup tourné autour de l’électorat cible de la France insoumise et des moyens à mettre en œuvre pour conquérir <a href="https://blogs.mediapart.fr/antoine-sallespapou/blog/170422/lecons-du-10-avril">« ceux qui manquent »</a>, convaincre les « fâchés mais pas fachos » et partir à l’assaut des campagnes populaires, comme le martèle le député de la Somme <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere-des-faches-pas-fachos-20220413_5SLOQ2OMTVDYPG3IPAM5OTXGTA/">François Ruffin</a>.</p>
<p>D’autres enjeux, moins médiatisés, se jouent en interne concernant la structuration organisationnelle du parti, comme en témoignent l’intervention très remarquée de Clémentine Autain sur son <a href="https://clementine-autain.fr/lfi-franchir-un-cap-pour-gagner/">blog personnel</a> ou la récente contribution du sociologue <a href="https://www.contretemps.eu/france-insoumise-construction-mouvement-politique-populaire/">Étienne Pénissat</a>. Tous deux soulignent la nécessité de dépasser la forme originelle <a href="https://le1hebdo.fr/journal/melenchon-dit-tout/174/article/l-insoumission-est-un-nouvel-humanisme-2481.html">« gazeuse »</a> du mouvement pour adapter son organisation à la séquence politique à venir.</p>
<h2>Un cœur battant au Palais Bourbon</h2>
<p>La France insoumise a tiré profit de la nouvelle donne parlementaire. Avec ses 75 élus, le parti a plus que quadruplé son nombre de députés. Surtout, les élections législatives ont propulsé à l’Assemblée nationale des chevilles ouvrières de LFI, à l’image de Clémence Guetté, jusqu’alors secrétaire générale du groupe parlementaire et coordinatrice du programme, ou de Paul Vannier, co-responsable de l’espace élections. Manuel Bompard, l’un des principaux stratèges du parti, a lui aussi migré du Parlement européen vers le Palais Bourbon.</p>
<p>Même en l’absence de Jean-Luc Mélenchon, dont le rôle à venir est encore incertain, le cœur du réacteur insoumis est plus que jamais implanté à l’Assemblée nationale. Cette phase de croissance institutionnelle ouvre de nouvelles perspectives au mouvement créé en 2016 : accès à certains postes clés de l’Assemblée, visibilité médiatique accrue, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/21/comment-les-resultats-des-legislatives-vont-affecter-les-finances-des-partis-politiques_6131386_823448.html">doublement du financement public perçu chaque année</a>, opportunités de professionnalisation pour des militants recrutés en tant qu’assistants parlementaires, etc.</p>
<p>Mais la centralité du groupe parlementaire dans l’ossature du mouvement soulève également nombre de questions quant à l’avenir d’une organisation jusqu’ici très centralisée et conçue sur mesure pour les campagnes électorales nationales.</p>
<h2>Le mouvement « gazeux » à l’épreuve de l’implantation locale</h2>
<p>La France insoumise figure parmi ces nouvelles entreprises politiques, à l’instar de Podemos en Espagne ou du Mouvement cinq étoiles italien, qui ont récusé dans les années 2010 les formes traditionnelles de structuration partisane pour revendiquer l’appellation de « mouvement ». Cela se traduit notamment par l’assouplissement de l’adhésion et l’absence de strates intermédiaires entre le groupe dirigeant et la base militante.</p>
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<p>La France insoumise n’a donc pas mis en place d’instances territoriales ni désigné ou élu des référents locaux. Ce choix tranche avec le fonctionnement d’autres grands partis, organisés en fédérations à l’échelle des départements, ou des régions pour Europe Écologie–Les Verts. À LFI, le maillage territorial repose tout entier sur les groupes d’action (GA) qui réunissent les militants à l’échelle d’une ville ou d’un quartier sans – sur le papier – la possibilité de mettre en place des coordinations à un échelon supérieur.</p>
<p>Élaboré pour concentrer les efforts sur le scrutin présidentiel, limiter la bureaucratisation du parti et prévenir l’apparition de baronnies locales, comme l’a bien expliqué le politiste <a href="https://journals.openedition.org/crdf/301">Rémi Lefebvre</a>, ce modèle peut-il perdurer dans les prochaines années ?</p>
<p>Jusqu’ici, la France insoumise s’est accommodée de cette structure souple et d’une base militante en grande partie évanescente, caractérisée par des engagements intermittents, affluant et refluant au gré des séquences de mobilisation électorale. La pérennité de ce modèle au cours des cinq dernières années tient en partie à son intériorisation par des militants pétris par la culture de l’action dispensée par le groupe dirigeant, constitué autour du groupe parlementaire et des quelques permanents au siège parisien du parti.</p>
<h2>La primauté à l’action de terrain</h2>
<p>Qu’ils soient novices ou qu’ils conçoivent leur militantisme insoumis comme le complément d’un engagement associatif ou syndical, ceux-ci, lors de mes entretiens, décrivent volontiers leur investissement comme exclusivement tourné vers l’action de terrain – à savoir le travail de mobilisation électorale – et désencombré des querelles intestines et des rigidités bureaucratiques qui caractérisent selon eux les partis traditionnels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">LFI : du pari à la mutation ?</a>
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<p>Cette culture partisane a toutefois été mise à l’épreuve par les dernières élections territoriales. En « enjambant » les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/10/21/la-france-insoumise-veut-enjamber-les-elections-municipales_6016317_823448.html">élections municipales de 2020</a> et en plaçant au second plan les élections départementales et régionales en 2021, la direction de la France insoumise a pu susciter un sentiment d’abandon chez une partie des militants impliqués localement dans ces séquences électorales, qui s’est traduit par une certaine lassitude et par le désir d’une structure plus formalisée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiches réalisées par le Discord insoumis, à l’université d’été de la France insoumise, 27 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La croyance dans l’efficacité du « gazeux » s’est parfois effritée devant l’improvisation, la difficulté à coordonner les équipes militantes et à faire émerger des cadres clairement identifiés localement. Ces doutes ont pu être accentués par le contraste avec les partis rivaux à gauche qui, du fait d’une implantation ancienne et d’une organisation locale plus rodée, apparaissaient mieux armés pour affronter ce type de scrutins.</p>
<p>Cet enjeu de la structuration territoriale pourrait s’accentuer en préparation des futurs scrutins locaux. La conquête du pouvoir local est un défi que la France insoumise partage d’ailleurs avec la République en marche : les deux partis sont devenus incontournables au niveau national sans parvenir – sans chercher ? – à détrôner de leurs bastions institutionnels locaux des partis plus solidement ancrés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon : l’arme du charisme en politique</a>
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<h2>Concrétiser le « parti-mouvement » ?</h2>
<p>La culture de l’action professée par LFI est aussi éprouvée par le décalage entre l’autonomie théoriquement accordée aux groupes d’action et la faiblesse des moyens qui leur sont effectivement octroyés. Les militants sont nombreux à demander la mise en place d’un véritable mécanisme de financement des « GA » afin que ces derniers puissent louer des salles, organiser des formations, mener des actions sur leurs territoires, sans avoir à recourir, comme la plupart du temps aujourd’hui, à l’autofinancement.</p>
<p>Si ces demandes ne sont pas nouvelles, elles rencontrent davantage d’écho depuis le relatif succès du parti aux élections législatives, qui pose avec une acuité nouvelle la question du ruissellement des fonds partisans, et compte tenu de la volonté affichée par la France insoumise de <a href="http://www.regards.fr/actu/article/manuel-bompard-une-force-d-alternative-prete-a-gouverner-demain">« favoriser les dynamiques d’auto-organisation populaire »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les cadres LFI : Adrien Quattenens,Manuel Bompard et Jean-Luc Mélenchon, université d’été de la France insoumise, 28 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La France insoumise a-t-elle l’ambition et les moyens de se constituer en un véritable « parti-mouvement » ? Pour le politiste <a href="https://sk.sagepub.com/reference/hdbk_partypol/n24.xml">Herbert Kitschelt</a>, le parti-mouvement désigne une organisation souple et peu formalisée qui importe dans la compétition partisane le répertoire d’action des mouvements sociaux, conjuguant activité parlementaire et mobilisations extra-institutionnelles.</p>
<p>LFI correspond déjà partiellement à cette formule. <a href="https://populisme.be/articles_sc/le-local-desinvesti-une-analyse-de-lancrage-territorial-de-podemos-et-de-la-france-insoumise/">Ses militants</a> participent de multiples mobilisations collectives et ont souvent pied dans le milieu associatif.</p>
<h2>Des engagements ambitieux mais à faible portée</h2>
<p>À ces multi-engagements (associatifs, syndicaux, au sein d’organisations contestataires) à la base s’ajoutent quelques initiatives portées par le groupe dirigeant, à l’image de la « marche contre le coup d’État social » au tout début du précédent quinquennat, et des votations citoyennes organisées sur le nucléaire ou sur <a href="https://eau.vote/">l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution</a>.</p>
<p>Toutefois, les projets les plus ambitieux sur le papier n’ont pas eu la portée escomptée. Les pratiques de « community organizing », à l’image de la <a href="https://alliancecitoyenne.org/wp-content/uploads/2016/08/la_traverse_Alinsky_article.pdf">méthode Alinsky</a>, portées par le « pôle auto-organisation » de LFI, n’ont pas essaimé sur l’ensemble du territoire. À l’heure actuelle, la France insoumise est loin d’être parvenue à « se glisser dans tous les interstices de la société », comme le préconisait <a href="https://lvsl.fr/entretien-avec-manuel-bompard/">Manuel Bompard en 2017</a>.</p>
<p>LFI renouera-t-elle avec cette ambition mouvementiste dans les mois et les années à venir ou le parti empruntera-t-il une trajectoire similaire à celle de <a href="http://arbre-bleu-editions.com/podemos-par-le-bas.html">Podemos</a> ? Chez l’allié espagnol, les projets relatifs à l’auto-organisation populaire ont disparu de l’agenda partisan à mesure que le parti engrangeait des positions institutionnelles de premier plan.</p>
<p>En conséquence, les cercles de base se sont peu à peu vidés – ils comptaient, en 2020, 18 791 militants à jour de cotisation – et la capacité de mobilisation qui faisait à l’origine la force du parti s’est considérablement affaiblie.</p>
<p>Dans son discours de clôture des « Amfis », Jean-Luc Mélenchon exhortait les insoumis à lancer des collectes de fournitures scolaires pour la rentrée et à constituer des « escouades citoyennes » pour organiser la solidarité face aux conséquences du dérèglement climatique, en référence aux pluies diluviennes et aux inondations qui pourraient survenir à l’automne. Les propos du candidat insoumis à l’élection présidentielle sonnent comme une nouvelle réaffirmation de cette prétention mouvementiste, reste à voir dans quelle mesure ils seront traduits par l’organisation en des moyens et des dispositifs concrets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Dain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du mouvement La France Insoumise, plusieurs débats concernant la structuration organisationnelle du parti et sa capacité à dépasser sa forme actuelle. Vers quoi ?Vincent Dain, Doctorant en science politique au Laboratoire Arènes, Université Rennes 1, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1899952022-09-05T22:54:46Z2022-09-05T22:54:46ZSe renouveler en politique : mission impossible ?<p>Depuis l’avènement de la V<sup>e</sup> République et l’élection du président de la République au suffrage universel, la vie politique française est façonnée par les élections présidentielles, qui doivent immanquablement marquer un changement, voire une rupture dans les programmes comme dans les pratiques politiques.</p>
<p>En 2007, Nicolas Sarkozy s’est fait élire sur une promesse de « rupture ». En 2012, François Hollande a fait de même en faisant son slogan d’une promesse : « Le changement, c’est maintenant ! » Quant à Emmanuel Macron, en 2017, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/desintox-nouveau-monde-les-marcheurs-ont-la-memoire-courte_2826151.html">il annonçait</a> l’avènement d’un « nouveau monde ». Les résultats de la séquence électorale de 2022, marqués par une forte abstention et la progression des forces d’opposition, rendent nécessaire une transformation profonde.</p>
<p>En cette rentrée politique, perdants comme gagnants sont confrontés à cette question : comment se réinventer en politique sans se trahir ?</p>
<h2>François Mitterrand : se relancer à la conquête du pouvoir</h2>
<p>Cette question, plusieurs personnalités qui ont accédé à la présidence de la République se la sont posée, parfois à plusieurs reprises, au cours de parcours marqués par des évolutions personnelles qui sont autant de jalons vers la conquête puis la préservation du pouvoir. François Mitterrand a ainsi endossé trois rôles successifs.</p>
<p>Entre 1959 et 1965, l’ancien jeune ministre ambitieux de la IV<sup>e</sup> République parvient à faire oublier <a href="https://www.lemonde.fr/vous/article/2008/04/22/la-periode-noire-de-mitterrand_1035313_3238.html">ses liens avec le régime de Vichy</a>, volontiers stigmatisé pour apparaître comme le principal opposant à De Gaulle, regroupant derrière lui une grande partie de ceux qui se réclament de la gauche démocratique et sociale. À partir de 1971, il prend le contrôle du Parti socialiste et devient socialiste – sans cacher qu’il s’agit là d’une forte évolution personnelle. En 1969, dans <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00256/ma-part-de-verite.html">Ma part de vérité</a>, il avait fait cette confidence :</p>
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<p>« Je ne suis pas né à gauche, encore moins socialiste. Il faudra beaucoup d’indulgence aux docteurs de la loi marxiste, dont ce n’est pas le pêché mignon, pour me le pardonner. J’aggraverai mon cas en confessant que je n’ai, par la suite, montré aucune précocité. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, tout au long de ces années 1970 qui préparent son accès à l’Élysée, il se fait le chantre éloquent d’un socialisme d’inspiration marxiste, dans la continuité d’un Jaurès et d’un Blum et dans la foulée de sa <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09082533/francois-mitterrand-celui-qui-n-accepte-pas-la-ruptureil-ne-peut-pas-etre">première déclaration</a> comme premier secrétaire du PS, le 13 juin 1971 :</p>
<blockquote>
<p>« Celui qui n’accepte pas la rupture ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. »</p>
</blockquote>
<p>Une fois parvenu au pouvoir, Mitterrand doit peu à peu faire accepter et incarner lui-même l’adaptation de ce socialisme à l’économie de marché et à ses contraintes. Il ne s’agit pas d’abjurer le socialisme – lors de la présidentielle de 1988, il continue de se dire « socialiste » –, mais plutôt d’en inventer une <a href="https://theconversation.com/union-des-gauches-retour-sur-50-ans-dalliances-et-de-dechirements-182343">version moderne</a>, libérale, européenne. Cette transformation, qui vise à inscrire un gouvernement de gauche dans la durée et à faciliter sa réélection, concerne non seulement le fond, mais aussi la forme du discours du Président.</p>
<p>Le 28 avril 1985, il fait sensation lorsqu’il se présente en président « cablé » (et non plus seulement « branché ») lors d’une interview télévisée avec Yves Mourousi, délibérément placée à la frontière de l’information et du divertissement ; – ce qui était alors une véritable première.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dBqhuL-rmVI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec Yves Mourousi.</span></figcaption>
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<h2>Jacques Chirac, une girouette politique ?</h2>
<p>Dans une carrière politique nationale s’étendant sur une cinquantaine d’années, les changements de position de François Mitterrand ne furent pas très nombreux. Ils ont pourtant contribué à remettre en cause la sincérité des engagements d’un homme souvent décrit comme <a href="https://www.revuepolitique.fr/francois-mitterrand-portrait-dun-ambigu">« ambigü »</a> – ou – pour reprendre les termes d’un de ses biographes, Michel Winock – comme une « personnalité ondoyante » et un <a href="https://www.lejdd.fr/Culture/Michel-Winock-retrace-la-vie-de-Francois-Mitterrand-un-rescape-de-tous-les-naufrages-721550-3172643">« maître de l’équivoque »</a>.</p>
<p>Que dire alors de ses deux successeurs ? Jacques Chirac a été comparé à l’acteur italien Leopoldo Frégoli par plusieurs contemporains, notamment le socialiste <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/03/24/qui-est-jacques-chirac_3869791_1819218.html">Jean-Louis Bianco</a> ou encore le journaliste <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4805728r/f31.texteImage">Jean-Marie Colombani</a>, en raison de ses positions successives et contradictoires.</p>
<p>Il a tour à tour défendu un gaullisme conservateur aux côtés de son mentor Georges Pompidou, puis le « travaillisme à la française » pour se démarquer de Valéry Giscard d’Estaing, contre lequel il lance également, en 1979, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/12/12/dates-il-y-a-quinze-ans-jacques-chirac-lance-l-appel-de-cochin_3974697_1819218.html">« l’appel de Cochin »</a> dénonçant la dilution de la nation française au sein de l’Europe. Après 1981, soucieux de rassembler les droites, il s’est converti à la construction européenne et s’est fait le chantre d’un néo-libéralisme inspiré des modèles américain et britannique avant de stigmatiser la « fracture sociale », dans une ultime métamorphose sociale qui lui permet d’être élu en 1995.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">La France désenchantée ?</a>
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<h2>Nicolas Sarkozy, théoricien de la rupture</h2>
<p>Son successeur, Nicolas Sarkozy, ne cherche pas à relativiser les <a href="https://www.20minutes.fr/politique/1689983-20150918-video-change-sempiternelles-metamorphoses-nicolas-sarkozy">évolutions de son positionnement et de ses discours</a>.</p>
<p>Au contraire, il les assume et les met en scène – car il a bien pris conscience que les électeurs français de ce début du XXI<sup>e</sup> siècle recherchent le changement et sanctionnent systématiquement ceux qui s’inscrivent dans une continuité. Lors des présidentielles victorieuses de 2007, il fait campagne sur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/07/19/pour-nicolas-sarkozy-2007-se-traduira-par-une-volonte-de-rupture_673607_3224.html">« la rupture »</a>, alors même qu’il a occupé des postes-clefs (ministre de l’Intérieur puis ministre de l’Économie) dans le quinquennat qui s’achève.</p>
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<p>Lors du grand discours tenu porte de Versailles en janvier 2007 qui marque le début de sa campagne, il insiste longuement sur le fait qu’il a changé, au plan politique comme au plan personnel.</p>
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<p>« J’ai changé parce qu’une élection présidentielle est une épreuve de vérité auquel nul ne peut se soustraire […]. J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. »</p>
</blockquote>
<p>Candidat à sa réélection cinq ans plus tard, il tente d’exploiter le même ressort, en affirmant « J’ai appris » et en assurant les électeurs qu’il a tiré les leçons de l’exercice du pouvoir présidentiel et qu’il changera sa manière d’incarner la fonction. Et lorsqu’après son retrait consécutif à son échec en 2012 il effectue un retour sur la scène politique, il cherche une nouvelle à se réinventer, en affirmant qu’avec l’âge il a trouvé la « sagesse » et le « recul » qui lui faisaient naguère défaut.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a>
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<h2>Se démarquer par des actes forts</h2>
<p>Se réinventer en politique, ce n’est pas simplement infléchir son discours. Cela passe aussi par des actes forts, notamment par des ruptures. Ainsi, en août 1976 Jacques Chirac démissionne avec fracas de son poste de premier ministre sous Valéry Giscard d’Estaing pour lancer la famille gaulliste à la conquête du pouvoir, autour d’un nouveau parti (le RPR), d’une nouvelle base militante, d’un nouveau programme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Chirac, démission en 1976.</span></figcaption>
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<p>En novembre 2008 Jean-Luc Mélenchon quitte le Parti socialiste dont il animait l’aile gauche depuis une vingtaine d’années. Mélenchon ne présente pas cette rupture comme une transformation de son positionnement, mais au contraire comme une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/11/07/jean-luc-melenchon-quitte-le-ps_1115955_823448.html">marque de fidélité à ses engagements</a>, désormais incompatible avec un Parti socialiste en proie à une « dérive libérale ». Mais par cet acte, il contribue à proposer une nouvelle offre politique qui, au cours des quinze années suivantes, <a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">joue un rôle croissant</a> au sein de la gauche puis de la vie politique française.</p>
<p>Les ralliements constituent une autre forme de réinvention de la position politique d’une personnalité. En apportant en février 2017 son soutien à Emmanuel Macron, François Bayrou met fin à quinze ans d’isolement de la famille politique centriste et commence à ancrer le futur président vers le centre droit. </p>
<p>En octobre 1974, Michel Rocard, accompagné de nombreux cadres et militants du Parti socialiste unifié (PSU), rejoint le PS à l’occasion des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-assises-du-socialisme-ou-lechec-dune-tentative-de-renovation-dun-parti-12-et-13-octobre-1974/">Assises du socialisme</a>. Il quitte alors la position marginale qui était la sienne dans le champ politique, en tant que principal dirigeant d’un parti identifié à l’extrême gauche, pour devenir au sein du PS le porte-drapeau d’une <a href="https://theconversation.com/que-reste-t-il-de-la-deuxieme-gauche-160371">« deuxième gauche »</a>, décentralisatrice et modernisatrice, et disputer le leadership de François Mitterrand. Non seulement cet acte politique majeur transforme Michel Rocard en potentiel candidat à la présidence de la République, mais il constitue un jalon essentiel dans l’évolution du socialisme français.</p>
<h2>Une démarche collective</h2>
<p>Se réinventer en politique n’est pas l’apanage des individus et peut aussi caractériser une démarche collective, qui s’est longtemps exprimée par la création d’un parti politique. Au cours des quarante dernières années toutefois, une seule force politique nouvelle est apparue et s’est cristallisée en parti politique avec la ferme volonté de transformer les pratiques politiques et partisanes et de faire émerger de nouvelles thématiques (l’écologie, la démocratie participative) : il s’agit des écologistes qui, en 1984, créent les Verts qui, au cours de leur histoire et de leurs différentes évolutions stratégiques et partisanes, éprouveront des difficultés à respecter pleinement <a href="https://www.mediapart.fr/journal/bibliotheque/pierre-serne/des-verts-eelv-30-ans-dhistoire-de-lecologie-politique">cette promesse de renouvellement</a>.</p>
<p>Le paysage politique français de la V<sup>e</sup> République est donc davantage marqué par l’évolution des forces politiques existantes que par l’émergence de nouvelles organisations. Ces évolutions internes se traduisent souvent par des changements de nom, comme pour manifester ce désir de se réinventer. Ces changements furent particulièrement nombreux entre 2002 et 2015, notamment à droite, comme pour manifester la fin d’une génération marquée par la rivalité entre Chirac et Giscard : l’UMP, LR, le MoDem, l’UDI sont ainsi apparus, sans forcément changer radicalement l’identité de leur famille politique.</p>
<h2>2017 et les limites des dynamiques de renouvellement</h2>
<p>La seule évolution significative concerne le Front national, devenu Rassemblement national en 2018 : le changement de nom s’inscrit dans la stratégie de « dédiabolisation » adoptée par <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-2-page-13.htm">Marine Le Pen</a>. Celle qui est parvenue à la tête du FN en 2011 cherche avant tout à normaliser et à légitimer une force politique qui a peu changé sur le fond mais qui s’engage dans une logique de conquête de pouvoir, après le cuisant échec du second tour de la présidentielle de 2017.</p>
<p>La présidentielle de 2017 souligne d’ailleurs les limites des dynamiques de renouvellement, qui semblaient bénéficier pourtant d’un contexte favorable : un jeune président qui s’engage à rompre avec « l’ancien monde » et à réformer la société française en brisant les conservatismes ; une majorité parlementaire constituée autour d’une nouvelle organisation et de députés fraîchement élus et souvent issus de la société civile ; une volonté de renouveler la pratique du pouvoir présidentiel et à impliquer davantage les citoyens dans le débat public… Sur ces différents points, le bilan de la première présidence Macron a été mitigé, ce qui explique en grande partie les résultats en demi-teinte du printemps 2022.</p>
<p>Cette incapacité structurelle à réinventer la politique est liée aussi bien au conservatisme des élites dirigeantes qu’aux contraintes liées aux institutions de la V<sup>e</sup> République. Il nourrit en grande partie le <a href="https://spire.sciencespo.fr/notice/2441/f0uohitsgqh8dhk97ikqlahjk">désenchantement démocratique</a> qui saisit les citoyens français en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189995/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont Auvergne, établissement qui bénéficie de subventions publiques.</span></em></p>En cette rentrée politique, perdants comme gagnants sont confrontés à cette question : comment se réinventer en politique sans se trahir ?Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1845692022-07-17T18:23:23Z2022-07-17T18:23:23ZLa France penche-t-elle vers plus d’autoritarisme ?<p>Ce sont les leaders autoritaires qui mènent la danse. Ils sont particulièrement visibles sur le plan politique, notamment à l’extrême droite, de Donald Trump aux États-Unis à Viktor Orban en Hongrie en passant par Jair Bolsonaro au Brésil et Vladimir Poutine en Russie, mais aussi sur la gauche (Hugo Chavez ou Lula, par exemple) et pas seulement à l’étranger. Ils existent également dans les entreprises privées, comme le montre le pouvoir de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quun-leader-176704">« leaders »</a> comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou Elon Musk ou certaines formes de <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Libres-d-obeir">« management »</a>.</p>
<p>L’un des traits les plus marquants des tentatives de dépassement de la situation politique contemporaine est l’autoritarisme. Il est fondé sur la conviction que la vie est déterminée par des règles, des lois et par des puissances qui nous dépassent et qui s’imposent à nous. Elles agissent de l’extérieur sur nous et elles sont indépendantes de notre volonté : des raisons objectives auxquelles on doit consentir. Ces règles, lois et puissances sont considérées comme un destin. Le bonheur serait de se soumettre à ces puissances et d’en jouir. Cette soumission peut devenir souhaitable car les hommes partagent le vécu d’une société qui leur paraît chaotique et sans plan. S’en remettre au destin est, selon ces conceptions, vertueux et jouissif. Cela peut avoir, par exemple, une expression religieuse mais également économique (« les lois du marché »), historique et naturalisée (« la France éternelle ») ou écologique (« la nature »).</p>
<p>L « autorité » désigne toutes les formes d’action qui soumettent les hommes et les femmes afin qu’ils vivent dans la dépendance de l’ordre établi et de la volonté d’autrui. L’autoritarisme revendique le leadership afin d’imposer sa volonté et de rendre les autres dépendants. <a href="https://www.decitre.fr/livres/du-caractere-social-9782841901685.html">L’autoritarisme</a> n’apparaît plus seulement comme l’apanage de l’extrême droite mais semble se généraliser.</p>
<h2>Une demande d’autorité ?</h2>
<p>C’est moins l’existence de personnages autoritaires qui est inquiétante que l’énorme soutien, la large approbation et le consentement à leurs positions, en France comme ailleurs. Les résultats des dernières élections présidentielles en France et diverses <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">enquêtes d’opinion</a> le montrent clairement. Il existe une réelle demande d’une perspective autoritaire dans la population : la demande de l’homme fort ou de la femme forte qui ferait régner l’ordre et la sécurité.</p>
<p>Certes, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Fractures%20Franc%cc%a7aises%20-%20sept%202021.pdf">plupart des Français</a> considèrent la démocratie comme le meilleur système politique (68 % en 2021), mais presque un tiers (32 % en 2021) considère que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie ». 18 % préféreraient un système autoritaire avec un chef qui décide sans être embarrassé par le parlement et son opposition, des syndicats ou d’autres opposants. Dans le contexte de la crise du coronavirus, la fragilité de la démocratie est claire car 44 % des Français préfèrent une politique « efficace » à la démocratie considérée comme inefficace.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a>
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<h2>Peur et impuissance</h2>
<p>La situation politique en France est un terreau exceptionnel pour le développement de l’autoritarisme. Non seulement les « crises » écologiques, institutionnelles, géopolitiques s’éternisent mais elles sont devenues la normalité de la vie quotidienne.</p>
<p>Il règne la peur de lendemains pires que le présent et un <a href="https://editions-croquant.org/livres/805-la-fin-de-la-democratie-.html">sentiment d’impuissance</a> car les citoyens constatent qu’ils n’ont que très peu de prise sur le réel. L’adaptation résignée à cet état est une triste réalité tout comme la quête de sécurité dans la défense de ce qui, dans le passé, leur aurait permis de vivre convenablement ou mieux qu’aujourd’hui : la tradition, les frontières, le nous des « citoyens de souche ». La globalisation et l’européanisation ne sont plus des repères de lendemains meilleurs mais des sources de peurs de vivre dans un monde sans protections, sans frontières et sans règles.</p>
<h2>Gouvernance instrumentale</h2>
<p>La gouvernance englobe et interconnecte systématiquement sur le plan programmatique les mesures à prendre, les règles à respecter et les lieux de décision. Elle est purement instrumentale et elle a comme finalité d’atteindre des buts qu’elle définit elle-même : elle gère. Or, on est à cent lieues de la démocratie où le politique et la politique devraient se développer grâce à la délibération publique sur l’état et les avenirs possibles de la cité.</p>
<p>Certes, nous n’avons jamais connu une cité qui correspond à cette image d’Épinal de la démocratie mais depuis une bonne trentaine d’années, en France, les leaders politiques et les partis politiques dominants n’ont plus d’alternative à présenter à la situation de manques et de souffrances des citoyens et citoyennes. En revanche, la gouvernance exerce le contrôle et, si nécessaire, la révocation des gouvernants qui se sont engagés pour réaliser la politique décidée par les citoyens.</p>
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<p>Le slogan bien connu de Margaret Thatcher « there is no alternative » est devenu le consensus entre les acteurs de la politique institutionnelle et la gouvernance. Entre les années 1980 et le début des années 2000, cette idée était largement partagée au-delà de ce petit monde de politiques professionnels et souvent reprise avec enthousiasme car elle exprimait la possibilité de vivre mieux à l’avenir.</p>
<p>La réalité a été, bien sûr, beaucoup plus contradictoire, mais cela n’est pas notre sujet. Ce qui nous importe est la dépolitisation profonde de la société que la pratique du « there is no alternative » a produite. La politique est désormais la tâche de la gouvernance nationale et internationale, composée d’experts et de professionnels, en général sans mandat électoral (par exemple les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/310322/prestations-offertes-et-jeux-d-influence-revelations-sur-mckinsey-et-emmanuel-macron">experts de cabinets-conseils</a> omniprésents dans les institutions ou des experts qui font partie du personnel des institutions politiques).</p>
<p>Ce sont les instances de la gouvernance qui gèrent les sociétés. Les citoyens peuvent s’engager dans la « société civile », c’est-à-dire surtout dans l’humanitaire et dans la charité. La politique dans le sens classique est devenue indésirable et quasiment impossible.</p>
<h2>Manque d’alternatives</h2>
<p>Cette dépolitisation désarme les citoyens dans le monde contemporain et dans le désordre mondial. La situation est incompréhensible et, par conséquent, immaîtrisable. L’incertitude, la peur, l’impuissance vécue et le manque d’alternatives à cette situation se conjuguent. Mais ce n’est pas le calme plat qui règne. Bien au contraire, il émerge des contestations, des résistances et des luttes dans les secteurs les plus différents : « il faut que ça change » ! Mais comment et dans quel sens ? Les acteurs politiques institutionnels n’ont certainement pas dit leur dernier mot, mais il est évident que le système institutionnel et surtout les partis politiques, autrefois porteurs de projets alternatifs, sont à bout de souffle. La ressemblance de leurs positions tout comme leur impuissance par rapport à la gouvernance sont frappantes. Leur légitimité est au plus bas.</p>
<p>De l’autre côté, la solution autoritaire demande des leaders qui l’incarnent. Ce sont des « gens normaux » et de « petites gens » comme nous tous mais ils ont quelque chose en plus : ils incarnent ce qui « nous » lie et notre vision du monde dichotomique selon laquelle « nous » sommes toujours du bon côté et les « autres » du mauvais côté. Il va ainsi de soi qu’on doit punir ces autres pour que nous puissions vivre selon nos critères. Questionner cette vision du monde, la remettre en cause ou essayer d’expliquer pour quelles raisons les « autres » agissent comme ils le font et ce qui nous lie sont des tabous.</p>
<p>Les discours autoritaires sont creux, souvent faux et pathétiques. Ils sont pourtant écoutés parce que le politique est marginalisé et qu’il n’y a que très peu de discours alternatifs ; en outre, ces derniers sont presque inaudibles. Les partis politiques appartiennent au passé ou à un avenir autoritaire.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/et-si-lhopital-etait-gere-par-ses-salaries-176429">L’auto-organisation</a> des citoyens dans des structures souples qui construisent un espace public de délibération peut être le début d’un nouveau système politique. Le conflit avec la gouvernance est programmé ; il peut être salutaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184569/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jan Spurk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’« autorité » désigne toutes les formes d’action qui soumettent les hommes et les femmes afin qu’ils vivent dans la dépendance de l’ordre établi et de la volonté d’autrui.Jan Spurk, Professeur de sociologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1864872022-07-06T18:16:47Z2022-07-06T18:16:47ZPolitique : une histoire de confiance ?<p>Dès le remaniement de son gouvernement effectué, Élisabeth Borne a annoncé qu’elle ne solliciterait pas de l’Assemblée un <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/elisabeth-borne-ne-sollicitera-pas-le-vote-de-confiance-des-parlementaires-annonce">vote de confiance</a>, se contentant de présenter ce mercredi une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale et le Sénat.</p>
<p>Elle a ainsi fait usage de l’article 50.1 de la Constitution introduit par la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19582-revision-du-23-juillet-2008-un-changement-de-republique">révision constitutionnelle</a> du 23 juillet 2008 et qui permet au Premier ministre de faire une déclaration devant l’une ou l’autre des Assemblées, suivie ou non d’un vote qui ne peut engager sa responsabilité politique. Confrontée à une majorité relative, la Première ministre a donc choisi de s’appuyer sur le <a href="http://juspoliticum.com/article/Vers-la-fin-du-parlementarisme-negatif-a-la-francaise-439.html">parlementarisme négatif</a>, qui caractérise la V<sup>e</sup> République dans lequel la confiance est présumée.</p>
<h2>La confiance, au cœur du régime parlementaire</h2>
<p>Ces deux termes méritent explicitation : la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/regime-presidentiel/">confiance</a> est LE principe du régime parlementaire. Elle unit les représentés-citoyens aux représentants et notamment les députés. Aussi, lorsque ceux-ci se dotent d’un gouvernement, ils doivent à leur tour l’investir de leur confiance, habituellement en exprimant celle-ci grâce à un vote qui peut prendre la forme d’une investiture (Italie, Portugal, Grèce, République tchèque…) ou d’une élection (Allemagne, Hongrie, Slovénie, Estonie, Finlande…).</p>
<p>Ce qui explique que nos <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2020-26-page-5.htm">voisins belges</a> (494 jours après les élections de 2019) ou allemands (172 jours en 2017) doivent au lendemain des élections mener de <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/questions-et-r%C3%A9ponses-concernant-la-formation-d-un-nouveau-gouvernement-319694">longues phases de négociation</a> avant qu’un gouvernement ne puisse se présenter devant les députés. Certains régimes parlementaires se dispensent de cette procédure et fonctionnent sur la confiance présumée comme on le voit par exemple au Danemark, sujet bien présent dans la série <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021645/borgen-une-femme-au-pouvoir/"><em>Borgen, une femme au pouvoir</em></a>.</p>
<p>Dans ce cas, le Gouvernement bénéficie d’une présomption de confiance : ce n’est plus à lui d’apporter la preuve qu’il jouit bien de la confiance de l’Assemblée. C’est à celle-ci, si elle estime que cette confiance n’existe pas, de démontrer son hostilité.</p>
<p>Aucune disposition de la Constitution de la V<sup>e</sup> République ne rend obligatoire l’investiture du Gouvernement, qui peut donc se contenter d’une confiance présumée. Certes, la rédaction de l’article 49 alinéa 1 est sujette à interprétation :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement une déclaration de politique générale ».</p>
</blockquote>
<p>Il est en effet habituel que dans les textes juridiques l’indicatif vaille impératif. Le « engage » pourrait donc avoir un caractère obligatoire. D’ailleurs, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782226034571-gouverner-memoires-t-3-1958-1962-michel-debre/">Michel Debré</a>, premier Premier ministre de la Cinquième a sollicité la confiance de l’Assemblée nationale le 15 janvier 1959, quand bien même il n’était soutenu que par une majorité relative (le vote lui a tout de même été largement favorable : 453 députés ont voté la confiance et seuls 56 l’ont refusé).</p>
<p>Ce n’est qu’en 1966 que le Gouvernement Pompidou est entré en fonction indépendamment de tout vote de confiance de l’Assemblée (3<sup>e</sup> gouvernement Pompidou nommé le 8 janvier 1966, puis le 4<sup>e</sup> Gouvernement Pompidou entré en fonction le 6 avril 1967. À sa suite, M. Couve de Murville nommé le 10 juillet 1968 ne sollicitera pas non plus la confiance de l’Assemblée). Il s’agissait pour le Premier ministre de démontrer que dorénavant le Président de la République était la <a href="https://www.theses.fr/2011LIL20010">source de l’équilibre institutionnel</a> et que sa confiance, manifestée par les décrets de nomination du Gouvernement et de son chef, était suffisante à légitimer son action.</p>
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<h2>Une obligation relative</h2>
<p>Si à l’époque l’Assemblée nationale avait adopté une motion de censure démontrant au Gouvernement que son interprétation de la Constitution était incorrecte, le droit constitutionnel aurait retenu que la procédure du vote de confiance était obligatoire. En effet, les arguments tirés de l’exégèse du texte, en faveur du caractère facultatif ou obligatoire de la procédure, se neutralisent.</p>
<p>Pour les premiers, l’absence de délai rend l’obligation toute relative, le Premier ministre pouvant repousser l’engagement initial de sa responsabilité tant et si bien qu’il ne l’ait finalement pas engagé avant de quitter ses fonctions. D’autres font remarquer que la Constitution sait utiliser le verbe « devoir » quand elle doit expliciter une obligation. Comme dans l’article 50 qui tire les conséquences d’un vote négatif lors de l’engagement de responsabilité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission de son gouvernement ».</p>
</blockquote>
<p>À quoi il est répondu que la Constitution sait également insister sur le caractère facultatif des procédures, l’article 49 alinéa 3 prévoyant que le Premier ministre « peut… engager » ou l’article 49 alinéa 4 indiquant qu’il « a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ».</p>
<p>Faute de cela, la recherche de l’expression initiale de la confiance est depuis devenue facultative et c’est à l’opposition de renverser la présomption en adoptant une motion de censure. Toutefois, les procédures ne sont pas équivalentes.</p>
<p>On remarque en effet que l’article 49 alinéa 1 ne fait mention d’aucune majorité nécessaire à accorder où refuser la confiance. Or il ne peut exister en droit de majorité absolue sans texte. La confiance de l’article 49 alinéa 1 est donc accordée ou refusée à la majorité relative : c’est l’option (oui/non) qui a remporté le plus de voix qui remporte le suffrage.</p>
<p>De manière caricaturale, si 100 députés seulement sont présents et que cinquante-et-un votent contre le Gouvernement alors que 50 ont décidé de le soutenir, ce dernier est mis en minorité. La confiance, élément fondamental du régime parlementaire, n’est pas accordée et le Gouvernement doit démissionner.</p>
<h2>La motion de censure en question</h2>
<p>L’encadrement de la motion de censure est moins favorable aux parlementaires puisque pour être adoptée, la censure doit recueillir le soutien de la majorité absolue des membres, soit 289 voix favorables. Dans ce cas, seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés, les abstentions sont ainsi réputées favorables au Gouvernement.</p>
<p>L’adoption d’une motion de censure est donc devenue quasi illusoire, ce qui explique qu’une seule ait été adopté sous la V<sup>e</sup> République, en 1962, lorsque le général de Gaulle opéra un « contournement de la Constitution » afin de permettre l’élection du Président de la République <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-georges-pompidou-4-octobre-1962">au suffrage universel direct</a>.</p>
<p>Certes, dans le cadre d’un gouvernement soutenu par une majorité relative, mathématiquement, si toutes les oppositions se coalisent, elles détiennent plus que la majorité absolue des sièges. Toutefois et même dans le contexte actuel où l’Assemblée compte 10 groupes, chacun cherche à défendre son identité et sauf événement imprévu, il semble difficile de croire que l’opposition républicaine joigne ses voix à une motion de censure du Rassemblement national, ou que l’opposition de droite joigne les siennes à une motion de censure de la gauche.</p>
<p>La motion de censure déposée dans la foulée de la déclaration politique de la Première ministre a donc peu de chance de recueillir les 289 voix nécessaires, les quatre groupes de la Nupes ne détenant que 151 sièges, soit bien moins que la majorité absolue exigée par l’article 49 alinéa 2.</p>
<p>Paradoxalement, en cherchant à affirmer son leadership sur l’opposition de gauche, LFI, qui a initié cette motion de censure, joue le jeu du régime parlementaire négatif. Certes, le Gouvernement n’aura pas obtenu expressément la confiance, mais l’Assemblée aura démontré son incapacité à lui exprimer sa défiance. L’échec de la motion de censure va ainsi, quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la V<sup>e</sup> République depuis 1991.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’échec de la motion de censure va quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la Vᵉ République depuis 1991.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.