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François Hollande, la non-candidature de l’Élysée

Le 1er décembre 2016, en direct de l'Élysée, François Hollande annonce qu'il ne se représentera pas. Olivier Morin/AFP

On évoque souvent la « dramaturgie » de la politique et notamment celle de l’élection présidentielle au suffrage direct. Cette élection, par la dimension de personnalisation qu’elle contient, favorise sans aucun doute l’expression de la dimension dramatique de la politique. Entre drame cornélien et tragédie antique, notre vie politique des deux ou trois dernières décennies a rendu plusieurs fois visible cette dimension.

Deux exemples marquant de cette dramaturgie pouvaient retenir jusqu’à présent l’attention. On pense au fameux « Au revoir » de Valéry Giscard d’Estaing, le 19 mai 1981, deux jours avant qu’il ne quitte l’Élysée suite à sa défaite face à François Mitterrand, prononcé à l’issue d’un discours à la tonalité dramatisante et après lequel le président se lève, laisse sa chaise vide, se dirige métaphoriquement vers la sortie tandis que retentit La Marseillaise.

Et il y a le « coup de tonnerre » du 21 avril 2002 et l’annonce de son retrait de la vie politique par Lionel Jospin, qui déclare « assumer pleinement la responsabilité de cet échec et en tirer les conclusions », tandis que retentissent dans la salle des cris de déception et de douleur et que le candidat s’exprime sur fond d’un panneau rouge, devant un pupitre marqué de son slogan de campagne « Présider autrement ».

Si les discours de ceux qui perdent les élections comportent toujours, comme pour Nicolas Sarkozy au soir du 6 mai 2012, une forte charge émotionnelle qui rappelle que la politique c’est un lien qui unit par les croyances, les valeurs et les affects les représentants et les représentés, les deux exemples précédents appartiennent à une catégorie à part : celle des évènements marqueurs associés à des images et des symboles qui restent longtemps dans la mémoire collective du pays.

En annonçant au soir du 1er décembre 2016 qu’il ne se représenterait pas aux suffrages des Français pour l’élection présidentielle de 2017, François Hollande vient de créer l’un de ces évènements marqueurs alors même qu’il a choisi pour le faire un registre de sobriété et de solennité.

Une rupture majeure

Les causes profondes et les causes de court terme de cette décision sont déjà bien connues. En premier lieu, François Hollande ne semblait plus disposer dans l’opinion publique et au sein de la gauche du ressort nécessaire pour capitaliser sur son bilan et aurait dû en passer par une primairequi aurait mis le président en exercice dans une posture impossible à tenir, le faisant « descendre dans l’arène ».

Il faut mentionner, par ailleurs, la situation créée ces dernières semaines par la publication du livre (au titre terrible : Un président ne devrait pas dire ça…) des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme et les réactions qu’elle suscita au sein de la gauche et même du gouvernement. Le paroxysme de la crise fut atteint au cours du week-end dernier lorsque le premier ministre donna une interview au JDD dans laquelle il manifestait clairement son souhait d’être candidat à la présidentielle.

Les lectures et les analyses que l’on peut faire de la décision de François Hollande sont très nombreuses et concernent des dimensions multiples de la vie politique française et de ses tendances récentes. Mais l’on peut déjà dire qu’il s’agit d’une décision qui « fera date » : il y aura bien dans notre vie politique un avant et un après 1er décembre 2016. En renonçant à se présenter, François Hollande introduit une rupture majeure dont on ne mesure pas encore tous les effets mais qui pèsera lourd sur les épaules des prochains présidents qui ne manqueront pas de connaître à leur tour l’impopularité et les divisions de leur camp.

Les paradoxes de la démocratie contemporaine

Sa décision révèle toute une série de paradoxes de nos démocraties contemporaines : les dirigeants politiques sont soumis aux injonctions contradictoires de la démocratie d’opinion (être populaires dans les sondages), de la transparence et de « l’accountability » (rendre des comptes) et des attentes de leurs électorats. Et ces attentes peuvent être elles-mêmes contradictoires.

Au-delà de toutes les dimensions dont cette décision est le produit tout autant que le reflet, et de ce qu’elle traduit des échecs relatifs ou pas de François Hollande, il faut souligner son caractère inédit et assez exemplaire. Et même en remercier François Hollande même si sa décision sonne comme un aveu d’échec politique aussi.

La défense de l’intérêt général

Si l’on observe les choses sous l’angle de la qualité du processus démocratique, on peut tout d’abord observer que non seulement François Hollande a utilisé pour annoncer sa décision un registre hyperminimaliste si on le compare aux précédents cas cités plus haut, mais qu’il a donné aux électeurs un contre-exemple de ce que ces derniers ne cessent de reprocher à leurs dirigeants : leur tendance à s’auto-excuser, à ne pas rendre compte, à re-candidater même si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

À l’Élysée, le 1ᵉʳ décembre 2016, quelques heures avant son allocution. Lionel Bonaventure/POOL/AFP

L’enquête que nous réalisons au CEVIPOF toutes les années depuis 2009, le Baromètre de la confiance politique, montre à quel point le discrédit des hommes politiques et la défiance politique sont devenus des données structurelles de la vie démocratique française. Dans le même temps, nos données montrent une attente vis-à-vis d’hommes politiques empathiques, non-centrés sur eux-mêmes et leur seule carrière et défendant l’intérêt général.

En prenant la décision de ne pas se présenter à la présidentielle de 2017, on peut espérer que François Hollande a introduit une brèche dans la spirale de négativité politique qui s’exprime depuis que, au milieu des années 1990, les hommes politiques ont donné le sentiment de ne plus avoir de prise sur les bouleversements liés à la globalisation des échanges économiques. Il aura poussé jusqu’à son terme le portrait en opposé qu’il a voulu donner de lui-même par rapport à son grand rival de la même génération, Nicolas Sarkozy.

« Ambitieux pour son pays, humble pour soi-même »

Alors même que l’on peut, sans doute à juste titre, lui reprocher des promesses non-tenues, des erreurs et une « inversion de la courbe du chômage » qui n’est là qu’en pointillé en toute fin de mandat, on peut également relire ou réécouter le fameux discours du Bourget. Il contient déjà une longue anaphore, sur le mode de « présider la République c’est… ». Parmi les phrases clefs de cette anaphore, on trouve cela :

« Présider la République enfin, c’est donner le meilleur de soi-même, sans jamais attendre en retour récompense ni même reconnaissance. C’est être ambitieux pour son pays et humble pour soi-même. C’est se donner pleinement, entièrement à la cause que l’on a choisie, la seule cause qui vaille : servir la France. Présider la République, c’est mettre toute la puissance de l’Etat au service des citoyens. C’est donner l’exemple, y compris dans son comportement et pour sa propre rémunération. »

Le prochain président, quel qu’il (ou elle) soit, ne pourra faire comme si le 1er décembre 2016 n’avait pas compté. La présidentielle de 2017 est décidément une élection qui porte à leur sommet les nombreuses tensions que connaît le système politique de la Ve république depuis quelques temps : des dirigeants de partis battus dans leurs primaires (Cécile Duflot et Nicolas Sarkozy), un candidat de droite sélectionné à l’issue d’une primaire fortement participative mais dont la sociologie est celle d’une France « d’en haut », un président sortant qui ne peut se représenter, une tripartition de l’espace idéologique (gauche, droite, FN) et un jeune candidat porté à un mouvement politique hors sol et d’un nouveau genre. De tout cela sortira un ensemble de questions que le nouveau Président n’aura pas intérêt à éluder.

Last but not least : dans son annonce de non-candidature, François Hollande a apporté sa dot dans la corbeille du futur candidat qui sera désigné par le primaire de la gauche : il a fortement cadré la future campagne électorale présidentielle sur la question de la défense du « modèle social français » et a ainsi, tout en se mettant hors champ, balisé la route. Les semaines qui arrivent – et surtout après la primaire de la fin janvier – montreront si ce balisage est ou pas opérant, et si l’affrontement gauche-droite sur cette question structure la présidentielle 2017.

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