tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/moyen-orient-21438/articlesMoyen-Orient – The Conversation2023-12-04T16:56:36Ztag:theconversation.com,2011:article/2189712023-12-04T16:56:36Z2023-12-04T16:56:36ZComment évaluer l’économie israélienne au prisme de son insertion internationale<p>Le conflit actuel pèse sur le marché du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/27/avec-la-guerre-l-economie-d-israel-s-apprete-a-traverser-une-periode-de-fortes-turbulences_6196753_3210.html">travail</a> et sur les <a href="https://www.xerficanal.com/economie/emission/Alexandre-Mirlicourtois-Israel-le-cout-economique-de-la-guerre_3752310.html">finances</a>.</p>
<p>Mais, fort de son remarquable engagement dans la haute technologie, le pays a accumulé une position extérieure nette conséquente. Cette épargne pourrait être mobilisée pour faire face au coût de la guerre. Suffira-t-elle demain ?</p>
<h2>Neuf millions d’habitants</h2>
<p>Israël fait partie de la grande région MENAT (<a href="https://theconversation.com/topics/moyen-orient-21438">Middle East</a>, North Africa, Turkey) à la démographie dynamique : entre 1960 et 2022, le taux de croissance annuel moyen de la population y a été de 2,4 %, contre 1,6 % dans le monde et 0,4 % en Europe. Alors qu’en 1960 l’Europe était trois fois plus peuplée que cette région, elle l’est aujourd’hui un peu moins : 550 millions contre 577 millions.</p>
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<p>Sur cette longue période, la croissance de la population en Israël et en Palestine (définie par les Nations unies comme l’ensemble que forment la Bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est) a été légèrement supérieure à la moyenne régionale (respectivement 2,5 et 2,6 %). Sur la dernière décennie, néanmoins, la croissance démographique en Palestine a été plus élevée : 2,3 %, contre 1,8 % en Israël et 1,6 % dans la région MENAT.</p>
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<p>En 2022, la Palestine compte autant d’habitants que le Liban, environ 5 millions, tandis que les Israéliens sont aussi nombreux que les Émiratis, environ 9 millions. C’est peu, comparé aux trois pays les plus peuplés de la région, l’Égypte, l’Iran et la Turquie qui abritent respectivement 111, 89 et 85 millions d’habitants, soit, ensemble, près de la moitié de la population de la zone.</p>
<h2>L’insertion commerciale d’Israël</h2>
<p>Dans cette région, Israël est aujourd’hui la seule économie avancée selon les critères du Fonds monétaire international. Ses habitants ne sont cependant pas les plus riches. Plusieurs pays du Golfe le sont davantage grâce à leur rente énergétique, notamment le Qatar dont le PIB réel par habitant en parité de pouvoir d’achat est pratiquement le double de celui d’Israël.</p>
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<p>Forte de ses ressources énergétiques, la région commerce surtout avec des pays tiers (90 % de ses échanges en 2021), leur vendant des matières premières et leur achetant des produits manufacturés. Les échanges au sein de la région ont longtemps été limités en raison de la faiblesse du niveau de développement de la plupart des pays qui la composent, du peu de complémentarité de leurs spécialisations et des conflits qui s’y sont déroulés.</p>
<p>Mais depuis le début des années 2000, et à la suite notamment du décollage de l’industrie turque, qui a développé une large gamme de produits manufacturés à prix compétitifs, les flux intra-zone ont augmenté : ils représentent 10 % du commerce total des pays de la région en 2021, contre 4 % en 2000.</p>
<p><iframe id="DaXAl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/DaXAl/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’insertion commerciale d’Israël dans la région est plus forte : en 2021, 12 % de ses exportations y sont destinées et 14 % de ses importations en proviennent.</p>
<p><iframe id="Jfau1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Jfau1/8/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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<p>Deux partenaires jouent un rôle important dans ces échanges : la Palestine et la Turquie.</p>
<p>La Palestine, qui reçoit plus de la moitié des exportations régionales d’Israël, se situe au troisième rang de ses clients au niveau mondial (<a href="http://visualdata.cepii.fr/CountryProfiles/fr/">6,5 % en 2021</a>), après les États-Unis et la Chine (respectivement 26,8 et 7,9 %). C’est un commerce <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/tdbex74d2_fr.pdf">contraint</a> en raison des restrictions et obstacles imposés par l’État hébreu aux échanges palestiniens avec le reste du monde.</p>
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<p>La Turquie, après la Chine et les États-Unis, est le troisième fournisseur de l’État hébreu (respectivement 14,5, 11,5 et <a href="http://visualdata.cepii.fr/CountryProfiles/fr/">6,8 % en 2021</a>), auquel elle vend <a href="https://medyascope.tv/2023/11/07/turkiye-israilin-kullandigi-celigin-yuzde-65ini-tedarik-ediyor-enerji-uzmani-ali-akturk-aciklamalar-ic-politikaya-yonelik-ciddi-olan-ticareti-engeller/">65 %</a> de l’acier qu’il consomme. En dépit de leurs difficultés relationnelles tenant notamment au conflit israélo-palestinien, les deux pays, liés depuis 1996 par un accord de libre-échange, ont jusqu’ici maintenu des échanges soutenus. Mais la guerre actuelle, qui secrète de <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-31/ty-article/.premium/irked-by-erdogan-israeli-supermarkets-halt-imports-from-turkey/0000018b-866e-dd28-a7df-967f57360000">part</a> et <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/turkish-parliament-removes-brands-menu-over-alleged-israel-support-2023-11-07/">d’autre</a> des appels au boycott, tend à les réduire : les exportations de la Turquie vers Israël <a href="https://www.reuters.com/article/israel-turkey-trade/trade-between-israel-and-turkey-has-decreased-by-50-since-oct-7-minister-idUSS8N3AJ047">auraient chuté</a> de moitié depuis début octobre dernier, selon le ministre turc du Commerce.</p>
<h2>Le fulgurant essor des ventes de services innovants</h2>
<p>S’en tenir aux échanges de marchandises offre cependant une vision biaisée de l’insertion d’Israël dans le <a href="https://theconversation.com/topics/commerce-international-29800">commerce international</a>. Ses ventes de services ont en effet connu un essor fulgurant au cours de la dernière décennie et représentaient en 2021 plus de la moitié du total de ses exportations (53 %), bien avant celles de produits électroniques (13 %) et chimiques (11 %).</p>
<p><iframe id="CYGGW" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/CYGGW/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les services liés aux technologies de l’information et de la télécommunication (TIC) totalisent à eux seuls 41 % des exportations de biens et services de l’État hébreu. Suivent les exportations de services techniques et de conseil, dont l’un des postes est la recherche et développement (R&D), et, dans le secteur manufacturier, de produits électroniques à haute valeur ajoutée. Autant de spécialisations qui témoignent du poids de l’innovation dans l’économie israélienne. Selon le Centre du commerce international (agence conjointe de l’ONU et de l’OMC), les ventes de services liés aux TIC du pays s’adressent pour l’essentiel aux <a href="https://www.trademap.org/Index.aspx">pays avancés</a>.</p>
<p><iframe id="ktQxe" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ktQxe/10/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’essor du secteur des services liés aux TIC tient à la création volontariste d’un écosystème favorable. Dès 1992, le gouvernement israélien a investi 100 millions de dollars dans un fonds de capital-risque à vocation militaire, le programme <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1209988">Yozma</a> (initiative en hébreu). Abondé par des fonds privés à hauteur de 11 milliards, ce programme a financé 168 start-up high-tech qui ont généré plus d’un milliard de dollars d’exportations en l’espace de douze ans. La dynamique ainsi enclenchée a fait d’Israël un hub technologique dans les domaines de la cybersécurité, des logiciels et des échanges de données, mais aussi de la pharmacie et de l’agriculture.</p>
<p>Cette dynamique a également été alimentée par les dépenses de la R&D engagées par l’État et par des <a href="https://sgp.fas.org/crs/mideast/RL33222.pdf">fondations israélo-américaines</a> créées dans les années 1970, à commencer par Bird (Binational R&D Foundation), BSF (Binational Science Foundation) et Bard (Binational Agriculture and R&D Fund). En 2020, selon l’<a href="https://stats.oecd.org/index.aspx">OCDE</a>, le financement des dépenses de R&D en Israël provenait pour 50 % de l’étranger, pour 40 % des entreprises israéliennes, pour 9 % du gouvernement et pour 1 % des institutions privées nationales à but non lucratif.</p>
<p>Ce modèle, qui a attiré environ <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-leconomie-ebranlee-mais-resiliente-1986879">500 multinationales</a> versées dans le high-tech, a aussi favorisé la création <a href="https://innovationisrael.org.il/en/reportchapter/how-many-israelis-really-work-high-tech">d’emplois technologiques</a> dans l’ensemble de l’économie. Leur part dans l’emploi total salarié représente 14 % en 2022, contre 10,6 % en 2014.</p>
<h2>L’aide internationale, poste clef du compte courant israélien</h2>
<p>Le compte courant d’Israël révèle un autre aspect de l’évolution de son insertion internationale. En effet, les revenus secondaires reçus de l’étranger – l’aide extérieure, essentiellement – ont été cruciaux pendant la phase de développement de l’économie israélienne pour faire face à l’énorme déficit de la balance commerciale. Celle-ci a atteint plus d’un cinquième du PIB en 1975.</p>
<p><iframe id="bs038" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bs038/8/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Grâce à la <a href="https://www.brookings.edu/articles/how-shimon-peres-saved-the-israeli-economy/">stabilisation macro-économique</a> entreprise dans les années 1980 par Shimon Peres, le pays est ensuite entré dans un régime de croissance vertueux. Son déficit dans les échanges de biens s’est sensiblement <a href="https://econ.tau.ac.il/sites/economy.tau.ac.il/files/media_server/Economics/foerder/papers/Papers%202020/13-2020%20Israels%20Balance%20of%20Payments%20From%20Deficits%20to%20Surpluses.pdf">réduit</a> et, à partir des années 2000, les excédents engendrés dans les échanges de services (8 % du PIB en 2022) lui ont permis de dégager pour la première fois une capacité de financement durable. Aussi, le solde courant, positif depuis 2003, s’élève à 4 % du PIB en 2022 et le solde des revenus secondaires, toujours en 2022, ne représente plus que 2 % du PIB, contre 18 % en 1973, année de la guerre de Kippour.</p>
<p>Les États-Unis sont le <a href="https://www.jewishvirtuallibrary.org/history-and-overview-of-u-s-foreign-aid-to-israel">premier apporteur</a> de fonds à Israël, et Israël est le <a href="https://carnegieendowment.org/2021/05/12/bringing-assistance-to-israel-in-line-with-rights-and-u.s.-laws-pub-84503">principal récipiendaire</a> de l’aide américaine depuis <a href="https://pdf.usaid.gov/pdf_docs/pcaaa469.pdf">1976</a>. D’après le <a href="https://sgp.fas.org/crs/mideast/RL33222.pdf">dernier rapport</a> du service de recherche du Congrès américain, le cumul de l’aide des États-Unis à Israël entre 1946 et septembre 2023 est de 159 milliards de dollars courants (260 milliards de dollars constants de 2021). De 1971 à 2007, une partie significative de cette aide relevait du soutien économique ; elle est désormais quasi exclusivement <a href="https://usafacts.org/articles/how-much-military-aid-does-the-us-give-to-israel/">militaire</a>.</p>
<p>Par ailleurs, depuis 1991, Israël est le seul pays autorisé par le Congrès à placer l’aide qui lui est accordée sur un <a href="https://carnegieendowment.org/2021/05/12/bringing-assistance-to-israel-in-line-with-rights-and-u.s.-laws-pub-84503">compte rémunéré</a> aux États-Unis. Enfin, depuis 2021 et jusqu’au déclenchement de la guerre actuelle, le Congrès a voté l’octroi à Israël de 3,3 milliards de dollars courants d’aide militaire par an. S’ajoutent à cette somme d’autres montants spécifiques à la défense aérienne (anti-missiles, Dôme de fer). En 2022, au total, les 4,8 milliards de dollars d’aide militaire votés par le Congrès américain représentent 80 % des crédits reçus par le gouvernement israélien au titre de la coopération internationale.</p>
<h2>Une position extérieure nette très positive en 2022</h2>
<p>Fondée sur d’importants investissements dans le high-tech et sur l’exportation de services haut de gamme vers les pays avancés, la spécialisation commerciale réussie d’Israël a contribué à une amélioration substantielle de sa position extérieure nette depuis une quinzaine d’années.</p>
<p>Cette jeune économie avancée dispose donc d’un excès d’épargne à l’instar de l’Allemagne. Autrement dit, les résidents en Israël ont accumulé à l’étranger plus de capitaux qu’ils n’en ont reçu du reste du monde. Leur patrimoine net s’élève ainsi en 2022 à 159 milliards de dollars, soit 30 % du PIB.</p>
<p>Cette épargne, confortable par temps de paix, pourrait-elle suffire en cas de prolongement de la guerre ?</p>
<p><iframe id="sLjyl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/sLjyl/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
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<p><em>Pour approfondir la question de l’insertion internationale de l’économie israélienne, voir les pages interactives</em> <a href="http://visualdata.cepii.fr/">Les Profils du CEPII</a><em>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218971/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Croissance démographique, intégration régionale, spécialisation commerciale, dépendance au reste du monde… Retrouvez un portrait de l'économie israélienne.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIILaurence Nayman, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171262023-11-08T20:46:22Z2023-11-08T20:46:22ZEngagements musulmans français pour Gaza : une cause politique ou communautaire ?<p>Derrière la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/28/interdites-ou-autorisees-des-manifestations-pour-la-palestine-ont-eu-lieu-dans-plusieurs-villes-de-france_6197055_3224.html">controverse publique</a> sur la porosité réelle ou supposée entre antisionisme et antisémitisme des mobilisations propalestiniennes en France se profile la question récurrente, presque obsédante, de l’islamité comme moteur d’action. En nous inspirant des travaux d’Albert Memmi sur la judéité, on nomme islamité, tout ce qui se rapporte « au fait, manière d’être musulman » dans la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1965_num_6_1_1841">société française d’aujourd’hui</a>.</p>
<p>En effet, la présence de plus en plus <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/palestine/pourquoi-la-cause-palestinienne-resonne-t-elle-chez-les-musulmans-de-france-0fd7899a-73dc-11ee-95a0-ef7bd8d1bd16">visible</a> de citoyens français de confession musulmane parmi les manifestants interroge les observateurs sur les <a href="https://www.lepoint.fr/politique/manif-pro-palestine-a-paris-marine-tondelier-critique-les-allah-akbar-avant-de-s-excuser-21-10-2023-2540278_20.php">soubassements religieux</a> de tels mouvements.</p>
<p>D’aucuns y voient l’expression d’un phénomène générationnel somme toute logique. Le passage au politique des nouvelles générations issues de l’immigration postcoloniale s’opèrerait de plus en plus par le biais des grandes causes internationales, combinant une critique radicale de la politique étrangère française à un registre humanitaire de soutien <a href="https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-societes-contemporaines-2022-3-page-121.htm">aux peuples musulmans opprimés</a> : Ouighours, Palestiniens, Rohingyas, etc.</p>
<p>D’autres, au contraire, interprètent cette visibilité musulmane dans les mouvements « palestinophiles » comme le signe inquiétant d’un repli communautaire des jeunes des quartiers populaires, influencés par la propagande politico-religieuse des <a href="https://journals.openedition.org/remmm/19732">Frères musulmans ou des salafistes</a> et leurs relais politiques et intellectuels au sein de la société française, les <a href="https://www.lopinion.fr/politique/allah-akbar-une-equivoque-tres-politique-au-c%C5%93ur-des-manifestations-pro-palestiniennes">« islamo-gauchistes »</a>.</p>
<h2>Une focalisation sur le facteur religieux</h2>
<p>Dans tous les cas, la question de la place du religieux dans les mouvements propalestiniens laisse rarement indifférent. Et ce dans un contexte sociopolitique fortement émotionnel, où la lutte contre le séparatisme islamiste et les dérives radicales en milieu scolaire est devenue une <a href="https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-migrations-societe-2021-1-page-3.htm">priorité de l’action gouvernementale</a>.</p>
<p>Ce n’est donc pas un hasard si les interprétations des mobilisations propalestiniennes centrées sur le facteur religieux tendent à prévaloir sur les explications sociologiques plus classiques : classes d’âges, niveaux d’études, socialisation familiale, orientations politiques, etc.</p>
<p>Dans une France profondément traumatisée par les attentats terroristes commis <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2019-1-page-5.htm">« au nom de l’islam »</a>, les lectures religieuses de l’engagement propalestinien des générations postcoloniales fournit un cadre d’interprétation particulièrement efficace et persuasif, reliant sur un mode anxiogène deux « radicalismes » : l’islamisme et l’antisionisme, censés partager la même haine d’Israël.</p>
<p>Le problème, c’est que ces approches axées sur la religiosité musulmane ne disent pas grand-chose sur les ressorts sociopolitiques de ces mobilisations.</p>
<p>Pourtant, ces interrogations autour de l’islamité réelle ou imaginaire comme moteur de l’engagement dans les mouvements propalestiniens ne datent pas d’aujourd’hui. Elles étaient déjà source de polémiques politico-médiatiques au début des <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/israel-palestine/">années 2000</a>.</p>
<p>D’où la nécessité de faire un retour sur le passé récent pour mieux comprendre comment s’est produit ce « processus d’islamisation » du regard sur les mouvements de solidarité avec la cause palestinienne.</p>
<h2>Entre regard fantasmé et réalité sociodémographique</h2>
<p>Comme le montrent les travaux du <a href="https://doi.org/10.3917/come.086.0197">politiste Marc Hecker </a> et du sociologue <a href="https://theses.hal.science/tel-02936223">Alexandre Mamarbachi</a>, jusqu’à la fin des années 1990, les mobilisations pour la cause palestinienne en France restent dominées par les mouvances tiers-mondistes issues de l’extrême gauche post-soixante-huitarde, des milieux chrétiens progressistes et des juifs antisionistes, qui voient un prolongement des grandes luttes anticoloniales (l’Algérie, le Vietnam, le Congo, l’Afrique du Sud, etc.).</p>
<p>À l’exception des chrétiens de gauche, proches du Parti socialiste unifié (PSU) et lecteurs du journal <em>Témoignage Chrétien</em>, les référents religieux n’interviennent que marginalement dans les ressorts de la <a href="https://doi.org/10.3917/come.072.0103">mobilisation propalestinienne</a>.</p>
<p>En effet, les premières organisations françaises de soutien à la cause palestinienne (Association médicale franco-palestinienne fondée en 1974 ; Association France-Palestine, 1979 ; Union des juifs pour la paix, 1994) sont très majoritairement composées de militants laïques souvent athées et agnostiques, formés idéologiquement par les organisations marxistes orthodoxes (Parti communiste français, Union des étudiants communistes) ou par les <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2009-4-page-59.htm%88">groupes maoïstes, trotskistes et situationnistes</a>.</p>
<p>À cette époque, la mouvance propalestinienne en France est aussi nourrie par l’apport des militants originaires du monde arabe qui animent les syndicats étudiants comme l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) et l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) ou encore les quelques étudiants palestiniens inscrits dans des universités françaises, regroupés au sein de l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS).</p>
<h2>Le tournant de la seconde Intifada</h2>
<p>Ce n’est qu’à partir des années 2000, dans le contexte du déclenchement de la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000213/la-seconde-intifada.html">seconde Intifada</a> et, encore davantage lors de le première guerre de Gaza durant l’hiver 2008-2009, que l’on peut observer sur le terrain une <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/intifada_francaise_importation_conflit_israelo_palestinien_hecker_ellipses_2012.pdf">évolution substantielle</a> de la sociologie des mobilisations françaises pour la cause palestinienne.</p>
<p>Outre l’ampleur du soutien, passant de quelques centaines de manifestants propalestiniens dans les années 1980-1990 à plusieurs milliers dans les années 2000, c’est la visibilité croissante des jeunes Français issus de l’immigration postcoloniale qui interroge et, ce d’autant plus, que certains parmi eux exhibent au cours des manifestations publiques des signes de religiosité musulmane (hijeb, qamis, slogans et banderoles à connotation politico-religieuse, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Le tournant de la Seconde Intifada.</span></figcaption>
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<p>Certains milieux médiatiques, politiques et associatifs de la société française sont alors gagnés par une forme de <a href="https://www.cairn.info/revue-sens-dessous-2015-1-page-5.htm">« panique morale »</a> face au risque d’une convergence protestataire entre les quartiers populaires, les organisations communautaires musulmanes et les militants antisionistes issus de la gauche radicale.</p>
<p>C’est précisément à cette époque qu’émerge la thèse de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-2-page-103.htm">« l’islamisation de la cause palestinienne » en France</a>, alimentée par des représentations anxiogènes comme « l’Intifada des mosquées françaises », la convergence entre l’antisionisme et l’antisémitisme musulmans ou encore <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre-2012-3-page-157.htm">« l’alliance islamo-gauchiste »</a>, thèmes déjà présents dans le débat public au début des années 2000.</p>
<p>Il convient de noter toutefois que la crainte de « l’entrisme islamiste » dans la mouvance propalestinienne française n’est pas seulement agitée par ses détracteurs mais elle fait aussi débat dans le <a href="https://doi.org/10.3917/come.086.0197">milieu associatif solidaire de la Palestine</a>, où certains soutiens laïques redoutent une captation de la « cause » par les militants de l’islam politique.</p>
<h2>Un cadrage politique avant d’être religieux</h2>
<p>Pour comprendre comment ces transformations affectent les mobilisations françaises de soutien à la cause palestinienne, il convient à la fois de mettre en évidence l’évolution des répertoires d’action et de déconstruire la représentation dichotomique, opposant systématiquement « mobilisations laïques universalistes » aux « mouvements religieux particularistes ».</p>
<p>Le positionnement des organisations musulmanes de France sur la cause palestinienne a largement évolué. Au début des années 2000 et de la seconde Intifada, il n’était pas rare que les imams et les responsables associatifs musulmans appellent les fidèles, notamment lors de la prière du vendredi (<em>joumou’a</em>), à manifester publiquement pour « les frères et les sœurs de Palestine ». Or ce type d’engagement politico-religieux apparait moins évident aujourd’hui.</p>
<p>Outre le contexte sécuritaire qui suscite inévitablement des réflexes d’autocensure – la <a href="https://www.cipdr.gouv.fr/wp-content/uploads/2022/10/DP_Loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-Republique-2022-1.pdf">loi récente sur le séparatisme</a> n’a fait que renforcer les attitudes de prudence.</p>
<p>L’agenda international des organisations musulmanes a glissé progressivement du registre politique au registre de bienfaisance. Le caritatif tend ainsi à prendre le pas sur le politique, la Palestine devenant principalement pour les associations musulmanes françaises une cause humanitaire, comme le souligne le <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/8134">politiste Lucas Faure</a>. Par exemple, aux Rencontres des musulmans de France organisées annuellement au Bourget, la maquette géante en carton-pâte de la mosquée Al-Aqsa et les stands de vente d’huile d’olive de Palestine ont remplacé les prises de parole militantes.</p>
<p>Ensuite, il est vrai que dans les années 2000, certains manifestants français de confession musulmane étaient tentés de recourir à un lexique politico-religieux pour exprimer publiquement leur soutien à la cause palestinienne.</p>
<p>On relevait ainsi des références à la ville sainte <a href="https://www.cairn.info/jerusalem--9791031805955-page-29.htm">Al-Qods</a> (Jérusalem), à la soi-disant islamité ancestrale de la Palestine ou encore son histoire prophétique – évocation de la <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.2011080310035963">tribu juive des Banu Qurayza</a> vaincue par Mohammed. Au fil des années, ces slogans teintés de religiosité se sont faits plus discrets dans les manifestations françaises propalestiniennes. On peut ainsi parler d’un phénomène d’acculturation des militants musulmans <a href="https://www.jstor.org/stable/40988713">à la « culture manifestante »</a>.</p>
<p>Les thèmes appelant à la justice internationale et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se sont progressivement substitués aux mots d’ordre à connotation « islamique », jugés décalés et disqualifiant.</p>
<p>Cela ne signifie pas nécessairement que les manifestants musulmans d’aujourd’hui soient moins religieux qu’hier mais qu’ils ont intériorisé davantage les codes en usage dans la mouvance propalestinienne française, mêlant antisionisme, antiimpérialisme et antioccidentalisme.</p>
<p>Ces courants hérités de la gauche radicale des années 1960-1970 ont retrouvé une nouvelle actualité protestataire, notamment depuis l’invasion de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-1-page-79.htm">l’Irak par les États-Unis en 2003</a>.</p>
<p>Enfin, pour l’immense majorité des musulmans français et francophones engagés pour la défense des droits des Palestiniens, les figures publiques et les personnes morales nourrissant directement leur perception du conflit se recrutent de moins en moins dans le champ islamique (imams, penseurs musulmans et prédicateurs) que chez des intellectuels acquis à la cause.</p>
<h2>Influence des militants politiques plutôt que religieux</h2>
<p>Des personnalités comme le médecin et militant <a href="https://www.philomag.com/articles/rony-brauman-rappeler-israel-au-respect-du-droit-tout-en-le-laissant-bombarder-gaza-est">Rony Broman</a>, ancien président de Médecins sans frontières, les journalistes <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/attaque-du-hamas/dominique-vidal-la-mobilisation-des-peuples-en-faveur-de-la-paix-sera-determinante">Dominique Vidal</a> ou <a href="https://orientxxi.info/magazine/gaza-palestine-le-droit-de-resister-a-l-oppression,6777">Alain Gresh</a>, l’ancienne déléguée générale de la Palestine en France, Leila Shahid, le jeune essayiste <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/armee-israelienne/israel-palestine-la-solution-a-deux-etats-est-elle-viable-par-thomas-vescovi">Thomas Vescovi</a>, ou encore l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, etc., apparaissent dans nos recherches et observations bien plus déterminants dans leur engagement pour la cause palestinienne que n’importe quelle personnalité musulmane nationale ou transnationale.</p>
<p>Pour beaucoup de jeunes croyants, la parole publique des leaders musulmans français contrainte par le <a href="https://laviedesidees.fr/Antiterrorisme-et-Musulmans-de-France">contexte de surveillance apparaît trop timorée</a>. C’est d’ailleurs l’un des effets indirects de la politique de sécurisation du champ islamique officiel (les organisations reconnues par le ministère de l’Intérieur) que de favoriser l’émergence d’un espace contestataire musulman plus « radical ». On pense ainsi à l’association <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/28/l-association-humanitaire-barakacity-dissoute-en-conseil-des-ministres_6057670_3224.html">Barakacity</a>, aujourd’hui dissoute par décret présidentiel.</p>
<p>En définitive, l’<a href="https://xml.tremplin.ens-lyon.fr/exist/rest/db/rel/data-xhtml/LettresEtHumanites/ConstructionDeLHomoIslamicus/ConstructionDeLHomoIslamicus.xhtml"><em>Homo islamicus</em></a> n’existe pas plus dans la mouvance propalestinienne que dans les autres champs sociaux.</p>
<p>Si la religiosité des manifestants musulmans français doit être prise au sérieux par le sociologue comme ressort imaginaire, symbolique et matériel de la mobilisation, elle doit être aussi analysée comme un registre polymorphe et polysémique, agissant en concurrence ou en complémentarité avec d’autres répertoires d’action qui contribuent à structurer la cause palestinienne dans la France des années 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Geisser ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le retour sur le passé récent permet de mieux comprendre comment s’est produit un certain « processus d’islamisation » de la cause palestinienne en France et de l’interroger.Vincent Geisser, Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167752023-11-03T14:21:54Z2023-11-03T14:21:54ZLa crise au Proche-Orient, une aubaine pour la Russie ?<p>Depuis le début des combats entre le Hamas et Israël, la Fédération de Russie joue à fond de sa position très particulière au Moyen-Orient. Ses liens structurels avec tous les acteurs de la crise actuelle lui permettent de mener des actions et de tenir des discours qu’aucun autre pays européen n’est prêt à assumer.</p>
<p>Le 26 octobre, le représentant spécial de la présidence russe pour le Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov, <a href="https://fr.timesofisrael.com/moscou-accueille-une-delegation-du-hamas-et-un-vice-ministre-iranien-israel-fulmine/">a reçu des dirigeants du Hamas à Moscou</a>. Dans le même temps, la relation entre Israël et la Russie reste forte, entretenue notamment à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2015-2-page-363.htm">nombreuse et influente communauté immigrée en Israël en provenance de l’ex-URSS</a>.</p>
<p>Pour Moscou, la série d’événements qui a démarré le 7 octobre dernier constitue une diversion qui confine à l’aubaine. La guerre en Ukraine est passée au second plan de l’attention médiatique et diplomatique, et le <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/vu-de-russie/20231020-vladimir-poutine-appelle-%C3%A0-la-paix-au-proche-orient-son-arm%C3%A9e-rase-avdiivka-en-ukraine">Kremlin se présente comme un faiseur de paix entre Israël et le Hamas</a>. La <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/themes/guerre/la-guerre-de-soukkot/">« guerre de Soukkot »</a> peut-elle permettre à la Russie de se relancer sur la scène internationale tout en marquant des points dans son bras de fer géopolitique avec les États-Unis, qu’elle désigne comme les <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/10/30/guerre-israel-hamas-vladimir-poutine-affirme-que-les-etats-unis-sont-responsables-du-chaos-mortel-au-moyen-orient-11552053.php">grands responsables du chaos actuel au Proche-Orient</a> ?</p>
<h2>Exploiter une aubaine stratégique</h2>
<p>Pour la stratégie russe en Europe, cette crise constitue une occasion inespérée. Elle intervient en effet à un moment où la Fédération a besoin d’une pause dans la mobilisation internationale contre son opération militaire en Ukraine. Le relatif <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-hamas-contre-israel-comment-moscou-utilise-le-conflit-pour-detourner-l-attention-de-l-ukraine-20231009">passage au second plan du conflit russo-ukrainien</a> lui profite directement et massivement. Ne serait-ce que parce que <a href="https://www.axios.com/2023/10/19/us-israel-artillery-shells-ukraine-weapons-gaza">Washington a envoyé à Israël des armes initialement destinées à l’Ukraine</a>…</p>
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<p>En cet automne 2023, les efforts de reconquête ukrainiens <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/guerre-en-ukraine-le-podcast/l-armee-ukrainienne-en-difficulte-4624488">peinent à produire des effets stratégiques</a>. Les territoires repris depuis début juin par les armées de Kiev sont conséquents, mais restent sans commune mesure avec les 20 % du territoire national occupés et <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">annexés illégalement par la Russie</a>. Pour Moscou, la crise au Moyen-Orient permet de tourner encore plus rapidement la page de la contre-offensive ukrainienne afin d’achever de la <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/15/ukraine-larmee-russe-progresse-y-compris-autour-davdiivka-selon-poutine">faire passer pour un non-événement</a>.</p>
<p>De plus, la crise au Proche-Orient absorbe l’attention et les activités des chancelleries mondiales au moment où se manifestent certains fléchissements dans le soutien à l’Ukraine, en <a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Pologne</a> du fait du conflit lié à l’importation en Europe des céréales ukrainiennes, <a href="https://www.iris-france.org/178787-guerre-en-ukraine-le-soutien-americain-incertain-a-lapproche-des-elections/">aux États-Unis</a> dans un contexte de crise institutionnelle au Congrès ou encore en Europe centrale comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/25/slovaquie-robert-fico-forme-un-gouvernement-avec-les-pro-russes">Slovaquie</a>, où la victoire de Robert Fico affaiblit l’unité de l’UE dans son bras de fer avec la Russie.</p>
<p>Au-delà des dirigeants, ce sont aussi les médias et les opinions publiques à travers le monde qui, actuellement, s’intéressent un moins moins au théâtre ukrainien et des féroces combats qui se déroulent dans le Donbass, pour se focaliser sur le conflit au Proche-Orient, ce qui offre à la Russie une forme de répit.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À New York, le 18 octobre 2023, des manifestants pro-palestiniens font face à des manifestants pro-israéliens. Le conflit proche-oriental occupe aujourd’hui les esprits davantage que celui en cours en Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Syndi Pilar/Shutterstock</span></span>
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<p>La façon dont la Russie va exploiter cette période de relatif répit médiatique et diplomatique ne se manifestera pas immédiatement. Les repositionnements de troupes au sol, les campagnes diplomatiques bilatérales, la mobilisation des amis du Kremlin dans les organisations multilatérales, l’élaboration d’un nouveau narratif sur la guerre en Ukraine, etc. : tout cela est en préparation à Moscou. Mais les effets ne se verront que vers la fin de l’année, notamment à l’occasion de la traditionnelle conférence de presse du président Poutine.</p>
<p>Assurément, la Russie se repositionnera non plus comme un acteur régional en Europe oriental mais comme un acteur global, au Moyen-Orient notamment. C’est ainsi qu’elle a déposé un texte de résolution à l’ONU visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza ; le <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139707">rejet de ce texte</a>, du fait des votes « contre » des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et du Japon, lui a permis de renforcer, aux yeux des pays dits du Sud et, spécialement, des États musulmans, sa posture de leader du camp anti-occidental, soucieux de protéger la population civile gazaouie, tout en <a href="https://eng.belta.by/politics/view/lavro-on-differences-in-russian-us-draft-resolutions-on-israel-palestine-conflict-162944-2023/">dénonçant l’alignement des Occidentaux sur Israël</a> et en allant jusqu’à se présenter comme un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/russia-says-israels-gaza-bombardment-is-against-international-law-2023-10-28/">pays défendant le droit international</a>.</p>
<h2>Mobiliser ses alliés dans la région</h2>
<p>Pour les Realpolitiker russes, cette crise présente aussi l’occasion de mobiliser leurs réseaux d’alliances dans les mondes arabe, turc, persan et plus largement musulman. Dès avant l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-3-page-109.htm?ref=doi">Fédération de Russie a constamment renforcé ses relais dans la région</a>.</p>
<p><a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/loffensive-de-charme-de-poutine-vis-vis-moyen-orient">Dans le monde arabe</a>, à partir de 2015, elle a réactivé l’ancienne alliance avec la famille Al-Assad pour littéralement sauver le régime en Syrie par une intervention militaire cruciale. Elle a en outre resserré ses liens traditionnels avec l’Égypte dans les domaines de l’armement, de l’agro-alimentaire et de l’énergie. Elle a cultivé son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/15/a-moscou-la-russie-et-l-algerie-renouvellent-leur-partenariat-strategique_6177821_3212.html">allié algérien</a> et a repris pied en Libye avec son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/07/en-libye-la-relation-securitaire-entre-khalifa-haftar-et-moscou-s-intensifie_6192985_3212.html">soutien au maréchal Haftar</a>. Elle s’est même engagée dans une <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1414">coopération avec le royaume saoudien</a> dans le cadre de l’OPEP+.</p>
<p>Par-delà le monde arabe, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/11/guerre-en-ukraine-que-sont-les-drones-iraniens-utilises-par-la-russie_6145369_3210.html">trouvé dans l’Iran un fournisseur de drones pour la guerre en Ukraine</a> ainsi qu’un soutien dans les enceintes internationales. Et les <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">rapprochements entre les présidents russe et turc</a> sont réels même s’ils ne doivent pas susciter l’illusion d’une alliance solide.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F2Acm-2sjpw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La crise actuelle lui permet de raviver ces alliances structurelles autour d’une question ancienne et passée au second plan dans le monde musulman après les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords d’Abraham</a> : la cause palestinienne. La spécificité de la position de la Russie dans la région à la faveur de ce conflit doit être soulignée : elle est capable de mobiliser ses alliés par-delà les lignes de clivage internes à la région. Et la crise actuelle, qui réactive <a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">l’hostilité à Israël dans les opinions arabes, persanes et musulmanes au sens large</a>, souligne la centralité d’un acteur dont les Occidentaux ont pourtant voulu faire un paria.</p>
<p>Là encore, les effets de cette position ne se manifesteront pas tous immédiatement : c’est à moyen terme que la Russie tentera de tirer bénéfice de sa position actuelle pour contester encore davantage le poids des États-Unis dans la région. Toutefois, il est certain que l’aubaine immédiate peut être complétée par des gains stratégiques dans la zone : la Russie peut utiliser la crise pour souligner sa centralité, pour rappeler à ses alliés qu’elle parle à tous et peut donc prétendre au rôle de médiateur.</p>
<p>À condition toutefois de préserver sa relation avec Israël.</p>
<h2>Préserver ses relais en Israël</h2>
<p>Si la Russie prétend à une position œcuménique au Moyen-Orient, elle est actuellement handicapée, en Israël, par plusieurs facteurs. <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/30/au-daghestan-un-aeroport-pris-d-assaut-par-une-foule-hostile-a-israel_6197355_3210.html">Les mouvements de foule au Daghestan</a>, république autonome de la Fédération de Russie à majorité musulmane, contre les passagers d’un vol en provenance de Tel-Aviv, ont été perçus avec beaucoup d’inquiétude dans l’État hébreu.</p>
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<p>Après avoir revendiqué le rôle de pionnier dans la lutte contre l’islamisme sunnite violent, comment la Russie pourrait-elle prétendre au rôle de médiateur alors qu’elle accueille désormais fréquemment des dirigeants du Hamas ?</p>
<p>Plusieurs leaders en Israël redoutent le renforcement de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-sinquiete-dun-axe-russie-iran-hamas-2025584">l’axe Moscou-Téhéran-Hamas</a> dans le contexte de l’opération israélienne à Gaza. La symbiose entre la République islamique d’Iran et la Fédération de Russie préoccupe tout particulièrement Israël : elle peut jouer en faveur d’une modération du Hezbollah, mais elle peut aussi contribuer à la régionalisation des hostilités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">Comment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël</a>
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<p>Dans la crise, la Russie a beaucoup à perdre avec Israël. Ses relais d’influence y sont multiples : plus d’un million d’habitants (sur 9 millions) sont issus de l’ex-URSS. Ils constituent la première communauté immigrée en Israël et disposent de figures publiques influentes dans les domaines politiques, économiques, financiers, médiatiques ou technologiques. La Russie est-elle condamnée par sa position actuelle à dilapider son capital en Israël ? Nombreux sont les observateurs à estimer que les <a href="https://www.agenzianova.com/en/news/russia-israel-kommersant-bilateral-relations-are-in-deep-crisis/">relations bilatérales Moscou-Tel-Aviv sont à un plus bas historique</a>.</p>
<p>En somme, la position russe au Moyen-Orient se trouve à un croisement. Soit elle se contente se traiter la crise actuelle comme une diversion : elle profitera alors du répit médiatique et de la baisse de pression diplomatique pour renforcer encore ses positions en Ukraine ; soit elle endosse le rôle de ciment des acteurs anti-Israël au Moyen-Orient : elle rompra encore davantage avec des Occidentaux mobilisés en faveur de la sécurité d’Israël ; soit, enfin, elle choisit la voie étroite de médiateur potentiel : il lui faudra alors, pour être acceptée comme telle par les Israéliens, remédier aux nombreuses tensions de la relation bilatérale Moscou-Tel-Aviv.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’attention mondiale s'est reportée de l’Ukraine à Gaza. La Russie en bénéficie largement, d'autant qu'elle cherche à apparaître comme un faiseur de paix au Proche-Orient.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158462023-10-25T16:01:45Z2023-10-25T16:01:45ZOù en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?<p>Le 16 septembre 2022, à Téhéran, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/17/en-iran-la-mort-d-une-jeune-femme-arretee-par-la-police-des-m-urs-suscite-des-protestations_6142073_3210.html">Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs</a> (<em>gasht-e-ershâd</em>) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (<em>bad hedjâbi</em>). Elle devient l’étendard d’une vague de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/4.html">protestations inédites en République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">port obligatoire du voile</a>. Elles sont <a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes</a>. Les contestataires se battant pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.</p>
<p>La réponse des autorités, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-le-bilan-de-la-repression-monte-a-537-morts-depuis-septembre-04-04-2023-2514924_24.php">sanglante</a> et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : <a href="https://www.tf1info.fr/international/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini-les-chiffres-pour-comprendre-la-mobilisation-2269779.html">selon différentes sources</a>, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les <a href="https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/iran-les-minorites-ethniques-et-religieuses-sont-sous-pression">minorités ethniques et religieuses</a> s’étant jointes au mouvement général.</p>
<p>Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/prix-nobel/le-prix-nobel-de-la-paix-est-attribue-a-la-militante-iranienne-narges-mohammadi-pour-sa-lutte-contre-l-oppression-des-femmes_6105279.html">militante emprisonnée Nargues Mohammadi</a> pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/la-chercheuse-fariba-adelkhah-de-retour-en-france-apres-quatre-annees-de-retention-en-iran-20231018_U4W2LMGZ5VBHPM6A4QTKI6YJFE/">libération de la chercheuse Fariba Adelkhah</a> après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/10/09/femme-vie-liberte-un-slogan-qui-vient-de-loin_6145039_6116995.html">slogan « Femme, Vie, Liberté »</a> ?</p>
<h2>De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens</h2>
<p>Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-62981497">brûlant</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/18/iran-se-couper-des-meches-de-cheveux-un-geste-symbolique-qui-mobilise-les-rebelles-au-pouvoir-islamiste_6146232_3232.html">se coupant des mèches de cheveux</a>.</p>
<p>Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/iran/iran-comment-les-forces-de-securite-utilisent-le-viol-pour-reprimer-les-protestations_AV-202211230375.html">violées</a> et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.</p>
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<p>Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. <a href="https://www.lefigaro.fr/international/iran-des-hommes-portent-le-voile-pour-soutenir-les-femmes-contre-la-politique-stricte-du-regime-20230314">Des jeunes hommes portent le voile</a> en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grèves</a> sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/31/en-iran-les-kurdes-premieres-victimes-de-la-repression_6159913_3210.html">Kurdistan</a> et du <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13465898-le-sistanbaloutchistan-province-martyre-de-la-repression-iranienne.html">Baloutchistan</a>, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.</p>
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<p>Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, <a href="https://www.letemps.ch/monde/je-mets-en-vente-mon-rein-en-iran-une-crise-economique-qui-risque-d-embraser-le-pays">situation économique désastreuse</a>, inflation <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/24/en-iran-de-plus-en-plus-de-menages-ne-peuvent-plus-payer-leur-loyer-en-raison-de-l-inflation-galopante_6183242_3210.html">atteignant les 50 %</a>, salaires insuffisants, <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/dessin-du-jour-en-plein-hiver-l-iran-frappe-par-une-severe-penurie-de-gaz">pénuries de toutes sortes</a> – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.</p>
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<h2>De la contestation ouverte à la désobéissance civile</h2>
<p>Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.</p>
<p>En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.</p>
<p>Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4049383-20230818-iran-journaliste-publie-nouvelle-photo-voile-sortie-prison">Nazila Maroufian</a> ou de l’actrice <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221110-iran-au-nom-des-femmes-la-star-de-cin%C3%A9ma-taraneh-alidoosti-%C3%B4te-son-voile">Taraneh Alidousti</a>.</p>
<p>Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/le-choix-d-angele/en-iran-une-ingenieure-condamnee-a-74-coups-de-fouet-pour-avoir-jete-son-voile_VN-202309080128.html">condamnée à 74 coups de fouet</a>. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.</p>
<p>Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du <em>hedjâb</em>. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/19/iran-elnaz-rekabi-la-grimpeuse-disparue-depuis-sa-participation-sans-voile-a-une-competition-reapparait-a-teheran_6146470_3210.html">Elnaz Rekabi</a>, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/apres-avoir-joue-sans-voile-la-championne-dechecs-iranienne-sara-khademalsharieh-sest-exilee-en-espagne-20230122_JOPXKFYTE5FONBQPZZU2OUYA5M/">Sara Khademalsharieh</a> apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de <a href="https://www.ouest-france.fr/gaming/jeux-de-societe/a-30-ans-mitra-hejazipour-est-sacree-championne-de-france-dechecs-38f0b714-4580-11ee-a014-fc15152f6424">Mitra Hejazipour</a>, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.</p>
<p>Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.</p>
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<p>Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, <em>Le Monde</em> a publié les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/08/cinq-iraniennes-ecrivent-depuis-leur-prison-nous-sommes-coupables-du-desir-de-vivre_6188463_3232.html">textes écrits et transmis clandestinement</a> par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).</p>
<p>Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">Mehdi Yarrahi</a> a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau « Soroode Zan » (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de <a href="https://csdhi.org/actualites/repression/39618-le-chanteur-iranien-shervin-hajipour-risque-la-prison-mais-remporte-un-grammy-pour-son-hymne-de-protestation/">Shervin Hajipour</a> « Baraye » (« Pour »). Finalement, la chanson « Enlève ton foulard » de Yarrahi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">mené à son arrestation</a>.</p>
<h2>Une répression multiforme</h2>
<p>En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des <a href="https://www.lejdd.fr/international/en-iran-les-femmes-refusant-le-voile-sont-condamnees-pour-trouble-mental-et-envoyees-en-psychiatrie-137590">internements psychiatriques</a>, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des <a href="https://www.smh.com.au/world/middle-east/iranian-women-forced-to-wash-corpses-for-refusing-to-wear-veil-20230809-p5dvar.html">lavages de cadavres à la morgue</a>. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».</p>
<p>Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-histoires-du-monde/histoires-du-monde-du-jeudi-14-septembre-2023-6669871">« <em>hedjâb</em> et chasteté »</a>, qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.</p>
<p>Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visés par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2022/12/22/flagellationflagellation/">flagellations</a>. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique, a été fermé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/04/en-iran-un-parc-aquatique-ferme-pour-avoir-permis-a-des-femmes-d-entrer-sans-voile_6187777_3210.html">pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées</a>.</p>
<p>Dans la répression généralisée, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/iran-des-cameras-intelligentes-pour-sanctionner-les-femmes-non-voilees-20230408">recours à l’intelligence artificielle</a> est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.</p>
<p>Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vague-dintoxications-dans-les-ecoles-en-iran-qui-veut-nuire-leducation-des-filles">attaques chimiques</a> visant à <a href="https://www.ei-ie.org/fr/item/27836:iran-les-attaques-chimiques-a-repetition-menees-contre-les-ecoles-mettent-en-evidence-la-violence-fondee-sur-le-genre-et-les-obstacles-a-leducation-des-filles">semer la terreur</a> et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».</p>
<h2>L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi</h2>
<p>Le 15 septembre 2023, vingt ans après <a href="https://www.lejdd.fr/International/Shirin-Ebadi-une-vie-de-combat-813184-3150128">Shirin Ebadi</a>, Nargues Mohammadi <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/la-militante-iranienne-narges-mohammadi-fiere-de-ses-codetenues-2667765">s’est vu décerner le prix Nobel de la paix</a> pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où <a href="https://actualitte.com/article/112922/international/en-iran-pres-de-11-ans-de-prison-pour-l-autrice-narges-mohammadi">elle purge une peine d’onze ans de prison</a>. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/06/world/nobel-peace-prize-winner-2023-intl/index.html">« politique et partial »</a> et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du <a href="https://www.letemps.ch/societe/egalite/le-prix-sakharov-recompense-mahsa-amini-et-le-mouvement-des-femmes-en-iran">prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté »</a>.</p>
<p>Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/05/la-russie-livre-des-avions-a-l-armee-de-l-air-iranienne_6187893_3210.html">avec la Russie</a>, mais aussi <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est <a href="https://www.lopinion.fr/international/comment-liran-a-aide-le-hamas-a-attaquer-israel">largement soupçonné d’avoir été impliqué</a>, tout comme les bombardements de Gaza qui se sont ensuivis ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De très nombreuses Iraniennes, et de très nombreux Iraniens, continuent de défier le régime, malgré une répression impitoyable.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152972023-10-10T21:16:19Z2023-10-10T21:16:19ZComment le Hamas a récupéré le désespoir palestinien<p>Depuis samedi matin, le Hamas, conduit une attaque inhumaine et de grande ampleur contre l’État hébreu. L’organisation islamique, qui est considérée comme <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-au-proche-orient-hamas-et-hezbollah-deux-organisations-classees-terroristes-en-europe-11268480">terroriste</a> par l’Union européenne, a tiré des milliers de roquettes sur les villes israéliennes depuis la bande de Gaza, où elle officie. Et de manière totalement inédite, des combattants du Hamas se sont infiltrés dans les territoires israéliens pour s’en prendre violemment et massivement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/pres-de-gaza-la-rave-party-a-vire-au-cauchemar_6193286_3210.html">à des civils</a>. À ce stade, on <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/israel-gaza-1100-morts-en-48-heures-l-armee-israelienne-a-frappe-cette-nuit-500-cibles-du-hamas-4173346">dénombre</a> plus de 800 morts côté israélien et 2 600 blessés, et, côté palestinien, au moins 687 morts depuis samedi et 2 900 blessés.</p>
<p>Le monde est stupéfait par les évènements. Pourtant, pour beaucoup d’observateurs, comme Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, les évènements sont <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">« surprenants mais étaient prévisibles »</a>. L’ampleur de l’attaque est inédite, la faille de l’armée et des services secrets israéliens est étonnante et la violence est terrifiante et inacceptable. Mais en effet, la conjoncture actuelle laissait présager une escalade de violence.</p>
<p>Sur le terrain, dont je reviens à peine, on ressent clairement au sein de la population palestinienne un désespoir croissant et multifactoriel, et une violence latente. Plus personne ne parle de « paix », mais plutôt de « fin de l’occupation »… et les jeunes parlent de « résistance, par tous les moyens ».</p>
<p>C’est dans ce contexte que le Hamas a conduit son attaque. Et l’organisation a récupéré ce désespoir pour se légitimer et obtenir le soutien d’une partie de l’opinion palestinienne.</p>
<h2>Gaza, une « prison à ciel ouvert » qui favorise la radicalisation</h2>
<p>À Gaza, d’où opère le Hamas, 2,3 millions de Palestiniens s’entassent sur 365 km faisant de la bande de Gaza l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">Plus de deux tiers</a> de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon l’ONG israélienne B’Tselem, le <a href="https://plateforme-palestine.org/Gaza-les-chiffres-cles-2023">taux de chômage est de 75 %</a> chez les moins de 29 ans.</p>
<p>Depuis 2007, ce territoire est aussi soumis à un <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/29/a-gaza-des-bateaux-palestiniens-contre-la-nouvelle-barriere-maritime-voulue-par-israel_5306341_3218.html">blocus israélien</a> à la fois maritime, aérien et terrestre, qui prive presque entièrement ce territoire de contacts avec le monde extérieur.</p>
<p>Les Gazaouis sont régulièrement coupés d’eau et d’électricité et dépendent essentiellement des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/palestine-israel-aide-internationale-normalise-siege-gaza">aides internationales</a>. Les entrées et les sorties de Gaza dépendent des autorisations données par les forces israéliennes et sont extrêmement rares, ce qui lui vaut le surnom de « prison à ciel ouvert ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Gaza : Une « prison à ciel ouvert » depuis 15 ans Human Rights Watch, YouTube.</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, la population gazaouite, et notamment la jeunesse, coupée du monde, se radicalise. La plupart pensent n’avoir plus rien à perdre et ne croient plus aux solutions politiques et à la paix. Progressivement l’idée qu’il faut résister à l’occupation de l’État hébreu par la violence, prônée par les groupes islamistes, se répand. Ce qui fait le jeu du Hamas et du Jihad islamique qui regroupent de plus en plus de combattants.</p>
<h2>La Cisjordanie, un territoire démembré</h2>
<p>En Cisjordanie, l’attaque du Hamas n’a pas été condamnée, voire la population palestinienne a exprimé son soutien par des manifestations.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un territoire fragmenté, Le Monde, 2018.</span></figcaption>
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<p>Le reste du monde s’étonne qu’on puisse soutenir une telle cruauté qui est sans équivoque inacceptable. Mais, il faut aussi s’intéresser aux causes de ce soutien. En Cisjordanie aussi, la population et la jeunesse sont désabusées voir désespérées.</p>
<p>Le territoire palestinien est complètement démembré. La colonisation est largement soutenue et accompagnée par le gouvernement israélien. Plus de 280 colonies et 710 000 colons ont été dénombrés par l’ONU. Des habitations palestiniennes sont régulièrement <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">détruites</a>.</p>
<p>Depuis 2002, plus de 700 km de mur sont construits entre les territoires palestiniens et Israël. Ce mur sécuritaire devait suivre la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_verte_(Isra%C3%ABl)">ligne verte de 315km</a>, prévue par le plan de partage de l’ONU de 1947, finalement, il n’en finit pas de faire des tours et des détours en empiétant progressivement sur des bouts de territoires palestiniens et en isolant certaines villes palestiniennes.</p>
<p>Un député palestinien me dit « c’est le mur des Lamentations arabe », d’autres parlent du « mur de la honte ». Même Jérusalem-Est est de plus en plus occupée, jusque sur l’esplanade des Mosquées qui abrite la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Notons que l’attaque du Hamas est dénommée « déluge Al-Aqsa », un symbole au cœur du conflit qui montre que le groupe islamiste s’appuie sur les frustrations et les rancœurs de la population…</p>
<h2>Un désespoir quotidien</h2>
<p>La liberté de mouvement des habitants de Cisjordanie est extrêmement limitée : elle dépend des autorisations et des laissez-passer obtenus auprès des autorités israéliennes. Quotidiennement, les Palestiniens doivent traverser, laborieusement, des <a href="https://books.openedition.org/pup/8020?lang=fr">checkpoints</a>.</p>
<p>Certains enfants m’expliquent qu’ils traversent le checkpoint entre Abu Dis et Jérusalem pour aller à l’école ; ils y vont seuls parce que leurs parents n’ont pas les autorisations et y passent une heure au moins tous les jours. Certains étudiants, eux, m’expliquent qu’auparavant, pour rejoindre leur université, ils pouvaient y aller à pied, maintenant, il y a le mur et un checkpoint. L’ONU estime qu’il y a environ <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">593 checkpoints</a>, visant, pour la plupart, à protéger les colons israéliens.</p>
<p>La situation économique en Cisjordanie est aussi déplorable. Les <a href="https://unctad.org/fr/news/les-restrictions-economiques-en-cisjordanie-ont-coute-50-milliards-de-dollars-entre-2000-et">restrictions israéliennes</a> bloquent le développement. Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">taux de pauvreté</a> s’élève à 36 % et le taux de chômage à 26 %.</p>
<p>L’armée israélienne, surtout depuis l’arrivée du dernier gouvernement de Nétanyahou, démultiplie les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/03/important-raid-israelien-sur-jenine-8-palestiniens-tues-une-cinquantaine-de-blesses">interventions</a> et les raids de prévention. Avant l’attaque du Hamas, depuis le début de l’année, 200 Palestiniens avaient été tués. <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134792">L’ONU dénombre</a> 4 900 prisonniers politiques palestiniens et relève les conditions déplorables des prisons israéliennes et les mauvais traitements infligés.</p>
<h2>Impasse politique, violence latente</h2>
<p>À tout ceci s’ajoute l’impasse politique. Il n’y a pas eu d’élections depuis 2006 en Palestine. L’Autorité palestinienne, reconnue comme représentant légitime du peuple palestinien, est devenue une coquille vide qui n’a plus aucun pouvoir effectif. Le pouvoir est concentré dans les mains de Mahmoud Abbas, 87 ans, qui a perdu le soutien de sa population. La <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-corruption-de-leurs-dirigeants-est-un-fleau-pour-les-palestiniens-20190515">corruption</a> paralyse toutes les institutions palestiniennes.</p>
<p>Suite aux échecs, à répétitions, des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël, certains considèrent même que Mahmoud Abbas est <a href="https://www.iris-france.org/168899-palestine-biden-hypocrite-abbas-complice/">« complice »</a> de l’occupation israélienne.</p>
<p>La population n’attend plus rien de la politique et encore moins des négociations. Depuis le début de l’année, on avait une résurgence d’attaques « individuelles » issues du désespoir quotidien. Comme ce chauffeur palestinien qui, fin août, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1347957/attaque-a-un-checkpoint-en-cisjordanie-occupee-trois-blesses.html">a foncé dans un groupe de soldats israéliens</a> alors qu’il s’apprêtait à franchir un check-point.</p>
<p>C’est ce même désespoir qui pousse aujourd’hui une partie de la population palestinienne à soutenir les attaques du Hamas pourtant cruellement inhumaines. Comme l’indique Elie Barnavi, on pourrait même craindre, en suivant, le déclenchement d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">nouvelle intifada</a>…</p>
<h2>Une opération politique du Hamas</h2>
<p>En réalité, le Hamas n’a fait que profiter de ce contexte favorable à la violence. Le Hamas, qui prône la résistance armée et refuse de reconnaître l’existence d’Israël, a instrumentalisé la frustration et le désespoir des Palestiniens pour se positionner en « véritable défenseur de la cause palestinienne ».</p>
<p>En 2006, le Hamas était sorti vainqueur des élections législatives palestiniennes. Malgré le déroulement démocratique de ces élections, le résultat n’avait pas été reconnu par la communauté internationale qui refusait qu’une organisation terroriste prenne le pouvoir. Le Hamas s’est donc replié dans la bande Gaza sur laquelle il a pris le contrôle. Depuis Gaza, il a continué de se radicaliser, de délégitimer l’Autorité palestinienne et il a attendu le momentum pour mettre son discours et sa stratégie en œuvre. Aux yeux de l’organisation, ce momentum est arrivé. Les cadres ont sans doute estimé que le contexte était favorable pour une attaque de grande ampleur qui leur permettrait de gagner en popularité.</p>
<p>D’une part, la <a href="https://theconversation.com/avec-sa-reforme-judiciaire-benyamin-netanyahou-consolide-son-heritage-politique-210667">déstabilisation interne en Israël</a> a offert une brèche dont le Hamas pouvait profiter. Israël n’a jamais été aussi divisé que depuis l’arrivée de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/29/netanyahou-revient-a-la-tete-du-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-d-israel_6155974_3210.html">coalition d’ultra-orthodoxes</a> et de nationaux-religieux formée par Nétanyahou. Des manifestations de grande ampleur contre la réforme de la justice ont secoué le pays depuis plusieurs mois. De manière totalement inédite, les réservistes israéliens, indispensables à la défense israélienne, s’étaient mis en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/07/en-israel-revolte-inedite-des-reservistes-de-l-armee_6164478_3210.html">grève</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Israël : la rupture Nétanyahou ? » (Le dessous des cartes, la leçon de géopolitique (Arte).</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, la conjoncture internationale est incontestablement en train de changer et le Hamas a probablement vu ce contexte mouvant comme une opportunité à saisir. L’équilibre des puissances évolue, de nouveaux équilibres se créent et la région se reconfigure. En témoignent l’accord entre Téhéran et Riyad, et les <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/117072-000-A/les-accords-d-abraham-qu-est-ce-que-c-est/">accords d’Abraham</a> qui ont normalisé les relations d’Israël avec certains pays arabes. <a href="https://theconversation.com/deux-si%C3%A8cles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Les plaques tectoniques bougent</a> : le statu quo au <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">Haut-Karabakh</a> est rompu, les <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">coups d’État s’enchaînent en Afrique</a>. Le Hamas a estimé le moment opportun pour imposer un bouleversement de situation.</p>
<p>Ainsi, 50 ans après la guerre du Kippour, 30 ans après le processus des accords d’Oslo, les événements tragiques de ces derniers jours sont à resituer dans la complexité tragique de ce conflit qui oppose deux peuples depuis 1948. Le Hamas se sert du désespoir et de la colère palestinienne pour conduire des actes d’une violence inouïe qui vont délégitimer une cause légitime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'attaque du Hamas s'appuie sur un contexte double: le désespoir palestinien et une conjoncture géopolitique opportune.Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152872023-10-09T20:33:20Z2023-10-09T20:33:20ZIsraël-Hamas : « Le sujet même de la paix a disparu »<p><em><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231009-que-sait-on-de-l-op%C3%A9ration-sans-pr%C3%A9c%C3%A9dent-men%C3%A9e-par-le-hamas-en-isra%C3%ABl">L’assaut d’une ampleur sans précédent lancé par le Hamas</a> et la riposte israélienne, <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231008-en-images-dans-l-enfer-de-gaza-sous-les-bombes-de-la-risposte-isra%C3%A9lienne">sous la forme de bombardements massifs sur la Bande de Gaza</a>, signent-ils la fin d’un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/conflit-israel-gaza-le-hamas-torpille-le-processus-de-paix-entre-riyad-et-tel-aviv-avec-le-reveil-de-la-cause-palestinienne-dans-le-monde-arabe_6081825.html">processus de paix</a> déjà <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/04/02/israel-palestine-pourquoi-la-paix-parait-plus-lointaine-que-jamais_6167928_3210.html">bien fragile</a> avant les événements du weekend dernier ?</em></p>
<p><em>S’achemine-t-on vers une guerre totale ? Israël peut-il vaincre militairement le Hamas, et réciproquement ? <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-netanyahou-forme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-1891423">Le gouvernement très droitier de Benyamin Nétanyahou</a> va-t-il s’ouvrir à la gauche pour former un cabinet d’union nationale, et si oui, avec quelles conséquences ?</em></p>
<p><em>Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses questions que tous les observateurs se posent après trois jours d’affrontements sanglants, qui se sont déjà soldés par des <a href="https://www.rts.ch/info/monde/14373865-le-bilan-des-affrontements-entre-israel-et-le-hamas-depasse-les-1000-morts.html">centaines de morts des deux côtés</a>.</em></p>
<p><em>Samy Cohen, chercheur émérite à Sciences Po, président de l’Association française d’études sur Israël (AFEIL) et auteur de nombreux ouvrages dont dernièrement <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/israel-une-democratie-fragile-9782213716725"><em>Israël, une démocratie fragile</em> (Fayard, 2021)</a>, apporte ici quelques éléments de réponse.</em></p>
<hr>
<h2>Pourquoi l’assaut du Hamas a-t-il pris Israël de court ?</h2>
<p>Il y a eu, côté israélien, des failles à deux niveaux. D’une part, une faille au niveau du renseignement. Jusqu’ici, le <a href="https://www.shabak.gov.il/en">Shabak</a> était très bien renseigné sur la situation dans la bande de Gaza. Manifestement, dernièrement, il n’avait plus de sources au sein du Hamas. Sa cécité n’en est pas moins étonnante. Par exemple, des journalistes avaient indiqué, ces derniers mois, que les militants du Hamas étaient nombreux à sortir s’entraîner régulièrement à moto, et même qu’ils apprenaient à piloter des ULM ; et pourtant, les services israéliens n’ont rien vu venir. C’est une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231007-attaque-du-hamas-sur-isra%C3%ABl-une-faillite-historique-des-services-de-renseignement-isra%C3%A9liens">faille majeure</a> dont ils devront répondre un jour.</p>
<p><em>[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</em></p>
<p>Mais cette faille ne s’est pas produite dans un vide. Bien souvent, les failles du renseignement sont dues aux failles de la conception politico-militaire du pays. Prenez la <a href="https://theconversation.com/derriere-lattaque-du-hamas-le-spectre-de-la-guerre-de-kippour-215281">guerre du Kippour, il y a cinquante ans</a>. Les services israéliens disposaient de nombreux renseignements indiquant que l’Égypte était sur le point d’attaquer. Mais les responsables politiques n’ont pas voulu le croire car ils étaient pris dans une conception stratégique complètement erronée, d’après laquelle l’Égypte était beaucoup trop faible pour oser passer à l’attaque. De la même façon, depuis plusieurs années, la conception politico-stratégique du pouvoir a en quelque sorte ruisselé jusqu’au monde du renseignement : cette conception, défendue depuis des années par Benyamin Nétanyahou, affirmait que le Hamas ne présentait pas un danger majeur pour Israël… et qu’il fallait préserver sa présence dans la bande de Gaza afin de convaincre la société israélienne et la communauté internationale qu’il n’y avait pas de partenaire pour la paix puisque la société palestinienne était fracturée entre, d’une part, le Hamas et, d’autre part, le Fatah.</p>
<p>Pour Nétanyahou et pour l’ensemble de la droite israélienne, l’épouvantail Hamas constituait une sorte d’assurance face à d’éventuelles pressions internationales. Nétanyahou a même dit en aparté un jour qu’il était dans l’intérêt d’Israël que le Hamas perdure. Pour cela, il a permis que de l’argent du Qatar lui soit versé, et il a autorisé quelque 20 000 Gazaouis à aller travailler en Israël, pour que la vie sous le Hamas y soit un minimum vivable.</p>
<p>Les services de renseignement ont été imprégnés de cette vision selon laquelle le Hamas n’était pas une menace réelle. D’ailleurs, il y a peu, Tzachi Hanegbi, chef du Conseil de sécurité nationale, une instance qui conseille le premier ministre, et qui est un proche de Nétanyahou, a déclaré que le Hamas n’était pas désireux de reprendre les hostilités. Bref, les services de renseignement se sont endormis, mais dans une large mesure, cela s’explique par la posture du gouvernement – et il faut ajouter que voilà des mois que le premier ministre se concentre quasi exclusivement sur son combat visant à prendre le contrôle de la Cour suprême, ce qui constituait pour lui une priorité absolue – au moins jusqu’au 7 octobre…</p>
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<h2>Une fois l’attaque du Hamas lancée, ses combattants ont pu assez aisément progresser en territoire israélien, tuant de nombreuses personnes et prenant près d’une centaine d’otages…</h2>
<p>Parce que les unités de l’armée étaient très insuffisantes autour de Gaza. Pour une raison simple : l’effort principal portait sur la Cisjordanie. Depuis deux ans, le gouvernement israélien ne cesse de renforcer la sécurité des colonies. Il est vrai qu’il y a eu une recrudescence des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mercredi-21-juin-2023-2010460">attentats en Cisjordanie</a> ; mais l’explication tient surtout au fait qu’il y a désormais au gouvernement des représentants des colons de Cisjordanie, à commencer par le ministre de la Sécurité intérieure, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20231002-isra%C3%ABl-le-ministre-extr%C3%A9miste-itamar-ben-gvir-continue-d-embarrasser-le-gouvernement-netanyahu">Itamar Ben-Gvir</a>, qui exigent que l’armée assure la sécurité de ces colons, qui sont leur électorat fidèle – ce qui s’est fait au détriment des populations vivant près de la bande de Gaza, qui votent de façon beaucoup plus hétérogène et ne sont donc pas considérées comme un électorat prioritaire.</p>
<p>Bref, la combinaison de l’aveuglement du renseignement, dû à la vision des dirigeants du pays, et de l’absence des troupes autour de la bande de Gaza a permis à cet assaut de se dérouler avec le bilan humain que l’on sait.</p>
<h2>Nétanyahou a déclaré vouloir former un gouvernement d’union nationale ; est-ce envisageable ?</h2>
<p>Ce sera compliqué. L’ancien premier ministre Yaïr Lapid a exigé, en contrepartie de son éventuelle entrée au gouvernement, le départ des ulra-religieux. Mais Nétanyahou peut-il se passer d’eux ? Il est possible qu’ils arrivent à un compromis à ce sujet. Aujourd’hui, il a endossé le costume de chef de guerre et montre les muscles, affirmant qu’il allait détruire le Hamas…</p>
<h2>Est-ce possible ?</h2>
<p>Non. Ces propos relèvent de la rhétorique purement politique, pas de la réalité. Le Hamas n’est pas une armée régulière, qu’on peut vaincre sur le champ de bataille et dont on peut obtenir la reddition. C’est une organisation paramilitaire très décentralisée, dont les combattants, qui se cachent dans des <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/larmee-a-frappe-un-tunnel-du-hamas-situe-sous-une-tour-de-gaza/">tunnels</a>, sont très difficiles à débusquer. L’aviation israélienne n’y suffira pas.</p>
<p>Pour y parvenir, il faudrait entrer dans Gaza avec des chars et des milliers d’hommes, et il y aurait de très nombreuses victimes des deux côtés, aussi bien parmi les civils gazaouis que parmi les soldats israéliens. Ce à quoi il faut ajouter un autre facteur : celui des otages…</p>
<h2>Justement, que va faire le Hamas de tous les otages qu’il a emmenés à Gaza ? Entend-il les échanger contre des prisonniers palestiniens détenus en Israël ?</h2>
<p>Actuellement, le Hamas n’a aucun intérêt à négocier la libération des otages. Imaginez, simple hypothèse, que le mouvement obtienne la libération de tous ses prisonniers qui se trouvent actuellement en prison en Israël, et relâche les otages israéliens qu’il détient. Il perdrait alors un formidable bouclier humain ! Israël pourrait attaquer massivement la bande de Gaza, sans craindre de causer au passage la mort de ses ressortissants.</p>
<p>Il y aura peut-être des négociations, mais pas avant très longtemps. En attendant, ces otages seront sans doute disséminés partout à Gaza, contraignant l’armée à faire extrêmement attention à chaque décision de bombarder…</p>
<h2>Le processus de paix israélo-palestinien était déjà moribond ; ce qui vient de se passer constitue-t-il le dernier clou dans le cercueil ?</h2>
<p>Mais le processus de paix israélo-palestinien est mort depuis bien longtemps, au moins depuis <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2008/08/15/le-vrai-faux-plan-de-paix-d-ehoud-olmert_1084111_3218.html">Ehoud Olmert il y a quinze ans</a>. Maintenant, on n’en est plus à planter le dernier clou dans le cercueil ; on en est à jeter le cercueil à la mer ! C’est-à-dire que le sujet même de la paix a disparu. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que même la population israélienne la plus modérée ne croit plus à la possibilité de la paix. Elle a vu les images des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/attaque-du-hamas-contre-israel-au-moins-250-morts-dans-une-rave-party_6111351.html">massacres de civils commis par le Hamas le 7 octobre</a>, et elle a vu des Palestiniens de Cisjordanie en train de fêter bruyamment ces carnages. Nous sommes partis pour des années très sombres. Il n’y aura pas de retour en arrière.</p>
<h2>Quel avenir voyez-vous à Benyamin Nétanyahou ?</h2>
<p>Sa responsabilité est très grande. Il pensait qu’en établissant des relations diplomatiques avec un certain nombre de pays du monde arabe – alors que, des décennies durant, tous les observateurs affirmaient qu’il n’y aurait pas de normalisation israélo-arabe sans règlement de la question palestinienne – il avait démontré que la Palestine, finalement, n’était plus un sujet. Or la Palestine vient, dans une explosion de violence effarante, de se rappeler à son mauvais souvenir ; et dans un contexte pareil, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">il est exclu que l’Arabie saoudite continue d’avancer vers un rapprochement avec Israël</a>.</p>
<p>Pour autant, au vu du traumatisme vécu par Israël ces 7-8 octobre, il n’est pas certain que Nétanyahou perde le pouvoir à brève échéance. Il avait perdu de sa popularité au cours de ces derniers mois à cause de sa posture <a href="https://theconversation.com/israel-sur-fond-de-tensions-croissantes-lattaque-frontale-du-gouvernement-contre-la-cour-supreme-198821">dans l’affaire de la Cour suprême</a>. Cette perte de popularité avait aussi concerné ses alliés ultra-religieux, et bénéficié avant tout au Parti de l’Unité nationale de Benny Gantz, qui vient en tête des sondages depuis des mois et qui pourrait rejoindre le gouvernement à brève échéance.</p>
<p>Remarquez que ni Gantz, ni Yaïr Lapid n’ont demandé le départ immédiat de Nétanyahou. Ils savent qu’une telle exigence serait impopulaire car elle serait perçue comme allant dans le sens du Hamas, puisqu’il s’agirait d’un affaiblissement du pouvoir israélien consécutif aux attaques du 7 octobre. Bref, Nétanyahou est encore là pour un moment, le Hamas aussi, et il est très difficile de trouver des raisons de se montrer optimiste…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215287/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samy Cohen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La paix entre Israéliens et Palestiniens semble désormais un mirage plus lointain que jamais.Samy Cohen, Directeur de recherche émérite (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152812023-10-09T20:32:44Z2023-10-09T20:32:44ZDerrière l’attaque du Hamas, le spectre de la guerre de Kippour<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552771/original/file-20231009-23-tp22e9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C10%2C1752%2C1221&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Camions militaires égyptiens franchissant le canal de Suez sur un ponton le 7 octobre 1973, pendant la guerre du Kippour.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Kippour#/media/Fichier:Bridge_Crossing.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Exactement 50 ans et un jour après avoir été complètement pris au dépourvu par une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mercredi-04-octobre-2023-6798788">attaque militaire coordonnée par ses voisins égyptien et syrien</a>, Israël a de nouveau été pris par surprise. Les parallèles sont saisissants et ne relèvent pas seulement de la coïncidence.</p>
<p>Dès l’aube du 7 octobre 2023, les militants du Hamas <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231007-en-images-diaporama-hamas-offensive-israel-gaza-cisjordanie">ont envahi le sud d’Israël</a> par la terre, par la mer et par les airs, et ont tiré des milliers de roquettes à l’intérieur du pays. En quelques heures, des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/israel/conflit-israel-gaza-le-bilan-s-alourdit-a-1-000-morts_6109548.html">centaines d’Israéliens ont été tués</a>, des otages ont été capturés et la <a href="https://apnews.com/live/israel-hamas-war-live-updates">guerre a été déclarée</a>. Des représailles israéliennes féroces ont d’ailleurs déjà coûté la vie à des centaines de Palestiniens à Gaza.</p>
<p>Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n’a pas attendu 24 heures après les premières attaques pour déclarer que son pays <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4056710-20231008-attaque-hamas-israel-netanyahu-previent-bataille-longue">était en guerre</a>, alors que le décompte des morts israéliens continuait d’augmenter. Tout comme il y a 50 ans.</p>
<p>Et ce ne sont pas là les seuls éléments de comparaison.</p>
<h2>Des attaques-surprises lors de jours saints</h2>
<p>Ces deux guerres ont commencé par des attaques-surprises lors de jours saints juifs. En 1973, c’était le Yom Kippour, jour d’expiation pour les Juifs. Ce 7 octobre 2023, des milliers d’Israéliens célébraient <a href="https://theconversation.com/what-are-the-jewish-high-holy-days-a-look-at-rosh-hashanah-yom-kippur-and-a-month-of-celebrating-renewal-and-moral-responsibility-166079">Sim’hat Torah</a>, dédiée à la célébration de la lecture de la Torah.</p>
<p>Le Hamas, le <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67039975">groupe armé palestinien qui contrôle</a> la bande de Gaza, territoire densément peuplée qui jouxte Israël, espère apparemment envoyer le même message que l’Égypte et la Syrie en octobre 1973 : ils n’accepteront pas le statu quo et la puissance militaire d’Israël ne garantira pas la sécurité des Israéliens.</p>
<p>La guerre de 1973 s’est avérée être un <a href="https://history.state.gov/milestones/1969-1976/arab-israeli-war-1973">moment décisif</a> non seulement dans le conflit israélo-arabe, mais aussi pour la politique d’Israël.</p>
<p>En sera-t-il de même pour cette guerre ?</p>
<h2>Un échec colossal des services de renseignements</h2>
<p>Il est certain que le déclenchement soudain de la guerre a de nouveau laissé les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/attaque-du-hamas-contre-israel-la-population-en-etat-de-choc_6109281.html">Israéliens profondément sous le choc</a>, tout comme il y a 50 ans. Cette guerre, comme celle de 1973, est déjà présentée comme un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/attaque-du-hamas-contre-israel-la-population-en-etat-de-choc_6109281.html">échec colossal des services de renseignement</a>.</p>
<p>Bien que les services de renseignements militaires israéliens aient <a href="https://www.timesofisrael.com/military-intelligence-warned-pm-4-times-overhaul-rift-harming-deterrence-report/">prévenu le gouvernement</a> que les ennemis du pays croyaient Israël vulnérable, ils ne s’attendaient pas à ce que le Hamas attaque à ce moment-là.</p>
<p>Les services pensaient plutôt que, dans le contexte présent, le Hamas souhaitait avant tout gouverner la bande de Gaza et non déclencher une guerre avec Israël.</p>
<p>Une hypothèse soutenue par l’idée que le Hamas aurait tout à craindre d’importantes représailles de la part d’Israël, qui provoqueraient indéniablement de nombreux dommages à Gaza. Le territoire, qui abrite 2 millions de Palestiniens, <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/poverty-soars-in-the-palestinian-gaza-strip-51475">dont beaucoup vivent dans la pauvreté</a>, ne s’est toujours pas remis de la <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2021/08/23/gaza-enquete-sur-les-frappes-aeriennes-israeliennes-contre-des-tours-dhabitation-en">dernière grande série de combats, en mai 2021</a>.</p>
<p>Les services de renseignement et de nombreux analystes pensaient également que le Hamas préférait exporter la violence palestinienne vers la Cisjordanie occupée par Israël, afin de <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/surging-violence-hamas-attempts-reshape-west-banks-political-landscape">contribuer à saper</a> le peu de pouvoir d’une Autorité palestinienne déjà faible et <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2023-06-29/ty-article-opinion/.premium/why-is-the-palestinian-authority-weak-israeli-occupation/00000189-08a0-dae1-afa9-08bd83b50000">impopulaire</a>, dirigée par le Fatah, rival politique du Hamas.</p>
<p>Ces postulats se sont révélés terriblement erronés, tout comme l’étaient les évaluations des renseignements <a href="https://www.brookings.edu/articles/enigma-the-anatomy-of-israels-intelligence-failure-almost-45-years-ago/">avant le déclenchement de la guerre de 1973</a>. À l’époque, comme aujourd’hui, les adversaires d’Israël n’ont pas été dissuadés par sa supériorité militaire.</p>
<h2>Échec militaire</h2>
<p>Les services de renseignement israéliens ont non seulement mal évalué la volonté de leurs adversaires d’entrer en guerre, mais ils n’ont pas non plus réussi – en 1973 comme aujourd’hui – à identifier les éléments qui signalaient les préparatifs d’une offensive.</p>
<p>Cette fois-ci, l’échec est encore plus flagrant, compte tenu des capacités de collecte de renseignements d’Israël. Le Hamas a dû <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67041679">planifier soigneusement cette attaque</a> pendant de nombreux mois. Il s’agit sans aucun doute du pire échec d’Israël en matière de renseignement depuis la guerre de 1973.</p>
<p>Échec des renseignements, mais aussi échec des militaires, les Forces de défense israéliennes étant <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-08/ty-article/.premium/six-significant-failures-that-lead-to-one-point-collapse-vs-hamas/0000018b-0f15-dfff-a7eb-afdd0bb80000">massivement déployées en Cisjordanie</a> et manifestement pas préparées à une attaque de cette ampleur du côté de Gaza.</p>
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<img alt="Un membre des forces de sécurité passe devant un poste de police israélien à Sderot le 8 octobre." src="https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un membre des forces de sécurité passe devant un poste de police israélien à Sderot le 8 octobre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/member-of-the-security-forces-walks-past-an-israeli-police-news-photo/1712638347?adppopup=true">Ronaldo Schemidt/AFP</a></span>
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<p>Les hauts gradés de l’armée avaient certes <a href="https://www.timesofisrael.com/military-intelligence-warned-pm-4-times-overhaul-rift-harming-deterrence-report/">averti Nétanyahou à plusieurs reprises</a> que la réactivité des forces armées avait été diminuée par la <a href="https://www.wsj.com/articles/israeli-reservists-start-missing-duty-threatening-military-unity-and-readiness-76df3ade">vague de</a> réservistes israéliens <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hundreds-israeli-reservists-vow-refuse-service-if-judicial-overhaul-passes-2023-07-19/">refusant de servir</a> en signe de protestation contre la tentative de réforme judiciaire du gouvernement. Mais les militaires restaient convaincus que leurs fortifications défensives – en particulier la coûteuse <a href="https://www.realcleardefense.com/articles/2021/04/10/a_closer_look_at_israels_new_high-tech_barrier_772195.html">barrière de haute technologie construite autour de la bande de Gaza</a> – empêcheraient les militants du Hamas de pénétrer en Israël, comme cela avait été le cas lors d’un raid en mai 2021.</p>
<p>Mais tout comme la <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/israel/bar-lev-line.htm">ligne de défense Bar-Lev</a> le long du canal de Suez n’a pas réussi à empêcher les soldats égyptiens de traverser le canal en 1973, la barrière de Gaza n’a pas arrêté les militants du Hamas. Elle a été <a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">simplement contournée</a> et <a href="https://www.nbcnews.com/video/watch-bulldozer-tears-down-section-of-israel-gaza-border-fence-194649157630">détruite au bulldozer</a>.</p>
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<h2>La quête d’un responsable</h2>
<p>Après cette guerre, des enquêtes seront sans aucun doute menées afin de déterminer un responsable, après la guerre de 1973. Une commission d’enquête sera probablement créée en Israël, similaire à la commission Agranat de 1973 qui a publié un <a href="https://archives.mod.gov.il/sites/English/docs/agranat/Pages/AgranatReport.aspx">rapport</a> cinglant, pointant du doigt la responsabilité de l’armée et des services de renseignement israéliens.</p>
<p>Mais concernant cette guerre qui débute, ce ne sont peut-être pas l’armée et le renseignement d’Israël qui sont les plus à blâmer. Si l’on pointe la responsabilité politique, Benyamin Nétanyahou serait potentiellement dans le viseur, lui qui dirige le pays depuis 2009, à l’exception d’une année entre 2021 et 2022.</p>
<p>De fait, la guerre de 1973 était également le fruit d’échecs politiques. Israël, alors gouverné par la première ministre Golda Meir et influencé par son ministre de la Défense Moshe Dayan, avait refusé, dans les années qui ont précédé la guerre, les <a href="https://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-kipnis-golda-meier-kissinger-20131010-story.html">ouvertures diplomatiques</a> du président égyptien Anouar El Sadate. Le gouvernement israélien était alors déterminé à conserver certaines parties de la péninsule du Sinaï – qu’Israël avait <a href="https://history.state.gov/milestones/1961-1968/arab-israeli-war-1967">capturée lors de la guerre de 1967</a> – même au prix de la paix avec l’Égypte.</p>
<p>De la même manière, Nétanyahou a ignoré les <a href="https://www.ynetnews.com/magazine/article/bjjtjc3vn">efforts récents de l’Égypte</a> visant à négocier une trêve à long terme entre Israël, le Hamas, et le Djihad islamique. L’actuel <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/israel-swears-in-netanyahu-as-prime-minister-most-right-wing-government-in-countrys-history">gouvernement d’extrême droite</a> a préféré conserver la Cisjordanie occupée plutôt que de rechercher la possibilité d’une paix avec les Palestiniens.</p>
<p>En outre, le gouvernement Nétanyahou a été largement préoccupé par sa tentative, fort impopulaire, de <a href="https://apnews.com/article/israel-judicial-overhaul-netanyahu-d4ebdff08f42b225f7a2a933f7d793f5">réduire le pouvoir et l’indépendance de la Cour suprême d’Israël</a>. Une démarche apparemment destinée à éliminer un obstacle potentiel à l’annexion formelle de la Cisjordanie. Mais l’agitation intérieure et les profondes divisions provoquées par ce projet de réforme permettent d’expliquer en partie pourquoi le Hamas a décidé d’attaquer au moment où il l’a fait.</p>
<p>De manière plus générale, l’attaque montre clairement que la stratégie de Nétanyahou visant à contenir et à dissuader le Hamas a échoué de manière catastrophique. Un échec aux conséquences dramatiques pour les Israéliens, en particulier ceux qui vivent dans le sud du pays, et plus encore pour les civils palestiniens de Gaza.</p>
<p>Le blocus continu de Gaza <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/gaza-blockade-israel.html">depuis 16 ans</a> a certes paralysé son économie et emprisonné de fait ses 2 millions d’habitants, mais n’a pas mis le Hamas à genoux.</p>
<p>Au contraire, le contrôle du Hamas sur Gaza n’a fait que se renforcer, et des civils innocents des deux côtés de la frontière ont payé le prix fort pour cet échec.</p>
<p>À la suite de la guerre de 1973, la première ministre Golda Meir a été contrainte de <a href="https://www.nytimes.com/1974/04/11/archives/golda-meir-quits-and-brings-down-cabinet-in-israel-new-election.html">démissionner</a>. Quelques années plus tard, le parti travailliste, qui avait été au pouvoir, sous diverses formes, depuis la fondation du pays en 1948, fut battu par le parti de droite Likoud de Menachem Begin lors des <a href="https://en.idi.org.il/israeli-elections-and-parties/elections/1977/">élections générales de 1977</a>. Ce fut un tournant dans la politique intérieure israélienne, qui s’explique en grande partie par la perte de confiance envers le parti travailliste (jusqu’alors dominant) suite à la guerre de 1973.</p>
<h2>L’histoire se répétera-t-elle encore ?</h2>
<p>L’histoire se répétera-t-elle encore ? Cette guerre sonnera-t-elle enfin le glas de la longue domination de Nétanyahou et du Likoud sur la politique israélienne ? La plupart des Israéliens se sont déjà <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/israels-netanyahu-down-polls-over-judicial-reform-2023-07-26/">retournés contre le premier ministre</a>, rebutés par l’ensemble des scandales de corruption qui l’entourent, par ses tentatives de réduire le pouvoir du système judiciaire et par le virage à droite opéré par sa coalition.</p>
<p>L’attaque-surprise du Hamas a mis à mal l’image de Nétanyahou, qui se présente volontiers comme le <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2022-08-12/ty-article-opinion/.premium/no-longer-mr-security-netanyahu-reinvents-himself-as-a-social-populist/00000182-8ebd-d9bc-affb-efbfae870000">« Monsieur Sécurité »</a> d’Israël.</p>
<p>Cette guerre sera probablement encore plus traumatisante pour les Israéliens car en 1973, les militaires avaient subi toute la force de l’assaut surprise. Cette fois-ci, ce sont des civils qui ont été capturés et tués sur le territoire national. Un point crucial qui marque une différence capitale avec la guerre de 1973.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dov Waxman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les manquements internes israéliens qui ont précédé la guerre de Kippour, il y a 50 ans, avaient coûté leur poste au premier ministre israélien de l’époque. L’histoire pourrait-elle se répéter ?Dov Waxman, Rosalinde and Arthur Gilbert Foundation Professor of Israel Studies, University of California, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2131392023-09-26T19:09:27Z2023-09-26T19:09:27ZRapprochement Arabie saoudite–Israël : le difficile pari de Washington<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550100/original/file-20230925-25-djycm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C6802%2C3645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le projet américain vise notamment à contrer l’expansion de la Chine et à répondre au récent réchauffement saoudo-iranien.
</span> <span class="attribution"><span class="source">OnePixelStudio/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’administration américaine tente depuis plusieurs semaines de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/18/israel-arabie-saoudite-le-tortueux-chemin-de-la-normalisation_6189882_3210.html">convaincre l’Arabie saoudite et Israël d’établir des relations diplomatiques</a>. </p>
<p>Washington avait pourtant, dernièrement, concentré ses efforts avant tout sur la compétition stratégique face à la Chine en Indo-Pacifique et la confrontation avec la Russie en Ukraine, au point de négliger quelque peu le Moyen-Orient. Or à présent, cette région occupe de nouveau l’agenda diplomatique.</p>
<p>Deux considérations géopolitiques président à la volonté américaine de parvenir à un deal entre Riyad et Tel-Aviv : cette configuration permettrait, d’une part, de neutraliser les effets de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-iran-confirme-discuter-indirectement-avec-les-etats-unis-via-oman-20230612">l’accord temporaire en cours de négociation entre les États-Unis et l’Iran</a> ; et, de l’autre, de freiner l’essor de la coopération entre l’Arabie saoudite et la Chine.</p>
<p>Toutefois, ce projet rencontre plusieurs obstacles majeurs.</p>
<h2>La crainte d’un accord provisoire qui renforcerait l’influence de l’Iran</h2>
<p>Face à <a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">l’impasse dans laquelle se trouvent les discussions visant à ressusciter le JCPOA</a> (l’accord sur le nucléaire iranien, dont les États-Unis se sont retirés sous Donald Trump, en 2018), l’objectif américain est d’<a href="https://www.nytimes.com/2023/08/10/us/politics/iran-us-prisoner-swap.html">atteindre avec l’Iran un accord temporaire</a> qui porterait sur le gel provisoire des activités d’enrichissement d’uranium en contrepartie du déblocage des fonds iraniens à l’étranger. Cet accord s’est déjà matérialisé par la <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20230920-cinq-ex-prisonniers-am%C3%A9ricains-en-iran-de-retour-aux-etats-unis-les-europ%C3%A9ens-fermes-contre-t%C3%A9h%C3%A9ran">libération de cinq prisonniers américains qui ont regagné les États-Unis le 19 septembre dernier</a>. Un échange qui fait suite au déblocage et au transfert de <a href="https://www.20minutes.fr/monde/etats-unis/4053531-20230918-iran-contre-deblocage-six-milliards-dollars-echange-prisonniers-entre-teheran-washington">6 milliards de dollars de fonds iraniens détenus en Corée du Sud</a></p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/26WCN3pM0rU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Un tel compromis attise les craintes à la fois d’Israël et de l’Arabie saoudite. Tous deux redoutent que l’Iran puisse profiter de ces ressources financières pour renforcer ses activités perçues comme déstabilisatrices. Bien qu’un <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">accord de normalisation entre Riyad et Téhéran</a> soit intervenu en mars dernier grâce à la médiation chinoise, l’Iran reste perçu comme une puissance antagoniste.</p>
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<p>Ainsi, <a href="https://www.fpri.org/article/2023/08/containing-irans-nuclear-program-while-normalizing-ties-between-israel-and-saudi-arabia/">comme le note le politologue Léon Hadar</a> « le fait de joindre à l’accord avec l’Iran un effort de normalisation des liens entre l’Arabie saoudite et Israël, s’il est couronné de succès, peut renforcer l’impression, à Riyad et à Tel-Aviv ainsi qu’à Téhéran, que l’Amérique est déterminée à contenir l’Iran et à protéger ses intérêts dans la région et ceux de ses alliés ».</p>
<h2>La stratégie du déni d’accès…</h2>
<p>Une autre considération géopolitique motive également la décision de l’administration américaine d’œuvrer pour une normalisation entre Tel-Aviv et Riyad, près de trois ans après que Joe Biden ait exprimé durant sa campagne sa <a href="https://theconversation.com/biden-once-wanted-to-make-saudi-arabia-a-pariah-so-why-is-he-playing-nice-with-the-kingdoms-repressive-rulers-now-186784">volonté de faire de l’Arabie saoudite un État « paria »</a> : l’endiguement de l’influence chinoise, qui ne cesse de se renforcer. En effet, la rivalité stratégique avec Pékin et le durcissement de la confrontation incarne aujourd’hui une tendance lourde appelée à perdurer.</p>
<p>Comme le rappelle un <a href="https://www.foreignaffairs.com/united-states/china-delusions-detente-rivals">récent article de <em>Foreign Affairs</em></a>“, entre Pékin et Washington, les intérêts vitaux « s’opposent et sont fermement ancrés dans leurs systèmes politiques, leurs géographies et leurs expériences nationales respectifs […] Le fait est qu’il est peu probable que la rivalité entre les États-Unis et la Chine s’apaise sans un changement significatif de l’équilibre des forces ». Ce constat rejoint celui d’Elridge Colby, ancien secrétaire adjoint à la défense et sinologue influent. Dans son livre <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300268027/the-strategy-of-denial/"><em>The Strategy of Denial : American Defense in an Age of Great Power Conflict</em></a> (Yale University Press, 2021), il rappelle, en effet, les principes directeurs et les priorités qui devraient guider la politique de défense des États-Unis et notamment l’intérêt pour Washington de développer une stratégie de déni d’accès visant à empêcher la Chine d’occuper une position hégémonique en Indo-Pacifique en lui déniant l’accès à des territoires clés comme Taïwan, les Philippines et le Vietnam.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703736569130094970"}"></div></p>
<p>Cette stratégie est aujourd’hui étendue au Moyen-Orient où Pékin apparaît comme un acteur majeur, ayant posé de solides bases d’influence, notamment dans les pays du Golfe.</p>
<h2>… appliquée au Moyen-Orient</h2>
<p>L’Arabie saoudite et la Chine ont conclu fin 2022 un protocole d’accord qui confie à Huawei, le géant chinois des communications et de l’IA, perçu par Washington comme le fer de lance de l’influence de Pékin, le <a href="https://redanalysis.org/fr/2023/01/31/china-saudi-arabia-arab-ai-rise/">développement d’un centre de données cloud computing</a>. Riyad, devenu le <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/les-10-pays-plus-gros-importateurs-darmes-dans-le-monde-186904">premier importateur de matériel militaire dans le monde</a>, a, par ailleurs, <a href="https://www.scmp.com/news/china/military/article/3221715/china-said-be-negotiating-arms-deals-saudi-arabia-and-egypt">engagé des négociations avec la Chine en matière de livraison d’armements</a>. De surcroît, les Saoudiens ont fait savoir qu’ils envisageaient d’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/03/03/vers-une-guerre-des-monnaies-24-fevrier-au-03-mars-2023">accepter le Reminbi dans leurs transactions pétrolières avec la Chine</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">Chine–Arabie saoudite : à l’assaut de l’or noir</a>
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<p>Ces récents développements montrent que Washington peut désormais difficilement faire l’impasse sur le poids acquis par la Chine auprès de ses alliés traditionnels au Moyen-Orient. Ainsi, dans un contexte où les effets de la compétition stratégique se font de plus en plus ressentir, il importe pour les États-Unis de conserver leurs alliés dans leur orbite. <a href="https://www.aei.org/op-eds/us-push-for-a-saudi-israel-deal-is-all-about-china/">Comme le note avec pertinence le spécialiste américain des relations internationales Hal Brands</a>, l’initiative du président Joe Biden vise donc prioritairement la Chine : </p>
<blockquote>
<p>« L’administration tente de négocier de meilleures relations entre Israël et l’Arabie saoudite, essentiellement pour contenir l’influence de Pékin dans une région vitale. Cette initiative montre combien les États-Unis sont prêts à payer pour empêcher les Saoudiens de tomber dans l’orbite de la Chine. »</p>
</blockquote>
<h2>Des exigences inédites</h2>
<p>Occupant une position plus avantageuse que durant la longue période caractérisée par une relation exclusive avec Washington grâce à sa stratégie du <em>hedging</em> (c’est-à-dire la volonté de multiplier les partenaires commerciaux, militaires et diplomatiques afin de ne pas trop dépendre de l’un d’entre eux en particulier), Riyad entend à présent en tirer les meilleurs avantages possible.</p>
<p>Les contreparties exigées par l’Arabie saoudite pour un établissement de relations diplomatiques avec Israël sont conséquentes. <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/27/opinion/israel-saudi-arabia-biden.html">Comme le révèle Thomas Friedman dans le <em>New York Times</em></a>, Riyad n’escompte pas moins qu’un « traité de sécurité mutuelle de type OTAN qui enjoindrait aux États-Unis de se porter à la défense de l’Arabie saoudite si elle était attaquée ; un programme nucléaire civil ; et la possibilité d’acheter des armes américaines plus avancées, comme le système de défense anti-missiles balistiques Terminal High Altitude Area Defense ».</p>
<p>En échange de ces nouvelles garanties de sécurité, les États-Unis veulent imposer un frein à la coopération de Riyad avec Pékin, notamment sur le plan technologique, et obtenir l’assurance que Mohammed Ben Salmane, le prince héritier et véritable leader du pays aujourd’hui n’accueillera pas de bases chinoises sur son territoire. Cependant, la perspective qu’un tel accord puisse voir le jour demeure extrêmement incertaine, en raison de plusieurs points potentiels de blocage.</p>
<h2>… mais inacceptables</h2>
<p>Israël a officiellement fait savoir qu’il n’<a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/diplomatie-defense/1692592596-israel-dement-etre-pret-a-accepter-un-programme-nucleaire-saoudien">« accepterait pas de programme nucléaire de la part de ses pays voisins, que ce soit à des fins civiles ou militaires »</a>. De même, les États-Unis semblent peu enclins à fournir à l’Arabie saoudite des armes sophistiquées susceptibles de remettre en cause la supériorité militaire qualitative d’Israël, qui se trouve au fondement de leur politique moyen-orientale.</p>
<p>Par ailleurs, si l’Arabie saoudite, soucieuse de donner des gages à son opinion publique, cherche à obtenir le soutien des Palestiniens, elle risque toutefois de buter sur l’intransigeance de la partie israélienne, hostile à tout compromis qui accorderait à l’Autorité palestinienne un contrôle plus étendu sur certaines zones de la Cisjordanie occupée et qui indiquerait un calendrier pour une reprise des négociations, <a href="https://www.axios.com/2023/08/30/saudi-israel-megadeal-palestinians-biden-list">conformément au vœu de l’AP</a>.</p>
<p>Il semble peu réaliste que Washington parvienne à lever les réticences de Benyamin Nétanyahou, soutenu par les partis d’extrême droite membres de sa coalition, même au prix de garanties de sécurité renforcées. Ces dernières excluraient sans doute la livraison des <a href="https://raids.fr/2023/05/31/les-bombes-anti-bunker-americaines-peuvent-elles-detruire-les-abris-iraniens/">bombes dites bunker-buster</a> réclamées depuis plusieurs années par Israël. En effet, en <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/10/29/us-senators-to-introduce-bill-on-sale-of-bunker-bombs-to-israel">dépit des pressions du Congrès américain</a>, les administrations américaines successives ont jusque-là refusé de fournir ces bombes par crainte de se retrouver entrainées dans un conflit militaire avec l’Iran.</p>
<p>Enfin, comme le rappelle Hal Brands, le <a href="https://www.aei.org/op-eds/us-push-for-a-saudi-israel-deal-is-all-about-china/">Pentagone est frileux à l’idée de prendre de nouveaux engagements au Moyen-Orient</a> dans un contexte où l’armée américaine se trouve engagée sur le front ukrainien et se prépare à une possible guerre dans le Pacifique.</p>
<p>En définitive, bien que l’administration américaine cherche à obtenir un accord avant les prochaines échéances électorales pour tenter à la fois d’unifier une partie de ses alliés face à la menace commune que représente l’Iran et endiguer la montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, la réalisation de ce projet reste aujourd’hui encore un simple vœu pieux au regard des obstacles qui minent les négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis cherchent à obtenir une normalisation entre leurs deux grands alliés au Moyen-Orient. Un projet qui rencontre de nombreux obstacles, probablement insurmontables.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106672023-08-08T17:00:44Z2023-08-08T17:00:44ZAvec sa réforme judiciaire, Benyamin Nétanyahou consolide son héritage politique<p><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230710-le-parlement-isra%C3%A9lien-reprend-l-examen-du-projet-tr%C3%A8s-controvers%C3%A9-de-r%C3%A9forme-judiciaire">Le 24 juillet 2023, le Parlement israélien a adopté une loi</a> limitant le contrôle de la Cour suprême sur l’action du gouvernement, dans le cadre d’un projet plus large du cabinet du premier ministre Benyamin Nétanyahou visant à renforcer le pouvoir de la branche exécutive du pays.</p>
<p>Cette loi divise le pays depuis des mois, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/22/en-israel-les-manifestations-contre-la-reforme-judiciaire-se-poursuivent-a-l-approche-d-un-vote-crucial_6183030_3210.html">entraînant des manifestations massives</a>. Ses opposants affirment qu’elle menace la démocratie ; <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-65086871">ses partisans soutiennent qu’elle protège</a> la volonté de la majorité électorale.</p>
<p>Benyamin Nétanyahou est une force politique et un personnage emblématique de la politique israélienne depuis les années 1990. Son héritage à long terme se caractérisera par trois aspects majeurs : l’évolution de la politique israélienne vers la droite, son action pour prévenir <a href="https://www.cnn.com/2015/03/16/middleeast/israel-netanyahu-palestinian-state/index.html">l’émergence d’un État palestinien</a> et le renforcement des liens d’Israël avec des gouvernements étrangers non démocratiques.</p>
<h2>De la démocratie à la théocratie</h2>
<p>Nétanyahou exerça une première fois la fonction de premier ministre de 1996 à 1999. Il est revenu au pouvoir de 2009 à 2021, puis à nouveau en 2022.</p>
<p>Le pays, <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-1-page-51.htm">autrefois connu pour sa politique de gauche</a>, a maintenant un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/a-la-une-de-l-hebdo-israel-la-loi-de-l-extreme-droite">gouvernement de droite dominé par des nationalistes religieux juifs</a>, fer de lance des <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/israels-disputed-judicial-overhaul-is-back-whats-new-2023-07-10/">efforts visant à limiter les contrôles judiciaires sur le pouvoir exécutif</a>. </p>
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<p>En 1996, Benyamin Nétanyahou avait entamé son premier mandat avec deux atouts principaux : une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/netanyahou-l-americain-17-01-2013-1692252_24.php#11">expérience de vie et de travail aux États-Unis</a> et une biographie <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-18008697">axée sur la sécurité militaire d’Israël</a>. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des personnes en uniforme transportent un individu récalcitrant pour l’éloigner d’un groupe qui l’entoure" src="https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539005/original/file-20230724-29-c25m97.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La police israélienne disperse les manifestants qui bloquent l’entrée du Parlement israélien lors d’une manifestation contre les projets de réforme du système judiciaire à Jérusalem, le 24 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/IsraelPolitics/8a329a7f939e4b63a46884e1d58e072a/photo?Query=Knesset&mediaType=photo&sortBy=arrivaldatetime:desc&dateRange=Anytime&totalCount=1732&currentItemNo=36">AP Photo/Mahmoud Illean</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le premier atout signifiait qu’il comprenait la politique américaine et celle de ses groupes d’intérêt, permettant à Israël de <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-des-armees-2008-3-page-114.htm">conserver et de renforcer le soutien historique du gouvernement de Washington</a>. Le second l’a mis sur la voie du succès politique dans un pays où <a href="https://jewishstudies.washington.edu/israel-hebrew/civil-military-relations-in-israel-politics-state-society/">l’armée est une institution clé – et vénérée</a>. </p>
<p><a href="https://www.everycrsreport.com/reports/RL33222.html">L’aide étrangère et militaire massive</a> accordée par les États-Unis depuis de nombreuses années, ainsi que le soutien politique de Benyamin Nétanyahou, ont permis à <a href="https://nationalinterest.org/blog/the-buzz/5-reasons-no-nation-wants-go-war-israel-22849">l’armée israélienne d’être bien plus puissante</a> et bien mieux équipée que les forces armées de n’importe quel autre pays voisin.</p>
<p>Benyamin Nétanyahou s’est généralement présenté comme le seul dirigeant capable de <a href="https://www.npr.org/2022/10/31/1132766707/israels-benjamin-netanyahu-is-gunning-for-a-comeback-in-the-countrys-next-electi">garantir la sécurité de son pays et de son économie</a>. À l’instar d’autres <a href="https://protectdemocracy.org/work/the-authoritarian-playbook/">puissants hommes politiques</a>, lui et ses alliés ont obtenu le soutien des nationalistes de droite et encouragé les politiques de division. </p>
<p>Pour le premier ministre, cela est passé par des alliances fortes avec les colons juifs – dont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/28/israel-les-haredim-une-communaute-ultraorthodoxe-fertile_6031212_3210.html">beaucoup sont orthodoxes</a> – en Cisjordanie, considérée par la communauté internationale comme un territoire palestinien occupé. </p>
<p>Il a dès lors profité d’une démographie électorale favorable, les communautés juives orthodoxes ayant connu une <a href="https://theconversation.com/israels-new-hard-line-government-has-made-headlines-the-bigger-demographic-changes-that-caused-it-not-so-much-197263">croissance rapide ces dernières années en Israël</a>.</p>
<p>Lors de ses mandats, Nétanyahou a été de plus en plus confronté à des <a href="https://fr.timesofisrael.com/etat-disrael-vs-netanyahu-details-de-lacte-daccusation-du-premier-ministre/">allégations de corruption et de conduite criminelle</a>. Sa vulnérabilité juridique personnelle a probablement <a href="https://www.timesofisrael.com/netanyahu-trials-boosted-backing-for-judicial-overhaul-push-justice-minister-admits/">renforcé ses tendances autocratiques</a>. En 2022, son gouvernement a démontré son penchant autoritaire en faisant avancer le projet de réforme judiciaire visant à entraver la capacité du système judiciaire israélien à contrôler la législation et l’action du gouvernement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme assise à l’extérieur d’une maison incendiée, vue à travers une voiture brûlée" src="https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539017/original/file-20230724-17-5zalgn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une femme palestinienne est assise devant sa maison incendiée par des colons juifs après que quatre Israéliens ont été tués par des Palestiniens armés, en Cisjordanie le 24 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/IsraelPalestinians/086f238bacc34600b0c07f0697ff4e99/photo?Query=israel%20settlers&mediaType=photo&sortBy=arrivaldatetime:desc&dateRange=Anytime&totalCount=2306&currentItemNo=15">AP Photo/Mahmoud Illean</a></span>
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<p>Cette réforme séduit d’importants pans de partisans de Nétanyahou, qui considèrent le pouvoir de la Cour suprême comme un <a href="https://en.kohelet.org.il/publication/israels-judicial-reform-a-step-towards-restoring-balance">contrôle laïque injustifié</a> sur le gouvernement israélien. Mais la réforme a surtout profondément divisé le pays, en conduisant même <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230721-r%C3%A9forme-judiciaire-en-isra%C3%ABl-la-crainte-d-une-insubordination-silencieuse-dans-l-arm%C3%A9e">d’éminents militaires à se joindre aux manifestations de masse</a>.</p>
<p>Israël est aujourd’hui marqué par des <a href="https://apnews.com/article/religion-jews-israel-netanyahu-secular-orthodox-c8e9fa970cca6b88a7fd70a718fcad30">divisions croissantes</a> entre les citoyens laïques et urbanisés près de la côte méditerranéenne et les orthodoxes et autres colons résidant en Cisjordanie ou à proximité. Ces deux groupes ont des visions différentes de l’avenir du pays, les <a href="https://www.newyorker.com/news/daily-comment/netanyahus-government-takes-a-turn-toward-theocracy">derniers le poussant dans une direction plus théocratique</a>. Cette bataille très clivante sur la nature d’Israël tient beaucoup à la politique de Benyamin Nétanyahou. </p>
<h2>Prendre ses distances avec les Palestiniens</h2>
<p>Nétanyahou s’est depuis toujours positionné sur un refus de tout <a href="https://www.vox.com/2018/11/20/18079996/israel-palestine-conflict-guide-explainer">compromis avec les Palestiniens</a> quant au contrôle du territoire et à la sécurité en Cisjordanie et à Gaza, zones sous contrôle militaire israélien depuis 1967. Il a également autorisé l’expansion rapide des <a href="https://www.npr.org/sections/parallels/2016/12/29/507377617/seven-things-to-know-about-israeli-settlements">colonies juives</a> en Cisjordanie. Il a rarement dérogé à ces deux politiques. </p>
<p>L’un de ses héritages les plus tangibles est la <a href="https://apnews.com/article/middle-east-israel-west-bank-85b8027e4a367d534a42658358ca3358">barrière physique séparant désormais les Palestiniens de Cisjordanie des Israéliens</a>, qui permet aux autorités israéliennes de contrôler étroitement les entrées des Palestiniens de Cisjordanie en Israël. Cette barrière a par ailleurs empêché les Juifs israéliens d’entretenir tout contact avec les Palestiniens, sauf pendant le service militaire. </p>
<p>Cette séparation physique et la forte présence militaire israélienne ont <a href="http://www.johnstonsarchive.net/terrorism/terrisraelsum.html">réduit les attaques palestiniennes en Israël</a> mais <a href="https://news.un.org/en/story/2018/10/1022032">augmenté la misère dans les zones contrôlées par les Palestiniens</a>, par exemple en <a href="https://www.btselem.org/freedom_of_movement">rendant difficiles les déplacements en Israël et dans d’autres pays</a>.</p>
<p>L’approche de Nétanyahou a permis de <a href="http://www.pcpsr.org/en/node/717">minimiser la pression exercée sur les Israéliens juifs</a> pour parvenir à un accord final qui instaurerait une paix plus large basée sur l’existence d’États israélien et palestinien distincts. Elle a parallèlement privé les Palestiniens de certaines libertés et opportunités fondamentales, en <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-20415675">particulier à Gaza</a>, que des ONG de défense des droits de l’homme qualifient de « <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/06/14/gaza-la-prison-ciel-ouvert-disrael-15-ans-deja">prison à ciel ouvert</a> ». </p>
<p>En fait, Nétanyahou utilise son armée pour, quand il le juge nécessaire, <a href="https://www.usatoday.com/story/news/world/2018/03/30/least-5-dead-israeli-troops-fire-palestinian-protesters-gaza-security-fence/472408002/">attaquer Gaza</a>, zone située entre l’Égypte et Israël que l’État juif a unilatéralement remise sous le contrôle palestinien en 2004. <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/palestine/gaza/israel-palestine-qu-est-ce-que-le-hamas-l-organisation-islamiste-qui-controle-gaza_4629481.html">Le Hamas</a>, un groupe palestinien prônant la lutte militaire contre Israël, a aujourd’hui le contrôle de Gaza. </p>
<p>Fidèle aux convictions de <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9781139022514">sa base électorale de droite</a>, Nétanyahou n’a guère varié dans sa <a href="https://www.haaretz.com/1.5064276">politique</a> à l’égard du Hamas et des Palestiniens en général. Israël, dit-il, attend un consensus palestinien sur le fait qu’<a href="https://theconversation.com/israels-new-nation-state-law-restates-the-obvious-100310">Israël est un État juif</a>, avec Jérusalem pour capitale, et sans possibilité pour les Palestiniens de retrouver leur territoire d’avant 1948. </p>
<p>De nombreux <a href="https://carnegieendowment.org/2018/09/18/two-states-or-one-reappraising-israeli-palestinian-impasse-pub-77269">Palestiniens contestent ces exigences</a>, en particulier si elles sont posées comme une condition préalable à toute négociation.</p>
<p>Si l’on ajoute à cela la vaste expansion des <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2015/03/12/world/middleeast/netanyahu-west-bank-settlements-israel-election.html">colonies juives</a> par le <a href="https://www.cbsnews.com/news/israel-settlers-jewish-settlement-population-west-bank-netanyahu/">gouvernement Nétanyahou</a>, on comprend que de nombreux observateurs <a href="https://www.foreignaffairs.com/middle-east/israel-palestine-one-state-solution">doutent</a> qu’une solution à deux États, israélien et palestinien, reste possible. </p>
<h2>Redéfinir les alliances d’Israël</h2>
<p>Le renforcement de la droite israélienne et le rejet du statut d’État de la Palestine ont donc servi les efforts déployés par Nétanyahou pour remodeler la politique étrangère d’Israël, notamment dans sa lutte pour réduire l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"983358790547492865"}"></div></p>
<p><a href="https://docs.house.gov/meetings/HM/HM05/20180417/108155/HHRG-115-HM05-Wstate-UskowiN-20180417.pdf">Les dirigeants de Téhéran</a> sont inlassablement <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2019/01/24/irans-revolution-40-years-on-israels-reverse-periphery-doctrine/">hostiles à Israël</a>. Et Nétanyahou a joué de cette hostilité auprès de son public national et international, allant même jusqu’à <a href="https://iranprimer.usip.org/blog/2023/jan/25/israel-iran-threat-options">exhorter les États-Unis à attaquer l’Iran</a>. </p>
<p>La campagne anti-iranienne du premier ministre explique par exemple le renforcement des liens avec plusieurs pays, qu’ils soient démocratiques ou non, dans le seul but de lutter contre Téhéran, qui finance dans plusieurs pays étranger des <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/irans-islamist-proxies">groupes militants pro-iraniens</a> ouvertement anti-israéliens. C’est parce qu’ils partagent des <a href="https://www.marshallcenter.org/en/publications/security-insights/abraham-accords-paradigm-shift-or-realpolitik">objectifs sécuritaires communs</a> que les Émirats arabes unis et plusieurs autres nations arabes ont fait montre de leur volonté d’établir des liens diplomatiques avec Israël par le biais des <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-Accords-d-Abraham-entre-Israel-et-les-pays-du-Golfe-Emirats-arabes-unis-et-3480.html">accords d’Abraham de 2020</a>. </p>
<p>De façon plus générale, la longue durée du mandat de Nétanyahou et sa <a href="https://forward.com/opinion/419684/netanyahu-isnt-the-problem-hes-the-symptom/">volonté d’attiser les divisions</a> l’ont rapproché d’autres dirigeants décrits comme autoritaires, tels que <a href="https://www.jpost.com/Israel-News/Despite-Syria-Israel-Russia-relations-are-the-warmest-in-history-485062">Vladimir Poutine</a>, <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/netanyahu-orb-n-israel-welcome-hungary-prime-minister-antisemitism-a8454866.html">Viktor Orban</a> et <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/elections/trump-endorses-netanyahu-campaign-billboard-featuring-himself-1.6910695">Donald Trump</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-le-lourd-heritage-de-benyamin-netanyahou-162732">Israël : le lourd héritage de Benyamin Nétanyahou</a>
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<p>Toutefois, les politiques conduites par Nétanyahou ont également provoqué des fissures importantes dans le soutien apporté à Israël par son principal allié, les États-Unis. Ces dernières années, les <a href="https://theconversation.com/as-israel-turns-70-many-young-american-jews-turn-away-95271">Juifs israéliens et américains ont de plus en plus divergé</a> sur les questions éthiques et sur l’importance de l’autonomie palestinienne. De son côté, l’entourage du gouvernement israélien a <a href="https://www.theguardian.com/politics/2022/may/17/pro-israel-lobby-defeat-democrats-palestinians-2022">tenté de faire taire</a> les voix pro-palestiniennes aux États-Unis, souvent en les <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/how-jews-can-support-palestinian-rights-condemn-antisemitism-ncna1268680">qualifiant d’antisémites</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QfHjlZdvYpE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En outre, les tendances autoritaires de Nétanyahou et celles, droitières et théocratiques, de son gouvernement ont amplifié les voix américaines manifestant leur <a href="https://www.brookings.edu/articles/is-israel-a-democracy-heres-what-americans-think/">scepticisme quant au caractère démocratique d’Israël</a> et <a href="https://www.thenation.com/article/world/on-israel-and-palestine-us-electeds-are-out-of-touch-with-their-own-voters/">appelant à une atténuation du soutien des États-Unis</a>. </p>
<p>Nétanyahou a contribué à remodeler profondément Israël et le reste du monde. Il est clair que la sécurité militaire du pays et la coopération avec les principaux États arabes du Moyen-Orient se sont renforcées. </p>
<p>Mais le côté sombre est l’accent mis par le premier ministre sur les solutions militaires et sécuritaires. Cela a entraîné l’érosion des espoirs des Palestiniens et interroge de plus en plus <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/israel-vers-une-democratie-illiberale-5874154">sur la volonté actuelle d’Israël de rester une puissance démocratique</a>. </p>
<p><em>Cette page contient des passages d’une <a href="https://theconversation.com/netanyahu-may-be-ousted-but-his-hard-line-foreign-policies-remain-162580">article publié le 14 juin 2021</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Mednicoff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Benyamin Nétanyahou a contribué à remodeler profondément Israël et son rapport au reste du monde. Avec un virage à droite nationaliste.David Mednicoff, Chair, Department of Judaic and Near Eastern Studies, and Associate Professor of Middle Eastern Studies and Public Policy, UMass AmherstLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078562023-07-05T17:31:48Z2023-07-05T17:31:48ZCe que la réconciliation irano-saoudienne change pour le Moyen-Orient<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534643/original/file-20230628-21766-54yzr9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C4590%2C3030&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan, serre la main de son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian à Téhéran, le 17&nbsp;juin 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Atta Kenare/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le 6 juin, Téhéran rouvrait son ambassade à Riyad, concrétisant un <a href="https://www.rts.ch/info/monde/14078246-reouverture-de-lambassade-iranienne-en-arabie-saoudite.html">accord annoncé le 10 mars dernier sous la houlette de la Chine</a>. </p>
<p>Sous les flashs des photographes réunis à Pékin, Téhéran et Riyad avaient alors signé une promesse d’échange d’ambassadeurs qui devait mettre fin à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">sept ans de rupture diplomatique</a> et à plusieurs décennies de tensions. </p>
<p>S’il est incontestable que ce développement suggère une montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, il annonce aussi – et surtout – la mise en place de nouvelles dynamiques propres à la région.</p>
<h2>Quarante-cinq ans d’une rivalité multidimensionnelle</h2>
<p><a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1979-la-revolution-islamique-iranienne">Avec la révolution iranienne de 1979</a>, l’Iran devenait un rival politique dangereux pour Riyad. Sans être très proches, les deux pays partageaient pourtant jusque-là une relation cordiale, d’autant que tous deux étaient des alliés des États-Unis au Moyen-Orient en pleine guerre froide.</p>
<p>Monarchie ultraconservatrice, structurellement alliée à l’idéologie sunnite <a href="https://www.cairn.info/l-enigme-saoudienne--9782707137432-page-57.htm">wahhabite</a>, répressive de sa <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-3-page-493.htm">minorité chiite</a> (10 % de la population) et étroitement arrimée à Washington, l’Arabie saoudite s’est sentie directement menacée par le nouveau régime de Téhéran, qui promettait d’exporter sa révolution (progressiste dans le paysage régional de l’époque), mobilisant un chiisme radical et considérant les États-Unis comme <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1153316/comment-les-etats-unis-sont-devenus-le-grand-satan-.html">« le grand Satan »</a>.</p>
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<p>Depuis, tant les événements que les choix effectués par les establishments politiques des deux pays les ont amenés à se retrouver <a href="https://iranprimer.usip.org/blog/2016/jan/06/timeline-iran-saudi-relations">dans des camps opposés</a> (et souvent à la tête de ces camps) lors de toutes les crises survenues dans la région. </p>
<p>Cette rivalité s’est radicalisée suite aux « Printemps arabes », Téhéran et Riyad ayant presque systématiquement soutenu, directement et ouvertement, des forces politiques opposées réverbérant leur rivalité dans les différents pays concernés, <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-15.htm">à commencer par la Syrie</a>, où l’Iran s’est fermement rangé derrière Bachar Al-Assad tandis que les Saoudiens ont financé diverses organisations opposées au régime syrien.</p>
<p>Tout s’emballe en janvier 2015 avec l’accession au pouvoir en Arabie saoudite du roi Salmane et la promotion rapide de son fils et successeur désigné Mohammed Ben Salmane (souvent appelé MBS). En mars de cette même année, Riyad intervient au Yémen en soutien au pouvoir en place, accusant l’Iran d’appuyer les rebelles Houthis et ce, malgré <a href="https://www.levif.be/international/liran-soutient-il-vraiment-les-rebelles-houthis-au-yemen/">l’absence de véritables preuves à ce stade du conflit</a>.</p>
<p>En janvier 2016, Riyad exécute Nimr al-Nimr, important cheikh chiite, provoquant la colère de l’Iran et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">pillage de l’ambassade saoudienne à Téhéran et du consulat saoudien à Mashad</a>. En réaction, la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/04/teheran-accuse-riyad-de-vouloir-aggraver-les-tensions-dans-la-region_4841198_3218.html">plupart des pays du Golfe rappellent leurs ambassadeurs</a> de Téhéran.</p>
<p>Depuis, les seules relations qu’ont eues les deux pays ont été leurs affrontements indirects dans les différents pays de la région : militairement en Syrie et au Yémen, politiquement en <a href="https://www.mei.edu/publications/awkward-triangle-iraq-iran-and-saudi-arabia">Irak</a>, au <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2022-3-page-177.htm">Liban</a> et à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-3-page-73.htm">crise du Qatar de 2017</a>.</p>
<p>Même si l’Arabie saoudite n’y est pas partie, la signature en septembre 2020, sous la houlette de Donald Trump, des accords d’Abraham, qui ont permis un <a href="https://www.rts.ch/info/monde/11606909-signature-a-washington-des-accords-dabraham-entre-israel-bahrein-et-les-emirats-arabes-unis.html">rapprochement entre d’une part, Israël et de l’autre, Bahreïn et les Émirats arabes unis</a>, proches alliés des Saoudiens, ont un peu plus tendu les relations, l’Iran affirmant alors qu’il était le seul pays à vraiment se préoccuper de la cause palestinienne, désormais trahie par les monarchies du Golfe. Il en va de même des rebondissements liés au programme nucléaire iranien, qui a toujours été pour l’Arabie saoudite une grande source d’inquiétude.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-retour-au-deal-nucleaire-iranien-est-il-encore-possible-162272">Un retour au deal nucléaire iranien est-il encore possible ?</a>
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<p>Sur ces différentes scènes, aucune partie n’a complètement perdu ou clairement gagné ; c’est ce qui permet à chacune d’entre elles de s’engager aujourd’hui sans perdre la face dans une dynamique moins confrontationnelle et, sans doute, moins coûteuse politiquement et financièrement.</p>
<h2>Les aiguillons de cette percée inattendue</h2>
<p>On ne saurait trop insister sur la conjonction des intérêts de la Chine, de l’Iran et de l’Arabie saoudite avec ceux d’acteurs secondaires dans la région.</p>
<p>Pékin est désireux de stabiliser cette <a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">région stratégique pour son approvisionnement énergétique</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/relations-diplomatiques-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-la-chine-s-impose-comme-acteur-diplomatique-dans-le-golfe_5682047.html">continuer à s’affirmer dans ce pré carré traditionnel des États-Unis</a>. La Chine était déjà depuis des années un des rares acteurs à réussir l’exercice périlleux de maintenir des relations cordiales à la fois avec l’Iran et l’Arabie saoudite, et c’est bien à elle qu’ils accordent le mérite symbolique d’avoir parrainé leur réconciliation. Le message est limpide : les États-Unis ne sont plus les seuls « brokers » dans la région ni même les seuls pourvoyeurs de sécurité.</p>
<p>L’Iran a longtemps justifié sa rivalité avec Riyad par la <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-101.htm">soumission du régime saoudien à Washington</a>. Or, à travers cet accord récent, Téhéran parvient à la fois à réduire l’influence américaine dans la région et à accélérer la <a href="https://theconversation.com/joe-biden-a-riyad-les-lecons-dun-echec-187645">distanciation entre Washington et Riyad</a>, respectant dès lors parfaitement le « narratif » national. Le rapprochement sert par ailleurs plusieurs des intérêts de l’Iran. Tout d’abord, il permet d’ouvrir une large brèche dans l’isolement dans lequel le pays est tenu par les États-Unis et, dans une moindre mesure, les Européens. </p>
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<p>En outre, l’augmentation de ses échanges avec la Chine et la promesse d’investissements saoudiens permettraient un rebond dont l’économie nationale a bien besoin. Par ailleurs, l’apaisement des tensions avec l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe et la nouvelle proximité avec la Chine sont autant de pas susceptibles d’améliorer la sécurité d’un Iran qui serait plus difficile à cibler par Israël ou les États-Unis dans le cadre des bras de fer autour du nucléaire ou des dossiers régionaux. </p>
<p>Enfin, l’entente entre les deux puissances régionales comporte aussi la promesse d’une non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures, ce qui, pour Téhéran, signifie la fin du rôle joué par l’Arabie saoudite, via les différents médias qu’elle finance, dans l’incitation médiatique à son encontre.</p>
<p>Pour l’Arabie saoudite, le rapprochement entrepris avec l’Iran porte la promesse d’une sortie plus favorable du bourbier yéménite, <a href="https://www.rtbf.be/article/il-y-a-6-ans-les-saoudiens-lancaient-la-tempete-decisive-au-yemen-un-echec-retentissant-10728932">coûteux à tous points de vue</a>, afin de se recentrer sur les réformes du pays et ses perspectives d’avenir, dont la transition économique au travers notamment de la <a href="https://www.vision2030.gov.sa/">« Vision 2030 » promue par MBS</a>. </p>
<p>En outre, cette démarche nouvelle permet au royaume, dont les relations avec les États-Unis ont été <a href="https://www.levif.be/international/arabie-saoudite-et-etats-unis-au-bord-de-la-rupture/">assez houleuses sous les deux dernières administrations démocrates</a>, de diversifier ses alliances et les garants de sa sécurité. D’ailleurs, la désescalade avec l’Iran porte en elle la perspective d’une atténuation des risques sécuritaires. Cette tendance est renforcée par l’accession de Riyad à <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-arabie-saoudite-devient-un-etat-partenaire-de-l-organisation-de-cooperation-de-shanghai-20230329">l’Organisation de coopération de Shanghai au titre de partenaire de dialogue</a>, alors que l’Iran est déjà engagé dans le <a href="https://www.reuters.com/article/ouzbekistan-ocs-iran-idFRKBN2QG0P8">processus d’accession complète à cet organisme</a>.</p>
<h2>Vers de nouvelles perspectives</h2>
<p>S’il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions définitives et prédire une paix durable entre Riyad et Téhéran, ces différentes annonces viennent briser une logique d’inimitié et de conflictualité qui semblait jusqu’ici dangereusement s’auto-entretenir. Trois tendances intéressantes, et quasiment sans précédent dans l’histoire récente de la région, méritent d’être soulignées. </p>
<p>La première est la volonté de l’Arabie saoudite et de l’Iran de dépasser leur inimitié, souvent représentée comme insurmontable car fondamentalement identitaire, et de coopérer pragmatiquement dans le but de servir leurs intérêts et de réduire les tensions régionales. </p>
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<p>Dérivée de la première, la deuxième tendance correspond à une agentivité plus constructive mais aussi moins dépendante des impulsions extérieures, la Chine ayant été plus un adjuvant que la force motrice du rapprochement. Même si ce sont des diplomates chinois qui ont posé avec leurs homologues iraniens et saoudiens devant les photographes immortalisant l’accord, ce sont bien l’Irak et Oman qui ont <a href="https://www.fmprc.gov.cn/eng/wjdt_665385/2649_665393/202303/t20230311_11039241.html">facilité les négociations entre les deux poids lourds de la région</a>. Ceci ouvre la voie à une gouvernance régionale conduite par les acteurs locaux et allégée du poids des intérêts extérieurs, même si le chemin reste long vu la présence américaine encore massive et l’intérêt chinois grandissant. </p>
<p>Enfin, le contexte même du rapprochement suggère que le temps des absolus pourrait s’étioler : ce développement se fait bien que l’Arabie saoudite soit, aujourd’hui, plus proche d’Israël qu’à aucun autre moment de l’histoire. </p>
<p>Bien évidemment, les passifs restent nombreux, tout comme les crises qui pourraient mettre en péril la tendance amorcée en mars dernier. Les occasions manquées par le passé, comme le <a href="https://www.theguardian.com/world/1999/may/17/iran">rapprochement avorté entre les deux pays à la fin des années 1990</a>, incitent à la prudence. En outre, une telle dynamique d’adversité ne s’effacera pas du jour au lendemain. Mais le rétablissement des relations diplomatiques a au moins le mérite d’offrir une alternative et une porte de sortie vers une logique non plus de surenchère mais bien de concertation dans les affaires de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207856/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Dieudonné a reçu des financements de MITACS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elena Aoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, en froid depuis sept ans, annonce la mise en place de nouvelles dynamiques dans la région.Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Elena Aoun, Professeure en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073392023-06-13T17:57:44Z2023-06-13T17:57:44ZL’État islamique est-il défait ?<p><em>Si depuis la perte de ses fiefs irakien et syrien, Mossoul et Raqqa, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etat-islamique-20355">l’État islamique</a> n’administre plus aucun territoire, l’organisation, dont se réclament plusieurs entités terroristes en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">divers points de la planète</a>, continue d’inquiéter. En témoigne un <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132162">rapport onusien</a> présenté au Conseil de sécurité en 2022 : la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220525-afghanistan-l-organisation-%C3%A9tat-islamique-revendique-quatre-attentats-%C3%A0-la-bombe">reprise d’attentats dans ses anciens bastions</a> et son extension sur le continent africain, notamment <a href="https://fr.africanews.com/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation/">au Sahel</a>, révèlent entre autres la persistance de l’idéologie de l’État islamique. Dans son nouvel ouvrage <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/l-etat-islamique-est-il-defait/#">« L’État islamique est-il défait ? »</a>, qui vient de paraître aux Éditions CNRS, Myriam Benraad, politologue française spécialiste du monde arabe, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et chercheuse associée à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM, unité mixte de recherche qui associe le CNRS et l’Université d’Aix-Marseille) dresse une typologie des facteurs de la défaite de l’organisation jihadiste</em>. </p>
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<p>« La nuit dernière, sous ma direction, les forces armées américaines, dans le nord-ouest de la Syrie, ont mené avec succès une opération de contre-terrorisme visant à protéger les citoyens américains et nos alliés, et à faire du monde un lieu plus sûr. Grâce à la compétence et au courage de nos forces, nous avons supprimé du champ de bataille Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qouraychi, leader de l’État islamique ». </p>
<p>Dans <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/02/03/statement-by-president-joe-biden-3/">cette adresse du 3 février 2022</a>, Joe Biden prenait acte de la liquidation d’un des dirigeants jihadistes les plus recherchés au monde. Le président américain se gardait néanmoins d’évoquer une « défaite » de l’État islamique. </p>
<p>Depuis son apparition en Irak à l’automne 2006, plusieurs de ses commandants ont en effet été tués, par trois administrations successives, sans jamais que la mort d’un seul de ces hommes ne conduise à la dissolution définitive du mouvement : <em>[Al-Baghdadi en 2019, puis Al-Qouraychi en février 2022]</em>, puis Abou Hassan, mort quelques mois plus tard en octobre 2022 lors d’une opération de l’Armée syrienne libre dans la province de Deraa, lui-même remplacé par Abou Hussein, vétéran du jihad irakien. Cela étant, les pertes et les destructions endurées par les jihadistes ont été si lourdes au cours des dernières années qu’ils n’ont jamais pu reprendre la main. Dès lors, peut-on raisonnablement parler de défaite de l’État islamique ? </p>
<p>Cette question ne manquera pas d’interpeller les lecteurs, profanes ou fins connaisseurs, tant ce mouvement a fait couler d’encre ces dernières années. Au-delà des réponses hétérogènes que l’on serait tenté d’y apporter, il faut revenir sur la notion de « défaite » pour poser le décor.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-contre-le-terrorisme-comment-sortir-de-la-spirale-sans-fin-de-la-vengeance-204862">Guerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?</a>
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<p>Relevons qu’il n’existe aucune définition fixe du terme dans le champ des études stratégiques, et en science politique plus largement. Une « défaite » n’est-elle que militaire et physique ? Revêt-elle au contraire une connotation plus symbolique ? De plus, pour s’ancrer dans la durée, une défaite ne doit-elle pas s’assortir de transformations sociopolitiques, économiques et culturelles plus profondes ? </p>
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<p>S’interroger sur la « nature » de la défaite de l’État islamique, pour reprendre <a href="https://www.routledge.com/Understanding-Victory-and-Defeat-in-Contemporary-War/Angstrom-Duyvesteyn/p/book/9780415481649">l’approche théorique développée par Jan Angstrom et Isabelle Duyvesteyn</a>, permet sans doute de repositionner un certain nombre de débats clés, en particulier au moment où les doutes grandissent quant à l’avenir des opérations de contre-insurrection au Moyen-Orient.</p>
<p>Parmi les mouvances jihadistes ayant altéré le cours de l’histoire, il n’est pas excessif de dire que l’État islamique fait figure de chef de file. Partout où il s’est établi, puis déployé, de son terreau moyen-oriental jusqu’en Asie et en Afrique, il a meurtri les sociétés exposées à ses actes, lorsqu’il ne les a pas tout simplement dévastées.</p>
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<p>Chronologiquement, l’État islamique a émergé au croisement d’une trajectoire irakienne brutalisée et d’une transhumance militaire à travers une partie importante du monde musulman. Puisant son inspiration et son orientation dans un registre salafiste-jihadiste, le groupe terroriste n’a jamais eu pour but de réformer les systèmes établis mais plutôt de les anéantir au nom de son utopie.</p>
<p>À ce titre, sa défaite ne fait aucun doute. Tout entier lancé dans une conquête internationale, l’État islamique a échoué à s’ancrer dans l’espace. De la même manière, ses attaques spectaculairement meurtrières ont fini par se retourner contre lui. Ses capacités et ressources sont ainsi fortement diminuées. Assiégé et écrasé dans ses bastions irakien et syrien, l’État islamique a été pourchassé partout où il sévissait. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’État islamique est-il défait ? »" src="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « L’État islamique est-il défait ? » paru aux éditions CNRS le 1ᵉʳ juin 2023.</span>
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<p>Pour autant, aborder la problématique de sa défaite implique de ne pas céder au piège d’une lecture manichéenne, ou d’une simplification de l’idée même de défaite. L’État islamique est vaincu, certes, mais n’oublions pas que le phénomène surpasse sa seule dimension armée. </p>
<p>Il est aussi une militance intergénérationnelle dont les racines remontent au jihad antisoviétique des années 1980, une tentation nihiliste détruisant aussi bien la géographie que l’altérité. Par-delà sa défaite, l’État islamique a surtout su produire du temps, s’implanter aux marges de sociétés en proie à de violents conflits, et transcender sa base partisane première.</p>
<p>Pour mesurer au plus près sa défaite, il faut se méfier en outre des récits officiels et médiatiques en vogue, des perspectives trop statiques, envisager la déroute des jihadistes dans ce qu’elle contient de tangible, d’objectif, de durable. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années durant, Daech a terrorisé les populations syrienne et irakienne, et commis de nombreux attentats en Europe, en Afrique, en Asie. Aujourd’hui, peut-on dire que la nébuleuse a disparu ?Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044992023-05-14T15:17:05Z2023-05-14T15:17:05ZComment les Palestiniens ont-ils instauré le récit de la Nakba en France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525947/original/file-20230512-7602-1vu8dp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C385%2C314&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur les 900 000 Arabes qui vivaient en Palestine historique, plus de 700 000 ont dû quitter leurs terres à l'issue de la guerre de 1948 (photo prise en octobre-novembre 1948)</span> <span class="attribution"><span class="source">Fred Csasznik / Wikimedia Commons</span></span></figcaption></figure><p>Ce 15 mai 2023, les Palestiniens commémorent le 75<sup>e</sup> anniversaire de l’expulsion massive de plus de 700 000 habitants arabes de la <a href="https://theconversation.com/lavenir-incertain-de-la-palestine-a-la-cour-penale-internationale-202162">Palestine</a> historique par les sionistes. La <em>Nakba</em>, catastrophe en arabe, est devenue depuis 1948 <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9780230621633">l’événement fondateur</a> de la mémoire et de l’identité collectives palestiniennes à l’époque moderne.</p>
<p>Cette mémoire se fonde sur un récit historique des victimes qui, à ce jour, ne peuvent voir s’appliquer la <a href="https://www.unrwa.org/content/resolution-194">résolution onusienne 194</a>, adoptée le 11 décembre 1948 et garantissant aux Palestiniens expulsés le <a href="https://theconversation.com/palestine-un-pays-virtuel-au-bout-dune-route-sans-raison-98134">droit au retour</a> dans leurs maisons.</p>
<p>Pour la première fois cette année, la <em>Nakba</em> sera célébrée <a href="https://press.un.org/fr/2022/ag12475.doc.htm">par l’ONU</a> à travers une journée officielle.</p>
<p>La célébration onusienne tient à une évolution de l’appréhension de l’histoire de 1948 dans divers pays. Les historiens et penseurs palestiniens y ont beaucoup contribué. Dispersés dans les <a href="https://theconversation.com/quelle-conscience-politique-deux-memes-ont-les-jeunes-palestiniens-en-exil-161547">pays de l’exil</a>, ils ont créé des solidarités transnationales qui ont permis à leur récit de gagner l’intérêt de la communauté universitaire, des médias et de l’opinion publique.</p>
<p>Aux États-Unis, on pense à l’intellectuel <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Sa%C3%AFd">Edward Saïd</a> qui a largement mis en lumière le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ghfqZgugpdo&pp=ygUWaW4gc2VhcmNoIG9mIHBhbGVzdGluZQ%3D%3D">récit de l’exil palestinien</a>. Mais dans l’Hexagone, qui a joué ce rôle ? Comment le récit de la <em>Nakba</em> s’est peu à peu instauré en France ?</p>
<h2>Une guerre des mémoires</h2>
<p>Face aux commémorations de la déclaration d’indépendance israélienne, le récit de la <em>Nakba</em> s’inscrit dans ce que l’historien Benjamin Stora nomme la <a href="https://benjaminstora.univ-paris13.fr/index.php/ouvrages/99-la-guerre-des-memoires-la-france-face-a-son-passe-colonial.html">« guerre des mémoires »</a>. Faire entendre ce récit en France n’a pas été chose aisée au cours de l’histoire contemporaine.</p>
<p>Pour les Palestiniens, il s’agissait de corriger une <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20221212-the-nakba-day-triumph-how-the-un-is-correcting-a-historical-wrong/">« erreur historique »</a>. Ces derniers affirment avoir été expulsés et dépossédés de leurs maisons, selon un projet sioniste prédéterminé. Souvent nié ou marginalisé, ce récit a été opposé par la version (pro) sioniste de l’histoire. Celle-ci affirme que le <a href="https://www.jstor.org/stable/24279640">départ des Palestiniens fut volontaire et n’assume aucune responsabilité du sort des réfugiés</a>, d’où l’importance symbolique de la commémoration onusienne de la <em>Nakba</em>, perçue comme une victoire du côté palestinien.</p>
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<figcaption><span class="caption">Edward Said sur la Palestine.</span></figcaption>
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<p>Dans son <em>Dictionnaire amoureux de la Palestine</em> (2010), l’historien <a href="https://journals.openedition.org/diasporas/211?lang=en">Elias Sanbar</a> affirme que les Palestiniens ont beau écrire et parler, ils ont fait l’expérience du refus d’être entendus. Les débuts de l’accueil français des récits de l’expulsion en témoignent en partie.</p>
<h2>Une médiation intellectuelle française neutre ?</h2>
<p>Dès le lendemain de la guerre des Six Jours entre Israël et ses voisins arabes en 1967, la scène intellectuelle française pratique des formes de médiation entre les historiens israéliens, arabes et palestiniens. Jean-Paul Sartre et Claude Lanzmann éditent ainsi un volume dans <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Revue-Les-Temps-Modernes"><em>Les Temps modernes</em></a> en 1967.</p>
<p>La confrontation du point de vue israélien et « arabe » dans ce numéro laisse place à un éminent intellectuel palestinien, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sami_Hadawi">Sami Hadawi</a>. Celui-ci propose une réflexion dénuée de commentaire sur la <em>Nakba</em>. La question de l’expulsion palestinienne sera exclusivement effleurée dans l’introduction du volume par l’arabisant <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maxime_Rodinson">Maxime Rodinson</a>. L’absence d’un discours intellectuel consacré à la <em>Nakba</em> dans cette entreprise peut être expliquée par l’inquiétude dominante des milieux français <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2009-4-page-28.htm?ref=doi">pour la stabilité du jeune État d’Israël</a>. Dans ce contexte, il est difficile pour des voix palestiniennes, comme celle de Hadawi, d’approcher l’histoire palestinienne depuis la tragédie de la <em>Nakba</em>.</p>
<p>Dans <a href="https://esprit.presse.fr/article/khader-bichara/les-arabes-en-israel-17007">son numéro de 1974</a>, la revue <em>Esprit</em> publie un article du Palestinien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bichara_Khader">Bichara Khader</a>. Cet article est le seul à être soumis à une lecture par des universitaires israéliens avant publication.</p>
<p>Enfin, la rencontre organisée par l’association française <a href="https://www.lapaixmaintenant.org/qui-sommes-nous/">« La Paix maintenant »</a>, dans le domicile de Michel Foucault en 1979 réunit des Israéliens et des Palestiniens. Conviés à la rencontre, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2000/09/SAID/2409">Edward Saïd</a> et <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/review-of-middle-east-studies/article/abs/historical-dictionary-of-palestine-by-nafez-y-nazzal-and-laila-a-nazzal-320-pages-maps-abbreviations-chronology-appendices-bibliography-lanham-md-the-scarecrow-press-1997-5500-cloth-isbn-0810832399/27DC31FE7169108EAFBA942DCDF8D9EA">Nafez Nazzal</a> sortent insatisfaits du programme préétabli par le philosophe français <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Benny_L%C3%A9vy">Benny Lévi</a>. Celui-ci tourne autour des conditions de paix avec Israël, sans aucune place pour l’histoire palestinienne.</p>
<h2>Historiens-réfugiés : entre mémoire et Histoire</h2>
<p>Pour pallier ce manque et face à un espace d’expression généralement contraint, des intellectuels décident de fonder un champ de réflexion palestinien dans l’Hexagone. C’est la naissance de la <a href="https://www.palestine-studies.org/en/journals/rep/about">Revue d’études palestiniennes</a> (REP) en 1981. Celle-ci offre une nouvelle structure, ouverte aux universitaires et intellectuels. Faisant partie de <a href="https://www.palestine-studies.org/">l’Institut des études palestiniennes</a>, la revue est créée par des membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en France dont <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Elias_Sanbar">Elias Sanbar</a> ou <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/palestine/article/160715/femme-de-tete-comme-de-coeur-leila-shahid-limage-de-la-palestine">Leila Shahid</a> et par d’autres intellectuels arabes comme <a href="https://www.actes-sud.fr/node/228">Farouk Mardam-Bey</a> ou <a href="https://www.culturetheque.com/JOR/doc/cyberlibris/frcyb45006674/liban?_lg=en-us">Roger Naba’a</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525953/original/file-20230512-19-fxfxvu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1649477">Revue d’études Palestiennes</a></span>
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<p>La revue pose la question des liens entre l’identité de l’historien et la forme de l’histoire contemporaine. Dans le premier numéro, Sanbar signe un article sur les <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1640578">« historiens-réfugiés »</a> de la Palestine. Selon lui, l’écriture de l’histoire par celles et ceux qui ont vécu l’expulsion directement – ou par la transmission des récits d’ascendants – est marquée par un motif « existentiel ». Pour ces réfugiés, la <em>Nakba</em> serait un événement fondateur de la mémoire individuelle et de la perception de soi-même dans un monde fragilisé par le sentiment de dépossession.</p>
<p>La réflexion des historiens palestiniens en France n’est pas sans relation avec les travaux de <a href="https://journals.openedition.org/cm/820?lang=en">Pierre Nora</a> sur la mémoire et l’histoire. Pour <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1649421">Sanbar</a>, il s’agit d’assumer une certaine contradiction, consistant à fournir aux lecteurs une histoire écrite sur la base d’archives et de travaux scientifiques, mais revendiquant une mémoire et une perception personnelles du passé. Son livre intitulé <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1649421"><em>Palestine 1948 : l’expulsion</em></a> est un jalon de l’Histoire depuis la perspective mémorielle palestinienne. L’ouvrage, sorti en 1984 en France, annonce la nature d’une Histoire écrite par le réfugié. Les images conservées dans sa mémoire sont structurantes d’une histoire politique. Le ton et le commentaire personnels de l’historien, défendant un récit face à un autre, remettent en question la possibilité d’écrire une Histoire des victimes sans la voix de leur mémoire.</p>
<h2>Instaurer un récit contemporain de la <em>Nakba</em></h2>
<p>Cette posture de l’historien-réfugié a permis aux Palestiniens d’instaurer en France un récit de la Nakba qui dépasse les contours temporels de l’événement historique. À plusieurs reprises dans les années 1980 et 1990, la <em>Nakba</em> ressurgit dans la revue comme un paradigme mémoriel central pour interpréter et présenter l’actualité des Palestiniens. À la suite du massacre des réfugiés palestiniens de <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/sabra-chatila-massacre-beyrouth-liban-israel">Sabra et Chatila</a> au Liban en 1982 et de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Premi%C3%A8re_intifada">première Intifada en 1987</a>, la revue publie <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1640854">Jean Genet</a>, <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1640983">Leila Shahid</a>, <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1640737">Ilan Halévi</a> ou <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1641198">Samir Kassir</a>, qui pensent les persécutions contemporaines des Palestiniens comme une répétition des événements de la Nakba.</p>
<p>Les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/les-accords-d-oslo-histoire-d-une-paix-avortee-entre-israeliens-et-palestiniens-9189669">accords de paix d’Oslo</a> de 1993 reportent la négociation du droit des réfugiés au retour à un stade ultérieur. Dans les années qui suivent, les Palestiniens redoublent d’efforts pour mieux faire connaître leur récit auprès de l’opinion publique en France. Ils cherchent des solidarités. La revue palestinienne co-organise ainsi avec Le Monde diplomatique un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1998/05/29/israel-palestine-regards-croises_3676969_1819218.html">colloque public</a> en 1998. Il se déroule au Sénat français, en présence d’historiens palestiniens, israéliens et français.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1655977774379614208"}"></div></p>
<p>Le début du deuxième millénaire, marqué par une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Seconde_intifada">Seconde Intifada</a> en 2000 et une <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2009-2-page-98.htm">opération militaire israélienne contre la bande de Gaza en 2008</a> insurgent des contributeurs comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ilan_Halevi">Ilan Halévi</a> contre l’idée d’une <em>Nakba</em> ponctuelle, d’un événement historique révolu. Les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_emmures-9782707149763">politiques coloniales</a> israéliennes <a href="https://www.un.org/unispal/wp-content/uploads/2022/10/A.77.356_210922.pdf">continuent</a>. Les expropriations et la destruction de maisons en Cisjordanie ainsi que les <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-contestation-au-defi-de-l-occupation,6329">« pogroms »</a> de villages palestiniens par les Colons visent au <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2020/7/7/israel-is-a-settler-colony-annexing-native-land-is-what-it-does">dépeuplement des territoires palestiniens</a>. Ces pratiques viennent étayer l’idée d’une <a href="https://www.wrmea.org/waging-peace/palestinians-discuss-the-ongoing-nakba.html">« <em>Nakba</em> continue »</a>.</p>
<p>La Revue d’études palestiniennes a cessé de paraître en 2008, pour des raisons financières. Grâce à ses contributeurs et à ses commémorations de l’événement, la question de la <em>Nakba</em> s’est progressivement ancrée en France. C’est celui de la <em>Nakba</em> continue qui cherche ses écritures.</p>
<p>À l’ère des nouveaux médias, la <a href="https://www.jstor.org/stable/23265851">Palestine colonisée se reconstruit dans la géographie virtuelle d’internet</a>. En France, des journalistes engagés qui ont collaboré avec la revue palestinienne, tels qu’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Gresh">Alain Gresh</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Vidal">Dominique Vidal</a>, continuent le <a href="https://blogs.mediapart.fr/dominique-vidal/blog/150223/nakba-la-preuve-par-tantura">récit de la <em>Nakba</em></a> et de la <a href="https://orientxxi.info/fr/article2311.html"><em>Nakba</em> continue</a> sur les plates-formes en ligne. Au-delà des frontières et de la commémoration onusienne, peut-être que ces nouveaux modes d’écriture permettront de développer la solidarité des publics, en France et à l’international, avec le récit des colonisés ?</p>
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<p><em>Les recherches menant au présent article ont bénéficié d’un soutien financier du programme ATLAS de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme et du Conseil arabe des Sciences sociales (Cycle 2020) ainsi que du programme ATLAS de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme et de l’Union des Universités de la Méditerranée (Cycle 2022).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ammar Kandeel a reçu des financements du programme ATLAS de la Fondation Maison des Sciences de l'Homme et du Conseil Arabe des Sciences Sociales (Cycle 2020) ainsi que du programme ATLAS de la Fondation Maison des Sciences de l'Homme et de l’Union des Universités de la Méditerranée (Cycle 2022).</span></em></p>L’Histoire est généralement racontée par les vainqueurs. En France, les Palestiniens ont dû faire preuve de persévérance pour que leur récit de leur expulsion de Palestine soit finalement entendu.Ammar Kandeel, Chercheur postdoctoral en littérature, art et histoire, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2008652023-03-21T00:08:46Z2023-03-21T00:08:46ZVingt ans après l’invasion américaine, l’Irak peut-il enfin connaître une paix durable ?<p><em>Il y a 20 ans, le 20 mars 2003, démarrait l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Ce ne fut ni la première ni la dernière guerre à ravager cet État né en 1921. Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/lirak-dela-toutes-guerres-2/">« L’Irak par-delà toutes les guerres »</a>, paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier Bleu, Myriam Benraad, politologue spécialiste du Moyen-Orient, professeure à l’Université internationale Schiller et chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), revient à la fois sur les décennies ayant précédé cette invasion et sur les années suivantes, marquées par la guerre civile, l’émergence de l’État islamique et, après la défaite de celui-ci, la difficile recherche d’un système politique susceptible d’empêcher le pays de basculer à nouveau dans un cycle d’extrême violence.</em></p>
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<p>Depuis l’offensive aussi spectaculaire que meurtrière de l’État islamique en 2014, puis la <a href="https://www.reuters.com/article/irak-ei-idFRKBN1E30DA-OFRTP">défaite du groupe jihadiste sous les assauts de la coalition internationale</a> entre 2017 et 2018, l’Irak continue d’occuper les feux d’une actualité aussi instable que cruelle. De fait, le pays meurtri par plusieurs décennies de conflits successifs, de même que par la <a href="https://www.undp.org/iraq/publications/impact-Covid-19-iraqi-economy">crise sanitaire provoquée par le Covid-19</a> sur une période plus récente, reste prisonnier d’une violence incessante et, il faut le reconnaître, difficilement déchiffrable si l’on se place du point de vue de l’observateur profane. Les Irakiens ont rejoint la catégorie de ces peuples broyés par les aléas d’un présent incertain et d’une guerre multiforme dont personne n’entrevoit véritablement la fin, bridant tout effort de prospective sur le long terme et toute explication satisfaisante des ressorts et dynamiques de la violence qui, ci et là, continue d’éclater.</p>
<p>Parallèlement à d’autres configurations sanglantes au Moyen-Orient, l’Irak continue ainsi de jouer sa partition malheureuse sur un échiquier régional et international toujours plus dense, complexe et agité. Or, si la période post-baasiste s’est singularisée par des degrés extrêmes de brutalité, il ne faut pas perdre de vue que l’Irak a connu beaucoup d’autres phases de conflictualité. La notion même de « violence » – comprise comme le résultat de l’éclatement d’un système social donné ou d’une fragilisation des normes de fonctionnement et des valeurs d’un groupe – n’a cessé de marquer toute l’histoire irakienne, Bagdad renvoyant encore de nos jours l’image d’une coercition absolue, quasi banalisée. La crise profonde amorcée au printemps 2003 fait en réalité suite à des décennies de déchirures dont on observe encore les conséquences funestes. Le <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1998/qSEQ980709504.html">régime des sanctions imposé par les Nations unies à l’Irak dans les années 1990</a> fut, par exemple, l’un des plus sévères jamais infligés à un État dans toute l’histoire moderne, précédé par la guerre du Golfe (1990-1991) et la longue confrontation avec l’Iran (1980-1988).</p>
<p>L’exercice rétrospectif auquel on se laisse prendre n’en présente pas moins certaines limites. De fait, si des points de continuité lient indiscutablement la période d’occupation (2003-2011) et ses lendemains meurtriers (2011-2022) à d’autres épisodes douloureux de la trajectoire irakienne, chacune de ces phases est caractérisée par ses spécificités et logiques propres.</p>
<p>Au-delà de l’image d’Épinal à laquelle l’Irak renvoie souvent, celle d’un pays plongé dans les affres d’une violence omniprésente et continuelle, son histoire ne saurait se résumer à ce seul continuum. Avant de sombrer dans le chaos, l’Irak fut en effet l’épicentre d’une vie intellectuelle et politique vibrante. Durant des décennies, une société civile s’y est développée et celle-ci n’a d’ailleurs jamais disparu ; au contraire, défiant l’adversité, elle tente aujourd’hui de se reconstituer, comme ont pu l’illustrer les <a href="https://www.france24.com/fr/20191101-irak-sistani-mahdi-contestation-populaire-entree-deuxieme-mois">manifestations populaires de 2019</a>.</p>
<p>À partir des années 1920, l’Irak s’est doté des institutions réputées parmi les plus sophistiquées au Moyen-Orient, renfermant d’importants espaces d’expression autonome. Le pays a vu l’éclosion de multiples mouvements sociaux, tantôt tolérés, tantôt réprimés, mais qui dans l’ensemble ont bénéficié d’une réelle indépendance et produit un authentique sens contestataire parmi les civils. L’une des marques de ces mouvements a d’ailleurs toujours été leur sociologie plurielle, regroupant toutes les composantes ethniques et religieuses irakiennes autour d’idéaux et de revendications partagés.</p>
<p>On peut considérer que l’Irak a traversé trois séquences historiques décisives, qui ont profondément façonné son destin et son identité. La première renvoie à la <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/adel-bakawan-cent-ans-lirak-un-etat-nation.">fondation du pays en 1921</a>. À l’époque, l’Irak, dont le nom remonte à l’Antiquité, est un État embryonnaire, faiblement structuré et au corps social fragmenté.</p>
<p>Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont reçu un mandat pour administrer les trois provinces ottomanes de Bagdad, Mossoul et Bassora, qu’ils décident de réunir au sein d’une même entité géographique tout en instaurant une monarchie placée sous la coupe d’un roi étranger. Mais la construction nationale irakienne ne va pas de soi. De fait, le pays est marqué par une importante diversité sociologique. Le poids des particularismes qui l’habitent est d’autant plus fort que la stratégie coloniale privilégie le monarque et Bagdad au détriment des périphéries, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-1-page-17.htm">« marges dissidentes »</a> pour reprendre une expression proposée par l’historien Hamit Bozarslan. Chiites et Kurdes, mais aussi les classes les plus pauvres, s’opposent au pouvoir central. De même, au-delà des allégeances communautaires, une tension oppose les technocrates et la bourgeoisie commerçante et urbaine à un petit peuple des campagnes dépossédé et soustrait à l’autorité étatique.</p>
<p>Or, à mesure que s’accentuent l’exode rural et l’urbanisation, les Irakiens développent de nouveaux liens et un sentiment d’appartenance commune, notamment par l’entremise d’un système éducatif moderne. De manière inattendue, ils se réapproprient cet État national établi par la puissance coloniale. Cette (re)conquête s’opère précisément au nom du nationalisme qui se déploie et s’exprime lors d’importants soulèvements. <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/1454?lang=fr">En 1920 a ainsi lieu la Grande Révolution irakienne</a> qui mobilise toute la population contre la Couronne et porte en germe une nouvelle nation. <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/irak-declaration-1932.htm">En 1932, le pays accède formellement à l’indépendance</a>, certes relative car elle n’efface pas l’ampleur des divisions, y compris parmi des nationalistes écartelés entre une vision panarabe de la lutte et une tendance irakienne qui promeut une nation contenue au sein de ses frontières. La montée des inégalités et la multiplication des troubles conduit <a href="https://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/pages/actualites-des-monarchies-du-monde/moyen-orient/irak/le-14-juillet-1958-le-rideau-s-abaissait-sur-la-monarchie-irakienne.html">au renversement, en juillet 1958, de la monarchie</a> par un groupe d’officiers de l’armée qui proclament la République d’Irak et instaurent un régime militaire. Les réformes sociales alors mises en œuvre se révèlent un échec en aboutissant à une série de putschs. Le parti Baas fomente un coup d’État en 1963 qui culmine avec une première prise de pouvoir, puis un second en 1968 qui place Saddam Hussein au sommet de l’État.</p>
<p>S’ouvre dès lors une deuxième séquence de recomposition de l’Irak à travers l’avènement d’une domination extrême, pour ne pas dire totalitaire. Continuellement amoindrie, la société irakienne tente, par divers moyens – de l’opposition clandestine à la passivité désenchantée –, de survivre face à un État-Léviathan de plus en plus écrasant, qui n’a plus rien de comparable avec celui qui avait été créé par les Britanniques quelques décennies plus tôt.</p>
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<p>À l’encontre des rêves nourris par les premières générations de nationalistes, la recherche d’un consensus identitaire a fini par produire un système tyrannique, et non plus le modèle d’une nation triomphante comme Saddam Hussein aspire à la présenter. Au contraire, le régime lance une répression systématique contre toute forme d’opposition, réelle comme imaginée, y compris dans les rangs du parti, régulièrement purgés. Le discours révolutionnaire officiel sert dans les faits à liquider toute dissidence. Parmi ses adversaires se trouvent le Parti communiste, d’une part, et le mouvement indépendantiste kurde, de l’autre, que les baasistes s’emploient à briser par une violente politique d’arabisation.</p>
<p>La mouvance chiite politisée, active dans le sud et dans les quartiers pauvres des villes, est aussi la cible du Baas qui la perçoit comme affidée à l’Iran et à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/iran-comment-l-ayatollah-khomeini-a-proclame-la-republique-islamique-d-iran-7900096568">République islamique proclamée en 1979</a>. Pour Saddam Hussein, l’Iran cherche à défaire l’unité nationale de l’Irak en encourageant le confessionnalisme parmi les chiites. Or, sous l’unité déclamée par le dirigeant irakien, devenu « maître des mots », s’esquisse une concentration absolue de l’autorité.</p>
<p>Une troisième séquence est enfin celle au cours de laquelle aux rapports entre le régime et la société se substitue une personnalisation de l’État et son effacement derrière la figure du tyran. Saddam Hussein procède en effet à une destruction des institutions, à laquelle s’ajoutent la guerre contre l’Iran, encore peu étudiée et pourtant fondamentale, et l’échec militaire de l’Irak au Koweït qui exacerbe cette même logique. Proclamant sa victoire face à ses ennemis, internes et externes, le régime finit par récuser ses fondements idéologiques passés au profit d’une véritable prédation visant tout un chacun. <a href="http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/mriessaimichaellessard.pdf">Les années d’embargo qui débutent en 1990</a> et visent à priver le despote irakien de la rente pétrolière et de ses revenus n’affectent pas le régime à proprement dire, mais le figent. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’Irak par-delà toutes les guerres »" src="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Irak par-delà toutes les guerres », paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier bleu.</span>
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<p>Les sanctions permettent par ailleurs à Saddam Hussein de se présenter comme le dernier rempart du monde arabo-musulman face à l’impérialisme de l’Occident, et c’est dans le sang que les soulèvements <a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/05/14/le-sud-de-l-irak-sous-la-terreur-le-pays-chiite-reste-marque-au-fer-rouge-par-la-feroce-repression-d_205717/">chiite</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mars-1988-halabja-la-mort-chimique-2346044">kurde</a> sont écrasés. Exsangue, délégitimé et isolé, le régime adopte un discours communautaire et se retire de ses fonctions régaliennes. Les privations endurées par la population s’instituent en dictature de la nécessité que Saddam Hussein exploite pour parfaire son monopole de la violence et se maintenir au pouvoir. Mais l’embargo porte son coup de grâce à l’Irak, avant le chaos final engendré consécutivement par <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-1-page-9.htm">l’invasion américaine de 2003</a> puis l’assaut des jihadistes de l’État islamique une décennie plus tard.</p>
<p>L’ensemble de ces développements ont lourdement pesé sur l’Irak et continuent, à l’évidence, d’influer sur son présent. Malgré la reprise en 2017 du fief jihadiste de Mossoul – deuxième ville d’Irak située sur le Tigre et capitale de Ninive – par les forces irakiennes appuyées par la coalition internationale, et au-delà de nouvelles élections, l’Irak demeure dans une situation d’extrême fragilité. Dans un contexte de grande confusion, caractérisée à la fois par une abondance d’informations et une pénurie de sens, l’histoire mérite un détour critique afin de saisir avec nuance et acuité les enjeux auxquels le pays continue de faire face, et plus encore de dépasser les clichés, lieux communs et idées reçues qui restent légion à son sujet. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après l’offensive américaine, l’Irak demeure un État instable traversé par de fortes tensions.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2018282023-03-16T22:05:26Z2023-03-16T22:05:26ZIran–Arabie saoudite : un compromis diplomatique sous l’égide de Pékin<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515456/original/file-20230315-14-53wxil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3840%2C2155&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La réconciliation irano-saoudienne a été annoncée depuis Pékin, offrant à la Chine un succès diplomatique incontestable.</span> <span class="attribution"><span class="source">motioncenter/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 10 mars, Riyad et Téhéran ont annoncé, à Pékin, le <a href="https://www.arabnews.com/node/2266801">rétablissement de leurs relations diplomatiques après sept ans de rupture</a>, s’engageant, au terme de plusieurs jours de négociations, à « rouvrir les ambassades et représentations [diplomatiques] dans un délai maximum de deux mois ». Cette période de transition est nécessaire pour <a href="https://rasanah-iiis.org/english/monitoring-and-translation/reports/the-saudi-iran-agreement-and-the-resumption-of-diplomatic-ties/">transformer un accord sécuritaire en véritable restauration des relations diplomatiques</a>.</p>
<p>Si cette réouverture des discussions entre les deux pays va dans le sens de la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/apaisement-six-ans-apres-l-iran-et-les-emirats-normalisent-leurs-relations-diplomatiques">désescalade avec l’Iran</a> engagée depuis plusieurs années par l’Arabie saoudite et ses alliés, elle constitue aussi une victoire symbolique pour la Chine et illustre le recul de l’influence américaine dans la région.</p>
<h2>Quand Xi Jinping s’inspire de… Richard Nixon</h2>
<p>Cet accord tripartite n’est pas sans rappeler la doctrine des deux piliers <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429489044-18/united-states-persian-gulf-gary-sick">(<em>twin pillars policy</em>)</a> de l’administration Nixon (1968-1974) qui voulait assurer la stabilité de la zone du Golfe pendant la guerre froide par une double alliance avec Téhéran et Riyad. Dans sa version chinoise, l’accord reprend cet objectif de garantir la sécurité régionale par une entente avec les deux puissances régionales, même si relations de la Chine sont aujourd’hui plus fortes sur le plan économique <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/mepo.12589">avec les États de la péninsule arabique</a> qu’avec un Iran confronté à une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2023-1-page-19.htm">grave crise interne</a>. À l’époque de Nixon, à l’inverse, l’Iran du Shah était prioritaire dans la stratégie américaine.</p>
<p>L’étincelle a été <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/04/l-arabie-saoudite-rompt-ses-liens-diplomatiques-avec-l-iran_4841120_3218.html">l’attaque contre les installations diplomatiques saoudiennes à Téhéran en 2016</a>. C’est à ce moment-là que la rupture a eu lieu, dans un contexte par ailleurs marqué par une dégradation des relations de l’administration Obama avec les États arabes de la péninsule arabique, Washington cherchant alors à mettre en place une politique d’équilibre entre les deux rives.</p>
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<p>Le rétablissement des relations avec Riyad faisait partie des objectifs du président Raïssi, qui avait annoncé lors de <a href="https://theconversation.com/les-enjeux-politiques-internes-en-iran-apres-lelection-debrahim-ra-ssi-163136">son accession à la présidence en 2021</a> sa volonté d’améliorer les relations avec les pays voisins. Côté saoudien, il y avait depuis au moins deux ans une volonté de trouver une solution à la guerre du Yémen et de se focaliser sur les questions économiques en établissant une politique étrangère de « zéro problème avec les voisins ».</p>
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<p>L’accord pourrait favoriser une baisse des tensions dans le golfe Persique et conduira l’Arabie saoudite à se rapprocher encore davantage de <a href="https://trends.levif.be/a-la-une/international/comment-la-chine-est-devenue-le-premier-partenaire-commercial-de-larabie-saoudite/">son plus grand partenaire commercial, la Chine</a>, sans provoquer une crise avec son principal partenaire en matière de sécurité, les États-Unis. En effet, les responsables de l’administration Biden <a href="https://www.voanews.com/a/white-house-welcomes-chinese-brokered-saudi-iran-deal/6999700.html">perçoivent favorablement le rétablissement des relations entre Riyad et Téhéran</a>. La détente est jugée positive par les autorités américaines, même si certaines voix critiques s’élèvent aux États-Unis pour <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/13/china-middle-east-deal-00086888">dénoncer la marginalisation de Washington dans la région</a>. La propagande de la République islamique, de son côté, <a href="https://twitter.com/CarmiOmer/status/1634888445092069376">insiste également sur cette dimension régionale</a> et affirme que ce développement entérine le retrait américain du Moyen-Orient.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-multiples-consequences-du-retrait-americain-du-moyen-orient-171132">Les multiples conséquences du retrait américain du Moyen-Orient</a>
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<p>Ce processus de rapprochement entre les deux pays date de plusieurs années. Depuis <a href="https://www.courrierinternational.com/article/decryptage-le-conflit-entre-liran-et-larabie-saoudite-explique-en-4-points">2019 et le pic de la crise</a>, une lente désescalade s’est engagée, des discussions se déroulant <a href="https://www.muscatdaily.com/2023/03/11/iran-saudi-thank-oman-for-facilitating-talks/">depuis deux ans</a> en Irak et dans le sultanat d’Oman. </p>
<p>Il faut rappeler que les <a href="https://www.france24.com/fr/20200613-arabie-saoudite-attaques-2019-onu-drone-missilles-origine-iranienne">frappes de drones et de missiles</a> par des forces pro-iraniennes contre des sites pétroliers saoudiens en 2019 avaient temporairement <a href="https://www.reuters.com/article/us-saudi-aramco-attacks-iran-exclusive-idUSKBN1YN299">suspendu 5 % de l’approvisionnement énergétique mondial</a>. Ces attaques n’avaient alors suscité <a href="https://www.wsj.com/articles/saudi-crown-prince-test-drives-nonaligned-foreign-policy-450ddefb">aucune réponse militaire de la part des États-Unis</a>. Cette absence de réponse américaine pose alors la question de la garantie de sécurité américaine du point de vue saoudien.</p>
<h2>La victoire symbolique de la Chine</h2>
<p>On a vu que plusieurs partenaires de l’Arabie saoudite, comme les <a href="https://www.voanews.com/a/iran-resumes-diplomatic-relations-with-uae-and-kuwait-talks-continue-with-saudi-arabia/6713647.html">Émirats arabes unis, mais aussi le Koweït</a> avaient déjà complètement rétabli leurs relations diplomatiques avec la République islamique en 2022. Pour les Saoudiens, il y a dans cette reprise des relations à la fois une volonté de créer un contexte favorable à une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230315-le-rapprochement-entre-l-arabie-saoudite-et-l-iran-une-premi%C3%A8re-%C3%A9tape-pour-la-paix-au-y%C3%A9men">désescalade au Yémen</a> mais aussi une volonté d’autonomisation et de diversification. Il s’agit de ne plus dépendre des fluctuations de la politique américaine entre les stratégies parfois divergentes des Administrations démocrates et républicaines.</p>
<p>Mais au-delà de ces fluctuations, on observe, ces dernières années, une constante : l’Amérique se retire progressivement du Moyen-Orient. Riyad, de ce point de vue, a été tout autant déçu de l’administration Trump, qui a conduit à une impasse, notamment en raison de l’absence de changement de la politique nucléaire ou régionale iranienne malgré la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/pression-maximale-sur-teheran-quel-est-le-calcul-de-trump-6853240">politique de « pressions maximales » de Washington</a>, que de l’administration Biden, qui a poursuivi l’objectif du désengagement tout en émettant des critiques contre les partenaires régionaux des États-Unis – du moins jusqu’au déclenchement de la guerre d’Ukraine en février 2022.</p>
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<p>Enfin, la dimension économique entre évidemment en compte. Pour garantir leur prospérité, les États de la rive arabe du Golfe se doivent de s’assurer un <a href="https://www.arabnews.com/node/2267596/saudi-arabia">certain degré de stabilité avec leur grand voisin iranien</a>.</p>
<p>La République populaire de Chine a offert une plate-forme, un cadre, qui a permis cette percée. Cette capacité à apparaître comme un médiateur crédible s’explique par les excellentes relations qu’elle entretient depuis longtemps avec les pays arabes du Golfe tout en maintenant un dialogue soutenu avec l’Iran en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03068374.2022.2029060">dépit des pressions américaines</a>.</p>
<p>La RPC étant un régime autoritaire où aucune réelle alternance au pouvoir n’existe, il est, bien entendu, nettement plus aisé pour elle que pour les États-Unis de mettre en œuvre une politique constante. Elle apparaît aujourd’hui comme le principal bénéficiaire de cette séquence diplomatique, qui met encore davantage en évidence le recul américain dans la région, qui avait commencé pendant la période Obama.</p>
<p>La réouverture promise des ambassades se traduira par la restauration d’un canal diplomatique direct. Il y a toujours eu des discussions pendant ces sept années, mais elles passaient par des intermédiaires. Désormais, les deux pays pourront discuter sans passer par les canaux omanais, irakiens ou <a href="https://www.letemps.ch/monde/moyenorient/fin-mandat-puissance-protectrice-suisse-apres-laccord-teheranriyad">suisses</a>. Par ailleurs, il existait aussi des discussions indirectes, au niveau de l’OPEP par exemple. Les questions pétrolières ont toujours été un dossier particulier, Riyad et Téhéran maintenant en toutes circonstances une <a href="https://www.thenationalnews.com/business/2021/07/02/saudi-arabias-energy-minister-praises-iranian-oil-ministers-contribution-to-opec/">certaine coopération</a> en la matière.</p>
<h2>Vers une recomposition régionale ?</h2>
<p>Sur le plan régional, le rapprochement peut se traduire par une désescalade au Yémen, mais aussi au <a href="https://www.areion24.news/2019/04/25/liban-une-longue-lutte-dinfluence-entre-riyad-et-teheran/">Liban</a> et en <a href="https://edition.cnn.com/2023/03/13/middleeast/saudi-iran-regional-impact-mime-intl/index.html">Irak</a>. L’Iran, qui a déjà annoncé la <a href="https://en.mehrnews.com/news/198463/Maldives-to-resume-diplomatic-ties-with-Iran">reprise de ses relations diplomatiques avec les Maldives</a> immédiatement après sa réconciliation avec l’Arabie saoudite, pourrait dans un avenir proche se rapprocher de plusieurs autres États qui ont rompu leurs relations diplomatiques ces dernières années avec la République islamique, comme le <a href="https://mipa.institute/en/6813">Maroc</a>, avec lequel les relations diplomatiques ont été rompues en 2018, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-iran-veut-retablir-ses-relations-diplomatiques-avec-bahrein-20230313">Bahreïn</a> (relations rompues en 2016), la <a href="https://www.tasnimnews.com/en/news/2022/12/21/2824699/iran-open-to-promotion-of-ties-with-jordan">Jordanie</a> et <a href="https://www.thenationalnews.com/mena/egypt/2023/03/13/iran-wants-to-repair-relations-with-egypt-after-saudi-deal-foreign-ministry-says/">l’Égypte</a> (relations réduites au niveau du chargé d’affaires).</p>
<p>Enfin, pour <a href="https://www.middleeasteye.net/opinion/iran-saudi-arabia-reconciliation-israel-arab-alliance-ending-is">Israël</a>, il s’agira de maintenir des relations officielles et informelles avec les États arabes du Golfe tout en s’efforçant de provoquer un réengagement américain afin de promouvoir un système de sécurité régional orienté vers l’endiguement voire le refoulement de l’influence iranienne.</p>
<p>Il reste que la coopération irano-saoudienne ne pourra être effective que si la République islamique change de politique régionale et abandonne ses ambitions révolutionnaires dans la zone. En effet, l’ambiguïté du compromis diplomatique se fonde sur l’interprétation de la question de la « non-interférence de l’Iran dans les affaires internes de l’Arabie saoudite » : cette formule évoque-t-elle le seul exemple du Yémen ou bien concerne-t-elle également l’Irak, la Syrie ou le Liban, où l’Iran entretient des <a href="https://www.iiss.org/publications/strategic-dossiers/iran-dossier">réseaux d’influence s’appuyant sur des auxiliaires (proxies)</a>. Si Téhéran renonce à exercer son influence dans ces pays, ce serait un retour à la <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-1-page-113.htm">politique mise en œuvre par l’ayatollah Rafsandjani dans les années 1990</a>, quand la priorité était donnée aux relations de bon voisinage et non aux ambitions idéologiques du régime iranien. Une paix froide pourrait alors voir le jour en remplacement de la rivalité systémique à l’œuvre durant les sept dernières années.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201828/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Therme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sept ans durant, Riyad et Téhéran se sont regardés en chiens de faïence. Le rétablissement de leurs relations diplomatiques, officialisé à Pékin, aura de nombreux effets dans la région.Clément Therme, Chargé de cours, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011332023-03-12T17:14:11Z2023-03-12T17:14:11ZQuand les collectionneurs spéculent sur la religion : une bible à 50 millions de dollars ?<p>Il y a quelques jours, la presse internationale <a href="https://www.nytimes.com/2023/02/15/arts/hebrew-bible-auction-sothebys.html">annonçait</a> la mise aux enchères de ce qui pourrait être le livre le plus cher de tous les temps : une bible estimée à 50 millions de dollars. Il s’agirait de l’une des plus anciennes bibles au monde, un témoin unique de cet ouvrage pas comme les autres. Qu’en est-il vraiment ?</p>
<h2>Aux origines de la Bible</h2>
<p>La Bible est, dit-on, <a href="https://www.guinnessworldrecords.com/world-records/best-selling-book-of-non-fiction">l’ouvrage le plus vendu au monde</a>. Il faut dire qu’elle a une longueur d’avance : au XV<sup>e</sup> siècle, lorsque Gutenberg met au point sa célèbre technique d’imprimerie, c’est bien sûr la Bible qu’il choisit pour être diffusée à grande échelle. C’est une véritable révolution.</p>
<p>À l’époque, Gutenberg imprime une version latine de la Bible, qu’on appelle la « Vulgate », traduite par saint Jérôme au tournant du V<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ. Jérôme avait alors effectué sa traduction à partir des langues originales de la Bible, à savoir l’hébreu, l’araméen et le grec. Cette pluralité de langues est due au caractère composite de la Bible qui, en réalité, n’est pas un livre, mais une collection de livres écrits à des époques différentes par des auteurs qui ne parlaient pas tous la même langue. Le mot « Bible » lui-même signifie d’ailleurs « les livres », au pluriel (en grec : « ta biblia »). Tout est dans le titre !</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bible de Gutenberg, Lenox Copy, New York Public Library.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Starfire2k/Flickr</span></span>
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<p>La bible qui sera mise aux enchères le 16 mai est en hébreu et date du X<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ, environ. C’est un âge vénérable, mais il existe des manuscrits bien plus anciens. Mille ans plus tôt, des scribes copiaient les mêmes livres sur des rouleaux de parchemin (ou, plus rarement, de papyrus).</p>
<p>Certains de ces manuscrits ont traversé les millénaires cachés dans des grottes sur les rives occidentales la mer Morte. Ils ont été découverts au milieu du XX<sup>e</sup> siècle par des Bédouins ; ces « rouleaux de la mer Morte », comme on les appelle, sont, à ce jour, les plus anciens manuscrits de la Bible. Ils sont hélas disloqués et morcelés : on compte plus de <a href="https://www.deadseascrolls.org.il">30000 fragments</a> qui devaient correspondre à un millier de rouleaux environ. Autant de puzzles à reconstituer, sans modèle, et avec la majeure partie des pièces manquantes. Les plus anciens datent du III<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ, et peut-être même du IV<sup>e</sup> voire V<sup>e</sup> siècle, ainsi que je l’ai <a href="http://michaellanglois.fr/?p=18261">récemment proposé</a>. Les plus récents datent du II<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Grand rouleau d’Isaïe (1QIsᵃ), copié vers la fin du IIᵉ siècle avant Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://barhama.com/">Ardon Bar-Hama</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans la plupart des cas, la datation proposée se fonde sur la « paléographie » – la façon dont les lettres sont tracées –, l’idée étant qu’on n’écrit pas de la même manière au III<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ et au II<sup>er</sup> siècle de notre ère.</p>
<h2>Un problème de datation</h2>
<p>Une datation au carbone 14 est, en théorie, utile, mais elle se heurte à plusieurs difficultés : c’est une méthode destructive, car il faut prélever et broyer des échantillons ; ces échantillons sont souvent contaminés et donnent des résultats aberrants ; même lorsqu’ils sont justes, les résultats doivent être calibrés, et l’on aboutit parfois à plusieurs datations possibles et assez imprécises ; enfin, même lorsque la datation s’avère plausible, on ne date que le parchemin ou le papyrus, et non la copie du texte, qui peut avoir été faite longtemps après – surtout si le parchemin a été lavé et réutilisé, comme ça se faisait souvent : à l’époque, tout se recyclait.</p>
<p>Le même problème de datation se pose pour cette bible mise aux enchères. Parfois, le scribe ajoute une mention précisant son identité, la date de la copie, le nom de la personne qui lui a commandé ce travail, etc. Un peu comme l’achevé d’imprimer que vous trouverez aujourd’hui à la fin de n’importe quel livre. Cette mention s’appelle un « colophon », mais il n’y en a pas ici. Tout juste sait-on qu’elle a été vendue au tournant du II<sup>e</sup> millénaire après Jésus-Christ. On en déduit qu’elle a été copiée avant et, grâce à la paléographie, on l’a datée des environs du X<sup>e</sup> siècle de notre ère.</p>
<p>À l’occasion de la mise aux enchères, une datation au carbone 14 a été effectuée, mais les résultats n’ont pas été publiés. On nous dit que cette bible daterait de la fin du IX<sup>e</sup> ou du début du X<sup>e</sup> siècle, mais sans plus de précision. Le vendeur a tout intérêt à proposer la datation la plus ancienne possible pour faire grimper les enchères, au point même de présenter cette bible comme un chaînon manquant avec les manuscrits de la mer Morte, alors qu’un millénaire les sépare, de sorte que quelques décennies ne feront guère de différence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Codex Vaticanus, copié vers le IVᵉ siècle après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Unknown author</span></span>
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<h2>Un chaînon manquant ?</h2>
<p>Le chaînon manquant existe pourtant : ce sont des bibles grecques datées des IV<sup>e</sup> ou V<sup>e</sup> siècles après Jésus-Christ. La plus connue d’entre elles est au Vatican : c’est le <a href="https://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.gr.1209">Codex Vaticanus</a>. Ces manuscrits permettent d’accéder au texte biblique dans sa langue originale, le grec, pour ce qui est des livres écrits dans cette langue. Mais pour les livres écrits en hébreu et en araméen, il faut se contenter d’une traduction grecque. Or, traduire, c’est trahir. </p>
<p>Se pose donc la question de la fiabilité de cette version grecque, d’autant qu’elle diffère parfois des bibles hébraïques plus tardives telles que celle qui est mise aux enchères. Les traducteurs grecs étaient-ils incompétents ? Distraits ? Orientés ? La découverte des manuscrits de la mer Morte a permis de résoudre cette énigme, puisque certains de ces rouleaux, y compris en hébreu, concordent avec la version grecque. Autrement dit, les traducteurs grecs ont plutôt bien travaillé, car ils avaient sous les yeux un texte hébreu différent de celui des bibles hébraïques médiévales.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Codex d’Alep, copié vers 930 après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ardon Bar Hama</span></span>
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<p>L’évolution du texte biblique ne s’est pas arrêtée là. Ces différentes versions de la Bible ont circulé pendant des siècles, copiées et recopiées par des scribes juifs et chrétiens qui ne se parlaient pas forcément beaucoup.</p>
<p>Au début du Moyen Âge, des savants juifs mettent au point des systèmes de ponctuation du texte biblique. Il faut dire que l’alphabet hébreu ne note pas les voyelles de façon systématique et précise ; le même texte peut être lu de différentes façons, avec les conséquences que l’on imagine lorsqu’il s’agit des saintes Écritures.</p>
<p>Pour lever toute ambiguïté, on a donc habillé le texte de petits points et traits permettant d’en préciser la prononciation exacte : voyelles, intonation, ponctuation, cantillation. Plusieurs prononciations étaient en concurrence, et il faudra attendre le X<sup>e</sup> siècle pour trouver la première bible hébraïque dotée de la prononciation encore en usage aujourd’hui. Cette bible, c’est le <a href="http://aleppocodex.org/">Codex d’Alep</a>, daté de l’an 930 environ, et que l’on peut admirer au Musée d’Israël à Jérusalem. Plusieurs feuilles sont perdues, mais son héritier, le Codex de Saint-Pétersbourg (ou Codex de Leningrad), copié en 1009 après Jésus-Christ, est complet. C’est ce manuscrit qui sert de référence à l’étude de la Bible hébraïque et à la plupart des <a href="https://lire.la-bible.net">traductions françaises modernes</a> de la Bible.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Codex Sassoon 1053, copié vers le Xᵉ siècle après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ardon Bar-Hama</span></span>
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<h2>Un texte vivant</h2>
<p>La bible qui est mise aux enchères n’est ni le Codex d’Alep, ni celui de Saint-Pétersbourg. Il s’agit du Codex Sassoon 1053. Contrairement au Codex de Saint-Pétersbourg, il lui manque des feuilles, de sorte qu’il ne peut prétendre au titre de plus ancienne bible hébraïque complète connue. En outre, sa ponctuation est légèrement différente de celle du Codex d’Alep. C’est à la fois un défaut et un atout : les croyants désireux de lire la Bible hébraïque selon la prononciation officielle écarteront le Codex Sassoon 1053, cependant que les spécialistes ont depuis longtemps noté l’intérêt de ce manuscrit pour une étude comparative de la ponctuation hébraïque.</p>
<p>Dans tous les cas, le prix astronomique évoqué pour cette vente aux enchères – jusqu’à 50 millions de dollars ! – est révélateur de l’importance de la Bible et de la religion pour des milliards de personnes à travers le monde. Au point que certains collectionneurs américains n’ont pas hésité à dépenser des millions de dollars pour des manuscrits de la mer Morte, et ce afin de s’acheter une crédibilité scientifique et politico-religieuse. Ironie du sort, <a href="https://theconversation.com/a-washington-la-bible-falsifiee-105624">ces manuscrits étaient des faux</a>…</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-washington-la-bible-falsifiee-105624">À Washington, la Bible falsifiée</a>
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</em>
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<p>Il faut protéger ce patrimoine culturel de toute forme d’instrumentalisation et l’apprécier à sa juste valeur. Le Codex Sassoon 1053 a d’autres qualités : il dispose par exemple les livres de la Bible hébraïque dans un ordre légèrement différent de celui que nous connaissons. Le livre du prophète Isaïe a été placé après celui d’Ézéchiel et non avant celui de Jérémie. Imaginez que vous regardiez les films de la saga <em>Star Wars</em> dans un ordre différent de celui dans lequel ils sont sortis au cinéma ; l’effet ne serait pas le même ! C’est ce qui se passe ici : on lit la Bible d’une autre façon. Chaque manuscrit est unique. L’histoire plurimillénaire de la Bible nous invite à la découvrir, non pas comme un monolithe prisonnier d’une lecture univoque, mais comme un texte vivant et toujours différent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael Langlois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Codex Sassoon de 1053 ne peut prétendre au titre de plus ancienne bible hébraïque complète connue. Alors, comment expliquer le prix astronomique de sa mise aux enchères ?Michael Langlois, Docteur ès sciences historiques et philologiques, maître de conférences HDR, membre honoraire de l’IUF, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1990422023-02-08T19:51:07Z2023-02-08T19:51:07ZLa jeunesse palestinienne : du désespoir à la violence<p>Au Proche-Orient, l’année 2023 débute dans la violence et fait craindre une escalade. Le 26 janvier, neuf Palestiniens meurent dans le camp de Jénine suite à un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/27/a-jenine-recit-d-un-assaut-israelien-meurtrier_6159551_3210.html">raid de l’armée israélienne</a> présenté par Tsahal comme une opération visant à « briser l’insurrection naissante ». Le 27 janvier, le Hamas riposte avec des tirs de roquettes, auxquels l’armée israélienne réplique le jour même avec des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230127-isra%C3%ABl-m%C3%A8ne-des-frappes-%C3%A0-gaza-apr%C3%A8s-des-tirs-de-roquettes-imput%C3%A9s-au-hamas">frappes sur Gaza</a> qui tuent au moins dix Palestiniens. </p>
<p>Plus tard dans la même journée, un Palestinien de 21 ans <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/israel/7-morts-dans-une-fusillade-pres-d-une-synagogue-a-jerusalem-est-l-assaillant-neutralise_AD-202301270737.html">ouvre le feu près d’une synagogue à Jérusalem-Est</a>. Il tue sept civils avant d’être abattu. Le lendemain, deux Israéliens sont blessés par un Palestinien de 13 ans dans une <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/israel-attentats-contre-une-synagogue-a-jerusalem-est-la-bande-de-gaza-bombardee-J2MHB5QDSFA4VFM6TOEJOMQMQE/">nouvelle fusillade</a> à Jérusalem-Est.</p>
<p>Dans cette énième escalade de violence, un fait attire particulièrement l’attention : l’âge des assaillants palestiniens. À 21 ans et 13 ans, comment ont-ils pu en arriver là ? En Palestine, la nouvelle génération est encore plus désespérée que les précédentes. La jeunesse n’a plus d’espoir auquel se raccrocher : elle ne croit ni à une solution politique, ni à une quelconque façon d’obtenir une paix durable, ni à un soutien réel sur la scène internationale. Cette absence de perspectives est une explication majeure au fait que certains vont jusqu’à prendre les armes.</p>
<h2>Absence d’espoir politique</h2>
<p>Jadis, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/11/05/l-incarnation-d-un-reve-un-palestinien_385818_1819218.html">Yasser Arafat incarnait l’espoir</a> aux yeux des Palestiniens. Ils admiraient leur leader et lui faisaient confiance pour trouver une solution politique au conflit avec Israël. Cette période est depuis longtemps révolue et la jeunesse palestinienne n’a plus aucun espoir politique. </p>
<p>En Palestine, les <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/01/26/victoire-des-islamistes-du-hamas-aux-elections-palestiniennes_734705_3208.html">dernières élections datent de 2006</a>. Le Hamas (parti islamiste qui prône la résistance armée) avait remporté les élections contre le Fatah (parti nationaliste laïque présidé par Mahmoud Abbas). Les élections s’étaient déroulées de manière démocratique et Abbas avait reconnu le leader du Hamas comme premier ministre.</p>
<p>Pourtant, les Américains et les Européens ont finalement <a href="https://www.lesechos.fr/2006/02/lembarrassante-victoire-du-hamas-1068903">refusé de reconnaître un gouvernement conduit par une entité considérée comme terroriste</a>) et menacé de couper les aides. Depuis, la Palestine est paralysée et divisée politiquement. <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/autorite-palestinienne/">L’Autorité palestinienne</a> administre, tant bien que mal, la Cisjordanie ; et le Hamas gère Gaza, une <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2011-2-page-125.htm">« prison à ciel ouvert »</a>. Il arrive aux deux camps de violemment <a href="https://www.lalibre.be/dernieres-depeches/afp/2017/11/29/la-quasi-guerre-civile-de-2007-entre-le-hamas-et-le-fatah-Y4EHUOFM4BB3REMCDQAKWHDUXU/">s’affronter entre eux</a>.</p>
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<p>Dans cette impasse politique, les jeunes Palestiniens entre 18 et 35 ans n’ont jamais voté. À leurs yeux, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1262956/en-cisjordanie-une-jeunesse-en-rupture-avec-son-leadership.html">classe politique est illégitime</a>, l’Autorité palestinienne est une coquille vide, et il n’y a pas de solution politique en perspective. Mahmoud Abbas, qui à 87 ans préside l’AP depuis 17 ans, est perçu comme un leader autoritaire qui s’accroche au pouvoir et accusé d’<a href="https://www.letemps.ch/monde/mahmoud-abbas-dirigeant-fantome">immobilisme</a>. Pour les jeunes, il est celui qui n’a rien fait pour mettre fin à la colonisation, aux privations de liberté, aux violations des droits de l’homme, et aux humiliations qu’ils subissent depuis leur naissance.</p>
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<p>La nouvelle génération s’est aussi lassée des partis politiques. Les jeunes ne font plus confiance au Fatah, fondé par Arafat, pour faire changer les choses. Pendant un temps, cela a donné un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/israel-palestine-le-fatah-a-abandonne-la-resistance-le-hamas-gagnant-aupres-des-jeunes-en-cisjordanie_4640941.html">avantage au Hamas</a> qui se présentait comme la véritable résistance face à Israël. Aujourd’hui, la nouvelle génération scande <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ni-hamas-ni-fatah-beita-laboratoire-de-la-contestation-palestinienne-25-08-2021-2440141_24.php">« ni Fatah, ni Hamas »</a>.</p>
<p>La dernière lueur d’espoir politique s’est éteinte lorsque Mahmoud Abbas a annoncé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/30/les-elections-palestiniennes-reportees-tant-que-la-tenue-du-scrutin-n-est-pas-garantie-a-jerusalem_6078570_3210.html">l’annulation des législatives</a> prévues le 22 mai 2021.</p>
<h2>Absence d’espoir de négociations et de paix</h2>
<p>En 1993, la signature des <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ps1993.htm">accords d’Oslo</a> incarnait l’espoir d’une paix israélo-palestinienne. Aujourd’hui, les moins de 30 ans sont nés après la signature des accords, et les perspectives de paix se sont éloignées.</p>
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<p>Dans l’ère post-Oslo, rien n’a encouragé la jeunesse palestinienne à croire aux négociations. Les accords prévoyaient une période transitoire de cinq ans qui devait permettre de résoudre les questions clés comme la colonisation, les frontières ou les réfugiés. Cette période de transition n’a jamais été dépassée et le statu quo, défavorable aux Palestiniens, a été entériné de fait. Bill Clinton en 2000, puis Barack Obama en 2014, ont essayé de faciliter des négociations, sans succès.</p>
<p>Depuis, les pourparlers sont à l’arrêt, et des vagues de violences ressurgissent régulièrement (<a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-palestine-les-raisons-de-la-colere-06-10-2015-1971222_24.php">2015</a>, <a href="https://www.france24.com/fr/20170721-esplanade-mosquees-tension-affrontement-israeliens-palestinien-portique-securite">2017</a>, <a href="https://theconversation.com/conflit-israelo-palestinien-les-raisons-du-regain-de-violence-160893">2021</a>, etc.). Ces derniers jours, Abbas a même annoncé la <a href="https://www.leparisien.fr/international/raid-a-jenine-lautorite-palestinienne-met-fin-a-sa-coordination-securitaire-avec-israel-26-01-2023-233UII27WJCITHXGY5GWOSWEVM.php">fin de la coopération sécuritaire avec Israël</a>, qui tenait pourtant depuis Oslo.</p>
<p>Du côté israélien, depuis 1996, Benyamin Nétanyahou, qui vient d’être réélu premier ministre, et son parti, le Likoud, n’ont cessé de se renforcer, contribuant à <a href="https://www.sudouest.fr/international/moyen-orient/elections-en-israel-qui-est-netanyahu-de-soldat-a-plus-jeune-premier-ministre-israelien-voici-son-profil-12829535.php">enterrer l’espoir d’une solution</a> par le biais de négociations. L’élection de Nétanyahou en 1996 a mis un coup d’arrêt aux progrès d’Oslo. C’est lui qui a suspendu les pourparlers en 2014, et certains, comme son opposant Yaïr Lapid, estiment qu’il « <a href="https://www.challenges.fr/monde/netanyahu-n-a-aucune-intention-de-negocier-avec-les-palestiniens-chef-de-l-opposition_727220">n’a aucune intention</a> de négocier avec les Palestiniens ». </p>
<p>Dans les faits, Nétanyahou, n’a effectivement pas mené une politique d’apaisement propice aux négociations, bien au contraire. D’une part, il se positionne en <a href="https://www.france24.com/fr/20190912-legislatives-israel-benjamin-netanyahu-securite-campagne-strategie-trump-likoud">garant de la sécurité de l’État hébreu</a> et renforce le dispositif sécuritaire israélien, ce qui implique de continuer à insister sur la « dangerosité » des Palestiniens, une rhétorique qui ne permet pas d’envisager des négociations. </p>
<p>D’autre part, il <a href="https://www.sudouest.fr/international/conflit-israelo-palestinien-netanyahu-promet-d-annexer-une-partie-de-la-cisjordanie-s-il-est-reelu-2487243.php">soutient activement la colonisation</a>.Dans les années 1990, moins de 100 000 colons vivaient en Cisjordanie ; aujourd’hui, ils sont <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">plus de 600 000</a>. Or, plus il y aura de colons en Cisjordanie, plus une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/02/KERRY/57104">solution à deux États sera difficile</a> à mettre en œuvre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/colonisation-des-territoires-palestiniens-quelles-consequences-peut-entrainer-louverture-de-lenquete-de-la-cpi-156890">Colonisation des territoires palestiniens : quelles conséquences peut entraîner l’ouverture de l’enquête de la CPI ?</a>
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<p>Dans ces conditions, l’espoir de négociations est mince. Ce qui ne risque pas de s’arranger avec le nouveau <a href="https://www.carep-paris.org/publications/lendemain-delections-en-israel-un-gouvernement-dultra-droite-face-a-une-opposition-eparpillee/">gouvernement « d’ultra-droite »</a> nommé en décembre 2022 par Nétanyahou. Un gouvernement qui soutient vivement la colonisation, qui a assoupli les critères pour le port d’armes pour les civils israéliens et qui a lancé une opération, <a href="https://www.i24news.tv/fr/tags/operation-briser-la-vague">« Briser la vague »</a>, censée « mater l’insurrection naissante » dans les territoires palestiniens.</p>
<h2>Absence d’espoir de soutien international</h2>
<p>Fut un temps, le conflit israélo-palestinien était un dossier que les leaders des grandes puissances rêvaient de résoudre et la cause palestinienne était soutenue, surtout par le monde arabe. Progressivement, c’est devenu un poids pour ceux qui s’y frottent, notamment pour ceux qui ont intérêt à s’entendre avec Israël stratégiquement ou économiquement. Alors, le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/20/israel-palestine-le-prix-de-l-oubli_6080784_3232.html">dossier a été mis au placard</a> et aujourd’hui la jeunesse palestinienne n’a plus l’espoir qu’une solution vienne de la communauté internationale.</p>
<p>Pendant longtemps, la cause palestinienne a uni le monde arabe. On parlait même de <a href="https://www.cairn.info/les-origines-du-conflit-israelo-arabe-1870-1950%E2%80%939782130794899.htm?ora.z_ref=cairnSearchAutocomplete">conflit israélo-arabe</a>. Cependant, ce soutien s’est progressivement délité. Un délitement qui s’est cristallisé en 2020 par la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/normalisation-relations-entre-Israel-pays-arabes-peut-elle-etre-perenne-2021-01-07-1201133614">« normalisation » des relations</a> entre Israël et plusieurs pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et Soudan).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-change-laccord-de-cooperation-securitaire-entre-le-maroc-et-israel-178335">Ce que change l’accord de coopération sécuritaire entre le Maroc et Israël</a>
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<p>Le peuple palestinien se sent abandonné. Il ne lui reste plus que quelques alliés, dont la <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/hamas-syrie-decision-retablir-liens-assad-suscite-controverse">Syrie</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/18/le-savoir-faire-iranien-au-service-des-factions-palestiniennes-de-gaza_6080584_3210.html">l’Iran</a>, qui sont presque des « amis empoisonnés ». </p>
<p>Les États-Unis sont des alliés privilégiés d’Israël. Toutefois, ils ont régulièrement tenté de jouer un rôle de médiateur afin de résoudre le conflit. Une posture à laquelle Donald Trump <a href="https://theconversation.com/conflit-israelo-palestinien-le-cavalier-seul-de-donald-trump-131092">a mis un coup d’arrêt</a>. Après le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem en 2020, il a présenté ce qu’il a appelé le « plan du siècle », un projet qui a été conçu <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/les-palestiniens-grands-absents-du-plan-de-paix-americain-1167006">sans les Palestiniens</a> et qui ne tenait pas compte de leurs revendications.</p>
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<h2>Du désespoir à la mobilisation et la violence</h2>
<p>Bilan : pas d’espoir politique, pas d’espoir de paix et pas d’espoir de soutien international. En parallèle : <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">3 572 Palestiniens</a> ont été tués de 2011 à 2021 ; un mur de séparation de 712 km se construit en Cisjordanie ; 2 millions de Palestiniens vivent dans l’insécurité alimentaire et Israël contrôle 85 % des ressources palestiniennes en eau ; les <a href="https://www.btselem.org/freedom_of_movement/checkpoints_and_forbidden_roads">checkpoints</a> qui limitent la liberté de mouvement des Palestiniens se démultiplient ; 61 % du territoire de la Cisjordanie est interdit aux Palestiniens ; entre 2020 et 2021 <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2022/03/special-rapporteur-situation-human-rights-occupied-palestinian-territories">967 structures</a> palestiniennes ont été démolies… et cet état des lieux n’est pas exhaustif.</p>
<p>Dans ces conditions, que peut-on attendre de la nouvelle génération palestinienne ? La jeunesse n’a plus vraiment d’autre choix que de se mobiliser par ses propres moyens, quels qu’ils soient.</p>
<p>Certains ont essayé de se mobiliser politiquement. En 2020, lorsque des élections législatives ont été annoncées, plusieurs <a href="https://www.terresainte.net/2021/06/la-jeunesse-palestinienne-a-la-recherche-dune-nouvelle-culture-politique/">listes de jeunes</a> se sont formées ; dont les listes « On en a assez » et « La génération du changement démocratique ». Cependant, leurs espoirs se sont écroulés avec l’annonce de l’annulation du scrutin.</p>
<p>Ce qui est plus inquiétant c’est que faute de perspective, de plus en plus de jeunes renouent avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/15/faute-d-horizon-politique-de-jeunes-palestiniens-renouent-avec-la-lutte-armee-contre-israel_6138068_3210.html">lutte armée</a>. Ils considèrent qu’ils n’ont plus rien à perdre et qu’il ne leur reste plus que les armes.</p>
<p>Les attaques commises ces derniers jours par des jeunes de 21 et 13 ans illustrent ce phénomène naissant. Naissant parce qu’il se pourrait que ce ne soit que la partie visible de l’iceberg. Des groupes armés comme les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/en-cisjordanie-occupee-les-jeunes-lions-et-la-3e-intifada_2182310.html">Lions de Naplouse</a>, la <a href="https://www.chroniquepalestine.com/resistance-armee-se-developpe-en-cisjordanie/">Brigade de Balata</a> ou la Brigade de Jénine émergent dans les territoires palestiniens. Ces milices, contrairement à des groupes comme les martyrs d’Al-Aqsa (faction armée du Fatah), disent ne plus répondre à des décisions politiques ; et elles <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/focus/20221128-en-cisjordanie-de-nouvelles-milices-attirent-une-jeunesse-palestinienne-d%C3%A9sabus%C3%A9e">attirent toujours plus de jeunes</a> qui ne parviennent pas à envisager d’autres solutions.</p>
<p>Le chef de la Brigade de Jénine a déclaré : « Nous refusons cette vie qui n’est faite que d’humiliations. » Le ton est donné. Soit des perspectives de solutions parviennent à donner espoir aux jeunes Palestiniens désabusés, soit ils risquent, en masse, de prendre les armes, qu’ils voient comme leur dernier recours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199042/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu a reçu des financements de la DGRIS. </span></em></p>En l’absence d’espoir politique et de perspective de paix, et privée de soutien international, la jeunesse palestinienne risque de renouer avec la lutte armée.Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988212023-01-31T19:33:27Z2023-01-31T19:33:27ZIsraël : sur fond de tensions croissantes, l’attaque frontale du gouvernement contre la Cour suprême<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507109/original/file-20230130-22-idyjyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C33%2C7326%2C4869&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestations à Tel-Aviv le 21&nbsp;janvier 2023 contre le projet de réforme de la justice avancé par le nouveau gouvernement Nétanyahou.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tel-aviv-israel-january-21-2023-2253746903">Avi Rozen/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Près d’un mois après l’arrivée aux affaires du gouvernement de Benyamin Nétanyahou – le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/israel-netanyahou-nomme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-20221229_VP5PALAYCBG5ZIQQGGNOXEAB5U/">plus à droite de toute l’histoire du pays</a> –, Israël est le théâtre d’une <a href="https://www.tdg.ch/jerusalem-au-bord-dun-nouvel-embrasement-771522050513">nouvelle flambée de violence</a>. En toile de fond, un âpre conflit met aux prises le pouvoir exécutif et la Cour suprême. Celle-ci a d’ailleurs <a href="https://www.lefigaro.fr/international/israel-la-cour-supreme-invalide-la-nomination-d-un-ministre-de-netanyahou-20230118">invalidé, le 18 janvier, l’un des ministres nommés par Nétanyahou</a>.</p>
<p>Voilà des années que la droite israélienne accuse les juges de la Cour suprême d’avoir confisqué le pouvoir des députés démocratiquement élus par le peuple. Les mêmes reproches reviennent en boucle : une petite élite se serait érigée en un « gouvernement des juges ». Elle se serait arrogé le droit d’annuler des lois ordinaires votées par la Knesset. Tout-puissants, ces juges, fortement marqués à gauche, entraveraient l’action de l’exécutif. Leurs arrêts seraient purement idéologiques. Et leur nomination relèverait d’un système de cooptation opaque.</p>
<p>Ce narratif prend très bien dans une partie de l’opinion. Il a récemment reçu le soutien de personnalités prestigieuses. Exemple parmi d’autres : Israel Aumann, prix Nobel d’Économie en 2005, vient de dénoncer « l’activisme de la Cour suprême » et ses décisions « tendancieuses, orientées nettement à gauche », affirmant que les juges « se nomment eux-mêmes et choisissent des magistrats qui pensent comme eux » et allant jusqu’à parler de « dictature du pouvoir judiciaire ».</p>
<p>De même, le magazine américain <a href="https://www.newsweek.com/israels-judicial-reform-controversy-much-ado-about-nothing-opinion-1775181"><em>Newsweek</em></a> critique la « juristocratie » israélienne qui se serait arrogé « un pouvoir sans précédent pour une Cour suprême dans une démocratie de type occidental », usurpant le pouvoir d’« annuler n’importe quel texte de loi à tout moment, pour quelque raison que ce soit ».</p>
<p>Ces accusations ont justifié les <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230105-en-isra%C3%ABl-une-r%C3%A9forme-majeure-de-la-cour-supr%C3%AAme-envisag%C3%A9e-par-le-ministre-de-la-justice-yariv-levin">initiatives du nouveau ministre de la Justice, Yariv Levin</a>, nommé fin décembre 2022, destinées à réduire significativement les prérogatives de la Cour suprême. Il projette, avec le soutien de Benyamin Nétanyahou, de faire adopter la « clause du contournement », qui permettrait aux parlementaires de revoter au bout de trois mois une loi ordinaire annulée par la Cour suprême, à une majorité non qualifiée de 61 députés sur les 120 que compte la Knesset. Auquel cas la loi annulée serait déclarée valide. Le ministre souhaite également peser sur les nominations des juges, pour « mettre fin à (leur) élection par leurs confrères ». Un programme que ne renierait pas <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-nouvelles-reformes-de-viktor-orban-provoquent-un-tolle-en-hongrie/">Viktor Orban</a>…</p>
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<h2>Qui nomme les juges ?</h2>
<p>Mais ces accusations sont-elles fondées ? Rien n’est moins sûr.</p>
<p>Commençons par la <a href="https://en.idi.org.il/galleries/25686">nomination des juges</a>. Il est faux de dire que les magistrats se « choisissent eux-mêmes ». Les 15 juges qui composent la Cour suprême sont choisis par une commission de neuf membres présidée par le ministre de la Justice : deux membres du gouvernement, trois juges de la Cour, dont son président, deux députés et deux représentants de l’Ordre des avocats.</p>
<p>Inamovibles, ils prennent leur retraite à l’âge de 70 ans. Le choix des juges dépend du rapport de forces qui se crée au sein de cette commission. Il arrive qu’il penche du côté des juges et à d’autres moments du côté du gouvernement.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En février 2017, la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, a réussi, en <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20170223-cour-supreme-israel-quatre-nouveaux-juges-conservateurs-nommes">exerçant des pressions sur les représentants du barreau</a>, à faire nommer trois juges « conservateurs » parmi les quatre juges devant être nommés. Dans la même veine, le ministre Levin ne veut voir à la Cour que des juges favorables à la droite.</p>
<h2>Une « révolution constitutionnelle » exagérée</h2>
<p>Depuis la naissance de l’État, la <a href="https://www.cairn.info/revue-nouveaux-cahiers-conseil-constitutionnel-2012-2-page-243.htm">Cour suprême a joué un rôle très important</a> en matière de défense des droits et des libertés, désavouant à plusieurs reprises des lois qui ne respectaient pas les valeurs d’égalité et de justice. À partir de la décennie 1980, elle a connu une importante mutation. Le droit de saisine de la Cour s’est élargi. Elle a étendu le champ de son intervention, proclamant que « tout était justiciable ».</p>
<p><a href="http://juspoliticum.com/article/La-Cour-supreme-et-la-Constitution-en-Israel-Entre-activisme-et-prudence-judiciaire-156.html">Les juges allèrent encore de l’avant</a>, pour protéger des droits non expressément garantis, comme le principe d’égalité, qui n’est protégé par aucune loi fondamentale. Pour contourner cette anomalie, ils s’appuyèrent sur deux lois fondamentales votées en 1992, sur la « Liberté professionnelle » et sur la « Dignité et la liberté de l’homme », interprétant le droit à l’égalité comme relevant de la « dignité de l’homme ».</p>
<p>En 1995, <a href="https://versa.cardozo.yu.edu/opinions/united-mizrahi-bank-v-migdal-cooperative-village">l’arrêt United Mizrahi Bank</a> ébranla les règles du jeu. La Cour suprême affirma dans un premier temps que les lois fondamentales de 1992 devaient être considérées comme des textes suprêmes garantis par le juge. Ce fait ne fut pas contesté à l’époque par les députés. Une fois la supériorité de ces lois fondamentales admise, les juges se sont reconnu le droit de contrôler la constitutionnalité des lois ordinaires votées par la Knesset au regard de ces lois fondamentales. Ils étaient intervenus dans ce sens une première fois en <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/israel-law-review/article/abs/aharon-a-bergman-v-the-minister-of-finance-and/075AC022BCEE40EB9DCABC7A37282E2C">1969 (arrêt Bergman)</a>, et à l’époque cette décision ne fut pas contestée.</p>
<p>S’agit-il d’« un pouvoir sans précédent pour une Cour suprême dans une démocratie de type occidental », comme l’affirme <em>Newsweek</em> ? Son éditorialiste ignore sans doute que la Cour israélienne s’était inspirée… des États-Unis. Dans l’arrêt <a href="https://mafr.fr/fr/article/cour-supreme-des-etats-unis/">Marbury vs. Madison</a> du 24 février 1803, la Cour suprême américaine avait décidé, dans une affaire secondaire, qu’elle seule pouvait statuer sur la constitutionnalité des lois et rejeter celles qui ne sont pas conformes à la Constitution, bien qu’aucun texte constitutionnel ne lui confère cette prérogative. Pour le juge <a href="https://www.cairn.info/revue-droits-2019-2-page-121.htm">John Marshall</a>, la Constitution étant la norme suprême, tout acte contraire à la Constitution devant être frappé de nullité. Le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois par la Cour procédait, selon lui, de l’esprit de la Constitution américaine. Cette interprétation fut adoptée par le pays, malgré les <a href="https://www.yoramrabin.org/wp-content/uploads/2017/12/Yoram-Rabin-Arnon-Gutfeld-Marbury-v.-Madison-and-its-Impact-on-the-Israeli-Constitutional-Law-15-University-of-Miami-International-and-Comparative-Law-Review-303-2007..pdf">critiques émises par le président des États-Unis, Thomas Jefferson</a>, qui dénonça le « despotisme d’une oligarchie ».</p>
<h2>Un « gouvernement des juges » ?</h2>
<p>La droite reproche régulièrement à la Cour d’« abuser » de ses pouvoirs et d’« empêcher le gouvernement de gouverner ». Mais, en réalité, dans de nombreux cas, la Cour suprême a fait preuve d’une grande frilosité. Depuis la « révolution constitutionnelle » de 1995, elle s’est montrée prudente, consciente qu’un excès de pouvoir se retournerait contre elle.</p>
<p>Elle a réduit le nombre d’annulations pures et simples de lois ordinaires, de manière à épargner, autant que possible, une rebuffade aux parlementaires. La plupart du temps, elle a entretenu le dialogue avec eux, cherchant en amont des formules de compromis. Souvent, lorsqu’elle prononce une invalidation, elle assortit sa décision d’un délai de grâce afin de permettre au gouvernement de rectifier sa loi pour qu’elle soit compatible avec les lois fondamentales. Le gouvernement a également la possibilité de demander à la Cour un <a href="https://www.inss.org.il/publication/legislative-initiatives-to-change-the-judicial-system-are-unnecessary/">nouvel examen par un aréopage de juges élargi</a>.</p>
<p>À plusieurs reprises, la Cour a tranché en faveur de la droite au pouvoir, alors qu’on pouvait s’attendre à plus de fermeté de sa part. Ce fut le cas avec la <a href="https://www.adalah.org/en/law/view/494">loi des commissions d’admission</a>, la <a href="https://www.lalibre.be/international/2011/03/23/la-knesset-vote-une-loi-contre-la-commemoration-de-la-nakba-GBZVNESTC5GFXMQS7XIKC5WDUE/">loi sur la Naqba</a>, la <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/israel-anti-boycott-attaque-liberte-expression">loi anti-boycott</a> et la <a href="https://fr.timesofisrael.com/premiere-etape-pour-le-projet-de-loi-sur-la-suspension-de-deputes/">loi de suspension des députés</a> – des lois très contestées en raison de leur caractère liberticide. Début mai 2020, <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/israel-une-democratie-fragile-9782213716725">elle s’est déclarée incompétente</a> pour statuer sur la demande d’interdire à Benyamin Nétanyahou, sous le coup d’une triple inculpation, de former un gouvernement. En juillet 2021, elle a refusé d’invalider la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-etat-nation-juif-les-dessous-d-une-loi-controversee_5333745_3218.html">loi fondamentale de l’État-nation du peuple juif, votée en juillet 2018</a>, une loi humiliante pour les minorités, en particulier arabe et druze, et qui ne mentionne ni le mot « démocratie », ne celui d’« égalité ».</p>
<p>Faut-il rappeler également <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2005-3-page-41.htm">l’effacement de la Cour</a> face à la colonisation des territoires conquis en juin 1967 ? Elle a évité de se prononcer sur la légalité des colonies, au motif que cette question ne relevait pas de sa compétence. Elle s’est abstenue, la plupart du temps, d’interférer sur les questions sécuritaires, ne voulant pas risquer l’accusation d’entraver la lutte contre le terrorisme. Sur toutes les questions relatives aux arrestations, déportations, détentions administratives, assignations à résidence de Palestiniens et couvre-feux, elle a refusé de gêner l’armée. Elle s’est abstenue, sauf une fois, d’intervenir sur la question des démolitions de maisons des familles de terroristes, une mesure qui constitue pourtant une punition collective, <a href="https://www.zulma.fr/livre/le-mur-et-la-porte-israel-palestine-50-ans-de-bataille-judiciaire-pour-les-droits-de-lhomme/">interdite par les conventions de Genève</a>.</p>
<p>Sur la question de la <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2019/09/israel-opt-legally-sanctioned-torture-of-palestinian-detainee-left-him-in-critical-condition/">torture pratiquée par le Service de sécurité intérieure israélien</a> (Shabak), elle est intervenue avec une infinie précaution. En ce qui concerne les assassinats ciblés, elle n’a pas osé les interdire, elle a seulement encadré leur emploi. Elle a, en revanche, fait preuve de courage en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2005/10/07/israel-la-cour-supreme-bannit-le-recours-au-bouclier-humain_534842/">interdisant (au grand dam de l’armée) le recours par les militaires israéliens à des « boucliers humains »</a> lors d’arrestations de suspects palestiniens. Rien ne justifie donc les attaques frontales menées par la droite, si ce n’est la volonté de gouverner sans entrave.</p>
<h2>« La démocratie, c’est nous »</h2>
<p>Les pourfendeurs de la Cour suprême opposent souvent la représentativité des députés au mode de nomination élitaire des juges. Cet argument relève d’un populisme judiciaire. Les organes judiciaire et législatif ne sauraient être mis sur le même plan. Le rôle des juges n’est pas de représenter le peuple ; il est d’interpréter la loi et de défendre les droits fondamentaux des citoyens face aux éventuels abus des deux autres pouvoirs.</p>
<p>Les députés de droite sont attachés à une version étriquée de la démocratie, selon laquelle « la démocratie, c’est nous ». Mais la démocratie ne se limite pas à la procédure électorale. Elle se reconnaît aussi à ses contre-pouvoirs, à sa capacité de défendre les plus faibles et à faire respecter l’État de droit. Toutes les démocraties libérales se reconnaissent à ces critères.</p>
<p>En France, au Royaume-Uni et aux États-Unis il existe plusieurs autres contre-pouvoirs, soit sous la forme d’une deuxième chambre, soit du fait du rôle joué par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).Israël n’est lié par aucune convention internationale, et il n’existe pas d’autre institution susceptible de contrebalancer le pouvoir de la Knesset. Le seul vrai contre-pouvoir institutionnel est la Cour suprême. Limiter ses pouvoirs reviendrait à octroyer à la Knesset le pouvoir de légiférer sans frein sur tout et n’importe quoi. Dans la situation de forte polarisation qui est celle de la société israélienne aujourd’hui, la clause du contournement serait un instrument de domination sans partage de la majorité sur la minorité. Ça serait la fin des « checks and balances » et le début d’un autre Israël.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samy Cohen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La droite au pouvoir en Israël s’attaque avec virulence à la Cour suprême du pays, qu’elle juge politisée et anti-démocratique. Des accusations très largement infondées.Samy Cohen, Directeur de recherche émérite (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1967362023-01-05T19:23:31Z2023-01-05T19:23:31ZPourquoi l’Iran se méfie-t-il autant des puissances étrangères ?<p>Le 27 décembre 2022, dans un <a href="https://www.thehindu.com/news/international/irans-raisi-vows-no-mercy-for-hostile-protest-movement/article66310564.ece">discours prononcé en hommage aux victimes de la guerre Iran-Irak (1980-1988)</a>, le président iranien Ebrahim Raïssi accuse les États-Unis et les pays de l’UE d’attiser la contestation qui déstabilise le pays depuis le décès de <a href="https://www.nytimes.com/2022/09/16/world/middleeast/iran-death-woman-protests.html">Mahsa (Jina) Amini</a>, une Kurde iranienne de 22 ans, survenu le 16 septembre dernier, après sa violente interpellation par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés ».</p>
<p>Le drame, devenu le symbole de la brutalité du régime islamique, a provoqué une vague de réactions dans le monde entier. La diffusion de la contestation dans le pays, son inscription dans la durée et son prolongement par une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grève générale</a> ont fragilisé la légitimité d’un pouvoir contraint d’user d’une <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/12/world/middleeast/iran-protests-execution.html">violence croissante pour contenir le mouvement</a>.</p>
<p>Dès le mois d’octobre, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a fait porter la responsabilité de la situation sur « <a href="https://thearabweekly.com/khamenei-sees-us-israeli-plot-behind-iran-protests-over-aminis-death">l’Amérique, le régime sioniste et leurs agents</a> ». Cette tendance à associer les maux de l’Iran aux étrangers répond à une histoire marquée par l’ingérence des puissances dans le pays depuis le <a href="https://www.johnmurraypress.co.uk/titles/peter-hopkirk/the-great-game/9780719564475/">Grand jeu</a> qui opposa au XIX<sup>e</sup> siècle les impérialismes britannique et russe en Asie centrale et qui a fondé une méfiance devenue proverbiale envers les pays étrangers. Une méfiance que les autorités iraniennes, impériales comme islamiques, ne manquent jamais de mettre en avant – pour se déresponsabiliser en temps de crise, ou pour justifier une posture d’inflexibilité à l’endroit des pays tiers.</p>
<h2>L’Iran se voit comme l’éternelle victime des grands jeux de puissance…</h2>
<p>Aux marges des empires antiques, en position d’étape sur la route de la soie, aux portes des Indes britanniques, barrant l’accès aux mers chaudes convoitées par la Russie des tsars, plus tard poste avancé de l’édifice d’endiguement de l’URSS pendant la guerre froide, l’un des principaux producteurs d’hydrocarbures, contrôlant le détroit d’Ormuz par lequel transitent 30 % du pétrole échangé dans le monde : sa situation stratégique fait depuis longtemps de l’Iran un objet majeur de l’attention des grandes puissances, qui ne cessent d’en convoiter les atouts.</p>
<p>L’histoire du pays est ainsi celle d’une succession d’ingérences d’acteurs étrangers déterminés à promouvoir leurs intérêts sans tenir compte des conséquences sur l’économie et la société locales. L’implication de la Couronne britannique dans la région date du XIX<sup>e</sup> siècle. Le Royaume-Uni lutte alors contre les incursions russes dans la ceinture de territoires qui protègent le sous-continent indien. Les Britanniques promettent au shah Fath Ali, en guerre contre les Russes, une assistance militaire limitée en échange de clauses imposant la possibilité d’une ingérence dans les affaires intérieures de l’Iran si elle est jugée nécessaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501504/original/file-20221216-17-1804ac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le lion britannique (à l’ours russe) : Regarde ! Toi tu peux jouer avec sa tête et moi je peux jouer avec sa queue, et nous pouvons tous les deux caresser le creux de son dos. Le chat persan : Je ne me rappelle pas avoir été consulté sur la question.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Edward Linley Sambourne, « Un chat inoffensif et indispensable », _Punch_, 2 octobre 1907</span></span>
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</figure>
<p>Le Grand jeu enracine dans la population « une attitude de méfiance et d’hostilité à toute entreprise étrangère », selon Arthur Hardinge, diplomate britannique à Téhéran. La fragilité financière de l’Iran le conduit à octroyer des concessions économiques. En 1872, le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00263206.2018.1485658">transfert</a> au magnat britannique Julius de Reuter (fondateur de l’agence Reuters) du contrôle de l’ensemble des routes, télégraphes, usines, sites d’extraction et travaux publics suscite une vive réaction dans les rangs du clergé. Les mollahs dénoncent l’origine juive du bénéficiaire et décrivent les infrastructures comme une œuvre de Satan. Le tollé que soulève le projet conduit le shah à <a href="https://saednews.com/en/post/reuter-concession-cancelled-tensions-and-setbacks">se raviser</a>.</p>
<p>Vingt ans plus tard, <a href="https://www.routledge.com/Religion-and-Rebellion-in-Iran-The-Iranian-Tobacco-Protest-of-1891-1982/Keddie/p/book/9781138984974">l’octroi d’une nouvelle concession sur la production, la vente et l’exportation du tabac</a> suscite une opposition massive dynamisée par les mollahs, indirectement affectés par la réforme et arc-boutés sur la défense les intérêts nationaux contre les ingérences étrangères.</p>
<p>Cette politique de reddition de souveraineté trouve son aboutissement avec la signature de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1907petersbourg.htm">Convention anglo-russe de 1907</a>, qui divise le pays en zones d’influence : le Nord pour les Russes, le Sud-Est pour les Britanniques et une zone neutre. Les <a href="https://www.iranicaonline.org/articles/conspiracy-theories">théories conspirationnistes</a> sur les « mains de l’étranger » en Iran commencent alors à prendre leur essor. Les Britanniques sont dépeints comme rusés et sournois, dotés de pouvoirs extraordinaires que le persan exprime à partir du terme renvoyant aux « Anglais » (<em>sīāsat·e Engelīs</em>). Le mot résonne, dans la culture populaire, avec toutes sortes de supercheries politiques, réputées toucher même le « simple Russe » et le « naïf Yankee ».</p>
<p>Le mythe de la « main anglaise » est réactualisé par <a href="https://www.cairn.info/le-moyen-orient-pendant-la-seconde-guerre-mondiale--9782262050825-page-369.htm">l’occupation du territoire iranien en 1941</a>. Le terme <a href="https://www.e-ir.info/2010/10/24/%E2%80%98ingilis%E2%80%99-%E2%80%98cherchil%E2%80%99-and-conspiracy-theories-galore-the-iranian-perception-of-the-british/"><em>Cherchil</em></a>, translitéré de l’anglais, renvoie alors à une personne aux pouvoirs de rouerie et d’intrigue. Cette prévention culturelle face au Royaume-Uni éclate dans le roman d’Iraj Pezeshkzad, <a href="https://www.actes-sud.fr/node/27761"><em>Mon oncle Napoléon</em></a>, dont le protagoniste incarne la conviction répandue selon laquelle les Britanniques étaient les instigateurs secrets de tous les événements survenus dans le pays au XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>… redoute le pouvoir de nuisance de ses partenaires…</h2>
<p>La méfiance séculaire envers le Royaume-Uni et la Russie conduit l’Iran à rechercher au-delà de l’Europe un « meilleur Occident » pour fonder un partenariat plus équilibré.</p>
<p>À son avènement en 1941, le shah Mohammad Reza Pahlavi voit l’alliance avec Washington comme à même de protéger l’Iran contre les velléités d’ingérence de Londres et de Moscou. Le dénouement de la guerre et les recompositions du monde qui s’ensuivent donnent raison à son choix. En 1945, profitant d’une révolte dans le nord du pays, Joseph Staline incite à la <a href="https://doi.org/10.2307/2148118">sécession la province d’Azerbaïdjan</a>, qui est occupée par ses troupes, afin de placer sous contrôle soviétique les ressources pétrolières locales. Le retrait de l’Armée rouge permet finalement à l’Iran de conserver son intégrité territoriale, sous protection américaine. La crise aboutit à la signature entre Téhéran et Washington d’un accord sur l’établissement d’une <a href="https://www.jstor.org/stable/4310319">mission militaire en Iran</a>.</p>
<p>La convergence des intérêts américains et britanniques pendant la guerre froide conduit cependant à l’élargissement aux Américains de la méfiance éprouvée pour les Britanniques et les Russes. En 1951, le premier ministre Mohammad Mossadegh décide de <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1ht4w9w.8">nationaliser le pétrole iranien</a>, essentiellement exploité jusque-là par des compagnies britanniques. Un émissaire est dépêché par la Maison Blanche pour désamorcer la querelle. L’instrumentalisation de la crainte de la contagion communiste en Iran permet cependant à Londres de mobiliser Washington contre la nationalisation. L’alliance de Mossadegh avec le parti Tudeh, qui se réclame de Moscou, convainc les États-Unis de contribuer à son <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1ht4w9w.9">éviction</a>. Les services de renseignement américain et britannique instrumentalisent un mouvement de protestation contre le premier ministre qui l’accule à la démission, permettant au shah de renforcer son pouvoir.</p>
<p>Le <a href="http://www.jstor.org/stable/163655">« coup d’État » de 1953</a> imprégnera durablement la psyché iranienne. Il permet aux États-Unis d’enraciner leur présence dans le pays, déplorée par les élites religieuses iraniennes, par ailleurs victimes de la politique de modernisation à marche forcée lancée par le shah sous l’influence de Washington. La méfiance des nationalistes iraniens envers les Américains rejoint la défiance éprouvée par les cercles religieux et la société civile envers un régime à l’autoritarisme croissant. En 1964, l’octroi d’une immunité diplomatique aux soldats américains présents en Iran pour des forfaits qu’ils y auraient commis provoque la controverse. L’ayatollah Rouhollah Khomeini, héraut de l’opposition au shah, <a href="https://www.utpjournals.press/doi/pdf/10.3138/uram.9.2.117">proclame</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Amérique est pire que les Britanniques ; les Britanniques sont pires que les Américains ; l’Union soviétique est pire que les deux autres. Chacun est pire que l’autre ; ils sont tous méprisables. »</p>
</blockquote>
<p>Les attaques contre le « Grand Satan » américain se prolongent contre le « petit Satan » israélien, proche allié du shah et par ailleurs soutenu par les États-Unis dans le conflit au Proche-Orient.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1043&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1043&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1043&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1310&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1310&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501505/original/file-20221216-13-1ke6wg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1310&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Caricature dénonçant le shah et ses soutiens à l’étranger, représentés par les drapeaux du Royaume-Uni et des États-Unis, qui surmontent deux étoiles de David évoquant Israël.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Martin Williams, « Argo and other excitements around Iran’s Islamic revolution : a personal view, _Asian Affairs_, 2014, vol. 45, n°1, p. 9-23 »</span></span>
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<p>L’obsession iranienne pour les ingérences étrangères éclate, jusque dans la contradiction, lors de la révolution de la fin des années 1970. Alors que les manifestants hostiles au pouvoir impérial, attisés par Khomeini, scandent des slogans promettant « Mort à l’Amérique », le shah s’inquiète auprès de Londres et de Washington de ce qu’il perçoit comme un changement d’allégeance, tant il est convaincu qu’ils apportent en coulisse leur soutien à ses opposants. Il rappelle à l’envi à ses confidents et conseillers un proverbe iranien selon lequel la mention « made in England » apparaîtrait au verso de la barbe postiche des mollahs.</p>
<h2>… et est persuadé de la duplicité des postures diplomatiques</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/s148178">L’épreuve de la révolution</a> confronte les partenaires du shah aux incohérences de leur politique. Encouragés par les prises de position liminaires de Jimmy Carter en faveur des droits de l’homme, les Iraniens déplorent le renoncement du président américain à les défendre une fois élu, au nom de la préservation du partenariat stratégique avec Téhéran.</p>
<p>L’illisibilité de la position américaine face au changement de régime a vite raison des espoirs d’accommodement avec la République islamique, établie en 1979. La <a href="https://www.nytimes.com/2006/05/14/books/review/14traub.html">prise d’otages du personnel de l’ambassade américaine de Téhéran</a> (1979-1981) pose les germes d’une inimitié dont les deux pays ne sont pas toujours émancipés. La reconstitution de documents détruits par les Américains au début de l’assaut convainc les Iraniens qu’ils ont démantelé un « nid d’espions ».</p>
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<p>La « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ui3F0zHKtUU">prise en otage de l’Amérique</a> », narrée au quotidien par les médias, crée aux États-Unis un traumatisme durable envers les « <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/G/bo5812092.html">mollahs déments</a> ». Elle installe également les logiques d’une fracture croissante entre, d’une part, l’Iran et, d’autre part, les États-Unis et leurs alliés.</p>
<p>En 1980, l’Irak envahit l’Iran, déclenchant une <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/12/12/pierre-razoux-la-guerre-iran-irak-a-faconne-la-geopolitique-actuelle-du-golfe_4333434_3218.html">guerre de huit ans</a>. L’absence de condamnation de l’agression irakienne démontre aux yeux des Iraniens la partialité des institutions internationales. L’évolution de Washington puis de Londres vers une « préférence irakienne » convainc Téhéran de la duplicité des non-belligérants, qui revendiquent pourtant une position de neutralité. La détérioration de la situation dans le golfe Persique due au conflit ajoute à la <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300044126/eagle-and-lion/">« tragédie des relations entre les États-Unis et l’Iran »</a> : en 1988, un avion de la compagnie Iran Air est abattu par un missile tiré par le croiseur américain USS Vincennes, provoquant la mort de ses 274 passagers et 16 membres d’équipage.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1216525401314549760"}"></div></p>
<p>Dans ce contexte, la controverse suscitée par le <a href="https://www.europarl.europa.eu/cmsdata/122460/full-text-of-the-iran-nuclear-deal.pdf">compromis de Vienne</a>, signé en 2015 pour encadrer la nucléarisation de l’Iran, n’est que le dernier avatar d’une méfiance héritée.</p>
<p>La dénonciation du texte en 2018 par Donald Trump conduit à un regain de tensions entre Washington et Téhéran. Le retrait des Américains, vu comme infondé, encourage les Iraniens à reprendre leurs activités d’enrichissement et engage une <a href="https://lhetairie.fr/2019/06/24/des-cendres-en-heritage-quand-lobsession-iranienne-des-faucons-du-president-renoue-avec-laventurisme-americain-au-moyen-orient/">escalade diplomatique et militaire</a>. Sous la pression de sanctions extraterritoriales américaines, les autres parties se révèlent réticentes à honorer leur signature.</p>
<p>Rompus à la duplicité de la parole diplomatique de leurs partenaires, les Iraniens réclament, depuis, des garanties sur le respect d’un nouvel accord en cas de changement de gouvernement dans les pays signataires. Le blocage de la situation accroît dans le même temps le désarroi envers l’Occident des simples citoyens iraniens acculés par les conséquences des sanctions, un désarroi qui rejoint leur désaffection à l’endroit d’un régime dont ils paient l’intransigeance.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">Pourquoi l’administration Biden peine autant à rendre vie à l’accord sur le nucléaire iranien</a>
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<h2>Vers un rapprochement avec la Russie, contre les Occidentaux</h2>
<p>Malgré le rejet croissant suscité en Iran par le régime islamique, son effondrement ne garantirait pas un retour sans conditions du pays dans le giron de la communauté internationale. Pour un pouvoir et un peuple habitués aux ingérences des puissants depuis le Grand jeu, la défiance reste de mise, même si elle a bien changé de camp depuis la guerre froide.</p>
<p>Un <a href="https://cissm.umd.edu/sites/default/files/2021-10/Final-Iranian%20Public%20Opinion%20Sept%202021.pdf">récent sondage</a> réalisé sous l’égide du Centre pour les études de sécurité internationale de l’université du Maryland montre que la méfiance envers les Américains reste forte pour 85 % des personnes interrogées. Le chiffre n’a d’ailleurs pas évolué depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden et la <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/potomac-papers/washington-teheran-fin-2022-reconciliation-impossible">tentative de rouvrir le dialogue afin de ressusciter le compromis nucléaire</a>.</p>
<p>Les Russes bénéficient en revanche d’une opinion favorable chez près de 60 % des enquêtés. De même que le <a href="https://brill.com/view/journals/jaer/26/1/article-p7_7.xml?language=en">« vilain Américain »</a> a remplacé au milieu du XX<sup>e</sup> siècle les turpitudes de la « <a href="https://www.bitebackpublishing.com/books/the-english-job">main anglaise</a> » en Iran, le « voisin du Nord » semble aujourd’hui être rentré dans les grâces des ressortissants et du régime iraniens. Le <a href="https://theconversation.com/le-rapprochement-irano-russe-dans-le-contexte-de-la-guerre-dukraine-189646">rapprochement à l’œuvre entre Moscou et Téhéran</a> se traduit ainsi en Ukraine par une coopération contre les États-Unis et leurs alliés. Il suggère un <a href="https://theconversation.com/iran-conteste-par-la-jeunesse-le-regime-se-tourne-plus-que-jamais-vers-la-chine-et-la-russie-195068">alignement à venir de l’Iran</a> sur le front de la défiance opposé par les régimes illibéraux à des démocraties jugées faillies. Seul un <a href="https://foreignpolicy.com/2022/10/18/a-chance-to-be-on-right-side-of-history-in-iran/">engagement résolu de Washington et de Londres aux côtés des révolutionnaires de 2022</a> serait à même de conjurer le démon de leurs ingérences passées. Mais aucun d’entre eux n’est aujourd’hui disposé à prendre un tel risque politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Gaillaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du Grand jeu du XIXᵉ siècle aux ingérences américaines tout au long du XXᵉ et jusqu’au retrait de Donad Trump de l’accord sur le nucléaire en 2015, l’Iran s’est souvent senti dupé par les Occidentaux.Sylvain Gaillaud, Docteur en histoire contemporaine, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963722022-12-29T17:42:31Z2022-12-29T17:42:31ZLes Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine<p>La guerre en Ukraine a des répercussions géostratégiques importantes sur le Moyen-Orient et, notamment, sur le dossier kurde.</p>
<p>Cette guerre concentre toute l’attention de la Russie et une grande partie de celle des États-Unis, et rend donc ces deux acteurs moins enclins à s’opposer fermement aux opérations conduites par la Turquie contre le PKK (parti marxiste-léniniste pankurde). En outre, le contexte actuel contribue à créer une convergence objective entre Ankara et Téhéran sur la question kurde.</p>
<h2>Quand Ankara et Téhéran s’en prennent simultanément aux groupes kurdes</h2>
<p>La recherche d’un dialogue entre les puissances occidentales et Téhéran <a href="https://english.alarabiya.net/News/middle-east/2022/10/31/Military-option-is-on-the-table-if-needed-to-prevent-Iranian-nuclear-weapon-Malley">n’est plus à l’ordre du jour</a>.</p>
<p>Les Occidentaux fustigent l’Iran pour son <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220910-nucl%C3%A9aire-france-allemagne-et-royaume-uni-doutent-s%C3%A9rieusement-des-intentions-de-l-iran">inflexibilité sur le dossier nucléaire</a> et son engagement aux côtés de la Russie en Ukraine, qui s’est matérialisé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-reconnait-avoir-livre-des-drones-a-la-russie-avant-sa-guerre-contre-l-ukraine-20221105">livraison de drones à Moscou</a>.</p>
<p>De son côté, Téhéran dénonce l’ingérence des puissances occidentales <a href="https://www.plenglish.com/news/2022/09/21/iran-denounces-western-interference-in-its-internal-affairs/">dans ses affaires intérieures</a> (puisque ces puissances critiquent avec véhémence la répression du mouvement de contestation qui traverse le pays depuis le meurtre de la jeune Kurde Mahsa Amini) et le rôle déstabilisateur des États-Unis qui <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/gaillaud_washington_teheran_reconciliation_impossible_2022.pdf">affichent leur soutien à l’opposition iranienne</a> – à savoir les monarchistes, les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Iran-sont-moudjahidines-peuple-2018-07-03-1200952241">Moujahidines du peuple</a> (comme composante politique identifiée) et aussi les manifestants actuels à l’intérieur du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-guerre-en-ukraine-bloque-un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-192061">Comment la guerre en Ukraine bloque un accord sur le nucléaire iranien</a>
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<p>Pendant ce temps, la Turquie met à profit le contexte de la guerre en Ukraine, qui lui a permis de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">renforcer son influence diplomatique</a>, pour mener une offensive militaire en Syrie contre les forces kurdes affiliées au PKK. La branche syrienne du PKK, le Parti de l’union démocratique (PYD), domine les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_d%C3%A9mocratiques_syriennes">Forces démocratiques syriennes</a>, structure militaire hétéroclite composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants.</p>
<p>Depuis le 20 novembre, Ankara <a href="https://www.dw.com/en/kurds-in-the-middle-east-why-are-they-under-fire/a-63850573">conduit une suite d’opérations militaires</a> qui ont pris la forme d’une série de raids aériens et de tirs d’artillerie contre les positions en Syrie et en Irak du PKK, tenu pour responsable de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attentat-a-istanbul-le-spectre-du-terrorisme-de-retour-en-turquie_2183539.html">l’attentat à la bombe qui a fait six morts à Istanbul le 13 novembre</a>. La Turquie prépare ses forces terrestres à un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1318947/erdogan-envisage-une-operation-terrestre-en-syrie.html">engagement majeur dans le nord de la Syrie</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Turquie riposte à l’attentat d’Istanbul en frappant les régions kurdes de Syrie et d’Irak, France 24, 20 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Téhéran, de son côté, a <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article142">frappé les positions militarisées</a> dans le Mont Qandil (non nord-ouest de l’Irak) de plusieurs organisations kurdes – le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK, branche iranienne du PKK) et Komala (Organisation autonomiste kurde (de tendance maoïste). Ces groupes sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/21/l-iran-mene-de-nouvelles-frappes-au-kurdistan-d-irak_6150818_3210.html">accusés par Téhéran d’attiser les manifestations contre le régime</a> consécutives à la mort de Mahsa Amini.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>Ces nouveaux développements démontrent que si, historiquement, la question kurde renvoie à une diversité de réalités et d’intérêts, le sentiment identitaire qui déborde les frontières et la trajectoire de certains mouvements indépendantistes, ainsi que <a href="https://www.institutkurde.org/info/opinion-wesre-americass-most-loyal-ally-in-syria-donst-forget-us-1232552220">leur alliance devenue inextricable avec les États-Unis</a>, fédèrent les deux principaux acteurs régionaux dans leur volonté de neutraliser la « menace intérieure kurde ».</p>
<h2>La passivité américaine</h2>
<p>Voilà près de 40 ans que des épisodes d’affrontements rythment l’histoire conflictuelle entre le PKK, créé en 1978 par Abdullah Öcalan (et inscrit depuis 1997 sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>), et les autorités turques. Le conflit armé, qui débute en <a href="https://rojinfo.com/le-15-ao%C3%BBt-1984-debut-dune-nouvelle-ere-dans-lhistoire-kurde/">1984</a> et atteint son paroxysme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/conflitkurde">dans les années 1990</a>, est passé par plusieurs phases. Après une période d’accalmie à la fin de l’année 2012, faisant suite à des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/01/10/kurdes-et-turcs-en-negociations-ouvertes_873047/">négociations entre les autorités turques et le PKK</a>, le conflit s’intensifie de nouveau à partir de 2015.</p>
<p>À la faveur de la guerre en Syrie et des évolutions sur le terrain, le PYD a connu une montée en puissance qui a accru les appréhensions d’Ankara. Pour la Turquie, cette force incarne une menace pesant sur son intégrité territoriale et son unité nationale puisque le projet du PKK (dont le PYD, nous l’avons dit, est la branche syrienne) est de créer un État kurde en séparant le Kurdistan de Turquie du reste du pays.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2017/06/25/le-vrai-visage-des-liberateurs-de-rakka/">Fer de lance de la lutte contre le groupe État islamique</a>, le PYD est soutenu par les États-Unis, même si ceux-ci cherchent dans le même temps à ménager leur allié stratégique turc. Pour ne pas heurter la Turquie et appuyer de manière directe le PYD, Washington a favorisé la création des <a href="https://rojinfo.com/les-fds-representent-toutes-les-composantes-du-nord-de-la-syrie/">Forces démocratiques syriennes</a> (FDS), une coalition hétéroclite qui reste perçue par Ankara comme une structure-écran dominée par le PKK, et qui contrôle le Nord-Est de la Syrie. Cette alliance fluctuante au gré des contextes et de la redéfinition des priorités américaines est d’abord conçue dans l’intérêt des États-Unis.</p>
<p>Les FDS se sont, en effet, retrouvées dans un rapport de dépendance élevé à l’égard de Washington. Plusieurs épisodes du conflit en Syrie ont illustré la faiblesse de la garantie de sécurité américaine, à l’exemple des batailles de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/990063/les-ambiguites-du-triangle-usa-turquie-kurdes-au-coeur-de-loffensive-contre-manbij.html">Manbij en 2016</a> et d’<a href="https://www.nytimes.com/2018/01/23/opinion/turkey-syria-kurds.html">Afrin en 2018</a> où les Kurdes ont été les otages des calculs américains, et traités davantage comme des partenaires circonstanciels que comme des alliés stratégiques.</p>
<p>L’opération militaire lancée par le président turc le 20 novembre pour <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/turkeysource/the-risks-and-rewards-of-erdogans-next-military-operation/">neutraliser la menace kurde dans les zones syriennes situées le long des frontières méridionales de la Turquie</a> en refoulant les YPG (bras armé du PYD) à près de trente kilomètres de la frontière turque a ravivé les inquiétudes des forces kurdes, qui craignent que la Turquie ne bénéficie une nouvelle fois de la mansuétude de Washington.</p>
<p>Le commandant général des FDS, Mazloum Kobane Abdi, a en effet demandé aux États-Unis d’adopter une <a href="https://www.voanews.com/a/us-backed-kurdish-commander-us-needs-stronger-position-on-turkish-threat-/6855246.html">position plus ferme « face aux menaces turques »</a>. Il a également appelé la Russie – qui avait joué un rôle de médiateur lors de la précédente offensive turque en 2019 et obtenu un accord en vertu duquel l’armée syrienne et des forces russes se sont déployées le long de la frontière – <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221129-syrie-les-kurdes-exhortent-moscou-%C3%A0-emp%C3%AAcher-une-offensive-terrestre-turque">à faire pression sur la Turquie</a>.</p>
<p>Cette opération militaire de la Turquie pour sécuriser ses zones frontalières est toutefois perçue par les observateurs occidentaux comme s’inscrivant dans un agenda électoral : il s’agit de renforcer la position de l’AKP dans la perspective des prochaines échéances électorales, après sa défaite en 2019 aux élections locales <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/4/2/erdogans-ak-party-loses-major-turkey-cities-in-local-elections">à Izmir, Istanbul et Ankara</a> sur fond de profonde <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crise-en-turquie-l-inflation-sur-un-an-atteint-83-un-pic-inedit-depuis-1998">crise économique</a>.</p>
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<p>Mais pour Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’Études anatoliennes (IEFA), joint par téléphone, cette offensive militaire ne relève pas uniquement de l’instrumentalisation politique et obéit à un réel souci sécuritaire : « Les considérations de politique intérieure sont très importantes, les autorités turques veulent montrer que les responsables de l’attentat d’Istanbul ne sont pas restés impunis, et probablement également obtenir de meilleures chances de remporter les élections. Mais malgré cela, il y a une réalité dont nombre d’analystes ne veulent pas tenir compte : cette opération revêt un intérêt sécuritaire réel face à la menace que représente pour la Turquie la présence des milices kurdes à sa frontière. »</p>
<p>Bayram Balci estime que si jusque là ni les Russes, ni les Américains ne veulent d’une incursion militaire terrestre de la Turquie en Syrie, ils tolèrent toutefois les bombardements aériens et les tirs d’artillerie dans la mesure où ils « n’ont pas les moyens d’entrer en conflit avec Ankara et ont besoin d’elle dans le conflit en Ukraine ».</p>
<p>Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, contacté également par téléphone, les Russes sont hostiles non pas aux Kurdes en tant que tels mais à leur alliance militaire avec les États-Unis, qui <a href="https://www.justsecurity.org/81313/still-at-war-the-united-states-in-syria/">continuent de garder sous leur contrôle la rive orientale de l’Euphrate</a> : « Moscou a régulièrement critiqué cette présence américaine et appelé les Kurdes à rompre cette alliance. Rien n’indique à ce stade que les FDS vont troquer leur allégeance aux Américains contre un retour dans le giron de Damas. Les Russes ont manifestement poussé pour que les Kurdes évacuent la bande de 30 km attenante à la frontière avec la Turquie dans les zones sous leur contrôle, mais cela n’a rien donné. Maintenant, il est vrai que l’entêtement des Kurdes à privilégier leur alliance avec Washington irrite les Russes. Mais cela ne va pas au-delà. »</p>
<h2>Une nouvelle donne appelée à durer ?</h2>
<p>Du côté de Washington, bien que le <a href="https://apnews.com/article/islamic-state-group-nato-syria-bucharest-turkey-bb1980f532b5a44cbc693897c853d9f1">durcissement de ton à l’égard la Turquie</a> pour tenter de dissuader Recep Tayyip Erdogan de lancer la phase terrestre de l’offensive augure d’un raidissement de la position américaine, les moyens de pression restent limités en raison de l’importance du rôle de la Turquie dans le conflit en Ukraine.</p>
<p>Sur ce dossier, Ankara tient une position ambivalente. D’une part, elle a contribué à l’effort de guerre de ses alliés de l’OTAN. D’autre part, elle <a href="https://www.euronews.com/2022/11/04/hungary-and-turkey-are-the-last-two-roadblocks-to-nato-membership-for-finland-and-sweden">continue de bloquer la tentative de l’OTAN d’accélérer l’adhésion de la Suède et de la Finlande</a> à l’Alliance en dépit des sollicitations américaines. Ankara est l’un des deux seuls pays membres de l’OTAN, avec la Hongrie, à ne pas avoir donné son aval à l’adhésion des pays nordiques. Washington dispose donc de peu de leviers de pression contre la Turquie dans ce contexte.</p>
<p>Quant à l’Iran, s’il n’a pas d’antagonisme majeur avec les FDS en Syrie, et ne semble pas résolument hostile au PKK en Irak, il est aujourd’hui, nous l’avons dit, engagé dans une confrontation militaire avec le PDKI, le PJAK et Komala, considérés parmi les forces motrices du soulèvement actuel contre le régime (soulèvement au moins partiellement imputé à Washington).</p>
<p>Une nouvelle donne s’esquisse donc : la convergence de la Turquie et de l’Iran qui voient désormais les acteurs kurdes comme des auxiliaires d’une stratégie américaine de déstabilisation. Les grandes puissances ayant à fort à faire ailleurs, les Kurdes risquent de ne pouvoir compter que sur leurs propres ressources pour faire face à cette double offensive…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant que l’attention russe et américaine est largement fixée sur l’Ukraine, Ankara et Téhéran s’attaquent aux forces kurdes, en Syrie et à la frontière Irak-Iran.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1959612022-12-13T18:59:19Z2022-12-13T18:59:19ZQatar : comment mieux comprendre une société basée sur l’histoire et la tradition<p>Si le Qatar se trouve au cœur de toutes les attentions ces dernières semaines, son histoire et la structure de sa société demeurent <a href="https://www.letarnlibre.com/une-conference-sur-le-qatar-a-saint-christophe-derriere-le-masque-quelle-societe/">mal connues</a>. La cause ? Une transmission orale qui s’estompe, et des archives militaires britanniques qui ne livrent que des faits de <a href="https://www.proquest.com/openview/48a7cb52237522e2b52cd05964911b89/1?pq-origsite=gscholar&cbl=36744">piraterie</a>, de <a href="https://go.gale.com/ps/i.do?id=GALE%7CA61402672&sid=googleScholar&v=2.1&it=r&linkaccess=abs&issn=10611924&p=AONE&sw=w&userGroupName=anon%7Ed8bff04c">guerres tribales</a>, de <a href="https://www.jstor.org/stable/25165089">pêcheurs de perles</a> et d’effets de la <a href="https://www.puf.com/content/Les_clercs_de_lislam">réforme religieuse wahhabite</a>. En outre, les lacunes et les biais systématiques des données ne permettent pas d’estimer la profondeur historique de ce pays au-delà de deux siècles.</p>
<p>Comme toutes les souverainetés arabes du Golfe, les habitants de la péninsule ont été tantôt alliés, tantôt ennemis des Turcs ottomans et de leurs voisins arabes limitrophes ; et ils ont recherché la protection britannique, dont la conséquence fut la pacification des tribus chamelières à la recherche de suprématie. Le Qatar fut la dernière des souverainetés à obtenir cette protection, en <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1457">1916</a>.</p>
<p>Depuis l’indépendance du pays en 1971, les documents officiels ou semi-confidentiels de l’État sont tout autant lacunaires, peu fiables, ou relèvent trop directement d’une direction techno-économique. Dès lors, la société qatarie reste incomprise.</p>
<h2>Une hiérarchie statutaire fermement ancrée</h2>
<p>La société qatarie est constituée sur <a href="https://www.jeuneafrique.com/177365/politique/l-identit-qatarie-une-id-ologie-de-l-origine/">l’idéologie de l’origine</a>, qui a pour fonction de classer les groupes et les familles selon la qualité et la profondeur généalogique en les intégrant dans la structure sociale et politique.</p>
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<p>Avec la formation de l’État, l’ordre social s’est construit sur le même principe consistant à classer et différencier, mais en substituant la hiérarchie statutaire à des traits socio-culturels à partir desquels des groupes et des familles sont identifiés.</p>
<p>Une distinction initiale est faite sur la filiation agnatique (les descendants par les mâles) et la pureté de sang. Autrement dit, les alliances inter-tribales sont entretenues et sont reconnues par des généalogies anciennes. En corollaire, des prescriptions matrimoniales sont imposées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500048/original/file-20221209-35091-9fo5k3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Famille en tenue traditionnelle dans le souk Wakif à Doha le 5 mars 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/dohaqatar-march-05-2019-qatari-family-2124475193">Shadow of light/Shutterstock</a></span>
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<p>Familles rattachées à une structure tribale mais jugées d’origine impure du fait d’alliances entre tribus de rang social indifférencié ou familles non structurées selon le modèle tribal composent les autres strates de la société globale.</p>
<p>Ces déterminants basés sur les liens du sang contribuent à établir une discrimination selon les lieux d’origine de la population : l’Arabie et l’Iran. Ainsi, dans les représentations, ceux ne répondant pas à ces critères sont généralement vus comme des Arabes d’Iran. De nos jours, peu de changements transgressent ces hiérarchies verticales au plan matrimonial, qui s’appliquent également entre les personnes d’obédience islamique sunnite ou chiite.</p>
<p>Enfin, une dernière catégorie sociale fait partie de l’histoire du pays : ce sont les <a href="https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_2002_num_72_2_1316">descendants d’esclaves</a> (Noirs africains surtout), qui étaient nombreux dans l’industrie perlière. Il est impossible d’en estimer le nombre car, à la suite de la récession économique de 1929 et de la chute de l’économie perlière les années suivantes, leurs maîtres les ont vendus. Il s’agissait aussi d’anticiper <a href="https://www.worldnewsmedias.com/2013/09/06/qatar-1952-abolition-de-lesclavage-mais-reste-le-parrainage/">l’abolition de l’esclavage (1952)</a>. Au plan matrimonial, ils peuvent s’allier avec des familles de rang similaire, au plus bas des rangs sociaux. Cela pose problème pour les enfants illégitimes issus d’un maître de rang élevé et d’une esclave.</p>
<h2>Fortes disparités sociales</h2>
<p>À la suite du retrait des Britanniques en 1971, Khalifa bin Hamad Al Thânî (grand-père de l’émir actuel) prit le pouvoir en 1972. La formation de l’État lui serait due, tout comme la décision d’instaurer l’égalité des citoyens.</p>
<p>Depuis 2003, l’égalité entre les citoyens est reconnue par la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/qa2003.htm">Constitution</a>. Néanmoins, les femmes <a href="https://www.academia.edu/38949283/Arabian_Humanities">restent soumises à l’autorité patriarcale</a>, qui implique leur contrôle par les hommes de la famille. De même, la charia établit l’inégalité de genre, dont le droit à l’héritage est l’expression : une demi-part de celle des hommes. Le <a href="https://www.researchgate.net/publication/363294111_Le_droit_de_la_famille_qatarien_a_l%E2%80%99epreuve_des_droits_de_l%E2%80%99homme">code de la famille</a> promulgué en 2006 donne quelques droits aux femmes, y compris la possibilité de demander le divorce. Mais le grand nombre de divorces est considéré comme problématique, les alliances matrimoniales étant souvent dues au choix des parents pourraient en être la cause.</p>
<p>De nos jours, la population qatarie est <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/10/MOUNIER_KUHN/59150">évaluée</a> à 15 % de la totalité des résidents (environ 2 500 000). Elle représente une minorité dominante, et au plan statutaire elle se considère supérieure à toute personne étrangère. Ceci est bien visible dans les relations du travail.</p>
<p>Si le PIB par habitant du Qatar est estimé comme un des <a href="https://www.journaldunet.fr/patrimoine/guide-des-finances-personnelles/1209268-classement-pib/">plus élevés au monde</a>, de fortes disparités existent au sein même de la société qatarie, et la détermination d’un salaire médian est discutable. En effet, les membres masculins de l’aristocratie au pouvoir – la tribu Al Thânî, qui compte plusieurs milliers de personnes – perçoivent une allocation mensuelle dès leur naissance et durant toute leur vie, dont le montant est plus ou moins élevé selon les liens de proximité de parenté avec l’émir au pouvoir.</p>
<p>En conséquence, les Al Thânî possèdent d’immenses richesses personnelles qui incluent tous les avantages propres à leur position sociale, comme la représentation de filières commerciales par exemple. Ce privilège accordé aux membres de l’aristocratie au pouvoir vaut pour tous les émirats et États arabes du Golfe, et provient d’une décision britannique prise lors de la signature des contrats sur l’exploitation du pétrole dans les années 1920-1930 pour consolider un pouvoir émergeant. Les « tribus » issues des souverainetés du Golfe, représentées par un « Shaikh », sont décrites par les Britanniques comme âpres au gain dans les négociations des contrats pétroliers. Il est probable que cette décision fut prise pour atténuer les jalousies entre membres de la tribu, et maintenue ensuite par ces « familles » par souci de paix sociale.</p>
<p>Un autre moyen d’enrichissement aisé est la <em>kafala</em> ou parrainage d’entreprises commerciales étrangères, ou de filières de migrants. Selon ce principe, le <em>kafil</em> offre sa protection en échange de rémunération. Ce système de protection, qui résulte de la culture bédouine, fut adapté par le pouvoir britannique dès la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et fut réglementé vers 1930 afin de contrôler les pêcheurs de perles et de limiter les migrations de main-d’œuvre dans les premiers champs pétrolifères à Bahreïn et en Arabie orientale.</p>
<p>La fonction publique demeure la principale source de revenues des Qataris, tant pour les hommes que pour les femmes. Par crainte des mouvements sociaux à la suite des révoltes dans les pays arabes (2011), les salaires ont été fortement augmentés. Ceux-ci s’ajoutent à la politique dite de bien-être, qui consiste en un certain nombre d’avantages matériels et financiers offerts aux citoyens. Cela peut être le seul recours financier d’une femme divorcée sans emploi dont l’ancien conjoint n’honore pas les allocations qu’il lui doit.</p>
<p>Depuis le début de l’exploitation du gaz et la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/qatar/video-comment-le-gaz-a-fait-du-qatar-le-pays-le-plus-riche-du-monde_5466574.html">manne financière qu’elle a induite</a>, la richesse du pays semble inépuisable. Elle assure la paix sociale. Toutefois, les femmes les plus jeunes <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/women-rights-in-qatar-drive-work-study-cdqfl53zk">font entendre des contestations</a> que les plus âgées n’osaient exprimer. Car, généralement plus diplômées que les garçons, elles ont très peu accès à de hautes fonctions.</p>
<h2>Une société en mouvement</h2>
<p>Depuis cinq décennies, les changements sociaux ont été profonds et rapides à la fois. Les Qataris ont souvent le sentiment d’une perte de repères. Par exemple <a href="https://books.openedition.org/iremam/2358?lang=fr">dans le domaine de l’habitat</a> : les quartiers jadis peuplés de groupements familiaux plus ou moins larges dans le cadre d’une tribu, de grandes familles de commerçants ou d’artisans ont été démantelés par les gouvernements précédents. De sorte que les liens tissés entre familles à partir desquels, chacun de leur côté, hommes et femmes se rendaient visite de maison en maison, organisaient les fêtes de mariage par exemple, ont disparu.</p>
<p>Le sentiment d’appartenance nationale est sans cesse mobilisé grâce à l’accent mis sur les manifestations patrimoniales créées dès 1970 (<a href="https://www.rfi.fr/fr/sports/20221211-les-courses-de-dromadaires-au-qatar-un-patrimoine-national">courses de dromadaires</a>, <a href="https://dohanews.co/dhow-boat-festival-qatars-long-rooted-history-of-sailing-seas/">compétitions de bateaux</a>, <a href="https://www.challenges.fr/societe/mondial-2022-la-fauconnerie-passion-ancestrale-au-qatar-veut-attirer-les-supporteurs_835645">fauconnerie</a>, etc.) comme expression de l’existence du pays et de sa transformation grâce à la sagacité sur le long terme de ses dirigeants. Quelle que soit la compréhension des Qataris quant aux choix imposés par leurs dirigeants, la reconnaissance de leur pays dans les instances internationales, dont l’organisation de la Coupe du Monde constitue une sorte d’apothéose, est à leurs yeux une marque d’honorabilité qui les met en valeur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195961/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anie Montigny ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Qatar se veut ouvert au monde, mais sa société demeure mal connue. Cette société reste très stratifiée, même si elle connaît une certaine évolution dans plusieurs domaines.Anie Montigny, Anthropologue attachée honoraire MNHN, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950682022-12-02T16:09:17Z2022-12-02T16:09:17ZIran : contesté par la jeunesse, le régime se tourne plus que jamais vers la Chine et la Russie<p>Les observateurs retiennent leur souffle. Le mouvement social qui secoue l’Iran depuis le 16 septembre 2022 est d’une telle ampleur que les spécialistes sont comme pétrifiés. Tout le monde attend. Tout le monde reconnaît que quelque chose d’inédit est en train de se dérouler en Iran, à huis clos, et que le <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/repressions-iran-courage-manifestantes-manifestants">courage dont font preuve les manifestants</a> est sans précédent.</p>
<p>Qui sont ces manifestants, quel est leur rapport à l’État théocratique iranien, et quel impact leur soulèvement peut-il avoir sur la politique étrangère d’un régime aux abois ?</p>
<h2>Une rupture générationnelle</h2>
<p>La génération qui s’insurge, née au tournant de l’an 2000, est assoiffée de liberté. Elle l’est tellement qu’elle semble disposée à assumer les conséquences d’une insurrection contre le régime de Téhéran : une répression violente qui se solde par <a href="https://iranhr.net/en/articles/5608/">448 morts et quelque 15 000 arrestations</a> au moment où ces lignes sont écrites.</p>
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<p>À la différence de ses aînées (plus craintives à l’égard des conséquences d’une insurrection contre le régime, et dont les soulèvements, à l’instar du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">Mouvement vert de 2009</a>, s’inscrivaient encore à l’intérieur du cadre politique de la République islamique), cette jeune génération est prête à payer le prix fort au nom de ses idéaux. L’impact des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion/les-jeunes-iraniens-et-les-reseaux-sociaux-entre-repression-et-enfermement-virtuel">réseaux sociaux</a> sur sa capacité à être connectée avec le monde, et ainsi à percevoir la « déconnexion » de son quotidien, parsemé d’interdits, par rapport aux libertés dont jouissent ses pairs ailleurs sur la planète, est sans doute l’une des principales explications de cette rupture générationnelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/li52xvjOhJI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Iran : la jeunesse contre les mollahs – 28 Minutes – Arte, 21 septembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Les répercussions dans la durée du mouvement actuel sont encore difficiles à anticiper. Il est cependant vraisemblable que la situation sociopolitique de l’Iran va évoluer. L’ampleur du soulèvement est telle que, même s’il devait être totalement écrasé dans le sang (au prix de plusieurs milliers de victimes, tel un « Tienanmen iranien »), les modalités de la coexistence entre le régime et la population seront sensiblement impactées. Une tendance semble se dessiner : la multiplication des actes de désobéissance civile.</p>
<p>À la différence des générations précédentes, les jeunes osent demander des comptes à leurs représentants ; et – à l’instar de la stratégie géopolitique adoptée par leur régime à l’échelle régionale – ils agissent de manière asymétrique, en diversifiant leurs modes d’expression et leurs revendications.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>L’héritage idéologique khomeyniste est lointain pour ces jeunes adultes qui font à présent leur entrée dans la vie active, qui n’ont connu ni la guerre contre l’Irak (1980-1988), ni la mobilisation des familles, ni les bombardements des villes, ni la répression féroce qui s’est abattue sur les dissidents politiques à la fin des années 1980, et encore moins la révolution de 1979.</p>
<h2>La désaffection à l’égard de la religion</h2>
<p>Une deuxième tendance vient renforcer cette bascule générationnelle. Comme l’avait anticipé l’islamologue français <a href="https://www.jstor.org/stable/4329317">Olivier Roy</a> dans les années 1990, l’instauration d’un régime théocratique à Téhéran a, paradoxalement, contribué à l’accélération du processus de sécularisation de la société iranienne. En effet, en faisant de la religion le <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2015-2-page-110.html">socle du pouvoir politique</a>, le régime idéologique décrété par l’ayatollah Khomeyni a provoqué un phénomène par lequel tout rejet du pouvoir devient, automatiquement, également un rejet de la religion.</p>
<p>Le régime a assis son contrôle sur la société en imposant à sa population une forme de « spiritualité politique » qui n’est pas sans rappeler l’usage que Michel Foucault avait fait de cette même notion, dans ses <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2012-3-page-51.htm">« articles iraniens » de 1978</a>. L’adhésion forcée à ce mode de gouvernance explique, en partie, la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/iran-la-jeunesse-dans-la-rue-le-regime-dans-l-impasse_2181334.html">désaffection croissante des jeunes</a> vis-à-vis de la théocratie khomeyniste.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590307847560118274"}"></div></p>
<p>Ces variables (transition générationnelle et sécularisation de la société) apparaissent d’autant plus significatives que les jeunes qui s’insurgent aujourd’hui seront la population active des quatre ou cinq prochaines décennies. À moins que le régime ne parvienne à mettre rapidement en place un système de contrôle et d’oppression sociale à même de réduire à néant le risque de déstabilisation interne, il sera immanquablement amené à évoluer sous le poids des demandes émanant de la société.</p>
<h2>L’« asianisation » de la politique étrangère de l’Iran</h2>
<p>Cette évolution de la relation société-pouvoir en Iran ne peut être pleinement appréhendée dans sa juste mesure sans tenir compte du contexte géopolitique au sein duquel elle se produit. La capacité du mouvement social à se reproduire et à prendre de l’ampleur entre en résonance avec les grandes reconfigurations qui ont lieu aux échelles régionale, continentale et globale et qui, en retour, impactent la politique du régime iranien et conditionnent sa réponse au soulèvement populaire.</p>
<p>Or, en matière de politique étrangère, la tendance de l’Iran est, depuis quelques années, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03068374.2022.2029037?scroll=top&needAccess=true">« l’asianisation »</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, la situation géopolitique se fige autour de la constitution de deux pôles opposés : l’un constitué par l’Iran et ses alliés régionaux, principalement chiites, l’autre prenant la forme d’un axe anti-iranien impulsé par les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite. Cela étant, au-delà d’établir une présence milicienne en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">Irak</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/25/au-liban-le-hezbollah-maintient-sa-predominance-dans-la-crise_6047269_3210.html">au Liban</a>, et de se garantir une alliance avec le régime de Bachar Al-Assad en <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-alliance-Iran-Syrie.html">Syrie</a> et la rébellion houthie <a href="https://foreignpolicy.com/2022/01/24/yemen-houthi-uae-israel-iran-abraham-accords/">au Yémen</a>, cette stratégie n’a pas permis à la République islamique d’en tirer les gains économiques espérés. Tous ces pays sont faillis ou en ruine, et il est peu probable que cette géopolitique des « blocs » évolue significativement dans le moyen terme.</p>
<p>À l’échelle régionale, l’asianisation de la politique étrangère de l’Iran apparait donc comme une résultante autant des incohérences d’une stratégie d’influence reposant uniquement sur la mobilisation de groupes armés para-étatiques que de la muraille anti-iranienne érigée par ses adversaires géopolitiques. Dans ce contexte, le régime n’a d’autre choix que de se tourner « vers l’Est » pour relancer son économie et espérer calmer la grogne sociale.</p>
<p>Et cela, d’autant plus que la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html">rupture de l’accord sur le nucléaire iranien</a> (<em>Joint Comprehensive Plan of Action</em>, JCPOA) par Donald Trump en mai 2018 a définitivement convaincu le régime que tout effort de normalisation avec l’Occident serait vain. On mesure mal, en Europe, la portée psychologique et symbolique de cet acte, vécu à la fois comme une trahison et une humiliation, qui a fait <a href="https://www.lalibre.be/international/moyen-orient/2021/08/03/le-president-des-illusions-perdues-ID7IASUH5VCJXFIEQAEVJVQZZA/">perdre toute crédibilité au courant réformiste iranien</a> (qui avait porté le projet d’ouverture depuis plus d’une décennie) et a conforté le camp ultra-conservateur, dans son hostilité à l’Occident.</p>
<p>Les positions étant à peu près <a href="https://theconversation.com/pourquoi-ladministration-biden-peine-autant-a-rendre-vie-a-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-183995">figées</a> aux échelles régionale et internationale, le pivot géopolitique iranien se joue désormais à l’échelle continentale. Le régime a répondu à la « trahison » du JCPOA en annonçant en mars 2021 l’établissement d’un <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/27/world/middleeast/china-iran-deal.html">partenariat stratégique global s’étalant sur une durée de 25 ans</a> avec la Chine de Xi Jinping, et en renforçant la relation déjà solide avec la Russie de Vladimir Poutine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-iran-une-convergence-durable-160842">Chine-Iran : une convergence durable ?</a>
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<p>L’utilisation par l’armée russe de <a href="https://newlinesmag.com/argument/what-irans-drones-in-ukraine-mean-for-the-future-of-war/">drones de fabrication iranienne</a> en Ukraine prouve que le niveau de coopération stratégique entre les deux pays est <a href="https://theconversation.com/le-rapprochement-irano-russe-dans-le-contexte-de-la-guerre-dukraine-189646">à un stade avancé</a>, et que les pouvoirs en place à Téhéran et à Moscou avancent dans la même direction face à l’Occident, sous le regard d’une Chine qui se limite pour l’heure à discréditer l’ordre international sans trop le molester.</p>
<p>Ce nouvel élan eurasiatique donne également lieu à une multiplication des initiatives diplomatiques de l’Iran auprès d’autres partenaires importants à l’échelle continentale, tels que la Turquie, l’Inde, le Pakistan ou encore les républiques post-soviétiques d’Asie centrale et du Caucase. L’intégration de l’Iran dans les grands projets infrastructurels chinois (<em>Belt and Road Initiative</em>, <a href="https://www.oboreurope.com/en/iran-china-agreement/">BRI</a>) et russo-indien (<em>International North-South Transport Corridor</em>, <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/india/amid-curbs-india-russia-trade-via-instc-booms/articleshow/93603407.cms">INSTC</a>) manifeste la volonté des dirigeants iraniens d’arrimer le développement du pays aux réseaux de connectivité intercontinentale qui prennent progressivement forme en dehors de tout contrôle occidental.</p>
<p>En cela, ce processus « d’asianisation » trouve son point d’orgue dans <a href="https://fr.irna.ir/news/84954605/L-Assembl%C3%A9e-islamique-a-approuv%C3%A9-l-adh%C3%A9sion-de-l-Iran-%C3%A0-l-Organisation">l’adhésion de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS)</a>.</p>
<p>L’acceptation en septembre 2021 (un mois après l’investiture du président conservateur <a href="https://theconversation.com/les-enjeux-politiques-internes-en-iran-apres-lelection-debrahim-ra-ssi-163136">Ebrahim Raïssi</a>) de la candidature de l’Iran (déposée quinze ans plus tôt) prouve qu’un exécutif en phase avec la vision du Guide suprême est un gage de stabilité aux yeux des pays membres de l’OCS, et tout particulièrement de la Chine, qui supervise l’ensemble du processus de constitution de cet ordre international <a href="https://www.wiley.com/en-us/Post+Western+World%3A+How+Emerging+Powers+Are+Remaking+Global+Order-p-9781509504572">« post-occidental »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498523/original/file-20221201-24-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ebrahim Raïssi et Vladimir Poutine lors du dernier sommet de l’OCS à Samarkand, en Ouzzbékistan, le 15 septembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandr Demyanchuk/AFP</span></span>
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<p>Éprouvé par quatre décennies d’isolement mais toujours en place, le régime de Téhéran, autrefois « paria » pour l’Ouest comme pour l’Est, se révèle, au vu des circonstances géopolitiques actuelles, un partenaire respectable et digne de considération pour une bonne partie du continent eurasiatique.</p>
<h2>Vers un contrôle social à la chinoise ?</h2>
<p>Mais qu’en est-il de l’interaction entre cette réorientation géopolitique et le mouvement de contestation ? Pour l’heure, les deux trajectoires évoluent séparément.</p>
<p>Le soulèvement populaire émerge d’une transition générationnelle et séculière, dans un mouvement s’élançant <a href="https://www.iranintl.com/en/202210091825">du bas vers le haut</a>. À l’inverse, la politique du « regard vers l’Est » n’est une priorité que pour le régime, qui a tout intérêt à renforcer ses liens avec la Chine et la Russie, autant pour des considérations géopolitiques qu’en raison des perspectives qu’est susceptible d’offrir une collaboration renforcée avec ces pays dans le domaine des nouvelles technologies (intelligence artificielle, reconnaissance faciale, algorithmes prédictifs, etc.) face au risque de déstabilisation interne.</p>
<p>Un air de contrôle social « à la chinoise » <a href="https://www.iranintl.com/en/202202123131">plane sur l’Iran</a>. Il n’en demeure pas moins qu’un système de contrôle social, aussi performant soit-il, ne peut être efficace qu’à condition de susciter la crainte de la population. Or, en Iran, le mur de la peur semble s’effriter peu à peu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Nencini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le soulèvement de la jeunesse iranienne incite le pouvoir à s’appuyer sur des puissances non occidentales qui ne lui reprocheront certainement pas de se livrer à une répression féroce.Théo Nencini, Chercheur doctorant, spécialiste de l'Iran travaillant sur la recomposition des équilibres interétatiques au Moyen-Orient et en Asie centrale, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921442022-11-06T16:24:55Z2022-11-06T16:24:55ZL’Union européenne en Syrie : un discours trop complaisant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490035/original/file-20221017-12-9swe4m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C2032%2C1529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dan Stoenescu, chef de la délégation de l’UE pour la Syrie, lors d’un déplacement sur les territoires contrôlés par le régime de Damas, effectué à bord d’un avion du Programme alimentaire mondial, le 8&nbsp;août 2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo/?fbid=603503987803706&set=pcb.603504244470347">Dan Stoenescu/Facebook</a></span></figcaption></figure><p>Si l’UE a longtemps prôné la fermeté face au régime de Bachar Al-Assad, coupable depuis 2011 de nombreux <a href="https://onu.delegfrance.org/bachar-al-assad-s-est-rendu-coupable-de-crimes-de-guerre">crimes de guerre</a> avérés à l’égard de son propre peuple (le bilan humain est estimé <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/06/un-human-rights-office-estimates-more-306000-civilians-were-killed-over-10">entre 306 000</a> et <a href="https://www.syriahr.com/en/243125/">610 000 victimes</a>), ce n’est plus réellement le cas.</p>
<p>Au nom du pragmatisme, la <a href="https://www.eeas.europa.eu/syria/who-we-are_en?s=209">délégation de l’UE pour la Syrie</a> – qui a déménagé à Beyrouth en 2012 et dont le rôle est de promouvoir les valeurs européennes et de superviser localement la politique de l’UE en matière de relations extérieures et d’aides – tend dernièrement à changer de ton à l’égard du pouvoir syrien en place. Avec quelles conséquences ?</p>
<h2>Une fermeté qui n’a duré qu’un temps</h2>
<p>En juillet 2011, six mois après le début de la révolution syrienne, <a href="https://www.wilsoncenter.org/person/the-right-honourable-catherine-ashton-baroness-upholland">Catherine Ashton</a>, alors Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_11_504">exige le départ de Bachar Al-Assad</a>, en accord avec la stratégie adoptée par les États-Unis et une majorité de pays européens, dont la France et le Royaume-Uni, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.</p>
<p>De son côté, le président américain Barack Obama définit en août 2012 une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/ethics-and-international-affairs/article/syrian-views-on-obamas-red-line-the-ethical-case-for-strikes-against-assad/5D328A19C288C247F2BAC83742E20145">« ligne rouge »</a> à ne pas dépasser par le régime de Damas, sous peine de conséquences dévastatrices : l’utilisation d’armes chimiques.</p>
<p>Pourtant, <a href="https://information.tv5monde.com/info/attaques-chimiques-en-syrie-retour-sur-un-massacre-163230">l’attaque de la Ghouta orientale</a> en août 2013 reste sans conséquences, Washington décidant de s’abstenir d’intervenir. Un revirement qui annonce celui, progressif, de l’UE.</p>
<p>En effet, à partir de 2015, la peur d’une « crise des réfugiés », couplée aux premiers succès de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-30.htm">l’intervention russe</a> et à l’implantation de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Comprendre-zones-desescalade-Syrie-2017-05-07-1200845219">« zones de désescalade »</a> en Syrie, conduit l’UE à adopter une ligne essentiellement centrée sur les sanctions économiques et l’aide humanitaire. Elle écarte ainsi la possibilité d’essayer de faire preuve d’influence politique pour faciliter la résolution du conflit.</p>
<p>À cette période, comme le <a href="https://www.iemed.org/publication/the-ins-and-outs-of-the-eus-shortcomings-in-syria/">constatent</a> le chercheur Dimitris Bouris et l’ancien chef de la délégation de l’UE pour la Syrie Anis Nacrour, « l’UE réduit sa marge de manœuvre au rôle de partenaire financier et fournisseur d’assistance technique aux initiatives de médiation des Nations unies ».</p>
<p>Ce revirement européen observé dès l’automne 2015 n’a pas été sans conséquences pour la stratégie de communication des alliés de Damas qui, constatant que les Occidentaux ne réclamaient plus avec la même vigueur le départ d’Al-Assad, se mirent à affirmer que ce dernier avait gagné la guerre – et ce, malgré la persistance de <a href="https://snhr.org/blog/2022/09/04/the-most-notable-human-rights-violations-in-syria-in-august-2022/">violences systématiques</a>, voire <a href="https://aljumhuriya.net/en/2019/09/19/terror-genocide-and-the-genocratic-turn/">génocidaires</a>, imposées au peuple syrien par le régime.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Z7OlvYr4YKU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Syrie : l’aide humanitaire de l’UE, 24 avril 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>Actuellement, l’UE, qui a adopté progressivement l’idée d’un plan de <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/opportunities-strengthening-resilience-and-advancing-early-recovery-syria_en">« réhabilitation précoce »</a>, est fortement impliquée en Syrie aux côtés de l’ONU, qui continue à demander un cessez-le-feu associé à une solution politique à l’initiative des Syriens depuis l’adoption à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité de la <a href="https://press.un.org/en/2015/sc12171.doc.htm">résolution 2254 en décembre 2015)</a>.</p>
<p>Cette coopération se manifeste notamment dans la <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2022/05/10/">conférence annuelle sur l’aide à apporter pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région</a> : en mai 2022, 6,4 milliards d’euros ont ainsi été mobilisés.</p>
<h2>Mouvements diplomatiques récents au sein de la délégation de l’UE en Syrie</h2>
<p>Jusqu’à l’automne 2021, la délégation de l’UE en Syrie restait discrète quant à la composition de son équipe, ses activités et ses déplacements à Damas. Sa <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria">page Facebook</a> affichait essentiellement des informations relatives aux acteurs de l’UE engagés en Syrie ainsi que dans les pays limitrophes.</p>
<p>Effective dès septembre 2021, la <a href="https://www.rri.ro/en_gb/april_17_2021-2635454">nomination</a> à sa tête du diplomate roumain <a href="https://www.eeas.europa.eu/node/410120_nl?s=209">Dan Stoenescu</a> inaugure une nouvelle ère en termes de relations diplomatiques, d’engagements humanitaires et de stratégie de communication.</p>
<p>Moins d’un mois après son arrivée, <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02fKLKchSbPkpxNxCyV2BhMGbAvoY6kPcjsRCjMZBFG2mSG1MHdiTKVZJcmXcUCAjgl">12 photographies</a> mettent en scène son premier déplacement officiel à Damas, où il rencontre Imran Raza, coordinateur résident des Nations unies, de même que des représentants d’agences d’aide humanitaire dont la Croix-Rouge, le PNUD, l’OMS et le Programme alimentaire mondial, des diplomates bulgares, roumains, grecs, omanais, hongrois et tchèques, sans oublier Mario Zineri, nonce apostolique et ambassadeur papal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dan Stoenescu, en costume bleu au centre, aux côtés du président du Comité international de la Croix-Rouge, Christophe Martin, et d’autres personnes, à Damas, le 27 septembre 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo?fbid=2985836848370514&set=pcb.2985841275036738">Page Facebook de la Délégation de l’UE en Syrie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Centrée sur la personnalité du chef de la délégation, la médiatisation de ce voyage est en rupture avec les positions originelles de l’UE : par cette première visite assumée dans la zone contrôlée par le régime, Stoenescu brise la promesse européenne de ne pas favoriser la quête de légitimité d’Al-Assad.</p>
<p>La présence sur les clichés de diplomates européens dont les ambassades avaient fermé à partir de 2012, (seule l’ambassade de République tchèque était restée ouverte en Syrie ; actuellement, sept ambassades européennes sont ouvertes) abonde également dans ce sens et rompt le tabou de la reprise d’une forme d’échanges.</p>
<p>Les visites deviennent régulières et sont décrites en toute transparence sur les pages Facebook de la délégation et de Stoenescu. Le 8 août 2022, ce dernier effectue une « <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid031k9xXuqixD9QXhZSmbkGYjuRkZeMbSXD9N1zN8gnMLXME7aAnpvk5ewPbzkkvhocl">mission humanitaire de quatre jours</a> » aux côtés d’<a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/head-european-union-delegation-joint-field-visit-aleppo-homs-hama">Imran Raza</a>. Sont visitées pour la première fois trois villes sous contrôle du régime : Homs, Hama et Alep, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Alep-sous-controle-regime-syrien-2016-12-23-1200812506">ville martyre symbole de la victoire d’Assad</a>.</p>
<h2>Archétypes du discours humanitaire et de la reconstruction</h2>
<p>La communication de la délégation est celle d’un service diplomatique s’adressant à un public européen spectateur d’une <a href="https://ia800307.us.archive.org/22/items/OnRevolution/ArendtOn-revolution.pdf">« souffrance à distance »</a>, pour reprendre la formule d’Hannah Arendt. À travers son rôle de médiateur, elle doit informer les citoyens des pays membres mais aussi du monde entier et <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/208779/1/cbs-phd2011-12.pdf">véhicule sa conception d’une forme de responsabilité sociale</a>.</p>
<p>Or on constate que ses publications, textes et photographies exposent la situation du peuple syrien de manière très édulcorée. Aucun coupable n’est nommé : la délégation n’opte donc pas pour ce que le sociologue Luc Bolstanski définit comme la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-91.htm">« topique de la dénonciation »</a>, qui « se détourne de la considération déprimante du malheureux et de ses souffrances pour aller chercher un persécuteur », mais au contraire pour la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-117.htm">« topique du sentiment »</a>, qui « oriente l’attention vers la possibilité d’une bienfaisance accomplie par un bienfaiteur ».</p>
<p>Ainsi, la responsabilité est ici humanitariste : elle mobilise l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1468-0424.00298">« iconographie du secours</a> ». Tout cas de souffrance nécessite une bonne action, <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/208779/1/cbs-phd2011-12.pdf">« indépendamment de ce qui a provoqué la souffrance ou des conséquences de l’assistance »</a>.</p>
<p>L’action européenne se divise en deux pans : reconstruction précoce dans les territoires sous contrôle du régime, et aide humanitaire pour les réfugiés et déplacés. La portée politique de cette stratégie est, quant à elle, reléguée au second plan. La <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid02S3J2LA5u8p5Xz883QkgVvJjFNiTQVVxxvTSS2jnuTEb6aAFy1HEWyeAFdu6CaqSZl">réaction</a> de Dan Stoenescu à l’adoption par le Conseil de sécurité de la <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/security-council-renews-cross-border-aid-operations-syrias-north-west-six-months-adopting-resolution-2642-2022-compromise-amid-divisions">résolution 2642</a> qui limite les opérations d’aide transfrontalières dans le nord-ouest de la Syrie à six mois seulement, pour éviter que la Russie n’utilise son pouvoir de véto et bloque totalement la situation, en est un exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Les besoins humanitaires des Syriens, dont la majorité sont des femmes et des enfants, ne devraient pas être politisés ! […] Les opérations transfrontalières doivent être dépolitisées et doivent augmenter. »</p>
</blockquote>
<p>Par le biais de <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid0BrwfHHq7wqyERtqftXxSeTRvt5AJrJXENfqPE6GCSxTzrJJVtkYsywGAzxYz51Rnl">formes passives</a> se concentrant sur le sort des victimes, le nom des responsables des exactions est soigneusement évité, induisant un effet de déresponsabilisation :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis scandalisé par les récentes attaques dans le Nord de la Syrie qui auraient tué plus de 17 personnes […] Des innocents continuent d’être victimes de ce conflit ! »</p>
</blockquote>
<p>Les Syriens, quant à eux, sont ici décrits tels un groupe homogène, ce qui efface l’existence d’oppresseurs et d’opprimés. Citons le <a href="https://www.eeas.europa.eu/delegations/syria_en ?s=209">site officiel de la délégation</a> : « L’UE et les Syriens ont un objectif commun : une Syrie stable et en paix » ; « notre intérêt, en tant qu’Européens, est le même que ce que veulent les Syriens ».</p>
<p>Pour étayer son discours, la délégation a recours à des photographies de citoyens, et plus particulièrement d’enfants, relançant le débat quant à la relation de pouvoir entre le photographe et ses sujets dans un contexte autoritaire et le respect de leur dignité. Ici, les nombreux clichés viennent compléter le tableau d’un peuple se « reconstruisant » grâce à la <a href="https://www.facebook.com/watch/ ?v=1208355293327527">réhabilitation des écoles, des infrastructures médicales, ainsi que de structures électriques</a> et <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid088VMS5E1bYnQQSJkyQjT2tD9o9TFzrVxMRwPD5W6TDhsLAkmn92azNoyaX5Kj5gSl">hydrauliques</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dan Stoenescu dans une école à al-Qusayr, le 9 août 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo?fbid=604297797724325&set=pcb.604299651057473">Page Facebook de Dan Stoenescu</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces mises en scène au pouvoir affectif certain s’installent dans l’imaginaire d’un public souvent peu averti, organisent sa <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php ?isbn=9780674008014">« connaissance culturelle »</a> de la région, et consolident une conception idéalisée de la situation politique en Syrie. Ainsi, les lecteurs européens découvrent des enfants « résilients » <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid02rDsyh29SBjKTyYdZkm6JqGFRAyd9FYrkBFS49QXAmuLaFzjLrtLxApPw6FuwqyQ5l">coloriant et chantant en chœur</a> dans un centre de jeunesse à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Syrie-Damas-reconquete-dAlep-2016-09-23-1200791259">Alep</a>, ou <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid0PLoDgC684AMMWVrvbDhvZQbqG1eMJ8sATgKqQpTM86QCcvjCokjfAPC5mK4Wx2LWl">jouant de la musique</a> à <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/qusayr-rules-syrian-regimes-changing-way-war">al-Qusayr</a>.</p>
<p>Toutefois, d’autres clichés issus de la <a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes</a> ou du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés viennent parfois contrebalancer les images idéalisées des enfants des « zones de gouvernement » : on y voit des enfants réfugiés, cette fois-ci démunis, <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02ghGzhXBpdxGZ5xtLuWph7qfFZXsHKFjVAjDjHk2gZaz9ipMtiEa6ywhN81NPwjF8l">assis sur des caisses estampillées « UNICEF »</a>, ainsi que des <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02DnZ93CGdJhYz7339bRmnNQn3Szbk5jnGe3eu49JxJcVgmGULbLDGm243uLMNPrEql">mères et leur nourrisson</a> souffrant du froid des camps au Nord-Est de la Syrie. Ces images font appel <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1468-0424.00298">au trope de la culture visuelle du tiers monde</a> et insistent sur la nécessité de maintenir l’assistance humanitaire internationale en l’état.</p>
<h2>Politique de réhabilitation précoce : quels risques ?</h2>
<p>La vision du conflit véhiculée par l’UE et l’ONU est dénoncée par de nombreuses personnalités, dont des politiciens, activistes, chercheurs et<a href="https://ifit-transitions.org/wp-content/uploads/2022/04/Conclusions-and-Raecommendations-Towards-More-Principled-International-Support-A-Dialogue-between-Syrians-and-the-International-Community-31-March-2022-1.pdf">organisations de la société civile syrienne</a>, qui militent pour une autre lecture des faits et avertissent que cette politique ne doit pas se transformer en un soutien politico-financier à Bachar Al-Assad.</p>
<p>En cause, les détournements de fonds organisés par le régime syrien, qui sont <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/oct/21/assad-regime-siphons-millions-in-aid-by-manipulating-syrias-currency">connus</a> et <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/report_pdf/syria0619_web3.pdf">documentés</a>. Le fait que les agences humanitaires en Syrie travaillent notamment avec <a href="https://www.middleeasteye.net/news/syria-war-assad-millions-un-procurement-costs-companies">l’organisation Syria Trust</a>, fondée par Asma Al-Assad (l’épouse de Bachar), en est un exemple : l’aide internationale enrichit largement le premier cercle du président qui ne rend aucun compte, ni aux habitants de la Syrie, ni aux contribuables internationaux.</p>
<p>De même, le <a href="https://carnegie-mec.org/2019/09/04/paradox-of-syria-s-reconstruction-pub-79773">scandale ayant affecté les agences onusiennes</a> présentes en 2018 à Alep illustre les risques de cooptation : alors que les bombardements systématiques de la partie Est de la ville par le régime ont entraîné la destruction d’écoles, d’hôpitaux, de quartiers résidentiels, d’infrastructures électriques et hydrauliques, les experts de l’ONU n’ont pas pu imposer la liste de quartiers prioritaires qu’ils avaient identifiés et ont été contraints par le régime à ne travailler que dans les quartiers d’Alep Ouest.</p>
<p>Dans un tel contexte de pillage de l’aide internationale, le récent voyage de Stoenescu à al-Qusayr, <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-battle-for-qusayr-how-the-syrian-regime-and-hizb-allah-tipped-the-balance/">ancienne ville rebelle reconquise dans la plus grande violence par le Hezbollah et les milices chiites en 2013</a>, interroge. Décrite comme apolitique et humanitaire, cette visite officielle de la « ville vitrine » d’Assad a adoubé la stratégie du régime : à al-Qusayr, en 2019, le <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-security-qusayr-idUSKCN1U20LP">retour des réfugiés escortés par le Hezbollah</a> constitua une étape clé du discours officiel décrivant une Syrie désormais stabilisée et sûre. La présence du représentant de l’UE ne s’opposait pas non plus à la <a href="https://harmoon.org/wp-content/uploads/2017/04/Demographic-change-in-Syria-fr.pdf">stratégie de changement démographique</a> mise en place dans cette région par le Hezbollah sur une base sectaire, visant à fortifier et protéger une « <a href="https://harmoon.org/wp-content/uploads/2017/04/Demographic-change-in-Syria-fr.pdf">Syrie utile</a> ».</p>
<p>Enfin, le plan implémenté par les agences internationales n’est pas sans conséquences dramatiques pour les Syriens en quête de justice et de responsabilisation des coupables : la reconstruction peut conduire à l’effacement de crimes de guerre, par exemple dans le cas des <a href="https://www.hrw.org/report/2013/06/05/safe-no-more/students-and-schools-under-attack-syria">écoles bombardées par le régime</a>.</p>
<p>En conséquence, la stratégie actuelle de l’ONU et de l’UE doit être remise en cause de manière à ce que, à l’avenir, elle s’appuie sur des intermédiaires locaux de confiance, et fasse de ces derniers un élément central de la résolution du conflit. Une telle action limitera la fuite des fonds européens, la corruption et la cooptation des aides humanitaires, ainsi que le processus de normalisation des relations avec le régime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192144/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élise Daniaud a reçu un contrat doctoral de l'université LUISS Guido Carli. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yahia Hakoum a reçu une bourse de recherche. </span></em></p>Au nom de la volonté de contribuer à la reconstruction de la Syrie, l’UE est-elle en train de réhabiliter Bachar Al-Assad ?Élise Daniaud, PhD candidate on Syria/Russia/Middle-East, LUISS Universita Guido CarliYahia Hakoum, Chercheur au Centre de Recherches Internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865172022-10-30T19:56:31Z2022-10-30T19:56:31ZLes enjeux sécuritaires de la Coupe du Monde au Qatar<p>Régime <a href="https://www.puf.com/content/Al_Jazeera_Libert%C3%A9_dexpression_et_p%C3%A9tromonarchie">« rentier, oligarchique et clientéliste »</a>), le Qatar a, comme l’explique le chercheur <a href="http://dx.org/10.1080/19406940.2014.966135">Danyel Reiche</a>, mis en place une politique de <em>soft power</em> par le sport. Celle-ci, initiée à partir de 1995 après la prise de pouvoir du cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, a été renforcée en 2008 par la <a href="https://www.gco.gov.qa/en/about-qatar/national-vision2030/">Qatar National Vision 2030</a>, un programme ayant pour objectif à la fois de renforcer la sécurité nationale et de garantir le maintien au pouvoir de la famille régnante.</p>
<p>C’est dans ce cadre que, du 20 novembre au 18 décembre (<a href="http://www.dohaaccueil.com/IMG/pdf/fete_nationale.pdf">jour de fête nationale</a>), le Qatar accueillera la 22<sup>e</sup> Coupe du monde FIFA. De vives polémiques ont agité les années séparant l’attribution de la compétition (2010) – controversée et entachée de <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2021/11/19/coupe-du-monde-de-football-2022-l-ombre-tenace-du-soupcon-sur-l-attribution-du-mondial-au-qatar_6102856_1616938.html">soupçons de corruption</a> – de son organisation. Ces polémiques portent notamment sur le <a href="http://www.2022mag.com/qatar-les-couts-du-mondial-2022/">coût des travaux</a> estimé à 200 milliards de dollars ; sur <a href="https://www.geo.fr/environnement/coupe-du-monde-de-football-au-qatar-un-signal-desastreux-pour-la-planete-209896">l’empreinte écologique</a> de l’événement, bien que ce sera le Mondial géographiquement le plus ramassé depuis le tout premier, organisé en 1930 à Montevideo ; sur les conditions de travail sur les chantiers, <a href="https://information.tv5monde.com/info/mondial-2022-des-ouvriers-reduits-en-esclavage-au-qatar-25602">quasi esclavagistes</a> et le <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/23/revealed-migrant-worker-deaths-qatar-fifa-world-cup-2022">nombre de décès d’ouvriers, pointés en particulier par une enquête du <em>Guardian</em></a>… Liste non exhaustive.</p>
<p>Toutes ces questions sont tout à fait pertinentes mais, à l’approche du Mondial, d’autres interrogations importantes émergent, ayant trait à l’accueil des supporters, ainsi qu’à la sécurité globale.</p>
<h2>Un afflux de touristes inédit</h2>
<p>Le Qatar accueillera durant la Coupe du Monde près de 1,5 million de touristes, pour une population totale de 2,9 millions de personnes (dont 90 % d’immigrés, parmi lesquels Gianni Infantino, le président de la FIFA, qui s’y est <a href="https://information.tv5monde.com/info/gianni-infantino-vit-desormais-au-qatar-un-mauvais-signe-pour-le-football-440800">récemment installé</a> !), sur un territoire équivalent à la région Île-de-France.</p>
<p>Ce Mondial est un important enjeu touristique pour un pays qui accueillait près de 3 millions de touristes par an au milieu des années 2010 (avant le blocus de 2017 et la crise du Covid) Ces supporters se concentreront sur un périmètre très réduit : sept des huit stades se trouvent à Doha ou dans un rayon de 20 km (à Al-Rayyan et Al-Wakrah), et seulement 75 km séparent le stade le plus au Nord (à Al-Khor) de celui le plus au Sud (à Al-Wakrah).</p>
<p>La première partie de la compétition (du 21 novembre au 2 décembre) sera très sensible puisque la phase de poules verra se jouer 48 rencontres, soit quatre par jour, impliquant des déplacements massifs et incessants de huit cohortes de supporters, au contraire des Coupes précédentes où seuls deux équipes et leurs fans se trouvaient simultanément dans une même ville.</p>
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<p>La gestion des flux des foules sera donc un gros enjeu. Helmut Spahn, le directeur de la sécurité de la FIFA, estime que 350 000 supporters seront réunis en même temps à Doha, mais <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Les-foules-plus-gros-enjeu-de-la-coupe-du-monde-au-qatar/1334474">se montre toutefois confiant</a> :</p>
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<p>« Il faut gérer ça. Mais nous pouvons faire l’histoire et je suis presque sûr que nous y arriverons. »</p>
</blockquote>
<p>Alors qu’il se trouvera pendant cinq semaines sous les yeux des médias du monde, le Qatar ne peut se permettre le moindre faux pas en matière de sécurité. De ce point de vue, il y a deux enjeux majeurs : la sécurité dans l’espace public et dans les stades ; et la lutte contre le terrorisme.</p>
<h2>Sécurité dans l’espace public</h2>
<p>Comment contrôler durant plusieurs semaines ces foules qui, à la différence des très nombreux travailleurs immigrés se trouvant en permanence dans le pays, disposeront de liquidités financières conséquentes puisque les prix du transport aérien et des hôtels sont très élevés, et de beaucoup de temps libre ?</p>
<p>Certains éléments de réponse à cette question ont fait l’objet de nombreuses prises de parole, informations et, aussi, fake news. Ainsi du comportement individuel et collectif dans l’espace public : il est vrai que les <a href="https://www.dohaaccueil.com/Savoir-vivre-et-coutumes">traditions vestimentaires locales exigent la couverture du corps</a>, même si une <a href="https://www.familytravel-middleeast.com/what-to-wear-in-doha-qatar/">certaine tolérance est accordée aux touristes</a>, et les démonstrations d’affection en public heurtent les valeurs culturelles locales et sont proscrites ; quant à la consommation d’alcool et l’ébriété sur la voie publique, elles sont punies par la loi. Toutefois, il est possible de se procurer de l’alcool dans certains restaurants et hôtels internationaux, et la FIFA a annoncé qu’il sera <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Coupe-du-monde-2022-la-vente-de-biere-autorisee-trois-heures-avant-les-matches/1351908">possible de se procurer de la bière</a> du principal sponsor dans les fan zones trois heures avant et une heure après les matches.</p>
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<p>Il y a peu, une information s’est répandue suite à un <a href="https://www.dailystar.co.uk/sport/football/world-cup-sex-ban-horny-27268714">article du tabloïd <em>Daily Star</em></a>, selon lequel les relations sexuelles hors mariage seraient totalement interdites. Elles le sont effectivement, mais dans la réalité bien peu d’hôtels se préoccupent de la question en demandant un certificat de mariage aux couples, car le personnel est quasi exclusivement étranger.</p>
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<p>En revanche, il est vrai que l’homosexualité n’est pas tolérée au Qatar. Elle tombe <a href="https://www.humandignitytrust.org/country-profile/qatar/">sous le coup de la loi</a> et les personnes reconnues coupables sont passibles de sept ans de prison.</p>
<p>La FIFA <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/moyen-orient/desintox-non-le-qatar-ne-prohibera-pas-les-relations-amoureuses-hors-mariage-pendant-la-coupe-du-monde-de-football_5225215.html">assure toutefois</a> qu’elle s’engage avec le Qatar à « garantir la sécurité et l’accueil chaleureux de tous les participants à la Coupe du Monde de la Fifa. Cela implique de veiller à ce que les activités des forces de l’ordre liées à la Coupe du Monde de la Fifa soient strictement nécessaires et proportionnées. Comme cela a été le cas lors de plusieurs événements internationaux que le Qatar a accueillis, la vie privée des personnes sera respectée. »</p>
<p>Toutefois, les autorités qataries ne s’y sont pas formellement engagées, et des démonstrations ostensibles <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/je-me-suis-dit-que-je-serais-tue-si-quelquun-savait-un-qatari-parle-de-son-homosexualite-a-visage-decouvert-une-premiere-20220523_JQO37KUGOBGNBEV5VQWQNJRB2M">heurteraient les nationaux</a> au point de troubler l’ordre public.</p>
<h2>Coopération sécuritaire internationale</h2>
<p>Si la conférence <a href="https://www.marhaba.qa/qatar-hosts-last-mile-security-conference-for-fifa-world-cup-qatar-2022/">« Le dernier mile de la Coupe du Monde Qatar FIFA-2022 »</a> s’est tenue en mai à Doha, en présence de responsables de la sécurité représentant chacun des 32 qualifiés, le Qatar développe de longue date des coopérations pour relever certains défis tels que la gestion de la menace terroriste, le hooliganisme, les mouvements de foule, les cyberattaques, ainsi que certaines problématiques que les autorités locales ont peu l’habitude de gérer : contrefaçon, consommation d’alcool, actions d’organisations contestataires… </p>
<p>Contrairement aux autres pays arabes du Golfe, le Qatar est en bons termes avec l’Iran, avec qui il partage le North Dome, plus grand gisement de gaz au monde, Téhéran étant même venu à son secours alimentaire lors du blocus de 2017, il est a priori peu probable qu’une attaque vienne d’ici, d’autant plus que l’équipe nationale participe au Mondial. Cependant, du fait que le Qatar a joué les médiateurs lors de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, une éventuelle menace djihadiste pourrait venir de groupes basés dans ce pays tels que l’Organisation de l’État Islamique-Khorasan, redevenue plus active depuis le départ des Américains et qui a récemment perpétré des attentats à Kaboul et Herat et <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220813-afghanistan-un-an-apr %C3 %A8s-la-chute-de-kaboul-l-organisation- %C3 %A9tat-islamique-en-embuscade">s’oppose au pouvoir taliban</a>. </p>
<p>Toutefois, aucune menace n’a été proférée. Enfin, last but not least, un rapport commandé en 2010 par le Français Jérôme Vlacke, alors Secrétaire général de la FIFA, notait que la proximité du Qatar avec des pays ayant une présence d’Al-Qaida et son projet d’entasser des millions de fans et les joueurs dans une <a href="https://english.alarabiya.net/sports/2014/06/15/Fifa-ignored-Qatar-terror-risk-ranking-report">zone très centralisée en faisait un lieu à haut risque…</a></p>
<p>Sur ce point, la coopération avec la France (initiée dès les Jeux asiatiques de Doha en 2006) se concrétise en 2019 lors d’une visite au Qatar du premier ministre français de l’époque, Édouard Philippe, puis par un <a href="https://www.francsjeux.com/breves/un-accord-entre-paris-et-doha-sur-la-securite">accord signé à Doha le 21 mars 2021</a>. Le Qatar est alors qualifié de « partenaire stratégique pour la France ». Un <a href="https://www.senat.fr/rap/l21-462/l21-4621.pdf">projet de loi au Sénat</a> en résulte, portant sur les aspects suivants : planification, contre-terrorisme, gestion de l’ordre public, renseignement, sécurité des installations sportives, sécurité des mobilités, moyens spéciaux terrestres, moyens aériens, cybersécurité, sécurité civile.</p>
<p>Des missions d’assistance et de formation seront réalisées auprès des forces intérieures locales (échange d’informations, envoi d’experts et de spécialistes, entraînements en commun). Sont prévus aussi le déploiement de gendarmes, policiers et sapeurs-pompiers, et la mise à disposition de matériels, équipements, véhicules et engins.</p>
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<p>Autre coopération, <a href="https://www.trtfrancais.com/actualites/turquie-et-qatar-discutent-de-la-securisation-de-la-coupe-du-monde-9063168">avec la Turquie</a>, qui a formé 677 membres du personnel de sécurité qataris dans 38 domaines, et déploiera 3 000 policiers anti-émeute, 100 membres des forces spéciales, 50 chiens de détection de bombes et leurs opérateurs, et 50 experts en bombes.</p>
<p>De son côté, le <a href="https://afriqueitnews.com/tech-media/maroc-enverra-equipe-experts-cybersecurite-qatar-coupe-monde-football-2022/">Maroc enverra une équipe d’experts en cybersécurité pendant l’événement</a>, ainsi que plusieurs milliers d’agents pour gérer les foules et éviter les débordements.</p>
<p>Par ailleurs, la Royal Air Force et la Royal Navy britanniques <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2022/05/28/british-army-provide-counter-terror-policing-qatar-world-cup/">fourniront la police antiterroriste</a>, et les États alliés que sont le Royaume-Uni et le Qatar uniront leurs forces au sein d’un Joint Typhoon Squadron pour assurer la police de l’air dans le ciel. De leur côté, les États-Unis (qui disposent, à <a href="https://militarybases.com/overseas/qatar/al-udeid/">Al-Udeid, de leur plus grande base militaire au Moyen-Orient)</a>, participeront à la formation des agents dans les aéroports et à la cybersécurité.</p>
<p>Enfin, l’OTAN <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_196994.htm">apportera son soutien sécuritaire</a> par une formation contre les menaces posées par les matières chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN), par une seconde concernant la protection des personnes importantes (VIP), et une troisième pour contrer les menaces posées par les engins explosifs improvisés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/psg-manchester-city-si-loin-du-golfe-si-proche-du-golfe-168728">PSG–Manchester City : si loin du Golfe, si proche du Golfe</a>
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<h2>La sécurité est aussi un enjeu de communication</h2>
<p>Le Qatar précise que, pendant le tournoi, un centre de coopération policière internationale sera présent afin de prévenir tout incident. Aussi, le directeur de la sécurité de la FIFA estime-t-il que le risque terroriste est « faible et sous contrôle » comparé aux Coupes du monde précédentes :</p>
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<p>« Nous avons eu des menaces d’attaque terroriste avant un Mondial, des grèves dans la sécurité privée et la police, parfois des problèmes d’infrastructures dans des stades qui n’étaient pas prêts. Ça n’est pas le cas ici. »</p>
</blockquote>
<p>L’accueil du Mondial 2022 est un enjeu d’image considérable pour le Qatar, d’où ces coopérations sécuritaires internationales. D’où, aussi, ces discours de tolérance dont on ne sait s’ils se concrétiseront positivement durant l’événement.</p>
<p>Les vives critiques subies depuis des années en ce qui concerne le non-respect des droits humains et des travailleurs ainsi que l’intolérance des mœurs mettent en évidence la face noire du pays. Tout incident relevant de ces questions pourrait <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2018-2-page-169.htm">brouiller le message</a> que le Qatar destine au monde concernant la qualité de l’accueil et la tolérance, composants essentiels d’une stratégie d’attractivité touristique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Raspaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’approche de la Coupe du Monde 2022 dans un pays aussi controversé que le Qatar, des questions se posent quant aux enjeux sécuritaires et à la coopération internationale.Michel Raspaud, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1922852022-10-26T18:34:37Z2022-10-26T18:34:37ZBonnes feuilles : « La Syrie au-delà de la guerre. Histoire, politique, société »<p><em>Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/syrie-dela-de-guerre/">La Syrie au-delà de la guerre : Histoire, politique, société</a>, publié aux éditions Le Cavalier Bleu, Manon-Nour Tannous évalue la justesse de nombreuses idées reçues très répandues – pas nécessairement totalement erronées pour autant – sur la Syrie, plongée depuis 2011 dans une guerre d’une grande violence, qui a déjà causé plusieurs centaines de milliers de morts et contraint des millions de personnes à quitter leur foyer. L’une de ces idées reçues a trait à la relation du régime de Damas avec Moscou. Nous présentons ici le chapitre de l’ouvrage qui examine l’assertion « La Syrie et la Russie sont liées par une alliance stratégique » en analysant la relation bilatérale de l’époque de la guerre froide jusqu’aux développements les plus récents.</em></p>
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<p>« Il était devenu évident que les forces au pouvoir étaient prêtes à développer des relations étroites avec l’URSS. Cependant, les relations entre les deux pays n’ont vraiment décollé qu’en 1970, avec l’ascension d’un régime encore plus radical sous Hafez Assad. […] La Syrie de Hafez Assad était devenue le pilier de la politique soviétique au Moyen-Orient. » (Yevgeny Primakov, ancien ministre des Affaires étrangères et premier ministre russe, <a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2009-12-19/russia-and-arabs-behind-scenes-middle-east-cold-war-present">« Russia and the Arabs »</a>, 2009.)</p>
</blockquote>
<p>L’URSS est l’un des premiers pays à reconnaître la Syrie comme État nouvellement indépendant en 1943, la même année que les États-Unis, tous deux faisant pression pour la fin du <a href="https://books.openedition.org/ifpo/3204?lang=fr">mandat français</a>. Soucieuse de son indépendance, la Syrie se méfie pourtant de ces puissances qui reconnaissent par ailleurs la création de l’État d’Israël en 1948, et préfère dans un premier temps construire sa politique étrangère en multipliant les accords avec diverses nations, poursuivant un principe de neutralité (<em>hiyâd</em>).</p>
<p>L’imposition des logiques de Guerre froide au Moyen-Orient fait pourtant bouger le curseur. L’année 1955 constitue à ce titre un tournant. Face au <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-de-Bagdad.html">pacte de Bagdad</a> pro-occidental annoncé en février incluant entre autres la Turquie et l’Irak, et revenant de la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1458">conférence de Bandung des nations afro-asiatiques</a>, la classe politique syrienne oscille entre neutralisme et ouverture à l’est. Une première délégation parlementaire syrienne se rend à Moscou et la Syrie signe son premier accord d’armement avec un pays du bloc communiste, la Tchécoslovaquie. En 1957, l’énonciation de la <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1958_num_4_1_1369">doctrine Eisenhower</a>, qui promet une aide à tout pays de la région luttant contre le communisme, précipite ces choix. </p>
<p>Le 6 août, la Syrie conclut un accord de coopération avec l’URSS, destiné à soutenir les efforts de développement du pays (irrigation, transports, industrie). Le soupçon d’un volet militaire à cet accord (<a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100429600">Carrère d’Encausse, 1975</a>) conduit les Américains à l’interpréter comme un basculement de la Syrie dans le camp soviétique. Les autorités syriennes annoncent par ailleurs la découverte d’une tentative de coup d’État soutenue par les Américains et refusent un prêt de la Banque mondiale assorti de conditions occidentales inacceptables pour sa souveraineté.</p>
<p>En fait, si la classe politique intègre peu à peu une grille de lecture bipolaire des événements régionaux, l’appui du bloc socialiste est une alliance sans contenu idéologique, ce qui la rend compatible avec le neutralisme revendiqué. Quant à l’URSS, son soutien aux régimes progressistes est un levier pour affaiblir le bloc occidental. Contrairement à Staline, Khrouchtchev est convaincu que l’affrontement entre les deux Grands ne se joue plus seulement en Europe, mais au Moyen-Orient. L’Égypte et la Syrie constituent les deux piliers de cette tactique qui se construit par tâtonnements. Le nationalisme arabe de ces pays s’exprime en premier lieu contre les anciennes puissances coloniales et le bloc occidental, sans empêcher l’expression d’intérêts nationaux (<a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2009-12-19/russia-and-arabs-behind-scenes-middle-east-cold-war-present">Primakov, 2009</a>). Ce sont donc des relations classiques d’État à État qui se dessinent.</p>
<p>Le conflit israélo-arabe devient par ailleurs structurant dans les relations bilatérales. La Syrie module son alliance avec l’URSS en fonction de l’engagement de cette dernière, et Moscou conçoit ce conflit sous l’angle de son rapport avec les États-Unis. En 1956, alors que le président syrien Chukri Al-Quwatli se trouve à Moscou, la nationalisation de la compagnie du canal de Suez par Nasser puis l’intervention anglo-franco-israélienne contre l’Égypte figurent comme un test de confiance. Pour la première fois, l’URSS soutient diplomatiquement les positions arabes. Cette position est confirmée lors de la guerre de 1967 : Moscou œuvre aux Nations unies pour imposer un cessez-le-feu, puis remplace le matériel militaire syrien et égyptien et envoie entre 2 000 et 3 000 conseillers militaires pour former leurs homologues mais aussi éviter la préparation d’une nouvelle guerre.</p>
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<p>En 1970, le président Salah Jadid, favorable à l’alliance soviétique, est renversé par Hafez Al-Assad qui inspire à Moscou une certaine méfiance. Avant son arrivée au pouvoir, en tant que ministre de la Défense, il déplorait la dépendance économique de son pays envers l’URSS, permise par l’aile gauche du parti Ba’th au pouvoir, au détriment selon lui du développement militaire. Il donne cependant rapidement des gages en se rendant à Moscou dès février 1971, en intégrant les communistes syriens au Front progressiste et en confirmant une politique anti-impérialiste.</p>
<p>La même année, l’URSS désireuse de renforcer sa présence avec la V<sup>e</sup> escadre (<em>Pyataya Eskadra</em>) face à la VI<sup>e</sup> flotte américaine en Méditerranée, négocie l’accès aux bases de Tartous et Lattaquieh. La Syrie prend en outre une place stratégique dans la politique régionale de l’URSS, à mesure que l’Égypte d’Anouar Al-Sadate se rapproche des États-Unis, dans les suites de la guerre de 1973. L’URSS aide à construire des infrastructures, comme le barrage sur l’Euphrate. Le rapprochement de la Syrie est également notable avec d’autres pays du bloc Est comme la Tchécoslovaquie et la RDA, cette dernière assurant en 1985 les trois quarts de la production syrienne en ciment. La porosité entre les sociétés se manifeste enfin par l’augmentation du nombre de mariages mixtes syro-russes.</p>
<p>Malgré des désaccords sur les questions irakienne, libanaise et palestinienne – l’ancien ministre des Affaires étrangères Yevgeny Primakov (2009) explique notamment que la ligne anti-Arafat ne peut être suivie par Moscou –, les deux pays signent un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/10/10/signe-par-le-president-assad-a-moscou-le-traite-sovieto-syrien-ne-va-pas-plus-loin-que-les-accords-conclus-avec-d-autres-pays-du-tiers-monde_3146286_1819218.html">traité d’amitié en 1980</a>, alors que l’URSS est fragilisée par son intervention en Afghanistan et sa mise à l’écart du processus de Camp David parrainé par les États-Unis.</p>
<p>Mais il serait erroné de lire la relation syro-soviétique comme dictée par le partenaire le plus puissant. Contrairement à l’Irak et l’Égypte, la Syrie a résisté pendant dix ans aux pressions russes pour signer ce traité. La politique étrangère de Hafez Al-Assad rend son concours indispensable et son contournement potentiellement nuisible. Cela relève en partie de ce que Jean-Pierre Filiu résume par la notion de <em>tawrît</em>, qui désigne dans un tandem le processus par lequel la partie locale, « faible », attire à son profit son puissant allié extérieur dans les affaires régionales (<a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-nouveau-moyen-orient-9782213671673">Filiu, 2013</a>).</p>
<p>En se faisant adopter par de puissants parrains, la Syrie des années 1970 et 1980 ne cède en rien de sa souveraineté ou de sa marge de manœuvre. Ainsi, la Russie peine à transformer son soutien en influence, et Assad reste attentif aux éventuelles ouvertures américaines (comme la visite du président Nixon en 1974 rétablissant les relations diplomatiques interrompues en 1967, ou celle de l’ancien président Jimmy Carter en 1987, juste avant la visite d’Assad à Moscou) (<a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-1-349-11482-5">Karsh, 1991</a>). Pays débiteur, la Syrie diffère en outre chaque année les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00263206.2022.2081556">remboursements de sa dette</a> contractée envers l’URSS. Au milieu des années 1980, celle-ci s’élève à 4 milliards de dollars de dette civile (soit un quart du PIB syrien) et au moins 8 milliards de dettes militaire. Elle sera finalement effacée aux trois quarts en 2005.</p>
<p>Mais avec l’arrivée de Gorbatchev et la perestroïka, l’URSS cherche à diversifier ses alliances et à rationaliser son aide à la Syrie pour la diriger vers les secteurs productifs comme l’industrie textile. Moscou signifie par ailleurs à Assad qu’il ne doit plus s’attendre à être soutenu dans son objectif de « parité stratégique » avec Israël et, s’inquiétant des capacités de remboursement de Damas, reconsidère le montant de son aide économique et militaire.</p>
<p>Dès lors, le président syrien modifie la configuration de ses alliances. La guerre du Golfe (1990–1991) puis le <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-le-processus-de-barcelone/">processus de Barcelone</a> (1995) sont l’occasion de donner des gages aux États-Unis d’une part, à l’Europe d’autre part. Il en tire des bénéfices économiques (l’Europe lève les sanctions mises en place en 1987) et une crédibilité stratégique susceptible de conforter son successeur.</p>
<p>Le rôle de la Russie redevient central à la faveur de la crise que traverse le régime à partir de 2011. À la veille du soulèvement, en mai 2010, Dmitri Medvedev effectue la première visite d’un chef d’État russe en Syrie. L’année suivante, il se défend d’être l’allié d’Assad, soulignant la nécessité de changements, mais durcit sa position suite à l’intervention de l’OTAN en Libye. Il soutient d’abord le régime sur les plans économique et politique. Le veto russe bloque toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies dont l’objet est de condamner la répression.</p>
<p>La négociation politique menée par Vladimir Poutine, redevenu président en 2012, avec Barack Obama permet en outre d’éviter une riposte occidentale après l’emploi d’armes chimiques en août 2013, pourtant qualifié par ce dernier de « ligne rouge » à ne pas franchir. Sur le plan militaire, après l’envoi de conseillers, la Russie engage directement ses forces, notamment aériennes, à partir de septembre 2015. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, elle cible prioritairement les groupes d’opposition les plus crédibles pour incarner une alternative à l’autoritarisme et sauve le régime au bord de l’effondrement. Cette intervention modifie en profondeur le rapport de force entre les grandes puissances sur la crise syrienne. Sur le plan diplomatique, les négociations se déroulent dès 2017 dans l’espace d’influence de la Russie (Astana et Sotchi). Supposée permettre d’ouvrir les possibles faces aux négociations onusiennes bloquées à Genève, à la manière d’une <em>track-two diplomacy</em> (un canal diplomatique parallèle), cette médiation russe symbolise l’évolution du centre de gravité en faveur du régime syrien.</p>
<p>Cet engagement trouve un premier élément d’explication en étant mis en parallèle avec la crise ukrainienne, les guerres de Tchétchénie et les révolutions de couleur. Il s’agit d’une répulsion russe pour tout soulèvement populaire, en particulier s’il peut donner l’avantage soit à l’Islam politique, soit à des acteurs pro-occidentaux. La position stratégique du port de Tartous, seul accès russe aux mers chaudes et base pour renforcer les capacités opérationnelles et de projection de la Russie (même s’il était largement inactif avant 2011), ou encore l’utilisation de la guerre en Syrie comme vitrine pour une industrie de défense en expansion (plus de 200 types d’armes russes auraient été déployés en Syrie en 2018) contiennent également une part de dimension explicative.</p>
<p>Mais l’intérêt essentiel pour Moscou est l’instrumentalisation de la crise comme tremplin pour une restauration internationale. Bien avant la guerre en Ukraine, Poutine parvient à la redéfinition tant attendue de ses rapports avec les États-Unis. Celle-ci se fait sur la défense de nouveaux principes à même de convaincre nombre de gouvernements des pays du sud, las de l’unilatéralisme occidental : une approche restrictive de la souveraineté impliquant la non-ingérence, même en cas de crimes contre des civils, et l’opposition à tout changement de régime.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « La Syrie au-delà de la guerre Histoire, politique, société », paru récemment aux éditions Le Cavalier Bleu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/syrie-dela-de-guerre/">Le Cavalier Bleu</a></span>
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<p>Si cette alliance a permis la reconquête militaire par le régime, la pérennité politique de la solution russe est plus incertaine. Concentrée sur la refonte des appareils de sécurité syriens, Moscou doit attirer des partenaires pour financer la reconstruction, c’est-à-dire trouver un terrain d’entente minimal avec les Occidentaux sans perdre le gain de son investissement auprès de Bachar Al-Assad. L’estime envers le dirigeant syrien est en outre ostensiblement absente, ce dernier faisant de plus en plus l’objet de critiques dans la presse pro-russe, notamment sur le thème de la corruption, et étant contraint d’accepter régulièrement un cérémoniel vexatoire lors de ses interactions avec son protecteur russe.</p>
<p>Si les effets de mémoire peuvent jouer des tours à l’analyse, tant les enjeux évoluent, la relation syro-russe reste donc stratégique. Moscou a sauvé un régime allié et aujourd’hui vassal. C’est dans ces conditions qu’elle a pérennisé sa présence militaire par un <a href="http://www.opex360.com/2017/12/21/deputes-russes-approuvent-laccord-base-navale-de-tartous-syrie/">accord en 2017</a>, concernant la base navale de Tartous (agrandissement et bail de 49 ans renouvelable) et la base aérienne Hmeimim. Sa politique a placé le régime syrien dans une situation de dépendance et de redevabilité inédites, fort éloignée de la rhétorique sur la souveraineté qu’il continue à mobiliser pour sa propre légitimation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192285/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon-Nour Tannous ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proximité entre Damas et Moscou, qui remonte à la guerre froide, s’est dernièrement muée en une véritable relation de vassalité.Manon-Nour Tannous, Docteure en relations internationales, maitre de conférences en Science politique, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921562022-10-19T17:08:36Z2022-10-19T17:08:36ZIran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes<p>Depuis un mois maintenant, les <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221013-mort-de-mahsa-amini-un-mois-de-manifestations-et-de-r%C3%A9pression-en-iran">manifestations se poursuivent en Iran</a> suite au décès de Mahsa Amini, 22 ans, battue à mort par la police des mœurs le 13 septembre.</p>
<p>Ces protestations, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/iran/iran-plus-de-100-morts-depuis-le-debut-des-manifestations-et-plus-de-120-arrestations-6866aca2-4a0d-11ed-9784-e9ad79cbd945">sévèrement réprimées par le régime</a>, portaient initialement sur les droits des femmes. Mais, rapidement, d’autres revendications s’y sont ajoutées. Mieux le comprendre nécessite une approche intersectionnelle, car nous assistons à une convergence des luttes sociales derrière la cause des femmes : celle-ci va de pair avec l’apparition d’une nouvelle génération militante, de nouvelles revendications et de nouvelles formes d’action.</p>
<h2>Un soulèvement au nom de la cause des femmes</h2>
<p>Lors de la cérémonie de funérailles de Mahsa Amini, plusieurs femmes auraient ôté leur voile scandant le slogan « Jin Jiyan Azadi » (Femme Vie Liberté) afin de protester contre la loi imposant en toutes circonstances le port du hidjab. Très vite, ce slogan a été repris à travers le pays, notamment dans les universités de <a href="https://observers.france24.com/fr/moyen-orient/20221004-iran-manifestation-femmes-%C3%A9tudiants-r%C3%A9gime-universit%C3%A9-sharif-islam">Téhéran</a>, comme ElmoSanat, et de <a href="https://atalayar.com/fr/content/les-protestations-en-iran-setendent-aux-universites-et-aux-ecoles">Tabriz</a>. Ces manifestations ont suscité une <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4003506-20221003-iran-repression-manifestation-prestigieuse-universite">réponse violente du régime</a>.</p>
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<p>Rappelons que l’obligation du hidjab en tant que question religieuse, politique et idéologique peut être considérée comme le <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">symbole de la politique répressive et inégalitaire</a> mise en œuvre en Iran dès le lendemain de la révolution de 1979 : les femmes font l’objet depuis plus de quarante ans de nombreuses mesures discriminatoires, qui les privent de nombre de leurs droits fondamentaux comme le droit de choisir leurs propres vêtements, le droit égal au divorce et à la garde des enfants, le droit de voyager à l’étranger, le droit d’être présentes dans certains espaces publics (tels les stades de football ou d’autres types de stades sportifs), le droit d’exercer certains métiers ou des postes clés comme président de la République, juge et plusieurs autres postes militaires et religieux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sportives-iraniennes-miroir-dun-pays-en-crise-132222">Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise</a>
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<p>C’est pourquoi des militantes féministes qualifient l’Iran actuel d’<a href="https://theconversation.com/le-regime-iranien-est-un-apartheid-des-genres-il-faut-le-denoncer-comme-tel-191465">apartheid des genres</a> et dénoncent la <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2019/10/07/la-segregation-sexuelle-jusque-dans-les-creches-en-iran/">« ségrégation sexuelle systématique »</a> qui y a cours.</p>
<p>Ces dénonciations ont été récurrentes – et toujours réprimées – tout au long des plus de quarante-trois ans d’existence de la République islamique. À partir de 2017, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de protestation (des protestations individuelles), portées par de nouvelles générations d’activistes féministes, et même à la mobilisation de divers groupes marginalisés et des hommes <a href="https://blogs.mediapart.fr/dornajavan/blog/210922/mahsa-amini-figure-des-luttes-pour-la-cause-des-femmes-en-iran">pour la cause des femmes</a>. Le 27 décembre 2017, Vida Movahed brandit un hidjab blanc, attaché au bout d’un bâton. Son geste a un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/02/01/les-iraniennes-tombent-le-voile_1626859/">grand impact en Iran</a> et d’autres femmes suivent son exemple dans d’autres villes, jusqu’à aujourd’hui.</p>
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<p>L’une des spécificités du mouvement actuel réside dans le fait qu’aux revendications féministes se mêlent aussi des exigences liées à une autre cause, d’ordre cette fois ethnique.</p>
<h2>La cause ethnique</h2>
<p>L’Iran est un pays pluriethnique dont l’ethnie dominante – c’est-à-dire les Perses, qui occupent plutôt le plateau central du pays – ne représente que 50 % de la population totale. Parmi les <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Nation-et-minorites-en-Iran-face-au-fait-minoritaire-quelle-reponse.html">autres grands groupes ethnolinguistiques</a>, citons les Turcs azerbaïdjanais (entre 20,6 et 24 %), les Kurdes (entre 7 et 10 %), les Arabes (entre 3 et 3,5 %), les Baloutches (entre 2 et 2,7 %), les Turkmènes (entre 0,6 et 2 %) et les Lors (entre 2 % et 8,8 %)…</p>
<p>Des <a href="https://journals.openedition.org/remmm/8438">tensions ethniques importantes</a> existent en Iran au moins depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, quand a été mise en place une politique assimilationniste qui s’est notamment soldée par une répression violente des minorités ethniques des provinces iraniennes d’Azerbaïdjan, du Kurdistan, du Turkménistan, du Khouzistân et du Baloutchistan. Ces violences reprennent après la Seconde Guerre mondiale, avec l’écrasement de la <a href="https://www.cairn.info/identites-et-politique--9782724616354-page-67.htm">République autonome d’Azerbaïdjan (juillet 1945 – décembre 1946)</a> et de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Mahabad">république de Mahabad</a> (janvier 1946–décembre 1946) au Kurdistan.</p>
<p>Après la révolution de 1979, ces tensions ont continué de se manifester, particulièrement <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article141">dans la province iranienne d’Azerbaïdjan</a> et au <a href="https://www.rferl.org/a/iran-khuzestan-poverty-separatism-bloody-war-memories/29515269.html">Khouzistân</a>.</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’interviennent les événements dont nous sommes aujourd’hui témoins. Après la médiatisation du décès de Mahsa Amini, qui était kurde, les partis d’opposition kurdes ont appelé les villes du Kurdistan iranien à <a href="https://kurdistan-au-feminin.fr/2022/10/12/iran-manifestations-greve-mahsa-amini-jina-amini/">se mettre en grève générale</a>. Un appel qui a été suivi le 17 septembre par les commerçants et les habitants de Saqqez, ville natale de Mahsa Amini, où des centaines de personnes avaient assisté à ses funérailles, et dans certaines petites et grandes villes de la région.</p>
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<p>La minorité azerbaïdjanaise d’Iran a <a href="https://twitter.com/Maenochehr/status/1572532887039385601?s=20&t=hszvdMpS5A_p7vxlr5nhaQ">rejoint le mouvement</a> et soutenu les Kurdes avec le slogan <a href="https://twitter.com/MehdiJalali/status/1572290797810192386?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">« l’Azerbaïdjan s’est réveillé et soutient le Kurdistan »</a>. Ce message de solidarité s’est propagé à d’autres régions et a mobilisé d’autres groupes ethnico-religieux comme les Arabes et les Baloutches.</p>
<p>Ce sont précisément les Baloutches qui ont payé le plus cher leur implication dans cette contestation. Le vendredi 30 septembre, une manifestation pacifique a été organisée par les minorités baloutches à Zahedan, ville de la province du Sistan-Baloutchistan dans le sud-est de l’Iran, en soutien aux Kurdes, mais aussi en protestation contre le viol d’une jeune fille baloutche de 15 ans par un chef de police dans la ville baloutche de Chabahar. La répression a été <a href="https://www.lejsl.com/defense-guerre-conflit/2022/10/06/manifestations-en-iran-que-s-est-il-passe-lors-du-vendredi-sanglant-a-zahedan">d’une immense violence</a> : près de 100 personnes auraient trouvé la mort. Un massacre que le régime justifie par la lutte contre le séparatisme.</p>
<h2>Nouvelles revendications, nouveaux acteurs</h2>
<p>De nouveaux acteurs apparaissent à travers cette révolte, à commencer par une nouvelle génération de militantes féministes avec un nouveau répertoire d’actions et un nouveau discours, et également une nouvelle génération appelée la <a href="https://observers.france24.com/fr/%C3%A9missions/les-observateurs/20221013-iran-la-g%C3%A9n%C3%A9ration-z-au-c%C5%93ur-des-manifestations">« génération Z »</a>, comme des <a href="https://www.marianne.net/monde/proche-orient/manifestations-en-iran-ecolieres-collegiennes-et-lyceennes-rejoignent-le-vent-de-la-revolte">jeunes lycéens ou collégiens</a>.</p>
<p>À partir de la deuxième semaine, des étudiants et lycéens ont commencé à manifester dans les universités, les lycées et collèges en scandant des slogans. Ce qui a poussé les forces de sécurité à attaquer des lycées lors de la quatrième semaine de manifestations. Lors de l’intervention policière du 13 octobre contre le lycée Shahed dans la ville d’Ardebil, au nord du pays, une lycéenne nommée <a href="https://twitter.com/yclaude/status/1581915315000475648">Esra Panahi</a> a été tuée et plusieurs dizaines de lycéennes ont été blessées et <a href="https://iranwire.com/en/politics/108607-schoolgirl-killed-in-custody-in-ardabil/">certaines arrêtées</a>, ce qui a déclenché des manifestations dans les <a href="https://iranwire.com/en/politics/108653-day-29-of-protests-fire-and-blood-from-ardabil-to-evin/">villes d’Ardabil et de Tabriz</a>. Plus de 1 700 personnes ont été arrêtées à Tabriz, selon Sina Yousefi, un avocat qui a été lui-même été <a href="https://twitter.com/ElyarKamrani/status/1581596620541788166?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">arrêté par le gouvernement suite à la diffusion de cette information</a>.</p>
<p>De nombreuses femmes écrivains ont également annoncé qu’elles ne publieraient plus de livres sous la tutelle et l’audit du ministère de la Culture et de l’orientation islamique, chargé d’autoriser ou non les productions culturelles. Dans une <a href="https://twitter.com/AhrazHumanRight/status/1577050129344868352?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">vidéo mise en ligne le 4 octobre</a>, Mahdieh Ahani, la directrice du magazine <em>Ban</em>, publié à Tabriz, se filmant tête nue, a brûlé son permis de travail devant la caméra tout en dénonçant l’obligation du hidjab et les mesures répressives envers les femmes, la censure et la liberté d’expression. De même, Atekeh Radjabi,une institutrice à Ahmadabad, s’est elle aussi <a href="https://twitter.com/CoordinatingA/status/1582396494291664896?t=Q2q0kl4JxP4246VS_ZDSOQ&s=03">filmée tête nue en déclarant faire la grève</a>.</p>
<p>Les étudiants ont également appelé à la grève dans de nombreuses universités chantant « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation », « Mort à l’oppresseur, qu’il soit roi ou mollah » et « Femme, vie, liberté ». Ils remettent en question d’une manière radicale non seulement les politiques et les lois imposées par le régime, mais aussi les normes et les valeurs culturelles, traditionnelles et religieuses instaurées dans la société iranienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1580743307537240065"}"></div></p>
<p>Leur contestation ne porte plus seulement sur l’obligation du port du voile : ils vont jusqu’à s’en prendre au <a href="https://www.letemps.ch/monde/iran-une-revolte-contre-fondements-republique-islamique">régime de la République islamique en tant que tel</a>, et ciblent le guide suprême Ali Khamenei, dont plusieurs photos accrochées dans les espaces publics ou dans les salles de cours, ont été brûlées et déchirées.</p>
<h2>Solidarités internationales et situation révolutionnaire</h2>
<p>Ces colères, largement diffusées à travers les réseaux sociaux, ont rapidement suscité des messages de solidarité adressés par de nombreuses femmes notamment en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/turquie/les-manifestations-en-turquie-en-soutient-des-femmes-iraniennes-se-poursuivent-6a93b402-4260-11ed-9fec-b3708b1f58fa">Turquie</a>, au <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1313372/a-beyrouth-des-femmes-manifestent-en-signe-de-solidarite-avec-les-rassemblements-pour-mahsa-amini-en-iran.html">Liban</a>, en <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/des-militants-se-rassemblent-en-syrie-pour-soutenir-les-manifestants-iraniens-CNT000001TpnoU.html">Syrie</a> et dans divers pays occidentaux, y compris en <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220930-des-f %C3 %A9ministes-fran %C3 %A7aises-apportent-leur-soutien-aux-iraniennes-qui-manifestent">France</a>.</p>
<p>L’ampleur de la mobilisation est telle qu’il est possible de parler de <a href="https://www.france24.com/fr/vid %C3 %A9o/20221014-contestation-en-iran-cette-situation-r %C3 %A9volutionnaire-va-durer">situation révolutionnaire</a>. Pour la première fois, la cause des femmes n’est pas minimisée au profit des autres luttes et revendications, mais se trouve <a href="https://reporterre.net/Revolte-en-Iran-Le-slogan-Femme-vie-liberte-est-un-cri-du-c%C5%93ur">au cœur de cette insurrection</a>, et s’articule aux luttes des minorités nationales, des groupes marginalisés, des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/23/en-iran-la-classe-moyenne-malmenee-par-une-inflation-galopante_6131737_3210.html">classes moyennes et populaires exaspérées par la situation politique et économique</a>, ainsi qu’aux luttes environnementales. C’est ainsi qu’elle conduit à un soulèvement exceptionnel à travers tout le pays, qui semble parti pour durer.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorna Javan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le combat des femmes est rejoint en Iran par d’autres revendications, notamment en provenance des minorités ethniques.Dorna Javan, Doctorante et Enseignant vacataire en science politique à IEP de Lyon, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.