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Les uns tenteront plus fréquemment de diversifier les activités de l'entreprise, les autres s'engagent davantage dans des perspectives de développement internes. Shutterstock

Généralistes ou spécialistes, qui sont les PDG les plus performants ?

Du point de vue des employeurs potentiels, les choix professionnels passés d’une personne ont un rôle essentiel : fournir des informations sur les qualifications de cette personne pour un emploi. Pourtant, comme le savent très bien ceux qui épluchent les CV, il n’existe pas de méthode simple pour juger de la manière dont l’expérience professionnelle passée prédit les performances professionnelles ultérieures.

Considérons, par exemple, ces deux trajectoires : l’une décrite par une expérience professionnelle diversifiée couvrant plusieurs secteurs, entreprises ou domaines, et l’autre étroitement lié à un secteur, une entreprise ou un domaine spécifique. Comment ces expériences, l’une large et l’autre ciblée, influencent-elles les décisions individuelles, les actions et, en fin de compte, les performances professionnelles ?

Les avantages de la diversité des connaissances et de la spécialisation intriguent les chercheurs depuis longtemps.

Un rapide détour par l’histoire montre que depuis la Renaissance, les individus compétents dans divers domaines, des arts aux sciences en passant par la politique, ont été célébrés comme un modèle d’accomplissement intellectuel et culturel. Cet idéal a perduré au fil du temps : un large éventail de connaissances dans divers domaines pourrait aider les individus à s’adapter à des circonstances changeantes et à penser de manière créative. Un bagage de connaissances diversifié permet d’aborder les problèmes et les défis sous des angles multiples et de trouver des solutions innovantes.

Cependant, le passé regorge aussi d’arguments et d’exemples contraires. Une citation communément attribuée au poète grec Archiloque remet en question la valeur de l’étendue des connaissances :

« le renard sait beaucoup de choses, mais le hérisson sait une grande chose ».

Dans le langage courant, le fait d’être un « homme à tout faire » est souvent suivi de l’expression « et maître de rien », qui a une connotation clairement négative. La presse populaire et des ouvrages influents ont soutenu de manière convaincante que la spécialisation, rendue célèbre par la règle des 10 000 heures, durée qu’il faut travailler avant de pouvoir se dire expert dans un domaine, est la clé de la réussite professionnelle.

Généralistes et spécialistes

Des travaux récents, notamment sur le progrès scientifique ont apporté de nouveaux éclairages sur ce débat. Au fur et à mesure que les connaissances s’accumulent au sein d’une discipline, les individus doivent se spécialiser dans des niches de plus en plus étroites pour atteindre la frontière du savoir. Cela rend les études pluridisciplinaires plus difficiles à poursuivre.

Compte tenu de la pression en faveur de la spécialisation, un moyen simple de récolter les avantages de la combinaison de connaissances diverses est d’encourager le travail d’équipe entre des spécialistes de différents domaines. Des études empiriques confirment qu’au cours des dernières décennies, les innovations ont davantage été le fruit d’une collaboration que d’un effort individuel.

Au niveau individuel, est-il encore possible, voire utile, d’investir dans un profil de capital humain plus diversifié ? S’il devient de plus en plus difficile d’être formé dans plusieurs disciplines, les individus peuvent encore élargir leurs connaissances en étant exposés à différents environnements et situations par le biais de leur expérience professionnelle. À son tour, l’expérience professionnelle s’accumule en un ensemble de compétences qui constituent le capital humain d’un individu.

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Nous nous sommes engagés dans ce débat dans un travail récent. Notre intérêt a porté sur les parcours professionnels des managers qui ont le plus d’impact sur les organisations, à savoir les PDG.

Schématiquement, on peut en identifier deux types. Il y a les « généralistes », des cadres dotés d’un capital humain général obtenu en jouant différents rôles dans différents contextes, par exemple en occupant plusieurs postes dans plus d’une entreprise, en étant exposé à plus de secteurs ou en travaillant pour un conglomérat. On retrouve également les « spécialistes » qui disposent d’un ensemble plus restreint mais plus approfondi de connaissances et de compétences.

Lorsqu’ils envisagent les conséquences d’un changement de carrière, la plupart des professionnels en activité mettent en balance les avantages pécuniaires et non pécuniaires, tels que la progression de carrière, l’impact et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Cependant, il existe un aspect caché et important de ces choix de carrière, car ils façonnent le type de capital humain que les individus construisent grâce à leur expérience professionnelle. Il est encourageant pour ceux qui sortent des sentiers battus et s’aventurent à changer de poste, d’entreprise et de secteur d’activité de constater que, statistiquement, les PDG généralistes bénéficient d’une prime salariale de 10 % par rapport aux PDG spécialistes.

L’idée, ici, était de comprendre si les décisions des uns diffèrent de celles des autres. Si oui, comment et avec quelles conséquences ?

Chacun sa stratégie

Nous avons abordé cette question en examinant les acquisitions, une décision d’entreprise qui relève de la compétence des PDG et qui a un impact significatif sur la performance de l’entreprise. Toutes les opérations de ce type réalisées par les entreprises américaines du S&P 1500 sur une période de dix ans ont été examinées.

Deux tendances notables se dégagent.

Premièrement, PDG généralistes et PDG spécialistes suivent une stratégie différente. Les premiers réalisent en moyenne une acquisition de plus que les seconds sur une période de quatre ans. Ils sont également plus susceptibles (60 % plus) de faire une acquisition non liée, c’est-à-dire diversifiante, en choisissant des cibles en dehors du secteur principal de leur entreprise. Les PDG spécialistes, eux, ont tendance à se concentrer sur les initiatives de développement interne et, lorsqu’ils acquièrent, ils privilégient les opérations dans le même secteur d’activité.

Deuxièmement, la performance de l’acquisition s’élève lorsque l’adéquation entre le capital humain du PDG et les opportunités est plus claire. En d’autres termes, les PDG généralistes réalisant des acquisitions diversifiées et les PDG spécialistes réalisant des acquisitions liées génèrent des rendements plus élevés que l’inverse. En résumé, les managers ont tendance à s’engager dans des actions stratégiques qui correspondent à leur capital humain, et qu’une telle adéquation est associée à de meilleures performances.

Qui choisir ?

Quels facteurs seraient susceptibles d’expliquer la nomination d’un PDG généraliste et la croissance de l’entreprise par le biais d’acquisitions diversifiantes ? Nous avons testé plusieurs explications, notamment la taille de l’entreprise, le niveau de diversification et l’activité d’acquisition antérieure.

Celle qui ressort le plus est le profil du capital humain des administrateurs de l’entreprise : les conseils d’administration composés d’administrateurs étant eux-mêmes généralistes ont tendance à préférer un PDG généraliste à un PDG spécialiste ; de même, les PDG généralistes rejoignent ces entreprises parce qu’ils anticipent un alignement stratégique plus étroit avec ces conseils d’administration et le soutien de ces derniers.

Nous avons néanmoins observé suffisamment de variations dans l’échantillon pour soumettre notre analyse au test suivant : les PDG généralistes poursuivraient-ils une stratégie d’acquisition non liée même dans les situations où ils travaillent avec un conseil d’administration moins généraliste ? Ce que l’on observe dans ce cas est qu’ils réaliseront moins d’opérations. Quelle que soit la composition du conseil néanmoins, ils continueront de privilégier (et souvent avec succès) celles qui conduisent à diversifier les activités.

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