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Fusion nucléaire : le secteur privé entre en course

Représentation 3D montrant un large anneau horizontal, entouré par une vingtaines d'anneaux verticaux qui convergent au centre de l'anneau large
Représentation 3D de la surface du plasma et des bobines de champ magnétique. Oak Ridge National Laboratory/Wikimedia Commons, CC BY

À l’heure actuelle, la totalité de l’énergie nucléaire mondiale (dont les 56 réacteurs nucléaires français) est basée sur le processus de fission nucléaire : un noyau d’uranium est scindé en particules plus petites, libérant ainsi de l’énergie. Mais il existe une autre façon de produire de l’énergie nucléaire : la fusion.

Il s’agit d’un processus selon lequel deux atomes s’assemblent pour former un atome plus lourd ; elle se produit notamment au cœur des étoiles. Les recherches pour maîtriser la fusion comme source d’énergie débutèrent dans les années 1950, mais la perspective de son utilisation industrielle reste éloignée.

Pourtant, alors qu’elle a longtemps été un domaine de recherche uniquement public, un nombre croissant d’acteurs privés se sont récemment engagés dans le domaine, promettant des réacteurs fonctionnels à des échelles de temps très courtes.

Pourquoi la fusion nucléaire ?

Les avantages potentiels de la fusion sont innombrables : très faibles émissions de CO2, pas de déchets radioactifs à haute activité et vie longue (des déchets à vie courte sont tout de même formés), un procédé intrinsèquement sûr car la réaction s’arrête quasi instantanément en cas de problème (un accident de type Tchernobyl est impossible). De plus, le combustible est très dense (un gramme de combustible contient autant d’énergie que 11 tonnes de charbon) et assez abondant pour durer des milliers d’années (les combustibles peuvent être extraits de l’eau de mer).

Du côté des inconvénients, la fusion requiert des conditions extrêmes, une température supérieure à 100 millions de degrés notamment. 10 fois plus que la température au cœur du Soleil !

Il existe en théorie différentes méthodes permettant d’atteindre les conditions nécessaires à la fusion. Dans tous les cas, induire le processus de fusion nécessite de chauffer puis maintenir un mélange à très haute température (on parle alors de plasma) et donc d’investir de l’énergie. Le défi du réacteur de fusion est donc de produire plus d’énergie que celle nécessaire à son fonctionnement : on parle de gain d’amplification.

Or, jusqu’à présent, un seuil d’amplification supérieur à 1 (on produit plus qu’on ne dépense) n’a toujours pas été atteint. Les recherches actuelles ont seulement permis d’atteindre un gain d’amplification de 0,7, c’est-à-dire que pour 100 joules d’énergie investie, la fusion en produit seulement 70. Pas encore assez pour une utilisation pratique.

La recherche publique

Ce record fut établi en 1997 par le tokamak JET en Angleterre, et il fut égalé en août 2021 au National Ignition Facility aux USA.

En réalité, une machine comme JET est trop petite et trop peu puissante pour atteindre un gain d’amplification supérieur à 1. Pour dépasser ce seuil, il a fallu lancer en 2006 le projet ITER, fruit de la collaboration de 35 pays. Actuellement en construction à Cadarache (Provence-Alpes-Côte d’Azur), ITER n’a pas vocation à produire d’électricité : il s’agit d’une pure expérience scientifique. Son but est – entre autres – de démontrer la faisabilité de la fusion, en visant un gain d’amplification de 10. Les premières expériences de fusion sont prévues pour 2035.

Pour la phase de démonstration industrielle, chaque pays élabore ses propres plans. L’Europe, prévoit un réacteur produisant de l’électricité dans les années 2050. La Corée du Sud et le Japon travaillent sur leurs propres concepts. Ces projets ont en commun des puissances électriques de plusieurs centaines de mégawatts, et des productions d’électricité après 2050. Cela correspond à la consommation électrique d’environ 1 million de français.

D’autres pays tentent d’aller plus vite. Le Royaume-Uni a récemment lancé le projet STEP (Spherical Tokamak for Electricity Production) qui vise à développer un réacteur en fonctionnement dans les années 2040. La Chine poursuit avec CFETR un ambitieux programme visant à démontrer la production électrique et de tritium dans les années 2040. Aux États-Unis, un rapport remis en 2020 à l’Académie des Sciences recommandait de mettre en place un programme visant un réacteur dans les années 2040.

L’émergence des entreprises privées

Depuis quelques années, des entreprises privées sont entrées dans la course et visent à fortement accélérer le développement de la fusion nucléaire. S’appuyant sur des équipes très qualifiées (CFS est ainsi issue du MIT), ces initiatives ont des approches plus agressives et audacieuses que la recherche publique.

Si l’on parle souvent de start-up, certaines de ces entreprises ont plus de 20 ans, telles TAE fondée en 1998 ou General Fusion fondée en 2002. En 2021, on compte plus de 25 entreprises privées lancées dans la course à la fusion, soit 4 fois plus qu’en 2008. Même la France compte une start-up, Renaissance Fusion, fondée en 2019.

Ces entreprises sont pour la plupart financées par des fonds d’investissement, et parfois soutenues par des grands noms tels Jeff Bezos (General Fusion) et Bill Gates (CFS). Deux d’entre elles, Helion Energy et Commonwealth Fusion System (CFS), se sont récemment illustrées en annonçant des levées de fonds de 500 millions et 1,8 milliard de dollars, respectivement. Le total des investissements cumulés dépasse dorénavant les 4 milliards de dollars… bien loin du budget national pour la recherche publique aux USA, qui était de 670 millions de dollars en 2020.

Graphique montrant l’évolution des investissements (en milliards de dollars) depuis 2020
Les investissements privés dans le domaine de la fusion nucléaire explosent depuis 2014. Greg de Temmerman, Author provided

Les plannings annoncés sont également très ambitieux : Helion annonce la production de quelques mégawatts électrique dès 2024, CFS vise à démontrer un gain d’amplification supérieur à 2 en 2025, General Fusion vise la commercialisation d’un réacteur dès 2030. Des dates qui contrastent avec celles espérées pour les initiatives publiques.

Si, aux USA, certaines de ces entreprises bénéficient de (modestes) financements publics leur permettant de collaborer avec les laboratoires nationaux, toutes développent et fabriquent leurs propres expériences et composants. Le nombre de brevets déposés a ainsi fortement augmenté ces dernières années, avec près de 160 brevets détenus par 12 entreprises.

Quelques arguments peuvent expliquer la tendance à la multiplication des initiatives privées :

  • Des technologies nouvelles sont apparues ou sont en cours de développement, et pourraient accélérer le développement de la fusion nucléaire et avoir des applications dans d’autres domaines.

  • ITER est en phase d’assemblage, ce qui renforce la confiance des investisseurs et des décideurs dans la fusion.

  • Les taux d’intérêt bas poussent certains investisseurs vers des paris plus risqués, mais potentiellement très lucratifs. On observe aussi une forte hausse des investissements dans le domaine des technologies pour le climat.

  • L’urgence climatique : beaucoup de ces entreprises mettent en avant un rôle possible pour la fusion dans la transition énergétique si elle arrive suffisamment tôt. Des promesses à relativiser au vu des temps de déploiement des technologies.

Ces initiatives privées contribuent à faire émerger une filière et à former des personnes à la fusion nucléaire. Elles ont aussi le mérite de secouer la recherche classique en prenant des paris technologiques plus audacieux. Et si les plannings annoncés sont très certainement trop optimistes, ils permettront malgré tout de mesurer rapidement les progrès accomplis et de juger si, enfin, la fusion nucléaire est à portée de main…

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