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Afrique du Nord – The Conversation
2024-03-18T15:34:22Z
tag:theconversation.com,2011:article/224980
2024-03-18T15:34:22Z
2024-03-18T15:34:22Z
Dissuader les candidats à la migration : pourquoi les campagnes de l’UE sont un échec
<p>En septembre 2023, en réponse à l’arrivée de près de <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">10 000 migrants sur l’île de Lampedusa</a>, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/un-plan-en-10-points-pour-lampedusa-2023-09-18_fr">catalogue de dix mesures immédiates</a>. On y trouve notamment un appel à « augmenter le nombre des campagnes de sensibilisation et de communication afin de décourager les traversées de la Méditerranée », ainsi qu’à « intensifier la coopération avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ».</p>
<p>Cet épisode rappelle la place centrale des campagnes d’information et de dissuasion de l’immigration irrégulière dans les politiques européennes, ainsi que le recours aux organisations internationales pour leur mise en œuvre.</p>
<p>En 2022, le HCR lance dans plusieurs pays africains la campagne <a href="https://www.tellingtherealstory.org/en/">« Telling the Real Story »</a>, qui veut « raconter la véritable histoire », en insistant sur les terribles épreuves qui attendent les candidats à l’émigration irrégulière, comme le trafic et la traite d’êtres humains.</p>
<p>Quant à l’OIM, cela fait trois décennies qu’elle organise de <a href="http://www.reseau-terra.eu/article944.html">telles campagnes</a>, à l’instar de <a href="https://www.migrantsasmessengers.org/">« Migrants as Messengers »</a>, qui fait d’anciens migrants des « messagers » en leur donnant la parole afin qu’ils dissuadent les jeunes tentés de partir.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Telling the Real Story », un vidéo visant à dissuader les candidats à l’émigration.</span></figcaption>
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<p>L’argumentaire est toujours le même : les candidats à l’émigration en Afrique sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux ou migrer uniquement s’ils en ont le droit ; à cela s’ajoutent des messages sur les opportunités dans le pays d’origine et le devoir de contribuer au développement de l’Afrique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sauvetage-des-migrants-naufrages-en-mediterranee-comment-la-politique-de-lue-doit-evoluer-222453">Sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer</a>
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<h2>Des centaines de campagnes</h2>
<p>D’après un <a href="https://www.bridges-migration.eu/wp-content/uploads/2022/02/EU-funded-information-campaigns-targeting-potential-migrants.pdf">rapport</a> du <a href="https://www.bridges-migration.eu/">programme européen de recherche Bridges</a>, l’UE a dépensé plus de 23 millions d’euros depuis 2015 pour organiser près de 130 campagnes.</p>
<p>Si l’Europe est à la pointe, elle n’est pas la seule. L’Australie s’est illustrée par des <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/feb/11/government-launches-new-graphic-campaign-to-deter-asylum-seekers">messages particulièrement mordants</a>, avec des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/no-way-la-campagne-sans-concessions-de-l-australie-contre-les-migrants-clandestins_720529.html">campagnes</a> qui s’adressent aux personnes tentées par l’immigration irrégulière en leur disant « NO WAY. You will not make Australia home » (« IMPOSSIBLE. Vous ne ferez pas de l’Australie votre pays »). Cette stratégie a d’ailleurs suscité l’enthousiasme de <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7186189/Trump-praises-Aust-asylum-seeker-policy.html">Donald Trump</a>, alors Président des États-Unis.</p>
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<p>Outre l’OIM et le HCR, ces campagnes sont aussi organisées par des entreprises privées, comme <a href="https://seefar.org/">Seefar</a> qui proposent des services de <a href="https://seefar.org/services/strategic-communications/">« communication stratégique »</a>, et par des ONG, comme l’association espagnole Proactiva Open Arms, qui en plus de ses activités de sauvetage en Méditerranée organise des <a href="https://blogs.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2020/04/ngos-dilemma">campagnes de sensibilisation au Sénégal</a>.</p>
<p>Cependant, toutes ces initiatives et tous ces acteurs sont confrontés à un problème de taille : personne n’est en mesure de démontrer l’efficacité de ces campagnes. Et on ne sait presque rien de leur influence sur la décision de migrer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-sauvetage-en-mer-au-defi-de-la-securisation-des-frontieres-le-cas-de-la-manche-170238">Le sauvetage en mer au défi de la sécurisation des frontières : le cas de la Manche</a>
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<h2>Une efficacité difficile à évaluer</h2>
<p>À mesure qu’augmentent les budgets qui leur sont consacrés, certaines études ont cependant commencé à se pencher sérieusement sur l’impact des campagnes.</p>
<p>En 2018, une <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/evaluating_the_impact.pdf">étude de l’OIM</a> soulignait que les campagnes sont difficiles à évaluer car elles ont un double objectif : fournir de l’information, mais aussi réduire l’immigration irrégulière.</p>
<p>Il arrive que seul un des deux objectifs soit atteint : en 2023, une <a href="https://publications.iom.int/books/irregular-migration-west-africa-robust-evaluation-peer-peer-awareness-raising-activities-four">étude</a> consacrée à « Migrants as Messengers » montre que cette campagne a bien accru le niveau d’information, mais qu’elle n’a pas réduit les départs.</p>
<p>Mais alors qu’elle organise de telles campagnes depuis 30 ans, l’OIM n’a effectué que de rares et tardives études d’impact : il est en effet coûteux de mesurer sérieusement leur efficacité et il apparaît que les États européens préfèrent multiplier les campagnes plutôt que financer des évaluations.</p>
<p>Du côté de la recherche indépendante, une <a href="https://www.udi.no/globalassets/global/forskning-fou_i/rapport_11_19_web.pdf">étude de l’Institute for Social Research d’Oslo</a> en 2019 a porté sur des migrants d’Érythrée, de Somalie et d’Éthiopie, en transit au Soudan avec l’intention de continuer vers l’Europe.</p>
<p>Il s’agissait d’évaluer une campagne lancée en 2015 par la Norvège, intitulée <a href="https://www.sciencenorway.no/forskningno-immigration-policy-norway/social-media-campaign-for-asylum-seekers-draws-angry-trolls/1448896">« Stricter asylum regulations in Norway »</a>, qui avait recours à Facebook pour informer les migrants potentiels des faibles chances d’obtenir l’asile dans ce pays. Comme pour n’importe quelle publicité, l’algorithme de Facebook devait permettre d’identifier les internautes qui effectuent des recherches sur l’immigration, l’Europe ou les visas, et de leur proposer des messages de dissuasion ciblés.</p>
<p>L’étude a confirmé que les migrants sont connectés et qu’ils utilisent les réseaux sociaux pour s’informer et organiser leur migration. Mais s’ils ont parfois entendu parler des campagnes européennes, la plupart ne les ont pas vues. Invités à les visionner, ils dirent ne rien apprendre : ils sont au courant des terribles conditions de vie des migrants en Libye, par exemple, mais sans que cela ne les dissuade de partir pour échapper à l’impasse de leur situation.</p>
<h2>Des migrants expulsés d’Europe appelés à témoigner</h2>
<p>En 2023, une <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/why-information-campaigns-struggle-to-dissuade-migrants-from-coming-to-europe/">équipe de la Vrije Universiteit Brussel</a> a analysé l’information dont disposent les jeunes tentés par l’émigration en Gambie, et la manière dont les campagnes affectent leur décision de partir. Comme au Soudan, les informations sur les risques de l’immigration irrégulière correspondent à ce que ces jeunes savent déjà. Mais faute de perspectives au pays, ils partiront quand même, en toute connaissance de cause.</p>
<p>Une autre étude menée <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/a-comparative-study-on-the-role-of-narratives-in-migratory-decision-making/">auprès d’Afghans en transit en Turquie</a> a débouché sur des conclusions similaires.</p>
<p>Or, ces travaux ont aussi révélé un autre problème : les destinataires de ces campagnes ne les prennent pas au sérieux car ils les estiment biaisées par les objectifs politiques de l’Europe ; et ils préfèrent donc s’informer auprès de proches, ou même de passeurs.</p>
<p>Ce résultat a motivé de nouvelles stratégies. À l’instar de « Migrants as Messengers », les campagnes dites <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08865655.2022.2108111">« peer to peer »</a> (« de pair-à-pair ») prévoient que des migrants expulsés d’Europe parlent de leur expérience à <a href="https://jaspertjaden.com/policy/2019_migrants-as-messengers_the-impact-of-peer-to-peer-communication-on-potential-migrants-in-senegal/">ceux qui seraient tentés de les imiter</a>. Cela s’inscrit dans une technique dite de <a href="https://repository.law.umich.edu/articles/2611/">« unbranding »</a>, un concept issu du marketing qui désigne l’omission de la marque sur un produit afin de mieux le vendre : dans le cas des campagnes, cela revient à dissimuler les institutions européennes et internationales <a href="https://migrantprotection.iom.int/en/spotlight/articles/initiative/constantly-evolving-awareness-raising-campaign-aware-migrants">qui les financent</a>.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à ne pas cibler les migrants potentiels, mais les acteurs locaux qui influencent les perceptions des migrations, à commencer par les médias ou les artistes. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) travaille ainsi avec des <a href="https://theconversation.com/quand-la-lutte-contre-limmigration-irreguliere-devient-une-question-de-culture-112200">musiciens populaires auprès des jeunes Africains</a>, ainsi qu’avec des journalistes.</p>
<p>De même, <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/un-forum-dechanges-avec-des-journalistes-et-managers-de-medias-pour-une-narrative-diversifiee-et-de">l’Unesco</a> (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) forme des journalistes sénégalais à parler d’une manière qu’elle qualifie de « diversifiée » des migrations.</p>
<h2>Quel rôle pour les journalistes ?</h2>
<p>Dans un contexte de précarité des professionnels des médias et de la culture, le soutien des organisations internationales est bienvenu, mais pose la question de la liberté d’expression et de la liberté de la presse sur ce sujet politiquement sensible.</p>
<p>Au Maroc, le <a href="https://www.facebook.com/RMJMigrations/">Réseau des Journalistes marocains sur les migrations</a> s’est constitué pour traiter des migrations de manière indépendante ; ce qui n’empêche pas ces journalistes de participer à des activités de formation organisées par des organisations internationales, soutenues par des financements européens.</p>
<p>En Gambie, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08865655.2022.2156375">étude récente</a> a mis en évidence les dilemmes des journalistes locaux qui sont invités à diffuser des messages sur les dangers de l’immigration tout en essayant de conserver leur indépendance.</p>
<p>Aux yeux de leurs défenseurs, ces campagnes se justifient car les migrants qui meurent en Méditerranée seraient victimes des informations fallacieuses des passeurs. Informer permettrait alors de sauver des vies. Mais aucune étude ne vient étayer cette hypothèse : au contraire, il apparaît que les migrants partent en connaissant les risques auxquels ils s’exposent.</p>
<p>Face à cette réalité inconfortable, il est possible que les campagnes d’information ne servent qu’à donner aux responsables européens le sentiment qu’ils agissent pour prévenir les tragédies qui découlent de leurs propres politiques. Après tout, c’est en partie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1465116516633299">faute de possibilités de migrer</a> légalement que beaucoup de migrants tentent leur chance de façon irrégulière, avec tous les risques que cela implique.</p>
<p>La rareté des évaluations disponibles atteste que l’efficacité des campagnes n’est pas la priorité des États européens. Cet outil de politique migratoire aurait donc une valeur avant tout symbolique – comme preuve que l’Europe se préoccupe du sort des nombreuses personnes qu’elle ne veut pas accueillir sur son sol.</p>
<p>Mais cette stratégie politique n’en a pas moins des effets bien réels sur les acteurs locaux, et sur la capacité des sociétés du Sud à débattre de façon autonome des enjeux politiques majeurs que soulèvent les migrations internationales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélodie Beaujeu est membre de Désinfox-Migrations. Elle a reçu des financements de la fondation Porticus et de la fondation de France pour l'association Désinfox-Migrations. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’argumentaire est toujours le même : les Africains sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux.
Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris Nord
Mélodie Beaujeu, Consultante et chercheuse, affiliée à l'Institut Convergences Migrations, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/221159
2024-02-11T14:45:56Z
2024-02-11T14:45:56Z
En Égypte et ailleurs, les multiples visages du salafisme
<p><em>Le salafisme, qui préconise aux musulmans de vivre à l’image du Prophète et de ses compagnons, et qui repose sur un retour à la lettre du Coran et de la Sunna, a connu une diffusion spectaculaire au sein du monde sunnite au cours de ces dernières décennies. Au départ centré sur les normes de la vie quotidienne, il s’est progressivement rapproché du champ politique, notamment en Égypte, terre d’origine des Frères musulmans, avec lesquels le salafisme ne doit pas être confondu. C’est précisément en Égypte que Stéphane Lacroix, spécialiste reconnu de ce pays, professeur associé au CERI/Sciences Po et co-directeur de la Chaire d’Études sur le Fait Religieux de Sciences Po, a enquêté depuis 2010 pour les besoins d’un ouvrage appelé à faire date, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-crepuscule-des-saints/">« Le Crépuscule des Saints, Histoire et politique du salafisme en Égypte »</a>, qui vient de paraître aux éditions du CNRS. Nous vous proposons ici quelques extraits de l’introduction.</em></p>
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<p>En l’espace de quelques décennies, l’orthodoxie musulmane sunnite a changé de visage. C’est là le résultat de l’influence grandissante exercée dans le champ de l’islam par ce que l’on appelle le salafisme. Le terme, souvent mal compris, est revendiqué par des mouvements et individus aux positionnements politiques divers et parfois opposés, du loyalisme assumé des oulémas partenaires de la monarchie saoudienne au jihadisme sanglant de l’État islamique.</p>
<p>Tous néanmoins s’accordent sur une série de fondamentaux : prétention à incarner l’islam sunnite dans sa forme la plus stricte, excluant soufis et partisans de l’école théologique ash’arite qui prônait un rationalisme prudent et était restée dominante jusqu’au XX<sup>e</sup> siècle ; rejet inconditionnel des écoles non sunnites de l’islam, à commencer par le chiisme ; promotion de pratiques sociales et religieuses coulées dans une norme ultra-conservatrice, décrite comme héritée des premiers musulmans.</p>
<p>Au terme de ce qui s’est apparenté à une véritable révolution normative, ces fondamentaux en sont venus à constituer, pour un nombre croissant de musulmans, l’essence de la foi sunnite, même s’ils sont loin d’être toujours mis en œuvre par ceux qui les érigent en norme. Le salafisme semble avoir, en somme, pris l’ascendant dans la bataille des idées. Ce bouleversement est d’autant plus remarquable que, il y a à peine quelques décennies, ces interprétations étaient encore minoritaires parmi les croyants musulmans.</p>
<p>Les explications données à l’essor du salafisme ont souvent péché par une tendance à la monocausalité. On pointe beaucoup le rôle joué par le royaume d’Arabie saoudite, dont l’islam officiel se dit salafiste et qui se considère comme porteur d’une mission religieuse assumée. Il n’est ici nullement question de nier l’influence du prosélytisme saoudien, particulièrement depuis les années 1970 lorsque les revenus du pétrole ont donné au royaume les moyens de ses ambitions. Mais en se limitant à cette explication, on s’interdirait de comprendre pourquoi la greffe salafiste est parvenue à prendre, et pourquoi les effets s’en sont fait sentir plus fortement dans certains pays que dans d’autres.</p>
<p>Souligner le caractère transnational du « phénomène » salafiste ne doit pas en effet nous amener à occulter les dynamiques très localisées à l’œuvre dans son implantation et dans son essor. Il faut d’abord souligner le rôle qu’ont joué, dans chaque pays ou presque, des entrepreneurs religieux locaux mus par une authentique <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_savant_et_le_politique___une_nouvelle_traduction-9782707140470">éthique de conviction</a>. Le jeu des régimes leur a – plus ou moins volontairement – ouvert un espace. Les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Questions_de_sociologie%C2%A0-1956-1-1-0-1.html">« logiques de champ »</a>, pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu, ont fait le reste. Cela n’a pas été sans conséquence sur la doctrine : partout, en dépit de sa prétention à représenter une essence intangible, le salafisme s’est adapté aux conditions de ses sociétés d’implantation, produisant des structures d’autorité locales plus en phase avec les réalités de celles-ci.</p>
<p>L’Égypte en est un cas d’étude particulièrement intéressant. D’abord parce que l’ouverture du champ politique au lendemain de la chute de Moubarak a permis de mesurer dans les urnes l’attrait (et, plus encore, la banalisation) du salafisme. La véritable surprise des premières élections libres qu’a connues le pays à l’automne 2011 n’est pas la place de tête remportée par les Frères musulmans, mais le très bon score du parti salafiste al-Nour, créé quelques mois plus tôt et arrivé second avec plus de 25 % des suffrages.</p>
<p>Surtout, la libéralisation du champ religieux rend alors visible une religiosité salafiste dont beaucoup, surtout parmi les élites, ne soupçonnaient pas l’ampleur. Il suffisait pourtant, en 2011, de questionner un échantillon de musulmans égyptiens pour en prendre la mesure : interrogés sur le soufisme et le culte des saints, une majorité d’enquêtés répondaient que tout cela était contraire à l’islam (tout en concédant parfois être allés à l’une de ces <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1j1nsts">célébrations populaires</a> ; interrogés sur la tenue vestimentaire « idéale » pour une femme, beaucoup se prononçaient pour le <em>niqab</em> (tout en reconnaissant souvent que leur femme, leur sœur ou leur fille ne le portait pas).</p>
<p>La plupart des enquêtés ne se définissaient pas comme salafistes et une majorité ne portait aucun signe extérieur de religiosité. Mais pour un grand nombre d’entre eux, sans qu’ils en aient souvent conscience, le salafisme incarnait la norme islamique sunnite. Tout porte à croire que, quelques décennies plus tôt, les réponses obtenues auraient été bien différentes.</p>
<p>Cette transformation est d’autant plus remarquable que l’Égypte a historiquement représenté l’un des bastions de ce que nous appelons ici « l’islam traditionnel sunnite », dont le fondement se situe dans cette <a href="https://www.academia.edu/53417477/Brown_Jonathan_A_C_Hadith_Muhammads_Legacy_in_the_Medieval_and_Modern_World_Oneworld_Publications_2017_">« tradition sunnite tardive »</a> (selon les termes de Jonathan Brown) dont l’hégémonie normative s’était étendue à la quasi-totalité du monde sunnite à partir de sa cristallisation au tournant du XIV<sup>e</sup> siècle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quand les salafistes sortent de l’isoloir (<em>L’Effet Papillon</em>, 3 avril 2021).</span></figcaption>
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<p>Par son attachement à la théologie ash’arite (et, plus à l’est, maturidite, l’une et l’autre étant proches), aux écoles canoniques de jurisprudence, et la tolérance plus ou moins marquée qu’il affiche à l’égard du soufisme, cet « islam traditionnel » se situe aux antipodes de tout ce que le salafisme entend promouvoir. Au Caire, il s’incarne dans la prestigieuse et millénaire mosquée-université al-Azhar, qui en a longtemps constitué l’un des principaux points de rayonnement à l’échelle mondiale avant d’être elle-même gagnée par l’influence des sous-courants salafistes qui se sont développés en son sein (quoique sans jamais en ébranler le sommet). Comment expliquer dès lors qu’en Égypte, en l’espace de quelques décennies, un changement religieux aussi profond ait pu se produire ?</p>
<p>C’est la première question à laquelle s’attelle cet ouvrage, en proposant une socio-histoire du salafisme égyptien s’étendant sur le temps long, depuis son émergence organisée dans les cercles savants du Caire des années 1920 jusqu’à la période la plus récente. Il s’agira d’étudier, de manière diachronique, les transformations de la normativité islamique dans l’Égypte du XX<sup>e</sup> et du début du XXI<sup>e</sup> siècle, en portant le regard sur les acteurs individuels et collectifs à l’origine de ces transformations et sur les contextes politiques et sociaux dans lesquels ils ont opéré. […]</p>
<p>Ce travail est traversé par un second questionnement qui lui sert de fil rouge : comment penser la relation que le salafisme – cette fois plus seulement comme discours ou vision du monde, mais comme mouvance agissante – entretient avec le politique ?</p>
<p>La position de l’essentiel des salafistes égyptiens est certes relativement claire jusqu’aux années 1970 : elle consiste en un évitement de la chose politique complété, chaque fois que nécessaire, par de bruyantes déclarations d’allégeance aux autorités en place, quelles qu’elles soient. Cette position s’est néanmoins complexifiée depuis, lorsque le salafisme a commencé à subir les influences des mouvances islamiques concurrentes.</p>
<p>La naissance à la fin des années 1970 du premier mouvement social organisé se réclamant du salafisme, la Prédication salafiste, marque en ce sens une rupture. Plus de trente ans plus tard, ce même mouvement entrera dans l’Histoire en engendrant le parti al-Nour, seconde force politique du premier parlement démocratiquement élu de l’Égypte post-révolutionnaire.</p>
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<span class="caption">Cet extrait est issu de « Le Crépuscule des Saints, Histoire et politique du salafisme en Égypte », de Stéphane Lacroix, qui vient de paraître aux éditions du CNRS.</span>
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<p>Contre l’avis de ceux qui voudraient voir dans ces péripéties autant de revirements doctrinaux, cet ouvrage cherchera à décrypter la « grammaire » du salafisme égyptien, seule à même d’expliciter la logique des choix politiques faits par ses acteurs. Cette lecture « grammaticale » montrera aussi que le salafisme, devenu quasi hégémonique en tant que norme religieuse, peut aisément échapper à ceux qui s’en voudraient les promoteurs « grammaticaux » légitimes.</p>
<p>L’ouvrage se conclura ainsi sur le « salafisme révolutionnaire » de Hazim Abu Isma’il, cheikh salafiste au style populiste, véritable « ovni » politique et éphémère candidat à l’élection présidentielle de 2012 qui, étant parvenu à unir autour de lui un mouvement de soutien massif, avait un temps été pressenti pour l’emporter. Les évolutions postérieures à 2011 permettent en somme de mesurer les effets paradoxaux de la « victoire » religieuse du salafisme : devenu norme, il est voué à être réapproprié par autant d’acteurs qui en contestent le sens ; cette concurrence accrue accompagne sa politisation, qui vient remettre en cause sa prétention à la pureté doctrinale. C’est tout cela qui pourrait expliquer le reflux, certes encore très relatif, du salafisme en Égypte dans la période la plus récente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Lacroix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Traditionnellement associé à un ultra-conservatisme intransigeant en matière de mœurs, le salafisme revêt désormais une importante dimension politique.
Stéphane Lacroix, Professeur associé à l'École des affaires internationales de Sciences Po (PSIA) et co-directeur de la Chaire d’Études sur le Fait Religieux, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/219628
2023-12-14T19:04:56Z
2023-12-14T19:04:56Z
Comment le Maroc veut stimuler son économie
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564816/original/file-20231211-19-cgbr0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C7%2C1155%2C891&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comme de nombreux pays ayant un revenu intermédiaire en 1960, le Maroc n’a pas encore réussi à atteindre le statut d’économie avancée.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/370336">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Au cours de ces dernières années, le Maroc a été confronté à une série de chocs exogènes : épidémie de la Covid-19 en 2020, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/18/le-maroc-accable-par-une-secheresse-exceptionnelle_6114309_3212.html">sècheresse exceptionnelle en 2022</a>, ainsi qu’un séisme de magnitude 6,9 qui a frappé la province d’Al-Haouz dans le Haut Atlas, le 8 septembre 2023. Cette catastrophe naturelle a fait près de trois mille morts et a causé de nombreux dégâts matériels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-consequences-economiques-du-tremblement-de-terre-au-maroc-213824">Les conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc</a>
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<p>Quelques semaines seulement après le séisme se sont néanmoins tenues, à Marrakech, les assemblées semi-annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Dans leur sillage, le FMI a publié un <a href="https://www.imf.org/en/Publications/Books/Issues/2023/09/22/Moroccos-Quest-for-Stronger-and-Inclusive-Growth-525734">rapport</a> mettant en évidence la stabilité macroéconomique, la résilience institutionnelle et le cadre réglementaire avancé du Maroc. L’étude montre également la remarquable capacité du royaume à attirer les investissements directs étrangers (IDE), notamment dans l’industrie manufacturière à moyenne et haute technologie (automobile, aéronautique, électronique).</p>
<h2>Un ralentissement de la croissance</h2>
<p>Ces résultats ont été obtenus grâce aux investissements significatifs consentis dans les infrastructures, dont les exemples les plus emblématiques sont le mégaport de Tanger Med, et la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Tanger à Casablanca. C’est aussi le résultat d’une politique industrielle incarnée par le Plan d’accélération industrielle lancé en 2014. Les infrastructures routières, ferroviaires et portuaires du pays sont au même niveau de qualité que dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon l’institution basée à Washington.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2lRKrl8h9SI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tanger Med, le mégaport qui fait peur aux Espagnols (Lareleve.ma, 2021).</span></figcaption>
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<p>Nonobstant ces acquis indéniables, auxquels on peut ajouter une <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=MAR&codeStat=SP.POP.IDH.IN">hausse continue du développement humain</a> (xxx) depuis 1990, l’économie marocaine connaît un ralentissement marqué de sa croissance depuis près d’une décennie. Cette dernière est en effet passée de 5 % en moyenne entre 2000 et 2009 à 3,5 % en moyenne entre 2010 et 2019.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le ralentissement de la croissance économique au Maroc au cours des 20 dernières années.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">Banque mondiale</a></span>
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<p>Ce ralentissement de la croissance économique s’est accompagné d’une baisse du contenu en emploi de la croissance, pratiquement <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">divisée par trois</a>, ainsi que d’une hausse concomitante du chômage des jeunes et d’un <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">recul de la participation au travail</a>, notamment celle des jeunes femmes âgées de 20 ans et plus.</p>
<p>Comme beaucoup d’autres pays émergents, le Maroc est confronté au « <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/969991468339571076/pdf/WPS6594.pdf">piège du revenu intermédiaire</a> ». Ce concept élaboré par la Banque mondiale se fonde sur un constat empirique : seule une poignée de pays à revenu intermédiaire en 1960 ont réussi à atteindre le statut d’économie avancée en 2010. Si l’on excepte les pétromonarchies du Golfe, dont l’ascension est liée à la rente des hydrocarbures, le constat est encore plus sévère. Parmi les pays qualifiés en « première ligue économique », on trouve les bien connus « tigres et dragons » asiatiques, ainsi qu’une poignée seulement de pays situés hors d’Asie.</p>
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<p>Selon le <a href="https://csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf">rapport</a> de la Commission spéciale modèle de développement (CSMD), le Maroc ne valorise pas suffisamment son capital humain, dans un contexte de faible transformation structurelle. Le secteur agricole emploie encore un tiers de la population active et l’emploi informel représente <a href="https://www.policycenter.ma/sites/default/files/2023-07/Rapport--L%27informelauMaroc.pdf">70 % à 80 % de l’emploi total</a>. Le rapport précité du FMI pointe également le problème des inégalités de genre, notamment dans l’accès à l’emploi, comme la cause principale du ralentissement de la croissance.</p>
<h2>La protection sociale étendue</h2>
<p>En 2020, en pleine épidémie de Covid-19, le roi Mohammed VI a annoncé un ensemble de politiques destinées à sortir du piège du revenu intermédiaire. Ce nouveau programme de réformes inclut un plan d’envergure pour généraliser la protection sociale et une réforme de l’État actionnaire, à travers la rationalisation des entreprises publiques existantes, et le lancement d’un Fonds stratégique destiné à investir dans les entreprises privées à fort potentiel de croissance.</p>
<p>Le <a href="https://www.cg.gov.ma/fr/conseils-de-gouvernement/le-chef-du-gouvernement-la-generalisation-de-la-protection-sociale-lancee">plan d’universalisation de la protection sociale</a>, votée en avril 2021, a été mis en œuvre par étape : tout d’abord à travers l’extension à tous les Marocains –, quel que soit leur statut social ou professionnel – de l’assurance maladie obligatoire (AMO) qui était réservée jusque-là aux salariés. Seconde étape : la mise en œuvre d’un programme ambitieux d’aides sociales directes ciblant 60 % des ménages non couverts par un régime de protection sociale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1383100381601918978"}"></div></p>
<p>Ces aides comprennent une allocation de subsistance avec un plancher mensuel de 500 dirhams (Dh) par ménage bénéficiaire, ainsi que des allocations supplémentaires pour les enfants, les handicapés et les personnes âgées. Au total, l’aide peut dépasser les 1000 Dh par mois, soit près d’un tiers du salaire minimum officiel.</p>
<p>Le financement de ces aides reposera à la fois sur la rationalisation des dispositifs d’aide existants, la mobilisation de ressources fiscales supplémentaires ainsi que la décompensation progressive des prix de certains produits de base encore subventionnés comme la farine de blé tendre, le sucre et le gaz de pétrole liquéfié (GPL).</p>
<h2>Nouveau paradigme</h2>
<p>Ces mesures, assimilables à un revenu minimum, visent à fournir un soutien immédiat au pouvoir d’achat des ménages pauvres et vulnérables. Ainsi, le programme cherche à briser la mécanique de la pauvreté et de l’exclusion à travers l’investissement dans le capital humain des enfants – la perception intégrale des aides est conditionnée à la scolarisation de ces derniers – et la libération des énergies individuelles – notamment celles des femmes non qualifiées, qui pourront prétendre à des emplois plus rémunérateurs que les emplois d’aide à la personne dans lesquels elles sont souvent cantonnées.</p>
<p>Ces aides directes devraient également soutenir la croissance économique dans les localités les plus pauvres du pays – en soutenant la demande des ménages – et favoriser la résorption de l’économie informelle.</p>
<p>Dans l’ère pré-Covid, pour sortir du piège du revenu intermédiaire, de nombreux pays – Maroc compris – avaient mis en œuvre une politique centrée sur l’offre, fondée sur des mesures d’inspiration libérale comme la dérégulation des marchés. Les bouleversements induits par la pandémie ont fait émerger au Maroc un nouveau paradigme en matière de politiques publiques, mettant davantage l’accent sur la complémentarité entre l’offre et la demande, entre l’État et le marché. Ce rééquilibrage peut désormais inspirer d’autres pays en développement en Afrique et ailleurs dans le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219628/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Kateb fait partie de l'équipe de consultants qui a conseillé le gouvernement marocain pour l'élaboration de la réforme de la protection sociale.</span></em></p>
Le royaume tente de stimuler son économie en mobilisant à la fois une politique de l’offre et de la demande, symbolisée par la récente extension de la protection sociale.
Alexandre Kateb, Maître de conférence en économie, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/217223
2023-12-12T18:47:56Z
2023-12-12T18:47:56Z
La vannerie, ou l’art de puiser de l’eau dans le désert sans métal ni plastique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558044/original/file-20231107-17-l80lty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C241%2C2159%2C2834&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au ksar de Tamtert dans la vallée de la Saoura, dans le Sahara algérien, en 1990.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tatiana Benfoughal</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Ce seau de puits a été photographié dans le Sahara algérien, dans la vallée de la Saoura. Oui, oui, il n’y a pas d’erreur, cette vannerie en fibres végétales est un <a href="https://sciencepress.mnhn.fr/fr/collections/natures-en-societes/les-palmes-du-savoir-faire">seau pour puiser de l’eau, connu dans les oasis du Sahara maghrébin sous le nom de « gnina »</a>.</p>
<p>De contenance moyenne d’une vingtaine de litres, les seaux tressés sont utilisés dans les puits dits puits à « balancier ». De profondeur maximum de 10 mètres, ces puits sont creusés là où la nappe phréatique est proche de la surface du sol, notamment au fond des vallées des oueds ou d’anciennes étendues lacustres (si la nappe est plus profonde, jusqu’à 20 ou 30 mètres, on optera pour des puits à poulie à traction animale, en utilisant alors un récipient en peau ou en caoutchouc).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les vanneries de seaux de puits sont réalisées par des femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tatiana Benfoughal</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’eau puisée dans les puits à balancier sert à arroser de petites palmeraies de quelques dizaines de palmiers et surtout les plans de cultures sous-jacents de blé, d’orge, de sorgho ou de millet, ainsi que des légumes de première nécessité. Il s’agit d’un <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay?docid=alma991000009339705596&context=L&vid=33UDL_INST:UDL">travail épuisant</a> car il demande un effort physique assez considérable pour abaisser la perche. Un homme ne peut dépasser le rythme de quelques seaux par minute et pas plus de trois heures d’affilée.</p>
<p>Dès la deuxième moitié du XX<sup>e</sup> siècle, avec l’arrivée dans les oasis des équipements hydrauliques modernes – motopompes, forages profonds, barrages – et l’agrandissement des parcelles de palmeraies à cultiver, les puits à balancier avec leurs seaux en vannerie sont de moins en moins utilisés et seulement pour les usages domestiques.</p>
<h2>Vous avec dit « étanche » ?</h2>
<p>L’étanchéité de ce seau est due à la fois aux fibres végétales et à la technique de tressage utilisées. C’est du palmier dattier (<em>Phoenix dactylifera L.</em>), plante reine dans les oasis du Sahara, du Proche et du Moyen-Orient, que l’on tire les matières pour réaliser les seaux de puits. Comme pour le tressage de l’ensemble des vanneries sont utilisés des folioles (petites feuilles fixées de part et d’autre de la palme), la hampe (branche qui tient le régime de dattes) et le fibrillum (bourre qui recouvre le stipe).</p>
<p>La technique de tressage est le « spiralé cousu » : le montant (tiges de hampe défibrée) forme l’âme de la vannerie en s’enroulant en spirale, et le brin (folioles) est un élément mobile et souple qui entoure le montant par des enroulements successifs et fixe les spires entre elles. Le fibrillum sert à tresser les cordes de suspension.</p>
<p>Cette technique, pratiquée <a href="https://www.cairn.info/les-objets-ont-ils-un-genre--9782200277130-page-207.htm">uniquement par les femmes, est utilisée pour fabriquer l’ensemble des vanneries dites « domestiques »</a> – plats, corbeilles, paniers, bols, seaux, couscoussières, etc. Les hommes, eux, sont spécialisés en technique du « tissée » utilisée pour les tressages des couffins, bissacs ou chapeaux indispensables pour le travail dans les palmeraies.</p>
<p>Quand le seau, au tressage toujours très serré, se remplit d’eau et que les fibres végétales gonflent, il devient encore plus étanche. Il est possible aussi, pour atteindre le niveau optimum d’étanchéité, de l’enduire de <a href="https://sciencepress.mnhn.fr/fr/collections/natures-en-societes/les-palmes-du-savoir-faire">goudron végétal</a> obtenu par distillation de morceaux de branches d’arbres (genévrier, sapin ou genêt). Ce goudron couvre la surface du seau (comme celle des bols pour boire), comme une sorte de résine épaisse et collante de couleur sombre qui, même après avoir durci, donne à l’eau un fort goût spécifique et bien apprécié. De plus, selon les croyances locales, le goudron protégerait l’eau de toute « souillure maléfique ».</p>
<p>Malgré l’ouverture des régions sahariennes vers le monde « moderne », malgré l’arrivée sur les marchés locaux des produits industriels et l’introduction de la matière plastique dans le tressage, la fabrication des seaux de puits comme d’autres vanneries se perpétue encore dans les oasis sahariennes. Les vanneries continuent à être utilisées dans leurs nombreuses fonctions quotidiennes, comme dans le contexte rituel, incarnant ainsi une tradition aussi valorisée que l’innovation.</p>
<p>Restant globalement une activité domestique, et même si le nombre d’hommes et de femmes qui pratiquent l’activité vannière a considérablement diminué aujourd’hui, le savoir-faire continue à se transmettre dans le cadre familial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tatiana Benfoughal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La vannerie accompagne les oasiens depuis des millénaires. Ce qui peut paraître surprenant, c’est qu’elle permet de réaliser des seaux… étanches.
Tatiana Benfoughal, Attachée honoraire au Museum National d'Histoire Naturelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/215025
2023-10-25T16:00:19Z
2023-10-25T16:00:19Z
La tragédie de Derna, en Libye : catastrophe naturelle, responsabilités humaines
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555133/original/file-20231022-27-tupzpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C18%2C4025%2C2245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’inondation a causé l’effondrement du pont entre l’est et l’ouest de la ville de Derna le 10&nbsp;septembre dernier.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Mahir Alawami/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/19/sur-la-route-de-derna-en-libye-les-ravages-de-la-tempete-daniel_6189982_3212.html">La catastrophe survenue à Derna</a> (Libye) le 10 septembre dernier a marqué les esprits. L’ampleur des dégâts (au moins 11 000 morts, 875 bâtiments détruits, plus de 3 000 bâtiments endommagés selon les infographies réalisées à partir d’images satellite Pléiades-1A <a href="https://rapidmapping.emergency.copernicus.eu/EMSR696/download">par le service européen Copernicus Emergency Management Service</a> dès le 14 septembre) s’explique par une conjonction de facteurs naturels et humains.</p>
<p>Avant d’être une manifestation du changement climatique, dont l’impact sur l’intensification des précipitations en Méditerranée <a href="https://doi-org.buadistant.univ-angers.fr/10.1080/00186368.2021.1912971">reste encore difficile à quantifier</a>, l’événement a surtout tragiquement mis en évidence l’immense vulnérabilité du territoire et de ses habitants – une vulnérabilité liée à une gestion inadaptée du risque avant et pendant les inondations du 10 septembre.</p>
<h2>Causes naturelles…</h2>
<p>À l’amont de la catastrophe, il y a tout d’abord un aléa : le cyclone subtropical Daniel, un <a href="https://journals.openedition.org/mediterranee/8529?lang=fr"><em>Médicane</em>, contraction de Mediterranean hurricane</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555094/original/file-20231021-19-8tebhl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le Medicane Daniel le 10 septembre 2023. Image MODIS du satellite Terra de la NASA. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://earthobservatory.nasa.gov/images/151826/torrential-rain-wreaks-havoc-in-libya">NASA Earth Observatory</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces tempêtes tropicales, dont l’aire de prédilection correspond <a href="https://publications.hereon.de/id/31780/index.php">à la Méditerranée occidentale et à la mer Ionienne</a>, se forment lorsque survient simultanément un gradient vertical important entre la température de surface de la mer et la température de la troposphère moyenne, une forte teneur en humidité relative de l’atmosphère, une très forte vorticité/hélicité de la colonne d’air et un <a href="https://publications.hereon.de/id/31780/index.php">cisaillement vertical du vent faible (inférieur à 4 ms)</a>. La tempête Derna est ainsi liée à des températures anormalement élevées de la mer Méditerranée au cours des jours précédents : 3 à 4 °C au-dessus de la moyenne, avec des températures de 28,7 °C enregistrées en juillet.</p>
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<p>Ce type de phénomène se produit régulièrement à cette période de l’année (automne) dans cette zone méditerranéenne semi-aride, <a href="https://journals.openedition.org/mediterranee/8529?lang=fr">parfois trois fois par an</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1701719586096218207"}"></div></p>
<p>La violence de la tempête a probablement ici été accentuée par le changement climatique, puisque les <a href="http://dx.doi.org.buadistant.univ-angers.fr/10.1002/jgrd.50475">climatologues indiquent</a> qu’il augmenterait l’intensité et les volumes des pluies lors de ces épisodes, en jouant justement sur la température de la mer. Les précipitations générées par ces médicanes à cette période de l’année sont très intenses. Dans le cas de Daniel, ce sont <a href="https://earthobservatory.nasa.gov/images/151851/storm-aftermath-in-derna-libya">100 mm qui sont tombés en une journée le 10 septembre à Derna, et 414 mm à El Bayda sur la côte Cyrénaïque</a>, alors que la moyenne annuelle des précipitations à Derna est de 252 mm par an et de 1,5 mm en moyenne au mois de septembre.</p>
<p>Ces pluies très intenses se sont abattues sur des sols dénudés et desséchés durant la sécheresse estivale, caractéristique des climats méditerranéens. Cela a favorisé le ruissellement rapide de cette eau sur les versants du djebel El Akhadar qui dominent la ville, et produit une crue éclair ou <em>flash flood</em>, c’est-à-dire très rapide et violente, qui est venue gonfler très rapidement le débit de l’oued Derna, cours d’eau qui draine cette partie de la Libye, et qui prend sa source dans le djebel El Akhadar, à 800 m d’altitude. Cette crue brutale a entraîné la rupture des deux barrages construits sur cet oued dans les années 1970, justement pour protéger la ville de Derna de ces crues.</p>
<h2>Impréparation humaine</h2>
<p>Si des <a href="http://dx.doi.org.buadistant.univ-angers.fr/10.1002/jgrd.50475">études prospectives avaient déjà souligné</a> que les régions méditerranéennes semblaient menacées par la recrudescence des médicanes, la catastrophe de Derna est surtout illustrative, par son ampleur, des défaillances humaines en matière de gestion des risques.</p>
<p>La première cause directe est effectivement la rupture des barrages, qui ont libéré brutalement un volume considérable d’eau (<a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/9/13/why-did-dernas-dams-break-when-storm-daniel-hit-libya">39 millions de m<sup>3</sup></a>), générant une vague destructrice en aval, dans la zone inondable de l’oued, où des maisons et infrastructures avaient été construites après la construction des barrages, laquelle avait suscité l’illusion d’une protection totale contre ce risque de crue brutale.</p>
<p>L’effet pervers de ces aménagements de protection contre les aléas est en effet de donner cette impression d’être protégé, faisant oublier aux habitants, mais aussi aux autorités, l’existence du risque, qui pourtant est toujours présent. C’est ainsi que l’on assiste à une urbanisation inconsidérée dans ces zones à risque, et à une préparation insuffisante, voire inexistante, contre les manifestations de l’aléa contre lequel on se protège. Le 10 septembre, l’oued Derna a repris son chenal d’écoulement et réinvesti, brutalement, ses zones inondables.</p>
<p>La gestion du risque, pour être efficace, nécessite diverses actions combinées de prévention, de protection, et de « mesures de sauvegarde et de gestion des catastrophes » à proprement parler.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554933/original/file-20231020-29-r8ju6t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Situation au 13 septembre 2023 à Derna, après la tempête Daniel, bassin versant de l’oued Derna.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rapidmapping.emergency.copernicus.eu/EMSR696/download)">Copernicus.eu</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La protection implique l’entretien régulier des barrages, ce qui n’était apparemment plus le cas depuis des années, et cela alors même que des <a href="https://doi.org/10.51984/jopas.v21i2.2137">fragilités avaient été signalées en 2022</a>.</p>
<p>La prévention implique, entre autres, l’information des habitants sur les risques et les règles à respecter, comme ne pas construire en zones inondables par exemple, et avant tout de porter à leur connaissance le fait que telle ou telle zone est potentiellement inondable.</p>
<p>Les mesures de sauvegarde et de gestion des catastrophes impliquent de définir des mesures d’alerte et des consignes de sécurité, ce qui a été défaillant ici apparemment. Des informations contradictoires semblent avoir été données avant la tempête, d’évacuer pour certains et de rester chez soi pour d’autres. Sans compter que la défiance généralisée vis-à-vis des autorités locales, perçues comme corrompues et incompétentes, n’aide pas les habitants à suivre les instructions données.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NdQhkf8_LWo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ces mesures de sauvegarde et de gestion des catastrophes impliquent aussi, avant la catastrophe, de recenser et mobiliser les moyens disponibles pour le secours et l’aide des habitants. L’improvisation de ces secours, organisés par les habitants eux-mêmes dans les premières heures après la crue, ce qui en réduit l’efficacité et la portée, montre <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/18/libye-les-habitants-de-derna-demandent-des-comptes-aux-autorites-apres-les-inondations-meurtrieres_6189931_3212.html">l’ampleur de cette impréparation</a>.</p>
<p>D’autre part, ces mesures d’accompagnement et de soutien des populations, pendant et après la crise, nécessitent des autorités compétentes et légitimes. Or il n’y a plus d’État réellement légitime en Libye depuis la fin du régime de Kadhafi en 2011. Le territoire, fragilisé par des années de guerre civile jusqu’en 2020, est déchiré entre deux « gouvernements » ayant peu d’autorité ; un à l’ouest, établi à Tripoli et reconnu à l’international, et un second à l’est à Benghazi sous la coupe de Khalifa Haftar, non reconnu. C’est sous la coupe de Haftar que Derna se trouve depuis 2018 ; occupé à guerroyer contre Tripoli, le <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/les-inondations-de-derna-symbole-dune-libye-a-vau-leau-90424.php">maréchal ne se serait guère préoccupé de l’entretien de la ville</a>, et notamment des barrages, avec les conséquences que l’on sait…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215025/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aude Nuscia Taïbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Si l’inondation reflète incontestablement les effets du changement climatique, son bilan n’aurait pas été aussi terrible, loin de là, sans les graves défaillances humaines.
Aude Nuscia Taïbi, Professeure de géographie, ESO, UMR 6590, Université d'Angers
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tag:theconversation.com,2011:article/213824
2023-09-20T16:10:49Z
2023-09-20T16:10:49Z
Les conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc
<p>Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, le Maroc a connu <a href="https://medias24.com/2023/09/09/le-seisme-le-plus-puissant-de-lhistoire-recente-du-maroc/">sa plus grande catastrophe naturelle de l’époque moderne</a>, un séisme de magnitude 7 sur l’échelle Richter, d’un niveau supérieur au <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/maroc/maroc-il-y-a-60-ans-la-ville-d-agadir-etait-rasee-par-un-tremblement-de-terre_3849125.html">tremblement de terre d’Agadir de 1960</a>. Toute la région du <a href="https://www.bfmtv.com/international/afrique/maroc/seisme-au-maroc-la-province-d-al-haouz-compte-1351-morts-a-elle-seule_VN-202309100383.html">Haouz</a>, la ville de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/seisme-au-maroc-la-vieille-ville-de-marrakech-meurtrie-20230910">Marrakech</a> et l’arrière-pays montagneux ont été particulièrement affectés.</p>
<p>Dans l’état actuel des choses, le bilan humain s’élève à 3 000 morts et plus du double de blessés. 50 000 habitations auraient été détruites, certains villages étant complètement réduits en ruines. De nombreuses routes sont inutilisables. Une trentaine de monuments historiques – greniers villageois, ksours, mosquées – ont été détruits ou fortement endommagés. C’est le cas de la <a href="https://ledesk.ma/grandangle/quelle-renaissance-pour-la-mosquee-de-tinmel-apres-le-chaos/">mosquée de Tinmel</a>, à Talat N’Yaqoub, symbole de la dynastie des Almohades, qui était en restauration. C’est le cas aussi du <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/444/">grenier collectif du village d’Aït Ben Haddou</a>, qui est à présent partiellement en ruine.</p>
<p>Les dégâts s’étendent sur un large territoire, constitué essentiellement de zones rurales pauvres. Ils sont estimés à l’heure actuelle à environ <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/seisme-au-maroc-le-sinistre-pourrait-couter-9-milliards-deuros-au-pays-1479316">10 milliards d’euros</a>, soit 8 % du PIB du pays. Cela peut paraître considérable, mais il faut mettre ces chiffres en relation avec les transferts des Marocains de l’étranger, qui s’élèvent à une somme équivalente – 11 milliards en 2022.</p>
<p>Par ailleurs, le <a href="https://www.rtbf.be/article/economie-quelles-sont-les-forces-du-maroc-pour-reconstruire-apres-le-seisme-11254493">Maroc dispose de réserves de change d’un montant de 35 milliards d’euros</a>. Les infrastructures essentielles, notamment l’aéroport et la gare de Marrakech, n’ont pas été impactés, et l’essentiel des activités industrielles, qui se situent dans des régions éloignées du séisme ont été épargnées. Grace à son développement, le <a href="https://theconversation.com/pour-une-analyse-geographique-des-catastrophes-le-cas-du-seisme-du-8-septembre-au-maroc-213668">Maroc est donc en mesure de faire face à ce séisme</a>, d’autant qu’il s’accompagne d’une très forte solidarité publique et privée.</p>
<h2>Quel impact pour le tourisme ?</h2>
<p>Après la période de Covid, le Maroc a connu une <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/teoros/2020-v39-n3-teoros05803/1074905ar/">nette augmentation des entrées touristiques</a>, dans un mouvement de rattrapage de la situation antérieure à la pandémie. Au premier semestre 2023, ces entrées ont connu une augmentation spectaculaire de 92 %, ce qui était attendu après deux années particulièrement difficiles.</p>
<p>C’est d’autant plus important que la zone frappée dans la nuit du 8 au 9 septembre, à savoir la région du Haouz et la ville de Marrakech, est la plus touristique du pays. Si le <a href="https://www.europe1.fr/international/maroc-malgre-le-seisme-le-pays-mise-sur-le-tourisme-dici-les-prochaines-annees-4203678">tourisme représente 7 % du PIB marocain</a>, ce ratio est largement supérieur dans la région de Marrakech, qui ne compte pas beaucoup d’industries et qui vit essentiellement grâce aux recettes issues du tourisme. Nombre d’habitants de l’arrière-pays et de l’Atlas vivent aussi de l’artisanat que génère le tourisme, notamment la confection de tapis, paniers et autres.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YDt05VnDcxQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il est cependant probable que le séisme n’ait pas d’impact majeur sur le tourisme. Même s’il retarde quelque peu le rattrapage en cours, les dégâts dans la ville de Marrakech sont minimes et ont principalement touché une partie de la médina. Les bâtiments historiques et, notamment, le minaret de la Koutoubia ont été épargnés.</p>
<p>Certains hôtels ou riads déplorent des fissures et doivent mener des expertises pour garantir la sécurité des bâtiments, mais très peu seront contraints de se lancer dans des travaux de consolidation d’envergure. Pour l’essentiel, la capacité d’accueil des infrastructures de Marrakech est préservée et la vie est normale dans la ville. De fait, le nombre d’annulations touristiques reste à ce jour très limité, même si le dernier trimestre 2023 sera moins bon que prévu.</p>
<h2>Le difficile accès aux assurances</h2>
<p>Dans l’arrière-pays, la situation est différente. Certains villages sont détruits et les infrastructures seront affectées pendant une longue période. Mais il s’agit de sites touristiques secondaires par leur fréquentation, même si les revenus générés sont substantiels pour les populations locales.</p>
<p>Cependant, un point mérite d’être souligné. Les conséquences pour les plus pauvres dans les zones rurales seront d’autant plus difficiles à supporter que les systèmes de couverture des risques sont pour l’instant assez peu adaptés à leurs situations. Il existe en effet un régime de <a href="https://lematin.ma/express/2023/details-regime-couverture-consequences-catastrophes/394071.html">couverture contre les conséquences d’évènements catastrophiques</a> (EVCAT), qui vise à indemniser les victimes des dégâts corporels et/ou matériels résultant des catastrophes naturelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703283174560649321"}"></div></p>
<p>La <a href="https://www.evcathimaya.ma/">loi 110-14</a> met en place un régime mixte d’indemnisation qui comporte un volet assurantiel et un volet allocataire. Ceux qui disposent d’un contrat d’assurance multirisque habitation, d’un contrat automobile ou d’assurance corporelle peuvent s’adresser à leur assurance. Mais encore faut-il que le contrat inclue effectivement la protection EVCAT. Or ce dispositif date de 2020 et, d’après le <a href="https://www.acaps.ma/sites/default/files/acaps_guide_assure_vf.pdf">guide d’information de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance</a> (ACAPS), « l’insertion de la garantie EVCAT concerne les contrats souscrits ou renouvelés depuis l’entrée en vigueur de ce régime ». EVCAT ne concerne donc qu’un nombre réduit de contrats. Par ailleurs, et c’est le point le plus essentiel, la plupart des victimes n’ont pas de contrat, notamment en milieu rural.</p>
<p>Pour ceux qui ne disposent pas de contrat d’assurance, il existe un <a href="https://www.quid.ma/national/dossier-:-pourquoi-le-fonds-de-solidarite-contre-les-evenements-catastrophiques-n%E2%80%99a-pas-(encore)%20(FSCE)-ete-actionne">fonds de solidarité contre les événements catastrophiques</a> qui couvre les dommages corporels et la perte de résidence principale. Il est financé par une contribution sur les contrats d’assurance. Mais il faut un arrêté du chef du gouvernement, publié au Bulletin officiel dans un délai maximum de trois mois après la survenue de l’événement catastrophique, pour activer ce régime. Cet arrêté doit préciser la zone sinistrée, la date de l’événement, la durée de l’événement catastrophique.</p>
<p>En outre, l’activation du régime ne suffit pas. En effet, l’indemnité liée à un préjudice corporel est déterminée par l’incapacité ou le décès. La première doit être établie par un médecin exerçant dans le secteur public et le second par la fourniture de l’acte de décès. Tout cela suppose que les victimes puissent aisément s’adresser aux administrations concernées, ce qui n’est pas le cas des zones rurales. Le capital de référence qui sert de base au calcul de l’indemnité dépend du salaire ou des revenus de la victime. Ces revenus doivent naturellement être documentés par des justificatifs. Or la plupart des habitants dans les régions pauvres ne disposent pas de revenus et, s’ils en disposent, les documents sont probablement enfouis sous les décombres.</p>
<p>En ce qui concerne l’indemnité pour perte de résidence principale ou pour privation de jouissance, les choses sont aussi compliquées pour les plus pauvres. L’allocation pour privation de jouissance est fixée à six fois la valeur locative mensuelle, déterminée par un comité d’experts et encadrée par l’administration après avis de l’ACAPS. La demande d’indemnisation repose sur un rapport d’expertise rédigé par le comité d’expertise. Si le dossier est accepté, le fonds de solidarité notifie la proposition d’indemnisation au demandeur, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie extrajudiciaire.</p>
<p>On mesure ici la difficulté des procédures pour les plus pauvres qui ne sont pas toujours en possibilité de comprendre et même de lire des documents administratifs dans des villages complètement détruits, qui peuvent aussi n’avoir ni domicile ni même d’adresse.</p>
<h2>Une note d’espoir</h2>
<p>On le voit : les dispositifs mis en place pour indemniser les victimes risquent de s’adresser en priorité aux populations urbaines, titulaires de contrats d’assurance pour des dégâts partiels sur leur habitation ou leur véhicule. Les plus pauvres en zone rurale, qui sont aussi les plus impactés, risquent donc de demeurer en dehors des dispositifs mis en place. C’est pourquoi il faut espérer que le <a href="https://medias24.com/2023/09/14/don-du-roi-mohammed-vi-au-fonds-special-seisme-un-milliard-de-dh/">Fonds spécial</a> créé sur instruction royale pourra s’adresser vraiment aux plus pauvres, et que certaines organisations apporteront un accompagnement dans les démarches.</p>
<p>Finissons sur une note d’espoir. La crise peut avoir des effets positifs. En focalisant l’attention sur le <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/catastrophes/seisme/seisme-au-maroc-des-tresors-dhistoire-lourdement-endommages-930bad7a-52f6-11ee-b5f9-9df59b291d64">patrimoine matériel très riche de la région</a> et sur la situation précaire des populations, une reconstruction des infrastructures en milieu rural pourrait s’accompagner de nouvelles stratégies de tourisme durable, incluant des éléments culturels qui seraient de nature à diversifier l’offre touristique. Les conséquences dépendront finalement de la capacité du Maroc à transformer l’épreuve en opportunité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213824/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Moisseron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La catastrophe affecte en premier lieu les habitants les plus pauvres de la région frappée. Pourront-ils bénéficier pleinement des indemnisations prévues ?
Jean-Yves Moisseron, Socio-économiste Directeur de Recherche IRD/HDR, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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tag:theconversation.com,2011:article/213668
2023-09-15T17:03:08Z
2023-09-15T17:03:08Z
Pour une analyse géographique des catastrophes : le cas du séisme du 8 septembre au Maroc
<p>Le terrible séisme survenu au Maroc dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023 nous rappelle la nécessité de procéder à une <a href="https://www.cairn.info/introduction-a-l-analyse-des-territoires--9782200293024-page-15.htm">analyse géographique</a> des catastrophes pour comprendre comment peut se déployer une aide d’urgence.</p>
<p><a href="https://www.liberation.fr/international/afrique/seisme-au-maroc-le-royaume-fait-le-tri-dans-laide-internationale-20230912_BRJHDBCVH5D7ZHMHTIIYZGBOBM/">La polémique stérile sur l’aide internationale</a> est venue masquer la réalité du territoire touché et les spécificités du déploiement des secours d’urgence en zone de haute montagne. L’émotion, les élans de générosité et l’incompréhension de réalités territoriales complexes ont nourri des discours particulièrement confus.</p>
<h2>Des montagnes en pleine transformation</h2>
<p>Avant toute chose, il s’agit de bien comprendre la transformation accélérée des territoires impactés. L’épicentre du tremblement de terre se trouve à quelque 70 km au sud de Marrakech, au cœur du Haut-Atlas marocain, une vaste zone de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres toujours décrite comme pauvre, reculée, oubliée, figée dans un présent ethnographique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte des mouvements sismiques intenses qui illustre l’intensité des secousses.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Loin de <a href="https://journals.openedition.org/mediterranee/5427">l’iconographie coloniale qui nourrit aujourd’hui les imaginaires touristiques</a>, ces régions n’ont <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/3242">pas été oubliées par les autorités marocaines</a> et ont connu de profondes transformations.</p>
<p>Au cours des deux dernières décennies, l’État marocain a lourdement investi dans des infrastructures particulièrement coûteuses du fait des reliefs. La région a été dotée de routes rurales, de réseaux d’eau potable, de réseaux électriques, de barrages, d’écoles, de lycées, de dispensaires.</p>
<p>L’État a soutenu le développement d’une agriculture qui fait la part belle à l’arboriculture mais aussi d’un tourisme rural par la multiplication de gîtes et d’hôtels autour du massif du Toubkal et, depuis 2008, du <a href="https://lematin.ma/journal/2008/Activites-Royales_S-M--le-Roi-inaugure-a-Ouirgane-le-barrage-Yacoub-El-Mansour-au-coA-t-de-630-MDH/90965.html">barrage de Ouirgane</a>. L’Initiative nationale pour le développement humain <a href="https://www.maroc.ma/fr/content/indh">(INDH)</a> lancée en 2005 a permis aux communes de bénéficier d’importants soutiens financiers pour des projets spécifiques comme le transport scolaire, les ambulances mais aussi le développement de nombreuses coopératives et associations.</p>
<h2>Une profonde mutation de l’habitat</h2>
<p>Ces projets ont eu des effets complexes. En premier lieu, ils se sont traduits par des gains de productivité agricole et des transformations dans les pratiques culturales. Les cultures vivrières fortement demandeuses de main-d’œuvre ont été remplacées par des cultures plus rentables mais nécessitant beaucoup moins de main-d’œuvre, comme l’arboriculture.</p>
<p>En second lieu, les opportunités liées au développement des services, notamment dans le domaine du tourisme, n’ont pas compensé ces pertes d’emploi. Bien au contraire : de nombreuses activités (les agences, les entreprises de transport) se sont déplacées vers Marrakech, qui contrôle les flux touristiques.</p>
<p>Par ailleurs, le développement des établissements scolaires a attiré des jeunes fonctionnaires issus d’autres localités. La fécondité, encore forte au début des années 2000, s’est effondrée pour s’aligner sur des standards européens alors que l’espérance de vie a fortement progressé du fait de la chute de la mortalité infantile et maternelle du fait de la multiplication des dispensaires et des systèmes d’évacuation d’urgence.</p>
<p>Cependant, l’absence de perspectives d’emploi assombrit les horizons d’une jeunesse désormais très connectée. Les jeunes hommes s’engagent alors dans un <a href="https://www.ondh.ma/fr/publications/les-neet-au-maroc-analyse-qualitative">parcours professionnel marqué par une très forte mobilité</a>. Ils sont très nombreux à quitter le secondaire dès le cycle collégial lorsqu’ils ont des difficultés scolaires. Ils s’embauchent alors en ville pour des salaires très faibles, souvent autour de 120 euros par mois pour les mineurs, rarement au-dessus de 300 euros par mois pour les majeurs (le SMIG au Maroc est fixé à 300 euros). Ils doivent attendre d’avoir une situation économique suffisamment stable pour espérer se marier. Nombre d’entre eux espèrent s’installer en ville, mais d’autres privilégient la multiactivté, car profondément attachés à leur terre et à l’agriculture.</p>
<p>Les jeunes femmes sont plus durement touchées encore avec un taux de chômage record. Dès qu’elles arrêtent leurs études, elles se retrouvent à 92 % sans emploi. Les familles les découragent à partir en ville, sauf la toute petite minorité qui dispose d’un diplôme du supérieur permettant d’accéder à des emplois salariés déclarés avec une couverture sociale. L’écrasante majorité d’entre elles ne voit <a href="https://hal.science/hal-03311304/document">que le mariage comme horizon pour décohabiter et se construire une place sociale</a>. Se sentant oubliées, elles se marient désormais plus jeunes, souvent contre l’avis de leurs parents, en espérant fonder un foyer en ville à Amizmiz, Tahanaout ou Marrakech.</p>
<p>Par conséquent, la région est marquée par une profonde mutation de son habitat. Les demeures historiques au cœur de villages fortifiés ont été progressivement délaissées, ou conservées comme de simple bergeries ou étables. De nouvelles maisons ont été construites, plus près de la route et des établissements scolaires. Certains villages se sont vidés de leurs habitants, d’autres se sont développés. La population s’est concentrée dans les petites villes du piémont, comme Amizmiz, qui a connu une forte croissance démographique.</p>
<p>Les villages les plus isolés abritent souvent les doyens et surtout les doyennes attachées à leurs demeures, quelques ménages ayant maintenu une forte activité agricole, et de jeunes ménages dont l’époux qui travaille dans les plaines n’a pas les revenus suffisants pour s’installer en ville. Les médias ont fortement mis en scène ces figures emblématiques de femmes âgées vivant seules ou de jeunes mères avec de nombreux enfants, choquées et désemparées devant la catastrophe. Outre la puissance iconographique de la piéta, elles incarnent aussi une réalité sociale qui est celle de villages où les jeunes hommes sont souvent absents en dehors des récoltes.</p>
<p>Le développement des routes a accéléré les mobilités et la recomposition de l’habitat et des habitants. Au mois de septembre, plusieurs événements se conjuguent.</p>
<p>En zone de haute montagne, des ménages ont encore des pratiques pastorales importantes qui les amènent en altitude, dans les bergeries. C’est aussi la première semaine de rentrée scolaire. Les jeunes professeurs sont venus prendre leur poste. Les familles avec des enfants sont installées à proximité des écoles ou des arrêts des bus scolaires. Les collégiens et lycéens ont rejoint les internats. Mais ce n’est pas encore la rentrée universitaire ; les étudiants sont encore présents dans certaines localités, de même qu’un certain nombre de personnes originaires de ces vallées, travaillant ailleurs mais venues en vacances dans leur village d’origine. Enfin, de nombreux hommes hésitent entre partir à la recherche d’emploi sur les chantiers de construction dans les grandes villes ou attendre la fin des récoltes, selon les promesses des arbres fruitiers.</p>
<h2>L’information géographique préalable, indispensable au déploiement des secours</h2>
<p>Cette description des pratiques sociales peut paraître superfétatoire mais elle est essentielle pour comprendre la complexité du déploiement des secours.</p>
<p>Vu l’ampleur de la zone géographique touchée, pour intervenir efficacement les autorités doivent disposer des bonnes informations. Or, les premières estimations faisaient état de 55 localités (villages et hameaux, désignés par les termes de douars et sous-douars) à moins de 10 km de l’épicentre, 652 entre 10 et 30 km et un peu moins de 1 200 entre 30 et 50 km de l’épicentre.</p>
<p>Du fait du relief, de très nombreuses localités ne sont accessibles depuis les plaines de Marrakech au nord et de Taroudant au sud que par quelques routes principales particulièrement endommagées par le séisme.</p>
<p>Pour connaître l’ampleur du désastre, les autorités se sont appuyées sur le premier agent d’autorité, dénommé le moqqadem, qui est présent dans tous les villages. Il a pour mission principale le suivi de la population. Il est généralement le seul à connaître la réalité du nombre de personnes présentes dans le village. Il communique les informations au caïd, représentant de l’autorité à l’échelle d’une plusieurs communes, qui, lui-même, les transmet au gouverneur, lequel coordonne toutes les forces de sécurité.</p>
<p>Le Maroc a donc une structure assez efficace pour la remontée des informations. Malheureusement, dans certains villages, le moqqadem figure parmi les victimes. Le recours aux nouvelles technologies peut certes permettre d’estimer l’ampleur des dégâts matériels, mais cela n’indique que difficilement le nombre de victimes potentielles, du fait des importants flux de population au mois de septembre. Toutes ces caractéristiques ont compliqué la localisation des victimes et l’affectation des moyens d’urgence.</p>
<p>À cette complexité s’est ajoutée celle de la progression des secours. Même si le Maroc dispose de très nombreux engins de chantier, leur acheminement s’est avéré difficile car les vallées sont très profondes, avec des villages disséminés de part et d’autre. Les forces de sécurité ont été confrontées à l’urgence des premiers villages du bas de la vallée, qui sont souvent les plus peuplés, tout en devant dégager les routes et les pistes pour avancer, ce qui demande des moyens techniques assez importants.</p>
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<p>Ce déploiement a été beaucoup plus difficile que s’il avait pu se faire dans une grande ville. Il se traduit alors mécaniquement par des effets d’engorgement mais aussi par l’incapacité de certaines équipes spécialisées à se déployer. Il est possible d’héliporter des sauveteurs et leurs chiens, mais impossible d’apporter dans les mêmes délais une pelleteuse.</p>
<p>Les autorités ont donc opéré des choix d’intervention dans les lieux où il y avait potentiellement plus de victimes et, surtout, la possibilité de développer une action efficace. Dans certains quartiers urbains et certains villages, les habitants étaient à même de s’organiser entre eux et disposaient des ressources suffisantes, notamment si le travail ne nécessitait pas l’intervention de pelleteuses mécaniques ou d’autres engins lourds. Le mot d’ordre a donc été que les habitants agissent sans attendre une potentielle aide extérieure pour gagner un temps précieux.</p>
<h2>Un déploiement national efficace, fruit des apprentissages de la crise Covid</h2>
<p>Les premières estimations portaient sur 18 000 familles ayant besoin d’une aide d’urgence. <a href="https://telquel.ma/instant-t/2023/09/14/reconstruction-relogement-indemnisation-ce-que-le-roi-prevoit-pour-les-victimes-du-seisme_1831548/">Le 14 septembre, les autorités ont estimé que 50 000 logements</a> pourraient nécessiter des travaux allant de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-vendredi-15-septembre-2023-8071990">la reconstruction complète à la reconstruction partielle</a>.</p>
<p>Cela représente moins de la moitié de la production annuelle de logements au Maroc, qui était de 118 620 en 2018, avant la crise Covid. À l’échelle du pays, cette situation ne dépasse pas les capacités des autorités marocaines, mais elle suppose une très forte coordination.</p>
<p>L’intervention internationale, dans ce contexte, n’est pas une garantie d’efficacité car elle rencontre des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/13/avec-les-sauveteurs-au-maroc-nous-ne-trouvons-plus-que-des-morts_6189175_3212.html">problèmes spécifiques reconnus par les professionnels eux-mêmes sur le terrain</a>. La langue : dans la zone touchée, très peu de gens parlent une autre langue que l’arabe dialectal marocain ou le <a href="https://centrederechercheberbere.fr/chleuh.html">tachelhit</a>. Les délais : sur les réseaux sociaux, les organisations internationales se disent toujours prêtes à intervenir, mais dans les faits, c’est différent. Les règles de déploiement : dans ces vallées, il faut mettre en place en aval un terrain pour déployer un hôpital et centraliser le matériel, ce qui nécessite une connaissance du relief et des infrastructures routières.</p>
<p>La volonté de collaborer et l’habitude de collaborer sont donc indispensables. Or seuls les Espagnols coopèrent régulièrement avec les Marocains, dans la lutte contre les incendies notamment. Enfin, la mobilisation nationale a généré un engorgement sans précédent de certains axes routiers, du fait des <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/maroc/video-seisme-au-maroc-des-convois-humainitaires-improvises-719e2389-f082-41d3-8a9d-acff14fcc203">multiples convois d’aide qui ont convergé de tout le pays</a> vers les zones sinistrées. Les ambulances et les engins de chantier ont connu des difficultés à circuler, ralentissant d’autant les opérations de dégagement et d’évacuation et obligeant les autorités à interdire l’accès à certaines routes. Le 14 septembre, les autorités provinciales de Taroudant ont demandé à ne plus recevoir de dons. Les forces de l’ordre ont fermé l’accès aux convois humanitaires aux routes stratégiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1700515906483318985"}"></div></p>
<p>En cinq jours, toutes les routes ont été dégagées, tous les blessés ont été pris en charge dans des hôpitaux de campagne ou à Marrakech, tous les ménages sinistrés ont été installés dans des camps de tentes où ils reçoivent aide alimentaire et biens de première nécessité. Surtout, le gouvernement a annoncé un protocole d’indemnisation d’urgence ainsi qu’un protocole de reconstruction.</p>
<h2>Aider à reconstruire : une aide budgétaire massive</h2>
<p>Il apparaît clairement que le Maroc, à l’instar de nombreux pays, a développé une forte capacité à gérer les crises, notamment après la crise Covid-19. Suite à l’effondrement de la solidarité internationale en quelques jours, nombre de pays avaient alors compris que la <a href="https://journals.uvic.ca/index.php/bigreview/article/view/19760">solution la plus efficace était l’auto-organisation</a>. Dans un contexte d’incertitude croissante du fait du réchauffement climatique, c’est une excellente nouvelle de voir émerger des pays à même de faire face rapidement à une catastrophe alors que d’autres sombrent dans les guerres civiles.</p>
<p>Les anciennes puissances coloniales souhaitent maintenir une aura humanitaire, mais la réalité est que de nombreux pays à revenus plus modestes ont désormais développé des capacités d’intervention particulièrement efficaces sur leur territoire et sont même capables d’intervenir en dehors de leurs frontières. Le Maroc fait partie de ces nouveaux acteurs régionaux de l’aide humanitaire d’urgence, pouvant apporter son soutien aussi bien à <a href="https://lematin.ma/express/2012/Extinction-des-incendies-aux--Canaries_Madrid-remercie-le-Maroc-pour-son-aide--/170318.html">l’Espagne</a> qu’au <a href="https://www.levert.ma/le-maroc-aide-le-portugal-a-combattre-les-feux-de-foret/">Portugal</a> mais aussi <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/Covid-19-le-retour-du-soft-power-marocain-en-afrique-subsaharienne-16-06-2020-2380253_3826.php">à d’autres pays d’Afrique</a>.</p>
<p>Désormais, la question est celle des modalités de la reconstruction. La solution la plus efficace sera l’aide budgétaire massive et sans condition à <a href="https://www.karthala.com/accueil/3370-tisser-le-temps-politique-au-maroc-9782811127657.html">l’État marocain</a>. Seul l’État est à même de reconstruire les routes, les réseaux d’eau potable, d’électricité, et les infrastructures agricoles.</p>
<p>Cette reconstruction pèsera très lourdement sur les finances publiques marocaines, qui sont actuellement dans une situation très difficile. <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/au-maroc-la-tension-sociale-monte-face-a-l-inflation-galopante-958277.html">L’inflation</a>, même si elle est plus modérée que dans d’autres pays de la zone, rogne le pouvoir d’achat des ménages. Le gouvernement maintient un équilibre fragile, principalement grâce aux remises des Marocains résidant à l’étranger et aux devises touristiques. Ces deux mannes permettent de réduire le déficit commercial, mais pas le déficit budgétaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Goeury a reçu des financements du Fonds National Suisse, dans le cadre du dispositif “Encouragement de projets en sciences humaines et sociales (Division I)” "Régénération des régions oasiennes. Vers une convergence des dimensions techniques, institutionnelles et écologiques des écosystèmes ?" (2022-2025) et de la ville de Paris, dans le cadre du dispositif de soutien à la recherche "Emergence(s)", pour le projet "Lieux d'histoires, lieux de mémoires interconfessionnels des communautés oasiennes. Maroc-Israël-Europe-Amérique du Nord" (2022-2026)</span></em></p>
Pour analyser les effets du séisme et évaluer la réponse des autorités, il est indispensable de bien comprendre la réalité géographique, économique et sociale de la zone touchée.
David Goeury, Géographe, membre du laboratoire Médiations / Sciences des liens, sciences de lieux, Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/213303
2023-09-13T19:51:53Z
2023-09-13T19:51:53Z
Indépendance de l’Azawad : et si la déstabilisation du Sahel avait pu être évitée ?
<p>Depuis deux ans, les <a href="https://acleddata.com/10-conflicts-to-worry-about-in-2022/sahel/mid-year-update/">données relatives à la situation au Sahel</a> sont particulièrement alarmantes : nombre de morts, de réfugiés, de déplacés internes, d’enfants déscolarisés, expansion du champ d’action des groupes terroristes, instabilité politique <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">au Mali, au Burkina Faso et au Niger</a>…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">Niger : le putsch de trop</a>
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<p>Le Mali incarne désormais le cercueil du maintien de la paix onusien et le Niger est en passe d’être celui de la Cédéao. Pis encore, la <a href="https://www.alliance-sahel.org/projets-pdu/projet-trois-frontieres/">« région des trois frontières »</a> (la zone frontalière du Burkina Faso, du Mali et du Niger) est notamment devenue un terrain d’affrontements réguliers entre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS) ; et les capitales sahéliennes sont devenues l’un des épicentres des tensions entre grandes puissances, ce dont les conséquences sur le long terme sont encore loin d’être connues.</p>
<p>Dans ce contexte, le rejet des traditionnels partenaires de la communauté internationale, en premier lieu la France, et l’émergence d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/04/achille-mbembe-en-afrique-la-stabilite-passera-par-une-demilitarisation-effective-de-tous-les-domaines-de-la-vie-politique-economique-et-sociale_6184430_3232.html">« néo-souverainisme africain »</a> – pour reprendre les mots d’Achille Mbembé – ont donné lieu à un vaste bilan d’ensemble de ce qui a été entrepris depuis dix ans par la communauté internationale : approche militaire de la France et de l’UE, efficacité du processus de paix, <a href="https://theconversation.com/afrique-lefficacite-et-levaluation-de-laide-au-developpement-en-question-115168">aide au développement</a> et rôles des organisations spécialisées (G5 Sahel, Alliance Sahel, Coalition pour le Sahel).</p>
<p>Au regard de sa centralité dans la géopolitique du Sahel, la gestion de la « question touarègue » par la communauté internationale doit figurer dans ce bilan, auquel cet article entend contribuer en posant les bases d’une analyse contrefactuelle. La situation au Sahel serait-elle pire si l’État de l’Azawad (nom donné à un territoire d’environ 820 000 km<sup>2</sup> situé dans le nord du Mali, abritant selon le dernier recensement de 2009 près de 1,3 million d’habitants dont, bien que minoritaire, une importante proportion de touaregs, et revendiqué par les différentes <a href="https://www.rfi.fr/fr/hebdo/20160415-afrique-touareg-rebellions-niger-mali-algerie-burkina-faso-histoire">rébellions touarègues depuis 1963</a>) avait été reconnu après la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/04/06/le-mnla-proclame-l-independance-de-l-azawad_1681744_3212.html">déclaration d’indépendance</a> du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA), fondé en 2011 sur les bases du <a href="https://noria-research.com/du-mna-au-mnla-le-passage-a-la-lutte-armee/">Mouvement national de l’Azawad</a> (MNA) ?</p>
<h2>La déclaration d’indépendance du MNLA rejetée au nom de la lutte contre le « terrorisme »</h2>
<p>Le 6 avril 2012, le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Achérif, proclame unilatéralement, depuis Gao (la grande ville du nord du Mali), <a href="https://www.jeuneafrique.com/176626/politique/nord-mali-le-mnla-proclame-unilat-ralement-l-ind-pendance-de-l-azawad/">l’indépendance de l’État de l’Azawad</a>, positionnant son mouvement sur une ligne démocratique et laïque en opposition aux groupes djihadistes. Cette déclaration, qui s’inscrit dans la logique même des opérations d’un mouvement de libération nationale, advient dans un contexte hautement volatil, fait d’alliances opportunes puis de compétition pour le contrôle des villes du Nord-Mali entre le MNLA et plusieurs groupes djihadistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mali : le MNLA proclame l’indépendance de l’Azawad (TV5 Monde, 6 avril 2012).</span></figcaption>
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<p>À Bamako, en réaction à la situation devenue incontrôlable dans le nord du pays, un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2012/03/22/01003-20120322ARTFIG00511-mali-le-president-renverse-par-un-coup-d-etat-militaire.php">coup d’État militaire</a> avait mis fin aux fonctions du président Amadou Toumani Touré le 21 mars 2012. Les putschistes, qui se trouvent le 6 avril en pleine discussion avec la Cédéao sur les modalités du retour à l’ordre constitutionnel et de remise du pouvoir aux civils, s’opposent totalement à l’indépendance de l’Azawad et considèrent le MNLA comme une entité ennemie, plus encore que les groupes djihadistes.</p>
<p>Sans surprise, <a href="https://www.peaceau.org/fr/article/l-union-africaine-rejette-totalement-la-pretendue-declaration-d-independance-faite-par-un-groupe-rebelle-dans-le-nord-mali">l’Union africaine exprime immédiatement son « rejet total » de cette déclaration</a> et rappelle son attachement au principe de l’intangibilité des frontières – alors même qu’un an plus tôt, l’organisation avait reconnu l’État du <a href="https://www.cairn.info/les-etats-submerges--9782100567294-page-210.htm">Sud-Soudan, issu lui même d’une sécession avec le Soudan</a>.</p>
<p>De même, le Conseil de sécurité des Nations unies <a href="https://press.un.org/fr/2012/cs10698.doc.htm">affirme</a> son « rejet catégorique des déclarations du MNLA relatives à une prétendue “indépendance” du nord du Mali ». La France adopte logiquement la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mali-la-france-rejette-la-declaration-d-independance-de-l-azawad-06-04-2012-1449084_20.php">même position</a>.</p>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.lgdj.fr/la-rebellion-et-le-droit-international-le-principe-de-neutralite-en-tension-9789004297753.html"><em>La rébellion et le droit international : le principe de neutralité en tension</em></a>, le juriste Olivier Corten affirme que le principe de neutralité de la communauté internationale qui prévaut en pareilles circonstances ne s’est pas appliqué au MNLA, « non par le seul fait de la tentative de sécession en tant que telle, mais en raison des liens entretenus entre les mouvements sécessionnistes avec des groupes considérés comme terroristes ». Ces propos font référence à la signature d’un “protocole d’entente” le 26 mai 2012 entre le groupe djihadiste Ansar dine (affilié à AQMI) et le MNLA pour la conquête de la ville de Gao face aux forces armées maliennes, <a href="https://www.france24.com/fr/20120529-mali-fusion-entre-rebellion-touareg-mnla-groupe-islamiste-ansar-dine-bloquee-crise-politique-nord-azawad">protocole pourtant très vite dénoncé par les cadres du MNLA</a> suite aux mésententes entre les deux parties sur l’application de la charia.</p>
<p>En 2012, le terrorisme djihadiste était un phénomène encore embryonnaire au Sahel. Mais les partenaires étrangers du Mali l’ont placé au cœur de leur gestion de la « question touarègue » par les Nations unies. Dans le cadre du processus de paix initié dès 2013, la <a href="https://minusma.unmissions.org/mandat-0">Minusma</a> a été contrainte d’opérer la distinction entre, d’une part, les éléments touaregs membres de groupes sécessionnistes (qui travailleront avec l’ONU dans le cadre du processus de paix), et, d’autre part, ceux membres de groupes terroristes (qui, eux, seront dans le viseur des forces antiterroristes, dont l’opération française Serval qui a déployé ses troupes en janvier 2013 à la demande du Mali). Or cette <a href="https://www.afri-ct.org/article/le-maintien-de-la-paix-face-au-terrorisme-la-france-au-mali/">approche fait fi de la grande fluidité engendrée par les liens tribaux et claniques dans cette région</a> ainsi que de l’opportunisme qui peut motiver certains alignements ponctuels, qu’ils soient collectifs ou individuels.</p>
<p>Cette approche a ouvert le champ, dès <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20130619-mali-grandes-mesures-accord-signe-ouagadougou">l’Accord préliminaire de Ouagadougou en 2013</a> qui visait à organiser l’élection présidentielle malienne de 2013, à l’émergence d’une immense zone grise dont toutes les parties impliquées – gouvernementales, militaires, groupes armés, partenaires internationaux – ont su tirer avantage à travers la signature poussive, en 2015, de <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/Accord%20pour%20la%20Paix%20et%20la%20R%C3%A9conciliation%20au%20Mali%20-%20Issu%20du%20Processus%20d%27Alger_0.pdf">l’Accord pour la Paix et la Réconciliation</a>, dit Accord d’Alger.</p>
<h2>L’Accord d’Alger, la renaissance avortée de la souveraineté du Mali</h2>
<p>L’Accord a été signé par le gouvernement du Mali ; les groupes armés touarègues pro-indépendance de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (la CMA, qui regroupe le MNLA, le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad et le Mouvement arabe de l’Azawad) ; et les groupes armés touaregs « loyalistes » de la Plateforme (notamment le Groupement d’Autodéfense des Touarègues Imghads et Alliés et le Mouvement pour le Salut de l’Azawad-Dahouassak).</p>
<p>En dépit de quelques mesures symboliques, à l’instar de la mise en place dans plusieurs villes du Nord tenues par la CMA <a href="https://minusma.unmissions.org/autorit%C3%A9s-int%C3%A9rimaires-leur-mise-en-place-effective-%C3%A0-kidal-gao-et-m%C3%A9naka">d’autorités intérimaires</a>, du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170823-mali-etat-reprend-pied-kidal-gouverneur-retour-sidi-mohamed-ichrach">retour en 2017 à Kidal</a> – fief des touaregs au nord du Mali – du gouverneur, représentant de l’État malien, qui en était absent depuis mai 2014, de l’instauration du <a href="https://minusma.unmissions.org/processus-de-paix-le-m%C3%A9canisme-op%C3%A9rationnel-de-coordination-moc-de-tombouctou-est-lanc%C3%A9">Mécanisme opérationnel de Coordination</a> (MOC), et de l’annonce de l’intégration dans l’armée malienne de <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/mali-accord-pour-une-integration-de-26000-ex-rebelles-dans-larmee-1045799">milliers d’anciens rebelles</a> via le processus de « Désarmement, Démobilisation, Réinsertion » (DDR), aucune avancée substantielle dans la mise en œuvre concrète de l’Accord n’a laissé présager d’un règlement pérenne du conflit malien.</p>
<p>En effet, les autorités intérimaires n’ont jamais reçu les fonds promis ; le <a href="https://minusma.unmissions.org/des-dizaines-de-morts-lors-d%E2%80%99une-attaque-suicide-au-moc-%C3%A0-gao-ce-matin">MOC a été visé par les groupes terroristes</a> dès son lancement et n’a jamais été opérationnel ; le gouverneur est revenu seul à Kidal, sans son cabinet ; et l’intégration dans l’armée des éléments issus du DDR s’est toujours heurtée aux désaccords des parties sur la question des rangs à leur réserver dans la chaîne de commandement.</p>
<p>Cet Accord aurait pourtant pu être le vecteur d’un nouveau départ pour le Mali. Fort d’une armée reconstituée autour des meilleurs éléments issus des groupes rebelles, Bamako aurait pu combattre plus efficacement le terrorisme avant qu’il ne mute progressivement en une guerre communautaire et ne s’exporte aux pays frontaliers.</p>
<p>Les populations du Nord auraient pu bénéficier d’une gouvernance autonome adaptée à leurs besoins, conformément au principe de la « libre administration » consacrée par l’Accord, tout en ayant mieux accès aux services sociaux de base grâce à tous les appuis rendus possibles par la Minusma. Bamako aurait pu se prévaloir d’avoir octroyé aux régions du Nord – après quatre rébellions et trois accords de paix signés en 1992, 2006 puis 2015 – un statut juridique autonome qui aurait pu préfigurer un nouveau modèle de gouvernance en prévision des immenses réformes à venir sur le continent. Mais rien de cela n’eut lieu.</p>
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<p>Face aux atermoiements de Bamako dans la mise en œuvre de l’Accord, le soutien des populations du nord aux groupes sécessionnistes s’est renforcé. Les groupes de la CMA ont consolidé leur cohésion avec les groupes rivaux de la Plateforme à travers la création du <a href="https://www.aps.dz/monde/120346-mali-accord-de-paix-la-cma-et-la-plateforme-annoncent-la-creation-d-un-csp">Cadre stratégique permanent</a>, qui élargit leur base ethnique, accroît leurs capacités diplomatiques à travers les nombreuses réunions de la <a href="https://minusma.unmissions.org/communiqu%C3%A9-de-la-m%C3%A9diation-internationale-14">Médiation internationale</a> et développe leurs capacités administratives par l’exercice de la gouvernance locale dans les villes du Nord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514892682346352640"}"></div></p>
<p>L’Accord a été fragilisé par l’avancée des groupes djihadistes et le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/08/18/coup-d-etat-au-mali-le-president-ibrahim-boubacar-keita-et-son-premier-ministre-aux-mains-des-putschistes_6049272_3212.html">coup d’État de 2020 contre le président Ibrahim Boubacar Keïta</a>, puis mis à mal par la rupture diplomatique avec la France et la <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/le-mali-demande-le-retrait-sans-delai-de-la-mission-de-lonu-2648487">demande de retrait de la Minusma exprimée par la junte</a>, si bien que le bilan de la présence internationale au Mali n’est guère satisfaisant : en dix ans, le terrorisme s’est répandu du Nord-Mali à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et rien n’a été réglé au sujet de la « question touarègue », pourtant considérée comme l’un des facteurs initiaux de la crise.</p>
<h2>La France, victime de sa prophétie autoréalisatrice d’accusation d’ingérence</h2>
<p>Durant toutes ces années de présence occidentale, la France aura été la puissance la mieux positionnée pour faire avancer le règlement de la « question touarègue » en appuyant la tenue d’une conférence régionale avec le Mali, le Niger et l’Algérie. Mais rien ne fut fait, dans le souci constant de ne pas donner le sentiment de s’ingérer dans les affaires intérieures du Mali – une ambition louable mais mise à mal par la présence évidente de milliers de soldats français sur le sol malien.</p>
<p>C’est bien la « lutte contre le terrorisme » qui a recouvert ce paradoxe au prétexte que cette lutte constituait la seule priorité pour Paris ; or le règlement de la question touarègue aurait été l’une des réponses à ce mal multiforme que représente le terrorisme. Paradoxalement, les accusations d’ingérence à l’encontre de la France n’ont fait que croître à mesure qu’elle cherchait à se faire la plus discrète sur ce sujet.</p>
<p>Aujourd’hui, ce sont les États-Unis qui semblent disposer des capacités nécessaires dans la région pour permettre d’éventuelles avancées. De ce fait, l’hypothèse de l’indépendance, si elle se posait à nouveau, pourrait bien mériter une considération supérieure à une simple accusation de forfaiture unilatérale. Inkinane Ag Attaher, l’un des fondateurs du MNLA, prévient que le risque de voir les groupes touarègues être pris en étau entre les groupes terroristes – très actifs dans les brousses – et la junte militaire – obsédée par la reprise du contrôle des villes, notamment de Kidal – n’a jamais été aussi élevé.</p>
<h2>L’indépendance, pourquoi pas ?</h2>
<p>La communauté internationale aura interprété la déclaration d’indépendance du 6 avril 2012 comme une excroissance du terrorisme plutôt que comme le signe avant-coureur d’une crise sous-régionale. Ce fut une occasion manquée pour les organisations régionales d’ouvrir le vaste chantier de la gouvernance en Afrique de l’Ouest. Un chantier qui aurait visé à émanciper les États francophones du modèle administratif post-colonial, centralisé, sans égards vis-à-vis des demandes croissantes d’autonomie dans la gestion des affaires publiques.</p>
<p>Ce modèle a, <em>in fine</em>, fait le jeu des groupes terroristes dans les zones les plus reculées. Al-Qaida et l’État islamique ont gagné beaucoup de terrain sur les groupes touarègues, la première cherchant actuellement à <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230908-mali-s%C3%A9rie-d-attaques-terroristes-dans-les-r%C3%A9gions-de-gao-et-tombouctou">reprendre le contrôle de Tombouctou</a> (selon le même scénario qu’en <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20131006-chronologie-aqmi">2012</a>) – et le second renforce continuellement son emprise sur la <a href="https://theconversation.com/mali-pourquoi-la-katibat-macina-et-letat-islamique-au-sahel-se-combattent-dans-le-macina-202464">région de Ménaka</a>. Ils sont les grands gagnants de l’absence de résultat qui prévalait derrière le <em>Gentleman’s agreement</em> que constituait l’Accord d’Alger. En retour, face aux terroristes et à la junte, la popularité idéologique du MNLA et l’idée d’indépendance restent très fortement ancrées dans l’esprit des populations du Nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Ollivier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En 2012, le Mouvement national de Libération de l’Azawad a proclamé l’indépendance de ce vaste territoire situé au nord du Mali. La situation actuelle invite à repenser cet épisode.
Bertrand Ollivier, Chercheur associé à l'Observatoire du Maintien de la Paix Boutros Ghali (GRIP) / Chercheur associé au Centre Thucydide de l'Université Paris II Panthéon Assas / Chargé d'enseignement en Relations internationales à l'ICP, Institut catholique de Paris (ICP)
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tag:theconversation.com,2011:article/210682
2023-08-27T19:01:03Z
2023-08-27T19:01:03Z
Le festival Sounds of Sahara, symbole éphémère d’une Tunisie novatrice et résistante
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544894/original/file-20230827-94298-7jvzq5.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C9%2C2087%2C1418&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le set du groupe électro Jugurtha au festival Sounds of Sahara, en mars 2017. </span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran Youtube</span></span></figcaption></figure><p>Sous le régime autoritaire tunisien d’avant la révolution de 2011, l’organisation des manifestations culturelles n’échappait jamais au contrôle du pouvoir politique et ses institutions de tutelle. L’art et la culture étaient instrumentalisés pour promouvoir l’action politique du président déchu et de son parti. Comme nous l’avons montré dans <a href="https://www.theses.fr/2009TOU20031">nos travaux</a>, la scène culturelle et artistique était alors caractérisée par l’absence de manifestations avant-gardistes ou encore subversives en privilégiant celles à forte teneur politique et patrimoniale : festivals dédiés aux patrimoines historiques, culinaires, religieux et aux chants patrimoniaux. Citons à titre d’exemples le <a href="https://www.festivaldouz.org.tn/">festival international du Sahara</a> organisé à Douz depuis 1967 et le <a href="http://www.rtci.tn/festival-international-ksours-sahariens-tataouine-les-1819-20-mars-2023/">festival international des Ksour sahariens</a> né en 1979 à Tataouine dans le Sud tunisien.</p>
<p>Après la révolution, la vie culturelle du pays (du nord au sud) s’est ouverte à de nouveaux concepts à travers le foisonnement des <a href="https://mixmag.fr/feature/scene-electronique-tunisienne-assembl%E9e-17">festivals de musique électronique</a> ou encore de théâtre avec le <a href="https://www.tunisie.fr/1ere-edition-du-festival-international-du-theatre-au-sahara/">festival international de théâtre au Sahara</a>. Innovants, ces festivals cherchent à cultiver une image contemporaine, engagée et plus branchée.</p>
<h2>Les festivals de musique se multiplient</h2>
<p>Les festivals de musique rencontrent en Tunisie, comme dans d’autres pays du Maghreb (Maroc, Algérie), une croissance assimilable à une <a href="https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1992_num_57_1_1705">festivalomanie</a> qui touche autant les villes que les villages. Ces évènements, outre leur dimension artistique et culturelle, entretiennent un lien avec des territoires souvent fragiles et marginalisés. Ils participent à de nouvelles dynamiques sociétales et touristiques.</p>
<p>En février 2011, en plein couvre-feu décrété sur la capitale Tunis et sa région en raison de la situation sécuritaire incertaine après la chute de Ben Ali, le festival <a href="https://mixmag.fr/feature/scene-electronique-tunisienne-assembl%E9e-17">Under Couvre Feu</a> a été précurseur. Cette manifestation défiait les interdits : 1200 personnes se sont retrouvées pour danser afin de récolter des fonds pour venir en aide à l’hôpital de Sidi Bouzid, ville charnière dans la révolution populaire tunisienne suite à l’immolation par le feu du jeune Mohammed Bouazizi.</p>
<p>L’évènement a inspiré la création d’autres festivals de la scène électronique partout dans le pays grâce à des associations, à des collectifs d’artistes alternatifs, de passionnés et d’activistes engagés souhaitant rompre avec la censure et la répression qu’exerçait l’ex-président. Ces événements incarnent des formes d’engagement pour la valorisation du patrimoine et des paysages tunisiens (<a href="https://tunisie.co/web-tv/407/dunes-electroniques">Les dunes électroniques</a>, <a href="https://tunisie.co/article/5389/sortir/festivals/sounds-223115">Sounds of Sahara</a>) ou encore pour la protection de l’environnement (<a href="https://mixmag.fr/feature/fairground-festival-la-scene-electro-tunisienne-prend-son-envol">Fairground festival</a> à l’Ecovillage à Sousse au Nord-est et <a href="https://lexpertjournal.net/fr/dougga-fest-sound-of-stones-une-premiere-edition-unique-en-son-genre-en-tunisie/">Sound of stones</a> à Dougga au Nord-ouest). La première édition de ces festivals s’est déroulée respectivement à Tunis 2011, à Nefta 2014, à Sousse 2014, à Tozeur 2016, à Sousse 2016 et à Dougga 2017 avec l’appui de plusieurs instances et associations.</p>
<p>Pour faire face à la crise touristique, le ministère du Tourisme et de l’Artisanat tunisien, en collaboration avec les professionnels du secteur, prennent des mesures pour gérer et atténuer les dégâts provoqués par les deux attaques terroristes qui avaient visé le musée national de Bardo à Tunis le 18 mars 2015 et un hôtel dans la ville de Sousse. Ainsi, <a href="https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/2158">l’industrie touristique mise désormais sur l’événementiel</a> et l’exploitation de la culture sous toutes ses formes. Elle expérimente de nouvelles niches telles que les festivals de musique électronique.</p>
<h2>Résistance et engagement citoyen</h2>
<p>Le festival de musique électronique Sounds Of Sahara (S.O.S), qui s’est tenu en 2016 et en 2017, s’inscrit dans une dynamique festivalière faisant circuler divers discours, images et sonorités qui participent de la <a href="http://liseuse.harmattan.fr/978-2-343-19303-8">visibilité du territoire</a> au niveau national et international. Ce festival a investi la région du Jérid, vivant essentiellement de l’activité touristique, et qui souffre de l’instabilité politique du pays et des répercussions des attaques terroristes.</p>
<p>Conçu et mis en place suite à un appel au secours lancé par l’office du tourisme, le festival se présente selon son directeur comme un <a href="https://www.webmanagercenter.com/2017/03/13/404188/le-festival-de-musique-electronique-sounds-of-sahara-au-secours-du-tourisme-saharien-dans-les-decors-naturels-de-smaira/">SOS pour sauver la région</a> et plus largement la Tunisie dans un esprit de solidarité.</p>
<p>Ainsi, des collectifs d’artistes alternatifs, de passionnés et d’activistes engagés souhaitant rompre avec le contrôle qu’exerçait l’ex-président Ben Ali sur la culture et l’art et des stars internationales ont été invités pour soutenir la région et relever le défi : mixer en plein désert et en période d’état d’urgence proclamé dans tout le pays.</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.facebook.com/90minutes.TV/videos/1254422097926982/">DJ internationaux</a> ont répondu présents venus de France, Angleterre, Allemagne et Espagne. Attirés par l’occasion de mixer dans des décors mythiques, les DJ s’engagent dans un projet à forte connotation sociale : empêcher la fermeture des hôtels, source d’emploi pour plusieurs familles dans la région, et porter le regard vers cette destination touristique pour faire revenir les vacanciers.</p>
<p>Pendant les trois jours du festival, le Jérid tunisien est devenu l’objet de désir touristique, de consommation visuelle et sonore. Un public de quatre mille personnes en provenance essentiellement du Sud tunisien, du Nord-est et Nord-ouest ainsi que de l’Algérie et de France a contribué au succès de la manifestation et dynamisé les villes de Nefta et de Tozeur. Les hôtels menacés de fermeture ont accueilli les soirées DJ et hébergé les musiciens et festivaliers qui en ont profité pour visiter une « ville en fête ».</p>
<p>Aussi Sounds of Sahara traduit-il une forme de résistance face à la violence extrémiste. Le slogan de la deuxième édition « On n’arrête pas un peuple qui danse ! », comme nous l’a explique la chargée de communication du festival, est révélateur du souhait de lutter contre les idées intégristes hostiles à toute forme artistique : la musique, la danse, tout simplement la fête. Aussi, la médiatisation du festival par des <a href="https://tv-programme.com/le-supplement_magazine/le-supplement_e364728">chaînes de télévision étrangères</a>, telle que Canal+, met en exergue ces propos de résistance.</p>
<p>L’évènement s’est également construit autour de l’idée d’un « festival qui veut lutter contre Daesh » : symbole d’ouverture, de solidarité et de résistance d’un peuple face à la violence extrémiste qui a frappé la Tunisie, mais aussi des pays Européens.</p>
<h2>Un territoire en crise</h2>
<p>Le touriste est interpellé pour vivre une expérience sensorielle et émotionnelle unique dans l’espace désertique, de « voyager hors des sentiers battus » selon le directeur du festival. L’imagerie touristique du Sahara tourne autour de la découverte, de l’aventure, de la contemplation et de l’exploration. Mais le Jérid tunisien entretient également une relation forte avec le cinéma.</p>
<p>Depuis les années 70, le septième art fait partie de son histoire et ce à l’échelle internationale. En effet, la région héberge depuis 1976 le décor du tournage de la saga Star Wars où Georges Lucas avait construit la cité MOS ESPA, capitale de sa planète Tatooine. Ce décor a été construit spécialement pour le tournage en plein désert à 20 km de Nefta. A la fin du tournage, les autorités tunisiennes ont demandé à l’équipe du film de ne pas démonter ces décors. Déjà bien connu des habitants de la région et des touristes, ce site est un produit de marque territoriale mis en avant par Sounds of Sahara. Le comité d’organisation du festival a saisi l’opportunité que la région abrite ce décor ainsi que la sortie du 7e épisode de la Guerre des étoiles en décembre 2015 pour créer une harmonie magique entre la musique électronique et les vestiges de ce film de science-fiction.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VvYUmWhx9hE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La soirée d’ouverture de la première édition 2016 s’est déroulée en plein décor « Mos Espa », aménagé pour accueillir des scènes de musiques électroniques non issues de la culture du désert. Utiliser la structure et l’imaginaire de ce site traduit la démarche artistique des organisateurs privilégiant des interactions entre lieu, expression et événement mettant ainsi le <a href="https://journals.openedition.org/geocarrefour/2155">public dans des situations inhabituelles, voire insolites</a>. Ce qui participe à la connaissance et à la valorisation de ce patrimoine cinématographique.</p>
<p>Les organisateurs souhaitaient concentrer les moments forts du festival dans cet univers imaginaire « Star Wars » qui joue la marque de la « lisibilité du territoire » hôte et suscite l’intérêt d’un visiteur à la recherche d’expérience. Il est in fine instrumentalisé afin de marquer le territoire et en créer une image qui dépasse le temps du festival. Cet univers a d’ailleurs fait l’objet d’une campagne participative de sauvegarde et de restauration lancée en 2010 par l’association de développement du tourisme oasien et saharien, financée par des fans du monde entier.</p>
<p>le festival offre un <a href="https://wildproject.org/livres/le-paysage-sonore">paysage sonore</a> favorisant l’interaction avec une culture musicale contemporaine et internationale (Funky, House et Tech music, Progressive, Trance, Hardtek, électro-jazz) dans une perspective d’innovation, de dialogue avec l’autre et d’aspiration à la liberté et au changement.</p>
<p>Sounds of Sahara a certes montré sa capacité de créer et d’exporter des images de sécurité, de fête et de résistance en faveur de la région dans un contexte de crise et d’insécurité, cependant il n’a pas su s’inscrire dans la durée. La troisième édition SOS 2018 prévue à Chott El-Jérid n’a pas eu lieu. Les organisateurs ont rencontré des difficultés d’ordre logistique et stratégique liées notamment à l’inaccessibilité des vols vers la région.</p>
<p>Aujourd’hui, les initiatives de création de nouveaux festivals en Tunisie sont nombreuses, reste à savoir comment les inscrire dans des stratégies de management et de développement territorial de manière à ce qu’elles ne soient pas réduites à des expérimentations éphémères. L’activité festivalière se diversifie en accueillant le festival <a href="https://lapresse.tn/142894/rouhaniyet-2022-le-grand-retour/">Rouhaniyat de musique soufie</a>, <a href="https://calendrier.tunisie.co/evenement/3076/le-tozeur-international-film-festival-du-6-au-11-decembre-133311/">Tozeur international film festival</a> ou encore les <a href="https://kapitalis.com/tunisie/2019/07/15/la-2e-edition-du-festival-les-ondes-du-desert-les-21-et-22-mars-2020-a-kebili/">ondes du désert</a>.</p>
<p>Certes, la démultiplication de festivals dans le Sud tunisien représente une opportunité pour renouveler et amplifier le fonctionnement touristique de la région. Cependant, ces manifestations gagneraient à s’inscrire amplement dans une réflexion culturelle et politique sur les possibilités de repositionnement du tourisme saharien par la culture en impliquant les acteurs étatiques, privés et associatifs ainsi que la population locale dans une approche festivalière durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210682/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nozha Smati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La démultiplication de festivals dans le Sud tunisien représente une opportunité pour renouveler et amplifier le fonctionnement touristique de la région.
Nozha Smati, Enseignante chercheuse, Université de Lille
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2023-06-07T19:38:42Z
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Charmeurs de serpents à Marrakech : quand le spectacle met à mal les aspirations à un tourisme plus durable
<p>La légende raconte qu’un jour, Sidi Mohamed Ben Aïssa traversait le désert avec 40 de ses disciples torturés par la faim. Les disciples se plaignirent au maître qui, dans un premier temps, ne répondit pas. Il finit par leur dire d’avaler tout ce qu’ils trouveraient, y compris vipères, scorpions et autres espèces venimeuses.</p>
<p>Des dizaines de serpents et de scorpions furent ainsi consommés et, par miracle, les hommes survécurent, tant la parole du maître était puissante. Depuis ce jour, les descendants de Ben Aïssa seraient immunisés contre les morsures de serpents, protégés par une baraka vieille de quatre siècles. On les appelle les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/A%C3%AFssawa">Aïssaoua</a>.</p>
<p>Les charmeurs de serpents, ou Aïssaoua, font partie intégrante de la culture marocaine, leur activité a été reconnue avec l’inscription de la place Jemaa El-Fna sur la liste Unesco représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008.</p>
<p>Pourtant, cette activité a un impact sur la biodiversité et engendre de la souffrance animale que la notion même de développement durable devrait nous inciter à prendre en compte.</p>
<h2>Serpents de Jemaa El-Fna et baraka</h2>
<p>Les serpents sont des animaux qui suscitent en Occident de nombreuses légendes, tout aussi rocambolesques les unes que les autres. Du serpent qui boit du lait aux vipères lâchées par hélicoptère, le serpent fait peur, le <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-3-page-427.htm">serpent inquiète</a>.</p>
<p>Sa présence sur le caducée, symbole de la santé, ne parvient pas à nous faire oublier qu’il est celui qui a convaincu Ève de croquer la pomme.</p>
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<p>Pas étonnant que sur la place Jemaa El-Fna, les Aïssaoua capables de dompter cet animal fascinent. Le charmeur va poser le serpent au sol, et par de nombreuses provocations stressantes, va déclencher le comportement de défense du reptile, plongeant les visiteurs dans un émerveillement empreint de peur et d’exotisme, que le lieu, avec le son des flûtes, mais aussi ses odeurs et son ambiance, contribue à véhiculer.</p>
<p>Les visiteurs ont ainsi la sensation de vivre une expérience unique qui, malgré sa fugacité, participe à la notoriété de cet espace. Le charmeur doit démontrer son pouvoir ; c’est la magie, « la baraka », qui lui permet ses interactions avec le serpent. Le discours diffusé auprès des touristes a pour but de conforter le visiteur dans ces représentations négatives et insidieuses de l’animal, contribuant dans un même temps à renforcer la magie du spectacle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une vipère vient de mettre bas dans la caisse du charmeur, mais la moitié des jeunes sont morts.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdellah Bouazza</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le cobra ne danse pas</h2>
<p>Les charmeurs exhibent plusieurs espèces de serpents, notamment la vipère heurtante (<em>Bitis arietans</em>), la couleuvre de Montpellier du Sahara (<em>Malpolon monspessulanus saharatlanticus</em>) et le cobra d’Afrique du Nord ou cobra noir du Maroc (<em>Naja haje legionis</em>).</p>
<p>Le cobra est difficile à trouver dans la nature, mais il constitue l’espèce la plus recherchée par les charmeurs. Il se rencontre principalement dans le Sahara atlantique et parfois dans certaines oasis au sud du Haut Atlas.</p>
<p>À l’instar des autres serpents, le cobra ne possède pas d’oreille externe, ainsi il ne « danse » pas au son de la flûte des Aïssaoua. Il adopte plutôt une position de défense en « coiffant » sa tête et suit du regard les charmeurs, qui donnent ainsi l’illusion que le serpent bouge au son de l’instrument.</p>
<p>Cette attitude charismatique donne la sensation d’une provocation, au cœur du spectacle.</p>
<h2>Sécurité du touriste, souffrance du serpent</h2>
<p>Les serpents utilisés dans les spectacles des charmeurs de la place Jemaa El-Fna sont capturés directement dans la nature, notamment dans les habitats désertiques du Bas Draâ (Tan Tan-Guelmim). Vipères et cobras sont ensuite manipulés et bloqués au cou pour leur ouvrir la gueule et leur arracher les crochets.</p>
<p>Cette opération, réalisée sans précaution d’hygiène ni anesthésie, est censée garantir la sécurité des touristes et des charmeurs. Les serpents sont ensuite maintenus dans des caisses en bois, en attendant d’être vendus aux charmeurs de Marrakech qui à aucun moment ne se déplacent eux-mêmes sur le terrain.</p>
<p>Déshydratés, sans accès à de la nourriture ni à une température favorable pour se thermoréguler, certains meurent d’une infection due à l’opération, d’autres du fait des conditions de vie stressantes associées à une nourriture inadaptée et imposée de force, comme nous avons pu l’observer sur le terrain.</p>
<h2>Le spectacle à quel prix ?</h2>
<p>Le spectacle n’a en effet de sens que par la position de défense de l’animal, position qu’il est contraint de maintenir des heures durant pour répondre aux provocations du charmeur ; un processus qui, lentement, épuise l’animal.</p>
<p>Jugée cruelle, cette pratique a <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/video-les-charmeurs-de-serpents-entre-fascination-et-polemique_4097339.html">été interdite en Inde en 1972</a>, tandis qu’elle demeure encore utorisée au Maroc. Le développement touristique de la place Jemaa El-Fna a beau avoir induit des modifications, les charmeurs font malgré tout partie des activités qui suscitent le <a href="http://www.hesperis-tamuda.com/3/data/2010/4-Ouidad%20Tebbaa.pdf">plus d’attrait pour de nombreux touristes</a></p>
<p>Inconsciemment, ces derniers participent donc sans le savoir à la souffrance et à la disparition d’espèces sauvages, nous conduisant à nous poser la question suivante : la sauvegarde du patrimoine culturel est-elle toujours compatible avec les enjeux de développement durable qu’il sous-entend ?</p>
<hr>
<p><em><a href="https://www.linkedin.com/in/thomas-lahlafi-112a71117/?originalSubdomain=fr">Thomas Lahlafi</a>, naturaliste indépendant, et Salima SALHI (doctorante à l'Université d’Angers) ont contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jannot Laura a reçu des financements de SFR Confluence Angers </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abdellah Bouazza ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Cette pratique qui fascine les touristes sur la place Jemaa El-Fna à Marrakech inflige de nombreuses souffrances aux serpents.
Laura Jannot, Doctorante en géographie du tourisme, Université d'Angers
Abdellah Bouazza, PhD in Herpetology and Conservation Biology
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2023-05-11T18:14:01Z
2023-05-11T18:14:01Z
En Tunisie, des médias muselés par un pouvoir toujours plus autoritaire
<p>« Chaque après-midi, avant de quitter le bureau, j’éteins mon téléphone et je retire la carte SIM. Je ne veux pas que les autorités puissent savoir à chaque instant où je me trouve. » Ayman (le prénom a été modifié) est l’un des rares journalistes à oser critiquer les autorités tunisiennes. Alors que son patron a été arrêté et interrogé en février, il redoute désormais d’être inquiété à son tour.</p>
<p>Loin sont les jours grisants ayant suivi la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-tunisie-marque-sous-tensions-les-10-ans-de-la-fuite-de-ben-ali-12-01-2021-2409164_24.php">chute de l’autocrate Zine el-Abidine Ben Ali</a> (1987-2011), lorsque le secteur des médias tunisiens a été profondément transformé en même temps que le <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-face-cachee-des-societes-civiles-au-maghreb-un-espoir-pour-demain-148064">reste de la société</a>. Le printemps arabe de 2011 avait entraîné, comme en Égypte, l’effondrement d’un régime autoritaire alors qualifié de véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2015-4-page-77.htm">État policier</a>. Puis, en très peu de temps, les Tunisiens étaient parvenus à mettre en place de nouvelles institutions démocratiques, notamment un Parlement fonctionnel, une présidence responsable et des tribunaux indépendants.</p>
<p>La révolution avait également favorisé le développement de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/tunisie-medias-independants-presse-nawaat-inkyfada-alqatiba">nouveaux médias indépendants</a>, aussi bien des stations de radio que des chaînes de télévision et des journaux en ligne. La chaîne publique de télévision et de radio Al-Wataniyya a été restructurée pour devenir un radiodiffuseur public <a href="https://www.webmanagercenter.com/2011/09/21/110560/tunisie-medias-la-bbc-aux-commandes-du-chantier-de-transformation-de-la-wataniya/">sur le modèle de la BBC</a>. Le <a href="https://jamaity.org/association/syndicat-national-de-journalisme-tunisien/">syndicat des journalistes</a> s’est révélé un protecteur efficace des droits de la profession vis-à-vis des autorités. Les Tunisiens se sont ainsi rapidement habitués à une couverture critique de l’actualité et à des débats politiques animés à la télévision aux heures de grande écoute.</p>
<p>Aujourd’hui, tous ces acquis sont menacés… et les citoyens ne semblent pas s’en préoccuper outre mesure. Comment le pays en est-il arrivé là ?</p>
<h2>La face cachée des médias libres</h2>
<p>Depuis 2015, nous étudions les relations entre les médias et la politique en Tunisie dans le cadre d’un projet de recherche sur le <a href="https://www.nupi.no/en/projects-centers/journalism-in-struggles-for-democracy-media-and-polarization-in-the-middle-east">journalisme dans les luttes pour la démocratie</a>.</p>
<p>Au cours des sept dernières années, nous avons mené 55 entretiens, dont deux de groupe, avec des journalistes, des activistes et des politiciens tunisiens. L’objectif était de comprendre comment les journalistes gèrent l’instrumentalisation des médias et quel est leur rôle politique dans des contextes hybrides oscillant entre autocratie et démocratie. Notre dernière visite remonte à mars 2023, un an et demi après la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220330-tunisie-le-pr%C3%A9sident-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-dissout-le-parlement-huit-mois-apr%C3%A8s-l-avoir-suspendu">brusque suspension du Parlement par le président Kaïs Saïed</a>.</p>
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<p>Mais revenons d’abord en 2011, lorsque la Tunisie est passée d’un État policier où les médias faisaient partie du système de propagande de Ben Ali à un environnement médiatique soudainement libre (et initialement chaotique).</p>
<p>Le remodelage de la scène médiatique s’est déroulé dans un contexte de troubles politiques : une <a href="https://edinburghuniversitypress.com/book-journalism-in-the-grey-zone.html">situation politique hybride</a> de démocratisation continuellement contestée dans laquelle les élites politiques et économiques étaient désireuses d’exploiter les médias à leurs propres fins.</p>
<p>Le cas de Nabil Karoui, un homme d’affaires (PDG de la société de relations publiques Karoui & Karoui World) ayant bâti sa fortune sur la production audiovisuelle, les médias numériques et la publicité urbaine, en est un exemple typique : du fait de sa position de propriétaire de la chaîne de télévision la plus populaire de Tunisie, Nessma, il a personnellement influencé ses politiques éditoriales tout en agissant en tant que conseiller en communication de l’ex-président <a href="https://theconversation.com/essebsi-le-defunt-maestro-de-la-realpolitik-tunisienne-121997">Beji Caid Essebsi</a> (2014-2019).</p>
<p>Karoui est également apparu dans la série documentaire <a href="https://www.nessma.tv/fr/khalil-tounes"><em>Khalil Tounes</em></a> – consacrée à la couverture des activités d’une association caritative qu’il avait créée pour lutter contre la pauvreté – en même temps qu’il fondait son propre parti et que ses ambitions présidentielles devenaient de plus en plus claires. Si Karoui est un exemple particulièrement flagrant d’instrumentalisation des médias, de nombreux autres politiciens, propriétaires de médias et personnalités publiques ont été impliqués dans des intrigues et des transactions obscures.</p>
<p>Les journalistes ont vu l’un des grands acquis de la révolution – la liberté des médias – fondre sous leurs yeux, les chamailleries des politiciens et les textes rédigés sur commande par des éditorialistes peu scrupuleux suscitant au sein de la population tunisienne une profonde méfiance à la fois envers le monde politique et envers les médias d’information.</p>
<h2>Populisme contre journalisme : le président Kaïs Saïed et les médias</h2>
<p>L’élection présidentielle de septembre 2019 a mis aux prises deux populistes convaincus. Tous deux représentaient un danger pour les médias libres et critiques, mais de manière très différente.</p>
<p>Nabil Karoui, nous l’avons dit, était un charismatique magnat des médias qui utilisait sa propre chaîne de télévision pour manipuler le climat politique. Le conservateur Kaïs Saïed, <a href="https://www.france24.com/en/20191014-conservative-kais-saied-elected-president-of-tunisia-with-72-71-percent-of-vote">a finalement été élu avec 72,71 % des suffrages</a>, était un ancien professeur de droit à l’université qui évitait complètement les médias d’information. Saïed était surnommé « Robocop » en raison de son style mécanique lors des interviews. Sa campagne ne s’est pas appuyée sur les médias, mais sur des militants de base faisant du porte-à-porte et organisant des réunions publiques dans tout le pays.</p>
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<p>Saïed traite les médias avec le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1367390/politique/tunisie-kais-saied-ou-la-pratique-personnelle-du-pouvoir/">même mépris que celui qu’il a manifesté à l’égard des partis politiques et du parlementarisme</a>. Les journalistes avec lesquels nous nous sommes entretenus en mars ont déclaré que la chaîne publique tunisienne avait été réduite à un organe de propagande. Saïed évite les relations avec les médias privés et préfère communiquer avec le public par le biais de messages postés sur Facebook, une plate-forme de communication très importante en Tunisie.</p>
<p>Lorsque les médias contactent le bureau du président pour obtenir des déclarations sur les affaires courantes, ils ne reçoivent aucune réponse. Il est révélateur que lors de l’ouverture du nouveau Parlement, le 13 mars, aucun journaliste des médias indépendants ou étrangers n’ait été autorisé à pénétrer dans le bâtiment afin d’éviter tout « <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/mar/13/press-banned-from-opening-session-of-new-tunisian-parliament-kais-saied">désordre</a> ».</p>
<h2>Le déclin du journalisme et la relativisation de la vérité</h2>
<p>L’antipathie du président pour les médias va de pair avec son intolérance à l’égard de toute critique et sa prédilection pour les théories du complot. Sa <a href="https://theconversation.com/tunisia-presidents-offensive-statements-targeted-black-migrants-with-widespread-fallout-201593">diatribe visant les Africains subsahariens</a>, en février, a fait couler beaucoup d’encre, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Plusieurs dirigeants de l’opposition ont été emprisonnés depuis mars, accusés de <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/02/tunisia-president-saied-must-immediately-stop-his-political-witch-hunt/">« conspiration contre la sécurité de l’État »</a>.</p>
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<p>Noureddine Boutar, directeur de la principale chaîne de radio indépendante de Tunisie, Mosaïque, a été arrêté en février pour <a href="https://www.mosaiquefm.net/fr/actualite-national-tunisie/1137635/detention-de-boutar-la-ligne-editoriale-de-mosaique-fm-derange">« atteinte au plus haut symbole de l’État et exacerbation des tensions dans le pays »</a>. Les journalistes que nous avons rencontrés en mars nous ont dit que simplement rapporter des faits sur les nombreux problèmes économiques et sociaux de la Tunisie pouvait leur valoir d’être accusés de répandre la peur au sein de la population (un crime désormais passible de poursuites pénales).</p>
<p>Il existe encore, dans le milieu des journalistes, des voix fortes qui s’élèvent contre les atteintes à la liberté d’expression. Les responsables du Syndicat des journalistes avec lesquels nous avons échangé se savaient surveillés, mais refusaient de céder aux intimidations : quelques jours avant notre rencontre, ils avaient pris part à une <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/3/5/tunisian-opposition-defies-protest-ban-with-rally">marche pour la liberté</a>.</p>
<p>Le tableau d’ensemble n’en reste pas moins très sombre. Les contenus politiques ont pratiquement disparu des chaînes de télévision, alors qu’ils y étaient autrefois omniprésents. Les journalistes désireux d’écrire ou de réaliser des émissions sur les questions politiques ont de plus en plus de mal à en vivre. De plus, Kaïs Saïed semble avoir réussi à persuader une grande partie de la population que les médias font partie d’une élite corrompue et ne sont pas dignes de confiance. En conséquence, les gens s’informent toujours davantage à partir de rumeurs sur Facebook. Comme nous l’a confié un chercheur spécialiste des médias :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu du mal à convaincre ma propre famille que les affirmations largement exagérées de Saïed sur le nombre d’immigrés subsahariens étaient forcément absurdes, parce qu’il n’y a plus d’autorités “épistémologiques”. Les annonces et les rumeurs sur Facebook ont remplacé les informations vérifiées comme source d’information. »</p>
</blockquote>
<p>La quasi-disparition de tout journalisme sobre et critique ne contribue en rien à réduire l’intense polarisation de la politique tunisienne entre le <a href="https://www.reuters.com/article/tunisia-politics-idCAKBN2RA05Z">président, les islamistes et le très réactionnaire Parti destourien libre</a>. Ils ont tous en commun de s’en prendre avec véhémence aux journalistes. Chaque camp construit sa propre réalité et s’attaque férocement à ceux qui remettent en cause ses affirmations en cherchant à diffuser des <a href="https://inkyfada.com/en/">informations objectives et critiques</a>.</p>
<p>Certes, la Tunisie n’est pas, loin de là, le seul pays où la situation de la liberté de la presse n’est pas idéale : celle-ci est en danger aussi bien <a href="https://rsf.org/en/classement/2022/americas">sur le continent américain</a>, que <a href="https://rsf.org/en/classement/2022/europe-central-asia">dans certains pays d’Europe et d’Asie centrale</a> ou encore, bien sûr, en <a href="https://rsf.org/en/country/russia">Russie</a> – liste non exhaustive. Le journalisme critique et factuel est menacé dans de nombreuses sociétés prétendument libres et pluralistes, et la Tunisie est actuellement l’un des points chauds. Ce constat n’aide toutefois en rien les journalistes tunisiens…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205501/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacob Høigilt a reçu des financements du Conseil norvégien de la recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kjetil Selvik a reçu des financements du Conseil norvégien de la recherche.</span></em></p>
La liberté d’expression, principal acquis de la révolution tunisienne de 2011, est aujourd’hui gravement menacée par le président Kaïs Saïed.
Jacob Høigilt, Professor of Arab studies, University of Oslo
Kjetil Selvik, Research Professor in political science, Norwegian Institute of International Affairs
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tag:theconversation.com,2011:article/201032
2023-03-21T17:48:59Z
2023-03-21T17:48:59Z
Algérie : 60 ans plus tard, que reste-t-il des décrets de mars 1963 sur l’autogestion ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515204/original/file-20230314-3238-7vd2qu.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1513%2C848&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Meeting de soutien aux décrets de mars 1963, Algérie, 1963.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Collection privée</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a tout juste 60 ans, fin mars 1963, la République algérienne à peine indépendante adoptait les fameux « décrets de mars » qui visaient à introduire dans certains secteurs de son économie un fonctionnement basé sur le principe de l’autogestion.</p>
<p>Une expérience aujourd’hui souvent méconnue, qui marqua pourtant son époque et eut un impact non négligeable dans de nombreux autres pays par la suite.</p>
<h2>De la propriété coloniale à la propriété algérienne</h2>
<p>Avec les <a href="https://mjp.univ-perp.fr/france/1962-1903evian.htm">accords d’Évian</a> signés le 19 mars 1962, s’ouvre une phase qui va aboutir à la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/305">proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962</a>. Les accords prévoient, dans leur titre IV, des « garanties des droits acquis et engagements antérieurs », ce qui concerne notamment la propriété des « Européens » d’Algérie.</p>
<p>Il convient de rappeler à qui appartient le secteur agricole à l’époque, sachant que 87 % de la population vit de ce secteur, qui représente 33 % de la production brute et 67 % des exportations du pays. Les terres et les forêts s’étendent sur plus 20 millions d’hectares, dont près de la moitié appartiennent à l’État colonial, 3 millions à la propriété privée européenne et 10 millions aux Algériens. Mais, pour les deux tiers, les terres appartenant aux Algériens sont des terres improductives ou de maigres pâturages. 450 000 fellahs (petits paysans) possèdent moins de 10 hectares, alors que la surface moyenne des terres possédées par les colons est de 125 ha, sur lesquelles travaillent 450 000 ouvriers agricoles.</p>
<p>1 800 000 personnes avaient été déplacées par l’armée française dans des « camps de regroupement » pour vider des centaines de villages et rendre impossible le soutien des villageois aux maquisards. Enfin, plusieurs centaines de milliers d’Algériens sont des travailleurs émigrés à l’étranger, notamment en France, et 200 000 sont réfugiés de l’autre côté des frontières en Tunisie et au Maroc.</p>
<p>À l’indépendance, la situation est dramatique : pour plus de onze millions et demi d’habitants on compte un million de chômeurs ruraux, et un autre million est venu grossir la population urbaine, constituant une sorte de plèbe.</p>
<h2>Les biens vacants</h2>
<p><a href="https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/1962-lexode-des-francais-dalgerie">L’exode, entre mars et juillet, de la plupart des Français</a>, laisse un nombre important de biens vacants ou de matériel détruit par les propriétaires. Ainsi, alors que l’on dénombrait 5 600 tracteurs en 1956, il n’en reste que moins d’un millier en 1962. Les récoltes risquent d’être perdues. Il faudra attendre 1963 pour que la Yougoslavie de Tito (qui avait <a href="https://www.cairn.info/les-balkans-1945-1960%E2%80%939782130355137-page-191.htm">instauré l’autogestion en 1950</a> et par ailleurs largement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07075332.2015.1051569?journalCode=rinh20">soutenu le FLN pendant la guerre d’indépendance)</a> fournisse des engins agricoles en nombre à l’Algérie.</p>
<p>Le départ des Français se traduit, entre autres, par un déficit de l’encadrement, du fait du retour en métropole de 35 000 ingénieurs, 2 000 médecins et 20 000 enseignants. La Fédération de l’éducation nationale (syndicat majoritaire dans l’enseignement français) arrive toutefois à organiser l’arrivée de 8 000 enseignants dans l’Algérie nouvelle, et beaucoup d’autres Français viennent prêter main-forte, plutôt bien accueillis car pour beaucoup ils ont soutenu la lutte pour l’indépendance.</p>
<p>C’est dans ce contexte que l’on observe un fort mouvement d’occupation par des Algériens des logements, commerces et terres ayant anciennement appartenu aux Français. Dans les fermes de l’Algérois et d’Orléansville (aujourd’hui Chlef), des comités de gestion se mettent en place pour assurer d’urgence les récoltes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Meeting de soutien aux décrets de mars 1963, Algérie, 1963.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection privée</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Les nouveaux dirigeants du pays, qui craignent que de telles occupations fournissent à l’armée française un prétexte pour se maintenir afin de faire respecter les accords d’Évian, décident de protéger les biens vacants et prennent des mesures juridiques pour cela (<a href="https://www.lkeria.com/ordonnance-62-20-431">ordonnance du 24 août 1962</a>). Est constitué un <a href="https://www.joradp.dz/FTP/Jo-Francais/1962/F1962904.pdf">Bureau des biens vacants</a>. À son initiative, les comités de gestion sont légalisés le 22 octobre 1962 pour l’agriculture, puis en novembre pour l’industrie, le commerce et l’artisanat.</p>
<p>Ce même 22 octobre, les anciens propriétaires n’étant pas revenus, un décret transfère à l’État les propriétés européennes. Les achats effectués à bas prix par des Algériens nantis (commerçants, petits industriels, professions libérales) pendant la période de confusion des six mois précédents sont invalidés par un autre décret le 23 octobre 1962.</p>
<h2>Les décrets de mars 1963</h2>
<p>Le président Ben Bella, au départ réticent, constate la popularité du processus. C’est dans ces conditions que les « décrets de mars », adoptés les 18 et 22 mars 1963, instituent un secteur autogéré, sur la base des travaux et préconisations des membres du Bureau national d’animation du secteur socialiste (BNASS) qui a remplacé le Bureau des biens vacants, dans la perspective plus vaste d’une grande réforme agraire.</p>
<p>Cet organisme est composé d’Algériens, tel <a href="https://maitron.fr/spip.php?article138752">Mohammed Harbi</a>, mais aussi d’autres nationalités comme le juriste Français Yves Mathieu, mort dans un accident mystérieux, et dont la fille a réalisé un film, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6hWCynieEaQ"><em>L’Algérie du possible</em></a>, le trotskiste grec <a href="https://autogestion.asso.fr/michel-pablo/">Michel Raptis</a>, le surréaliste égyptien <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpf07012208/interview-soliman-lotfallah">Lotfallah Soliman</a>, etc., qui se mettent « au service de la révolution algérienne ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Journal officiel de la République algérienne portant publication des décrets du 22 mars 1963. Cliquer pour zoomer.</span>
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<p>L’architecture du système articule trois niveaux dans les entreprises concernées. Une assemblée des travailleurs, composée des ouvriers « permanents » ayant une ancienneté de six mois au moins (ce qui exclut les saisonniers) se réunissant chaque trimestre ; un conseil des travailleurs, désigné par l’assemblée générale, réunissant une fois par mois de 10 à 100 membres selon la taille de l’entreprise ; et enfin un comité de gestion de 3 à 11 membres, dont le président du comité, se réunissant chaque mois.</p>
<p>Dans l’agriculture, un organisme (ONRA, Office national de la réforme agraire) est chargé d’organiser la gestion des fermes abandonnées. À l’échelle du domaine, il désigne un chef d’exploitation doté d’une mission technique et un membre du comité de gestion. À une échelle locale, d’arrondissement, l’ONRA coordonne diverses activités, dont la réparation du matériel agricole, les coopératives d’écoulement et de commercialisation, et d’exportation des fruits et légumes.</p>
<h2>Les obstacles</h2>
<p>Dans la pratique, la mise en œuvre des décrets fut difficile. L’armée n’avait accepté l’autogestion qu’après avoir préempté pour elle-même 70 000 hectares des meilleures terres. Les enquêtes commandées par le BNASS ont révélé que dans beaucoup de cas, les ouvriers agricoles ont été expropriés au profit des anciens combattants appuyés par une administration non habituée à accepter des processus démocratiques. Le pouvoir politique lui-même n’a pas soutenu l’autogestion, tendant au contraire à accroître le contrôle du parti unique FLN sur les syndicats et les organisations sociales. Le nombre de travailleurs concernés fut limité ; le secteur autogéré en comptait environ 10 000 dans l’industrie, et 200 000 dans l’agriculture.</p>
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<p>Toutefois, l’impact politique et symbolique fut important à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. À l’intérieur, le syndicat UGTA (Union générale des travailleurs algériens) avait lancé une grande campagne de soutien aux décrets de mars, avec une grande manifestation à Alger le 3 avril 1963. Dans les villes, des ouvriers et des étudiants, à l’appel de leur syndicat l’UNEA (Union nationale des étudiants algériens), organisaient des brigades de solidarité pour réparer les machines ou participer aux récoltes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une de « Révolution africaine » du 6 avril 1963. Cliquer pour zoomer.</span>
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<p><a href="https://m.youtube.com/watch?v=30LfSuLxUQ0">L’hebdomadaire <em>Révolution africaine</em> dirigé par Mohammed Harbi</a> est un outil d’information et de formation, n’hésitant pas à faire état des difficultés et blocages. Des enquêtes de terrain sont confiées à des universitaires, dirigés par la Française <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jPQlcbRnpLA">Jeanne Favret-Saada</a> qui venait de remplacer Pierre Bourdieu à la faculté d’Alger. Les pressions et les menaces interrompent sa mission, son rapport de synthèse disparaît, mais beaucoup d’enquêtes de terrain ont pu être sauvées, et certaines récemment publiées dans un ouvrage de Mohammed Harbi, <a href="https://www.syllepse.net/l-autogestion-en-algerie-_r_76_i_879.html"><em>L’autogestion en Algérie : une autre révolution</em></a>.</p>
<h2>La renaissance de l’« utopie autogestionnaire »</h2>
<p>Quand Ben Bella est renversé en juin 1965 par le <a href="https://recitsdalgerie.com/coup-d-etat-boumediene/">coup d’État de Boumedienne</a>, on ne touche ni aux lois ni au vocabulaire de l’autogestion, bien que nombre de ses promoteurs soient arrêtés pour les uns, expulsés pour les autres. Il faut attendre 1971 pour que les termes changent ; on parle alors de « la gestion socialiste des entreprises », qui sont étatisées. À ce moment-là, le secteur dit autogéré recouvrait 80 % de la surface des cultures permanentes, assurait 60 % du revenu brut agricole utile, et 30 % net du revenu algérien, mais il n’avait plus, avec la bureaucratisation et les accaparements évoqués plus haut, d’« autogéré » que de nom.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=691&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=691&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=691&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une de « Sous le drapeau du socialisme », revue animée par Michel Raptis (Pablo). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour l’extérieur, le vocabulaire « socialiste » du <a href="https://autogestion.asso.fr/app/uploads/2012/11/le-programme-de-tripoli1.pdf">programme de Tripoli</a> élaboré par le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) en mai 1962 dans la perspective de l’indépendance et de la <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/algerie-charte_d%27alger1964.htm">« charte d’Alger »</a>, adoptée au congrès du FLN d’avril 1964, donne un cadre aux décrets de mars 1963. Tout cela répondait aux espoirs placés par une grande partie de la gauche dans une voie nouvelle qui ne soit ni le capitalisme, ni une économie étatisée comme celle des pays de l’Est.</p>
<p>En Italie, par exemple, des coopératives se mettent en relation avec des fermes autogérées algériennes. Le Parti communiste italien appuie l’autogestion, comme le fait en France, le Parti socialiste unifié (PSU). En mai 1967, le n°3 de la revue <em>Autogestion</em> y consacre un <a href="https://www.persee.fr/doc/autog_0005-0970_1967_num_3_1_908">numéro spécial</a>. En mai 1968, la CFDT adopte officiellement la perspective de l’autogestion.</p>
<p>Malgré ses limites, et même son échec politique, l’expérience algérienne a redonné un souffle à « l’utopie autogestionnaire » qui sera revendiquée en France et dans bien d’autres pays dans les années 1968.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Membre de l'Association autogestion et co-préfacier de "L'autogestion en Algérie: une autre révolution?".</span></em></p>
En mars 1963, l’Algérie se lançait dans l’aventure de l’autogestion. Si l’expérience ne dura guère, elle n’en constitua pas moins une source d’inspiration pour d’autres pays, y compris européens.
Robi Morder, Chercheur Associé au Laboratoire Printemps, UVSQ/Paris-Saclay, président du Groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/198900
2023-03-13T19:54:51Z
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La Grande muraille verte enfin en passe d’accélérer ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508421/original/file-20230206-15-il98sr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C12%2C990%2C720&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Identifiée par une plaque et protégée par une clôture, une parcelle d’acacias replantés par la GMV. Téssékéré, département de Linguère (Sénégal). Mars 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">Olivier Ninot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>En septembre 2020, un rapport commandé par la <a href="https://catalogue.unccd.int/1551_Revised_French_Final_040920.pdf">Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification</a> portait un jugement sévère bien qu’attendu sur la stratégie <a href="https://theconversation.com/la-grande-muraille-verte-vecteur-de-developpement-durable-au-sahel-154195">Grande muraille verte (GMV)</a> et notamment sur son état d’avancement (UNCCD, 2020).</p>
<p>En janvier 2021, en réponse à ce constat d’échec, <a href="https://www.unccd.int/our-work/ggwi/great-green-wall-accelerator">« l’accélérateur de la GMV »</a> était lancé lors du <em>One Planet Summit</em> à Paris. Ce programme vise à relancer et à redynamiser un projet qui, après une première phase expérimentale, cherche un second souffle. Le temps du changement semble venu pour adopter un nouvel ajustement entre actions de terrain et ambitions politiques : ce temps de l’accélérateur doit être celui d’un nouveau <a href="https://theconversation.com/grande-muraille-verte-au-sahel-les-defis-de-la-prochaine-decennie-169177">rendez-vous entre la GMV et ses territoires</a>.</p>
<h2>Des réalisations locales à faible impact</h2>
<p>Adoptée en 2007 sous l’égide de l’Union africaine, la GMV résulte du volontarisme des chefs d’États africains en matière de « lutte contre la <a href="https://theconversation.com/les-oasis-sahariennes-rempart-menace-contre-la-desertification-145795">désertification</a> ». Initialement définie selon un tracé régional continu de 15 km de large et constituée de plantations arborées afin de restaurer 250 millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030, la stratégie d’intervention du projet connaît ensuite un fléchissement en faveur d’une approche intégrée, sur le modèle d’une mosaïque d’activités diversifiées avec l’objectif d’un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10113-019-01481-z">mieux-être écologique et humain</a>.</p>
<p>Cette redéfinition n’empêche pas les objectifs de la GMV de demeurer à la fois flous et fortement contraints par des objectifs fixés à l’échelle globale (le reboisement comme outil de lutte contre le <a href="https://doi.org/10.1038/s41893-021-00769-5">changement climatique</a>) alors même que ses réalisations peinent à tenir compte des réalités locales dans les territoires ciblés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="troupeaux de vaches dans un décor aride" src="https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508425/original/file-20230206-27-2sus3t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les grands troupeaux transhumants se déplacent, en saison sèche, entre points d’eau et pâturages. Mbidi, département de Linguère (Sénégal). Avril 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Ninot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ces conditions, la question de son devenir et de sa raison d’être demeure en suspens, <a href="https://hal.science/tel-03347575/">l’engouement que suscite le projet à l’échelle continentale et internationale</a> masquant une matérialité peu tangible à l’échelle locale dans les différents pays membres, comme c’est le cas au Sénégal, pays faisant office de laboratoire du projet régional.</p>
<p>Jusqu’à présent, les deux principaux piliers de l’action de la GMV au Sénégal sont le reboisement à travers la plantation d’arbres (<a href="https://catalogue.unccd.int/1551_Revised_French_Final_040920.pdf">officiellement 72 450 ha en 2019</a>) et l’appui à la production maraîchère.</p>
<p>Le reboisement apparaît toutefois peu conciliable avec la <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/anthropologie-et-mondes-contemporains/la-grande-muraille-verte/">vocation pastorale du Ferlo</a>, la zone d’implantation du projet, tandis que le maraîchage se heurte à de nombreuses difficultés (accès à l’eau, faible maîtrise technique du maraîchage, ciblage incertain des bénéficiaires) et sa pérennité n’est pas assurée.</p>
<p>Les défis rencontrés par les gestionnaires du projet sont donc autant sociaux qu’écologiques, dans ce territoire où l’articulation entre projets exogènes et pastoralisme a souvent été difficile.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Au programme, un mini-dossier, une sélection de nos articles les plus récents, des extraits d’ouvrages et des contenus en provenance de notre réseau international. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-environnement-150/">Abonnez-vous dès aujourd’hui</a>.</em></p>
<hr>
<h2>Stratégie d’intervention rigide</h2>
<p>Ce diagnostic d’un impact mitigé des activités de la GMV est étayé par les perceptions du projet par les différentes parties prenantes. En effet, les populations locales y voient avant tout un projet environnemental étatique « top down » déconnecté des réalités locales.</p>
<p>Les expériences d’opérations de reboisement aux résultats contrastés et les investissements controversés dans la sylviculture privée (filière gomme arabique) au Ferlo sont des précédents marquants. Les débats qu’ils suscitent fragilisent l’acceptation locale du projet, perçu comme une menace pour les activités des éleveurs sans réelle mesure compensatoire pour les populations (emplois durables, rémunération conséquente, disponibilités des pâturages). Après quasiment 15 ans d’existence, l’impatience et la frustration des populations locales se font sentir sur le terrain.</p>
<p>La tentation de la « reproduction à l’identique » des aménagements semble en outre dominante du point de vue des gestionnaires du projet, qui peinent à développer une <a href="https://bit.ly/3UFJrtH">vision véritablement territorialisée</a> de la stratégie d’intervention, pourtant nécessaire à un meilleur alignement des bénéfices environnementaux avec les perspectives de gains pour les communautés locales.</p>
<h2>Ancrer la muraille dans les territoires</h2>
<p>Une meilleure territorialisation de la GMV s’impose, afin de favoriser l’articulation des actions communes à l’échelle du territoire de la ZSP, à d’autres, plus diversifiées et ajustées aux aspirations locales en matière de développement.</p>
<p>Cela implique sans doute une rupture par rapport au modèle actuel de la gouvernance de la GMV consistant à s’appuyer davantage sur des démarches participatives. Des recherches ont par exemple identifié la gestion communautaire des ressources naturelles intégrant la régénération naturelle assistée (méthode moins coûteuse mais plus efficace écologiquement et mieux acceptée socialement que le reboisement), comme aspiration forte des populations locales.</p>
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<img alt="personnes qui discutent" src="https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=339&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=339&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508423/original/file-20230206-17-vvijl0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=339&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un <em>focus group</em> conduit par une équipe de chercheurs avec des agriculteurs et des éleveurs. Vélingara, département de Ranérou (Sénégal). Octobre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Deborah Goffner</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Plutôt qu’une « vitrine » environnementale africaine projetée à l’échelle internationale, la GMV pourrait ainsi se muer en outil de gouvernance et de développement local adressé aux populations locales et avant tout aux éleveurs transhumants ou agropasteurs.</p>
<p>Atteindre cet objectif implique que la GMV s’appuie sur les instruments déjà existants en matière de gouvernance territoriale et de gestion partagée des ressources (unités pastorales, comités de gestion des forages, conseils communaux) et, au-delà, qu’elle parvienne à ouvrir le cercle des parties prenantes à l’ensemble des acteurs du territoire.</p>
<h2>L’accélérateur, une occasion à saisir</h2>
<p>L’accélérateur se présente comme l’occasion d’un nouveau rendez-vous pour la GMV avec ses territoires. Doté de plus de <a href="https://www.oneplanetsummit.fr/les-coalitions-82/accelerateur-de-la-grande-muraille-verte-193">14 milliards d’euros de nouveaux financements</a>, son objectif est de soutenir les efforts des États pour « une approche plus globale du développement rural », pour « l’amélioration des systèmes de production » et pour « assurer la durabilité à long terme de l’ensemble de la région du Sahel ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508426/original/file-20230206-13-i7bvvy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les barbelés protègent les parcelles à reboiser mais interdisent l’accès aux pâturages. Téssékéré, département de Linguère (Sénégal). Mars 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Olivier Ninot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette occasion ne pourra être saisie que si des actions tangibles et construites localement avec les communautés sont associées à chacun des préceptes cités. Et elle ne se concrétisera qu’à la condition que « l’accélération » qu’incarne cette nouvelle structure n’accuse pas davantage le décalage entre les temporalités divergentes auxquelles se confronte la GMV : temps court du politique, temps long de l’écologie végétale, rythmes des acteurs locaux, de leur quotidien et de leurs évolutions.</p>
<p>Se pose en creux la question de la nature de cette accélération et du moment où elle entend se produire. Dans la ZSP, les changements vécus et perçus par les éleveurs sont rapides et brutaux : dégradation qualitative et quantitative des pâturages ; transformations des territoires et de leur gouvernance (infrastructures, décentralisation) ; multiplication des acteurs en charge de la gestion des ressources naturelles.</p>
<h2>Accélérer les processus de développement</h2>
<p>Dans ce contexte, les populations expriment le besoin de soutien et d’accompagnement dans l’adaptation aux changements qu’elles subissent – il s’agit ainsi moins d’accélérer que d’atténuer des modifications déjà rapides de leur environnement. Elles expriment aussi des attentes fortes et anciennes en matière de processus de développement local jugés trop lents – accès à l’eau, à l’électricité, à la santé, à l’école.</p>
<p>Malgré les constats d’échec, le temps passé n’est pas perdu : la GMV peut s’appuyer sur sa longévité pour capitaliser sur des apprentissages techniques, des adaptations stratégiques et des mobilisations politiques et médiatiques qui lui seront salutaires.</p>
<p>Le projet est donc amené à se frayer un chemin entre des exigences – la restauration de l’environnement à moyen ou long terme et des besoins matériels immédiats – qui, pour l’heure, ne sont pas pensées ensemble. L’accélérateur doit parvenir à pousser la GMV à changer de rythme, d’échelle, et de stratégie d’action afin d’en faire le modèle qu’elle ambitionne de devenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198900/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ronan Mugelé a bénéficié du soutien du programme « Dynamiques sahéliennes » de l’OHMi Téssékéré.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amadou Hamath DIALLO a bénéficié du soutien du projet Xpaths (FORMAS: Swedish Research Council for Sustainable Development; ref 2020-00474).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Deborah Goffner a bénéficié du soutien du projet Xpaths (FORMAS: Swedish Research Council for Sustainable Development; ref 2020-00474).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Ninot a bénéficié du soutien du programme « Dynamiques sahéliennes » de l’OHMi Téssékéré.</span></em></p>
Après une première décennie peu concluante, le projet de l’Union africaine pourrait connaître un nouveau souffle, à condition de ne pas reproduire les mêmes erreurs que dans le passé.
Ronan Mugelé, Docteur en géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Amadou Hamath Diallo, socio-anthropologue post-doctorant
Deborah Goffner, Research Director
Olivier Ninot, Ingénieur de recherche, CNRS. Dr en géographie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/200391
2023-03-01T19:56:03Z
2023-03-01T19:56:03Z
Quatre ans après la Révolution du sourire, où en est la jeunesse algérienne ?
<p><a href="https://www.cairn.info/hirak-en-algerie--9782358721929.htm">Le Hirak</a>, terme qui signifie en arabe tout simplement « mouvement », est né en février 2019, quand à travers des manifestations régulières, d’une ampleur inédite dans le pays, les Algériens ont massivement rejeté l’idée d’un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika, en poste depuis 1999 et pratiquement grabataire. </p>
<p>Ce mouvement résilient, novateur, non violent et innovant, largement porté par les jeunes, <a href="https://theconversation.com/algerie-quand-les-millennials-defont-le-trauma-avec-humour-et-imagination-113377">usant de slogans humoristiques incisifs</a>, ce qui lui a valu d’être surnommé <a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">« Révolution du sourire »</a>, a obtenu gain de cause puisque Bouteflika a <a href="https://www.europe1.fr/international/bouteflika-renonce-a-un-cinquieme-mandat-cest-un-moment-historique-pour-lalgerie-3872081">renoncé à son projet</a> et s’est retiré de la vie politique, avant de décéder en 2021.</p>
<p>Les protestataires n’ont pas souhaité s’arrêter là. Au-delà du seul cas de Bouteflika, ils aspiraient à une profonde démocratisation de l’Algérie et à un changement de génération à la tête du pays, exigence exprimée par le slogan <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Yetnahaw_Ga%C3%A2_!">« Yetnahaw ga3, qu’ils dégagent tous »</a>.</p>
<p>Le mouvement a donc continué même après le départ de « Boutef » et l’élection en décembre 2019 d’un cacique du régime, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Algerie-Abdelmadjid-Tebboune-elu-president-huees-2019-12-13-1201066362">Abdelmadjid Tebboune</a>, alors âgé de 74 ans. En dépit de la répression et de l’épidémie de Covid, qui a permis au pouvoir de justifier l’interdiction des grands rassemblements, le Hirak est toujours vivant aujourd’hui, mais sous une forme différente de celle qui était la sienne à l’origine : les <a href="https://fr.hespress.com/302992-algerie-hirak-quatre-bougies-et-peu-de-dents-contre-la-tyrannie.html">rues algériennes sont restées vides</a> en ce quatrième anniversaire.</p>
<h2>L’évolution du Hirak</h2>
<p>Début 2020, les mesures visant à endiguer la pandémie ont contraint les manifestants à <a href="https://www.algerie-eco.com/2020/03/16/coronavirus-les-appels-a-une-treve-du-hirak-se-multiplient/">observer une trêve dans la rue</a>. Le Hirak a alors mué en une sorte de « e-Révolution », l’essentiel de la contestation se déployant désormais en ligne.</p>
<p>Mais le pouvoir n’a pas tardé à réagir, se dotant de différents textes de loi permettant d’interpeller des individus <a href="https://rsf.org/fr/projet-de-loi-anti-fake-news-en-alg%C3%A9rie-comment-museler-un-peu-plus-la-libert%C3%A9-de-la-presse">pour des propos tenus sur les réseaux sociaux</a>. Plus généralement, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), des <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/02/21/algerie-trois-ans-apres-le-debut-du-mouvement-du-hirak-la-repression-se-durcit">centaines de personnes ont été inquiétées depuis le début du Hirak</a> : hommes, femmes, figures connues et inconnues, journalistes, personnel politique, étudiants, chômeurs, salariés, chefs d’entreprise…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DPvoevcDpcQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dès lors, devant ce risque diffus, une autocensure s’est instaurée. Le mur de la peur semble être de nouveau retombé sur les aspirations de la jeunesse algérienne. Celle-ci avait initié un mode de protestation qui a su, un temps, déstabiliser l’exécutif par la combinaison d’une projection vers le futur (codes du digital, culture de consommation globale, mixité, chanson et danse) et du maintien d’une filiation historique avec la guerre d’indépendance algérienne, puisque les manifestants réclamaient que ses idéaux s’appliquent.</p>
<p>La reprise des marches en février 2021, avant leur nouvelle interdiction en juin 2021, s’est faite selon des modalités moins festives. L’été 2021, marqué par une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/29/en-algerie-le-systeme-de-sante-est-submerge-par-le-variant-delta_6089865_3212.html">nouvelle flambée de Covid</a>, ainsi que par des incendies meurtriers qui ont suscité un <a href="https://theconversation.com/a-lepreuve-du-feu-et-de-la-pandemie-un-regain-de-solidarite-nationale-en-algerie-166119">regain de solidarité nationale</a>, a contribué au retour en force non pas des marches en tant que telles, mais de l’idée du Hirak.</p>
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<p>Un drame dans le drame a marqué une partie de la jeunesse hirakiste : le <a href="https://www.algerie360.com/victimes-des-incendies-florilege-dhommages-artistiques/">lynchage à mort de Djamal Bensmail</a>, artiste venu prêter main-forte aux personnes luttant contre les incendies en Kabylie, dont la personnalité condensait les valeurs défendues par le Hirak.</p>
<h2>Des champs d’expression plus restreints</h2>
<p>La fin de l’année 2022 voit la mise sous scellés de Radio M et du site associé, Maghreb Emergent, l’un des derniers médias en ligne dont l’image était associée au Hirak, et <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1323137/ihsane-el-kadi-icone-de-la-presse-libre-en-algerie.html">l’incarcération de leur fondateur et directeur, le journaliste Ihsane El Kadi</a>.</p>
<p>L’ONG internationale Reporters sans Frontières <a href="https://rsf.org/fr/rsf-saisit-l-onu-apr%C3%A8s-l-incarc%C3%A9ration-d-ihsane-el-kadi-en-alg%C3%A9rie">saisit l’ONU</a> et publie une lettre ouverte signée de 16 patrons de rédactions de 14 pays, dont Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix, qui appellent à la libération de leur confrère Ihsane El Kadi. Sans succès. L’affaire El Kadi rappelle <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-appel-la-mobilisation-internationale-pour-le-journaliste-khaled-drareni-371023">l’incarcération pendant un an, en 2020-2021, du journaliste Khaled Drareni</a>, qui a été un animateur phare de Radio M, dont le cas avait suscité une vague de soutien international. *Aujourd’hui, dans le pays, le climat est plus frileux au vu de la multiplication de ces affaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1614973055796760576"}"></div></p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/01/en-algerie-la-dissolution-de-la-ligue-des-droits-de-l-homme-illustre-l-escalade-repressive-du-regime_6160088_3212.html">La ligue algérienne des droits de l’homme est dissoute</a> depuis peu, et son vice-président a fui en France. Le RAJ <a href="https://www.jeuneafrique.com/1421053/politique/en-algerie-dissolution-du-raj-une-ong-emblematique-du-hirak/">(Rassemblement actions jeunesse)</a>, une ONG emblématique du Hirak, a également été interdit. <a href="https://www.slate.fr/story/225879/presse-francophone-algerie-declin-liberte-soir-dalgerie-el-watan">La presse indépendante francophone est moribonde</a>, ce qui réduit encore les espaces d’expression libre.</p>
<p>Des frictions diplomatiques ont mis aux prises Alger et Paris autour de l’affaire Bouraoui. Cette gynécologue, militante déjà connue depuis 2014 pour le <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/barakat-le-mouvement-anti-bouteflika-peut-il-s-etendre-en-algerie_1506636.html">mouvement Barakat</a> contre le quatrième mandat de Bouteflika et animatrice d’un programme sur Radio M, qui faisait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire algérien, a rejoint la France sous protection consulaire française au vu de sa double nationalité. </p>
<p>En réaction, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230208-affaire-amira-bouraoui-l-alg%C3%A9rie-rappelle-son-ambassadeur-en-france">Alger a rappelé son ambassadeur</a>. Ce <em>Bouraouigate</em> a semble-t-il provoqué l’incarcération du journaliste <a href="https://cpj.org/2023/02/algerian-journalist-mustapha-bendjama-arrested/">Mustapha Bendjama</a>, exerçant au <em>Provincial</em> d’Annaba. Notons qu’un lanceur d’alerte, Zaki Hannache, décrit comme un pilier du Hirak, a obtenu un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/17/je-suis-le-prochain-sur-la-liste-a-tunis-l-exil-intranquille-du-militant-algerien-zaki-hannache_6162243_3212.html">statut de réfugié en Tunisie depuis trois mois</a>. Il avait reçu un prix pour son engagement lors d’une cérémonie organisée par Radio M.</p>
<h2>Radio M, une caisse de résonance à la jeunesse dans la ligne de mire du pouvoir ?</h2>
<p>Plusieurs protagonistes sont reliés à l’espace Radio M, cette radio web qui offrait des programmes classiques de débats et d’informations.</p>
<p>Pour la jeunesse algérienne, deux programmes ont, pendant la crise sanitaire, représenté une sorte de continuité de l’esprit positif du Hirak. Ils étaient tous deux animés par le regretté <a href="https://www.dzairdaily.com/algerie-anis-hamza-chelouche-decede-journaliste-radio-m-plus/">Anis Hamza Chelouche</a>, dit AHC, décédé lors d’un photoreportage en mer en septembre 2021. Chelouche, qui était une sorte d’archétype de cette jeunesse d’avant-garde patriote, avait couvert toutes les marches. Polyglotte, progressiste, il avait vécu dans trois pays européens mais était rentré au pays pensant contribuer à l’ouverture du champ des possibles pour les jeunes.</p>
<p>Le premier programme, <a href="https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=677656219575478">Maranach Saktine</a> (Nous n’allons pas nous taire), qui fait directement écho au slogan Maranach Habsin (Nous n’allons pas nous arrêter), a consacré de nombreux numéros à des sujets sociétaux tabous ou mis a la marge. Il se caractérisait par un ton très particulier, donnant la parole aux jeunes, y compris à ceux que l’on n’entend jamais, qui s’exprimaient avec leurs mots, dans toute leur diversité – un véritable prolongement du Hirak de la rue.</p>
<p>L’autre émission animée par AHC, <a href="https://m.youtube.com/playlist?list=PLYQuO64wrGlV2bXru70sPIMxsqsQIeB8w">Doing DZ</a>, était consacrée à l’entrepreneuriat. Elle représentait l’autre versant du Hirak, celui d’une société civile en mouvement, qui ne fait pas que marcher mais qui crée ses propres opportunités, souvent en adaptant au marché algérien des services disponibles à l’étranger et en promouvant le <em>made in Algeria</em>, avec une vision start up ou libérale, qui n’attend pas l’État et ses subventions pour agir. Le Hirak a concerné les jeunes de toutes classes sociales qui ont signifié à leurs aînés leur volonté de trouver leur place dans la société, et de s’émanciper vis-à-vis du pouvoir politique mais aussi de toutes les institutions qui semblent sclérosées et bloquées, inhibant l’initiative individuelle.</p>
<h2>Jeunesse algérienne : quelles perspectives ? Le départ ou le silence</h2>
<p>Quelles solutions pour cette jeunesse ? Si durant les premiers mois du Hirak, on ressentait une effervescence des Algériens de l’intérieur et de l’extérieur à l’idée de bâtir le pays, aujourd’hui le départ devient un une option fréquente. De plus en plus d’étudiants y aspirent. En outre, alors que le Hirak espérait que moins de <em>harragas</em> (clandestins) risqueraient de prendre la mer au vu de l’espoir suscité par le mouvement, il semble que leur flux reste constant. Le phénomène concerne parfois femmes et enfants, avec hélas, régulièrement, des <a href="https://observalgerie.com/2022/08/21/societe/parties-harraga-espagne-trois-femmes-algeriennes-decedent-mer/">issues tragiques</a>.</p>
<p>Un mur, <a href="https://www.jeune-independant.net/un-mur-controverse-pour-fermer-les-plages-aux-harraga/">bâti le long de la corniche oranaise</a> et censé dissuader les candidats au départ, avait provoqué l’indignation des habitants. Ce mur était perçu comme une <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/algerie-oran-harraga-mur-repression-enfermement-libertes">métaphore de l’enfermement et de la rétention</a> de la jeunesse algérienne dans les murs du pays.</p>
<p>Pendant la crise sanitaire, les frontières maritimes et terrestres algériennes avaient été drastiquement fermées. Le retour à la normale a été long, privant d’échanges familiaux les Algériens vivant des deux côtés de la Méditerranée. Le Hirak a également été un temps particulièrement fluide et collaboratif entre les Algériens de l’intérieur et la diaspora.</p>
<p>Ces dernières semaines, plusieurs mesures gouvernementales montrent un décalage du pouvoir avec le Hirak, dont l’exécutif se réclame, mais en le cantonnant à un Hirak originel (celui qui a duré jusqu’à l’élection présidentielle de 2019) et dont il incarnerait désormais officiellement les aspirations. Le ministère du Commerce a <a href="https://maghrebemergent.net/signes-et-couleurs-contraires-aux-valeurs-morales-de-la-societe-le-gouvernement-mene-la-guerre/">fait retirer les produits comportant l’arc-en-ciel</a> car ils constitueraient une atteinte aux mœurs. Les internautes n’ont pas hésité à railler une mesure jugée absurde en proposant l’interdiction de l’arc-en-ciel dans le ciel. Une limitation des importations de produits de mode a été évoquée pour encourager la production nationale.</p>
<p>Récemment, la ministre de la Culture a exigé des sanctions pour les chansons comportant du contenu <a href="https://www.algerie360.com/ministere-culutre-chansons-vulgaires/">offensant pour les bonnes mœurs algériennes</a>. Bien sûr, comme ailleurs, le rap algérien se développe, et l’art en général sert à exprimer des transgressions et un besoin d’évasion surtout dans un champ d’expression fermé. Le rap mais aussi les chants des supporters dans les stades ont notamment <a href="https://academic.oup.com/book/45355/chapter-abstract/389273637?redirectedFrom=fulltext">joué un rôle important pour le Hirak</a>. Aujourd’hui, dans un contexte économique qui n’offre aux jeunes guère d’opportunités de se réaliser, leurs codes culturels (tech, mode,arts) semblent scrutés et policés par les autorités. On l’aura compris : pour le moment,la jeunesse algérienne n’est pas récompensée pour le pacifisme, le civisme, le patriotisme et l’ouverture de sa Révolution du Sourire… </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Apparu en 2019 avant de se voir relégué au second plan pendant la pandémie, le mouvement du Hirak cherche à subsister face à une répression gouvernementale qui s’intensifie.
Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/197039
2023-01-30T19:03:44Z
2023-01-30T19:03:44Z
Quel avenir pour le populisme semi-autoritaire en Tunisie après les élections législatives ?
<p>Avec la tenue des élections législatives des 17 décembre et 29 janvier, la Tunisie a franchi une nouvelle étape dans l’application de sa nouvelle <a href="https://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/Constitution_2022/menu.html">Constitution de 2022</a>, adoptée <a href="https://www.cartercenter.org/news/pr/2022/tunisia-fr-010423.pdf">à l’initiative du président Saïed</a>, arrivé au pouvoir en 2019.</p>
<p>Ces élections étaient organisées neuf mois après la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/31/en-tunisie-la-dissolution-du-parlement-prolonge-la-crise-politique_6119915_3212.html">dissolution du précédent Parlement</a> par le président suite à l’échec du gouvernement Mechichi (2020-2021), soutenu par une coalition parlementaire menée par le parti islamiste Ennahdha, à <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/10400">faire face à la crise du Covid-19</a>. Elles ne peuvent pas être qualifiées de « non libres » ; pour autant, elles n’ont pas été pleinement libres et équitables.</p>
<p>Comme le dit le <a href="https://www.cartercenter.org/news/pr/2022/tunisia-fr-010423.pdf">Centre Carter</a>, l’une des ONG les plus fiables sur les questions électorales :</p>
<blockquote>
<p>« Si les élections ont été techniquement bien administrées, le processus qui les sous-tend a manqué de légitimité et n’a pas satisfait aux normes et obligations internationales et régionales. » </p>
</blockquote>
<p>Les électeurs l’ont compris en boycottant largement le scrutin. La très faible participation, qui s’est élevée à seulement <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/tunisie-11-22-de-participation-aux-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-anticip%C3%A9es-/2767824">11,22 % au premier tour</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230130-second-tour-des-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-en-tunisie-seulement-11-3-de-participation">11,3 % (chiffre provisoire)</a> au second, a représenté une abstention record et constitué un camouflet pour Kaïs Saïed puisqu’il souhaitait un taux de participation élevé – alors que la quasi-totalité des partis politiques du pays avaient <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/16/en-tunisie-lopposition-appelle-au-boycott-des-elections/">appelé les électeurs à ne pas se rendre aux urnes</a>). L’issue de ce processus électoral met à mal le système politique tunisien et fait peser des incertitudes sur l’avenir politique de Saïed, candidat potentiel à sa réélection en 2024.</p>
<h2>Un régime présidentiel qui réduit le Parlement à la portion congrue</h2>
<p>Ces élections ont mis en lumière à la fois la résilience et les limites du mode de gouvernance de président Saïed : de nature hybride, celui-ci s’apparente à ce que nous qualifions de <a href="https://merip.org/2021/10/populist-passions-or-democratic-aspirations-tunisias-liberal-democracy-in-crisis/">« populisme semi-autoritaire »</a>.</p>
<p>Un tel régime est porteur de certaines spécificités. En tête de celles-ci se trouve une approche individualiste de la politique, un style de gouvernement par décret, dans lequel peu ou pas de dialogue politique a lieu entre le décideur dominant, sorte de <em>caudillo</em> tunisien, et les corps intermédiaires. Cette approche individualiste est l’une des principales raisons pour lesquelles plusieurs grands partis – les islamistes d’Ennahdha, les sympathisants de l’ancien régime d’Addoustouri al-Hor, les sociaux-démocrates d’Attayar – ont boycotté les législatives, de la même façon qu’ils avaient <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/26/en-tunisie-les-tunisiens-approuvent-par-referendum-une-constitution-hyperpresidentialiste_6136168_3212.html">boycotté le référendum sur la nouvelle Constitution</a>. On assiste à l’érosion de l’espace concret de la politique au profit d’un seul acteur, sans pour autant que la liberté d’action politique soit totalement restreinte dans le pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1435171985458302978"}"></div></p>
<p>Dans l’actuel régime présidentiel, le chef de l’État ne peut être responsable devant le Parlement ou destitué, sauf dans des conditions exceptionnelles. Le nouveau Parlement issu des élections qui viennent de se tenir est paralysé du fait de certaines dispositions de la nouvelle Constitution : il lui est impossible de choisir le chef du gouvernement (celui-ci est désormais désigné par le président) et la représentation des partis est affaiblie.</p>
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<p>En effet, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/16/en-tunisie-le-president-kais-saied-instaure-une-nouvelle-loi-electorale-marginalisant-les-partis-politiques_6141947_3212.html">nouvelle loi électorale</a>, publiée par Saïed le 15 septembre 2022 sous la forme d’un simple décret sans débat politique préalable, oblige les candidats à présenter leur candidature et à faire campagne individuellement et sans affiliation à un parti. En outre, le financement public des formations politiques est désormais interdit. Il est donc difficile pour l’électorat de distinguer les candidats affiliés à des partis et les très nombreux candidats qui se présentent comme indépendants. Le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/16/en-tunisie-lopposition-appelle-au-boycott-des-elections/">boycott des élections</a> par les partis politiques a conduit à l’entrée d’un nombre élevé de députés indépendants au Parlement, compliquant la formation de blocs politiques influents et donc d’une opposition crédible.</p>
<h2>Un autoritarisme partiel</h2>
<p>Une autre caractéristique majeure du populisme semi-autoritaire est l’équilibre délicat entre la restriction de la liberté d’expression et le maintien de certains espaces de liberté. Par exemple, les personnalités de l’opposition qui vont à l’encontre de la ligne promue par la télévision d’État, laquelle est désormais <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/tunisie-l%C3%A9gislatives-le-snjt-appelle-%C3%A0-ne-pas-soumettre-la-t%C3%A9l%C3%A9vision-nationale-aux-ordres-de-l-isie/2789939">totalement alignée sur le président</a> ne sont plus les bienvenues depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-le-president-gele-les-activites-du-parlement-et-demet-le-premier-ministre-de-ses-fonctions_6089509_3212.html">coup de force du 25 juillet 2021</a> par lequel Kaies Saïed a proclamé l’état d’exception, suspendu le Parlement et s’est arrogé des prérogatives très élargies.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zYlDbUZKPUk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Très peu de débats politiques ont lieu à la télévision, notamment en raison de la pression exercée sur les propriétaires des chaînes de télévision privées. Un nouveau décret présidentiel, le <a href="https://www.letemps.news/2022/09/19/le-snjt-appelle-kais-saied-a-retirer-le-decret-n-54/">« décret n°54 »</a> (publié le 13 septembre 2022), menace la liberté d’expression en introduisant des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour ce qui pourrait être assimilé à de la « propagation de fake news ». Certains militants politiques font déjà l’objet d’une enquête en vertu de la nouvelle loi.</p>
<p>Cependant, on trouve fréquemment des critiques du président dans les émissions politiques à la radio, dans la presse écrite et numérique, et sur les réseaux sociaux. Les opposants politiques de Saïed sont régulièrement invités dans la seule grande émission politique quotidienne de la chaîne privée Attessia TV et dans les principaux programmes politiques à la radio.</p>
<p>La façon dont les autorités traitent les manifestations politiques publiques est un autre exemple de cette approche hybride. Elles autorisent fréquemment les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/tunisie-manifestation-de-l-opposition-contre-kais-saied-une-semaine-avant-les-legislatives">manifestations de rue de l’opposition</a>, mais ont tendance à limiter l’accès des militants à ces rassemblements, en mettant en place une série de barrages sur les routes menant à la capitale et dans le centre-ville.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des milliers de Tunisiens manifestent contre le président Kaïs Saïed et la crise économique, France 24, 15 octobre 2022.</span></figcaption>
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<p>Une telle approche hybride rend difficile la comparaison du règne de Saïed avec l’autoritarisme de Ben Ali (président de 1987 à 2011). Non seulement Saïed semble être jusqu’à présent exempt de pression majeure aussi bien en interne qu’au niveau de la communauté internationale, mais il ne veut pas être comparé à tout autre dirigeant antérieur dans l’histoire de la Tunisie. Lorsqu’il parle de son style de gouvernement, il met l’accent sur le fait que la Tunisie vit sous son mandat <a href="https://www.researchmedia.org/key-notes-of-kais-saied-first-presidential-speech/">« une révolution culturelle sans précédent »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tunisie-avec-ka-s-sa-ed-la-percee-electorale-des-populistes-125438">Tunisie : avec Kaïs Saïed, la percée électorale des populistes</a>
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<p>Le populisme semi-autoritaire est un défi de taille pour le militantisme démocratique, notamment dans le contexte politique tunisien actuel. L’opposition est divisée entre le Front du salut,n dirigé principalement par le parti islamiste Ennahda, les sympathisants de l’ancien régime par Addoustour al-Horr, et les sociaux-démocrates dirigés par un groupe de cinq partis. Mais elle est peu attrayante pour les Tunisiens, notamment en raison de la période 2011-2019 séparant l’ère Ben Ali de l’arrivée au pouvoir de Saied, pendant laquelle une élite inefficace a été au pouvoir et <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/pourquoi-la-tunisie-a-perdu-dix-ans">n’a guère satisfait les attentes de l’électorat</a> en matière de réformes économiques et sociales.</p>
<p>De plus, elle <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/tunisia-political-parties-and-democracy-crisis">refuse systématiquement</a> de faire une autocritique sérieuse et de se réconcilier avec sa base populaire. Saïed n’a pas besoin de mettre son opposition hors la loi et de devenir pleinement autoritaire tant que celle-ci ne sera pas politiquement capable de modifier l’équilibre des forces. C’est peut-être l’une des principales raisons qui expliquent la résilience de son régime.</p>
<h2>L’épée de Damoclès du FMI</h2>
<p>L’abstention record aux élections a cependant montré le désaveu populaire que subit Saïed et laisse augurer de menaces possibles sur son pouvoir.</p>
<p>Les prochaines « réformes douloureuses » qui seront introduites dans le sillage de l’accord final de la Tunisie avec le FMI, qui s’attarde encore au milieu d’une <a href="https://www.tap.info.tn/en/Portal-Economy/15847229-delay-in-reaching">incertitude grandissante</a>, pourraient se traduire par une forte contestation sociale.</p>
<p>Le principal paradoxe du populisme semi-autoritaire est la contradiction frappante entre ses déclarations (« le peuple est bon et l’élite est néfaste ») et ses politiques « anti-populaires ». Cette contradiction est flagrante dans le discours officiel sur les « réformes » à venir : d’une part, <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2022/10/15/pr22353-tunisia-imf-staff-reaches-staff-level-agreement-on-an-extended-fund-facility-with-tunisia">l’accord avec le FMI du 15 octobre 2022</a> négocié par le gouvernement déclare qu’il « supprimera progressivement les subventions qui incitent au gaspillage » et une privatisation éventuelle de certaines entreprises publiques est évoquée (comme l’a dit la directrice du FMI dans une <a href="https://thearabweekly.com/high-stakes-tunisia-after-imf-agreement">interview du 16 octobre 2022)</a> ; d’autre part, les déclarations répétées de Saïed refusent clairement la fin du système de subventions et la privatisation des entreprises publiques.</p>
<p>Ces contradictions pourraient mettre en danger le règne de Saïed, affaibli par le boycott généralisé des législatives, et qui doit probablement s’attendre, dans les prochains mois, à des troubles sociaux d’envergure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tarek Kahlaoui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le premier tour des législatives tunisiennes, en décembre, a été marquée par une abstention record, signe de la désaffection des citoyens à l’égard du régime hybride du président Saïed.
Tarek Kahlaoui, Associate professor d'histoire et de relations internationales, South Mediterranean University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/197242
2023-01-08T16:38:46Z
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L’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale : une mémoire douloureuse parfois méconnue
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503283/original/file-20230105-20-nc2xj9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1022%2C725&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Soldats allemands dans une rue de Tunis, 1943.</span> <span class="attribution"><span class="source">Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Il y a un peu plus de quatre-vingts ans, en novembre 1942, les <a href="http://www.cerclealgerianiste.fr/index.php/archives/encyclopedie-algerianiste/histoire/histoire-militaire/la-seconde-guerre-mondiale/265-la-tunisie-sous-occupation-allemande">nazis occupaient la Tunisie</a>. Pendant les six mois qui suivirent, les Juifs et les musulmans tunisiens furent soumis au règne de terreur du Troisième Reich, ainsi qu’à sa législation antisémite et raciste. Les habitants vivaient dans la peur – « sous la botte des nazis », comme l’a écrit l’avocat juif tunisien Paul Ghez dans son <a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/six-mois-sous-la-botte-paul-ghez?2022-09-18_091008_2539.html">Journal</a> pendant l’occupation.</p>
<p>Nous sommes respectivement <a href="https://sarahastein.com/">historienne</a> et <a href="https://www.aomarboum.com/">anthropologue</a>. Ensemble, nous avons passé une décennie à <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=32119">rassembler les voix</a> de diverses personnes qui ont enduré la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, par-delà <a href="https://www.worldreligionnews.com/issues/the-triangular-affair-between-muslims-france-and-jews-interview-with-ethan-b-katz/">leur confession, leur classe sociale, leur langue et leur région d’origine</a>. Leurs lettres, leurs journaux intimes, leurs Mémoires, leurs poèmes et leur histoire orale expriment à la fois l’espoir et la détresse. Ils se percevaient comme étant piégés par la machine déchaînée du nazisme, de l’occupation, de la violence et du racisme.</p>
<p>Quand la plupart des Européens pensent au cauchemar de la guerre ou de l’Holocauste, ils pensent avant tout aux événements survenus sur le continent européen. Mais l’Afrique du Nord n’a pas été épargnée par ce déferlement de haine et de violence.</p>
<h2>L’Afrique du Nord aux mains des régimes d’Hitler, de Mussolini et de Pétain</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une famille juive à Tanger, au Maroc, en 1885. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LL/Roger Viollet via Getty Images</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/2500-annees-de-presence-juive-en-afrique-du-nord-un-monde-qui-s-eteint_3477857.html">L’histoire des Juifs installés en Afrique du Nord</a> commence dès le VI<sup>e</sup> siècle avant J.-C., après la destruction du premier temple de Jérusalem. Une autre vague importante d’immigrants a suivi l’Inquisition espagnole. Au début de la Seconde Guerre mondiale, une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2015-3-page-71.htm">population juive nord-africaine variée d’environ 500 000 personnes</a> coexistait avec les voisins musulmans.</p>
<p>Ces Juifs d’Afrique du Nord parlaient de nombreuses langues, reflétant leurs différentes cultures et appartenances : l’arabe, le français, le tamazight – langue berbère – et le haketia, une forme de judéo-espagnol parlé dans le nord du Maroc. Alors qu’un grand nombre de Juifs d’Afrique du Nord, en particulier en Algérie, bénéficiaient des privilèges de la citoyenneté française et d’autres nationalités occidentales, la majorité restait soumise aux autorités locales.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un groupe de jeunes filles juives à Debdou, au Maroc, vers 1915.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Millet E/Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs détenteurs de la citoyenneté française en <a href="https://journals.openedition.org/assr/21080">ont été déchus</a>. Trois puissances européennes ont gouverné tout ou partie de l’Afrique du Nord pendant la guerre, toutes trois avec une immense brutalité : la France de Vichy, l’Italie mussolinienne et l’Allemagne nazie.</p>
<p>Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie furent pendant la majeure partie du conflit dominés par la France de Vichy. Toutes les <a href="https://books.openedition.org/pumi/17916?lang=fr">lois et politiques antisémites et racistes</a> que le régime de Vichy a imposées à la France métropolitaine ont été <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/anti-jewish-legislation-in-north-africa">étendues aux colonies françaises d’Afrique du Nord et de l’Ouest</a>, expulsant les Juifs de leurs emplois, les privant de la citoyenneté – s’ils la possédaient – et saisissant les propriétés, les entreprises et les actifs appartenant à des Juifs.</p>
<p>Le régime de Vichy a également poursuivi les <a href="https://journals.openedition.org/rh19/1762">politiques racistes initiées par la IIIᵉ République</a>, en imposant le <a href="https://www.cairn.info/histoire-militaire-de-la-france--9782262065133-page-485.htm">service militaire aux jeunes Noirs des colonies</a>, et en les exposant aux avant-postes les plus dangereux en temps de guerre : après l’occupation allemande de la France, de nombreux tirailleurs sont emprisonnés par les nazis. Beaucoup ont été libérés et remis aux autorités de Vichy qui les ont utilisés pour contrôler la population indigène dans les colonies nord-africaines et les camps d’Afrique du Nord. Ces recrues forcées venaient du Sénégal, de Guinée française, de Côte d’Ivoire, du Niger et de Mauritanie, des territoires français du Bénin, de la Gambie et du Burkina Faso d’aujourd’hui. Il y avait également parmi eux des musulmans du Maroc et d’Algérie.</p>
<p>Ainsi, en ces temps de guerre, les Français menèrent une campagne anti-musulmane et anti-noire, associant des formes de haine raciale de l’ère coloniale à l’antisémitisme. Celui-ci avait des racines profondes dans l’histoire française et coloniale, mais trouva une <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2022-06-27/ty-article-opinion/.highlight/how-north-african-jews-have-been-erased-from-holocaust-history/00000181-a4fe-dcbe-a19b-a5ff8fc40000">nouvelle vigueur</a> avec le nazisme.</p>
<p>La politique antisémite et anti-Noirs était également une composante de la politique du gouvernement fasciste de Benito Mussolini, qui a <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-libye-vue-ditalie-colonialisme-fascisme-et-histoire-cachee">régné sur la Libye pendant la guerre</a>. L’Italie a d’abord testé sa politique raciste dans ses colonies d’Afrique orientale, en séparant les populations locales noires des colons italiens. Le régime de Mussolini a ensuite adapté cette politique de haine raciale en Libye, où il a <a href="https://northafricanjews-ww2.org.il/fr/les-juifs-de-libye-pendant-la-seconde-guerre-mondiale">chassé les Juifs de la vie active et de l’économie</a>, saisi les biens de milliers de personnes et les a déportées vers des camps de travail et d’internement. Des Juifs – enfants, femmes et hommes – sont morts de faim, de maladie, et des suites de privations et du travail forcé.</p>
<h2>Des camps en terre africaine</h2>
<p>L’Allemagne nazie a occupé la Tunisie de novembre 1942 à mai 1943. <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=32119">Pendant cette période</a>, les SS – le corps d’élite du régime nazi – ont emprisonné quelque 5 000 Juifs dans environ 40 camps de travaux forcés et de détention sur le front et dans des villes comme Tunis. Les troupes allemandes ont également terrorisé les filles et les femmes musulmanes et juives restées sur place.</p>
<p>Le Troisième Reich n’a pas déporté des Juifs d’Afrique du Nord vers ses camps de la mort en Europe de l’Est, mais des centaines de Juifs d’origine nord-africaine et certains musulmans qui vivaient en France ont connu ce sort. Ils furent déportés d’abord au camp d’internement de Drancy, aux portes de Paris, puis envoyés de là dans des camps de concentration et de la mort. Beaucoup sont morts à Auschwitz.</p>
<p>Il y avait aussi des camps en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. En plus des centres ouverts par les fascistes italiens en Libye, la France de Vichy et l’Allemagne nazie ont établi des camps pénitentiaires, des camps de détention et des camps de travail.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un prisonnier juif allemand du nom de Rosenthal pousse une charrette dans la carrière de pierres du camp de travail d’Im Fout au Maroc.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée du mémorial de l’Holocauste des États-Unis</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le régime de Vichy a construit à lui seul <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/gallery/camps-in-north-africa">près de 70 camps de ce type au Sahara</a>, insufflant une nouvelle vie au vieux projet colonial consistant à construire un chemin de fer transsaharien pour relier les côtes atlantique et méditerranéenne. Le régime de Vichy y voyait notamment un moyen d’envoyer un certain nombre de soldats sénégalais assurer la sécurité des camps sahariens de travaux forcés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/camps/les-camps-dafrique-du-nord.html">ces camps</a>, comme dans les camps nazis d’Europe de l’Est, la logique raciste complexe du nazisme et du fascisme s’est illustrée de manière très concrète. Les musulmans arrêtés pour activités anticoloniales ont été contraints à un travail épuisant aux côtés de Juifs et de chrétiens qui avaient fui l’Europe déchirée par la guerre avant d’être arrêtés en Afrique du Nord.</p>
<p>Ces hommes ont partagé le pain avec d’autres travailleurs forcés du monde entier, y compris des combattants qui s’étaient portés volontaires aux côtés de l’armée républicaine espagnole pendant la guerre civile. Ces Ukrainiens, Américains, Allemands, Juifs russes et autres avaient été arrêtés, déportés et emprisonnés par le régime de Vichy après avoir fui l’Espagne de Franco. Il y avait aussi des opposants politiques du régime de Vichy et du régime nazi, dont des socialistes, des communistes, des syndicalistes et des nationalistes maghrébins. Des enfants et des femmes ont également été emprisonnés.</p>
<p>Parmi ces prisonniers, beaucoup étaient des réfugiés ayant fui l’Europe, que ce soit en raison de leur judéité ou parce qu’ils étaient des adversaires politiques du Troisième Reich. Les détenus étaient encadrés par des soldats français de Vichy ainsi que par des <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2004-2-page-215.htm">autochtones marocains et des Sénégalais recrutés de force</a>, qui n’étaient souvent guère plus que des prisonniers eux-mêmes. Parfois, les prisonniers du camp interagissaient avec les populations locales : musulmans sahariens et juifs qui leur fournissaient des soins médicaux, des lieux de sépulture, de la nourriture et du sexe contre de l’argent.</p>
<p>Le nazisme en Europe reposait sur une matrice complexe d’idées racistes, eugénistes et nationalistes. La guerre – et l’Holocauste – apparaît encore plus complexe lorsque l’on prend en compte la logique raciste et violente des événements survenus alors en Afrique du Nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Au début des années 1940, l'Afrique du Nord a été aux mains de la France de Vichy, de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie. Une période tragique et douloureuse pour les populations locales.
Sarah Abrevaya Stein, Professor of History, University of California, Los Angeles
Aomar Boum, Professor of Anthropology, University of California, Los Angeles
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/192254
2022-10-16T15:31:25Z
2022-10-16T15:31:25Z
L’expédition scientifique de Napoléon en Égypte, ou le savoir au service du pouvoir
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489890/original/file-20221016-16-av4neh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1995%2C1278&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Napoléon en Egypte_, par Ulpiano Checa.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Napole%C3%B3n_en_Egipto_(Ulpiano_Checa).jpg">Poniol/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La campagne de Napoléon en Égypte (1798-1801) peut être décrite comme une entreprise pharaonique de l’époque moderne. Le déploiement de forces françaises est colossal, avec près de 40 000 hommes et quelque 300 navires. Et la défaite de l’armée de Bonaparte, assiégée par Nelson et les Mamelouks, est retentissante. Mais l’invasion de Napoléon a également amené des centaines de scientifiques français sur le Nil, qui ont fait de l’Égypte un véritable laboratoire moderne. Ils sont à l’origine de la découverte des trésors qui sont aujourd’hui exposés dans les musées d’Angleterre et de France.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488027/original/file-20221004-14-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Napoléon Bonaparte en Égypte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Napol%C3%A9on_Bonaparte_in_Egypt.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>La France révolutionnaire ne voulait pas seulement dominer une région sous l’Empire ottoman et barrer la route orientale de la Grande-Bretagne vers l’Inde. Elle a également cherché à réparer les revers coloniaux subis lors de la guerre de Sept Ans. Napoléon voulait non seulement prolonger ses victoires en Italie, mais aussi imiter Alexandre le Grand lui-même. Imprégnés de l’esprit des Lumières et de sa mission civilisatrice, les Français voulaient également répandre les Lumières chez un peuple qu’ils considéraient comme arriéré, mais qui avait été « le berceau de la civilisation ».</p>
<h2>Les 150 scientifiques de Napoléon en Égypte</h2>
<p>Quelque 150 scientifiques ont accompagné les troupes françaises de Napoléon. Ils étaient ingénieurs, géographes, naturalistes, médecins, architectes, cartographes et astronomes. La figure de l’académicien d’Ancien Régime fait place à un savant citoyen, engagé dans l’État et le progrès de l’humanité.</p>
<p>Napoléon crée une Commission des sciences et des arts, composée des membres les plus éminents de l’Institut national de France, héritier de l’Académie royale des sciences, supprimée par la Convention en 1793. À l’image de cet institut et avec les chercheurs de cette commission, il a fondé l’<a href="https://www.ifegypte.com/"><em>Institut d’Égypte</em></a> au Caire, une institution pionnière de l’égyptologie, toujours en activité et qui a subi de graves pertes dans un incendie lors du printemps arabe en 2011.</p>
<h2>Le laboratoire égyptien</h2>
<p>Pendant les campagnes militaires de Napoléon Bonaparte, l’Égypte est devenue un laboratoire, le théâtre de découvertes importantes dans diverses disciplines scientifiques.</p>
<p>La possibilité de construire un passage par le canal de Suez est étudiée et des cartes sont établies jusqu’en Haute-Égypte.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488017/original/file-20221004-16-ukdnh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte de la Basse-Égypte pendant la campagne française de Napoléon en Égypte et en Syrie, pour être utilisée dans le rapport sur le canal de Suez entre les deux mers. La carte est incluse dans <em>Description de l’Égypte</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Description_de_l%27%C3%89gypte#/media/Archivo:NileDeltaNapoleon01.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.mnhn.fr/fr/cuvier-geoffroy-saint-hilaire-la-querelle-de-deux-brillants-scientifiques">Geoffroy Saint-Hilaire</a> a étudié et fait dessiner les espèces zoologiques indigènes. <a href="https://archives.seine-et-marne.fr/fr/marie-jules-cesar-lelorgne-de-savigny-1777-1851">Lelorgne de Savigny</a> a produit une histoire naturelle et mythologique de l’ibis (<em>Histoire naturelle et mythologique de l’ibis</em>), dont les restes momifiés ont été utilisés par Georges Cuvier pour soutenir que les espèces ne changeaient pas avec le temps, avant l’arrivée de Darwin.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Linda Hall" src="https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488010/original/file-20221004-12-joav10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Illustration de momies d’ibis publiée dans <em>Histoire naturelle et mythologique de l’ibis</em> (Paris, 1805).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://napoleon.lindahall.org/images/learn/ibismummies.jpg">Linda Hall Library</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le mathématicien <a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D30/monge.html">Gaspard Monge (1746-1818)</a>, comte de Péluse, l’un des pères de la géométrie descriptive, fut aussi l’un des plus grands confidents du jeune général Napoléon pendant la campagne d’Égypte. Il y étudie le phénomène optique des mirages dans le désert. Il rentre en France avec Napoléon le 23 août 1799, année où il publie son célèbre ouvrage <em>Géometrie descriptive</em>.</p>
<p>Berthollet, l’un des créateurs de la nomenclature chimique moderne, <a href="https://new.societechimiquedefrance.fr/wp-content/uploads/2019/12/1999-nov-225-NT30-Walter.pdf">a analysé les lacs de Natroun</a> à l’ouest du Caire et les réactions qui se produisaient entre le sel et le carbonate de calcium.</p>
<p>Conté, un homme sage – disait-on – « qui avait toutes les sciences dans la tête et tous les arts dans la main », fit fabriquer une presse à imprimer qui donna naissance à la <a href="https://www.museemedard.fr/la-description-de-legypte#:%7E:text=Comme%20l%E2%80%99indique%20son%20titre,sous%20la%20Monarchie%20de%20Juillet."><em>Description de l’Égypte</em></a> (1809-1829), un somptueux ouvrage en 23 volumes rassemblant les travaux de la commission et comprenant 837 fabuleuses gravures sur cuivre. C’est un monument de l’histoire des sciences, illustré comme peu d’autres, une encyclopédie utile pour quiconque veut se renseigner sur l’Égypte et la façon dont nous en sommes venus à construire cet objet de connaissance et cette discipline appelée égyptologie.</p>
<h2>Le pouvoir politique de la connaissance</h2>
<p>Dans son <a href="https://hemerotecaroja.files.wordpress.com/2013/06/said-e-w-orientalismo-1978-ed-random-house-mondadori-2002.pdf"><em>Orientalisme</em></a> (1978), Edward Said exposait les relations entre le pouvoir et la connaissance qui structurent la vision de l’autre en Occident, cette manière dominatrice de représenter les autres cultures et de fabriquer des connaissances à leur sujet. Mais il ne s’agit pas seulement de l’appropriation scientifique d’une culture par une autre. Comme l’a souligné Mª Luisa Ortega, professeur d’espagnol qui a fait <a href="https://repositorio.uam.es/handle/10486/11737">sa thèse de doctorat</a> sur l’expédition napoléonienne, la <a href="https://www.loc.gov/item/2021669215"><em>Description de l’Égypte</em></a> était aussi une recherche des racines du savoir accumulé et classé de l’<em>Encyclopédie</em>, la récapitulation d’une science qui prenait conscience de son pouvoir.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=613&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488024/original/file-20221004-24-okpt28.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=770&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Prosper Jollois et Edouard Devilliers faisaient partie d’une équipe de topographes qui devait étudier les techniques d’irrigation en Haute-Égypte. Lorsqu’ils ont appris l’existence du Zodiaque via la gravure de Denon, ils se sont rendus à Dendérah et ont réalisé un dessin détaillé qui a été publié plus tard dans la <em>Description de l’Égypte</em>. Le grand personnage à droite est Nout.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Description de l’Égypte</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Leurs études des temples, des vestiges archéologiques et des cultures de Basse et surtout de Haute-Égypte ont révélé des lieux tels que Thèbes, Louxor et Denderah, où fut découvert le fameux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Zodiaque_de_Dend%C3%A9rah">zodiaque</a>, un bas-relief sculpté au plafond d’une chambre dédiée à Osiris. Là, <a href="https://www.inha.fr/fr/ressources/publications/publications-numeriques/dictionnaire-critique-des-historiens-de-l-art/denon-dominique-vivant.html">Dominique-Vivant Denon</a>, un artiste et diplomate voyageant avec les troupes, a déclaré qu’il se sentait « dans le sanctuaire des sciences et des arts ».</p>
<h2>Les trophées exposés en France</h2>
<p>Aujourd’hui, le zodiaque de Dendérah est exposé au musée du Louvre à Paris. Des années plus tard, l’Égypte a offert à la France l’obélisque de Louxor, qui se dresse sur la place de la Concorde. Et que dire de la <a href="https://theconversation.com/la-piedra-de-rosetta-como-se-descifro-el-jeroglifico-mas-importante-de-la-historia-de-egipto-188611">pierre de Rosette</a>, la stèle inscrite en caractères grecs, démotiques et hiéroglyphiques qui a permis à Champollion de dévoiler les arcanes d’une langue jusqu’alors indéchiffrable ? Elle a été saisie par les Britanniques, ce qui explique pourquoi elle est aujourd’hui conservée au British Museum.</p>
<p>L’art de la confiscation des biens était-il une nouvelle branche des sciences exactes, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/J._Christopher_Herold">comme l’a écrit Christopher Herold</a>, et ces biens auraient-ils été mieux préservés s’ils étaient restés en Égypte ?</p>
<p>La question de l’appropriation culturelle et les politiques de restitution des biens culturels suscitent aujourd’hui d’importantes controverses. Une chose est sûre : pour l’époque moderne, il est impossible de séparer l’histoire des sciences de celle des empires coloniaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192254/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juan Pimentel no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>
Avec l’invasion de l’Égypte par Napoléon, des centaines de scientifiques français sont venus sur le Nil. Leurs découvertes sont aujourd’hui exposées dans les musées d’Angleterre et de France.
Juan Pimentel, Investigador del Departamento de Historia de la Ciencia, Centro de Ciencias Humanas y Sociales (CCHS - CSIC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/190767
2022-10-05T15:17:08Z
2022-10-05T15:17:08Z
Familles immigrées : le niveau d’éducation progresse sur trois générations mais les inégalités sociales persistent
<p>Une nouvelle loi immigration a été annoncée par le président Macron. Un « grand débat » aura lieu en 2023 à l’Assemblée nationale et au Sénat pour discuter certaines mesures déjà annoncées par l’exécutif. <a href="https://teo.site.ined.fr/">L’enquête Trajectoires et Origines (Te02)</a>, réalisée par l’Ined et l’Insee, est riche d’enseignements sur les parcours des personnes immigrées et leurs descendants. Ses premiers résultats renseignent sur leurs niveaux d’éducation.</p>
<p>De façon générale, le niveau d’éducation augmente d’une génération à l’autre. Mais progresse-t-il autant dans les familles issues de l’immigration que dans les autres ? Nous examinons la question en analysant les différences de progression au sein des familles selon leur origine géographique et le sexe des enfants.</p>
<p>Les enfants réussissent-ils mieux que leurs parents et leurs ascendants ? Cette question classique des études de mobilité sociale se pose avec une acuité particulière pour les familles immigrées, dont le projet migratoire visait souvent à améliorer leur sort et celui de leurs descendants. Or, ce projet se heurte à de nombreux obstacles.</p>
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<a href="https://theconversation.com/la-france-est-elle-aujourdhui-un-grand-pays-dimmigration-170309">La France est-elle aujourd’hui un grand pays d’immigration ?</a>
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<p>Dans quelle mesure les familles issues de l’immigration parviennent-elles à les surmonter au fil des générations ? La deuxième édition de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO2) permet, pour la première fois, de répondre à cette question en mesurant la <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-7-page-1.htm">progression du niveau d’éducation sur trois générations</a>, ainsi que son rendement sur le marché du travail.</p>
<h2>Forte élévation du niveau de diplôme dès la deuxième génération</h2>
<p>Au-delà de l’âge de 30 ans, quand les études sont généralement terminées, la progression la plus notable du diplôme s’observe entre les parents immigrés (1re génération ou G1) et leurs enfants nés en France (2<sup>e</sup> génération ou G2). Dans ces familles, quand on compare le plus haut diplôme des deux parents à celui des enfants, on observe que la proportion de diplômés du supérieur passe de 1 sur 20 à près d’un tiers (figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure reprise de Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon, 2022, Population & Sociétés, n° 602.</span>
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<p>C’est encore loin des 43 % de diplômés du supérieur que comptent les descendants de natifs (les G4+ dans notre notation, qui n’ont pas d’ascendants immigrés avant la 4<sup>e</sup> génération). S’en rapprochent cependant les personnes nées en France de couples mixtes (G2,5) avec 43 % de diplômés du supérieur, et les petits-enfants d’au moins un immigré (G3) avec 44 %. Il suffit donc que l’un des parents soit né en France pour que le niveau de diplôme rattrape celui du reste de la population.</p>
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<p>Si l’on considère maintenant la « mobilité éducative », en comparant les enfants à leurs propres parents (plutôt qu’en comparant les niveaux de diplôme de chaque groupe indépendamment des liens familiaux), ce sont les enfants d’immigrés qui accomplissent la distance la plus importante, en raison de la faiblesse du niveau scolaire initial : plus de 70 % obtiennent un diplôme plus élevé que celui de leurs parents. La marge de progression se réduit autour de 55 % quand l’un des parents n’a pas migré ou que la migration des ascendants est plus ancienne.</p>
<p>La génération des enfants a été scolarisée à une période et dans une société où les études supérieures sont plus fréquentes, ce qui explique pour partie ces différences entre générations. Mais la progression intergénérationnelle et la convergence avec les descendants de natifs varient sensiblement selon l’origine des familles.</p>
<h2>Familles européennes et maghrébines : une convergence scolaire après deux générations ?</h2>
<p>Un premier profil est celui des familles originaires du Maghreb et d’Europe du Sud (figure 2). Alors que les parents ont très rarement un diplôme du supérieur (moins de 3 %), plus d’un tiers des enfants en possèdent. D’où le pourcentage élevé d’enfants plus diplômés que les parents : respectivement 70 % et 80 %. Cette forte progression en une génération ne s’explique pas seulement par la faible diffusion de l’enseignement supérieur dans les pays d’origine, mais aussi par la forte mobilisation des parents immigrés en faveur de la <a href="https://www.puf.com/content/Les_enfants_dimmigr%C3%A9s_%C3%A0_l%C3%A9cole">réussite scolaire des enfants</a>. Le niveau atteint reste cependant en dessous de celui des descendants de natifs (43 %), sauf pour les enfants de couples mixtes. À la troisième génération, les descendants de la migration européenne sont au même niveau que les descendants de natifs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure reprise de Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon, 2022, Population & Sociétés, n° 602.</span>
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<h2>Des familles d’Afrique subsaharienne et d’Asie surdiplômées</h2>
<p>Un deuxième profil est celui des familles originaires d’Afrique hors Maghreb et d’Asie. Les parents sont au moins aussi souvent diplômés du supérieur que les parents natifs : un quart pour ceux d'Afrique subsaharienne contre un cinquième pour les autres (figure 2). Ces proportions s’élèvent à 40 % en cas de couples mixtes. Ce résultat témoigne d’une <a href="https://books.openedition.org/ined/831?lang=fr">évolution des profils des immigrés en France</a> : la diversification des origines s’est accompagnée d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2017-2-page-1.htm">élévation des niveaux d’instruction</a>, liée à une sélection plus intense des émigrants par rapport à ceux qui restent au pays d’origine.</p>
<p>Dans ces conditions, la marge de progression par rapport aux parents est plus réduite. Les enfants de ces familles sont, du reste, plus souvent diplômés du supérieur que les descendants de natifs (43 % contre 50 % parmi les enfants d’un ou deux immigrés d’Afrique, 54 % pour les enfants de deux immigrés d’Asie, et même 64 % pour les enfants de couples mixtes dont un parent vient d’Asie). Si le succès des descendants d’immigrés asiatiques est régulièrement commenté, ce n’est guère le cas pour les descendants d’immigrés africains, en butte aux représentations péjoratives des migrations africaines.</p>
<h2>Familles de Turquie et du Moyen-Orient : un désavantage scolaire persistant</h2>
<p>Troisième profil : les familles originaires de Turquie et du Moyen-Orient. Elles combinent un faible taux de diplômés du supérieur chez les parents (5 %) et un taux encore limité chez les enfants (18 %) (figure 2). Si ces derniers ont souvent progressé par rapport aux parents (deux fois sur trois), ils n’en constituent pas moins le groupe issu de l’immigration le moins diplômé. La trajectoire parcourue ne suffit pas, dans ce cas, à compenser un point de départ très défavorisé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-master-des-candidats-discrimines-sur-leurs-noms-de-famille-177294">En master, des candidats discriminés sur leurs noms de famille</a>
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<h2>Avoir un diplôme supérieur à celui de ses parents : plus fréquent pour les filles que pour les garçons</h2>
<p>La plus grande réussite scolaire des filles est un fait général bien connu en France. Elle se vérifie aussi chez les filles d’immigrés (figure 3), qui dépassent plus souvent que les fils le niveau de diplôme des parents. Ces différences de genre dans la mobilité éducative d’une génération à l’autre s’observent de la façon la plus saillante au sein des familles originaires de Turquie ou du Moyen-Orient : 75 % des filles ont un diplôme plus élevé que celui des parents, contre 55 % des garçons. Cet avantage des femmes est moins marqué au sein des familles issues d’Afrique subsaharienne (57 % des filles sont plus diplômées que leurs parents, contre 49 % des garçons) et du Maghreb (73 % contre 70 %).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure reprise de Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon, 2022, Population & Sociétés, n° 602.</span>
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<h2>Un moindre rendement du diplôme sur le marché du travail pour les descendants d’immigrés extraeuropéens</h2>
<p>Au fil des générations, les descendants d’immigrés tendent donc à se rapprocher des niveaux de diplôme des descendants de natifs. Mais à quelles professions conduisent ces diplômes, et en particulier quelle est la part des diplômés du supérieur qui accèdent aux professions intermédiaires ou supérieures ? Elle s’élève à 77 % pour les descendants de natifs et à 75 % pour les petits-enfants d’immigrés européens.</p>
<p>En revanche, les diplômés du supérieur nés d’un ou deux parents d’origine extraeuropéenne sont moins nombreux à accéder à des professions intermédiaires ou supérieures : 69 % pour les originaires du Maghreb, d’Asie et du reste de l’Afrique. Une part de l’explication de ces écarts selon l’origine tient aux <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2017-7-page-1.htm">discriminations à l’embauche régulièrement mesurées</a>. Dans tous les groupes, le rendement professionnel d’un diplôme du supérieur est moindre pour les femmes, notamment du fait de leur retrait plus fréquent du marché du travail.</p>
<p>Les descendants d’immigrés obtiennent des diplômes sensiblement plus élevés que ceux de leurs parents. Malgré cette progression, la deuxième génération ne rejoint pas le niveau des descendants de natifs, notamment chez les enfants d’immigrés originaires d’Europe du Sud, du Maghreb et surtout de Turquie. Le rattrapage s’observe, en revanche, chez les enfants de couples mixtes et parmi la troisième génération issue de la migration européenne. Qu’en sera-t-il des petits-enfants d’immigrés d’origine extraeuropéenne ? L’enquête TeO2 comporte un échantillon complémentaire pour cette population qui permettra, dans des études à venir, de répondre à cette question importante. Il reste que la détention d’un diplôme du supérieur ne garantit pas un accès égal au marché du travail selon l’origine migratoire. La mobilité éducative favorise la mobilité sociale mais ne la garantit pas.</p>
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<p><em>Ce texte est adapté d’un article publié par les auteurs dans Population et Sociétés n° 602, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-7-page-1.htm">« Familles immigrées : le niveau d’éducation progresse sur trois générations mais les inégalités sociales persistent »</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Simon a reçu des financements de l'ANR et de plusieurs ministères et organismes publiques (Défenseur des Droits et DilCRAH), notamment pour financer la réalisation de l'enquête Trajectoires et Origines . </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cris Beauchemin a reçu divers financements publics pour mener ses recherches (ANR, Commmission européenne...)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathieu Ichou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le niveau d’éducation augmente d’une génération à l’autre. Mais progresse-t-il autant dans les familles issues de l’immigration que dans les autres ?
Patrick Simon, Chercheur associé à l'Observatoire Sociologique du Changement, Sciences Po; Co-responsable du master Migrations de l'Institut des Migrations (Paris 1 -Ehess), Institut National d'Études Démographiques (INED)
Cris Beauchemin, Chercheur, Directeur délégué à la valorisation, Institut National d'Études Démographiques (INED)
Mathieu Ichou, Chargé de recherche à l’Ined, co-responsable de l’unité Migrations Internationales et Minorités (MIM), Institut National d'Études Démographiques (INED)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/189581
2022-09-06T21:40:27Z
2022-09-06T21:40:27Z
Pourquoi les jeunes Marocains préfèrent-ils l’anglais au français ?
<p>Les jeunes Marocains sont de plus en plus nombreux à estimer que la maîtrise de l’anglais leur donnera accès à une meilleure éducation et accroîtra leurs chances d’obtenir un poste à l’étranger. Le français fait moins recette qu’auparavant.</p>
<p>Depuis <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ma1956.htm">son indépendance</a> en 1956, le Maroc entretient des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2016-4-page-67.htm">liens</a> diplomatiques, économiques et culturels forts avec la France. <a href="https://www.amb-maroc.fr/_rm/maroc_oif.html">L’ancrage dans la francophonie</a> a longtemps semblé une évidence, un horizon indépassable. Sans être une langue officielle du pays, le français est la première langue étrangère des écoliers marocains et la langue privilégiée de l’enseignement universitaire, se lit sur les devantures des bâtiments privés et publics, et son usage est largement diffusé dans les administrations et le monde des affaires.</p>
<p>Toutefois, l’attachement à la langue française se délite chez une partie des Marocains, notamment les plus jeunes. <a href="https://www.britishcouncil.ma/en/shift-english">Une étude</a> du British Council publiée au printemps 2021 révèle qu’une majorité des jeunes serait favorable à la substitution du français par l’anglais. Ainsi 40 % des <a href="https://m.facebook.com/brutmaroc/videos/ces-jeunes-marocains-qui-veulent-parler-anglais-plut%C3%B4t-que-fran%C3%A7ais/517741339338118/">jeunes Marocains préféreraient apprendre l’anglais</a>, contre seulement 10 % le français. Un nombre croissant de jeunes se dit plus à l’aise et privilégiant l’anglais, tant dans les interactions quotidiennes que pour leur parcours académique. Dans le même temps, les rayons anglophones des librairies s’agrandissent au détriment de la littérature et des écrits francophones.</p>
<p>Pour comprendre les motifs du détachement des jeunes Marocains du français au profit de l’anglais, nous avons conduit des focus groups avec les étudiants de première année d’une école de commerce. Les groupes ont été composés de manière à refléter la diversité des étudiants en matière d’origine sociale (des étudiants issus des classes les plus aisées et des étudiants boursiers) et de maîtrise des langues française et anglaise (certains étudiants affichant une appétence particulière pour l’une ou l’autre des deux langues).</p>
<p>L’expression des jeunes révèle un rapport ambivalent à la langue française. Nous identifions trois motifs sociaux et politiques de leur préférence pour l’anglais :</p>
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<li><p>un rapport pragmatique et fonctionnel des jeunes à la langue étrangère ;</p></li>
<li><p>une transformation des élites ; </p></li>
<li><p>une gestion du stigmate de langue chez les classes populaires.</p></li>
</ul>
<h2>L’anglais, langue des opportunités mondiales</h2>
<p>Les jeunes Marocains, dont l’arabe reste très majoritairement la première langue d’usage, adoptent un raisonnement pragmatique en « coûts/bénéfices » concernant leur langue étrangère d’usage. Ils arbitrent en particulier entre la difficulté perçue d’apprentissage de la langue et les opportunités que celle-ci offre en matière de connaissances, d’ouverture au monde, de mobilité internationale et d’opportunités professionnelles.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YMbcGGtJPLY?wmode=transparent&start=21" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">21st Century Morocco Podcast: The shift to English in Morocco.</span></figcaption>
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<p>Dans ce match des « coûts/bénéfices », l’anglais l’emporte de plus en plus face au français dans l’esprit des jeunes Marocains.</p>
<p>D’abord parce que l’anglais est perçu comme accessible et aisé à apprendre, notamment grâce aux contenus culturels plus largement disponibles dans cette langue. Netflix, YouTube et les réseaux sociaux sont tout autant un moyen de divertissement qu’un outil d’apprentissage linguistique. Ensuite, parce que l’anglais est considéré comme la <a href="http://gerflint.fr/Base/Europe8/Hamel.pdf">langue internationale</a> qui ouvre les opportunités et les horizons les plus vastes en matière d’études, de voyages, d’affaires et d’échanges avec des personnes du monde entier.</p>
<p>A contrario, le français est décrit comme une langue qui, d’une part, est difficile à apprendre et, d’autre part, enferme dans un lien quasi exclusif avec la France et quelques rares pays francophones d’Europe et d’Afrique. Par pragmatisme et utilitarisme, bon nombre de jeunes Marocains ne s’embarrassent pas de maîtriser une <a href="https://revues.imist.ma/index.php/JALCS/article/view/22334">langue qui leur semble moins désirable</a> car moins porteuse d’opportunités.</p>
<h2>L’anglais, langue des nouvelles élites</h2>
<p>Les élites marocaines sont traditionnellement réputées francophones et francophiles. Le succès des établissements scolaires d’enseignement français, dits de la <a href="https://www.efmaroc.org/">mission française</a>, et le poids socio-économique des lauréats des grandes écoles françaises en attestent.</p>
<p>Mais cette élite se sent également trahie et se détourne d’un partenaire qui a multiplié les signes d’inimitié. Le premier remonte à la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/05/31/la-circulaire-gueant-sur-les-etudiants-etrangers-abrogee-ce-jeudi_1710020_823448.html">loi Guéant</a> qui, en 2011, interdisait l’accès à l’emploi en France aux jeunes lauréats étrangers des grandes écoles et universités françaises. Si la loi a été abrogée un an plus tard après le retour de la gauche au pouvoir, la blessure narcissique des élites marocaines est restée. De plus, l’irrésistible progression des discours xénophobes portés par l’extrême droite et, plus récemment, la baisse drastique du <a href="https://www.facebook.com/watch/?ref=search&v=604750691085700&external_log_id=f296e94b-8c6f-4caa-be47-0e1ff6357501&q=brutmaroc">nombre de visas français octroyés</a> aux ressortissants marocains ont ravivé le sentiment de rejet et les interrogations des élites marocaines quant à leur relation privilégiée avec la France.</p>
<p>De manière concomitante, le Maroc a vu émerger une nouvelle élite plus anglophone, formée sur les bancs des universités américaines, canadiennes et britanniques. Celle-ci promeut un usage plus intense de l’anglais dans les milieux d’affaires et universitaires et le renforcement des liens politiques et économiques avec le monde anglo-saxon.</p>
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<p>Le royaume a entrepris une politique de diversification de ses partenariats politiques et commerciaux. La France n’est plus perçue comme le partenaire économique privilégié et la destination rêvée des jeunes Marocains pour poursuivre leurs études. Entre 2012 et 2017, le <a href="http://archimedeconsulting.com/mobilite-internationale-des-etudiants-marocains-1-5-la-destination-france-reste-la-plus-prisee/">nombre d’étudiants marocains à l’étranger</a> a progressé de 16 % au Canada, de 35 % en Allemagne, de 179 % en Ukraine, et de seulement 3 % en France. Les universités marocaines participent à cette politique de diversification. Elles ont multiplié les <a href="https://ledesk.ma/encontinu/la-faculte-de-medecine-de-lum6ss-dotee-dune-filiere-anglophone/">cursus anglophones</a> et les programmes d’échanges avec les universités non francophones.</p>
<p>De telle sorte que le français n’est plus perçu par les jeunes comme la langue de la réussite académique et professionnelle.</p>
<h2>Gestion du stigmate : la revanche des classes populaires</h2>
<p>Au Maroc, la maîtrise de la langue française s’est transformée en <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=WfWKkl4GbLAC">marqueur social et de classe</a>, à mesure que la qualité de l’enseignement de la langue s’est dégradée au sein de l’école publique.</p>
<p>Une partie conséquente de la jeunesse issue des classes populaires porte sa faible maîtrise du français comme un <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/2572">stigmate</a>, c’est-à-dire un attribut social visant à dévaloriser certaines catégories de population qui sont censées s’écarter de la norme sociale dominante, tel que l’a décrit le sociologue américain Erving Goffman.</p>
<p>Chez les jeunes des classes populaires, le « shift to english » relève précisément de la gestion du stigmate. À défaut de maîtriser la norme sociale des élites, ils s’en éloignent encore plus et retournent le stigmate par leurs comportements et dans leur discours. Les plus modérés utilisent l’anglais parce qu’ils se sentent plus à leur aise dans cette langue et pour éviter les erreurs de français qui révèlent leur stigmate. Les plus radicaux en font une question d’identité et portent un discours de rupture avec <a href="http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Benzakour%20Fouzia.pdf">l’ancienne langue coloniale</a>. Pour ces derniers, la francophonie du Maroc n’est que la queue de comète de la période coloniale. Ils s’en détournent et s’emploient à créer une nouvelle norme dominante.</p>
<p>Cette transformation de l’usage de la langue questionne l’avenir des liens économiques, politiques, éducatifs et culturels entre le Maroc et la France. Au-delà du Maroc, elle interroge sur le rôle de la francophonie comme outil d’influence de la France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189581/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Une étude montre l’attrait croissant qu’exerce la langue anglaise sur les jeunes Marocains. Pour un ensemble de raisons, le français semble voué à reculer dans ce pays.
Hicham Sebti, Directeur d'Euromed Fès Business School - Chercheur associé au Research Institute for European, Mediterranean, and African Studies (RIEMAS), Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMF
Hafsa El Bekri, Enseignante-chercheure en économie internationale, Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMF
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2022-09-05T22:55:16Z
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Vers une réconciliation franco-algérienne ?
<p>La visite du président Macron en Algérie du 25 au 27 août 2022 a eu pour but de reconstruire du lien avec ce pays qui occupe une place à part dans l’histoire française.</p>
<p>La relation bilatérale s’était en effet <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-torchon-brule-entre-France-lAlgerie-2021-10-03-1201178652">nettement dégradée</a> ces dernières années, en dépit des nombreux gestes mémoriels accomplis par Paris à la suite des préconisations du <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/278186-rapport-stora-memoire-sur-la-colonisation-et-la-guerre-dalgerie">rapport Stora</a>, la France ayant notamment reconnu des faits de torture et de disparitions forcées pendant la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/03/guerre-d-algerie-emmanuel-macron-reconnait-qu-ali-boumendjel-a-ete-torture-et-assassine-par-l-armee-francaise_6071747_3212.html">guerre d’Algérie</a>, ainsi que le <a href="https://www.france24.com/fr/france/20211016-17-octobre-1961-emmanuel-macron-va-reconna%C3%AEtre-une-v%C3%A9rit%C3%A9-incontestable">massacre des Algériens à Paris</a> lors de la manifestation du FLN du 17 octobre 1961.</p>
<p>Cette dégradation s’expliquait notamment par des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-dalgerie-les-propos-de-macron-plongent-paris-et-alger-dans-une-crise-ouverte">propos tenus par Emmanuel Macron</a> le 30 septembre 2021 sur l’inexistence de la nation algérienne avant la colonisation française, qui avaient entraîné le <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20211002-l-alg%C3%A9rie-rappelle-son-ambassadeur-en-france-pour-consultations">rappel de l’ambassadeur algérien à Paris</a> pendant plusieurs mois et l’<a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20211003-l-alg%C3%A9rie-interdit-le-survol-de-son-territoire-aux-avions-militaires-fran%C3%A7ais">interdiction du survol du territoire algérien</a> par les avions militaires français pour se rendre au Mali ou au Niger.</p>
<p>Il reste que la France et l’Algérie ont toutes deux intérêt à protéger cette relation privilégiée.</p>
<h2>Une émancipation partielle de l’Algérie vis-à-vis de la France</h2>
<p>Rappelons d’abord que la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2006-3-page-179.htm">perte d’influence</a> de la France en Algérie est un phénomène que l’on observe depuis longtemps et qui n’est pas imputable au président Macron.</p>
<p>La France est depuis maintenant des décennies concurrencée en Afrique et, en particulier, en Algérie, par des puissances émergentes. La deuxième puissance mondiale, la Chine, l’a supplantée comme <a href="https://afrique.latribune.fr/economie/strategies/2018-12-28/commerce-sans-surprise-la-chine-reste-le-premier-fournisseur-de-l-algerie-802309.html">premier partenaire commercial</a> de l’Algérie. La Turquie s’affirme également en Algérie, elle qui est héritière de l’Empire ottoman, qui avait exercé sa domination en Algérie avant la conquête française en 1830. Quant à la Russie, elle est le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/l-algerie-tiraillee-entre-la-russie-pourvoyeuse-d-armes-et-l-europe-acheteuse-de-gaz_2172134.html">principal fournisseur d’armes</a> de l’Algérie depuis 1962. Mais elle vend aussi des armes au Maroc, notamment des chars et des véhicules blindés.</p>
<p>Les Français ont perdu de gros contrats. Suez ne gère plus l’eau à Alger. Aéroports de Paris a perdu le contrat de management de l’aéroport d’Alger, qui s’est récemment agrandi. La RATP n’est plus en charge du fonctionnement du métro d’Alger. Le français comme langue étrangère est également en perte de vitesse en Algérie <a href="https://journals.openedition.org/droitcultures/1860">par rapport à l’anglais</a>.</p>
<p>Toutefois, l’Algérie ne peut se passer de la France et de l’Union européenne. Le pays subit actuellement un relatif isolement. Alger a quand même des alliés dans la région, notamment en la personne du président tunisien <a href="https://news.gnet.tn/tunisie-kais-saied-en-algerie-degel-et-resultats-esperes/">Kais Saïed</a>, qui affiche de plus en plus son adhésion au nationalisme arabe. Mais elle voit d’un mauvais œil les ingérences en Libye de l’Égypte et des Émirats arabes unis, qui sont des soutiens importants du maréchal Haftar, très puissant en <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/autre-region/Cyr%C3%A9na%C3%AFque/115383">Cyrénaïque</a>. L’Algérie est en effet trés soucieuse de protéger ses vastes frontières, et cherche à les défendre tout en maintenant sa doctrine traditionnelle de non-intervention en dehors de son territoire.</p>
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<p>Son relatif isolement actuel a été suscité par les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03566453/">accords d’Abraham</a> du 15 septembre 2020, qui ont entraîné une normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes, dont le Maroc, qui a reconnu l’État israélien.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-change-laccord-de-cooperation-securitaire-entre-le-maroc-et-israel-178335">Ce que change l’accord de coopération sécuritaire entre le Maroc et Israël</a>
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<p>En contrepartie, les États-Unis ont <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/les-etats-unis-r%C3%A9it%C3%A8rent-leur-position-reconnaissant-la-souverainet%C3%A9-du-maroc-sur-le-sahara/2292157">reconnu</a> la marocanité du Sahara occidental, ce qui va à l’encontre de la position de l’Algérie, qui <a href="https://theconversation.com/algerie-maroc-la-rupture-est-consommee-172430">soutient le combat du Front Polisario pour le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui</a>. Madrid a également reconnu la marocanité du Sahara occidental, ce qui a fortement déplu à Alger qui a <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/le-president-algerien-coupe-le-robinet-du-gaz-au-maroc-430682">cessé ses livraisons de gaz</a> à l’Espagne à travers le gazoduc Maghreb Europe, qui transite par le Maroc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1505255177825230850"}"></div></p>
<p>Alors que, du fait de la guerre en Ukraine, les <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/baisse-des-livraisons-de-gaz-l-europe-doit-s-affranchir-de-moscou-des-que-possible-estime-l-ue-530a27a8-0cb4-11ed-bc02-4fec2eb4421e">livraisons de gaz russe aux pays de l’UE devraient baisser significativement</a>, l’Algérie peut-elle prendre le relais de Moscou en la matière ? Pour l’heure, 8 % à 9 % du gaz consommé en France provient d’Algérie. Le gaz algérien arrive en France soit par gazoduc via des interconnexions gazières avec des pays européens, soit par transport maritime via le GNL (gaz naturel liquéfié). Un certain nombre de problèmes techniques doivent être réglés entre Français et Algériens pour permettre l’<a href="https://www.sudouest.fr/economie/energie/l-algerie-pourrait-augmenter-de-50-ses-livraisons-de-gaz-a-la-france-des-annonces-a-venir-12061041.php">augmentation de ces livraisons</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron ne semble pas être un partisan du gazoduc <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/energie/gaz-naturel/midcat-ce-gazoduc-qui-oppose-plus-que-jamais-la-france-a-l-espagne-l-allemagne-et-bruxelles-451fde18-2946-11ed-816a-f6aa922adaf4">Midcat</a>,</p>
<p>qui relierait l’Espagne à la France et qui permettrait d’augmenter les livraisons de gaz algérien transitant actuellement par le gazoduc <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/04/28/gaz-l-algerie-menace-de-rompre-son-contrat-avec-l-espagne_6124014_3212.html">Medgaz</a>. Une solution envisageable passerait par la construction d’un <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/la-mise-en-service-d-un-terminal-methanier-flottant-au-havre-en-septembre-2023-confirmee.N2031367">terminal flottant de gaz liquéfié au Havre</a>. Les choses sont plus faciles avec l’Italie : Alger a augmenté ses livraisons de gaz aux Italiens via le gazoduc <a href="https://www.transmed-spa.it/sistema_di_trasporto.php?lingua=3">Transmed</a> qui va de Hassi R’Mel en Algérie jusqu’à Bologne en transitant par la Sicile et la Tunisie.</p>
<h2>Le rôle de l’Algérie dans le conflit malien et les intérêts stratégiques français</h2>
<p>Le partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie revêt dans ces conditions un caractère stratégique. Les Français ont besoin d’Alger du fait des enjeux sécuritaires de la bande saharo-sahélienne, surtout après le <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/les-derniers-soldats-francais-de-l-operation-barkhane-ont-quitte-le-mali-1660571253">départ de leurs troupes du Mali</a> dont la présence suscitait le rejet de l’opinion publique malienne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mali-fallait-il-renouveler-le-mandat-de-la-minusma-189079">Mali : Fallait-il renouveler le mandat de la Minusma ?</a>
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<p>En effet, Alger a patronné les <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/Accord%20pour%20la%20Paix%20et%20la%20R%C3%A9conciliation%20au%20Mali%20-%20Issu%20du%20Processus%20d%27Alger_0.pdf">accords d’Alger</a> signés en mai 2015 entre le gouvernement algérien et la rébellion touareg de la Coordination des mouvements touaregs de l’Azawad, qui n’ont d’ailleurs pas permis de ramener la paix dans la région en raison de la prolifération des milices, de leur désarmement différé et de la distinction artificielle entre rebellions touaregs séparatistes et djihadistes.</p>
<p>Les Algériens entretiennent aussi de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/08/27/paris-cherche-l-appui-d-alger-sur-le-sahel_6139190_3212.html">très bonnes relations</a> avec la junte malienne au pouvoir à Bamako, qui est très hostile à la France, préférant les mercenaires russes à la force Barkhane.</p>
<p>Les Français ont besoin des Algériens pour redéfinir leurs relations avec le Sahel et ont un ennemi commun les djihadistes du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Quest-GSIM-groupe-djihadiste-responsable-lenlevement-dOlivier-Dubois-2021-05-07-1201154647">GSIM</a> (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), dirigé par le chef touareg radicalisé <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/07/27/mali-iyad-ag-ghali-l-ennemi-numero-un-de-la-france_5336668_3212.html">Iyad Ag Ghali</a>, ancien milicien au service du colonel Kadhafi. Il a fait allégeance à Al-Qaida au Maghreb islamique, dirigée par l’Algérien Abou Oubaïda Yousef al-Annabi, un ancien du GIA (Groupement islamique armé). Iyad Ad Ghali s’est allié aux djihadistes peuls de la <em>katîba</em> Macina. Le GSIM, désormais <a href="http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2022/07/28/mali-le-gsim-annonce-des-operations-d-envergure-alors-que-les-attaques-se-m.html">actif dans le centre du Mali</a>, avec des possibilités de frappe dans le sud du pays, représente une menace pour toute l’Afrique de l’Ouest où la France conserve des intérêts, et une menace moindre – pour le moment – pour l’Algérie.</p>
<p>Concernant l’approfondissement des relations économiques, l’Algérie est demandeuse d’investissements plus productifs des entreprises françaises et de transferts de technologies, notamment dans le secteur énergétique, dans le domaine des énergies renouvelables avec l’énergie solaire et dans les hautes technologies. Elle souhaite une diversification des investissements français en Algérie.</p>
<h2>Le poids du passé colonial</h2>
<p>Les relations franco-algériennes sont évidemment aussi une affaire intérieure en France. Emmanuel Macron a annoncé durant son séjour la transition vers une <a href="https://www.algerie-eco.com/2022/08/27/visas-immigration-choisie-ce-qua-dit-macron/">immigration algérienne choisie</a> de travailleurs qualifiés et d’étudiants. Cette immigration choisie a déjà commencé dans les faits avec l’installation en France de nombreux <a href="https://www.visa-algerie.com/hopitaux-francais-1200-medecins-algeriens-autorises-a-exercer/# :%7E :text=Au %20total %2C %201 %20200 %20m %C3 %A9decins,en %20France %20pour %20cette %20ann %C3 %A9%3Csup%3Ee%3C/sup%3E.">médecins généralistes algériens</a> et ingénieurs informaticiens issus de grandes écoles et d’universités algériennes. </p>
<p>Cette politique d’immigration sélective peut entraîner des effets négatifs pour le développement algérien du fait de la <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/fuite-des-cerveaux-lalgerie-confrontee-au-depart-de-ses-medecins-vers-la-france">fuite des cerveaux</a> qu’elle représente pour le pays de départ. Paris ne semble plus vouloir des anciennes migrations algériennes de travailleurs peu qualifiés. Pourtant, ces populations ont bien <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2011-2-page-219.htm">participé à la construction de la France</a> depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à nos jours.</p>
<p>Approfondir la relation franco-algérienne nécessite d’aplanir les maux hérités du passé colonial et de la guerre qui sont à l’origine de notre relation si forte et si particulière avec l’Algérie. Pendant sa visite à Alger, les présidents Macron et Tebboune ont annoncé la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/France-Algerie-commission-mixte-regarder-lhistoire-face-2022-08-28-1201230572">création d’une commission mixte d’historiens français et algériens</a> pour établir ensemble les faits. À noter que le rapport Stora de 2021 ne recommandait que la nomination d’une commission d’historiens sur les <a href="https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php ?laref=2527&titre=victimes-des-massacres-d-oran-le-5-juillet-1962">massacres d’Oran</a>, et pas une commission d’historiens compétente globalement. </p>
<p>Les travaux produits par cette nouvelle commission d’historiens, si elle voit effectivement le jour, pourraient légitimer la reconnaissance par la France des crimes de la colonisation – même s’il est peu probable que le président français réitère les propos qu’il avait tenus en 2017 en tant que candidat, quand il avait évoqué les <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/02/15/macron-qualifie-la-colonisation-de-crime-contre-l-humanite-tolle-a-droite-et-au-front-national_5080331_4854003.html">crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1563579555809337346"}"></div></p>
<p>S’il <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-d-algerie-macron-recuse-toute-repentance-et-appelle-a-regarder-le-passe-avec-courage-20220826">refuse la repentance</a> et ne veut pas prononcer les excuses officielles demandées par l’Algérie, une telle reconnaissance forte du passé par le pouvoir politique français, légitimée par un travail historique commun, pourrait toutefois être fondatrice d’une nouvelle relation avec l’Algérie, en levant les blocages à la coopération entre nos sociétés et en permettant aux jeunesses de nos deux pays d’envisager pleinement un avenir commun sans haine et sans rancune. Cette initiative est probablement une des dernières chances du président Macron, qui voudrait rester dans l’histoire comme le réconciliateur de la France et de l’Algérie.</p>
<h2>Regarder la vérité historique en face, dans toute sa complexité</h2>
<p>Si on ne peut que se réjouir de la prise de conscience du pouvoir politique français et algérien de la nécessité de passer de la mémoire à l’histoire, un processus d’ailleurs largement entamé dans les travaux de plusieurs générations d’historiens – qu’ils portent sur l’histoire des Algériens avant 1830, la conquête de l’Algérie, l’histoire de la colonisation française, la guerre d’Algérie et sa fin tragique avec les <a href="https://theconversation.com/les-obstinations-nucleaires-des-dirigeants-francais-en-algerie-independante-185050">essais nucléaires français en Algérie</a>, le massacre du 17 octobre 1961, l’abandon des harkis, les massacres d’Oran… –, une telle commission sera amenée à évoquer la douloureuse question des responsabilités étatiques au plus haut sommet de l’État.</p>
<p>Elle ne peut éluder la séquence de la fin de la guerre d’Algérie et devra affronter le regard de la statue de commandeur du général de Gaulle, le dernier grand homme d’État français du XX<sup>e</sup> siècle, sans oublier les non-dits de la mémoire officielle algérienne. Cette prise en compte globale de l’histoire franco-algérienne est indispensable pour deux nations condamnées dans tous les cas par cette même histoire traumatique à avoir un avenir commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189658/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Alcaraz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
À Alger, Emmanuel Macron a discuté avec Abdelmadjid Tebboune d’enjeux gaziers, de lutte contre le djihadisme, d’immigration et d’histoire. Un rapprochement durable est-il possible ?
Emmanuel Alcaraz, Docteur en histoire, Agrégé d'histoire géographie, Enseignant à Sorbonne Université, Chercheur associé à Mesopolhis(Sciences Po Aix UMR 7064)et à l'IRMC(Institut de recherches sur le Maghreb contemporain, CNRS), Sorbonne Université
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tag:theconversation.com,2011:article/186527
2022-08-17T17:47:10Z
2022-08-17T17:47:10Z
Série vidéo : Quand l’art crée la femme orientale
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472859/original/file-20220706-9520-29mx18.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C815%2C492&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Interior of the Palm House de Carl Blechen (1834)</span> <span class="attribution"><span class="source">Carl Blechen</span></span></figcaption></figure><p>Au début du XIX<sup>e</sup> siècle, un mouvement artistique prend son essor à travers les différentes campagnes de colonisation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient : l’Orientalisme. Ce courant construit une image de l’Orient bien différente de la réalité basée sur la vision de l’artiste occidental. En particulier, les femmes orientales sont un sujet privilégié par les artistes, source d’inspiration et de fantasmes. À la fois sensuelle et fragile, la femme orientale peut être aussi dangereuse, étant le fruit d’une culture non civilisée et violente.</p>
<p>Ces stéréotypes, au fil des décennies, se sont installés dans l’imaginaire collectif et perdurent encore dans les représentations actuelles. Comment cette définition de la femme orientale a été imposée par l’art occidental ? Et en quoi a-t-elle été déterminante dans ses représentations populaires contemporaines ? Nous avons rencontré Alain Messaoudi, chercheur au Centre d'histoire internationale et atlantique de Nantes Université et historien de
l’orientalisme, et Mariem Guellouz, sociolinguiste à l’Université de Paris et danseuse, pour répondre à ces questions.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yNMbnVT1ZVE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand l’art crée la femme orientale.</span></figcaption>
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<p><em>Réalisation : Sirine Ben Younes et Pierre Tousis.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186527/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Connaissez-vous l’orientalisme ? Ce courant artistique a construit une image de l’Orient bien différente de la réalité basée sur la vision de l’artiste occidental.
Mariem Guellouz, Maîtresse de conférences en sciences du langage, Université Paris Cité
Alain Messaoudi, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université de Nantes
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tag:theconversation.com,2011:article/185530
2022-08-09T20:45:59Z
2022-08-09T20:45:59Z
En Tunisie, l’enjeu de la fuite des cerveaux
<p>Le phénomène de la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/economie-et-immigration/que-signifie-l-expression-fuite-des-cerveaux">« fuite des cerveaux »</a> (<em>brain drain</em>) est un problème constaté dans le monde entier : des travailleurs hautement qualifiés (chercheurs, ingénieurs, professionnels internationaux, etc.) migrent vers les pays développés, leur pays d’origine y perdant de l’une de ses ressources les plus rares, le « capital humain ».</p>
<p>L’exode des cerveaux conduit à une perte substantielle de talents pour les pays de départ et à un gain pour les pays d’arrivée. Exemples parmi d’autres : quelque 1 200 médecins <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/fuite-des-cerveaux-lalgerie-confrontee-au-depart-de-ses-medecins-vers-la-france">devraient quitter l’Algérie</a> en 2022 pour la France ; au Canada, le gouvernement a annoncé que les <a href="https://www.immigration.ca/fr/canadas-brain-drain-figures-show-technology-graduate-exodus">deux tiers des récents diplômés en génie logiciel</a> de ses meilleures universités s’étaient installés aux États-Unis ; de leur côté, les Français, notamment les plus qualifiés, sont de <a href="https://wallstreetenglish.fr/dossiers/dossier-comprendre-reussir-son-expatriation/fuite-cerveaux-en-france">plus en plus attirés par l’expatriation</a> puisque le nombre de départs vers un pays étranger a augmenté de 52 % en 20 ans, <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/278154-francais-de-letranger-une-tendance-la-hausse-confirmee">passant de 160 000 en 2006 à 270 000 en 2018 d’après l’Insee</a>.</p>
<p>Si l’exode des cerveaux concerne aussi bien les pays développés que les pays en développement, c’est dans ces derniers que les conséquences sont particulièrement nocives, car elles affectent des secteurs vitaux.</p>
<p>Selon l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE), <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-03177033/document">plus d’un million de personnes</a> issues du continent africain et <a href="https://theconversation.com/pourquoi-faut-il-relier-migration-et-education-116247">titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur</a> quittent chaque année leur pays d’origine pour partir vers les pays du Nord, plus attractifs en matière de salaire et de niveau de vie.</p>
<p>À cet égard, le nombre important de médecins algériens, zimbabwéens et nigérians officiant respectivement en <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-d-anthony-bellanger/histoires-du-monde-du-mardi-08-fevrier-2022-5614158">France</a>, en <a href="https://scholars.wlu.ca/samp/42/">Afrique du Sud</a> et aux <a href="https://africacheck.org/fact-checks/spotchecks/are-20000-nigerian-doctors-practising-us-compared-50000-country">États-Unis</a> illustre la fuite des cerveaux dans le domaine médical et met en évidence les difficultés qu’éprouvent les pays d’origine à <a href="https://www.jeuneafrique.com/1106531/economie/tribune-comment-la-diaspora-peut-aider-a-enrayer-la-fuite-des-cerveaux/">retenir leurs talents</a>. L’examen du cas spécifique de la Tunisie permet de mieux comprendre les ressorts de ces processus.</p>
<h2>Le cas de la Tunisie</h2>
<p>La Tunisie n’a pas été épargnée par cette tendance dont les effets se répercutent sur le produit intérieur brut, mais aussi, à plus long terme, sur le capital immatériel du pays et son développement humain.</p>
<p>Selon l’OCDE la Tunisie était classée en 2020 <a href="https://www.oecd.org/officialdocuments/publicdisplaydocumentpdf/?cote=DELSA/ELSA/WD/SEM(2020)4&docLanguage=En">au deuxième rang des pays arabes</a> en matière de fuite des cerveaux, après la Syrie. Environ 8 200 cadres supérieurs, 2 300 ingénieurs, 2 300 enseignants-chercheurs, 1 000 médecins et pharmaciens, et 450 informaticiens ont quitté le pays en 2018, d’après l’Office des Tunisiens à l’étranger.</p>
<p>Selon une étude menée par l’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge), les départs des « talents » sont motivés <a href="https://lapresse.tn/46165/fuite-des-cerveaux-un-malaise-socioeconomique-profond/">par les mauvaises conditions de vie en Tunisie</a>, les personnes concernées citant parmi les raisons les ayant poussées au départ la corruption, l’avenir incertain, le climat liberticide, la bureaucratie, l’instabilité politique et les meilleures opportunités professionnelles et financières à l’étranger (un salaire souvent multiplié par six ou sept).</p>
<p>Dans le secteur informatique, tout particulièrement, la fuite des cerveaux ne cesse de s’intensifier, ce qui impacte lourdement les entreprises tunisiennes, qui rencontrent de nombreuses difficultés tant pour recruter des candidats que pour les retenir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1379460249741111302"}"></div></p>
<p>Face à ce phénomène, le gouvernement travaille sur l’allègement du cadre législatif du travail afin d’autoriser le recrutement des étudiants originaires d’autres pays d’Afrique présents sur son sol (on comptabilisait 4 560 étudiants subsahariens inscrits en 2018) et ainsi, selon la formule de <a href="https://lapresse.tn/46180/kais-sellami-president-de-la-federation-nationale-du-numerique-utica-la-tunisie-victime-de-son-succes/">Kais Sellami</a>, président de la Fédération nationale du numérique, « endiguer les pertes occasionnées par les départs ».</p>
<p>Par ailleurs, il est important de mettre en œuvre des mesures qui encouragent les migrants qualifiés à revenir dans leur pays après avoir acquis d’utiles compétences à l’étranger.</p>
<p>Ainsi, la Tunisie tient à l’envoi d’étudiants tunisiens dans des universités prestigieuses à l’étranger en vue de les associer ultérieurement au développement des recherches scientifiques en Tunisie même. Le nombre d’étudiants tunisiens en France s’élève à 13 073 en 2019-2020. Cependant, plus de la moitié (55 %) des étudiants poursuivant des études à l’étranger (il y aurait <a href="https://lapresse.tn/108586/etudes-universitaires-a-letranger-les-tunisiens-cinquieme-communaute-estudiantine-etrangere-en-france/">plus de 13 000 étudiants tunisiens en France</a> décident de s’y installer définitivement, refusant tout retour en Tunisie.</p>
<h2>Inciter à rentrer</h2>
<p>Plusieurs pays, notamment <a href="https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2022-04-19/contrats-d-expatriation-en-afrique-la-fin-d-un-eldorado-914495.html">l’Afrique du Sud</a>, ont mis en place des réseaux de reconnexion avec leurs expatriés en leur offrant des motivations pour rentrer, par exemple des avantages fiscaux pour créer une entreprise, des visas de travail pour les épouses étrangères, etc. De son côté, la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/turquie/la-turquie-vise-%C3%A0-encourager-la-fuite-des-cerveaux-vers-le-territoire-turc-/2178866">Turquie</a> a mis en place des <a href="https://www.savunmasanayi.org/turkiye-ve-aselsan-icin-back-to-turkey/">mesures spécifiques</a> afin d’inverser la fuite des cerveaux, d’encourager les personnes réalisant des travaux scientifiques de haut niveau à rester dans le pays et d’accroître la main-d’œuvre talentueuse dont le pays a besoin. À ce titre, Ankara accorde, en plus des incitations financières, un soutien pouvant aller jusqu’à 95 000 dollars aux chercheurs qui viendront en Turquie à l’appel du TUBITAK, le Conseil de la recherche scientifique et technologique de Turquie.</p>
<p>De son côté, la Tunisie prend à sa charge le financement de formations complémentaires adaptées aux besoins des entreprises, ce qui vise à permettre aux jeunes diplômés et aux primo-demandeurs d’emploi d’acquérir des « soft skills », des certifications et d’améliorer, ainsi, leur employabilité.</p>
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<p>L’augmentation du nombre des diplômés est une autre mesure envisagée – un processus qui doit être mené en parallèle avec un effort visant, en s’appuyant sur le document de référence qu’est le <a href="http://www.emploi.nat.tn/upload/ANETI-RTMC_TOME_I_2018_VFC.pdf">Référentiel des métiers et compétences</a>, à instaurer un langage commun entre les institutions de formation, les entreprises et le ministère de l’Enseignement supérieur, de sorte que la formation s’adapte mieux à la demande du marché.</p>
<p>Enfin, l’État tunisien met en place des incitations diverses comme les <a href="http://www.tunisieindustrie.nat.tn/fr/doc.asp?action=showdoc&docid=765">incitations à la coopération entre entreprises et structures de recherche</a>, les <a href="http://www.tunisieindustrie.nat.tn/fr/doc.asp?action=showdoc&docid=766">fonds de valorisation des résultats de recherche et de transferts d’innovation</a>, la <a href="http://www.tunisieindustrie.nat.tn/fr/doc.asp?action=showdoc&docid=835">mise à disposition des structures d’appui à la création d’entreprises</a>, les <a href="http://www.tunisieindustrie.nat.tn/fr/doc.asp?action=showdoc&docid=764">incitations à la recherche</a>, les <a href="http://www.tunisieindustrie.nat.tn/fr/doc.asp?action=showdoc&docid=766">incitations à la création d’entreprises innovantes</a>, et encourage les investissements étrangers générateurs d’emplois dans plusieurs secteurs d’activités (agriculture, industrie, tourisme, etc.).</p>
<h2>Comment les entreprises gèrent la fuite des cerveaux</h2>
<p>Un travail important doit être accompli par les entreprises. Celles-ci sont appelées à élaborer des réponses stratégiques adaptées et cohérentes visant à retenir leurs travailleurs les plus talentueux afin de s’épargner les conséquences néfastes de leur émigration. Le groupe tunisien <a href="https://groupe-telnet.com/">TELNET</a>, spécialisé dans le conseil, l’innovation et les hautes technologies, et qui a réussi à lancer le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/challenge-one-satellite-100-tunisien-sur-orbite_4342697.html">premier satellite tunisien Challenge One</a>, est lui aussi victime de la fuite des cerveaux.</p>
<p>Aujourd’hui, l’entreprise combine plusieurs mesures afin de maîtriser les flux de départ de ses ingénieurs :</p>
<ul>
<li><p>Construire de nouvelles ressources et compétences externes consiste en installant des filiales à l’étranger afin de préserver le capital humain de la société et maintenir son savoir-faire le plus longtemps possible.</p></li>
<li><p>Anticiper et/ou retarder le départ du personnel ingénieur, grâce au recours aux jeunes diplômés et aux étudiants à la fin du cycle ingénieur pour combler le besoin de main-d’œuvre et maintenir la productivité de l’entreprise.</p></li>
</ul>
<p>Un des chefs d’équipe de TELNET témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« On prend contact avec les universités durant la cinquième année, avant la qualification des étudiants. Il y a un travail en amont pour préparer un catalogue sur nos projets, les compétences recherchées et les objectifs de l’entreprise. »</p>
</blockquote>
<p>Le chef d’équipe affirme également que les entreprises possédant des filiales étrangères ne doivent pas hésiter à transférer les employés désireux d’émigrer vers ces filiales, car cette action leur permettrait de préserver le capital humain de la société et de maintenir son savoir-faire le plus longtemps possible.</p>
<blockquote>
<p>« Quand nos ingénieurs décident de partir à l’étranger, au moins ça sera avec nous, pour les maintenir et ne pas perdre notre savoir-faire. Les personnes qui désirent partir le pourront, mais resteront avec nous le plus longtemps possible »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="Caricature sur la fuite des cerveaux qui s’accentue" src="https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=543&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=543&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=543&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=682&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=682&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471127/original/file-20220627-22-623ik8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=682&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« La fuite des cerveaux s’accentue – Le vol d’Alger vient d’arriver ! », caricature de Dilem.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En analysant les raisons pour lesquelles les travailleurs partent à l’étranger, il ressort que les motifs financiers demeurent les plus importants. Les entreprises doivent donc revoir leur politique de rémunération et accorder une variété d’avantages, comme les primes, les promotions, mais aussi la reconnaissance, en responsabilisant davantage leurs cadres.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471130/original/file-20220627-15980-gdjwmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Gouvernement de l’oubli et de l’insouciance ! » scandent les ingénieurs tunisiens. Le 5 avril 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ils doivent aussi accorder aux seniors, tout comme aux juniors, la possibilité de se former de manière continue, et faciliter leur participation aux conférences et aux salons nationaux et internationaux de leur domaine d’activité.</p>
<p>Une bonne ambiance de travail est fondamentale pour la stabilité du personnel. Ainsi, les dirigeants de ces entreprises sont appelés à multiplier les <a href="https://www.capital.fr/votre-carriere/ldlc-leboncoin-norautoces-entreprises-qui-chouchoutent-leurs-salaries-1386470">événements de convivialité</a> afin de consolider les liens entre collaborateurs, faire évoluer la qualité du travail et favoriser le bien-être de tous.</p>
<h2>L’enjeu du capital humain</h2>
<p>En cette ère de crises successives, le phénomène de la fuite des cerveaux doit être pris en charge par les autorités tunisiennes afin d’éviter le départ ou au minimum le non-retour de ces personnes particulièrement compétentes. Le capital humain, élément clé pour la prospérité économique du pays, doit être valorisé dès la formation, grâce à l’offre d’un climat favorable à l’enseignement et à l’amélioration de la qualité de la formation.</p>
<p>Pour <a href="https://theconversation.com/diaspora-et-mobilite-enrichir-la-recherche-africaine-110308">dissuader les personnes qualifiées de quitter leur pays</a>, la Tunisie doit parvenir à créer des conditions pouvant contribuer à leur épanouissement et instaurer des mesures opérationnelles et concrètes de création de richesse et d’emploi, c’est-à-dire offrir des formes de reconnaissance aux plus méritants, assurer de meilleurs emplois et des salaires intéressants, davantage de perspectives et un niveau de vie plus élevé. En outre, la Tunisie doit coopérer avec les pays de destination pour trouver des solutions, telles que la préconisation d’une politique d’immigration sélective minimisant les pertes et/ou maximisant les gains de la mobilité du travail ; et mettre en place des incitations, fiscales ou autres, afin de favoriser les migrations de retour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185530/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fadia Bahri Korbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
De nombreux Tunisiens diplômés de l’enseignement supérieur émigrent, jugeant que les conditions de travail et de vie sont plus attractives à l’étranger. Comment faire face à ce phénomène ?
Fadia Bahri Korbi, Maître de conférences en sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/186327
2022-07-17T18:23:25Z
2022-07-17T18:23:25Z
Ceuta et Melilla, pièges à migrants entre le Maroc et l’Espagne
<p>Le vendredi 24 juin 2022, entre 23 et 37 personnes (selon les sources officielles du <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/incidents-melilla-le-cndh-presente-des-conclusions-preliminaires/">Conseil national des droits humains</a> et de l’<a href="https://ledesk.ma/encontinu/assaut-contre-melilla-le-bilan-passe-a-27-deces-chez-les-migrants-amdh-nador/">Association marocaine des droits humains section Nador</a>) ont trouvé la mort. Ils faisaient partie des centaines de migrants d’Afrique subsaharienne <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/06/27/a-melilla-une-tentative-d-entree-de-migrants-tourne-au-drame_6132174_3212.html">qui ont tenté de forcer les barrières grillagées au point de « Bario Chino »</a> séparant Nador au Maroc de Melilla, ville autonome espagnole encastrée en territoire marocain, tout comme Ceuta, située sur une presqu’île dans le détroit de Gibraltar, face à la pointe espagnole.</p>
<p>Ces enclaves constituent les seules frontières terrestres d’un pays membre de l’Union européenne (UE) avec le continent africain.</p>
<p>Depuis ce drame, chaque pays se renvoie la responsabilité. L’Espagne accuse les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/drame-de-melilla-l-espagne-denonce-les-mafias-et-une-attaque-contre-son-territoire-apres-la-mort-d-au-moins-18-migrants-dans-l-enclave_5220814.html">mafias</a>, tandis que les associations marocaines demandent une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220626-drame-de-melilla-des-voix-au-maroc-r%C3%A9clament-une-enqu%C3%AAte-approfondie-madrid-accuse-les-mafias">enquête approfondie</a> afin de déterminer ce qui s’est passé, donnant lieu à des <a href="https://www.voaafrique.com/a/drame-de-melilla-ouverture-du-proc%C3%A8s-d-un-1er-groupe-de-migrants-au-maroc/6644744.html">récits contradictoires</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cartes des enclaves « espagnoles » au Maroc" src="https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Zoom sur les enclaves de Ceuta et Mellila au Maroc et situation géographique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://img.freepik.com/vecteurs-libre/carte-ceuta-melilla_6487-306.jpg?w=2000">Freepik</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Comment expliquer la survenue de ce énième drame humain aux frontières de l’Europe ? Le royaume marocain fait-il du zèle sur ce dossier sensible ou bien n’est-il qu’un pion dans la politique européenne de frontiérisation <a href="https://www.lacimade.org/un-nouveau-charnier-aux-barrieres-de-melilla-les-massacres-racistes-et-limpunite-doivent-cesser-aux-frontieres-maroco-espagnoles/">aux conséquences souvent fatales</a> pour les populations ? Au cœur des enjeux de gestion migratoire par l’UE, ces deux villes de transit, aussi bien en termes de flux de population que de marchandises, sont aussi tributaires de leur passé colonial.</p>
<h2>Une survivance anachronique du colonialisme</h2>
<p>Selon l’expert <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-ceuta_et_melilla_histoire_representations_et_devenir_de_deux_enclaves_espagnoles_yves_zurlo-9782747576567-19258.html">Yves Zurlo</a>, ces deux enclaves constituent « une survivance anachronique du colonialisme en Afrique », qui explique en partie leur situation particulière. En effet elles n’ont jamais été <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/23847-ceuta-et-melilla-villes-espagnoles-ou-dernieres-colonies-en-afrique">rétrocédées</a> au Maroc après la fin de la colonisation (1956) <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/04/03/bull-rabat-obtient-de-madrid-la-retrocession-du-maroc-meridional-bull-tunis-reaffirme-sa-prevention-a-l-egard-d-un-controle-frontalier_3125988_1819218.html">à l’instar des autres territoires</a>.</p>
<p>Cette spécificité leur a, d’une certaine façon, permis de continuer à prospérer et de fonctionner <a href="https://journals.openedition.org/mcv/8025?lang=pt">comme les anciens comptoirs coloniaux</a> qu’elles ont été tout <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/4973">au long</a> des XVI<sup>e</sup>, XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ces deux « cités autonomes » jouissent d’une fiscalité très particulière (statut de port franc acquis en 1863) ce qui favorise un <a href="https://atalayar.com/fr/content/entrepreneurs-de-ceuta-et-melilla-les-douanes-sont-dans-linteret-de-lespagne-et-du-maroc">commerce important entre Espagne et Maroc</a> mais aussi de nombreux échanges plus ou moins licites.</p>
<p>Ainsi, s’il existe bien un impôt régional, les Ceutiens et les Mélilliens « ne payent pas de TVA sur les tabacs, les carburants et les combustibles » et bénéficient de nombreuses réductions de taxes. Par ailleurs, si l’Espagne revendique l’appartenance de ces enclaves à l’UE, ces dernières sont exemptées des <a href="https://taxation-customs.ec.europa.eu/ceuta-and-melilla_fr">droits de douane européens</a>.</p>
<h2>Des trafics de « pauvres à pauvres » aux relents coloniaux</h2>
<p>Ces spécificités financières ont favorisé les <a href="https://www.econostrum.info/Ceuta-et-Melilla-barometres-des-relations-entre-le-Maroc-et-l-Espagne_a27253.html">trafics frontaliers illégaux</a> et induisent une culture de l’illicite profondément ancrée sur ces territoires. La situation a perduré depuis les années 1960 avec une certaine complicité et tolérance du Maroc.</p>
<p>Après s’être libéré, le Maroc, fragilisé économiquement notamment <a href="https://orientxxi.info/magazine/quand-la-france-colonisait-le-maroc-par-la-dette,1709">par la domination coloniale</a> était dans l’incapacité logistique d’acheminer des marchandises d’importation sur l’ensemble de son territoire. Le royaume avait aussi besoin de faire vivre une partie des populations situées à proximité de ces enclaves, notamment dans la région du Rif qui a souffert longtemps d’un <a href="https://www.jeuneafrique.com/401822/societe/maroc-rif-histoire-dune-region-rebelle/">manque d’investissement étatique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les « femmes-mulets » de Ceuta et Mellila (France 24).</span></figcaption>
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<p>C’est ainsi que s’est mis en place un commerce à grande échelle « de pauvres à pauvres » comme le nomme <a href="https://journals.openedition.org/remi/7558">Alain Tarrius</a> et ce, en dehors de tout cadre réglementaire européen. En témoigne par exemple l’exploitation des <a href="http://www.slate.fr/grand-format/femmes-mulet-maroc-espagne-photos-156479">« femmes mulets »</a>, des Marocaines transportant chaque jour sur leur dos <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2009/06/26/01003-20090626ARTFIG00339-ceuta-plaque-tournante-des-femmes-mulets-.php">jusqu’à 70 kilos</a> entre les enclaves et le Maroc. Pourquoi des femmes ? Choisies parce que mères, elles ont la réputation de revenir après avoir traversé… Elles passent sans visa et avec un laissez-passer, ce qui devrait exclure ces territoires de l’espace Schengen.</p>
<p>Interdiction de <a href="https://www.challenges.fr/monde/europe-le-droit-d-asile-doit-etre-respecte-a-ceuta-et-melilla_610994">passer pour les uns</a>, autorisation pour les autres lorsque cela profite aux intérêts de l’ancien comptoir colonial.</p>
<h2>Ceuta et Melilla, des routes migratoires réactivées</h2>
<p>En 1991, avec la création de l’espace Schengen, le renforcement des frontières extérieures européennes devient un <a href="https://ec.europa.eu/dorie/fileDownload.do;jsessionid=hwDhRwlNVGNvh14Bfq8SmWHLPW1mNnr2qyPQ1chyhh6pJ8RMbhpf!1503812395?docId=204859&cardId=204859">principe de gouvernance transnationale</a> pour l’UE, qui, se sentant menacée, se tourne vers des pays tiers limitrophes pour consolider sa sécurité aux frontières.</p>
<p>Cette politique ne fera qu’augmenter le <a href="https://fr.euronews.com/2022/07/09/drame-de-melilla-partenariat-renove-entre-lue-et-le-maroc-contre-la-traite-humaine">nombre des tentatives de passages</a> clandestins, accentuant alors des réponses toujours plus sécuritaires et entraînant l’UE dans une spirale répressive ponctuée de <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/pt/ip_19_6810">drames humains</a>.</p>
<p>En effet, la prohibition ne diminue pas les <a href="https://www.yumpu.com/fr/document/read/33603727/e-migrinter-2008-numacro-01-maison-des-sciences-de-lhomme-et-">circulations migratoires</a>. Les Africains désirant migrer dans un pays européen, par choix comme par obligation pour ceux qui fuient les guerres, ont dû s’adapter en cherchant de nouvelles portes d’entrée au Nord, comme, par exemple, ces deux enclaves encastrées dans le continent africain, produisant de nouvelles stratégies de contournement.</p>
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<p>Ils ont dû aussi prospecter de nouvelles destinations, renforçant ainsi les <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=MULT_049_0076&download=1">migrations Sud-Sud</a>, et faisant d’un pays d’émigration comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2013-3-page-139.htm">Maroc un pays d’installation et de passage vers l’Europe</a>.</p>
<p>Ainsi, en fonction des fermetures/ouvertures, contrôles stricts/souplesse de la surveillance, en lien très souvent aussi avec les relations diplomatiques maroco-espagnoles, les migrants, fins stratèges dans leur manière de circuler vont activer, voir <a href="https://www.cairn.info/revue-maghreb-machrek-2014-2-page-75.htm">réactiver certaines routes migratoires</a>.</p>
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<a href="https://theconversation.com/un-logiciel-pour-redonner-un-visage-aux-migrants-disparus-173104">Un logiciel pour redonner un visage aux migrants disparus</a>
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<h2>Une crise frontalière permanente</h2>
<p>En 2002, après l’arrivée jugée trop importante de migrants marocains et d’Afrique subsaharienne sur la route de Ceuta et Melilla, l’UE a déployé en force un arsenal important (construction de grillages et de barbelés) aggravant une <a href="https://journals.openedition.org/conflits/19091#xd_co_f=NDM4NGUxMzAtMDEyYS00ZWUyLWEyNzgtMGY4NjY5MjhmMGJh%7E">crise frontalière désormais permanente</a>.</p>
<p>En dépit de ces dispositifs, les migrants continuent <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/291">d’emprunter ces voies</a> qui, espèrent-ils, leur permettront un <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2661 ?lang=es">accès direct à l’Europe</a>. On note d’ailleurs une <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/western-routes">recrudescence de ces passages</a> et ce en dépit des nombreux risques qu’ils encourent.</p>
<p>Peu à peu, Ceuta et Melilla deviennent des villes de transit vers une Europe qui semble toujours plus lointaine et où les droits des migrants y sont moins garantis entraînant parfois des violences intolérables.</p>
<p>En 2005, les deux enclaves avaient connu l’assaut de centaines de migrants provoquant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2005/09/29/l-assaut-d-immigrants-sur-l-enclave-espagnole-de-ceuta-a-fait-cinq-morts_694052_3210.html">plusieurs morts</a>, suscitant <a href="https://www.gisti.org/spip.php ?article950">l’indignation internationale</a>. Dix ans plus tard, les associations décrivent des <a href="http://migreurop.org/IMG/pdf/fr_rapportconjoint_ceutamelilla_decembre2015.pdf">centres de tris humains à ciel ouvert</a>. Et en 2021, c’est un autre drame migratoire avec les tentatives de passage de [nombreux mineurs marocains] vers <a href="https://information.tv5monde.com/info/ceuta-une-majorite-de-mineurs-au-c%C5%93ur-de-la-vague-de-migration-409448">Ceuta</a>.</p>
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<a href="https://theconversation.com/migrants-des-morts-au-nom-de-la-loi-101953">Migrants : des morts au nom de la loi ?</a>
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<h2>De nouvelles stratégies</h2>
<p>Comment faire face à ces enjeux ? Les <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2021-4.htm">recherches</a> montrent que de <a href="https://revues.imist.ma/index.php/GeoDev/article/download/22525/12058">nouvelles politiques s’élaborent</a>, aussi bien au sein de l’UE que du côté marocain.</p>
<p>Depuis plusieurs années, les pays de l’Union européenne <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2007-2-page-149.htm">négocient la sécurité de leurs frontières extérieures</a> avec les pays qui sont en bordure du continent (Turquie, Maroc et Libye par exemple). L’accord signé en 2016 entre l’UE et la Turquie a ainsi permis d’externaliser l’« accueil » des réfugiés en <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-2-page-30.htm">contrepartie</a> d’aide financière pour la Turquie et de facilitation de visas pour ses citoyens.</p>
<p>De la même façon, le partenariat pour la mobilité signé en 2013 entre l’UE et le Maroc doit <a href="https://cadmus.eui.eu/handle/1814/68776">faciliter</a> les <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=LEGISSUM %3Al33105">accords de réadmission</a> et les formalités des visas. Or actuellement, l’offre de visas pour les Marocains est en baisse de la part d’un certain nombre de pays de l’Europe faisant des visas un <a href="https://www.maroc-hebdo.press.ma/refus-demandes-visas-schengen-consulaires-francais">véritable levier de négociation</a>.</p>
<p>Pour la chercheuse Nora El Qadim, bien que la négociation de la politique migratoire du Maroc et de l’UE soit asymétrique (une Union européenne forte face à un Maroc qui pourrait apparaître comme plus faible), le Maroc élabore une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2010-2-page-91.htm">contre-stratégie</a>.</p>
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<h2>Levier diplomatique marocain</h2>
<p>Le Maroc négocie en effet des accords de <a href="https://medias24.com/chronique/accord-communautaire-de-readmission-une-approche-securitaire-europeenne-face-a-la-demarche-globale-du-maroc/">réadmission de ressortissants arrivés illégalement en Europe</a>. Ces mesures ont été prises pour le moment avec plusieurs pays européens dont la France. En parallèle le Maroc propose d’établir une surveillance et des accords de coopération policière sur son territoire et sur les enclaves de Ceuta et Melilla, tout en résistant à un accord global de réadmission au niveau de l’Union européenne.</p>
<p>Cette démarche a permis au royaume de se positionner diplomatiquement comme leader sur le sujet avec la création d’un <a href="https://au.int/sites/default/files/newsevents/workingdocuments/40515-wd-STATUTE_OF_THE_AFRICAN_MIGRATION_OBSERVATORY_IN_MOROCCO-FRENCH.PDF">observatoire africain des migrations</a>, tant <a href="https://www.un.org/fr/conf/migration/global-compact-for-safe-orderly-regular-migration.shtml">au niveau européen et mondial</a> qu’au sein de l’Union africaine. <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/le-rapport-du-roi-mohammed-vi-sur-la-migration-presente-a-lua/">Un rapport récent</a> a d’ailleurs été publié en ce sens en février 2022.</p>
<p>Mais la question migratoire demeure attachée à l’évolution des enjeux politiques au sein desquels les populations – migrants, habitants, passeurs, frontaliers, commerçants – n’ont aucune ou peu de prise. Le cas des deux enclaves Melilla et Ceuta en témoigne bien. <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2011-1-page-28.htm">Le durcissement du Maroc</a> ou, au contraire, sa souplesse relative, sera tributaire des tractations diplomatiques ou financières du moment.</p>
<p>Comme le rappelle un <a href="https://orientxxi.info/magazine/maroc-a-nador-les-morts-sont-africains-l-argent-europeen,5734">article récent</a> paru sur <em>Orient XXI</em> : « depuis 2007, l’UE a versé au Maroc 270 millions d’euros pour financer les différents volets sécuritaires de la politique migratoire marocaine ». Et de souligner que le « Maroc se positionne comme partenaire fiable de l’UE » avec une volonté de mieux coopérer sur le plan sécuritaire avec l’Espagne.</p>
<p>Une tendance qui s’illustre par les drames récents et réactive le postulat de nombreux observateurs : plus de répression aux frontières demeure en effet <a href="https://theconversation.com/compter-les-morts-aux-frontieres-qui-comment-pourquoi-59095">synonyme de plus de morts</a>. Et avec ce énième drame au point de passage <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/08/drame-de-melilla-comment-une-tentative-d-entree-en-europe-a-conduit-a-la-mort-de-dizaines-de-migrants_6134032_3212.html">« de Bario Chino »</a>, il s’agit pour l’Espagne de choisir qui circule tout en empêchant les migrants de passer, pris au piège par une frontière symbole des vestiges de la colonisation européenne en Afrique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186327/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Au cœur des enjeux de gestion migratoire pour l’UE, les villes de Ceuta et Melilla, portes entre l’Espagne et le Maroc, sont aussi tributaires de leur passé colonial.
Chadia Arab, Géographe, chargée de recherche au CNRS, UMR ESO, Université d'Angers
Mehdi Alioua, Sociologue, Doyen de l’Institut d’Etudes Politiques de Rabat, UIR, Université internationale de Rabat (UIR)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/185515
2022-07-06T18:21:01Z
2022-07-06T18:21:01Z
Au Maroc, l’irruption des plates-formes de VTC transforme le secteur des transports
<p>Au moment où dans plusieurs pays dits « du Nord » se développe un <a href="https://www.mediapart.fr/journal/economie/dossier/uber-deliveroo-les-batailles-de-l-uberisation">mouvement d’opposition</a> à l’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-social/pourquoi-parle-t-on-d-uberisation-de-la-societe-4723372">« ubérisation »</a> (innovation technologique devenue aujourd’hui synonyme de précarisation de l’emploi), les plates-formes numériques de transport et de livraison, qui se trouvent à l’origine de ce phénomène, se multiplient dans les pays dits « du Sud ». Avec certaines spécificités dues à l’état de développement de ces économies, comme le montrent le <a href="https://finance.yahoo.com/news/uber-set-monopoly-north-africa-145553449.html">cas de l’Afrique du Nord</a> en général et celui du Maroc en particulier.</p>
<p>Dans un <a href="https://omsn.ma/?p=10356">article pour l’Observatoire marocain de la souveraineté numérique</a>, nous dressons un bref état des lieux de l’histoire des plates-formes de transport au Maroc. En 2015, le géant américain Uber s’installe dans le pays mais le <a href="https://www.uber.com/fr-MA/blog/casablanca/uber-au-maroc">quitte au bout de trois ans</a> en raison des nombreuses résistances syndicales et juridiques auxquelles il est confronté. Un départ qui, en réalité, n’est pas définitif puisque, en 2019, Uber <a href="https://www.challenge.ma/uber-acquiert-careem-a-31-milliards-de-dollars-106776/">achète la plate-forme émiratie Careem</a>, qui opère au Maroc depuis 2015. Depuis, on a assisté dans le pays au lancement d’autres plates-formes de VTC (véhicule de transport avec chauffeur), qu’elles soient nationales (Roby, Yallah) ou internationales (Yassir, Heetch, InDriver). Selon un <a href="https://2m.ma/ar/sur-la-2/%D8%B5%D8%B1%D8%A7%D8%B9-%D8%A8%D9%8A%D9%86-%D8%B3%D8%A7%D8%A6%D9%82%D9%8A-%D8%B3%D9%8A%D8%A7%D8%B1%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%A3%D8%AC%D8%B1%D8%A9-%D9%88%D8%B3%D8%A7%D8%A6%D9%82%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%B7%D8%A8%D9%8A%D9%82%D8%A7%D8%AA-%D9%81%D9%8A-%D8%BA%D9%8A%D8%A7%D8%A8-%D9%82%D8%A7%D9%86%D9%88%D9%86-%D9%8A%D9%86%D8%B8%D9%85-%D8%A7%D9%84%D9%86%D9%82%D9%84-%D8%B9%D8%A8%D8%B1-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%B7%D8%A8%D9%8A%D9%82%D8%A7%D8%AA-%D9%81%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%84%D9%81-20211112/">documentaire diffusé sur la chaîne marocaine 2M</a>, le nombre de chauffeurs travaillant avec les plates-formes atteint les 12 000 en 2021. Ce nombre semble progresser chaque annnée en raison de l’augmentation du nombre des plates-formes exerçant dans le royaume.</p>
<p>L’implantation des plates-formes numériques dans le secteur du transport de personnes au Maroc s’explique notamment par les nombreuses failles de ce secteur, au premier rang desquelles le « système d’agrément ».</p>
<h2>Un système de transport centré autour de l’agrément</h2>
<p>L’agrément de transport de personnes a été mis en place au Maroc après son indépendance en 1956. Un dahir, ou décret du roi, du 12 novembre 1963 définit les conditions et les règles de l’organisation de ce secteur.</p>
<p>L’attribution d’un agrément de transport – c’est-à-dire, concrètement, de l’autorisation d’ouvrir une entreprise, individuelle ou non, spécialisée dans ce domaine ou dans d’autres secteurs de transport (transport de marchandises, transport maritime, transport aéronautique, etc.) – n’est pas un droit susceptible d’être revendiqué, mais un privilège octroyé par le pouvoir marocain (un don du roi ou du Maghzen, l’administration marocaine) souvent octroyé aux anciens membres de l’armée, aux artistes, aux athlètes, et à d’autres personnes influentes et partisanes du régime. Dans certains cas, ce privilège peut être attribué à des citoyens en situation économique fragile comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2005-2-page-163.htm">souligne une circulaire du ministère de l’Intérieur du 22 décembre 1981</a>.</p>
<p>La centralisation de ce service public depuis l’indépendance du Maroc s’expliquait par la volonté de créer un système socioéconomique fortifiant le régime en affaiblissant l’opposition politique. Le pouvoir marocain a donc construit ce système des agréments pour maintenir sa suprématie, d’où le <a href="https://www.alousboue.ma/76015/">contrôle que continue d’exercer le ministère de l’Intérieur</a> sur le secteur des taxis, alors que c’est le ministère des Transports qui doit en être le seul titulaire.</p>
<p>Le monopole d’attribution des agréments de transport détenu par le ministère de l’Intérieur a donné lieu à une organisation chaotique, dommageable à la fois pour les chauffeurs (précarisation de l’emploi) et pour les clients (pénibilité au quotidien) en raison de l’absence d’une stratégie de libéralisation du secteur pour créer une forte compétitivité. Depuis quelques années, les autorités essayent d’introduire de nouveaux dispositifs juridiques afin de réglementer l’activité des chauffeurs. <a href="https://snrtnews.com/fr/article/transport-par-taxi-tout-savoir-sur-la-nouvelle-reforme-du-ministere-de-linterieur-41334">La plus récente de ces tentatives, qui date du mois d’avril 2022</a>, vise à mettre en place un ensemble de mesures dont la plus remarquable est la possibilité pour les chauffeurs titulaires d’un <a href="https://www.demarchesmaroc.com/permis-de-confiance/">« permis de confiance »</a> et de la carte professionnelle de conclure des contrats de délégation des permis d’exploitation des taxis. Cette décision a <a href="https://www.hespress.com/%D9%85%D9%87%D9%86%D9%8A%D9%88-%D8%A7%D9%84%D8%B7%D8%A7%D9%83%D8%B3%D9%8A%D8%A7%D8%AA-%D9%8A%D8%B1%D9%81%D8%B6%D9%88%D9%86-%D8%AF%D9%88%D8%B1%D9%8A%D8%A7%D8%AA-%D8%A7%D9%84%D8%AF%D8%A7%D8%AE%D9%84-">provoqué la colère de certains syndicats</a>, qui ont accusé les autorités d’absence de dialogue avec les instances représentatives et ont déploré le maintien du contrôle des propriétaires des agréments sur le secteur.</p>
<p>Cette instabilité est aggravée par l’arrivée des plates-formes de VTC, perçues comme des <a href="https://fr.hespress.com/48916-colere-des-taxis-careem-sexplique-partiellement.html">acteurs de plus en plus compétitifs exerçant de manière illégale</a> dans la mesure où il n’existe pas de cadre juridique les autorisant à fonctionner. Ainsi, la résistance syndicale qui persiste depuis 2015 n’a pas empêché ces entreprises de continuer d’opérer et d’attirer davantage de catégories de chauffeurs professionnels, dont <a href="https://2m.ma/ar/sur-la-2/">certains chauffeurs de taxi</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les taxis contre Uber au Maroc (France 24, 13 septembre 2017).</span></figcaption>
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<p>Comment les autorités marocaines gèrent-elles cette situation dans un contexte juridique qui interdit les plates-formes numériques de transport ? À Casablanca par exemple, l’article 46 de la décision relative aux conditions d’exploitation des voitures de taxis souligne que toute voiture qui exerce sans permis de taxi sera retirée et placée dans la réservation municipale pour une durée d’un à six mois.</p>
<h2>Un flou juridique qui profite aux plates-formes de VTC</h2>
<p>Les plates-formes de transport se présentent comme des « intermédiaires » numériques. Cette définition est source de confusion juridique, ce qui leur a permis d’échapper aux règles auxquelles sont soumises les entreprises traditionnelles de transport dans les pays du Nord. Ce même scénario est en train de se reproduire au Maroc où leur croissance est importante.</p>
<p>Ce « laisser-faire » de la part des autorités est justifié par les deux « solutions » que semblent apporter les plates-formes : la création d’offres d’« emplois » (<a href="https://www.leconomiste.com/flash-infos/careem-plus-de-5-000-chauffeurs-avec-un-statut-d-auto-entrepreneur">par exemple, Careem a permis à plus de 5 000 chauffeurs de travailler</a>) et la réponse à une insuffisance en matière d’offre de transport accessible aux citoyens. Une autre explication réside dans les opérations de lobbying que mènent ces plates-formes auprès des décideurs marocains, comme c’est aussi le cas en Europe et aux États-Unis.</p>
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<p><a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03663009/document">Notre travail de recherche</a> autour du phénomène de l’ubérisation en France montre en effet que la technologie innovante qu’offrent ces plates-formes en matière de facilitation de transport n’est pas suffisante pour accroître leurs parts du marché. L’influence des politiques à travers la promulgation de lois favorables ou l’annulation de décrets défavorables a été un axe crucial pour construire et maintenir leur hégémonie.</p>
<h2>Les effets délétères de l’expansion des plates-formes</h2>
<p>Les conséquences de ce bouleversement sont multiples mais la question de la précarisation de l’emploi et de la santé des chauffeurs constitue un sujet très médiatisé. C’est pour cette raison que l’on assiste à un glissement sémantique du terme d’ubérisation, d’une définition centrée sur l’aspect innovant qu’apportent ces technologies de transport à un <a href="https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2018-1-page-86.htm">mouvement régressif en matière de droit du travail</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-conductrices-uber-en-argentine-face-aux-inegalites-de-genre-184008">Les conductrices Uber en Argentine face aux inégalités de genre</a>
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<p>L’expérience européenne et américaine montre que ces plates-formes décident et changent leurs politiques de gouvernance relatives au taux de la commission, aux tarifs, aux chartes de travail, etc. sans négociation avec les chauffeurs. Cette absence de communication pose la question du droit du travail et, plus profondément, celle du contrôle des données par les géants du numérique.</p>
<p>Uber, qui fait partie de ces entreprises, inspire plusieurs débats sur les réels objectifs derrière sa technologie de mise en relation dans le cadre du transport de personnes ou de livraisons. Sa collecte et exploitation des données personnelles des usagers impose de réfléchir aux enjeux derrière cette pratique qui, pour certains, est la vraie source de son revenu et dont on ignore encore la finalité. Les États-nations, dorénavant menacés dans leur souveraineté par ces sociétés privées <a href="https://www.sciencespo.fr/public/chaire-numerique/wp-content/uploads/2021/05/RP-Puissances-des-plateformes-num%C3%A9riques-territoires-et-souverainet%C3%A9s-Dominique-BOULLIER-Mai-2021-1.pdf">« extraterritoriales »</a>, doivent réinventer leurs institutions politiques, développer une connaissance technique des infrastructures et des technologies, et réagir à ces changements accélérés du numérique en adaptant leur législation.</p>
<p>De ce point de vue, les réflexions autour de la souveraineté numérique au Maroc commencent déjà à aboutir à certaines décisions conséquentes, notamment <a href="https://m.le360.ma/politique/souverainete-numerique-le-maroc-interdit-lhebergement-des-donnees-sensibles-a-letranger-262738">l’interdiction d’hébergement des données sensibles à l’étranger</a>. Cette décision peut être perçue comme une avancée majeure en comparaison des autres pays d’Afrique. Cependant, le Maroc est encore loin de porter un projet politique pour reprendre le contrôle sur sa souveraineté numérique à l’instar de plusieurs pays du monde. Ce sont plutôt les unions politico-économiques qui pourraient faire face à l’hégémonie des plates-formes, d’où la nécessité pour le Maroc de mener un dialogue géopolitique autour de ces questions avec les pays d’Afrique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Salma El Bourkadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les autorités marocaines laissent les plates-formes de transport opérer dans le pays alors même que les exploitants de taxi doivent normalement recevoir un agrément.
Salma El Bourkadi, Docteure en Sciences de l'information et de la communication, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
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tag:theconversation.com,2011:article/185050
2022-07-04T18:41:57Z
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Les obstinations nucléaires des dirigeants français en Algérie indépendante
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/470035/original/file-20220621-24-9kljtw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C13%2C960%2C958&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une explosion dans le massif du Hoggar en mars 1963, soit Émeraude (le 18 mars) soit Améthyste (le 30 mars).</span> <span class="attribution"><span class="source">©Photographe inconnu/ECA/ECPAD/Défense/F63-115 RC19</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Les plus hauts responsables français, dont le président de la République Charles de Gaulle, ont envisagé de réaliser des essais nucléaires atmosphériques dans le Sahara algérien après l’indépendance de l’ancienne colonie en 1962. Ces projets, décrits dans des documents récemment mis à la disposition du public, n’ont jamais été menés à bien. Sinon, ils auraient contredit la volonté exprimée à plusieurs reprises par le premier président algérien Ahmed Ben Bella et son gouvernement, opposés aux essais nucléaires atmosphériques dans leur pays et dans le monde.</p>
<p>La publication de l’ouvrage <a href="https://www.puf.com/content/Toxique"><em>Toxique</em></a> (2021), du physicien Sébastien Phillipe et du journaliste d’investigation Tomas Statius, a récemment mis l’accent sur les risques sanitaires et environnementaux résultant du développement de l’arsenal nucléaire français. <a href="https://moruroa-files.org/fr/investigation/moruroa-files">Leurs analyses</a> ont révélé que l’étendue de la contamination radioactive en Polynésie, où la France a procédé à presque deux centaines d’explosions nucléaires atmosphériques et souterraines entre 1966 et 1996, avait été bien plus large que n’avaient voulu l’admettre les autorités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-des-bombes-en-polynesie-180772">Bonnes feuilles : « Des bombes en Polynésie »</a>
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<p>Ces révélations, ainsi que la tenue d’une table ronde réunissant les membres de la société civile polynésienne, avaient mené à l’ouverture d’un <a href="https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=371&titre=essais-nucleaires-en-polynesie-francaise">processus inédit de déclassification des archives françaises</a>, sur <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-facilite-l-acces-aux-archives-classifiees-dont-celles-sur-la-guerre-d-algerie-7180261">décision du président Emmanuel Macron</a>. L’importance pour le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000021625586/2022-07-01/">droit des victimes à l’indemnisation</a>, un droit établi par le Parlement français depuis 2010, pose des <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2022-2-page-172.htm">questions sur le secret – notamment nucléaire – en démocratie</a>.</p>
<p>La publication en mai de <em>Des Bombes en Polynésie</em>, commande du gouvernement de Polynésie française dirigée par les historiens <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/nouveautes/des-bombes-en-polynesie-renaud-meltz-alexis-vrignon-dir/">Renaud Meltz et Alexis Vrignon</a>, prolonge l’attention du grand public sur le Pacifique. Bien que la plupart des déclassifications françaises récentes portent également sur la Polynésie, certains documents donnent l’occasion d’interroger les dimensions nucléaires de l’indépendance algérienne, lors de son 60<sup>e</sup> anniversaire.</p>
<h2>Le Sahara algérien, premier site d’essais français</h2>
<p>Entre 1960 et 1966, la France a procédé dans le désert saharien à ses premiers essais nucléaires, <a href="https://information.tv5monde.com/info/algerie-sous-le-sable-du-sahara-le-lourd-passe-nucleaire-francais-417402">17 en tout</a> dont 4 dans l’atmosphère. Ces enjeux nucléaires interagissaient avec la guerre d’indépendance (1954-62), comme explique <a href="https://read.dukeupress.edu/history-of-the-present/article-abstract/9/1/84/155705/No-Hiroshima-in-Africa-The-Algerian-War-and-the">l’historienne Roxanne Panchasi</a>, puis avec la construction du nouvel état algérien. Les explosions françaises en Algérie font maintenant l’objet de travaux <a href="https://h-france.net/fffh/reviews/radiation-affects-three-novels-about-french-nuclear-imperialism-in-algeria/">littéraires</a>, <a href="https://www.architectural-review.com/essays/nuclear-powers-frances-atomic-bomb-tests-in-the-algerian-sahara">architecturaux</a> et <a href="https://www.boell.de/sites/default/files/2020-07/Collin-Bouveret-2020-Sous-le-sable-la-radioactivite.pdf">militants</a>.</p>
<p>Quatre essais aériens eurent lieu sur le site de Reggane, avant que la France ne passe aux essais souterrains dans le site d’In Ekker à partir de 1961. Ces essais souterrains, conçus pour empêcher la fuite des retombées radioactives produites par l’explosion, <a href="https://nsarchive2.gwu.edu/nukevault/ebb433/">n’atteindront pas toujours ce but</a>. Quatre essais souterrains dans le Sahara algérien « <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/rap-oecst/essais_nucleaires/i3571.asp">n’ont pas été totalement contenus ou confinés</a> ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1416817281045352451"}"></div></p>
<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220319-sahara-alg%C3%A9rien-les-clauses-secr%C3%A8tes-des-accords-d-%C3%A9vian-en-1962">Les accords d’Evian</a>, garantie du cessez-le-feu en Algérie en 1962, ont assuré à la France le droit d’usage des deux sites nucléaires pendant cinq ans. Du moins, selon l’interprétation française : plusieurs décideurs algériens la contestaient. Ce document ne prévoyait aucune disposition interdisant la reprise des essais aériens sur le territoire algérien. Mais, de fait, la France ne les reprit qu’en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/05/toxique-enquete-sur-les-essais-nucleaires-francais-en-polynesie-les-mensonges-de-la-france-dans-le-pacifique_6072003_3232.html">1966, en Polynésie</a>.</p>
<p><a href="https://www.sfhom.com/spip.php?article3910">Le tissage des relations bilatérales</a>, à partir des négociations d’Evian, a permis aux dirigeants du nouvel état algérien de contester les projets nucléaires français les plus néfastes.</p>
<h2>Les retombées françaises et les frontières africaines</h2>
<p>Le choix français de passer aux essais souterrains, à partir de décembre 1961, ne fut pas définitif. Pourquoi un retour à l’atmosphère inquiétait-il ? Après la première explosion française en 1960, des retombées radioactives sont arrivées, à la grande surprise de la France et de ses alliés, au-dessus du Ghana indépendant de Kwame Nkrumah et du Nigeria, colonie britannique sur le point d’acquérir son indépendance.</p>
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<p>Ces deux gouvernements, comme l’ont expliqué séparément les historiens <a href="https://www.cambridge.org/core/books/atomic-junction/908C8667C97132B19B3DA93B90BCD41A">Abena Dove Osseo-Asare</a> et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13619462.2018.1519426?journalCode=fcbh20">Christopher Hill</a>, s’étaient acharnés à mesurer les traces laissées par les nuages radioactifs français sur leur territoire. D’autres États voisins, comme la Tunisie, s’étaient tournés vers l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA), puis vers les États-Unis, afin de participer eux aussi à ces mesures. Ils cherchaient des preuves scientifiques des violations françaises de leur souveraineté.</p>
<p>Mais en dépit de ces contestations, plusieurs hauts responsables français, dont Charles de Gaulle, souhaitaient conserver la possibilité d’effectuer des essais sur le site de Reggane. À la fin de l’année 1961, les autorités militaires se refusent à modifier les règles de circulation aérienne au-dessus du site, préférant conserver celles mises en place lors des essais, au motif qu’il n’était alors <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2150/19610908_-_19760078-72_-_Lettre_de_la_DGA_au_ministre_des_travaux_publics_et_transports_%28Maintien_du_NOTAM_Reggane%29.pdf?1656596734">« pas possible de prévoir les caractéristiques d’éventuelles expérimentations qui pourraient être faites à Reggane »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FxJjThpYxmQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">1960 : La bombe atomique française est « sans danger » pour le Sahara (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Au mois de mai 1963, le premier président algérien Ahmed Ben Bella commence à s’impatienter devant le refus de la France de cesser ses activités nucléaires en Algérie. Il s’agit, pour Ben Bella, de la légitimité de son mandat national et de <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199899142.001.0001/acprof-9780199899142">sa politique étrangère</a>, les deux étant basés sur son autonomie vis-à-vis de Paris. S’adressant à Jean de Broglie, secrétaire d’État chargé des affaires algériennes, il lui demande si la France peut accélérer son retrait du site de Reggane, considérant qu’elle n’en a plus l’usage. De Broglie refuse de s’engager : des « études » seraient encore à faire pour déterminer s’il est vraiment possible d’accélérer ce retrait.</p>
<p>Ahmed Ben Bella fera la même demande au moins deux fois en 1963 à l’ambassadeur français en Algérie, Georges Gorse, qui lui confirmera la volonté française de garder ce site quelques années encore. Le choix français de conserver le site de Reggane, et la possibilité d’une reprise des essais aériens, inquiétaient sérieusement le président algérien, qui soutenait vivement le traité de Moscou d’interdiction partielle des essais nucléaires (1963), dont la France <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/15403500322_fr.pdf">n’était pas signataire</a>.</p>
<h2>Un cinquième tir atmosphérique ? La volonté française de réactiver Reggane</h2>
<p>Plusieurs documents issus des archives déclassifiées permettent d’affirmer que, malgré les protestations algériennes, des dirigeants français s’apprêtaient probablement à réaliser un nouvel essai atmosphérique sur le site de Reggane durant l’année 1964.</p>
<p>Le général <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/12/17/le-general-jean-thiry_3812159_1819218.html">Jean Thiry</a>, responsable des sites d’essais nucléaires français de 1963 à 1969, évoque au printemps de 1963 <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2151/19630228_-_GR_6_V_9827_-_Lettre_du_G%C3%A9n%C3%A9ral_Thiry.pdf?1656597027">« la réouverture actuellement prévue du polygone d’Hammoudia pour un tir aérien en 1964 »</a>, désignant la zone de tir à côté de Reggane. Thiry et d’autres hauts gradés militaires français s’inquiétaient des capacités françaises à réaliser des essais souterrains après le <a href="https://editionsthaddee.com/reportages/23-les-irradies-de-beryl.html">fameux accident de Béryl</a> en 1962. Les fuites radioactives du tir mal contenu avaient contaminé les ministres Pierre Messmer et Gaston Palewski, des soldats français et des riverains algériens.</p>
<p>Thiry n’était pas seul à en parler. En mars 1963, le général de brigade Plenier, du Génie, évoque <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2152/19630312_-_GR_6_V_9827_-_Lettre_du_G%C3%A9n%C3%A9ral_Pl%C3%A9nier_au_Ministre_des_Arm%C3%A9es.pdf?1656597060">« la reprise d’expérimentations sur la protection à l’occasion d’un tir aérien prévu vers le début 1964 »</a>. S’il sait que « ce tir est prévu », il note que son travail « dépend de données non encore fixées sur les conditions du tir » comme l’emplacement ou l’altitude. Le 29 mars 1963, c’est au tour du général de division Labouerie, inspecteur du Génie, de se réjouir : <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2153/19630329_-_GR_6_V_9827_-_Lettre_du_G%C3%A9n%C3%A9ral_Labouerie_au_Ministre_des_Arm%C3%A9es.pdf?1656597094">« Il se pourrait que des conditions favorables soient réunies à l’occasion de l’explosion aérienne prévue pour 1964. »</a> Ainsi, au moins trois militaires au cœur du programme nucléaire français attendaient impatiemment la réactivation du site de Reggane.</p>
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<span class="caption">Une explosion dans le massif du Hoggar en mars 1963, soit Émeraude (le 18 mars) soit Améthyste (le 30 mars).</span>
<span class="attribution"><span class="source">ECA/ECPAD/Défense/F63-115 RC18</span></span>
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<p><a href="https://imagesdefense.gouv.fr/fr/explosion-nucleaire-souterraine-au-cemo-centre-d-experimentations-militaires-des-oasis-dans-le-hoggar-algerie.html"><em>Reportage disponible sur Images Défense</em></a></p>
<p>Il n’y aura finalement pas d’essai en 1964. Lors de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1964/03/16/la-rencontre-de-gaulle-ben-bella-permettra-de-mieux-adapter-la-cooperation-franco-algerienne_2118967_1819218.html">sa rencontre avec Charles de Gaulle</a> au château de Champs-sur-Marne, au mois de mai 1964, Ahmed Ben Bella avait demandé au président français de ne pas reprendre, si possible, les essais atmosphériques. De Gaulle avait refusé de donner cette garantie. À la fin de l’année 1964, il discutait encore avec ses conseillers de la possibilité de réaliser un tir atmosphérique sur le site de Reggane, s’impatientant de l’entrée en service du Centre d’Expérimentations du Pacifique en Polynésie.</p>
<p>Si la demande d’Ahmed Ben Bella fut finalement respectée, un haut responsable du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Jean Viard, produisait tout de même en décembre 1966 une <a href="https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/_depot_mdh/_depot_images/TerritoiresExpeditions/Essais_Nucleaires_Polynesie/CEA/S7507098-declassifie.pdf">étude sur la possibilité de réactivation du site</a> – possibilité qu’il ne jugeait alors pas optimale. Pourtant, Charles de Gaulle aurait continué de vouloir conserver le site. Dans une note adressée aux membres de son cabinet en février 1967, il demandait d’étudier la possibilité de maintenir une présence française à Reggane, site qui ne pouvait servir, sans des travaux importants, qu’à des essais atmosphériques.</p>
<h2>Les archives nucléaires et l’indépendance algérienne</h2>
<p>Rien n’assurait l’absence d’essais nucléaires atmosphériques en Algérie indépendante. Les déclassifications récentes révèlent des études françaises pour leur reprise, malgré les protestations venues des plus hauts niveaux du nouvel État algérien. Toujours voilée par le secret, la prise de décision se prolongea jusqu’au transfert français des deux sites sahariens aux autorités algériennes en 1966 et 1967.</p>
<p>Certaines archives, notamment des fonds militaires et diplomatiques de l’époque, restent indisponibles pour la recherche historique. Des aperçus suggèrent l’importance de cet épisode, des projets abandonnés pendant des négociations bilatérales, pour le programme nucléaire militaire français, pour le nouvel État algérien et pour les relations entre ces deux pays. Le nouvel accès aux archives nucléaires françaises, malgré ses lacunes, commence à illuminer des enjeux méconnus du 60<sup>e</sup> anniversaire de l’indépendance algérienne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Fraise a reçu des financements du Conseil Européen de la Recherche (ERC) au titre du programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l'innovation Horizon 2020 (projet NUCLEAR, convention de subvention n° 759707). Cet article est issue de son travail de recherche doctorale.. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Austin R. Cooper a reçu des financements du programme Fulbright-Hays Doctoral Dissertation Research Abroad (convention n° P022A200009-004). Cet article est issue de son travail de recherche doctorale.</span></em></p>
La France a utilisé le Sahara algérien pour effectuer ses premiers essais nucléaires. Un choix qui irrite le tout jeune État algérien, dont l’indépendance date du 5 juillet 1962.
Thomas Fraise, Doctorant au sein du projet ERC NUCLEAR, Nuclear Knowledges/CERI, Sciences Po
Austin R. Cooper, Postdoctoral fellow, Massachusetts Institute of Technology (MIT)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.