tag:theconversation.com,2011:/global/topics/etat-islamique-20355/articlesÉtat islamique – The Conversation2024-03-26T19:07:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2265382024-03-25T16:42:08Z2024-03-25T16:42:08ZDans le viseur de l’État islamique au Khorassan : la Russie, mais aussi l’Asie centrale et l’Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/584036/original/file-20240324-24-g8ybij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C90%2C1270%2C868&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des sauveteurs dans les ruines du Crocus City Hall, Krasnogorsk, le 24&nbsp;mars 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Crocus_City_Hall_amphitheater_after_terrorist_attack_%282024%29.jpg">Ministère des Situations d’Urgence de la Fédération de Russie</a></span></figcaption></figure><p><em>Le 22 mars 2024, la Russie a subi la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/attaque-a-moscou-deuil-national-en-russie-apres-le-massacre-du-crocus-city-hall-20240324_2SVPFHCSXFBAFFFG2YKVMSOJZ4/">pire attaque terroriste sur son sol depuis une génération</a>. Au moins 137 personnes ont été tuées par des terroristes lors d’un concert en banlieue de Moscou. L’attentat a été <a href="https://www.letemps.ch/monde/asie-oceanie/l-ei-k-branche-la-plus-meurtriere-de-l-etat-islamique-le-visage-du-terrorisme-venu-d-asie-centrale">revendiqué par le groupe État islamique au Khorassan</a> (EIK). Et bien que les autorités russes aient <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-par-une-attaque-terroriste-a-moscou-les-russes-vivent-leur-bataclan-20240323">exprimé des doutes</a> sur la réalité de cette revendication, de façon à imputer l’attaque à l’Ukraine, des responsables américains ont <a href="https://apnews.com/article/russia-moscow-concert-hall-attack-islamic-state-753291d25dad26a840459ee8f448d59e">déclaré à l’Associated Press</a> qu’ils pensaient que l’EIK, que l’on peut qualifier de section locale de Daech en Asie du Sud et en Asie centrale, était effectivement à l’origine de l’assaut.</em></p>
<p><em>Les chercheuses <a href="https://www.clemson.edu/cbshs/about/profiles/index.html?userid=ajadoon">Amira Jadoon, de l’Université de Clemson</a>, et <a href="https://www.american.edu/profiles/students/sh5958a.cfm">Sara Harmouch, de l’American University</a>, deux spécialistes qui suivent de près les activités de l’EIK – expliquent à The Conversation ce que l’attentat de Moscou nous apprend sur les forces et le programme de l’organisation.</em></p>
<h2>Qu’est-ce que l’EIK ?</h2>
<p>L’EIK <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-islamic-state-threat-in-taliban-afghanistan-tracing-the-resurgence-of-islamic-state-khorasan/">opère principalement dans la zone Afghanistan-Pakistan</a>, mais est présent dans tout le « Khorassan » historique – une région qui s’étend sur des parties de l’Afghanistan et du Pakistan mais aussi de l’Iran et d’autres pays d’Asie centrale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724371446292496465"}"></div></p>
<p>Créé en 2015, <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">l’EIK vise à établir</a> un « califat » – un système de gouvernance soumis à la plus stricte application de la charia et placé sous l’autorité de responsables religieux – dans cette région à cheval sur l’Asie du Sud et l’Asie centrale.</p>
<p>L’EIK partage l’idéologie de son organisation mère, le groupe État islamique, qui promeut une interprétation extrême de l’islam et considère les gouvernements laïques, ainsi que les populations civiles non musulmanes mais aussi les groupes et individus musulmans ne partageant pas sa vision de l’islam comme des cibles légitimes.</p>
<p>Le groupe est connu pour son extrême brutalité et pour avoir fréquemment pris pour cible des institutions gouvernementales et des civils, y compris des mosquées, des établissements d’enseignement et des espaces publics.</p>
<p>Après le retrait des États-Unis d’Afghanistan en 2021, les <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/isis-k-resurgence">principaux objectifs de l’EIK</a> ont été de <a href="https://warontherocks.com/2021/10/the-taliban-cant-take-on-the-islamic-state-alone/">remettre en cause la légitimité des talibans actuellement au pouvoir</a> dans ce pays ravagé par la guerre, de s’affirmer comme le leader légitime de la communauté musulmane dans sa zone et d’apparaître comme le principal adversaire régional des régimes existants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1771526331588555205"}"></div></p>
<p>En outre, la transition des talibans d’un groupe insurrectionnel à une entité gouvernementale a laissé de nombreuses factions militantes afghanes sans force unificatrice – une lacune que l’EIK s’est efforcé de combler.</p>
<h2>Pourquoi la Russie a-t-elle été prise pour cible par l’EIK ?</h2>
<p>L’EIK <a href="https://jamestown.org/program/the-islamic-states-anti-russia-propaganda-campaign-and-criticism-of-taliban-russian-relations/">présente depuis longtemps la Russie comme l’un de ses principaux adversaires</a>. Il utilise largement un discours anti-russe dans sa propagande et s’en est déjà pris aux intérêts russes en Afghanistan, commettant notamment en 2022 un <a href="https://www.voanews.com/a/blast-in-kabul-kills-2-russian-embassy-staff-/6731342.html">attentat-suicide</a> contre l’ambassade de Russie à Kaboul qui a fait deux morts parmi le personnel de l’ambassade russe et de quatre passants afghans.</p>
<p>L’État islamique au sens large s’en prend aussi à la Russie, et cela pour plusieurs raisons. Il s’agit notamment de <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-enduring-duel-islamic-state-khorasans-survival-under-afghanistans-new-rulers/">griefs de longue date</a> liés aux violentes interventions passées de Moscou dans des régions à majorité musulmane comme l’Afghanistan et la Tchétchénie. De plus, les alliances de Moscou avec des régimes opposés au groupe État islamique, notamment la Syrie et l’Iran, ont <a href="https://doi.org//10.1080/09546553.2019.1657097?journalCode=ftpv20">fait de la Russie un adversaire majeur</a> aux yeux de l’organisation terroriste et de ses affiliés. En particulier, la Russie est un <a href="https://www.aljazeera.com/features/2020/10/1/what-has-russia-gained-from-five-years-of-fighting-in-syria">allié clé du président syrien Bachar Al-Assad</a> depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011, et lui fournit un soutien militaire pour lui permettre de combattre divers groupes qui cherchent à le renverser, y compris l’État islamique. Cette opposition directe au groupe terroriste et à ses ambitions de califat a fait de la Russie une cible privilégiée aux yeux de l’EI en général et de l’EIK en particulier.</p>
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<p><a href="https://carnegieendowment.org/politika/90584">La coopération de la Russie</a> avec les talibans – le principal ennemi de l’EIK en Afghanistan – ajoute une couche d’animosité supplémentaire. Le groupe État islamique considère les pays et les groupes qui s’opposent à son idéologie ou à ses objectifs militaires, y compris les acteurs qui cherchent à établir des relations avec les talibans, <a href="https://extremism.gwu.edu/sites/g/files/zaxdzs5746/files/Criezis_CreateConnectDeceive_09222022_0.pdf">comme des ennemis de l’islam</a>.</p>
<p>En frappant des cibles russes, l’EIK cherche en partie à dissuader la Russie de s’impliquer davantage au Moyen-Orient. Mais ces attentats font également une grande publicité à sa cause et visent à inspirer ses partisans dans le monde entier. Ainsi, pour la « marque » État islamique, l’attentat de Moscou représente à la fois une vengeance à l’encontre de la Russie et une opération de communication d’ampleur mondiale. Cette approche peut s’avérer très payante, en particulier pour sa filiale d’Asie du Sud et d’Asie centrale, dans la mesure où elle peut lui apporter de nouvelles recrues, de nouveaux financements et une hausse de son influence dans la nébuleuse djihadiste.</p>
<h2>Que nous apprend cette attaque sur les capacités et la stratégie de l’EIK ?</h2>
<p>Le simple fait que l’EIK soit associé au carnage de Moscou – que son implication y ait été directe ou indirecte – renforce la réputation du groupe. Cet épisode témoigne de son influence croissante et de sa détermination à faire sentir sa présence sur la scène mondiale.</p>
<p>En effet, commettre un attentat très médiatisé dans une grande ville située à des milliers de kilomètres de sa base afghane montre que l’EIK est en capacité d’étendre sa portée opérationnelle – soit directement, soit par le biais d’une collaboration avec des factions terroristes partageant les mêmes idées.</p>
<p>L’ampleur et la sophistication de l’attaque témoignent d’une planification, d’une coordination et de capacités d’exécution avancées, et réaffirment sans équivoque la volonté de l’EIK de se montrer toujours plus actif au niveau international.</p>
<p>À l’instar de l’attentat <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20240104-journ%C3%A9e-de-deuil-en-iran-apr%C3%A8s-un-double-attentat-meurtrier">perpétré par l’EIK en Iran en janvier 2024</a>, qui a fait plus de 100 morts, le dernier massacre en date souligne la place de l’EIK au sein du programme djihadiste mondial promu par le groupe État islamique, et contribue à élargir l’attrait de son idéologie et de sa campagne de recrutement grâce à l’attention accrue que lui portent les médias internationaux. Cela lui permet de rester un acteur politique de premier plan aux yeux de ses sympathisants en Asie du Sud et en Asie centrale, et aussi au-delà. Mais cela permet aussi de détourner l’attention de ses revers locaux. Comme son organisation mère, le groupe État islamique, l’EIK a subi, ces dernières années, des défaites militaires, des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-le-chef-de-Daech-responsable-de-l-attentat-de-l-aeroport-de-kaboul-tue-par-les-talibans">pertes de territoires et de dirigeants</a> et une diminution de ses ressources.</p>
<p>Dès lors, le rôle supposément joué par l’EIK dans l’attentat de Moscou rappelle aux observateurs la persistance de la menace que représente l’organisation.</p>
<p>En ciblant une grande puissance comme la Russie, l’EIK vise à envoyer un message d’intimidation à tous les États participant aux opérations de lutte contre le groupe État islamique et à ébranler le sentiment de sécurité de leurs citoyens. Au-delà, sa stratégie s’inscrit dans un processus d’« internationalisation » qu’il poursuit avec une vigueur renouvelée depuis 2021 en ciblant les pays présents en Afghanistan, notamment le Pakistan, l’Inde, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, la Chine et la Russie, ce qui marque une expansion délibérée de son objectif opérationnel au-delà des frontières locales.</p>
<p>L’attaque de Moscou, qui fait suite à celle de janvier en Iran, suggère que l’EIK intensifie ses efforts pour exporter son combat idéologique directement sur les territoires de nations souveraines. Il s’agit d’une stratégie soigneusement calculée et susceptible de semer l’effroi dans de nombreuses capitales, comme le montrent déjà les <a href="https://www.lopinion.fr/politique/le-niveau-dalerte-passe-en-urgence-attentat-en-france-apres-lattaque-terroriste-a-moscou">premières réactions internationales au carnage du Crocus City Hall</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’État islamique au Khorassan (EIK), qui vient de frapper la Russie, cherche à s’imposer comme une organisation terroriste mondiale.Sara Harmouch, PhD Candidate, School of Public Affairs, American UniversityAmira Jadoon, Assistant Professor of Political Science, Clemson UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2265552024-03-25T16:07:25Z2024-03-25T16:07:25ZL’implication de Tadjiks dans le massacre de Moscou trouve ses racines dans le passé trouble et le présent désespéré de l’ex-république soviétique<p>Les quatre hommes armés accusés des meurtres d'au moins 139 spectateurs
au théâtre Crocus City Hall de Moscou, le 22 mars 2024, étaient tous citoyens du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/attentat-a-moscou-ce-que-l-on-sait-des-quatre-suspects_6445891.html">Tadjikistan</a>, petit pays d'Asie centrale.</p>
<p>Leur nationalité a-t-elle quelque chose à voir avec leur présumé acte de terrorisme ? De nombreux Russes affirmeraient que c’est le cas.</p>
<p>Le Tadjikistan, un pays enclavé de dix millions d’habitants, pris en sandwich entre l’Ouzbékistan, l’Afghanistan et la Chine, est la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/2702">plus pauvre</a> des anciennes républiques soviétiques. Connu pour sa corruption et sa répression politique, il subit depuis 1994 la poigne de fer du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Emomali_Rahmon">président Emomali Rahmon</a>. On estime que plus de <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/society/20220214/more-than-3-million-tajik-citizens-reportedly-officially-registered-in-russia-last-year">trois millions de Tadjiks</a> vivent en Russie, soit environ un tiers de la population totale. </p>
<p>Spécialiste de l’histoire de l’Asie centrale, je parle le tadjiki et j’ai séjourné à de nombreuses reprises dans la région, ainsi qu’en Russie, depuis 1990. J’ai personnellement été témoin des conditions de vie des Tadjiks en Russie, et dans leur pays d’origine, que j’ai décrites dans mon récent ouvrage, <a href="https://www.pulaval.com/livres/les-tadjiks-persanophones-d-afghanistan-d-ouzbekistan-et-du-tadjikistan"><em>Les Tadjiks : persanophones d’Afghanistan, d’Ouzbékistan et du Tadjikistan</em></a>.</p>
<h2>Une population discriminée</h2>
<p>La plupart des Tadjiks vivant en Russie occupent le statut précaire de « travailleurs invités », occupant des emplois mal rémunérés dans les secteurs de la construction, des marchés ou le nettoyage des toilettes publiques. Le <a href="https://www.contrepoints.org/2024/01/25/452518-demographie-de-la-russie-une-jeunesse-decimee-ou-en-fuite#:%7E:text=Le%20d%C3%A9clin%20d%C3%A9mographique%20russe%20ne%20date%20pas%20d%E2%80%99hier&text=Le%20pic%20est%20atteint%20en,%2C4%20millions%20en%202020">déclin démographique de la population russe</a> a conduit à une dépendance croissante envers les travailleurs étrangers, afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre. L’attitude des Russes envers les autochtones d’Asie centrale et du Caucase est généralement négative, semblable au stéréotype américain sur les Mexicains, exprimé tristement par Donald Trump en 2015 : <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201506/28/01-4881520-don">« Ils apportent de la drogue. Ils apportent le crime. Ce sont des violeurs »</a>. </p>
<p>Ainsi, les non-Slaves sont systématiquement discriminés en Russie et, depuis 2022, ils ont été enrôlés de manière disproportionnée et <a href="https://www.la-croix.com/Russie-migrants-Asie-centrale-racontent-pressions-envoyer-Ukraine-2023-11-15-1301291005">envoyés en Ukraine</a> pour servir de chair à canon au front.</p>
<h2>Une civilisation prestigieuse</h2>
<p>Peu de peuples dans l’histoire ont vu leur statut s’effondrer de manière aussi spectaculaire que les Tadjiks au cours des cent dernières années. </p>
<p>Pendant plus d’un millénaire, les Tadjiks, descendants persanophones des anciens Sogdiens qui dominaient la Route de la Soie, ont constitué l’élite culturelle de l’Asie centrale. À partir de la « Nouvelle Renaissance persane » du X<sup>e</sup> siècle, lorsque leur capitale, Boukhara, en est est venue à rivaliser avec Bagdad en tant que centre d’enseignement et de haute culture islamiques, les Tadjiks ont été les principaux érudits et bureaucrates des grandes villes d’Asie centrale, et ce, jusqu’à la révolution russe. Le célèbre mathématicien médiéval <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Avicenne">Avicenne</a> était d’origine tadjike, tout comme le collectionneur de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouhammad_al-Boukh%C3%A2r%C3%AE">hadiths Bukhari</a>, le poète <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Djal%C3%A2l_ad-D%C3%AEn_R%C3%BBm%C3%AE">soufi Rumi</a> et bien d’autres.</p>
<p>En tant que principaux pourvoyeurs de la civilisation islamique d’Asie centrale, les Tadjiks étaient considérés par les bolcheviks comme représentant un héritage obsolète que le socialisme souhaitait anéantir. Les Tadjiks ont été pratiquement exclus de la restructuration sociale et politique massive imposée à l’Asie centrale au cours des premières années de l’Union soviétique. </p>
<p>La majeure partie de leur territoire historique, y compris les villes légendaires de Samarkand et de Boukhara, a été attribuée aux Ouzbeks turcophones, qui étaient considérés comme plus malléables. Ce n’est qu’en 1929 que les Tadjiks se sont dotés de leur propre république, composée principalement de territoires marginaux et montagneux, et dépourvus de tout centre urbain majeur.</p>
<h2>Répression, désespoir et islam radical</h2>
<p>Tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, la République socialiste soviétique tadjike a été la région la plus pauvre et sous-développée de l’ex-URSS. Elle a conservé ce triste statut depuis son indépendance en 1991. De 1992 à 1997, le pays a été plongé dans une guerre civile dévastatrice qui a détruit presque toutes les infrastructures. </p>
<p>Depuis lors, le président Rahmon a utilisé la menace d’une reprise du conflit civil pour justifier son pouvoir absolu. Le spectre d’un <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20191108-tadjikistan-attaque-groupe-etat-islamique">islam radical</a> émanant de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-3-page-150.htm">l’Afghanistan voisin</a> — où la population tadjike dépasse largement celle du Tadjikistan — a fourni une justification supplémentaire à la politique répressive de Rahmon.</p>
<p>Dans le Tadjikistan d’aujourd’hui, même ceux qui ont fait des études universitaires sont quasi <a href="https://novastan.org/fr/tadjikistan/les-7-problemes-principaux-des-villages-au-tadjikistan/">dans l’impossibilité de gagner un salaire</a> décent. Impuissants et humiliés par le système, ils sont des proies faciles pour les prédicateurs islamiques radicaux qui leur donnent un sentiment de valeur et un but réel à achever. </p>
<p>Le désespoir financier en toile de fond crée un cocktail explosif : l’un des suspects des récents attentats de Moscou <a href="https://www.aljazeera.com/news/2024/3/25/four-men-showing-signs-of-severe-beating-charged-over-moscow-concert-attack">a déclaré à ses interrogateurs</a> russes qu’il avait été recruté par un « imam » via la plate-forme Telegram. Il a expliqué qu’on lui avait promis une récompense en espèces d’un demi-million de roubles russes (environ 7 300 $ CDN) pour commettre ses atrocités.</p>
<h2>Un avenir peu radieux</h2>
<p>Partout dans le monde, les êtres humains normaux et sensés sont horrifiés par les actes terroristes, quelle que soit la manière dont ils sont justifiés par leurs auteurs. Le peuple du Tadjikistan, qui souffre depuis longtemps, ne fait pas exception. </p>
<p>L’option du terrorisme demeurera attrayante pour un petit nombre d’extrémistes, qui peuvent percevoir le meurtre psychopathique de civils innocents contre de l’argent, ou pour une idéologie, comme valable. La tentative ridicule de la Russie de lier, d’une manière ou d’une autre, les attaques de Moscou à l’Ukraine est une diversion maladroite des conséquences de ses relations avec l’Asie centrale.</p>
<p>Un grand nombre de Tadjiks vivent en Russie et il est probable que de telles attaques se multiplieront à l’avenir. Déjà, les ressortissants du Tadjikistan signalent sur les réseaux sociaux des incidents discriminatoires et des préjugés accrus. Les chauffeurs de taxi tadjiks, par exemple, témoignent que des passagers leur demandent s’ils sont Tadjiks, et refusent ensuite de voyager avec eux. </p>
<p>Avec ses ressources immobilisées en Ukraine dans un avenir proche, il semble peu probable que Moscou ait la capacité de se venger des islamistes au Tadjikistan, ou ailleurs en Asie centrale. Ils opèrent en dehors du contrôle du président Rahmon, dont le régime demeure un fidèle allié de la Russie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226555/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Richard Foltz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les auteurs de l’attentat de Moscou seraient originaires du Tadjikistan. Le pays, le plus pauvre de l’ex-URSS, connaît un régime répressif et corrompu, où l’islamisme radical fait son nid.Richard Foltz, Professor of Religions and Cultures, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2264792024-03-24T17:58:04Z2024-03-24T17:58:04ZLa Russie face au terrorisme<p>En Europe, le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/4082892-20240323-attaque-moscou-direct-plus-60-personnes-tuees-salle-concert">massacre perpétré le 22 mars au soir</a> dans une salle de concert de la région de Moscou ne peut que susciter l’horreur. Mais il peut aussi interroger, et même surprendre.</p>
<p>D’abord, par le lieu de son déroulement, Krasnogorsk, à quelques kilomètres à peine de Moscou, et par l’ampleur de son bilan, plus de 130 victimes : comment un attentat de masse a-t-il pu être préparé et perpétré dans le centre névralgique d’un État où la <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/08/17/mass-survellience-in-russia-expands-rapidly-since-ukraine-invasion-mt-russian-a82151">place des services de sécurité est si importante</a> ? La <a href="https://www.liberation.fr/international/quest-ce-que-lei-k-cette-filiale-de-letat-islamique-qui-pourrait-etre-derriere-lattaque-terroriste-dune-salle-de-concert-pres-de-moscou-20240323_KFZXNM6XRBB3JCFJRQ3G2BXV74/">revendication par l’organisation État islamique au Khorassan</a> peut, elle aussi, prendre les Européens à contrepied : pourquoi l’EI frapperait-il la Russie alors même que ses cibles privilégiées, lors de son apogée, étaient les démocraties libérales de l’Ouest ? Enfin, les réactions des pouvoirs publics russes – et de la présidence au premier chef – peuvent également susciter un certain étonnement de ce côté-ci du continent : pourquoi <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">faire supposer une complicité de Kiev</a> alors même que la menace islamiste est, en Russie, ancienne, profonde et même antérieure à la crise ukrainienne ?</p>
<p>Notre étonnement ou notre surprise se dissipent si l’on examine en détail l’exposition structurelle de la Russie au terrorisme islamiste et sa doctrine de l’anti-terrorisme. Malheureusement, les meurtres de masse du Crocus City Hall sont un épisode tragique supplémentaire dans la longue histoire de l’affrontement entre la Fédération de Russie et certains réseaux islamistes.</p>
<h2>Le terrorisme, ennemi des sociétés ouvertes… et des régimes autoritaires</h2>
<p>Depuis le 11 septembre 2001, l’idée s’est profondément enracinée que les terroristes islamistes ont pour cibles principales les démocraties libérales : en elles, ils viseraient tout à la fois des « infidèles » (à l’islam), des « croisés » (autrement dit des colonisateurs invétérés) et des « décadents » (coupables d’un relâchement moral inacceptable).</p>
<p>En outre, les islamistes exploiteraient les marges d’action ménagées par les « sociétés ouvertes », pour reprendre <a href="https://www.cairn.info/philosophie-auteurs-et-themes--9782361060275-page-112.htm">l’expression de Karl Popper</a> – les libertés d’opinion, de croyance, de mouvement, d’association, etc. – pour les retourner contre les Occidentaux. D’où l’incrédulité, parmi les Européens, devant le massacre de Krasnogorsk. Comment un tel attentat est-il envisageable dans un État explicitement fondé sur l’autorité, le rétablissement de la <a href="https://theconversation.com/comment-vladimir-poutine-a-mis-en-place-une-verticale-de-la-peur-en-russie-201796">« verticale du pouvoir »</a> et l’hypertrophie des services de sécurité (les siloviki) ?</p>
<p>Cette vision des choses est toutefois contredite par ce constat que font de nombreux observatoires du terrorisme (tel <a href="https://www.fondapol.org/etude/les-attentats-islamistes-dans-le-monde-1979-2021/">celui de la Fondation pour l’Innovation Politique</a>) : les attentats islamistes se multiplient aussi dans des États non libéraux, spécialement en <a href="https://www.rts.ch/info/monde/9016433-le-terrorisme-tue-vingt-fois-plus-en-afrique-quen-europe.html">Afrique</a> et <a href="https://www.europe1.fr/international/attentat-en-iran-malgre-un-net-recul-dans-la-region-la-menace-de-daesh-na-jamais-vraiment-disparu-au-moyen-orient-4223438">au Moyen-Orient</a>. Même dans des régimes policiers, les services de sécurité ne peuvent être ni omniscients ni omnipotents. En outre, l’organisation État islamique n’est-elle pas <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-136.htm?ref=doi">née de la double contestation du régime syrien de Bachar Al-Assad et du « nouvel Irak »</a> issu de l’invasion américaine et de l’installation d’un pouvoir chiite à Bagdad ? L’attentat de Krasnogorsk doit nous inviter à réviser notre idée trop définitive sur l’affrontement entre démocratie et islamisme : elle est exacte, mais très partielle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les attentats islamistes dans le monde (1979-2019). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fondapol.org/carte-des-attentats-islamistes-dans-le-monde/">Site de la Fondapol</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le terrorisme en général et celui de l’EI en particulier visent aussi bien les démocraties libérales que les régimes autoritaires. La section de l’EI au Khorassan qui a revendiqué le massacre en Russie est en effet implantée en Asie centrale et défie, par la violence, des États politiquement bien éloignés des membres de l’UE. Elle a notamment pris pour cibles, ces dernières années, aussi bien les <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/letat-islamique-khorasan-terroristes-plus-sanguinaires-dafghanistan">talibans afghans</a> que le <a href="https://www.voanews.com/a/us-warned-iran-of-isis-k-threat-ahead-of-deadly-blasts-us-official-says/7457546.html">régime iranien</a>.</p>
<p>C’est tout le problème que pose le terrorisme djihadiste aujourd’hui : défait militairement au Moyen-Orient et jugulé en Europe et aux États-Unis, il s’est reporté vers des zones comme le Sahel, l’Afrique centrale, l’Afrique orientale ou encore l’Asie centrale, où les États sont autoritaires mais souvent faibles. <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/attaque-a-moscou-ce-que-l-on-sait-des-11-suspects-arretes-dont-quatre-assaillants-presumes_AV-202403230289.html">Les suspects arrêtés par les forces russes quelques heures après l’attentat</a>, même s’il convient en la matière de se garder de conclusions trop hâtives, sont d’ailleurs des ressortissants du Tadjikistan, un pays identifié depuis plusieurs années comme un <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-djihadisme-tadjik-nouvelle-menace-pour-l-europe-20240118">terrain de recrutement fertile pour les djihadistes</a>.</p>
<p>D’un point de vue géopolitique, le massacre de Krasnogorsk ouvre une perspective inquiétante : les réseaux reconstituent leurs forces dans ces aires « molles » ou « grises » pour se reporter sur des théâtres plus centraux en Europe. Le profond antagonisme actuel entre la Fédération de Russie et l’Union européenne ne doit pas masquer la réalité : du point de vue des islamistes de l’EI, les régimes politiques respectifs des deux entités se valent et <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2017/04/russia-jihadists-number-one-target-214977/">sont des cibles au même titre l’un que l’autre</a>.</p>
<h2>Pourquoi viser la Russie ?</h2>
<p>Que le rival géopolitique de l’UE, envahisseur de l’Ukraine et adversaire autoproclamé de l’Occident, soit victime d’un attentat de masse ne peut étonner que si le regard reste rivé sur l’affrontement avec l’Ukraine, latent depuis les années 2000 et virulent depuis 2013.</p>
<p>En effet, le risque terroriste est très élevé en Russie depuis la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et, plus encore, <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/moscow-attacks-shootings-bombings.html">depuis l’accession de Vladimir Poutine à la primature puis à la présidence de la Fédération</a>, en 2000. La première menace terroriste contre la Russie est interne : radicalisant une frange de la forte minorité (<a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/03/05/russia-will-be-one-third-muslim-in-15-years-chief-mufti-predicts-a64706">10 % environ</a>) musulmane historique (non issue de l’immigration) du pays, exploitant les rancœurs des périphéries (Daghestan, Tchétchénie) contre le centre russe anciennement conquérant et colonisateur, utilisant des vétérans et des fonds venus d’Asie centrale (Afghanistan) et du Golfe, les réseaux terroristes ont commis contre la population civile et les forces de sécurité russes de nombreux attentats.</p>
<p>Plusieurs d’entre eux – sans même parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/17/qui-a-commis-les-attentats-de-1999_4247480_1819218.html">explosions de plusieurs immeubles d’habitation en 1999</a> quand Poutine était premier ministre, officiellement attribuées aux Tchétchènes mais dont bon nombre d’observateurs <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/en-partenariat-avec-books/20131011.OBS0834/le-crime-qui-a-fait-poutine.html">soupçonnent les services russes d’avoir été les auteurs</a> – ont profondément marqué les présidences Poutine : la <a href="https://www.rtbf.be/article/russie-20-ans-apres-la-tragique-prise-dotages-du-theatre-de-moscou-les-proches-des-victimes-se-souviennent-11092368">prise d’otages du théâtre de la Doubrovka en 2002</a> (130 morts, dont sans doute une majorité du fait de l’intervention des services de sécurité) ; la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/1er-septembre-2004-la-prise-d-otages-de-beslan-par-un-commando-tchetchene_3065109.html">prise d’otages dans une école à Beslan (Ossétie du Nord) en 2004</a> (334 morts dont 186 enfants) ; les <a href="https://www.lejdd.fr/international/double-attentat-moscou-60591">explosions dans le métro de Moscou en 2010</a> (40 morts) et <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/russie/saint-petersbourg-ce-que-l-sait-sur-l-explosion-dans-le-metro-4903758">celles dans le métro de Saint-Pétersbourg en 2017</a> (14 morts), liste loin d’être exhaustive.</p>
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<p>Toutes ces actions violentes de masse ont été revendiquées par des réseaux islamistes implantés en Fédération de Russie même. L’importance du risque terroriste islamiste interne est si grande qu’elle a en partie justifié la <a href="https://www.jstor.org/stable/20788646">reconstitution de services de sécurité intérieure très puissants</a> et qu’elle a conduit Moscou à laisser le violent et imprévisible <a href="https://theconversation.com/chechnyas-boss-and-putins-foot-soldier-how-ramzan-kadyrov-became-such-a-feared-figure-in-russia-216418">Ramzan Kadyrov</a> gérer à sa guise « sa » Tchétchénie, dès lors qu’il y réprime avec la plus grande dureté la moindre menace, réelle ou supposée, de résurgence de djihadisme.</p>
<p>À l’extérieur également, la lutte contre l’islamisme armé est une priorité politique ancienne. C’est contre elle que la Russie et la Chine ont <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2001-4-page-99.htm">créé en 2001 l’Organisation de Coopération de Shanghai</a>, installant le centre de lutte contre celle-ci à Tachkent et <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2018/05/21/lorganisation-de-cooperation-de-shaghai-face-au-terrorisme-dasie-centrale/">fournissant aux États d’Asie centrale formations, renseignements et matériel</a>.</p>
<p>C’est – officiellement – pour lutter contre le terrorisme islamiste que la Russie a répondu aux demandes de la présidence syrienne, en août 2015, pour <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-30.htm">déclencher la première opération militaire extérieure loin de ses frontières</a>. C’est aussi au nom de la lutte contre l’islamisme que, non officiellement, des experts militaires et des mercenaires russes sont intervenus et sont toujours implantés en Afrique du Nord (<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-societes-militaires-privees-russes-au-Moyen-Orient-2-2-En-Libye-le-groupe.html">Libye</a>), en Afrique de l’Ouest (<a href="https://www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds">Mali</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/11/15/le-burkina-faso-resserre-son-alliance-avec-la-russie_6200216_3212.html">Burkina Faso</a>) et en Afrique centrale (<a href="https://www.rts.ch/info/monde/13264727-quand-les-mercenaires-russes-de-wagner-deboisent-la-foret-centrafricaine.html">République centrafricaine</a>).</p>
<p>Enfin, et surtout pour les Européens, les soutiens de Moscou dans l’Union ont, avant 2015 et surtout 2022, tiré argument de ses actions anti-terroristes pour <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/marine-le-pen/terrorisme-de-moscou-le-pen-appelle-cooperer-avec-la-russie-4881050">attribuer à la Russie un rôle de pionnier de la défense de l’Occident</a>. Dans le narratif global russe, avant l’invasion de l’Ukraine, la lutte contre le terrorisme islamiste était l’un des principaux « titres de gloire » revendiqué par le Kremlin.</p>
<p>Viser la Russie fait sens, pour les terroristes islamistes en général et pour l’EI en particulier : les forces russes ont en effet contribué à la défaite militaire de l’EI en Syrie (et au maintien du régime de Bachar Al-Assad). Même si elle n’a rien d’une démocratie libérale, la Russie est pour l’EI une cible d’autant plus privilégiée qu’il tente de se replier notamment sur la zone centrasiatique. Le massacre du Crocus City Hall, qui n’est qu’un épisode supplémentaire dans la longue série des attentats terroristes perpétrés en Russie, illustre la résurgence de la menace islamiste dans ces zones de fragilité pour Moscou que sont l’Asie centrale mais aussi le Caucase russe (début mars, le FSB a ainsi annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-russie-dit-avoir-tue-six-terroristes-lors-d-une-operation-en-ingouchie-20240303">avoir démantelé une cellule djihadiste en Ingouchie</a>).</p>
<h2>Vers de nouveaux fronts ?</h2>
<p>Une fois rappelée l’histoire longue de la menace terroriste en Russie, les allusions et les sous-entendus des autorités russes sur une implication ou une connivence ukrainienne paraissent d’autant plus opportunistes et fantaisistes.</p>
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<p>Que le moment de l’attentat soit un défi à l’autorité de Vladimir Poutine, triomphalement réélu (en l’absence de la moindre opposition) quelques jours plus tôt, c’est l’évidence. Que l’éventuel affaiblissement de son pouvoir qui pourrait résulter du massacre (si les Russes reprochent au régime de s’être montré incapable de prévenir une attaque d’une telle ampleur) serve indirectement l’Ukraine, c’est manifeste. Mais de la conjonction des crises à la convergence des luttes, il y a un pas que la connaissance du terrorisme islamiste en Eurasie ne permet pas de franchir.</p>
<p>L’invasion de l’Ukraine est une décision militaire de politique extérieure contre une ancienne République socialiste soviétique (RSS) tentée de rejoindre l’Union européenne et l’OTAN. La lutte contre le terrorisme islamiste est un défi intérieur et extérieur qui se rattache aux actions de la Russie sur ses marches sud.</p>
<p>Le narratif manifestement opportuniste déployé par le Kremlin <a href="https://www.tbsnews.net/worldbiz/europe/not-isis-rt-editor-chief-moscow-concert-attack-814951">et par ses propagandistes</a> justifiera peut-être des actions supplémentaires contre l’Ukraine. Mais ce qui mérite l’examen, c’est l’inflexion que les politiques russes, intérieures et extérieures, sont susceptibles de prendre à court et moyen terme.</p>
<p>Tout d’abord, il est fort possible que, ayant fixé le front ukrainien et ayant engagé le <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-en-ukraine-quand-la-force-tord-le-bras-au-droit-192125">processus d’intégration de quatre districts ukrainiens</a>, la Russie se reporte sur d’autres fronts : en Europe du Nord pour « tester » la résistance des deux nouveaux membres de l’OTAN (Suède et Finlande) ; en Asie centrale, pour relancer sa coopération avec la Chine et les anciennes RSS de la région, et la cimenter par une reprise de la lutte contre le terrorisme ; vis-à-vis de l’Occident, au mieux pour critiquer son absence de solidarité et au pire pour l’accuser de complaisance ; au Moyen-Orient en relançant des actions estampillées anti-terroristes avec ses alliés locaux (Iran, Turquie, Syrie).</p>
<p>Sur le plan intérieur, en outre, l’attentat du 22 mars sera immanquablement interprété comme un outrage à la « verticale du pouvoir ». La lutte contre le terrorisme est déjà la cause d’une vague d’arrestations de suspects. Mais elle peut donner un nouveau motif à une plus large vague de répression. Car le rapport de la Russie au terrorisme est en partie différent de celui de l’Europe : pour les pouvoirs publics russes, les attentats sont non seulement des meurtres de civils et des troubles à l’ordre public, mais surtout un défi inacceptable à l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le massacre de Krasnogorsk s’inscrit dans une longue litanie d’actes terroristes djihadistes visant la Russie.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234992024-02-20T14:44:11Z2024-02-20T14:44:11ZLafarge, « complice de crimes contre l’humanité » en Syrie ? Vers un procès sans précédent pour une multinationale<p>Le 16 janvier 2024, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">Cour de cassation</a>, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France, a confirmé la mise en examen pour « complicité de <a href="https://theconversation.com/topics/crimes-contre-lhumanite-22671">crimes contre l’humanité</a> » de la société française Lafarge, une première pour une firme de cette envergure. Très attendue par la société civile et les victimes, cette reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des crimes internationaux commis à l’étranger par des acteurs économiques constitue un tournant décisif en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.</p>
<p>Cette affaire qui peut sembler technique, avec à l’origine quatre chefs d’accusation (dont un a été écarté), touche à la question sensible de la possibilité de poursuivre au pénal des entreprises <a href="https://theconversation.com/topics/multinationales-22485">multinationales</a>. Ce terme désigne des ensembles de sociétés réparties dans différents pays et obéissant à une stratégie commune fixée par une société mère. Ces grands groupes semblent parfois bénéficier d’une forme d’impunité, sentiment qui ressort de <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/">décisions précédentes</a>, notamment américaines. Le juge français pourrait ainsi venir poser les jalons d’une rupture.</p>
<h2>Différents chefs d’accusation</h2>
<p>Lafarge, société mère de droit français, avait créé en 2010 une filiale de droit syrien pour détenir et exploiter sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Entre 2010 et 2014, les alentours du site ont fait l’objet de violents affrontements entre divers groupes armés, dont l’État islamique qui a fini par s’en emparer en septembre 2014. Pour poursuivre ses activités malgré le contexte de conflit armé, Lafarge aurait distribué en 2013 et 2014 quelque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">13 millions d’euros</a> à ces groupes armés commettant de graves exactions selon l’étude d’un cabinet de conseil missionné par Holcim, le groupe suisse qui a racheté Lafarge depuis. L’enquête française a estimé ces versements entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe État islamique.</p>
<p>En 2016, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie">plainte</a> a été déposée en France par le ministère de l’Économie à la suite de révélations dans la presse, puis par l’association Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et 11 anciens salariés de Lafarge en Syrie, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire. En 2018, la société Lafarge, en tant que personne morale, ainsi que plusieurs de ses cadres, a été mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ».</p>
<p>Le <a href="https://www.asso-sherpa.org/confirmation-de-la-mise-en-examen-de-lafarge-complicite-crimes-contre-humanite">18 mai 2022</a>, la Cour d’appel avait confirmé la mise en examen de la société Lafarge pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « mise en danger de la vie d’autrui », charges ensuite contestées dans un pourvoi en cassation. </p>
<p>La décision du 16 janvier 2024 est venue confirmer la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », considérant que la multinationale avait connaissance des graves exactions commises par les groupes armés. En revanche, la Cour de cassation a écarté la mise en examen pour la mise en danger de la vie d’autrui, estimant que la loi française n’était pas applicable aux salariés syriens. Un choix <a href="https://www.asso-sherpa.org/lafarge-en-syrie-decision-determinante-de-la-cour-de-cassation-sur-les-mises-en-examen-de-la-multinationale">déploré par Sherpa</a> pour qui pareille interprétation restrictive des règles de conflit de lois, malgré la forte implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne, entrave l’accès à la justice pour les travailleurs de multinationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756000073530409033"}"></div></p>
<p>Pour les deux autres chefs d’accusation, le Parquet national antiterroriste a demandé son renvoi en correctionnel le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/09/lafarge-en-syrie-un-premier-proces-requis-contre-le-cimentier-et-neuf-personnes-pour-financement-du-terrorisme_6215693_3224.html">9 février 2024</a> pour financement d’une entreprise terroriste et pour violation d’un embargo, disjoignant ainsi les deux volets de l’affaire.</p>
<h2>Une porte ouverte par le droit français</h2>
<p>S’agissant des infractions de « financement du terrorisme » et de « complicité de crime contre l’humanité », celles-ci sont prévues, d’une part, dans la <a href="https://www.un.org/french/millenaire/law/cirft.htm">Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999</a>, d’autre part, dans le <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998</a>. Ces deux conventions ont été ratifiées par la France respectivement en 2002 et 2000.</p>
<p>Le financement du terrorisme s’entend, selon l’article 2 de la Convention sur le terrorisme, comme tout acte consistant à fournir ou à réunir des fonds « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre » des actes relevant du terrorisme. Le crime contre l’humanité s’entend, quant à lui, selon l’article 7 du Statut de Rome, comme des exactions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, incluant des actes tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la torture ou encore le viol.</p>
<p>Si le Statut de Rome a retenu la seule responsabilité pénale individuelle, son article 25 précise qu’« aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international ». La Convention sur le financement du terrorisme dispose, quant à elle, en son article 5 :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque État Partie, conformément aux principes de son droit interne, prend les mesures nécessaires pour que la responsabilité d’une personne morale située sur son territoire ou constituée sous l’empire de sa législation soit engagée lorsqu’une personne responsable de la direction ou du contrôle de cette personne morale a, en cette qualité, commis une infraction visée [par la présente convention]. Cette responsabilité peut être pénale, civile ou administrative ».</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000021796078/#LEGISCTA000021796940">Code pénal français</a> prévoit des mécanismes répressifs à l’encontre des sociétés transnationales qui relèvent de la législation française ou qui ont commis des infractions pénales sur le territoire français. En outre, son article 121-7, relatif au régime général de la complicité, requiert uniquement que le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-de-cassation-ouvre-voie-une-mise-en-examen-de-lafarge-pour-complicite-de-crime-contre-l-h">complice</a> ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime, sans critère géographique.</p>
<p>Si, avec l’affaire <em>Lafarge</em>, la France a ainsi l’opportunité de poser les prémices de la poursuite pénale d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité, cela n’est toutefois pas sans poser de redoutables défis.</p>
<h2>Vers la fin de l’impunité <em>de facto</em> des sociétés transnationales ?</h2>
<p>Depuis longtemps, les multinationales semblent bénéficier d’une certaine forme d’impunité, tirant profit de la complexité des régimes juridiques internationaux et de la difficulté d’imposer des normes juridiques uniformes à l’échelle mondiale. En effet, les règles encadrant leurs activités n’offrent notamment pas un cadre répressif avec des peines adaptées à la nature d’infractions comme le financement du terrorisme ou la complicité pour crimes contre l’humanité. Des efforts ont, certes, été déployés au niveau international pour les rendre responsables de leurs actions, comme l’adoption en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf">Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme</a>. L’absence d’un régime de responsabilité pénale internationale spécifique pour ces entités suggère néanmoins qu’elles pourraient potentiellement esquiver toute responsabilité pour leurs actions.</p>
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<p>Tel a été le cas dans l’affaire <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/"><em>Presbyterian Church of Sudan et al. v. Talisman Energy, Inc. and the Republic of the Sudan</em></a>. Des plaignants avaient intenté une action en justice contre l’entreprise Talisman Energy en vertu de l’<em>Alien Tort Statute</em>, une loi américaine de 1789 accordant aux tribunaux fédéraux compétence sur les affaires civiles déposées par des étrangers pour des violations du droit international. Ils alléguaient que cette société pétrolière canadienne était complice de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains perpétrés par le gouvernement soudanais dans les régions pétrolifères où elle opérait. En 2009, la requête a été rejetée et la société n’a pas été tenue pénalement responsable en raison pour partie d’un manque de preuves, mais surtout de la quasi-impossibilité d’engager la responsabilité d’une société transnationale sur le fondement du droit international. Un tel précédent a laissé planer l’ombre de l’impunité des sociétés transnationales et entretenu, à leur égard, le mythe d’une irresponsabilité pénale.</p>
<p>Face à l’inadéquation des mécanismes généraux de la responsabilité internationale et à une société civile de plus en plus déterminée à lutter contre l’impunité des personnes morales, la mise en examen de Lafarge apparaît comme un précédent qui pourrait relancer le débat sur la question de la pénalisation des activités des sociétés transnationales. Lafarge est, en effet, la première société transnationale au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur le fondement de complicité de crimes contre l’humanité. Les juges français vont ainsi, quelle que soit l’issue du procès, poser d’importants jalons susceptibles d’inspirer une évolution de la justice pénale internationale.</p>
<p>Ces jalons seront d’autant plus importants que d’autres affaires similaires sont en cours. L’association Sherpa, avec d’autres, a notamment déposé une <a href="https://www.asso-sherpa.org/complicite-de-crimes-de-guerre-au-yemen-une-plainte-deposee-contre-des-entreprises-darmement-francaises">plainte pénale</a> contre plusieurs entreprises d’armement pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient été commis grâce à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.</p>
<hr>
<p><em>Kadoukpè Babaodi, étudiant en Master 2 à l’Institut des droits de l’homme de l’Université catholique de Lyon a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les firmes multinationales semblent parfois jouir d’une forme d’impunité pénale. Que la justice française se saisisse du cas Lafarge pourrait bien marquer une rupture d’envergure.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160382023-10-20T12:35:42Z2023-10-20T12:35:42ZTout comme Daesh, le Hamas diffuse les images de ses atrocités afin de maximiser leur impact psychologique<p>Le Hamas a chorégraphié très soigneusement <a href="https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/7097/guerre-israel-palestine-gaza-hamas-semaine1">son attaque contre des objectifs militaires et civils dans le sud d’Israël, le 7 octobre</a>. Même si leurs actions terroristes dans le passé ont parfois été très <a href="https://www.jpost.com/israel-news/on-this-day-suicide-bombing-kills-15-at-sbarro-pizzeria-676228">« spectaculaires »</a>, il y a cette fois un changement important dans la stratégie de propagande de l’organisation. </p>
<p>En effet, les membres de l’organisation ont soigneusement préparé l’opération, comme le montrent les <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/hamas-posted-video-of-mock-attack-on-social-media-weeks-before-border-breach">vidéos enregistrées</a>, mais ils ont surtout pris soin de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Yt7TexDOTas">documenter visuellement</a> leurs actions terroristes et de les diffuser sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Comment expliquer ce changement dans leur stratégie de propagande ? </p>
<p>Je propose deux hypothèses : premièrement, le Hamas souhaitait maximiser l’impact de son attaque, tant par le nombre de victimes mortelles que par la prise d’otages ; deuxièmement, l’organisation palestinienne cherchait à obtenir un niveau élevé d’exposition publique de ses atrocités afin de nuire psychologiquement aux Israéliens et de gagner les faveurs d’une certaine opinion publique palestinienne, arabe et musulmane. </p>
<p>En ce sens, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’<a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/les-djihadistes-de-l-etat-islamique-ei-menace-au-moyen-orient_1562607.html">État islamique (EI)</a> — Daesh. Il a bien compris le pouvoir des images brutales comme arme dans leur guerre contre Israël.</p>
<p>J’ai étudié depuis un certain temps la question de la propagande des organisations islamistes. J’ai consacré un chapitre sur le sujet dans mon livre sur la <a href="https://www.routledge.com/Strategic-Communication-and-Deformative-Transparency-Persuasion-in-Politics/Nahon-Serfaty/p/book/9780367606794">« transparence grotesque »</a>, donc le dévoilement proactif (<em>proactive disclosure</em>, dans le langage stratégique) des images sanguinaires et dégradantes du corps humain, dans la communication publique. J’ai aussi étudié les stratégies de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/15245004221136223?icid=int.sj-abstract.citing-articles.25">recrutement</a> des organisations terroristes et analysé l’influence de la révolution iranienne dans la propagande terroriste islamiste, tant chiite que sunnite. </p>
<h2>L’impact « visuel » de la révolution iranienne</h2>
<p>En mettant fortement l’accent sur les images (décapitations, massacres, etc.), lors de sa campagne de terreur dans les années 2010, l’État islamique-Daesh défiait en quelque sorte l’un des principes les plus sacrés de l’islam sunnite, qui condamne les représentations visuelles du corps humain. À l’opposé, les talibans afghans appliquent rigoureusement cette prescription coranique, interdisant la diffusion d’images, le cinéma et la télévision. </p>
<p>Mais un changement s’est produit dans le monde islamique avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">révolution iranienne</a>, en 1979, sous la direction des ayatollahs chiites. Cet événement a eu une influence significative sur d’autres groupes islamistes, même au sein d’organisations d’inspiration wahhabite-sunnite telles que EI-Daesh et Al-Qaida. </p>
<p>En effet, le chiisme est plus « libéral » sur l’utilisation d’images visuelles comme outil pour propager la foi et glorifier le comportement héroïque des martyrs. Les ayatollahs iraniens ont également revendiqué le martyre des kamikazes combattant les ennemis de l’Islam, soit des « ennemis proches » musulmans (lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988), soit des « ennemis lointains » non musulmans (comme dans le cas de l’organisation chiite <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">Hezbollah</a> responsable de l'attentat au camion piégé contre la caserne des Marines américains à Beyrouth en 1983).</p>
<h2>Influences croisées</h2>
<p>L’organisation sunnite palestinienne <a href="https://catalog.swanlibraries.net/Record/a1153458?searchId=28670680&recordIndex=8&page=1&referred=resultIndex">Hamas</a>, étroitement liée aux Frères musulmans égyptiens, collabore avec le Hezbollah chiite et reçoit du financement de l’Iran, démontrant la pollinisation croisée idéologique et stratégique entre les deux principales branches de l’Islam en matière de terrorisme et de propagande.</p>
<p>La révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant dans la re-politisation de l’Islam. Dans ses chroniques sur l’Iran, le philosophe français Michel Foucault observe avec enthousiasme la « politique spirituelle » qui anime le mouvement dirigé par l’ayatollah Khomeini. Pour Foucault, la révolution islamique représentait une rupture avec les valeurs occidentales et les prescriptions libérales/marxistes de modernisation, à travers la mobilisation de toute une société dotée d’une « volonté politique » et d’idéaux utopiques. Même si la « folie » de Foucault sur la révolution iranienne a été <a href="https://rauli.cbs.dk/index.php/foucault-studies/article/download/3989/4391">largement critiquée</a>, son analyse offre un aperçu pertinent de l’impact du mouvement social d’inspiration chiite dans le monde islamique et au-delà.</p>
<p><a href="https://www.leddv.fr/analyse/michel-foucault-patient-zero-de-lislamo-gauchisme-20211112">Foucault écrit</a> : </p>
<blockquote>
<p>Sa singularité qui a constitué jusqu’ici sa force risque bien de faire par la suite sa puissance d’expansion. C’est bien, en effet, comme mouvement ‘islamique’ qu’il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables et inquiéter les plus solides. L’Islam — qui n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie, une appartenance à une histoire et à une civilisation — risque de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle de centaines de millions d’hommes. Depuis hier, tout État musulman peut être révolutionné de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires. </p>
</blockquote>
<p>La révolution iranienne a également influencé la légitimation stratégique de la violence comme moyen d’atteindre des objectifs politiques et religieux. </p>
<h2>Martyrs et guerre sainte</h2>
<p>Enracinée dans la glorification chiite du martyre — historiquement liée à l’assassinat de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Hussein_ibn_Ali">Imam Hussein</a>, petit-fils du Prophète, en l’an 680 par des opposants musulmans dans la ville de Karbala — la justification de la violence contre soi-même afin de détruire des ennemis infidèles a été largement adoptée par des organisations extrémistes d’<a href="https://www.cairn-int.info/article-E_RAI_009_0081--islamist-strategies-and-the-legitimizing.htm">inspiration sunnite</a>. </p>
<p><a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/129">Le jihad (la guerre sainte) mené contre l’Union soviétique par les moudjahidines (combattants)</a> de différents pays arabes et musulmans en Afghanistan a également prouvé la valeur stratégique de la violence contre une puissance occupante. Idéologiquement et opérationnellement, l’exemple afghan est devenu le modèle pour des milliers de militants qui sont retournés en héros victorieux dans leurs pays ou régions d’origine (Algérie, Cachemire, Bosnie, Irak, Pakistan, Tchétchénie).</p>
<p>Un autre effet de la révolution iranienne et de la guerre antisoviétique en Afghanistan a été la prise de conscience de l’importance de ce que le chercheur iranien <a href="https://academic.oup.com/joc/article-abstract/29/3/107/4371739?redirectedFrom=fulltext">Hamid Mowlana</a> appelle un « système de communication total », combinant les réseaux de communication traditionnels, tels que les mosquées ou les écoles religieuses (madrasas), avec les moyens de communication modernes. </p>
<p>Les moudjahidines combattant les Soviétiques ont exploité leurs prouesses militaires avec l’aide des réseaux de diffusion américains et européens et, paradoxalement, de l’appareil de propagande du gouvernement américain présidé par le républicain Ronald Reagan.</p>
<p>À l’ère d’un sectarisme virtuel non territorialisé, le Hamas, inspiré par les actions de l’EI-Daesh et sous l’influence de la glorification chiite des images des martyrs et de la « violence sainte », s’est lancé sur deux fronts dans cette étape de la guerre contre l’État juif : un front violent contre Israël par le terrorisme et les lancements de roquettes ; l’autre par la propagande et la guerre psychologique pour démoraliser ceux qu’ils appellent « l’ennemi » et gagner l’admiration de leurs <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_foZMY8xfD8">supporteurs</a>, y compris ceux et celles du monde universitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216038/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isaac Nahon-Serfaty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En diffusant les images brutales de son opération du 7 octobre, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’État islamique. Il a bien compris leur pouvoir comme arme de guerre.Isaac Nahon-Serfaty, Associate Professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073392023-06-13T17:57:44Z2023-06-13T17:57:44ZL’État islamique est-il défait ?<p><em>Si depuis la perte de ses fiefs irakien et syrien, Mossoul et Raqqa, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etat-islamique-20355">l’État islamique</a> n’administre plus aucun territoire, l’organisation, dont se réclament plusieurs entités terroristes en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">divers points de la planète</a>, continue d’inquiéter. En témoigne un <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132162">rapport onusien</a> présenté au Conseil de sécurité en 2022 : la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220525-afghanistan-l-organisation-%C3%A9tat-islamique-revendique-quatre-attentats-%C3%A0-la-bombe">reprise d’attentats dans ses anciens bastions</a> et son extension sur le continent africain, notamment <a href="https://fr.africanews.com/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation/">au Sahel</a>, révèlent entre autres la persistance de l’idéologie de l’État islamique. Dans son nouvel ouvrage <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/l-etat-islamique-est-il-defait/#">« L’État islamique est-il défait ? »</a>, qui vient de paraître aux Éditions CNRS, Myriam Benraad, politologue française spécialiste du monde arabe, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et chercheuse associée à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM, unité mixte de recherche qui associe le CNRS et l’Université d’Aix-Marseille) dresse une typologie des facteurs de la défaite de l’organisation jihadiste</em>. </p>
<hr>
<p>« La nuit dernière, sous ma direction, les forces armées américaines, dans le nord-ouest de la Syrie, ont mené avec succès une opération de contre-terrorisme visant à protéger les citoyens américains et nos alliés, et à faire du monde un lieu plus sûr. Grâce à la compétence et au courage de nos forces, nous avons supprimé du champ de bataille Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qouraychi, leader de l’État islamique ». </p>
<p>Dans <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/02/03/statement-by-president-joe-biden-3/">cette adresse du 3 février 2022</a>, Joe Biden prenait acte de la liquidation d’un des dirigeants jihadistes les plus recherchés au monde. Le président américain se gardait néanmoins d’évoquer une « défaite » de l’État islamique. </p>
<p>Depuis son apparition en Irak à l’automne 2006, plusieurs de ses commandants ont en effet été tués, par trois administrations successives, sans jamais que la mort d’un seul de ces hommes ne conduise à la dissolution définitive du mouvement : <em>[Al-Baghdadi en 2019, puis Al-Qouraychi en février 2022]</em>, puis Abou Hassan, mort quelques mois plus tard en octobre 2022 lors d’une opération de l’Armée syrienne libre dans la province de Deraa, lui-même remplacé par Abou Hussein, vétéran du jihad irakien. Cela étant, les pertes et les destructions endurées par les jihadistes ont été si lourdes au cours des dernières années qu’ils n’ont jamais pu reprendre la main. Dès lors, peut-on raisonnablement parler de défaite de l’État islamique ? </p>
<p>Cette question ne manquera pas d’interpeller les lecteurs, profanes ou fins connaisseurs, tant ce mouvement a fait couler d’encre ces dernières années. Au-delà des réponses hétérogènes que l’on serait tenté d’y apporter, il faut revenir sur la notion de « défaite » pour poser le décor.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-contre-le-terrorisme-comment-sortir-de-la-spirale-sans-fin-de-la-vengeance-204862">Guerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?</a>
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</em>
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<p>Relevons qu’il n’existe aucune définition fixe du terme dans le champ des études stratégiques, et en science politique plus largement. Une « défaite » n’est-elle que militaire et physique ? Revêt-elle au contraire une connotation plus symbolique ? De plus, pour s’ancrer dans la durée, une défaite ne doit-elle pas s’assortir de transformations sociopolitiques, économiques et culturelles plus profondes ? </p>
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<p>S’interroger sur la « nature » de la défaite de l’État islamique, pour reprendre <a href="https://www.routledge.com/Understanding-Victory-and-Defeat-in-Contemporary-War/Angstrom-Duyvesteyn/p/book/9780415481649">l’approche théorique développée par Jan Angstrom et Isabelle Duyvesteyn</a>, permet sans doute de repositionner un certain nombre de débats clés, en particulier au moment où les doutes grandissent quant à l’avenir des opérations de contre-insurrection au Moyen-Orient.</p>
<p>Parmi les mouvances jihadistes ayant altéré le cours de l’histoire, il n’est pas excessif de dire que l’État islamique fait figure de chef de file. Partout où il s’est établi, puis déployé, de son terreau moyen-oriental jusqu’en Asie et en Afrique, il a meurtri les sociétés exposées à ses actes, lorsqu’il ne les a pas tout simplement dévastées.</p>
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<p>Chronologiquement, l’État islamique a émergé au croisement d’une trajectoire irakienne brutalisée et d’une transhumance militaire à travers une partie importante du monde musulman. Puisant son inspiration et son orientation dans un registre salafiste-jihadiste, le groupe terroriste n’a jamais eu pour but de réformer les systèmes établis mais plutôt de les anéantir au nom de son utopie.</p>
<p>À ce titre, sa défaite ne fait aucun doute. Tout entier lancé dans une conquête internationale, l’État islamique a échoué à s’ancrer dans l’espace. De la même manière, ses attaques spectaculairement meurtrières ont fini par se retourner contre lui. Ses capacités et ressources sont ainsi fortement diminuées. Assiégé et écrasé dans ses bastions irakien et syrien, l’État islamique a été pourchassé partout où il sévissait. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’État islamique est-il défait ? »" src="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « L’État islamique est-il défait ? » paru aux éditions CNRS le 1ᵉʳ juin 2023.</span>
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<p>Pour autant, aborder la problématique de sa défaite implique de ne pas céder au piège d’une lecture manichéenne, ou d’une simplification de l’idée même de défaite. L’État islamique est vaincu, certes, mais n’oublions pas que le phénomène surpasse sa seule dimension armée. </p>
<p>Il est aussi une militance intergénérationnelle dont les racines remontent au jihad antisoviétique des années 1980, une tentation nihiliste détruisant aussi bien la géographie que l’altérité. Par-delà sa défaite, l’État islamique a surtout su produire du temps, s’implanter aux marges de sociétés en proie à de violents conflits, et transcender sa base partisane première.</p>
<p>Pour mesurer au plus près sa défaite, il faut se méfier en outre des récits officiels et médiatiques en vogue, des perspectives trop statiques, envisager la déroute des jihadistes dans ce qu’elle contient de tangible, d’objectif, de durable. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années durant, Daech a terrorisé les populations syrienne et irakienne, et commis de nombreux attentats en Europe, en Afrique, en Asie. Aujourd’hui, peut-on dire que la nébuleuse a disparu ?Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048622023-05-31T16:21:02Z2023-05-31T16:21:02ZGuerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?<p>Au cours des deux dernières décennies, de nombreux commandants du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/djihadisme-20566">djihad mondial</a> ont été éliminés lors d’opérations conduites par les États qui, depuis le 11 septembre 2001, déclarent être « en guerre contre la terreur » et affichent leur détermination à réduire à néant les groupes terroristes partout où ils se trouvent et opèrent.</p>
<p>Fin avril dernier, le chef présumé de l’État islamique (EI), <a href="https://www.nouvelobs.com/terrorisme/20230501.OBS72817/le-chef-presume-de-l-etat-islamique-neutralise-en-syrie-annonce-erdogan.html">Abou Hussein al-Qouraïchi</a>, a été tué par les services de sécurité turcs dans le nord-ouest de la Syrie. Il avait succédé à <a href="https://www.lejdd.fr/International/terrorisme-le-groupe-etat-islamique-annonce-la-mort-de-son-chef-et-nomme-son-successeur-4151302">Abou Hassan al-Qouraïchi</a>, troisième « calife » du mouvement terroriste, abattu en novembre 2022 dans la province syrienne de Deraa lors de combats ayant impliqué l’Armée syrienne libre. Lui-même, au mois de février précédent, avait remplacé <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3228831-20220203-armee-americaine-elimine-dirigeant-groupe-etat-islamique">Abou Ibrahim al-Qouraïchi</a>, tué deux ans et demi après avoir pris la tête de l’EI à la suite de l’élimination d’<a href="https://theconversation.com/la-mort-de-baghdadi-est-un-coup-dur-pour-Daech-mais-elle-ne-sera-pas-fatale-a-lorganisation-terroriste-125979">Abou Bakr al-Baghdadi</a> par les forces spéciales américaines à l’automne 2019.</p>
<p>Et, bien sûr, chacun garde en tête l’élimination par un drone américain du chef d’Al-Qaida, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/02/les-etats-unis-ont-tue-ayman-al-zawahiri-le-chef-d-al-qaida-selon-des-medias-americains_6136882_3210.html">Ayman al-Zawahiri</a>, en juillet 2022, sur le territoire afghan, et celle, onze ans plus tôt, d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ils-l-ont-vecu/la-fin-de-ben-laden-9680478">Oussama Ben Laden</a> au Pakistan.</p>
<p>Chacune de ces opérations est l’occasion pour Washington et ses partenaires d’affirmer non seulement que la menace terroriste serait durablement freinée grâce à ces missions mais, plus encore, que justice aurait été rendue : ce sont, par exemple, les termes employés par Donald Trump <a href="https://trumpwhitehouse.archives.gov/briefings-statements/united-states-brought-leader-isis-justice/">après la disparition d’Al-Baghdadi</a>, et par Joe Biden <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/08/01/remarks-by-president-biden-on-a-successful-counterterrorism-operation-in-afghanistan/">après celle d’Al-Zawahiri</a>.</p>
<p>On peut dès lors s’interroger aujourd’hui sur une « justice » qui semble imprégnée de vengeance, d’un désir de châtier les crimes perpétrés – une vengeance <a href="https://www.cairn.info/terrorisme-les-affres-de-la%20vengeance--9791031804729-page-9.htm">qui n’est pas sans rappeler</a>, toutes choses égales par ailleurs, celle promise par les djihadistes eux-mêmes. Ces opérations qui visent à assassiner les leaders terroristes sont-elles vraiment efficaces dans la lutte contre le terrorisme en général ou relèvent-elles d’autre chose ? </p>
<h2>Réciprocité négative et impasse de la violence</h2>
<p>Ce cercle vicieux de la violence procède d’un principe de « réciprocité négative » qui pose la question de l’issue de la longue guerre livrée aux terroristes. Celle-ci peut-elle être remportée ?</p>
<p>À chaque disparition d’un de ses chefs, l’EI a en effet systématiquement <a href="https://www.terrorism-info.org.il/en/isis-announces-campaign-to-avenge-the-death-of-its-former-leader-and-spokesman/">juré de le venger</a> au nom d’une justice placée sous le sceau de la transcendance divine. Persuadés de pouvoir compter sur des légions d’adeptes à travers le monde, les émirs djihadistes n’ont jamais réagi à leurs défaites par l’abandon ou l’abnégation, et encore moins par le renoncement à la violence, mais au contraire par l’annonce de nouvelles représailles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189933603880407040"}"></div></p>
<p>Souvenons-nous comment la traque sans relâche, puis la mort de Ben Laden avaient déjà inspiré un terrible <a href="https://www.reuters.com/article/uk-binladen-qaeda-confirmation-idUKTRE7452MP20110506">désir de vengeance chez ses disciples</a>, ou comment à la mort d’Al-Baghdadi l’EI avait enjoint à ses partisans de venger ses chefs au long cours. En avril 2022, un message diffusé sur l’application Telegram et intitulé « Incursion vengeresse pour les deux cheikhs » énonçait ainsi <a href="https://newlinesinstitute.org/isis/revenge-for-the-two-sheikhs-isis-renews-itself-in-the-syrian-desert/">« qu’avec le soutien de Dieu, l’État islamique lançait une campagne bénie de vengeance »</a>.</p>
<p>Ces pulsions vengeresses chez les djihadistes comme chez leurs ennemis pointent-elles vers l’impasse d’une guerre sans fin ? <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2689715/">Le concept de réciprocité fait souvent référence à une coopération positive</a>, mais il peut recouvrir une dimension nettement négative, orientée vers l’hostilité. D’ailleurs, dans certains cas, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/cogs.12773">ce type de réciprocité négative</a> se généralise au point de dominer l’ensemble des interactions et des relations entre parties adverses, avec pour conséquence directe une spirale interminable de vengeances mutuelles.</p>
<h2>La vengeance comme « norme rétributive »</h2>
<p>Dans cette optique, les <a href="https://link.springer.com/referenceworkentry/10.1007/978-1-4020-9160-5_58">représailles djihadistes peuvent être conçues comme une norme rétributive</a> dont le dessein n’est autre que de provoquer à terme le renoncement chez leurs cibles. Lue à travers ce prisme, la volonté se veut en effet dissuasive : le djihadiste déstabilise le camp opposé en instillant la peur, provoquant certes une réponse elle-même violente dans un premier temps, obéissant à la vengeance, mais avec pour ultime intention d’obliger ses adversaires, progressivement épuisés, à abandonner toute action durable.</p>
<p>Il s’agissait déjà de la pensée véhiculée par la <a href="https://www.cairn.info/al-qaida-dans-le-texte--9782130547716-page-62.htm">« Déclaration du Front islamique mondial pour le djihad contre les Juifs et les Croisés »</a>, signée par Ben Laden et ses associés en 1998 et invitant les musulmans à « tuer les Américains et leurs alliés » pour les inciter à « se retirer des terres d’islam, vaincus et incapables de nuire aux croyants ».</p>
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<p>Les différences qui existent entre systèmes culturels et valeurs morales n’enlèvent d’ailleurs rien aux traits universels de la réciprocité <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2016-1-page-165.htm">que l’on retrouve dans toutes les sociétés humaines</a> et dont les manifestations oscillent en fonction notamment des modes d’administration de la justice. Cette réciprocité est par nature talionique, se référant au fameux proverbe « œil pour œil, dent pour dent ».</p>
<p>Les représailles revendiquées par les djihadistes sont assimilées par ces derniers à une justice vengeresse nécessaire pour réparer les crimes et les dommages supposément causés aux musulmans. Néanmoins, la riposte de leurs adversaires, au fur et à mesure de l’escalade de la violence, a elle aussi peu à peu abandonné toute considération morale ou juridique quant au bien-fondé et à la licéité d’un usage débridé de la force.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"755697036016648192"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/terrorisme-la-france-et-ses-allies-ont-ils-le-droit-d-assassiner-leurs-propres-ressortissants_1725341.html">exécutions extrajudiciaires de djihadistes</a> en sont une illustration édifiante ; elles échappent en large part au contrôle démocratique, de même qu’à la définition traditionnelle de la vengeance talionique – du mot latin <em>talio</em> (rétribution), provenant lui-même de <em>talis</em> (« choses qui sont égales en nature »). Le talion consiste en réalité à fixer des limites autant qualitatives que quantitatives à l’application d’une peine déterminée.</p>
<p>Dans un ordre d’idées similaire, la vengeance prescrit en théorie un équilibre pacifique entre opposants, axé autour d’une rétribution qui doit demeurer proportionnelle et en aucun cas conduire à une surenchère meurtrière et prolongée des affrontements.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-tribunal-international-pour-juger-les-djihadistes-de-daech-130588">Un tribunal international pour juger les djihadistes de Daech ?</a>
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<p>Or de nombreux civils ont perdu la vie à l’occasion des opérations de contre-insurrection destinées à exterminer les djihadistes, tombant vite dans la catégorie des <a href="https://www.cairn.info/propagande-imperiale-et-guerre-financiere--9782748900743-page-187.htm">« dommages collatéraux »</a>. </p>
<h2>Une guerre contre la terreur sans fin ?</h2>
<p>On touche ici à l’impasse, sinon au drame, qu’incarne depuis plus de vingt ans la guerre globale contre la terreur. Faut-il conclure, en effet, que le recours à la force des Américains et de leurs alliés n’a fait qu’exacerber le désir vengeur des djihadistes, leur attirer de nouveaux partisans et <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2018-1-page-479.htm">alimenter la violence qu’il était supposé contenir</a> ? Les détracteurs les plus virulents de cette guerre ont toujours soutenu que, <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">bien loin d’avoir endigué le terrorisme, elle l’a en quelque sorte intensifié</a> en fabriquant une réciprocité négative qui paraît à présent <a href="https://www.bbc.com/news/world-53156096">insurmontable</a>.</p>
<p>De plus, il est utile de souligner que les répliques punitives contre les djihadistes ne visent pas seulement à affaiblir leurs organisations, mais aussi à éteindre la propension à la vengeance d’opinions publiques d’abord laissées sans voix par les actions terroristes, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ajps.12692">puis vite assaillies d’un profond ressentiment</a>.</p>
<p>Cette soif de vengeance a-t-elle depuis été apaisée ? Symptomatiquement, les opinions occidentales ne connaissent plus les noms des chefs de l’EI ou d’Al-Qaida, et les tuer ne semble pas prioritaire dans la hiérarchie de leurs préoccupations ; depuis Al-Baghdadi, trois émirs de l’EI ont été éliminés, sans pour autant faire la une de l’actualité. Peut-être, et même si les organisations terroristes sont loin d’avoir déposé les armes, faut-il voir dans cette lassitude apparente les prémices de la fin du cycle de la vengeance qui se trouve au cœur même de la guerre contre la terreur…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204862/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « guerre contre la terreur » proclamée après le 11 septembre 2001 est soutenue par une rhétorique centrée sur la vengeance.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032832023-04-25T22:51:58Z2023-04-25T22:51:58ZAu Nigeria, contre-terrorisme et avortements forcés<p>Le 7 décembre 2022, l’agence de presse britannique Reuters publiait un <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-abortions/">long article documentant un programme clandestin d’avortement</a> mis en place par l’armée nigériane dans le nord-est du pays, épicentre de l’insurrection djihadiste <a href="https://afriquexxi.info/Pourquoi-on-ne-devrait-plus-parler-de-Boko-Haram">généralement désignée sous le nom de Boko Haram</a>.</p>
<p>Au terme d’une enquête minutieuse conduite auprès de militaires, de personnels de santé et d’une trentaine de victimes de ce programme, Reuters estime que, depuis 2013, au moins 10 000 femmes enceintes à la suite d’unions volontaires ou forcées avec des djihadistes, puis libérées ou capturées par l’armée, auraient avorté à leur retour dans les zones sous contrôle gouvernemental.</p>
<p>Une proportion d’entre elles – que Reuters ne quantifie pas – auraient subi un avortement forcé : certaines n’ont pas été averties que les injections ou les pilules qu’elles recevaient étaient abortives ; d’autres ont été menacées, battues ou attachées pour subir la procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/viols-meurtres-mariages-arranges-a-defaut-deducation-la-vie-des-filles-en-zone-de-conflit-60012">Viols, meurtres, mariages arrangés : à défaut d’éducation, la vie des filles en zone de conflit</a>
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<p>Ces révélations – contestées avec véhémence par les militaires nigérians – ont à nouveau attiré l’attention internationale sur l’effroyable conflit qui ravage depuis presque quinze ans le nord-est du <a href="https://fr.africanews.com/2022/11/15/nigeria-la-hausse-demographique-pose-des-defis-de-developpement//">pays le plus peuplé d’Afrique</a>. </p>
<h2>Les faits allégués</h2>
<p>Contactée par Reuters avant la parution de l’enquête, l’armée avait réagi en lançant dans la presse nationale une <a href="https://prnigeria.com/2022/11/29/fathered-terrorist-nurtured/">campagne de propagande préemptive</a> affirmant qu’elle prenait soin des femmes et des enfants liés à Boko Haram.</p>
<p>Une fois l’article de Reuters paru, l’armée a démenti, dénonçant le <a href="https://saharaweeklyng.com/reuters-mercenary-journalismefforts-by-reuters-to-blackmail-the-nigerian-military-through-mercenary-journalism-fails/">« journalisme démoniaque » de l’agence de presse</a>, et a refusé d’enquêter sur les allégations des journalistes. Celles-ci n’en ont pas moins provoqué un scandale <a href="https://gazettengr.com/nigerian-army-conducts-secret-abortion-operation-terminates-10000-pregnancies-over-boko-haram-war/">national</a> et <a href="https://www.usnews.com/news/world/articles/2022-12-09/un-secretary-general-calls-for-investigation-on-nigeria-forced-abortions-report">international</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600964090628919307"}"></div></p>
<p>Muhammadu Buhari, alors président du Nigeria, a demandé à un organisme public, la Commission nigériane des droits de l’homme, de <a href="https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/579025-nhrc-set-to-probe-allegation-of-secret-abortion-programme-against-nigerian-military.html">créer une commission d’enquête</a>. Sans doute ne faut-il pas trop en espérer : au Nigeria, c’est souvent en créant des commissions qu’on enterre les « affaires », et si un rapport est produit, il peut <a href="https://www.thisdaylive.com/index.php/2018/12/20/stop-harrassing-amnesty-international-falana-tells-nigerian-army/">ne jamais être rendu public</a>.</p>
<p>Reuters, de son côté, a publié deux autres enquêtes sur des violations graves de droits humains commises par l’armée dans le cadre de la lutte contre les djihadistes, notamment des <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-children/">assassinats d’enfants</a>. Si là encore l’armée nigériane a démenti, ce type de violations ne surprend guère, car il avait déjà été documenté au Nigeria, notamment par <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/05/nigeria-babies-and-children-dying-in-military-detention/">Amnesty International</a> et <a href="https://www.hrw.org/report/2019/09/10/they-didnt-know-if-i-was-alive-or-dead/military-detention-children-suspected-boko">Human Rights Watch</a>. </p>
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<p>Je n’ai jamais enquêté spécifiquement sur la question des avortements lors de mes séjours dans le nord-est du Nigeria. J’ai du moins entendu l’embarras des organisations humanitaires, présentes dans la région depuis la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2019-4-page-143.htm">crise alimentaire de 2016</a> (mais peu auparavant) : elles se demandent comment interpréter le fait qu’elles n’ont pas capté, pendant toutes ces années, de signaux indiquant l’existence de ce programme clandestin d’avortements dénoncé par Reuters.</p>
<p>Dans les ambassades occidentales aussi, la gêne est palpable : on collabore avec les autorités nigérianes dans la lutte contre Boko Haram et les allégations de violations de droits humains viennent une fois encore compliquer cette collaboration, en particulier aux États-Unis – le Sénat et la Chambre des représentants sont sensibles sur ces sujets, notamment et surtout quand il s’agit d’avortement.</p>
<p>Si je ne suis pas en mesure de confirmer ou d’infirmer le récit fait par Reuters, j’entends ici du moins discuter de la plausibilité de ce terrible épisode en le situant dans l’histoire récente du nord-est du pays, marquée par des années d’affrontements sanglants entre l’armée et les djihadistes.</p>
<h2>Une armée dépassée et violente</h2>
<p>Au fil des années, l’armée et les autorités nigérianes ont volontiers minimisé le défi posé par Boko Haram, annonçant régulièrement la victoire. Au moment où le programme d’avortement clandestin aurait été mis en place, entre 2013 et 2015, l’armée nigériane était en réalité en difficulté face à <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015-3.htm">l’organisation formée dans le fil des années 2000 et passée à la lutte armée en 2009</a>, et dont le nom réel est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2013-2-page-137.htm">JASDJ</a> (Jamā’at ahl al-sunnah li’l-da’wah wa’l-jihād, qui peut être traduit par Association des gens de la sunna pour la prédication et le djihad). </p>
<p>Après le <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/qdr40.pdf">soulèvement des partisans du prédicateur de Mohamed Yusuf en 2009</a>, brutalement réprimé par l’armée, les survivants s’étaient réorganisés puis engagés, à partir de 2010, dans une <a href="https://theconversation.com/esclavagisme-razzia-tueries-les-inspirations-locales-de-boko-haram-112547">campagne de terreur</a>.</p>
<p>En plus d’attaques à la bombe <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/1074">jusque dans la capitale fédérale, Abuja</a>, les assassinats se multipliaient dans le nord-est du pays, notamment dans l’État du Borno et sa capitale Maiduguri, une agglomération qui comptait à l’époque plus d’un million d’habitants, ciblant les membres des forces de défense et de sécurité ainsi que les élites politiques et religieuses.</p>
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<p>Pour mieux cibler la répression, les autorités civiles et militaires du Borno et la population de Maiduguri avaient mis en place des milices, dites <em>Civilian Joint Task Force</em> (CJTF), qui avaient aidé l’armée à purger la ville des réseaux de JASDJ. </p>
<p>Ces derniers avaient alors achevé une bascule déjà engagée vers des <a href="https://theconversation.com/comment-le-djihad-arme-se-diffuse-au-sahel-112244">zones rurales qui leur offraient une meilleure protection</a>. Ils avaient ensuite conquis une bonne partie des villes secondaires du Borno, frappant aussi dans les États voisins de Yobe et de l’Adamawa.</p>
<p>Les attentats suicides, jusque-là très ciblés, s’étaient multipliés, frappant de façon de plus en plus aveugle. Les pertes militaires et civiles ont été gigantesques (<a href="https://acleddata.com/crisis-profile/boko-haram-crisis/en">plus de 40 000 morts</a> jusqu’à aujourd’hui, ces chiffres étant probablement très sous-estimés), et JASDJ a joué à fond la carte de la terreur, s’inspirant parfois dans ses massacres de la scénographie de l’État islamique, à laquelle elle s’est <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/boko-haram-les-raisons-de-l-allegeance-a-Daech_1659082.html">officiellement ralliée en 2015</a>. Dans ces années-là, l’armée nigériane était particulièrement dépassée, aux prises avec un adversaire ultra-violent et mal connu. </p>
<p>Dans ce contexte singulier, l’armée a employé des moyens extrêmes. Elle a recouru massivement à la torture et aux exécutions extrajudiciaires. Entre 2010 et 2014, elle a multiplié les rafles au ciblage souvent imprécis, arrêtant des milliers de personnes, généralement en dehors de toute procédure judiciaire et donc sans chemin de sortie pour les suspects.</p>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/11/initial-dialogue-nigeria-experts-committee-against-torture-ask-about-fight">surpopulation carcérale</a> a été encore aggravée avec la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20150317-nigeria-contre-offensive-damasak-boko-haram-fuite-niger-tchad">contre-offensive victorieuse</a> lancée par l’armée en 2015 : elle a alors pris sous son contrôle une vague plus massive encore de suspects, hommes, femmes et enfants. </p>
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<p>Dans les centres de détention militaire, et notamment dans l’immense caserne de Giwa Barracks, à Maiduguri, la surpopulation et la faiblesse des ressources ont abouti à l’installation de facto d’un <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/afr44/3998/2016/en/">dispositif de mise à mort par la prison</a> (faim, déshydratation, maladies, violences des gardiens et entre détenus) dont on peut se demander si certains responsables militaires au moins ne l’ont pas conçu ou accepté comme tel.</p>
<h2>Les femmes associées à Boko Haram, un cas particulier</h2>
<p>Là où les hommes, quand ils n’étaient pas exécutés sur le champ, étaient emprisonnés avec peu d’espoir de sortie, la situation des femmes et des enfants était plus complexe aux yeux de l’armée et des autorités : le retentissement international du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220414-nigeria-8-ans-apr%C3%A8s-l-enl%C3%A8vement-des-lyc%C3%A9ennes-de-chibok-une-centaine-toujours-port%C3%A9es-disparues">kidnapping des collégiennes de Chibok en 2014</a> avait établi que les femmes trouvées dans les camps djihadistes pouvaient être des victimes, avoir été enlevées, contraintes au mariage et soumises à des viols maritaux.</p>
<p>À partir de 2014, des <a href="https://www.cfr.org/blog/women-boko-haram-and-suicide-bombings">femmes ont commencé à mener des attaques suicides</a> contre l’armée et les communautés. Les femmes avaient donc un <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/nigeria/nigeria-women-and-boko-haram-insurgency">statut énigmatique</a> – épouses loyales de combattants djihadistes ou bien captives ? – et oscillaient ainsi entre la position d’ultra-victimes et celle d’hypermenaces.</p>
<p>Faute de place dans les centres de détention, et alors que les critiques internationales montaient sur les abus de droits humains et venaient compliquer la coopération entre le Nigeria et certains partenaires internationaux, les femmes et les enfants détenus ont fini par être libérés en masse et envoyés dans les camps de déplacés à travers le Borno.</p>
<p>Avec les femmes et les enfants, il y avait là un problème mal défini et menaçant, mais trop massif pour être traité par l’emprisonnement. Le problème semblait d’autant plus grave qu’il résonnait avec les inquiétudes croisées de l’État et de la société à propos des enfants conçus dans le contexte du djihad.</p>
<h2>La crainte suscitée par les « enfants de djihadistes »</h2>
<p>Le Nigeria est un pays à la population composite, et où les considérations ethnorégionales jouent depuis longtemps un rôle considérable. Dans ce contexte, la question démographique est particulièrement sensible – en témoignent aussi bien les <a href="https://www.reuters.com/world/africa/nigeria-delays-census-may-its-first-17-years-2023-03-15">difficultés à organiser le recensement</a> que les rumeurs qui interprétaient, un temps, la vaccination contre la poliomyélite comme une <a href="https://academic.oup.com/afraf/article/106/423/185/50647">campagne visant à stériliser les nordistes musulmans</a>.</p>
<p>Le nord, zone peuplée majoritairement de musulmans et à la démographie très dynamique, est perçu comme une menace dans le sud, où les chrétiens sont majoritaires. C’était particulièrement le cas entre 2010 et 2015, sous la présidence de Goodluck Jonathan, président chrétien très contesté par les élites nordistes.</p>
<p>Mais même les élites du Nord musulman s’inquiètent de la croissance démographique de la zone, supposée alimenter un <em>lumpenproletariat</em> menaçant – l’émir de Kano, un chef traditionnel musulman d’importance, a ainsi pu prendre des <a href="https://guardian.ng/news/npc-affirms-emir-sanusis-birth-control-moderation-call/">positions fortes en faveur du contrôle des naissances</a>.</p>
<p>Cette inquiétude était redoublée dans la société nigériane, où elle s’est articulée à l’idée d’un « mauvais sang » dont seraient porteurs les enfants de djihadistes, documentée en 2016 dans un rapport intitulé <a href="https://www.unicef.org/nigeria/reports/bad-blood">Bad Blood</a> publié par l’Unicef et l’ONG International Alert. À l’anxiété des élites se mêlaient ainsi la stigmatisation que subissent les femmes isolées dans une société patriarcale et moraliste, avec leurs grossesses issues d’unions souvent soit forcées, soit forgées en dehors de l’ordre familial, et la peur d’une hérédité de la violence.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/275-returning-land-jihad-fate-women-associated-boko-haram">étude conduite pour International Crisis Group</a>, j’avais noté que certaines femmes signalaient qu’il leur était interdit de fréquenter les points d’eau dans les camps de déplacés – une interdiction à la lisière de l’inquiétude face aux éventuelles maladies dont elles pourraient être porteuses et de représentations liées à la sorcellerie. Le djihad comme épidémie à contenir… « C’est juste une épuration de la société », expliquait à l’équipe Reuters un agent de santé impliqué dans le programme d’avortement… </p>
<h2>Les avortements étaient-ils ordonnés par l’armée ?</h2>
<p>On voit donc bien comme le climat politique, militaire et moral au milieu des années 2010 se prêtait à la mise en œuvre d’un programme d’avortement. </p>
<p>Compte tenu de la stigmatisation dont étaient victimes les femmes associées à Boko Haram, des militaires et des agents de santé ont pu penser leur faire une faveur en les faisant avorter, de gré ou de force.</p>
<p>Reuters cite un agent de santé qui affirme « nous appliquons ce genre de procédure [aux femmes sortant des zones Boko Haram] afin de les sauver du stigmate et du problème qui viendra plus tard ». Reuters relève également qu’un certain nombre de femmes interrogées disent avoir souhaité avorter, mais qu’elles auraient voulu être informées et consultées.</p>
<p>Compte tenu du nombre de cas qu’ils ont identifiés, Reuters a considéré qu’il s’agissait là d’un véritable « système », tout en notant n’avoir pu établir « qui avait créé ce programme ni qui dans l’armée ou au gouvernement en était responsable ».</p>
<p>L’armée, répétons-le, dément absolument l’existence d’un « système » et met en avant le fait que de nombreux enfants sont nés en détention, ce que confirment des témoignages que j’ai recueillis auprès d’anciens détenus ainsi que de responsables d’ONG impliqués dans les questions de santé et de protection des personnes dans le Borno. Reuters l’admet d’ailleurs, notant bien que certaines femmes se sont vu proposer, et non pas imposer, un avortement.</p>
<p>On peut dès lors penser que dans le contexte du conflit, des mesures ont été prises pour rendre <em>possible</em> l’accès à l’avortement aux femmes sortant des zones Boko Haram et que, à différents moments et dans différents sites, des responsables locaux, directeurs d’hôpitaux ou commandants de centres de détention par exemple, ont pris sur eux d’<em>imposer</em> des avortements au lieu de simplement les <em>proposer</em>.</p>
<p>Cela permettrait d’expliquer comment les avortements forcés ont pu se produire, sans être pour autant véritablement systématiques. Des variations importantes dans la mise en œuvre des politiques, typiques d’un État sous pression et connaissant des faiblesses dans le contrôle interne, ont d’ailleurs été documentées dans d’autres volets de la réaction de l’État nigérian – par exemple dans le traitement des prisonniers de sexe masculin. </p>
<p>Reuters affirme avoir documenté des cas jusqu’en novembre 2021, mais il y a des raisons d’espérer que les choses ont changé avec le temps, que les avortements forcés sont moins fréquents. Les forces de défense et de sécurité sont aujourd’hui moins dépassées qu’en 2014, et les conditions dans les centres de détention se sont un peu améliorées, notamment grâce à l’action internationale.</p>
<p>Enfin, la réintégration dans la société de femmes et même d’hommes <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/b170-exit-boko-haram-assessing-nigerias-operation-safe-corridor">ayant quitté Boko Haram volontairement</a>, inimaginable en 2015, est devenue presque routinière. On peut donc supposer que dans la chaîne qui traite les personnes venues des zones Boko Haram, la ligne est moins dure. </p>
<p>Quoi qu’il en soit du caractère systématique des faits rapportés par Reuters, l’État nigérian ne saurait être dégagé de ses responsabilités. En dernière analyse, parce qu’il est l’État, il est responsable des abus perpétrés en son nom, et il est responsable d’avoir laissé perdurer l’ambiance délétère et la logique éradicatrice qui ont pu donner lieu aux avortements forcés rapportés par l’agence de presse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Foucher était employé comme analyste par International Crisis Group de 2011 à 2017 et collabore encore avec cette organisation. </span></em></p>Une enquête explosive de Reuters révèle que de nombreuses femmes auraient été forcées à avorter par l’armée nigériane dans les territoires libérés du joug des djihadistes.Vincent Foucher, Chargé de recherche CNRS au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019812023-03-21T17:49:11Z2023-03-21T17:49:11ZSahel : des populations civiles à l’épreuve d’une insurrection djihadiste<p><em>L’État islamique vaincu au Moyen-Orient, le cœur du djihadisme s’est-il déplacé au Sahel ? Les organisations terroristes installées dans la région provoquent des mouvements de populations. Dans <a href="https://www.tallandier.com/livre/lafrique-le-prochain-califat/">« L’Afrique, le prochain califat ? »</a>, paru en février aux éditions Tallandier et dont nous vous proposons ici un extrait, Luis Martinez, politiste et spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient à Sciences Po, détaille les risques, notamment humanitaires, liés à l’expansion du djihadisme au Sahel.</em></p>
<hr>
<p>À l’instar d’autres régions dans le monde, l’Afrique est confrontée à la diffusion violente du salafi-djihadisme et au projet politique d’instaurer des émirats islamiques sur les déboires des États-nations postcoloniaux.</p>
<p>Pour les autorités des pays du Sahel comme pour la France, les motivations de l’insurrection djihadiste ont été difficiles à comprendre. Beaucoup croyaient que la violence au Mali ne déborderait pas chez ses voisins. Les attentats contre les forces de sécurité, les massacres de civils et les témoignages d’habitants dans les zones gérées par les djihadistes ont provoqué au début un vent de panique et un sentiment de sidération face à la rapidité de leur expansion et à la facilité de leur consolidation.</p>
<h2>Des populations livrées à elles-mêmes</h2>
<p>Dans la région du Liptako Gourma par exemple, l’État est absent et les humanitaires peu présents en raison des menaces envers les ONG. La région est caractérisée par une démographie très élevée, les jeunes de 15 ans représentant environ 50 % de la population. Beaucoup n’ont plus accès à l’école en raison des menaces sur les enseignants. L’État islamique trouve donc là un vivier de jeunes combattants confrontés à une pauvreté endémique.</p>
<p>En 2018, <a href="https://news.un.org/fr/story/2018/03/1008742">près de 900 000 personnes, presque 10 % de la population de ces régions</a>, étaient considérées en « insécurité alimentaire sévère ». Les effets du changement climatique, la sécheresse et les inondations sont destructeurs et affectent les activités économiques de ces territoires, essentiellement de l’agriculture et de l’élevage. Avec plus de 9 millions de bovidés et 25 millions d’ovins et caprins, les conflits sont nombreux entre éleveurs et agriculteurs en raison de l’expansion des terres agricoles au détriment des premiers. À ces conflits fonciers s’ajoutent des conflits entre groupes communautaires en lutte pour le contrôle du pouvoir local et des activités illicites.</p>
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<p>En contrepartie de leur allégeance, les groupes djihadistes autorisent les populations locales à désobéir aux interdits édictés par les autorités concernant la chasse dans les aires protégées, la pêche, la transhumance, l’orpaillage. Ils perçoivent une <em>zakat</em>, ou taxe, sur le cheptel. Ces recettes attirent toutes sortes de personnes disposées à rejoindre les groupes djihadistes si ces derniers engendrent des activités lucratives : anciens coupeurs de route et bandits trouvent dans ces « managers » du djihad un exutoire salutaire en donnant un sens religieux à des pratiques criminelles.</p>
<p>Le vol de bétail et les enlèvements de personnes deviennent, par exemple, des activités intégrées dans l’économie du djihad pour le plus grand bonheur des criminels, trouvant dans les territoires gérés par les djihadistes des avantages qu’ils n’avaient pas auparavant. Considérés comme des bandits ou des criminels par les autorités, ils deviennent des entrepreneurs qui contribuent à l’économie des « territoires libérés ».</p>
<p><a href="https://agriculture.gouv.fr/mali">L’agriculture et l’élevage emploient 70 % de la population au Sahel</a> et les effets du changement climatique alimentent les conflits et les tensions dans des régions où les problèmes fonciers sont récurrents. Les projections du GIEC laissent entrevoir une diminution des récoltes de 20 % sur chaque décennie d’ici à 2100, alors même que la population atteindra les 500 millions d’habitants.</p>
<p>Au Niger, par exemple, avec la <a href="https://www.afdb.org/fr/documents/niger-profil-national-de-changement-climatiques">population urbaine la plus faible de la région (18 %)</a>, mais avec la croissance démographique la plus dynamique (61 millions d’habitants en 2050 selon les estimations), la question de la sécurité alimentaire se pose avec acuité. Les violences ont poussé des millions de personnes à fuir leurs villages et à rejoindre les camps de fortune des déplacés de l’intérieur. Des centaines de milliers d’enfants sont privés d’école et deviennent de futurs enrôlés. Dans certains pays, comme dans la région du lac Tchad, fief de Boko Haram, le taux de scolarisation des enfants ne dépasse pas les 7 %. Pour les populations civiles, l’insurrection djihadiste est venue aggraver des maux déjà nombreux.</p>
<h2>La fuite de millions de civils</h2>
<p>En juillet 2022, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), une agence des Nations unies, lance un cri d’alerte : le Sahel traverse l’une de ses pires crises avec des millions de déplacés, mais c’est pourtant l’une des plus ignorées.</p>
<p>Environ trois millions de personnes ont fui la région en raison des affrontements entre les insurrections djihadistes et les forces armées. En moins de dix ans, le nombre de déracinés est passé de <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2022/1/61e17bc3a/derniere-decennie-conflits-sahel-entraine-deplacement-25-millions-personnes.html">217 000 en 2013 à 2,1 millions en 2021</a>. Au Burkina Faso, les régions du Nord et du Nord-Ouest sont les plus touchées et les <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2022/11/638615afa/hcr-appelle-soutien-accru-violences-poursuivent-relache-burkina-faso.html">déplacés internes sont estimés à 1,5 million</a>. Pour la seule année 2021, 500 000 personnes ont fui la région en raison d’attaques aléatoires de groupes armés contre les civils, des viols, des exécutions et de la destruction des infrastructures civiles.</p>
<p>Filippo Grandi, le haut-commissaire pour les réfugiés, souligne, après une visite dans la région, la dégradation de la situation et estime à 29 millions le nombre de personnes, dont la moitié sont des enfants, nécessitant une assistance et une protection vitale. « L’urgence, lance-t-il, est ici dans le Sahel, où les gens souffrent, sont massacrés, où les femmes sont violées et où les enfants ne peuvent pas aller à l’école. Il faut que nous intervenions au Sahel avant que cette crise ne devienne ingérable. »</p>
<p>Les violences dans cette région n’ont fait qu’accentuer et aggraver les souffrances des populations les plus vulnérables. En 2020, l’Unicef soulignait que cinq millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire dans la région (Mali, Niger et Burkina Faso) et que <a href="https://afriksoir.net/burkina-faso-700-000-enfants-moins-5-ans-menaces-malnutrition-aigue">700 000 enfants de moins de 5 ans pouvaient souffrir de malnutrition aiguë sévère</a>. Dans le bassin du lac Tchad, l’insécurité inhérente à l’insurrection djihadiste menée par Boko Haram a provoqué la fuite de 2,8 millions de personnes, essentiellement des Nigérians, et exposé les plus vulnérables à des menaces d’insécurité alimentaire. Dans le nord-est du Nigeria, <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/06/1122132">plus de huit millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire</a>. Dans son <a href="https://www.editions.ird.fr/produit/441/9782709923743/des-mondes-oublies">ouvrage</a>, Christian Seignobos souligne que le contrôle de Boko Haram sur « une grande partie des ressources du Lac » a amené les États de la région à interdire l’exploitation et la commercialisation des produits issus de ce dernier afin d’empêcher l’insurrection djihadiste d’engendrer des revenus.</p>
<p>Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estime à <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/08/1124842">5,5 millions le nombre de personnes menacées</a> dans le bassin du lac Tchad (Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria). Au Tchad, l’OIM (Organisation internationale des migrations) estime que la moitié de la population (360 000 habitants) de cette province administrative a quitté cette région : « C’est une tendance inquiétante car les déplacements sont devenus non seulement récurrents, mais aussi nombreux et prolongés en raison de la détérioration de la situation sécuritaire et environnementale », précise-t-on. En effet, au cours des quarante dernières années, la superficie du lac Tchad est <a href="https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/d%C3%A9cembre-2019-mars-2020/de-la-s%C3%A9cheresse-aux-crises-dans-le-bassin-du-lac-tchad">passée de 35 000 kilomètres carrés à 2 500 kilomètres carrés</a>, provoquant une raréfaction des ressources pour les populations qui habitent les îlots et vivent de la pêche.</p>
<h2>L’éducation au centre des inquiétudes</h2>
<p>À l’instar de l’Algérie des années 1990, le secteur de l’éducation est une cible privilégiée des groupes djihadistes, car très facile à atteindre et avec des risques minimes de résistance. Les assassinats de directeurs d’école ou d’enseignants devant leurs élèves sont à l’œuvre.</p>
<p>Accusés de faire l’école du colonialisme ou du « Blanc », de collaborer avec les forces de sécurité, les enseignants sont des cibles chroniques des djihadistes. De nombreux observateurs soulignent que l’éducation est le principal enjeu dans la guerre d’une compétition idéologique : pour les djihadistes, l’enseignement du français doit être remplacé par celui de l’arabe et du Coran. Les filles et les garçons doivent être séparés et les enseignantes voilées : « Ils disent que l’école des Blancs est <em>haram</em>. Ils préfèrent l’école coranique », témoigne un habitant dans le journal <em>Le Sahélien</em>.</p>
<p>Au Burkina Faso, un rapport de l’Unicef estime à <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/11/24/au-burkina-faso-un-million-d-eleves-prives-d-ecole-a-cause-des-attaques-djihadistes_6151393_3212.html">5 700, en 2022, le nombre d’établissements fermés en raison des violences djihadistes</a> et à 350 000 le nombre d’élèves privés d’école essentiellement dans les provinces du Soum, de l’Oudalan et de Loroum : « Non seulement les groupes armés islamistes qui ciblent des enseignants, des élèves et des écoles au Burkina Faso commettent des crimes de guerre, mais ils balaient des années de progrès ayant facilité l’accès des enfants à l’éducation », souligne Lauren Seibert, chercheuse et auteure d’un rapport de Human Rights Watch.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’Afrique, le prochain califat ? »" src="https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516632/original/file-20230321-924-gcjsab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « L’Afrique, le prochain califat ? » paru aux éditions Tallandier le 23 février 2023.</span>
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<p>L’Unicef rappelle qu’en 2020, dans la région du Sahel, « <a href="https://www.unicef.org/wca/media/5416/file/UNICEF-WCARO-Central-Sahel-Advocacy-October-2020-FR.pdf">plus de huit millions d’enfants de 6 à 14 ans [ne] sont pas scolarisés</a>, soit près de 55 % de cette tranche d’âge » et que la destruction des écoles ne fait qu’accentuer un problème structurel de fond. Au Mali, l’agence de l’ONU estime à 1 664 le nombre d’écoles fermées, privant 500 000 élèves de classe, et plus de 700 au Niger. Dans ce pays, la plupart des écoles fermées sont dans la région du Tillabéri, dans le Liptako-Gourma, entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso, où l’implantation de l’EIGS est très forte.</p>
<p>Un rapport de l’OCHA souligne que : « Les tueries des civils, les assassinats ciblés contre des leaders coutumiers et religieux, les enlèvements, les extorsions de biens et de bétails sont fréquents dans cette région », obligeant plus de 100 000 personnes à fuir. La région du Liptako-Gourma ou « des trois frontières » est caractérisée par une très grande pauvreté et par la jeunesse de sa population, dont la moitié à moins de 15 ans. Un rapport issu d’un travail conjoint entre l’Unicef, l’OCDE et l’OCHA fourmille de données sur ce Triangle du Liptako-Gourma, épicentre transfrontalier de la coalition djihadiste menée par l’EIGS.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201981/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luis Martinez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après avoir prospéré au Moyen-Orient, le djihadisme impose sa loi au Sahel, où la présence française n’aura pas réussi à protéger les populations de risques sécuritaires et humanitaires.Luis Martinez, Directeur de recherches, CERI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2008652023-03-21T00:08:46Z2023-03-21T00:08:46ZVingt ans après l’invasion américaine, l’Irak peut-il enfin connaître une paix durable ?<p><em>Il y a 20 ans, le 20 mars 2003, démarrait l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Ce ne fut ni la première ni la dernière guerre à ravager cet État né en 1921. Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/lirak-dela-toutes-guerres-2/">« L’Irak par-delà toutes les guerres »</a>, paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier Bleu, Myriam Benraad, politologue spécialiste du Moyen-Orient, professeure à l’Université internationale Schiller et chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), revient à la fois sur les décennies ayant précédé cette invasion et sur les années suivantes, marquées par la guerre civile, l’émergence de l’État islamique et, après la défaite de celui-ci, la difficile recherche d’un système politique susceptible d’empêcher le pays de basculer à nouveau dans un cycle d’extrême violence.</em></p>
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<p>Depuis l’offensive aussi spectaculaire que meurtrière de l’État islamique en 2014, puis la <a href="https://www.reuters.com/article/irak-ei-idFRKBN1E30DA-OFRTP">défaite du groupe jihadiste sous les assauts de la coalition internationale</a> entre 2017 et 2018, l’Irak continue d’occuper les feux d’une actualité aussi instable que cruelle. De fait, le pays meurtri par plusieurs décennies de conflits successifs, de même que par la <a href="https://www.undp.org/iraq/publications/impact-Covid-19-iraqi-economy">crise sanitaire provoquée par le Covid-19</a> sur une période plus récente, reste prisonnier d’une violence incessante et, il faut le reconnaître, difficilement déchiffrable si l’on se place du point de vue de l’observateur profane. Les Irakiens ont rejoint la catégorie de ces peuples broyés par les aléas d’un présent incertain et d’une guerre multiforme dont personne n’entrevoit véritablement la fin, bridant tout effort de prospective sur le long terme et toute explication satisfaisante des ressorts et dynamiques de la violence qui, ci et là, continue d’éclater.</p>
<p>Parallèlement à d’autres configurations sanglantes au Moyen-Orient, l’Irak continue ainsi de jouer sa partition malheureuse sur un échiquier régional et international toujours plus dense, complexe et agité. Or, si la période post-baasiste s’est singularisée par des degrés extrêmes de brutalité, il ne faut pas perdre de vue que l’Irak a connu beaucoup d’autres phases de conflictualité. La notion même de « violence » – comprise comme le résultat de l’éclatement d’un système social donné ou d’une fragilisation des normes de fonctionnement et des valeurs d’un groupe – n’a cessé de marquer toute l’histoire irakienne, Bagdad renvoyant encore de nos jours l’image d’une coercition absolue, quasi banalisée. La crise profonde amorcée au printemps 2003 fait en réalité suite à des décennies de déchirures dont on observe encore les conséquences funestes. Le <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1998/qSEQ980709504.html">régime des sanctions imposé par les Nations unies à l’Irak dans les années 1990</a> fut, par exemple, l’un des plus sévères jamais infligés à un État dans toute l’histoire moderne, précédé par la guerre du Golfe (1990-1991) et la longue confrontation avec l’Iran (1980-1988).</p>
<p>L’exercice rétrospectif auquel on se laisse prendre n’en présente pas moins certaines limites. De fait, si des points de continuité lient indiscutablement la période d’occupation (2003-2011) et ses lendemains meurtriers (2011-2022) à d’autres épisodes douloureux de la trajectoire irakienne, chacune de ces phases est caractérisée par ses spécificités et logiques propres.</p>
<p>Au-delà de l’image d’Épinal à laquelle l’Irak renvoie souvent, celle d’un pays plongé dans les affres d’une violence omniprésente et continuelle, son histoire ne saurait se résumer à ce seul continuum. Avant de sombrer dans le chaos, l’Irak fut en effet l’épicentre d’une vie intellectuelle et politique vibrante. Durant des décennies, une société civile s’y est développée et celle-ci n’a d’ailleurs jamais disparu ; au contraire, défiant l’adversité, elle tente aujourd’hui de se reconstituer, comme ont pu l’illustrer les <a href="https://www.france24.com/fr/20191101-irak-sistani-mahdi-contestation-populaire-entree-deuxieme-mois">manifestations populaires de 2019</a>.</p>
<p>À partir des années 1920, l’Irak s’est doté des institutions réputées parmi les plus sophistiquées au Moyen-Orient, renfermant d’importants espaces d’expression autonome. Le pays a vu l’éclosion de multiples mouvements sociaux, tantôt tolérés, tantôt réprimés, mais qui dans l’ensemble ont bénéficié d’une réelle indépendance et produit un authentique sens contestataire parmi les civils. L’une des marques de ces mouvements a d’ailleurs toujours été leur sociologie plurielle, regroupant toutes les composantes ethniques et religieuses irakiennes autour d’idéaux et de revendications partagés.</p>
<p>On peut considérer que l’Irak a traversé trois séquences historiques décisives, qui ont profondément façonné son destin et son identité. La première renvoie à la <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/adel-bakawan-cent-ans-lirak-un-etat-nation.">fondation du pays en 1921</a>. À l’époque, l’Irak, dont le nom remonte à l’Antiquité, est un État embryonnaire, faiblement structuré et au corps social fragmenté.</p>
<p>Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont reçu un mandat pour administrer les trois provinces ottomanes de Bagdad, Mossoul et Bassora, qu’ils décident de réunir au sein d’une même entité géographique tout en instaurant une monarchie placée sous la coupe d’un roi étranger. Mais la construction nationale irakienne ne va pas de soi. De fait, le pays est marqué par une importante diversité sociologique. Le poids des particularismes qui l’habitent est d’autant plus fort que la stratégie coloniale privilégie le monarque et Bagdad au détriment des périphéries, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-1-page-17.htm">« marges dissidentes »</a> pour reprendre une expression proposée par l’historien Hamit Bozarslan. Chiites et Kurdes, mais aussi les classes les plus pauvres, s’opposent au pouvoir central. De même, au-delà des allégeances communautaires, une tension oppose les technocrates et la bourgeoisie commerçante et urbaine à un petit peuple des campagnes dépossédé et soustrait à l’autorité étatique.</p>
<p>Or, à mesure que s’accentuent l’exode rural et l’urbanisation, les Irakiens développent de nouveaux liens et un sentiment d’appartenance commune, notamment par l’entremise d’un système éducatif moderne. De manière inattendue, ils se réapproprient cet État national établi par la puissance coloniale. Cette (re)conquête s’opère précisément au nom du nationalisme qui se déploie et s’exprime lors d’importants soulèvements. <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/1454?lang=fr">En 1920 a ainsi lieu la Grande Révolution irakienne</a> qui mobilise toute la population contre la Couronne et porte en germe une nouvelle nation. <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/irak-declaration-1932.htm">En 1932, le pays accède formellement à l’indépendance</a>, certes relative car elle n’efface pas l’ampleur des divisions, y compris parmi des nationalistes écartelés entre une vision panarabe de la lutte et une tendance irakienne qui promeut une nation contenue au sein de ses frontières. La montée des inégalités et la multiplication des troubles conduit <a href="https://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/pages/actualites-des-monarchies-du-monde/moyen-orient/irak/le-14-juillet-1958-le-rideau-s-abaissait-sur-la-monarchie-irakienne.html">au renversement, en juillet 1958, de la monarchie</a> par un groupe d’officiers de l’armée qui proclament la République d’Irak et instaurent un régime militaire. Les réformes sociales alors mises en œuvre se révèlent un échec en aboutissant à une série de putschs. Le parti Baas fomente un coup d’État en 1963 qui culmine avec une première prise de pouvoir, puis un second en 1968 qui place Saddam Hussein au sommet de l’État.</p>
<p>S’ouvre dès lors une deuxième séquence de recomposition de l’Irak à travers l’avènement d’une domination extrême, pour ne pas dire totalitaire. Continuellement amoindrie, la société irakienne tente, par divers moyens – de l’opposition clandestine à la passivité désenchantée –, de survivre face à un État-Léviathan de plus en plus écrasant, qui n’a plus rien de comparable avec celui qui avait été créé par les Britanniques quelques décennies plus tôt.</p>
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<p>À l’encontre des rêves nourris par les premières générations de nationalistes, la recherche d’un consensus identitaire a fini par produire un système tyrannique, et non plus le modèle d’une nation triomphante comme Saddam Hussein aspire à la présenter. Au contraire, le régime lance une répression systématique contre toute forme d’opposition, réelle comme imaginée, y compris dans les rangs du parti, régulièrement purgés. Le discours révolutionnaire officiel sert dans les faits à liquider toute dissidence. Parmi ses adversaires se trouvent le Parti communiste, d’une part, et le mouvement indépendantiste kurde, de l’autre, que les baasistes s’emploient à briser par une violente politique d’arabisation.</p>
<p>La mouvance chiite politisée, active dans le sud et dans les quartiers pauvres des villes, est aussi la cible du Baas qui la perçoit comme affidée à l’Iran et à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/iran-comment-l-ayatollah-khomeini-a-proclame-la-republique-islamique-d-iran-7900096568">République islamique proclamée en 1979</a>. Pour Saddam Hussein, l’Iran cherche à défaire l’unité nationale de l’Irak en encourageant le confessionnalisme parmi les chiites. Or, sous l’unité déclamée par le dirigeant irakien, devenu « maître des mots », s’esquisse une concentration absolue de l’autorité.</p>
<p>Une troisième séquence est enfin celle au cours de laquelle aux rapports entre le régime et la société se substitue une personnalisation de l’État et son effacement derrière la figure du tyran. Saddam Hussein procède en effet à une destruction des institutions, à laquelle s’ajoutent la guerre contre l’Iran, encore peu étudiée et pourtant fondamentale, et l’échec militaire de l’Irak au Koweït qui exacerbe cette même logique. Proclamant sa victoire face à ses ennemis, internes et externes, le régime finit par récuser ses fondements idéologiques passés au profit d’une véritable prédation visant tout un chacun. <a href="http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/mriessaimichaellessard.pdf">Les années d’embargo qui débutent en 1990</a> et visent à priver le despote irakien de la rente pétrolière et de ses revenus n’affectent pas le régime à proprement dire, mais le figent. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’Irak par-delà toutes les guerres »" src="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Irak par-delà toutes les guerres », paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier bleu.</span>
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<p>Les sanctions permettent par ailleurs à Saddam Hussein de se présenter comme le dernier rempart du monde arabo-musulman face à l’impérialisme de l’Occident, et c’est dans le sang que les soulèvements <a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/05/14/le-sud-de-l-irak-sous-la-terreur-le-pays-chiite-reste-marque-au-fer-rouge-par-la-feroce-repression-d_205717/">chiite</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mars-1988-halabja-la-mort-chimique-2346044">kurde</a> sont écrasés. Exsangue, délégitimé et isolé, le régime adopte un discours communautaire et se retire de ses fonctions régaliennes. Les privations endurées par la population s’instituent en dictature de la nécessité que Saddam Hussein exploite pour parfaire son monopole de la violence et se maintenir au pouvoir. Mais l’embargo porte son coup de grâce à l’Irak, avant le chaos final engendré consécutivement par <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-1-page-9.htm">l’invasion américaine de 2003</a> puis l’assaut des jihadistes de l’État islamique une décennie plus tard.</p>
<p>L’ensemble de ces développements ont lourdement pesé sur l’Irak et continuent, à l’évidence, d’influer sur son présent. Malgré la reprise en 2017 du fief jihadiste de Mossoul – deuxième ville d’Irak située sur le Tigre et capitale de Ninive – par les forces irakiennes appuyées par la coalition internationale, et au-delà de nouvelles élections, l’Irak demeure dans une situation d’extrême fragilité. Dans un contexte de grande confusion, caractérisée à la fois par une abondance d’informations et une pénurie de sens, l’histoire mérite un détour critique afin de saisir avec nuance et acuité les enjeux auxquels le pays continue de faire face, et plus encore de dépasser les clichés, lieux communs et idées reçues qui restent légion à son sujet. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après l’offensive américaine, l’Irak demeure un État instable traversé par de fortes tensions.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1941862022-11-21T19:26:14Z2022-11-21T19:26:14ZAsie centrale-Afghanistan : des frontières sous haute surveillance<p>Le 14 octobre 2022, lors d’un sommet réunissant à Astana (Kazakhstan) les cinq pays d’Asie centrale et la Russie, le président du Tadjikistan, Emomali Rahmon, <a href="https://www.rferl.org/a/tajikistan-russia-rahmon-youtube-respect/32084773.html">fit sensation</a> lorsqu’il exhorta Vladimir Poutine à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=k0plRt5-eUE">« respecter »</a> son pays ainsi que les quatre autres États centrasiatiques.</p>
<p>Ces propos, largement interprétés comme le signe d’une volonté d’affirmer la souveraineté nationale du Tadjikistan, s’apparentent en réalité à un appel du pied à Moscou. Loin de traduire une recherche d’autonomie vis-à-vis du Kremlin, la tirade de Rahmon reflète plutôt la dépendance du Tadjikistan envers la Russie mais aussi envers d’autres partenaires. Le président tadjikistanais déplore le manque d’investissements massifs de la Russie dans les infrastructures du Tadjikistan et demande à son homologue russe non pas de se détourner de la région mais d’accorder une attention individuelle à chaque République plutôt que traiter l’Asie centrale comme une seule entité.</p>
<p>Quelques jours plus tard, lors d’une conférence à Douchanbé portant sur la sécurité régionale, le président Rahmon recevait le Biélorusse Stanislav Zas, secrétaire général de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-153.htm">l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC)</a>, alliance militaire régionale dominée par la Russie et comprenant également l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Les deux hommes <a href="http://president.tj/en/node/29333">discutèrent</a> notamment de la nécessité de renforcer la protection de la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan.</p>
<p>De telles rencontres nourrissent la rhétorique des autorités tadjikistanaises, partagée par celles de l’Ouzbékistan et du Turkménistan : ces trois pays affirment régulièrement, et en particulier depuis le <a href="https://theconversation.com/les-talibans-afghans-carte-didentite-166601">retour au pouvoir des taliban à Kaboul</a> en août 2021, que la frontière qu’ils partagent avec l’Afghanistan est instable et nécessite l’attention accrue de la communauté internationale et, avant tout, de la Russie.</p>
<p>Cette vision d’une Asie centrale intrinsèquement instable et source de danger du fait de son voisinage avec l’Afghanistan <a href="https://academic.oup.com/ia/article-abstract/87/3/589/2417106?redirectedFrom=fulltext&login=false">n’est pas nouvelle</a>. Mais dans quelle mesure est-elle justifiée aujourd’hui ?</p>
<h2>État des lieux de la situation aux six frontières de l’Afghanistan</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Afghanistan est frontalier de six pays : Pakistan, Iran, Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Chine. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Il est vrai que, depuis la prise de pouvoir par les taliban à Kaboul le 15 août 2021, des tensions sont apparues aux frontières septentrionales de l’Afghanistan. <a href="https://eurasianet.org/uzbekistan-pours-scorn-on-claims-of-iskp-attack">Le 18 avril 2022</a>, l’État islamique au Khorassan (EI-K) a revendiqué avoir tiré dix roquettes sur des installations militaires en Ouzbékistan depuis le nord de l’Afghanistan. Le <a href="https://www.militantwire.com/p/the-islamic-state-threat-to-afghanistan?r=nbtoo&s=r&utm_campaign=post&utm_medium=email">7 mai suivant</a>, l’EI-K a affirmé cette fois avoir lancé sept roquettes sur le territoire du Tadjikistan. S’il s’agit des deux seules attaques de ce type revendiquées à ce jour par cette organisation, qui n’ont d’ailleurs pas fait de victime, le risque zéro n’existe pas. Toutefois, ces attaques importent non pas dans les faits mais pour ce qu’elles représentent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">Qu’est-ce que l’État islamique au Khorassan, qui a revendiqué l’attentat de l’aéroport de Kaboul ?</a>
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<p>D’une part, elles s’inscrivent dans une <a href="https://thediplomat.com/2022/08/islamic-state-khorasans-expanded-vision-in-south-and-central-asia/">propagande de plus en plus intense de l’EI-K</a> dirigée contre les États d’Asie centrale. Or, le danger représenté par ce groupe terroriste, dont la présence dans le nord de l’Afghanistan est <a href="https://rus.azattyq.org/a/31939284.html">avérée</a>, provient davantage du potentiel de ralliement à l’État islamique de citoyens des pays centrasiatiques que d’incursions massives de l’EI-K sur leur territoire.</p>
<p>D’autre part, les deux attaques témoignent de l’incapacité des taliban, dont l’EI-K est un ennemi résolu, à mettre en pratique leur politique de contrôle du territoire – et ce, malgré le <a href="https://www.ariananews.af/badakhshan-establishes-new-anti-insurgency-unit/">déploiement d’unités de sécurité</a> dans le nord du pays et <a href="https://twitter.com/Zabehulah_M33/status/1548394038553821184">l’annonce</a> de la « neutralisation » des responsables de ces deux incidents. En somme, la situation laisse libre cours à la multiplication de combattants terroristes en Afghanistan.</p>
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<p>Pourtant, les frontières méridionales de l’Asie centrale ne sont pas les plus aisées à pénétrer depuis le territoire afghan (en dépit d’un terrain majoritairement plat et désertique), tout comme les 76 kilomètres qui séparent la Chine de l’Afghanistan en zone de très haute altitude et étroitement surveillés par Pékin.</p>
<p>L’Asie centrale n’a pas vu de vagues de réfugiés tentant de fuir l’Afghanistan par voie terrestre, comme cela a été le cas <a href="https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/12/ASA1148322021FRENCH.pdf">aux frontières iranienne et pakistanaise</a>.</p>
<p>La frontière avec l’Iran (945 km) a été également sujette à plusieurs incidents depuis le 15 août 2021, officiellement résultats de <a href="https://tolonews.com/afghanistan-175719">malentendus</a> entre les taliban et les gardes-frontières iraniens, dont le <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/7/31/border-fight-iran-taliban-afghanistan">dernier en date</a> fit un mort du côté des taliban.</p>
<p>La situation est encore plus tendue à la frontière avec le Pakistan (2 640 km), où les forces de sécurité des deux côtés font régulièrement <a href="https://www.reuters.com/world/fresh-clashes-pakistan-afghanistan-border-kill-two-wound-several-2022-02-25/">usage du feu</a>, malgré les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/1/31/pakistan-afghanistan-to-agree-coordination-of-border-crossings">tentatives de dialogue</a> entre les taliban et les autorités pakistanaises. Bien que le Pakistan soit généralement perçu comme un protecteur des taliban en Afghanistan, ces derniers s’opposent notamment à la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/09/we-are-happy-to-fight-deadly-tension-on-the-afghanistan-pakistan-border-taliban">construction en cours d’une barrière physique</a> qui séparerait les populations pachtounes.</p>
<p>En revanche, de telles échauffourées n’ont pas lieu le long de la frontière que partage l’Afghanistan avec trois pays d’Asie centrale, à l’exception d’un incident à la frontière du Turkménistan (800 km), rapporté par un <a href="https://gandhara.rferl.org/a/turkmenistan-afghanistan-taliban-/31637936.html">média afghan</a> mais mis sous silence par Achgabat, qui maintient tout de même une présence militaire accrue à sa frontière ; une militarisation que l’on retrouve aussi à la frontière partagée entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan (150 km). Quant à la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan (1 374 km), la Chine et la Russie y apportent ouvertement leur soutien militaire à Douchanbé.</p>
<h2>L’implication sécuritaire régionale : une diversification des partenariats de défense</h2>
<p>Le soutien de la Russie aux États d’Asie centrale demeure une garantie pour la sécurité de leurs frontières, cette <a href="https://intellinews.com/pannier-russia-s-two-centuries-of-central-asia-dominance-are-over-259059/">relation de dépendance</a> ayant été développée depuis la colonisation de la région par les troupes tsaristes au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>La Russie dispose aujourd’hui de deux importantes bases militaires : l’une au Kirghizstan, à 40 kilomètres de Bichkek, et l’autre au Tadjikistan, près de Douchanbé, de Bokhtar et de Koulob, ces deux dernières villes étant situées respectivement à 75 et 40 kilomètres de la frontière afghane. La 201<sup>e</sup> base déployée au Tadjikistan représente d’ailleurs le plus important contingent militaire russe extraterritorial.</p>
<p>Le monologue du président tadjikistanais du 14 octobre 2022 est sans doute lié à l’enlisement de la Russie en Ukraine, qui affecte directement la présence militaire russe à la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan. Sur les 7 000 soldats et officiers russes de la 201<sup>e</sup> base, <a href="https://rus.ozodi.org/a/32030414.html">entre 500 et 1 500 auraient été envoyés en Ukraine</a>. Cette base fonctionnant sur un principe de rotation, il demeure toutefois difficile d’évaluer le nombre effectif d’hommes ayant été transférés vers l’Ukraine.</p>
<p>Dans ce contexte, les pays d’Asie centrale, et plus particulièrement le Tadjikistan, continuent de diversifier leurs partenariats de défense. En effet, à titre d’exemple, la doctrine de politique étrangère du Tadjikistan s’appuie sur le concept des « portes ouvertes », un principe né à l’issue de la guerre civile (1992-1997), dont le but était de <a href="https://ebookcentral.proquest.com/lib/gwu/detail.action?pq-origsite=primo&docID=5519128">mettre fin à une dépendance intégrale vis-à-vis de la Russie</a>.</p>
<p>Ainsi, en mai 2022, le Tadjikistan et l’Iran <a href="https://www.tasnimnews.com/en/news/2022/05/17/2712404/iran-opens-military-drone-factory-in-tajikistan">inauguraient une usine de production de drones iraniens</a> sur le territoire tadjikistanais, dans un contexte de rapprochement inédit entre les deux pays. De plus, la guerre en Ukraine, qui occupe intensément l’armée russe, offre davantage de marge de manœuvre à un autre acteur : la Chine. Celle-ci partage 494 km de frontière avec le Tadjikistan et le poste-frontière de Karasu entre les deux pays n’est qu’à une journée de route de l’Afghanistan. <a href="https://eurasianet.org/china-holds-anti-terror-exercises-afghanistan-tajikistan-border">Depuis 2016 au moins</a>, on observe à la frontière afghane des exercices conjoints entre les armées tadjikistanaise et chinoise, et la construction d’une base militaire par la Chine sur le territoire tadjikistanais a été <a href="https://www.rferl.org/a/tajikistan-approves-chinese-base/31532078.html">annoncée</a> en octobre 2021.</p>
<p>Si le Tadjikistan bénéficie de présences effectives d’armées étrangères sur son territoire, les deux autres pays centrasiatiques frontaliers de l’Afghanistan s’y opposent et développent plutôt d’autres accords de défense.</p>
<p>Alors que le Turkménistan <a href="https://www.eurasiatimes.org/29/09/2021/le-turkmenistan-presente-les-drones-turcs-bayraktar-tb2-lors-du-defile-militaire-du-jour-de-lindependance/">affichait publiquement</a> ses drones turcs Bayraktar lors d’une parade militaire en mars 2022, l’Ouzbékistan a récemment signé avec Ankara un <a href="https://kun.uz/en/news/2022/03/30/uzbekistan-and-turkey-sign-agreement-on-military-cooperation">nouveau partenariat de défense</a>. L’Ouzbékistan et le Turkménistan, tout comme la Chine et le Kirghizstan, accueillent également volontiers les discussions avec les taliban, en particulier pour renforcer la connectivité régionale.</p>
<h2>Des frontières fermées mais connectées</h2>
<p>Les incidents et les tensions aux frontières n’empêchent pas ces dernières d’être des moteurs de la connectivité régionale.</p>
<p>La frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan est même la <a href="https://www.chathamhouse.org/2019/07/reconnecting-afghanistan">plus connectée de toutes les frontières d’Afghanistan</a>, grâce à ses ponts et marchés transfrontaliers, mais aussi aux programmes de mobilité médicale, qui permettent aux malades afghans d’être soignés par des médecins tadjikistanais, et d’exportation énergétique. Depuis le lancement de ces initiatives au début des années 2000, les communautés locales ont pu <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08865655.2021.1948898">bénéficier de retombées</a> sociales et économiques, même si la fermeture de la frontière depuis février 2020 <a href="https://www.centralasiaprogram.org/taliban-border-regime-neighboring-tajikistan">paupérise ces populations</a>. Seul le poste-frontière de Sher Khan Bandar demeure ouvert au transit de marchandises, dans un contexte <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/economic/20220622/tajikistan-afghanistan-bilateral-trade-in-january-may-this-year-values-at-about-363-million-us-dollars">d’intensification du commerce bilatéral</a>, tout comme celui de Termez, en Ouzbékistan, historiquement ville de transit vers l’Afghanistan, que les autorités ouzbékistanaises et talibanes <a href="https://asiaplustj.info/en/news/world/20220705/taliban-delegation-visits-uzbekistan-for-talks-on-trade-and-cargo-transportation">souhaitent dynamiser</a>.</p>
<p>À l’échelle régionale, les taliban cherchent à désenclaver l’Afghanistan et à l’insérer dans les grands projets de connectivité avec l’Asie centrale. Ainsi, la ligne de train reliant l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et la Chine <a href="https://twitter.com/FDPM_AFG/status/1573248352703094784">a effectué son premier voyage en septembre 2022</a>. Le ministre taliban du commerce et de l’industrie déclara également <a href="https://www.ariananews.af/afghanistan-hopes-to-join-cpec/">vouloir relier l’Afghanistan au projet China Pakistan Economic Corridor</a>, un projet en <a href="https://twitter.com/hausibek/status/1392425501487210497">progression</a> mais loin d’être acté.</p>
<p>Il importe donc de nuancer l’idée de la dépendance envers la Russie des pays d’Asie centrale frontaliers de l’Afghanistan, ainsi que leur discours commun sur l’insécurité aux frontières. En cas d’attaque de groupes terroristes, la Chine, la Russie et éventuellement l’OTSC seront en mesure d’intervenir. Néanmoins, loin de l’image de la frontière dangereuse qui lui est communément associée, celle que partage l’Afghanistan avec l’Asie centrale demeure plus calme que d’autres dans la région. Ainsi, au début du mois d’octobre, un projet d’accord visant à modifier la délimitation de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan a provoqué de <a href="https://novastan.org/fr/kirghizstan/kirghizstan-le-transfert-dun-reservoir-deau-au-voisin-ouzbek-provoque-des-manifestations/">vives oppositions locales</a>, tandis que les <a href="https://theconversation.com/kirghizstan-et-tadjikistan-les-effets-funestes-de-la-militarisation-des-frontieres-191379">violences demeurent fréquentes</a> le long de la frontière kirghizstano-tadjikistanaise dont le tracé reste contesté par les deux États.</p>
<p>Il est dès lors nécessaire de considérer les dynamiques aux frontières d’Asie centrale dans toute leur complexité, en allant au-delà du seul prisme « sécuritaire » centré sur l’Afghanistan, sans pour autant minimiser les menaces à la stabilité régionale liées à ce voisinage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélanie Sadozaï a reçu des financements de la Région Ile de France, de l'Institut de Recherche stratégique de l'Ecole militaire et de l'INALCO. </span></em></p>Le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan affirment que le voisinage du très instable Afghanistan nécessite un large soutien international. Un argument qu’il convient de décrypter.Mélanie Sadozaï, Post-doctorante, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699652021-11-04T19:18:55Z2021-11-04T19:18:55ZComment le djihadisme pourrait prospérer dans l’Afghanistan des talibans<p>Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a été <a href="https://www.sudouest.fr/international/asie/afghanistan/afghanistan-la-victoire-des-talibans-a-donne-un-enorme-coup-de-pouce-aux-djihadistes-du-monde-entier-5216875.php">célébré</a> par les djihadistes du monde entier. Le Middle East Institute, un groupe de réflexion de Washington, estime que leur succès représente une <a href="https://www.mei.edu/blog/taliban-victory-would-be-major-win-global-jihadist-movement">« victoire majeure »</a> pour les groupes djihadistes comme Al-Qaïda ou l’État islamique (EI).</p>
<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210903-afghanistan-poutine-esp%C3%A8re-que-les-talibans-deviendront-civilis%C3%A9s">Moscou</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/18/pekin-demande-aux-talibans-d-eradiquer-les-organisations-terroristes-en-afghanistan_6095153_3210.html">Pékin</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/afghanistan-linde-face-a-linfluence-grandissante-du-pakistan-et-de-la-chine-1346669">New Delhi</a> et même <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/290921/le-pakistan-au-risque-des-talibans?onglet=full">Islamabad</a> sont profondément préoccupés par la situation sécuritaire en Afghanistan. Et pour cause : les liens des talibans avec Al-Qaïda n’ont jamais été rompus, leur lutte contre l’EI est loin d’être évidente, et plusieurs autres groupes djihadistes régionaux peuvent capitaliser sur leur récente victoire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Le Pakistan et les talibans : les liaisons dangereuses</a>
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<h2>Al-Qaïda</h2>
<p>Récemment, Al-Qaïda <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2021/09/07/al-qaeda-taliban-complex-relationship-509519">a déclaré</a> que la prise de pouvoir par les talibans était une preuve que « la voie du djihad est la seule qui mène à la victoire ».</p>
<p>Les talibans afghans entretiennent avec <a href="https://www.fdd.org/analysis/2021/06/04/al-qaeda-is-still-in-afghanistan/">Al-Qaïda</a> des liens <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-mercredi-15-septembre-2021">toujours actifs</a> dans toute la région Afghanistan-Pakistan. Ainsi, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a récemment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2021/08/26/taliban-bin-laden/?utm_campaign=wp_main&utm_medium=social&utm_source=facebook&fbclid=IwAR3o4b6U1-xrMuUl_mEuer7jTX_zOETWobMNd7NpGv9JWxK4jBZvFBasZT0">nié</a> qu’Oussama Ben Laden était responsable du 11 Septembre, illustrant ainsi la proximité des deux groupes.</p>
<p>Les spécialistes de la région pensent que les talibans continueront à fournir un soutien <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210816-taliban-to-give-al-qaeda-covert-not-overt-support-analysts">discret</a> à Al-Qaïda à présent qu’ils sont de nouveau au pouvoir. Mais ils pourraient aussi utiliser la présence d’Al-Qaïda comme un atout pour renforcer leurs positions contre l’État islamique, ainsi que comme moyen de chantage sur la scène régionale et mondiale, en exerçant une pression sécuritaire sur différents pays pour obtenir l’<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/10/1106092">aide internationale</a> dont ils ont tant besoin.</p>
<h2>L’État islamique</h2>
<p>Les talibans affirment qu’ils <a href="https://www.newsweek.com/taliban-says-we-can-control-terrorism-blames-kabul-airport-attack-u-s-1626445">peuvent</a> et <a href="https://apnews.com/article/afghanistan-cabinets-taliban-militant-groups-3652ae786079637a56a4edff5063fe5f">vont</a> contrôler les cellules terroristes de l’EI dans le pays. Mais le peuvent-ils vraiment, et le feront-ils ?</p>
<p>La <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-%C3%89tat-islamique-dans-le-Khorasan-1-2.html">présence de cellules actives de l’EI à Kaboul et à Kandahar</a> montre la capacité de cette organisation à évoluer dans un pays éloigné de sa zone d’origine, et cela malgré sa rivalité avec les talibans. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/attentat-a-l-aeroport-de-kaboul-le-recit-d-un-carnage-aux-consequences-internationales_2157360.html">L’attentat du 26 août</a> contre l’aéroport international Hamid Karzai de Kaboul, qui a fait au moins 182 morts, témoigne de sa capacité à frapper la capitale.</p>
<p>Les attaques terroristes de l’EI se sont poursuivies depuis le retrait des États-Unis, à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-deux-morts-dans-un-attentat-devant-une-mosquee-a-kaboul_4793789.html">Kaboul</a>, à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-un-attentat-suicide-dans-une-mosquee-kunduz-fait-des-dizaines-de-victimes">Kunduz</a>, ainsi qu’à <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/blast-hits-mosque-afghan-city-kandahar-heavy-casualties-officials-2021-10-15/">Kandahar</a>.</p>
<p>L’EI est également actif dans les provinces de <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20210831-afghanistan-do-islamic-state-group-jihadists-pose-a-real-challenge-to-the-taliban">Nangarhar et Kunar</a>, à la frontière des provinces pakistanaises du Waziristan et des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5804925e4.pdf">Zones tribales</a>. Cette région est un bastion du djihadisme et du trafic d’armes, et a contribué au succès des talibans eux-mêmes. L’EI est également présent dans la province pakistanaise du <a href="https://dakarinfo.net/letat-islamique-est-accuse-davoir-tue-des-sikhs-au-pakistan/">Baloutchistan</a>.</p>
<p>Le but de l’EI est de remplacer les talibans et de s’emparer de l’Afghanistan pour en faire leur <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">nouveau sanctuaire</a>. Pour cela, ils ont recours aux mêmes <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/islamic-state-uses-talibans-own-tactics-attack-afghanistans-new-rulers-2021-09-23/">tactiques</a> que les talibans ont longtemps utilisées pour attaquer les États-Unis.</p>
<p>Les combattants de l’ancienne Armée nationale afghane pourraient par ailleurs être tentés de rejoindre les forces de l’EI après avoir été chassés par les talibans. Ce processus <a href="https://english.alarabiya.net/perspective/features/2014/06/26/In-Iraq-former-militia-program-eyed-for-new-fight">s’est déjà produit</a> en Irak, où l’armée nationale et la Sahwa, une milice sunnite, ont toutes deux été dissoutes et renvoyées chez elles, permettant l’émergence d’Al-Qaïda et de l’État islamique dans le pays.</p>
<p>Les talibans suivent les préceptes de l’école <a href="https://www.refworld.org/docid/403dd2624.html">déobandi</a> de l’islam, originaire d’Inde, alors que l’État islamique est salafiste. Ils sont concurrents stratégiquement, mais compatibles idéologiquement. Ils disposent également de réseaux interconnectés, emploient des méthodes coercitives similaires, ont des ennemis identiques et entretiennent des contacts indirects au travers du <a href="https://www.liberation.fr/international/afghanistan-les-haqqani-dynastie-de-la-terreur-20210821_TIR64DXY7VHUBN2X7P3GLNLPYY/">réseau Haqqani</a>.</p>
<p>Responsable de nombreuses <a href="https://web.stanford.edu/group/mappingmilitants/cgi-bin/groups/print_view/363#cite34">attaques</a> en Afghanistan, « y compris l’utilisation d’escadrons de la mort pour des exécutions publiques, ainsi que des vidéos de décapitations massives et d’assassinats brutaux », le réseau Haqqani <a href="https://foreignpolicy.com/2021/08/26/afghanistan-kabul-airport-attack-taliban-islamic-state/">fait le lien</a> entre les talibans et Al-Qaïda, mais aussi entre les talibans et l’EI. Son chef, Sirajuddin Haqqani, a récemment été nommé ministre de l’Intérieur.</p>
<p>Si les talibans adoptent une stratégie de coopération avec les puissances étrangères contre l’EI, ils seront considérés comme des dirigeants faibles collaborant avec l’ennemi. Dans le monde djihadiste, cela équivaut au discrédit ultime, et pourrait favoriser le recrutement, le financement et l’action de l’État islamique.</p>
<p>À l’inverse, si les talibans choisissent de se rapprocher de l’EI pour éviter les attaques sur leur sol, l’organisation se retrouvera alors plus ou moins dans la position d’Al-Qaïda avant 2001. L’organisation pourrait alors utiliser l’Afghanistan comme base arrière, gouverner en coulisses ou bien conquérir le pays.</p>
<h2>Les autres groupes de la région</h2>
<p>La situation actuelle en Afghanistan favorise les organisations sunnites radicales implantées au Pakistan.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Tehreek-e-Taliban Pakistan</a> (TTP), également connu sous le nom de « talibans pakistanais », est l’une d’elles. Il a récemment absorbé une fraction de l’organisation terroriste Lashkar-e-Janghvi ; ainsi que le <a href="https://jamestown.org/program/hizb-ul-ahrar-pakistans-cross-border-taliban-problem-remains-critical/">groupe</a> Hizb-ul-Ahrar, qui a commis de nombreux <a href="https://www.start.umd.edu/gtd/search/Results.aspx ?perpetrator=40837">attentats</a> en 2019 ; le groupe Hakimullah Mehsud, une cellule active des Zones tribales <a href="https://2009-2017.state.gov/documents/organization/146935.pdf">liée</a> à Al-Qaïda ; ainsi que le <a href="https://www.nytimes.com/2014/08/27/world/asia/hard-line-splinter-group-galvanized-by-isis-emerges-from-pakistani-taliban.html">Jamaat-ul-Ahrar</a>, auparavant affilié à l’État islamique.</p>
<p>En outre, le TTP a récemment <a href="https://jamestown.org/program/tehreek-e-taliban-pakistans-discursive-shift-from-global-jihadist-rhetoric-to-pashtun-centric-narratives/">accueilli en son sein</a> deux sous-groupes d’Al-Qaïda dans le sous-continent indien.</p>
<p>Les talibans pakistanais rassemblent ainsi des forces provenant à la fois d’Al-Qaïda et de l’EI. Intimement allié aux talibans afghans, le TTP recentre actuellement sa dynamique sur le Pakistan plutôt que sur la scène globale, mais les connexions de certains de ses groupes avec les deux grandes organisations djihadistes demeurent récentes.</p>
<p>En Asie centrale, les factions du Mouvement islamique d’Ouzbékistan <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/islamic-movement-uzbekistan#highlight_text_10187">affiliées à l’EI</a> ainsi que celles <a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2016/06/islamic-movement-of-uzbekistan-faction-emerges-after-groups-collapse.php">alliées aux talibans</a>, pourraient également utiliser l’Afghanistan comme base arrière pour préparer des attaques dans cette région.</p>
<p>Enfin, le <a href="https://warontherocks.com/2019/01/chinas-foreign-fighters-problem/">Parti islamique du Turkestan</a>, qui s’étend du Xinjiang chinois à la province syrienne d’Idleb, pourrait prospérer sous le nouveau régime en Afghanistan, de manière plus ou moins clandestine, en profitant de ce pivot entre l’Asie centrale, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.</p>
<p>La reprise de l’Afghanistan par les talibans est une défaite stratégique indubitable, mais c’est aussi un revers doctrinal pour le contre-terrorisme. Au cœur de l’Asie, les groupes djihadistes régionaux et mondiaux disposent désormais d’une nouvelle plate-forme, et la communauté internationale ne dispose plus guère de solutions pour prévenir les conséquences prévisibles de cette nouvelle menace sécuritaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Théron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les talibans promettent qu’ils ne permettront pas aux mouvements djihadistes de prospérer sous leur autorité. Mais il est presque certain que les groupes locaux profiteront de leur prise de pouvoir.Julien Théron, Lecturer, Conflict and Security Studies, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1666322021-09-09T13:54:55Z2021-09-09T13:54:55ZBonnes feuilles : « Terrorisme : les affres de la vengeance »<p><em>Analyses religieuses, géopolitiques, historiques, philosophiques… Les travaux sur le terrorisme sont variés, mais la notion de vengeance demeure généralement en arrière-plan de leurs exposés, présente en filigrane mais jamais étudiée pour elle-même. Myriam Benraad, politologue spécialiste de la violence politique au Moyen-Orient, professeure en relations internationales (ILERI, Schiller International University) et chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM, Aix-Marseille Université), propose dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/terrorisme-affres-de-vengeance/">Terrorisme : les affres de la vengeance</a>, sous-titré « Aux sources liminaires de la violence » et paru aux éditions Le Cavalier Bleu le 26 août 2021, une analyse des mouvements terroristes à l’aune de cette pulsion originelle, qui en sature l’histoire et se retrouve à toutes les étapes de leurs cycles de violence.</em></p>
<p>Au printemps 2020, la nébuleuse jihadiste internationale <a href="https://theconversation.com/quand-la-propagande-djihadiste-sempare-de-la-crise-sanitaire-135886">se saisit</a> sans surprise de la pandémie de coronavirus et de la crise sanitaire qu’elle provoque. Les militants radicaux s’emploient en effet à en exploiter le développement et les répercussions selon le répertoire de la vengeance. Dans l’éditorial qui ouvre sa principale publication arabophone <em>An-Naba’</em> (« La Nouvelle »), l’État islamique avance que Dieu prend là une revanche impitoyable contre les « croisés » et les « adversaires de l’islam » – au premier plan desquels la Chine, l’Europe, les États-Unis et l’Iran – en leur infligeant un supplice inouï, durable, des souffrances exponentielles répondant à celles endurées par les musulmans.</p>
<p>L’épidémie survient dans un environnement géopolitique où la mouvance radicale s’est vue affaiblie en différents points du globe après une succession de défaites militaires au Moyen-Orient, tout en demeurant très active sur le plan insurrectionnel. Depuis la mort en Syrie du « calife » Abou Bakr al-Baghdadi en octobre 2019, les jihadistes sont entièrement dédiés à le venger et orchestrent des attaques sanglantes sur tous leurs théâtres d’opérations. D’autres mouvements comme Al-Qaïda ou Boko Haram ne sont pas en reste et se réjouissent du désastre global.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189933603880407040"}"></div></p>
<p>Une telle instrumentalisation vengeresse n’est pas étonnante pour quiconque étudie de longue date les narrations terroristes. La vengeance s’inscrit en effet de manière cumulative dans les discours et les actes d’une majorité d’organisations. Toute l’histoire du terrorisme, ancien ou plus contemporain, est marquée du sceau de la vengeance. Ainsi, la <em>terreur</em>, du latin <em>terror</em> – signifiant l’épouvante, la frayeur intense, l’effroi violent, la peur panique – à partir duquel le néologisme <em>terrorisme</em> est construit, n’est guère une invention moderne (<a href="https://www.routledge.com/International-Encyclopedia-of-Terrorism/Crenshaw-Pimlott/p/book/9781579580223">Crenshaw et Pimlott, 1997 : 25</a>). Elle traverse toutes les époques, toutes les sociétés et toutes les cultures, charriant systématiquement dans son sillage la question connexe de la vengeance – mot quant à lui bâti depuis la racine latine <em>vindicatio</em>, c’est-à-dire l’action de venger, la revendication de justice ou la poursuite d’un crime au nom d’une société.</p>
<p>Dans leur acception large, terreur et vengeance traversent les siècles, de l’Antiquité à nos jours, en inondant les arts et les lettres. Elles posent d’importants défis aux sciences humaines et sociales dans leur ensemble. Or, alors que ces deux notions sont clairement inséparables par leurs rapports sémantiques et historiques, la relation qui les lie n’a étrangement suscité qu’un intérêt académique très limité. Omniprésente, qu’il s’agisse des pensées, des motivations ou des discours terroristes, comme des réactions que leur violence engendre, la vengeance comme objet scientifique est à maints égards un « trou noir » des études sur le terrorisme.</p>
<p>Cette absence est d’autant plus frappante que la <em>vindicatio</em> est consubstantielle à la <em>terror</em>, à sa définition, ainsi qu’à ses formes. Elle se trouve au cœur des cadres cognitifs et des actes des groupes qui s’en revendiquent, essentielle à leur faculté de séduire, de convaincre et de recruter pour perpétuer leur lutte dans la durée. La vengeance s’ancre en outre dans les trajectoires individuelles qui finissent toujours plus ou moins par adosser leurs griefs à une cause qui les transcende et est jugée « juste ».</p>
<p>Comment, dès lors, expliquer que terreur et vengeance ne soient qu’effleurées dans leurs relations mutuelles et pourtant limpides ? Pourquoi la vengeance, plus particulièrement, demeure-t-elle la grande inconnue théorique et empirique du terrorisme ?</p>
<h2>Le terrorisme comme vengeance intégrale</h2>
<p>Pour comprendre les raisons de cette carence, il importe en premier lieu de souligner que la vengeance n’est pas nécessairement une violence ; lorsqu’elle l’est, encore faut-il identifier à quels types et à quelles catégories de violence elle se réfère exactement. Par effet d’exclusion, ses rapports spécifiques avec le terrorisme deviennent alors plus clairs et l’on voit poindre la notion de « vengeance intégrale », très éloignée des expressions vengeresses plus modérées.</p>
<p>Toutes les « terreurs », qu’elles soient ancestrales ou contemporaines, procèdent en l’espèce de cet intégralisme vengeur. Même dévoyées de leurs interprétations coutumières, les sources religieuses et la loi du talion montrent, par exemple, en quoi la vengeance a toujours été une marque de fabrique du terrorisme et un comportement pluriséculaire.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Reproduction d’un tableau dépeignant la chute de Jericho" src="https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419243/original/file-20210903-19-1l14guy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’épisode de la chute de Jéricho témoigne du lien ancien entre vengeance et terreur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gustave Doré (illustration biblique)</span></span>
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</figure>
<p>Dans le Livre de Josué, les Israélites vengeurs à la conquête du pays de Canaan ne se contentent ainsi pas de détruire Jéricho qui leur refuse son accès : un à un, les murs cèdent sous la brutalité de leur assaut et la population crie au son des cornes, avant de finir massacrée. Au niveau historique, la terreur est indéniablement liée à la quête de vengeance, cette « justice sauvage » selon Francis Bacon. Il y a, derrière chaque acte de terreur, un crime, un tort, un mal, une offense, une humiliation, que le coupable désigné doit payer.</p>
<p>Ici surgit la relation inhérente mais tortueuse de la vengeance – et par association du terrorisme – avec la justice. Rongé par la rancœur et la haine, le vengeur entend terroriser ses adversaires par tous les moyens dont il dispose, suivant d’interminables cycles de représailles et de contagion dans lesquels l’échelle individuelle s’entremêle étroitement au collectif. Comment ne pas songer au « prix du sang » dont les Grecs et les Romains étaient coutumiers, au même titre que d’autres peuples de l’époque aux yeux desquels le diptyque terreur-vengeance constituait une norme ?</p>
<p>Assassinats politiques, meurtres ciblés, tyrannicides étaient des méthodes courantes et rodées pour propager la peur. Sous l’Empire romain, terreur et vengeance se sont perfectionnées en laissant dans leur sillage de lourdes séquelles. Mais c’est avec la Révolution française, l’entrée dans la modernité et les campagnes coloniales que le terrorisme a revêtu ses dimensions plus actuelles, devenant indissociable des insurrections populaires, des guerres civiles et des extrémismes de tous bords, tous dressés contre l’État et son monopole légitime de la violence.</p>
<p>Alors qu’il se concentrait en Europe, le terrorisme s’est progressivement étendu au reste du monde après la Seconde Guerre mondiale (Moyen-Orient, Asie, Amérique latine) et, avec la fin de la Guerre froide, dans les anciens territoires soviétiques. Puis le 11 septembre 2001 a entériné une nouvelle ère, celle d’une vengeance terroriste se retournant contre l’Occident et d’autres zones du monde qui s’en étaient longtemps préservées.</p>
<p>Cette tendance s’est renforcée pendant la dernière décennie avec la multiplication et la globalisation des attaques, d’une part, et l’apparition de nouvelles menaces, de l’autre.</p>
<h2>Contre-terrorisme : une contre-vengeance ?</h2>
<p>Toutefois, le terrorisme n’est pas l’apanage des ennemis de l’État et uniquement une violence déployée en dehors de ses cadres. Il est même plutôt, à l’origine, une histoire d’État. Ce n’est ainsi que très récemment qu’un glissement définitionnel et son resserrement se sont produits.</p>
<p>Initialement, la <em>terreur</em> se référait à la vengeance « par le glaive de la loi » du gouvernement révolutionnaire de Maximilien Robespierre, entre 1793 et 1794, lorsque la France faisait face au complot réactionnaire d’aristocrates exilés avec le soutien de puissances étrangères. Contre la subversion des royalistes, la Terreur a systématisé les exécutions punitives et les arrestations arbitraires. Beaucoup, qui avaient tout d’abord soutenu cette politique, ont d’ailleurs fini par dénoncer le <em>terrorisme</em> des Jacobins : Robespierre fut ainsi guillotiné et la Terreur se retourna contre ses partisans.</p>
<p>Plus tard, Karl Marx évoqua une « vengeance de la société civile » contre un projet que l’on avait tenté de lui imposer par la force (<a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Penser-la-Revolution-francaise">Furet, 1978</a>). De cette époque vient la formule « terrorisme d’État », auquel les « terroristes » désignés par celui-ci et agissant à l’extérieur de son périmètre affirment s’opposer.</p>
<p>Dans les deux cas, la vengeance est inhérente à la violence, quoique l’État s’en défende en la réduisant à une œuvre « barbare » de ses adversaires.</p>
<p>Derrière le contre-terrorisme (encore désigné d’antiterrorisme), la vengeance est palpable partout, certes sans dire son nom. L’État applique en effet contre les terroristes des punitions plus ou moins drastiques, culminant fréquemment dans l’élimination pure et simple de ces rivaux existentiels, ou dans la peine capitale lorsque cette sentence passe par le système judiciaire d’États qui la légalisent. Peut-on parler de vengeance institutionnelle, ou d’une contre-vengeance officielle entièrement inscrite, <em>in fine</em>, dans l’interminable spirale des représailles et de la violence ?</p>
<p>Vengeresses sans l’admettre, les politiques et les mesures s’employant à vaincre le terrorisme sont à la fois inéluctables, pour la préservation de l’État et de la société, mais aussi instrumentales quant à la détermination des terroristes à assouvir leur vengeance démesurée, ce qui en constitue le point d’achoppement. Depuis le lancement de la « guerre contre la terreur » (<em>war on terror</em>), ce cycle semble s’être massifié.</p>
<p>Se pose enfin la problématique de la justice officielle face à celle, farouche et sans restreinte, dont se réclament les terroristes. Lorsqu’ils ne sont pas éliminés, ces derniers se voient soumis à une kyrielle de traitements. Mais dans l’absolu, un désir de vengeance qui fait directement écho à celui des terroristes s’exprime partout parmi les peuples touchés par leur violence.</p>
<p>Entre judiciarisation, réflexes rétributifs difficilement contenus par les victimes et leurs proches, et instauration de programmes de prise en charge des militants les plus radicaux, « faire justice » dans le contexte du terrorisme est un sujet sensible, aux enjeux sociopolitiques, institutionnels et éthiques lourds.</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment la justice punit-elle les terroristes depuis 2014 ? <em>Le Figaro Live</em>.</span></figcaption>
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<p>Sur un plan personnel, les survivants d’attentats renvoient à la complexité et l’inéluctable ambivalence des réactions à cette violence, entre impératif justicier, espérance, renoncement à la tentation de se venger, résignation, ou indifférence plus rarement. Puis c’est la question de la rédemption du terroriste et du pardon qui se fait jour en dernier ressort. Un terroriste peut-il en effet se racheter ? Traumatismes et mémoires peuvent-ils être réparés ? Le pardon, antithèse de la vengeance, est-il un horizon atteignable ou une vaine illusion ?</p>
<h2>Un angle mort des études sur le terrorisme</h2>
<p>En dépit de son ubiquité, la vengeance se résume généralement à une évocation superficielle. Cette absence, sur un phénomène au cœur de l’actualité, est saisissante car la vengeance hante chaque attentat terroriste, comme chaque souhait exprimé d’en commettre un. Il n’existe pas de cause unique à ce déficit d’attention mais un faisceau de facteurs explicatifs.</p>
<p>La peur, tout d’abord, d’introduire la vengeance au sein de la discussion, de l’observer pour ce qu’elle est. En effet, la vengeance n’a pas – ou « plus », depuis l’émergence de l’État moderne – de place dans nos sociétés. Au fil du temps, elle s’est transformée en véritable tabou, condamnée par la philosophie, refoulée par les institutions établies, qualifiée d’« attitude archaïque et arbitraire, renvoyant à des temps où la violence primait le droit, et que les principes de la justice comme institution auraient invalidée au long du processus de civilisation » (<a href="https://www.decitre.fr/livres/eloge-de-la-vengeance-9782130591283.html">Erman, 2012 : 9-10</a>). Aussi, lorsqu’elle est citée en rapport avec le terrorisme, est-ce davantage pour la dépeindre comme un fait « en dehors de la cité ».</p>
<p>Le terroriste est repoussé aux marges comme une « anomalie », un dysfonctionnement, dont il faut bien se garder de chercher à comprendre les motivations et les agissements. Tenter de les saisir équivaudrait, selon certaines voix, à les justifier. Il s’agit là de la position « orthodoxe » des études sur le terrorisme et d’une majorité de gouvernements.</p>
<p>Dans le même temps, nul ne peut entièrement se libérer de la vengeance car elle est partout. Reconnaître son omniprésence permet en l’occurrence de ramener le terrorisme à une violence qui, en définitive, n’est pas si exceptionnelle et dont les racines et ressorts doivent être pleinement déchiffrés. La vengeance nous confronte à ce qu’il y a de plus « brut » chez l’humain et n’a jamais été « domestiquée » par l’État.</p>
<p>Assumée et revendiquée par les terroristes, elle forme une réalité anthropologique qui n’a de cesse de se renouveler. Néanmoins, il n’est pas admis que des individus socialisés la recherchent et l’exécutent contre le système. N’est-ce pas, de ce point de vue, la fragilité de l’ordre sociopolitique tout entier à laquelle la figure du terroriste renvoie ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture de livre" src="https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=875&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=875&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=875&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1100&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1100&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419236/original/file-20210903-27-19qgyhy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1100&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de <em>Terrorisme : les affres de la vengeance. Aux sources liminaires de la violence</em>, qui vient de paraître aux éditions Le Cavalier Bleu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Le Cavalier Bleu</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’enjeu est bel et bien d’expliciter les liens particuliers qu’entretiennent terreur et vengeance, ce que la première dit de la seconde, et réciproquement. À cet égard, le recours à une méthode transdisciplinaire mixte, qualitative et quantitative, permet de distinguer dans cette vengeance terroriste certaines dynamiques propres.</p>
<p>Depuis les attentats de l’année 2015 en France, dans le sillage d’autres pays meurtris par le terrorisme jihadiste, des thèses aux ancrages multiples se sont succédé dans le débat public, prétendant pour la plupart clore la réflexion scientifique. Abondamment relayés par les sphères médiatiques et officielles, ces paradigmes n’accordent pourtant à la question de la vengeance qu’une place résiduelle.</p>
<p>« Radicalisation de l’islam », « islamisation de la radicalité », nihilisme générationnel, facteurs géopolitiques, ressentiments historiques, spécificités biographiques, logiques « processuelles » d’entrée dans la radicalité, facteurs socio-économiques, identitaires ou communautaires, réalités géographiques et réseaux organisés… La vengeance, en filigrane de ces approches, en constitue symptomatiquement le grand impensé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire du terrorisme est traversée par la vengeance. Omniprésente, la notion reste pourtant un angle mort des études sur le sujet. Cet ouvrage la remet au centre et tente de la déchiffrer.Myriam Benraad, Chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM, Aix-Marseille Université) ; Professeure en relations internationales à la Schiller International University) et à l'ILERI, Institut libre d'étude des relations internationales (ILERI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1668682021-09-07T18:24:29Z2021-09-07T18:24:29ZLes djihadistes peuvent-ils gagner ?<p>Les attentats du 11 septembre 2001 furent un choc incommensurable pour l’Amérique. Le président des États-Unis, George W. Bush, compara cet événement à l’attaque-surprise de Pearl Harbor en 1941. Il répliqua par le déclenchement d’une « guerre globale contre le terrorisme » dont le premier théâtre fut l’Afghanistan. Le régime taliban – qui avait refusé de livrer Oussama Ben Laden – fut balayé en quelques semaines et les camps d’entraînement d’al-Qaïda furent détruits. Nul n’aurait alors songé que 20 ans plus tard, les talibans seraient de retour à Kaboul, ni qu’al-Qaïda et ses épigones auraient <a href="https://www.csis.org/analysis/evolution-salafi-jihadist-threat">essaimé dans de nombreux pays</a>.</p>
<p>Deux décennies après l’effondrement des tours du World Trade Center, les djihadistes peuvent-ils gagner ? Cette question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Commençons par rappeler que les djihadistes – partisans d’une doctrine politico-religieuse qui prône la lutte armée au nom d’une conception fondamentaliste de l’islam – ne forment pas un ensemble homogène. Une manière de les différencier consiste à distinguer les groupes ayant des objectifs locaux de ceux poursuivant des buts globaux.</p>
<h2>Djihad local et djihad global</h2>
<p>Les talibans sont généralement classés dans la première catégorie, mais ils entretiennent historiquement des liens avec al-Qaïda qui appartient à la seconde catégorie. Un point essentiel de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a>, signé en février 2020 par le diplomate américain Zalmay Khalilzad et le mollah Abdul Ghani Baradar, est que l’émirat islamique d’Afghanistan s’engageait à ne pas héberger al-Qaïda ni à lui fournir la moindre assistance. De sérieux doutes, émis notamment par <a href="https://www.undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2021/486">l’Organisation des nations unies</a>, existent néanmoins sur la crédibilité de cet engagement, d’autant que la formulation de l’accord était relativement ambiguë.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laccord-entre-les-etats-unis-et-les-talibans-un-jeu-de-dupes-134060">L’accord entre les États-Unis et les talibans : un jeu de dupes ?</a>
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<p>Les États-Unis, de leur côté, promettaient de retirer leurs troupes du pays. Profitant de ce retrait et de l’effondrement subséquent de l’armée nationale afghane, les talibans ont réussi à s’emparer du pouvoir à l’été 2021, à l’issue d’une offensive-éclair. Ils ont ainsi gagné leur guerre et rempli leur objectif stratégique. On ne peut pas en dire autant d’al-Qaïda – même si <a href="https://english.alarabiya.net/News/gulf/2021/08/19/Al-Qaeda-in-Yemen-congratulates-Taliban-vows-to-continue-campaigns">différentes</a> <a href="https://ent.siteintelgroup.com/Statements/aqim-and-jnim-issue-joint-statement-congratulating-taliban-promoting-its-victory-as-justifying-jihad.html">filiales</a> de l’organisation terroriste se sont réjouies de la victoire talibane.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1433487420125859840"}"></div></p>
<p>Oussama Ben Laden avait exposé publiquement ses objectifs : « chasser les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier la communauté des croyants sous l’autorité d’un calife. Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies, ces buts n’ont été atteints ni par al-Qaïda, ni par son principal concurrent au sein de la mouvance djihadiste internationale : Daech. Si ces deux organisations paraissent aujourd’hui affaiblies, minées par leurs divisions internes et traquées par les unités contre-terroristes, elles disposent néanmoins de trois grands atouts qui ont rendu jusqu’à présent leur éradication impossible.</p>
<h2>La force de l’idéologie</h2>
<p>Le premier atout est la force de l’idéologie <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/salafi-jihadism/">salafo-djihadiste</a> qui plonge ses racines dans les écrits d’<a href="https://brill.com/view/book/9789004412866/BP000005.xml">Ibn Taymiyya</a> (1263-1328), <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sayyed-Qutb.html">Sayyid Qutb</a> (1906-1966) ou encore <a href="https://www.cambridge.org/core/books/caravan/F92B16194E70D55E6ABF362A06271E71">Abdallah Azzam</a> (1941-1989). Les partisans de cette mouvance ont le sentiment de défendre l’islam contre des agresseurs et d’œuvrer pour une cause sacrée. Ils perçoivent l’interventionnisme occidental dans le monde musulman comme une forme de guerre contre l’<em>oumma</em> et présentent l’engagement dans le « djihad défensif » comme une obligation individuelle pour tous les musulmans. Ceux qui refusent de suivre ce précepte ne peuvent être considérés à leurs yeux comme de véritables croyants. Dans cette vision de la « guerre sainte », les « croisés » doivent être combattus jusque sur leurs terres, ce qui permet de légitimer les attentats dans les pays occidentaux.</p>
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<p>Les djihadistes sont persuadés de jouir d’une forme de supériorité morale et développent par conséquent une détermination hors du commun au service d’une cause sacrée. Ils mènent une guerre totale et se vantent de ne pas craindre d’aller au-devant de la mort. Leur propension à mourir est d’autant plus élevée que mille félicités sont promises aux « martyrs ». La devise « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie » n’a pas uniquement vocation à terroriser les adversaires : elle est aussi le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-djihad-et-la-mort-olivier-roy/9782757876534">reflet d’un système de valeurs</a> fondamentalement différent de celui des Occidentaux. La lutte contre le djihadisme n’est peut-être pas un <em>clash</em> des civilisations, mais c’est assurément un choc de valeurs.</p>
<h2>La capacité à innover</h2>
<p>L’idéologie est un socle essentiel pour motiver les combattants et attirer de nouvelles recrues, mais elle ne suffit pas à garantir la puissance d’un mouvement. Or, d’un point de vue matériel, les djihadistes ne font pas le poids face à leurs ennemis. S’ils engageaient toutes leurs forces dans un combat frontal face aux armées occidentales – sans même mentionner d’autres adversaires comme la Russie ou l’Iran –, ils seraient vaincus. Conscients de cette faiblesse matérielle, ils misent sur un deuxième atout : la capacité à surprendre et à déstabiliser leurs opposants en misant sur l’innovation.</p>
<p>Ainsi, al-Qaïda et Daech ont su innover à différents niveaux : organisationnel, stratégique et tactique. Un exemple d’évolution organisationnelle est la décentralisation de la nébuleuse qaïdiste qui a pris deux formes : d’une part, l’ouverture de <a href="https://www.cairn.info/un-monde-de-ruptures--9782100745562-page-48.htm?contenu=plan">« filiales » régionales</a> et, d’autre part, le déploiement d’un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/web-social-djihadisme-diagnostic-aux-remedes">vaste appareil de propagande sur Internet</a> en vue, notamment, de susciter du « terrorisme d’inspiration ». L’innovation stratégique peut être illustrée par la volonté d’Abou Bakr al-Baghdadi d’unifier les théâtres syrien et irakien en 2013, puis de rétablir le califat en 2014. Au niveau tactique, enfin, les exemples sont nombreux, de l’utilisation quasi industrielle de véhicules-suicides à la <a href="https://www.defenseone.com/technology/2017/01/drones-isis/134542/">confection de drones armés artisanaux</a>.</p>
<h2>La mobilité stratégique</h2>
<p>Ces savoir-faire tactiques peuvent être déployés sur différents théâtres car les djihadistes bénéficient d’un troisième atout : leur mobilité stratégique. Ils ont su, au cours des deux dernières décennies, faire passer le centre de gravité de leurs actions de l’Afghanistan à l’Irak puis à la Syrie, à la Libye et à l’Afrique subsaharienne. Ils savent se greffer sur des conflits locaux, profiter de la mauvaise gouvernance, des injustices et des inégalités, nouer des alliances tribales et promouvoir les mérites de leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/politique-etrangere/articles-de-politique-etrangere/sahel-soubassements-dun-desastre">modèle alternatif</a>. Dans des États faillis ou marqués par des fractures ethno-sociales, les djihadistes ne gagnent pas seulement du terrain en terrorisant les populations réfractaires mais aussi en se présentant comme les défenseurs d’un ordre islamique plus équitable.</p>
<p>Ces trois atouts offrent à la mouvance djihadiste internationale une capacité de résilience remarquable. Ils peuvent lui permettre de continuer à porter des coups à ses adversaires et lui fournir les bases d’une possible remontée en puissance. Ils ne sauraient toutefois suffire à offrir la victoire à des combattants irréguliers opposés aux États les plus puissants. Souvenons-nous de la formule de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-2-page-281.htm">Gérard Chaliand</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si la guérilla est l’arme du faible, le terrorisme, utilisé de façon exclusive, est l’arme du plus faible encore. »</p>
</blockquote>
<p>En définitive, après vingt ans de guerre contre le terrorisme, les États occidentaux continuent d’être confrontés à un ennemi qu’ils ne parviennent pas à éradiquer, mais qui n’est pas en mesure de l’emporter. La victoire des talibans pourrait agir comme un trompe-l’œil stratégique, laissant penser à une mouvance djihadiste enhardie qu’elle est capable de mettre l’Occident à genoux. Or, ce n’est pas le cas. Les dirigeants américains ont décidé de cesser le combat parce qu’ils ne voyaient plus dans cette guerre lointaine une priorité et qu’ils mesuraient les limites de leur action. S’ils l’avaient voulu, ils auraient néanmoins pu tenir Kaboul encore des années.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Marc Hecker a récemment publié, avec Élie Tenebaum, <em>La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle</em>, aux éditions Robert Laffont.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Robert Laffont</span></span>
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<p>La situation est différente de celle de l’URSS à la fin des années 1980. On se souvient qu’Oussama Ben Laden était persuadé que les moudjahidines, du fait de leur victoire contre l’Armée rouge en Afghanistan, avaient joué un grand rôle dans la chute de l’Union soviétique. Cette perception avait conduit l’émir d’al-Qaïda à développer une forme d’hybris, à déclarer le djihad aux États-Unis et à <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-08-13/osama-bin-ladens-911-catastrophic-success">anticiper de façon erronée la réaction des Américains aux attentats du 11 septembre 2001</a>. Il est peu probable que l’histoire se répète, mais les pays occidentaux ne sont pas à l’abri d’une nouvelle surprise stratégique. Les conditions chaotiques du retrait américain d’Afghanistan risquent en tout cas de renforcer la détermination des djihadistes à poursuivre le combat et Washington pourrait avoir du mal à clore définitivement le cycle de la <em>global war on terror</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166868/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Hecker est directeur de la recherche et de la valorisation à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Il est aussi rédacteur en chef de la revue Politique étrangère.</span></em></p>Chasser « les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier l’oumma : c’était l’objectif de Ben Laden, et c’est toujours celui de ses épigones.Marc Hecker, Enseignant à Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1669382021-08-28T19:25:05Z2021-08-28T19:25:05ZQu’est-ce que l’État islamique au Khorassan, qui a revendiqué l’attentat de l’aéroport de Kaboul ?<p>L’<a href="https://www.nytimes.com/live/2021/08/27/world/afghanistan-taliban-biden-news">attentat suicide doublé d’une fusillade</a> commis devant l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021 a fait au moins 100 morts, dont <a href="https://apnews.com/article/bombings-evacuations-kabul-bb32ec2b65b54ec24323e021c9b4a553">au moins 13</a> soldats américains. L’État islamique au Khorassan (EIK) <a href="https://www.reuters.com/world/islamic-state-claims-responsibility-kabul-airport-attack-2021-08-26/">a revendiqué</a> cette opération survenue quelques jours seulement après que le <a href="https://deadline.com/2021/08/joe-biden-terror-attack-warning-afghanistan-taliban-infrastructure-vote-g7-kamala-harris-1234821064/">président Joe Biden a averti</a> que ce groupe – une filiale de Daech active en Afghanistan – « cherchait à cibler l’aéroport et à attaquer les forces américaines et alliées ainsi que des civils innocents ».</p>
<p>Amira Jadoon, <a href="https://www.westpoint.edu/social-sciences/profile/amira_jadoon">spécialiste du terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point</a>, et Andrew Mines, <a href="https://extremism.gwu.edu/andrew-mines">chargé de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington</a>, qui étudient l’EIK depuis des années, ont répondu aux questions de The Conversation US sur ce groupe terroriste et la menace qu’il représente.</p>
<h2>Pouvez-vous présenter l’EIK ?</h2>
<p>L’État islamique de la province de Khorasan, également connu sous les acronymes anglas ISIS-K, ISKP et ISK, est une filiale du groupe État islamique en Irak et en Syrie, <a href="https://www.ctc.usma.edu/pledging-baya-a-benefit-or-burden-to-the-islamic-state/">reconnue</a> par les principaux dirigeants de cette dernière organisation, laquelle est également désignée par l’acronyme arabe Daech.</p>
<p>L’EIK a été officiellement fondé en janvier 2015. En peu de temps, il est parvenu à prendre le contrôle de plusieurs districts ruraux du <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/qari-hekmats-island-a-Daech-enclave-in-jawzjan/">nord</a> et du <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/the-islamic-state-in-khorasan-how-it-began-and-where-it-stands-now-in-nangarhar/">nord-est</a> de l’Afghanistan, et a lancé une campagne meurtrière à travers l’Afghanistan et le Pakistan. Au cours de ses trois premières années d’existence, l’EIK a commis des <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">attentats</a> contre des groupes minoritaires, des espaces publics et des institutions publiques, ainsi que des cibles gouvernementales, dans plusieurs des principales villes d’Afghanistan et du Pakistan.</p>
<p>En 2018, l’EIK était déjà devenu l’une des <a href="https://www.visionofhumanity.org/wp-content/uploads/2020/11/GTI-2019-web.pdf">quatre organisations terroristes les plus meurtrières</a> au monde, selon l’indice mondial du terrorisme établi par l’Institute for Economics and Peace.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1431304845097676808"}"></div></p>
<p>Mais la coalition dirigée par les États-Unis et ses partenaires afghans ont infligé à l’EIK d’importantes <a href="https://ctc.usma.edu/broken-not-defeated-examination-state-led-operations-islamic-state-khorasan-afghanistan-pakistan-2015-2018/">pertes</a> (aussi bien en termes de territoires contrôlés qu’en termes humains, bon nombre de ses responsables et soldats de rang ayant été tués). Le recul de l’organisation a culminé avec la <a href="https://undocs.org/S/2020/53">reddition</a> de plus de 1 400 de ses combattants et de leurs familles au gouvernement afghan fin 2019 et début 2020. Si bien que certains ont pu considérer que l’EIK avait été <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2020/02/09/afghanistan-claims-islamic-state-was-obliterated-fighters-who-got-away-could-stage-resurgence/">vaincue</a>.</p>
<h2>Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les origines du groupe ?</h2>
<p>L’EIK a été <a href="https://www.ctc.usma.edu/situating-the-emergence-of-the-islamic-state-of-khorasan/">fondé</a> par d’anciens membres des talibans pakistanais, des talibans afghans et du Mouvement islamique d’Ouzbékistan. Au fil du temps, cependant, des militants de divers autres groupes ont rejoint ses rangs.</p>
<p>L’une des plus grandes forces de l’EIK est sa capacité à tirer parti de l’expertise locale de ces combattants et commandants. Le groupe a commencé par consolider son emprise territoriale dans les <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/the-islamic-state-in-khorasan-how-it-began-and-where-it-stands-now-in-nangarhar/">districts méridionaux de la province de Nangarhar</a>, laquelle est située à la frontière nord-est de l’Afghanistan avec le Pakistan. C’est dans cette zone, plus précisément dans la région de Tora Bora, que se trouvait l’ancien bastion d’Al-Qaïda.</p>
<p>Son contrôle de certaines parties de la zone frontalière a permis à l’EIK de s’approvisionner et de recruter dans les zones tribales pakistanaises, ainsi que de s’appuyer sur l’expertise d’autres groupes locaux avec lesquels il a forgé des <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">alliances opérationnelles</a>.</p>
<p>Des preuves substantielles montrent que le groupe a reçu de <a href="https://www.undocs.org/S/2016/629">l’argent</a>, des conseils et une <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">formation</a> de la part de l’organe organisationnel central du groupe État islamique en Irak et en Syrie. Certains <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">experts</a> ont estimé que cette aide s’élève à ce jour à plus de 100 millions de dollars américains.</p>
<h2>Quels sont ses objectifs et ses procédés ?</h2>
<p>La stratégie générale de l’EIK consiste à établir une tête de pont qui permettra à l’État islamique d’étendre son « califat » à l’Asie centrale et à l’Asie du Sud.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du 3 mai 2017.</span></figcaption>
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<p>Il vise à s’imposer comme la principale organisation djihadiste de la région, notamment en s’appropriant l’héritage des groupes djihadistes qui l’ont précédé. Cet objectif apparaît de façon évidente dans le message du groupe, qui attire des combattants djihadistes chevronnés ainsi que des militants plus jeunes issus de <a href="https://www.usip.org/publications/2020/06/bourgeois-jihad-why-young-middle-class-afghans-join-islamic-state">zones urbaines</a>.</p>
<p>Comme son homonyme en Irak et en Syrie, l’EIK tire parti de l’expertise de son personnel et de ses <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">alliances opérationnelles</a> avec d’autres groupes pour mener des attaques dévastatrices. Ces attaques visent des minorités comme les <a href="https://www.forbes.com/sites/ewelinaochab/2021/05/09/bombings-outside-a-school-in-afghanistan-kill-over-68-people-mostly-children/?sh=3472baea1f3a">Hazaras</a> et les <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/mar/25/afghanistan-dozens-killed-in-attack-on-kabul-sikh-temple">Sikhs</a> d’Afghanistan, ainsi que des <a href="https://www.nytimes.com/2020/12/10/world/asia/afghanistan-journalist-malalai-maiwand.html">journalistes</a>, des <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/jan/24/explosion-attack-save-the-children-office-jalalabad-afghanistan">travailleurs humanitaires</a>, des membres des forces de sécurité et les infrastructures gouvernementales.</p>
<p>L’objectif de l’EIK est de créer toujours plus de chaos afin d’attirer les combattants désabusés appartenant pour l’instant à d’autres groupes et de démontrer l’incapacité du gouvernement en place à assurer la sécurité de la population.</p>
<h2>Quelle relation l’EIK entretient-il avec les talibans ?</h2>
<p>L’EIK considère les talibans afghans comme ses rivaux stratégiques. Il qualifie les talibans afghans de <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/iskps-battle-for-minds-what-are-their-main-messages-and-who-do-they-attract/">« nationalistes crasseux »</a> dont l’ambition se limite à former un gouvernement confiné aux frontières de l’Afghanistan. Une ambition qui ne s’inscrit pas dans l’objectif de l’État islamique, qui est d’établir un califat mondial.</p>
<p>Depuis sa création, l’EIK a tenté de recruter des membres des talibans afghans tout en ciblant les positions des talibans dans tout le pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1431325560727384067"}"></div></p>
<p>Ces efforts ont rencontré un certain succès, mais les talibans ont tout de même réussi à endiguer l’expansion de l’EIK en menant des <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/qari-hekmats-island-overrun-taleban-defeat-iskp-in-jawzjan/">opérations</a> contre ses combattants et contre les zones situées sous son contrôle.</p>
<p>Lors de ces affrontements avec l’EIK, les talibans ont souvent bénéficié de l’appui de la puissance aérienne et des offensives terrestres des <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2020/10/22/taliban-isis-drones-afghanistan/">États-Unis et de l’Afghanistan</a>, bien que l’on ne sache pas à ce jour dans quelle mesure ces opérations ont été coordonnées.</p>
<p>Ce qui est clair, c’est que la majorité des <a href="https://ctc.usma.edu/broken-not-defeated-examination-state-led-operations-islamic-state-khorasan-afghanistan-pakistan-2015-2018/">pertes d’effectifs et de dirigeants</a> de l’EIK ont été le résultat des opérations menées par les États-Unis et par les troupes officielles afghanes, et spécialement des frappes aériennes américaines.</p>
<h2>Quelle est la menace que représente l’EIK en Afghanistan et pour la communauté internationale ?</h2>
<p>L’EIK ayant été relativement affaibli, ses objectifs immédiats consistent avant tout à reconstituer ses rangs et à afficher sa détermination en menant des attaques de grande envergure. Ce faisant, le groupe cherche à rester un acteur important dans le paysage afghan et pakistanais. Il souhaiterait sans doute s’en prendre aux États-Unis et à leurs partenaires à l’étranger, il n’y a <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/02/world/middleeast/isis-afghanistan-us-military.html">pas de consensus au sein de l’armée américaine et de la communauté du renseignement</a> quant à sa capacité à frapper des territoires éloignés de l’Afghanistan.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/76e4XF0jUek?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais en Afghanistan même, l’EIK apparaît comme un danger majeur. Outre ses attaques contre les minorités et les institutions civiles afghanes, le groupe a massacré des <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/isis-islamic-state-afghanistan-wilayat-khorasan-red-cross-aid-workers-killed-shot-gunmen-massacre-a7568791.html">travailleurs humanitaires internationaux</a> et des <a href="https://thediplomat.com/2021/06/10-killed-in-attack-on-demining-camp-in-afghanistan/">démineurs</a>, et a même tenté, en janvier 2021, d’<a href="https://www.cnn.com/2021/01/13/middleeast/isis-assassination-attempt-us-intl/index.html">assassiner</a> le principal envoyé américain à Kaboul.</p>
<p>Il est encore trop tôt pour savoir à quel point le retrait des États-Unis d’Afghanistan profitera à l’EIK, mais l’attentat de l’aéroport de Kaboul illustre tragiquement la menace permanente que le groupe fait peser sur le pays.</p>
<p>À court terme, l’EIK continuera probablement à chercher à semer la panique et le chaos, à perturber le processus de retrait des troupes américaines et à démontrer que les talibans afghans sont incapables d’assurer la sécurité de la population.</p>
<p>Si le groupe parvient à reconstituer un certain niveau de contrôle territorial à long terme et à recruter davantage de combattants, il sera très probablement en mesure de retrouver le niveau qui était le sien il y a encore deux ou trois ans et à représenter une menace très réelle aux niveaux national, régional et international.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166938/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amira Jadoon est professeure adjointe au Combating Terrorism Center et au département des sciences sociales de l'Académie militaire américaine de West Point, à New York. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne représentent pas le Combating Terrorism Center, l'Académie militaire américaine, le ministère de la Défense ou le gouvernement américain.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrew Mines ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux experts présentent l’État islamique au Khorassan, la branche afghane de Daech, active depuis plusieurs années, qui a revendiqué le sanglant attentat commis le 26 août devant l’aéroport de Kaboul.Amira Jadoon, Assistant Professor at the Combating Terrorism Center, United States Military Academy West PointAndrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1569862021-03-21T17:42:12Z2021-03-21T17:42:12ZLa carte kurde dans le jeu de Joe Biden face à l’Iran<p>La politique syrienne de l’administration Biden ne peut être décorrélée de son approche des relations avec l’Iran. Or, en la matière, en dépit d’une <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/18/us/politics/biden-iran-nuclear.html">volonté proclamée de négocier avec la République islamique</a>, la stratégie des pressions se poursuit, compliquant pour l’instant toute perspective de pourparlers avec Téhéran.</p>
<p>Le 28 février dernier, l’Iran a <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/iran-rejects-early-nuclear-talks-us/2021/02/28/e62ee95c-79f2-11eb-85cd-9b7fa90c8873_story.html">rejeté</a> une proposition de discussion informelle avec les pays européens et les États-Unis dans une configuration où Washington <a href="https://www.challenges.fr/monde/les-etats-unis-ne-leveront-pas-pour-l-instant-les-sanctions-contre-l-iran-dit-biden_749892">maintient les sanctions contre Téhéran</a> et refuse toujours de donner son consentement au déblocage des <a href="https://www.eastasiaforum.org/2021/02/19/resolving-south-koreas-iran-conundrum">fonds iraniens gelés en Corée du Sud</a>.</p>
<h2>Des soutiens de poids à la cause kurde au sein de la nouvelle administration</h2>
<p>L’administration Biden a en fait adopté une politique duale envers l’Iran, maintenant à la fois des canaux de négociation et de pression, notamment contre le principal allié de Téhéran, le régime syrien de Bachar Al-Assad.</p>
<p>La stratégie mise en œuvre sous le mandat de Donald Trump et consistant à dénier au régime syrien l’accès à une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Dans-le-contexte-de-l-operation-militaire-turque-Source-de-paix-retour-sur-les.html">région particulièrement riche en ressources agricoles et énergétiques</a>, le nord-est du pays, sous contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition hétéroclite de forces supervisée par le PYD, branche syrienne du PKK), est poursuivie par une <a href="https://foreignpolicy.com/2021/03/05/biden-middle-east-team-pentagon-state-department-nsc/">nouvelle administration</a> qui compte en son sein d’ardents promoteurs de la cause kurde, à l’instar du coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale <a href="https://telquel.ma/2021/01/18/qui-est-brett-mcgurk-le-coordinateur-de-la-politique-americaine-au-moyen-orient-et-en-afrique-du-nord_1708148">Brett Mc Gurk</a> ou de la directrice pour la Syrie et l’Irak à ce même Conseil de sécurité nationale <a href="https://npasyria.com/en/37006/">Zehra Bell</a>.</p>
<p>Le premier a réaffirmé, à plusieurs reprises, le rôle incontournable joué par les FDS dans la stabilisation de la Syrie et défendu l’option d’un renforcement du soutien aux Kurdes, allant jusqu’à <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2018/dec/22/us-anti-isis-envoy-brett-mcgurk-quits-trump-syria-withdrawal">démissionner en décembre 2018</a> de son poste d’émissaire américain auprès de la coalition internationale anti-Daech pour marquer son opposition à la décision de Trump de retirer ses troupes de Syrie et d’abandonner ses alliés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359185290276048898"}"></div></p>
<p>Zehra Bell, en charge au sein de l’administration Biden des dossiers Syrie et Irak et proche collaboratrice de Brett Mc Gurk, a su quant à elle concilier sa précédente mission de chef de l’équipe d’intervention pour l’assistance à la transition en Syrie avec celle de conseillère informelle de Mazloum Abdi, commandant des FDS à Kobané.</p>
<p>Enfin, le nouveau secrétaire d’État, Antony Blinken, préconisait pour sa part en 2019 de renforcer le volet dissuasion de l’approche américaine, estimant qu’en Syrie, Washington a fait <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2019/01/04/america-first-is-only-making-the-world-worse-heres-a-better-approach/">« l’erreur de ne pas en faire assez »</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, dans les faits, l’administration américaine semble reconduire le pari stratégique du soutien aux Kurdes dans une zone d’<a href="https://www.mei.edu/publications/syrian-oil-crisis-causes-possible-responses-and-implications">importance vitale</a>. Cette mobilisation du facteur kurde est une constante de la politique américaine en Syrie.</p>
<h2>L’instrumentalisation des Kurdes au gré des priorités de l’agenda américain</h2>
<p>À mesure de l’évolution du conflit, les Kurdes se sont trouvés dans un rapport de dépendance stratégique trop élevé vis-à-vis de l’acteur américain, bien qu’ils n’aient jamais renoncé à leurs revendications nationalistes.</p>
<p>En 2011, dans le contexte de la crise, ils se distancient de l’opposition syrienne sous influence turque, en proie à des contradictions internes et accusée de ne pas reconnaître l’« identité kurde ». En juillet 2012, les Kurdes perçoivent dans le retrait partiel de l’armée syrienne du nord du pays l’opportunité d’occuper le vide et de concrétiser progressivement leurs aspirations. Mais l’évolution du rapport de force sur le terrain pulvérise cette dynamique autonome. Après l’offensive éclair du groupe État islamique (EI) en Syrie, les Kurdes se retrouvent <a href="https://www.reuters.com/article/ofrtp-syrie-islamistes-kobani-idFRKCN0HS1EH20141003">assiégés en octobre 2014 à Ain Arab</a> (Kobané), leur survie dépendant de l’aide des Américains après que les Russes, alliés à Damas, se soient montrés peu enclins à les soutenir.</p>
<p>Le poids de la réalité géopolitique et de ses contraintes impose donc aux Kurdes une alliance avec les États-Unis qui rend obsolète leur engagement idéologique – le PYD étant l’avatar du PKK turc, qui prône une idéologie <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=54A2DwAAQBAJ">anti-impérialiste</a> et est inscrit sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>.</p>
<p>Perçus comme la principale force combative et efficace dans la lutte contre le groupe EI, notamment après l’échec du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-le-pentagone-reduit-son-programme-d-entrainement-de-rebelles-09-10-2015-1972215_24.php">programme américain de formation et d’équipement de rebelles syriens modérés</a>, les Kurdes deviennent le fer-de-lance de Washington et empêchent l’EI d’établir une liaison entre ses deux « capitales », Mossoul (en Irak) et Raqqa (en Syrie).</p>
<p>Cette coopération étroite entre les Américains et les Kurdes s’expliquerait, <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2019-04-16/hard-truths-syria">selon Brett Mc Gurk</a>, par la position intransigeante de la Turquie qui oppose une fin de non-recevoir aux demandes américaines de coordination opérationnelle dans le cadre de la lutte contre le groupe EI.</p>
<p>Une divergence d’approche dans la gestion de la crise syrienne a refroidi les relations entre Ankara et Washington. Alors que la Turquie réclamait une intervention militaire américaine massive à ses côtés pour favoriser un changement de régime en Syrie, elle se heurte au refus de Barack Obama en mai 2013. Les accrocs se sont multipliés à mesure que les États-Unis renforçaient leur soutien aux Kurdes sous couvert de lutte contre le groupe EI. Dans la perception d’Ankara, c’est bien l’aide américaine aux forces kurdes de Syrie – toutes liées au PKK perçu comme une menace pour l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la Turquie – qui a dans une large mesure conforté les ambitions kurdes. De leur côté, les États-Unis voyaient d’un mauvais œil <a href="https://info.arte.tv/fr/turquie-daesherdogan-liaisons-dangereuses">l’attitude complaisante des Turcs à l’égard de l’EI</a> (une attitude s’expliquant par le fait que, aux yeux des Turcs, les deux dangers principaux étaient les <a href="https://information.tv5monde.com/info/kurdes-pour-la-turquie-pkk-plus-menacant-que-ei-46862">Kurdes</a> et le régime de Damas, plus que les groupes djihadistes).</p>
<p>Pourtant en dépit d’une alliance tactique avec les forces kurdes, Washington tente de ménager les intérêts de son partenaire stratégique turc. À plusieurs reprises, les Kurdes sont abandonnés à leur sort : l’épisode de la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/02/09/31002-20180209ARTFIG00284-bataille-d-afrine-la-trahison-des-kurdes-par-les-occidentaux.php">bataille d’Afrine</a> en 2018 en est une illustration éclatante.</p>
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<p>Le soutien aux Kurdes demeure ainsi tributaire des priorités de l’agenda américain, qui évolue au gré du contexte. Après l’annonce, en décembre 2018, du retrait américain de Syrie, vécue comme une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/En-Syrie-Kurdes-sentent-trahis-2018-12-21-1200991068">véritable trahison par les Kurdes</a>, Trump réaménage sa décision, souscrivant au point de vue des néoconservateurs. La priorité donnée à l’objectif de l’affaiblissement de l’Iran conduit les États-Unis à utiliser à la fois les sanctions en tant que leviers de pressions politiques contre le régime iranien, et à recourir aux instruments de la guerre hybride à travers les opérations spéciales comme <a href="https://www.lepoint.fr/monde/mort-de-soleimani-une-operation-sans-precedent-pour-l-armee-americaine-03-01-2020-2356024_24.php">l’élimination du général iranien Soleimani</a>, et le soutien aux minorités, notamment les Kurdes en Syrie.</p>
<h2>Changement d’administration mais continuité de la politique américaine en Syrie</h2>
<p>La nouvelle administration conforte certains principes directeurs de la politique syrienne de la précédente.</p>
<p>Pour traiter avec l’Iran, qui n’a cessé de <a href="http://www.opex360.com/2020/07/09/liran-va-renforcer-la-defense-aerienne-syrienne/">renforcer sa présence militaire en Syrie</a>, ses capacités balistiques et son soutien aux groupes qui lui sont organiquement liés comme le Hezbollah, il est devenu important pour Washington de réduire son potentiel de nuisance à l’échelle régionale. La stratégie de <em>Ressources Denial</em> privant d’accès le régime de Damas aux ressources du nord-est syrien crée un enjeu politique intérieur majeur, avec le risque d’une résurgence de la contestation, d’autant que l’<a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/2021-budget-reveals-the-depth-of-syrias-economic-woes/">économie syrienne est exsangue</a>.</p>
<p>Mais cette approche est surtout conçue dans une logique de marchandage dans la perspective des négociations à venir avec l’Iran – bien que, pour l’instant, les <a href="https://responsiblestatecraft.org/2021/02/28/iran-rejects-meeting-as-bidens-slow-diplomacy-hits-predictable-snag/">conditions ne semblent pas réunies</a> pour progresser dans la direction d’un retour à l’accord nucléaire.</p>
<p>Les deux options – discuter avec l’Iran et faire pression sur la Syrie – ne sont pas contradictoires mais devraient permettre à terme aux Américains de négocier en position de force en posant de nouvelles conditions. Il s’agit également d’un gage donné à Israël <a href="https://newlinesmag.com/reportage/israel-to-biden-tehran-can-wait/">inquiet des perspectives d’un retour à l’accord sur le nucléaire et de la politique moyen-orientale</a> de la nouvelle administration américaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1327254837902401536"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-56205056">récentes frappes américaines en Syrie</a> en réponse aux attaques menées contre le personnel américain et de la coalition en Irak illustrent également cette volonté de l’administration Biden de ne pas séparer le cadre propre à la politique syrienne de celui, plus général, de la confrontation avec l’Iran, l’affaiblissement du rôle régional de ce dernier demeurant une priorité.</p>
<h2>Un pari risqué pour les Kurdes</h2>
<p>Quant aux Kurdes, s’ils s’enhardissent dans leurs prétentions territoriales en mettant à profit ce nouveau contexte, cette stratégie n’est pas sans conséquences.</p>
<p>D’un côté, l’engagement américain est loin d’être indéfectible et si l’équipe Biden voit aujourd’hui dans le facteur kurde un atout stratégique majeur, la configuration est susceptible d’évoluer au gré de la redéfinition des intérêts de Washington.</p>
<p>De l’autre, la gestion des ressources dans le nord-est de la Syrie est de plus en plus contestée par les populations arabes locales et réveille les antagonismes latents. Comme l’a rappelé, en janvier dernier, l’ex-ambassadeur américain en Syrie, Robert Stephen Ford <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/turkey/2021-01-25/us-strategy-syria-has-failed">dans un article pour Foreign Affairs</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les alliés kurdes syriens des États-Unis ont exacerbé les tensions régionales de longue date entre Arabes et Kurdes. Parmi les communautés arabes en particulier, il existe une frustration généralisée face à la domination politique kurde – rendue possible par les États-Unis – et au contrôle kurde des champs pétrolifères locaux. Les résidents arabes protestent également contre la corruption administrative présumée des FDS, les opérations antiterroristes brutales et les pratiques de conscription. Pour leur part, les forces kurdes ont commis des attentats à la voiture piégée contre des villes arabes sous contrôle militaire turc. Dans un tel environnement, chargé de tensions ethniques et de conflits tribaux, l’État islamique peut opérer avec l’acceptation tacite des communautés locales et recruter dans leurs rangs. »</p>
</blockquote>
<p>Sans le soutien américain, les Kurdes ne pourraient assumer cette politique de plus en plus affirmée de revendication territoriale. Mais en faisant le pari exclusif de Washington pour parvenir à former une entité territoriale enclavée dans le nord-est de la Syrie, ils courent le risque, cette fois, d’un conflit ethnique. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Affaiblir l’Iran en promouvant l’autonomie kurde dans le nord-est de la Syrie voisine : telle est la ligne complexe choisie par l’administration Biden.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1497542020-11-12T21:57:31Z2020-11-12T21:57:31ZSur les réseaux sociaux, une djihadosphère en constante évolution<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/369045/original/file-20201112-13-1ogsgi7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=333%2C37%2C1241%2C902&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des centaines de personnes adhérant à l'idéologie djihadiste créent des communautés clandestines sur des réseaux sociaux publics.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/c%C3%A2lin-silhouette-de-l-homme-visages-2709635/">Pixabay/geralt</a></span></figcaption></figure><p>Depuis l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, 187 enquêtes ont été ouvertes pour « menaces » ou « apologie du terrorisme » en France, des propos illicites tenus essentiellement sur les réseaux sociaux rapporte <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/attentat-de-conflans-sainte-honorine-187-enquetes-pour-apologie-du-terrorisme-menaces-ou-provocations-ouvertes-depuis-l-assassinat-de-samuel-paty_4168581.html">France Info</a>.</p>
<p>Ces plates-formes et autres sites web où se retrouvent des individus prônant le djihad armé (combat sacré contre les ennemis de l’islam) constituent ce que nous nommons la « djihadosphère » : des espaces numériques protéiformes aux frontières floues.</p>
<p>En effet, loin d’être un monde clos, divers acteurs s’y côtoient : sympathisants d’organisations terroristes, simples « likeurs » de contenus violents, profils aux discours ambigus (difficiles à catégoriser), et même détracteurs de l’idéologie djihadiste qui tentent d’y faire entendre leur voix.</p>
<p>Or, bien qu’ils se savent épiés, tant par les plates-formes que par les services de renseignement, ces cyber-militants francophones n’en demeurent pas moins <a href="http://www.theses.fr/s191132">actifs et créatifs</a>. Dénonçant la traque numérique dont ils font l’objet, ils adaptent ainsi leurs usages des réseaux comme leurs messages.</p>
<h2>Le cyberdjihadisme, un phénomène en mutation permanente</h2>
<p>Comme on peut le voir dans une vidéo diffusée en octobre 2018 par al-Hayat Media Center (organe de presse de l’État islamique, EI) et citée par Laurence Bindner et Raphael Gluck, <a href="http://ultimaratio-blog.org/archives/9135">spécialistes des stratégies digitales des groupes extrémistes</a>, les consignes des organisations terroristes sont claires :</p>
<blockquote>
<p>« Luttez avec patience dans l’arène numérique et ne laissez aux infidèles aucun répit : s’ils suppriment un compte, bâtissez-en 3, et s’ils en suppriment 3, bâtissez-en 30 » (« Inside the Caliphate », vidéo de l’EI)</p>
</blockquote>
<p>Le combat consiste alors à épuiser les plates-formes dans un mouvement continu de re-création de comptes supprimés, ainsi qu’à diversifier les canaux de communication pour augmenter les chances de survie d’un profil. En outre, se dire djihadiste en ligne revêt des formes différentes selon les périodes.</p>
<p>Les années 2015 à 2017 sont marquées par la représentation du combat : imagerie violente, soutien explicite à l’EI, diffusion de supports de propagande.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="image d’archives" src="https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Images de propagande de l’EI (État islamique) massivement publiées sur les réseaux en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Images de l’EI" src="https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Images de propagande de l’EI (État islamique) massivement publiées sur les réseaux en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais à partir de 2018, la technique du camouflage devient reine. Il s’agit moins de cacher son identité (dans une perspective de « taqîya », de dissimulation des opinions religieuses) que de la rendre méconnaissable et difficilement visible pour l’ennemi. L’objectif pour ces militants : développer un savoir-faire pour faire savoir qu’ils sont là tout en échappant à la surveillance dont ils font l’objet.</p>
<h2>Des signes plus discrets : le camouflage de la haine en ligne</h2>
<p>Depuis fin 2017, à l’heure des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2017/12/10/01003-20171210ARTFIG00070-apres-trois-ans-de-combats-l-irak-declare-la-fin-de-la-guerre-contre-l-etat-islamique.php">défaites militaires</a> pour l’EI et d’une modération accrue par les <a href="https://www.franceculture.fr/numerique/twitter-etait-une-plateforme-de-choix-pour-les-djihadistes">plateformes</a>, le cyberdjihadisme a muté, tout comme le phénomène d’apologie du terrorisme.</p>
<p>Si de nombreux messages glorifient sans détour un attentat ou son auteur, d’autres, plus implicites, passent sous les radars des algorithmes mais aussi des opérateurs multilingues qui analysent <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/10/08/derriere-les-ecrans-de-sarah-t-roberts-le-sale-boulot-des-modos_6055230_3260.html">manuellement les posts signalés</a>.</p>
<p>Un paradoxe est à relever : les stratégies de résistance des sympathisants djihadistes s’opèrent à partir des plates-formes, avec et contre elles.</p>
<p>En effet, l’apologie du terrorisme en ligne est à l’image des discours numériques eux-mêmes : de nature hybride, alliant technique (éléments mis à disposition par le réseau social comme les likes par exemple) et langagier (textes ou images).</p>
<p>Dès lors, un message illicite réside autant dans un discours de haine explicite (« Je veux décapiter des Français ») que dans un faisceau convergent de traces techniques et discursives dont seule la conjugaison fait sens.</p>
<p>En conséquence, un message en apparence anodin peut constituer un discours de haine camouflé.</p>
<p>Par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« C’est Valls qu’il faut remercier 🎵🎵🎵 » (publication du 13 novembre 2017).</p>
</blockquote>
<p>Révélateur du <a href="https://journals.openedition.org/praxematique/4796">phénomène de connivence ironique</a>, ce post fonctionne sur le mode du clin d’œil et fait implicitement l’apologie du terrorisme.</p>
<p>En effet, l’expression « c’est Valls qu’il faut remercier » constitue le refrain d’un chant djihadiste bien connu, « Ma vengeance », appelant à <a href="https://actu17.fr/des-commissariats-dile-de-france-ont-recu-des-appels-avec-des-chants-djihadistes/">commettre des attentats en France</a> et rendant hommage aux kamikazes du Bataclan.</p>
<p>L’équation est alors sans équivoque : date (13 novembre) + texte (« c’est Valls qu’il faut remercier ») + emoji (notes de musique) = apologie du terrorisme.</p>
<p>Sur ce modèle, les tactiques de camouflage se diversifient pour faire la promotion du djihad armé :</p>
<ul>
<li><p>Utilisation d’images-texte et de vidéos (où la reconnaissance automatique du texte mais aussi d’émojis est plus difficile, et la détection de contenus problématiques plus délicate)</p></li>
<li><p>Recours au streaming (puisque les algorithmes de filtrage peinent à détecter la violence en direct)</p></li>
<li><p>Emploi d’un langage codé (emojis/icônes/hashtags)</p></li>
<li><p>Exploitation des memes ou des gifs pour faire passer des messages violents sous le prisme de l’humour</p></li>
<li><p>Publication à des dates particulières qui peuvent faire référence à des actes terroristes</p></li>
<li><p>Floutage des images de propagande</p></li>
</ul>
<h2>Un terrain mouvant</h2>
<p>Néanmoins, le terrain concerné est mouvant. Contexte international et attentats sont susceptibles de provoquer l’effacement temporaire comme l’effervescence de la djihadosphère.</p>
<p>Octobre 2019 donne lieu à plusieurs événements : mort du leader de l’EI, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/la-mort-d-abou-bakr-al-baghdadi-et-ses-consequences_2105088.html">Al Bagdadi</a>, retrait des troupes américaines en Syrie, opération militaire déclenchée par la Turquie contre les Kurdes, évasion supposée de djihadistes français dans le camp <a href="https://www.leparisien.fr/international/en-syrie-les-kurdes-laissent-s-echapper-des-djihadistes-francaises-14-10-2019-8172942.php">d’Aïn Issa</a> et <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/09/au-mali-le-pouvoir-ebranle-par-l-assaut-meurtrier-du-camp-de-boulkessi_1756533">attentats au Mali</a>.</p>
<p>Cet enchaînement provoque l’ébullition de la djihadosphère avec le retour éphémère d’une imagerie ultra violente. De même, la pandémie de Covid-19 suscite une certaine agitation et des hommages au « soldat Corona », <a href="https://twitter.com/MEMRIReports/status/1242017226582118400">meilleur allié de la cause djihadiste</a>.</p>
<p>En outre, les opérations de suppression massive des comptes djihadistes (comme sur Telegram en <a href="http://ultimaratio-blog.org/archives/9135">novembre 2019</a>) ou le durcissement de la modération entraînent de nouvelles techniques de contournement et d’adaptation.</p>
<p>Si aucune manifestation d’adhésion à l’idéologie djihadiste n’est figée, la détermination à rester actifs en ligne est une constante.</p>
<h2>Une persévérance affichée</h2>
<p>Malgré le discours véhément de ces cyber-militants contre la censure des plates-formes, l’acharnement déployé pour y maintenir une visibilité est un invariable. A chaque suppression de profil succède son retour sous un autre pseudonyme, un autre compte, une autre adresse.</p>
<p>Cette persévérance est brandie comme la preuve d’un engagement majeur pour « la cause ». Un même individu peut se constituer des dizaines de profils sur plusieurs réseaux différents, plusieurs individus alimenter un même profil, un homme se cacher derrière un compte de femme et réciproquement ; tout comme un agent infiltré peut semer le doute sur la sécurité du « groupe ».</p>
<p>Difficile de savoir qui sont derrière ces avatars de « moudjahidines » (résistants ou combattants pour la foi, définis comme une poignée de véridiques qui s’engagent dans le djihad armé), mais qu’importe : leurs récits nous permettent de comprendre pourquoi et comment ces acteurs recourent à des médias qu’ils critiquent pour s’exprimer.</p>
<h2>Du cyber-djihadisme au cyber-califat</h2>
<p>L’objectif est d’abord d’y mener une guerre médiatique, pour propager l’idéologie djihadiste tout en remédiant au silence dit coupable des médias traditionnels sur l’oppression de la Oumma (la communauté des musulmans indépendamment de leur nationalité). En cela, ils poursuivent les objectifs des organisations terroristes qui légitiment l’usage de la violence pour venger les musulmans de l’oppression occidentale. Les vidéos de massacres de Syriens, de Palestiniens, de Ouïghours ou de Rohingyas birmans sont au cœur de la propagande de l’EI, partagée sur les réseaux sociaux.</p>
<p>D’ailleurs, selon l’ex-djihadiste repenti Mourad Benchelali, Al-Qaeda recourrait déjà à ce procédé <a href="https://www.fmsh.fr/sites/default/files/files/Rapport%20Propagande%20Bdef.pdf">il y a quinze ans</a> : « Tous les vendredis dans le camp, on nous montrait des vidéos avec des musulmans persécutés dans le monde ».</p>
<p>Mais au-delà d’une tribune ou d’un espace de recrutement, les plates-formes sont des lieux d’apprentissage de la « science religieuse ». On y discute de ce qu’est un « vrai musulman » à coup de versets coraniques et de hadiths. La grande question qui revient : comment être un bon combattant sur les réseaux et non un combattant de vitrine, un faux moudjahid ?</p>
<p>Le discours est jargonneux, les sources citées avec rigueur et la connaissance d’Allah au cœur des interactions. Les échanges amicaux comme les débats y ont leur place car c’est aussi un lieu de socialisation, où l’on déjoue la solitude tout en la mettant en scène. En effet, on se plaint d’être isolé tout en revendiquant une forme de marginalité. La solitude y est donc tourmentée et heureuse puisque c’est celle de l’« étranger » (« ghuraba ») auxquels ces individus s’identifient.</p>
<p>L’étranger, dans le lexique arabe, c’est le musulman qui se sait prisonnier de ce bas monde et qui vit dans la promesse de l’au-delà. C’est cet exilé, sans attaches terrestres, dont la solitude est le bienfait caché d’une détresse illusoire.</p>
<p>Mais ces espaces numériques sont enfin et surtout des lieux d’action en constante transformation, des lieux d’opérations guerrières. Comme si la logique militaire de reconquête territoriale de l’EI s’étendait virtuellement sur le web social, en tant que prolongement voire substitut du champ de bataille.</p>
<p>Dans cette arène médiatique investie par les sympathisants djihadistes, cohabitent ainsi le monde réel, l’ici et maintenant dont l’idéologie dominante est combattue, et l’ailleurs, soit le monde fantasmé du Califat islamique.</p>
<h2>Des communautés en ligne publiques et clandestines</h2>
<p>On pourrait parler d’« hétérotopie de crise » au sens <a href="https://foucault.info/documents/heterotopia/foucault.heteroTopia.fr/">foucaldien du terme</a> : un endroit réservé aux personnes qui rejettent les règles de la société dans laquelle ils vivent ; un contre-emplacement relevant d’un monde virtuel mais dans un espace bien réel, ancré dans les interfaces des plates-formes.</p>
<p>Une chose est sure : ces acteurs du cyberdjihad parviennent à construire des collectifs en ligne, à s’affilier et à se doter d’un territoire, même en l’absence d’espace dédié à leurs membres.</p>
<p>En effet, en parallèle des discussions privées et échanges via messageries cryptées, ils développent sur ces réseaux une visibilité publique au vu et au su de tous. C’est d’ailleurs le propre des hétérotopies de crise : être isolées mais accessibles. Comme le formule justement sur <a href="http://www.psyetgeek.com/internet-une-heterotopie">son blog</a>, Yann Leroux, docteur en psychologie :</p>
<blockquote>
<p>« Elles sont ouvertes, mais sur l’extérieur de sorte que son occupant de passage se trouve comme enfermé dehors. »</p>
</blockquote>
<p>En conclusion, ils développent des signes d’interreconnaissance pour faire groupe, pour communiquer et agir ensemble.</p>
<p>De ce bricolage d’une identité collective et évolutive naissent des communautés en ligne de sympathisants djihadistes ; des communautés publiques et pourtant clandestines.</p>
<hr>
<p><em>L'autrice effectue <a href="http://www.theses.fr/s191132">sa thèse</a> sous la direction de Julien Longhi.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurène Renaut ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dénonçant la traque numérique dont ils font l’objet, les cyber-militants du djihad armé adaptent leurs usages des réseaux comme leurs messages.Laurène Renaut, Doctorante, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1476262020-10-16T14:33:33Z2020-10-16T14:33:33ZRapatriement des enfants de djihadistes : que doit faire le Canada ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362482/original/file-20201008-22-1t39ak6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Samira, originaire de Belgique, marche avec son fils au Camp Roj, dans le nord de la Syrie. Son mari français est emprisonné pour des liens avec l'EI. Elle essaie de rentrer en Belgique où elle dit vouloir réintégrer la société. Mais leur rapatriement suscite la controverse. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Maya Alleruzzo)</span></span></figcaption></figure><p>Ils vivent dans des camps de réfugiés, surpeuplés, dans des conditions insalubres, sans éducation et parfois, sans les soins de base. Ils sont pourtant nés de parents canadiens. Mais ces derniers sont partis faire le djihad et à ce titre, leur rapatriement n’est ni populaire, ni considéré comme prioritaire.</p>
<p>Le 5 octobre, le gouvernement canadien a annoncé le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1738798/amira-orpheline-syrienne-rapatriement-canada-famille">rapatriement de l’un d’eux, la petite Amira</a>, une orpheline canadienne de cinq ans. Ses parents, qui avaient rejoint Daech, ont été tués en 2019 à Baghouz lors d’une frappe aérienne.</p>
<p>Cette « exfiltration » intervient à la suite d’un âpre combat mené par sa famille torontoise. Celle-ci a d’ailleurs intenté une poursuite judiciaire contre l’État canadien afin d’obtenir son rapatriement. Réticent à accueillir ces ressortissants considérés comme des <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/pblc-rprt-trrrsm-thrt-cnd-2018/index-fr.aspx?wbdisable=true">voyageurs extrémistes canadiens (VEC)</a>, le Canada a été critiqué à maintes reprises pour son manque de proactivité et <a href="https://www.latribune.ca/actualites/il-faut-ramener-les-enfants-des-canadiens-radicalises-croit-le-professeur-david-morin-1eaf4c16d013c1bbd5d079cbd188fcaa">interpellé</a> afin de faciliter le retour des enfants des VEC.</p>
<p>Quel traitement le Canada doit-il réserver à ces enfants et aux mineurs canadiens qui reviennent des zones considérées comme des foyers en puissance et de formation au terrorisme ?</p>
<p>Je m’intéresse à l’encadrement des sorties de violences dans le cadre de mes recherches doctorales. En étudiant les trajectoires des individus ayant rejoint les organisations terroristes, j’en suis venue à réfléchir à la façon dont les États doivent encadrer le retour de ces citoyens « problématiques ». Quels sont les principaux enjeux que soulèvent ces situations délicates et controversées ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des enfants jouent dans une flaque de boue dans la section pour les familles étrangères du camp Al-Hol, en Syrie. Malgré les appels de leurs mères pour un retour dans leurs pays d’origine, les gouvernements sont réticents à autoriser le retour de leurs ressortissants. (AP Photo/Maya Alleruzzo).</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Maya Alleruzzo</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Rapatriement massif ou au cas par cas</h2>
<p>Contrairement à la France ou aux États-Unis, le Canada n’a <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2020/06/canada0620fr_summary_recs.pdf">qu’une très faible proportion de VEC dans la zone syro-irakienne</a> soit huit hommes, 13 femmes et 25 enfants. Toutefois, l’opinion publique est partagée entre d’une part, les obligations internationales en matière de droits des enfants et d’autre part, celles relatives aux impératifs sécuritaires. Le gouvernement canadien a toujours justifié ses réserves pour procéder au rapatriement en raison de l’absence de représentation diplomatique dans ces zones sensibles et la <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/587244/un-premier-enfant-de-combattants-en-syrie-rapatrie-au-canada?fbclid=IwAR1D_U0MkwavdzlA0R8RGnaUxLmzpozSAAvervjY14T5wN54Gh1frwRuGXM">complexité des opérations de sauvetage</a>, qui nécessite une planification logistique importante.</p>
<p>Il y a de plus absence de consensus sur le plan international concernant la démarche à suivre par les États pour faire face à ces retours souhaités par les ex-djihadistes eux-mêmes ou par les familles de ces derniers.</p>
<p>L’<a href="https://www.un.org/press/fr/2020/sc14292.doc.htm">énième échec</a> de l’adoption d’une résolution le 31 août par le Conseil de Sécurité sur le sort des combattants djihadistes étrangers reflète bien la cristallisation des deux tendances qui s’opposent sur la scène internationale. Tandis que les <a href="https://www.justice.gov/opa/pr/united-states-has-repatriated-27-americans-syria-and-iraq-including-ten-charged-terrorism">États-Unis</a> et la <a href="https://www.france24.com/en/20190611-repatriation-families-islamic-state-group-jihadists-children">Russie</a> soutiennent le rapatriement systématique de tous les ressortissants ayant rejoint l’État islamique, plusieurs pays européens militent pour qu’on les traduise en justice « au plus près de l’endroit » où leurs crimes ont été commis et pour le rapatriement au cas par cas. Cette position est également partagée par le gouvernement canadien qui ne procède jusqu’ici au rapatriement que pour des cas « exceptionnels ».</p>
<p>Or, cette « compassion » à géométrie variable est difficile à justifier eu égard aux principes d’égalité et de non-discrimination. Les États ont des obligations légales et internationales à l’égard de leurs ressortissants. En outre, cette empathie sélective freine également les réflexions sur l’élaboration de politiques et la mise en œuvre de stratégies qui seraient adaptées pour gérer ces rapatriements.</p>
<p>Ces réticences s’expliquent en partie en raison des nombreux obstacles auxquels la justice fait face pour juger les VEC au Canada pour des crimes commis en Irak ou en Syrie. Il faut en effet rappeler que les individus qui ont rejoint Daech sont présumés avoir participé à des <a href="https://news.un.org/fr/story/2019/11/1057011">exactions graves</a>, et qu’ils peuvent constituer une sérieuse menace à leur retour. Toutefois, l’enjeu sécuritaire mérite pourtant ici d’être remis en question s’agissant des enfants de VEC.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des enfants dorment alors que des dizaines de femmes et d’enfants liés aux combattants du groupe de l’État islamique attendent de monter dans des bus et des camions, quittant le camp surpeuplé d’Al-Hol, en Syrie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Maya Alleruzzo, File</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Accueillir les enfants de VEC : entre panique morale et réalité de la menace</h2>
<p>Sur le terrain médiatique, le retour des VEC et/ou de leur progéniture est resté très controversé en raison des motifs sécuritaires et des risques d’endoctrinement à la suite de leurs trajectoires.</p>
<p>Plusieurs travaux académiques ont en effet mis en lumière les méthodes de Daech pour former des <a href="https://doi.org/10.1080/1057610X.2016.1221252">soldats du califat</a> à travers l’utilisation par exemple de <a href="https://doi.org/10.1080/15507394.2020.1728027">manuels scolaires comme outils de propagande</a>.</p>
<p>Toutefois, la tendance médiatique accrue à présenter ces enfants comme étant systématiquement une nouvelle génération de « terroristes mineurs », des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/ces-enfants-soldats-de-Daech-appeles-bombes-a-retardement-je-les-ai-rencontres_fr_5d569e4be4b056fafd0aa8c5">bombes à retardement</a> ou de <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/jijis9&div=17&id=&page=">« folk devils »</a> peut s’assimiler à la panique morale, théorie développée dans les travaux du chercheur <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-61821-0_2">Stanley Cohen</a>. Elle conduit à définir un groupe de personnes comme un danger pour la société, ce qui oriente la mise en place de contrôles sociaux plus sévères.</p>
<p>Ce portrait pourtant très stéréotypé des enfants de djihadistes en général fait de ceux-ci des boucs émissaires d’une situation dans laquelle ils n’ont pas choisi d’être. De plus, la moyenne d’âge des enfants de VEC, qui est de six ans, permet de relativiser les risques qu’ils sont censés représenter pour la société et montre l’intérêt de les intégrer rapidement à une vie normale. La crainte d’accueillir ces enfants parce qu’ils ont eu des liens présumés étroits avec Daech ne devrait certainement pas occulter le fait qu’ils sont retenus dans des camps de détention en Syrie où ils vivent dans des conditions dégradantes.</p>
<p>Des chercheurs ont également mis en lumière, dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0145213420304099">étude récente</a>, l’impact des expériences traumatiques des enfants qui reviennent de territoires anciennement contrôlés par Daech sur leur développement et leur bien-être. Dans la même veine, des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/series/ma-fille-sous-influence">initiatives</a> visant à humaniser ces derniers et à nuancer l’opinion publique quant à leur sort ont été entremises à travers des documentaires à l’instar du balado <a href="https://www.telequebec.tv/documentaire/les-poussieres-de-Daech/"><em>Poussières de Daech</em></a> qui illustre bien la détresse des familles et l’étendue de la complexité de ces enjeux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes font la queue pour obtenir des fournitures d’aide au camp Al-Hol, en Syrie. Le camp a dépassé sa pleine capacité, avec plus de 70 000 résidents provenant des anciennes zones contrôlées par l’État islamique en Syrie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Maya Alleruzzo, File</span></span>
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<h2>Une synergie dans les interventions</h2>
<p>En attendant que sur le plan international les pratiques et réglementations s’harmonisent au moyen de la coopération diplomatique, le gouvernement canadien doit se pencher sur le cas des enfants qui courent les risques d’apatridie parce qu’ils sont nés dans les territoires contrôlés par Daech. </p>
<p>Les difficultés éventuelles pour le placement des fratries sont aussi à considérer, tandis qu’un accompagnement particulier doit être fait pour la reconstitution de ces familles. En outre, il est nécessaire d’assurer une synergie dans les interventions. Il faut coordonner une approche multisectorielle, notamment entre la Gendarmerie royale du Canada, les services de la protection de l’enfance et la jeunesse ainsi que les services psychosociaux.</p>
<p><em>In fine</em>, au risque de faire la politique de l’autruche, une réflexion doit être nécessairement menée concernant le rapatriement des VEC adultes et les mesures pénales qui doivent leur être appliquées. Il serait en effet questionnable de la part d’un pays respectueux des droits humains d’organiser uniquement les retours des orphelins ou d’arracher des enfants à leurs parents au motif qu’ils sont des VEC.</p>
<p>Pour les mères qui accompagnent ces enfants et qui ont parfois perdu leurs époux dans ces zones, le Canada doit aussi développer une stratégie pertinente pour faciliter leur réintégration ou encore, leur judiciarisation, si leurs <a href="https://www.lecho.be/dossier/etatislamique/les-femmes-de-Daech-etaient-souvent-pires-que-les-hommes/10117187.html">exactions peuvent être prouvées</a>. Ces réflexions s’imposent d’ailleurs, dans la mesure où les autorités kurdes viennent d’annoncer la <a href="https://information.tv5monde.com/video/syrie-les-autorites-kurdes-annoncent-la-liberation-de-milliers-de-prisonniers-du-camp-d-al-hol">libération de milliers de prisonniers et de familles de djihadistes</a> du plus grand camp de réfugiés de Syrie, Al-Hol. Ils sont pour la majorité des citoyens occidentaux dont le rapatriement fait toujours l'objet de débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147626/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lydie C. Belporo a reçu un financement du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). </span></em></p>Après avoir investi d’importants efforts pour la prévention contre l’extrémisme violent, il reste difficile pour les États de gérer la phase post Daech et notamment le retour des anciens combattants.Lydie C. Belporo, Doctorante à l'École de Criminologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1424242020-09-10T18:39:26Z2020-09-10T18:39:26ZLes yézidis : du trauma au combat politique<p>En août 2014 l’État islamique (EI) a attaqué les yézidis de la région de Sinjar (Irak). Des milliers d’hommes ont été tués, des milliers de femmes et enfants ont été kidnappés et des centaines de milliers de yézidis ont été contraints à l’exil. Les <a href="https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-254">yézidis</a>, (communauté confessionnelle ou ethno-confessionnelle partagée entre l’Irak, la Syrie, la Turquie et le Caucase) inconnus de l’Occident, ont fait la une des journaux, portant leur attention, dans la très grande majorité des cas, sur les esclaves sexuelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition de la population yézidie en Irak et en Syrie.</span>
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<p>Les yézidis, dans leur malheur, ont incarné pour l’Occident les victimes par excellence de l’EI. Dans un élan de compassion, des actions ont été mises en place par les gouvernements ou par des ONG et associations : programmes d’aide humanitaire, programmes de soutien psychologique pour les femmes ex-captives, procédures d’accueil. La nomination de Nadia Murad ex-captive de l’EI pour le <a href="https://www.lemonde.fr/prix-nobel/article/2018/10/05/nadia-murad-des-chaines-de-l-etat-islamique-au-prix-nobel-de-la-paix_5365315_1772031.html">prix Nobel de la Paix en 2018</a> s’inscrit dans cette suite d’actions.</p>
<h2>Du salon de beauté au prix Nobel pour la paix</h2>
<p>Nadia Murad est une jeune femme d’origine modeste. Son destin bascule le 3 août 2014, lorsque son village – Kocho, au sud des monts Sinjar – est envahi par l’EI. Les assaillants divisent les habitants en plusieurs groupes : les hommes et les personnes âgées sont exécutés et jetés dans des fosses communes ; les femmes et les enfants sont enlevés.</p>
<p>Ces femmes sont par la suite vendues sur des marchés aux esclaves, tandis que les enfants sont enrôlés dans les rangs de l’EI. <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2018/murad/55710-nadia-murad-nobel-lecture-3/">Nadia Murad a alors 21 ans</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Je rêvais de finir mes études secondaires, d’ouvrir un salon de beauté dans notre village et de vivre près de ma famille à Sinjar. Mais ce rêve a tourné au cauchemar. »</p>
</blockquote>
<p>En quelques heures, elle voit périr sa mère et six de ses frères avant d’être emmenée avec deux de ses sœurs à Mossoul. Elle racontera plus tard aux médias occidentaux comment elle fut contrainte à l’esclavage sexuel, comment elle tenta une première fois de s’enfuir, comment elle fut rattrapée et sévèrement punie. Pendant des semaines, elle passa de propriétaire en propriétaire jusqu’au jour où elle parvint à s’échapper. Elle courut alors dans les rues en frappant aux portes jusqu’à ce qu’une famille musulmane sunnite accepte de l’héberger. Celle-ci lui donna les papiers d’identité de leur fille pour qu’elle puisse passer la frontière et rejoindre un camp de réfugiés près de Dohuk au Kurdistan irakien.</p>
<p>Sous un prénom d’emprunt, Nadia Murad réalisa un <a href="https://www.lalibre.be/international/la-sixieme-nuit-j-ai-ete-violee-par-tous-les-gardes-salman-a-dit-elle-est-a-vous-maintenant-54e9fd2a35701001a1dfe527">premier témoignage</a> en février 2015, publié dans le journal <em>La Libre Belgique</em>. En septembre 2015, l’ONG américaine Yazda l’aida à rejoindre sa sœur en Allemagne. L’association avait été fondée un an plus tôt par des yézidis vivant aux États-Unis pour porter assistance aux yézidis de la région de Sinjar.</p>
<p>Elle sut mettre à profit pour Nadia Murad et d’autres femmes dans la même situation une politique de quotas que le gouvernement du Baden-Württemberg venait d’adopter. Le sort de Nadia, parvenue en Allemagne, attira l’attention de l’avocate <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2019/02/10/le-combat-damal-clooney-en-faveur-des-yezidis/">Amal Clooney</a>, spécialiste du droit international. Par son entremise, Nadia Murad est amenée à témoigner devant le Conseil de sécurité des Nations unies. À la suite de cette intervention, le Conseil s’engage à aider l’Irak à réunir les preuves des crimes commis contre les yézidis. La jeune femme est nommée en 2016 « Ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/T3k5cO6qA2w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Alexandria Bombach,On her shoulders, Los Angeles, RYOT Films, 95 min, 2018.</span></figcaption>
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<p>La même année, elle reçoit le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit avec Lamia Haji Bachar, autre rescapée de l’EI, et le prix des droits de l’homme Václav-Havel. En 2018, elle reçoit le prix Nobel de la paix, partagé avec Denis Mukwege. Nadia Murad est l’auteur <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/pour-que-je-sois-la-derniere-9782213705545">d’un récit</a> sur son calvaire paru en 2018. Un film documentaire lui a également été consacré, ainsi que de nombreux articles de journaux dans la presse internationale.</p>
<h2>Des victimes exemplaires</h2>
<p>Depuis 2014, les médias occidentaux ont porté à maintes reprises leur attention sur le sort des yézidis, et en particulier sur celui des esclaves sexuelles. Les femmes interviewées sont questionnées sur les violences personnelles qu’elles ont subies. Le portrait de ces femmes est celui de victimes exemplaires ayant enduré les pires supplices tout en conservant leur foi. Dans une époque que Didier Fassin et Richard Rechtman décrivent comme un <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/l-empire-du-traumatisme">« empire du traumatisme »</a>, les esclaves sexuelles ont ému l’Occident et semblent avoir gagné, par leur histoire personnelle traumatique, le statut de « victimes légitimes ».</p>
<p>Leur trauma n’est plus considéré comme une simple condition psychique qui les affecte et leur confère une communauté de destins. Il acquiert, continuent les auteurs, une « légitimité » morale en vertu de laquelle est établie la justesse de leurs plaintes.</p>
<p>Nadia Murad est ainsi devenue, contre toute attente, la porte-parole principale des yézidis, rompant avec les règles strictes qui dominent la communauté yézidie, régie par un système de groupes endogames, héréditaires et strictement hiérarchisés.</p>
<h2>Un court-circuit des autorités traditionnelles</h2>
<p>Traditionnellement, les porte-paroles des yézidis sont le <em>mîr</em>, chef spirituel des yézidis (dont le statut est héréditaire), et le conseil spirituel dirigé par le <em>baba cheikh</em> et constitué d’hommes issus de <a href="https://books.google.fr/books/about/Yezidism_its_Background_Observances_and.html?id=OTQqAQAAMAAJ&redir_esc=y">lignages religieux</a>.</p>
<p>Nadia Murad est une femme, jeune, d’un lignage de disciples (<em>mirîd</em>). Rien ne la prédestinait à devenir ambassadrice de son groupe. Au regard des règles en vigueur dans la communauté, Nadia Murad aurait même dû être excommuniée pour avoir eu des relations sexuelles avec des non-yézidis.</p>
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<img alt="Deux chefs religieux yezidis" src="https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mîr Tahsin Saied Beg (à gauche) avec le baba cheikh Khurto Hajji Ismail, chefs religieux des Yezidis d’Iraq.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jesidische_Geistliche.jpeg">Shalwol/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette règle était appliquée jusqu’en 2014 de manière stricte. Cependant, au vu du nombre des viols – des femmes ont été kidnappées dans la quasi-totalité des familles de la région de Sinjar –, le <em>mîr</em> a déclaré que les femmes réduites en esclavage par l’EI pourraient effectuer un « baptême de réintégration » au temple de Lalesh.</p>
<h2>« Redevenir » yézidies</h2>
<p>Situé dans les montagnes du Kurdistan irakien, ce temple constitue le lieu de pèlerinage principal des yézidis. Le rituel, qui inclut des ablutions avec l’eau de la source sacrée (<em>kaniya spî</em>), fut inventé pour ce cas spécifique et a permis aux anciennes captives de « redevenir » yézidies.</p>
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<img alt="Temple yezidi de Lalish" src="https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Temple de Lalish ou Lalesh, dans les montagnes du Kurdistan irakien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lalesh#/media/Fichier:Lalish.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Les dispositifs médico-sociaux mis en place en Occident à leur égard et l’attention médiatique qu’elles ont reçue ont certainement également contribué à leur préserver une place au sein de la communauté.</p>
<p>Mes interlocuteurs yézidis apprécient Nadia Murad. Ils la suivent sur Facebook et postent des commentaires en pluies de cœurs à chacune de ses actions. Ils admirent son courage pour parler de choses si intimes en public et son combat pour la cause de leur communauté. C’est surtout le cas des plus jeunes d’entre eux : les personnes âgées sont parfois plus réservées. D’après Rehan, une yézidie de 18 ans originaire de Sinjar, réfugiée dans la Drôme :</p>
<blockquote>
<p>« les vieux pensent à l’honneur (namûs) et à la honte (șerm) et ils n’aiment pas qu’on parle trop de Nadia ».</p>
</blockquote>
<p>La publicité internationale autour de l’esclavagisme sexuel pratiqué par l’EI a souligné l’incapacité des hommes yézidis à défendre l’honneur de leurs femmes.</p>
<p>Lors de la commémoration du génocide de Sinjar organisée le 3 août 2019 à Sarcelles par l’ONG Voice of Ezidis, Diler, 25 ans, originaire de Sinjar et réfugié à Soissons, <a href="https://www.rfi.fr/en/france/20190805-yazidi-genocide-commemoration-france-islamic-state-iraq">confiait à une journaliste de RFI</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quand ta sœur est kidnappée et utilisée comme esclave sexuelle et que tu réalises que tu ne peux rien faire, alors tu perds ta dignité et ton respect. »</p>
</blockquote>
<p>Ce genre de témoignage est en fait peu courant dans les médias, où les paroles d’hommes, d’enfants et de personnes âgées sont rares. Les voix qui s’éloignent du stéréotype narratif sur les yézidis – les femmes captives et la narration victimaire qui y est associée – s’expriment surtout dans les discussions intracommunautaires, mais restent sous-représentées dans les médias.</p>
<h2>« Le visage du génocide »</h2>
<p>Aujourd’hui, Nadia Murad est peu ou prou la seule personne yézidie connue internationalement. Sa visibilité et sa légitimité sont le fruit d’un travail complexe mené largement en dehors de sa communauté d’origine.</p>
<p>L’Américaine Elizabeth Schaeffer-Brown fut l’une des personnes impliquées dans ce processus. En tant que cofondatrice d’une société de conseil et de relations publiques aux États-Unis, <a href="https://www.latimes.com/opinion/story/2019-10-10/yazidi-nobel-peace-prize-nadia-murad">elle prit en charge</a> la campagne de promotion de Nadia Murad :</p>
<blockquote>
<p>« C’était mon travail de persuader l’élite sociale, économique et politique que soutenir Nadia et les yézidis leur permettrait de se présenter au monde comme vertueux. Notre petite équipe avait travaillé à faire augmenter la valeur (value) de Nadia […] en faisant d’elle le visage du génocide. Quand Nadia a gagné le prix Nobel, elle est devenue une marque (<em>a brand</em>), une célébrité. Les pays, les millionnaires et les ONG ont payé cher la fondation Nadia’s Initiative pour que Nadia vienne leur parler. »</p>
</blockquote>
<p>Ce travail parfaitement ciblé et informé permit à la narration victimaire de Nadia Murad de se transformer en un combat politique. Nadia Murad demande aujourd’hui une réparation collective : la reconnaissance du crime de génocide commis par l’EI à Sinjar et le jugement des coupables par une cour internationale.</p>
<h2>Impact concret</h2>
<p>En incarnant les victimes de l’EI et en leur donnant voix, Nadia Murad occupe une place stratégique au croisement des intérêts des yézidis et de ceux de la communauté internationale. Érigée en victime exemplaire, elle a désormais accès aux plus hautes instances diplomatiques et politiques (ONU, gouvernements, G10, etc.).</p>
<p>Ceci lui permet de demander, voire de « proposer », d’égal à égal. À la suite, par exemple, de l’entretien qu’elle eut avec le président français Emmanuel Macron en 2018, un <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/10/26/communique-entretien-du-president-de-la-republique-avec-mme-nadia-murad-prix-nobel-de-la-paix-201">communiqué de l’Élysée annonçait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« en réponse à la proposition de Nadia Murad, la France accueillerait 100 femmes yézidies victimes de l’EI, libérées mais actuellement bloquées et sans soins dans les camps de réfugiés du Kurdistan irakien ».</p>
</blockquote>
<p>Une telle communication montre à la fois la force et les limites de l’action d’une victime diplomate. Sa « proposition », telle qu’elle est entendue et représentée par la diplomatie française, ne semble porter que sur les femmes.</p>
<h2>Les limites de l’approche victimaire</h2>
<p>Dans les faits, la France a également accueilli leurs enfants, et parfois leur mari lorsque celui-ci était encore en vie (près de 500 personnes en tout). Mais dans le contexte émotionnel induit par la figure de Nadia Murad, les victimes à secourir n’étaient pas ces familles yézidies vivant dans la détresse. L’aide mise en place ne devait concerner spécifiquement que les femmes qui ouvraient l’accès au droit d’asile pour les autres survivants, comme si la cause des yézidis en tant que communauté était subordonnée à celle des femmes en tant que genre opprimé.</p>
<p>Le rôle politique d’une victime exemplaire est également limité par le principe même de sa légitimité : son statut lui permet de dénoncer et de demander réparation, mais pas de prendre part aux choix concrets qui affectent la politique régionale, ni même de promouvoir auprès de son auditoire international les particularités culturelles de sa communauté d’origine.</p>
<p>Ainsi, alors que différents groupes politiques pourraient soutenir un projet de reconstruction de la région de Sinjar (prokurde ou pro-Irak par exemple), Nadia Murad ne se prononce pour aucune d’entre elles. Elle ne parle jamais des spécificités de la communauté yézidie comme l’obligation d’endogamie ou l’organisation en castes hiérarchisées.</p>
<h2>Un diplomatie par l’émotion</h2>
<p>Nadia Murad incarne ainsi parfaitement la barbarie de l’État islamique et justifie le combat à l’encontre de cette idéologie. Mais elle ne porte, elle-même, aucune autre cause si ce n’est celle fort générale de la justice et des droits de l’Homme. Pour les yézidis eux-mêmes, elle n’est qu’une des nombreuses victimes exemplaires dont ils gardent la mémoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des bougies sont allumées sur la stèle en hommage aux victimes de Sinjar le 3 août 2020 à Sarcelles (commémoration organisée par les associations « Voice of Ezidis » et « Union des Yezidis de France »).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Estelle Amy de la Bretèque</span></span>
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</figure>
<p>Davantage que les méfaits d’un système de pensée totalitaire et extrémiste, ces figures incarnent l’un des rares points de consensus au sein de la communauté et dans ses relations avec les sociétés environnantes. Le massacre de Sinjar n’est en effet pas le premier dont les yézidis furent victimes. Dans le calendrier yézidi, Sinjar est le 74ème massacre (<em>ferman</em>). Pour ne citer que les deux précédents <em>ferman</em>, le 73ème, en 2007, est l’explosion de deux voitures piégées dans la région de Sinjar (à Qahtaniya et Siba Cheikh Khidir) qui a fait plus de 500 victimes. Le 72ème <em>ferman</em> était le génocide arménien de 1915-16 au cours duquel de nombreux yézidis ont aussi été tués.</p>
<p>La mémoire des persécutions fait émerger une diplomatie par l’émotion qui constitue aujourd’hui le cadre dans lequel les yézidis peuvent faire entendre leur voix et espérer agir en tant que minorité dans l’arène internationale.</p>
<hr>
<p><em>Billet publié en collaboration avec le <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a>. Dans le numéro 73, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/19542">« Homo diplomaticus »</a>, Terrain s’écarte de la diplomatie traditionnelle pour observer des pratiques émergentes, ou non occidentales, en prêtant une attention spéciale aux adaptations et aux inventions des vaincus</em>.</p>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Amy de la Bretèque remercie le Cpa-Ethnopôle « Migrations frontières, mémoires » de Valence pour son soutien logistique lors de ses recherches de terrain auprès des Yézidis de la Drôme.</span></em></p>Victimes par excellence de l’État Islamique, les yezidis sont aujourd’hui représentés par Nadia Murad, figure de la scène internationale qui rompt pourtant avec les traditions de sa communauté.Estelle Amy de la Bretèque, Anthropologue, Ethnomusicologue, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1361482020-04-19T17:57:11Z2020-04-19T17:57:11ZIdlib : vers un rapprochement entre la Turquie et les États-Unis ?<p>Début 2020, la guerre civile syrienne semble toucher à sa fin : seule la province d’Idlib demeure sous le joug des rebelles. Cette région, jusqu’alors épargnée grâce au cessez-le-feu négocié avec la Turquie en septembre 2018, est pourtant la cible d’une offensive du régime de Damas le 27 février dernier, qui se solde par la mort d’une trentaine de soldats turcs. Une escalade s’ensuit. La Turquie contre-attaque, laissant ses alliés de l’Alliance atlantique perplexes. S’ils témoignent leur solidarité à Ankara, ils n’en redoutent pas moins qu’un conflit éclate entre un allié de l’OTAN et la Russie, sans qui l’offensive d’Al-Assad n’aurait pas été possible.</p>
<p>Face à l’éventualité d’un tel développement qui ne sied ni à Moscou ni à Ankara, les deux pays s’accordent sur la mise en place d’un <a href="http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-syrie-les-pr%C3%A9sidents-turc-et-russe-s-entendent-cessez-le-feu-%C3%A0-idleb">nouveau cessez-le-feu</a> le 5 mars, prévoyant l’instauration d’un corridor de sécurité de 6 km de profondeur le long de certaines sections de la stratégique autoroute M4 qui traverse la province d’Idlib et est surveillée conjointement par des patrouilles russes et turques.</p>
<p>Mais au-delà de la résolution de la guerre civile syrienne, se joue à Idlib la place de l’État pivot turc sur les échiquiers américain et russe. Cet épisode illustre en effet la fragilité de la relation turco-russe et la dépendance d’Ankara envers une OTAN qu’elle a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/syrie-le-president-turc-demande-le-soutien-concret-de-l-otan-20200309">directement sollicitée</a> ; il pourrait favoriser un apaisement de la relation turco-occidentale et contribuer à ce que la Turquie s’éloigne de la Russie.</p>
<h2>Les fractures turco-américaines</h2>
<p>Afin de comprendre dans quelle mesure la crise d’Idlib peut permettre d’envisager une amélioration de la relation turco-occidentale, on ne peut faire l’économie du contexte dans lequel elle s’inscrit. Parce que les tensions entre Washington et Ankara sont particulièrement vives, cet article privilégie l’étude de la relation turco-américaine.</p>
<p>Depuis le début de la guerre civile syrienne, les contentieux n’ont cessé de croître entre la Turquie et ses alliés de l’OTAN, à commencer par les États-Unis. Alors qu’en 2011 Ankara s’engage, de concert avec la France, dans le soutien à la rébellion face à Al-Assad, l’administration Obama adopte une position plus timorée, condamnant certes le régime de Damas mais se montrant peu encline à s’investir dans ce conflit et à soutenir concrètement l’opposition.</p>
<p>Cette oscillation n’est pas sans générer de l’amertume à Ankara qui réclame en outre, depuis fin 2012, la création d’une zone de sécurité à sa frontière pour faire face à l’afflux massif de réfugiés qui cherchent l’asile en Turquie et en Europe, ce que les <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/derek-chollet/the-long-game/9781610396608/">Américains refusent</a>. La rancœur turque s’accroît encore lorsque l’administration Obama, suite à l’utilisation de gaz sarin par le régime d’Al-Assad en 2013 contre sa population – ligne rouge fixée par les Américains –, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/01/01003-20130901ARTFIG00018-le-volte-face-de-barack-obama-sur-la-syrie.php">fait volte-face</a> et annule au dernier moment l’opération prévue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1035413571755225088"}"></div></p>
<p>Surtout, c’est l’arrivée de Daech sur le terrain syrien qui place la relation entre la Turquie et l’Occident au bord du précipice. Car en 2014, afin de lutter contre l’État islamique, les Américains et les Européens décident de soutenir et d’armer le PYD/YPG en dépit des fortes objections formulées par Ankara qui considère ces formations comme étant des émanations du PKK, groupe terroriste kurde opérant contre son pays. L’anti-américanisme des Turcs est alors à son paroxysme. Du côté des Américains, la déception grandit également face à la dérive autoritaire qui s’esquisse à Ankara et la réticence de l’allié turc à agir décisivement contre Daech (le YPG/PKK étant l’ennemi prioritaire).</p>
<p>Le coup d’État de juillet 2016 en Turquie et les gigantesques <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/turquie-la-purge-sans-fin-derdogan-994557">purges</a> qui s’ensuivent aggravent les tensions entre Washington et Ankara, le gouvernement AKP allant jusqu’à accuser les États-Unis d’avoir contribué à la tentative de putsch, tandis que l’administration Obama déplore les manquements démocratiques turcs.</p>
<p>Dans ce contexte, la <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2018-05-08/friends-benefits">Turquie se rapproche de la Russie</a> qui, contrairement à ses alliés européens et américains, s’est empressée de témoigner sa solidarité aux Turcs suite au coup d’État. Ce rapprochement russo-turc débouche même sur l’acquisition par Ankara de missiles anti-aériens russes, les <a href="https://www.trtworld.com/turkey/what-does-the-purchase-of-russian-s-400s-mean-to-turkey-409563">S-400</a>, nouvelle source de friction entre la Turquie et l’Occident. Non seulement un allié de l’OTAN achète du matériel militaire à la Russie, mais surtout le système des S-400 est jugé incompatible avec les F-35 de l’OTAN que la Turquie devait recevoir, au motif que Moscou pourrait recueillir des renseignements sur ces F-35 de <a href="https://www.csis.org/analysis/great-unwinding-us-turkey-arms-sales-dispute">nature à compromettre leurs capacités</a>. La livraison de ces appareils à Ankara est donc suspendue.</p>
<h2>L’occasion d’apaiser les relations avec la Turquie ?</h2>
<p>Pourtant, la relation russo-turque n’est guère solide, les deux partenaires étant des rivaux historiques et soutenant des camps opposés dans divers conflits régionaux que ce soit en Libye ou en Syrie, le cas d’Idlib en étant l’illustration la plus notable. Cette collision russo-turque peut dès lors permettre d’envisager un rapprochement turco-occidental. On l’a dit, face à l’assaut d’Al-Assad, Ankara s’est tournée de nouveau vers ses alliés de l’OTAN et <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_173923.htm">a convoqué l’article 4 de l’Alliance atlantique</a>, en vertu duquel « tout allié peut demander des consultations chaque fois qu’il estime que son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité est menacée ».</p>
<p>Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, s’empresse d’<a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_174288.htm">apporter son soutien à la Turquie</a>, suivi du secrétaire d’État américain <a href="https://www.state.gov/secretary-pompeos-remarks-to-the-press/">Mike Pompeo</a>. Dans la foulée, la Turquie <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/27/world/middleeast/russia-turkey-syria-war-strikes.html">réitère sa volonté</a> de voir l’OTAN établir une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie afin de limiter l’afflux massif de réfugiés se dirigeant vers le territoire turc et de protéger les civils d’Idlib ; peut-être peut-on aussi y voir une tentative d’Erdogan de peser sur les négociations d’après-guerre afin que les Kurdes du nord-est de la Syrie soient <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/22/opinion/syria-turkey-refugees.html">tenus à l’écart de son pays</a>.</p>
<p>De plus, non sans ironie, Ankara, qui vient de recevoir les S-400 russes, réclame à ses alliés des missiles Patriot américains pour faire face à l’offensive syro-russe. Si l’Espagne, dans le cadre de l’OTAN, les fait parvenir à la Turquie, Washington, elle, appose une condition préalable : <a href="https://www.state.gov/u-s-ambassador-to-nato-kay-bailey-hutchison-on-u-s-engagement-in-nato/">qu’Ankara rende le système des S-400 inopérable</a>, ce que le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoǧlu, refuse pour l’heure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1235538047443193857"}"></div></p>
<p>Convaincre les Turcs de ne pas activer les S-400 serait un accomplissement majeur en vue du sauvetage de la relation turco-américaine. Le Sénat ne serait alors pas en mesure d’apposer des sanctions à la Turquie en vertu du <a href="https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/Pages/caatsa.aspx">CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act)</a> comme il s’apprête à le faire.</p>
<p>Si le retrait des troupes américaines du nord-est de la Syrie en octobre 2019 a déjà permis une amélioration – la question des milices kurdes n’étant plus source de friction –, retirer la seconde épine fragilisant cette relation permettrait de consolider ce rapprochement. En revanche, comme le souligne un <a href="https://fas.org/sgp/crs/mideast/R44000.pdf">rapport du Congressional Research Service</a>, en cas d’échec Trump ne pourra plus faire pression sur le Congrès pour empêcher la mise en place desdites sanctions, dont l’adoption aurait très probablement pour conséquence d’attiser la rancœur des Turcs, qui se rapprocheraient alors de la Russie et l’Iran, <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">crainte majeure</a> des États-Unis depuis les années 1990. Il faut dire que l’État pivot turc est considéré comme une pièce maîtresse de l’échiquier eurasiatique et moyen-oriental américain, indispensable pour contrer l’influence de Moscou et Téhéran dans ces régions ; son détournement définitif de l’Occident, tel celui de l’Iran en 1979, serait une perte stratégique majeure.</p>
<h2>Une sortie de crise en perspective ?</h2>
<p>Si une fenêtre d’opportunité s’ouvre bel et bien aujourd’hui, il n’est pas certain que la relation turco-américaine se solidifie à terme.</p>
<p>Certes, dans un contexte où la superpuissance américaine se désengage des affaires du Moyen-Orient et où la Turquie, a contrario, souhaite jouer un rôle de leader régional, on peut imaginer qu’une collaboration se maintienne, les États-Unis sous-traitant certains dossiers à la puissance émergente turque. Seulement, les intérêts d’Ankara peuvent parfois se heurter à ceux de Washington ou à ceux d’autres alliés des États-Unis tels Israël ou l’Arabie saoudite. Ainsi, selon toute vraisemblance, dans un contexte où la communauté de valeurs libérales s’érode, la relation turco-américaine a vocation à devenir ad hoc et donc à être moins idéalisée que par le passé.</p>
<p>Par ailleurs, notons qu’en dehors de la dimension militaire et stratégique, la relation bilatérale est très faiblement instituée dans ses composantes économique et culturelle, la rendant très vulnérable dès que surviennent des conflits régionaux ou des divergences de points de vue puisque <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">rien de fort ne la soude</a>.</p>
<p>Pour consolider la relation bilatérale, il faudrait donc pallier ces lacunes. Surtout, pour que cette relation puisse s’améliorer substantiellement, il faudrait régler les problèmes posés par le fort anti-américanisme des Turcs et l’hostilité à la Turquie d’Erdogan de la société civile américaine et du Congrès.</p>
<p>Ainsi, si la crise d’Idlib pouvait permettre de sauver la relation turco-américaine du naufrage, elle ne saurait suffire pour la remettre à flot à long terme. Reste à savoir dans quelle mesure l’actuelle crise sanitaire du Covid-19 détournera encore davantage l’attention des États-Unis des enjeux moyen-orientaux. L’administration Trump – ou celle de son successeur – sera-t-elle prête à s’investir dans cet effort ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margaux Magalhaes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’offensive syrienne sur la poche d’Idlib a forcé la Turquie à se tourner vers Washington et vers l’OTAN. L’alliance d’Ankara avec les forces occidentales reste toutefois fragile.Margaux Magalhaes, Enseignante chercheuse , Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1358862020-04-08T18:45:25Z2020-04-08T18:45:25ZQuand la propagande djihadiste s’empare de la crise sanitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/326218/original/file-20200407-33428-13dlng0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C102%2C1595%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">John Martin, _La septième plaie d'Égypte_, 1823. Pour les djihadistes, l'épidémie de Covid-19 relève d'un châtiment divin.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Martin,_John_-_The_Seventh_Plague_-_1823.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Il n’aura pas fallu beaucoup de temps aux mouvances djihadistes mondiales pour s’exprimer au sujet de la crise du Covid-19 et tenter d’en exploiter le déroulement et les effets sur le mode coutumier de la vengeance. </p>
<p>Dans un éditorial en février dernier ouvrant sa principale publication arabophone « An-Naba’ », entièrement consacré à la pandémie, l’État islamique (EI) soutenait ainsi que Dieu prenait là une <a href="https://thediplomat.com/2020/03/divine-retribution-the-islamic-states-covid-19-propaganda/">revanche impitoyable contre les « croisés » et les « adversaires de l’islam »</a> – au premier rang desquels la Chine, l’Europe, les États-Unis et l’Iran chiite –, leur infligeant un supplice inouï, durable, et des souffrances décuplées répondant à celles subies par les musulmans sunnites partout sur la planète. Des groupes comme <a href="https://www.memri.org/reports/al-qaeda-central-covid-19-divine-punishment-sins-mankind-muslims-must-repent-west-must">Al-Qaïda</a> ou <a href="https://foreignpolicy.com/2020/04/01/boko-haram-islamist-terrorists-strike-chad-while-world-distracted-by-coronavirus/">Boko Haram</a> se sont également félicités de ce drame global.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1245945196103245824"}"></div></p>
<p>Le désastre sanitaire survient dans un environnement stratégique où les mouvances djihadistes sont considérablement affaiblies en différents points du globe après une succession de défaites, mais demeurent très actives. <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-baghdadi-confirmation/islamic-state-vows-revenge-against-u-s-for-baghdadi-killing-idUSKBN1XA25A">Depuis l’élimination de leur « calife » autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi en octobre 2019, les combattants de l’EI sont tout entiers consacrés à venger sa mort</a> et ont orchestré des dizaines d’attaques sanglantes sur tous leurs théâtres d’opérations.</p>
<h2>Rétribution divine contre les « ennemis de l’islam »</h2>
<p>Une telle exploitation vengeresse n’est pas surprenante pour quiconque étudie de longue date la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-4-page-53.htm">narration militante des radicaux et ses ressorts</a>. Celle-ci s’inscrit de manière cumulative au cœur du discours extrémiste porté par l’écrasante majorité des mouvements visés. <em>Tha’r</em>, <em>qisas</em>, <em>intiqam</em> : ces trois termes signifiant la vengeance dans le lexique arabe abondent dans tous les supports de propagande djihadiste et trouvent une actualité renouvelée dans le nouveau contexte géopolitique ouvert par la propagation à large échelle du virus.</p>
<p>L’EI qualifie le Covid-19 de <a href="http://www.aymennjawad.org/2020/03/islamic-state-editorial-on-the-coronavirus">« pire cauchemar » des « nations croisées »</a>, de « tourment douloureux » et de « rude châtiment » imposés à ses adversaires « rebelles » et « idolâtres ». À l’opposé des « mécréants », les « musulmans obéissants » à Dieu et qui « se tiennent à ses côtés » sont supposés accueillir cette « bénédiction » et seront sauvés, à commencer par les djihadistes eux-mêmes qui se posent à leur avant-garde.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1238194444987445250"}"></div></p>
<p>Mais bien conscient, par-delà les mots, du danger qu’encourt objectivement sa base, l’EI a donné certaines consignes pour la préserver. Le groupe a <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/coronavirus-l-etat-islamique-deconseille-a-ses-membres-de-voyager-en-europe-7800260476">proscrit à ses membres tout voyage vers l’Europe, actuellement épicentre de la maladie</a>. Dans le même temps, le vieux continent appartient toujours au « domaine de la guerre » (<em>dar al-harb</em>) aux yeux des militants. Quoique non formellement revendiquée par l’EI, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/06/a-romans-sur-isere-un-effroyable-parcours-terroriste_6035706_3224.html">l’attaque à l’arme blanche perpétrée le 5 avril par le Soudanais Abdallah Ahmed Osman à Romans-sur-Isère</a> pourrait bien s’être inspirée du mode opératoire préconisé par ce groupe. Dans l’absolu, la détermination meurtrière des djihadistes demeure intacte.</p>
<p>Replacé au sein du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/26/myriam-benraad-la-quete-de-vengeance-est-consubstantielle-a-l-ensemble-du-ddjihadisme-contemporain_5276544_3232.html">dispositif vindicatoire consubstantiel au djihadisme dans son ensemble</a>, le coronavirus se voit donc interprété comme la dernière pierre apportée à l’édifice d’une punition céleste appuyant puissamment la cause djihadiste.</p>
<h2>Des mises en garde initiales à l’injonction vengeresse</h2>
<p>Au-delà de ce narratif vengeur usuel, de ce continuum de récits justiciers composant leur ligne politique directrice, qu’attendent les djihadistes en s’emparant de la crise ?</p>
<p>Beaucoup y voient en premier lieu un moyen symbolique de terroriser un adversaire vulnérable et, ainsi, d’<a href="https://www.dw.com/en/coronavirus-islamic-state-seeks-to-profit-from-pandemic/a-52886753">affaiblir la lutte antiterroriste</a> dans un moment de grande incertitude. L’EI considère que la peur, en définitive, a déjà fait plus de mal à ses ennemis déclarés que la pandémie elle-même. Le virus a obligé gouvernements, polices et armées à se centrer entièrement sur la gestion de la catastrophe en cours en <a href="https://www.crisisgroup.org/global/contending-isis-time-coronavirus">se détournant partiellement d’autres problématiques sécuritaires clés</a>. En créant une pression inédite, il a indirectement pavé la voie à une reprise des attentats. Conformément à sa <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/between-the-jurisprudence-of-blood-and-the-management-of-savagery-islamic-state-advances-terror-methods/">« feuille de route »</a> qui vise à semer la guerre civile partout où il opère, l’EI enjoint à ses partisans de tirer bénéfice de l’« agitation » là où ils le peuvent.</p>
<p>Les djihadistes tablent ensuite sur une érosion des capacités militaires de l’Occident et sur de nouvelles opportunités de revigorer leur action et leur recrutement <a href="https://ctc.usma.edu/insurgents-again-the-islamic-states-calculated-reversion-to-attrition-in-the-syria-iraq-border-region-and-beyond/">alors qu’ils sont revenus, depuis de longs mois, à la clandestinité après une domination de courte durée au Moyen-Orient</a>. Les injonctions à la lutte se suivent et se ressemblent, certes, mais l’épidémie, lue comme une vengeance divine supérieure, est susceptible de renforcer chez de nombreux sympathisants la croyance que tous les signes d’une victoire finale et inéluctable du djihad sont à présent réunis et qu’il faut donc redoubler de violence.</p>
<p>Aussi le Covid-19 est-il intégré à la conviction des combattants d’être le bras d’une vindicte absolue, les « serviteurs » <a href="https://yaleglobal.yale.edu/content/climate-change-expands-terrorist-threat">d’une justice sauvage mais suprême dans ses fondements, qui s’abat avec brutalité sur la Terre à l’instar d’autres cataclysmes récents</a> dont les djihadistes s’étaient également réjouis. Dans cet ordre d’idées, le virus est dépeint comme la conséquence cruelle des épreuves infligées à l’<em>oumma</em> (la communauté des croyants), un retour de bâton naturel et nécessaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1246109421157171200"}"></div></p>
<p>L’EI se délecte de la suspension des activités dans toutes les sociétés occidentales, de la récession économique et financière qui guette, et d’un confinement des populations qui relève d’après lui d’un principe de réciprocité : le <a href="https://english.alaraby.co.uk/english/news/2019/4/30/is-chief-baghdadi-threatens-revenge-attacks-following-defeat">mouvement rappelle ainsi le sort des populations de Baghouz il y a un an en Syrie</a>, celui des civils de Mossoul en Irak ou de Syrte en Libye, frappés par la misère et la faim, bombardés sans relâche, et les conditions de vie de « milliers de musulmans » emprisonnés ou <a href="http://www.syriahr.com/en/?p=121497">maintenus contre leur volonté dans des « camps de l’humiliation »</a> au Levant.</p>
<h2>Un désastre sanitaire mué en présage apocalyptique</h2>
<p>Dans les faits, les contaminations progressent aux quatre coins du monde. Le repli temporaire des troupes de la coalition dans plusieurs zones, sous la contrainte générée par la crise, contribue à renforcer cette idéologie de la rétribution. Les expressions de soutien sur les plates-formes virtuelles prisées par les radicaux en témoignent : la <a href="https://gnet-research.org/2020/03/13/the-coronavirus-and-islamic-state-supporters-online/">notion de vengeance intégrale trouve un public réceptif, sinon déjà pleinement conquis</a>. Certaines interventions militaires étrangères connaissant un temps d’arrêt, les djihadistes entendent bien en profiter.</p>
<p><a href="https://foreignpolicy.com/2020/03/26/self-isolation-might-stop-coronavirus-but-spread-extremism/">Le confinement et le temps passé sur Internet par des individus déjà plus ou moins conditionnés par cette propagande ou qui la découvrent favorisent la radicalisation des esprits les plus faibles</a>, qui pourront toujours prêter main-forte au djihad ultérieurement. Dans l’immédiat, s’il est impossible, sinon douteux, d’établir un lien systématique entre la pandémie et tous les actes vengeurs commis par l’EI (plusieurs attaques majeures depuis la fin 2019, de l’Irak à la Syrie, en passant par l’Afghanistan et l’Afrique), la crise accroît manifestement la résolution des terroristes et le « feu de la vengeance » qui « brûle » en eux.</p>
<p>En somme, le Covid-19 fait irruption sur la scène comme du pain bénit pour ces mouvements. Ce bouleversement <a href="http://www.slate.fr/story/151451/apocalypse-Daech-pas-annulee-juste-retardee-fin-du-monde">conforte leur croyance, transmuée en appel à la résistance armée, d’une fin des temps prochaine, d’une implosion programmée et inévitable dont tous les indices seraient observables</a> : après les guerres ayant ravagé le monde musulman, voici que les rues sont vidées de leurs habitants au cœur même de cet Occident honni par eux. Des images de terreur et de désolation émergent ici et là, les violences interpersonnelles paraissent se multiplier… Le spectre du chaos est proche. Prophétisée il y a quelques années par l’EI à Dabiq en Syrie, l’apocalypse n’avait pas eu lieu. Une déconvenue semble-t-il oubliée et qui ne retire rien à l’immense potentiel de persuasion et de mobilisation de l’organisation djihadiste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mouvances djihadistes interprètent la crise sanitaire actuelle comme un signe évident de la colère de Dieu contre les « nations croisées ». Leur détermination s’en trouve encore renforcée.Myriam Benraad, Chercheuse et professeure associée en science politique et relations internationales, IREMAM,, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1340602020-03-19T20:19:16Z2020-03-19T20:19:16ZL’accord entre les États-Unis et les talibans : un jeu de dupes ?<p>D’abord, en revenir aux mots. La version officielle en anglais de <a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">l’accord signé à Doha le 29 février 2020</a> entre le négociateur américain Zalmay Khalilzad et le bureau politique des talibans dirigé par le mollah Baradar définit le document comme un « accord visant à apporter la paix en Afghanistan ». Pour les talibans, en revanche, ce qui fut signé est un « accord sur la fin de l’occupation ». On peut certes mettre la formule sur le compte de la propagande, externe et interne : des combattants talibans avaient mal vu l’ouverture de pourparlers à Washington, et certains avaient rejoint l’<a href="https://www.csis.org/programs/transnational-threats-project/terrorism-backgrounders/islamic-state-khorasan-k">État islamique wilayat Khorassan</a>, la franchise régionale de Daech.</p>
<p>Au-delà de ces divergences formelles, il convient de souligner les différences notables entre les deux textes signés par les Américains : tandis que Khalilzad signait avec les talibans ce qui fut un peu vite qualifié d’« accord de paix » par la presse internationale, le secrétaire américain à la Défense Mark Esper signait le même jour à Kaboul, avec le gouvernement du président afghan Ashraf Ghani, une <a href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/joint-declaration-between-islamic-republic-afghanistan-and-united-states-america">« déclaration conjointe pour apporter la paix en Afghanistan »</a>.</p>
<h2>Les principaux aspects de l’« accord de la paix »</h2>
<p>L’accord signé avec les talibans repose sur deux ensembles majeurs, chacun comportant deux points. Dans le premier ensemble, les États-Unis définissent un calendrier de retrait de leur troupes et de celles de l’OTAN en 14 mois, tandis que les talibans s’engagent « à ce que le territoire afghan ne soit pas utilisé contre la sécurité des États-Unis et de leurs alliés » – en clair, que le pays ne soit plus une base opérationnelle pour les mouvements terroristes, Al-Qaïda au premier chef, mais aussi Daech. D’ici juillet, les forces américaines en Afghanistan passeront de quelque 13 000 hommes à 8 600. Le retrait complet s’opérera jusqu’en avril 2021, si les talibans respectent leur engagement sur la sécurité des États-Unis et de leurs alliés. Les modalités de ce contrôle semblent faire l’objet de clauses confidentielles.</p>
<p>Le second ensemble, dans une seconde phase, concerne les relations entre les talibans et les autorités afghanes : elle pose le principe de l’ouverture de négociations « intra-afghanes » dès le 10 mars (un délai évidemment non tenu), pour aboutir aux deux objectifs attendus : un cessez-le-feu permanent et un accord qui définira « l’agenda de l’avenir politique de l’Afghanistan ». Dans l’accord signé avec les talibans, les États-Unis ne se préoccupent pas de la nature du futur « gouvernement islamique afghan ». C’est hors de cet accord, dans des <a href="https://www.state.gov/joint-statement-on-the-signing-of-the-u-s-taliban-agreement/">déclarations conjointes</a> (avec la Russie d’une part, avec l’ONU, l’Union européenne, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Norvège d’autre part) qu’il est mentionné que « la communauté internationale n’acceptera pas la restauration de l’Émirat islamique d’Afghanistan », c’est-à-dire un État purement taliban. Le soutien promis à l’Afghanistan de demain impliquera que le régime négocié entre Afghans « préserve et respecte les droits internationalement reconnus de tous les Afghans, tels que la Constitution les reflète, y compris pour les femmes, la jeunesse et les minorités, et réponde au désir des Afghans de construire sur la base des gains acquis depuis 2001 », date de la chute des talibans.</p>
<p>On a donc avancé, mais pour ce faire – et pour respecter la volonté de Donald Trump d’engager le retrait des troupes avant la prochaine élection présidentielle –, Zalmay Khalilzad a mis de côté le principe majeur affiché au départ : « Rien n’est conclu si tout n’est conclu. » Mais qui conclut quoi ? Le grand absent de l’accord de Doha est le gouvernement afghan. Certes, l’émissaire américain a régulièrement rendu compte à Kaboul des avancées de ses pourparlers, engagés en octobre 2018, alors même que la posture traditionnelle des talibans est de ne pas parler avec les « marionnettes » de Kaboul (leur définition de l’appareil d’État afghan). La déclaration signée le même 29 février entre les Américains et Kaboul est censée rééquilibrer les choses. La diplomatie n’étant que l’art du possible, nous en sommes encore loin.</p>
<p>Certes, les talibans s’engagent, à Doha, à ouvrir le dialogue avec leurs interlocuteurs afghans, mais ceux-ci ne peuvent se réduire à l’appareil d’État, comme le mollah Baradar <a href="https://activist1.blog/2020/03/02/transcript-of-speech-by-political-deputy-of-islamic-emirate-to-participants-at-ceremony-of-termination-of-occupation-agreement-between-the-islamic-emirate-and-us/">l’a exposé</a> devant les représentants de la communauté internationale invités à la signature de l’accord avec Washington : « J’appelle <em>toutes les parties</em> (je souligne) afghanes à venir de bonne foi à la table de négociation pour établir un gouvernement islamique puissant et souverain et pour se réunir autour de nos valeurs islamiques et de nos intérêts nationaux. »</p>
<h2>Quand les talibans parlent à tout le monde</h2>
<p>La stratégie de communication des talibans est remarquable, et vise plusieurs cibles.</p>
<p>Baradar, chef des négociateurs, tient un discours de diplomate, à destination des États. Quant à l’opinion internationale, c’est de façon inattendue Sirajuddin Haqqani qui s’en charge, même s’il est toujours inscrit sur la liste du FBI (section « most wanted ») et sur celle des individus classés terroristes par l’ONU.</p>
<p>Commandant militaire du réseau Haqqani (lié à Al-Qaïda) replié dans les zones tribales pakistanaises après la chute des talibans en 2001, Haqqani est depuis 2015 le numéro 2 des talibans. Huit jours avant l’accord de Doha, il publie dans le <em>New York Times</em> un <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/20/opinion/taliban-afghanistan-war-haqqani.html">article</a> qui se veut rassurant sur l’avenir de l’Afghanistan :</p>
<blockquote>
<p>« Nous nous engageons à travailler avec les autres parties, de façon consultative et respectueuse, pour se mettre d’accord sur un nouveau système politique inclusif. […] Libérés de la domination et de l’interférence étrangères, nous trouverons ensemble le chemin pour construire un système islamique dans lequel tous les Afghans auront les mêmes droits, où les droits des femmes accordés par l’Islam – du droit à l’éducation au droit au travail – seront protégés. »</p>
</blockquote>
<p>Évoquant les « groupes disruptifs qui menacent la sécurité régionale et mondiale », dont le poids est « délibérément exagéré », il assure que « toutes les mesures seront prises en partenariat avec les autres Afghans pour que le nouvel Afghanistan soit un bastion de sécurité et que nul ne se sente menacé sur son sol ». Le 14 mars, les talibans publiaient un communiqué confirmant leur « ferme volonté » d’éliminer « le groupe malveillant de Daech ».</p>
<p>Dernier volet et non le moindre, à destination des combattants talibans : la <a href="http://alemarahenglish.com/?p=33121">déclaration vidéo</a> de l’émir des talibans, Hibatullah Akhunzada, diffusée dès le 29 février, appelle les moujahidins à respecter sans arrogance les termes de l’accord, tout en gardant des capacités de riposte si la partie adverse violait ses engagements. Puis l’émir en appelle à tous les Afghans : « Nous sommes prêts pour une solution juste et rationnelle. Venez ! Trouvons une solution à notre problème à la lumière des valeurs religieuses et nationales de notre peuple, et faisons que l’Administration de Kaboul en termine avec son opposition à notre nation. » Les opposants à l’émirat sont pardonnés, au nom de la « fraternité islamique » et de l’unité nationale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1230452370150129669"}"></div></p>
<h2>Quid du gouvernement afghan ?</h2>
<p>Mais qu’en est-il, précisément, du gouvernement afghan ? Affaibli par sa non-participation aux négociations de Doha, le pouvoir de Kaboul l’est plus encore par la crise qu’a ouverte l’élection présidentielle de septembre 2019, dont les résultats n’ont été annoncés que le 18 février 2020, le président sortant Ashraf Ghani étant déclaré vainqueur avec 50,64 % des voix, un résultat contesté par tous les partis d’opposition, en particulier par Abdullah Abdullah, arrivé second avec 39,52 %. Dénonçant des élections frauduleuses, Abdullah, numéro deux du régime sous la première présidence Ghani, s’est intronisé président le 9 mars, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/09/en-afghanistan-ashraf-ghani-et-abdullah-abdullah-se-declarent-tous-les-deux-presidents_6032361_3210.html">jour même où Ghani officialisait sa propre prise de fonctions</a> avec l’appui de l’administration américaine, dénonçant le « gouvernement parallèle » d’Abdullah.</p>
<p>Cette division affichée donne lieu à des initiatives différentes pour établir les équipes censées ouvrir le dialogue avec les talibans, le Haut Conseil pour la paix, mis en place en 2010 par Hamid Karzai, étant marginalisé par Ghani. Tandis qu’Ashraf Ghani prend du retard pour établir sa délégation, l’opposition, au-delà des seuls partisans d’Abdullah, a annoncé vouloir établir un « Conseil pour le processus de paix ».</p>
<p>Cette désastreuse cacophonie s’ajoute aux importantes divergences entre les deux textes signés le 29 février, en particulier sur le sort des prisonniers des deux camps. L’accord signé à Doha prévoyait que « jusqu’à 5 000 » prisonniers talibans et jusqu’à 1 000 prisonniers « de l’autre camp » seraient libérés avant le 10 mars, censé être le premier jour des négociations intra-afghanes. Problème : la déclaration conjointe entre Américains et gouvernement afghan ne parle que de « déterminer la faisabilité de libérer un nombre significatif de prisonniers des deux camps ». Pas étonnant qu’Ashraf Ghani ait refusé d’engager la libération de 5 000 talibans, qui était pour lui un objet de négociation, alors qu’elle est, selon l’accord de Doha, un préalable. La réponse des talibans a été immédiate : dès le 2 mars, ils ont <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afghanistan-moins-27-morts-premier-attentat-Kaboul-accord-USA-talibans-2020-03-06-1301082492">repris leurs attaques</a> contre les forces afghanes à travers le pays. Sous pression américaine, Ashraf Ghani annonce le 11 mars qu’un premier contingent de 1 500 talibans sera libéré avant l’ouverture des pourparlers intra-afghans.</p>
<h2>Quels pourparlers intra-afghans ?</h2>
<p>On imagine l’asymétrie des pourparlers éventuels. Si le peuple afghan aspire à la paix, de quelle paix s’agirait-il ? L’accord entre les États-Unis et les talibans a fait l’objet de vives critiques. En Afghanistan, où Rahmatullah Nabil, ancien chef des services secrets, a jugé que la libération des prisonniers talibans, conséquence d’un <a href="http://www.afghanistantimes.af/prisoners-release-beyond-a-shameful-deal-ex-spy-chief/">« accord honteux »</a>, est une insulte aux quelque 50 000 hommes des forces afghanes tués ces dernières années ; mais aussi aux États-Unis, où l’un des grands think tanks de Washington, entre autres, voit dans l’accord de Doha une <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2020/03/05/the-us-taliban-peace-deal-a-road-to-nowhere/">impasse</a>.</p>
<p>En replaçant cet accord dans le cadre du Grand jeu que les pays de la région et les grandes puissances déploient en Afghanistan, et dans lequel s’impliquent les pays, comme le Qatar, l’Allemagne et la Norvège, prêts à accueillir sur leur sol les pourparlers intra-afghans, laissons au président de l’Afghan Institute of Strategic Studies le mot de la fin, en citant sa <a href="https://theprint.in/opinion/us-afghan-peace-deal-relies-on-old-flaws-dated-assumptions-taliban-of-2020-has-changed/375018/">métaphore culinaire</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le menu a été choisi par le Pakistan, il a été cuisiné par un chef américain dans une cuisine allemande pour un restaurant norvégien. La facture a été payée par le Qatar. Les talibans auront les entrées, le plat principal étant partagé entre le Pakistan et la campagne électorale de Trump. Le gouvernement afghan aura une part du dessert. Les mouvements démocratiques afghans, y compris ceux de défense des droits des femmes, auront les restes, s’il y en a. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres analystes sont moins tristement désabusés, mais tous reconnaissent qu’après l’accord de Doha, le plus dur reste à faire, alors que la légitimité internationale des talibans n’a jamais autant été reconnue…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134060/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Racine est chercheur senior au Think Thank Asia Centre. </span></em></p>Le 29 février, un accord supposément historique a été signé entre les États-Unis et les talibans. Pour autant, la paix en Afghanistan est encore loin d’être assurée…Jean-Luc Racine, Directeur de recherches émérite, CEIAS, CNRS, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1280662019-12-01T19:25:02Z2019-12-01T19:25:02ZQuelles stratégies pour compléter la réponse militaire contre le terrorisme ?<p>L’<a href="https://www.20minutes.fr/societe/2661423-20191127-crash-helicopteres-mali-hommage-national-lieu-lundi-invalides">hommage national</a> aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/27/apres-la-mort-de-treize-soldats-au-mali-macron-face-au-defi-de-la-presence-francaise-au-sahel_6020663_3210.html">13 soldats morts</a> dans le crash de deux hélicoptères au Mali aura lieu ce lundi 2 décembre, une semaine après l’accident survenu lors d’une opération d’envergure lancée quelques jours plus tôt dans la vallée d’Eranga, située au sud d’Indelimane, dans le Liptako, région du centre-est du Mali où sévit l’organisation État islamique au grand Sahara (EIGS).</p>
<p>Cette région dite des « trois frontières » située entre Mali, Burkina et Niger, est la zone d’action du groupe EIGS depuis sa création en 2015. Il compte <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/assassinat-d-un-militaire-francais-ce-que-l-on-sait-de-l-etat-islamique-au-grand-sahara_2105536.html">100 à 200 combattants</a> sur ce territoire du centre-nord du pays.</p>
<p>En août 2014, 22 pays se sont unis pour lutter militairement contre Daech, mais maintenant que les frappes de la coalition <a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20191014-syrie-retrait-americain-recompose-militaire">ont cessé en Syrie</a>, il ne reste plus guère que la France pour combattre la progression des mouvements djihadistes au Sahel. Protéger notre sécurité et nos libertés qui sont nos biens communs, c’est pourtant l’affaire de tous.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mali : Florence Parly salue « les 13 héros morts pour la France » (ministère des Armées).</span></figcaption>
</figure>
<p>La mort des treize soldats français ne cessera de nous rappeler que l’État islamique et l’instauration du « califat » ne concernent plus seulement la Syrie et l’Irak. Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau a proclamé un <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2014/08/24/boko-haram-califat-islamique-nigeria_n_5704319.html">« califat islamique »</a> au nord-est du Nigeria le 24 août 2014. Ce groupe islamiste nigérian lié à Al-Qaïda prend de l’ampleur en essayant de gagner du terrain dans cette zone. Il menace les pays voisins, tout comme l’État islamique le faisait au Moyen-Orient. Le modus operandi de ces deux organisations présente de nombreuses similitudes bien que la spécificité de Boko Haram se situe dans le fait d’<a href="https://www.france24.com/fr/20150223-femmes-armes-guerre-boko-haram-nigeria-secte-islamiste-attentat-suicide-fillette">utiliser des femmes et de très jeunes filles</a> pour commettre des attentats-suicides.</p>
<h2>Appréhender le problème autrement</h2>
<p>Pour honorer la mémoire des victimes du terrorisme et celles des soldats morts au combat, il faut donc tout mettre en œuvre pour venir à bout de ces hydres malveillantes.</p>
<p>De nouvelles pistes doivent être explorées. La première mènerait vers une compréhension plus pointue de la résilience du mouvement en étudiant l’architecture organisationnelle complexe de Daech qui agrège divers sous-systèmes. Cette structure permet au mouvement de fonctionner même lorsque l’un de ces systèmes est atteint ou affaibli. Le système de filiales et de franchises apporte des éclairages essentiels sur la capacité de Daech à fédérer des mouvements djihadistes dispersés dans le monde qui risquent de former à terme une « méta-organisation Daech 2.0. ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1196542931785662465"}"></div></p>
<p>Dans une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00408514/document">méta-organisation</a>, les membres ne sont pas des individus mais des organisations qui partagent un trait d’identité en commun et décident de créer une entité pour les représenter, pour partager l’information, pour agir en commun afin de mieux maîtriser leur environnement. Daech a créé une nouvelle forme organisationnelle rampante, imprévisible, difficile à qualifier, et donc in extenso à combattre.</p>
<h2>La réponse militaire reste insuffisante</h2>
<p>Considérer que Daech est une organisation militaire relève, comme le souligne le spécialiste du renseignement Jean‑François Gayraud, d’une <a href="https://books.google.fr/books?id=QFI7DwAAQBAJ&pg=PT148&lpg=PT148&dq=Jean%E2%80%91Fran%C3%A7ois+Gayraud+persistance+r%C3%A9tinienne">« persistance rétinienne »</a>. Autrement dit, l’application de modèles connus à des phénomènes sociaux émergents mènerait à préparer la guerre de demain avec des conceptions d’hier.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.asafrance.fr/images/legrier_fran%C3%A7ois-regis_la-bataille-d-hajin.pdf">article</a> intitulé « La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? » publié dans la « Revue Défense Nationale » de février 2019, François-Régis Legrier, commandant la task force Wagram au Levant d’octobre 2018 à février 2019, écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Une bataille ne se résume pas à détruire des cibles comme au champ de foire […] Seul une vue globale du problème aurait permis d’ébaucher une stratégie globale et d’éviter le constat amer de voir Daech resurgir là où on l’a chassé il y a deux ans. »</p>
</blockquote>
<p>En Syrie, l’excellente connaissance du territoire (topographie, météo, localisation des ressources) a conféré à Daech le coup d’avance. À ceci s’opposerait donc une excellente connaissance de Daech.</p>
<p>Sur le plan financier et matériel, la deuxième piste consisterait à identifier des moyens d’assécher les ressources du mouvement de manière à empêcher les investissements dans de nouvelles actions.</p>
<p>Une surveillance accrue des systèmes financiers internationaux, notamment par des applications de l’intelligence artificielle qui permettent le traitement d’une grande quantité de données et la corrélation de variables que seule la puissance d’une machine peut effectuer. À cela s’ajoute une surveillance accrue des infrastructures de transport qui constituent des bases arrières logistiques et des lieux de transfert de marchandises, de matériel et d’armes.</p>
<p>Enfin, un système de détection d’émergence d’activités djihadistes assurerait un monitoring en temps réel des zones sensibles avec la collaboration des acteurs présents sur le terrain (ONG, entreprises, etc.). Des systèmes de remontée d’information immédiate seraient mis en place pour déceler les modifications dans l’environnement avec des paramètres spécifiques.</p>
<h2>Pauvreté et vulnérabilités</h2>
<p>Les avis divergent quant à l’espérance de vie du mouvement mais les zones de prédilection de Daech possèdent des caractéristiques spécifiques : un gouvernement faible, la présence d’une minorité musulmane opprimée, un grand nombre de ressources naturelles et des groupes ethniques qui se déchirent. Ces lieux sont relativement faciles à identifier. L’État islamique se nourrit également du délitement d’états quasi impossibles à réformer. Ces derniers ne peuvent en effet plus représenter l’ensemble de la population et se sont rendus vulnérables par une corruption endémique et une incapacité à assumer leurs responsabilités (par exemple, le paiement des fonctionnaires).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les mouvements djihadistes en question sont les suivants : Al-Qaeda au Maghreb islamique, Ansar Dine, Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest, Al-Morabitoune, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, État islamique au Grand Sahara, Ansaroul Islam.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>La pauvreté de certains territoires peut inciter des populations isolées à rejoindre les mouvements djihadistes pour obtenir une source de revenus. Les agences internationales et bailleurs du fonds de l’aide au développement sont également concernés car une partie de l’aide versée peut être détournée dans les régions les plus pauvres, soit par l’extorsion, soit par des incitations plus ou moins coercitives à acheter des « services de sécurité ». En témoignent les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/les-activites-du-cimentier-francais-lafarge-en-syrie-a-jalabiya_1870732.html">déboires du cimentier Lafarge</a> en Syrie.</p>
<h2>Atouts de l’économie dématérialisée</h2>
<p>D’autres éléments favorisent la résilience du mouvement comme l’impossibilité de réguler Internet pour empêcher son expansion virtuelle. L’usage des outils et des technologies de collaboration du Web 2.0 lui confère une grande agilité. Les adhérents deviennent des acteurs d’un écosystème et rejoignent des communautés de membres et des groupes d’intérêts dispersés dans le monde. Ce sens du collectif permet de réunir des expertises internes et externes, d’évoluer vers une plus grande transversalité et d’exploiter les brèches des systèmes traditionnels dans le secteur financier par exemple.</p>
<p>Daech joue de la complexité du difficile traçage des comptes pour bâtir et exploiter son propre réseau bancaire et l’inscrire dans un système international. L’ouverture des marchés, le déclin de l’État-providence, les privatisations, la déréglementation de la finance et du commerce international tendent à favoriser la croissance des activités illicites, ainsi que l’internationalisation d’une économie criminelle concurrente.</p>
<p>Dans la phase initiale, l’organisation criminelle introduit ses bénéfices illégaux sur les circuits financiers à travers une série de déplacement des fonds, souvent dans des centres financiers off shore, communément appelés « paradis fiscaux », afin de les éloigner de leur source. La seconde phase consiste à réintégrer ces fonds dans des activités économiques légitimes pour leur donner l’apparence d’une origine légale afin de pouvoir les utiliser.</p>
<p>Seule une stratégie à 360° permettra donc de faire converger ces divers champs d’analyse. Le succès de cette démarche découlera en conséquence nécessairement de collaborations disciplinaires, interorganisationnelles et interétatiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Frank ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accident qui a coûté la vie à 13 soldats français au Mali, le 25 novembre dernier, rappelle que d’autres pistes doivent être explorées.Laurence Frank, Professeure de management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1269452019-11-18T19:55:34Z2019-11-18T19:55:34ZDaech, un écran de fumée idéologique sur un business très rentable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/301495/original/file-20191113-77300-1xa1w83.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=79%2C10%2C1038%2C698&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les puits de pétrole controlés par l'État islamique, qui lui assuraient 25% de des ses ressources en 2015, ont été détruits lorsque ses combattants ont battu en retraite.</span> <span class="attribution"><span class="source">Odd Andersen / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le 27 octobre 2019, le président américain Donald Trump a annoncé sur Twitter la <a href="https://www.sudouest.fr/2019/10/27/le-chef-de-daesh-est-mort-confirme-trump-6752716-6093.php">mort du chef de Daech</a>, Abou Bakr al-Baghdadi, lors d’une opération militaire américaine menée dans le nord-ouest de la Syrie. Cet événement constitue le point d’orgue des opérations militaires de la coalition internationale antijihadiste menée par les États-Unis et clos l’offensive menée en février 2019 par la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) pour liquider territorialement <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-islamique-daech-daesh/">l’État islamique</a>. </p>
<p>La mort d'al-Baghdadi marquera-t-elle la fin de Daech ? Rien n’est moins sûr. L'organisation est devenue en quelques années le groupe le plus puissant et le plus attractif de toutes les formations djihadistes. Si les frappes des Occidentaux ont réduit le territoire occupé, Daech conserve une capacité de mobilisation idéologique dans de nombreuses régions du monde, en Occident, au Sahel, aux Philippines ou encore en Somalie. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1188948812339011590"}"></div></p>
<p>Daech a bâti, grâce à l’assise territoriale, un système économique autosuffisant et diversifié qui repose sur un large éventail d’activités industrielles et commerciales, de ressources naturelles et de matières premières, du pétrole aux denrées agricoles en passant par les minerais. </p>
<p>Selon les dernières données disponibles issues de l'analyse de 26 rapports parlementaires, la valeur théorique des actifs sous le contrôle de l’État islamique (réserves de pétrole, réserves gazières, minerais, actifs monétaires) était estimée à <a href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">2 260 milliards dollars</a> fin 2015, date de l'apogée de l'organisation. </p>
<p>Et si le califat n’était qu’un écran destiné à masquer un business model extrêmement lucratif ? Le califat ne serait donc ni un projet de société, ni une terre promise, ni la réminiscence d’un modèle de cité islamique de l’âge d’or, mais une stratégie d’affaires savamment élaborée, fondée sur le pillage, pour accumuler des richesses en un temps record.</p>
<h2>Une ingénierie financière redoutable</h2>
<p>Le <a href="http://www.slate.fr/story/89025/finance-eiil-irak">pillage de la banque de Mossoul</a> a rapporté près de 400 millions de dollars à Daech en 2014, ce qui lui a permis de changer de dimension et de verser, dans la durée, des salaires aux combattants, de fidéliser des soutiens et d’acheter des armes. </p>
<p>Daech a contrôlé jusqu'à une vingtaine de puits de pétrole en Syrie et en Irak, captant <a href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">60% de la production irakienne</a>. 10% du PIB de l’Irak aurait été aux mains de Daech, soit 40 milliards de dollars. Les revenus de la vente/contrebande du pétrole auraient oscillé selon les estimations entre 500 000 et un million de dollars par jour. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">Centre d'analyse du terrorisme</a></span>
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<p>En 2015, le pétrole a rapporté 600 millions de dollars au mouvement, l’exploitation du phosphate 250 millions de dollars, la production de gaz près de 60 millions, le ciment 400 millions et l’agriculture 200 millions. L’extorsion, qui constituait la première source de financement sous la forme de diverses taxes, amendes, redevances et confiscations, a rapporté près de 800 millions. Le montant des dons atteignait lui environ 50 millions.</p>
<p>Daech affiche une grande maîtrise des canaux de financement possibles en combinant diverses sources : </p>
<ul>
<li><p>Le système de revenus physiques : recettes locales, fiscalité, amendes et droits de douanes, commerce des ressources naturelles, racket des citoyens et des entreprises, confiscations de biens, commerce des otages, pillages d’antiquités, trafics d’êtres humains, de matériel de guerre et d’œuvres d’art ;</p></li>
<li><p>Le système de revenus dématérialisés : systèmes financiers virtualisés, contrôle de succursales bancaires, nouvelle monnaie indexée sur le cours de l’or convertible en Turquie, crypto-actif (monnaies virtuelles), financement participatif (<a href="https://theconversation.com/terrorisme-et-optimisation-fiscale-la-face-sombre-du-financement-participatif-125506">crowdfunding</a>), dons en provenance de pays sympathisants comme la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.</p></li>
</ul>
<p>Le mouvement bénéficie de complicités bancaires à l’échelle internationale. De gros soupçons pèsent sur la porosité de l’infrastructure bancaire du Liban, de Chypre, de Malaisie, d’Indonésie ou encore de la Turquie. Des prête-noms et des sociétés-écrans émettent de faussent factures et enregistrent des transactions fictives. L’importante trésorerie disponible a d’ailleurs permis de corrompre des fonctionnaires de plusieurs pays, dont des Syriens opposés au régime de Bachar al-Assad. </p>
<p>Daech paye à prix d’or des intelligences bancaires pour ouvrir des comptes, via des sociétés-écrans, reproduisant en quelque sorte « le <a href="http://www.iiac.cnrs.fr/article1242.html">modèle supranational d’al-Qaïda</a> », explique Dawod Hosham chercheur au CNRS. Il faut transférer du cash pour assurer aux têtes pensantes du groupe un moyen de se mettre à l’abri, y compris les proches et familles, mais aussi pour permettre aux cellules de se projeter vers de nouvelles opérations terroristes.</p>
<h2>Daech dans la guerre des talents</h2>
<p>Daech a capté l’immense potentiel qu’offrent les nouvelles technologies pour créer une organisation résiliente et pérenne. Derrière les images moyenâgeuses de combattants du désert se cache un système d’affaires des plus actuels. Le progrès offre à Daech une couverture globale de l’idéologie qui permet à tout sympathisant, où qu’il soit dans le monde, de rallier le mouvement. En plus de la presse écrite (Dabiq, Dar al-Islam), Daech aurait produit près de 15 000 documents de propagande, dont 800 vidéos et une vingtaine de revues traduites en 11 langues, dont le mandarin. </p>
<p>Entre 2011 et 2017, la propagande a permis de construire un bataillon de 20 000 à 50 000 hommes avec des prisonniers libérés et des transfuges d’Al-Qaïda. Les troupes comprenaient en 2017, 4 000 Saoudiens, 2 000 Tunisiens, 450 Allemands, 200 Belges, 300 britanniques, 1 432 Français et des combattants d’Afghanistan, de Somalie, de Bosnie, de Tchétchénie, du Waziristan (nord-ouest du Pakistan), du Mali, du Liban, du Maroc et de l’Algérie, selon les données issues des différents rapports des commissions d'enquête parlementaires. </p>
<p>Le mythe de l’adhésion de personnes peu instruites et en situation de désarroi a été largement déconstruit. Daech recrute des cerveaux et cible des intellectuels, des financiers et des hauts diplômés tels que des médecins et des ingénieurs pour conduire des opérations internationales d’une grande complexité. Ces professionnels perçoivent des salaires plus élevés que ceux du marché local. </p>
<h2>Structure 2.0.</h2>
<p>La stratégie de recrutement de Daech s’est avérée efficace et peu coûteuse. L’État islamique est ainsi devenu l’organisation terroriste la plus riche et le mouvement le plus violent du monde. La rentabilité de ce business model induit aujourd'hui un risque de « franchisage ». Le modèle opérationnel extrêmement lucratif, pourrait en effet le devenir encore davantage s’il était vendu à d’autres groupes terroristes en échange de redevances (royalties). </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La franchise, nouvel axe de développement ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musaib Mushtaq / Shutterstock</span></span>
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<p>Mais la grande force du modèle se situe dans la capacité du mouvement à s’approprier et à combiner des pratiques issues du crime organisé, du terrorisme, des sectes, du domaine militaire, de la société civile, du monde de l’entreprise et de l’administration publique. La structure de type 2.0., immatérielle et mondialisée, permet de poursuivre l’expansion du mouvement sans territoire physique, ce qui amène de nouvelles difficultés à lui appliquer un cadre juridique et à exercer une surveillance internationale qui permettrait de contrer sa propagation. </p>
<hr>
<p><em>Cet article est extrait de l'étude plus détaillée « L’État Islamique/Daech : Business model et terrorisme 2.0 » (à paraître) qui reconstitue le modèle économique et la configuration organisationnelle de Daech rédigée en collaboration avec Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM de Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Frank ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'assise territoriale que l'organisation terroriste a pu se constituer entre 2014 et 2019 lui a permis de développer de plusieurs sources de revenus à la fois physiques et dématérialisés.Laurence Frank, Professeure de management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.