tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/grossesse-32160/articlesgrossesse – The Conversation2024-01-24T17:14:53Ztag:theconversation.com,2011:article/2152382024-01-24T17:14:53Z2024-01-24T17:14:53ZAnxiété, dépression… Les fausses couches engendrent des problèmes psychologiques encore trop souvent négligés<p>En moyenne, une femme sur deux est confrontée à une fausse couche dans sa vie, selon les chiffres du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). Certaines en subissent même plusieurs au cours de leur existence.</p>
<p>De nombreuses recherches ont été menées pour déterminer les causes des fausses couches et améliorer leur prise en charge médicale. En revanche, leurs conséquences en termes de santé mentale demeurent peu étudiées.</p>
<p>Pour mieux les comprendre, notre équipe a mené un travail de recherche au sein de la population française. Voici ce que ces travaux nous ont appris.</p>
<h2>Les fausses couches concernent jusqu’à un quart des grossesses</h2>
<p>Selon le <a href="https://www.gynerisq.fr/wp-content/uploads/2013/12/2014_CNGOF_Pertes-foetales.pdf">CNGOF</a>, une fausse couche se définit par l’expulsion spontanée d’un embryon ou d’un fœtus avant la 22<sup>e</sup> semaine d’aménorrhée (qui constitue le seuil de viabilité en France). Une fausse couche est dite « précoce » lorsqu’elle survient avant la 14<sup>e</sup> semaine, et tardive si elle se produit entre la 14<sup>e</sup> et la 22<sup>e</sup> semaine d’aménorrhée. La prévalence des formes précoces est élevée, touchant 12 à 24 % des grossesses. Les formes tardives sont plus rares, et concernent 1 % des grossesses.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fausses-couches-a-repetition-le-point-sur-les-causes-et-la-prise-en-charge-215951">Fausses couches à répétition : le point sur les causes et la prise en charge</a>
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<p><a href="https://theconversation.com/fausses-couches-a-repetition-le-point-sur-les-causes-et-la-prise-en-charge-215951">Les causes des fausses couches sont nombreuses</a>. Citons notamment, pour les fausses couches précoces, un âge maternel ou paternel supérieur à 35 ans, des problèmes de réplication du matériel génétique de l’embryon, la consommation de tabac, d’alcool, une exposition aux radiations. Les causes des fausses couches tardives sont généralement obstétricales et gynécologiques, et cet évènement peut se produire de façon unique ou se répéter au cours de différentes grossesses.</p>
<p>Si le traitement médical des fausses couches est désormais bien connu, leurs conséquences psychologiques le sont moins. Pourtant, elles ne sont pas négligeables.</p>
<h2>Dépression et troubles anxieux</h2>
<p>Quand une fausse couche survient au cours d’une grossesse investie très tôt par le couple, elle marque l’interruption brutale de projections dans l’avenir, pour soi, pour son projet de vie et de famille.</p>
<p>Les <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S1521-6934(06)00156-8">rares travaux de recherche</a> qui ont été menés au niveau international indiquent que les femmes qui ont vécu une fausse couche peuvent développer non seulement des symptômes anxieux ou dépressifs, mais aussi des états de stress post-traumatiques.</p>
<p>Des études prospectives ont elles aussi révélé l’existence de symptômes dépressifs et majoritairement anxieux 13 mois après une fausse couche. <a href="https://www.doi.org/10.111/j.1471-0528.2007.01452.x">D’autres recherches</a> ont montré que les scores de dépression, qui culminent à 6 mois, baissent ensuite progressivement, excepté pour les femmes qui ne parviennent pas à accéder à la maternité. Pour ces dernières, la symptomatologie dépressive persiste, avec un rebond entre 7 et 12 mois.</p>
<p>Les conséquences psychologiques de la fausse couche <a href="https://sonar.ch/hesso/documents/315236">dépendent de divers paramètres</a> : accès à l’information, niveau de reconnaissance par les soignants de la perte vécue, insatisfaction quant à l’accompagnement prodigué, ou encore soutien social reçu, notamment par le partenaire. Nos propres travaux ont par ailleurs permis d’identifier que les séquelles psychologiques de la fausse couche peuvent être assimilées à un trouble de l’adaptation, un trouble fréquent en psychiatrie.</p>
<h2>Fausse couche et trouble de l’adaptation</h2>
<p>Le trouble de l’adaptation survient lorsqu’une personne a du mal à s’ajuster à un évènement de vie éprouvant. Transitoire, il est parfois banalisé, alors même qu’il nécessite une prise en charge psychologique adaptée, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20865099/">compte tenu de son association à un risque suicidaire élevé</a>.</p>
<p>Dans notre étude, nous avons comparé les scores au questionnaire du trouble de l’adaptation (<a href="https://www.psychology.uzh.ch/dam/jcr:15220404-d1b2-4d9a-9661-f1709b4ca3f4/ADNM_20_Homepage_English.pdf">ADNM-<em>Adjustment Disorder New Module</em> – 20 items</a>) de personnes ayant vécu une fausse couche et de personnes ayant vécu un autre évènement de vie difficile, tel que le décès d’un proche, une rupture, etc.</p>
<p>Les résultats montrent que les personnes ayant vécu une fausse couche présentent le même niveau de difficultés psychologiques que celles ayant vécu un autre évènement de vie stressant. De plus, l’analyse des réponses au questionnaire révèle que 60 % des personnes ayant vécu une fausse couche présentent un trouble de l’adaptation.</p>
<p>Parmi les facteurs étudiés lors de cette étude, nous nous sommes aussi intéressés aux compétences psychologiques, telles que les capacités de régulation émotionnelle. Nous avons observé que des compétences psychologiques plus faibles étaient associées à un plus haut niveau de trouble de l’adaptation. Ces résultats suggèrent de possibles axes de travail à proposer à nos patients, basés sur les <a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-les-therapies-comportementales-cognitives-et-emotionnelles-129883">thérapies cognitivo-comportementales</a>.</p>
<h2>Travailler sur les émotions et la relaxation</h2>
<p>La psychoéducation pourrait aider les couples concernés par une fausse couche à développer des outils afin de mieux identifier leurs émotions, les exprimer puis les réguler en retrouvant du contrôle sur celles-ci.</p>
<p>Concrètement, il s’agirait de proposer des consultations ou des ateliers en groupes au cours desquels les couples seraient informés sur les émotions (colère, tristesse, stress) qu’ils peuvent ressentir suite à cet évènement. Ils pourraient également être invités lors de ces temps, <a href="https://doi.org/10.1016/j.amp.2014.12.001">à trouver des ressources pour y faire face</a>.</p>
<p>Proposer des techniques de relaxation permettrait au patient de se centrer sur les sensations corporelles agréables et sur le sentiment de détente associé, <a href="https://doi.org/10.1016/j.encep.2014.07.001">et ainsi de diminuer leur anxiété</a>.</p>
<p>Lors de l’évaluation psychologique, questionner le patient sur la façon dont la fausse couche vient s’inscrire dans son parcours et son projet de vie peut également permettre de dégager d’autres thématiques de travail. Il est important de déceler un éventuel sentiment de culpabilité, reposant sur des croyances ou des représentations en lien avec la fausse couche (« j’aurais dû me reposer davantage », « tout est de ma faute »).</p>
<p>Ces dernières pourraient être prises en charge grâce à des techniques de restructuration cognitive, une approche qui permet de travailler sur la prise de conscience par le patient de ses pensées négatives et lui apprend à transformer ces pensées par d’autres pensées, plus rationnelles et plus neutres.</p>
<p>Qui plus est, envisager la fausse couche comme un trouble de l’adaptation permet aussi de proposer des thérapies structurées sur les souvenirs douloureux de l’évènement, telles que la thérapie narrative. Cette dernière, aussi appelée thérapie d’exposition par la narration, permet au patient de revenir en détail sur l’évènement douloureux en précisant les émotions, les sensations corporelles, les pensées et les comportements qui l’ont traversé.</p>
<p>L’exposition répétée à ce script narratif, en séance, dans un lieu sécurisé, est l’une des bases de la thérapie cognitivo-comportementale et permet de « digérer » émotionnellement les évènements difficiles. De la même manière, la <a href="https://presse.inserm.fr/canal-detox/lemdr-pour-traiter-le-stress-post-traumatique-vraiment/">thérapie EMDR (<em>eye movement desensitization and reprocessing</em>)</a> pourrait être proposée.</p>
<h2>Une loi pour mieux prendre en charge les couples confrontés à une fausse couche</h2>
<p>Fréquentes, les fausses couches sont parfois banalisées par l’entourage et les soignants. Elles n’en restent pas moins des évènements douloureux, dont la prise en charge psychologique, dans les mois qui suivent, est cruciale.</p>
<p><a href="https://www.vie-publique.fr/loi/288561-fausses-couches-accompagner-les-femmes-victimes-loi-7-juillet-2023">Pour favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une fausse couche</a>, une nouvelle loi a été promulguée le 8 mars 2023.</p>
<p>Ce texte prévoit la mise en place d’un « parcours interruption spontanée de grossesse », associant médecins, sages-femmes et psychologues, hospitaliers et libéraux, afin d’améliorer le suivi médical et psychologique des personnes confrontées à une fausse couche, à partir du 1<sup>er</sup> septembre 2024. Inclure les partenaires dans la prise en charge permettra de ne plus méconnaître leur ressenti face à cet évènement de vie, et de les impliquer dans la prise en charge proposée.</p>
<p>Ladite prise en charge consiste notamment en un accès facilité à un suivi psychologique, pouvant se faire via le programme <a href="https://monsoutienpsy.sante.gouv.fr/">Mon Soutien Psy</a> (dans ce cas, sages-femmes et médecins peuvent prescrire des séances). La formation des soignants sur les répercussions psychologiques de la fausse couche, et sur la douleur que cela peut engendrer, sera aussi renforcée.</p>
<p>La loi prévoit également de pouvoir bénéficier d’indemnités journalières sans délai de carence pendant leur arrêt maladie, ce qui constitue un progrès important pour le droit des femmes.</p>
<p>Parallèlement à cette évolution législative, les recherches sur les difficultés d’adaptation à la suite de la fausse couche doivent se poursuivre. Grâce aux connaissances qu’elles permettront d’accumuler, il sera possible de proposer des programmes de prise en charge spécialisés pour aider les couples à surmonter au mieux cette épreuve.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Vancappel a reçu des financements de l’IRCCADE (Institut de recherches cognitive et
comportemental sur la dépression et l’anxiété).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christelle Lefort ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les conséquences psychologiques des fausses couches ont longtemps été sous-estimées. Elles peuvent pourtant être dévastatrices pour les femmes concernées, et pour leur couple.Alexis Vancappel, Maître de conférences en psychologie, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201612024-01-19T18:50:19Z2024-01-19T18:50:19Z« Je préfère ne pas en parler » : le tabou des avortements en dépassement de délais<p>Avorter reste un évènement fréquent dans la vie d’une femme : une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-42.htm">grossesse sur trois donne lieu à un avortement</a> et <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-42.htm">40 %</a> des femmes y auront recours au moins une fois dans leur vie. Pour pouvoir accéder à une interruption volontaire de grossesse, lorsque son accès est interdit ou limité dans le pays de résidence, les femmes cherchent des législations plus favorables et se déplacent au gré des évolutions du droit des États.</p>
<p>La France ne fait pas exception. À l’heure où il est question d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, de nombreuses Françaises <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2018-2-page-225.htm?ref=doi">passent encore les frontières</a> pour accéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). En l’absence de statistiques fiables, seules des estimations élaborées principalement à partir des demandes d’accompagnement comptabilisées par le Planning Familial permettent de quantifier le phénomène. Elles seraient chaque année environ 5000 à se rendre à l’étranger pour avorter.</p>
<p>C’est le dépassement du délai légal qui motive leur déplacement vers un autre pays à la législation plus progressiste. Les <a href="https://www.planning-familial.org/fr/que-faire-en-cas-de-depassement-du-delai-legal-divg-1676">seuils légaux dans les États frontaliers</a>, pour ne citer que les Pays-Bas et l’Espagne, sont respectivement de 20 et de 22 semaines de grossesse. En France, ce délai est actuellement de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045287560">14 semaines de grossesse</a>.</p>
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<h2>De la difficulté de recueillir des témoignages</h2>
<p>Peu de travaux de recherche en sciences sociales s’intéressent aux mobilités frontalières pour un avortement dans sa dimension vécue. Pour enrichir les savoirs dans ce domaine, nous avons mené une <a href="https://transfrontera.univ-perp.fr/prospectsaso-prospective-transfrontaliere-sanitaire-et-sociale/">enquête de terrain</a> de 2017 à 2020 par observations et par entretiens. Elle s’est déroulée de part et d’autre de la frontière franco-espagnole, dans les cliniques de Gérone et Barcelone, toutes deux impliquées dans la prise en charge de demandeuses d’avortement en dépassement de délai.</p>
<p>Le nombre de femmes ayant accepté de témoigner est particulièrement faible au regard du nombre rencontré : sur presque 300 femmes sollicitées en salle d’attente des cliniques et 70 échanges plus formels au cours desquels ont été présentés les objectifs de recherche, seules 43 ont accepté d’être recontactées pour un entretien enregistré avec garantie d’anonymat. 20 n’ont pas donné suite à une reprise de contact ultérieure. Une fois l’expérience de l’avortement passée, les femmes font souvent le choix de ne plus l’évoquer, comme si elles laissaient de l’autre côté de la frontière cette part de leur histoire personnelle.</p>
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<p>Ces difficultés dans l’accès au terrain de recherche et plus précisément à l’expérience vécue de l’avortement en dépassement de délai ne peuvent que réinterroger les postures méthodologique et déontologique. Elles questionnent au même moment la perception de l’avortement en dépassement de délai aujourd’hui dans la société. En effet, alors que l’entretien sociologique repose sur l’empathie, le consentement, la confiance, le sentiment de contraindre ou de forcer l’adhésion a été fréquent. Nos impératifs de recherche nous conduisaient à « faire parler », à « écouter » des femmes qui semblaient vouloir se taire. Si le sceau du silence frappe l’expérience de l’avortement en général, le dépassement de délai l’exacerbe.</p>
<p>Malgré la légalisation de l’avortement avec la loi Veil de 1975 et en dépit du fait qu’avorter reste un évènement fréquent dans la vie d’une femme, le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sociologie_de_l_avortement-9782348074998">tabou inhérent à l’avortement reste puissant</a>.</p>
<h2>Sentiment de clandestinité dans un cadre légal</h2>
<p>Être « hors délai » ou se trouver en « dépassement de délai » renforce le tabou.</p>
<p>Les exemples de réprobation sociale subie sont nombreux (médecins français annonçant à leur patiente l’impossibilité d’avorter légalement au-delà du délai légal français et n’évoquant pas la possibilité d’aller à l’étranger alors même qu’ils la connaissent, chauffeurs de taxi qui ne souhaitent pas déposer les patientes à l’entrée des cliniques, mais dans une rue attenante, etc.)</p>
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<p>« L’échographe a fait comme si on le gardait. Et puis elle, elle n’était pas trop pour l’avortement. Elle nous a dit qu’on ferait mieux… enfin, elle nous a déconseillé d’aller en Espagne, que l’impact psychologique était très très dur… Elle avait peut-être raison, je sais pas. “Faites bien attention, prenez votre temps pour faire votre choix, parce que… y’a des parents qui s’en remettent jamais.” C’est peut-être pas faux, je sais pas. » (Sonia, 38 ans)</p>
<p>« Quand j’ai parlé à la sage-femme d’avortement, elle était complètement contre. Elle m’a dit que certes aujourd’hui je ne voulais pas d’enfants, que j’ai la chance d’en avoir au mois un et que ce serait dommage… Elle m’a dit “vous vous rendez compte, il a un cœur, c’est un être vivant…” » (Charlie, 28 ans)</p>
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<p>Ces professionnels alimentent un sentiment de honte et de culpabilité et incitent les femmes à taire ou à cacher leurs expériences d’avortement transfrontalier. On citera une femme qui cache son visage dans la salle d’attente de l’une des cliniques espagnoles par crainte d’être reconnue, ou encore toutes celles qui trouvent des « excuses » et des motifs d’absence « recevables » à l’égard de leur entourage familial, personnel ou professionnel lorsqu’il s’agit de s’absenter pour réaliser un avortement à l’étranger.</p>
<p>L’illégalité a historiquement marqué la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-l-avortement-XIXe-XXe-si%C3%A8cle---9782020541367.htm">pratique de l’avortement</a>. En étant « hors délai » en France, les femmes se vivent dans une certaine mesure comme étant « hors la loi » et nourrissent un sentiment d’illégalité alors même qu’avorter à l’étranger n’est pas une pratique illégale.</p>
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<p>« J’avais l’impression de faire un truc qui n’est pas autorisé ici, en fait […] Dire qu’on a fait une IVG et en plus qu’on a traversé la frontière, j’ai l’impression que c’est un truc encore plus grave… Je ne l’ai pas fait ici, je l’ai fait ailleurs […] Je sais pas, peut-être qu’on a l’impression de transgresser, parce qu’on passe la frontière, c’est comme si on allait faire… je sais pas, du trafic de quelque chose. » (Héléna, 33 ans)</p>
</blockquote>
<p>Passer la frontière pour avorter est assimilé à un acte transgressif. Elles oscillent entre clandestinité et discrétion alors même que la mobilité et la pratique de l’avortement sont réalisées dans un cadre médical et légal.</p>
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<p>« Je me demandais, après, si j’avais le droit d’en parler à des gens. Si j’avais le droit de dire : j’ai avorté en Espagne […] Et je crois que non, je ne l’ai pas, fondamentalement le droit […] J’étais dans le secret, j’avais peur de rentrer en France, de me faire arrêter – j’avais 18 ans, en plus – et qu’on me dise : voilà, vous n’avez pas le droit. » (Lou, 23 ans, étudiante)</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, si le passage de la frontière permet de s’affranchir d’un droit limitatif à l’avortement, ces mobilités transfrontalières font également échos à tout un <a href="https://journals.openedition.org/tem/3047">imaginaire lié aux zones frontalières</a> (lieu de passage, de trafic, de contrôle, etc.).</p>
<h2>Un tabou lié à la responsabilisation</h2>
<p>L’analyse de l’avortement en délai dépassé montre que ce que les femmes vivent et ressentent (un sentiment de honte mêlé à de la culpabilité) est alimenté par le mythe de la double responsabilisation. Elles seraient non seulement responsables de ce qui est présenté comme leur « échec » contraceptif (ne pas avoir pu éviter une grossesse), et du dépassement de délai (ne pas avoir su se rendre compte suffisamment tôt de sa grossesse).</p>
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<p><em>Des associations alertent sur les difficultés d’accès à l’avortement.</em></p>
<p>Ce prisme réducteur de la responsabilisation contribue à masquer les raisons d’un avortement en dépassement de délai : découverte tardive d’une grossesse, changement de situation matérielle et/ou conjugale, erreur de diagnostic médical, grossesse sous contraception ou encore absence de signes de grossesse (règles toujours présentes, absence de prise de poids, etc.).</p>
<p>« Je préfère pas en parler » disent-elles. Pourtant, au-delà de produire des connaissances sur un objet de recherche négligé, faire parler ces femmes pour faire entendre leur voix contient un double enjeu. Individuel d’une part : parler c’est permettre la déconstruction du tabou et l’illusion de la responsabilité. Collectif d’autre part : faire entendre leur voix, c’est faire entrer dans le social une expérience encore trop souvent présentée comme « personnelle ». Rendre visible les mobilités pour un avortement en délai dépassé, le vécu des avortantes, c’est donner à l’intime une dimension politique et rendre possible le changement social afin d’améliorer l’accès à l’avortement pour toutes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220161/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Avarguez est membre du Planning Familial. La recherche sur l'avortement en dépassement de délai a été financé dans le cadre du projet européen « PRospecTsaso » (Prospective Transfrontalière Sanitaire et Sociale). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aude Harlé est membre du Planning Familial . La recherche sur l'avortement en dépassement de délai a été financé dans le cadre du projet européen « PRospecTsaso » (Prospective Transfrontalière Sanitaire et Sociale).</span></em></p>Les mobilités frontalières pour un avortement sont toujours d’actualité, même en France.Sophie Avarguez, Maitresse de conférences en sociologie, Université de PerpignanAude Harlé, Maitresse de conférences en sociologie, Université de PerpignanLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159512024-01-17T16:43:12Z2024-01-17T16:43:12ZFausses couches à répétition : le point sur les causes et la prise en charge<p>On estime qu’environ 10 à 15 % des grossesses se terminent prématurément par une fausse couche, ce qui signifie qu’une <a href="https://www.thelancet.com/series/miscarriage">femme sur dix fera face à un arrêt spontané de grossesse au cours de sa vie</a>.</p>
<p>De manière plus préoccupante, certaines femmes sont confrontées à des fausses couches récurrentes.</p>
<p>Cette problématique affecte au moins 2 à 3 % des couples cherchant à concevoir un enfant et est reconnue comme un enjeu majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Les fausses couches répétées ont en effet des conséquences sur la santé physique et mentale, justifiant la nécessité d’un bilan et d’une prise en charge coordonnée impliquant différentes spécialités médicales.</p>
<p>Que sait-on des facteurs de risques associés aux fausses couches récurrentes ? Comment améliorer leur prise en charge ? Le point sur l’état des connaissances.</p>
<h2>Les premières semaines de la vie</h2>
<p>La naissance d’un nouvel être humain vivant est l’aboutissement d’un processus de reproduction complexe. Il débute par la fécondation, autrement dit la fusion de l’ovocyte et du spermatozoïde, qui produit un « zygote » (ou « œuf fécondé »). Cette cellule unique se divise ensuite en deux cellules, lesquelles se diviseront à leur tour, tout comme leur descendance, donnant naissance à un embryon.</p>
<p>Une semaine après la fécondation, cet embryon, composé d’environ 200 cellules (stade blastocyste), migre depuis les trompes de Fallope vers l’utérus pour s’y implanter. La condition essentielle à la réussite de cette implantation réside dans la préparation adéquate de l’endomètre, la muqueuse tapissant la paroi intérieure de l’utérus où se déroule la grossesse, afin de permettre la nidation de l’embryon. Cette préparation est <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23290997/">minutieusement orchestrée</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33410481/">par des fluctuations hormonales</a>.</p>
<p>Si ces conditions optimales sont réunies, l’embryon s’implante puis sécrète des molécules qui stimulent la croissance de vaisseaux sanguins dans l’endomètre, initiant la formation du placenta à partir de ses propres tissus et des tissus maternels. La mise en place du placenta se poursuit jusqu’au début du deuxième trimestre de la grossesse.</p>
<p>Cet organe joue un rôle essentiel en assurant la nutrition, l’oxygénation et l’élimination des déchets métaboliques du fœtus et en sécrétant des hormones nécessaires au maintien de la grossesse. Les cellules immunitaires présentes dans l’endomètre utérin, à l’interface entre les tissus maternels et ceux du fœtus, participent également à l’implantation, au remodelage des artères utérines, à la tolérance maternelle vis-à-vis du fœtus ainsi qu’à la défense contre les infections.</p>
<p>L’implantation et la placentation sont donc déterminées par un ensemble complexe de facteurs génétiques, anatomiques, hormonaux, hématologiques et immunologiques. Des perturbations de ces éléments peuvent altérer le bon déroulement de la grossesse et <a href="https://www.nature.com/articles/s41572-020-00228-z">être à l’origine d’une fausse couche</a>.</p>
<h2>Qu’appelle-t-on « fausse couche » ?</h2>
<p>La fausse couche est définie comme l’arrêt spontanée d’une grossesse intra-utérine avant que le fœtus ne soit considéré comme viable. Du fait des progrès médicaux, cette limite est fixée avant 20 à 24 semaines de grossesse selon les pays. En France, le seuil pouvant être considéré est celui de 20 semaines de grossesse, ce qui équivaut à 22 semaines d’aménorrhée (absence de règles).</p>
<p>Il peut s’agir d’un arrêt survenant lors d’une grossesse cliniquement connue (suite à la réalisation d’un test urinaire ou sanguin confirmé ensuite par une échographie), ou lors d’une grossesse dite « biochimique », autrement dit ayant été révélée uniquement par un test positif, sans échographie réalisée (dans le cas où la grossesse s’est arrêtée précocement après l’implantation).</p>
<p>En revanche, on ne parle pas de fausse couche dans le cas de grossesses extra-utérines (aussi appelées grossesses ectopiques) ou de grossesses môlaires (terme décrivant la croissance anormale des cellules issues d’un ovule fécondé, qui ne se développe pas normalement en un fœtus). Enfin, le terme de fausse couche est à différencier de l’échec d’implantation après le transfert d’un embryon obtenu par fécondation <em>in vitro</em>.</p>
<p>La fausse couche isolée est une complication fréquente se produisant dans environ 10 à 15 % des grossesses cliniques, la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0140673621006826">majorité d’entre elles ayant lieu au cours du premier trimestre</a>. D’un point de vue médical, <a href="https://www.eshre.eu/-/media/sitecore-files/Guidelines/Recurrent-pregnancy-loss/2022/ESHRE-RPL-Guideline-2022-Summary-paper.pdf">ces fausses couches uniques restent des événements bénins</a>, qui ne nécessitent pas d’exploration complémentaire.</p>
<p>Il en va tout autrement si cet événement se reproduit.</p>
<h2>À quoi sont dues les fausses couches à répétition ?</h2>
<p>On considère que les fausses couches récurrentes touchent environ 2 à 3 % des couples en essai de conception. Cependant, l’estimation précise de cette prévalence reste incertaine. En effet, la définition ne fait pas consensus, et peut différer selon les sociétés savantes internationales. Par ailleurs, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0140673621006826">fausses couches de grossesses non visualisées ne sont pas toujours prises en compte</a>.</p>
<p>Selon les recommandations récentes de l’<em>European Society of Human Reproduction and Embryology</em> (organisation européenne scientifique fondée en 1985, dédiée à la promotion de la recherche, de l’éducation et des soins dans le domaine de la reproduction humaine et de l’embryologie), le diagnostic de fausses couches spontanées à répétition – en anglais <em>recurrent pregnancy loss</em> – doit être retenu dès la survenue de deux ou plus fausses couches, qu’elles soient ou non consécutives. Cette définition englobe les grossesses biochimiques et s’applique même si une naissance vivante est survenue entre deux pertes de grossesse.</p>
<p>De multiples facteurs et causes ont été identifiés comme étant associés <a href="https://www.eshre.eu/-/media/sitecore-files/Guidelines/Recurrent-pregnancy-loss/2022/ESHRE-RPL-Guideline-2022-Summary-paper.pdf">à un risque de survenue et de récurrence de fausses couches</a>, avec des degrés de preuve scientifique variés.</p>
<p>Parmi ces facteurs, deux principaux sont connus pour augmenter le risque de fausses couches à répétition : le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0140673621006826">nombre de pertes de grossesses antérieures chez une femme et l’âge maternel avancé</a>.</p>
<p>Une étude réalisée dans la population danoise a estimé que le risque de nouvelle perte de grossesse était <a href="https://www.bmj.com/content/364/bmj.l869">d’environ 30 % après deux fausses couches et de plus de 40 % après trois ou plus fausses couches</a>.</p>
<p>L’augmentation du risque de fausse couche avec l’âge maternel avancé est due en partie à la dégradation de la qualité des ovocytes, avec une accumulation progressive de mutations génétiques au fil du temps. Cela accroît le risque d’embryons présentant des anomalies du nombre de chromosomes, également appelées « aneuploïdies », les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0015028217318770">rendant souvent non viables</a>.</p>
<p>Si les anomalies chromosomiques constituent l’une des principales causes de fausses couches répétées, on constate une diminution significative de la proportion d’embryons aneuploïdes avortés à mesure que le nombre de fausses couches antérieures augmente. Ils passent ainsi de 60 % chez les femmes ayant déjà subi deux ou trois fausses couches à 25 % chez celles ayant connu six fausses couches antérieures ou plus, suggérant que d’autres mécanismes sont imputables à ces pertes de grossesses répétées.</p>
<p>Les habitudes de vie peuvent exercer une influence négative sur la santé reproductive et accroître le risque de fausses couches, notamment la consommation de tabac et d’alcool, la prise en excès de caféine (au-delà de 300 mg par jour), ou encore le travail de nuit. De même, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37451193/">l’obésité maternelle est associée à un risque accru de perte de grossesse</a>, en raison d’une altération de la réceptivité de l’endomètre ou d’une association avec d’autres pathologies notamment endocriniennes.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31272724/">Le vieillissement et une mauvaise hygiène de vie (alimentation déséquilibrée, consommation excessive d’alcool, tabagisme, manque d’exercice…) chez le partenaire masculin</a> peuvent également altérer la qualité du matériel génétique spermatique et augmenter le risque d’aneuploïdie chez l’embryon.</p>
<p>Les fausses couches répétées peuvent être aussi attribuées à une diversité de causes gynécologiques, notamment des malformations utérines, des adhérences dans la cavité utérine, une endométriose ou une endométrite chronique (infection de l’endomètre).</p>
<p>Des pathologies endocriniennes, telles qu’un diabète mal équilibré et des troubles thyroïdiens, mais également des troubles de la coagulation sanguine affectant la circulation nécessaire à l’implantation et au développement du placenta, ou des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33303732/">dysfonctionnements du système immunitaire altérant la tolérance envers l’embryon</a>, peuvent également être impliqués dans ces pertes récurrentes.</p>
<h2>Un problème majeur de santé publique</h2>
<p>Les fausses couches à répétition <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0140673621006826">représentent un enjeu majeur de santé publique à l’échelle mondiale</a>.</p>
<p>D’un point de vue psychologique, ces pertes répétées ont un impact significatif sur le bien-être émotionnel et la stabilité du couple, avec un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37374051/">risque élevé de dépression et d’anxiété pour chacun des partenaires</a>.</p>
<p>De plus, la récurrence de ces fausses couches peut être révélatrice de l’influence néfaste de facteurs comportementaux ou environnementaux sur la santé globale ou de pathologies non diagnostiquées.</p>
<p>La survenue de fausses couches répétées est ainsi associée à un risque accru de complications obstétricales en cas de grossesses évolutives ultérieures, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0015028222000048">notamment d’accouchement prématuré</a>, et de complications à long terme chez les patientes, en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32299291/">particulier des problèmes cardiovasculaires</a>.</p>
<h2>La nécessité d’une prise en charge adaptée</h2>
<p>Une part importante de la détresse vécue par les couples faisant face à des fausses couches répétées réside dans la confusion et l’errance de la prise en charge.</p>
<p>Souvent, le fait de n’avoir subi « que » deux ou trois fausses couches est minimisé et considéré comme une réalité « normale ». De plus, les centres proposant des consultations spécifiquement dédiées à l’évaluation des fausses couches à répétition sont encore rares.</p>
<p>Pourtant, dès la survenue de deux fausses couches antérieures, il est recommandé d’orienter le couple vers un gynécologue pour un bilan spécialisé. Cette évaluation débute par un interrogatoire approfondi, englobant le <a href="https://www.eshre.eu/-/media/sitecore-files/Guidelines/Recurrent-pregnancy-loss/2022/ESHRE-RPL-Guideline-2022-Summary-paper.pdf">passé obstétrical complet, l’historique médical, les antécédents familiaux et les habitudes de vie des deux partenaires</a>.</p>
<p>Le bilan prescrit comprendra au minimum une échographie pelvienne, si besoin complétée par une hystéroscopie, ainsi qu’une prise de sang pour évaluer la fonction thyroïdienne et rechercher la présence d’auto-anticorps spécifiques (« anticorps antiphospholipides ») qui peuvent entraîner des problèmes de coagulation. Selon la situation, d’autres investigations peuvent être envisagées, telles qu’une analyse chromosomique du couple ou une évaluation des paramètres spermatiques.</p>
<p>De plus, cette consultation offre la possibilité de conseiller si besoin le couple sur l’amélioration de son mode de vie, ainsi que de <a href="https://www.eshre.eu/-/media/sitecore-files/Guidelines/Recurrent-pregnancy-loss/2022/ESHRE-RPL-Guideline-2022-Summary-paper.pdf;%20">proposer un soutien psychologique</a>. La collaboration avec d’autres spécialistes, tels qu’un endocrinologue, un interniste, ou un médecin spécialisé en médecine de la reproduction, peut être nécessaire pour garantir une approche complète et personnalisée.</p>
<h2>Pas de diagnostic préimplantatoire en France</h2>
<p>Le <a href="https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/agencebiomedecine_ledpi_vous.pdf">diagnostic préimplantatoire</a> (DPI) est une technique de biologie de la reproduction qui permet d’analyser génétiquement les embryons obtenus par fécondation in vitro avant d’envisager leur transfert, afin de détecter d’éventuelles anomalies chromosomiques embryonnaires.</p>
<p>La DPI est pratiquée dans certains pays, tels que l’Espagne, pour les femmes souffrant de fausses couches répétées, ce qui permet la sélection d’embryons euploïdes. Cette approche semble <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34027546/">particulièrement bénéfique pour les femmes d’un âge avancé</a>.</p>
<p>Toutefois, en France, cette technique n’est pas légalement autorisée dans le contexte des fausses couches, en raison de considérations éthiques. Son utilisation demeure réservée à des situations médicales spécifiques, notamment pour prévenir la transmission de maladies génétiques graves et héréditaires.</p>
<h2>Vers de nouvelles thérapies</h2>
<p>Les chances d’avoir un bébé en bonne santé demeurent favorables pour les couples, mais on l’a vu, le succès d’une grossesse est influencé par des facteurs invariables tels que l’âge de la mère et le nombre de fausses couches antérieures.</p>
<p>Certains couples peuvent être confrontés à un nombre important de fausses couches alors que tous les examens actuellement recommandés montrent des résultats normaux. De plus, même en cas de détection d’une anomalie lors du bilan, le traitement de cette cause ne garantit pas toujours son efficacité, ce qui souligne la <a href="https://www.eshre.eu/-/media/sitecore-files/Guidelines/Recurrent-pregnancy-loss/2022/ESHRE-RPL-Guideline-2022-Summary-paper.pdf">complexité et la multifactorialité des fausses couches</a>.</p>
<p>La recherche s’intéresse cependant de plus en plus à cette problématique, afin de mieux en comprendre les mécanismes. De nouvelles pistes thérapeutiques émergent de ces travaux. C’est par exemple le cas des thérapies immunomodulatrices. Mises au point suite à l’identification de déséquilibres immunitaires locaux dans l’endomètre de patientes souffrant de fausses couches répétées inexpliquées, elles font actuellement <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37413775/">l’objet d’études approfondies</a>.</p>
<p>Au Japon, un essai thérapeutique a récemment démontré que des perfusions d’immunoglobulines administrées au début d’une nouvelle grossesse <a href="https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(22)00257-7/fulltext">augmentait significativement le taux de naissances vivantes</a> chez des femmes ayant connues au moins quatre pertes de grossesses inexpliquées, dont au moins une avec la preuve de la perte d’un embryon euploïde.</p>
<p>Des résultats porteurs d’espoir pour les couples faisant face à des fausses couches répétées inexpliquées…</p>
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<p><strong><em>Pour en savoir plus</em></strong> :</p>
<p><em>- Chaque année, le <a href="https://www.rplcongress.com/francais/">Congrès français international sur les grossesses arrêtées répétées</a> est organisé en France. Ouvert à tous les professionnels de santé sur inscription, son objectif est de rappeler les recommandations récentes des sociétés savantes, de partager les résultats de publications récentes et de présenter les protocoles de recherche en cours.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215951/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amandine Dernoncourt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De nombreuses femmes souhaitant avoir des enfants sont confrontées à des arrêts spontanés de grossesse, parfois plusieurs fois dans leur vie. Que sait-on des facteurs de risque de fausses couches ?Amandine Dernoncourt, Praticien hospitalier universitaire, spécialiste de médecine interne - doctorante au sein du laboratoire Péritox (Périnatalité et Risques Toxiques - UMR_I 01 UPJV / INERIS), Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152472024-01-15T16:43:11Z2024-01-15T16:43:11ZNotre microbiote intestinal, cible collatérale des pesticides : focus sur les effets du chlorpyrifos<p>Si la France est l’un des <a href="https://ue.delegfrance.org/l-agriculture-francaise-en-3038">principaux acteurs de l’agriculture en Europe</a>, elle fait cependant face à des <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021_rapport_pour_une_alimentation_saine_et_durable_-_evaluation_des_politiques_de_lalimentation_en_france.pdf">défis croissants en matière de production alimentaire</a> et de <a href="https://www.inrae.fr/agroecologie/cultiver-proteger-sans-pesticides/pourquoi-proteger-cultures-quelle-place-pesticides">protection des cultures</a> contre les ravageurs et les « mauvaises herbes ».</p>
<p>Dans cette quête pour répondre aux besoins d’une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/fes3.108">population mondiale en expansion</a>, l’utilisation des produits phytosanitaires a longtemps été considérée comme la solution salvatrice. Cependant, l’impact environnemental de ces composés chimiques (qui font partie des pesticides) se révèle <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27722929/">préoccupant pour la santé publique</a>, ce qui suscite un débat animé sur leur utilisation, comme en témoigne l’effervescence récente autour de la question du <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/16/glyphosate-la-commission-europeenne-annonce-le-renouvellement-pour-dix-ans-dans-l-ue-faute-d-accord-entre-les-pays-membres_6200450_3244.html">renouvellement du glyphosate</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-glyphosate-revelateur-de-linfluence-des-lobbys-industriels-sur-la-science-reglementaire-215604">Le glyphosate, révélateur de l’influence des lobbys industriels sur la « science réglementaire »</a>
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<p>Mais cette molécule n’est pas la seule à poser problème. Un autre cas emblématique est celui du chlorpyrifos. Interdit en France depuis 2020, on en trouve pourtant encore une certaine quantité dans les sols de notre pays. Que sait-on de ses effets sur la santé, et en particulier sur notre microbiote intestinal ?</p>
<h2>Omniprésence des pesticides et santé</h2>
<p>Malgré les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S095671351300666X">réglementations</a> mises en place pour limiter leur utilisation, l’exposition de la population française aux pesticides reste importante, notamment <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28693528/">dans la région des Hauts de France</a>. Ces produits se retrouvent en effet <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-07/inserm-expertisecollective-pesticides2021-rapportcomplet-0.pdf#page=150">dans l’air que nous respirons</a>, <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-07/inserm-expertisecollective-pesticides2021-rapportcomplet-0.pdf#page=140">dans l’eau que nous buvons et dans notre alimentation d’une manière plus générale</a>.</p>
<p>Cette omniprésence représente un risque pour l’être humain, car la toxicité de ces substances <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780128193044000038">ne s’arrête pas aux organismes ciblés</a>. Depuis plusieurs années, une question se pose avec une insistance croissante : se pourrait-il que certains effets néfastes observés chez l’être humain, voire la survenue de certaines maladies, soient liés à une <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/media/entity_documents/inserm-ec-2013-pesticideseffetssante-synthese.pdf">exposition aux pesticides</a> ?</p>
<p><a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00204-016-1849-x">Certaines études</a> semblent en effet avoir trouvé des preuves du rôle possible de l’exposition aux pesticides dans la survenue de maladies humaines telles que les cancers, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, l’autisme, les malformations congénitales et l’infertilité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/glyphosate-sur-quelles-pathologies-portent-les-soupcons-et-avec-quels-niveaux-de-preuves-217583">Glyphosate : sur quelles pathologies portent les soupçons et avec quels niveaux de preuves ?</a>
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<p>Dans un tel contexte, la question de l’exposition chronique à un mélange de résidus de pesticides devient un enjeu sanitaire de premier plan. Cela est d’autant plus important quand cette exposition a lieu durant la période périnatale car la grossesse est une période particulière de la vie, marquée par une certaine <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31587964/">vulnérabilité</a> de la mère mais également de l’enfant à naître.</p>
<p>Or, <a href="https://www.researchgate.net/publication/271900420_Cohorte_MecoExpo_utilisation_du_meconium_pour_estimer_l'exposition_in_utero_aux_pesticides_des_nouveau-nes_en_Picardie/citations">nos analyses au sein du laboratoire PériTox</a>, citées en 2021 dans le rapport d’expertise de l'Institut national de la Recherche médicale (Inserm) <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-07/inserm-expertisecollective-pesticides2021-rapportcomplet-0.pdf">« Pesticides et effets sur la santé »</a>, ont révélé la présence, dans des prélévements de méconium (les premières selles du nouveau-né), de <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-07/inserm-expertisecollective-pesticides2021-rapportcomplet-0.pdf#page=34">« chlorpyrifos, diazinon, propoxur et isoproturon »</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce que le chlorpyrifos ?</h2>
<p>Le <a href="http://npic.orst.edu/factsheets/archive/chlorptech.html">chlorpyrifos</a> est un insecticide qui a été <a href="https://www.greenfacts.org/fr/chlorpyrifos-pesticide/index.htm">largement utilisé</a> dans l’agriculture, durant plusieurs décennies.</p>
<p>Cet insecticide fait partie de la famille des organophosphorés, des molécules qui ciblent le système nerveux des insectes. En raison de sa neurotoxicité et ses effets nocifs sur l’environnement et la santé, des restrictions ont été imposées à son utilisation. <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fncel.2015.00124/full">Des travaux</a> évaluant les facteurs de risque environnementaux de maladies neurodégénératives ont en effet révélé que l’exposition au chlorpyrifos est associée à des troubles cognitifs, à un stress oxydatif et à des lésions neuronales.</p>
<p>En 2020, une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0017">interdiction de l’utilisation de ce pesticide</a> a été annoncée, avec une date butoir fixée en 2022, en faveur de la transition vers une agriculture plus durable et respectueuse de l’environnement. Néanmoins, en 2023, une certaine quantité de résidus de chlorpyrifos est encore retrouvée dans les sols français.</p>
<p>Celle-ci varie en fonction de plusieurs facteurs, tels que les conditions environnementales, les pratiques agricoles antérieures, et les processus naturels de décomposition. En effet, le chlorpyrifos, appliqué pendant plusieurs décennies et en grande quantité, se lie aux plantes, aux particules de sol ou aux sédiments. Après un certain temps, sa fraction principale est soit volatilisée, hydrolysée, ou biodégradé en fonction des propriétés physico-chimiques du pesticide. La volatilisation dépend de la concentration, la température et les propriétés du sol. Quant à sa biodégradation, elle dépend du type et du mélange de microorganismes habitant le sol.</p>
<p>Tous ces facteurs font que la demi-vie de ce pesticide (le temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité) n’est pas constante : elle peut être <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00253-017-8401-7">d’une centaine de jours comme persister jusqu’à 17 ans</a>.</p>
<p>L’interdiction qui a concerné le chlorpyrifos n’a, en outre, pas englobé tous les pesticides organophosphorés. Une panoplie d’autres molécules, dont on ne parle pas, appartenant à cette même famille, sont utilisées comme le diazinon, le malathion et le parathion. Si l’effet principal de ces molécules est <a href="https://www.nature.com/articles/cddiscovery20177">neurotoxique</a>, des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5458788/">études récentes</a> témoignent que ces molécules agissent aussi sur la réaction au stress assurée par le microbiote intestinal, et sur son implication dans le métabolisme des glucides.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle les recherches sur les effets sur la santé des pesticides organophoshporés, et du chlorpyrifos en particulier, se poursuivent. Des travaux ont révélé des résultats préoccupants quant à son impact sur le <a href="https://www.inserm.fr/dossier/microbiote-intestinal-flore-intestinale/">microbiote intestinal</a>.</p>
<h2>Le microbiote intestinal, un « organe symbiotique »</h2>
<p>Le microbiote intestinal n’est pas une simple communauté de microorganismes colonisant notre tractus digestif. Il est de nos jours plutôt vu comme jouant le rôle d’un organe indispensable à diverses fonctions de notre organisme. Il s’agit notamment de la première barrière physique de notre corps à être en contact avec les contaminants alimentaires tels que le chlorpyrifos.</p>
<p>Il ne s’agit cependant pas d’un organe comme les autres, mais plutôt d’un « organe symbiotique » : les micro-organismes qui le composent (principalement des bactéries), établissent une symbiose avec notre organisme, autrement dit une association intime, durable, et dans le cas présent, mutuellement bénéfique.</p>
<p>En effet, le microbiote intestinal n’est pas isolé du reste de notre organisme. Les micro-organismes qui le composent participent à la digestion des aliments, jouent un rôle dans la synthèse de certaines vitamines, interviennent dans les défenses immunitaires, et, via les molécules qu’ils produisent en faisant tout cela, régulent certaines voies métaboliques (absorption des acides gras, du calcium et du magnésium notamment).</p>
<p>Quelques chiffres permettent de prendre la mesure de l’importance de cette association : notre microbiote intestinal <a href="https://www.inserm.fr/dossier/microbiote-intestinal-flore-intestinale/">est composé d’environ 10<sup>14</sup> micro-organismes</a>, soit 100 000 milliards de cellules, autrement dit un nombre qui dépasse celui des cellules de notre propre corps. On estime que le microbiote contient 3 millions de gènes, alors que notre propre génome n’en contient qu’approximativement 23 000. C’est à se demander si nous ne serions pas plus « bactérien » qu’humain…</p>
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<img alt="Micrographie électronique à balayage, en fausses couleurs, de bactéries Escherichia coli en culture." src="https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569365/original/file-20240115-73910-nn3l0d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La bactérie Escherichia coli est présente au sein de la flore intestinale (micrographie électronique à balayage, en fausses couleurs).</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Institute of Allergy and Infectious Diseases/National Institutes of Health</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet écosystème microbien intestinal est devenu un sujet important de la recherche en raison de son implication dans de nombreuses pathologies, comme <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmolb.2021.632955/full">l’obésité, le diabète de type 2 et le cancer du côlon</a>. On sait qu’il diffère chez la femme enceinte.</p>
<p>En effet, les variations hormonales (œstrogène et progestérone) et les altérations au niveau du système immunitaire qui se produisent durant la grossesse influencent la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5648614/">composition bactérienne ainsi que les fonctions du microbiote intestinal</a>. Cela entraine des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-nutrition/article/gut-microbiota-composition-is-associated-with-body-weight-weight-gain-and-biochemical-parameters-in-pregnant-women/C6BF45134ED5B0678A2BCC8599889DEE">perturbations métaboliques</a> pouvant conduire à l’obésité ou à un diabète dit « gestationnel ».</p>
<p>Dans un tel contexte, la question d’une éventuelle sensibilité accrue des femmes enceintes aux contaminants alimentaires se pose donc avec acuité.</p>
<h2>Chlorpyrifos et perturbation du microbiote intestinal</h2>
<p><a href="https://www.mdpi.com/2305-6304/10/3/138">Des études récentes</a> ont montré que l’ingestion, par des rates gestantes, d’aliments contenant des pesticides, et notamment du chlorpyrifos, a été associée à des altérations de la composition du microbiote intestinal.</p>
<p>Une diminution des populations de certaines bactéries bénéfiques et une augmentation d’espèces potentiellement pathogènes chez la mère et la descendance ont été observées. Parallèlement à ces conséquences microbiologiques, les résultats ont montré une perturbation du profil lipidique et glycémique par le chlorpyrifos, d’où son lien avec la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00394-021-02548-6">survenue de l’obésité et du diabète de type 2</a>.</p>
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<img alt="Schéma illustrant la circulation du chlorpyrifos au sein des écosystèmes." src="https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565979/original/file-20231215-25-ukjy1c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le chlorpyrifos épandu sur les cultures peut se retrouver dans notre organisme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maria Abou Diwan</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>On l’a vu, notre microbiote intestinal est en dialogue constant avec notre organisme. Et notamment avec deux barrières fonctionnelles très importantes pour nous protéger des envahisseurs : la barrière intestinale et la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau. Cette connexion est définie comme <a href="https://www.mdpi.com/1422-0067/24/7/6147">l’axe microbiote-intestin-cerveau</a>.</p>
<p>Or, il a été démontré que le chlorpyrifos agit non seulement directement sur le système nerveux, mais qu’il <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00394-022-03063-y">perturbe aussi l’environnement microbien de l’intestin</a>. Ce qui a des conséquences qui dépassent notre seul tube digestif.</p>
<h2>Des perturbations du microbiote intestinal qui peuvent avoir des répercussions à distance</h2>
<p>Les dérégulations du microbiote sont regroupées sous le terme <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fendo.2021.667066/full">« dysbiose intestinale »</a>. Les conséquences de telles perturbations sont notamment des modifications dans la composition du cocktail de molécules produites lors du fonctionnement du microbiote intestinal, ce qui peut avoir un impact sur d’autres organes.</p>
<p>On sait par exemple que des changements dans la production des acides gras à chaîne courte, produits par les bactéries « bénéfiques » du microbiote, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0045653516303708">impactent la perméabilité de la barrière intestinale et induisent une inflammation de l’intestin</a>.</p>
<p>Cela va aussi permettre le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27826358/">passage de micro-organismes et de substances potentiellement nocives dans la circulation sanguine</a> et, finalement, vers le cerveau à travers la barrière hémato-encéphalique, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22611033/">dont l’étanchéité est impactée par le chlorpyrifos</a>.</p>
<p>Ce phénomène, qu’on appelle <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/pdf/2013/09/medsci2013298-9p800.pdf">« translocation bactérienne »</a>, pourrait contribuer au développement de <a href="https://www.medecinesciences.org/fr/articles/medsci/pdf/2013/04/medsci2013293p273.pdf">maladies</a> inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), des maladies métaboliques et des problèmes neurologiques, tels que l’anxiété ou la dépression.</p>
<p>Ces résultats indiquent que cet insecticide pourrait ainsi perturber dans sa totalité la communication au sein de l’axe microbiote-intestin-cerveau, et donc avoir des effets sur plusieurs organes du corps.</p>
<p>Dans cette optique, il semble nécessaire de poursuivre les études sur cette molécule et les résidus de pesticides en général afin de mieux comprendre leur implication dans les maladies à long terme et proposer des stratégies préventives nutritionnelles efficaces.</p>
<h2>Comment prévenir ces effets et protéger notre microbiote intestinal ?</h2>
<p>Ces phénomènes pathologiques, bien qu’alarmants, semblent pouvoir être contrés. Des études récentes, dont celles de notre laboratoire, <a href="https://peritox.u-picardie.fr/">PériTox</a>, ont montré que certains <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27760213/">prébiotiques</a> pourraient être bénéfiques dans le traitement du dysfonctionnement intestinal, en réduisant le risque des maladies inflammatoires et le cancer colorectal.</p>
<p>Les <a href="https://www.mdpi.com/2304-8158/8/3/92">prébiotiques</a> sont des éléments nutritifs qui ont la capacité de favoriser la croissance des « bonnes bactéries » présentes au sein du microbiote intestinal (désignées quant à elles par le terme générique « probiotiques »). Concrètement, il s’agit d’éléments dont ces bactéries bénéfiques vont pouvoir se nourrir.</p>
<p>Les prébiotiques peuvent être apportés par l’alimentation. Citons par exemple les fibres alimentaires tels que des fructo-oligosaccharides (FOS) (comme l’inuline), les galacto-oligosaccharides (GOS), les trans-galacto-oligosaccharides (TOS) et l’amidon résistant que l’on trouve dans de nombreux fruits, légumes (comme la chicorée et les endives), céréales et lait. Ils peuvent être aussi pris en supplément.</p>
<p>Par ailleurs, l’alimentation peut aussi apporter des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691521003392">probiotiques</a>, comme les bactéries que l’on trouve dans les yaourts (<em>Lactobacilles</em>).</p>
<p>Une supplémentation en probiotiques et prébiotiques est désormais considérée comme une approche prometteuse pour atténuer les effets négatifs des contaminants alimentaires. Des études menées au laboratoire PériTox ont par exemple montré que la <a href="https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371/journal.pone.0164614">supplémentation en inuline</a> (une fibre alimentaire ayant un effet prébiotique) <a href="https://www.mdpi.com/2305-6304/10/3/138">entrave les effets du chlorpyrifos</a>, en rétablissant <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Effect-of-daily-co-exposure-to-inulin-and-on-in-the-Condette-Djekkoun/ec5ffc554e19e7ef892e006fbbbaec2dfb6d2189">l’équilibre au sein de la flore intestinale</a>.</p>
<p>Favoriser une alimentation pauvre en résidus de pesticides, dite « bio » pourrait aussi réduire notre exposition. En effet, selon le dernier rapport de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les aliments d’origine végétale issus de l’agriculture biologique <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007996021000961">présentent de plus faibles teneurs en résidus de pesticides</a>.</p>
<p>Bien penser notre alimentation, surtout durant la grossesse, est donc la clé pour protéger la santé de notre microbiote intestinal et celle de notre enfant à naître face aux contaminants alimentaires. En attendant que les stratégies alternatives à l’utilisation des pesticides en agriculture qui commencent à voir le jour prennent de l’ampleur…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215247/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maria Abou Diwan a reçu des financements de l'Etat Français et de la Région Hauts-de-France dans le cadre du CPER MOSOPS pour le projet PESTAMIC et a reçu un prix jeune chercheur de la Fondation Evertéa.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hafida Khorsi et Pietra Candela ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Le chlorpyrifos est interdit en Europe depuis 2020, mais il persiste dans les sols. Encore mal connus, ses effets sur la santé – et en particulier sur la flore intestinale – pourraient perdurer. Que faire ?Maria Abou Diwan, Doctorante Biologie santé et environnement, Laboratoire de la Barrière Hémato-Encéphalique (LBHE), UR 2465, Faculté Jean Perrin, Université d’Artois ; PériTox - Périnatalité et Risques Toxiques - UMR_I 01 UPJV / INERIS, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Hafida Khorsi, Professeur des universités en microbiologie, PériTox - Périnatalité et Risques Toxiques - UMR_I 01, UPJV / INERIS, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Pietra Candela, Docteur, maître de conférences, Laboratoire de la Barrière Hémato-Encéphalique (LBHE), UR 2465, Faculté Jean Perrin, Université d'ArtoisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204932024-01-10T18:59:21Z2024-01-10T18:59:21ZMieux anticiper les déchirements du périnée<p>Douleurs chroniques, incontinence urinaire et fécale, ou descente d’organes sont les principaux symptômes qui caractérisent les troubles du périnée (ou dysfonctions du plancher pelvien, selon le terme médical).</p>
<p>Pour rappel, le plancher pelvien est situé dans la région inférieure du bassin entre l’os pubien à l’avant et le coccyx à l’arrière. Il soutient le système pelvien (utérus, vessie, rectum…) par l’intermédiaire de ses muscles et de ses ligaments.</p>
<p>Les troubles du périnée impactent drastiquement la vie des femmes. Ils sont fréquents puisqu’ils concernent <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-022-13501-w">32 % des femmes</a> en Europe et sont encore plus répandus <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00192-019-03992-z">dans les pays en voie de développement</a>.</p>
<p>Dans la majorité des cas, une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK579556/">détection précoce</a> permet un meilleur traitement, ce qui limite les inconforts des patientes. Par exemple, une <a href="https://www.ameli.fr/gard/assure/sante/themes/prolapsus-genito-urinaire/comprendre-prolapsus-genital">descente d’organes</a> détectée assez tôt peut être prise en charge par la pose d’<a href="https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/autres-produits-de-sante/dispositifs-medicaux/article/dispositifs-de-traitement-de-l-incontinence-urinaire-et-du-prolapsus-des">implants de renfort pelvien</a>.</p>
<h2>En cause : l’accouchement, des sports à impacts ou la ménopause</h2>
<p>Les dysfonctions du plancher pelvien sont souvent la conséquence d’un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/accouchement-49864">accouchement</a> traumatique, au cours duquel des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10378031/">lésions</a> au sein des tissus pelviens et/ou des nerfs peuvent avoir lieu. Dans les deux cas, des défauts de diagnostic compromettent les chances de récupération des patientes.</p>
<p>En particulier, les conditions spécifiques de l’accouchement rendent difficile le recours à des outils classiques de diagnostic. Par exemple, la rapidité de l’accouchement impose de réagir en urgence, tout en assurant le bon déroulé de la naissance du bébé.</p>
<p>Ainsi, la prise de décision rapide, souvent basée sur la seule expérience du médecin qui doit veiller à la santé de la mère et du bébé, ne permet pas toujours de privilégier le maintien de l’intégrité du périnée de la mère.</p>
<p>Les dysfonctions peuvent également survenir au cours de la vie, en raison de modifications hormonales comme à la ménopause, de la <a href="https://www.researchgate.net/publication/337841851_Is_Physical_Activity_Good_or_Bad_for_the_Female_Pelvic_Floor_A_Narrative_Review">pratique excessive de sports d’impacts</a>, ou d’une mauvaise hygiène de vie. Ainsi, l’obésité comme le manque d’activité physique favorisent l’incontinence.</p>
<h2>Améliorer le diagnostic pour anticiper les traitements</h2>
<p>Par ailleurs, le suivi gynécologique des patientes tout au long de leurs vies n’est pas axé sur un suivi de l’état du périnée mais plutôt sur des problématiques liées à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/contraception-39679">contraception</a>, sur le dépistage de cancers et, depuis quelques années, sur des maladies gynécologiques longtemps négligées (<a href="https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/endometriose-11356/endometriose">endométriose</a> ou <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/syndrome-ovaires-polykystiques">syndrome des ovaires polykystiques</a>, pour ne citer que les plus fréquentes).</p>
<p>De ce fait, les dysfonctions du plancher pelvien sont en général décelées après l’apparition des premiers symptômes (inconfort, lourdeur, gène, douleur) qui conduisent les patientes à consulter. Il est donc essentiel d’améliorer le diagnostic des dysfonctions du plancher pelvien afin d’anticiper les traitements.</p>
<h2>En prévention, éviter les déchirements lors de l’accouchement</h2>
<p>Dans la majorité des cas, l’accouchement est une cause directe ou indirecte de l’apparition des dysfonctions du périnée. La mise à disposition, au moment de l’accouchement, d’outils prédictifs qui permettent d’éviter les traumatismes représente une piste prometteuse.</p>
<p>Les accouchements par voie basse génèrent des sollicitations mécaniques multiaxiales au sein des tissus du périnée, liées au passage du bébé ou aux efforts de poussée. Ces sollicitations entraînent de larges étirements des tissus constituant le périnée et peuvent conduire à des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jocn.16438">lacérations ou déchirements</a>.</p>
<p>Ces déchirements correspondant à des ruptures des tissus entre le vagin et l’anus. Ils sont courants et surviennent dans 90 % des accouchements par voie basse. Toutefois, ils n’atteignent pas toujours le même niveau de gravité. Ils peuvent atteindre les zones motrices du périnée, comme le sphincter anal par exemple, qui est un muscle responsable de la continence.</p>
<p>En prévention, les praticiens peuvent procéder à des manœuvres, appelées manœuvre de Couder, qui permettent de relaxer manuellement le tissu trop étendu ou à des <a href="https://www.ameli.fr/gard/assure/sante/themes/accouchement-et-nouveau-ne/accouchement">épisiotomies préventives</a>. Ces dernières sont des incisions qui permettent de relâcher les tensions des tissus tout en contrôlant la localisation des déchirures.</p>
<p>Toutefois, cette technique peut s’avérer contre-productive si des incisions sont réalisées alors qu’aucune déchirure n’aurait eu lieu. La décision de réaliser ou non l’épisiotomie peut dépendre des directives des établissements de soins ou de l’interprétation du médecin basée sur son expérience.</p>
<p>C’est dans le cadre de cette problématique précise qu’il est possible d’améliorer la prise en charge des patientes. En effet, fournir aux médecins un outil leur permettant de prédire l’apparition ou non d’une déchirure dans les tissus permettra une meilleure prise de décision grâce à une analyse plus fine de la situation.</p>
<h2>Mesurer l’élasticité, la vascularisation ou l’intégrité des tissus</h2>
<p>Dans ce contexte, un consortium européen, porté par l’IMT Mines Alès et unissant, pour la partie française, des praticiens (CHU Nîmes, CHU Lille, APHM Marseille, CHU Besançon) et des chercheurs de différents laboratoires (SAINBIOSE, CDM, FEMTO, LMGC, LMA, LaM Cube), mais aussi des PME européennes, se met en place afin de proposer un outil prédictif aux praticiens.</p>
<p>Pour le développement d’un tel outil, de nombreuses technologies, déjà utilisées ou non dans le domaine médical, vont être testées. Leur applicabilité aux contraintes de l’accouchement va être vérifiée et une possible corrélation entre les résultats de ces mesures et le risque de déchirement va être établie.</p>
<p>Parmi ces technologies, on retrouve les ultrasons à ondes de cisaillement, qui sont particulièrement utilisés pour mesurer l’élasticité des tissus. On a recours à cette technique pour étudier à quel point des tissus sont endommagés. Mais pour l’heure, les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00192-018-3693-4">résultats obtenus restent préliminaires</a>.</p>
<p>L’étude de la vascularisation des tissus pourrait également permettre d’estimer leur état. En effet, un tissu très étiré devient blanc (le sang ne passe plus) avant de rompre. Ainsi, une détection fine dès la diminution du flux sanguin du périnée permettrait d’alerter sur un risque de rupture. De telles mesures pourraient être possibles par des mesures infrarouges, qui sondent localement les variations de température.</p>
<p>En effet, il existe un lien entre température et flux sanguin, que l’on retrouve par exemple dans les phénomènes d’inflammation : un afflux de sang important conduit à une augmentation locale de la température (c’est pour cela que l’on ressent un échauffement lorsque l’on se coupe). Les mesures infrarouges sont déjà utilisées dans le domaine médical, pour les <a href="https://academic.oup.com/bja/article/103/suppl_1/i3/230358">mesures d’oxygénation du cerveau</a> par exemple.</p>
<p>Des déchirures pouvant avoir lieu en interne, et donc invisibles, peuvent également causer des lésions des nerfs. Le bon fonctionnement de ces derniers se mesure par <a href="https://bmcurol.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12894-020-00718-y">électrostimulation</a>. Ainsi, l’utilisation de cette technique peut permettre de vérifier l’intégrité des nerfs et donc de déceler de potentielles lacérations internes.</p>
<p>Ensuite, des modifications au sein de la microstructure des tissus, par exemple l’apparition de minuscules trous à l’intérieur de la matière, ou la rupture de microfibres invisibles, sont les prémices des déchirements. Dans le domaine de la mécanique des matériaux, on parle d’endommagement.</p>
<p>Il n’existe à ce jour aucune technique permettant de mesurer l’endommagement d’un tissu de manière rapide et indolore pour les patients. Toutefois, des travaux de recherche portés par IMT Mines Alès ont permis de développer un dispositif dit d’indentation qui consiste à enfoncer légèrement un embout sphérique dans la peau et les tissus sous-jacents afin de mesurer la réponse mécanique de matériaux mous. Le dispositif a déjà été testé sur <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/app.54851">matériau synthétique</a>, sur de la <a href="https://www.viandesetproduitscarnes.com/index.php/process-et-technologies/285-le-test-dindentation-instrumentee-une-methode-adaptee-pour-mesurer-la-tendrete-de-la-viande">viande</a> et a été validé grâce à des <a href="https://imt-mines-ales.hal.science/hal-04272574">modèles numériques</a>.</p>
<h2>De belles innovations en perspective pour le bien-être de toutes et tous</h2>
<p>Ainsi, l’ensemble de ces techniques sera testé dans le cadre de l’accouchement, afin de comparer les mesures à l’apparition ou non de déchirures. Un modèle prédictif, basé sur l’analyse de ces données, sera ensuite réalisé afin d’estimer le risque de déchirure à partir de mesures faites en salle d’accouchement.</p>
<p>Ce projet fait l’objet d’une demande de financement <a href="https://www.horizon-europe.gouv.fr/eic/pathfinder">EIC Pathfinder</a> auprès du programme européen pour la recherche et l’innovation.</p>
<p>En conclusion, de belles innovations sont en perspectives afin d’améliorer le bien-être des femmes via la diminution des dysfonctions du plancher pelvien. Il est également intéressant de noter que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32644672/">16 % des hommes</a> sont aussi touchés par ces dysfonctions. Ainsi, le développement de technologies nouvelles de suivi pourra profiter à une grande partie de la population, pour un impact sur la santé globale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span><a href="mailto:anne-sophie.caro@mines-ales.fr">anne-sophie.caro@mines-ales.fr</a> a reçu des financements de LABEX NUMEV.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span><a href="mailto:sarah.iaquinta@mines-ales.fr">sarah.iaquinta@mines-ales.fr</a> a reçu des financements de LABEX NUMEV. </span></em></p>Les troubles au niveau du périnée sont trop souvent décelés après apparition des premiers symptômes. Des outils sont développés pour mieux prédire leur survenue et améliorer ainsi la prise en charge.Anne-Sophie Caro, Professeur, IMT Mines Alès – Institut Mines-TélécomSarah Iaquinta, IMT Mines Alès – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202942024-01-03T17:39:04Z2024-01-03T17:39:04ZNausées de grossesse : les causes mieux comprises, des espoirs de traitement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567056/original/file-20231213-19-swroox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C0%2C5351%2C3500&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les maux de grossesse toucheraient 7 femmes sur 10 à un moment ou un autre de leur grossesse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/woman-suffering-morning-sickness-bathroom-home-1041217495">Monkey Business Images/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les maux qui surviennent pendant la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/grossesse-32160">grossesse</a>, ou hyperémèse gravidique, sont fréquents et <a href="https://journals.lww.com/obgynsurvey/abstract/2013/09001/the_impact_of_nausea_and_vomiting_of_pregnancy_on.1.aspx">toucheraient</a> sept femmes sur dix à un moment ou à un autre de leur grossesse. Mais jusqu’à récemment, on ne savait pas grand-chose sur les mécanismes à l’œuvre.</p>
<p>(<em>On parle d’<a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/nausees-et-vomissements-pendant-la-grossesse/nauses-vomissements-grossesse-consultation-traitement">hyperémèse gravidique</a> quand les nausées et vomissements au cours de la grossesse atteignent une certaine gravité, ndlr</em>).</p>
<p><a href="https://www.nature.com/articles/s41586-023-06921-9">De nouvelles recherches</a> menées par notre équipe ont montré que la sensibilité à une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hormones-34553">hormone</a> produite en abondance quand la grossesse se met en place, le GDF15, contribue au risque de souffrir de ces maux de la grossesse.</p>
<p>Cette maladie peut affecter la qualité de vie des femmes enceintes, même dans les situations dites bénignes. Entre 1 et 3 % des femmes <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31515515/">souffrent</a> d’une forme sévère de maux de grossesse. Les nausées et les vomissements sont si importants que les femmes perdent du poids ou se déshydratent, voire les deux. Selon une étude, cette maladie était la raison la plus fréquente pour laquelle les femmes étaient admises à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12100809/">l’hôpital</a> au cours des trois premiers mois de leur grossesse.</p>
<p>Cette maladie est <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ppe.12416">associée</a> à des grossesses dont l’issue est plus mauvaise et ses effets se prolongent au-delà de la fin de la grossesse, certaines femmes <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21635201/">faisant état</a> d’une détresse psychologique et hésitant à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28241811/">concevoir à nouveau</a>.</p>
<p>Le fait qu’elle apparaisse au début de la grossesse et qu’elle disparaisse invariablement quand celle-ci s’achève suggère fortement que la cause de cette maladie est liée au développement de la grossesse. Mais les détails permettant de comprendre comment et pourquoi cette maladie se déclare sont restés insaisissables. Ce manque de compréhension rend difficile la mise au point de traitements et contribue sans doute à la <a href="https://www.pregnancysicknesssupport.org.uk/documents/research%20papers/stigma-of-hg.pdf">stigmatisation</a> considérable associée à cette maladie.</p>
<h2>GDF15</h2>
<p>Le GDF15 est une hormone qui supprime la prise alimentaire chez la souris en agissant, probablement exclusivement, sur un petit groupe de cellules à la base du cerveau qui sont également connues pour induire des nausées et des vomissements. À ce titre, des recherches ont été menées autour du GDF15 dans l’éventualité d’y recourir dans le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36754014/">traitement de l’obésité</a>.</p>
<p>Les premiers essais chez l’être humain ont confirmé que cette hormone supprime l’appétit. Ils ont montré qu’elle provoque également des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36630958/">nausées et vomissements</a>. On sait depuis longtemps que le GDF15 est abondant dans le placenta humain et qu’il est présent à des concentrations très élevées dans le sang des femmes enceintes en bonne santé. Ces facteurs en font une cause plausible des maux de la grossesse, mais nous manquons d’éléments de compréhension précis pour dire si le GDF15 affecte la gravité des maux de grossesse.</p>
<p>Nous avons utilisé diverses méthodes pour étudier comment le GDF15 augmente le risque de survenue de maux de grossesse. Nous avons mesuré le GDF15 dans le sang de femmes enceintes qui se rendaient à l’hôpital soit parce qu’elles souffraient de maux de grossesse, soit pour d’autres raisons.</p>
<p>Nous avons constaté que les femmes souffrant de maux de grossesse présentaient effectivement des niveaux plus élevés de GDF15. Même si cela est lié au fait que le GDF15 contribue à la maladie, les niveaux de GDF15 dans chaque groupe se chevauchaient considérablement. Cela suggère que des facteurs autres que la quantité absolue de GDF15 produit quand la grossesse se développe pourraient déterminer le risque de maladie.</p>
<p>Les variations naturelles de l’ADN des futures mères contribuent au risque de survenue de maux de grossesse. Des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29563502/">études</a> antérieures ont identifié les modifications de l’ADN à proximité de la protéine GDF15 comme étant les principaux facteurs déterminant le risque de survenue de maux de grossesse. En particulier, une mutation génétique rare (présente chez environ une personne sur 1 500), qui affecte la composition de la protéine GDF15 dans le sang, a un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35218128/">effet</a> important sur ce risque.</p>
<p>(<em>GDF15, comme beaucoup d’hormones, fait partie de la famille des protéines. La synthèse des protéines s’opère à partir d’une information génétique présente sur l’ADN localisée dans le noyau des cellules. Une variation, appelée aussi mutation, au niveau de cette information génétique va modifier la protéine qui en résultera, ndlr</em>).</p>
<p>Pour comprendre l’impact potentiel de ce variant génétique (<em>c’est-à-dire de cette mutation génétique rare, ndlr</em>) sur les niveaux de GDF15 dans la circulation sanguine, nous avons étudié ses effets sur la protéine dans des cellules cultivées en laboratoire.</p>
<p>Nous avons découvert que la molécule GDF15 mutée restait bloquée à l’intérieur des cellules. Qui plus est, elle se colle à la GDF15 « normale » et l’emprisonne, ce qui crée un double effet qui entrave le transport de la GDF15 hors des cellules. Les personnes en bonne santé qui présentent cette mutation ont des taux de GDF15 nettement inférieurs dans le sang, ce qui est conforme à ces résultats.</p>
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<img alt="Une femme enceinte assise sur le bord d’un lit a les mains posées sur son ventre." src="https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565574/original/file-20231213-21-z851cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entre 1 % et 3 % des femmes souffrent d’une forme sévère de maux de grossesse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/pregnant-woman-sitting-on-bed-holding-310309151">Monkey Business Images/Shutterstock</a></span>
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<p>Nous avons découvert que les modifications de l’ADN à proximité de GDF15, que l’on retrouve chez environ 15 à 30 % des personnes, réduisent les niveaux d’hormone présents. Ces modifications augmentent légèrement le risque de souffrir de maux de grossesse. À l’inverse, chez les femmes atteintes d’une maladie du sang appelée <a href="https://www.orpha.net/data/patho/Han/Int/fr/BetaThalassemie_FR_fr_HAN_ORPHA848.pdf">thalassémie</a>, qui ont des niveaux très élevés de GDF15 tout au long de leur vie, on relève beaucoup moins de nausées et de vomissements pendant la grossesse.</p>
<h2>Une feuille de route pour un traitement</h2>
<p>La conclusion de notre étude est claire : une prédisposition à des niveaux plus élevés de GDF15 en dehors de la grossesse réduit le risque de souffrir de maux de grossesse une fois enceinte. À première vue, cela laisse perplexe, car comment le fait d’avoir des niveaux plus élevés d’une hormone qui vous rend malade peut-il protéger contre les nausées de la grossesse ?</p>
<p>En fait, plusieurs systèmes hormonaux présentent un phénomène similaire à la mémoire dans lequel la sensibilité à une hormone est influencée par une exposition antérieure à cette hormone. Cela semble être l’explication la plus plausible pour comprendre nos résultats. Ce qui supporte cette théorie est le fait que des souris présentant des niveaux élevés et persistants de GDF15 dans leur circulation sanguine ont relativement peu réagi à une augmentation aiguë des niveaux de GDF15.</p>
<p>Nos résultats suggèrent que des niveaux plus faibles de GDF15 avant la grossesse entraînent une hypersensibilité des femmes à des quantités élevées de GDF15 libérées quand la grossesse se développe. Il existe donc deux approches évidentes pour le traitement de cette pathologie : désensibiliser les femmes au GDF15 en augmentant ses niveaux avant la grossesse ou bloquer son action pendant la grossesse.</p>
<p>Le défi consiste maintenant à développer et à tester des stratégies, permettant d’atteindre ces objectifs, qui se révèlent sûres et acceptables pour les femmes exposées à cette maladie invalidante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220294/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sam Lockhart bénéficie d'une bourse de doctorat clinique du Wellcome Trust (225479/Z/22). Il est désigné comme l'un des créateurs d'une demande de brevet en cours concernant la thérapie de l'hyperémèse gravidique déposée par Cambridge Enterprise Limited (demande GB n° 2304716.0 ; inventeur : Professeur Stephen O'Rahilly).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Stephen O'Rahilly a travaillé comme consultant rémunéré pour Pfizer, Third Rock Ventures, AstraZeneca, NorthSea Therapeutics et Courage Therapeutics. Une partie des travaux présentés dans cet article fait l'objet d'une demande de brevet en cours concernant la thérapie de l'hyperémèse gravidique déposée par Cambridge Enterprise Limited (demande GB n° 2304716.0 ; inventeur : professeur Stephen O'Rahilly). Sam Lockhart et Stephen O'Rahilly sont les créateurs désignés de ce brevet.</span></em></p>De nouvelles recherches ont permis de découvrir l’hormone qui déclenche les nausées matinales, offrant ainsi un espoir à des millions de femmes.Sam Lockhart, Wellcome Trust Clinical PhD Fellow, Institute of Metabolic Science and Medical Research Council Metabolic Diseases Unit, University of CambridgeStephen O'Rahilly, Professor and Co-Director of the Institute of Metabolic Science and Director of the Medical Research Council Metabolic Diseases Unit, University of CambridgeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177072023-11-15T21:18:55Z2023-11-15T21:18:55ZApplis de suivi menstruel et autres innovations « FemTech » : quels enjeux éthiques et sociétaux ?<p><a href="https://theconversation.com/fiabilite-securite-ethique-quels-risques-derriere-les-failles-des-applications-de-suivi-menstruel-190115">Applications de suivi menstruel</a> ou de grossesse, solutions digitales pour accompagner les femmes atteintes d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/endometriose-105698">endométriose</a>… Depuis une dizaine d’années, des technologies numériques dédiées à la <a href="https://theconversation.com/fr/search?q=sant%C3%A9+des+femmes">santé des femmes</a> se développent. </p>
<p>Ces « FemTech » (pour <em>female technologies</em>) ont pour objectif de proposer des services aux femmes en matière de santé et de bien-être, en s’appuyant sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/nouvelles-technologies-20827">nouvelles technologies</a> (applications santé, appareils connectés, télémédecine, intelligence artificielle, etc.). </p>
<p>Mais elles peuvent aussi interroger quant à l'utilisation qui est faite des données et la protection de la vie privée des femmes qui y ont recours. </p>
<h2>Des failles dans la protection des données personnelles</h2>
<p>La grande majorité des entreprises de la FemTech ont ainsi pour point commun de <a href="https://www.consumerreports.org/privacy/popular-apps-share-intimate-details-about-you-a1849218122/">partager leurs données avec des « tierces parties »</a> (sociétés partenaires extérieures telles que Google, Facebook, Amazon, Apple, etc.), le <a href="https://www.consumerreports.org/electronics-computers/privacy/popular-apps-share-intimate-details-about-you-a1849218122/">plus souvent à l’insu des usagères</a>.</p>
<p>C’est en particulier le cas des applications de suivi menstruel dont les <a href="https://www.hal.inserm.fr/inserm-03798828/document">failles</a> dans les procédures de protection des données personnelles ont été dénoncées. Aux États-Unis, les associations se sont ainsi mobilisées pour inciter les Américaines à désinstaller leurs apps, face au risque de voir utilisées, par les autorités judiciaires, les données des calendriers menstruels pour repérer les femmes qui ont avorté ou qui souhaitent le faire.</p>
<p>Des <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/8786118">publications</a> alertent aussi sur ce que l’on appelle l’Internet des objets connectés (IoT). Elles mettent en garde contre les risques de vols des données personnelles ou de manipulations d’objets depuis l’extérieur (hacking), avec des conséquences pour la santé quand ces objets touchent à l’intégrité physique et mentale.</p>
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<h2>Des technologies qui répondent à une demande des femmes</h2>
<p>Les entreprises de la FemTech sont en plein essor, ce qui rend ces questions autour de la protection des données personnelles et du respect de la vie privée et intime des femmes d'autant plus criantes. </p>
<p>Ainsi, le <a href="https://analytics.dkv.global/FemTech/Teaser-Q2-2022.pdf">marché global des FemTech</a>, estimé à 25 milliards de dollars en 2021, pourrait avoisiner les 100 milliards en 2030. En 2021, on comptait 1 400 start-up de FemTech dans le monde, dont 51 % aux États-Unis, 27 % en Europe et 9 % en Asie. En France, l’association FemTech France, créée en 2022, a répertorié <a href="https://www.femtechfrance.org/cartographie-start-up">115 start-up françaises de FemTech</a>.</p>
<p>Les entreprises de la FemTech visent en effet des domaines propres aux femmes (santé reproductive, périnéale, sexuelle, contraception, stérilité, ménopause, bien-être sexuel, endométriose, maternité/postpartum…) et aussi des pathologies plus générales mais qui affectent les femmes de façon différenciée (cancer, dépression, etc.).</p>
<p>À l’évidence, l’essor de ce marché correspond à une demande des femmes pour diverses raisons.</p>
<p>D’abord, ce marché se développe dans un contexte de <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ190409911.html">pénurie de gynécologues médicaux</a> – qui entraîne des errances thérapeutiques et diagnostiques – et de prise de conscience des expériences de <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-629.html">violences gynécologiques et obstétricales</a>.</p>
<p>De plus, les acteurs de la Femtech répondent aux préoccupations et aspirations actuelles des femmes. Ils conçoivent des services personnalisés dédiés à la santé et au bien-être intime (douleurs menstruelles, vulvaires, rééducation périnéale, libido, ménopause, etc.), des sujets peu ou pas considérés par la médecine classique.</p>
<h2>Des applis dédiées à la santé sexuelle et reproductive</h2>
<p>La grande majorité des services proposés sont des applications sur téléphone mobile : gestion des donnés personnelles liées à la santé, conseils d’expert, téléconsultations, documentation, forums de discussion, etc. Les applications les plus populaires concernent la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13691058.2014.920528">santé sexuelle et reproductive</a> : <a href="https://estsjournal.org/index.php/ests/article/view/655">suivi menstruel</a>, grossesse, ménopause, endométriose…</p>
<p>Ces entreprises bénéficient aussi du fait que l’usage des technologies numériques est perçu comme un vecteur d’autonomisation des femmes dans le contrôle de leur corps et de leur vécu intime, avec l’avantage d’une commodité d’utilisation et d’un coût minimal.</p>
<p>Cependant, on notera que tous les sites d’aide et de conseils personnalisés aux utilisatrices, ou patientes, proposent systématiquement des offres commerciales : huiles essentielles, compléments alimentaires, produits cosmétiques, stages de fitness, yoga, méditation, sophrologie, etc.</p>
<h2>En entreprise, gérer les congés maternité ou les arrêts maladie</h2>
<p>Ces plates-formes numériques s’adressent aussi aux entreprises dans le but de gérer au mieux la santé des employé·e·s, réduire l’absentéisme, les coûts de santé et augmenter la productivité. Les femmes sont les plus concernées, car <a href="https://newsroom.malakoffhumanis.com/assets/barometre-absenteisme-malakoff-humanis-2023-presse-a834-63a59.html">leur taux d’absentéisme est supérieur à celui des hommes</a> (du fait des charges domestiques et familiales, de la santé reproductive…). Les domaines ciblés sont la gestion des congés maternité, le retour au travail et la prévention pour réduire les arrêts maladie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexisme-en-entreprise-comment-les-hommes-peuvent-sallier-aux-femmes-pour-changer-les-choses-202561">Sexisme en entreprise : comment les hommes peuvent s’allier aux femmes pour changer les choses</a>
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<p>Ces offres sont surtout développées aux États-Unis où la plupart des grandes sociétés assument une majeure partie des primes de santé versées aux assureurs. C’est le cas de la <a href="https://www.mavenclinic.com/">« Maven Clinic »</a>, une plate-forme virtuelle qui permet aux entreprises d’offrir à leurs employées un vaste réseau de services en ligne dans différents domaines : la procréation (fertilité, congélation d’ovocytes, procréation médicalement assistée ou PMA, gestation pour autrui ou GPA – une pratique non autorisée en France -), la grossesse et le suivi postpartum, la parentalité, la maternité et la pédiatrie, ou encore la ménopause.</p>
<p>En France, les plates-formes numériques dédiées à la santé des femmes en entreprise sont encore au stade de projets. Il est probable qu’elles devront dans un proche avenir affronter la concurrence américaine qui dispose de gros moyens pour se développer en Europe. La Maven Clinic a déjà des partenariats avec de nombreuses entreprises internationales, dont Amazon, Microsoft et l’Oréal, réparties dans 175 pays sur tous les continents.</p>
<h2>Une vigilance qui concerne la santé numérique en général</h2>
<p>En France, le sujet de la protection des données personnelles dans les FemTech, rejoint les <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2023-05/CCNE-CNPEN_GT-PDS_avis_final27032023.pdf">questions éthiques posées par la santé numérique en général</a> (e-santé). De plus, des questions spécifiques se posent concernant les données de santé sexuelle et reproductive, notamment dans le cadre de leur exploitation en entreprise.</p>
<p>Le fait que des informations intimes (projets de grossesse, PMA, endométriose, règles douloureuses…) puissent être portées à la connaissance de l’employeur pose un problème éthique face au risque de discriminations, à l’embauche et durant l’ensemble du parcours professionnel. Les <a href="https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl22-537-expose.html">débats contradictoires sur la pertinence d’instaurer un congé menstruel</a> en sont l’illustration.</p>
<p>A noter aussi que depuis mars 2023, le <a href="https://www.legifrance.gouv.dfr/jorf/id/JORFTEXT000043884445">dossier médical en santé au travail</a> (DMST) qui doit être constitué pour chaque travailleur, est créé obligatoirement sous format numérique sécurisé. L’objectif est de faciliter le partage d’informations issues notamment du <a href="https://www.ameli.fr/paris/medecin/sante-prevention/dossier-medical-partage/dmp-en-pratique">dossier médical partagé</a> (DMP). Celui-ci comprendra à terme un volet santé au travail accessible via <a href="https://www.ameli.fr/paris/assure/sante/mon-espace-sante/mon-espace-sante-carnet-sante-numerique">Mon espace santé</a>, l’espace numérique personnel mis en place par l’Assurance maladie et le ministère de la Santé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conges-menstruels-neuroatypisme-maladies-chroniques-et-si-lentreprise-tenait-compte-de-nos-differences-biologiques-206321">Congés menstruels, neuroatypisme, maladies chroniques : et si l’entreprise tenait compte de nos différences biologiques ?</a>
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<p>Le croisement de ces données entre professionnels de santé pose question, en termes de protection de la vie privée et de respect des droits du salarié·e. Par exemple, en cas de projets de maternité, le fait que le médecin traitant bénéficie d’informations sur la santé au travail peut contribuer à un meilleur suivi médical vis-à-vis de risques professionnels susceptibles d’interférer avec la grossesse.</p>
<p>Mais réciproquement, la possibilité d’accès du médecin du travail (non choisi, imposé par l’employeur) à des informations de santé que la femme salariée veut tenir confidentielles, appelle à la vigilance concernant le respect du secret médical.</p>
<h2>Les menaces sur la vie privée sous-estimées par les femmes</h2>
<p>Depuis 2022, le groupe « Genre et recherches en santé » du Comité d’éthique de l’Inserm alerte sur les <a href="https://www.hal.inserm.fr/inserm-03798828/document">enjeux éthiques des technologies numériques des FemTech</a>, concernant notamment le manque de validation scientifique et les failles dans la protection des données.</p>
<p>Il s’avère que les usagères ne sont pas toutes conscientes que leurs données de santé sont gérées par des services extérieurs et peuvent être exploitées par des tiers. Pour celles qui le sont, <a href="https://www.jmir.org/2019/6/e12505/">le bénéfice qu’elles déclarent tirer des outils numériques</a> l’emporte sur leur perception des menaces pour la vie privée.</p>
<p>Ce constat renvoie au besoin urgent de mettre en place des programmes d’éducation au numérique qui permettent au plus grand nombre de femmes (et d’hommes) d’en <a href="https://academic.oup.com/medlaw/article/30/3/410/6575319">évaluer les bénéfices et les risques</a>. Pour nombre de femmes, les conditions socio-économiques défavorables font obstacle à la possibilité d’opérer des arbitrages en connaissance de cause dans les services numériques qui leur sont proposés.</p>
<h2>Un programme sur la santé des femmes et des couples</h2>
<p>Pour répondre à ce besoin d’informations, fiables et accessibles, l’Inserm est potentiellement un levier de poids, notamment à travers le <a href="https://sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/deuxieme-comite-de-pilotage-de-la-strategie-nationale-de-lutte-contre-l">programme national prioritaire de recherche (PEPR 2023) intitulé « Santé des femmes, santé des couples »</a>. L’objectif est de <a href="https://presse.inserm.fr/cest-dans-lair/semaine-europeenne-de-prevention-et-dinformation-sur-lendometriose-6-12-mars-2023/">développer les connaissances sur l’endométriose</a>, la fertilité, l’assistance médicale à la procréation (AMP) et les effets de l’exposition in utero aux antiépileptiques.</p>
<p>Le projet vise aussi à mieux communiquer, former et informer sur la santé des femmes via des campagnes de formation et d’information destinées aux professionnels de santé et au grand public. Ce programme pourrait inclure un volet d’information sur l’usage et le mésusage des outils numériques dédiés à la santé sexuelle et reproductive des femmes, et la protection des données personnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Vidal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les FemTech, ces technologies numériques dédiées à la santé des femmes, sont en plein essor. Mais les utilisatrices sous-estiment parfois les menaces qu’elles peuvent faire peser sur leur vie privée.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2130902023-10-03T16:34:08Z2023-10-03T16:34:08ZSanté maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil<p>Au cours des dix dernières années, le nombre de migrants dans le monde <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264307216-en.pdf">a augmenté de 23 % selon l’OCDE</a>, du fait de la multiplication des conflits armés, des crises économiques ou encore des catastrophes naturelles.</p>
<p>Ces mouvements de populations impliquent fréquemment des femmes jeunes, et le nombre d’enfants nés de mères d’origine étrangère est en augmentation dans de nombreux pays. C’est le cas notamment en France, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414759?sommaire=5414771">où ce phénomène concerne une naissance sur quatre</a>.</p>
<p>La question de l’état de santé de ces femmes pendant la grossesse et dans ses suites a fait l’objet de différentes études scientifiques. Elle n’est pourtant pas réellement tranchée, car leurs conclusions divergent : certaines indiquent que les femmes migrantes courent un risque plus élevé, d’autres, non.</p>
<p>Pour comprendre l’origine de ces différences, nous avons effectué une revue systématique des travaux scientifiques portant sur la santé maternelle des femmes migrantes et non migrantes dans les pays à revenus élevés, doublée d’une méta-analyse, en nous focalisant sur les complications graves.</p>
<p>Nos travaux indiquent qu’il existe bel et bien des différences réelles de santé maternelle entre les femmes migrantes et non migrantes, qui varient non seulement en fonction du pays d’accueil, mais aussi du pays d’origine.</p>
<h2>Une question importante pour les politiques publiques</h2>
<p>Prendre en charge et suivre de façon optimale toutes les femmes enceintes représente un défi sur le plan organisationnel. La première étape pour le relever est de caractériser l’état de santé des femmes migrantes et de comparer leur niveau de santé au cours de la grossesse, pendant et après l’accouchement, à celui des femmes du pays d’accueil.</p>
<p>Lorsque de telles analyses sont menées, certaines études indiquent que le risque de mortalité maternelle et de morbidité maternelle grave (admission en unité de soins intensifs, hémorragie post-partum, crises d’éclampsie – des crises convulsives potentiellement fatales dans un contexte de <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/hypertension-arterielle-grossesse/definition">maladie hypertensive de la grossesse</a>, etc.) est plus élevé pour les femmes migrantes. D’autres travaux, en revanche, ne mettent pas en évidence de différence.</p>
<p>Jusqu’ici, on ne savait pas si cette hétérogénéité pouvait s’expliquer par des variations, selon les études, dans la définition de la catégorie « migrant » ainsi que dans la mesure des évènements graves de santé maternelle, ou bien si elle reflétait plutôt de réelles inégalités, selon le contexte des pays d’accueil. Avec, en creux, la question de savoir si certains contextes nationaux sont plus propices au développement d’inégalités de santé maternelle entre les femmes migrantes et non-migrantes, et si certains sous-groupes de femmes présentent aussi plus de risques.</p>
<p>Les réponses à ces interrogations sont importantes, car elles peuvent avoir des implications en matière de politiques publiques et de choix des mesures prioritaires à mettre en place pour favoriser un accès à des soins de qualité pour toutes les femmes.</p>
<h2>Différences selon les pays d’accueil et d’origine</h2>
<p>Pour prendre en compte le problème de l’hétérogénéité des définitions de la littérature scientifique, nous avons fait le choix de ne sélectionner que des études proposant une même définition du terme « migrantes » : des femmes nées dans un autre pays que le pays d’accueil où elles accouchent.</p>
<p>Les évènements de santé pris en compte dans notre analyse incluaient non seulement la mortalité maternelle, mais aussi les autres évènements graves de santé maternelle pendant la grossesse et jusqu’à un an après l’accouchement (en excluant les problèmes de santé mentale).</p>
<p>En analysant les 35 études incluses (sélectionnées à partir de l’examen de 2290 publications), nous avons constaté que le risque de mortalité maternelle ou d’évènements graves de santé touchant les femmes migrantes, par rapport aux femmes nées dans le pays, variait à la fois en fonction du pays d’accueil et de la région de naissance de la femme migrante.</p>
<p>Dans le détail, nous avons observé qu’en Europe, les femmes migrantes courent généralement un risque plus élevé que les femmes non migrantes, avec un taux de mortalité maternelle ou des problèmes de santé maternelle plus importants.</p>
<p>En revanche, ce risque ne diffère pas de manière significative aux États-Unis ou en Australie entre ces deux groupes. Il faut néanmoins souligner que dans ces pays, les inégalités de santé maternelle sont observées entre groupes ethniques, notamment entre populations noires et blanches aux États-Unis.</p>
<p>Notre travail montre par ailleurs que le terme de <em>migrante</em> recouvre une réalité complexe et multiple. Les femmes nées en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et dans les Caraïbes ou en Asie, présentent ainsi un risque de mortalité ou d’évènements graves de santé plus élevé que leurs homologues nées dans le pays d’accueil. En revanche, ce surrisque n’est pas retrouvé pour les femmes migrantes nées en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.</p>
<p>Nos résultats soulignent donc qu’il existe des inégalités réelles de santé maternelle entre les femmes migrantes et non migrantes. Mais quelles en sont les origines ?</p>
<h2>Différences dans l’accès aux soins : quelles hypothèses ?</h2>
<p>Pour mieux comprendre ces inégalités entre femmes migrantes et non migrantes, il est nécessaire d’interpréter les données à la lumière du contexte du pays d’accueil et de ses politiques migratoires et de santé publique. Tout en gardant à l’esprit le fait que les femmes migrantes ne constituent pas un groupe homogène.</p>
<p>Différentes hypothèses ont été soulevées pour expliquer les inégalités propres à chaque pays et groupe de femmes. L’une d’entre elles s’appuie sur le fait que les femmes migrantes nées en Afrique subsaharienne, en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Asie <a href="https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1471-0528.17124">vivent généralement dans le pays d’accueil depuis moins longtemps que les femmes migrantes originaires d’autres régions</a>.</p>
<p>De ce fait, elles sont plus souvent désavantagées par la barrière de la langue, l’absence de statut juridique, l’isolement social et les mauvaises conditions de logement. Ces facteurs pourraient se traduire par un accès plus difficile au système de santé, en particulier aux soins prénataux, dont on sait qu’ils sont plus souvent inadéquats, tant en quantité qu’en qualité, dans ces sous-groupes de femmes.</p>
<p>Une autre hypothèse est qu’il pourrait exister une discrimination à l’égard de certains sous-groupes de femmes migrantes, en raison de préjugés – conscients ou inconscients – chez certains professionnels de santé. Des femmes migrantes présentant des singularités physiques (par exemple, le fait d’avoir la peau noire) ou culturelles (signes religieux…) <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2468784722000320">pourraient ainsi être prises en charge différemment</a>. Par exemple, une certaine sémiologie culturaliste a pu attribuer, sans fondements scientifiques, aux personnes nées sur le pourtour méditerranéen une propension à manifester exagérément la douleur, phénomène qualifié de <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Discriminations-medecine-pieges-syndrome-mediterraneen-2022-02-14-1201200261">« syndrôme méditérranéen »</a>.</p>
<p>Si nous voulons favoriser un meilleur accès à des soins de qualité pour toutes les femmes, ces hypothèses doivent toutefois être rigoureusement testées et validées par des études conduites dans chaque contexte national, afin de pouvoir ensuite proposer des solutions pertinentes et adaptées.</p>
<p>Dans cette perspective, nous avons mené plusieurs travaux pour mieux comprendre la situation française et les mécanismes derrière les inégalités propres à notre pays.</p>
<h2>La situation en France</h2>
<p>Dans deux études, nous nous sommes par exemple intéressés au statut légal des femmes migrantes, et à l’association entre ce statut et le suivi prénatal d’une part et la morbidité maternelle sévère d’autre part.</p>
<p>Nos travaux révèlent que les <a href="https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1471-0528.17124">femmes sans-papiers constituent le sous-groupe de migrantes le plus exposé</a> au risque de complications maternelles graves, alors même que la prévalence des facteurs de risque somatiques ne semble pas plus élevée dans ce sous-groupe. Cette observation suggère que leur interaction avec les services de soins maternels pourrait ne pas être optimale, comme en témoigne le fait qu’elles ont <a href="https://academic.oup.com/eurpub/article/33/3/403/7165277">plus de deux fois plus de risque d’avoir un suivi prénatal sous optimal</a></p>
<p>Nous avons également publié des travaux explorant l’hypothèse d’une différence de soins non médicalement justifiés entre femmes migrantes et non migrantes, en matière de césarienne et de dépistage prénatal. Nous avons <a href="https://bmcpregnancychildbirth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12884-019-2364-x">constaté que les accouchements par césarienne</a> étaient beaucoup plus fréquents chez les femmes d’Afrique subsaharienne, sans qu’aucune raison médicale ne puisse l’expliquer. En ce qui concerne le dépistage prénatal de la trisomie 21, nous avons constaté dans une autre étude que les femmes nées hors de France, y compris celles bénéficiant d’un accès aux soins régulier, <a href="https://bmcpregnancychildbirth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12884-021-04041-8">reçoivent moins d’informations et ont moins l’opportunité de faire un choix éclairé</a>.</p>
<p>Afin de poursuivre dans l’exploration de ces inégalités et d’expliquer ces soins différenciés, nous sommes actuellement en train de finaliser un travail visant à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35181544/">étudier le rôle des biais implicites</a> raciaux des professionnels de santé dans le champ de la périnatalité.</p>
<p>À l’heure où des dispositifs comme <a href="https://www.srlf.org/article/suppression-laide-medicale-detat-ame">l’aide médicale d’état</a> (le dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière et présents sur le territoire depuis plus de trois mois de bénéficier d’un accès gratuit aux soins, pour maladie ou maternité) sont remis en cause en France, et où les politiques migratoires se durcissent en Europe, il est selon nous important de mener ce type de recherche. En effet, seule l’obtention de données rigoureuses sur l’accès aux soins et la santé des femmes enceintes migrantes permettra d’éclairer les politiques publiques, afin d’éviter que des inégalités déjà importantes ne se creusent encore davantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213090/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Deneux Tharaux a reçu des financements de Ministère de la Santé DGOS, ANR, Santé Publique France, ARS Ile de France, ANSM, ATIH. Elle est membre de l'association Utopia56. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elie Azria et Maxime Eslier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Pendant la grossesse, la santé des femmes migrantes est plus à risque que celle des autres femmes qui vivent dans le même pays qu’elles. Une méta-analyse récente éclaire les causes de cette situation.Catherine Deneux Tharaux, Directrice de recherche, Centre of Research in Epidemiology and StatisticS (CRESS - Inserm/Université Paris Cité/Inrae), équipe ÉPOPé (Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique) - coordinatrice de l’axe «Morbidité maternelle sévère», InsermElie Azria, Professeur des Universités - Praticien hospitalier – Chercheur au Centre of Research in Epidemiology and StatisticS (CRESS - Inserm/Université Paris Cité/Inrae), équipe ÉPOPé (Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique), InsermMaxime Eslier, Doctorant au Centre of Research in Epidemiology and StatisticS (CRESS - Inserm/Université Paris Cité/Inrae), équipe ÉPOPé (Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique) et Gynécologue-Obstetricien à Polyclinique du Parc, Caen, France, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032832023-04-25T22:51:58Z2023-04-25T22:51:58ZAu Nigeria, contre-terrorisme et avortements forcés<p>Le 7 décembre 2022, l’agence de presse britannique Reuters publiait un <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-abortions/">long article documentant un programme clandestin d’avortement</a> mis en place par l’armée nigériane dans le nord-est du pays, épicentre de l’insurrection djihadiste <a href="https://afriquexxi.info/Pourquoi-on-ne-devrait-plus-parler-de-Boko-Haram">généralement désignée sous le nom de Boko Haram</a>.</p>
<p>Au terme d’une enquête minutieuse conduite auprès de militaires, de personnels de santé et d’une trentaine de victimes de ce programme, Reuters estime que, depuis 2013, au moins 10 000 femmes enceintes à la suite d’unions volontaires ou forcées avec des djihadistes, puis libérées ou capturées par l’armée, auraient avorté à leur retour dans les zones sous contrôle gouvernemental.</p>
<p>Une proportion d’entre elles – que Reuters ne quantifie pas – auraient subi un avortement forcé : certaines n’ont pas été averties que les injections ou les pilules qu’elles recevaient étaient abortives ; d’autres ont été menacées, battues ou attachées pour subir la procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/viols-meurtres-mariages-arranges-a-defaut-deducation-la-vie-des-filles-en-zone-de-conflit-60012">Viols, meurtres, mariages arrangés : à défaut d’éducation, la vie des filles en zone de conflit</a>
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<p>Ces révélations – contestées avec véhémence par les militaires nigérians – ont à nouveau attiré l’attention internationale sur l’effroyable conflit qui ravage depuis presque quinze ans le nord-est du <a href="https://fr.africanews.com/2022/11/15/nigeria-la-hausse-demographique-pose-des-defis-de-developpement//">pays le plus peuplé d’Afrique</a>. </p>
<h2>Les faits allégués</h2>
<p>Contactée par Reuters avant la parution de l’enquête, l’armée avait réagi en lançant dans la presse nationale une <a href="https://prnigeria.com/2022/11/29/fathered-terrorist-nurtured/">campagne de propagande préemptive</a> affirmant qu’elle prenait soin des femmes et des enfants liés à Boko Haram.</p>
<p>Une fois l’article de Reuters paru, l’armée a démenti, dénonçant le <a href="https://saharaweeklyng.com/reuters-mercenary-journalismefforts-by-reuters-to-blackmail-the-nigerian-military-through-mercenary-journalism-fails/">« journalisme démoniaque » de l’agence de presse</a>, et a refusé d’enquêter sur les allégations des journalistes. Celles-ci n’en ont pas moins provoqué un scandale <a href="https://gazettengr.com/nigerian-army-conducts-secret-abortion-operation-terminates-10000-pregnancies-over-boko-haram-war/">national</a> et <a href="https://www.usnews.com/news/world/articles/2022-12-09/un-secretary-general-calls-for-investigation-on-nigeria-forced-abortions-report">international</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600964090628919307"}"></div></p>
<p>Muhammadu Buhari, alors président du Nigeria, a demandé à un organisme public, la Commission nigériane des droits de l’homme, de <a href="https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/579025-nhrc-set-to-probe-allegation-of-secret-abortion-programme-against-nigerian-military.html">créer une commission d’enquête</a>. Sans doute ne faut-il pas trop en espérer : au Nigeria, c’est souvent en créant des commissions qu’on enterre les « affaires », et si un rapport est produit, il peut <a href="https://www.thisdaylive.com/index.php/2018/12/20/stop-harrassing-amnesty-international-falana-tells-nigerian-army/">ne jamais être rendu public</a>.</p>
<p>Reuters, de son côté, a publié deux autres enquêtes sur des violations graves de droits humains commises par l’armée dans le cadre de la lutte contre les djihadistes, notamment des <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-children/">assassinats d’enfants</a>. Si là encore l’armée nigériane a démenti, ce type de violations ne surprend guère, car il avait déjà été documenté au Nigeria, notamment par <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/05/nigeria-babies-and-children-dying-in-military-detention/">Amnesty International</a> et <a href="https://www.hrw.org/report/2019/09/10/they-didnt-know-if-i-was-alive-or-dead/military-detention-children-suspected-boko">Human Rights Watch</a>. </p>
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<p>Je n’ai jamais enquêté spécifiquement sur la question des avortements lors de mes séjours dans le nord-est du Nigeria. J’ai du moins entendu l’embarras des organisations humanitaires, présentes dans la région depuis la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2019-4-page-143.htm">crise alimentaire de 2016</a> (mais peu auparavant) : elles se demandent comment interpréter le fait qu’elles n’ont pas capté, pendant toutes ces années, de signaux indiquant l’existence de ce programme clandestin d’avortements dénoncé par Reuters.</p>
<p>Dans les ambassades occidentales aussi, la gêne est palpable : on collabore avec les autorités nigérianes dans la lutte contre Boko Haram et les allégations de violations de droits humains viennent une fois encore compliquer cette collaboration, en particulier aux États-Unis – le Sénat et la Chambre des représentants sont sensibles sur ces sujets, notamment et surtout quand il s’agit d’avortement.</p>
<p>Si je ne suis pas en mesure de confirmer ou d’infirmer le récit fait par Reuters, j’entends ici du moins discuter de la plausibilité de ce terrible épisode en le situant dans l’histoire récente du nord-est du pays, marquée par des années d’affrontements sanglants entre l’armée et les djihadistes.</p>
<h2>Une armée dépassée et violente</h2>
<p>Au fil des années, l’armée et les autorités nigérianes ont volontiers minimisé le défi posé par Boko Haram, annonçant régulièrement la victoire. Au moment où le programme d’avortement clandestin aurait été mis en place, entre 2013 et 2015, l’armée nigériane était en réalité en difficulté face à <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015-3.htm">l’organisation formée dans le fil des années 2000 et passée à la lutte armée en 2009</a>, et dont le nom réel est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2013-2-page-137.htm">JASDJ</a> (Jamā’at ahl al-sunnah li’l-da’wah wa’l-jihād, qui peut être traduit par Association des gens de la sunna pour la prédication et le djihad). </p>
<p>Après le <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/qdr40.pdf">soulèvement des partisans du prédicateur de Mohamed Yusuf en 2009</a>, brutalement réprimé par l’armée, les survivants s’étaient réorganisés puis engagés, à partir de 2010, dans une <a href="https://theconversation.com/esclavagisme-razzia-tueries-les-inspirations-locales-de-boko-haram-112547">campagne de terreur</a>.</p>
<p>En plus d’attaques à la bombe <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/1074">jusque dans la capitale fédérale, Abuja</a>, les assassinats se multipliaient dans le nord-est du pays, notamment dans l’État du Borno et sa capitale Maiduguri, une agglomération qui comptait à l’époque plus d’un million d’habitants, ciblant les membres des forces de défense et de sécurité ainsi que les élites politiques et religieuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aSGBsBmlsXQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour mieux cibler la répression, les autorités civiles et militaires du Borno et la population de Maiduguri avaient mis en place des milices, dites <em>Civilian Joint Task Force</em> (CJTF), qui avaient aidé l’armée à purger la ville des réseaux de JASDJ. </p>
<p>Ces derniers avaient alors achevé une bascule déjà engagée vers des <a href="https://theconversation.com/comment-le-djihad-arme-se-diffuse-au-sahel-112244">zones rurales qui leur offraient une meilleure protection</a>. Ils avaient ensuite conquis une bonne partie des villes secondaires du Borno, frappant aussi dans les États voisins de Yobe et de l’Adamawa.</p>
<p>Les attentats suicides, jusque-là très ciblés, s’étaient multipliés, frappant de façon de plus en plus aveugle. Les pertes militaires et civiles ont été gigantesques (<a href="https://acleddata.com/crisis-profile/boko-haram-crisis/en">plus de 40 000 morts</a> jusqu’à aujourd’hui, ces chiffres étant probablement très sous-estimés), et JASDJ a joué à fond la carte de la terreur, s’inspirant parfois dans ses massacres de la scénographie de l’État islamique, à laquelle elle s’est <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/boko-haram-les-raisons-de-l-allegeance-a-Daech_1659082.html">officiellement ralliée en 2015</a>. Dans ces années-là, l’armée nigériane était particulièrement dépassée, aux prises avec un adversaire ultra-violent et mal connu. </p>
<p>Dans ce contexte singulier, l’armée a employé des moyens extrêmes. Elle a recouru massivement à la torture et aux exécutions extrajudiciaires. Entre 2010 et 2014, elle a multiplié les rafles au ciblage souvent imprécis, arrêtant des milliers de personnes, généralement en dehors de toute procédure judiciaire et donc sans chemin de sortie pour les suspects.</p>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/11/initial-dialogue-nigeria-experts-committee-against-torture-ask-about-fight">surpopulation carcérale</a> a été encore aggravée avec la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20150317-nigeria-contre-offensive-damasak-boko-haram-fuite-niger-tchad">contre-offensive victorieuse</a> lancée par l’armée en 2015 : elle a alors pris sous son contrôle une vague plus massive encore de suspects, hommes, femmes et enfants. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1645695339305873409"}"></div></p>
<p>Dans les centres de détention militaire, et notamment dans l’immense caserne de Giwa Barracks, à Maiduguri, la surpopulation et la faiblesse des ressources ont abouti à l’installation de facto d’un <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/afr44/3998/2016/en/">dispositif de mise à mort par la prison</a> (faim, déshydratation, maladies, violences des gardiens et entre détenus) dont on peut se demander si certains responsables militaires au moins ne l’ont pas conçu ou accepté comme tel.</p>
<h2>Les femmes associées à Boko Haram, un cas particulier</h2>
<p>Là où les hommes, quand ils n’étaient pas exécutés sur le champ, étaient emprisonnés avec peu d’espoir de sortie, la situation des femmes et des enfants était plus complexe aux yeux de l’armée et des autorités : le retentissement international du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220414-nigeria-8-ans-apr%C3%A8s-l-enl%C3%A8vement-des-lyc%C3%A9ennes-de-chibok-une-centaine-toujours-port%C3%A9es-disparues">kidnapping des collégiennes de Chibok en 2014</a> avait établi que les femmes trouvées dans les camps djihadistes pouvaient être des victimes, avoir été enlevées, contraintes au mariage et soumises à des viols maritaux.</p>
<p>À partir de 2014, des <a href="https://www.cfr.org/blog/women-boko-haram-and-suicide-bombings">femmes ont commencé à mener des attaques suicides</a> contre l’armée et les communautés. Les femmes avaient donc un <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/nigeria/nigeria-women-and-boko-haram-insurgency">statut énigmatique</a> – épouses loyales de combattants djihadistes ou bien captives ? – et oscillaient ainsi entre la position d’ultra-victimes et celle d’hypermenaces.</p>
<p>Faute de place dans les centres de détention, et alors que les critiques internationales montaient sur les abus de droits humains et venaient compliquer la coopération entre le Nigeria et certains partenaires internationaux, les femmes et les enfants détenus ont fini par être libérés en masse et envoyés dans les camps de déplacés à travers le Borno.</p>
<p>Avec les femmes et les enfants, il y avait là un problème mal défini et menaçant, mais trop massif pour être traité par l’emprisonnement. Le problème semblait d’autant plus grave qu’il résonnait avec les inquiétudes croisées de l’État et de la société à propos des enfants conçus dans le contexte du djihad.</p>
<h2>La crainte suscitée par les « enfants de djihadistes »</h2>
<p>Le Nigeria est un pays à la population composite, et où les considérations ethnorégionales jouent depuis longtemps un rôle considérable. Dans ce contexte, la question démographique est particulièrement sensible – en témoignent aussi bien les <a href="https://www.reuters.com/world/africa/nigeria-delays-census-may-its-first-17-years-2023-03-15">difficultés à organiser le recensement</a> que les rumeurs qui interprétaient, un temps, la vaccination contre la poliomyélite comme une <a href="https://academic.oup.com/afraf/article/106/423/185/50647">campagne visant à stériliser les nordistes musulmans</a>.</p>
<p>Le nord, zone peuplée majoritairement de musulmans et à la démographie très dynamique, est perçu comme une menace dans le sud, où les chrétiens sont majoritaires. C’était particulièrement le cas entre 2010 et 2015, sous la présidence de Goodluck Jonathan, président chrétien très contesté par les élites nordistes.</p>
<p>Mais même les élites du Nord musulman s’inquiètent de la croissance démographique de la zone, supposée alimenter un <em>lumpenproletariat</em> menaçant – l’émir de Kano, un chef traditionnel musulman d’importance, a ainsi pu prendre des <a href="https://guardian.ng/news/npc-affirms-emir-sanusis-birth-control-moderation-call/">positions fortes en faveur du contrôle des naissances</a>.</p>
<p>Cette inquiétude était redoublée dans la société nigériane, où elle s’est articulée à l’idée d’un « mauvais sang » dont seraient porteurs les enfants de djihadistes, documentée en 2016 dans un rapport intitulé <a href="https://www.unicef.org/nigeria/reports/bad-blood">Bad Blood</a> publié par l’Unicef et l’ONG International Alert. À l’anxiété des élites se mêlaient ainsi la stigmatisation que subissent les femmes isolées dans une société patriarcale et moraliste, avec leurs grossesses issues d’unions souvent soit forcées, soit forgées en dehors de l’ordre familial, et la peur d’une hérédité de la violence.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/275-returning-land-jihad-fate-women-associated-boko-haram">étude conduite pour International Crisis Group</a>, j’avais noté que certaines femmes signalaient qu’il leur était interdit de fréquenter les points d’eau dans les camps de déplacés – une interdiction à la lisière de l’inquiétude face aux éventuelles maladies dont elles pourraient être porteuses et de représentations liées à la sorcellerie. Le djihad comme épidémie à contenir… « C’est juste une épuration de la société », expliquait à l’équipe Reuters un agent de santé impliqué dans le programme d’avortement… </p>
<h2>Les avortements étaient-ils ordonnés par l’armée ?</h2>
<p>On voit donc bien comme le climat politique, militaire et moral au milieu des années 2010 se prêtait à la mise en œuvre d’un programme d’avortement. </p>
<p>Compte tenu de la stigmatisation dont étaient victimes les femmes associées à Boko Haram, des militaires et des agents de santé ont pu penser leur faire une faveur en les faisant avorter, de gré ou de force.</p>
<p>Reuters cite un agent de santé qui affirme « nous appliquons ce genre de procédure [aux femmes sortant des zones Boko Haram] afin de les sauver du stigmate et du problème qui viendra plus tard ». Reuters relève également qu’un certain nombre de femmes interrogées disent avoir souhaité avorter, mais qu’elles auraient voulu être informées et consultées.</p>
<p>Compte tenu du nombre de cas qu’ils ont identifiés, Reuters a considéré qu’il s’agissait là d’un véritable « système », tout en notant n’avoir pu établir « qui avait créé ce programme ni qui dans l’armée ou au gouvernement en était responsable ».</p>
<p>L’armée, répétons-le, dément absolument l’existence d’un « système » et met en avant le fait que de nombreux enfants sont nés en détention, ce que confirment des témoignages que j’ai recueillis auprès d’anciens détenus ainsi que de responsables d’ONG impliqués dans les questions de santé et de protection des personnes dans le Borno. Reuters l’admet d’ailleurs, notant bien que certaines femmes se sont vu proposer, et non pas imposer, un avortement.</p>
<p>On peut dès lors penser que dans le contexte du conflit, des mesures ont été prises pour rendre <em>possible</em> l’accès à l’avortement aux femmes sortant des zones Boko Haram et que, à différents moments et dans différents sites, des responsables locaux, directeurs d’hôpitaux ou commandants de centres de détention par exemple, ont pris sur eux d’<em>imposer</em> des avortements au lieu de simplement les <em>proposer</em>.</p>
<p>Cela permettrait d’expliquer comment les avortements forcés ont pu se produire, sans être pour autant véritablement systématiques. Des variations importantes dans la mise en œuvre des politiques, typiques d’un État sous pression et connaissant des faiblesses dans le contrôle interne, ont d’ailleurs été documentées dans d’autres volets de la réaction de l’État nigérian – par exemple dans le traitement des prisonniers de sexe masculin. </p>
<p>Reuters affirme avoir documenté des cas jusqu’en novembre 2021, mais il y a des raisons d’espérer que les choses ont changé avec le temps, que les avortements forcés sont moins fréquents. Les forces de défense et de sécurité sont aujourd’hui moins dépassées qu’en 2014, et les conditions dans les centres de détention se sont un peu améliorées, notamment grâce à l’action internationale.</p>
<p>Enfin, la réintégration dans la société de femmes et même d’hommes <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/b170-exit-boko-haram-assessing-nigerias-operation-safe-corridor">ayant quitté Boko Haram volontairement</a>, inimaginable en 2015, est devenue presque routinière. On peut donc supposer que dans la chaîne qui traite les personnes venues des zones Boko Haram, la ligne est moins dure. </p>
<p>Quoi qu’il en soit du caractère systématique des faits rapportés par Reuters, l’État nigérian ne saurait être dégagé de ses responsabilités. En dernière analyse, parce qu’il est l’État, il est responsable des abus perpétrés en son nom, et il est responsable d’avoir laissé perdurer l’ambiance délétère et la logique éradicatrice qui ont pu donner lieu aux avortements forcés rapportés par l’agence de presse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Foucher était employé comme analyste par International Crisis Group de 2011 à 2017 et collabore encore avec cette organisation. </span></em></p>Une enquête explosive de Reuters révèle que de nombreuses femmes auraient été forcées à avorter par l’armée nigériane dans les territoires libérés du joug des djihadistes.Vincent Foucher, Chargé de recherche CNRS au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2018902023-03-15T19:58:07Z2023-03-15T19:58:07ZNez, cœur, peau, dents… Ce qui change pendant la grossesse<p>Envies alimentaires inhabituelles, teint « lumineux » ou nausées matinales… Lorsque l’on est enceinte, on s’attend à vivre un certain nombre de changements. Mais certains peuvent s’avérer déconcertants.</p>
<p>Récemment, derrière le hashtag #PregnancyNose (« nez de grossesse »), des femmes ont fait part sur les réseaux sociaux des <a href="https://www.tiktok.com/@kaylyn.hill/video/7180415277476171051?embed_source=121331973%2C120811592%2C120810756%3Bnull%3Bembed_fullscreen&refer=embed&referer_url=www.parents.com%2Fpregnancy-nose-is-trending-on-tiktok-what-is-it-7092471&referer_video_id=7180415277476171051">transformations subies par leur nez au cours de leur grossesse</a>. Photos à l’appui, elles montraient que ce dernier avait grossi et changé de forme alors qu’elles étaient enceintes. Ce phénomène, qui n’a rien d’inquiétant et n’est que temporaire, disparaît généralement six semaines après l’accouchement.</p>
<p>Il est dû à l’augmentation significative, durant la grossesse, des <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphys.2018.01091/full">niveaux d’hormones, en particulier les œstrogènes</a>. Ces derniers provoquent une dilatation des vaisseaux sanguins dans tout l’organisme. Conséquence : davantage de sang pénètre dans les tissus du nez, qui se dilate et change de forme, paraissant plus gros et plus gonflé.</p>
<p>Il est difficile de déterminer la fréquence de ce phénomène, car les niveaux d’hormones varient d’une personne à l’autre, et chacune réagit différemment aux changements qui s’opèrent. La modification est peut-être également plus visible chez certaines femmes que chez d’autres.</p>
<p>Ces changements hormonaux peuvent également provoquer un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14719986/">écoulement nasal et un nez bouché</a> (rhinite de la femme enceinte) ainsi que des saignements de nez, lesquels touchent une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6360570/">femme sur cinq pendant la grossesse</a>.</p>
<p>Mais l’augmentation de volume de votre nez n’est pas le seul changement que votre corps peut subir lorsque vous attendez un enfant. En voici quelques autres.</p>
<h2>Un cœur plus gros</h2>
<p>Le cœur subit lui aussi un certain nombre de modifications au cours de la grossesse, afin de s’adapter à la croissance du bébé.</p>
<p>Tout comme les organes abdominaux sont comprimés et déplacés pour faire de la place au fœtus en pleine croissance, le cœur est lui aussi poussé plus haut dans la poitrine.</p>
<p>Il change également de taille durant la grossesse, devenant plus épais. Le cœur doit en effet <a href="https://bmcmedicine.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12916-019-1399-1">travailler beaucoup plus dur à ce moment-là</a>, car le volume de sang qu’il doit pomper dans l’organisme de la femme enceinte et du bébé est beaucoup plus important qu’à l’accoutumée : dans certains cas, la quantité de sang circulant dans le corps d’une femme <a href="https://www.ahajournals.org/doi/full/10.1161/CIRCULATIONAHA.114.009029">double pendant sa grossesse</a>.</p>
<p>Cette augmentation du rythme cardiaque permet de s’assurer que le bébé reçoit suffisamment d’oxygène pour son développement.</p>
<h2>Changement de couleur de peau</h2>
<p>Nous avons tous entendu parler du « teint éclatant » que confère la grossesse. La peau de certaines femmes aurait un éclat plus lumineux lorsqu’elles sont enceintes. Mais d’autres, au contraire, souffrent d’une affection connue sous le nom de mélasma, qui provoque un assombrissement de la peau autour des yeux, du nez, du menton et de la lèvre supérieure. Cette hyperpigmentation est le plus souvent due à une surproduction de mélanine.</p>
<p>Plus fréquente chez les femmes au <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK459271/">teint plus foncé</a>, cette affection extrêmement courante touche environ <a href="https://www.jaad.org/article/S0190-9622(84)80305-9/pdf">75 % des femmes enceintes</a>. Ces modifications varient d’une femme à l’autre et disparaissent généralement peu après la naissance ou à la fin de l’allaitement.</p>
<p>La cause exacte de la survenue de mélasma au cours de la grossesse est inconnue, mais on pense que l’augmentation du taux d’œstrogènes et de progestérone est en cause.</p>
<p>La peau entourant le mamelon (appelée aréole) peut également <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3183040/">s’assombrir</a> pendant la grossesse. Là encore, on ne sait pas exactement pourquoi cela se produit, mais cela pourrait aider les nouveau-nés à mieux identifier le mamelon lors de la tétée.</p>
<p>En effet, non seulement les nouveau-nés ont une distance de vision restreinte (ils ne distinguent pas nettement ce qui se situe <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/ophtalmo/comment-les-bebes-voient-ils-le-monde-de-0-a-1-an_102334">à plus d’une trentaine de centimètres de leur visage</a>), mais de plus ils ne sont pas en mesure de distinguer pleinement les couleurs – ils perçoivent seulement les choses très <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0042698994901279">saturées et rouges</a>. Ils distinguent beaucoup mieux la différence entre lumière et obscurité, de sorte que le contraste de l’aréole sombre par rapport à la peau plus claire qui l’entoure peut les aider. Chez la plupart des femmes, l’aréole peut rester définitivement un peu plus foncée après la grossesse.</p>
<h2>Pousse (et perte) de cheveux</h2>
<p>Les cheveux de nombreuses femmes enceintes <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23682615/">poussent plus et paraissent en meilleure santé</a> pendant la grossesse. Leurs follicules pileux demeurent en effet en mode « croissance », en raison de l’augmentation du niveau des œstrogènes.</p>
<p>Malheureusement, ces changements hormonaux affectent <a href="https://www.mdpi.com/1422-0067/21/15/5342">tous les follicules pileux</a>, et pas seulement ceux du cuir chevelu. Cela signifie que pendant la grossesse, des poils indésirables peuvent également pousser sur la lèvre supérieure, le haut des cuisses, l’abdomen ou le dos… Ils disparaîtront cependant après l’accouchement.</p>
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<img alt="Une femme enceinte à l’air inquiet se brosse les cheveux alors qu’elle est assise sur son lit" src="https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514690/original/file-20230310-318-rozpfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La perte de cheveux peut survenir pendant et après la grossesse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/asian-mixed-caucasian-pregnant-woman-suffering-1663932307">Twinsterphoto/Shutterstock</a></span>
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<p>À l’inverse, certaines femmes enceintes constatent qu’elles ont plutôt tendance à perdre leurs cheveux pendant la grossesse. Cette situation est généralement le résultat du « choc » que produit la grossesse sur leur organisme : en réaction, les cheveux entrent en phase de « repos », puis tombent. Normalement, ce phénomène s’atténue au fur et à mesure que la grossesse progresse.</p>
<p>La perte de cheveux peut également survenir après l’accouchement, lorsque les niveaux d’hormones reviennent à la normale, en raison de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4606321/">baisse des œstrogènes</a>. Elle atteint généralement son maximum environ quatre mois après l’accouchement. Dans la plupart des cas, les cheveux repoussent ensuite.</p>
<h2>Changements dans la santé bucco-dentaire</h2>
<p>La grossesse peut entraîner diverses modifications de la santé bucco-dentaire.</p>
<p>En raison de l’augmentation des œstrogènes et de la progestérone, les gencives peuvent notamment devenir plus sensibles aux saignements, aux infections et aux lésions. Environ <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18481562/">70 % des femmes enceintes</a> souffrent de gingivite. Le risque de caries et de dommages dentaires est accru également pendant la grossesse, en particulier chez les femmes souffrant de nausées matinales, car l’acide gastrique peut dissoudre le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3312266/">revêtement protecteur</a> des dents.</p>
<p>Certaines femmes ont aussi l’impression que leurs dents bougent pendant la grossesse. Cela est dû à la fois au niveau d’œstrogènes et à l’augmentation d’une hormone appelée relaxine. Cette dernière <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6341375/">assouplit en effet tous les ligaments du corps</a>, ce qui facilite l’accouchement. Mais si l’utilité de la relaxine est claire dans certaines parties du corps comme le bassin, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/prd.12394?af=R">cette hormone affecte également le ligament qui maintient chaque dent en place</a>, ce qui donne l’impression que les dents se déchaussent…</p>
<p>Dans de rares cas, une perte de dents peut effectivement se produire. Si le nombre de femmes concernées est difficile à évaluer, on sait en revanche que les femmes qui ont été <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2720476/">enceintes plusieurs fois</a> sont davantage concernées, tout comme les femmes issues de milieux socio-économiques défavorisés. En général, une telle perte de dents durant la grossesse n’est pas uniquement liée à cette période particulière, mais plutôt la conséquence de plusieurs années de mauvaise santé bucco-dentaire.</p>
<p>En définitive, si certains des changements subis pendant la grossesse sont loin d’être idéaux, ils ont tous pour but d’assurer le bon développement du bébé dans l’utérus. Heureusement, la plupart d’entre eux ne sont que temporaires, et disparaissent peu après la naissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adam Taylor ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le corps des femmes enceintes subit de nombreux changements au cours de la grossesse, dont certains permettent d’assurer le bon développement de leur bébé. Mais pas tous…Adam Taylor, Professor and Director of the Clinical Anatomy Learning Centre, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1986872023-02-12T17:23:17Z2023-02-12T17:23:17ZAccoucher pendant la pandémie de Covid-19 en France : la grande solitude des femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507635/original/file-20230201-583-h4k8et.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">23 % des Françaises ayant accouché durant la pandémie déclarent ne pas avoir été traitées avec dignité. 18,5 % déclarent des abus physiques, verbaux ou émotionnels.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/fzUEvgttIRI">Gustavo Cultivo / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>La pandémie de Covid-19 a eu un <a href="https://theconversation.com/ivg-grossesse-accouchement-quand-la-crise-sanitaire-menace-les-droits-des-femmes-137625">impact négatif sur les femmes</a>, leur santé et <a href="https://theconversation.com/la-Covid-19-a-provoque-un-recul-mondial-des-droits-des-femmes-en-matiere-de-sante-sexuelle-et-reproductive-165840">leurs droits</a>. Les Nations unies évoquent à ce sujet une <a href="https://www.unwomen.org/en/news/in-focus/in-focus-gender-equality-in-Covid-19-response/violence-against-women-during-Covid-19">pandémie cachée au sein d’une autre pandémie</a>.</p>
<p>Elle a entraîné une forte augmentation des <a href="https://theconversation.com/face-aux-violences-gynecologiques-dautres-voies-que-le-penal-existent-191925">violences</a> envers les femmes et a accentué les difficultés d’accès aux consultations médicales, hôpitaux et pharmacies (par exemple pour recourir à la contraception ou à une interruption volontaire de grossesse). Elle a par ailleurs obligé à réorganiser, dans la précipitation et sans instruction institutionnelle et gouvernementale, les soins dans les services hospitaliers, y compris dans les maternités.</p>
<p>En matière de santé maternelle, des pratiques médicales qualifiées d’abusives, car ne reposant sur aucune preuve scientifique, ont été rapidement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/26410397.2020.1785379">documentées</a> dans différentes régions du monde : césariennes systématiques chez des patientes positives au Covid-19 ; recours aux forceps, aux spatules ou à la ventouse pour éviter que les femmes ne poussent lors des efforts expulsifs ; ou encore séparation entre des femmes testées positives et leur nouveau-né juste après la naissance et ce, pendant plusieurs jours.</p>
<p>En France, dès le début de la pandémie, deux pratiques ont attiré l’attention sur les réseaux sociaux et dans les médias : l’imposition dans certains établissements du port de masques pendant l’accouchement ; et le refus aux femmes, dans certaines maternités, d’être accompagnées de la personne de leur choix.</p>
<h2>Les restrictions imposées dans les maternités</h2>
<p>Face à ces nouvelles contraintes, le collectif <a href="https://twitter.com/StopVOGfr?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor"><em>Stop aux violences obstétricales et gynécologiques</em></a> a mené une enquête en mai 2020 auprès de femmes enceintes ou ayant accouché. Celle-ci a montré que 25,8 % des femmes interrogées avaient envisagé d’accoucher chez elles par appréhension des nouvelles mesures imposées dans les maternités. En effet, lors du premier confinement, une restriction des visites a été imposée dans les maternités françaises et seul·e·s les accompagnant·e·s en salle de naissance étaient autorisé·e·s.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SNxasDzCEhM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation du rapport d’enquête sur la grossesse, l’accouchement et le post-partum pendant l’épidémie de Covid-19.</span></figcaption>
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<p>Une <a href="https://doi.org/10.1016/j.midw.2023.103600">enquête</a> scientifique coordonnée par la professeure en maïeutique Anne Rousseau (UVSQ) dans des maternités publiques et privées françaises, a montré que durant cette période, les visites n’étaient pas autorisées dans 51,9 % des services d’urgences obstétricales, 39,3 % des services postnatals, 37,4 % des services d’hospitalisation prénatale, 10,4 % des services de néonatologie et 3,4 % des salles d’accouchement.</p>
<p>Le port du masque a été largement recommandé aux femmes enceintes pendant leur travail d’accouchement, ainsi que lors des efforts expulsifs, respectivement dans 70,5 % et 31,0 % des maternités interrogées.</p>
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<h2>Des conditions d’accouchement difficiles</h2>
<p>La France a également participé à une vaste <a href="https://www.burlo.trieste.it/ricerca/imagine-euro-improving-maternal-newborn-care-euro-region">enquête</a> européenne sur les conditions d’accouchement durant la pandémie. Les femmes qui ont accouché en France entre mars 2020 et mars 2021 ont <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanepe/article/PIIS2666-7762(21)00254-4/fulltext">rapporté</a> des conditions d’accouchement difficiles : 62,5 % des femmes ayant accouché par voie basse instrumentale ont déclaré qu’aucun consentement ne leur avait été demandé ; 51 % des femmes ayant été en travail ont expliqué que leur accompagnant·e n’a pas été autorisé ; 23 % ont déclaré ne pas avoir été traitées avec dignité et 18,5 % ont déclaré des abus physiques, verbaux ou émotionnels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-lorigine-des-violences-obstetricales-linquietante-etrangete-du-corps-des-meres-123984">À l’origine des violences obstétricales, l’inquiétante étrangeté du corps des mères ?</a>
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<p>Notre recherche <a href="https://www.mater-covid19.org">« Accoucher en temps de pandémie : faiblesses et résiliences des maternités en France (Mater-Covid19) »</a> vient compléter ces résultats statistiques. L’objectif était de recueillir l’expérience de femmes ayant accouché dans quatre maternités publiques d’Île-de-France et de La Réunion, dont une maison de naissances, entre mars 2020 et avril 2021.</p>
<p><a href="https://www.ceped.org/fr/Projets/Projets-Axe-1/article/mater-covid19-accoucher-en-temps">L’étude</a> montre une très forte appréhension de la part des femmes en fin de grossesse de devoir accoucher « seules » (angoisse encore plus présente que celle de porter le masque pendant l’accouchement). Au final, peu de femmes interrogées ont accouché sans la présence d’un·e proche. L’écart important entre ce que les femmes craignaient et les conditions réelles de leur accouchement a amené la plupart d’entre elles à déclarer que « tout s’était bien passé ».</p>
<h2>Un « Koh Lanta de la maternité »</h2>
<p>Si le séjour en suites de couche a été souvent comparé à un « cocon », à une « bulle », les femmes ont également décrit une forte solitude émotionnelle et logistique : manque de relai pour se reposer et absence du partage des soins du nouveau-né avec le deuxième parent dont la présence était fortement restreinte, voire parfois interdite lors du séjour en suite de couche.</p>
<p>La majorité des femmes n’avaient pas anticipé que ce moment serait difficile à gérer et à vivre seules. La présence du partenaire était pensée comme essentielle pendant l’accouchement, mais sa présence semblait après coup tout aussi essentielle en suites de couche. Ce séjour à l’hôpital a alors été décrit comme « une descente aux enfers » (Miryam, 32 ans), comme un « Koh Lanta de la maternité » (Adèle, 41 ans).</p>
<p>Ce sentiment de solitude s’est poursuivi lors du retour à la maison. Parmi les femmes métropolitaines vivant à la Réunion mais aussi parmi les femmes immigrées vivant en Métropole, presque toutes avaient prévu que leur famille leur rendrait visite après l’accouchement pour connaître l’enfant, mais aussi pour les aider dans la gestion quotidienne du nouveau-né et du foyer, ce qui n’a pas été possible dans ce contexte.</p>
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<img alt="Recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Toutes les femmes ont le droit de vivre une expérience d’accouchement sûre et positive, qu’elles aient ou non une infection confirmée au Covid-19. Cela comprend : d’être traitée avec respect et digni" src="https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507615/original/file-20230201-10477-m0ncyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.</span>
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<p>La pandémie a donc créé un grand sentiment de solitude chez les femmes lors de la grossesse, à l’hôpital et lors du retour à la maison. Cela a été accentué par un sentiment de « maternité volée » : elles racontent avec tristesse ne pas avoir pleinement profité des « joies » de leur grossesse, ne pas avoir pu ensuite être fières de montrer leur nouveau-né, ne pas avoir pu les présenter comme elles le souhaitaient à la famille et aux autres éventuels enfants du foyer. La majorité des femmes interrogées n’a donc pas décrit une expérience positive de l’accouchement, telle que <a href="https://www.who.int/fr/publications/i/item/9789241550215">préconisée par l’Organisation mondiale de la santé</a>.</p>
<p>Les difficultés sont apparues comme d’autant plus grandes lorsqu’il s’agissait du premier accouchement, même si des femmes ayant plusieurs enfants ont raconté avoir également été impactées, physiquement et psychologiquement, par les conditions imposées lors de l’accouchement et du séjour à la maternité. Aïcha, notamment, 37 ans et 6 enfants, a comparé son expérience à un « tsunami », à « Hiroshima » qui a provoqué ensuite « une grosse dépression qui n’a pas de nom ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ivg-grossesse-accouchement-quand-la-crise-sanitaire-menace-les-droits-des-femmes-137625">IVG, grossesse, accouchement : quand la crise sanitaire menace les droits des femmes</a>
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<p><a href="https://www.mater-covid19.org">L’étude Mater-Covid19</a> révèle également d’importantes différences entre les expériences des femmes ayant accouché à l’hôpital et celles ayant accouché en maison de naissance. Ces dernières ont décrit la structure comme « une bulle sans Covid », qui semblait être préservée des effets négatifs de la pandémie. Malgré des adaptations marginales des locaux, toutes les femmes ont pu y accoucher avec leur conjoint et le retour précoce à domicile (trois heures après l’accouchement) a permis de maintenir les liens avec le père et les éventuels autres enfants.</p>
<p>La pandémie a également touché de plein fouet tous les professionnel·le·s de santé qui accompagnaient ces accouchements. <a href="https://www.mater-covid19.org">L’étude Mater-Covid19</a> montre que leurs expériences ont été marquées par une polarisation des sentiments, certain·e·s ressentant une grande « excitation » du fait des nouveaux défis imposés par la pandémie et des solidarités qu’elle a suscité. Cependant, le quotidien de nombreux autres était fortement marqué par la peur : peur d’être contaminés, peur de transmettre le virus, peur de l’inconnu majorée par le flou entourant cette crise sanitaire. Cette dernière a fragilisé le bien-être mental des professionnel·le·s de santé. Elle a aussi été le révélateur d’un malaise plus général dans les maternités. La réémergence des controverses sur les violences obstétricales a renforcé ce malaise souvent silencieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Rozée a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clémence Schantz a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche - ANR (projet MATER-Covid19)</span></em></p>« Koh Lanta de la maternité » ou « Bulle sans Covid » : les expériences d’accouchement des Françaises durant la pandémie ont varié. Des recherches scientifiques ont fait le bilan.Virginie Rozée, Chargée de recherche, Santé et Droits Sexuels et Reproductifs,, Institut National d'Études Démographiques (INED)Clémence Schantz, Sociologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988252023-02-02T19:01:00Z2023-02-02T19:01:00ZDepuis quand les humains ont-ils de si gros cerveaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507196/original/file-20230130-14099-cv7kfp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C12%2C2035%2C1520&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le crâne de Selam, Australopithecus afarensis.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/baggis/3557813569">Travis, Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Les fossiles nous racontent ce que les êtres humains et nos prédécesseurs faisaient il y a des centaines de milliers d’années. Mais certaines étapes importantes du cycle de la vie, comme la grossesse ou la gestation, ne laissent aucune trace dans les archives fossiles. Comment les étudier ?</p>
<p>Une des caractéristiques de notre espèce est d’avoir des cerveaux de taille importante par rapport à la taille totale du corps, ce qui rend la grossesse particulièrement intéressante pour les paléoanthropologues. Mais alors que les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-laccouchement-humain-est-il-beaucoup-plus-difficile-que-celui-de-nos-cousins-les-grands-singes-183059">crânes imposants d’<em>Homo sapiens</em> contribuent aux difficultés de l’accouchement</a>, ce sont les cerveaux logés à l’intérieur qui ont permis à notre espèce de prendre son envol.</p>
<p>Mes collègues et moi voulons comprendre le développement du cerveau de nos ancêtres avant la naissance : était-il comparable à celui des fœtus aujourd’hui ? En étudiant quand la croissance prénatale et la grossesse sont devenues « humaines », on comprend mieux quand et comment le cerveau de nos ancêtres est devenu plus similaire au nôtre qu’à ceux de nos proches cousins les singes.</p>
<p>Nous avons étudié l’évolution des taux de croissance prénatale en regardant le développement <em>in utero</em> des dents, qui, elles, fossilisent. Grâce à un <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2200689119">modèle mathématique</a> des longueurs relatives des molaires, construit pour l’occasion, nous pouvons suivre les changements évolutifs des taux de croissance prénatale dans les archives fossiles.</p>
<p>D’après notre modèle, il semblerait que la grossesse et la croissance prénatale soient devenues plus proches de l’humain que du chimpanzé il y a près d’un million d’années.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Silhouette de femme enceinte contre un coucher de soleil sur un paysage" src="https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La grossesse et l’accouchement comportent de nombreux risques pour le parent et le bébé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/silhouette-pregnant-woman-standing-on-field-against-royalty-free-image/1082494338">Jimy Lindner/EyeEm via Getty Images</a></span>
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<h2>La gestation et la taille du cerveau humain</h2>
<p>La <a href="https://doi.org/10.1002/(SICI)1520-6505(1998)6:2%3C54::AID-EVAN3%3E3.0.CO;2-W">grossesse et la gestation sont des périodes importantes</a> – elles guident la croissance ultérieure et orientent le cours biologique de la vie.</p>
<p>Mais la grossesse humaine, en particulier le travail et l’accouchement, <a href="https://doi.org/10.1152/physiologyonline.1996.11.4.149">coûte beaucoup d’énergie</a> et est souvent dangereuse. Le cerveau du fœtus a besoin de beaucoup de nutriments pendant son développement et le taux de croissance de l’embryon pendant la gestation, également appelé « taux de croissance prénatale », impose un lourd tribut métabolique et physiologique au parent en gestation. De plus, le <a href="https://doi.org/10.1002/ajpa.1330350605">passage délicat de la tête et des épaules du nourrisson</a> à travers le canal pelvien pendant l’accouchement peut entraîner la mort, tant de la mère que de l’enfant.</p>
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<p>En contrepartie de ces inconvénients évolutifs, il faut une très bonne raison d’avoir une tête aussi grosse. Le gros cerveau caractéristique de l’espèce humaine s’accompagne de <a href="https://doi.org/10.1016/j.jhevol.2009.04.009">nombreuses capacités cognitives</a>, et l’<a href="https://doi.org/10.1098/rstb.2012.0115">évolution du cerveau</a> a contribué à la domination de notre espèce : elle est notamment associée à une utilisation accrue d’outils, à la création d’œuvres d’art et à la capacité de survivre dans des environnements variés.</p>
<p>L’évolution de nos cerveaux est aussi entremêlée avec nos capacités à trouver et exploiter davantage de ressources, avec des outils et en <a href="https://doi.org/10.1086/667623">coopérant</a> par exemple.</p>
<p>Les changements dans la croissance prénatale nous renseignent également sur les façons dont les parents rassemblaient les ressources alimentaires et les distribuaient à leur progéniture. Ces ressources croissantes auraient contribué à l’évolution d’un cerveau encore plus gros. En comprenant mieux à quel moment la croissance prénatale et la grossesse sont devenues « humaines », on peut savoir quand et comment notre cerveau a évolué lui aussi.</p>
<p>L’homme a le <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2200689119">taux de croissance prénatale le plus élevé</a> de tous les primates vivant aujourd’hui, soit 11,58 grammes par jour. Les gorilles, par exemple, ont une taille adulte beaucoup plus grande que celle des humains, mais leur taux de croissance prénatale n’est que de 8,16 grammes par jour. Étant donné que <a href="https://carta.anthropogeny.org/moca/topics/proportion-pre-and-postnatal-brain-growth">plus d’un quart de la croissance du cerveau humain</a> s’effectue pendant la gestation, le taux de croissance prénatale est directement lié à la taille du cerveau adulte.</p>
<p>Quand et comment le taux de croissance prénatale de <em>Homo sapiens</em> a évolué est resté un mystère jusqu’à présent.</p>
<h2>Ce que les dents révèlent de la croissance prénatale</h2>
<p>Les chercheurs étudient depuis des siècles les restes de squelettes fossilisés, mais malheureusement, les cerveaux ne fossilisent pas – et encore moins la gestation et le taux de croissance prénatale.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="échographie d’un bébé in utero" src="https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le cerveau en développement d’un être humain en gestation à 26 semaines.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tesla Monson</span></span>
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<p>Mes collègues et moi réfléchissons à la façon dont les dents se développent, très tôt dans l’utérus. Les dents permanentes commencent à se développer bien avant la naissance, vers 20 semaines de gestation. L’émail des dents est <a href="https://doi.org/10.1016/j.crpv.2016.10.006">inorganique à plus de 95 %</a>, et la majorité des fossiles de vertébrés est constituée de dents ou en possède.</p>
<p>Partant de ce constat, nous avons décidé d’étudier la relation entre le taux de croissance prénatale, la taille du cerveau et la longueur des dents.</p>
<p>Nous avons mesuré les dents de 608 primates contemporains provenant de collections de squelettes du monde entier et les avons comparées aux taux de croissance prénatale calculés à partir de la durée moyenne de gestation et de la masse à la naissance pour chaque espèce. Comme indicateur de la taille du cerveau, nous utilisons le volume endocrânien (l’espace à l’intérieur du crâne).</p>
<p>Nous avons constaté que le <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2200689119">taux de croissance prénatale</a> présente une corrélation significative avec la taille du cerveau adulte et la longueur relative des dents chez les singes et les grands singes.</p>
<p>Cette relation statistique a permis de générer une équation mathématique qui prédit le taux de croissance prénatale à partir de la taille des dents. Avec cette équation, nous pouvons prendre quelques dents molaires d’une espèce fossile éteinte et reconstituer exactement la vitesse de croissance de leur progéniture pendant la gestation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="alt" src="https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En utilisant la nouvelle équation, les chercheurs ont découvert que les taux de croissance prénatale ont augmenté au cours des millions d’années d’évolution des humains et des hominidés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tesla Monson</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<p>En utilisant cette nouvelle méthode, nous avons pu reconstituer les taux de croissance prénatale pour treize espèces fossiles, construisant ainsi une chronologie des changements survenus au cours des six derniers millions d’années d’évolution des humains et des hominidés (le terme « hominidé » désigne toutes les espèces, <em>Australopithecus</em> entre autres, appartenant à la lignée « humaine » depuis sa séparation avec celle des chimpanzés, il y a environ 6 à 8 millions d’années).</p>
<p>Grâce à ces recherches, nous savons maintenant que le taux de croissance prénatale a augmenté tout au long de l’évolution des hominidés, pour atteindre il y a moins d’un million d’années un taux semblable à celui des humains – qui dépasse celui observé chez tous les autres singes.</p>
<p>Un taux de croissance prénatale totalement similaire à celui des humains est apparu seulement avec l’évolution de notre espèce <em>Homo sapiens</em>, il y a 200 000 ans environ. Mais d’autres espèces d’hominidés vivant au cours des 200 000 dernières années, comme les Néandertaliens, avaient également des taux de croissance prénatale du même ordre de grandeur.</p>
<p>Il reste à déterminer quels gènes ont été impliqués dans ces changements de taux de croissance.</p>
<h2>Les dents révèlent d’autres secrets</h2>
<p>Avec seulement <a href="https://doi.org/10.1002/1096-8644(200103)114:3%3C192::AID-AJPA1020%3E3.0.CO;2-Q">quelques dents et une partie de la mâchoire</a>, un expert chevronné peut en <a href="http://www.annualreviews.org/doi/full/10.1146/annurev-an-42">apprendre beaucoup sur un individu disparu</a> : de quelle espèce il s’agissait, ce qu’il mangeait, s’il se battait pour obtenir des partenaires, à quel âge il est mort, s’il avait des problèmes de santé, et bien plus encore.</p>
<p>Nous pouvons maintenant ajouter à cette liste le fait de savoir à quoi ressemblaient la grossesse et la gestation pour cette espèce. Les dents pourraient aussi refléter indirectement l’émergence de la conscience humaine, via l’évolution de la taille du cerveau.</p>
<p>Le modèle suggère que les taux de croissance prénatale ont commencé à augmenter bien avant l’émergence de notre espèce, <em>Homo sapiens</em>. On peut supposer qu’un taux de croissance prénatale rapide a été nécessaire à l’apparition d’un cerveau imposant et à l’évolution de la conscience et des capacités cognitives humaines.</p>
<p>Voilà le genre de questions que nos recherches nous permettent dorénavant de formuler… à partir de quelques dents.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ces recherches ont été financées par des bourses attribuées aux collaborateurs de Tesla Monson par la Washington Research Foundation et la John Templeton Foundation. Une grande partie de la collecte de données sur les primates a été financée par la National Science Foundation, Division of Behavioral and Cognitive Sciences, via les bourses 0500179, 0616308 et 0130277.</span></em></p>Le cerveau se développait-il aussi rapidement pendant la grossesse chez nos ancêtres que chez l’espèce humaine ? De nouveaux indices fossiles et in utero.Tesla Monson, Assistant Professor of Anthropology, Western Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1835152022-11-23T14:40:46Z2022-11-23T14:40:46ZDevenir parent en temps de pandémie : entre désarroi et bonheur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485982/original/file-20220921-10462-w7mlpm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C998%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De nombreux articles ont mis en lumière les défis psychologiques et sociaux rencontrés par les femmes enceintes pendant la crise sanitaire. Cependant, la pandémie a aussi eu des aspects positifs pour certaines d'entre elles.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>La grossesse est souvent synonyme de grande joie. Mais certaines femmes enceintes vivent aussi du stress ou de la détresse psychologique. Ces émotions peuvent affecter leur santé et leur bien-être, ainsi que celui de l’enfant en devenir.</p>
<p>La pandémie a exacerbé cette situation, selon <a href="https://doi.org/10.1016/j.psychres.2021.113912">diverses études</a>. Ses répercussions sur les femmes enceintes seraient dues, notamment, à la <a href="https://doi.org/10.1016/j.jad.2020.07.126">diminution du soutien social</a>, conséquence directe des mesures sanitaires.</p>
<p>Notre équipe intersectorielle de chercheuses associées à la <a href="https://risuq.uquebec.ca/reseau-de-chaires/les-chaires/sante-des-familles/">Chaire en santé des familles</a> de l’Université du Québec (<a href="https://risuq.uquebec.ca/">RISUQ</a>) réunit des expertises en sociologie, en sciences du mouvement, en psychologie, en anthropologie et en biologie. Notre objectif principal est de mieux comprendre les facteurs protecteurs, comme la capacité d’adaptation au changement et les réseaux familiaux et sociaux, et ceux liés aux vulnérabilités, comme la précarité sociale, auxquelles font face les femmes enceintes et nouvelles mères, afin de mieux identifier les cibles et stratégies d’intervention et de prévention.</p>
<h2>La pandémie a impacté les besoins des femmes enceintes</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1186/s12884-021-03691-y">Des données qualitatives</a> et provenant d’<a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1841092/pandemie-impacts-femmes-enceintes-precarite">organismes communautaires</a> ont souligné les effets délétères de la diminution du soutien social et des contacts physiques pour les femmes enceintes et récemment mères. Ces distanciations sociales ont compliqué en particulier la célébration des différentes étapes associées à l’arrivée d’un nouveau-né, notamment avec les (futurs) grands-parents, la famille élargie ou les amis.</p>
<p>Des analyses préliminaires de l’étude en cours « Résilience et stress périnatal pendant la pandémie » (<a href="https://www.resppa.ca/">RESPPA</a>), menée auprès de femmes de différentes régions du Québec, a montré que celles ayant moins de support de leur partenaires avaient des niveaux d’anxiété (générale et en lien avec la grossesse) plus élevés ainsi que plus de symptômes de dépression. Cette étude est unique de par son devis longitudinal (suivi depuis le premier trimestre de la grossesse jusqu’à deux ans postnatal). Elle permettra d’explorer l’évolution de la santé psychologique au cours du temps (et des différentes vagues de la pandémie), et les facteurs qui peuvent modifier ou modérer positivement comme négativement l’effet de la pandémie sur la santé psychologique.</p>
<p>Les habitudes de vie telles que <a href="http://dx.doi.org/10.1136/bjsports-2018-100056">l’activité physique</a>, la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33508080/">nutrition</a>, et le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33571887/">sommeil</a> qui ont un effet particulièrement <a href="https://doi.org/10.1016/j.jad.2020.07.126">protecteur</a> pendant la grossesse, ont aussi été <a href="https://doi.org/10.1016/j.midw.2021.102929">négativement affectées</a> par la pandémie. D’autre part, la perte de revenu, la distanciation sociale et l’isolement font partie des facteurs pouvant entraîner une détérioration des saines habitudes de vie et du bien-être. L’étude RESPPA pourra aussi explorer comment les habitudes de vie ont été affectées pendant la pandémie et si elles ont eu un effet protecteur sur le maintien du bien-être.</p>
<h2>L’importance d’une grossesse en santé</h2>
<p>L’expérience de la grossesse et de la transition vers la parentalité est intimement liée à l’environnement dans lequel vit la femme, ainsi qu’à des facteurs biologiques et génétiques. Selon le concept des origines développementales de la santé et des maladies (<a href="https://dohadsoc.org/fr/">DOHaD</a>), l’interaction de ces éléments influence la santé à long terme de la mère et de son enfant. Cette interaction peut être à l’origine de maladies cardiovasculaires, par exemple.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Médecin portant un masque de protection effectuant un dépistage par ultrasons pour une femme enceinte dans une clinique moderne" src="https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485985/original/file-20220921-15278-vgtple.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Étudier comment la femme vit sa grossesse à partir d’une approche intersectorielle permet de fournir des informations complémentaires importantes et une compréhension globale des facteurs protecteurs et de vulnérabilité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>En contexte de pandémie, l’étude du bien-être associé à la transition à la parentalité est cruciale pour mieux comprendre les facteurs associés, entre autres, au bien-être psychologique et à l’adoption ou au maintien d’un mode de vie sain pendant la grossesse. Ces facteurs peuvent notamment avoir un effet positif sur le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26691753/">fonctionnement du placenta</a>, organe essentiel au bien-être de la grossesse et du fœtus.</p>
<p>Nos travaux de recherche sur le placenta apportent ainsi un regard nouveau sur l’impact de la pandémie sur la grossesse et la santé des futures mères et de leur enfant. Ainsi, étudier comment la femme vit sa grossesse à partir d’une <a href="https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/dossiers/recherche-intersectorielle/intersectorialite-une-definition/">approche intersectorielle</a> (bio-psycho-sociale) permet de fournir des informations complémentaires importantes et une compréhension globale des facteurs protecteurs et de vulnérabilité.</p>
<h2>Les côtés positifs de la pandémie</h2>
<p>Certaines femmes enceintes durant la pandémie disent avoir vécu une transition plus douce vers la parentalité. Par exemple, une <a href="https://doi.org/10.1007/s00737-021-01108-5">étude</a> a montré que la pandémie peut contribuer à resocialiser les personnes les plus à risque d’isolement social, à travers des contacts et réunions virtuels tels que les appels vidéo avec des amis, la famille et même des prestataires de soins de santé. Cet effet positif de la pandémie a été observé plus particulièrement chez les femmes enceintes à mobilité réduite ou celles ayant de la difficulté à accéder aux ressources communautaires existantes, comme les nouvelles arrivantes dont les réseaux sociaux sont limités.</p>
<p>En accord avec ces observations, d’autres analyses préliminaires de l’étude RESPPA ont révélé qu’au-delà des impacts négatifs, certaines femmes enceintes ont identifié des aspects positifs de la pandémie, comme, par exemple, l’augmentation du temps de qualité.</p>
<p>Dans un autre de nos projets intersectoriels, intitulé « Périnatalité et transition à la parentalité au temps de la Covid-19 : du social au moléculaire » (<a href="https://inrs.ca/linrs/direction-scientifique/programme-de-soutien-de-linrs-pour-des-projets-de-recherche-novateurs-dans-la-lutte-contre-la-Covid-19/">PériParP</a>) Laurence Charton, une des chercheuses principales, a réalisé des entrevues au Québec qui ont permis de mieux comprendre les expériences vécues par les femmes enceintes, les nouvelles mères et leur famille durant la pandémie. Il est ainsi entre autres ressorti que la mise en place du télétravail pendant la pandémie a facilité l’expérience de la grossesse pour certaines, notamment en leur évitant de devoir prendre les transports en commun ou en leur permettant de se reposer sans culpabiliser :</p>
<blockquote>
<p>Travailler de la maison. Ça change tout. De se dire « Si t’es trop fatiguée, tu peux prendre une sieste, tu peux continuer ton travail après ».</p>
</blockquote>
<p>Le télétravail durant les premiers mois suivant l’accouchement a également été vécu positivement par de nombreux parents, qui pour certains n’envisagent plus que ce mode de travail :</p>
<blockquote>
<p>C’est peut-être bizarre à dire, mais, moi, la pandémie, ça m’a comme arrangée dans le fond. Je retournerai pas travailler au bureau non plus […] C’est quelque chose que mon travail a mis en place pis je suis vraiment contente.</p>
</blockquote>
<h2>Un moment pour repenser sa vie et fonder une famille</h2>
<p>Alors que les médias et des études ont relevé les <a href="https://theconversation.com/Covid-19-hausse-des-problemes-de-sante-mentale-chez-les-femmes-enceintes-139358">effets négatifs de la pandémie</a>, certains individus rapportent plutôt que cette expérience leur a permis de repenser leur trajectoire de vie, notamment leur désir, ou non-désir, d’enfants.</p>
<p>La pandémie a permis aussi à certains couples, en ralentissant le rythme du quotidien, d’envisager avoir un enfant, comme le confiait par exemple une Montréalaise :</p>
<blockquote>
<p>Pendant le confinement, moi j’ai pas travaillé pendant un trois mois […] Pis là, honnêtement, ça comme été une pause, ça vraiment vraiment fait du bien. On dirait qu’à partir de là, je sentais que j’étais prête à vivre la maternité.</p>
</blockquote>
<p>Pour d’autres couples, déjà parents, la pandémie s’est présentée comme le « bon moment » pour agrandir leur famille, comme l’explique une mère rencontrée en Abitibi-Témiscamingue :</p>
<blockquote>
<p>C’est le meilleur moment, dans le fond pour en avoir un autre, bébé. Parce qu’on va rester chez nous de toute façon. On est obligé de le faire, fait que tant qu’à ça, tsé ! On va comme en profiter pour ! Fait que nous, c’est vraiment dans ce minding-là.</p>
</blockquote>
<p>Ces différentes observations et données soulignent la pertinence d’étudier de manière intersectorielle la santé et le bien-être périnatal. Ainsi, comprendre comment différents facteurs biologiques, psychologiques et sociétaux peuvent interagir pour favoriser ou altérer la santé et le bien-être de la mère, de l’enfant et de la famille permettra de mieux comprendre les facteurs protecteurs et de vulnérabilité vécus en temps de pandémie.</p>
<p>Nos résultats contribueront ainsi à la mise en place de stratégies d’intervention et de prévention pour favoriser le bien-être des familles en contexte de pandémie et de bouleversement social.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183515/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stephanie-May Ruchat a reçu des financements de l'UQTR, CIUSSS MCQ, Diabète Québec, REPAR, IRSC. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Catherine Herba est professeure à l’UQAM et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte Justine. Elle est aussi membre du RISUQ (Réseau intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec). L’étude RESPPA était financée par le Réseau intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec (RISUQ).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cathy Vaillancourt a reçu des financements de l’Université du Québec pour le Réseau intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec | RISUQ (dont nous sommes tous membres les co-autrices), une subvention du RISUQ et du FRQS-COVID pour l’étude RESPPA et du financement de l’INRS pour l’étude PériParP.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kelsey Dancause est membre du Réseau intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec | RISUQ – Chaire périnatalité et parentalité.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurence Charton est membre du Réseau intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec | RISUQ – Chaire périnatalité et parentalité. Elle a reçu du financement de l’INRS pour l’étude PériParP.
</span></em></p>Étudier comment la femme vit sa grossesse à partir d’une approche intersectorielle (bio-psycho-sociale) permet de fournir une compréhension globale des facteurs protecteurs et de vulnérabilité.Stephanie-May Ruchat, professeur en sciences de l'activité physique, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Catherine Herba, Professeure agrégée en psychologie à l’UQAM et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, Université du Québec à Montréal (UQAM)Cathy Vaillancourt, Professeure titulaire, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Kelsey Dancause, Professeure en sciences de l'activité physique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Laurence Charton, Sociodémographe, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925172022-10-24T17:19:47Z2022-10-24T17:19:47ZAvorter en France : oui, mais discrètement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491288/original/file-20221024-5833-y8vdtg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C5%2C788%2C520&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation en 2019 contre les atteintes au droit à l'avortement.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/48813195727/in/photostream/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Inscrire le droit à l’avortement dans la constitution ? Une telle mesure, réclamée par une partie de la classe politique – <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pourquoi-l-inscription-du-droit-a-l-ivg-dans-la-constitution-ne-pourra-jamais-passer-20221019">et récemment rejetée par le Sénat</a> – pour empêcher un scénario à l’américaine, se heurte à la stigmatisation durable de l’avortement, acte médical toujours considéré comme « à part ».</p>
<p>En 1975, le vote de <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/14/evenements/2015/anniversaire-loi-veil#node_9805">« la loi Veil »</a> autorisait, sous d’étroites conditions, les femmes enceintes ne souhaitant pas poursuivre leur grossesse à avorter auprès de professionnel.les de santé compétent.es. Depuis le début des années 2000, ces conditions se sont faites moins contraignantes.</p>
<p>Outre un allongement du seuil légal d’IVG (10 semaines de grossesse en 1975, 12 en 2001 et 14 depuis mars 2022), la législation tend à autonomiser les choix procréatifs des femmes : la fin de l’obligation légale d’un entretien psychosocial pré-IVG pour les personnes majeures en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000222631/">2001</a>, la suppression de la mention d’une « situation de détresse » en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0433.asp">2014</a> et du délai de réflexion d’une semaine en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032630558">2016</a> pour accéder à l’IVG sont autant de décisions politiques qui facilitent l’accès au soin.</p>
<p>Pourtant, une clause de conscience spécifique à l’IVG, autorisant les médecins à refuser de prendre part à un avortement, maintient une distinction symbolique entre cet acte et les autres actes médicaux.</p>
<p>La désinformation en ligne est par ailleurs si importante qu’elle a mené, en 2017, à compléter le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034228048/">délit d’entrave à l’IVG</a>, formulé au début des années 1990 pour lutter contre les actions agressives des anti-IVG, par un délit d’entrave numérique, quasi inapplicable en pratique.</p>
<p>Les démarches effectives restent opaques pour les premières concernées et chaque année, plusieurs milliers de femmes, enceintes au-delà du seuil légal d’IVG en France, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b3343_rapport-information.pdf">se déplacent à l’étranger pour avorter</a>.</p>
<h2>Impossible de considérer l’IVG comme un acte médical comme les autres</h2>
<p>Impossible, donc, de considérer l’IVG comme un acte médical comme les autres. Pour un certain nombre de praticien·ne·s, l’orthogénie (la pratique des IVG) n’est d’ailleurs pas envisagée comme partie intégrante de la gynécologie – obstétrique ou médicale – ou elle en constitue a minima <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000051.pdf">l’aspect le moins valorisé et valorisant</a>.</p>
<p>Malgré sa grande banalité statistique, puisqu’une femme sur trois en moyenne interrompt volontairement une ou plusieurs grossesse(s) au cours de sa <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/interruptions-volontaires-de-grossesse-la">vie féconde</a>, l’IVG reste socialement perçue comme illégitime.</p>
<p>Les femmes qui avortent, leur conjoint éventuel, mais aussi les professionnel·le·s de santé, sont exposé·e·s à une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21530840/">stigmatisation protéiforme</a> – allant du regard ou commentaire déplacé aux violences physiques et psychiques – dont les effets sont bien réels.</p>
<p>Concrètement, avorter demeure <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-42.htm?ref=doi">moins un droit qu’une concession</a> faites aux femmes, dont on attend, outre l’expression d’une tristesse, voire d’une culpabilité, un minimum de discrétion.</p>
<h2>Une prise en charge attentive à la confidentialité des usagères</h2>
<p>Cette discrétion est d’abord repérable dans la prise en charge médicale de l’avortement, qui peut avoir lieu dans des services ou des étages dédiés et parfois isolés géographiquement du reste des établissements de santé.</p>
<p><a href="https://www.ameli.fr/assure/remboursements/rembourse/contraception-ivg/ivg">Une attention spéciale</a> est accordée à la confidentialité des usagères. Outre l’anonymat possible pour les mineures, de nombreux services d’orthogénie mettent en place des pratiques formelles ou informelles pour préserver l’intimité des femmes (pas de rappels de rendez-vous automatiques par message, pas de courrier au domicile…).</p>
<p>Ces pratiques, pensées comme protectrices, continuent paradoxalement de faire de l’avortement un acte médical invisible et particulier.</p>
<h2>Des stratégies pour dissimuler la grossesse et son interruption</h2>
<p>La discrétion est aussi de mise pour les personnes qui avortent : la pesanteur des démarches est redoublée par des stratégies pour dissimuler la grossesse et son interruption.</p>
<p>Avorter impose de se rendre disponible dans les délais les plus courts. Toutefois, l’IVG fait rarement suite au premier contact médical : il faut souvent en passer d’abord par une échographie de datation et une prise de sang. Les difficultés à se repérer dans le système de soin, les informations contradictoires en ligne, l’absence d’un·e professionnel·le de santé de confiance, sans compter les orientations fallacieuses de quelques médecins <a href="https://www.madmoizelle.com/grossesse-non-desiree-medecin-anti-ivg-1055843">réticent·e·s voire ouvertement anti-IVG</a>, peuvent retarder d’autant les prises en charge.</p>
<p>À cela s’ajoute la pesanteur organisationnelle de certains services qui, malgré les avancées légales, continuent d’espacer les rendez-vous pré-IVG de l’IVG elle-même d’une semaine et de rendre l’entretien avec une conseillère conjugale et/ou un·e psychologue systématique, sans compter le rendez-vous post-IVG <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2014-3-page-33.htm?contenu=article">deux à trois semaines après l’intervention</a>.</p>
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<p>La somme de ces démarches impose aux femmes un bouleversement précipité de leur emploi du temps : absences professionnelles ou scolaires, réorganisation de la garde des enfants, annulation de rendez-vous, etc. Justifier cette indisponibilité soudaine suppose d’informer une partie de son entourage de sa situation ou d’en donner des explications alternatives.</p>
<p>En pratique, il n’est donc pas rare que les femmes préfèrent prendre sur leur temps libre ou leurs jours de congé pour accéder à l’avortement plutôt que demander un arrêt de travail, ou qu’elles invoquent un autre motif médical à leur absence – comme un kyste aux ovaires. D’une façon générale, c’est tout le discours autour de l’avortement qui fait l’objet d’un <a href="https://journals.openedition.org/efg/11732">contrôle étroit</a>.</p>
<h2>Préservation de soi ou mise sous silence ?</h2>
<p>De telles stratégies pour ne pas dire et montrer l’avortement signalent combien l’intériorisation du stigmate demeure puissante. Dès lors que les femmes – ou toute personne partie prenante d’une IVG – redoutent des réactions indésirables, elles choisissent bien souvent, plutôt que prendre le risque de s’exposer, de taire leur expérience abortive ou de la travestir.</p>
<p>Mais il n’est pas seulement question de préservation de soi : au fond, la discrétion attendue des femmes traduit moins un souci de les épargner qu’une forme de contrôle de leurs choix procréatifs. En cela, le silence autour de l’avortement est davantage une <em>mise sous silence</em>.</p>
<p>L’acceptation sociale de l’avortement semble en effet aller de pair avec sa relégation dans la sphère intime, privée, individuelle : avorter, d’accord, mais à bas bruit, avorter mais discrètement et sans fanfaronnade. Une telle mise sous silence, repérable dans d’autres aspects de la vie génésique et/ou sexuelle des femmes (fausses-couches, accouchements, post-partum, endométriose, violences sexuelles et/ou obstétricales…), reconduit l’ordre social dominant. Elle intime à une catégorie de personnes – les femmes, et à plus forte raison les femmes jeunes, précaires, racisées – de rester à sa place.</p>
<h2>L’avortement dans les rapports de genre</h2>
<p>L’injonction à la discrétion ne peut donc se comprendre indépendamment des rapports de force dans lesquels l’avortement s’inscrit. Une grossesse n’est jamais le fruit d’un hasard céleste : sauf cas particulier (PMA), elle résulte d’un rapport sexuel pénétratif avec un individu doté d’un pénis durant la brève période de fécondité du cycle menstruel. Or, cette participation des hommes aux rapports sexuels fécondants est trop souvent occultée, ralentissant de fait l’ouverture du débat sur les pratiques sexuelles – notamment sur « l’évidence » de la pénétration – et sur le partage de la charge contraceptive.</p>
<p>La focalisation médicale sur la fertilité féminine (discontinue) empêche ainsi un questionnement la fertilité masculine (continue). La <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-148.htm">remédicalisation</a> de la contraception après l’avortement (pose d’implant ou de dispositif intra-utérin) renouvelle l’injonction faite aux femmes de prendre la responsabilité de la contraception et, par contraste, en dédouane les hommes.</p>
<p>De même, renvoyer l’avortement à un choix individuel ou conjugal empêche d’interroger les transformations des modèles de parentalité.</p>
<p>Désormais, la maternité doit être choisie, et choisie de préférence au sein d’un couple stable, où la <a href="https://www.persee.fr/doc/revss_1623-6572_2009_num_41_1_1194">parentalité</a> est voulue à deux. Derrière cette symétrie dans la décision d’enfanter se cache pourtant l’asymétrie des rôles parentaux : une naissance augmente bien davantage le travail domestique des femmes que celui des hommes, elle entrave la vie professionnelle des mères et les réassigne <em>de facto</em> à la gestion du foyer, y compris avec un système de garde d’enfant accessible – ce qui est rarement le cas.</p>
<p>Interroger la mise sous silence de l’avortement, c’est donc se donner les moyens, collectivement, de repenser le rapport à la sexualité, à la contraception, à la parentalité, en envisageant un partage des tâches plus équilibré – c’est-à-dire une société plus juste et plus égalitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurine Thizy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les femmes qui avortent sont exposées à une stigmatisation allant du regard ou commentaire déplacé aux violences physiques et psychiques – dont les effets sont bien réels.Laurine Thizy, Professeure agrégée de sciences économiques et sociales, doctorante en sociologie à l’Université Paris 8, rattachée au laboratoire CRESPPA-CSU, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1887742022-09-01T12:56:04Z2022-09-01T12:56:04ZQuel accès aux soins pour les femmes enceintes migrantes dépourvues d’assurance maladie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480882/original/file-20220824-2207-pwpqn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C995%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des milliers de femmes migrantes enceintes expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec, l’admissibilité à la couverture de santé publique est gérée par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (RAMQ) et dépend du statut migratoire des individus. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens, les résidents permanents et les réfugiés.</p>
<p>Les demandeurs d’asile bénéficient d’une couverture de santé fédérale : le <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/aide-partir-canada/soins-sante/programme-federal-sante-interimaire/resume-couverture-offerte.html">Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI)</a>. Les personnes qui ne sont pas admissibles aux couvertures de santé publiques ni provinciale, ni fédérale, peuvent souscrire à des assurances privées, assez coûteuses. C’est ainsi qu’en 2020, on estimait la présence au Québec de près de <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">50 000 individus (adultes et enfants) dépourvus de couverture de santé, la majorité vivant à Montréal</a>.</p>
<p>Ces personnes sont communément désignées par le terme de Migrants sans assurance maladie (MSAM). Lorsqu’elles sont enceintes, certaines femmes MSAM renoncent à leurs soins obstétricaux, en raison de leur incapacité à payer des frais médicaux pouvant osciller entre <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">8 934 $ et 17 280 $</a>. Or, la <a href="https://www.sogc.org/fr">Société des obstétriciens et gynécologues</a> recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de <a href="https://doi.org/10.1038/jp.2015.218">réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance</a>.</p>
<p>En tant que chercheuse en éthique clinique spécialisée sur la santé des migrants, je me propose de vous informer sur l’existence de ces milliers de femmes qui expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. Mon approche éthique offre une analyse critique du statu quo de la RAMQ, à l’aune des principes de dignité de la personne humaine et de justice sociale.</p>
<h2>Portrait de la situation au Québec</h2>
<p>Les MSAM sont réparties en <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231327">trois catégories</a>, selon leur statut administratif au Canada :</p>
<ul>
<li><p>les personnes en attente de statut à la RAMQ, telles que les Résidents permanents en période de carence de 3 mois ou les demandeurs d’asile en attente de PFSI ;</p></li>
<li><p>les Résidents non permanents ayant généralement des visas étudiants (à l’exception de ceux originaires des 11 pays européens ayant une entente avec la RAMQ) ou des permis de travail ouverts ;</p></li>
<li><p>les personnes sans statut qui restent au Québec après l’expiration de leur visa ou à la suite de l’échec de leur demande d’asile.</p></li>
</ul>
<p>Au Québec, l’entrée à l’hôpital est théoriquement ouverte à toute personne s’y présentant. Or, lorsqu’une personne ne bénéficie d’aucune couverture médicale et qu’elle souhaite recevoir des services de santé non urgents, elle doit d’abord prouver sa capacité à s’acquitter de la facture qui en découlera. Dans le cas des MSAM, cette facture est de surcroît soumise à la circulaire 03-01-42-07, qui prescrit l’application d’une majoration tarifaire de 200 % à <a href="https://doi.org/10.7202/1087213ar">toute personne non affiliée à la RAMQ ayant eu recours à des soins de santé effectués dans des établissements publics</a>. Par exemple, pour un suivi de grossesse et un accouchement, les frais totaux peuvent s’élever à <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">17 280 $</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme enceinte fait une échographie" src="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Société des obstétriciens et gynécologues recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors que des associations comme Médecins du monde plaident depuis plus de 20 ans en faveur de la mise en place gouvernementale d’une <a href="https://medecinsdumonde.ca/uploads/Memoire-Medecins-du-Monde-Sante-sexuelle-et-reproductive-des-femmes-migrantes-a-statut-precaire-vivant-au-Quebec_15avril-2022.pdf">couverture universelle de soins obstétricaux</a>, la RAMQ juge dans son <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">rapport publié en juin 2022</a> que le statu quo reste une réponse adéquate à la situation de ces femmes.</p>
<h2>Préserver la dignité humaine</h2>
<p>Il arrive dans certaines situations que des femmes enceintes choisissent de se présenter à l’hôpital à la dernière minute pour minimiser leurs coûts, et passer en urgence en salle de naissance. Dans les cas extrêmes, les femmes <a href="https://books.openedition.org/pum/5389">décident d’accoucher seules chez elles, au péril de leur vie</a>.</p>
<p>De plus, des recherches ayant examiné les différents dossiers médicaux en services d’obstétriques prouvent que l’absence d’assurance maladie augmente les taux de césariennes dues à des <a href="https://doi.org/10.3390%2Fijerph10062198">anomalies du rythme cardiaque fœtal et de réanimations néonatales</a>.</p>
<p>Ainsi, d’un point de vue clinique, la mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux apparaît appropriée et efficace pour garantir des conditions d’accouchement sécuritaires et dignes à toutes les femmes et leurs enfants, sans égard à leur statut migratoire.</p>
<h2>Loin d’être des touristes</h2>
<p>Le <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">dernier rapport de la RAMQ</a> témoigne que ce sont davantage des préoccupations liées au phénomène de « tourisme obstétrique » qui incitent au statu quo, plutôt qu’un regard médical ajusté et humaniste à l’égard de la réalité des femmes enceintes MSAM. Or, ce ne sont pas des touristes, puisque la plupart d’entre elles <a href="https://doi.org/10.1080/17441692.2020.1771396">résident au Québec depuis au moins deux ans et qu’elles ont l’intention de s’y établir</a>.</p>
<p>Par ailleurs, ces femmes contribuent à la société de diverses façons, à commencer par leur travail, notamment au cours de la pandémie de Covid-19. Les travaux de l’<a href="https://sherpa-recherche.com/">Institut universitaire SHERPA</a> ont révélé que les travailleuses migrantes ont été surreprésentées dans les métiers désignés de première ligne. Elles étaient nombreuses à être <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">préposées aux bénéficiaires, vendeuses ou agentes d’entretien ménager</a>.</p>
<p>Ces personnes prennent soin de notre société. La mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux et obstétricaux témoignerait d’une reconnaissance juste de leurs apports économiques, sociaux, culturels, académiques et démographiques au Québec.</p>
<h2>Pour garantir la justice sociale</h2>
<p>Il est primordial de distinguer les femmes enceintes MSAM des personnes qui voyagent au Canada dans l’unique but d’y accoucher pour garantir l’obtention de la citoyenneté à leurs enfants à naître.</p>
<p>De plus, les limitations d’accès à la RAMQ n’empêchent pas le phénomène de <em>tourisme obstétrical</em> d’exister, bien qu’il demeure <a href="https://www.lesoleil.com/2012/03/08/du-tourisme-obstetrique-a-quebec-26f02f95a23fdca000845c92e0becef7">marginal</a>.</p>
<p>Pour la période du 1<sup>er</sup> janvier 2015 au 31 décembre 2021, la <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">RAMQ dénombre 9 917 femmes ayant accouché alors qu’elles n’avaient pas d’assurance maladie</a>. Cette donnée regroupe toutes les femmes, installées ou non dans la province. D’après la RAMQ, il n’existe aucun moyen de distinguer celles qui résident au Québec de celles n’ayant que l’intention d’y accoucher.</p>
<p>Rien ne prouve qu’une couverture universelle de soins de grossesse s’accompagnera inexorablement d’une recrudescence du <em>tourisme obstétrical</em>. En effet, l’accès à cette mesure pourrait par exemple être conditionné par des preuves de résidence.</p>
<p>En revanche, le statu quo génère un accroissement des inégalités d’accès aux soins. Des inégalités aux conséquences cliniques potentiellement lourdes pour les nourrissons en cas de suivi de grossesse inadéquat ou inexistant.</p>
<h2>Des exemples à suivre</h2>
<p>C’est justement par respect des principes humanistes de meilleur intérêt de l’enfant et de dignité humaine de la femme que des pays dotés d’un système de santé public comme la France, l’Allemagne, et la Finlande, offrent des soins prénataux et obstétricaux gratuits à toutes les femmes, sans discrimination, ni d’égard à leur statut migratoire, légal ou non.</p>
<p>D’autres provinces canadiennes tout aussi concernées par <em>le tourisme obstétrical</em>, comme la Colombie-Britannique et l’Alberta, réduisent leur taux de MSAM en octroyant l’assurance maladie provinciale à toutes personnes détentrices d’un permis d’étude ou d’un permis de travail. En Ontario, le gouvernement finance les soins de grossesse et d’accouchement à toutes les femmes enceintes qui résident dans la province avec un statut légal.</p>
<p>À l’aube des élections provinciales au Québec, nous encourageons le futur nouveau gouvernement à suivre ces modèles inspirants dans l’optique de garantir des droits de la personne fondamentaux, comme la santé, à l’ensemble de la communauté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188774/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annie Liv a reçu des financements du Centre de recherche en éthique (CRÉ) et de l'Équipe de recherche interdisciplinaire sur les familles réfugiées et demandeuses d'asile (ERIFARDA). </span></em></p>L’admissibilité à la RAMQ dépend du statut migratoire. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens et les résidents permanents. Les étudiant-es, par exemple, en sont exclus.Annie Liv, Doctorante en Éthique clinique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775722022-08-29T18:17:27Z2022-08-29T18:17:27ZL’exposition à certains produits chimiques pendant la grossesse perturbe le développement du cerveau<p>Chaque année, rien qu’aux États-Unis, des milliers de <a href="https://ntp.niehs.nih.gov/annualreport/2020/annualreport_508.pdf#page=34">nouveaux composés chimiques</a> <a href="https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/ntpvision/ntproadmap_508.pdf#page=6">sont produits</a>. Ils s’ajoutent aux dizaines de milliers déjà <a href="https://www.unep.org/beatpollution/forms-pollution/chemical">commercialement accessibles</a>.</p>
<p>Ces substances entrent dans la composition d’une vaste gamme de produits, notamment, mais pas uniquement, des dérivés du plastique, dont on sait aujourd’hui qu’ils pénètrent dans les organismes vivants via plusieurs voies : <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969721060812">l’eau qu’ils absorbent</a>, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0013935122003140">aliments qu’ils consomment</a> ou même <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412021001884">l’air qu’ils respirent</a>.</p>
<p>Certes, dans la vie quotidienne, les niveaux d’exposition aux substances chimiques individuelles sont souvent inférieurs aux valeurs limites légales, déterminées expérimentalement. Mais le problème est que ces expositions individuelles ne reflètent pas toujours les risques que représentent ces produits pour la santé humaine.</p>
<p>En effet, des substances chimiques qui, prises séparément, n’ont qu’un effet limité peuvent avoir des effets beaucoup plus délétères <a href="https://europepmc.org/article/MED/11993873">lorsqu’elles sont présentes dans des mélanges complexes</a>.</p>
<p>Cet <a href="https://www.inserm.fr/c-est-quoi/unhappy-hour-c-est-quoi-effet-cocktail/">« effet cocktail »</a> a été à nouveau mis en évidence par une étude publiée cette année dans la revue Science.</p>
<p>En associant des données d’études épidémiologiques à des expériences menées sur des modèles cellulaires et animaux aquatiques, un groupe de recherche international, dont nous faisons partie, a montré que la perturbation hormonale induite par l’exposition à un mélange de huit substances chimiques du quotidien <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.abe8244">a un impact sur le développement cérébral et l’acquisition du langage des enfants</a>. Retour sur ces résultats, et sur les perspectives qu’ils ouvrent.</p>
<h2>Une cohorte pour étudier l’impact des produits chimiques sur les enfants à naître</h2>
<p>Contrairement à la majorité des études précédentes, qui s’était concentrée sur les effets de composés uniques, les travaux auxquels nous avons participé visaient à analyser les conséquences de l’exposition à un mélange de composés chimiques dotés de propriétés de perturbations endocriniennes, à des niveaux d’exposition réels.</p>
<p>Pour mémoire, les perturbateurs endocriniens sont des substances capables d’interférer avec le fonctionnement des hormones (messagers chimiques), et ce, à des concentrations extrêmement faibles. Les conséquences de ces interactions sont potentiellement très délétères, car les hormones interviennent dans un grand nombre de processus fondamentaux : prolifération et migration des cellules pendant le développement fœtal, métabolisme, reproduction, stress, nutrition, sommeil…</p>
<p>Nos résultats ont été obtenus grâce à des données issues de l’étude de la cohorte SELMA, menée à l’université de Karlstad, en Suède. Cette étude suit environ 2 000 paires mères-enfants depuis le début de la grossesse, en passant par l’accouchement et jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge scolaire.</p>
<p>L’objectif général de SELMA est d’étudier l’impact de l’exposition à des substances chimiques suspectées ou avérées de perturber le système endocrinien en début de grossesse sur la santé et le développement de l’enfant plus tard dans la vie. Pour mémoire,</p>
<p>l’étude SELMA a déjà permis d’établir un lien entre l’exposition à différents produits chimiques et le <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.abe8244">développement du sexe de l’enfant, les problèmes respiratoires, le développement cognitif et la croissance pendant l’enfance</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’originalité de l’approche, qui a donné lieu à une publication dans la revue scientifique Science, est d’avoir intégré non seulement des données épidémiologiques telles que celle de l’étude SELMA, mais aussi des données de toxicologie expérimentale et enfin de proposer une nouvelle approche d’évaluation du risque lié à l’exposition à des mélanges. Pour ce faire, ces travaux se sont déroulés en trois étapes.</p>
<h2>Identification du mélange de produit chimique</h2>
<p>Dans un premier temps, la surreprésentation d’un mélange de huit produits chimiques dans le sang et l’urine des femmes enceintes de la cohorte SELMA a été corrélée avec un retard de langage chez les enfants à l’âge de 30 mois (moins de cinquante mots énoncés). Plusieurs des constituants de ce mélange étaient connus pour avoir des effets perturbateurs endocriniens.</p>
<p>C’était par exemple le cas du <a href="https://theconversation.com/perturbateurs-endocriniens-pourquoi-les-remplacants-du-bisphenol-a-posent-aussi-probleme-155772">bisphénol A</a> (un composé utilisé pour la fabrication de plastiques et de certaines résines époxy) ou de certains composés chimiques <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/perturbateurs-endocriniens/documents/rapport-synthese/impregnation-de-la-population-francaise-par-les-composes-perfluores-programme-national-de-biosurveillance-esteban-2014-2016">perfluorés</a> (utilisés dans un grand nombre de produits de consommation courante et industriels, des cosmétiques aux mousses à incendie en passant par les vêtements imperméabilisés). D’autres composés de ce mélange, comme certains phtalates (phtalate de diéthyle, phtalate de dibutyle et phtalate de benzyle et de butyle), avaient été <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/fullarticle/2707907">associés à un retard de langage chez les enfants à 30 mois</a> par de précédentes recherches.</p>
<p>Ces effets avaient été précédemment identifiés grâce à des recherches d’association menées sur chaque produit individuellement. Cette fois, l’objectif était de déterminer leurs effets en tant que mélange. Une fois le mélange identifié, il a été donc recréé par des chimistes afin de l’étudier plus en détail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/perturbateurs-endocriniens-pourquoi-les-remplacants-du-bisphenol-a-posent-aussi-probleme-155772">Perturbateurs endocriniens : pourquoi les remplaçants du bisphénol A posent aussi problème</a>
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<h2>Étude expérimentale</h2>
<p>Après cette première étape d’identification, les scientifiques ont dans un second temps mené des expériences afin d’étudier le mode d’action du mélange de produits chimiques. Ils ont utilisé pour cela des modèles expérimentaux variés, afin d’identifier les cibles moléculaires via lesquelles ce mélange pouvait agir dans l’organisme.</p>
<p>Il s’agissait d’évaluer sa capacité à perturber la régulation médiée par les hormones, mais aussi des <a href="https://faseb.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1096/fasebj.2022.36.S1.0R700">gènes impliqués dans le développement cérébral</a> <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2790722">ou associés avec un déficit cognitif et intellectuel</a> et ce, à des niveaux d’exposition pertinents chez l’être humain.</p>
<p>Cette étape a été menée notamment sur des organoïdes de cerveau humain (<em>des cultures de cellules capables de s’organiser pour reproduire certaines fonctions des tissus de l’organe qu’ils représentent. Il s’agit en quelques sortes de « mini-organes », ndlr</em>). Grâce à ces outils, il a été possible de reproduire les principaux aspects du développement de notre cerveau. Les chercheurs ont ainsi pu, pour la première fois, étudier directement les effets moléculaires de ce mélange de produits chimiques sur le tissu cérébral fœtal humain.</p>
<p>Des modélisations informatiques ont par ailleurs permis d’analyser les effets du mélange sur des réseaux de gènes impliqués dans la différenciation des neurones et régulés par de nombreuses hormones notamment les hormones <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31760043">thyroïdiennes</a>. Dans cette même étude, des aspects de perturbation thyroïdienne et de perturbation du comportement de nage ont pu être démontrés chez un amphibien et chez le poisson-zèbre.</p>
<p>Les données obtenues sur l’ensemble de ces modèles expérimentaux ont ensuite été analysées, afin d’identifier les voies hormonales majoritairement perturbées. Les résultats ont révélé une conservation des propriétés perturbatrices du mélange de produits chimiques chez les vertébrés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-compagnons-biologiques-un-atout-pour-la-medecine-du-futur-109304">Les « compagnons biologiques », un atout pour la médecine du futur</a>
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<h2>Des conclusions inquiétantes</h2>
<p>Dans un troisième temps, les résultats de ces études expérimentales ont été utilisés pour élaborer de nouveaux outils d’évaluation des risques liés à l’exposition à des mélanges de produits chimiques.</p>
<p>L’ensemble de ces travaux a permis de mettre en évidence qu’à des concentrations réalistes, le mélange de produits étudié perturbe des réseaux de régulation sous influence hormonale dans les organoïdes de cerveau humain comme dans les modèles animaux <em>Xenopus leavis</em> et <em>Danio rerio</em>.</p>
<p>En analysant les données épidémiologiques, nous avons pu montrer que jusqu’à 54 % des enfants avaient subi des expositions prénatales supérieures aux niveaux considérés comme préoccupants dans notre étude (qui ont été déterminés expérimentalement).</p>
<p>Les enfants situés dans le décile supérieur d’exposition présentaient un risque 3,3 fois plus élevé de retard de langage que ceux situés dans le décile inférieur (le retard de langage a été choisi comme critère, car il s’agit d’un marqueur précoce de déficit intellectuel).</p>
<p>L’une des principales voies hormonales affectées est celle des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31920955/">hormones thyroïdiennes</a>. Sachant que des niveaux optimaux d’hormones thyroïdiennes maternelles sont nécessaires en début de grossesse pour la croissance et le développement du cerveau, il n’est pas surprenant qu’il y ait une association entre l’exposition prénatale à ces produits et un retard de langage.</p>
<p>Ces résultats démontrent qu’il est impératif de changer d’approche pour prendre en compte les mélanges de produits chimiques lors de leur évaluation. L’utilisation de nouveaux outils d’analyse du risque lié à l’exposition à des mélanges (plutôt qu’à des composés individuels) aurait pu éviter à 54 % des enfants d’être exposés in utero à des niveaux jugés rétrospectivement, à la lumière des résultats de cette étude, préoccupants.</p>
<h2>Adapter la législation pour mieux évaluer les risques</h2>
<p>Ces travaux démontrent que le risque qui a été identifié par ces recherches n’est détectable qu’en considérant non plus les produits un à un, mais comme un « cocktail », car les effets des substances chimiques dans des mélanges complexes peuvent différer de leurs propriétés individuelles.</p>
<p>C’est un point important, car, à l’heure actuelle, l’évaluation des risques aborde exclusivement les effets des produits chimiques individuellement.</p>
<p>En outre, les effets biologiques des perturbateurs endocriniens peuvent se manifester à des doses situées bien en deçà des valeurs limites fixées par les tests de toxicologie classique. Or, la législation actuelle ne prend pas suffisamment en compte le caractère « perturbateurs endocriniens » de certaines substances. À titre d’illustration, ce n’est que depuis 2018 que les textes permettent l’identification des perturbateurs endocriniens. Et encore, seuls les <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018R0605&from=EN">produits produits phytosanitaires biocides sont concernés</a>.</p>
<p>Les chercheurs tentent de préciser les modes d’action des perturbateurs endocriniens et de mesurer leurs effets sur la santé (humaine comme animale) depuis plus de 30 ans. Nos travaux démontrent que croiser données épidémiologiques et résultats d’expérimentation est une piste prometteuse pour améliorer notre compréhension de ces polluants si particuliers. Restera ensuite à adapter la législation en conséquence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177572/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Baptiste FINI a reçu des financements français de l'Agence Nationale de Recherche (ANR) et de l'ANSES (PNR) ainsi que de l'UE pour les projets H2020 EDC MIx Risk, HBM4EU, ATHENA et ENdPoiNTs.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Barbara Demeneix a reçu des financements de 'lEurope (Horizon 21. Elle a travaillé pour Watchfrog </span></em></p>Une corrélation, validée expérimentalement, a été établie entre le retard de langage chez des enfants et leur exposition à des polluants chimiques in utero, pendant la grossesse de leur mère.Jean-Baptiste Fini, Professeur du MNHN, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Barbara Demeneix, Professor Physiology, Endocrinology, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1884182022-08-10T17:30:49Z2022-08-10T17:30:49ZPremier « embryon synthétique » au monde : une prouesse riche en promesses… et en questions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/478279/original/file-20220809-25-upv6kq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C963%2C474&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Embryon synthétique de souris, du jour 1 (en haut à gauche) au jour 8 (en bas à droite). Tubes neural, cardiaque, digestif… commencent à se former comme dans un embryon «naturel».</span> <span class="attribution"><span class="source">Weizmann Institute of Science</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans ce qui est <a href="https://www.theguardian.com/science/2022/aug/03/scientists-create-worlds-first-synthetic-embryos">considéré comme une première mondiale</a>, des biologistes ont développé des modèles d’embryons de souris en laboratoire sans avoir besoin d’ovules fécondés, d’embryons ou même… de souris – en utilisant uniquement des <a href="https://theconversation.com/les-cellules-souches-induites-le-patient-dans-une-boite-de-culture-148123">cellules souches</a> (qui peuvent se transformer en n’importe quel autre type de cellule) mises en suspension dans un incubateur spécial.</p>
<p>Cette réussite inédite, <a href="https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(22)00981-3">publiée dans la revue Cell</a> par une équipe dirigée par des chercheurs de l’Institut Weizmann des sciences (Israël), offre un modèle très sophistiqué de ce qui se passe au début du développement de l’embryon chez la souris – juste après l’implantation de l’ovule fécondé par un spermatozoïde à la paroi de l’utérus.</p>
<p>Il s’agit d’une étape cruciale : au sein de l’espèce humaine, de nombreuses grossesses s’interrompent à ce stade, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Le fait de disposer de modèles va permettre de mieux comprendre ce qui peut mal se passer et, éventuellement, de découvrir dans ce second temps ce que nous pourrions faire pour y remédier.</p>
<h2>Un simili embryon</h2>
<p>Les chercheurs sont donc partis de cellules de souris qu’ils ont retransformées en cellules souches – capables de redonner dans un second temps les autres types cellulaires : de peau, nerveuses, etc. Ils les ont ensuite placées dans des bioréacteurs rotatifs avec solution nutritive pour leur permettre de se multiplier. (<em>Si l’énorme majorité de ces cellules n’a rien donné, <a href="https://wis-wander.weizmann.ac.il/life-sciences/without-egg-sperm-or-womb-synthetic-mouse-embryo-models-created-solely-stem-cells">0,5 % d’entre elles se sont assemblées en petites sphères qui se sont développées, similaires à 95 % à de « vrais » embryons</a>, ndlr</em>)</p>
<p>Ce qui est particulièrement intéressant dans ces « embryoïdes » modèles, c’est leur structure très complexe. Déjà, les cellules souches ont pu s’y différentier et adopter une disposition rappelant ce qui s’observe dans l’embryon à un stade précoce – notamment pour les précurseurs du cœur, du sang, du cerveau et d’autres organes. De plus, une partie des cellules souches, spécifiquement traitées dans ce but, a pu s’orienter vers la formation de cellules de « soutien » comme celles que l’on trouve dans le placenta ou le sac vitellin, nécessaires pour établir et maintenir une grossesse.</p>
<p><em>In vivo</em>, les premiers stades de la grossesse sont difficiles à étudier chez la plupart des animaux : les embryons sont microscopiques – il s’agit encore de minuscules amas de cellules – difficiles à localiser et à observer dans l’utérus. Pourtant, nous savons qu’à ce stade du développement les choses peuvent mal tourner : par exemple, des facteurs environnementaux peuvent influencer et entraver le développement, ou les cellules ne reçoivent pas les bons signaux pour former complètement la moelle épinière, comme dans le cas du <a href="https://www.betterhealth.vic.gov.au/health/conditionsandtreatments/spina-bifida">spina bifida</a>, etc.</p>
<p>En utilisant des modèles comme celui-ci, nous pouvons commencer à nous demander pourquoi et observer en direct ce qui se passe (les embryoïdes étant dans des fioles transparentes).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dXlEDAGCN7w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quoique simplifié, ce modèle d’embryon de souris de huit jours a un cœur qui bat, un sac vitellin, un placenta et une circulation sanguine émergente. L’Institut Weizmann des sciences.</span></figcaption>
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<p>Cependant, même si ces modèles constituent un outil de recherche puissant, il est important de comprendre qu’ils ne sont <strong>pas</strong> des embryons – d’où le terme d’embryoïde employé par certains chercheurs.</p>
<p>Ils reproduisent bien certains aspects du développement, mais ni l’architecture cellulaire ni le potentiel de développement des « vrais » embryons dérivés de la fécondation d’ovules par des spermatozoïdes ne peut être observé pour l’heure.</p>
<p>L’équipe à l’origine de ces travaux souligne qu’elle n’a pas été en mesure de développer ces modèles au-delà de huit jours, alors qu’une gestation normale chez la souris dure 20 jours.</p>
<h2>Demain des « embryons synthétiques » humains ?</h2>
<p>Le domaine de la modélisation de l’embryon progresse rapidement, et de nouvelles avancées apparaissent chaque année.</p>
<p>En 2021, <a href="https://thenode.biologists.com/the-making-of-human-blastoids/outreach/">plusieurs équipes</a> ont réussi à faire en sorte que des cellules souches pluripotentes humaines s’autoagrègent dans une boîte de Pétri, imitant le « blastocyste » – soit un des premiers stades du développement embryonnaire, à moins de 100 cellules, juste avant le <a href="https://www.mayoclinic.org/healthy-lifestyle/pregnancy-week-by-week/multimedia/fertilization-and-implantation/img-20008656">processus complexe de l’implantation</a>.</p>
<p>Les chercheurs qui utilisent ces modèles d’embryons humains, souvent appelés <a href="https://theconversation.com/researchers-have-grown-human-embryos-from-skin-cells-what-does-that-mean-and-is-it-ethical-157228">blastoïdes</a>, ont même pu commencer à explorer l’implantation dans une boite de Pétri, mais ce processus est beaucoup plus difficile chez la femme que chez la souris.</p>
<p>La production de modèles d’embryons humains d’une complexité équivalente à celle obtenue avec un modèle de souris reste une proposition lointaine, mais qui doit être envisagée.</p>
<p>Il est important que nous soyons conscients de ce que pourrait vraiment nous dire un tel modèle ; un embryon dit synthétique, cultivé en boîte de Pétri, aura ses limites quant à ce qu’il peut nous apprendre sur le développement humain.</p>
<p><em>[Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<h2>Des enjeux éthiques forts</h2>
<p>Aucune modélisation d’embryon ne peut se faire sans une source de cellules souches. Lorsqu’on se penche sur les potentielles utilisations futures de cette technologie, il est primordial de se demander d’où viennent ces cellules : S’agit-il de cellules souches embryonnaires humaines (dérivées d’un blastocyste) ou de cellules souches pluripotentes induites (comme ici) ?</p>
<p>Un autre point à considérer pour ce type particulier de recherche est celui du consentement. Nous devrions réfléchir davantage à la manière dont ce domaine de recherche sera régi, quand il devrait être utilisé et par qui.</p>
<p>Cependant, il est important de reconnaître qu’il existe déjà des lois et des <a href="https://www.isscr.org/policy/guidelines-for-stem-cell-research-and-clinical-translation/key-topics/embryo-models">directives internationales sur la recherche sur les cellules souches</a> qui fournissent un cadre pour réglementer ce domaine de recherche.</p>
<p>En Australie, la recherche impliquant des modèles d’embryons de cellules souches humaines nécessiterait une autorisation, similaire à celle requise pour l’utilisation d’embryons humains naturels en vertu de la loi en vigueur depuis 2002. Cependant, <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-021-01423-y">contrairement à d’autres juridictions</a>, la loi australienne dicte également la durée pendant laquelle les chercheurs peuvent faire croître des modèles d’embryons humains, une restriction que certains chercheurs <a href="https://www.abc.net.au/radionational/programs/sciencefriction/change-to-14-day-rule-for-embryo-research/13382872">souhaiteraient voir modifiée</a>. (<em>En France, les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884384/">lois de bioéthiques</a> encadrent la recherche autour des embryons, ndlr</em>)</p>
<p>Indépendamment des changements concernant la manière et le moment où la recherche sur les embryons humains est menée, il est nécessaire que la communauté discute davantage de ce sujet avant qu’une décision ne soit prise.</p>
<p>Il existe une distinction entre certaines technologies telles que le clonage humain à des fins de reproduction, qui sont interdites, et d’autres destinées à faire progresser notre compréhension du développement embryonnaire humain et de ses troubles, qui sont autorisées. Ces travaux sont parfois le seul moyen d’obtenir des informations. (<em>Les chercheurs pointent également que « cette méthode ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de <a href="https://wis-wander.weizmann.ac.il/life-sciences/without-egg-sperm-or-womb-synthetic-mouse-embryo-models-created-solely-stem-cells">l’auto-organisation des cellules souches en organes et pourrait, à l’avenir, contribuer à la production de tissus transplantables</a> », ndlr</em>).</p>
<p>La science progresse rapidement. Bien qu’elle concerne principalement les souris à ce stade, le moment est venu de discuter de ce que cela signifie pour l’être humain et d’examiner où et comment nous devrons tracer la ligne dans le sable…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188418/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Megan Munsie a reçu des financements de l'Australian Research Council, du Medical Research Future Fund et de la Novo Nordisk Foundation. Elle est vice-présidente de l'Australasian Society for Stem Cell Research, directrice non exécutive de la National Stem Cell Foundation of Australia et membre des comités consultatifs d'éthique et de politique de plusieurs organisations nationales et internationales, dont l'International Society for Stem Cell Research.</span></em></p>Créer un embryon artificiel qui soit capable de rejouer, sous nos yeux, les premiers jours de la vie : la prouesse, menée ici chez la souris, était attendue. Qu’y a-t-il derrière cette réussite ?Megan Munsie, Professor - Emerging Technologies (Stem Cells) at The University of Melbourne and Group Leader - Stem Cell Ethics & Policy at the Murdoch Children's Research Institute, The University of MelbourneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830592022-05-23T19:53:18Z2022-05-23T19:53:18ZPourquoi l’accouchement humain est-il beaucoup plus difficile que celui de nos cousins les grands singes ?<p>Il existe au sein des primates, schématiquement, deux types d’accouchements : l’accouchement des primates non humain, simple et rapide : les efforts expulsifs <a href="https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1046/j.1471-0528.2002.00010.x">chez le chimpanzé</a> ne durent que quelques secondes alors qu’ils peuvent durer jusqu’à 30 minutes chez les humains modernes. Chez ces singes le fœtus suit une trajectoire rectiligne, et les femelles n’ont pas besoin de l’assistance d’un tiers. L’accouchement des humains est complexe et parfois difficile, le fœtus suit une trajectoire incurvée compliquée qui requiert l’assistance d’une personne aidante.</p>
<p>Quand, et comment s’est mis en place ce type d’accouchement dans la lignée humaine ? Ces questions sont fondamentales, car elles impliquent des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ajpa.1330350605">processus évolutifs</a> d’une très grande importance, qui sont l’acquisition de la bipédie et le processus d’encéphalisation (l’accroissement du volume du cerveau relatif au corps).</p>
<p>Selon <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8728076/">l’hypothèse du dilemme obstétricale</a>, la bipédie à modifié l’architecture pelvienne en réduisant notamment l’espace entre les hanches et le sacrum. Cela a contribué à donner une forme aplatie d’avant en arrière à la partie supérieure du canal d’accouchement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464818/original/file-20220523-18-y5vkt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La différence entre un bassin humain et celui d’un chimpanzé (en pointillé), avec un crâne fœtal (ovale noir) ajusté aux détroits obstétricaux.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Par ailleurs, l’encéphalisation a contribué à augmenter la taille du cerveau des nouveau-nés. Nous avons donc deux pressions évolutives qui vont dans un sens opposé (réduction du bassin, augmentation de la taille du crâne du nouveau-né), impliquant un ajustement de plus en plus étroit entre le crâne fœtal et le bassin, jusqu’à un seuil au l’accouchement devient difficile.</p>
<h2>Les humains naissent « prématurément »</h2>
<p>Pour éviter qu’il ne devienne trop difficile et permettre aux générations de se perpétuer, une solution a été de faire naître ces nouveau-nés <a href="https://digitallibrary.amnh.org/handle/2246/6008">« prématurément »</a> afin que la taille de leurs crânes permette néanmoins de franchir le canal d’accouchement sans encombre.</p>
<p>Cette naissance se caractérise toutefois par des compétences limitées chez le nouveau-né, qui est immature sur plusieurs points et qui a pour sa survie des compétences innées afin d’établir un lien mère-enfant le plus solide et précoce possible.</p>
<p><a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.95.3.1336">L’investissement parental est important</a> pour prendre en charge un tel nouveau-né, et pour supporter cette charge importante qui repose en premier lieu sur la mère (notamment par le coût métabolique important de la lactation), les individus qui entourent la mère, le père, pour certains la grand-mère, ou les autres membres familiers du groupe, vont proposer <a href="http://local.psy.miami.edu/faculty/dmessinger/c_c/rsrcs/rdgs/attach/HrdyInCarter2005.pdf">leur aide pour la soulager</a>. Le nouveau-né poursuit néanmoins sa croissance cérébrale telle qu’elle était <em>in utero</em>, mais dans un groupe humain précocement socialisant, <em>ex utero</em>(le volume cérébral va être multiplié par 2,25 chez l’humain moderne et 1,6 chez les chimpanzés, pendant la première année de vie.</p>
<p>Ceci a probablement contribué à faire de nous des primates parmi les plus sociaux.</p>
<h2>Pourquoi dans ce contexte, étudie-t-on les Australopithèques ?</h2>
<p>Les Australopithèques sont un groupe fossile qui présente des caractéristiques liées à la bipédie sur le bassin, mais qui dont le volume du cerveau est seulement <a href="https://www.nature.com/articles/s42003-022-03321-z">légèrement supérieur</a> à celui des chimpanzés. Ils ne sont donc pas encore tout à fait dans la dynamique de l’encéphalisation. Dans le cadre du dilemme obstétrical, ils permettent donc d’étudier les effets de la bipédie, plutôt que de l’encéphalisation sur les modalités d’accouchement.</p>
<p>Pour étudier les modalités d’accouchement, les mouvements que vont faire le fœtus dans le canal d’accouchement, et son éventuel arrêt de descente dans l’excavation pelvienne, il faut utiliser une méthode qui reproduit les forces de résistance, les bras de levier et réaction qui résultent du contact entre le crâne fœtal et le bassin.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=568&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=568&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=568&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=714&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=714&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463092/original/file-20220514-31328-rta54a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=714&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cchéma du canal d’accouchement en vue de profil.</span>
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<p>C’est ainsi que l’on explique la mécanique obstétricale aujourd’hui, c’est-à-dire, les mouvements de la présentation au cours de l’accouchement. Une telle méthode est employée dans les sciences de l’ingénieur, pour simuler par exemple des crash-tests : c’est la méthode des élément-finis.</p>
<p><a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7594473/">Dans cette méthode</a>, on travaille avec des maillages, c’est-à-dire, des représentations de surfaces anatomiques par ensemble de triangles, et on calcule à travers des pas de temps donnés, l’application de forces ou le déplacement uniquement sur les sommets de ces triangles (les éléments).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464820/original/file-20220523-20-lplv5s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un maillage de bassin d’Australopithèque.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Pour les Australopithèques, nous avons un bassin qui est un maillage rigide (sauf au niveau de l’articulation sacro-iliaque) et un crâne fœtal ayant une capacité de déformation. Le contact entre ces deux maillages peut donc être facilement modélisable par les éléments-finis, qui représentent une méthode appropriée. Afin d’explorer différentes hypothèses, nous avons fait varier la taille de ce crâne d’un volume faible (accueillant un cerveau d’un poids de 110g), important (cerveau de 180g) et intermédiaire (145g).</p>
<h2>Les résultats de notre étude</h2>
<p>Seuls les crânes néonatals de 110 g pouvaient franchir les bassins d’Australopithèques sans encombre selon <a href="https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1046/j.1471-0528.2002.00010.x">nos résultats très récemment publiés</a>. En sachant qu’un crâne adulte avoisinait les 400 g, cela fait un ratio entre taille de crâne néonatale/taille de crâne adulte d’environ 28 %, comparable à celui des humains modernes, et éloigné de celui des primates non humains, d’environ 43 %.</p>
<p>En suggérant que l’ancêtre des humains modernes et des primates-non humains ait partagé le ratio général des primates (de 43 %), tandis que les humains modernes ont un ratio à 28 %, les Australopithèques, appartenant à l’histoire évolutive de la lignée humaine, avaient un ratio qui les plaçait au côté des humains modernes.</p>
<p>Il est possible qu’ils aient ainsi partagé notre façon de prendre en charge le nourrisson puis l’enfant, selon des modalités de coopération entre les membres du groupe. En effet, un tel ratio crâne néonatal/crâne adulte laisse suggérer que les compétences néonatales devaient être chez l’Australopithèque également, assez limitées. Un axe de recherche intéressant est maintenant de s’interroger sur le rôle du périnée au cours de l’accouchement de l’Australopithèque. En effet, il pourrait avoir un rôle crucial dans la rotation qui est faite par le fœtus en tout fin d’accouchement, et participer à orienter de son crâne comme chez les humains. Dans ce cas, la présence d’une sage-femme, comme chez les humains modernes, aurait pu être obligatoire aussi chez les Australopithèques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183059/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Frémondière a reçu des financements de CNRS grants GDR 3592 et CNRS-INEE International Research Network no. GDRI0870 Bipedal Equilibrium, et la Swiss National Science Foundation, grant no. 31003A-156299/1. </span></em></p>Une étude très récente s’est intéressée à l’accouchement chez les australopithèques pour comprendre depuis quand donner naissance était si difficile chez les humains.Pierre Frémondière, Sage-femme enseignant à l'école de maïeutique de la faculté des Sciences Médicales et Paramédicales de Marseille, chercheur associé au laboratoire ADES 7268, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827302022-05-16T19:46:54Z2022-05-16T19:46:54ZViolences obstétricales en Afrique de l’Ouest : la pandémie de Covid-19 a-t-elle changé la face des hôpitaux ?<p>Le Sénégal est actuellement sous le choc depuis le décès d’une mère et son bébé à naître de 9 mois dans la salle d’attente d’un hôpital régional. La famille de la défunte dénonce une négligence de l’équipe de garde et plusieurs sages-femmes sont en garde à vue en attente de jugement définitif.</p>
<p>Face à cela, les syndicats de la santé sont en grève – <a href="https://www.courrierinternational.com/article/sante-apres-la-mort-d-astou-sokhna-le-senegal-choque-par-le-martyr-des-femmes-enceintes">journées sans accouchement</a> – pour défendre leur corporation. Une suspension des services de santé qui nourrit un sentiment d’injustice sociale des patientes, qui organisent de leur côté des <a href="https://mobile.twitter.com/seneweb">marches de soutien à la famille éplorée</a>.</p>
<p>Le décès de cette jeune femme n’est que la partie émergée des défis de santé que constituent les <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-629.htm">violences obstétricales</a>, en Afrique et dans le monde entier. Cet événement terrible est un exemple révélateur d’un environnement sociosanitaire souvent dysfonctionnel, caractérisé par l’impossible admission de patientes aux urgences par manque de garant, où des femmes en travail ou leurs fœtus peuvent mourir dans les ambulances par manque de lit de réanimation après avoir fait le tour des hôpitaux référencés.</p>
<p>En dépit de <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-695.htm">projets d’humanisation de l’accouchement</a> et des <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2012-3-page-100.htm">politiques de gratuité</a> en faveur du couple mère/enfant en vigueur dans la plupart des formations sanitaires publiques des pays ouest-africains, ce drame fait ainsi ré-émerger les tensions suscitées par le <a href="https://ideas4development.org/violences-obstetricales-afrique-ouest/">sort réservé à de très nombreuses femmes dans les maternités en Afrique de l’Ouest</a>, et repose les questions structurelles sur les <a href="https://theconversation.com/afrique-francophone-a-quoi-servent-tous-ces-hopitaux-106459">hôpitaux</a> dans ces pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514104425270464514"}"></div></p>
<h2>Développer les capacités d’accueil hospitalier</h2>
<p>En 2020, l’organisation de la riposte contre la pandémie de Covid-19 a été un moment fort pour le diagnostic des systèmes sanitaires du monde entier.</p>
<p><a href="https://www.ceped.org/fr/publications-ressources/working-papers-du-ceped/article/la-riposte-nationale-contre-la">En Afrique</a>, plusieurs initiatives ont été entreprises par les États pour y <a href="https://doi.org/10.3917/spub.216.0785">faire face et renforcer les systèmes sanitaires locaux</a> : augmentation de la capacité d’accueil (construction d’hôpitaux, de salle d’hospitalisation), relèvement du plateau technique (lits de réanimation), recrutement de spécialistes et déploiement dans les zones enclavées.</p>
<p>Aujourd’hui, malgré ces efforts consentis en période d’urgence, les difficultés d’accès aux soins persistent en Afrique de l’Ouest, surtout concernant la santé maternelle. Les femmes enceintes issues de familles démunies décèdent encore par défaut de prise en charge adéquate (encore plus au Sahel <a href="https://doi.org/10.1186/s13031-020-00334-5">dans les zones de conflit</a>).</p>
<p>Les familles aisées affiliées aux assurances privées ou aux mutuelles de santé, ou celles capables de payer, se tournent vers les <a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010074622">cliniques privées locales</a>. Pendant ce temps, l’accouchement à domicile ou assisté par une accoucheuse traditionnelle reste une <a href="https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/37992/1/34919.pdf">pratique largement partagée par les familles les plus démunies</a>, mais aussi par certaines femmes ayant eu une <a href="https://doi.org/10.1111/j.1600-0412.2011.01163.x">expérience traumatique antérieure d’accouchement à l’hôpital</a>.</p>
<p>Ainsi, les inégalités d’accès aux soins entre les classes sociales demeurent, en Afrique comme ailleurs. Faut-il croire que l’engouement du « renouveau » qu’avait suscité la pandémie de Covid-19 n’a finalement pas permis une réforme en profondeur, ni la généralisation de la <a href="https://theconversation.com/les-defis-de-la-couverture-sanitaire-universelle-en-afrique-un-ouvrage-de-synthese-en-francais-169422">couverture sanitaire universelle</a> promulguée par les Nations unies en 2015 ?</p>
<p>Il nous semble que le déterminisme structurel des réformes néolibérales reprend le dessus sur les mesures conjoncturelles de la riposte face au Covid-19, largement financées par l’extérieur.</p>
<h2>Un modèle hospitalier néolibéral ?</h2>
<p>Depuis les programmes d’ajustements structurels des années 1980-1990, le fonctionnement des formations sanitaires en Afrique repose surtout sur un modèle néolibéral.</p>
<p>Si la plupart des ressources humaines sont payées par l’État, chaque structure de santé (hôpital, centre, poste) gère son propre budget de fonctionnement, provenant en grande partie des prestations payantes (pour la partie officielle) des patients (tickets de consultation, frais examens médicaux, vente de médicaments). Le fonctionnement financier de l’hôpital public repose donc sur une logique de marché – offre des professionnels de santé et demande des usagers (malades) – et une bonne santé financière permet d’assurer la pérennité du service et des soins.</p>
<p>En plus des deux parties prenantes (prestataires et clients), s’ajoute le rôle régulateur de l’État, tantôt salvateur, tantôt déstabilisateur.</p>
<p>La politique interventionniste de l’État providence accorde sur le papier aux usagers des prestations gratuites, comme pour les <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2012-3-page-11.htm">enfants</a> de moins de 5 ans ou les césariennes. Ces initiatives à vocation sociale reposant sur une équité territoriale par la couverture santé universelle permettent aux familles, dont les plus démunies, d’accéder aux soins à moindre coût et augmentent ainsi le <a href="http://www.equitesante.org/wp-content/uploads/2015/12/Numero-1-Nov2015.pdf">pouvoir d’agir des usagers et des usagères</a>. Le Burkina Faso est un bel exemple de volonté politique et de réussite à cet égard.</p>
<p>Mais l’État doit rembourser <em>a posteriori</em> aux formations sanitaires les prestations des populations enregistrées dans le registre des politiques de gratuité. C’est souvent là que le bât blesse.</p>
<p>En effet, les retards de remboursement de l’État mettent les structures de santé sous pression financière pour acheter des intrants et payer les salaires du personnel contractuel. Ces retards contribuent à une rupture <a href="https://doi.org/10.1016/j.rbms.2019.12.001">éthique des soignants</a> qui enveniment les relations soignants-soignés et conduisent à des pratiques médicales inappropriées.</p>
<p>Conjuguée à la faible formation en psycho-sociologie des relations aux soins, la pression financière pousse certains prestataires à <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2016-1-page-89.htm">trier les malades</a>, non pas suivant l’urgence médicale mais suivant la capacité de paiement : <a href="https://pfongue.org/IMG/pdf/tdr_etude_anthropologique_aacid.pdf">« On prend les patients qui payent cash ! Les patients ayant besoin de prestations gratuites ou sans lettre de garantie de la mutuelle de santé vont devoir attendre »</a>, nous a dit une sage-femme lors d’une analyse des barrières à l’adhésion des populations dans les mutuelles de santé au Sénégal.</p>
<p>Les femmes avec un capital économique (et social) faible sont alors plus exposées aux violences obstétricales que les autres.</p>
<h2>Violences exercées et injonctions contradictoires</h2>
<p>Les <a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010031060">violences en institutions de soins ne sont ni nouvelles</a> ni <a href="https://editions.flammarion.com/les-brutes-en-blanc/9782081390331">l’apanage des professionnels de santé ouest-africains</a>.</p>
<p>Les négligences et pratiques inappropriées des soignants sont quotidiennes ; elles se manifestent dans des hôpitaux sous pression assaillis par des <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2004-1-page-37.htm">injonctions étatiques qui brouillent leur fonctionnement</a>. En Afrique, des centaines de <a href="https://www.chathamhouse.org/2017/12/hospital-detentions-non-payment-fees">femmes sont retenues dans les hôpitaux après avoir accouché par défaut de paiement des prestations</a>.</p>
<p>L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait pourtant demandé aux pays de <a href="https://www.who.int/publications/m/item/public-health-and-social-measures-for-covid-19-preparedness-and-response-in-low-capacity-and-humanitarian-settings">supprimer le paiement direct des soins durant la pandémie</a>. Même si certains économistes de l’OMS ne sont pas d’accord avec cette solution, la commission pour la santé de la revue <a href="https://doi.org/10.1016/S2214-109X(22)00005-5">The Lancet</a> vient de rappeler l’importance que les soins de santé primaires soient gratuits au point de service, étant entendu que l’État doit en garantir le financement.</p>
<p>Néanmoins, rares sont les <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">pays africains à garantir ce droit à la santé et respecter leurs engagements au financement de la santé</a>.</p>
<h2>Quelles perspectives ?</h2>
<p>L’hôpital public des pays ouest-africains est plus que jamais sous tension, d’autant que la pandémie de Covid-19 a remis l’hospitalo-centrisme au goût du jour (au Sénégal, les hôpitaux absorbent deux tiers des dépenses de santé).</p>
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<img alt="Porte ouverte sur l’intérieur d’une salle d’accouchement dans un état de propreté limite" src="https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462032/original/file-20220509-16-alkylb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les maternités demandent encore de gros investissements au Sénégal pour offrir de bonnes conditions d’accouchement aux femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdoulaye Moussa Diallo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Au-delà de la baisse constante de la mortalité maternelle depuis 1987, pour améliorer ce climat socioprofessionnel, l’État doit absolument consentir à augmenter son investissement dans le secteur sanitaire. Au Sénégal, par exemple, seulement 5 % du budget national est alloué à la santé. Ce montant est dérisoire au regard des nombreux défis auxquels l’organisation sanitaire est confrontée.</p>
<p>Le plan d’investissement annoncé en 2020 de 1 400 milliards de francs CFA, dont 62 % pour les infrastructures, jusqu’en 2024 ne sera certainement pas suffisant. De surcroît, moins de <a href="https://www.dhsprogram.com/pubs/pdf/FR368/FR368.T.pdf">5 % de la population</a> est couverte par une mutuelle de santé communautaire, instrument phare du programme de couverture sanitaire universelle (CSU).</p>
<p>L’<a href="https://ceim.uqam.ca/db/IMG/pdf/note_politique_se_ne_gal.pdf">utilisation des profits dérivés des ressources extractives pour financer la santé</a> parait une solution durable et réalisable. Elle pourrait favoriser l’avènement de la CSU, notamment (mais pas seulement) par des <a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">unités départementales d’assurance maladie</a>, à grande échelle et professionnelles, résilientes, solvables et dynamiques, capables de parer aux éventuelles actions hégémoniques et contreproductives pour le bon fonctionnement du système. Et de participer ainsi à l’avènement d’un « meilleur hôpital ».</p>
<p>Le soutien à la structure de la demande, à la réalisation d’un contre-pouvoir où les malades sont au cœur du système de santé devient une urgence pour débattre et trouver une solution, ensemble, avec les représentants de l’offre de soins. La judiciarisation de la santé ne sera pas une solution.</p>
<p>Pour cela, il va falloir que les acteurs se réconcilient avec le système sanitaire, en plaidant en faveur de l’effectivité d’une gouvernance sanitaire locale harmonieuse <a href="https://www.theses.fr/2021LILUA013">incluant les acteurs de santé communautaire</a>.</p>
<p>Cela peut passer par la création d’entités locales qui instaureront des relations de confiance basées sur des échanges constructifs et inclusifs afin d’en arriver à une <a href="https://www.academia.edu/9483200/La_promotion_de_la_sant%C3%A9_une_probl%C3%A9matique_au_coeur_de_nos_pr%C3%A9occupations_%C3%A9ditoriales">« santé » non seulement « par » et « pour » les communautés, mais aussi « selon elle »</a> où le <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/206971/9789290613176_eng.pdf">patient sera au cœur des prises de décisions</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182730/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clémence Schantz a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, Institut Convergences et Migrations, Cité du Genre, Institut du Genre, etc)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valéry Ridde a reçu des financements d'organismes de recherche publics (ANR, IRSC, AFD, ONG etc.). Il est actuellement affecté à l'ISED/UCAD au Sénégal.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abdoulaye Moussa Diallo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La prise en charge des femmes enceintes à l’hôpital reste un défi au Sénégal, notamment pour des raisons pécuniaires. Comment remédier aux violences obstétricales qui peuvent en découler ?Abdoulaye Moussa Diallo, Sociologue, Université de LilleClémence Schantz, Sociologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1704382022-04-24T20:28:02Z2022-04-24T20:28:02ZPMA : l’extension légale de l’assistance médicale à la procréation se heurte à la réalité<p>En 2019, plus de 27 000 enfants sont venus au monde en France grâce à des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP, parfois qualifiée de « procréation médicalement assistée » ou PMA), ce qui représente <a href="https://theconversation.com/40-ans-apres-la-naissance-du-premier-bebe-eprouvette-francais-plus-de-400-000-enfants-concus-par-fiv-177573">3,7 % des naissances globales</a>. Contrairement aux idées reçues, dans l’immense majorité des cas (<a href="https://theconversation.com/40-ans-apres-la-naissance-du-premier-bebe-eprouvette-francais-plus-de-400-000-enfants-concus-par-fiv-177573">95 % environ</a>), les enfants conçus par ces techniques le sont avec les gamètes des deux parents.</p>
<p>Bien que le recours à un tiers donneur soit très minoritaire, le don de gamètes ou d’embryon pose des questions d’ordre psychologique, juridique et pratique. Il n’est donc pas surprenant que, dans le cadre de la révision de la loi relative à la bioéthique, la question de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ait particulièrement retenu l’attention.</p>
<p>Entre divergences d’opinions, analyses critiques et revendications, le sujet a largement occupé les débats, jusqu’à l’adoption du texte, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884445">2 août 2021</a>.</p>
<p>Cette loi a introduit plusieurs évolutions majeures, ouvrant notamment l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées.</p>
<p>Mais après quelques mois de mise en application des nouveaux textes, les professionnels doivent faire face à un certain nombre de problèmes. Entre afflux de dossiers et délais de traitement, dans la réalité des services d’AMP, ces dispositions nouvelles sont difficiles à concrétiser.</p>
<h2>Révision de la loi de bioéthique : des évolutions attendues</h2>
<p>Supprimant la condition d’infertilité médicalement diagnostiquée qui conditionnait jusqu’ici l’accès des couples aux techniques d’AMP, le nouveau texte de loi introduit également deux évolutions, parmi d’autres mesures phares : il ouvre l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées (c’est-à-dire célibataires, pacsées ou en concubinage), et crée d’un droit d’accès aux origines au bénéfice des personnes conçues par AMP exogène (qui font appel à des dons de gamètes).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-de-bioethique-les-apports-dune-revision-majeure-pour-la-biomedecine-164254">Loi de bioéthique : les apports d’une révision majeure pour la biomédecine</a>
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<p>Ces personnes sont désormais en droit, lorsqu’elles atteignent l’âge de la majorité, d’accéder à des données non identifiantes sur le tiers donneur (voire les tiers donneurs en cas d’accueil d’embryon) ou à son identité. En cas de refus d’accepter cette transmission future des informations, le don ne peut avoir lieu.</p>
<p>Du point de vue des médecins et biologistes de la reproduction, ces deux dispositions constituent une avancée réelle, attendue depuis de longues années. Le droit antérieur les réduisait en effet au rôle d’accompagnants pour des femmes en couple ou célibataires qui allaient se faire traiter à l’étranger. Mais l’augmentation des demandes qui en a résulté a notamment eu pour conséquence d’allonger les délais.</p>
<h2>Des demandes en hausse</h2>
<p>Depuis la promulgation de la loi, les services d’AMP enregistrent un nombre de demandes sensiblement augmenté par l’arrivée dans le circuit des couples de femmes ou des femmes non mariées : cette année, 3 500 dossiers supplémentaires ont été déposés, <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/loi-de-bioethique/pma-pour-toutes-pourquoi-les-femmes-concernees-risquent-de-devoir-s-armer-de-patience-malgre-le-decret_4788699.html">selon l’entourage du ministre de la Santé Olivier Véran</a>, cité par l’Agence France Presse en septembre, alors que les autorités s’attendaient plutôt à un millier de demandes supplémentaires (en 2019, <a href="https://rams.agence-biomedecine.fr/sites/default/files/pdf/2021-08/ABM_PEGH_AMP2019_0.pdf">selon l’Agence de la Biomédecine</a>, 1 309 dossiers avaient été déposés par des couples en attente de don d’ovocyte, et 2017 dossiers concernaient des couples en attente de don de spermatozoïdes. Suite aux nouvelles dispositions de la loi, les demandes ont donc plus que doublé).</p>
<p>Le risque annoncé d’une baisse des donneurs consécutive à l’ouverture du droit d’accès aux origines pour les personnes concernées apparaît cependant ne pas se réaliser : les <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_2017-2021_pour_la_procreation_embryologie_genetique_humaine_pegh.pdf#page=9">dons s’avèrent en augmentation</a> et, par voie de conséquence, les délais d’attente des CECOS en diminution. La médiatisation de la loi et les campagnes d’informations initiées par l’Agence de la biomédecine semblent avoir sensibilisé les donneurs potentiels.</p>
<p>Cette situation est particulièrement heureuse, dans la mesure où la plupart des pays qui pratiquent l’AMP avec tiers donneur ont pallié l’insuffisance de leurs stocks de gamètes par le recours aux banques de sperme, ce que la loi française interdit. En effet, ces compagnies privées, basées au Danemark, États-Unis ou Angleterre, commercialisent des « paillettes » de spermatozoïdes à partir de multiples donneurs rémunérés. Si les modalités de fonctionnement de ces banques, notamment d’un point de vue sanitaire, ne posent pas problème, il n’en va pas de même de ces dons qui ne répondent pas au principe de gratuité imposé par l’État français.</p>
<p>Le double mouvement d’augmentation des demandes de gamètes et de baisse des donneurs paraît donc évité, mais la question des délais d’attente n’est pas pour autant résolue. Alors que la réflexion bioéthique consiste à déterminer si le techniquement possible est socialement souhaitable, risque de se poser la question de savoir si le socialement acquis est techniquement possible…</p>
<h2>La réalité du terrain biomédical</h2>
<p>La sous-estimation par le gouvernement de l’augmentation du nombre de demandes consécutive à l’ouverture de l’AMP et, par suite, des besoins en personnel et matériel des centres habilités à les prendre en charge a entraîné des difficultés pour la majorité des femmes souhaitant recourir à ces techniques.</p>
<p>À l’heure actuelle, on dénombre <a href="https://www.cecos.org/les-cecos/">moins de 30 centres de don</a> sur le territoire métropolitain. En fonction du lieu de résidence, les délais varient sensiblement, tant pour un premier rendez-vous que pour la délivrance des paillettes de sperme. Le cas des protocoles d’AMP avec dons de spermatozoïdes illustre bien le problème : selon les centres et les régions, les délais peuvent s’étirer de 9 mois à… 3 ans !</p>
<p>Le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/pma-pour-toutes-olivier-veran-s-engage-a-reduire-les-delais-d-attente">plan d’accompagnement financier de 8 millions d’euros</a> mis en place par les autorités permet d’assurer les besoins en matériel, mais il ne suffit pas à engager le personnel supplémentaire.</p>
<p>La situation est encore accentuée par les très larges conditions d’âge, qui autorisent des femmes dont les chances de procréer sont minimes à recourir à l’insémination avec donneur.</p>
<p>En avril 2021, Olivier Véran, interviewé par Sciences Po TV (la télévision des étudiants de Sciences Po), envisageait que la naissance des premiers bébés conçus par des couples de femmes se produisent au printemps <a href="https://www.bfmtv.com/politique/pma-pour-toutes-olivier-veran-pense-que-le-premier-bebe-naitra-avant-la-fin-du-mandat_AN-202105040126.html">« avant la fin du mandat »</a> d’Emmanuel Macron. Mais combien de printemps faudra-t-il à la majorité des couples et des femmes qui suivront pour bénéficier d’un don de gamètes ?</p>
<p>La question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’horloge biologique ne laisse aucun répit aux femmes, avec un pic de fertilité atteint entre 20 et 30 ans, suivi d’une baisse progressive jusqu’à une réduction drastique de la capacité à concevoir au-delà de 40 ans. Le temps est une composante cruciale du succès en AMP et l’imposition des délais trop longs, faute d’avoir mal pensé la mise en application de la loi, pénalise les femmes en limitant leur chance d’avoir un enfant. Pour cette raison, nombreuses sont celles qui continuent à se tourner, à regret, vers l’étranger afin de pouvoir bénéficier d’une prise en charge dans des délais raisonnables, à savoir ceux qu’impose la technique.</p>
<h2>Le recours à l’étranger toujours d’actualité</h2>
<p>Outre la temporalité, le recours à l’AMP à l’étranger peut également avoir un tout autre motif : beaucoup de femmes refusent de se voir imposer un appariement des gamètes par les centres de dons, et préfèrent avoir la possibilité de choisir leur donneur en particulier.</p>
<p>L’<a href="https://www.dondespermatozoides.fr/vos-questions/les-couples-peuvent-ils-choisir-les-spermatozoides-quils-vont-recevoir-peuvent-ils-connaitre-certaines-caracteristiques-du-donneur-notamment-sa-couleur-de-peau/">appariement (sous-entendu « appariement des caractères phénotypiques »</a>, autrement dit de l’apparence physique) consiste à attribuer les gamètes d’un donneur dont les caractéristiques (couleur de peau ou groupe sanguin, par exemple) sont les plus proches possibles de celle du couple receveur.</p>
<p>En France, cet appariement est la norme, mais il se pratique sans encadrement légal ni accord des receveurs, qui n’en sont pas forcément informés et ne peuvent pas s’y opposer (l’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements_alt/4222/AN/957">amendement n°957</a> proposant que l’appariement ne puisse se faire qu’avec l’accord des parents a été rejeté par l’Assemblée nationale). Partant, cette pratique pénalise lourdement certains receveurs d’origines ethniques pour lesquelles les donneurs sont rares, en leur imposant des délais d’attente particulièrement longs. Ces derniers, qui sont au minimum d’un an (dans le cas de receveurs d’origine caucasienne), peuvent s’allonger de plusieurs années, jusqu’à atteindre 5 ans dans certains centres pour les receveurs non caucasiens, faute de donneurs.</p>
<p>Or, les règles en vigueur dans certains pays nordiques permettent aux couples concernés d’avoir leur mot à dire à propos de l’appariement : ils peuvent en effet consulter les caractéristiques physiques des donneurs et choisir les gamètes en fonction de ces critères. En France, une femme célibataire, blonde aux yeux bleus, se verra fournir des gamètes appariés, de telle sorte que son enfant soit blond aux yeux bleus. Dans les pays nordiques, elle pourrait décider d’avoir un enfant brun aux yeux sombres. Cette possibilité de choix constitue une motivation pour réaliser une AMP à l’étranger.</p>
<p>La démarche d’appariement, à l’origine justifiée par la volonté d’entretenir le secret de l’AMP, y compris vis-à-vis de l’enfant, demeure-t-elle justifiée aujourd’hui ? La question se pose.</p>
<h2>Élargir les possibilités de prise en charge</h2>
<p>Certaines femmes souhaitent recourir à la technique de la ROPA (réception de l’ovocyte par la partenaire), par laquelle une des deux mères porte un embryon conçu grâce à l’ovocyte de sa partenaire, suite à un don de sperme. Il paraissait logique à la communauté médicale que, dans un pays où le don d’ovocytes était légal, l’ouverture du don de sperme pour les femmes en couple ou célibataires puisse donner accès à cette technique (qui ouvre également la possibilité d’une filiation génétique pour les hommes transgenres). Mais le législateur en a décidé autrement, arguant qu’une telle possibilité de don partagé s’opposerait au principe d’anonymat entre donneurs et receveurs (que le droit d’accès aux origines n’a d’aucune façon impacté).</p>
<p>Sans entrer dans les méandres d’un débat complexe, relevons que la ROPA apporterait une autre solution que le don d’ovocytes dans l’hypothèse où la femme s’apprêtant à porter l’enfant du couple souffrirait d’une déficience ovocytaire.</p>
<p>Devant cette situation plus que difficile, tant pour les femmes que pour les centres d’AMP qui pratiquent le don de sperme, il est urgent d’élargir les possibilités de prise en charge. Une évolution en ce sens passera inéluctablement par une refonte du système du don de gamètes, qui doit être autorisé pour l’ensemble des centres d’AMP désirant le mettre en place, publics comme privés.</p>
<p>L’accès à la parenté attendu de longue date par les couples de femmes et les femmes non mariées est aujourd’hui légalement admis. Mais l’existence de la loi ne suffit pas : encore faut-il que ses conditions d’application lui permettent d’atteindre ses objectifs, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170438/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes (la « PMA pour toutes ») a constitué une évolution majeure de la loi de bioéthique. Mais sa mise en œuvre est à la peine.Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Sorbonne Paris NordMichael Grynberg, PU-PH, chercheur au sein de l’équipe physiologie de l’Axe Gonadotrope - U1133 INSERM, chef du service de médecine de la reproduction et préservation de la fertilité - hôpital Jean Verdier, AP-HPLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1754052022-03-14T19:01:33Z2022-03-14T19:01:33ZEffets du paracétamol chez les femmes enceintes : pourquoi sont-ils si difficiles à évaluer ?<p>On sait aujourd’hui que certaines des molécules chimiques produites par l’industrie peuvent se retrouver dans l’environnement et exercer une influence sur notre santé, en perturbant notamment notre système hormonal. L’exposition à ces « perturbateurs endocriniens » est particulièrement préoccupante pendant la grossesse, car elle peut avoir des conséquences pour la santé du futur nouveau-né.</p>
<p>Depuis cette prise de conscience, les scientifiques ont redoublé d’efforts pour analyser les effets de milliers de composés chimiques auxquels nous pouvons être exposés involontairement. Au début des années 2010, cette mobilisation a permis de mettre en évidence que l’usage de médicaments, qui s’est accru au fil des dernières décennies, constitue aussi une <a href="https://www.nature.com/articles/nrendo.2016.55">source d’exposition à divers perturbateurs endocriniens</a> pour les femmes enceintes.</p>
<p>L’un des médicaments les plus consommés est le paracétamol, présent dans presque toutes les armoires à pharmacie et autres sacs à main. Ce constat a conduit les chercheurs à s’interroger : le paracétamol peut-il engendrer des effets à long terme sur les individus exposés <em>in utero</em> ? Si tel est le cas, doit-il être considéré comme un perturbateur endocrinien ?</p>
<p>En septembre 2021, après dix ans de recherches, un groupe de scientifiques ayant contribué à répondre à ces questions a publié un <a href="https://www.nature.com/articles/s41574-021-00553-7">manifeste</a> appelant à la prudence quant à l’utilisation de paracétamol pendant la grossesse.</p>
<p>Cette prise de position a soulevé de vives <a href="https://www.nature.com/articles/s41574-021-00605-y">réactions</a> et <a href="https://www.nature.com/articles/s41574-021-00606-x">critiques</a>. Pourquoi, et que sait-on précisément aujourd’hui des effets du paracétamol ?</p>
<h2>Les limites des études de population</h2>
<p>Pendant dix ans, de nombreuses études épidémiologiques ont été menées pour évaluer si une exposition au paracétamol pendant la vie intra-utérine pouvait avoir un effet sur la santé de l’enfant.</p>
<p>Ces études impliquent d’une part de caractériser l’exposition des femmes (par exemple via des questionnaires qu’elles remplissent, ou par l’utilisation des bases de données des prescriptions de l’assurance maladie) et, d’autre part, d’évaluer les effets sur l’enfant (grâce à des examens cliniques spécifiques ou l’analyse des registres de malformations). Afin que les analyses statistiques mises en œuvre pour exploiter les données soient solides, ce type d’études épidémiologiques nécessitent de collecter de grandes quantités d’informations provenant de nombreuses femmes et enfants. Il faut donc disposer de cohortes de grande taille.</p>
<p>Dans le cas du paracétamol, les chercheurs se sont plus particulièrement focalisés sur les effets potentiels de ce médicament sur le système nerveux, en analysant par exemple les troubles du comportement et de l’attention, sur le système respiratoire, en évaluant l’existence d’asthme ou de sifflement respiratoire, ou sur le système reproducteur, en effectuant le suivi d’éventuelles malformations congénitales. Globalement, quel que soit le critère, il n’y a pas eu de consensus sur une éventuelle association entre l’exposition au paracétamol et un effet.</p>
<p>Certains ont par ailleurs exprimé des réticences vis-à-vis des études de populations. Parmi les critiques, il a notamment été souligné que si elles ont permis de connaître le pourcentage de femmes ayant pris au moins une fois du paracétamol durant leur grossesse, la plupart du temps ces études ne renseignent ni sur la durée des prises, ni sur la dose ou sur le trimestre durant lequel le médicament a été pris (ce qui peut affecter l’évaluation des risques). Ces études ne permettent donc pas de distinguer les expositions ponctuelles, par exemple dans le cas du traitement d’une migraine, d’expositions plus prolongées, d’une à deux semaines ou davantage.</p>
<p>À long terme, les répercussions directes d’une exposition au paracétamol <em>in utero</em> sont également difficiles à évaluer. En effet, le fœtus, puis l’enfant sont exposés à bien d’autres produits chimiques durant leur existence. Une autre critique est qu’au-delà des facteurs environnementaux, les autres paramètres, comme le bagage génétique, ne sont pas systématiquement utilisés comme facteur de correction.</p>
<p>Enfin, les méthodes utilisées (questionnaires, critères cliniques d’évaluation…) peuvent différer d’une étude à l’autre, ce qui ne facilite pas leur comparaison dans les <a href="https://academic.oup.com/humrep/article/32/5/1118/3063375">méta-analyses</a> (approches statistiques visant à synthétiser les résultats d’études indépendantes menées sur un sujet de recherche donné). Résultat : ces dernières n’ont pas toujours permis d’aboutir à une conclusion tranchée.</p>
<p>Davantage d’études de comportement sont donc nécessaires pour étayer les résultats de ces travaux : plus fines et détaillées, faisant appel à des questionnaires ciblés plutôt que généraux, elles devront prendre en considération à la fois la prescription et l’automédication, les doses, la durée et la période d’exposition.</p>
<h2>Les modèles expérimentaux</h2>
<p>Puisqu’il n’est pas possible d’obtenir des informations directes sur les expositions <em>in vivo</em> d’un point de vue éthique (on ne peut bien évidemment pas prendre le risque de rendre sciemment malade des participants à une étude), des études expérimentales ont été utilisées pour compléter les études épidémiologiques.</p>
<p>Ce type de travaux vise à évaluer non seulement les effets directs du paracétamol, son mode d’action, mais aussi ses effets à long terme en recourant à des modèles variés : cultures de cellules, animaux de laboratoire, voire, pour se situer au plus près des organes suspectés être la cible du composé étudié, des fragments de tissus fœtaux humains (obtenus suite à des interruptions volontaires de grossesse).</p>
<p>Mais le problème est que, là encore, les pièces du puzzle ne s’assemblent pas vraiment pour le moment, puisqu’il n’existe pas de modèle unique et parfait, quel que soit l’organe d’intérêt considéré. Les nombreuses études existantes, parfois anciennes, menées sur de nombreux modèles différents, n’ont pas forcément permis de dégager des données cohérentes et reproductibles.</p>
<p>Les modèles cellulaires souffrent de l’absence de lignées fœtales, voire même de lignées appropriées. Par exemple, le modèle validé pour <a href="https://www.oecd.org/fr/publications/essai-n-456-essai-de-steroidogenese-h295r-9789264122802-fr.htm">tester les effets</a> de composés chimiques sur la production d’hormones par le testicule est basé sur une lignée de cellules cancéreuses des glandes surrénales adultes.</p>
<p>Les modèles animaux utilisés sont des rongeurs. S’ils permettent des études sur les effets à long terme, l’extrapolation des données de l’animal à l’humain reste délicate, particulièrement dans le cas du paracétamol puisque la capacité de détoxification de ce médicament par l’organisme varie beaucoup <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1046/j.1365-2885.2001.00366.x">d’une espèce à l’autre</a>.</p>
<p>Limités aux tissus de gonades (ovaires et testicules) et de rein fœtaux humains, les fragments de tissus peuvent être cultivés (cultures dites « organotypiques ») ou greffés sur des souris receveuses (immunodéprimées pour éviter le rejet de cette greffe provenant d’une autre espèce, ou <a href="https://theconversation.com/greffe-dun-coeur-de-porc-chez-un-patient-ce-que-pourraient-changer-les-xenotransplantations-175234">xénogreffe</a>) et être exposés à des produits chimiques. Mais chacun de ces modèles a ses limites.</p>
<p>Ainsi, les cultures organotypiques durent seulement une à deux semaines. Lorsque l’on constate qu’une exposition au paracétamol entraîne une diminution de 20 % du nombre de cellules germinales ovariennes, il est difficile de connaître les effets à long terme de cet effet, puisque l’expérimentation ne dure que quelques jours et que les cellules germinales se multiplient pendant plusieurs semaines à ce moment du développement fœtal.</p>
<p>Utiliser une même approche ne garantit pas non plus toujours la reproductibilité des résultats : si certaines études ont montré une <a href="https://www.science.org/doi/abs/10.1126/scitranslmed.aaa4097">inhibition de la production de testostérone par le testicule fœtal</a>, d’autres n’ont rapporté <a href="https://academic.oup.com/jcem/article/98/11/E1757/2834532">aucun effet sur cette hormone</a>.</p>
<p>Les greffes reproduisent au mieux la croissance et la vascularisation de l’organe et permettent des études plus longues, mais elles sont quant à elles limitées par les différences de métabolisation des médicaments entre la souris et l’être humain.</p>
<p>Autre limitation : si la toxicité du paracétamol est très bien décrite sur le foie et le rein adultes, sur d’autres organes, notamment fœtaux, les mécanismes de perturbation endocrinienne ne sont pas forcément distingués de la toxicité de la molécule sur les cellules. Ainsi, notre équipe a montré que dans l’ovaire fœtal humain, le paracétamol induit non seulement une relative toxicité sur les cellules germinales, mais aussi une altération de sa <a href="https://academic.oup.com/jcem/advance-article/doi/10.1210/clinem/dgac080/6526955">capacité à produire de l’œstradiol</a>. Cependant, les impacts respectifs de telles perturbations (locales ou endocrines) sur le développement de l’organe ne sont pas encore connus.</p>
<p>Globalement, quel que soit le modèle, il reste encore de nombreuses parts d’ombre concernant les mécanismes moléculaires d’action du paracétamol sur les différents types de cellules qui composent l’organisme. Autrement dit, il n’existe pas pour l’instant de modèle expérimental parfait, capable de faire le lien entre les effets moléculaires immédiats, cellulaires, du paracétamol, et ses effets à long terme sur des organes ou fonctions humains.</p>
<h2>Débanaliser sans alarmer</h2>
<p>Invoquer le principe de précaution concernant le paracétamol n’est pas dénué de fondement. Cependant, les présomptions actuelles reposent sur un faisceau d’évidences scientifiques issues d’approches complémentaires qui doivent encore être consolidées.</p>
<p>Il est important d’informer et de sensibiliser les populations à risque, et de soutenir les efforts des agences réglementaires et autres associations pour débanaliser la consommation de paracétamol, <a href="https://ansm.sante.fr/dossiers-thematiques/medicaments-et-grossesse">notamment par les femmes enceintes</a>. Cependant, ces recherches en cours ne doivent pas faire naître un sentiment d’incertitude anxiogène, ou une culpabilité injustifiée chez les femmes enceintes.</p>
<p>Un risque pourrait être qu’elles se tournent vers des alternatives thérapeutiques moins sûres, telles que les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Dès le 6<sup>e</sup> mois de grossesse, ces médicaments peuvent en effet entraîner des problèmes graves chez le bébé (insuffisance cardiaque, rénale, et dans les cas extrêmes mort <em>in utero</em>). En cas de questions, médecins et pharmaciens restent les personnes de référence.</p>
<p>Remettre en question la balance bénéfice/risque d’un antalgique et antipyrétique aussi courant que le paracétamol s’avère être un exercice d’équilibriste compliqué, les autorités étant suspendues entre alarmisme et pragmatisme. Finalement, la règle d’or doit rester l’adage : « la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte nécessaire au soulagement des symptômes ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Séverine Mazaud-Guittot a reçu des financements de l'ANR et l'ANSM pour réaliser ses travaux de recherche. </span></em></p>Fin 2021, un groupe de scientifiques a publié un manifeste appelant à la prudence concernant l’utilisation de paracétamol pendant la grossesse. Faut-il s’en inquiéter ? Que sait-on précisément ?Séverine Mazaud-Guittot, Chargée de recherches Inserm, Biologie du développement, Toxicologie, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770782022-03-08T19:07:36Z2022-03-08T19:07:36ZLa sexualité des adolescents vivant avec le VIH au Sénégal, entre norme sociale et secret de famille<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/lafrique-region-du-monde-la-plus-touchee-par-le-vih-virus-responsable-du-sida_3738733.html">En Afrique</a>, les défaillances des programmes de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant pendant la grossesse conduisent à un nombre encore assez élevé de naissances d’enfants porteurs du VIH. Dans le même temps, avec la généralisation des programmes de traitement par les médicaments <a href="https://www.sidaction.org/glossaire/arv-antiretroviral#:%7E:text=M%C3%A9dicament%20indiqu%C3%A9%20pour%20traiter%20l,diff%C3%A9rentes%20%C3%A9tapes%20du%20cycle%20viral.">antirétroviraux</a> (ARV) et la prise en charge médicale précoce des enfants nés avec VIH, le nombre d’adolescents vivant avec le VIH augmente progressivement. Au Sénégal, les 13-19 ans représentent environ 36 % des 6 700 de moins de 20 ans vivant avec le VIH (estimations, <a href="https://www.unaids.org/sites/default/files/country/documents/SEN_2019_countryreport.pdf">Spectrum 2018</a>.</p>
<p>À l’adolescence, se pose pour eux – et leur famille – la question de l’entrée dans la sexualité : quelles sont les contraintes auxquelles les adolescents et leur famille doivent faire face ? De quels soutiens ou accompagnements peuvent-ils bénéficier pour gérer cette période délicate de leur vie ?</p>
<p>Une étude anthropologique, visant à <a href="https://transversalmag.fr/articles-vih-sida/1808-Echec-therapeutique-chez-les-0-19-ans-vers-une-meilleure-comprehension-de-ses-causes-en-milieu-rural">décrire et analyser les dimensions socioculturelles et organisationnelles</a> de la prise en charge médicale et sociale des enfants et adolescents vivant avec le VIH en milieu rural, a été réalisée au Sénégal en 2020–2021.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1465317054072905730"}"></div></p>
<p>Des enquêtes ont été effectuées dans 14 hôpitaux régionaux et centres de santé de 11 régions du Sénégal. Des entretiens et des observations ont concerné 85 enfants/adolescents VIH+, 92 parents/tuteurs et 47 acteurs de santé. L’entrée des adolescents dans la sexualité a fait l’objet d’une analyse spécifique.</p>
<h2>Histoire d’Amy</h2>
<p>(<em>Tous les prénoms sont fictifs et le récit anonymisé.</em>)</p>
<blockquote>
<p>« Amy est âgée de 22 ans, elle habite dans une commune très éloignée de la capitale (Dakar). Sa mère est décédée lorsqu’elle avait trois ans et elle a été élevée par Fatou, sa tante maternelle, elle-même mère de trois enfants. Une relation affective forte lie Amy et sa tutrice qui était très attachée à sa mère.</p>
<p>Amy est traitée par ARV depuis le plus jeune âge, sans connaître sa séropositivité. À 17 ans, elle a eu des périodes de révolte et de refus du traitement, et souhaitait connaître la nature de sa maladie. Sa tante craignait le choc de l’annonce et la divulgation de la maladie qu’elle avait toujours soigneusement cachée à son entourage. Seuls elle et son mari étaient informés. Après concertation avec l’assistante sociale du centre de santé où Amy est suivie, Fatou lui a révélé sa séropositivité.</p>
<p>Son observance au traitement ARV s’est améliorée après ces échanges. Dans l’année qui a suivi, la jeune fille est devenue plus coquette, et sortait souvent avec ses amies. Fatou était préoccupée pour l’avenir de sa nièce et à l’idée qu’elle puisse avoir des relations sexuelles. Elle s’est confiée à l’assistante sociale. Celle-ci lui a proposé de recevoir, le moment venu, le fiancé d’Amy, quand il serait question de mariage, afin de discuter avec lui.</p>
<p>Une année plus tard, Fatou découvre qu’Amy est enceinte. Cette grossesse déclenche un scandale familial qui contraint Amy à quitter la maison et à trouver refuge chez une cousine dans un village éloigné. Fatou s’est vu reprocher son manque de surveillance et la honte qui retombait sur la famille. Loin du centre de santé où elle était habituellement suivie, Amy n’a pas dit qu’elle était séropositive et a arrêté de prendre son traitement. Elle a accouché dans un dispensaire proche de son nouveau domicile. Trois mois après la naissance – alors qu’elle était revenue chez sa tante – un test a révélé que son enfant était séropositif. »</p>
</blockquote>
<p>L’histoire de Amy révèle un ensemble de contraintes qui déterminent la capacité des adolescents et de leur environnement familial à gérer l’entrée dans la sexualité.</p>
<h2>Les contraintes sociales</h2>
<p>Au Sénégal, la norme sociale dominante valorise la virginité avant le mariage, et érige l’abstinence des adolescents comme valeur morale cardinale. La sexualité hors mariage est réprouvée et la virginité des filles au mariage est promue comme un idéal ; la contrainte est moindre pour les garçons, à qui il est recommandé une simple tempérance.</p>
<p>L’usage de la contraception est socialement réservé aux couples mariés. Des drames liés à des avortements clandestins ou des infanticides font régulièrement la une des médias dans un contexte de criminalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Avortements et infanticides constituent le <a href="https://etatdedroitafrique.org/rapport-sur-la-situation-des-droits-des-femmes-dans-les-lieux-de-detention-au-senegal-haut-commissariat-des-nations-unies-aux-droits-de-lhomme/">premier motif d’incarcération</a> des femmes au Sénégal.</p>
<p>L’attitude des parents à l’égard des adolescents varie selon le sexe. Pour les filles, les grossesses hors mariage sont désapprouvées ou condamnées : elles jettent l’opprobre sur la fille et sa famille. Les chefs de famille en attribuent la responsabilité aux mères ou tutrices jugées coupables de n’avoir pas su « tenir leur fille ».</p>
<p>Ces grossesses sont souvent la cause de violentes tensions familiales dont la crainte explique les tentatives d’avortement. En milieu rural, le mariage précoce des filles est souvent considéré comme la meilleure solution pour se prémunir d’une grossesse fortuite. Pour les garçons, l’appel à la morale religieuse ou à la discrétion est la seule consigne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le calvaire des jeunes femmes célibataires au Sénégal, BBC Afrique, 4 septembre 2020.</span></figcaption>
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<p>La santé sexuelle des adolescents au Sénégal est une question sociale et de santé publique majeure : l’Enquête Démographique et de Santé de 2017 révélait que 19 % des femmes avaient eu leur première naissance avant l’âge de 18 ans, 8 % des femmes de 17 ans avaient commencé leur vie procréative (EDS 2017). Depuis plusieurs années, divers programmes de « santé de la reproduction » pour les adolescents sont développés à travers le pays.</p>
<p>Portés par le ministère de la Santé et le ministère de la Famille ou des ONG, ils diffusent des informations sous la forme de séries TV (ex. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jP5Esl_IKNw"><em>Positive</em></a> ; <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/C%27est_la_vie_!_(s%C3%A9rie_t%C3%A9l%C3%A9vis%C3%A9e)"><em>C’est la vie</em></a>), d’applications pour smartphone (<em><a href="http://www.ongraes.org/nos-programmes/sante-sexuelle-et-reproductive/kune/">Hello Ado</a>, Bibl CLV</em>), avec pour objectif la lutte contre les grossesses précoces – principales causes d’arrêt prématurées de la scolarité chez les jeunes filles –, les mariages précoces, les mutilations génitales féminines et les infections sexuellement transmises.</p>
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<p>Des « Club ados » ont été mis en place dans la capitale et les villes secondaires. Ces programmes sont régulièrement l’objet de critiques virulentes de la part d’acteurs sociaux, le plus souvent religieux, qui jugent leurs contenus non conformes aux traditions et aux valeurs morales. L’accès à ces programmes est bien souvent limité pour les adolescents en milieu rural, dont le niveau de vie ne permet pas de posséder un smartphone.</p>
<h2>Les contraintes liées au VIH</h2>
<p>Les représentations sociales péjoratives à l’égard du VIH/sida alimentent un autre registre de contraintes influençant l’entrée dans la sexualité. Dans les familles, la prise en charge des enfants et adolescents vivant avec le VIH est le plus souvent marquée par diverses formes de silence autour de la maladie. La préoccupation principale des parents ou des tuteurs est de maintenir le secret le plus absolu sur la maladie de l’enfant, car elle est révélatrice de celle de ses parents biologiques.</p>
<p>Lorsque l’enfant est orphelin de parents susceptibles d’être décédés du VIH, le silence des tuteurs sur ces événements est de mise. Pour la mère, remariée, d’un enfant séropositif, le risque de divulgation du statut de l’enfant est perçu comme une menace susceptible de détruire cette nouvelle union. La nature de la maladie est révélée à l’enfant le plus tardivement possible, de crainte qu’il ne dévoile sans discernement cette information dans l’entourage et le voisinage. Les parents souhaitent se protéger – et protéger l’enfant – contre les risques de stigmatisation et de discrimination.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tensions-et-dilemmes-autour-de-lannonce-de-la-maladie-aux-jeunes-adultes-vivant-avec-le-vih-au-senegal-172335">Tensions et dilemmes autour de l’annonce de la maladie aux jeunes adultes vivant avec le VIH au Sénégal</a>
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<p>Diverses stratégies sont mises en place pour préserver la confidentialité parmi les membres d’une même maisonnée ou dans la famille (les médicaments ou leur consommation sont cachés ; des prétextes sont trouvés pour justifier les fréquentes visites dans le centre de santé, etc.). L’arrivée d’un adolescent vivant avec le VIH dans l’âge du mariage et l’éventualité de son entrée dans la sexualité réactivent les craintes de ses parents ou de ses tuteurs. Ils sont partagés entre le désir que leur enfant puisse avoir une vie normale en respectant les convenances sociales à travers le mariage, et la peur qu’à cette occasion ne soit publiquement révélée l’existence de la maladie dans la famille.</p>
<h2>Les réponses des professionnels de santé et des acteurs de la prise en charge VIH</h2>
<p>En réponse aux exigences gouvernementales, de nombreux professionnels de santé, sur l’ensemble du pays, sont tenus de participer à la mise en œuvre de divers programmes en santé de la reproduction qui sont en principe ouverts aux adolescents. Notre enquête montre que nombre de professionnels désapprouvent les stratégies qui facilitent l’accès à la contraception des adolescents.</p>
<p>Pour des raisons morales personnelles ou par crainte d’être accusés de favoriser la sexualité hors mariage, beaucoup sont réfractaires à l’idée de délivrer une contraception pour des adolescents. <a href="https://www.seneweb.com/news/Societe/linguere-avortement-clandestin-une-eleve_n_366930.html">La criminalisation de l’interruption de grossesse</a> conduit certains à signaler à la gendarmerie les suspicions d’avortement volontaire afin de ne pas être poursuivis pour complicité.</p>
<p>Lorsque les questions de la sexualité concernent des adolescents vivant avec le VIH, elles sont le plus souvent orientées vers le service social de la structure sanitaire : les assistants sociaux et les médiateurs en lien avec des associations de PVVIH. Ces acteurs ont un rôle central dans l’accompagnement des enfants et adolescents vivant avec le VIH ; ce sont souvent eux qui connaissent le mieux l’histoire de la maladie des enfants et adolescents, qui les conseillent et tentent de renforcer leur adhésion au suivi médical.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IIDIBoxvgxw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour renforcer la motivation à prendre le traitement ARV, toujours aussi contraignant, ils rappellent fréquemment « qu’avec les ARV on peut vivre normalement, se marier et avoir des enfants […] ; on n’est pas obligé de dire que l’on est malade ». S’ils abordent ainsi de manière lapidaire la question de la sexualité, il est rare qu’ils développent ce sujet. Pour eux aussi, la sexualité n’est envisagée que dans le cadre matrimonial : ils promeuvent l’abstinence avant le mariage – qu’ils préconisent le plus tard possible – et suggèrent aux parents et aux adolescents de revenir « quand ce sera le moment ».</p>
<p>Cette attitude qui consiste à différer la réponse traduit les difficultés des acteurs de santé à proposer des solutions en adéquation à la fois avec leurs valeurs morales et avec les besoins des jeunes générations. Lorsque l’éventualité d’un mariage se précise, certains médiateurs proposent diverses stratégies pour informer le futur conjoint : réalisation d’un dépistage du VIH aux deux prétendants, puis annonce de la séropositivité avec mise en garde de menaces juridiques en cas de divulgation du diagnostic.</p>
<p>Dans certaines associations de PVVIH, des médiateurs jouent un rôle d’entremetteur en facilitant l’identification d’un conjoint parmi les membres VIH+ de l’association, favorisant ainsi une sorte d’endogamie sérologique qui garantira la préservation du secret autour de la maladie.</p>
<p>En dehors des grands centres urbains, les adolescents ont un accès très limité, voire inexistant, aux informations sur la sexualité et aux moyens contraceptifs. Le nombre élevé de grossesses chez des adolescentes est la conséquence des difficultés de prise en compte des besoins de cette classe d’âge.</p>
<p>Les adolescents vivant avec le VIH sont confrontés au silence imposé sur la maladie et au déni de leur sexualité. Une approche individualisée, centrée sur leurs besoins, devrait être promue, notamment à travers un accès confidentiel aux contraceptifs. Cette approche pourrait être portée par les associations de PVVIH, dont le développement des compétences permettrait d’accompagner les adolescents dans cette étape cruciale de leur vie.</p>
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<p><em>Cet article est issu de l’étude « L’échec thérapeutique chez les enfants et adolescents vivant avec le VIH en contexte décentralisé au Sénégal, approche anthropologique » (ETEA-VIH, ANRS 12421) réalisée par l’équipe de recherche : Alioune Diagne, Halimatou Diallo, Maimouna Diop, Seynabou Diop, Fatoumata Hane, Ndeye Ngone Have, Oumou Kantom Fall, Ndeye Bineta Ndiaye Coulibaly, Gabrièle Laborde-Balen, Khoudia Sow, Bernard Taverne</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au Sénégal, une étude anthropologique analyse les contraintes sociales auxquelles sont confrontés les adolescents vivant avec le VIH au moment de leur entrée dans la sexualité.Maimouna Diop, Doctorante en santé communautaire, Université de Bambey (Sénégal), assistante de recherche au Centre régional de recherche et de formation à la prise en charge clinique de Fann -- CRCF, CHNU Fann, Dakar (Sénégal), Université Alioune Diop de BambeyBernard Taverne, Anthropologue, médecin, Institut de recherche pour le développement (IRD)Gabriele Laborde-Balen, Anthropologue, Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge Clinique de Fann (CRCF, Dakar), Institut de recherche pour le développement (IRD)Khoudia Sow, Chercheuse en anthropologie de la santé (CRCF)/TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744282022-02-15T14:32:58Z2022-02-15T14:32:58ZEn Amérique latine, les avortements, mais aussi les fausses couches sont passibles d’une peine de prison<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/440155/original/file-20220111-13-8e0arm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4013%2C3011&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Graffiti sur un bâtiment : « Les riches avortent, les pauvres meurent. »
</span> <span class="attribution"><span class="source">(Megan Rivers-Moore)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Georgina et moi buvons un café par une soirée d’hiver pluvieuse à San José, au Costa Rica. Elle me parle de son avortement : « Quand ça a été fini, j’ai ressenti beaucoup de choses… mais le sentiment le plus fort était le soulagement. J’étais tellement soulagée que ce soit terminé et que je ne sois plus enceinte. J’étais tellement soulagée d’être en vie et de ne pas être enceinte. »</p>
<p>L’avortement est criminalisé dans toute l’Amérique latine, mais les <a href="https://www.reuters.com/article/us-latam-women-rights-factbox-idUSKBN1KU29E">pays d’Amérique centrale</a> ont des lois sur l’avortement parmi les plus strictes au monde. Le Salvador est particulièrement réputé pour son interdiction de l’avortement dans toutes les situations pour ses peines de prison en cas d’infraction — on peut même aller en prison pour une <a href="https://theconversation.com/el-salvadors-abortion-ban-jails-women-for-miscarriages-and-stillbirths-now-one-womans-family-seeks-international-justice-156484">fausse couche ou l’accouchement d’un enfant mort-né</a>.</p>
<p>Malgré la sévérité des lois en Amérique latine, on estime que <a href="https://www.guttmacher.org/sites/default/files/factsheet/ib_aww-latin-america.pdf">6,5 millions d’avortements</a> s’y déroulent chaque année et qu’au moins <a href="http://dx.doi.org/10.1136/bmjgh-2021-005618">10 % des morts maternelles</a> pourraient être causées par des avortements exécutés dans des conditions dangereuses.</p>
<p>À l’heure où les débats sur l’avortement s’enflamment à nouveau aux États-Unis, avec <a href="https://www.texastribune.org/2021/12/16/texas-abortion-law-legal-fight/">l’interdiction presque totale des avortements</a> en vigueur depuis septembre au Texas et les audiences de la Cour suprême <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2021-12-01/loi-du-mississippi/la-cour-supreme-tentee-de-restreindre-le-droit-a-l-avortement.php">qui remettent en cause l’arrêt « Roe c. Wade</a> », il est bon de s’intéresser aux luttes acharnées sur l’avortement dans d’autres parties du monde où, comme aux États-Unis, la religion joue un rôle central dans la politique et la vie publique.</p>
<h2>Un « crime contre la vie »</h2>
<p>Au Costa Rica, où je fais des recherches sur le genre et la sexualité depuis seize ans, les lois sur l’avortement ne sont pas aussi restrictives. Le Costa Rica a toutefois le triste privilège d’être un des <a href="https://ticotimes.net/2017/05/03/forever-ever-amen-costa-rica-catholic-country">derniers États confessionnels du monde</a>.</p>
<p>Le pays a une religion d’État, le catholicisme, ce qui signifie que l’Église catholique joue un rôle important dans des institutions publiques telles que les écoles et les hôpitaux. L’Église intervient régulièrement dans des débats publics autour de diverses questions — comme la <a href="https://doi.org/10.1038/536274c">fécondation in vitro</a>, <a href="https://thecostaricanews.com/costa-rica-debates-passive-euthanasia-for-epidemic-diseases/">l’euthanasie</a>, le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/mariage-pour-tous-le-costa-rica-celebre-ses-toutes-premieres-unions-homosexuelles">mariage homosexuel</a> et <a href="https://www.amnesty.fr/pays/costa-rica">l’avortement</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="une femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Ni morte ni en prison" src="https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438563/original/file-20211220-17-144b4gi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À Mexico, le 28 septembre 2021, une femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Ni morte ni en prison « , en espagnol, lors d’une manifestation pour le droit à l’avortement à l’occasion de la Journée pour la dépénalisation de l’avortement en Amérique latine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ginnette Riquelme)</span></span>
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<p>Le code pénal du Costa Rica de 1970 <a href="http://repositorio.ciem.ucr.ac.cr/bitstream/123456789/335/1/RCIEM299.pdf">criminalise l’avortement en tant que « crime contre la vie »</a>. Les peines de prison vont de six mois à trois ans pour avoir subi un avortement, et de six mois à dix ans pour avoir pratiqué ou aidé à obtenir un avortement.</p>
<p>Ce que l’on appelle <a href="https://www.aboutkidshealth.ca/fr/Article?contentid=385&language=French#:%7E:text=On%20recourt%20%C3%A0%20l%E2%80%99avortement,avortements%20proc%C3%A8dent%20de%20choix%20personnels.">l’avortement thérapeutique</a>, ou avortement destiné à sauver la vie ou la santé d’une personne enceinte, n’est pas criminalisé, mais demeure rare. Il a fallu une décision de la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour obliger le pays à établir enfin des directives relatives à l’avortement thérapeutique, mais celles-ci comportent des <a href="https://ticotimes.net/2020/12/05/health-ministry-approves-protocols-for-therapeutic-abortions-in-costa-rica">restrictions nombreuses et complexes</a>.</p>
<h2>Recherches sur l’avortement au Costa Rica</h2>
<p>Il est largement admis que la <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/abortion-rates-don-t-drop-when-procedure-outlawed-it-does-ncna1235174">criminalisation de l’avortement ne rend pas celui-ci moins fréquent</a>, mais seulement plus risqué. Le peu de recherches qui existent sur l’avortement au Costa Rica sont très anciennes. Les militantes s’appuient principalement sur une <a href="https://adiariocr.com/nacionales/las-estadisticas-en-la-legalizacion-del-aborto/">étude de 2007</a> selon laquelle 27 000 avortements sont pratiqués chaque année dans ce pays.</p>
<p>Au cours des trois dernières années, j’ai interviewé des personnes qui ont subi des <a href="https://www.theatlantic.com/health/archive/2018/10/how-many-women-die-illegal-abortions/572638/">avortements clandestins</a> au Costa Rica. Pour certaines, c’était il y a 20 ans, pour d’autres, comme Georgina, la semaine précédant mon entretien.</p>
<p>Jusqu’ici, l’un des constats les plus marquants de mes recherches est l’énorme changement qui s’est produit avec le recours à l’avortement par médicaments.</p>
<p>J’ai interviewé Emma, une avocate, à son travail.</p>
<blockquote>
<p>Je me suis rendu compte que j’étais enceinte en 1996 et je suis allée voir un gynécologue dont tout le monde savait qu’il pratiquait des avortements. C’était une clinique privée huppée à Los Yoses. Il m’a dit : “Je ne peux pas vous faire d’anesthésie générale, alors vous allez devoir rester immobile. Si vous bougez et que je perfore votre utérus, vous finirez à l’hôpital et ensuite, on va se retrouver tous les deux en prison.” Ce n’est plus comme ça, Dieu merci. Maintenant, il suffit de prendre des pilules, c’est tellement plus facile.</p>
</blockquote>
<p>Emma a raison, l’avortement est en pleine transformation au Costa Rica et en Amérique latine. Des réseaux de bénévoles aident les personnes enceintes à accéder de diverses manières à la mifépristone et au misoprostol (des pilules abortives), ce qui entraîne une <a href="http://dx.doi.org/10.1136/bmjgh-2021-005618">réduction significative des complications</a>.</p>
<p>Des jeunes femmes ayant subi un avortement m’ont récemment fait part de leur profonde gratitude envers les étrangers qui les ont aidées. Xiomara, une étudiante universitaire de 22 ans, a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>J’ai payé un peu plus pour les pilules, parce que j’en avais les moyens. On sait qu’ils ne les refuseront pas à quiconque en a besoin, même si la personne n’a pas assez d’argent. J’étais si heureuse de savoir que je ne serais plus enceinte. Cela signifiait tellement pour moi que des personnes que je n’avais jamais rencontrées m’aident à mettre fin à ma grossesse, que j’ai payé un supplément pour que cela aide à financer l’avortement de quelqu’un d’autre.</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme portant du vert pleure" src="https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438565/original/file-20211220-50043-dct0a1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 30 décembre 2020, des militantes pour le droit à l’avortement réagissent après l’approbation d’un projet de loi qui légalise l’avortement, à l’extérieur du congrès à Buenos Aires, en Argentine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Natacha Pisarenko)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Accoucher quoi qu’il arrive</h2>
<p>Toutes les personnes que j’ai interrogées au sujet de leur avortement clandestin se sont dites soulagées de ne plus être enceintes et ont exprimé de la gratitude envers le réseau d’étrangers qui a rendu cela possible.</p>
<p>Au cours des débats sur les <a href="http://www.pgrweb.go.cr/scij/Busqueda/Normativa/Normas/nrm_texto_completo.aspx?param1=NRTC&nValor1=1&nValor2=90270&nValor3=0&strTipM=TC">directives techniques</a> relatives à l’avortement thérapeutique, il est apparu clairement que de nombreuses personnes étaient convaincues qu’on devait laisser des femmes enceintes mourir plutôt que de leur offrir un avortement sûr.</p>
<p>Quand j’ai interviewé Paola Vega, députée au parlement du Costa Rica et l’une des trois seuls élus ouvertement pro-choix, elle a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>Tout le débat s’est radicalisé. Les gens disent que si une femme est en train de mourir pendant un accouchement, elle doit donner naissance, quoi qu’il arrive, parce que c’est la volonté de Dieu. Elle doit accoucher, et si elle meurt et si le bébé meurt, eh bien, c’est la volonté de Dieu. Tout ce débat a tellement empiré, c’est devenu tellement radical.</p>
</blockquote>
<h2>Un mouvement de jeunes</h2>
<p>Le <a href="https://www.reuters.com/article/us-abortion-latam-feature-idUSKBN28B4S8">nouveau mouvement militant de jeunes</a> qui, dans toute l’Amérique latine, ont renouvelé leurs demandes d’accès à un avortement sûr, légal et gratuit, a apporté un nouvel espoir et une nouvelle énergie.</p>
<p>De jeunes féministes, qui ont souvent pour slogan « Educación sexual para decidir, anticonceptivos para no abortar, aborto legal para no morir » (éducation sexuelle pour pouvoir choisir, contraceptifs pour ne pas avoir à avorter, avorter légalement pour ne pas mourir), sont au premier plan <a href="https://www.hrw.org/news/2021/11/01/how-latin-american-women-can-keep-fighting-abortion-rights-and-win">d’un vaste mouvement en pleine expansion</a> qui utilise un langage inclusif et accueille toute personne ayant un utérus.</p>
<p>Encouragées par les médias sociaux qui ont permis de <a href="https://www.instagram.com/AbortolegalCostaRica/">partager l’information en temps réel</a>, des militantes de toute l’Amérique latine ont célébré des succès tels que la <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2020-12-30/la-legalisation-de-l-avortement-adoptee-en-argentine.php">légalisation complète de l’avortement en Argentine en 2020</a> et s’en sont nourries.</p>
<p>Au Costa Rica, les <a href="https://qcostarica.com/diamante-mayors-suspended-for-six-months/">scandales de corruption</a> et la <a href="https://qcostarica.com/could-there-be-another-pandemic-wave-in-costa-rica/">pandémie</a> ont détourné l’attention de la question de l’avortement, mais à l’approche des élections de février, on a interrogé tous les candidats à la présidence <a href="https://comparador.delfino.cr/comparador-politico?ids=jos-mara-villalta-flrez-estrada">au sujet de leur position sur le sujet</a>, ce qui place la question à l’ordre du jour politique comme jamais auparavant.</p>
<p>Pendant ce temps, des personnes comme Mariana continueront de recourir à des avortements clandestins :</p>
<blockquote>
<p>La personne qui m’a donné les pilules m’a dit que je devais les prendre avec quelqu’un à mes côtés. Mais je ne pouvais pas le dire, je ne voulais pas que mon copain le sache, alors j’ai pris les pilules seule. Mais vous savez quoi ? Quelqu’un m’a appelée, je ne sais pas qui c’était, une bénévole, j’imagine. Elle a appelé et est restée au téléphone avec moi pendant un long moment, puis m’a rappelé plusieurs fois pour prendre de mes nouvelles. Je n’étais donc pas seule. Et j’ai ressenti beaucoup d’amour de la part de cette inconnue au téléphone, je n’étais pas seule.</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/174428/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Megan Rivers-Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les débats sur l’avortement s’enflamment aux États-Unis, des luttes acharnées sur l’avortement ont lieu dans des pays où la religion joue un rôle clé dans la politique et la vie publique.Megan Rivers-Moore, Associate Professor, Women's and Gender Studies, Carleton UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744972022-01-27T19:21:44Z2022-01-27T19:21:44ZSûreté des médicaments : les conséquences durables du scandale du diéthylstilbestrol<p>En 2020, alors que la crise sanitaire due au Covid-19 faisait rage, l’écrivaine Marie Darrieussecq, confinée, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/04/13/marie-darrieussecq-confinee-un-an-et-demi-dans-mon-lit_6036441_3260.html">décrivait ses trois éprouvantes grossesses passées allongées</a>. Au-dessus d’elle avait pesé une lourde épée de Damoclès : un risque de fausse couche plus élevé. La cause de cette situation était à chercher du côté d’une autre crise sanitaire, plus ancienne : celle du Distilbène®, l’une des appellations commerciales du diéthylstilbestrol.</p>
<p>Découverte en 1938, cette hormone de synthèse a été largement utilisée partout dans le monde pendant plusieurs décennies, en raison de son bas coût de production et parce qu’elle n’était protégée par aucun brevet. Ses indications étaient variées : atténuation des symptômes de la ménopause ; blocage de la lactation ; « pilule du lendemain » ; traitement des dysfonctionnements menstruels ; ou encore limitation des risques de complications de grossesse tels que les accouchements prématurés ou fausses couches. </p>
<p>Des années 1950 aux années 1980, le diéthylstilbestrol aurait ainsi été prescrit à des dizaines de milliers de Françaises. Pourtant, les premiers doutes quant à son efficacité avaient émergé dès 1953. Pire, son innocuité était clairement remise en question dès 1971. À cette date, des chercheurs américains avaient déjà mis en évidence un risque accru de cancer du vagin chez les jeunes femmes dont les mères avaient pris du diéthylstilbestrol lorsqu’elles étaient enceintes. </p>
<p>On sait aujourd’hui que l’exposition à cette substance durant la grossesse a de nombreuses conséquences délétères sur la santé des enfants à naître. Plus grave encore : ces conséquences, qui concernent non seulement les femmes, mais aussi les hommes, s’étendraient sur plusieurs générations. Pourtant, la France a mis plusieurs années à contre-indiquer l’emploi du diéthylstilbestrol chez les femmes enceintes.</p>
<p>Études d’évaluation des risques mal conçues, absence de système de surveillance efficace, retard dans la prise en compte des résultats scientifiques les plus récents, inertie des pouvoirs publics, etc. Retour sur un scandale sanitaire majeur qui a mené à la mise en place d’un système de pharmacovigilance plus performant dont nous bénéficions aujourd’hui. Mais à quel prix ?</p>
<h2>Une des premières hormones de synthèse agissant comme les œstrogènes</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Représentation 3D d’une molécule de diéthylstilbestrol.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Diethylstilbestrol_molecule_ball.png">Medgirl131 / Wikimedia Commons</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le diéthylstilbestrol (DES) fut synthétisé pour la première fois <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1938Natur.141..247D/abstract">en 1938</a> par le chercheur britannique Edward Charles Dodds et ses collaborateurs. Appartenant à la famille chimique des œstrogènes, des hormones naturelles, il possède des similitudes d’activité avec elles sur de nombreux tissus de l’organisme, tout en étant <a href="https://academic.oup.com/endo/article/138/3/863/2987391">bien plus puissant</a>. </p>
<p>À cette époque, aux États-Unis, il était déjà nécessaire de prouver qu’un médicament n’était pas nocif avant de le mettre sur le marché. Or, l’autorisation de commercialisation du DES avait été initialement été refusée. Des études scientifiques de l’époque montraient en effet que son administration ou celle de substances similaires entraînait des effets néfastes aussi bien chez <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14933079/">les humains</a> que chez <a href="https://rupress.org/jem/article-pdf/88/3/373/1183960/373.pdf">les animaux</a>.</p>
<p>La molécule a pourtant été utilisée en 1941 pour traiter les carences en œstrogènes retrouvées, par exemple, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20286640/">au cours de la ménopause</a>, tout en étant contre-indiquée chez la femme enceinte. La situation change en 1947, lorsque la Food and Drug Administration (FDA), en charge de la commercialisation des médicaments, autorise la mise sur le marché du diéthylstilbestrol pour prévenir les complications de grossesse, surtout pour la prévention des fausses couches en cas d’antécédent, de menace ou de baisse des hormones dans les urines. Le pic des prescriptions de DES aux États-Unis se situe aux alentours <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">des années 1950 à 1954</a>. Assez rapidement, cependant, les premiers doutes quant à son efficacité réelle ont émergé.</p>
<h2>Des études mal conçues</h2>
<p>L’autorisation de la FDA survient dans un contexte <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-3-page-47.htm">d’engouement médical pour les œstrogènes</a>. On pense alors que les fausses couches sont la conséquence d’une sécrétion insuffisante d’hormones par le placenta, et le DES permettrait de la corriger.</p>
<p>Cette hypothèse, qui s’est avérée fausse (on sait aujourd’hui que la baisse du taux d’œstrogène n’est pas à l’origine de la fausse couche, mais en est la manifestation), était à l’époque soutenue par les études des scientifiques George V. Smith et Olive Watkins Smith. Problème : leurs travaux, <a href="https://www.ajog.org/article/S0002-9378(99)70409-6/fulltext">publiés en 1948</a> et <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15392965/">en 1949</a>, comportaient plusieurs erreurs méthodologiques, telles qu’une absence de groupe témoin ou de tirage au sort (ou randomisation) des participantes, ainsi que l’absence d’administration d’une molécule sans effet thérapeutique (ou placebo).</p>
<p>En réalité, le DES s’est avéré inefficace pour diminuer le risque de fausses couches. Les premiers doutes à ce sujet émergent en 1953, lorsque Walter J. Dieckmann et ses collaborateurs constatent que son administration <a href="https://doi.org/10.1016/S0002-9378(16)38617-3">n’empêche pas les complications de grossesse</a>. </p>
<p>Mais ce n’est que près de vingt ans plus tard que les véritables conséquences de l’administration de cette molécule allaient être scientifiquement mises en évidence. Et elles vont bien au-delà du risque de fausse couche.</p>
<h2>Des effets délétères ignorés en France</h2>
<p>Interpellés par la survenue de cancers rares (adénocarcinome à cellules claires) du vagin chez plusieurs jeunes femmes dont les mères avaient pris du DES durant leurs grossesse, Arthur L. Herbst et ses collaborateurs ont entrepris une étude rétrospective sur le sujet. Leurs résultats, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/5549830/">publiés en 1971</a>, ont révélé une augmentation de l’incidence de ces cancers. Ils ont amené la FDA à contre-indiquer ce médicament pour les femmes enceintes.</p>
<p>En France, la réaction des autorités sera plus tardive, notamment parce qu’il n’existait pas à l’époque de structure dédiée à la pharmacovigilance. En outre, nombre de professionnels français <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-3-page-47.htm#re3no3">sont restés sourds aux alertes américaines</a>, pourtant relayées par certains praticiens dès la publication des travaux d’Arthur Herbst. À partir de 1976, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1214039/">un an après la première description d’un cancer rare chez une jeune fille française</a>, le DES n’est plus indiqué pour la prévention des fausses couches en France et, un an plus tard, il est discrètement contre-indiqué pendant la grossesse dans un ouvrage médical français, le Dictionnaire Vidal. Ce n’est qu’en 1977 que le DES est interdit aux femmes enceintes, suite à la création d’une commission technique nationale de pharmacovigilance. </p>
<p>Mais la mesure de la situation n’était pas encore prise, comme allaient le prouver la lanceuse d’alerte <a href="https://scholar.google.fr/scholar?as_sdt=0%2C5&btnG&hl=fr&inst=12836345755951684912&q=UTERINE%20MALFORMATIONS%20IN%20DISTILBENE%20EXPOSED%20FEMALE%20OFFSPRINGS%20DURING%20UTERINE%20LIFE%20AND%20CONSEQUENCES%20ON%20FERTILITY">Anne Cabau</a> et les révélations du journal <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1983/02/16/trente-ans-apres-les-enfants-du-distilbene_3146364_1819218.html">« Le Monde »</a>, en 1983. À cette époque, la récente <a href="https://www.pharmacovigilance-bfc.fr/pharmacovigilance/historique/">Commission de la pharmacovigilance</a> semble surtout préoccupée par la gestion d’un éventuel <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-3-page-47.htm#re6no6">« affolement »</a>. S’il est un temps envisagé d’établir un registre des cancers rares (adénocarcinome à cellules claires), le projet ne verra finalement pas le jour. </p>
<p>(<em>En 1983, <a href="https://histoire.inserm.fr/les-femmes-et-les-hommes/alfred-spira">Alfred Spira</a>, de l’Institut national de la santé et de la recherche (Inserm), publie avec ses collaborateurs une étude évaluant à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/6361926/">200 000</a> le nombre de femmes traitées en France et <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007%2F978-2-287-73307-9_1">à 160 000 les naissances d’enfants exposés</a>. Ces estimations se basaient sur les chiffres de vente, ndlr</em>).</p>
<p>Aux États-Unis en revanche, Arthur Herbst a mis en place un registre international des cancers avec ou sans exposition au DES, après avoir publié ses résultats. Quelques années plus tard, <a href="https://diethylstilbestrol.co.uk/des-action-groups/">des associations de patients sont créées</a>, parmi lesquelles <a href="https://desaction.org/about-us/">« DES action USA »</a>, <a href="https://opengovca.com/corporation/1371193">« DES action Canada »</a> (aujourd’hui dissoute) et <a href="https://www-descentrum-nl.translate.goog/Missie,-visie-en-beleid?_x_tr_sl=nl&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp">« DES Centrum »</a> (Pays-Bas) à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ou encore « DANE 45 » en France, en 1986.
Elles contribueront à la mise en place de cohortes (groupes de personnes suivies dans le temps, présentant certaines caractéristiques) en vue d’étudier des effets du diéthylstilbestrol sur trois générations. Ces cohortes sont encore utilisées de nos jours pour les études scientifiques.</p>
<p>Au début des années 1990, aux États-Unis, l’institut national du cancer États-Unis lance de son côté une étude à l’échelle nationale afin de connaître les effets à long terme du DES pour les femmes traitées pendant leur grossesse (première génération) ainsi que pour la seconde génération (leurs enfants). Une autre cohorte a été créée au début des années 2000 afin d’évaluer les effets du DES sur les enfants des mères exposées durant la grossesse de leur mère (troisième génération).</p>
<p>Ces recherches sur les générations d’enfants nés de « mères Distilbène® » ont permis de mieux comprendre les effets délétères à long terme de l’exposition au DES.</p>
<h2>Des effets sur plusieurs générations de femmes</h2>
<p>Si l’exposition au DES n’est pas sans conséquence pour les mères traitées par cette molécule, chez qui elle augmente le risque de cancer (du sein notamment), c’est pour leurs enfants que les effets s’avèrent particulièrement délétères.</p>
<p>Outre la survenue plus fréquente de cancers normalement rares du vagin et du col de l’utérus observés chez les filles des femmes ayant pris du DES durant leur grossesse (seconde génération), d’autres anomalies de l’appareil génital féminin (adénose - une lésion bénigne de la muqueuse vaginale pouvant se transformer en cancer - malformations de l’utérus, etc.) ont également été découvertes. Certaines anomalies risquent de provoquer une infertilité ou des difficultés pour l’obtention d’une grossesse à terme. Pour ces femmes, le risque de grossesse extra-utérine (implantation de l’embryon en dehors de l’utérus), une source de complications, est multiplié par 10, celui de prématurité est multiplié par 2 à 3, et celui de fausses couches au deuxième trimestre de grossesse est multiplié par <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">6 à 14</a>. Un risque augmenté de cancer du sein a également été rapporté. Ces femmes sont également à risque de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16887893/">ménopause précoce</a>. </p>
<p>En plus de ces problèmes gynécologiques, des maladies concernant, par exemple, le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29069384/">système cardiovasculaire</a> ont également été décrites pour la seconde génération de « filles Distilbène® ». Des troubles neurologiques ou <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28064340/">psychiques</a> sont aussi envisageables. </p>
<p>En ce qui concerne la troisième génération, autrement dit les petites-filles des femmes traitées entre 1950 et 1980 en France, de premières études ont indiqué l’existence de séquelles liées à la prématurité, telles que de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27203157/">paralysie cérébrale</a>, ainsi que des troubles de la fonction de la reproduction, avec des <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">irrégularités de la durée des cycles menstruels</a>. Le risque de cancer est quant à lui difficile à évaluer actuellement par un manque de recul, mais il touche probablement les trois générations.</p>
<p>Il faut cependant souligner que toutes les femmes exposées directement ou indirectement au DES ne développeront pas une maladie. </p>
<h2>Des conséquences pour les hommes également</h2>
<p>Les recherches ont montré que les hommes exposés au DES lorsqu’ils étaient dans le ventre de leur mère (la « seconde génération ») présentent davantage de risque d’être victimes <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19689815/">d’anomalies de l’appareil génital</a>, telles que kystes de l’épididyme (organe permettant la maturation et le stockage des spermatozoïdes) ou cryptorchidie (absence de descente des testicules). </p>
<p>Cette exposition <em>in utero</em> n’a pas directement augmenté le risque d’infertilité, cependant les complications liées à la cryptorchidie peuvent parfois mener à la stérilité. Cette affection est aussi un facteur de risque connu de cancer du testicule. Or, si une correction chirurgicale de la cryptorchidie permet de diminuer le risque d’infertilité, elle n’élimine <a href="https://www.cua.org/system/files/Guideline-Files/Gui14_Cryptorchidisn.pdf">pas complètement celui de cancer</a>, et les traitements contre le cancer peuvent entraîner eux aussi des problèmes de fertilité. Une étude scientifique récente, robuste et à fort niveau de preuves (méta-analyse et revue systématique), indique à ce sujet que le risque de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31555759/">cancer du testicule</a> pour les hommes de seconde génération est multiplié par trois. </p>
<p>Soulignons toutefois qu’aujourd’hui, en 2022, ces hommes ne sont plus réellement concernés, car ce cancer survient majoritairement à la puberté et atteint un pic vers 30 ans (or ils sont aujourd’hui plus âgés). De la même façon, la cryptorchidie dont ils auraient pu avoir été victimes est généralement corrigée en bas âge. Ces hommes peuvent en revanche porter des kystes de l’épididyme, lesquels font l’objet d’une chirurgie lorsqu’ils provoquent des symptômes tels que douleur ou gêne. </p>
<p>Pour les hommes de la troisième génération issus d’une mère de seconde génération exposée au DES en France, le risque <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27203157/">d’hypospadias (malformation de la verge) et de cryptorchidie</a> est augmenté. Pour les hommes issus d’un père DES de seconde génération , une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29609831/">cryptorchidie et un développement insuffisant du pénis</a> ont aussi été observés.</p>
<p>Des troubles identiques à ceux des femmes de troisième génération ont également été retrouvés pour la troisième génération d’hommes lorsqu’ils provenaient d’une mère DES de seconde génération exposée au DES en France (ces troubles concernent le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27203157/">handicap</a> lié à la prématurité, notamment).</p>
<p>Soulignons qu’en France, le diéthylstilbestrol a été aussi utilisé jusqu’en 2018 pour traiter certains troubles de la prostate, dont le cancer. Un risque augmenté d’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17103190/">hypospadias</a> a été retrouvé chez des garçons issus de pères traités avec des médicaments avant la conception. </p>
<h2>Comment puis-je savoir si je présente un risque ?</h2>
<p>En France, les campagnes ponctuelles de sensibilisation sur le DES dans les années 1990 et les recommandations des autorités sanitaires auprès des professionnels de santé dans les années 2000 ont été très insuffisantes. Souvent, par exemple, les personnes concernées n’ont appris l’existence de lieux spécialisés dans la prise en charge du DES que grâce aux associations de patients. Par ailleurs, en 2010, seule la moitié des gynécologues connaissait l’ensemble des conséquences d’une exposition au DES. Résultats : fréquemment, les femmes concernées ne découvraient leur exposition au DES qu’à la suite d’articles parus dans la presse, de documentaires télévisés ou par la publication d’arrêts de justice.</p>
<p>D’après l’association <a href="http://www.des-france.org/accueil/index.php">Réseau DES France</a>, les mères dont l’âge est compatible avec une exposition au DES pendant leur grossesse <a href="http://www.des-france.org/accueil/article.php ?rubrique=16#chezqui">doivent se poser plusieurs questions</a> : Se sont-elles vues administrer un éventuel traitement pour éviter les fausses couches ? Des dosages hormonaux ont-ils été réalisés durant leur grossesse ? </p>
<p>Une exposition au DES doit être recherchée chez la mère ou la grand-mère dans plusieurs cas de figure : en cas d’anomalies à la naissance (cryptorchidie, hypospadias, cœur, œsophage, etc.), d’infertilité, de complications de grossesse, de certains cancers (sein, col et corps de l’utérus, vagin, testicules, etc.), de troubles neurologiques ou de handicap des enfants ou des petits-enfants. </p>
<p>Il n’est pas toujours simple de retrouver une trace écrite d’une prescription au DES, mais quelques pistes peuvent être explorées : le carnet de santé de l’enfant, des ordonnances conservées par les patientes exposées au DES, etc.</p>
<p>Un suivi gynécologique annuel est recommandé pour les femmes DES de deuxième et troisième générations, afin de rechercher des malformations, des nodules ou des lésions évoquant des maladies associées au DES. Pour les femmes des trois générations, le dépistage du cancer du sein suit les recommandations du programme national de dépistage de la Haute Autorité de Santé : mammographie tous les deux ans entre 50 et 74 ans. En cas d’anomalies des seins, ou de saignements inhabituels, il est recommandé de consulter rapidement. </p>
<p>Le dépistage des troubles neurologiques, du handicap et des anomalies des différents organes peut être réalisé, en début de vie, par un pédiatre. Plus tard, à l’adolescence ou à l’âge adulte, un urologue peut aussi être consulté pour les anomalies de l’appareil génital masculin.</p>
<h2>Un cas d’école qui a changé l’évaluation des médicaments</h2>
<p>Le cas du DES a renforcé, en France, la pharmacovigilance. Une commission nationale dédiée a été créée, en 1982. Au début des années 2000, l’Agence française de Sécurité sanitaire des Produits de Santé (Afssaps, désormais Agence Nationale de Sécurité du Médicament ou ANSM) a tout d’abord élaboré avec le Réseau DES France une fiche de signalement des effets indésirables et des recommandations. Elle a également depuis <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">collaboré avec plusieurs organismes et associations de patients</a> pour évaluer les risques de l’exposition au DES. </p>
<p>De nos jours, les critères qui ont présidé à l’autorisation du DES ont aussi évolué. La <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17287107/">méthodologie désormais acceptée</a> pour évaluer l’efficacité d’un traitement est l’essai randomisé (caractérisé par une répartition aléatoire des participants entre le groupe témoin et le groupe recevant le traitement) en double aveugle (l’administration du médicament ou du placebo n’est connue ni du patient, ni de la personne chargée d’évaluer l’effet du traitement). </p>
<p>Certains soulignent que la mise en place de ces nouveaux critères a mené à l’absence de reconnaissance de savoirs cliniques établis, parce que jugés insuffisamment fondés. C’est peut-être le prix à payer pour limiter le risque de nouvelles crises sanitaires d’une telle ampleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174497/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Batias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Administré à des millions de femmes enceintes, le diéthylstilbestrol s’est avéré non seulement inefficace, mais aussi toxique sur plusieurs générations. Retour sur un scandale sanitaire méconnu.Catherine Batias, Enseignante et chercheuse en toxicologie, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1747712022-01-24T21:12:59Z2022-01-24T21:12:59ZGrossesse et tabac : les incitations financières multiplient par deux le niveau d’abstinence<p>Les effets délétères du tabagisme maternel pendant la grossesse sont bien connus. Les femmes enceintes qui fument s’exposent à un risque plus élevé de fausses couches, de mort fœtale, de prématurité et de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28403455/">faible poids de naissance</a>. Le tabagisme pendant la grossesse a aussi un retentissement sur la santé de l’enfant, car il accroît le risque d’avoir de l’asthme, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20679592/">des troubles psychiatriques</a>, ainsi que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18278059/">d’être obèse</a>. </p>
<p>Les femmes enceintes connaissent ces risques, toutefois certaines ne parviennent pas à arrêter de fumer. Outre le fait que les traitements de substituts nicotiniques – par exemple, les patchs – semblent moins efficaces <a href="https://www.cairn.info/traite-d-addictologie--9782257206503-page-882.htm">chez les femmes enceintes que dans la population générale de fumeurs</a>. Les autres méthodes d’accompagnement, telles que le conseil par des spécialistes ou la thérapie cognitivo-comportementale <a href="https://www.cairn.info/traite-d-addictologie--9782257206503.htm">fonctionnent peu chez les fumeuses enceintes</a>. Ainsi, en France, <a href="https://www.peidd.fr/spip.php?article10844">25 % des femmes enceintes fumaient au moins occasionnellement</a> (et 22 % étaient des fumeuses quotidiennes) en 2018. </p>
<p>Compte tenu des risques pour la santé des nouveau-nés et la mère, cette proportion demeure bien trop élevée. Il est donc nécessaire d’explorer d’autres voies thérapeutiques pour aider les femmes enceintes fumeuses à arrêter le tabac. Or, la théorie économique indique qu’une récompense financière peut aboutir à faire changer un comportement de santé.</p>
<h2>Les incitations financières, un outil pour changer les comportements de santé ?</h2>
<p>Bien que le tabagisme soit avant tout une addiction, décider d’arrêter de fumer est une décision qui, comme dans le cas des autres décisions, résulte d’un arbitrage : le fumeur ou la fumeuse qui envisage d’arrêter le tabac va mettre en balance d’un côté la perte de la satisfaction que procure l’acte de fumer et les efforts que demande le sevrage, avec, de l’autre côté, les économies réalisées ainsi que sa perception de l’amélioration de sa santé due à l’arrêt du tabac.</p>
<p>On peut donc supposer que le fait de récompenser financièrement les personnes qui arrêtent de fumer pourrait compenser les efforts qu’elles ont déployés, ainsi que la perte de satisfaction liée au tabagisme. L’aspect financier affecterait l’arbitrage de telle sorte que les avantages de l’arrêt du tabac <a href="https://econpapers.repec.org/bookchap/eeeheachp/1-29.htm">seraient plus importants que les coûts engendrés</a>.</p>
<p>Serait-il alors efficace d’offrir une récompense financière pour aider les femmes enceintes à arrêter de fumer ? Pour le savoir, nous avons mis en place un essai randomisé auquel ont participé 460 femmes enceintes, suivies dans 18 maternités en France. Voici les résultats que nous avons obtenus. </p>
<h2>Un essai randomisé pour tester l’efficacité des incitations financières chez les fumeuses enceintes</h2>
<p>Notre étude, <a href="https://www.bmj.com/content/375/bmj-2021-065217.long">publiée dans le British Medical Journal</a>, visait à tester l’efficacité d’incitations financières conditionnées à l’arrêt du tabac chez des femmes enceintes fumeuses.</p>
<p>Les participantes, toutes fumeuses et dans leur premier trimestre de grossesse, ont été réparties de manière aléatoire entre deux groupes de taille égale. Les membres de l’un des groupes se sont vues proposer une incitation financière conditionnée à leur abstinence tabagique, les autres, non. Jusqu’à la fin de sa grossesse, chaque participante a eu une consultation mensuelle avec une sage-femme ou un médecin spécialisés en tabacologie, qui lui a procuré les conseils habituels.</p>
<p>L’abstinence tabagique a été évaluée non seulement sur la base des déclarations des participantes, mais aussi par un test biochimique (monoxyde de carbone dans l’air expiré), dont le résultat devait être négatif. La somme d’argent versée aux femmes appartenant au groupe « incitation financière » augmentait avec le nombre de consultations successives au cours desquelles elles étaient abstinentes. Autrement dit, plus elles s’abstenaient de fumer, plus la somme d’argent qu’elles recevaient était importante. Le montant maximal qui pouvait être obtenu dans le cadre de l’étude était de 520€. Les incitations financières étaient fournies sous forme de bons cadeaux échangeables dans de nombreux commerces (épiceries, magasins de puériculture, etc.). La conception du système d’incitation financière vise à encourager l’abstinence continue tout au long de la grossesse, car il se pourrait que seule une abstinence continue, respectée tout au long de la grossesse, ait une influence sur la santé du nouveau-né.</p>
<p>L’étude a permis d’évaluer l’efficacité de l’incitation financière pour aider les femmes enceintes à arrêter de fumer et, par voie de conséquence, de déterminer si elle avait une incidence sur la santé des nouveau-nés à la naissance.</p>
<h2>Les incitations financières ont multiplié par deux le niveau d’abstinence</h2>
<p>Nos résultats ont révélé que les incitations financières conditionnées à l’arrêt du tabac ont bien eu des effets sur les mères et les nouveau-nés. Dans le groupe sans incitation financière, 7,42 % des femmes ont arrêté le tabac tout au long de leur grossesse, tandis que dans le groupe avec incitations financières, le taux atteint 16,45 %. L’incitation financière conditionnée à l’arrêt du tabac a donc plus que doublé l’abstinence tabagique tout au long de la grossesse. La figure ci-dessous montre que l’abstinence tabagique est également systématiquement plus élevée à chaque visite médicale dans le groupe ayant reçu des incitations financières.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique représentant la prévalence ponctuelle du taux d’abstinence tabagique par visite." src="https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442329/original/file-20220124-19-12g6csm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Prévalence ponctuelle du taux d’abstinence tabagique par visite. Modèle logistique à effets mixtes : odds ratio 4,61 (intervalle de confiance à 95 % de 1,41 à 15,01), P=0,011. Les moustaches représentent les intervalles de confiance à 95 %.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces résultats ont également été bénéfiques à la santé des nouveau-nés. À la naissance, ces derniers se sont avérés être à moindre risque de faible poids, une caractéristique dont on sait qu’elle est associée à davantage d’événements périnatals et infantiles indésirables. Nous avons aussi constaté que la proportion de problèmes néonatals (transfert en unité néonatale, convulsion, malformation et décès) a diminué de 5,3 points de pourcentage chez les nouveau-nés des participantes qui ont bénéficié d’incitations financières par rapport aux enfants de celles qui n’en ont pas bénéficié. En revanche, l’intervention n’a eu aucun effet sur l’âge gestationnel, et donc sur la prématurité.</p>
<h2>L’incitation financière, un levier pour les autorités de santé publique ?</h2>
<p>Nos travaux ont montré qu’une incitation financière conditionnée à l’abstinence tabagique s’est avérée efficace pour réduire le tabagisme maternel tout au long de la grossesse, ce qui améliore la santé des nouveau-nés. Mais l’évaluation de l’impact de cette mesure ne doit pas se limiter à cette période de la vie. En effet, des nouveau-nés <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/000282802762024520">en meilleure santé</a> deviendront également <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15721050/">des enfants, puis</a> <a href="https://www.rand.org/pubs/working_papers/WR860.html">des adultes en meilleure santé également</a>.</p>
<p>Une telle intervention pourrait-elle rejoindre le panel des soins de santé procurés aux femmes enceintes fumeuses ? Avant de choisir d’implémenter une telle mesure, plutôt inhabituelle, les décideurs publics peuvent se demander comment elle serait accueillie par la population. Nous avions justement évalué son acceptabilité avant de réaliser notre étude, en interrogeant un échantillon représentatif de la population française. Plus de 50 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables à ce type de politique. Étant donné que d’autres travaux ont démontré que l’acceptabilité des incitations financières augmente lorsque la preuve de leur efficacité est fournie, nous sommes convaincus que cette politique pourrait être largement acceptée en France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment aider les femmes enceintes à arrêter le tabac, pour leur santé et celle de leur enfant à naître, alors que les substituts et autres méthodes semblent moins efficaces durant cette période ?Léontine Goldzahl, Professeur Associé, EDHEC Business SchoolFlorence Jusot, Professeure en Sciences Economiques, Université Paris Dauphine – PSLIvan Berlin, MCU-PH, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP) – Département de pharmacologie, Sorbonne Université, Faculté de médecine – CESP-INSERM 1018, Sorbonne UniversitéNoémi Berlin, Chargée de recherche CNRS, laboratoire EconomiX, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.