tag:theconversation.com,2011:/global/topics/alliance-76658/articlesalliance – The Conversation2023-05-16T18:39:59Ztag:theconversation.com,2011:article/2054952023-05-16T18:39:59Z2023-05-16T18:39:59ZQuand les États-Unis voient leurs alliés leur échapper…<p>Le contexte de la guerre en Ukraine a révélé l’importance de la stratégie du <a href="https://academic.oup.com/irap/article-abstract/19/3/367/5563899?redirectedFrom=fulltext">« hedging »</a>, une notion <a href="https://www.ig.com/fr/strategies-de-trading/le-hedging-explique-apprendre-a-trader-avec-la-strategie-du-hedging-190418">venue de l’univers de la finance</a> et qui désigne une approche consistant, pour un État, à assurer sa sécurité et à préserver ses intérêts en multipliant les partenariats.</p>
<p>Alors que l’hégémonie des États-Unis a longtemps reposé sur l’adhésion de leurs partenaires à l’agenda stratégique global américain à travers la construction d’alliances pérennes, l’ordre mondial est, aujourd’hui, de plus en plus caractérisé par la fluidification des rapports internationaux, l’affirmation d’intérêts nationaux et régionaux qui ne s’alignent plus sur les intérêts américains, et l’essor de <a href="https://orientxxi.info/magazine/bertrand-badie-les-alliances-de-bloc-sont-mortes-et-l-occident-ne-le-comprend,5706">« connivences fluctuantes »</a>. Plusieurs exemples l’illustrent actuellement de manière frappante.</p>
<h2>Un « monde non aligné ? »</h2>
<p>Comme le note avec justesse la revue <em>Foreign Affairs</em> dans l’introduction de son numéro de mai-juin 2023, consacré au <a href="https://www.foreignaffairs.com/issues/2023/102/3">« Monde non aligné »</a>, « étant donné que les hedgers attachent de l’importance à la liberté d’action, ils peuvent former des partenariats de convenance pour poursuivre des objectifs de politique étrangère spécifiques, mais il est peu probable qu’ils concluent des alliances générales. Il s’agit d’éviter la pression de choisir entre la Chine, la Russie et les États-Unis. »</p>
<p>La Chine, <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">favorable à une transformation de l’architecture de gouvernance mondiale</a>, encourage ces « connivences fluctuantes » qui apparaissent aujourd’hui comme une manifestation, voire le fondement d’un nouvel ordre international. À cet égard, le politologue français Bertrand Badie <a href="https://youtu.be/NBLp3BfYtTI">rappelle</a> que « l’un des postulats de la diplomatie chinoise est que la Chine a besoin d’un monde stable et d’une économie mondiale prospère, à défaut de quoi le pari chinois de prendre la tête de la mondialisation viendrait à s’effondrer ; c’est la raison pour laquelle elle n’a aucun intérêt à une aggravation des conflits ». Pour Bertrand Badie, cette orientation sonne le glas de la <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-de-leurope-en-miettes-a-leurope-en-blocs-179392">géopolitique de blocs</a>, car Pékin promeut, dans une approche pragmatique, la multiplication des partenariats au détriment des alliances exclusives et pérennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">Avec le conflit Russie-Ukraine, le renouveau des non alignés ?</a>
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<p>De leur côté, les partenaires traditionnels de Washington ne veulent pas se laisser entraîner dans une polarisation géopolitique, comme l’a illustré, dans le contexte de la guerre en Ukraine, le <a href="https://www.washingtonexaminer.com/policy/foreign/which-countries-have-decided-not-to-sanction-russia">refus d’un certain nombre d’entre eux d’imposer des sanctions à la Russie</a>.</p>
<p>Ils perçoivent l’émergence de la Chine comme une opportunité de manœuvrer afin d’accroître leur autonomie décisionnelle. Deux exemples frappants illustrent aujourd’hui la consécration de ces « connivences fluctuantes » au détriment de la géopolitique de blocs : la <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, intervenue grâce à la médiation chinoise ; et l’évolution de la <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">relation entre la Turquie et la Russie</a>.</p>
<h2>La connivence Iran/Arabie</h2>
<p>Ces deux acteurs étaient en conflit depuis plusieurs années. Dès 2013, l’Arabie saoudite, ainsi que les Émirats arabes unis, s’est fortement impliquée dans la guerre en Syrie, à la fois pour contrer l’influence de la Turquie et du Qatar (qui soutenaient également l’opposition à Bachar Al-Assad) et pour s’opposer à l’Iran, allié du régime de Damas.</p>
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<p>La confrontation entre Riyad et Téhéran s’est durcie à partir de 2015 <a href="https://geopolri.hypotheses.org/2590">du fait de la guerre au Yémen</a>, qui a mis à mal la crédibilité américaine et ses engagements de défense envers ses alliés du Golfe, Washington n’ayant guère réagi à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/14/arabie-saoudite-deux-installations-petrolieres-attaquees-par-des-drones_5510368_3210.html">première attaque contre les installations pétrolières du géant saoudien Aramco en 2019</a>.</p>
<p>Ce contexte a accéléré le changement de paradigme en Arabie saoudite et donné naissance à une volonté d’appliquer une politique alternative pour apaiser la confrontation régionale tout en diversifiant les partenariats afin de préserver au mieux les intérêts saoudiens.</p>
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<p>Bien que les États-Unis demeurent un partenaire privilégié de Riyad, les <a href="https://theconversation.com/joe-biden-a-riyad-les-lecons-dun-echec-187645">tensions politiques restent persistantes</a>. L’Arabie saoudite a parallèlement renforcé son partenariat avec la Russie, allant jusqu’à refuser de souscrire aux demandes américaines d’augmenter sa production pétrolière et <a href="https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/breves-strategiques/breve-strategique-n-47-2022-la-politique-petroliere-de-l-arabie-saoudite-et-des-eau.html">s’accordant avec Moscou sur une baisse</a>.</p>
<p>Dans cette approche visant à réduire les tensions régionales et à favoriser des formes de convergence, <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arabie-saoudite-rivalite-rapprochement-2022">l’Arabie saoudite a également renoué avec la Turquie</a>, perçue comme un concurrent régional depuis 2011. Mais l’évolution la plus spectaculaire a été le resserrement des liens avec la Chine, devenue <a href="https://trends.levif.be/a-la-une/international/comment-la-chine-est-devenue-le-premier-partenaire-commercial-de-larabie-saoudite/">son premier partenaire commercial</a>. Riyad a approuvé la médiation chinoise sur le dossier iranien et <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-arabie-saoudite-resserre-ses-liens-avec-la-chine-en-s-associant-a-l-organisation-de-cooperation-de-shanghai-957175.html">s’est associé à l’Organisation de coopération de Shanghaï</a>.</p>
<p>En acceptant le parrainage chinois pour le rétablissement de ses relations avec l’Iran, l’Arabie saoudite a <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/05/08/united-states-influence-middle-east-iran-china/">mis à l’écart les États-Unis</a> qui, historiquement, ont toujours joué un rôle politique de premier plan au Moyen-Orient. Cette évolution est contraire aux intérêts américains, notamment parce que la réconciliation Riyad-Téhéran intervient dans un contexte de redéfinition des relations internationales – qui connaissent une évolution des alliances stables et durables vers ces « connivences fluctuantes » – et d’émergence, encouragée par Pékin, d’un monde non aligné.</p>
<p>La Chine tente en effet de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/repositionnement-la-chine-se-reve-en-acteur-diplomatique-global-pour-contrer-washington">refonder l’ordre international</a> à travers une diplomatie de plus en plus active, un rôle de médiateur sur les dossiers régionaux, la multiplication des accords et des structures régionales de coopération et des rencontres politiques (BRICS, Asean, Organisation de Shanghaï, sommets Chine-pays arabes et Chine-Afrique…) qui remettent en cause le monopole du leadership américain.</p>
<p>Un autre cas mérite une attention particulière : la relation entre Moscou et Ankara, qui illustre une approche pragmatique des deux parties et une convergence d’intérêts, en dépit de contradictions persistantes.</p>
<h2>Turquie-Russie : un partenariat de convenance</h2>
<p>Les antagonismes entre la Russie et la Turquie se sont cristallisés en <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/la-tension-monte-en-syrie-entre-la-turquie-et-la-russie-1171604">Syrie</a>, en <a href="https://www.portail-ie.fr/univers/influence-lobbying-et-guerre-de-linformation/2021/la-libye-typologie-dune-guerre-dinfluence-russo-turque/">Libye</a>, mais aussi <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/13/haut-karabakh-tiraillements-entre-la-russie-et-la-turquie-sur-la-supervision-du-cessez-le-feu_6059600_3210.html">dans le Caucase</a>. Pourtant, sur tous ces terrains de conflits, Russes et Turcs ont trouvé un modus vivendi et mis en place des mécanismes de gestion pacifiés.</p>
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<p>Par ailleurs, bien que dans le contexte de la guerre en Ukraine, Ankara ait publiquement affirmé son soutien à l’intégrité territoriale du pays et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/la-guerre-en-ukraine-vitrine-du-drone-turc-bayraktar-7094729">armé Kiev</a>, elle <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-a-quoi-joue-la-turquie_196423.html">s’est toujours refusée à appliquer des sanctions contre la Russie</a>, dont elle dépend pour son approvisionnement en gaz.</p>
<p>En outre, malgré son statut de membre de l’OTAN, la <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/la-turquie-est-prete-a-utiliser-le-systeme-antimissile-russe-s-400-1453226">Turquie a fait le choix d’acquérir des S-400 russes</a> pour son système de défense anti-missiles, une décision qui a fait ressurgir les tensions dans sa relation avec Washington.</p>
<p>Enfin, <a href="https://english.aawsat.com/home/article/4254811/%E2%80%98normalization%E2%80%99-talks-between-ankara-damascus-kick-moscow">Ankara a accepté de s’engager dans un dialogue avec le régime de Damas, sous l’égide de la Russie</a>, et contre l’avis de Washington – une évolution qui laisse entrevoir une possible normalisation prochaine dans les relations bilatérales turco-syriennes.</p>
<p>Notons toutefois qu’une éventuelle victoire de Kemal Kiliçdaroglu, plus sensible aux positions européennes et plus réceptif aux demandes américaines qu’Erdogan, <a href="https://foreignpolicy.com/2023/04/14/turkey-election-kemal-kilicdaroglu-chp-platform-erdogan/">pourrait rebattre les cartes</a>. Mais au vu des résultats du premier tour, le président sortant semble <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230515-turquie-recep-tayyip-erdogan-en-position-de-force-avant-le-deuxi%C3%A8me-tour-de-la-pr%C3%A9sidentielle">mieux placé pour l’emporter</a>.</p>
<h2>La fin des alliances stables</h2>
<p>En définitive, la diversification des partenariats stratégiques des alliés historiques des États-Unis et leur volonté de construire des convergences conformes à leur propre représentation de leurs intérêts stratégiques témoignent aujourd’hui d’une tendance de fond : la fin des alliances stables et le dépassement de la logique de polarisation géopolitique nécessaire au maintien de l’hégémonie américaine.</p>
<p>Cette évolution est encouragée par la Chine dans un contexte où Pékin incite également à une <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/26/10-points-sur-les-sanctions-americaines-et-la-dedollarisation/">remise en cause de la domination incontestée du dollar</a>. En mars dernier, la transaction inédite de TotalEnergies avec le géant chinois des hydrocarbures CNOOC <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/totalenergies-livre-a-la-chine-du-gnl-paye-en-yuans-une-premiere-957227.html">libellée en yuans</a> a provoqué la surprise. Plus récemment, c’est l’Argentine qui a pris la décision de régler ses importations chinoises en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-argentine-abandonne-le-dollar-au-profit-du-yuan-pour-payer-ses-importations-chinoises-960393.html">yuans plutôt qu’en dollars</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alliées historiques de Washington, l’Arabie saoudite (en se rapprochant de l’Iran) et la Turquie (en suivant sa propre ligne vis-à-vis de la Russie) s’émancipent de la tutelle américaine.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1997002023-02-12T17:24:32Z2023-02-12T17:24:32ZComment Renault ou Nissan pourraient-ils gérer un échec dans la mise en place de leur nouvel accord ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509455/original/file-20230210-26-duv4me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5926%2C3929&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">(De gauche à droite:) Makoto Uchida, CEO de Nissan, Jean-Dominique Senard, président de Renault, Takao Kato, CEO de Mitsubishi Motors et Luca de Meo, CEO de Renault ont entériné le 6 février 2023 une nouvelle alliance devant la presse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Daniel Leal / AFP</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Renault et Nissan (ainsi que Mitsubishi) vont donc refondre leur alliance. Pour les 15 prochaines années, chacun gardera 15 % du capital de l’autre. 15 % et pas davantage. Ce sera également la participation que prendra Nissan dans <a href="https://www.agefi.fr/corporate/actualites/quotidien/20230206/renault-nissan-actent-leur-nouvelle-alliance-358495">Ampère</a>, filiale du groupe français consacrée aux véhicules électriques. La marque au losange n’a <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/renault-nissan-le-president-de-l-alliance-assure-que-renault-n-est-pas-perdant-dans-le-nouvel-accord_AV-202302080744.html">pas à y perdre</a>, assure le président de l’alliance Jean-Dominique Senart, même si elle possédait 44 % de la firme nippone dans le cadre d’un précédent accord jugé « un peu paralysant ».</p>
<p>Face à la mondialisation et la digitalisation, les stratégies d’alliances, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0969593114000432?via%3Dihub">ne cessent de se multiplier</a> et jouissent d’une grande popularité dans le monde des affaires. En octobre 2022, c’étaient Microsoft et Meta, concurrents directs sur bien des points, qui mettaient des énergies en commun pour que le nouveau casque professionnel de réalité virtuelle, le <a href="https://gamergen.com/actualites/meta-et-microsoft-allient-partir-assaut-monde-professionnel-329617-1">Meta QuestPro</a>, puisse être utilisé dans la suite Microsoft Office et en particulier Teams.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1579891481237950464"}"></div></p>
<p>Il s’agit pourtant d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/strategie-21680">stratégie</a> risquée. Malgré les bienfaits attendus, le taux d’échec moyen <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781315543673/strategic-alliance-management-brian-tjemkes-pepijn-vos-koen-burgers">avoisine les 50 %</a>. Création de valeur inférieure aux objectifs, dissolution concertée anticipée ou rupture unilatérale de la part d’un des partenaires, les performances s’avèrent souvent <a href="http://faculty.baruch.cuny.edu/tkdas/publications/das-teng_jom00_resourcebasedtheory_31-61.pdf">décevantes</a>.</p>
<p>Alors que la littérature a bien documenté les bénéfices à attendre d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/alliance-76658">alliance</a> et les mécanismes qui peuvent être mis en place pour la protéger, peu de travaux, à l’instar des <a href="https://www.theses.fr/2021PA01E052">nôtres</a>, se sont intéressés à la façon de gérer l’échec, quand bien même il survient dans la moitié des cas.</p>
<h2>Éviter l’échec</h2>
<p>Selon la <a href="https://www.jstor.org/stable/3094067">définition</a> la <a href="https://journals.openedition.org/fcs/3368">plus citée</a> dans la littérature académique, celle de Ranjay Gulati, professeur à la Harvard Business School, les alliances stratégiques sont « des accords volontaires entre entreprises impliquant l’échange, le partage ou le co-développement de produits, technologies ou services ».</p>
<p>Les chercheurs ont exploré nombre des motifs les animant. Elles peuvent viser à <a href="https://www.worldcat.org/fr/title/13947161">améliorer des positions sur le marché</a> avec un <a href="https://psycnet.apa.org/record/1989-31391-001">renouvellement de sa stratégie</a> ou à en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09652549300000005">atteindre de nouveaux</a>, par exemple en s’ouvrant des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/smj.4250090406">canaux de distribution</a> supplémentaires. L’idée peut aussi être de <a href="http://faculty.baruch.cuny.edu/tkdas/publications/das-teng_jom00_resourcebasedtheory_31-61.pdf">développer un avantage concurrentiel</a>, en réalisant notamment des <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/35171512/Mohr_SMJ-libre.pdf">économies d’échelle</a> ou en <a href="https://www.scirp.org/(S(i43dyn45teexjx455qlt3d2q))/reference/referencespapers.aspx ?referenceid=1428760">partageant des risques</a>. Il peut également s’agir, comme dans le cas d’Ampère, d’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/smj.4250120908">acquérir ou combiner des compétences</a> et d’accéder à de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/smj.4250160804">nouvelles technologies</a>.</p>
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<p>Pour maximiser la réussite de cette stratégie et par là en éviter l’échec, la littérature gestionnaire s’est en outre attachée à en comprendre les facteurs et à proposer des moyens de promouvoir les succès.</p>
<p>C’est ainsi pour réajuster les rapports de force que <a href="https://theconversation.com/fr/topics/renault-24607">Renault</a> et Nissan ont revu leur partenariat. Leur déséquilibre compte en effet parmi les facteurs internes identifiés comme étant <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203077757/strategies-joint-venture-success-rle-international-business-peter-killing">sources d’échec</a>, au même titre que le <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2016-1-page-51.htm">manque de confiance</a> interfirmes et des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/014920630002600105">conflits sur les orientations</a> à court ou long terme à donner au partenariat. Certaines causes en revanche ne touchent pas à l’alliance elle-même mais au cadre plus large dans lequel elle survient : l’état du marché, son <a href="https://www.jstor.org/stable/2098529">degré de concurrence</a>, la <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/55463459/OrgSci2013-libre.pdf">substituabilité des partenaires</a> et les <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-francaise-de-gestion-2006-5-page-33.htm">réseaux d’autres alliances</a> gravitant autour.</p>
<p>Avoir identifié ces éléments a permis de formuler un certain nombre de recommandations, dans la lignée notamment des travaux d’Olivier Williamson, prix « Nobel » d’économie en 2009. Celui-ci insistait sur les structures de gouvernance permettant de limiter les comportements opportunistes.</p>
<p>Dans leur nouvel accord, Renault et Nissan ont ainsi défini des droits de vote réciproques correspondant à leur part dans le capital des deux groupes, élément qui était absent auparavant.</p>
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<p>« Nissan avait 15 % d’une belle entreprise qui s’appelle Renault mais sans droit de vote, c’est un peu frustrant ; de l’autre côté il y avait Renault qui avec 44 % d’une entreprise au Japon n’avait, en réalité, pas son mot à dire. Je me souviens être assis dans les assemblées générales de Nissan sans avoir le droit de parler, ce n’était pas normal », a expliqué Jean-Dominique Senard devant les caméras de BFM Business.</p>
</blockquote>
<p>Cette gouvernance peut s’incarner dans une fonction de gestion dédiée, celle d’« alliance manager » que décrivent notamment Laurène Blavet et Estelle Boucher-Pellegrin, respectivement ingénieur d’étude et maître de conférences à l’université de Montpellier.</p>
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<p>Malgré ces recommandations et bonnes pratiques, que se passe-t-il cependant si l’échec survient ? Comment les acteurs concernés en sont-ils informés, et plus largement les parties prenantes ? Comment la dissolution de l’alliance est-elle gérée ?</p>
<p>On parle d’échec, ici, si l’alliance est résiliée, si elle ne crée pas de valeur ou si les objectifs ne sont pas atteints. On exclut par ailleurs les résiliations des alliances de type intérimaire qui visent à atteindre un objectif à court terme et dont la disparition connote plus souvent un succès.</p>
<h2>Renouveler le renouvellement stratégique ?</h2>
<p>Il y a bien là un enjeu de management que nos <a href="https://www.theses.fr/2021PA01E052">travaux</a> de recherche ont tenté d’éclairer à partir d’un cas dans le secteur de la grande distribution. Un enjeu trop souvent, au regard de la fréquence des ruptures anticipées, laissé de côté par la littérature qui vise plutôt à maximiser le succès des partenariats.</p>
<p>Nous montrons premièrement que l’échec ne survient pas du jour au lendemain. C’est tout un processus et les informations quant aux difficultés liées à la création de valeur et à la performance de l’alliance se diffusent en fait progressivement au sein des organisations partenaires. Les acteurs pressentent l’échec, ils « n’y croient plus », n’en « seraient pas étonnés », ils anticipent la dissolution.</p>
<p>Pour autant, vient toujours le moment où les autorités pilotes de l’alliance (en l’espèce, le comité de surveillance) formalisent cet échec par la décision de dissolution. L’annonce est alors gérée de deux façons différentes et par deux types d’acteurs en fonction de l’audience concernée. Auprès des membres de l’alliance, la décision est présentée comme un non-évènement, ou en tout cas un évènement non surprenant :</p>
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<p>« Comme vous vous y attendiez, nous avons décidé de dissoudre cette alliance. »</p>
</blockquote>
<p>Ces mots sont accueillis par les acteurs comme un soulagement pour certains, comme une issue logique pour d’autres. Pour tous, l’enjeu principal porte sur la redéfinition de leurs rôles : les fonctions des acteurs et leurs périmètres d’action dans la nouvelle configuration organisationnelle doivent être adaptés rapidement.</p>
<p>Auprès des fournisseurs et des actionnaires, en revanche, les directions générales des organisations partenaires présentent l’acte comme un « renouvellement stratégique ». Pareil discours peut prêter à sourire dans la mesure où le renouvellement stratégique était au départ… un motif de formation de l’alliance ! Un simple moyen de garder la face ? La chose suggère en tout cas l’importance de penser, en même temps qu’une alliance, et même si cela donne l’impression que l’on ne veut pas croire en ses chances de succès, la manière dont on appréhenderait son échec. Sa probabilité, rappelons-le, est bien loin d’être nulle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199700/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïs Boutru ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Se poser la question n’est pas sans pertinence, même si l’on veut toujours croire à un succès au moment de se lancer : la moitié des alliances échoue et la situation est souvent gérée à l’improviste.Anaïs Boutru, Maîtresse de Conférences en Sciences de gestion et du Management, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963722022-12-29T17:42:31Z2022-12-29T17:42:31ZLes Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine<p>La guerre en Ukraine a des répercussions géostratégiques importantes sur le Moyen-Orient et, notamment, sur le dossier kurde.</p>
<p>Cette guerre concentre toute l’attention de la Russie et une grande partie de celle des États-Unis, et rend donc ces deux acteurs moins enclins à s’opposer fermement aux opérations conduites par la Turquie contre le PKK (parti marxiste-léniniste pankurde). En outre, le contexte actuel contribue à créer une convergence objective entre Ankara et Téhéran sur la question kurde.</p>
<h2>Quand Ankara et Téhéran s’en prennent simultanément aux groupes kurdes</h2>
<p>La recherche d’un dialogue entre les puissances occidentales et Téhéran <a href="https://english.alarabiya.net/News/middle-east/2022/10/31/Military-option-is-on-the-table-if-needed-to-prevent-Iranian-nuclear-weapon-Malley">n’est plus à l’ordre du jour</a>.</p>
<p>Les Occidentaux fustigent l’Iran pour son <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220910-nucl%C3%A9aire-france-allemagne-et-royaume-uni-doutent-s%C3%A9rieusement-des-intentions-de-l-iran">inflexibilité sur le dossier nucléaire</a> et son engagement aux côtés de la Russie en Ukraine, qui s’est matérialisé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-reconnait-avoir-livre-des-drones-a-la-russie-avant-sa-guerre-contre-l-ukraine-20221105">livraison de drones à Moscou</a>.</p>
<p>De son côté, Téhéran dénonce l’ingérence des puissances occidentales <a href="https://www.plenglish.com/news/2022/09/21/iran-denounces-western-interference-in-its-internal-affairs/">dans ses affaires intérieures</a> (puisque ces puissances critiquent avec véhémence la répression du mouvement de contestation qui traverse le pays depuis le meurtre de la jeune Kurde Mahsa Amini) et le rôle déstabilisateur des États-Unis qui <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/gaillaud_washington_teheran_reconciliation_impossible_2022.pdf">affichent leur soutien à l’opposition iranienne</a> – à savoir les monarchistes, les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Iran-sont-moudjahidines-peuple-2018-07-03-1200952241">Moujahidines du peuple</a> (comme composante politique identifiée) et aussi les manifestants actuels à l’intérieur du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-guerre-en-ukraine-bloque-un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-192061">Comment la guerre en Ukraine bloque un accord sur le nucléaire iranien</a>
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<p>Pendant ce temps, la Turquie met à profit le contexte de la guerre en Ukraine, qui lui a permis de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">renforcer son influence diplomatique</a>, pour mener une offensive militaire en Syrie contre les forces kurdes affiliées au PKK. La branche syrienne du PKK, le Parti de l’union démocratique (PYD), domine les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_d%C3%A9mocratiques_syriennes">Forces démocratiques syriennes</a>, structure militaire hétéroclite composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants.</p>
<p>Depuis le 20 novembre, Ankara <a href="https://www.dw.com/en/kurds-in-the-middle-east-why-are-they-under-fire/a-63850573">conduit une suite d’opérations militaires</a> qui ont pris la forme d’une série de raids aériens et de tirs d’artillerie contre les positions en Syrie et en Irak du PKK, tenu pour responsable de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attentat-a-istanbul-le-spectre-du-terrorisme-de-retour-en-turquie_2183539.html">l’attentat à la bombe qui a fait six morts à Istanbul le 13 novembre</a>. La Turquie prépare ses forces terrestres à un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1318947/erdogan-envisage-une-operation-terrestre-en-syrie.html">engagement majeur dans le nord de la Syrie</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Turquie riposte à l’attentat d’Istanbul en frappant les régions kurdes de Syrie et d’Irak, France 24, 20 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Téhéran, de son côté, a <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article142">frappé les positions militarisées</a> dans le Mont Qandil (non nord-ouest de l’Irak) de plusieurs organisations kurdes – le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK, branche iranienne du PKK) et Komala (Organisation autonomiste kurde (de tendance maoïste). Ces groupes sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/21/l-iran-mene-de-nouvelles-frappes-au-kurdistan-d-irak_6150818_3210.html">accusés par Téhéran d’attiser les manifestations contre le régime</a> consécutives à la mort de Mahsa Amini.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>Ces nouveaux développements démontrent que si, historiquement, la question kurde renvoie à une diversité de réalités et d’intérêts, le sentiment identitaire qui déborde les frontières et la trajectoire de certains mouvements indépendantistes, ainsi que <a href="https://www.institutkurde.org/info/opinion-wesre-americass-most-loyal-ally-in-syria-donst-forget-us-1232552220">leur alliance devenue inextricable avec les États-Unis</a>, fédèrent les deux principaux acteurs régionaux dans leur volonté de neutraliser la « menace intérieure kurde ».</p>
<h2>La passivité américaine</h2>
<p>Voilà près de 40 ans que des épisodes d’affrontements rythment l’histoire conflictuelle entre le PKK, créé en 1978 par Abdullah Öcalan (et inscrit depuis 1997 sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>), et les autorités turques. Le conflit armé, qui débute en <a href="https://rojinfo.com/le-15-ao%C3%BBt-1984-debut-dune-nouvelle-ere-dans-lhistoire-kurde/">1984</a> et atteint son paroxysme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/conflitkurde">dans les années 1990</a>, est passé par plusieurs phases. Après une période d’accalmie à la fin de l’année 2012, faisant suite à des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/01/10/kurdes-et-turcs-en-negociations-ouvertes_873047/">négociations entre les autorités turques et le PKK</a>, le conflit s’intensifie de nouveau à partir de 2015.</p>
<p>À la faveur de la guerre en Syrie et des évolutions sur le terrain, le PYD a connu une montée en puissance qui a accru les appréhensions d’Ankara. Pour la Turquie, cette force incarne une menace pesant sur son intégrité territoriale et son unité nationale puisque le projet du PKK (dont le PYD, nous l’avons dit, est la branche syrienne) est de créer un État kurde en séparant le Kurdistan de Turquie du reste du pays.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2017/06/25/le-vrai-visage-des-liberateurs-de-rakka/">Fer de lance de la lutte contre le groupe État islamique</a>, le PYD est soutenu par les États-Unis, même si ceux-ci cherchent dans le même temps à ménager leur allié stratégique turc. Pour ne pas heurter la Turquie et appuyer de manière directe le PYD, Washington a favorisé la création des <a href="https://rojinfo.com/les-fds-representent-toutes-les-composantes-du-nord-de-la-syrie/">Forces démocratiques syriennes</a> (FDS), une coalition hétéroclite qui reste perçue par Ankara comme une structure-écran dominée par le PKK, et qui contrôle le Nord-Est de la Syrie. Cette alliance fluctuante au gré des contextes et de la redéfinition des priorités américaines est d’abord conçue dans l’intérêt des États-Unis.</p>
<p>Les FDS se sont, en effet, retrouvées dans un rapport de dépendance élevé à l’égard de Washington. Plusieurs épisodes du conflit en Syrie ont illustré la faiblesse de la garantie de sécurité américaine, à l’exemple des batailles de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/990063/les-ambiguites-du-triangle-usa-turquie-kurdes-au-coeur-de-loffensive-contre-manbij.html">Manbij en 2016</a> et d’<a href="https://www.nytimes.com/2018/01/23/opinion/turkey-syria-kurds.html">Afrin en 2018</a> où les Kurdes ont été les otages des calculs américains, et traités davantage comme des partenaires circonstanciels que comme des alliés stratégiques.</p>
<p>L’opération militaire lancée par le président turc le 20 novembre pour <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/turkeysource/the-risks-and-rewards-of-erdogans-next-military-operation/">neutraliser la menace kurde dans les zones syriennes situées le long des frontières méridionales de la Turquie</a> en refoulant les YPG (bras armé du PYD) à près de trente kilomètres de la frontière turque a ravivé les inquiétudes des forces kurdes, qui craignent que la Turquie ne bénéficie une nouvelle fois de la mansuétude de Washington.</p>
<p>Le commandant général des FDS, Mazloum Kobane Abdi, a en effet demandé aux États-Unis d’adopter une <a href="https://www.voanews.com/a/us-backed-kurdish-commander-us-needs-stronger-position-on-turkish-threat-/6855246.html">position plus ferme « face aux menaces turques »</a>. Il a également appelé la Russie – qui avait joué un rôle de médiateur lors de la précédente offensive turque en 2019 et obtenu un accord en vertu duquel l’armée syrienne et des forces russes se sont déployées le long de la frontière – <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221129-syrie-les-kurdes-exhortent-moscou-%C3%A0-emp%C3%AAcher-une-offensive-terrestre-turque">à faire pression sur la Turquie</a>.</p>
<p>Cette opération militaire de la Turquie pour sécuriser ses zones frontalières est toutefois perçue par les observateurs occidentaux comme s’inscrivant dans un agenda électoral : il s’agit de renforcer la position de l’AKP dans la perspective des prochaines échéances électorales, après sa défaite en 2019 aux élections locales <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/4/2/erdogans-ak-party-loses-major-turkey-cities-in-local-elections">à Izmir, Istanbul et Ankara</a> sur fond de profonde <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crise-en-turquie-l-inflation-sur-un-an-atteint-83-un-pic-inedit-depuis-1998">crise économique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1602006253802242051"}"></div></p>
<p>Mais pour Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’Études anatoliennes (IEFA), joint par téléphone, cette offensive militaire ne relève pas uniquement de l’instrumentalisation politique et obéit à un réel souci sécuritaire : « Les considérations de politique intérieure sont très importantes, les autorités turques veulent montrer que les responsables de l’attentat d’Istanbul ne sont pas restés impunis, et probablement également obtenir de meilleures chances de remporter les élections. Mais malgré cela, il y a une réalité dont nombre d’analystes ne veulent pas tenir compte : cette opération revêt un intérêt sécuritaire réel face à la menace que représente pour la Turquie la présence des milices kurdes à sa frontière. »</p>
<p>Bayram Balci estime que si jusque là ni les Russes, ni les Américains ne veulent d’une incursion militaire terrestre de la Turquie en Syrie, ils tolèrent toutefois les bombardements aériens et les tirs d’artillerie dans la mesure où ils « n’ont pas les moyens d’entrer en conflit avec Ankara et ont besoin d’elle dans le conflit en Ukraine ».</p>
<p>Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, contacté également par téléphone, les Russes sont hostiles non pas aux Kurdes en tant que tels mais à leur alliance militaire avec les États-Unis, qui <a href="https://www.justsecurity.org/81313/still-at-war-the-united-states-in-syria/">continuent de garder sous leur contrôle la rive orientale de l’Euphrate</a> : « Moscou a régulièrement critiqué cette présence américaine et appelé les Kurdes à rompre cette alliance. Rien n’indique à ce stade que les FDS vont troquer leur allégeance aux Américains contre un retour dans le giron de Damas. Les Russes ont manifestement poussé pour que les Kurdes évacuent la bande de 30 km attenante à la frontière avec la Turquie dans les zones sous leur contrôle, mais cela n’a rien donné. Maintenant, il est vrai que l’entêtement des Kurdes à privilégier leur alliance avec Washington irrite les Russes. Mais cela ne va pas au-delà. »</p>
<h2>Une nouvelle donne appelée à durer ?</h2>
<p>Du côté de Washington, bien que le <a href="https://apnews.com/article/islamic-state-group-nato-syria-bucharest-turkey-bb1980f532b5a44cbc693897c853d9f1">durcissement de ton à l’égard la Turquie</a> pour tenter de dissuader Recep Tayyip Erdogan de lancer la phase terrestre de l’offensive augure d’un raidissement de la position américaine, les moyens de pression restent limités en raison de l’importance du rôle de la Turquie dans le conflit en Ukraine.</p>
<p>Sur ce dossier, Ankara tient une position ambivalente. D’une part, elle a contribué à l’effort de guerre de ses alliés de l’OTAN. D’autre part, elle <a href="https://www.euronews.com/2022/11/04/hungary-and-turkey-are-the-last-two-roadblocks-to-nato-membership-for-finland-and-sweden">continue de bloquer la tentative de l’OTAN d’accélérer l’adhésion de la Suède et de la Finlande</a> à l’Alliance en dépit des sollicitations américaines. Ankara est l’un des deux seuls pays membres de l’OTAN, avec la Hongrie, à ne pas avoir donné son aval à l’adhésion des pays nordiques. Washington dispose donc de peu de leviers de pression contre la Turquie dans ce contexte.</p>
<p>Quant à l’Iran, s’il n’a pas d’antagonisme majeur avec les FDS en Syrie, et ne semble pas résolument hostile au PKK en Irak, il est aujourd’hui, nous l’avons dit, engagé dans une confrontation militaire avec le PDKI, le PJAK et Komala, considérés parmi les forces motrices du soulèvement actuel contre le régime (soulèvement au moins partiellement imputé à Washington).</p>
<p>Une nouvelle donne s’esquisse donc : la convergence de la Turquie et de l’Iran qui voient désormais les acteurs kurdes comme des auxiliaires d’une stratégie américaine de déstabilisation. Les grandes puissances ayant à fort à faire ailleurs, les Kurdes risquent de ne pouvoir compter que sur leurs propres ressources pour faire face à cette double offensive…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant que l’attention russe et américaine est largement fixée sur l’Ukraine, Ankara et Téhéran s’attaquent aux forces kurdes, en Syrie et à la frontière Irak-Iran.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1890742022-08-21T16:21:08Z2022-08-21T16:21:08ZTaïwan : la stratégie indo-pacifique des États-Unis à l’épreuve<p>Le 3 août dernier, la courte visite à Taïwan de Nancy Pelosi, présidente de la chambre américaine des Représentants, a déclenché une réaction belliqueuse de Pékin et un cycle d’activités militaires chinoises soutenues à proximité des côtes de l’île, instaurant ce que beaucoup d’analystes qualifient de <a href="https://foreignpolicy.com/2022/08/17/taiwan-america-china-pelosi-visit-reliance/">« nouvelle norme »</a>.</p>
<p>Dès le 4 août, Pékin a effectué des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Chine-declenche-manoeuvres-militaires-autour-lile-Ta%C3%AFwan-2022-08-04-1201227605">exercices aéromaritimes d’ampleur</a> incluant des tirs de missiles balistiques – une démonstration de force qui a rappelé aux observateurs le <a href="https://www.liberation.fr/tribune/1996/03/19/la-troisieme-crise-du-detroit-de-taiwan_165488/">scénario de 1995-1996</a>, lors de la première crise majeure dans le détroit. Les manœuvres chinoises visaient alors à protester contre la visite aux États-Unis de Lee Teng Hui, à l’époque président de l’île, puis quelques mois plus tard à empêcher sa réélection. L’épisode avait suscité l’envoi de deux porte-avions américains par l’administration Clinton. Cette fois, Joe Biden n’aura dépêché qu’un seul porte-avions, et <a href="https://www.lesoir.be/458522/article/2022-08-08/taiwan-annonce-des-exercices-de-defense-apres-ceux-de-pekin">Taïwan a organisé des entraînements de défense</a> – au demeurant programmés de longue date, selon ses responsables.</p>
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<p>La surmédiatisation et la durée des exercices chinois entretiennent depuis début août une atmosphère de <a href="https://www.tf1info.fr/international/tirs-vers-taiwan-si-la-chine-attaque-c-est-la-fin-du-monde-previent-l-ambassadeur-en-france-2228429.html">dramatisation</a> et d’incertitude qui, au-delà de la région, retient l’attention internationale en raison de la tension sino-américaine qu’elle génère. Outre les menaces militaires, la Chine a fixé un coût diplomatico-économique élevé au déplacement de Nancy Pelosi, afin de prévenir des initiatives similaires : <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/visite-de-pelosi-a-taiwan-la-chine-degaine-les-sanctions-economiques-contre-les-etats-unis-927721.html">sanctions commerciales</a>, <a href="https://www.chine-magazine.com/des-personnalites-politiques-taiwanaises-sanctionnees-par-la-chine/">interdiction de visites en Chine</a> de personnalités taiwanaises et autres, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/05/taiwan-denonce-le-passage-d-avions-et-navires-de-guerre-sur-la-ligne-mediane-du-detroit-separant-l-ile-de-la-chine_6137243_3210.html">suspension de nombreuses coopérations</a> avec les États-Unis.</p>
<p>À ce stade, plusieurs questions se posent. Le statu quo précaire prévalant autour du détroit a-t-il été rompu ? Y a-t-il un infléchissement notable et durable de la part de Pékin ? Quelles perspectives se dessinent pour Taïwan, notamment dans le cadre de la <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/02/U.S.-Indo-Pacific-Strategy.pdf">stratégie indo-pacifique américaine</a>, dont la tonalité anti-chinoise s’accentue ?</p>
<h2>Pourquoi l’enjeu taiwanais est vital pour Xi Jinping</h2>
<p>Entamées le 4 août pour trois jours, les manœuvres de l’Armée Populaire de Libération (APL) se sont donc poursuivies, y compris après le 15 août. Cette volonté d’entretenir la tension – tout en épuisant la défense taïwanaise puisque chacun de ces exercices met en alerte les forces de Taipei – illustre la détermination chinoise à affirmer ses droits sur l’île.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1554686698264854533"}"></div></p>
<p>La Chine soutient que son attitude est <a href="https://www.tellerreport.com/news/2022-08-08-wang-wenbin-s-response-to-china-s-continued-military-exercise--issue-a-warning-to-the-perpetrators-and-punish-the-%22taiwan-independence%22-forces.r1lfZHLC6c.html">« ferme, forte et appropriée »</a>, et vise à protéger sa souveraineté et son intégrité territoriale face aux « indépendantistes taiwanais » et à ce qu’elle estime être une « provocation américaine ». Ces positions reflètent des enjeux de politique intérieure et une intransigeance particulière de Xi Jinping qui <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/08/11/china-reaction-pelosi-visit-taiwan-reunification/">rendent impossible toute résolution pacifique de la « question taiwanaise</a> ». Xi Jinping doit <a href="https://www.challenges.fr/monde/congres-du-parti-du-pcc-pourquoi-rien-nest-gagner-pour-xi-jinping_817406">soigner sa stature d’homme fort avant le 20ᵉ Congres du PCC à l’automne</a> et une session plénière de l’Assemblée nationale populaire en 2023 où il devrait briguer un troisième mandat présidentiel de cinq ans (rappelons qu’il a été élu en 2013 et réélu en 2018).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parti-communiste-chinois-une-nouvelle-ere-171864">Parti communiste chinois : une nouvelle ère ?</a>
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<p>Joseph Wu, le chef de la diplomatie de Taïwan, a dénoncé le choix chinois d’une approche hybride <a href="https://news.yahoo.com/taiwanese-foreign-minister-warns-china-043231322.html">visant à préparer une invasion de l’île</a> et mêlant exercices militaires, cyberattaques, intense campagne de désinformation et coercition économique.</p>
<p>Taïwan est d’autant plus à réduire qu’elle constitue pour Xi Jinping un contre-exemple politique dont la réussite économique, les capacités d’innovation technologique et le fonctionnement démocratique jettent une ombre sur le modèle chinois. La dénonciation des velléités d’indépendance de Taïwan et les menaces répétées à l’encontre de la présidente Tsai depuis son arrivée au pouvoir en 2016 s’apparenteraient même à un aveu de faiblesse aux yeux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/05/avec-poutine-on-aurait-deja-frappe-taiwan-la-deception-des-ultranationalistes-chinois_6137276_3210.html">d’une opinion publique ultra-nationaliste</a>. Celle-ci ne peut que constater la résilience de Taïwan, y compris <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/programme-taiwan-sur-securite-diplomatie/strategie-taiwan-face-pandemie-quels-enseignements-pour-pays-europeens-2021">face au Covid-19</a>, contrairement à la Chine, et ne comprend pas que l’île ne soit pas à la merci de l’APL.</p>
<h2>L’internationalisation et la quête de soutien de Taïwan</h2>
<p>La situation est cependant plus complexe qu’il n’y paraît en raison du changement de perception internationale et d’une <a href="https://www.areion24.news/2022/03/08/taiwan-une-puissance-diplomatique/">lecture nouvelle du statut de Taïwan</a>, qui a su habilement mettre en avant sa nature démocratique.</p>
<p>Nancy Pelosi, dont <a href="https://www.lopinion.fr/international/pelosi-a-taiwan-le-vieux-combat-de-madam-speaker-contre-le-parti-communiste-chinois">l’hostilité à l’égard du régime communiste chinois</a> est connue, a bien perçu cette évolution que sa visite visait entre autres, à mettre en exergue. À l’heure de la guerre d’agression russe en Ukraine, la résolution de l’île à défendre son système politico-économique et sa liberté face à un adversaire aux moyens largement supérieurs résonne différemment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-inquietantes-lecons-de-la-guerre-dukraine-pour-lavenir-de-ta-wan-185835">Les inquiétantes leçons de la guerre d’Ukraine pour l’avenir de Taïwan</a>
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<p>Sans franchir la <a href="https://www.jstor.org/stable/48640619">ligne rouge de l’indépendance</a>, Taïwan a su, au fil des ans, se créer un relatif espace diplomatique, alors que le <a href="https://www.liberation.fr/debats/2016/01/26/stephane-corcuff-la-nation-taiwanaise-se-construit-sans-la-chine_1429066/">sentiment d’identité nationale</a> grandissait. Le nombre de visites de haut niveau à Taipei s’est multiplié : autorités américaines, parlementaires européens, sénateurs français ne craignent pas de se rendre sur l’île et d’y rencontrer sa présidente.</p>
<p>Les bureaux de représentation de Taïwan, dont le dernier a ouvert à Vilnius en 2021, s’apparentent à des ambassades. Si l’île reste exclue de l’ONU, de la Banque mondiale, de l’OMS ou du FMI, elle a pu <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=56&post=143405">intégrer l’OMC</a>. Joe Biden a avalisé cette stratégie de normalisation en invitant des représentants de l’île au <a href="https://www.la-croix.com/centaine-pays-autour-Biden-sommet-virtuel-democratie-2021-12-09-1301189297">Sommet virtuel de la démocratie de décembre 2021</a>.</p>
<p>Il serait illusoire d’opposer le « soft power » de Taïwan au « hard power » chinois. Toutefois, le démantèlement brutal de la démocratie à Hongkong et le traitement de la question ouïghoure ont altéré l’image de la Chine, et contribué à renforcer le statut moral de Taïwan. Face au Covid-19 et aux effets de la guerre en Ukraine, Taïwan a démontré son efficacité et son <a href="https://www.lesaffaires.com/blogues/francois-normand/pourquoi-taiwan-est-crucial-pour-votre-entreprise/635131">rôle moteur dans les chaînes d’approvisionnement internationales</a>. Il devient difficile aux tenants d’un discours dénonçant les autocraties et leur recours à la force, comme les États-Unis, l’Union européenne ou le G7, de <a href="https://www.auswaertiges-amt.de/fr/newsroom/-/2546638">ne pas s’engager plus activement dans un soutien</a> – diplomatique, politico-économique ou militaire – au régime de Taipei.</p>
<h2>Taïwan, bastion maritime de l’indo-pacifique américain</h2>
<p>Interrogé à plusieurs reprises sur la possibilité d’une intervention militaire pour défendre Taïwan en cas d’attaque chinoise, Joe Biden a <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/biden-promet-de-defendre-taiwan-une-declaration-qui-n-a-rien-de-surprenant-selon">répondu par l’affirmative</a>, dissipant partiellement la politique américaine d’« ambiguïté stratégique ». Celle-ci consiste à aider Taïwan à construire et à renforcer ses défenses, mais sans promettre explicitement d’agir en cas d’agression. <a href="https://www.congress.gov/bill/96th-congress/house-bill/2479">Selon le Taïwan Relations Act</a>, adopté par le Congrès en 1979, Washington est tenu de vendre des armes à Taïwan afin qu’elle puisse assurer sa défense face à la puissante APL. Pour autant, est-ce aujourd’hui suffisant ?</p>
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<p>Le recours à la force russe contre l’Ukraine fait craindre un scénario similaire en Asie, où la Chine se montre <a href="https://theconversation.com/la-chine-et-le-droit-international-de-la-mer-un-dialogue-impossible-161389">intraitable</a> sur la revendication de ses frontières maritimes. Le regain d’instabilité dans le détroit de Taïwan a donné des arguments aux partisans d’une plus grande clarté sur la nature de l’engagement américain, dont l’Australie et le Japon.</p>
<p>Ces pays, qui entretiennent des relations tendues avec Pékin, s’inquiètent de l’impact de la crise en cours sur la <a href="https://maritimeindia.org/the-us-indo-pacific-strategy-2022-an-analysis/">stratégie indopacifique que l’administration Biden</a> promeut activement dans la région et qu’ils soutiennent. Ils doutent que les États-Unis soient en position de faire face seuls à un conflit de haute intensité en Asie au vu de leur investissement en Ukraine face à la Russie.</p>
<p>Le Japon se sent particulièrement vulnérable. Les <a href="https://www.7sur7.be/monde/des-missiles-chinois-seraient-tombes-dans-les-eaux-japonaises%7Eada79d88/">cinq missiles chinois tombés dans ses eaux le 5 août</a> lui font craindre que Pékin ne vise à terme ses intérêts économiques et militaires ou les <a href="https://www.france24.com/fr/billet-retour/20190426-japon-okinawa-bases-soldats-americains-militaires-population">bases américaines à Okinawa</a>. Tokyo, déjà confronté à de fréquentes <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20130827.OBS4419/japon-iles-senkaku-nouvelle-incursion-de-navires-chinois.html">incursions navales chinoises autour des îlots Senkaku</a>, à une centaine de kilomètres de Taïwan, et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220324- %C3 %AEles-kouriles-la-guerre-en-ukraine-ravive-les-tensions-entre-le-japon-et-la-russie">aux prises avec la Russie</a> sur la question des territoires du Nord (îles Kouriles pour Moscou) <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/08/03/national/china-target-taiwan-drills-japan/">se sent devenir une cible potentielle de l’APL</a> dans le cadre des opérations de celle-ci autour de Taïwan.</p>
<p>La stratégie indo-pacifique des États-Unis pourrait trouver ses limites face à la détérioration de la situation dans le détroit. Cette stratégie vise en effet à contenir l’expansion régionale chinoise, notamment dans le domaine maritime, à renforcer la sécurité maritime régionale et à préserver la liberté de mouvement de l’US Navy et de ses alliés et partenaires. Or, la <a href="https://asiepacifique.fr/indo-pacifique-le-maritime-marianneperondoise/">liberté de navigation</a> et la sécurisation des grandes voies maritimes internationales, au cœur de cette stratégie, apparaissent menacées par la poussée chinoise en mer de Chine méridionale et orientale et, à terme, dans le détroit de Taïwan qui ouvre l’accès au Pacifique. Celui-ci, siège à Hawaï du commandement interarmées américain pour l’Indo-pacifique, l’<a href="https://www.pacom.mil/About-USINDOPACOM/USPACOM-Area-of-Responsibility/">USINDOPACOM</a>, et zone de déploiement de la <a href="https://www.c7f.navy.mil/">VII<sup>e</sup> flotte</a>, constitue un théâtre où les États-Unis possèdent une forte empreinte stratégique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1558604878846607360"}"></div></p>
<h2>Le QUAD et l’AUKUS face à la Chine</h2>
<p>L’ambition chinoise de s’étendre de l’océan Indien jusqu’au Pacifique océanien en y déployant son projet de Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) explique l’investissement de l’administration Biden au sein de nouveaux mécanismes de coopération stratégique multidimentionnelle<a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">comme le QUAD</a> et l’<a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS</a>.</p>
<p>En mai dernier, les membres du QUAD (États-Unis, Japon, Australie, Inde) ont décidé de renforcer leur coopération politico-militaire et d’investir massivement dans l’innovation et les nouvelles technologies pour répondre au défi chinois. Nul doute que <a href="https://www.rfi.fr/fr/ %C3 %A9conomie/20220803-ta %C3 %AFwan-le-num %C3 %A9ro-un-des-semi-conducteurs-avertit-la-chine-qui-menace-l- %C3 %AEle">Taïwan, qui domine l’industrie des semi-conducteurs</a>, y a toute sa place. De la même façon, la construction de sous-marins nucléaires d’attaque pour l’Australie – objet du partenariat AUKUS (États-Unis, Australie, Royaume-Uni) – vise à renforcer le dispositif de dissuasion américain face aux <a href="https://www.penseemiliterre.fr/de-l-importance-des-forces-terrestres-dans-les-dispositifs-de-deni-d-acces-et-d-interdiction-de-zone-une-perspective-chinoise._241_3000457.html">capacités anti-accès de l’APL</a>.</p>
<p>Ces arrangements qui se superposent aux alliances traditionnelles que les États-Unis entretiennent en Indo-Pacifique ont vocation à <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php ?carticle=22947">rééquilibrer le rapport de forces</a> et la compétition capacitaire entre les États-Unis et la Chine. Il reste à voir s’ils aboutiront rapidement à la constitution d’une coalition capable d’opérer dans le détroit de Taïwan et plus largement de maintenir la sécurité maritime et la liberté de navigation dans l’Indo-Pacifique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente montée des tensions entre la Chine et le duo américano-taïwanais contraint Washington à repenser sa stratégie régionale, qui vise à maintenir un équilibre de plus en plus précaire…Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1867632022-08-04T20:39:25Z2022-08-04T20:39:25ZDe l’Afghanistan à l’Ukraine : la renaissance de l’OTAN ?<p>« Régénérée », « revitalisée », « ressuscitée » : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le <a href="https://moderndiplomacy.eu/2022/05/05/the-ukraine-crisis-and-the-revival-of-the-transatlantic-solidarity/">retour de premier plan de l’OTAN</a> depuis le début de l’agression de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022.</p>
<p>L’idée d’une renaissance de l’OTAN tire sa crédibilité d’un constat simple. Après deux décennies d’errements dans le bourbier afghan, l’Alliance retrouve sa mission historique : dissuader une attaque conventionnelle d’un État tiers – qui plus est de l’ancien ennemi, la Russie – contre ses membres. Dès lors, la guerre en Ukraine marquerait une nouvelle césure dans l’histoire de l’OTAN, à l’image de la fin de la guerre froide ou du 11 septembre 2001. Elle lui donnerait une nouvelle raison d’être, traduite par un renforcement de son dispositif militaire sur le flanc Est – la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136388.htm">plus importante solidification de sa défense collective</a> depuis la chute du bloc communiste.</p>
<p>En quoi consiste exactement cette relance de l’OTAN, et quelles en sont les limites ?</p>
<h2>De la gestion de crises…</h2>
<p>Il faut l’admettre, l’idée d’une OTAN relancée a un fond de vérité. Les mesures prises en réaction à la guerre en Ukraine sont incomparablement plus cohérentes, solides et consensuelles que les opérations dites de « gestion de crises » menées par l’Alliance depuis la fin de la guerre froide dans les Balkans (années 1990), en Libye (2011) et en Afghanistan (années 2000-2010).</p>
<p>Ces engagements militaires furent caractérisés par de fortes dissensions entre les États membres de l’OTAN sur les objectifs à atteindre, les ressources nécessaires et les procédures opérationnelles. Une des raisons essentielles à ces tensions multilatérales réside dans le fait que, dans la gestion de crises, l’OTAN combat des risques (terrorisme, instabilités régionales, piraterie, etc.) <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780203218174-11/risk-threat-security-institutions-1999-celeste-wallander-robert-keohane">dont la dangerosité est différemment perçue selon les États membres</a>.</p>
<p>Immanquablement, ces variations trouvent une traduction dans la conduite des opérations. Par exemple, certains États membres s’engagent davantage que d’autres dans telle ou telle mission, en effectifs et au sein des combats, selon qu’ils estiment ou non que ces missions <a href="https://princeton.universitypressscholarship.com/view/10.23943/princeton/9780691159386.001.0001/upso-9780691159386">constituent une priorité pour leur sécurité nationale</a>.</p>
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<p>L’action de l’Alliance en Afghanistan a représenté le <a href="https://www.editions-ulb.be/fr/book/?GCOI=74530100330950">paroxysme de ces dissensions</a>. Les disputes qui divisaient la mission de l’OTAN – la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) – ont fragmenté l’effort allié, <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2021-3-page-71.htm">empêchant l’émergence d’une stratégie commune</a>.</p>
<p>Officiellement, la FIAS luttait contre le terrorisme en menant des opérations de contre-insurrection. Mais cet objectif très général était entendu de manière hétérogène au sein de l’Alliance. De fait, il comportait beaucoup de sous-éléments concurrents (stabilisation militaire, lutte contre le trafic de drogue, reconstruction, etc.) et des différentiels d’engagement très significatifs parmi les États participants, en particulier entre les États-Unis et les Européens. Si bien qu’il était <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=21816">quasi impossible de déceler un but clair</a>.</p>
<p>Ces difficultés ont participé à la <a href="https://www.karthala.com/recherches-internationales/3384-le-gouvernement-transnational-en-afghanistan-une-si-previsible-defaite-9782811128128.html">défaite</a> révélée aux yeux du monde entier en juin 2021, lorsque les talibans reprirent le contrôle de Kaboul.</p>
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<figcaption><span class="caption">Après 20 ans en Afghanistan, les troupes de l’OTAN se retirent, Euronews, 30 avril 2021.</span></figcaption>
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<h2>… au retour de la défense collective</h2>
<p>La réaction de l’OTAN à la guerre en Ukraine contraste avec ce bilan mitigé.</p>
<p>Remontons là aussi un peu dans le temps. La séquence s’engage à partir de <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/pourquoi-la-russie-a-annexe-la-crimee-en-2014">l’annexion de la Crimée</a> par la Russie en 2014. Il s’agit du point de bascule : l’OTAN se recentre alors sur son pilier historique, la défense collective, matérialisée dans l’article 5 du <a href="https://www.nato.int/cps/en/natolive/official_texts_17120.htm">Traité fondateur de Washington (1949)</a>, dans lequel est stipulé qu’une agression armée contre l’un des États membres – perspective apparue envisageable au vu de la dégradation des relations russo-otaniennes à partir de 2014 – susciterait une réponse militaire collective de l’Alliance.</p>
<p>Trois sommets importants ont jalonné cette évolution. Au pays de Galles (2014), le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_119353.htm">Plan d’action réactivité de l’OTAN</a> est adopté. Il inclut des mesures de réassurance à destination des pays d’Europe centrale et orientale. Les effectifs de la <a href="https://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_49755.htm">Force de réaction de l’OTAN</a> sont triplés et on annonce la création, au sein de celle-ci, d’une composante à haut niveau de préparation, déployable sur un très court préavis.</p>
<p>Le sommet de Varsovie (2016) consolide le recentrage sur la défense collective, en activant la présence rehaussée <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136388.htm">(Enhanced forward presence – EFP)</a> de l’OTAN sur son flanc Est. Mise en place en 2017, cette force est composée de quatre bataillons multinationaux stationnés dans les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et en Pologne. Après février 2022, l’EFP est élargie à la Roumanie, à la Bulgarie, à la Hongrie et à la Slovaquie. <a href="https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/3/pdf/2203-map-det-def-east.pdf">En juin 2022</a>, on compte entre 900 et 11 600 soldats en renfort dans chaque pays.</p>
<p>Enfin, le Sommet de Madrid (juin 2022) scelle cette évolution. Il marque l’adoption d’un <a href="https://www.nato.int/strategic-concept/">nouveau Concept stratégique</a>, texte boussole de l’Alliance, qui relègue la Russie du rang de partenaire à celui de première menace. Aussi, la Suède et la Finlande sont invitées à devenir membres, après que ces deux pays aient demandé l’adhésion.</p>
<p>La séquence allant de l’annexion de la Crimée à l’invasion de l’Ukraine est donc marquée par un recentrage sur ce qu’il y a de plus consensuel en sein de l’Alliance : une menace étatique, l’article 5, des mesures militaires qui ont un incontestable effet dissuasif. L’OTAN ne fait pas que dissuader, mais attire de <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/l-otan-est-pour-de-nombreux-pays-l-unique-garant-de-la-securite-europeenne-23-05-2022-2476699_53.php">nouveaux membres</a>.</p>
<p>La phase de <a href="https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-warns-europe-nato-is-becoming-brain-dead">« mort cérébrale de l’OTAN »</a>, selon une expression détonante d’Emmanuel Macron en novembre 2019, semble soudain se dissiper, si bien que la débâcle afghane fait presque office de mauvais souvenir au moment de la résurgence de la menace russe. En bref, la géographie politico-militaire de l’OTAN, alors dispersée dans des opérations de gestion de crises allant jusqu’en Asie centrale, se clarifierait avec le retour du vieil ennemi et des schémas de dissuasion qui l’accompagnent.</p>
<h2>Défense collective et logiques de compromis</h2>
<p>Attention, toutefois, à ne pas tomber trop vite sous le charme du discours officiel, qui présente l’action actuelle de l’OTAN comme l’incommensurable succès d’une défense collective renforcée.</p>
<p>Souligner la différence entre les difficultés de la gestion de crises et les facilités présumées de la défense collective ne suffit pas pour comprendre la pérennité de l’OTAN et ses transformations. Cette dichotomie vaut jusqu’à un certain point, à commencer par la comparaison elle-même. Contrairement à l’Afghanistan, l’OTAN n’est pas en guerre en Ukraine, mais se situe dans une posture de dissuasion visant à empêcher une attaque russe contre l’un de ses pays membres. En cela, la présence avancée de l’OTAN n’a pas à pâtir des gigantesques difficultés opérationnelles et en matière de prise de décision <a href="http://press.georgetown.edu/book/georgetown/allies-count">inhérentes à la conduite d’une guerre en format multilatéral</a>.</p>
<p>Ensuite, si la menace russe est perçue de manière plus consensuelle que d’autres catégories de risque comme le terrorisme, son niveau de dangerosité ne fait pas non plus l’unanimité. De fait, la défense collective reste le noyau dur de l’Alliance, mais sa mise en place n’est pas harmonieuse (<a href="https://www.routledge.com/Transforming-NATO-in-the-Cold-War-Challenges-beyond-Deterrence-in-the-1960s/Wenger-Nuenlist-Locher/p/book/9780415512541">ce qui n’était pas non plus le cas lors de la guerre froide</a>, rappelons-le).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1154514381910077440"}"></div></p>
<p>La Russie est certes qualifiée de <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_196951.htm">« menace directe »</a>, surtout depuis février 2022. La <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_196951.htm">déclaration commune</a> issue du récent sommet de Madrid et la tonalité grave du nouveau concept stratégique concernant la Russie montre certes que les Alliés resserrent les rangs face à cette menace. Néanmoins, la raison d’être même d’un texte comme le concept stratégique est d’exposer au grand jour l’unité de l’Alliance autour de principes clefs. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que les dissensions disparaissent, loin de là. Le retour post-2014 de la défense collective a ainsi été marqué par des divergences et des compromis entre, schématiquement, <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315227856-7/divided-geography-nato-internal-debate-eastern-southern-flanks-patrick-keller">deux positions</a>.</p>
<p>D’un côté, celle des pays d’Europe centrale et orientale (pays baltes, Pologne, Roumanie), souvent soutenus par les États-Unis, et partisans d’une posture militaire ferme et consolidée contre la Russie. De l’autre, celle des pays d’Europe de l’Ouest (France, Allemagne, Espagne), favorables à une politique de dissuasion modérée laissant ouvert le dialogue avec la Russie et écartant le risque d’une escalade.</p>
<p>Les négociations ayant débouché sur le déploiement de la présence avancée de l’OTAN <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315227856-4/modern-deterrence-nato-enhanced-forward-presence-eastern-flank-robin-allers?context=ubx&refId=61b85087-a8c4-4d5f-b411-f15d4a8a7474">résultèrent d’un compromis entre les deux positions</a>.</p>
<p>Les premiers souhaitaient l’installation de bases militaires permanentes sur leur territoire afin d’afficher une politique de dissuasion soutenue contre la Russie. Les seconds désapprouvaient, car ils y voyaient une mesure exagérée, susceptible d’engendrer une escalade, et se situant en porte-à-faux par rapport à l’<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_25468.htm">Acte fondateur de la coopération OTAN-Russie</a> (1997), qui exclut tacitement l’installation de structures militaires permanentes chez les futurs membres.</p>
<p>Les Alliés en vinrent donc au compromis suivant : la présence avancée serait « permanente mais rotationnelle ». La force serait physiquement présente mais ses contingents seraient sujets à rotation tous les quelques mois, ce qui satisfaisait les deux orientations.</p>
<h2>« Dissuasion par représailles » et crédibilité de l’OTAN</h2>
<p>Le fonctionnement militaire même de l’EFP s’innerve de ces différences de points de vue. L’EFP se fonde sur le principe de la « dissuasion par représailles » ( <a href="https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/perspectives/PE200/PE295/RAND_PE295.pdf">« deterrence by punishment »</a>). Elle ne vise pas le déploiement d’une force militaire suffisamment importante pour rendre immédiatement inopérante une attaque potentielle et saper toute confiance chez l’agresseur en le succès initial de son action armée (la « dissuasion par interdiction » – « deterrence by denial » – l’option initialement promue par les pays baltes par exemple). Il s’agit plutôt de laisser peser la probabilité d’une réplique ultérieure qui augmenterait de manière considérable le coût initial de l’agression.</p>
<p>En cela, les effectifs modérés déployés dans l’EFP en font une présence qui n’a pas pour but d’infliger à la Russie des dommages inacceptables dès les premiers affrontements. L’EFP se conçoit davantage comme un « fil piège » (<a href="https://www.frstrategie.org/en/publications/nato-briefs-series/why-efp-some-insights-2016-nato-warsaw-summit-2021">« trip wire »</a>), qui, une fois franchi (ou plutôt attaqué) déclencherait la réponse militaire complète de l’OTAN, à savoir la mobilisation de sa Force de réaction. De facto, la dissuasion par représailles était la <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315227856-3/nato-new-high-readiness-joint-task-force-deter-jens-ringsmose-sten-rynning?context=ubx&refId=b0968c92-5d4a-446c-81fc-3a43a05d385b">seule option consensuelle possible</a>, car le fruit d’un compromis entre les pays souhaitant une présence substantielle de l’OTAN sur le flanc Est et ceux qui y voient une mesure d’escalade.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-le-role-des-organisations-internationales-186520">Guerre en Ukraine : le rôle des organisations internationales</a>
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<p>En effet, prétendre refouler instantanément, disons d’un État balte, une armée de la taille et de la puissance de feu de celle de la Russie impliquerait d’y déployer une force militaire considérable. Ce qui est, financièrement et politiquement, inenvisageable pour la plupart des Alliés. Ainsi, le renforcement de l’EFP avec quatre bataillons supplémentaires en réaction à l’invasion de l’Ukraine, ainsi que l’annonce au Sommet de Madrid d’une présence américaine renforcée en Europe, se situent dans la continuité de ce compromis.</p>
<p>Par conséquent, cette logique de compromis comporte aussi certaines limites, la plus importante d’entre elles étant la crédibilité des représailles. Se montrer résolu à répliquer est essentiel dans une logique de dissuasion, en particulier dans l’option de la dissuasion par représailles. Celle-ci dépend largement du message envoyé, qui se doit de véhiculer une détermination à user de la force de manière élargie afin de faire payer au prix fort le choix d’une attaque. Or, construire ce discours commun et cohérent dans le cadre d’une politique de dissuasion face à la Russie reste un défi pour l’OTAN, en raison précisément des différences de perception de cette menace entre les États membres.</p>
<p>À terme, l’étalement public récurrent des critiques que s’adressent ces derniers à ce sujet risque d’écorner la crédibilité de la dissuasion otanienne. Mentionnons simplement les reproches réguliers adressés par la Pologne ou les États baltes à l’Allemagne ou la France, accusées de se montrer <a href="https://carnegieeurope.eu/2022/01/26/why-germany-is-undermining-nato-unity-on-russia-pub-86279">trop complaisantes vis-à-vis de Moscou</a>.</p>
<p>De ce fait, certains spécialistes doutent de la capacité réelle de l’OTAN à répliquer comme elle le clame officiellement. Par exemple, si la Russie décidait de cibler les contingents norvégiens ou luxembourgeois stationnés en Lituanie pour mettre sous pression la solidarité alliée, l’Allemagne, également présente en Lituanie, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00396338.2017.1325604?journalCode=tsur20">y réagirait-elle militairement</a> au risque d’une escalade guerrière ? Ce scénario est certes peu probable, mais pas non plus inenvisageable, étant donné la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-russie-n-a-pas-encore-commence-les-choses-serieuses-en-ukraine-previent-poutine-924953.html">persistance des menaces de la Russie à l’égard du camp occidental</a>. Ainsi, en déployant des unités aux frontières d’une Russie agressive et en affichant dans le même temps ses dissensions internes, l’OTAN ne fait pas que renforcer sa posture mais prend aussi un risque : <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00396338.2017.1325604 ?journalCode=tsur20">s’exposer à des attaques</a> de basse intensité sur ses effectifs, qui ne rentreraient pas parfaitement dans le cadre de l’article 5 et rendraient, par extension, une réponse très délicate à définir.</p>
<p>Schématiquement, la non-action minerait la crédibilité de l’EFP, et la réplique, même limitée, pourrait être prétexte à l’escalade. À terme, des divisions trop explicites pourraient laisser entrevoir au sein de la politique de dissuasion de l’Alliance des <a href="https://warontherocks.com/2018/06/natos-presence-in-the-east-necessary-but-still-not-sufficient/# :%7E :text=The %20United %20States %20and %20its,Enhanced %20Forward %20Presence %20(EFP).">poches de vulnérabilités</a> qui, si exploitées, pourraient avoir des effets conséquents sur la crédibilité plus large de l’OTAN.</p>
<h2>Une Alliance redynamisée</h2>
<p>En conclusion, s’il paraît clair que le retour de la défense collective au sein de l’OTAN contraste dans sa cohérence avec la gestion de crises, la différence ne doit pas être exagérée. Ces deux piliers de l’Alliance partagent un socle commun en matière de négociations multilatérales. Ils résultent de jeux de compromis entre les États membres et présentent tous deux des limites.</p>
<p>La guerre en Ukraine n’a pas sauvé l’OTAN. Celle-ci n’était tout simplement pas en danger de mort – n’oublions pas que le projet <a href="https://www.nato.int/nato2030/fr/">« OTAN 2030 »</a> naît sur la fin, pourtant peu glorieuse, des opérations en Afghanistan… Toutefois, l’invasion russe a clairement redynamisé l’Alliance.</p>
<p>Les tensions, les compromis et les ambiguïtés font partie de la vie multilatérale de l’OTAN. Il ne faut pas y voir une contradiction, mais plutôt une normalité. La défense collective, tout autant que la gestion de crises, n’échappe pas à cette réalité. En somme, plutôt que d’assister à une nouvelle guerre froide salvatrice pour une Alliance qui aurait été en perte de repères, <a href="https://foreignpolicy.com/2022/06/27/new-cold-war-nato-summit-united-states-russia-ukraine-china/">comme certains le clament trop rapidement</a>, nous sommes les témoins d’une actualisation des logiques d’inimitiés où se mêlent vieilles rivalités interétatiques et perceptions plus mouvantes des risques.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pomarède ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Jugée « en état de mort cérébrale » par Emmanuel Macron en 2021, l’OTAN se trouve aujourd’hui significativement revitalisée par le conflit russo-ukrainien.Julien Pomarède, Docteur et chercheur en sciences politiques et sociales - Sécurité internationale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751092022-01-31T19:07:04Z2022-01-31T19:07:04ZLes alliances dans la grande distribution, un levier de pression sur les fournisseurs à l’efficacité limitée<p>Le modèle de la grande distribution alimentaire semble aujourd’hui en crise. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2016-1-page-99.htm">Trois explications peuvent être avancées</a>. Premièrement, la standardisation de l’offre répond mal à l’évolution des attentes en termes de services et d’expériences, plus personnalisés et digitaux. Deuxièmement, la logique de croissance de la grande distribution physique s’épuise car l’e-commerce ne cesse de prendre des parts de marché (<a href="https://www.fevad.com/wp%20content/uploads/2021/08/FEVAD_CHIFFRES-CLES_complet_vdef.pdf">+ 3,3 points en 2020</a> par rapport à 2019). Enfin, la concurrence par les prix s’est renforcée de manière féroce et la rentabilité des enseignes s’érode.</p>
<p>Pour ralentir la perte de marge, minimiser leurs coûts et faire perdurer leur utilité, les distributeurs mettent alors une pression plus importante sur leurs fournisseurs pour obtenir de meilleurs prix d’achat, notamment lors des négociations commerciales qui se déroulent depuis début décembre et dureront jusqu’à fin février.</p>
<p>Or, un des moyens d’y parvenir consiste à former des alliances aux achats. Soumises à une autorisation préalable de l’Autorité de la concurrence, l’institution gardienne de la structure concurrentielle des marchés, une dizaine de centrales unissant des enseignes concurrentes de la grande distribution française sur l’activité de négociation commerciale ont ainsi été mises en place en depuis 2014.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=187&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=187&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=187&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442739/original/file-20220126-17-ba5tt3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Principales alliances aux achats dans le secteur de la grande distribution française depuis 2014.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteure.</span></span>
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<p>La formation d’une alliance aux achats constitue donc moyen de renforcer une forme de pouvoir en faveur des enseignes et aux dépens des fournisseurs. Cependant, ces alliances apparaissent comme un levier finalement fragile pour établir le rapport de force.</p>
<h2>Performance contestée</h2>
<p>En effet, elles se caractérisent par une <a href="https://www.jstor.org/stable/2640406">instabilité chronique et une performance</a> souvent contestée qui alimentent la recherche depuis plusieurs décennies. Et, si le domaine des achats est souvent considéré comme le champ d’application privilégié de ce type d’alliance pour créer de la valeur, dans ce secteur comme dans d’autres, leur taux d’échec demeure de l’ordre de 50 %.</p>
<p>De nombreux facteurs ont été soulignés pour expliquer cette tendance. Récemment, leur <a href="https://journals.openedition.org/fcs/3368">complexité a notamment été identifiée</a> pour expliquer l’instabilité des alliances en général. Notre travail de <a href="https://chaire-mai.org/blog/2021/11/02/soutenance-de-these-par-anais-boutru-creveuil-le-mardi-9-novembre-2021-a-14h/">thèse</a> permet en outre d’apporter un nouvel éclairage sur les alliances dans les achats et les difficultés rencontrées. Nous mettons en effet en évidence que la négociation commerciale n’est pas une simple transaction, mais une activité dont les dimensions processuelle et sociale nécessitent d’être intégrées à sa compréhension.</p>
<p>Selon la <a href="https://www.researchgate.net/publication/233813173_Les_negociations_commerciales_proposition_d%27une_typologie_Revue_Negociations_20111_33-46">définition</a> du chercheur René Darmon, la négociation commerciale correspond à</p>
<blockquote>
<p>« Un processus impliquant deux ou plusieurs parties qui envisagent la possibilité d’échanger des biens et des services pour une contrepartie généralement financière ; impliquant des risques plus ou moins importants pour chacune d’elles ; les objectifs et les intérêts des parties sont plus ou moins divergents, chacune des parties dispose au moins d’une certaine latitude pour échanger des informations, faire des propositions, accepter ou refuser les propositions de l’autre partie en vue de converger vers un accord pour établir ou maintenir une relation commerciale à court ou à plus long terme, jugée préférable au statu quo par chacune des parties impliquées ».</p>
</blockquote>
<p>En additionnant leurs bases achats, les enseignent cherchent premièrement à faire jouer l’effet volume. Cette stratégie de massification a pour but de négocier, en contrepartie, des réductions de prix additionnelles. La transparence des conditions commerciales des partenaires constitue le second levier.</p>
<p>En effet, si les enseignes concurrentes ne sont autorisées à partager aucune information au sujet de leurs politiques commerciales, elles ont le droit, dans le cadre de ces « super centrales », de comparer leurs niveaux de remises pour tenter de négocier un alignement contractuel et tarifaire (c’est-à-dire les réductions de prix définies par la convention de partenariat annuelle et celles au niveau des prix de chaque produit).</p>
<h2>Liens sociaux</h2>
<p>La négociation commerciale ne se réduit donc pas à l’obtention d’un prix ou d’un contrat. Si l’on peut effectivement distinguer plusieurs types de remises négociables, leur enchevêtrement, leur périmètre d’application et la variété des services rendus en contrepartie constituent un amalgame d’informations que les négociateurs d’une alliance aux achats doivent démêler pour être en mesure d’utiliser les leviers de transparence et de massification. Les échanges de propositions, de contre-propositions des acteurs des différentes parties animent alors ce processus multidimensionnel.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442744/original/file-20220126-19-1c6ec2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La négociation commerciale ne se réduit pas à l’obtention d’un prix ou d’un contrat.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/illustrations/poignée-de-main-mains-hommes-5760544/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La négociation se comprend donc comme une pratique dans laquelle l’historique relationnel des acteurs individuels, la confiance au niveau personnel mais aussi inter-organisationnel et les enjeux de l’interaction sociale sont tout à fait cruciaux. Autrement dit, les liens unissant distributeurs et fournisseurs sont bien sûr économiques (les distributeurs achètent des biens aux fournisseurs pour les revendre aux consommateurs et générer une marge commerciale), mais aussi sociaux.</p>
<p>En effet, considérer la complexité technique et le caractère foncièrement relationnel de la négociation commerciale, l’activité génératrice de synergies dans le cas d’une alliance aux achats, permet de montrer qu’il n’y a pas d’automatisme dans la fixation d’un prix d’achat mais des professionnalismes, ou plutôt des acteurs professionnels qui se rencontrent et décident – ou non – de s’engager dans un projet commercial commun. La négociation, au-delà de l’idée reçue d’un simple rapport de force, constitue justement le moyen de le construire.</p>
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<p><em>Géraldine Schmidt, professeure des Universités en Sciences de Gestion à l’IAE Paris-Sorbonne, a supervisé la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïs Boutru ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les rapprochements entre enseignes ne permettent pas de saisir les dimensions non économiques des négociations annuelles sur les prix.Anaïs Boutru, Docteure en Sciences de gestion et du Management, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1733702021-12-19T21:27:30Z2021-12-19T21:27:30ZPourquoi AUKUS bénéficie avant tout au Royaume-Uni<p>L’alliance AUKUS, réunissant l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, a officiellement vu le jour le 22 novembre 2021, lors d’une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/sous-marins-laustralie-signe-officiellement-le-contrat-avec-la-grande-bretagne-et-les-etats-unis-1365679">cérémonie de signature discrète</a> à Canberra, environ deux mois après l’annonce publique et spectaculaire de l’accord par les dirigeants des trois pays concernés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS : la France, grande perdante du duel américano-chinois</a>
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<p>Dans l’intervalle, une avalanche d’analyses s’est concentrée sur les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-sous-marins-nucleaires-sont-un-choix-militaire-judicieux-pour-laustralie-face-a-la-chine-168202">aspects stratégiques et géopolitiques</a> de cette entente pour l’Australie et les États-Unis, tendant à minimiser ses dynamiques politiques et économiques.</p>
<p>Sans entrer dans le détail des considérations intérieures qui ont poussé l’équipe au pouvoir à Canberra à signer AUKUS, rappelons que, selon de <a href="https://www.roymorgan.com/findings/8862-federal-voting-intention-november-2021-202111250505">récents sondages</a>, le premier ministre actuel, Scott Morrison, et sa coalition de centre droit, du Parti libéral et du Parti national, risquent d’être battus aux élections législatives fédérales prévues entre mars et juin 2022. Dès lors, il est certainement dans son intérêt de mettre en place ce que les Australiens appellent un environnement d’<a href="https://www.crikey.com.au/2021/11/24/khaki-election/">« élections kaki »</a>, où les procès en patriotisme éclipsent les débats politiques sérieux. D’où la tentative de Peter Dutton, l’actuel ministre australien de la Défense, de <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/embarrassing-dutton-accuses-labor-of-walking-away-from-aukus-defence-pact-20211123-p59bfy.html">dépeindre</a> toute remise en question de l’AUKUS comme une forme de complaisance envers la Chine.</p>
<h2>Les bénéfices américains</h2>
<p>Pour les États-Unis, hormis l’importance symbolique de l’accord, les avantages stratégiques d’AUKUS sont en réalité modestes. Cet accord a seulement permis d’entériner encore davantage le fait que leur partenaire historique australien – l’Australie est le seul pays à avoir été impliqué dans toutes les guerres, des plus justifiées aux plus douteuses, auxquelles Washington a pris part depuis 1917 – était complètement à leurs côtés dans leur affirmation comme grande puissance.</p>
<p>AUKUS vient s’ajouter à plusieurs alliances existantes réunissant les deux pays : ANZUS, qui les lie entre elles et avec la Nouvelle-Zélande, et dont on vient de célébrer le <a href="https://www.smh.com.au/national/on-the-anniversary-of-anzus-there-s-good-news-20210828-p58mr9.html">soixante-dixième anniversaire</a> ; le dispositif de partage de renseignements <a href="https://ras-nsa.ca/fr/publication/comprendre-lalliance-des-cinq-yeux-five-eyes/">Five Eyes</a> (qui date de la Seconde Guerre mondiale et rassemble les États-Unis, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni) ; et le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité, ou Quad, au sein duquel on retrouve les États-Unis, l’Australie, l’Inde et le Japon, qui a été créé en 2007 et récemment <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-quad-une-autre-alliance-ravivee-pour-contrer-la-chine-1349475">ravivé</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1384982702672252935"}"></div></p>
<p>Plus concrètement, le fait de disposer dans les années 2040, à travers la flotte sous-marine australienne, d’une force auxiliaire de l’US Navy de quelque huit sous-marins nucléaires dans la mer de Chine méridionale constitue pour Le Pentagone un avantage stratégique réel, bien que marginal : la marine américaine possède plus que 70 sous-marins de propulsion nucléaire.</p>
<p>Quant aux avantages économiques, soulignons d’abord qu’il est peu probable que les sous-marins soient construits aux États-Unis. Pour deux raisons.</p>
<p>D’une part, en l’état actuel des choses, les chantiers navals américains ont déjà des carnets de commandes bien remplis pour les prochaines décennies, puisqu’ils produisent des navires en bien plus grand nombre pour l’US Navy (dont l’équipement est évidemment prioritaire).</p>
<p>D’autre part, les exigences australiennes semblent porter sur un sous-marin de chasse et de combat plus petit que ceux produits pour l’USN, plutôt similaire à la <a href="https://www.agasm.fr/lancement-du-5eme-sous-marin-dattaque-de-la-royal-navy-de-la-classe-astute/">classe Astute</a> existante dans la Royal Navy britannique. Ceux-ci nécessitent des équipages moins importants (100 sous-mariniers) que ceux de l’actuelle <a href="https://www.agasm.fr/les-sous-marins-de-la-classe-virginia-de-lus-navy-obtiendront-76-de-puissance-de-feu-en-plus/">classe Virginia</a> de l’US Navy (plus de 130 membres). Surtout, les sous-marins de la classe Virginia, dont le coût unitaire est de 3,34 milliards de dollars, sont également un tiers plus chers que les sous-marins britanniques de la classe Astute (2,19 milliards de dollars).</p>
<p>En outre, les fabricants américains (comme <a href="https://www.lockheedmartin.com/en-us/news/features/history.html">Lockheed Martin</a>) devaient déjà fournir les systèmes d’armes pour les douze sous-marins prévus dans le cadre du projet avorté avec le français <a href="https://www.naval-group.com/fr/naval-group">Naval Group</a>. Ils le feront très probablement pour les huit navires prévus dans le cadre d’AUKUS. Les entreprises américaines bénéficieront toutefois plus pleinement d’autres aspects de l’arrangement AUKUS, avec le développement et la fabrication d’armements de haute technologie.</p>
<p>Toutefois, ces accords de coopération étaient déjà bien engagés avant l’annonce d’AUKUS et avaient été préfigurés par de nombreuses réunions bilatérales Australie/États-Unis. Par exemple, l’emblématique drone de combat <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/guerre-futur-boeing-loyal-wingman-drone-combat-pilote-ia-prend-son-envol-86154/">Loyal Wingman</a>, développé par une filiale de Boeing en Australie, a effectué son premier vol en février de cette année.</p>
<p>Ainsi, en termes économiques, le principal bénéficiaire d’AUKUS n’est pas Washington. Il s’agit en fait de Londres, dont, de manière assez surprenante, le rôle et, surtout, les intérêts économiques comme diplomatiques dans cette affaire n’ont que peu été examinés.</p>
<h2>Pour le Royaume-Uni, un bon coup diplomatique…</h2>
<p>Le Royaume-Uni n’a pratiquement pas souffert des remous diplomatiques qui ont suivi l’annonce de la naissance d’AUKUS 16 septembre. Par exemple, alors que Paris a <a href="https://fr.euronews.com/2021/09/18/aukus-paris-rappelle-ses-ambassadeurs-en-australie-et-aux-etats-unis">rappelé ses ambassadeurs de Canberra et de Washington</a>, celui de Londres est resté en place.</p>
<p>À l’époque, cela a été interprété comme une manière subtile de minimiser l’importance du Royaume-Uni. Peut-être aussi, étant donné l’état déplorable des relations franco-britanniques dans le contexte du Brexit, a-t-il pu sembler peu utile d’ajouter cette alliance à une liste déjà longue de sujets litigieux.</p>
<p>La plupart des commentateurs ont, pour l’essentiel, souligné la valeur symbolique que revêt pour Londres la signature d’AUKUS. Certains ont évoqué le retour d’une sorte d’anglosphère faisant écho à la <a href="https://www.cbsnews.com/news/d-day-anniversary-inside-the-special-relationship-between-roosevelt-and-churchill-during-world-war-ii/">camaraderie entre Churchill et Roosevelt</a>, voire un retour de l’Empire britannique dans l’Indo-Pacifique. D’autres y ont vu l’illustration des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Sous-marins-australiens-Londres-conforte-strategie-Global-Britain-2021-09-21-1201176498">ambitions mondiales retrouvées du Royaume-Uni de l’après-Brexit</a>, qui redevenait un acteur majeur dans la région indopacifique presque 60 ans après le retrait de l’est de Suez.</p>
<p>Un aspect sécuritaire important a été totalement négligé : AUKUS constitue pour le Royaume-Uni une incitation supplémentaire à ne pas renoncer à sa souveraineté contestée sur <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/chagos">l’archipel des Chagos</a>, dans l’océan Indien. Ceux-ci constituent depuis 1965 le Territoire britannique de l’océan indien (BIOT) et Londres tire quelques revenus de licences de pêche et de redevances sur la <a href="http://www.domaine.info/actualites/article/le-gouvernement-britannique">vente du nom de domaine Internet « io »</a>, (qui correspond à « Indian Ocean » et qui est très recherché par les start-up car l’abréviation est la même pour le terme « input-output », qui désigne la communication entre un ordinateur et le monde extérieur). Mais la Cour internationale de justice a statué en février 2019 que les îles devaient être <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/maurice-onu-reintegre-archipel-chagos-est-mauricien-836354.html">restituées à l’île Maurice</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-Bpk_2m_Ke0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Histoire – L’archipel des îles Chagos, revendiqué par l’île Maurice et le Royaume-Uni, TV5 Monde, 9 octobre 2018.</span></figcaption>
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<p>En 1966, le Royaume-Uni a accordé aux États-Unis un bail de 50 ans pour créer une <a href="https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/ocean-indien-biot-diego-garcia-une-base-aeronavale-geostrategique-pour-les-etats-unis">base aérienne et navale à Diego Garcia</a>, la plus grande et, à l’époque, seule île habitée du BIOT. Ce bail a été prolongé jusqu’en 2036.</p>
<p>En tant qu’avant-poste stratégique le plus important des États-Unis dans l’océan Indien, Diego Garcia est d’une importance cruciale pour la projection de la puissance américaine, ce qui justifie <a href="http://www.lexoi.fr/index.php?id=7543">l’investissement de quelque 3 milliards de dollars</a> dans la base.</p>
<p>L’île Maurice a proposé de louer l’île aux États-Unis sur la base d’un bail de 99 ans à un coût et à des conditions qui restent à déterminer. Le maintien du statu quo serait donc non seulement moins cher et moins contraignant pour les États-Unis, mais il permettrait aussi aux Britanniques, dans le cadre de l’AUKUS, de déployer sans entrave leurs propres navires de guerre dans la zone.</p>
<p>Dans la perspective de la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Le-Global-Britain-monde-fantasme-Boris-Johnson-2021-04-27-1201152892">stratégie Global Britain</a> lancée par Boris Johnson, le timing n’est pas sans importance. L’annonce d’AUKUS a été faite précisément à la veille de la présentation au Parlement européen par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, d’un document d’orientation majeur (d’inspiration franco-allemande) à propos de la <a href="https://ecfr.eu/paris/publication/la-vision-europeenne-de-lindopacifique/">stratégie de l’UE pour l’Indo-Pacifique</a>. La naissance d’AUKUS a éclipsé toute tentative d’affirmation de la politique étrangère européenne, ce rapport ayant été largement ignoré dans le vacarme médiatique.</p>
<h2>… et une belle opportunité économique</h2>
<p>Pourtant, au-delà de certaines préoccupations stratégiques et symboliques, l’importance d’AUKUS pour la Grande-Bretagne se situe ailleurs.</p>
<p>Un <a href="https://www.iiss.org/blogs/military-balance/2021/09/aukus-plotting-australias-new-submarine-course">article récent</a> situe la genèse de l’accord dans une demande faite par le chef de la Royal Australian Navy à son homologue britannique. Celle-ci est logique : historiquement, la flotte sous-marine australienne a toujours été dépendante de l’expertise de la Royal Navy, au sein de laquelle un certain nombre de ses officiers supérieurs sont recrutés.</p>
<p>Mais au-delà des questions de pratiques militaires et navales partagées, les Britanniques semblent avoir saisi l’opportunité AUKUS pour des raisons très rationnelles.</p>
<p>À un niveau stratégique pratique, AUKUS permettra à Londres de baser ses propres sous-marins à propulsion nucléaire en Australie de manière plus permanente. Cela permettrait au pays d’avoir une présence navale plus soutenue dans la région indopacifique, plutôt que de devoir passer par des campagnes de déploiement éphémère, comme c’est le cas actuellement, d’un groupe naval autour du navire amiral de la Royal Navy, le HMS Queen Elisabeth.</p>
<p>Néanmoins, le bénéfice le plus important de l’accord AUKUS pour Londres se trouve du côté de son complexe militaro-industriel. Deux jours à peine après l’annonce d’AUKUS, le gouvernement britannique a attribué deux premiers contrats à <a href="https://www.reuters.com/world/uk/bae-systems-says-ready-support-new-us-uk-australia-defence-partnership-2021-09-16/">BAE Systems</a> et <a href="https://www.crumpe.com/2021/09/rolls-royce-en-tete-des-gagnants-de-londres-sur-laccord-sur-les-sous-marins-nucleaires-australiens/">Rolls Royce</a> pour la conception initiale d’une nouvelle génération de sous-marins nucléaires destinés à la Royal Navy. Le partage des coûts de conception avec un partenaire-client fiable, à savoir l’Australie, est un choix industriel très judicieux, d’autant plus que BAE Systems y est déjà très présent.</p>
<p>Compte tenu des questions de spécifications techniques et de capacités industrielles mentionnées ci-dessus, il semblerait, par défaut du moins, que la majeure partie de la production se ferait au Royaume-Uni. Cela impliquerait manifestement un niveau de production locale à Adélaïde inférieur à celui prévu par le contrat avec les Français.</p>
<p>En outre, les sous-marins prévus pour l’Australie, qui n’ont pas encore été conçus, entreraient en service à la fin des années 2030 ou au début des années 2040, soit au même moment que les nouveaux sous-marins britanniques. Soit une décennie après la prochaine génération de sous-marins nucléaires américains d’attaque et après l’entrée en service initialement prévue des sous-marins à propulsion conventionnelle envisagés dans le contrat avec les chantiers français…</p>
<p>Ainsi, une motivation majeure pour le Royaume-Uni provient des économies d’échelle que le pays va pouvoir réaliser.</p>
<p>Au-delà de cette logique industrielle compréhensible, des préoccupations électorales britanniques sous-tendent également l’annonce d’AUKUS.</p>
<p>Dans sa courte <a href="https://www.gov.uk/government/speeches/pm-statement-on-aukus-partnership-15-september-2021">déclaration du 15 septembre</a> avec le président américain et son homologue australien, Boris Johnson a insisté sur les emplois qui seraient créés dans son pays – d’après lui, essentiellement dans les circonscriptions pauvres et pro-Brexit du nord de l’Angleterre qui ont basculé vers les conservateurs lors des élections de 2019, mais qui ne peuvent être considérées comme des territoires définitivement acquis par le parti.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/boris-johnson-et-la-bataille-du-nord-de-langleterre-152330">Boris Johnson et la bataille du nord de l’Angleterre</a>
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<p>Cette convergence de facteurs sécuritaires, stratégiques, diplomatiques, économiques et électoraux suggère donc que le Royaume-Uni est le plus grand bénéficiaire de l’accord AUKUS. Les avantages supplémentaires pour les États-Unis sont mineurs par rapport à ceux dont ils bénéficient déjà dans le cadre de leurs accords d’alliance existants avec les deux pays. Toutefois, la question de savoir si un accord d’une telle ampleur et d’un tel coût est dans l’intérêt de la sécurité de l’Australie reste ouverte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173370/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Camroux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les analyses s’intéressant à l’alliance AUKUS se sont concentrées sur l’Australie et les États-Unis, négligeant le Royaume-Uni, qui pourrait en fait en être le principal bénéficiaire.David Camroux, Senior Research Associate (CERI) Sciences Po; Professorial Fellow, (USSH) Vietnam National University, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1679262021-09-23T20:18:37Z2021-09-23T20:18:37ZIl n’y aura pas d’Europe verte sans politique industrielle à Bruxelles<p>L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Elle ne peut espérer les atteindre sans une politique industrielle d’une même ambition. Drôle de thèse ! N’est-ce pas l’industrie qui pollue et s’active pour défendre ses intérêts dans les couloirs de la Commission européenne ? Et puis, les politiques industrielles se décident à Paris, Rome ou Berlin. Est-ce l’affaire de Bruxelles ? Ne fleurent-elles pas bon aussi la planification bureaucratique et le protectionnisme économique ? Les tentatives de la Commission de créer des Airbus de tous poils – des batteries pour véhicules électriques à l’avion zéro carbone en passant par l’hydrogène propre – ne sont-elles pas dès lors inévitablement vouées aujourd’hui à l’échec ? Eh bien non !</p>
<p>Il est difficile de saisir l’ampleur des transformations industrielles qu’exige le passage à une économie européenne complètement décarbonée pour le milieu du siècle. Déjà, l’étape intermédiaire en 2030, qui prévoit une réduction de 55 % des émissions de carbone (par rapport au niveau de 1990), suppose des mouvements tectoniques. Imaginez un parc de véhicules pour moitié fabriqués sans moteur thermique contre environ 1 % aujourd’hui. Imaginez encore des usines d’aluminium, d’acier ou d’ammoniac passées à l’électricité ou à l’hydrogène verts. Vous n’y arrivez pas ? Disons alors qu’il faudrait <a href="https://confrontations.org/pdeweverconfrontations-org/hydrogene-pour-quoi-faire-et-pourquoi-faire/">5 réacteurs nucléaires ou 10 000 éoliennes</a> pour remplacer seulement le dihydrogène produit à partir de produits pétroliers ou de charbon et utilisé aujourd’hui en France par l’industrie. Si j’alignais les <a href="https://ecipe.org/publications/eu-green-deal/">centaines de milliards d’euros d’investissements supplémentaires nécessaires</a> pour la seule augmentation de l’objectif à atteindre en 2030 qui a été décidée cet été (de 47 à 55 % de réduction), cela ne vous parlerait sans doute pas plus.</p>
<h2>Emplois en moins</h2>
<p>Oublions donc les chiffres un instant et rappelons-nous des révolutions industrielles de nos manuels scolaires d’histoire, qualifiées de première et de seconde, ou plus joliment nommées de la machine à vapeur et de l’électricité. Eh bien, décarboner l’économie revient à réaliser intentionnellement une révolution industrielle et lui fixer en plus une date butoir. Une date très proche de surcroît puisque nous nous laissons maintenant un peu moins de 30 ans pour accomplir ce tour de force.</p>
<p>La référence à la notion de révolution industrielle permet également de prendre conscience de la déflagration destructrice qui l’accompagne : pas de révolution industrielle sans élimination de pans entiers d’activités, de technologies dépassées et de compétences et métiers devenus inutiles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de l’emploi après l’abandon du programmé du charbon en Allemagne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0360544220301110">Coal phase-out in Germany: Implications and policies for affected regions (2020).</a></span>
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<p>Pour rester dans la tonalité historique et offrir un seul exemple prenons celui de l’abandon programmé du charbon et du lignite en l’Allemagne. Il revient à déclasser une technologie qui représente plus du quart de la production d’électricité du pays, entraîne une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0360544220301110">perte de 200 000 emplois directs</a>, en particulier du secteur minier, et retire plusieurs milliards d’euros de valeur ajoutée à l’économie de trois petites régions.</p>
<p>Il convient donc d’accompagner cette nouvelle révolution d’aides publiques massives à la reconversion des personnes, des entreprises et des territoires condamnés au déclin. L’Union européenne l’envisage déjà à travers le <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal/finance-and-green-deal/just-transition-mechanism_fr#qui-en-bnficiera">Fonds pour une transition juste</a> destiné aux régions et secteurs à forte intensité de carbone. Ce volet social et économique, essentiel pour limiter les effets négatifs considérables de la transition, ne doit cependant pas être vu comme un pilier central de la politique industrielle verte. Il n’en est même pas une composante dès lors que l’on en adopte une définition resserrée, à savoir une intervention publique ciblée sur des technologies et des secteurs pour accroître leur rôle dans l’économie de demain ainsi que la productivité, le moteur de sa croissance.</p>
<p>En d’autres termes, la politique industrielle vise à orienter le système productif <a href="https://academic.oup.com/wbro/article-abstract/21/2/267/1682363">vers des activités qui offrent les meilleures perspectives</a>. Il ne faut pas la comprendre comme l’ensemble des actions de l’état qui affectent l’industrie et les entreprises et inclurait donc la taxation des profits ou la politique de concurrence. Dans le jargon économique, ces interventions sont dites horizontales car elles affectent toutes les entreprises et industries, tandis que la politique industrielle est sélective parce que centrée sur certaines d’entre elles. Elle est verticale.</p>
<h2>Pas de boules de cristal fiables…</h2>
<p>Sur le plan théorique, la politique industrielle ne manque pas de justifications économiques. Le changement structurel d’un système productif se heurte en effet à de nombreux effets externes qui freinent et rendent moins efficaces les initiatives privées. Les principaux concernent les retombées de l’innovation et les bénéfices de la coordination. Les innovations sont souvent utiles à d’autres entreprises que les pionnières et même à d’autres industries que celles où elles sont nées.</p>
<p>Ces bénéfices n’entrant pas dans la poche des innovateurs, le niveau d’investissement dans les nouvelles techniques pour les inventer, les développer ou encore les déployer sera insuffisant par rapport aux besoins de la société. De même lorsqu’une entreprise investit dans telle zone ou dans tel segment d’activité, d’autres vont en profiter, et ce manque à gagner individuel pénalisera la constitution d’écosystèmes industriels cohérents et efficaces. La politique industrielle sert à pallier de telles externalités.</p>
<p>Cette légitimation n’empêche pas des prises de position défavorables à l’idée même de politique industrielle, y compris de <a href="https://editions.flammarion.com/10-idees-qui-coulent-la-france/9782081334946">la part de nombreux économistes</a>. Elles trouvent leur source dans des obstacles à sa mise en œuvre, jugés rédhibitoires : faute des bonnes informations et de boules de cristal fiables, la puissance publique est incapable de sélectionner les technologies de demain ainsi que les entreprises qui en seront les futures championnes ; elle devient dès lors la proie rêvée des lobbies les plus puissants et aide finalement ceux qu’il ne faut pas. La meilleure politique industrielle serait alors de ne pas en avoir.</p>
<p>Cette vision d’un remède pire que le mal est de moins en moins partagée, même <a href="https://www.bruegel.org/2011/06/rethinking-industrial-policy/">parmi les économistes</a>, car les gouvernements adoptent des approches nouvelles et <a href="https://drodrik.scholar.harvard.edu/files/dani-rodrik/files/rebirth_of_industrial_policy_and_an_agenda_for_the_21st_century.pdf">plus avisées</a> : transparence des discussions, approfondissement des motivations, suivi et contrôle des aides, évaluation d’étape, clause d’extinction, ou encore subvention remboursable sont devenues choses courantes.</p>
<p>La politique industrielle verte s’inscrit dans ce cadre général, même si elle connaît <a href="https://drodrik.scholar.harvard.edu/files/dani-rodrik/files/green_industrial_policy.pdf">quelques particularités</a>. En premier lieu, d’autres externalités les justifient. Il s’agit principalement de l’absence d’un prix du carbone suffisamment élevé et d’une visibilité sur sa trajectoire future. En second lieu, elle concerne un ensemble technologique et industriel très large : du secteur de l’énergie (infrastructures, production, services) en passant par les activités de l’économie circulaire et de la gestion de l’eau jusqu’aux industries qui sont obligées de verdir leurs procédés et leurs produits (chimie, automobile, transport aérien, etc.). En troisième lieu, elle doit permettre de réaliser des gains de productivité y compris en capital naturel, c’est-à-dire en économisant les ressources naturelles.</p>
<p>Les premiers penseurs de l’économie, les physiocrates, considéraient seule la Terre comme facteur de production de richesse ; leurs successeurs uniquement le travail et le capital. L’état de la planète exige d’ajouter le facteur Terre, mais cette fois comprenant aussi bien l’atmosphère et l’océan que le sol nécessaire à la production agricole. Ces ressources étant le plus souvent d’accès peu restreint et exploitables à bon marché, tout l’enjeu des politiques climatiques est d’en réduire l’accès et d’en renchérir l’utilisation pour inciter à les économiser. Mais elles doivent s’accompagner de politiques industrielles pour y parvenir plus vite et de façon plus efficace, et surtout sans que ces gains soient obtenus par pure substitution en utilisant plus de capital et plus de travail.</p>
<p>J’espère vous avoir éclairé sur le bien-fondé des politiques industrielles et la pertinence d’en lancer des vertes mais reste alors la question de l’implication de Bruxelles. L’Union européenne n’est pas un État souverain et la politique industrielle n’est pas de son ressort, contrairement, par exemple, à la politique de concurrence. La Commission a pourtant pris début 2020 une série d’initiatives, un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_416">« paquet de politique industrielle »</a> dans le jargon bruxellois qui comprend explicitement un volet pour aider la transition verte. Il contient une série d’objectifs, comme la création de marchés porteurs pour les technologies propres, ainsi qu’une série de programmes d’action dans certains domaines à l’instar de <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0102&from=EN">celui de l’acier zéro carbone</a>. Dans le cadre du plan de relance post-Covid (750 milliards d’euros sur 2021-2024), l’UE a également requis que près du tiers soit consacré à des investissements verts.</p>
<p>Ces exemples illustrent bien l’un et l’autre <a href="https://www.bruegel.org/wp-content/uploads/2020/12/Bruegel_Blueprint_31_Complete_151220.pdf">deux façons d’agir</a> au niveau européen, soit classiquement par une politique verticale, soit en « verticalisant » une politique horizontale. Pour cette dernière, citons aussi le fléchage du programme de R&D européen à hauteur de 35 % de son budget pour les travaux liés à la conservation de la planète et son climat.</p>
<h2>Stratégie d’alliance</h2>
<p>On aurait pu aussi mentionner le Semestre européen, instance de discussion et de coordination des politiques nationales et son agenda sur les politiques industrielles vertes. Pour la première façon d’agir, développons le cas des alliances. Il porte sur l’instrument le plus spécifique et novateur de la politique industrielle européenne ainsi que le plus emblématique de son volet vert. La première du genre, <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2021/02/OSFME-R6-Lalliance-europ%C3%A9enne-des-batteries.pdf">« l’Airbus des batteries »</a> en langage journalistique, a été lancée en 2017. Elle a depuis été suivie par la création d’alliances industrielles dans <a href="https://ec.europa.eu/growth/industry/policy/industrial-alliances_en">l’économie circulaire des plastiques, des matières premières et de l’hydrogène propre</a>.</p>
<p>Le principe des alliances est de constituer des chaînes de valeur transnationales en favorisant la création de consortiums européens. Elles mettent en réseau les acteurs privés et publics, les laboratoires et entreprises impliquées dans les différents stades de l’innovation ainsi que les entreprises intervenant aux différentes étapes de la chaîne de valeur.</p>
<p>L’alliance des batteries pour les véhicules électriques réunit ainsi dans une communauté de la connaissance et de l’innovation près d’un demi-millier de participants. Cet instrument original de politique industrielle ne propose pas de financement mais il ouvre les portes pour en obtenir via le dépôt de projets d’intérêt européen commun et la Banque européenne d’investissement.</p>
<p>C’est astucieux, car l’absence de guichet attitré permet de limiter le lobbying des chasseurs de subvention et facilite ainsi la formation de consortiums pertinents sur le plan des complémentarités techniques et industrielles. En outre, la perspective d’obtenir des fonds dans un second temps augmente les incitations des entreprises à se découvrir, s’échanger des informations, se réunir et élaborer des projets communs innovants et risqués.</p>
<p>Les projets de l’alliance des batteries bénéficient aujourd’hui d’un engagement de 20 milliards d’euros de financement, dont 6 d’aide publique. Celle-ci provient essentiellement des pays membres et la Commission s’est assurée que ces aides d’État étaient bien compatibles avec le maintien d’une concurrence loyale sur le marché européen.</p>
<p>La jeunesse des alliances industrielles rend difficile leur évaluation empirique en particulier la mesure de leur efficacité. Il me semble cependant que le succès devrait être aux rendez-vous. Elles correspondent en effet à l’approche nouvelle de la politique industrielle et leurs premiers résultats en matière de coordination et de diffusion des connaissances sont encourageants.</p>
<p>Les alliances industrielles illustrent plus largement l’intérêt de l’implication de l’Union européenne en matière de politique industrielle en général, et verte en particulier : elle permet de coordonner les politiques nationales, de limiter une compétition stérile entre les États à coup de subventions au détriment des voisins, tout en tirant bénéfice d’une émulation entre pairs, et d’inciter au développement de relations pan-européennes entre entreprises.</p>
<p>La politique industrielle verte fait le pari que l’industrie, bien que faisant partie du problème, est aussi une partie de la solution. L’Europe l’a compris et son implication en la matière est nécessaire pour espérer atteindre les objectifs climatiques ambitieux qu’elle s’est fixés.</p>
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<p><em>François Lévêque vient de publier chez Odile Jacob <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">« Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global ? »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167926/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’économie actuelle demande une transformation une telle ampleur que la coordination apparaît indispensable – au risque de manquer les objectifs qui ont été fixés.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1663582021-08-18T18:47:40Z2021-08-18T18:47:40ZLeçons afghanes pour la France et pour le monde<p>Le président Emmanuel Macron a souhaité réagir aux événements de Kaboul par une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/08/17/accueil-de-refugies-afghans-le-discours-d-emmanuel-macron-indigne-la-gauche-la-france-n-a-pas-du-tout-a-rougir-selon-l-elysee_6091671_823448.html">brève allocution télévisée</a> le 16 août à 20h, comme il l’avait déjà fait sur quelques sujets internationaux (par exemple après <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/envahissement-du-capitole-emmanuel-macron-appelle-a-ne-rien-ceder-face-a-la-violence-de-quelques-uns-contre-les-democraties_4247731.html">l’attaque du Capitole</a> à Washington par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021).</p>
<p>Après <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/08/06/declaration-du-president-emmanuel-macron-a-son-arrivee-au-liban-deux-jours-apres-lexplosion-au-port-de-beyrouth">l’explosion de Beyrouth l’année dernière</a> (4 août 2020), c’est la deuxième intervention estivale forte pour le locataire de l’Élysée. L’accent a été mis sur les préoccupations les plus immédiates, et sur les mesures à prendre rapidement : <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210817-afghanistan-le-rapatriement-des-ressortissants-fran%C3%A7ais-et-%C3%A9trangers-de-kaboul-a-d%C3%A9marr%C3%A9">au matin du 17 août 2021</a>, un Airbus A400M français et des forces spéciales arrivaient à Kaboul pour assurer des évacuations.</p>
<p>Mais au-delà de l’urgence, comme l’a laissé entendre – pour l’instant à demi-mot – l’allocution présidentielle, une réflexion plus profonde s’impose. D’abord, sur les leçons atlantiques à tirer de la défaite afghane. Ensuite, dans une perspective stratégique plus globale encore, sur notre rapport à la guerre, à l’intervention militaire, à notre action extérieure.</p>
<h2>Impératifs pour la France</h2>
<p>La priorité immédiate va bien entendu à la protection des ressortissants français, étendue par Emmanuel Macron à celle des Afghans qui ont travaillé pour la France. Les scènes de chaos retransmises ces dernières heures mettent la logistique à rude épreuve, font craindre pour la sécurité de tous, et placent l’ambassade de France (transférée à l’aéroport) dans l’état de tension que l’on imagine.</p>
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<p>Autre impératif : ne pas laisser l’Afghanistan redevenir (comme avant septembre 2001) un sanctuaire à partir duquel des opérations terroristes pourraient se préparer, ou des groupes violents, s’entraîner. Sur ce point, naturellement, rien ne permet d’obtenir la moindre garantie. Les talibans n’ont pas nécessairement intérêt à prendre de front la puissance américaine, qui depuis vingt ans n’a pas faibli, et s’est même étoffée de techniques de frappe à distance plus sophistiquées, notamment du fait de l’usage de drones. Ils chercheront pour l’heure à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/burqa-non-obligatoire-amnistie-generale-les-talibans-tentent-de-rassurer-apres-leur-prise-du-pouvoir-en-afghanistan_4740435.html">rassurer</a>, évidemment à durer, et peut-être à développer une expérience de pouvoir religieux moins autarcique qu’il y a deux décennies. Mais avec le temps, et compte tenu des divergences possibles entre différents clans, tout peut arriver, sans que la France, seule, y puisse grand-chose.</p>
<p>Enfin, l’anticipation d’une <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3104351-20210817-afghanistan-europe-va-vraiment-voir-arriver-flux-migratoires-importants">possible poussée migratoire</a> a été mentionnée. Les scènes de panique montrent qu’un exil afghan ira bien au-delà des fuites des cerveaux. Des flux sont attendus, avec les multiples <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Quand-migrants-servent-darme-diplomatique-2021-08-18-1201171206">manipulations interétatiques</a> qui accompagnent généralement ces phénomènes. Après l’épisode syrien de 2015, et les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/allemagne-ultimatum-pour-angela-merkel-sur-les-migrants-1293359">difficultés</a> rencontrées par Angela Merkel dans son approche à la fois humaniste et rationnelle de cette crise migratoire, nous savons que, en la matière, la marge de manœuvre des dirigeants occidentaux est étroite.</p>
<h2>Réflexions atlantiques</h2>
<p>Le dossier afghan pose une fois de plus la question de la vocation de l’Alliance atlantique.</p>
<p>Quelques minutes après l’allocution d’Emmanuel Macron, Joe Biden <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/video-afghanistan-le-president-joe-biden-assume-le-retrait-des-troupes-americaines-malgre-l-arrivee-au-pouvoir-des-talibans_4739609.html">s’est exprimé</a>. Un discours dur, attribuant la responsabilité de la situation à un gouvernement et à une armée d’Afghanistan incapables de faire face aux talibans malgré deux décennies de copieuses aides américaines. Un discours déterminé à sortir l’Amérique de guerres jugées désormais inutiles. Un discours à la fois franc et cynique, renonçant à faire le bonheur des autres malgré eux, ou contre le cours des événements. Un discours explicable du point de vue de <a href="https://www.thechicagocouncil.org/commentary-and-analysis/blogs/us-public-supports-withdrawal-afghanistan">l’opinion américaine</a>, et logique au regard du recentrage diplomatico-militaire de Washington sur l’Asie-Pacifique et sur sa compétition avec Pékin. Mais un discours inquiétant aux yeux des opinions alliées, submergées d’images, de nouvelles ou de rumeurs dramatiques venues d’Afghanistan.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1427507764490907650"}"></div></p>
<p>Au vu de leur départ précipité d’Afghanistan et de l’abandon de leurs anciens alliés locaux qui leur est reproché, les États-Unis peuvent-ils encore prétendre que les garanties de sécurité qu’ils fournissent sont solides et que leur parole est fiable ?</p>
<p>Cette question s’était déjà posée avec acuité sous Obama, lorsque celui-ci <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/01/01003-20130901ARTFIG00018-le-volte-face-de-barack-obama-sur-la-syrie.php">refusa de s’engager en Syrie</a> comme le souhaitait la France, puis regretta publiquement d’avoir suivi Paris en Libye. Sous Donald Trump, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/labandon-des-kurdes-par-trump-pire-quun-crime-une-faute-1139725">l’abandon des forces kurdes</a> qui avaient aidé à combattre l’État islamique, et le feu vert donné par Washington à la Turquie pour les pourchasser, avaient également posé la question de la confiance à investir dans la parole d’une Amérique qui se réserve le droit de changer de priorités.</p>
<p>Or Biden a été clair : plus question de se disperser en Afghanistan à l’heure où la Chine menace. Quid, alors, de l’Ukraine, du Sahel ou du Proche-Orient ? En Asie, Pékin surfe sur cette aubaine, et <a href="https://www.letemps.ch/monde/chine-utilise-chaos-afghanistan-avertir-taiwan">avertit Taipei</a> : que ferez-vous le jour où l’Amérique vous lâchera, vous aussi ? Argument fallacieux dans la mesure où il n’existait pas de traité d’alliance entre les États-Unis et la population afghane, ni d’ailleurs, à l’époque, syrienne. Il existe en revanche des traités ou des garanties actées ailleurs, que Washington aura à cœur d’honorer, pour sa crédibilité stratégique. Mais psychologiquement, l’argument a de quoi ébranler.</p>
<p>Ailleurs au sein de l’OTAN, on scrutera les nuances exprimées entre alliés, et surtout la posture turque. Au-delà, il sera intéressant de suivre l’attitude saoudienne ou émiratie, sans parler bien sûr du Pakistan. Et que fera l’Inde ? La chute de Kaboul peut générer une redistribution des loyautés dans les jeux d’alliances que l’Amérique tente de mettre en œuvre contre son nouveau <em>peer competitor</em>.</p>
<h2>Réflexions stratégiques</h2>
<p>Mais la dureté du discours du 46<sup>e</sup> président des États-Unis pose une autre question encore : celle de l’engagement extérieur des démocraties pour la stabilité d’une région ou la reconstruction d’un État.</p>
<p>Le fiasco afghan (retour au pouvoir quasi immédiat de ceux-là mêmes que l’on a voulu chasser vingt ans et quelques trillions de dollars plus tôt) signe la fin d’une époque : celle, ouverte par la fin de la guerre froide puis poussée à l’absurde par l’administration néoconservatrice de George W. Bush dans les années 2000, où l’Occident espérait remodeler des sociétés, refaire les cartes du monde, superviser l’instauration des bons régimes politiques chez les autres.</p>
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<p>Les multiples partenariats – aux tonalités souvent paternalistes, et soumis à des conditions vexantes – avec la nouvelle Russie ont favorisé un sentiment d’humiliation <a href="https://theconversation.com/the-wild-decade-how-the-1990s-laid-the-foundations-for-vladimir-putins-russia-141098">exploité ensuite par Vladimir Poutine</a>. Après des années d’engagement de la Chine dans le circuit commercial international, Xi Jinping renforce le dogme marxiste-léniniste et exploite l’ouverture commerciale <a href="https://www.wsj.com/articles/xi-jinping-globalist-autocrat-misread-11608735769">tout en refermant le jeu politique</a>. Les contrôles sourcilleux et parfois arrogants de l’Union européenne pour vérifier que la Turquie avançait correctement sur la voie tracée pour elle afin d’être digne de voir sa candidature examinée avec bienveillance (ce qu’elle ne fut jamais réellement), ont préparé le terrain à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ou-va-le-monde-pierre-beylau/erdogan-l-anti-europeen-27-11-2015-1985173_231.php">rhétorique de rupture de Recep Tayyip Erdoğan</a>. Passons sur le bilan du « regime change » : Irak, Libye, soutien aux printemps arabes… autant d’échecs patents. Il ne s’agit pas de faire le procès de processus politiques parfois bien intentionnés, parfois intéressés, parfois naïfs, parfois plus sérieusement pensés. Mais de constater leur échec.</p>
<p>L’espoir de l’émergence d’une nouvelle donne politique après une intervention extérieure coûteuse et nécessitant un maintien durable sur le terrain s’est évanoui. Le <em>fire power</em> (puissance de feu) reste de mise, le <em>staying power</em> (capacité à rester sur place) est hors de portée. Tout comme, en son temps, le retrait impérial britannique a rapidement condamné la présence coloniale française, l’aggiornamento américain pourrait condamner la logique d’expédition longue. La France ne peut esquiver cette donne dans sa politique sahélienne. Mais d’autres feraient bien d’y réfléchir aussi, comme la Russie en Syrie. Comme il y eut une <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/clinton-doctrine">doctrine Clinton</a> après la Somalie (définition très restrictive des conditions d’intervention américaine à l’étranger), une doctrine Biden pourrait faire date après l’Afghanistan.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166358/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le fiasco afghan des États-Unis semble signer la fin de l’époque des interventions extérieures coûteuses sur des théâtres lointains.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1637472021-07-28T19:36:26Z2021-07-28T19:36:26ZLe Pakistan, cœur des rivalités stratégiques et bombe à retardement ?<p>Pays neuf, le Pakistan n’en est pas moins l’héritier d’une civilisation multiséculaire. On pense aux vestiges de <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/138/">Mohenjo-Daro</a>, au site gréco-bouddhique de <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/139/">Taxila</a>, à la magnificence des <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/171/">jardins de Shalimar</a> ou encore à celle des palais de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/lahore/">Lahore</a>.</p>
<p>Au lendemain de sa séparation avec l’Inde, en 1947, le Pakistan devint l’un des postes les plus avancés de la guerre froide, « a front country » comme Le Pentagone le qualifiait alors. Ligne de fracture, lieu d’affrontement idéologique privilégié entre les <a href="https://editionsnevicata.be/le-grand-jeu">puissances du « Grand Jeu »</a>, le Pakistan n’a trouvé aucun bénéfice à la fin de l’affrontement entre Soviétiques et Américains. Au contraire, il s’est enfoncé chaque année un peu plus dans les dissensions internes et les rivalités ethniques, bien que sa situation géographique continue à le placer aux avant-postes des convoitises entre puissances rivales.</p>
<p>Le développement maritime de ses infrastructures portuaires à Karachi (ou <a href="https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/pakistan-gwadar-un-port-chinois-des-nouvelles-routes-de-la-soie-dans-un-baloutchistan">à Gwadar et Jiwani</a>) l’a conduit à renforcer ses relations avec la Chine. Pékin souhaite en faire l’un des débouchés prioritaires pour son projet des Nouvelles routes de la Soie, matérialisé par l’établissement d’un corridor stratégique qui relie la mer d’Arabie à l’Empire du Milieu à travers le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/qaraqorum-karakorum/">Karakorum</a> et la chaîne de l’Himalaya (dans une perspective de désenclavement du grand ouest chinois, particulièrement le Xinjiang).</p>
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<p>Cette route stratégique est celle qu’empruntèrent jadis des générations de pèlerins bouddhistes ou d’explorateurs comme <a href="https://editionsnevicata.be/le-grand-jeu">Francis Younghusband ou Ian Fleming</a>. Tous séjournèrent dans cette région souvent associée à l’Eden, le Cachemire pakistanais, autrement appelé la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I8CZgq37ta0">Hunza</a>. Son chef spirituel, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/02/16/01003-20180216ARTFIG00131-son-altesse-l-aga-khan.php">l’Aga Khan</a>, a su, malgré les risques que fait peser le terrorisme, conserver un cadre socio-politique relativement harmonieux. Une exception qui devrait être très vite mise à mal par des bouleversements importants marqués par la venue de nouveaux acteurs politiques dans la région.</p>
<h2>Un partenaire essentiel pour la Chine</h2>
<p>La République islamique du Pakistan est le premier pays musulman à avoir reconnu la République populaire de Chine, dès 1950. Pour l’essentiel, la relation sino-pakistanaise va se construire en fonction de la <a href="https://theconversation.com/chine-inde-mefiance-par-temps-de-pandemie-136149">rivalité stratégique sino-indienne</a>, le « pays des Purs » étant l’axe prioritaire de l’agenda militaro-stratégique indien jusqu’à ce que la Chine s’impose comme puissance régionale disruptive.</p>
<p>Politique de bon voisinage et excellentes relations longtemps maintenues par Islamabad tant vis-à-vis de Pékin que de Washington auront permis aux dirigeants pakistanais de se rendre utiles auprès d’interlocuteurs souvent opposés, durant toute une partie de la guerre froide. C’est dans ce contexte que la Chine, discrète mais efficace, des années 1980, dans le cadre de sa concurrence avec Moscou, offre une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02634930120095349?journalCode=ccas20&">assistance logistique aux moudjahidines afghans</a>, alors, également, très largement épaulés par la CIA et les services secrets pakistanais (ISI) dans leur lutte contre les Soviétiques. Cette collusion s’accompagne de recrutements extérieurs, des djihadistes du monde arabo-musulman, parmi lesquels Ben Laden, rejoignant le combat afghan.</p>
<p>Plus tard, Pékin n’hésitera pas à reconnaître le régime des talibans jusqu’à son effondrement, en 2001 (les autorités chinoises entretenaient un <a href="https://theconversation.com/la-question-ou-goure-au-coeur-des-enjeux-entre-pekin-et-kaboul-150051">lien discret avec le mollah Omar</a>). Par la suite, à la différence des Occidentaux, la RPC n’a jamais écarté les talibans des négociations, cherchant au contraire à les associer aux <a href="https://www.la-croix.com/Monde/talibans-annoncent-tenue-conference-inter-afghane-Pekin-2019-10-23-1301056087">discussions organisées à Pékin</a>. Quoi qu’il en soit, l’échec des Soviétiques en Afghanistan n’est pas étranger à cette participation chinoise à un conflit dans lequel la sécurité du Pakistan était directement impliquée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1411930911386574849"}"></div></p>
<p>Rétrospectivement, les relations sino-pakistanaises ont été marquées par une succession d’actes fondateurs qu’il est nécessaire d’avoir en mémoire. Ainsi, en 1963, le rapprochement entre les deux pays est marqué par la cession de la <a href="https://www.asie21.com/tag/vallee-de-shaksgam/">vallée cachemirie du Shaksgam</a>, que l’Inde continue de revendiquer à ce jour. Cette cession a valeur tributaire et la fourniture par Pékin d’une aide économique, militaire et technique à Islamabad n’a depuis jamais diminué. Y compris dans un domaine aussi sensible que le nucléaire.</p>
<p>La défaite pakistanaise de 1971 face à l’Inde ne sera pas étrangère au souhait d’Islamabad de se doter de la bombe et de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-1-page-41.htm">sanctuariser définitivement son territoire</a>. Cette coopération est officiellement scellée en 1976 entre le premier ministre de l’époque Zulfiqar Ali Bhutto (1928-1979) et Mao Zedong, peu de temps avant la mort du Grand Timonier. <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2007/06/12/l-itineraire-d-a-q-khan-le-pere-de-la-proliferation-nucleaire_922581_3216.html">Le père de la bombe pakistanaise Abdul Qadeer Khan</a> se rend aux funérailles de ce dernier et rencontre alors de nombreux officiels chinois pour accélérer des transferts de technologie. Il en profite pour mettre sur pied un formidable réseau international de prolifération des outils et des matériaux nécessaires à la fabrication de la Bombe. Pékin fut alors le lieu des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1991/11/29/l-asie-foyer-de-proliferation-nucleaire-la-coree-du-nord-et-le-pakistan-veulent-la-bombe-alors-que-la-chine-et-l-inde-disseminent-leur-science-atomique_4032746_1819218.html">échanges discrets de la prolifération</a>. Il offre ses services à l’Iran, à la Corée du Nord, mais aussi à l’Irak, à la Libye et sans doute à d’autres.</p>
<p>Plus récemment encore, en 2006, Washington verra avec inquiétude la construction par la Chine d’un port en eau profonde à Gwadar, sur le littoral baloutche du Pakistan, pouvant accueillir des navires de guerre. Ce port étant proche du Golfe persique, certains analystes américains ont estimé qu’il s’agissait là d’un premier pas de la Chine, lui permettant de projeter ses forces dans le Golfe. La décision en avril 2015 de créer un corridor stratégique sino-pakistanais, à la suite de la visite de <a href="https://www.senat.fr/rap/r17-520/r17-520_mono.html">Xi Jinping à Islamabad, accompagnée d’un plan de coopération économique de plus de 40 milliards de dollars</a>, ne pourra que renforcer ces craintes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"970710675420012544"}"></div></p>
<p>Indépendamment des caractéristiques militaires qu’on lui prête, ce corridor répond au dilemme de Malacca et à la nécessité de contourner ce détroit en cas de blocus américain. Pour le moment, toutefois, ce port ne représente ni un succès (faute d’hinterland) ni une certitude quant au développement d’infrastructures duales qui s’étendraient de l’Asie-Pacifique à l’Afrique, de l’Europe à l’Amérique latine.</p>
<p>Les relations stratégico-militaires demeurent en tout cas très étroites. De la fabrication en commun de chasseur JF-17 à la vente d’armes en passant par des manœuvres militaires conjointes, Pékin et Islamabad affichent une forme avancée de partenariat stratégique, essentiellement tourné contre l’Inde.</p>
<h2>Le terrorisme et les implications des acteurs turc et indien</h2>
<p>Cette politique bilatérale n’est pas dénuée d’ambiguïtés. Pékin n’hésite pas à soutenir un certain nombre de terroristes comme <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Masood_Azhar">Massod Azhar</a> qui a longtemps sévi depuis le Pakistan contre des intérêts indiens en refusant de l’exposer à la justice internationale. En outre, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/088462-000-A/face-au-terrorisme/">l’organisation Lashkar-e-taïba (« l’Armée des pieux ») est un mouvement islamiste proche d’al-Qaïda et des talibans</a> dont l’Américano-Pakistanais David Headley était un agent double sur fond de trafic d’héroïne, est connectée à divers attentats (Danemark, Inde, etc.).</p>
<p>La province pakistanaise du Baloutchistan est un laboratoire révélateur des tensions qui s’exercent entre puissances régionales (Arabie saoudite, Inde, Iran…) par <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/01/Asia-focus-57.pdf">factions islamistes interposées</a>. Le Baloutchistan constitue avec le Cachemire et l’Afghanistan les trois foyers à risque de radicalité islamiste que Pékin prend d’autant plus au sérieux que le dernier d’entre eux <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2019/06/Asia-Focus-115.pdf">se trouvent à ses portes</a>. Dans le cadre du développement du corridor sino-pakistanais, plusieurs assassinats, attentats et enlèvements ont eu lieu.</p>
<p>L’<a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">Organisation de Coopération de Shanghai</a> et le <a href="https://www.mfa.gov.tr/sayin-bakanimizin-tacikistan-i-ziyareti-30-3-2021.fr.mfa">Processus d’Istanbul – Cœur de l’Asie</a> constituent autant de cadres de réflexion multilatéraux qui engagent l’Asie centrale, le Pakistan, la Chine mais aussi, plus récemment, la Turquie dans des initiatives visant à rétablir la paix tout particulièrement dans l’Afghanistan voisin et ses plus proches périphéries. Le dirigeant turc <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/erdogan-ach%C3%A8ve-sa-visite-au-pakistan-/1734525">Recep Tayyip Erdogan s’est rendu à Islamabad en février 2020</a>, alors que la pandémie de Covid-19 faisait des ravages. Il y a rappelé à qui voulait l’entendre que c’est bien sous les Turcs que les musulmans de l’Inde ont adopté la religion islamique, leur langue ourdoue étant très imprégnée de la langue turque.</p>
<p>C’est durant la guerre de libération nationale turque que les musulmans de l’Inde ont aussi gagné le cœur des Turcs. Le poète et <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Mohamed-Iqbal-penseur-d-un-autre.html">penseur musulman Mohammed Iqbal (1877-1938)</a>, lors d’un rassemblement à la mosquée Badshahi à Lahore, a prié pour la victoire des Turcs combattant dans les Dardanelles et récité des vers dont il était l’auteur, dans lesquels il disait avoir rêvé du prophète de l’islam, à qui il apportait une bouteille de sang unique – « le sang des martyrs des Dardanelles ». Il invitait ainsi les musulmans à combattre aux côtés des Turcs et à les soutenir financièrement. Les milliers de personnes présentes sur place, qui vivaient elles-mêmes dans le besoin, ont fait don de l’argent qu’elles avaient épargné, les femmes ont offert les bijoux qu’elles portaient. Rappelant cet événement avec reconnaissance devant le Parlement pakistanais, Erdogan affirmait qu’au Pakistan les Turcs ne se sentaient pas à l’étranger mais bien chez eux grâce aux liens fraternels entre les deux peuples. Il annoncera plus tard qu’il n’existe à ses yeux aucune différence <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_asie_et_le_moyen_orient_quelles_relations_au_XXIe_siecle-9782343224701-68197.html">entre les Dardanelles et le Cachemire</a>.</p>
<p>Qu’est-ce à dire ? Que les luttes d’influence au Pakistan vont se renforcer et que le pays va, plus que jamais, continuer à se fractionner sous l’effet de l’action de leviers antagonistes. Parmi ces leviers, la puissance de l’Inde, dont l’intérêt stratégique sera non plus tant de circonscrire son rival sino-pakistanais dans des zones de conflits traditionnels (Cachemire, Himalaya, Baloutchistan) que de porter le fer en dehors des zones frontalières, c’est-à-dire vers des régions situées plus à l’ouest encore (États du Golfe) ou en Asie centrale.</p>
<p>Ce sont ces régions convoitées par New Dehli qui ont fait l’objet d’une reformulation des choix stratégiques opérés par l’Inde depuis l’élection de Narendra Modi. Ces choix visent pour l’essentiel des pays musulmans. Alliance de revers encore mais cette fois clairement orientée contre Islamabad. Dans la rivalité qui oppose la Chine et son allié pakistanais à la puissance indienne, ces pays vont, selon toute vraisemblance, être le théâtre de nouveaux affrontements sur fond de radicalité musulmane.</p>
<p>Attaque de <a href="https://theconversation.com/tadjikistan-et-kirghizistan-deux-foyers-dincertitude-aux-portes-de-la-chine-148362">l’ambassade de Chine à Bichkek</a> (Kirghizistan), en 2016, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/11/23/pakistan-le-consulat-de-chine-a-karachi-vise-par-une-attaque_5387282_3216.html">attaque contre le consulat chinois de Karachi (Pakistan)</a>, en 2018, ou enlèvement récurrent de ressortissants chinois dans la région « Af-Pak » (Afghanistan-Pakistan), peu relatés par la presse occidentale : tous ces événements n’en sont peut-être que le prélude. Il n’est pas certain que les forts ressentiments antichinois qui ont touché successivement l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, à travers les revendications de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/16/l-alliance-des-thes-au-lait-ou-la-solidarite-des-jeunesses-asiatiques-contre-l-autoritarisme_6073256_3210.html">Milk Tea Alliance</a>, ne touchent pas ces régions du monde musulman. Toutefois, et d’une manière significative, Imran Khan, premier ministre du Pakistan, a <a href="https://www.dawn.com/news/1632539">nié toute forme de répression menée par son allié de Pékin</a> contre la communauté ouïgoure.</p>
<p>Il n’est pas improbable non plus que la diplomatie turque, se voyant opposée à un front de plus en plus hostile de l’Union européenne, porte ses regards plus à l’est en optant pour un rapprochement avec le Pakistan, l’une des clés de voûte essentielles du dispositif chinois sur lequel repose sa politique étrangère en Asie à travers l’ambitieux projet des Nouvelles routes de la soie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163747/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Premier pays musulman musulman à reconnaître la République populaire de Chine en 1950, le Pakistan demeure un acteur proche de Pékin, les deux pays partageant une forte hostilité à l'égard de l'Inde.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1589662021-04-21T19:53:08Z2021-04-21T19:53:08ZLe Quad, pilier de la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden ?<p>La compétition de puissance Chine-États-Unis entamée sous l’administration Trump tourne à l’affrontement avec la présidence Biden. Celle-ci s’efforce de rallier activement alliés et partenaires asiatiques et européens au sein d’une alliance des démocraties au service d’une diplomatie des valeurs incarnée par un « Quad plus » au format multidimensionnel.</p>
<p>La réunion du 12 mars 2021 des dirigeants des quatre pays fondateurs du Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad) – le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde –, à l’initiative américaine, semble indiquer que ce mécanisme a vocation à devenir central dans le cadre d’une stratégie indo-pacifique renouvelée des États-Unis. La <a href="https://www.aninews.in/news/world/us/free-open-indo-pacific-essential-for-future-of-our-countries-biden-at-quad20210312195953/">décision de Joe Biden</a> de s’en saisir aussi rapidement, tout comme le communiqué suivant la réunion, marque la revitalisation d’une enceinte à l’agenda diplomatique jusqu’ici sans substance et qui avait du mal à dépasser la perception de n’être qu’un bloc anti-chinois.</p>
<h2>La voie étroite entre vision américaine et coopération inclusive</h2>
<p>De fait, depuis sa création en 2007 en marge du Forum régional de l’Asean, le Quad n’avait réussi qu’à cristalliser l’attention sur le manque de cohérence de son discours et de ses objectifs en dépit de l’implication du <a href="https://www.tokyoreview.net/2020/10/leading-from-the-kantei-japan-and-the-quad/">premier ministre japonais Shinzo Abe</a>. Celui-ci n’a pas ménagé ses efforts pour en faire une plate-forme rassemblant quatre démocraties asiatiques, dont les capacités politiques, économiques et maritimes pouvaient donner corps à sa vision d’un « Indo-Pacifique libre et ouvert ».</p>
<p>On le sait, les réticences tant de l’Inde que de l’Australie à s’y engager activement, de crainte de compromettre leur politique d’équilibre vis-à-vis de la Chine, ont longtemps limité les velléités de coordination diplomatique et d’interactions militaires au sein du Quad. La relance des discussions depuis 2017 dans un contexte de tensions maritimes croissantes avec la Chine sort à peine le Quad de protocoles informels. Il faudra attendre la décision de Canberra en novembre 2020 d’accepter l’invitation indienne à l’exercice d’entraînement américano-indien Malabar pour voir le groupe s’affirmer. Le Quad se donne alors les moyens de s’afficher comme un mécanisme pouvant potentiellement projeter une capacité militaire. D’autant plus que le Japon est devenu membre permanent de Malabar depuis 2015.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1282161381932806145"}"></div></p>
<p>Depuis son entrée en fonctions, la nouvelle administration américaine a entériné le concept d’« Indo-Pacifique libre et ouvert » qui avait marqué le discours stratégique dominant de la présidence Trump tout en endossant une même ligne très ferme vis-à-vis de la Chine.</p>
<p>Le Conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan a souligné la centralité du concept tandis que le président Biden a saisi toute l’importance du Quad en tant que cadre de coopération multidimentionnelle pour développer une vision indo-pacifique inclusive, ce que n’avaient pas réussi à faire ses prédécesseurs, y compris l’administration Obama. Ce faisant, il a favorisé la définition d’un agenda pragmatique reflétant les préoccupations de sécurité régionales de l’heure, à savoir la lutte contre la Covid-19. L’une des premières initiatives du Quad à destination notamment de l’Asean est la <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/quad-gives-boost-india-s-vaccine-diplomacy">fabrication de vaccins du laboratoire américain Johnson & Johnson en Inde</a> avec le soutien financier et logistique des États-Unis, du Japon et de l’Australie.</p>
<h2>L’« esprit du Quad », une alternative démocratique à la BRI chinoise</h2>
<p>Le communiqué conjoint publié après le Sommet du 12 mars, au ton volontaire, marque ce nouveau départ. Décrivant l’esprit du Quad, le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/12/quad-leaders-joint-statement-the-spirit-of-the-quad/">texte précise</a>, en guise de préambule :</p>
<blockquote>
<p>« Nous aspirons à une région libre, ouverte, inclusive, saine, ancrée dans les valeurs démocratiques et non contrainte par la coercition. »</p>
</blockquote>
<p>Une formule qui suggère un champ d’action commun assez large et varié. En effet, les défis mentionnés englobent tout autant l’impact économique et sanitaire de la Covid-19, le changement climatique mais aussi des préoccupations communes touchant le cyberespace, les technologies critiques, le contre-terrorisme, les investissements dans des infrastructures de qualité, l’assistance humanitaire.</p>
<p>On notera une rédaction sans équivoque touchant le domaine maritime où, sans être nommée, la Chine figure en filigrane. Il est en particulier question d’une collaboration visant à « relever les défis de l’ordre maritime fondé sur des règles dans les mers de Chine orientale et méridionale » qui laisse entrevoir la perspective d’actions communes concernant la défense de la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/montego-bay">Convention de Montego Bay</a> sur le droit de la mer et la liberté de navigation.</p>
<p>Les quatre pays se sont engagés à créer <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/12/fact-sheet-quad-summit/">trois groupes de travail</a> sur les vaccins et le climat, avec notamment le souci d’une mise en œuvre effective de l’Accord de Paris et les technologies émergentes. Ce dernier groupe met un accent particulier sur des problématiques clés de la vision indo-pacifique défendue par le Quad – une régio que la Chine a particulièrement investie à travers sa « Belt and Road Initiative« » (BRI). Il s’agit de corriger la vulnérabilité constatée des partenaires en matière de connectivité avec une attention particulière portée au développement de standards en matière de communication, mais aussi de renforcer l’indépendance des chaînes d’approvisionnement logistique.</p>
<h2>Revitalisation des alliances américaines et multilatéralisme maritime à la carte</h2>
<p>Outre le Quad, le renforcement des alliances traditionnelles se trouve clairement intégré à la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden.</p>
<p>Dès le 15 mars, pour leur premier déplacement à l’étranger depuis leur entrée en fonctions, les secrétaires d’État et de la Défense américains, Antony Blinken et Lloyd Austin, se sont rendus au Japon et en Corée du Sud, cette dernière étant pressentie comme le membre potentiel d’un Quad + qui pourrait aussi englober des États de l’Asean.</p>
<p>Lloyd Austin a ensuite visité l’Inde du 19 au 21 mars tandis qu’Antony Blinken rencontrait son homologue chinois en Alaska pour des entretiens dont l’alacrité a donné le ton de futures relations américano-chinoises qui tournent au rapport de force économique, diplomatique et militaire. Sur ce dernier point, l’amiral Philip Davidson, qui dirige l’US <em>Indo-Pacific Command</em>, a sonné l’alarme lors d’une <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2021/mar/9/Adm-Philip-Davidson-US-deploy-missiles-deter-china/">audition devant la Commission sénatoriale des forces armées américaines</a>, soulignant le danger représenté par l’érosion de la dissuasion conventionnelle de Washington comme de ses alliés face au développement des capacités chinoises. Selon son analyse, d’ici à 2025, la Chine surclassera la marine américaine dans la région avec trois porte-avions et six navires d’assaut amphibies contre un porte-avions et deux navires d’assaut amphibies. Pour lui, il y a un risque sérieux que ce déséquilibre pousse la Chine à modifier unilatéralement le statu quo régional, notamment vis-à-vis de Taiwan. Pour pallier ce déséquilibre, Philip Davidson recommande la mise en place d’un réseau de missiles de frappe de précision le long de la première chaîne d’îles (formée par une ligne reliant Japon-Taiwan – Philippines) dans le cadre de l’Initiative de dissuasion du Pacifique visant à contenir la stratégie anti-accès de la Chine.</p>
<p>Nommé à la tête du Commandement pour l’Indo-Pacifique en mai 2018, l’amiral Davidson incarne la continuité stratégique de la vision indo-pacifique américaine de Donald Trump à Joe Biden. Son analyse sur la réalité d’une menace militaire chinoise croissante s’accorde parfaitement avec celle du président actuel, qui estime qu’au-delà des efforts de modernisation, la clé d’un endiguement efficace contre la Chine réside dans les alliés et les partenaires des États-Unis. Il semblerait que les efforts de réengagement diplomatique et militaire annoncés par Joe Biden se concrétisent par l’institutionnalisation et l’opérationnalisation d’un Quad élargi. Dans ce cadre, la Corée du Sud, Singapour et le Royaume-Uni sont pressentis pour figurer au sein d’un premier « Quad+ ».</p>
<p>La France, puissance indo-pacifique riveraine aux capacités navales significatives, devrait elle aussi se voir fortement sollicitée. Pour l’heure, deux de ses unités déployées pour une mission d’instruction et d’entraînement en Asie, le bâtiment amphibie Tonnerre et la frégate Surcouf ont participé à l’exercice multinational « La Pérouse » début avril 2021 en baie du Bengale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1381620895010193416"}"></div></p>
<p>Cet exercice, le deuxième du genre organisé par la France dans la région, rassemblait les principales marines de l’Indo-Pacifique ; soit, outre la marine française, ses homologues japonaises, australiennes américaines et indiennes. Au-delà de la recherche d’une plus grande interopérabilité entre marines du premier cercle indo-pacifique, ce format à cinq indique que plusieurs configurations maritimes sont possibles et peuvent utilement co-exister au gré de partenariats stratégiques existants. Ainsi, <a href="https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/94898/TheEUneedsastrategicapproachfortheIndo-Pacific">l’Union européenne</a>, qui est en cours de conceptualisation d’une vision indo-pacifique et qui ambitionne d’être un acteur maritime reconnu, peut utilement s’insérer dans ces formats sous la forme d’une contribution d’un État membre, que ce soit la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas, puissances indo-pacifiques proclamées. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad), qui regroupe le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde, prend de plus en plus d’ampleur dans le cadre de la rivalité américano-chinoise.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1479462020-10-14T18:58:32Z2020-10-14T18:58:32ZDébat : Diplomatie française, quelles alliances et quelles valeurs ? (2)<p>Dans la <a href="https://theconversation.com/debat-diplomatie-francaise-quelles-alliances-et-quelles-valeurs-1-146985">première partie de cet article</a>, nous avons plaidé pour que la France mesure entièrement les implications de ses alliances. La multiplication des menaces rend celles-ci plus que jamais vitales. Mais la cohérence de nos principes et de nos règles doit être mieux visible. La France a commencé à le faire en ce qui concerne l’Europe, qui est son projet phare. Elle doit désormais s’y atteler sur les multiples plans de son action extérieure.</p>
<h2>Cohérence des principes : forger l’opinion</h2>
<p>Les alliances ne peuvent exister sans un récit commun. La France a un rôle moteur à jouer en tant que porteur de principes. Dans ses discours de <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/20/discours-d-emmanuel-macron-devant-la-72e-assemblee-generale-des-nations-unies">septembre 2017</a> et <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/09/26/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-la-73e-assemblee-generale-des-nations-unies">septembre 2018</a> à l’Assemblée générale de l’ONU, Emmanuel Macron avait rappelé son soutien aux combattants de la liberté – discours qu’il vient de réitérer en Lituanie en <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/emmanuel-macron-en-mediateur-de-la-crise-en-bielorussie_4106375.html">soutien aux manifestants biélorusses</a> – et plaidé pour l’universalisme des droits de l’homme, s’opposant clairement à ceux qui y voient une notion relative ou occidentale. Ces discours ont frappé les esprits dans le monde et ceux qui, en France, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/4-valeurs-absolues-pour-lesquelles-j-appelle-a-soutenir-emmanuel-macron_a_21879420/">l’avaient soutenu en raison de ces valeurs</a>.</p>
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<p>Mais beaucoup ont été ensuite désemparés par plusieurs maladresses, principalement verbales, et une forme de retrait par rapport aux <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/emmanuel-macron-est-le-seul-candidat-a-proposer-une-politique-et_a_22022672/">règles qu’il avait posées</a> : s’il a clairement <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/syrie-pour-macron-assad-est-un-criminel-et-devra-etre-juge-7790158824">condamné les crimes contre l’humanité commis par Assad</a>, son action contre le régime de Damas a été <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/04/14/frappes-en-syrie-participation-limitee-de-la-france-malgre-d-importants-moyens_1643405">trop limitée</a> et il a accepté la Russie comme un partenaire sur place, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/syrie-francais-et-russes-vont-livrer-de-l-aide-humanitaire_2026934.html">notamment sur le plan humanitaire</a>, malgré ses crimes de guerre et son soutien indéfectible à Assad. </p>
<p>Il a également critiqué <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/emmanuel-macron-dans-valeurs-actuelles_fr_5db9c973e4b066da552b0af2">« le droits-de-l’hommisme »</a>, tardé à condamner les exactions perpétrées par Pékin contre les Ouïghours, même s’il a fini par le faire <a href="https://www.lci.fr/international/ouighours-en-chine-emmanuel-macron-denonce-une-repression-inacceptable-2163958.html">fermement</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-06-novembre-2019">faiblement soutenu les activistes de Hongkong</a> et conduit une politique d’accueil des réfugiés <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/migrants-lhistoire-du-changement-de-pied-de-macron-130746">trop timide en comparaison de celle de l’Allemagne</a>).</p>
<p>Il est vrai qu’il a tenu un discours <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/28/devant-al-sissi-macron-parle-droits-de-l-homme_1705974">ferme envers Sissi sur les droits de l’homme</a> lors de sa visite de janvier 2019 en Égypte et pesé de tout son poids dans la <a href="https://www.lesechos.fr/pme-regions/grand-est/a-strasbourg-macron-a-rencontre-le-cineaste-ukrainien-oleg-sentsov-1136318">libération d’Oleg Sentsov</a>. Mais la ligne semblait avoir perdu de sa cohérence initiale.</p>
<p>Elle <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/diplomatie-macron-dans-le-texte">se retrouve progressivement</a>, y compris dans le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/09/22/declaration-du-president-emmanuel-macron-pour-la-75e-session-de-lassemblee-generale-des-nations-unies">discours du 22 septembre 2020 devant l’ONU</a>, mais elle devra conduire à des choix plus tranchés. Parfois aussi, les risques rhétoriques résident dans les détails : autant il était nécessaire de condamner les attaques azéries soutenues par la Turquie dans le Haut-Karabagh et sans doute opportun, pour le coup, de rejoindre la Russie, co-présidente avec Paris et Washington du Groupe de Minsk, dans l’appel à un cessez-le-feu immédiat, autant la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/01/haut-karabakh-paris-et-moscou-s-inquietent-de-l-envoi-de-mercenaires-syriens-par-la-turquie_6054348_3210.html">dénonciation <em>conjointe</em> de la présence de combattants syriens</a> en appui, <a href="https://medium.com/@syriefactuel/de-la-libye-au-haut-karabakh-macron-et-le-mythe-du-mercenaire-djihadiste-syrien-cc621ef76707">qualifiés improprement de djihadistes – rhétorique classique des régimes russe et syrien – alors que ce sont des mercenaires</a> – préoccupation en elle-même majeure – peut surprendre quand on connaît la responsabilité éminente du Kremlin dans le chaos syrien.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1311620063406034944"}"></div></p>
<p>L’engagement européen, le plus constant du président de la République, moteur de sa politique étrangère, appelle à redonner droit à cette cohérence. Somme toute, le soutien au peuple biélorusse, aux dissidents russes et chinois et aux manifestants de Hongkong et du Liban – pour lesquels Emmanuel Macron a <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/au-liban-macron-apporte-son-soutien-et-demande-des-reformes-1228940">clairement pris parti contre les élites politiques en place</a> –, participe d’un même mouvement au-delà de la diversité des situations.</p>
<p>Certains arguent, avec de solides arguments historiques, qu’une politique extérieure <a href="https://twitter.com/GerardAraud/status/1305109350575476737?s=20">ne saurait être entièrement cohérente</a> et qu’il est des alliances tactiques nécessaires qui défient le principe de linéarité. La cohérence peut être un carcan, sachant que la politique étrangère repose sur la capacité à se donner des marges de manœuvre. Cette conception supposée pragmatique tient-elle encore aujourd’hui ? Une telle attitude peut <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/13/la-france-a-la-recherche-du-ton-juste-face-a-pekin_6051997_3210.html">donner l’impression qu’existe parfois un « deux poids, deux mesures »</a> car on ne condamnera pas de la même manière un allié potentiel dont on estime avoir besoin pour des objectifs essentiels et un adversaire qu’on considère destiné à rester tel – mettant entre parenthèses les considérations économiques et commerciales.</p>
<p>Cette cohérence est indispensable aujourd’hui, pour trois raisons. D’abord, sans elle, il est impossible d’alerter l’opinion sur les comportements des « États voyous » – cette alerte est le préalable de toute action dans un monde où les contraintes de légitimité sont accrues. Ensuite, en Europe, le <a href="https://theconversation.com/leurope-de-2030-comprendre-les-dynamiques-de-lue-58550">droit et la puissance sont intrinsèquement noués</a> : on ne peut s’acheminer vers une Europe de la puissance sans justifier cette évolution en droit. Enfin, même si dictatures et régimes criminels peuvent être concurrents, ils sont aussi alliés dans la formation d’une quasi-Internationale du révisionnisme historique et territorial, qui est également un instrument de la guerre parfois qualifiée d’« hybride » à l’encontre de ce que nous avions appelé l’<a href="https://theconversation.com/nos-sombres-temps-et-linternationale-de-la-liberte-77223">Internationale de la liberté</a>.</p>
<p>Devant les menaces internationales majeures, le président français doit alerter et, pour ainsi dire, inciter l’opinion à une prise de conscience. Ces débats ne doivent pas rester marginaux dans l’ordre politique et il est heureux de voir de plus en plus d’élus s’engager sur les sujets internationaux déterminants, de la Biélorussie aux camps chinois, de la défense du statut de Hongkong aux violations des droits par l’Iran. Cette publicité est d’autant plus indispensable que les États hostiles à la liberté sont engagés dans une guerre contre les principes démocratiques sur notre sol même et cherchent à influencer les opinions publiques en soutenant <a href="https://www.npr.org/2020/06/16/878169027/study-exposes-russia-disinformation-campaign-that-operated-in-the-shadows-for-6-?t=1602668723954">tout ce qui peut créer un désordre</a>, jeter le trouble et <a href="https://carnegieendowment.org/2020/02/27/with-friends-like-these-kremlin-s-far-right-and-populist-connections-in-italy-and-austria-pub-81100">favoriser les partis extrêmes</a>.</p>
<h2>Retrouver le principe de réalité</h2>
<p>La crise a comme incité le président français à retrouver le principe de la réalité tel qu’au demeurant lui-même le reconnaissait en parlant de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/27/emmanuel-macron-paradoxalement-ce-qui-me-rend-optimiste-c-est-que-l-histoire-en-europe-redevient-tragique_5291503_3232.html">« tragique de l’histoire »</a>. Contre l’idéalisme qui tient que la menace des régimes autoritaires pourrait disparaître soit par la négociation, soit par le développement économique – développementalisme souvent démenti par les faits –, le <a href="https://theconversation.com/le-retour-dune-geopolitique-archa-que-serait-un-desastre-strategique-124818">réalisme consiste à reconnaître l’ampleur des menaces</a> et à se donner les moyens, autant qu’il est possible, de les combattre. Pour la politique française, cela suppose de changer le logiciel sur quatre points principaux.</p>
<p>En premier lieu, dans la conduite de la diplomatie, le régime est toujours plus important que les États et les actions actuelles plus importantes que l’histoire ancienne. Comprendre la dynamique et l’idéologie propre des régimes – <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1967_num_17_5_393043">leçon déjà présente chez Aron</a> – est la première règle pour un chef d’État qui veut connaître la réalité. La Russie sur la scène internationale n’existe pas de manière abstraite sans considération du régime de Poutine, la Chine sans celle de Xi Jinping ou la Turquie sans celle d’Erdoğan. </p>
<p>Dès lors, si l’on considère que l’action de tel ou tel régime nous est hostile, nous devons renforcer les forces qui s’opposent à lui (et notamment celles d’opposition), non seulement en vertu de nos principes, mais aussi parce que cela correspond à nos intérêts. Nous devons en particulier faire beaucoup plus pour aider groupes politiques, ONG et médias qui luttent pour la liberté – et cela peut aussi concerner des « pays » (notamment <a href="https://www.9dashline.com/article/the-european-union-and-its-member-states-must-defend-the-status-quo-in-the-taiwan-strait">Taiwan qui mérite un soutien beaucoup plus appuyé</a>). En politique internationale, dans le monde d’aujourd’hui, la politique prime sur les considérations géographiques et historiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1155357216251109376"}"></div></p>
<p>Ensuite, nous devons nous garder du piège qui consiste à estimer que la rationalité de nos adversaires est équivalente à la nôtre. On <a href="http://www.jbjv.com/Pour-un-realisme-liberal-en.html">assimile souvent rationalité et « intérêts »</a>. Or, ces derniers ne sont pas seulement matériels, économiques ou liés à une certaine « géopolitique », mais concernent aussi les valeurs. Nous avons pour valeurs notamment la paix, le droit, la justice, la liberté, la démocratie, etc., mais certains régimes ne les partagent guère, voire utilisent les organisations multilatérales, la propagande au sein des démocraties, sinon la guerre, pour les détruire et les rendre caducs. La hiérarchie que nous établissons de nos intérêts n’est pas la leur et vouloir discuter avec eux sur la base d’une rationalité partagée est dépourvu non seulement de sens, mais de portée diplomatique. Une perception adéquate de leurs intérêts est aussi nécessaire si nous souhaitons que nos sanctions atteignent au mieux leurs cibles.</p>
<p>En troisième lieu, nous devons nous prémunir de la tentation de mettre au premier plan une prétendue stabilité et de donner de manière inconditionnelle la priorité à ce qu’on a appelé la « politique éradicatrice ». Outre que la stabilité à court terme peut mettre en danger la stabilité à moyen terme, en particulier lorsqu’elle conduit à soutenir des dictatures qui finiront par tomber en raison des révoltes populaires, celle-ci est souvent une manière d’établir une supposée paix qui consacre domination, assujettissement ou gel d’une situation. Pour des raisons très différentes, ni un accord sur le Donbass donnant un avantage à l’agresseur russe, ni la reprise par Assad de la région d’Idlib, ni la domination de la Libye par les forces d’Haftar ne seraient des facteurs de stabilité. Terminer un conflit n’est pas un but en soi. Dans ces trois cas, au-delà de tout le reste, cela consacrerait la « victoire » d’un grand État hostile au détriment, dans le premier cas, d’une nation moyenne luttant pour la liberté et l’intégrité ; dans le second, du droit pénal international (puisqu’un criminel contre l’humanité, Assad, ne pourrait qu’encore plus difficilement être jugé) ; dans le troisième, de toute sécurité à moyen terme.</p>
<p>Aussi indispensable que soit la lutte contre toute forme de terrorisme, la « politique éradicatrice » ne remplace pas la politique étrangère ni la réforme des gouvernements en place. Au-delà du cas d’Assad, dont l’alliance objective avec certains mouvements terroristes n’est plus à démontrer, la politique éradicatrice a montré ses limites en <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/polit_0032-342x_1995_num_60_2_4412.pdf">Algérie</a>, dans la Tunisie de Ben Ali comme aujourd’hui dans l’Égypte de Sissi. Au Sahel, et notamment au Mali, la politique éradicatrice peut être un levier dont jouent des gouvernements en place inefficaces pour tenter de se maintenir au pouvoir, mais elle n’améliore pas nécessairement notre sécurité à moyen terme ni notre compréhension des données locales.</p>
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<p>La quatrième règle concerne le destin de l’Europe. À défaut de la penser comme puissance par le passé, on y a vu, selon une doctrine assez française, un point d’équilibre. Maintenant qu’il devient plus commun de souhaiter la doter des attributs de la puissance, certains continuent à vouloir en faire une « puissance d’équilibre » – notion ancienne dont la pertinence actuelle reste d’ailleurs à démontrer. Selon cette idée, l’Europe se devrait non seulement d’assurer un <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/emmanuel-macron-le-grand-ecart-entre-interets-et-valeurs-1130039">équilibre entre, d’un côté, les États-Unis, de l’autre, la Chine</a>, mais aussi de faire figure de médiatrice dans les conflits entre les plus grandes puissances, que ce soit en Europe même, au Moyen-Orient, voire en Asie. Parfois, cette vision « géographisante », incohérente stratégiquement dans les conditions actuelles, inclut d’ailleurs la Russie dans l’Europe. L’Union européenne devrait pratiquer une sorte de subtile équidistance afin d’apaiser les conflits et de contribuer à un ordre international plus stable. En quelque sorte, elle devrait pratiquer un mélange d’engagement et de neutralité. Or, une Europe qui entendrait accéder au statut de puissance doit respecter deux principes qui vont à l’encontre de cette idée d’équilibre.</p>
<p>Le premier est celui du respect des alliances, en son sein et à l’extérieur. La solidarité l’emportera toujours sur la neutralité. Le second est celui de l’affirmation : l’Europe n’a pas à se définir « par rapport à » et n’a pas à chercher un point d’équilibre pour lui-même. Elle se définit par rapport aux principes qu’elle définit comme siens et agit en conséquence. Pour la France, cette capacité à définir une voie propre sans chercher la conciliation par principe est déterminante. C’est dans ce contexte qu’il convient de comprendre l’idée d’autonomie stratégique lancée par Emmanuel Macron, qui peut à la fois devenir un outil d’affirmation propre à l’Europe en cas de retrait américain – indépendamment de son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/30/en-lituanie-macron-fustige-la-dependance-europeenne-aux-equipements-militaires-americains_6054245_3210.html">appel réitéré récemment pour une moindre dépendance envers les armes américaines</a> – ou une manière de renforcer l’Alliance atlantique dans le meilleur des scénarios.</p>
<p>Si Trump est réélu et manifeste, comme c’est probable, une complaisance accrue envers Poutine, qui pourrait aller jusqu’à une forme de « reset » puissance cent, et se retire de l’Alliance, il faudra que l’Europe puisse assurer sa défense face au régime russe actuel et parvienne à transformer l’OTAN en une organisation d’abord européenne – ce qui est loin d’être gagné. Si Biden l’emporte, nous devrons bien considérer l’Alliance atlantique comme le seul vrai rempart contre les menaces et la renforcer puisque l’Europe n’apportera pas avant longtemps les garanties de sécurité analogues à celles de <a href="https://www.liberation.fr/cahier-special/2001/09/21/l-article-5-du-traite-de-l-otan_378221">l’article 5 du Traité de Washington</a>. La France doit y investir plus de réflexion, mais aussi de détermination, précisément pour pallier les risques de « mort cérébrale » de l’Alliance. L’autonomie stratégique européenne, si elle voit le jour, sera peut-être plus que l’OTAN, alliance défensive, mais devra continuer à s’appuyer sur elle, quelle que soit sa forme future.</p>
<p>Nous rejoignons ici la question des échelles de temps : nous devons à la fois définir une vision de long terme qui requiert, d’une manière ou d’une autre, le renforcement de notre capacité à nous défendre – les structures importent ici moins que les capacités et la rhétorique moins que la résolution. Nous pouvons sans doute imaginer pour plus tard une Europe réconciliée avec une Russie devenue démocratique, et c’est même souhaitable. Mais cette perspective, par définition incertaine, voire chimérique, ne saurait nous détourner à la fois des tâches immédiates – <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-appel-de-la-france-la-lituanie-et-la-lettonie-pour-un-mecanisme-de-protection-des-elections-en-europe-20200928">auxquelles nous nous employons d’ailleurs</a> – et des enjeux de défense liés aux scénarios les plus probables. Encore moins faudrait-il que cela renforce la rhétorique de notre adversaire et affaiblisse nos alliances.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est aussi président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts, et directeur de la revue Le Banquet. Il a apporté son soutien public à Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle.</span></em></p>Une politique étrangère forte et cohérente ne peut confondre réalisme et cynisme. Le réalisme invite au contraire à mettre au premier rang la défense des valeurs dont la France se veut porteuse.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1469852020-10-13T18:11:38Z2020-10-13T18:11:38ZDébat : Diplomatie française, quelles alliances et quelles valeurs ? (1)<p>La crise pandémique – <a href="https://theconversation.com/debat-il-ny-aura-pas-de-nouvel-ordre-international-post-pandemique-138983">nous l’avons suggéré ici</a> – n’a aucunement modifié les lignes de fracture du monde. En revanche, elle a <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/point-de-vue-le-covid-19-n-pas-gele-le-monde-d-avant-mais-revele-ses-dangers-6830459">amplifié certaines menaces</a> et rendu plus visible la nécessité d’actions communes.</p>
<p>Pour la France, s’impose la mise en œuvre d’une politique étrangère à la fois plus forte et plus assurée, fondée sur la recherche d’alliances ; mais aussi la définition de règles d’action compréhensibles pour tous. En effet, moins que jamais, la politique étrangère ne peut ignorer les insurrections des peuples pour la liberté.</p>
<h2>L’exacerbation des menaces</h2>
<p>Les six derniers mois ont porté sur le devant de la scène l’ampleur du danger que représente la République populaire de Chine non seulement dans sa propre zone – <a href="https://xjdp.aspi.org.au/">persécution des Ouïghours</a> qui pourrait s’apparenter à des crimes contre l’humanité ou à un génocide, <a href="https://www.hrw.org/news/2020/07/29/china-new-hong-kong-law-roadmap-repression">répression</a> des manifestations pour la liberté à Hongkong, <a href="https://www.dw.com/en/taiwan-the-threat-that-the-world-ignores/a-54944934">intimidations sérieuses à l’encontre de Taiwan</a> – mais aussi pour les démocraties occidentales – technologies <a href="https://www.forbes.com/sites/chuckdevore/2020/01/09/how-made-in-china-threatens-privacy-civil-liberties-and-national-security/">intrusives</a> dans nos vies privées, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-minorites-chinoises-en-france-cible-d-une-politique-de-surveillance-ordonnee-par-pekin-20200630">menaces à l’encontre d’opposants réfugiés en Occident</a>, propagande massive <a href="https://www.france24.com/fr/20200612-twitter-ferme-des-milliers-de-comptes-de-propagande-chinois-russes-et-turcs">à destination de l’opinion occidentale</a>…</p>
<p>Du côté de la Russie, la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/03/le-kremlin-ne-voit-aucune-raison-d-accuser-l-etat-russe-de-l-empoisonnement-d-alexei-navalny_6050854_3210.html">tentative d’assassinat d’Alexeï Navalny</a>, seul adversaire de Vladimir Poutine capable aujourd’hui de fédérer l’opposition, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase après de nombreux <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/infographie-russie-la-longue-liste-des-opposants-a-poutine-assassines-7776818393">meurtres d’opposants</a>, les <a href="https://www.rferl.org/a/death-toll-up-to-13-000-in-ukraine-conflict-says-un-rights-office/29791647.html">plus de 13 000 morts</a> liés à l’invasion de l’est de l’Ukraine et les <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/mar/02/russia-committed-war-crimes-in-syria-finds-un-report">crimes de guerre commis en Syrie</a>.</p>
<p>La politique aussi erratique qu’agressive de la Turquie a connu un nouveau développement avec ses <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/14/pourquoi-la-grece-et-la-turquie-s-affrontent-en-mediterranee-orientale_6052162_3210.html">menaces contre la Grèce et Chypre</a>, deux membres de l’UE, et son soutien inconditionnel à l’offensive de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh.</p>
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<p>Pour le président français comme pour ses homologues démocrates, il devient de plus en plus évident que dialogue, concertation et compromis ne suffisent pas à changer le comportement des régimes hostiles. Avec la Chine, la coopération économique <a href="https://www.ecfr.eu/article/commentary_the_end_of_europes_chinese_dream">ne fait qu’accentuer notre dépendance</a> et la prudence sur les <a href="https://www.nybooks.com/daily/2020/01/14/how-china-threatens-human-rights-worldwide/">questions de droits humains</a> renforce l’agressivité de Pékin. Quant à la Russie, la politique de réengagement non seulement ne s’est traduite par aucun résultat concret, notamment en Syrie et en Ukraine, <a href="https://fr.reuters.com/article/idUSKBN2431AI">comme l’a reconnu la ministre des Armées, Florence Parly</a>, mais elle a encouragé le régime de Poutine à aller encore plus loin dans son mépris de la démocratie et des droits sur le plan interne et à l’extérieur, y compris par des <a href="https://www.ft.com/content/93f6a15c-2424-11e7-a34a-538b4cb30025">opérations de déstabilisation au sein de nos démocraties</a>. Sur la Turquie, les démocraties occidentales semblent plus divisées, notamment en raison de son appartenance à l’OTAN, mais aussi de la sous-traitance à Ankara du problème des réfugiés syriens, mais elles prennent ainsi le risque d’un « deux poids deux mesures ».</p>
<p>Le succès remporté par Emmanuel Macron et Angela Merkel sur le <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/commentaire-plan-de-relance-europeen-sale-coup-pour-les-populistes-l-europe-existe-6913587">plan de relance européen</a> fut aussi, à sa façon, un plaidoyer pour la solidarité et la coopération au sein de l’Europe, qui attend sa concrétisation dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité.</p>
<h2>Vaincre la solitude : la précondition russe</h2>
<p>Une idée commune veut que la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/10/michel-duclos-la-france-souffre-d-une-relative-solitude-sur-la-scene-internationale_6045862_3210.html">« solitude »</a> de la France soit l’une des limites intrinsèques de sa politique étrangère. Ce constat a reçu une forme de consécration officielle mais paradoxale lors de l’intervention d’Emmanuel Macron à la <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/02/15/conference-sur-la-securite-de-munich-faire-revivre-leurope-comme-une-puissance-politique-strategique">Conférence de Munich sur la sécurité le 15 février 2020</a>.</p>
<p>Le président français a alors répondu à ceux, nombreux en Europe, qui lui reprochaient de faire le jeu du régime de Poutine en poursuivant le réengagement avec la Russie. Si nous devions répliquer aux menaces sécuritaires du Kremlin en Ukraine et en Syrie, s’était-il en substance exclamé, avec qui le ferions-nous ? Pourrions-nous compter sur les États-Unis ? Non – et cela date d’Obama et non de Trump. Pourrions-nous demander à l’Allemagne de venir avec nous sur les théâtres d’opérations ? Non, car Berlin reste un nain géostratégique et ne supporterait pas de voir retourner au pays dans des cercueils plombés ses enfants tombés au champ d’honneur. Sur le Royaume-Uni ? Peut-être plus, mais Londres est absorbée par d’autres sujets et a aussi montré son inconsistance et nous ne devons pas oublier le refus du Parlement britannique d’intervenir en Syrie en 2013. Qui d’autre ? Les pays nordiques ? Ils tiennent à leur neutralité. La Pologne et les États baltes ? Sans doute, mais leurs forces sont insuffisantes devant la Russie. Et n’oublions pas le peu de solidarité manifesté par la plupart de nos alliés lors de nos opérations au Sahel.</p>
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<p>Il existe un élément de vérité dans cette solitude opérationnelle. La voix de la France est certainement écoutée aux Nations unies et ailleurs ; mais elle n’est pas un moteur pour l’action.</p>
<p>Il reste que cette solitude peut se transformer en prophétie autoréalisatrice et qu’une politique maladroite peut ajouter de la solitude à la solitude. Certains constatent ainsi que, de <em>Wunderkind</em> de l’Europe, Emmanuel Macron a pu se transformer en irritant, voire, selon des propos entendus, en menace, du fait de sa main tendue à la Russie qui crée une confusion parmi les alliés. Qu’importe ici que ces évaluations soient parfois excessivement sévères – rappelons que Macron, depuis qu’il est président, n’a jamais poussé à la levée des sanctions, a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/video/2017/05/29/au-cote-de-vladimir-poutine-emmanuel-macron-accuse-des-medias-russes-d-avoir-ete-des-organes-d-influence_5135674_823448.html">dénoncé les organes de propagande du Kremlin</a> et a qualifié de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/14/des-laboratoires-francais-et-suedois-confirment-l-empoisonnement-de-l-opposant-russe-alexei-navalny_6052105_3210.html">« tentative d’assassinat »</a> l’empoisonnement de Navalny tout en poussant avec l’Allemagne un <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/russie/evenements/evenement-de-l-annee-2020/article/communique-conjoint-des-ministres-des-affaires-etrangeres-de-la-france-et-de-l-252546">nouveau train de sanctions envers Moscou</a> qui vient d’être approuvé par l’Union européenne : la politique est une affaire de perception. Pour s’en tenir aux faits, l’espoir de desserrer les verrous en dialoguant avec la Russie a été, <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-ne-faut-pas-negocier-avec-la-russie-de-poutine-54748">comme cela avait été prévu</a>, douché.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"869218061064077312"}"></div></p>
<p>Notre politique étrangère n’est pas condamnée à cette solitude – l’accord sur le plan de relance européen, répétons-le, l’illustre avec force. Quelques réorientations sur le fond, dans les processus et surtout le « récit » permettraient de changer radicalement les choses.</p>
<p>L’attitude envers Moscou est le point majeur de contentieux. Elle concerne d’ailleurs moins le processus – personne, <a href="https://theconversation.com/la-relation-franco-russe-la-securite-et-les-valeurs-78453">y compris l’auteur de ces lignes</a>, n’a jamais prétendu qu’il ne fallait pas du tout parler avec le Kremlin et fermer les canaux de communication – que le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pourquoi-macron-a-pris-ses-reves-pour-la-realite-lors-de-sa-rencontre-avec-poutine-a-bregancon_fr_5d5fc7a2e4b0dfcbd48c0058">langage employé</a>, étonnamment calqué parfois, sans que le président en ait conscience, sur la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/07/20-ans-apres-poutine-une-conversation-entre-vimont-tenzer-ackerman/">rhétorique désinformative de Moscou</a> (reconnaissance de l’« humiliation » subie par la Russie après la chute de l’URSS, nécessité d’une « compréhension » de ses positions, torts partagés, références historiques peu pertinentes quant au présent, invocation rituelle d’avancées, etc.).</p>
<p>L’empoisonnement de Navalny a conduit à prendre à sa juste mesure la menace systémique posée par le régime de Poutine. Le ton employé à l’égard du chef du Kremlin <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/22/entre-macron-et-poutine-un-dialogue-de-sourds-sur-navalny_6053139_3210.html">lors de la conversation du 14 septembre 2020</a> fut exceptionnellement vif. En outre, pour la première fois, Emmanuel Macron a évoqué publiquement <a href="https://uk.reuters.com/article/france-macron-nordstream/frances-macron-says-nord-stream-2-must-not-increase-europe-gas-reliance-on-russia-idUSP6N2F203Z">l’inquiétude que lui inspire le projet de gazoduc Nordstream 2</a>. La France est aussi prête à s’engager dans de nouvelles sanctions. Le secrétaire d’État à l’Europe a rappelé de son côté que le dialogue avec la Russie n’était <a href="https://amp.economist.com/europe/2020/09/26/france-as-ever-wants-to-be-both-european-and-french?__twitter_impression=true">« ni inconditionnel, ni irréversible »</a>. Le report, <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20200904.AFP0357/l-affaire-navalny-un-coup-dur-pour-le-dialogue-franco-russe.html">pour lequel nous avions plaidé</a>, de la réunion dite 2 + 2 (ministres russes et français des Affaires étrangères et de la Défense) est aussi un signe majeur de changement.</p>
<p>La suspension des discussions liées à la nouvelle « architecture de sécurité et de confiance », <a href="https://www.politico.eu/article/emmanuel-macron-europe-dependency-us-arms/">dont il est difficile de voir ce qu’elle recouvre précisément</a>, serait la suite logique de cette évolution, mais le président français a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/28/emmanuel-macron-va-rencontrer-l-opposante-bielorusse-svetlana-tsikhanovskaia_6053956_3210.html">récusé cette idée</a>. Elle est pourtant nécessaire pour que les acquis, au niveau européen, du leadership dont le président a fait preuve avec le plan de relance ne disparaissent pas au profit d’une initiative <a href="https://www.lejdd.fr/International/Europe/nicolas-tenzer-enseignant-a-sciences-po-tant-que-poutine-sera-au-pouvoir-rien-ne-changera-3912853">dont les résultats seront nuls tant que Poutine restera au pouvoir</a>. L’idée de cette architecture peut certes rester, mais elle devra attendre des temps meilleurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1299042542735028224"}"></div></p>
<p>La présence des <a href="https://www.themoscowtimes.com/2020/09/01/belarus-tv-staffs-up-with-kremlin-funded-journalists-a71306">organes de propagande du Kremlin auprès de Loukachenko</a>, le vraisemblable <a href="https://www.europeanvalues.net/open-letter-the-russian-interference-in-belarus-is-happening-now/">appui d’agents de sécurité russes</a> aux forces de répression de ce régime et les tentatives, encore discrètes, de Poutine visant à empêcher l’instauration d’un régime libre et démocratique en Biélorussie doivent aussi conduire à considérer avec prudence l’idée d’une médiation de l’OSCE dont les tenants et aboutissants pourraient être largement contrôlés par Moscou. Les <a href="https://www.euronews.com/2020/08/28/belarus-dozens-arrested-at-protests-as-lukashenko-changes-tactics-to-quell-unrest">mises en garde discrètes à l’endroit du Kremlin</a> sur une possible prise de contrôle de Minsk, <a href="https://www.themoscowtimes.com/2020/09/23/a-political-union-between-russia-and-belarus-is-creeping-closer-a71523">à travers une union</a> ou toute autre forme de renforcement des liens entre les deux pays, doivent être soutenues par la crédibilité de notre riposte mais dont le contenu manque encore de netteté. Peut-être faut-il tenter de pousser Poutine à lâcher Loukachenko, pour lequel il n’a aucune estime – tentative dont les résultats ne sont pas garantis ; mais les Européens disposent de peu de marges de manœuvre pour organiser la suite en dehors d’un soutien à la société civile et d’aides conditionnelles de l’Union européenne. Il est d’ailleurs significatif que le Kremlin ait dénoncé, après la rencontre entre Emmanuel Macron et la principale figure de l’opposition biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa, une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/bielorussie-emmanuel-macron-a-rencontre-l-opposante-svetlana-tsikhanouskaia_4122479.html">ingérence de la France</a>, ce qui montre aussi, s’il en était besoin, les limites d’un éventuel dialogue.</p>
<h2>La France a besoin d’alliés</h2>
<p>Alors que l’UE paraît plus résolue que par le passé à <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/politique-etrangere/articles-de-politique-etrangere/leurope-dela-covid-19">se définir comme une puissance</a> et à affirmer une politique étrangère propre, la France, désormais seule puissance nucléaire et seul membre permanent du Conseil de sécurité au sein de l’Union, est en position de créer des convergences vitales.</p>
<p>Au-delà des cas russe et chinois, la politique parfois qualifiée de « néo-ottomane » du président turc doit conduire à la fois à une réponse européenne ferme devant ses menaces au cœur de l’Europe, mais aussi à une gestion, délicate et aux résultats potentiels incertains, de ce membre de l’OTAN qui attise le feu de manière préoccupante, récemment encore <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Turquie-pose-soutien-indefectible-lAzerbaidjan-2020-09-28-1201116467">dans le Haut-Karabakh</a>. Et les résultats de l’élection américaine pourraient nous obliger à trouver les moyens d’un renforcement, lui aussi vital, des alliances au sein de l’Europe, mais aussi au-delà de l’UE, <a href="https://www.eastasiaforum.org/2019/12/12/frances-indo-pacific-strategy-inclusive-and-principled/">avec nos alliés d’Asie-Pacifique</a> (Japon, Corée du Sud, Australie, Singapour principalement) vers lesquels la France a commencé à conduire une politique volontariste qui devra <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/limits-french-ambition-indo-pacific">s’amplifier pour vaincre un certain scepticisme dans la région</a>.</p>
<p>Cette multiplicité de fronts ouverts pour l’Europe et la France oblige à une réinvention – parfois une réaffirmation – des principes de notre politique étrangère. Il leur faudra une feuille de route claire en termes de principes et structurée autour d’une vision partagée à la fois des dangers et de la manière de les contrer – ce qui n’est pas encore gagné. Ce point fera l’objet de la seconde partie de la présente réflexion, qui sera publiée demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est aussi président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts, et directeur de la revue Le Banquet. Il a apporté son soutien public à Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle de 2017.</span></em></p>En cette période où des régimes autoritaires comme la Chine, la Russie et la Turquie cherchent à accroître leur emprise internationale, la France doit réaffirmer ses principes et ses alliances.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412402020-06-25T18:15:27Z2020-06-25T18:15:27ZMunicipales 2020 : les alliances LREM-LR ou le retour du clivage gauche/droite ?<p>À Clermont-Ferrand, comme à Bordeaux, à Lyon ou encore à Aurillac, beaucoup de candidats de La République en marche (LREM) s’allient au second tour avec Les Républicains (LR) pour <a href="https://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/2020-06-16/municipales-2020-a-aurillac-comme-a-clermont-ferrand-candidats-lr-et-lrem-font-front-commun-face-au-ps-850325.html">contrer la gauche</a>. Pourtant, ces alliances ne font pas l’unanimité dans les deux forces politiques, obligeant les candidats à revoir leur programme du premier tour.</p>
<p>On est face à un jeu politique classique qui montre que l’ancien monde est toujours d’actualité et que le clivage gauche-droite n’est en rien dépassé.</p>
<p>Cette vision d’un clivage obsolète n’est pas innocente : elle est très dépendante d’une volonté d’affirmer que <a href="https://www.pug.fr/produit/1662/9782706143120/l-entreprise-macron">« l’entreprise Macron »</a> inaugure un monde nouveau, il s’agirait d’une rupture fondamentale introduisant en France un nouveau système partisan avec un parti dominant au centre de l’échiquier politique.</p>
<p>De fait, l’électorat d’Emmanuel Macron de 2017 n’était pas du tout « ni droite ni gauche », il acceptait autant que les autres électorats de se situer sur une échelle gauche-droite et il choisissait souvent la position au centre de l’échelle (39 %) ou les positions voisines de centre gauche (27 %) ou de droite modérée (21 %), d’après <a href="https://cdsp.sciences-po.fr/fr/ressources-en-ligne/ressource/fr.cdsp.ddi.FES2017/">l’enquête post-électorale « French Election Study »</a> (FES 2017).</p>
<p>Au moment des législatives, la nomination d’un premier ministre issu de la droite juppéiste, en la personne d’Edouard Philippe, avait contribué à siphonner l’électorat de droite. La République en marche (LREM) gagnait très largement la majorité absolue à l’Assemblée nationale, mais sur des profils de candidats très diversifiés, ce qui laissait présager la montée des divisions internes et… un avenir incertain. Les Républicains demeuraient malgré tout la première force d’opposition parlementaire.</p>
<p>Comment a-t-on pu en arriver, trois ans plus tard, à des compétitions de second tour municipal où la majorité présidentielle pactise avec la première force d’opposition ? Même si les politiques suivies par le président ont de plus en plus été marquées à droite, le phénomène demande des explications.</p>
<h2>Aux européennes, LREM voulait surtout s’opposer au Rassemblement national</h2>
<p>Au moment des élections européennes de 2019, la majorité présidentielle résistait plutôt bien, réunissant 22,4 % des suffrages (contre 24 % pour Emmanuel Macron au premier tour présidentiel), mais était devancée par le Rassemblement national (23,7 %), ce qui semblait annoncer un système partisan opposant deux forces centrales, LREM et le Rassemblement national, alors que Les Républicains (avec seulement 8,5 % des suffrages) et la gauche semblaient en perdition. Le résultat de LREM s’expliquait avant tout par un glissement d’électeurs de droite vers la parti présidentiel alors <a href="https://www.ifop.com/publication/europeennes-2019-profil-des-electeurs-et-clefs-du-scrutin/">qu’il perdait des électeurs de gauche</a>.</p>
<p>Depuis les européennes de 2019, la division s’est progressivement concrétisée à LREM, notamment autour du projet de réforme des retraites, jugé très bon par certains, trop libéral par d’autres. LREM a perdu récemment la majorité absolue à l’Assemblée. Des députés ont quitté de manière isolée le groupe parlementaire et d’autres sont partis en créant deux nouveaux groupes minoritaires : « Ecologie, démocratie, solidarité », plutôt <a href="http://www2.assemblee-nationale.fr/15/les-groupes-politiques/groupe-ecologie-democratie-solidarite">à la gauche de l’axe central gouvernemental</a>, l’autre, « Agir ensemble », <a href="https://www.20minutes.fr/politique/2788295-20200528-assemblee-nationale-nouveau-groupe-parlementaire-deplume-peu-plus-lrem">plutôt sur sa droite</a>. Au même moment, une cinquantaine de députés LREM ont lancé l’association « En commun » pour peser dans les débats internes à la majorité sur la « transition écologique et sociale ».</p>
<p>Les élections municipales n’étant, en général, pas favorables au pouvoir en place, elles s’annonçaient très difficiles pour LREM. D’autant que le parti présidentiel avait jusque là très peu d’élus municipaux, puisqu’il n’existait pas en 2014. Il ne disposait donc que de quelques maires ralliés après 2017 comme Gérard Collomb à Lyon ou Jean‑Louis Fousseret à Besançon.</p>
<p>Une possible implantation communale du parti présidentiel apparaissait d’autant plus difficile que les maires sortants étaient, en général, à la vielle des élections, assez bien perçus par leurs électeurs.</p>
<h2>L’échec de l’implantation locale de LREM</h2>
<p>Avec la crise du Covid-19, le premier tour municipal faillit être repoussé alors que le confinement de la population se mettait en place. L’abstention a donc atteint un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/06/municipales-2020-abstention-historique-au-premier-tour_6042004_823448.html">niveau historique</a> (55,7 % contre 36,5 % en 2014).</p>
<p><a href="https://elections.interieur.gouv.fr/municipales-2020/">Les résultats</a> mettent en évidence une prime aux maires sortants, un nombre assez important de maires, qu’ils soient membres du Parti Les Républicains (LR) (comme à Troyes), socialistes (comme à Denain, Cahors, Bourg-en-Bresse, Pantin, Alfortville), Rassemblement national (RN) (comme à Hénin Beaumont, à Beaucaire, à Béziers) étant réélus. D’autres édiles sont en ballotage favorable comme à Paris, Nantes et Rennes.</p>
<p>Les conseils municipaux ont été élus dès le premier tour dans plus de 90 % des communes françaises (essentiellement celles de taille limitée). On n’observe pas de rupture électorale avec les résultats de 2014, pas de raz de marée du « nouveau monde » pour reléguer l’ancien aux oubliettes de l’Histoire. Pour LREM, on est très loin de l’euphorie des législatives de 2017. Le parti peine à s’imposer et à s’implanter, même dans des villes qui lui étaient pourtant favorables dans les scrutins précédents. Ainsi, ses listes à Paris, minées par la division, <a href="https://www.lemonde.fr/resultats-elections/paris-75056/">font des scores décevants</a>, 17,3 % pour Agnès Buzyn (LREM), 7,9 % pour Cédric Villani (dissident LREM).</p>
<p>Pour le second tour, les espoirs de gains de villes importantes sont rares. Derrière Edouard Philippe, la <a href="https://www.ifop.com/publication/le-climat-politique-a-lille-au-second-tour-des-elections-municipales-de-juin-2020/">liste LREM pourrait cependant l’emporter au Havre</a> mais dans un duel serré contre une liste communiste.</p>
<p>Si LREM échoue à s’implanter, les écologistes profitent fortement de ce premier tour, ce qui prolonge leur succès des européennes de 2019 et s’explique par les préoccupations renforcées des <a href="http://www.fondationecolo.org/activites/publications/PerceeVerteMunicipales">Français pour l’écologie de proximité</a>.</p>
<p>Cet échec au niveau local pousse LREM à trouver chez Les Républicains (LR) de nouveaux alliés leur permettant de remporter plus de communes au second tour.</p>
<h2>Ententes entre gauche et EELV, LR et LREM : des répercussions nationales ?</h2>
<p>Le scrutin du 28 juin concerne donc surtout les grandes villes, soit un tiers de la population française. Les enjeux de ces élections sont considérés comme locaux par beaucoup d’électeurs qui votent en fonction des programmes et de la personnalité des candidats, plutôt qu’en fonction de leurs appartenances partisanes. Mais on pourra cependant probablement tirer quelques enseignements de portée plus générale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1275099666712068098"}"></div></p>
<p>Les alliances entre listes se sont fait dans des négociations surtout locales, sans grande régulation nationale, du fait de l’affaiblissement des partis. On trouve de nombreuses alliances entre listes écologistes et listes de gauche, constituant un « front de gauche écolo », contre lequel l’alliance LREM-LR va tenter de se dresser.</p>
<p>Cette stratégie souvent vert-rose, alors qu’elle était plutôt rose-verte autrefois du fait de la domination socialiste, semble pouvoir être payante. Cette union pourrait s’imposer dans plusieurs grandes villes.</p>
<p>Les Verts ne dirigeaient un grand exécutif municipal qu’à Grenoble, mais pourraient gagner Lyon, Strasbourg, Poitiers, Besançon, Bordeaux, <a href="https://toulouse.latribune.fr/politique/elections/2020-06-15/municipales-maurice-en-pole-position-face-a-moudenc-a-toulouse-850235.html">Toulouse</a>, Tours. Ils <a href="https://www.lavoixdunord.fr/766270/article/2020-06-17/municipales-lille-selon-notre-sondage-martine-aubry-et-stephane-baly-dans-un">menacent Martine Aubry à Lille</a>. Les résultats à Marseille restent très incertains, ils se jouent sur 8 secteurs avec des alliances variées, résultat des tensions internes aussi bien à gauche qu’à droite. Marseille pourrait basculer à gauche, ce qui serait un <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/6019362/municipales-notre-sondage-exclusif-place-rubirola-loin-devant-vassal.html">désaveu fort des politiques menées par Jean‑Claude Gaudin</a>.</p>
<p>Face à la dynamique écologiste souvent appuyée par les autre partis de gauche, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/03/elections-municipales-accords-et-desaccords-avant-le-sprint-du-second-tour_6041619_823448.html">LREM et Les Républicains</a> se sont aussi souvent unis pour le second tour, comme <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/12/a-lyon-gerard-collomb-face-au-declin-de-son-empire_6042580_823448.html">à Bordeaux, Strasbourg, Tours et même Lyon</a>. Les alliances entre LREM et la gauche au premier et au second tour sont rares et concernent des <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2020/06/05/municipales-combien-d-alliances-lrem-a-t-elle-passe-avec-la-droite-ou-la-gauche-pour-le-second-tour_1790206">villes plus petites</a>. Ce qui confirme l’évolution à droite de la majorité depuis 2017.</p>
<p>On verra donc dimanche prochain s’opposer le plus souvent une alliance LR-LREM à une alliance EELV-gauche. Le clivage gauche droite semble donc bien structurer cette élection locale. C’est à l’intérieur de chaque camp que les équilibres ont bougé par rapport au passé, avec la montée des écologistes d’un côté, et celle d’un parti centriste de l’autre.</p>
<p>Ce rapprochement – municipal – entre LR et LREM avait été envisagé il y a déjà plusieurs mois. Mais du fait de récriminations nombreuses chez les Républicains, craignant d’y perdre leur âme et d’être vassalisés, cela n’avait pas abouti.</p>
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<figcaption><span class="caption">Municipales : LR-LREM, une stratégie qui ne plaît pas à tout le monde, le 16 décembre 2019.</span></figcaption>
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<p>Le risque de nombreuses victoires de l’écologie rose et rouge le 28 juin a donc poussé les listes en difficulté à s’unir pour espérer sauver des villes. On verra dimanche soir si cette stratégie aura convaincu les électeurs.</p>
<h2>Une alliance LR-LREM au-delà des municipales, pour faire barrage à la gauche et au RN ?</h2>
<p>L’implantation municipale du Rassemblement national (RN) reste timide. S’il a réussi à maintenir ses quelques fiefs, il n’est que rarement en position de s’imposer au second tour. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/20/a-perpignan-front-republicain-contre-front-anti-pujol-pour-le-second-tour-des-municipales_6043579_823448.html">Perpignan</a> est la seule ville, traditionnellement de droite, où le Rassemblement peut espérer l’emporter, Louis Aliot ayant obtenu 35,7 % des suffrages, loin devant le sortant LR.</p>
<p>On affirmait il y a quelques années que le système partisan avait de fortes chances d’évoluer <a href="https://www.cairn.info/la-france-vers-le-bipartisme--9782724610109.htm">d’un système bipartisan</a> avec alternance entre les deux grands partis de gouvernement vers un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2013-2-page-279.htm">système tripolaire opposant gauche</a>, droite et Rassemblement national (RN). Depuis 2017, on semblait s’acheminer vers un duopole entre République en marche (LREM) et Rassemblement national (RN).</p>
<p>Avec ces municipales, on semble voir émerger un tripode un peu nouveau, avec des écologistes unis à d’autres forces de gauche, une alliance entre LREM et Les Républicains, et, toujours isolé, le Rassemblement national (RN).</p>
<p>L’alliance entre La République en marche (LREM) et Les Républicains n’est-elle que conjoncturelle pour faire face à la progression écologiste ou bien aura-t-elle un véritable impact sur les présidentielles de 2022 ? Et auparavant, sur les départementales et les régionales prévues – théoriquement – en 2021 ?</p>
<p>Les alliances électorales municipales peuvent rester longtemps différentes des coalitions nationales, comme le maintien d’ententes locales de gauche, alors que la désunion faisait rage au plan national, l’a démontré ces dernières décennies.</p>
<p>On peut penser que l’exécutif aimerait bien vassaliser Les Républicains et peut pour cela chercher à étendre la majorité lors de remaniements ministériels. Mais une partie des Républicains résistera certainement.</p>
<p>Pour les présidentielles de 2022, face à Emmanuel Macron, il est vraisemblable que Les Républicains voudront faire entendre leur différence et qu’ils choisiront donc un candidat pour les représenter au premier tour. Tout dépendra ensuite des résultats. C’est avec la qualification de deux candidats pour le « scrutin décisif » que les désistements et les alliances pour gouverner au cours du prochain quinquennat pourront se nouer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141240/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le clivage gauche-droite n’est en rien dépassé, comme le montrent les stratégies d’alliances au second tour des municipales, qui a vu beaucoup de candidats LREM se rapprocher des Républicains.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1290152019-12-17T17:42:48Z2019-12-17T17:42:48ZL’OTAN est morte… vive l’OTAN ?<p>Le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_171733.htm">70ᵉ anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord</a> (OTAN), célébré à Londres les 3 et 4 décembre 2019, a été marqué par de fortes dissensions entre les États membres de l’Alliance atlantique. La France en particulier semble avoir renoué avec son rôle de trublion au sein de l’organisation quand le président de la République a estimé peu avant le sommet, dans un entretien accordé au journal britannique <em>The Economist</em>, que l’OTAN se trouvait en état de <a href="https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-warns-europe-nato-is-becoming-brain-dead">« mort cérébrale »</a>. </p>
<p>Mais qu’en est-il vraiment ? L’OTAN est-elle en voie d’extinction ? Cette posture critique du président français ne relève-t-elle pas avant tout d’une stratégie politique ?</p>
<h2>L’OTAN, un phénix de la sécurité collective</h2>
<p>L’OTAN est une alliance militaire, soit une communauté d’États qui se réunissent pour faire face à des menaces qui pèsent sur eux en vue d’assurer leur sécurité collective. Née pendant la guerre froide suite à la signature du Traité de Washington (4 avril 1949), elle visait à l’origine à répondre à la menace conventionnelle soviétique. Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN demeure la plus grande organisation militaire du monde, forte de 29 États membres et totalisant près de 70 % du budget militaire mondial. Elle a connu une transformation profonde à travers un élargissement géographique (en intégrant un grand nombre d’anciennes républiques soviétiques) et une <a href="https://www.scienceshumaines.com/la-globalisation-de-l-otan_fr_26702.html">globalisation</a> de ses missions qui l’a conduite à intervenir dans nombre de conflits armés contemporains (notamment au Kosovo, en Afghanistan et en Libye). Elle a également, depuis une décennie, largement investi le cyberespace, conçu comme le cinquième espace de conflictualité (avec la terre, la mer, l’air et l’espace), faisant de la cyberdéfense l’une de ses priorités.</p>
<p>Pour autant, la question de son bien-fondé a été régulièrement soulevée ces trois dernières décennies. Dans les premières années qui ont suivi la fin de la guerre froide, l’OTAN était perçue comme une nécessité par les États-Unis, qui ne voulaient pas être mis à l’écart de la question de la sécurité européenne. Jusqu’au milieu des années 2000, Washington a d’ailleurs suivi de près les initiatives européennes en matière de défense, notamment lorsque Londres a décidé de se rattacher au projet consistant à doter l’Union européenne d’une capacité autonome de défense lors du <a href="https://www.cvce.eu/obj/declaration_franco_britannique_de_saint_malo_4_decembre_1998-fr-f3cd16fb-fc37-4d52-936f-c8e9bc80f24f.html">sommet franco-britannique de Saint-Malo</a> de décembre 1998, suite à l’expérience du difficile engagement américain dans les Balkans. La secrétaire d’État Madeleine Albright rappelait ainsi le 8 décembre 1998 à ses partenaires européens la <a href="https://1997-2001.state.gov/statements/1998/981208.html">règle des « 3D »</a>, soit non-découplage, non-duplication et non-discrimination envers les États membres de l’OTAN et non membres de l’Union européenne.</p>
<p>Néanmoins, depuis l’engagement de l’OTAN en Afghanistan (depuis 2003) et en Libye (2011), et la stratégie de pivot des États-Unis vers l’Asie amorcée par le président Obama, l’Alliance atlantique semble davantage sujette à controverse à Washington, au point que Donald Trump l’avait peu après son élection estimée <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-38635181">obsolète</a>. S’il a fini par réviser cette position quelques mois plus tard, le président américain n’a cependant eu de cesse depuis le printemps 2017 de critiquer le manque d’investissement financier des États européens dans l’OTAN.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lotan-survivra-t-elle-a-donald-trump-128069">L’OTAN survivra-t-elle à Donald Trump ?</a>
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<p>Dès lors, les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-les-70-ans-de-lotan-assombris-par-les-dissensions-et-une-video-embarrassante">dissensions</a> entre États membres (en particulier les États-Unis, la Turquie et la France) observées lors du dernier sommet de l’OTAN en décembre 2019, de même que les critiques du président français à l’égard de l’organisation, visent plus à interroger son avenir qu’à la reléguer au second plan. Au fond, la vindicte de Donald Trump à l’encontre de ses alliés européens insuffisamment dépensiers à ses yeux peut aussi être comprise à la lumière des progrès, depuis 2016 et l’annonce du Brexit, de la politique de défense développée par l’Union européenne et du <a href="https://theconversation.com/une-armee-europeenne-au-dela-du-simple-slogan-107118">projet d’armée européenne</a> lancé par le président Macron et la chancelière Merkel en novembre 2018.</p>
<h2>La France et l’OTAN : entre défection et prise de parole</h2>
<p>La critique du président français à l’égard de l’OTAN rejoint une tradition française à l’égard de l’Alliance impulsée par le général de Gaulle qui décida le 7 mars 1966 de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN afin de maintenir l’autonomie de décision stratégique de la France. Pour bien saisir l’évolution de la stratégie politique française à l’égard de l’Alliance, le <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-2-page-244.htm">modèle proposé par l’économiste Albert O. Hirschman</a> est intéressant. Étudiant les services publics, celui-ci conçoit trois possibilités de positionnement au sein d’une organisation : les stratégies de défection (exit), de prise de parole (voice) ou de loyauté (loyalty).</p>
<p>Si entre 1966 et la fin de la guerre froide la stratégie politique de Paris vis-à-vis de l’OTAN a été la défection, Paris a toutefois témoigné d’une forme de loyauté à l’égard de l’Alliance en se positionnant – dès avant la réintégration de la France dans l’ensemble des structures politico-militaires de l’organisation en 2009 – comme l’un de ses <a href="https://otan.delegfrance.org/La-France-et-l-OTAN-presentation">principaux contributeurs de troupes</a> dans les Balkans dans les années 1990 puis en Afghanistan à partir de 2003. Aujourd’hui, la France déploie plusieurs centaines d’hommes dans le cadre de la « présence avancée renforcée » (enhanced Forward Presence, eFP) de l’OTAN lancée lors du sommet de l’Alliance à Varsovie en juillet 2016 dans les pays baltes et en Pologne suite à l’annexion de la Crimée par la Russie et au conflit ukrainien.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">La pointe avancée de lʼOTAN dans les pays baltes : une épine pour Moscou</a>
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<p>Le retour complet de la France dans l’OTAN en 2009, après une tentative avortée sous la présidence de Jacques Chirac en 1995, a induit un changement au profit d’une stratégie de prise de parole, permise tant par le retour de la France dans l’ensemble des arènes de discussions otaniennes que par la récupération par Paris de deux commandements importants au sein de l’OTAN : le commandement régional de Lisbonne, qui héberge la Force de réaction rapide, et le <a href="http://www.opex360.com/2018/06/07/otan-general-lanata-nomme-a-tete-commandement-allie-transformation/">commandement ACT de Norfolk</a>, en Virginie, qui pilote la transformation de l’Alliance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/307439/original/file-20191217-58339-1s487ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le général français André Lanata occupe de le poste de Commandant suprême allié pour la transformation (ACT) de l’OTAN depuis le 13 septembre 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pictures/stock_2018/20180912_180911-sact1_rdax_775x436.jpg">OTAN</a></span>
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<p>Ce changement de stratégie politique remonte en réalité avant 2009. Dès le début des années 1990, Paris avait tenté de tirer parti de la nécessaire réforme de l’organisation pour faire avancer ses projets de <a href="https://theconversation.com/le-couple-franco-allemand-et-la-relance-de-la-defense-europeenne-89264">défense européenne</a> dans le cadre de l’UE. Ainsi, en 1990, le sommet de l’Alliance à Rome, les 7-8 novembre 1990, permit pour la première fois la prise en compte de l’affirmation d’une <a href="https://www.nato.int/acad/fellow/97-99/sanjose.pdf">Identité européenne de sécurité et de défense (IESD)</a>. Il s’agissait d’un compromis entre la France et l’Alliance, Paris s’inquiétant de voir l’OTAN déborder de son rôle militaire (des discussions étaient en cours sur l’élargissement futur de l’Alliance aux anciens satellites soviétiques). C’est donc à nouveau une stratégie de prise de parole qu’a choisie le président Macron en employant à dessein des termes choquants : son objectif n’est pas tant d’enterrer l’OTAN que d’exhorter ses partenaires à réfléchir à l’avenir de l’organisation et à un meilleur partage des tâches avec la politique européenne de défense si chère à la France.</p>
<p>Si l’ambiance tendue du 70<sup>e</sup> anniversaire de l’OTAN et le <a href="https://orientxxi.info/magazine/syrie-l-attaque-turque-rebat-les-cartes,3412">cavalier seul de la Turquie sur le dossier syrien</a> ces dernières semaines peuvent laisser penser que le phénix ne renaîtra pas de ses cendres cette fois, il est utile de se rappeler que tout imparfaite qu’elle soit, l’Alliance atlantique reste le seul forum de dialogue transatlantique sur les questions de sécurité et de défense. Elle conduit d’ailleurs, avec plus ou moins de succès, un dialogue avec la Russie à travers le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/la-russie-est-prete-a-cooperer-avec-l-otan-malgre-son-comportement-grossier_2109813.html">Conseil OTAN-Russie</a> (COR). C’est un forum sur lequel nombre de pays européens continuent de parier plus que sur une défense européenne réellement autonome, dont l’horizon semble encore lointain…</p>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Deschaux-Dutard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’acte de décès de l’OTAN a souvent été dressé depuis la fin de la guerre froide, y compris tout récemment, mais l’Alliance est toujours là et a peut-être encore de longues années devant elle.Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1285642019-12-16T17:49:43Z2019-12-16T17:49:43ZCoopétition : trois principes pour manager les tensions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/306360/original/file-20191211-95125-7hc9b1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=418%2C22%2C6930%2C4715&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mettre en place un duo de managers et l'une des solutions préconisées par la recherche. </span> <span class="attribution"><span class="source">LightField Studios / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pas une semaine ne passe sans que des entreprises concurrentes annoncent une coopération sur certaines de leurs activités, tout en restant en concurrence. Ainsi en septembre 2019, à la surprise générale, Canal+ annonçait un <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/le-pari-risque-de-canal-1132160">accord avec Netflix</a>, son pire ennemi dans la distribution de vidéo à la demande. Fin novembre 2019, c’était au tour de <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/concurrents-acharnes-l-or-et-nespresso-s-allient-pour-recycler-leurs-capsules-20191128">L’Or et de Nespresso</a>, concurrents acharnés sur la vente de café, d’annoncer une alliance sur le recyclage de leurs capsules.</p>
<p>Ces stratégies, relativement contre-intuitives, portent le nom de <a href="http://theconversation.com/la-coopetition-et-si-votre-concurrent-devenait-votre-meilleur-allie-79704">stratégies de coopétition</a> et présentent de nombreux bénéfices. Elles permettent par exemple d’accéder à des technologies complémentaires pour créer de nouveaux produits ou à des canaux de distribution supplémentaires pour se développer sur de nouveaux marchés. La coopétition permet également de réduire les coûts de développement et de partager les risques financiers entre les partenaires-concurrents.</p>
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<figcaption><span class="caption">Spot publicitaire qui annonce le lancement de l’offre conjointe Canal+ et Netflix (octobre 2019).</span></figcaption>
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<p>Mais coopérer avec un concurrent n’est pas toujours aisé est tous les accords de coopétition n’aboutissent pas toujours à une situation gagnant-gagnant. En effet, cette stratégie comporte également un certain nombre de risques. Si les tensions sont trop fortes, elles peuvent détruire toute la valeur créée par la coopétition aboutissant soit à une situation gagnant-perdant ou, pire, à une situation de perdant-perdant. Mais la réussite ou l’échec d’une relation n’est pas une question de hasard : elle tient principalement à la capacité des « coopétiteurs » <a href="https://www.researchgate.net/publication/327473961_From_Strategizing_Coopetition_to_Managing_Coopetition">à gérer ces tensions et ces risques</a>.</p>
<h2>Le risque du « passager clandestin »</h2>
<p>La principale source de risque auquel les « coopétiteurs » sont exposés provient de la tentation que peuvent avoir les entreprises d’agir de manière opportuniste, c’est-à-dire de trahir leur partenaire.</p>
<p>Le risque d’opportunisme est inhérent à toute relation de coopération entre organisations, mais il est d’autant plus fort lorsque la relation implique des concurrents comme dans la coopétition. En effet, lorsque deux concurrents coopèrent ensemble, ils peuvent être tentés de limiter leur niveau de coopération au minimum, c’est-à-dire de jouer les « passagers clandestins », tout en essayant de capter le maximum de bénéfices de la coopération.</p>
<p>Cette approche consiste à utiliser la coopétition comme un moyen d’affaiblir ou de surpasser son concurrent. En parallèle, les coopétiteurs ont également conscience que, bien que concurrents, ils doivent coopérer pour innover, maintenir leur compétitivité ou se développer sur de nouveaux marchés. Les coopétiteurs vont donc accepter le risque d’opportunisme pour obtenir des bénéfices supérieurs, mais ce risque d’opportunisme va se traduire par de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0019850113002149">multiples tensions</a> et ce à différents niveaux.</p>
<h2>Des tensions coopétitives à tous les niveaux</h2>
<p>Au niveau organisationnel, la principale tension coopétitive provient du dilemme entre création et appropriation de la valeur. Prenons l’exemple d’hôtels concurrents dans une station de ski qui décident de collaborer pour lancer une grande campagne de communication pour attirer les touristes dans cette station. Chaque hôtel doit consacrer une partie de son budget à cette campagne de communication pour la station. Plus les hôtels y consacrent un budget élevé, plus la campagne de communication sera efficace et plus le nombre de touristes dans la station (et donc la valeur créée) sera élevé. Mais en même temps, chaque hôtel a intérêt à limiter son engagement dans cette campagne « commune » pour garder suffisamment de budget pour faire la communication de son propre hôtel et avoir une part de marché plus élevée dans la station de ski. Cet arbitrage sur l’affectation des budgets, employés et ressources dans la création ou l’appropriation de valeur est au cœur de la coopétition et représente une tension cruciale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305824/original/file-20191209-90597-174feih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le secteur du tourisme dans les stations de montagnes est particulièrement exposé aux tensions qui peuvent naître de la coopétition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sander van der Werf/Shutterstock</span></span>
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<p>Au niveau opérationnel, de nouvelles tensions coopétitives apparaissent, par exemple concernant la répartition des tâches. Qui fait quoi ? Selon quels critères ? Faut-il répartir les tâches en fonction de leur importance stratégique ou en fonction de leur importance financière ?</p>
<p>D’autres tensions peuvent en outre apparaître en lien avec le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0019850113002149">partage et la protection de l’information</a>. Dans le cadre du programme Yahsat (un projet de satellites de communication aux Émirats), EADS (aujourd’hui Airbus) et Thalès, deux entreprises concurrentes, ont dû coopérer <a href="https://gulfnews.com/technology/eads-thales-consortium-wins-dh6b-yahsat-deal-1.194698">pour remporter l’appel d’offres</a> en 2007. Pour mener à bien ce projet, elles devaient partager des informations stratégiques, techniques et financières, faute de quoi le projet ne pouvait pas réussir. Mais en même temps, ces informations partagées pouvaient être utilisées par leur partenaire-concurrent sur d’autres appels d’offres pour des satellites où ils allaient se retrouver en concurrence. Comment donc savoir quelle information partager ou garder pour soi ?</p>
<p>Enfin, au niveau individuel, des tensions coopétitives peuvent apparaître chez les salariés impliqués dans ces relations de coopétition. Les individus doivent être capables à la fois de coopérer et de se concurrencer avec le même partenaire. Ils reçoivent des injonctions contradictoires et sont souvent stigmatisés par les autres salariés qui les perçoivent comme des « traitres » parce qu’ils collaborent avec des concurrents. Cette ambiguïté de rôles créée de la dissonance cognitive chez les individus et peut représenter une source de stress additionnelle.</p>
<h2>Trois principes pour embrasser la coopétition</h2>
<p>La coopétition étant par nature paradoxale, il ne faut pas essayer de réduire ou nier les tensions qui la caractérisent, mais il faut au contraire les embrasser pleinement. Détruire les tensions, c’est détruire le caractère dual de la coopétition et donc supprimer tous les bénéfices que l’on peut en tirer. Alors comment gérer une relation de coopétition ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment gérer les projets d’innovation avec des concurrents ? (Xerfi canal, 2016)..</span></figcaption>
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<p>Pour y parvenir, nous pouvons recommander aux entreprises, sur la base de nos travaux de recherche, de <a href="https://www.researchgate.net/publication/318845955_Implementing_the_right_project_structure_to_achieve_coopetitive_innovation_projects">combiner trois principes</a> : un principe de séparation au niveau de l’entreprise, un principe de co-management au niveau du projet et un principe d’intégration au niveau de l’individu.</p>
<p>Au niveau de l’entreprise, le principe de séparation s’appuie sur l’idée que la majorité des individus ne peuvent pas gérer le paradoxe lié à la coopétition et donc que les entreprises doivent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S001985019900067X">séparer les activités</a> sur lesquelles elles sont en coopération des activités sur lesquelles elles sont en compétition. Cette séparation organisationnelle permet de cloisonner les différents services et d’éviter les recoupements entre les activités. Ce faisant, les risques de transfert de connaissances du cœur de métier vers le coopétiteur seront plus limités.</p>
<p>Au niveau des projets, les entreprises sont invitées à mettre en place un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1467-8551.12095">principe de co-management</a>. L’objectif est de travailler sur l’organisation et la structuration des équipes en dupliquant les postes de management des équipes-projets de manière à préserver l’équité de la relation et l’équilibre des pouvoirs dans la prise de décision. Chaque décision relative au projet sera ainsi prise par un duo de managers. Cette double boucle permet une double vérification des décisions prises, d’éviter les transferts involontaires d’informations, mais aussi d’améliorer la légitimité des décisions prises. Les membres des équipes reçoivent ainsi leurs directives de la part d’un manager issu de leur organisation et non de l’organisation concurrente, ce qui évite la remise en question de la décision.</p>
<p>Enfin, au niveau individuel, il est recommandé aux entreprises d’impliquer dans les relations de coopétition, des managers capables d’intégrer le paradoxe, de comprendre l’intérêt de coopérer avec son concurrent et d’agir suivant cette logique duale. En d’autres termes, le succès d’une relation de coopétition tient certes à des structures organisationnelles, mais il tient surtout à la présence d’humains qui sont capables de transcender ce paradoxe et de comprendre quand il faut partager avec son concurrent et quand il faut au contraire se protéger. Mais ces individus sont des perles rares, et leur recrutement ou la formation de « coopetition managers » deviennent donc essentiels pour réussir sa stratégie de coopétition.</p>
<p>Le management de relations de coopétition bouleverse les pratiques de management traditionnelles que nous connaissons. Des transformations sont nécessaires au sein des entreprises, en termes d’organisation et de management, pour saisir tous les enjeux de la logique coopétitive et en bénéficier pleinement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128564/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Séparer les activités, duo de management et recrutement ciblé sont les clés pour limiter les tentations de trahir le partenaire, qui reste par ailleurs un concurrent.Anne-Sophie Fernandez, Maître de conférences HDR en stratégie, Université de MontpellierPaul Chiambaretto, Enseignant-chercheur, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283222019-12-04T19:01:05Z2019-12-04T19:01:05ZQuel rôle pour l’OTAN dans les Balkans ?<p>Alors que l’OTAN vient de tenir son sommet annuel à Londres, Emmanuel Macron n’est pas le seul à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-president-francais-emmanuel-macron-juge-l-otan-en-etat-de-mort-cerebrale-20191107">s’interroger sur l’avenir</a> d’une alliance en théorie défensive, créée en 1949 dans le cadre de la Guerre froide pour protéger les pays d’Europe de l’Ouest contre une éventuelle attaque soviétique. Donald Trump, on le sait, n’est <a href="https://theconversation.com/lotan-survivra-t-elle-a-donald-trump-128069">pas un grand admirateur</a> d’une Alliance qu’il juge obsolète. Il est cependant une région où l’OTAN semble, à première vue, en phase avec son temps : les Balkans occidentaux, où son élargissement a été jusqu’ici plus rapide que celui de l’Union européenne.</p>
<p>Quatre pays de cette zone ont rejoint l’OTAN au cours des quinze dernières années : la Slovénie en 2004, la Croatie et l’Albanie en 2009 et le Monténégro en 2017. Un cinquième, la Macédoine du Nord, est en cours d’adhésion. Les trois autres – la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et la Serbie – se trouvent, pour leur part, dans l’antichambre de l’OTAN, le « Partenariat pour la paix ». Cette dynamique est toutefois quelque peu trompeuse : dans les Balkans aussi, l’action et la présence de l’Alliance sont loin de faire l’unanimité. Ne serait-ce que parce que nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié son intervention contre la Serbie en 1999, <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/afdi_0066-3085_1999_num_45_1_3565.pdf">à la légalité pour le moins discutable</a>. Analyse de cinq cas emblématiques.</p>
<h2>Monténégro : une adhésion coûteuse</h2>
<p>Les États-Unis ont réussi à intégrer le petit Monténégro à l’OTAN en 2017, en faisant pression sur le gouvernement de Milo Djukanović. Presque 20 ans après les bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Monténégro, il fallait arriver à persuader l’ancien <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/05/23/forme-par-milosevic-milo-djukanovic-a-la-reputation-de-melanger-politique-et-business_774892_3214.html">partisan de Slobodan Milošević</a> de se placer sous protection étatsunienne. La Maison Blanche avait déjà, depuis de nombreuses années, obligé le Monténégro à abandonner ses équipements militaires hérités du Pacte de Varsovie, réduisant par exemple sa flotte navale à la portion congrue. L’intérêt géostratégique pour Washington est de s’assurer d’un contrôle sur le canal d’Otrante, au débouché de l’Adriatique, là où arrivent les tubes gaziers TANAP et NABUCCO. </p>
<p>C’est donc logiquement que, le 2 décembre 2015, l’OTAN a invité le Monténégro à rejoindre l’Alliance atlantique, ce qui a abouti à son intégration à la mi-2017. Le Pacte atlantique est perçu par le gouvernement de Podgorica comme « la garantie la plus fiable pour les investisseurs » et le seul moyen d’assurer la sécurité. Mais Moscou, voyant lui échapper un point d’appui en mer Adriatique et une nation toujours très proche de ses positions diplomatiques, objet de toutes les convoitises des gouvernements russes depuis Pierre le Grand, a vite réagi. Vladimir Poutine a <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-le-montenegro-integre-lotan-la-russie-prend-des-sanctions">annoncé</a>, dans les jours suivant la décision de l’OTAN, l’arrêt de l’ensemble des échanges commerciaux avec les entreprises monténégrines. Depuis, les investisseurs russes ont largement quitté le pays.</p>
<h2>Kosovo : la passivité de l’OTAN</h2>
<p>Depuis les <a href="http://www.institut-strategie.fr/?p=1073">accords de Kumanovo</a> du 10 juin 1999, le Kosovo est partagé en cinq zones militaires contrôlées par l’OTAN. Les soldats de la KFOR (Force de l’OTAN au Kosovo) sont aujourd’hui au nombre de 4 000, après avoir été de 42 000 en 2000 et encore de 16 500 en 2010. Mais la présence de l’OTAN n’a pas permis de pacifier pleinement le Kosovo : 250 000 Serbes, 140 000 Roms et des milliers de Bosniaques, Goranis, Turcs et Juifs ont été <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2004_num_35_1_1650">expulsés de leur terre natale</a> par les milices de l'UCK entre 1999 et 2004, au nez et à la barbe des soldats de la KFOR. En mars 2004, un <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-4-page-145.htm">pogrom anti-serbe</a>, lors duquel 19 personnes ont été tuées et 34 églises orthodoxes serbes détruites, s’est déroulé sous le regard quasiment impassible des soldats de l’OTAN.</p>
<p>Cette passivité de l’OTAN explique en partie qu’en octobre 2018, le Parlement de Pristina ait <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/le-kosovo-cree-son-armee-les-serbes-s-enervent-l-otan-deploie-ses-forces-sur-place-6128176">voté</a>, en violation flagrante de la Résolution 1244 de l’ONU, une loi permettant de créer une « Armée du Kosovo » forte de 5 000 hommes. Au grand dam de Belgrade et Moscou, les États-Unis soutiennent ce projet.</p>
<p>Cette même année 2018, plusieurs événements ont amené le Kosovo au bord de la guerre civile. En mars, le directeur serbe du bureau du Kosovo-Métochie, Marko Djurić, en visite officielle auprès des maires des communes serbes du Kosovo-Nord, a été littéralement kidnappé à Mitrovica puis <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/mar/26/kosovo-serbia-politician-marko-djuric">molesté dans les rues de Priština par la police du Kosovo</a>. En septembre, des membres de cette même police ont <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/21/serbie-kosovo-le-lac-de-gazivode-pole-de-discorde_1758928">bloqué la centrale électrique de Gazivode</a>, lors d’une opération commando digne des plus mauvais films américains. Enfin, en novembre 2018, les autorités de Priština ont déclaré un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2018/11/21/97002-20181121FILWWW00341-le-kosovo-taxe-les-produits-serbes-de-100-apres-son-echec-d-adhesion-a-interpol.php">blocus commercial</a> aux frontières avec la Serbie, provoquant des manques alimentaires importants dans la partie majoritairement serbe du Kosovo-Nord.</p>
<h2>Bosnie-Herzégovine : le blocage</h2>
<p>Dans ce pays à <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2015_num_28_3_4849">l’architecture étatique complexe</a> – il est divisé entre la Fédération croato-musulmane (peuplée aux trois quarts de Bosniaques musulmans et pour un quart de Croates) et la Republika Srpska (RS, peuplée à près de 90 % de Serbes) –, la question de l’adhésion à l’OTAN reste très conflictuelle. Depuis quelques mois, ce sujet ravive les tensions en Bosnie-Herzégovine, à la fois entre Serbes et musulmans, mais aussi au sein de la RS.</p>
<p>En effet, les négociations sur la formation d’un gouvernement central plurinational achoppent précisément sur l’adhésion à l’OTAN. Alors que la Fédération défend cette adhésion depuis de longues années, la RS refuse bec et ongles. Or, mi-novembre, le membre serbe de la présidence tournante de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, a accepté un <a href="http://thesrpskatimes.com/dodik-adopted-document-does-not-affect-military-neutrality/">paquet de réformes</a> qui comprend l’intégration au Plan d’Action de l’OTAN. Cette entrée dans l’antichambre de l’OTAN a provoqué les foudres de l’opposition serbe à Dodik. La Bosnie-Herzégovine n’intégrera pas l’Alliance avant longtemps.</p>
<h2>Serbie : le principe de neutralité</h2>
<p>Le 18 juillet 2005, la Serbie-Monténégro signait avec l’OTAN un accord autorisant le transit des forces armées atlantiques à travers tout son territoire et l’utilisation des garnisons le long des routes principales. Six ans après l’opération « Force alliée » de 1999, les autorités serbes semblaient vouloir à tout prix intégrer la structure atlantique, même au prix d’une limitation de leur souveraineté. Mais depuis cet accord, aucune progression n’a été observée. </p>
<p>L’opinion serbe est farouchement et très majoritairement <a href="http://iea.rs/en/blog/2018/03/23/sta-gradjani-srbije-misle-o-nato-i-saradnji-nakon-19-godina-od-bombardovanja/">hostile à l’adhésion</a>. Par ailleurs, en 2012 arrive au pourvoir la coalition nationaliste du Parti progressiste serbe (SNS) et du Parti populaire serbe (SNP) ; ces derniers imposent une inflexion pro-russe à la politique extérieure. Aujourd’hui, les autorités de Belgrade – qui ont signé le 16 janvier 2015 un Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP) avec l’OTAN, soit la dernière étape avant l’adhésion définitive à l’Alliance – ont érigé en dogme le principe de « neutralité » : l’armée s’autorise donc à effectuer des manœuvres conjointes aussi bien avec des soldats de l’OTAN, sous domination américaine, qu’avec des troupes de la CEI, contrôlées par la Russie.</p>
<h2>Macédoine : un accord qui ulcère les nationalistes</h2>
<p>En juin 2018, la FYROM (ou ARYM en français, pour Ancienne République yougoslave de Macédoine) signe avec la Grèce les <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-accord-sur-le-nom-de-macedoine-est-une-percee-pour-les-balkans-selon-skopje_2018014.html">Accords de Prespa</a> qui mettent fin à une dispute de près de trente ans sur le nom même du pays, les Grecs bloquant l’adhésion de la FYROM tant que le nom de Macédoine serait utilisé. Désormais, la FYROM s’appellera « Macédoine du Nord », ce qui permet d’accélérer son adhésion aux structures euro-atlantiques. </p>
<p>La suite logique de ce processus d’arrimage à l’Occident est la ratification par la Grèce, le 6 février 2019, d’un <a href="http://fmes-france.org/la-macedoine-du-nord-30eme-membre-de-lotan/">protocole d’adhésion à l’OTAN de la Macédoine</a>. Mais les Accords de Prespa ne sont pas allés sans heurts. Les nationalistes grecs comme macédoniens <a href="https://www.dw.com/en/greeces-anti-macedonia-protests-fuel-nationalist-sentiment/a-44116256">les rejettent violemment</a>. On peut donc estimer que le coût payé par le pays pour entrer dans l’OTAN aura été très élevé : les nationalistes macédoniens du VMRO-DPMNE pourraient revenir au pouvoir du fait des accords de Prespa.</p>
<p>Le processus d’adhésion des pays du sud-est de l’Europe à l’OTAN, qui était en bonne voie dans la première décennie du XXI<sup>e</sup> siècle, semble moins dynamique depuis quelques années. Face à la crise actuelle que connaît l’Alliance et au vu du grand intérêt que la <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/turkey-russia-and-china-covet-western-balkans-as-eu-puts-enlargement-on-hold/">Russie, la Turquie et la Chine</a> portent à la région, n’est-il pas temps que l’Europe de la défense prenne la situation en mains ? Au Kosovo comme en Bosnie-Herzégovine, l’<a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-l-eufor.html">EUFOR</a> dispose en théorie des moyens et de la maîtrise du moment historique pour pacifier définitivement la région…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Troude est Président du think tank "Europes orientales"</span></em></p>Plusieurs pays des Balkans ont déjà adhéré à l’OTAN, et la plupart des autres sont officiellement candidats. Pourtant, le processus d’élargissement de l’Alliance ne va pas sans heurts.Alexis Troude, Chargé de cours en relations internationales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1280692019-12-01T19:26:59Z2019-12-01T19:26:59ZL’OTAN survivra-t-elle à Donald Trump ?<p>L’Organisation du traité de l’Atlantique nord mourra-t-elle sous peu, à l’âge de 70 ans, de la main d’un président américain ? Donald Trump a tant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/25/l-otan-en-crise-face-a-trump-et-erdogan_6016869_3210.html">critiqué l’OTAN</a> que le <a href="https://www.france24.com/fr/20191115-donald-trump-sommet-otan-londres-avant-legislatives-cruciales-brexit-royaume-uni">sommet de Londres</a>, les 3 et 4 décembre prochains, pourrait bien commencer son éloge funèbre. Surtout si le président sortant est réélu en 2020 à la magistrature suprême des États-Unis. La tentation serait alors forte, pour lui, de quitter l’organisation et de la remplacer par des alliances bilatérales rénovées. Et un retrait américain de l’OTAN précipiterait assurément l’agonie d’une organisation déclarée en <a href="https://www.liberation.fr/depeches/2019/11/07/macron-juge-l-otan-en-etat-de-mort-cerebrale_1762116">« mort cérébrale »</a> par Emmanuel Macron.</p>
<p>Quel paradoxe ! L’alliance militaire sortie <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/201106/27/01-4412916-fin-du-pacte-de-varsovie-20-ans-deja.php">victorieuse de la Guerre froide et de son affrontement avec le Pacte de Varsovie</a>, dissous en 1991, redoutée et critiquée à Moscou, à Téhéran et à Pékin, risque d’être démantelée, de l’intérieur, par son promoteur historique, les États-Unis. Quelle est l’espérance de vie réelle de l’OTAN ? Est-elle promise à la mort tant de fois annoncée ? Ou bien sera-t-elle ressuscitée par la résurgence de la puissance militaire russe ?</p>
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<h2>Le réquisitoire de Donald Trump contre l’OTAN</h2>
<p>En matière d’Alliance atlantique, Donald Trump fait preuve d’une cohérence bien rare. Ses critiques sont constantes. Durant la campagne électorale de 2016, sa première déclaration de politique étrangère a consisté en u ne<a href="https://nationalinterest.org/feature/trump-foreign-policy-15960">tirade contre l’OTAN</a>. Dans son <a href="https://www.nytimes.com/2016/04/28/us/politics/transcript-trump-foreign-policy.html">discours au Center for National Interest</a> du 27 avril 2016, il avait été explicite : la clé de voûte de son action, la priorité donnée aux États-Unis (« America First ! »), exige un désengagement à l’égard de l’OTAN.</p>
<p>Depuis, le président n’a pas déjugé le candidat. Déclaration après déclaration, tweet après tweet, le locataire de la Maison Blanche a fustigé l’organisation créée en 1949. Quels sont ses griefs envers une institution où les États-Unis détiennent les leviers de commandement, à commencer par le commandement militaire suprême, le poste de Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) ?</p>
<p>Le principal grief de Donald Trump est <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/donald-trump/sommet-de-l-otan-trump-demande-aux-allies-d-accroitre-leurs-depenses-militaires-au-dela-des-5875647">budgétaire et financier</a>. Les États-Unis sont le <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_67655.htm">principal contributeur au budget général de l’organisation</a> : leur contribution directe au budget de l’OTAN s’est élevée en 2018 à plus de 22 %, devant l’Allemagne (14 %), la France (10 %) et le Royaume-Uni (9,8 %). Ils sont également le principal fournisseur d’effectifs militaires et civils. La présidence Trump estime que le fardeau est excessif pour les finances publiques américaines. L’effort de défense américain n’est selon elle payé que d’une ingratitude insigne de la part des alliés européens. En un mot, le retour sur investissement paraît trop faible au président-businessman.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1016289620596789248"}"></div></p>
<p>La deuxième critique est d’ordre stratégique : les États-Unis de Donald Trump jugent l’OTAN <a href="https://fr.sputniknews.com/international/201701161029601383-trump-otan-membres-problemes/">obsolète</a>. La raison d’être de l’Organisation était en effet la lutte contre l’URSS et le Pacte de Varsovie ainsi que le combat contre le communisme. Une fois ces ennemis disparus, l’Alliance a (désespérément) cherché d’autres missions : la principale a été d’intervenir militairement pour rétablir la paix en Bosnie (1995), au Kosovo (1999), en Afghanistan (2003) en solidarité avec les États-Unis pour répondre aux attentats du 11 septembre 2001, puis en Libye en 2011. Mais sa crise de vocation n’est aujourd’hui toujours pas surmontée. Pour Donald Trump, l’OTAN remplit très mal sa principale mission résiduelle, la seule qui vaille à ses yeux : non pas contenir la Russie mais <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/trump-critique-l-otan-et-relance-la-defense-europeenne_3058455.html">lutter contre le terrorisme</a>.</p>
<p>Un troisième grief essentiel tient à la transformation de la politique extérieure américaine par la présidence Trump : la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/06/20/01003-20180620ARTFIG00215-donald-trump-plonge-les-etats-unis-dans-l-unilateralisme.php">critique du multilatéralisme</a> ne concerne pas seulement le commerce, les droits de l’homme ou la non-prolifération nucléaire. Elle vise aussi les institutions de sécurité collective comme l’OSCE, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/20/donald-trump-rabaisse-l-onu_5188427_3232.html">l’ONU</a>… et bien entendu l’OTAN. Le président américain a relancé les relations bilatérales en Europe <a href="https://www.diploweb.com/La-fin-du-multilateralisme-une-victoire-de-Donald-Trump.html">au détriment des structures multilatérales</a>. On le comprend : dans le face-à-face des relations bilatérales, le poids des États-Unis se fait bien mieux sentir que dans des formats multilatéraux ou ce poids est dilué, même s’il reste majeur.</p>
<p>Qu’elles soient tonitruantes ou modérées, les déclarations du président américain ont pour horizon un retrait de l’Alliance. Le réquisitoire viserait un arrêt de mort.</p>
<h2>Chronique d’une mort (américaine) annoncée</h2>
<p>Les Français aiment à brocarder les transgressions, les dérapages et les saillies du président américain en matière de politique étrangère. Toutefois, concernant l’OTAN, Donald Trump n’est pas profondément disruptif aux États-Unis.</p>
<p>Tout d’abord, le réquisitoire trumpien contre l’OTAN est la caisse de résonance d’un mouvement puissant, ancien et profond <a href="https://nationalinterest.org/feature/trump-should-have-already-left-nato-52997">parmi les Républicains</a>, qui sont nombreux à voir dans l’Alliance une entrave à la liberté d’action des États-Unis dans le monde. Les plus gaulliens des Français aiment à dépeindre l’OTAN comme un cheval de Troie américain en Europe. Pour bien des Américains, l’OTAN est plutôt une bride imposée à la puissance américaine par des coalitions d’États nettement plus faibles et beaucoup moins responsables stratégiquement. La revanche des nains militaires coalisés contre le géant stratégique américain, en quelque sorte.</p>
<p>La présidence Trump n’est même pas en rupture profonde avec les présidences précédentes malgré les <a href="https://www.politico.eu/article/donald-trump-nato-defense-bill-clinton-george-bush-defend-us-role-abroad/">déclarations de Bill Clinton et George Bush Jr</a>. Au contraire, elle prolonge plusieurs critiques traditionnelles visant l’OTAN et les alliés des États-Unis. Le débat passe moins entre isolationnistes et interventionnistes ou entre néo-conservateurs et réalistes qu’entre ceux qui imaginent une vocation à l’OTAN et ceux qui la considèrent comme un fossile périmé. Ainsi, la présidence Clinton a artificiellement maintenu l’Alliance en vie pour l’adapter à la donne post-soviétique. Elle a abouti, en 1999 à la redéfinition du concept stratégique de l’OTAN vers des missions de maintien de la paix, de police des espaces maritimes et d’interventions humanitaires. La présidence Bush a utilisé le dispositif de solidarité entre alliés prévu par l’article 5 du Traité de Washington mais a été peu satisfaite de l’OTAN en raison du son fardeau budgétaire et de sa solidarité plus que limitée en Irak. Quant à la présidence Obama, elle a anémié l’Alliance en mettant en avant la nécessité d’un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/etats-unis-que-reste-t-il-du-pivot-asiatique-de-barack-obama">pivot vers l’Asie</a>.</p>
<p>L’espérance de vie de l’OTAN paraît donc limitée dans la mesure où Donald Trump est loin d’être isolé dans sa posture de défiance à son égard.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/natos-future-when-america-comes-first-71671">NATO's future when America comes first</a>
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<h2>L’OTAN, un zombie régulièrement ressuscité</h2>
<p>Le départ des États-Unis de l’OTAN est une dystopie redoutée par toute une partie de l’Europe – déjà imaginée dans la série <em>Occupied</em> comme je l’avais souligné sur <a href="https://theconversation.com/la-serie-occupied-une-dystopie-europeenne-117067">The Conversation</a>. Dans cette excellente fiction produite par Arte, le retrait américain de l’OTAN créait un appel d’air pour l’impérialisme russe en Norvège, pilier de l’Alliance en Arctique.</p>
<p>La mort de l’Alliance, tant de fois annoncée, n’est pourtant pas avérée. Plusieurs facteurs concourent à la maintenir en vie, bon an mal an.</p>
<p>Pour de nombreux États parties au traité de l’Atlantique nord, l’OTAN est tout à la fois la principale assurance vie et la colonne vertébrale de leur défense nationale. C’est tout particulièrement le cas des États ayant rejoint l’Alliance après la fin de l’URSS et qui redoutent de retomber dans la sphère d’influence russe. Dans les documents tenant lieu de Livre Blanc de la défense de la <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/defence-concept11">Pologne</a>, de la Roumanie et des États baltes mais aussi des <a href="https://english.defensie.nl/downloads/policy-notes/2018/03/26/defence-white-paper">Pays-Bas</a>, de la Norvège et de l’Allemagne, la participation à l’Alliance atlantique apparaît comme la raison d’être de l’action des forces armées. Agir en coalition avec l’OTAN et s’intégrer dans ses structures de commandement est le mode normal de ces États en matière militaire.</p>
<p>N’oublions pas à Paris que l’OTAN est également l’horizon stratégique et une véritable Terre promise stratégique pour plusieurs États directement exposés aux nouveaux risques géopolitiques : l’Ukraine et la Géorgie font de l’adhésion à l’Organisation leur <a href="http://www.opex360.com/2017/07/20/lukraine-et-la-georgie-vont-oeuvrer-ensemble-pour-integrer-lotan-et-lunion-europeenne/">objectif diplomatique et militaire cardinal</a> à l’instar du Monténégro, intégré il y a peu.</p>
<p>Des forces de rappel essentielles agissent aussi aux États-Unis eux-mêmes. Pour les industries de défense américaines et donc pour la base industrielle et technologique de défense du pays, l’OTAN constitue un atout commercial essentiel. Pour s’intégrer techniquement dans les actions en coalition et pour solidifier leurs relations avec les États-Unis, plusieurs États membres ou partenaires de l’Alliance ont fait le choix d’équipements américains. Ainsi, la Pologne, la Roumanie et la Suède ont choisi de se procurer des systèmes de défense anti-aérienne Patriot. De même, l’achat d’avions de chasse F35 apparaît comme la garantie d’un soutien américain au sein de l’OTAN.</p>
<p>L’OTAN se trouve aujourd’hui dans une situation clinique bien difficile à définir : d’une part, elle a survécu à sa crise de vocation issue de la Guerre froide en se (re)trouvant un nouvel ennemi dans la Russie. C’est une cure de jeunesse précaire. Mais, d’autre part, elle est critiquée par son principal pilier, les États-Unis, qui menacent de lui couper les vivres. Aujourd’hui, l’organisation a tout d’un zombie de série B : elle est régulièrement mise en pièces, y compris par les administrations présidentielles américaines. Mais elle est incapable de mourir, régulièrement revivifiée par la résurgence de menaces sur la scène internationale. Et par l’incapacité européenne à se doter d’une solution de remplacement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump n’a eu de cesse, depuis son arrivée à la Maison Blanche, de critiquer l’OTAN, qu’il juge inefficace, obsolète et onéreuse. La fin de l’Alliance est-elle imminente ? Ce n’est pas certain.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1248062019-10-09T18:54:41Z2019-10-09T18:54:41ZLa fusion avec Fiat Chrysler, un mariage qui reste à haut risque pour Renault<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/295793/original/file-20191007-121075-47dxiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C44%2C935%2C618&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’intérêt stratégique de la fusion avec FCA ne porterait que sur des synergies assez faibles pour Renault.</span> <span class="attribution"><span class="source">Rafapress / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Alors que le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/06/06/renault-fiat-chrysler-la-folle-nuit-qui-a-vu-sombrer-le-projet-de-fusion_5472236_3234.html">projet de fusion</a> entre Fiat et Renault annoncé fin mai 2019 et <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-fiat-chrysler-a-retire-son-offre-de-fusion-avec-renault.N851435">retiré quelques jours plus tard</a> n’est toujours pas complètement abandonné par les dirigeants des deux groupes, nous pouvons nous interroger sur les raisons qui ont conduit à ce projet et sur ses éventuelles conséquences.</p>
<h2>FCA, les limites d’une gestion financière</h2>
<p>Fiat Chrysler Automobiles (FCA), héritier de l’empire Fiat, détenu par la famille Agnelli, est la résultante d’une série de reconfigurations qui ont été largement plus motivées par des aspects financiers qu’industriels. Faute d’investissements industriels et de renouvellement de la gamme de produits, la branche automobile a <a href="https://www.lesechos.fr/2005/02/le-groupe-fiat-finalise-son-divorce-a-lamiable-avec-general-motors-597528">failli être vendue</a> une première fois à General Motors au milieu des années 2000.</p>
<p>Par la suite, les dirigeants de Fiat ont su profiter des difficultés du Groupe Chrysler, lors de la crise de 2008-2009, pour l’acquérir en 2014 pour environ 6,25 milliards d’euros d’après les rapports du groupe.</p>
<p>En 2018, si on estime que la quasi-totalité des ventes en Amérique du Nord proviennent de l’ex-groupe Chrysler, les performances de cette zone représentent 72 milliards d’euros, soit les deux tiers des ventes du groupe FCA, et 6,2 milliards d’euros d’<a href="https://www.journaldunet.fr/business/dictionnaire-comptable-et-fiscal/1198431-ebit-definition-calcul-et-synonymes/">EBIT</a> (bénéfice avant intérêts et impôts), soit 92 % de son EBIT. L’ex-groupe Chrysler représente donc bien une excellente opération financière pour Fiat.</p>
<h2>Une gestion à l’économie qui s’avère destructrice</h2>
<p>La gestion de la fusion des gammes a conduit à rayer la marque Lancia (hors Italie) et la marque Chrysler en Europe du fait de l’échec régulier des <a href="https://www.journaldunet.com/economie/automobile/1128019-le-rebadging-ou-l-art-de-vendre-la-meme-voiture-a-differents-prix/">« rebadgings »</a> sur des marques premium : apposition du logo Chrysler (marque généraliste américaine) sur des modèles Lancia, considérés comme premium (luxe et sportivité à l’italienne), <a href="http://www.lefigaro.fr/automobile/2014/05/08/30002-20140508ARTFIG00079-lancia-l-elegant-centenaire-sacrifie.php">tuant cette marque</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295775/original/file-20191007-121088-47df8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le modèle Lancia Flavia est venu sur la marque Chrysler sur le marché américain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Lancia-flavia-Chrysler-200.jpg">IFCAR/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Aux États-Unis, la marque Chrysler abandonne progressivement tous ses modèles, faute de renouvellement, pour se consacrer aux seuls <a href="http://www.fiches-auto.fr/articles-auto/fonctionnement-d-une-auto/s-1277-les-differents-segments-du-marche.php">monospaces</a> à partir de 2020, qui sont loin d’être aujourd’hui le segment le plus porteur. En Europe, les marques Fiat et Alfa Romeo sont également en manque de nouveaux modèles sur de nombreux segments. La gestion industrielle sans investissement commence donc à atteindre ses limites.</p>
<p>Par ailleurs le groupe FCA doit faire face aux nouveaux défis des motorisations du futur (électrique, hybride, hydrogène) et de la voiture autonome qui nécessitent d’importants investissements en R&D. FCA recherche activement un partenaire pour combler ses lacunes en matière d’investissements en espérant au passage faire une excellente opération financière pour les actionnaires.</p>
<p>Du côté de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, depuis l’<a href="https://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/mitsubishi-motors-eviction-de-carlos-ghosn-1574557.html">éviction du PDG Carlos Ghosn</a> fin 2018, Nissan, qui est sur le point de se trouver un nouveau patron, essaie de peser davantage dans l’ensemble. Le groupe Renault doit surtout sa bonne santé financière à l’alliance avec Nissan et à la constitution d’un business model fortement rémunérateur de voiture à bas coûts avec Dacia.</p>
<p>Les réussites de Renault sont également dues à une <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/le-budget-de-recherche-et-developpement-de-renault-est-l-un-des-plus-importants-de-l-industrie-374303">politique d’investissement</a> et de R&D soutenue, ainsi qu’à une excellente gestion des alliances industrielles. À l’heure où les synergies commencent à fonctionner et où celles avec Mitsubishi doivent se mettre en place, les incertitudes menacent cette dynamique de l’Alliance.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149435844786307079"}"></div></p>
<p>Nissan est aujourd’hui beaucoup plus gros que Renault et réclame depuis plusieurs années une plus forte part dans les décisions stratégiques du groupe et dans son capital (actuellement de 15 %). La capitalisation boursière de Nissan est proche de 27 milliards d’euros alors que celle de Renault (qui détient 43,4 % de Nissan) est valorisée à 16,7 milliards d’euros.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283344/original/file-20190709-44441-1gaxmep.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://group.renault.com/finance/informations-financieres/chiffre-cles/">Groupe Renault.</a></span>
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<p>Devant la menace de la montée de l’autonomie de Nissan que lui permettrait son poids financier, Renault envisage de grossir de façon à réduire le poids de Nissan au sein de l’alliance. En effet, le projet de fusion avec FCA permettrait de plus que doubler la capitalisation financière du nouveau groupe. Par conséquent, Nissan pèserait beaucoup moins chez Renault.</p>
<h2>Fiat a besoin de cette alliance, pas Renault</h2>
<p>Les motivations réelles des éventuels mariés sont très différentes et divergent largement : elles sont d’abord financières pour FCA, à bout de souffle commercialement et industriellement, alors que pour Renault, elles sont davantage stratégiques, dans une optique de conservation du pouvoir.</p>
<p>Dans ces conditions, les synergies consisteraient à substituer des produits Renault (plates-formes et motorisations) à la pointe de la technologie à la place de ceux de Fiat, obsolètes pour la plupart et ce à grand renfort de restructurations industrielles autant du coté Fiat que Renault, avec mise en compétition des sites de production.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1131278602014736384"}"></div></p>
<p>En dehors des actifs américains qui représentent effectivement un moyen de revenir sur le marché américain pour Renault (mais avec quels produits ?), l’intérêt stratégique de la fusion avec FCA ne porterait que sur des synergies assez faibles pour le constructeur français.</p>
<p>De plus, Nissan est déjà très présent sur le marché nord-américain, de même que son autre allié Mitsubishi. Comment ce mécano serait géré sans destruction de valeur ? Quid de la présence en Chine très faible des deux acteurs ?</p>
<p>L’argument de la taille critique ne joue pas non plus quand on sait que l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est devenue l’un des premiers constructeurs mondiaux. De plus, si la taille de FCA est faible, elle reste bien plus importante que celle de constructeurs comme Daimler et BMW qui investissent dans les projets de motorisations d’avenir de voiture autonome, de renouvellement de gamme…</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Patrick Chiron, expert industrie automobile.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124806/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Makiela ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le groupe italo-américain aurait plus à gagner que le constructeur français dans ce projet de rapprochement qui n’est pas définitivement enterré.Michel Makiela, Directeur Programme Executive MBA / Professeur associé au sein du département marketing, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1242092019-10-03T17:45:19Z2019-10-03T17:45:19ZFaire famille dans le monde globalisé : l’exemple d’une famille capverdienne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294515/original/file-20190927-185399-1lgflt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=257%2C133%2C2768%2C2115&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Famille capverdienne réunie pour le départ de l'un d'entre eux (Fogo). </span> <span class="attribution"><span class="source">Pierre-Joseph Laurent</span></span></figcaption></figure><p>La famille est l’institution la plus ancienne inventée par les sociétés humaines. Au fil des siècles et déclinée par chaque société, elle a pris de multiples contours. La majorité des familles reposent sur des alliances très diverses, mais certaines ne le sont pas.</p>
<p>Généralement, la famille consiste dans une unité de personnes, parfois réduite à une femme et ses enfants, réunie pour collaborer et s’entraider dans la vie quotidienne et tout particulièrement dans la prise en charge des enfants.</p>
<p>Un cas d’école est celui de la <a href="http://www.karthala.com/hommes-et-societes/3214-amours-pragmatiques-familles-migrations-et-sexualite-au-cap-vert-aujourd-hui-9782811119379.html">société insulaire capverdienne</a>.</p>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Laurent_(anthropologue)">Mes recherches</a> menées depuis quinze ans, dans toutes les îles du Cap-Vert et auprès des individus capverdiens en situation de migrations dans d’autres pays m’ont permis de conclure qu’il n’existe pas de famille capverdienne type.</p>
<h2>L’invention de la famille à distance</h2>
<p>La société capverdienne possède une <a href="http://memoria-africa.ua.pt/Catalog.aspx?q=TI%20migracoes%20nas%20ilhas%20de%20cabo%20verde%20de%20antonio%20carreira">histoire migratoire multiséculaire</a> aux États-Unis, liée à pêche à la baleine, en Europe, en Afrique et en Asie et une diaspora de près du double de la population de l’archipel. On compte près de 480 000 habitants dans les îles et, selon les chiffres entre 650 et 850 000 en dehors, composant la diaspora.</p>
<p>Pour des raisons historiques, chaque île s’est spécialisée dans des flux migratoires spécifiques. L’hypothèse la plus vraisemblable de cette variabilité est que les lois migratoires des pays d’accueil et leur marché du travail structurent à distance la famille capverdienne.</p>
<p>Confrontée à l’altérité et à la séparation de ses membres, cette famille, assez insaisissable, se révèle particulièrement adaptée aux conditions de monde globalisé du vingt et unième siècle.</p>
<p>En effet, bien avant l’apparition d’Internet, cette société a su apprivoiser la distance qui sépare durablement les membres d’une famille. Ils ont ainsi inventé la « famille à distance ». Étrange famille où le mariage semble avoir disparu, où les femmes élèvent seules leurs enfants, où des couples vivent longuement séparés et où des enfants sont confiés à des nourrices !</p>
<h2>Transmettre le « capital migratoire »</h2>
<p>Un projet majeur relie les membres de ces familles : celui de se transmettre le « capital migratoire » considéré comme un bien précieux. De manière similaire au capital social, auquel il convient d’ajouter le capital culturel et le capital économique pour reprendre <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">Pierre Bourdieu</a>, éléments qui renvoient à un ensemble de ressources qui expliquent la hiérarchie sociale, le capital migratoire positionne un individu dans la société capverdienne.</p>
<p>Au Cap-Vert, disposer légalement de la possibilité de migrer – ce qui n’empêche pas le recours temporaire à des formes de semi-légalité, voire de <a href="http://www.karthala.com/hommes-et-societes/3214-amours-pragmatiques-familles-migrations-et-sexualite-au-cap-vert-aujourd-hui-9782811119379.html">clandestinité</a> – est très valorisé.</p>
<p>À de rares occasions, vacances, mariages ou funérailles, les membres dispersés de la « famille à distance » se rassemblent. Vécus intensément, ces moments éphémères suscitent les échanges. La famille refait corps : elle se réajuste et transmet des histoires. Aujourd’hui, les selfies se chargent ensuite d’en prolonger la mémoire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dl74dNX7Zhk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cette famille a réalisé un montage vidéo à l’occasion d’une réunion familiale au Cap-Vert, pour célébrer les noces d’or de l’un des couples.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La plasticité de la parenté</h2>
<p>Confrontée à la diversité et à la fluctuation des routes migratoires, et aux transformations des législations des pays d’accueil, la famille capverdienne répond en mobilisant toutes les ressources qu’offre la parenté : séduction, sexualité, grossesse, mariage, divorce, adoption, etc.</p>
<p>Le « faire famille à distance » devient ainsi un processus dynamique, contemporain, qui permet d’entretenir, entre des membres dispersés sur des continents le « capital migratoire », dès que celui-ci a été acquis de haute lutte par un·e pionnier·e.</p>
<p>Ainsi la figure emblématique de Tio Mac. Familièrement appelé le « pionnier », il dote sa famille en « capital migratoire ». Il est l’aîné d’une fratrie de huit frères et sœurs, dont sept résident désormais aux États-Unis. Il est âgé de 20 ans lorsqu’il apprend l’arrivée pour les congés de migrants résidant aux États-Unis. Doté d’un charme certain, il approche progressivement une Américaine capverdienne. Il parvient à la convaincre de se marier avec lui. Cette femme alors âgée de 55 ans ne s’était jamais mariée officiellement. En l’absence d’ambassade américaine au Cap-Vert, le couple se rend à Lisbonne pour l’obtention du visa. Les discussions sont tendues. Tio Mac se montre convaincant et parvient à ses fins. Ils embarquent pour les États-Unis et s’installent à Boston. Cinq ans plus tard, Tio Mac passe du statut de migrant légal, à celui de citoyen américain, consécutivement à la réussite de l’examen de citoyenneté. Quelque temps après, il divorce de son épouse américaine pour retrouver sa compagne qu’il avait dû laisser au Cap-Vert pour migrer aux États-Unis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La disponibilité du départ : le moment où la famille devient une « famille à distance » (Fogo) »</span>
<span class="attribution"><span class="source">P.-J. Laurent</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>La longue soumission des membres de la famille à son projet</h2>
<p>Même lorsqu’une seule personne voyage, la migration concerne le plus souvent une famille et rarement un individu. Il en va du montant nécessaire au départ, de la garde les enfants, ou de subvenir au besoin de la famille restée au pays.</p>
<p>Le « faire famille » devient un système dès lors que le capital migratoire incarne le bien collectif d’une famille, possédé individuellement par chacun de ses membres, avec comme finalité l’accumulation.</p>
<p>Cette mère explique avoir dû attendre le mariage d’une tante pour que de proche en proche, à son tour, au regard des lois migratoires, elle puisse migrer aux États-Unis. Ensuite, endettée vis-à-vis de sa famille, lorsqu’elle deviendra américaine, il lui incombera de transmettre cette possibilité de migrer à d’autres.</p>
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<p>« La sœur de ma mère a épousé un Américain capverdien. C’est par elle que nous avons pu migrer. Lorsque ma tante a obtenu la nationalité américaine, au regard de la loi, elle a pu “appeler” (selon la formule consacrée) ses parents aux États-Unis. Ceux-ci ont ensuite “appelé” leurs enfants (non mariés), c’est-à-dire ma mère (qui n’était pas mariée officiellement) et ma mère m’a transmis le droit de migrer. Un droit que je tenterai de transmettre à mon tour. »</p>
</blockquote>
<h2>Le projet migratoire nourrit aussi des tensions</h2>
<p>La mise en œuvre de ce projet de long terme invite à de multiples arrangements, avec comme corollaire l’enrôlement et la soumission des membres de la famille à la conservation du capital migratoire. La décision de partir ou de rester est prise en famille, en fonction d’opportunités à saisir, au regard des lois du regroupement familial. Ceci nécessite une grande disponibilité au départ où tout peut parfois se jouer en quelques jours, avec, le plus souvent, la nécessité d’avoir à se séparer pour des années d’un conjoint, d’enfants ou de parents.</p>
<p>Ce projet est planifié sur le long terme et mobilise plusieurs générations. Affectés à l’entretien de ce patrimoine, les membres de la famille collaborent : ils demeurent mutuellement tributaires d’un capital qui s’actualise dans chaque membre. Ainsi, chacun, à un moment donné, devient responsable de transmettre la possibilité de migrer à ceux qui n’en ont pas encore joui. Cette transmission confère des droits et des devoirs et génère des dettes et des attentes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aéroport de Boston. Passagers en provenance du Cap-Vert : une fratrie se retrouve après des années de séparation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P.-J. Laurent</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce type de famille alimente un dilemme de fidélité, entre les consanguins (la « famille par filiation ») et une compagne ou un compagnon (la « famille par alliance »). Le projet migratoire nourrit des tensions entre ces deux composantes de la famille. Le capital migratoire acquis, il est fréquent d’observer un repli de la famille sur elle-même, avec une tendance à nouer des alliances entre soi, c’est-à-dire au sein même de la famille élargie (entre cousins par exemple). On parle alors alliances endogames pour garder ce capital en son sein.</p>
<h2>La circulation du <em>care</em></h2>
<p>La théorie du « soin à distance », c’est-à-dire du <a href="https://www.routledge.com/Transnational-Families-Migration-and-the-Circulation-of-Care-Understanding/Baldassar-Merla/p/book/9780415626736"><em>care circulation</em></a> étudie les formes de circulation d’informations, de paroles, de personnes, de cadeaux, d’argent, entre les membres des noyaux séparés d’une famille.</p>
<p>Elle attribue à ces interactions quotidiennes, dont celles permises par Internet (Skype, WhatsApp, Viber, Facebook…) le maintien du « faire famille » en dépit de sa confrontation à la migration.</p>
<p>Si ces interactions constituent une évidence, elles ignorent que le « faire famille à distance » repose sur un projet englobant.</p>
<p>Ce projet explique le maintien de liens intenses entre les membres dispersés de la famille. Ce projet distille des devoirs et des dettes durant des décennies entre les différentes générations d’une même famille. La contrepartie est la soumission de tous au projet de la famille dont les membres ne peuvent s’émanciper, tant que les dettes envers la famille (par filiation) n’ont pas été soldées, avec à la clé de fréquents troubles psychiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Joseph Laurent a reçu des subsides du Fonds National de la Recherche Scientifique de Belgique pour mener ses recherches, ainsi que de la Coopération universitaire de Belgique. Cette recherche a été conduite en relation avec le département des sciences sociales de l’université du Cap-Vert (UNI/CV). Il n’a pas d’autre affiliation que son poste universitaire.</span></em></p>Confrontée à l’altérité et la séparation des familles, la société capverdienne se révèle particulièrement adaptée aux conditions de monde globalisé du XXIᵉ siècle.Pierre-Joseph Laurent, Professeur en anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.