tag:theconversation.com,2011:/global/topics/extreme-gauche-20888/articlesextrême gauche – The Conversation2023-10-11T17:25:31Ztag:theconversation.com,2011:article/2154592023-10-11T17:25:31Z2023-10-11T17:25:31ZL’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?<p>La barbarie de l’attaque menée en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023 a suscité des commentaires qui réactivent un débat déjà ancien au vu des propos <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/attaque-du-hamas-contre-israel-pourquoi-les-prises-de-position-de-lfi-mettent-l-alliance-de-la-nupes-une-nouvelle-fois-en-danger_6111054.html">tenus par certains membres</a> de la classe politique et des indignations qu’ils ont suscités. Les positions récentes sur le Hamas ou les prises de paroles clivées sur le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/11/attaque-du-hamas-contre-israel-l-onde-de-choc-s-etend-a-la-politique-francaise_6193763_823448.html">conflit israélo-palestinien</a> soulignent-elles un antisémitisme latent à gauche, et plus précisément à gauche de la gauche ?</p>
<p>La question est rémanente, même si dans l’histoire, la <a href="https://journals.openedition.org/assr/3245">haine des Juifs</a> se situe plus à droite et à l’extrême droite, d’abord du côté du christianisme, puis de courants proprement racistes, avec le sommet qu’a constitué le nazisme.</p>
<p>À peine forgé en Allemagne par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilhelm_Marr">Wilhelm Marr en 1879</a>, le terme « antisémitisme » a connu un succès mondial, dans un contexte qui précédait de peu l’affaire Dreyfus (1894) et relevait déjà de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1988_num_68_4_4999_t1_0528_0000_2">« guerre des deux France »</a>, opposant une droite antisémite, nationaliste, antirépublicaine et catholique, à une gauche républicaine, souvent laïcarde.</p>
<p>L’antijudaïsme, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-histoire/comment-distinguer-l-antijudaisme-et-l-antisemitisme-9195216">puis l’antisémitisme</a> avaient cependant déjà trouvé de longue date un espace à gauche.</p>
<h2>Des penseurs aux sentiments ambivalents</h2>
<p><a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-haine-des-juifs-au-temps-des-lumieres-le-cas-voltaire/">Voltaire</a>, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2005/09/A/12974">Marx</a>, <a href="https://www.cairn.info/juifs-et-anarchistes--9782841621613-page-143.htm">Proudhon</a> aussi, portés par de profonds sentiments anti-religieux, et sans que l’on puisse alors parler d’antisémitisme ce qui serait anachronique, ont eu des mots lourds de préjugés haineux vis-à-vis des juifs et du judaïsme .</p>
<p>À la toute fin du XIX<sup>e</sup>, Jean Jaurès, avant de se rallier à Zola et aux dreyfusards, a pris <a href="https://books.openedition.org/pur/125196?lang=fr">à partie</a> la « race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain » (<a href="http://www.jaures.info/dossiers/dossiers.php?val=23_jaures+lantisemitisme">1898, discours au Tivoli</a>. Une histoire notamment bien documentée par Léon Poliakov dans son <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/histoire-de-l-antisemitisme-l-age-de-la-foi-t1-leon-poliakov/9782757872086"><em>Histoire de l’antisémitisme</em></a>.</p>
<p>Après la destruction des <a href="https://www.babelio.com/livres/Hilberg-La-Destruction-des-juifs-dEurope/119851">juifs d’Europe</a> par les nazis, la haine des juifs, jusque-là de l’ordre de l’opinion, relevait <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/comment-la-france-a-traine-des-pieds-pour-envoyer-les-antisemites-au-tribunal-2675222">désormais du crime</a>, et on aurait pu s’attendre à ce qu’elle décline, en général, et plus particulièrement à gauche. Ç’aurait été une erreur.</p>
<p>C’est d’abord que certains communistes français de la moitié du <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-shoah-2001-1-page-171.htm">XX<sup>e</sup> siècle y étaient perméables</a>, ne serait-ce que pour combattre Léon Blum ou Pierre Mendès-France ou en conformité plus ou moins aveugle au « Parti » lui-même à la botte de Moscou.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1013&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1013&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553242/original/file-20231011-19-67zmyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1013&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’homme politique de gauche Pierre Mendès France faisait l’objet de campagnes antisémites de la part de ses adversaires politiques, y compris à gauche.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/pierre-mendes-france-1932-4c71a3">Picryl</a></span>
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<p><a href="https://www.humanite.fr/medias/urss/television-lantisemitisme-au-temps-de-staline-697456">Staline</a> vouait ainsi aux juifs une haine ancienne. Le dictateur avait d’ailleurs a terminé sa vie en délirant, accusant ses médecins juifs de comploter contre lui – les <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2006/04/20/staline-et-le-complot-des-blouses-blanches_763505_3260.html">« blouses blanches »</a> n’ont dû leur survie qu’à sa mort en mars 1953.</p>
<p>Et en 1968, le dirigeant polonais <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/W%C5%82adys%C5%82aw_Gomu%C5%82ka">Władysław Gomulka</a> avait obligé la plupart des derniers juifs de Pologne à <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1956/12/PIERRE/21988">partir</a> au fil d’une campagne antisémite.</p>
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<p>À des expressions spectaculaires s’est ajoutée, plus subtile, la minimisation de la spécificité juive du camp d’Auschwitz, patente sur place dans plusieurs pavillons de pays de l’empire soviétique lorsqu’on le visitait, jusque dans les années 80, comme si la destruction des personnes ne les avait pas visées comme juives.</p>
<p>Comme le rappelle Valérie Igounet, le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-du-negationnisme-en-france-valerie-igounet/9782020354929">négationnisme</a> n’a pas été le monopole de l’extrême droite.</p>
<h2>Le tournant de la fin des années 60</h2>
<p>L’antisémitisme de la gauche de la gauche en France, lourd de préjugés associant les Juifs à l’argent et au capital, ainsi qu’au pouvoir médiatique, n’a revêtu après-guerre une réelle importance qu’à partir de la fin des années 60.</p>
<p>Le phénomène est d’autant plus marqué avec la question <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2009-4-page-59.htm">israélo-palestinienne</a> qui prend alors un essor particulier.</p>
<p>C’est d’abord à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/histoires-politiques/histoires-politiques-du-mardi-10-octobre-2023-2548613">l’extrême-gauche</a> que la tentation antisémite a cheminé, par identification au <a href="https://shs.hal.science/halshs-00370072/document/">mouvement palestinien</a>.</p>
<p>Mais l’attentat terroriste de Münich, en 1972, au cours duquel le commando « Septembre noir » a tué plusieurs athlètes israéliens participant aux Jeux Olympiques a douché les ardeurs gauchistes les plus haineuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tHGYSXxBfbU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les JO de Munich 1972 sont les premiers organisés en Allemagne depuis la seconde guerre mondiale. La RFA veut effacer le souvenir des JO de Berlin de 1936. Mais les 5 et 6 septembre huit terroristes du groupe armé pro-palestinien « Septembre noir » prennent en otage neuf athlètes de la délégation israélienne, deux autres sont tués en tentant d’empêcher l’assaut.</span></figcaption>
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<p>L’événement a notamment généré au sein de la <a href="https://www.cairn.info/sartre-et-les-juifs--9782707146151-page-225.htm">gauche prolétarienne</a> une prise de conscience ayant certainement contribué au rejet du terrorisme par ce mouvement, puis à son auto-dissolution, même si Sartre avait déclaré un mois après l’attentat, dans <em>J’accuse. La Cause du Peuple</em>, (15 octobre 1972) :</p>
<blockquote>
<p>« Dans cette guerre, la seule arme dont disposent les Palestiniens est le terrorisme, c’est une arme terrible mais les opprimés pauvres n’en ont pas d’autres. »</p>
</blockquote>
<p>Sartre, comme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2018/04/04/en-1972-dans-la-revue-rouge-edwy-plenel-a-t-il-vraiment-declare-etre-solidaire-des-terroristes-des-j_1653472">certains militants à l’époque</a>, reviendra ensuite sur ce positionnement.</p>
<h2>Une nouvelle évolution dans les années 80</h2>
<p>Puis plusieurs évolutions ont déplacé la donne. L’immigration de travail récente, en provenance d’Afrique du Nord, avait muté pour devenir « immigration de peuplement », fortement impactée par le chômage et la précarité.</p>
<p>Cette dernière est en butte avec un racisme lui-même en cours de transformation, <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1985_num_34_1_2039">différencialiste</a>, lui déniant toute capacité d’intégration. En même temps, au sein des populations qui en étaient issues, une double identification s’est ébauchée : nationale, avec la cause palestinienne, et religieuse, avec l’islam.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-racisme-et-lantisemitisme-salimentent-aujourdhui-193740">Comment le racisme et l’antisémitisme s’alimentent aujourd’hui</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>À gauche, l’antiracisme n’en est alors pas moins pleinement compatible avec la lutte contre l’antisémitisme, ce qu’incarne le Président François Mitterrand ; aussi bien la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/collections/marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme-strasbourg">Marche de 1983 contre le racisme</a> que la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000805/la-naissance-de-sos-racisme.html">naissance de SOS-Racisme</a> l’installent du côté de valeurs universelles qui ne laissent aucune place à la haine des juifs.</p>
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<figcaption><span class="caption">1985, la naissance de SOS Racisme (INA).</span></figcaption>
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<h2>Le traumatisme de Sabra et Chatila</h2>
<p>L’image d’Israël va se dégrader aux yeux de l’opinion française en général à partir de 1982 et plus précisément de l’invasion du Liban et du siège de Beyrouth par l’armée israélienne. Les massacres commis par les milices chrétiennes dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila ont <a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-liban--9782262066475-page-229.htm">révulsé le monde entier</a>.</p>
<p>L’opinion, y compris au sein de la gauche en Israël, y voit en effet, non sans raison, la main israélienne, une passivité délibérée, une autorisation d’agir qui a rendu possibles ces crimes. Le discrédit vis-à-vis de l’État hébreu fait son chemin à gauche, et pas seulement dans la gauche de la gauche.</p>
<p>Cependant, la sensibilité favorable aux Palestiniens n’a pas encore pris de forte coloration antisémite. <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/attentat-rue-copernic-1980-condamnation-perpetuite-laccuse">L’attentat du 3 octobre 1980</a> visant la synagogue de la rue Copernic n’est d’ailleurs pas associé à la cause palestinienne. La gauche dans son ensemble participe alors d’une opinion presque unanime pour y voir une action d’extrême droite – il faudra du temps avant que l’hypothèse d’un groupe terroriste venu du Proche-Orient puisse s’imposer. Plus tard, François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, fera partie des manifestants en 1990 <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/02/18/01016-20190218ARTFIG00142-en-1990-francois-mitterrand-marchait-contre-l-antisemitisme.php">venus signifier leur refus de l’antisémitisme</a> après la <a href="https://www.lesechos.fr/2015/01/un-president-qui-manifeste-dans-la-rue-le-seul-precedent-de-mitterrand-en-1990-241470">profanation d’un cimetière juif</a>.</p>
<h2>Sionisme = Juifs, antisionisme = antisémitisme ?</h2>
<p>Le début des années 2000, le 11 septembre 2001 en particulier, marquent un tournant droitier lourd d’une forte hostilité à l’islam dans de nombreuses démocraties occidentales : gouvernement Bush, montée de l’extrême droite en Europe.</p>
<p>Dans la <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/37993-la-cohabitation-dans-la-vie-politique-francaise">France de la cohabitation</a>, celle de Chirac et Jospin, les socialistes sont plus lents que la droite à percevoir la montée d’un antisémitisme actif et virulent, souvent le fait de personnes issues de l’immigration récente, projection en hexagone des tensions proche-orientales. Aux marges de la gauche française et de ses partis, lors de manifestations pro-palestiniennes <a href="https://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-2064QG.htm">notamment en 2014</a>, des voix se font entendre non seulement visant Israël pour sa politique, mais s’en prenant jusqu’à son existence même. Les Juifs n’auraient pas droit à cet État, pourtant entériné à la naissance par la communauté internationale, y compris par l’Union soviétique.</p>
<p>Une équation élémentaire se confirme alors, héritière du soviétisme : sionisme = Juifs, et symétriquement, antisionisme =antisémitisme, oublieuse qu’il est possible d’être critique voire hostile à Israël sans être antisémite, <a href="https://www.librest.com/livres/la-derniere-histoire-juive--age-d-or-et-declin-de-l-humour-juif-michel-wieviorka_0-10266589_9782207179710.html">et qu’il existe des antisémites favorables à son existence</a>.</p>
<p>L’association de l’antisionisme et de l’antisémitisme fonctionne y compris à l’échelle internationale, comme lors de la conférence mondiale de <a href="https://www.un.org/fr/conferences/racism/durban2001">Durban</a> contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance, en 2001. Israël, pourtant seule démocratie au Proche-Orient, serait raciste, pratiquerait l’apartheid, ce qui justifierait un boycott.</p>
<h2>L’islamisme ressort puissant de l’antisémitisme</h2>
<p>La montée de l’islamisme a remis la haine des Juifs au cœur du débat. Le chercheur Marc Sageman en rend compte, en montrant qu’il constitue un <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.9783/9780812206791/html">ressort puissant</a> pour les auteurs d’attentats djihadistes au début des années 2000. Elle n’a guère de relais politique dans l’opinion et à gauche notamment, mais cela n’empêche pas une critique droitière de se développer, accusant la gauche d’aveuglement, de naïveté ou de complaisance.</p>
<p>Pour rendre compte d’orientations qui conjugueraient soutien à l’islamisme radical et appartenance à la gauche, certains ont trouvé utile de parler <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">d’islamo-gauchisme</a>, une expression en fait doublement malheureuse. Elle confond en effet islam et islamisme (islamo n’est pas islamismo), et gauche et gauchisme, alors que ceux qui y recourent sont eux-mêmes vite dans la dénonciation de toute la gauche, et dans la hantise de l’islam en général.</p>
<p>La gauche de la gauche française, et l’écologie politique n’en sont pas moins parfois pénétrées par un antisémitisme qui ne distingue ni l’existence de l’État d’Israël d’avec la politique de son gouvernement, ni cet État d’avec les juifs de la diaspora.</p>
<h2>« Dérapages » et nouvel antisémitisme</h2>
<p>La guerre en Irak, le conflit au Proche-Orient, ont suscité à plusieurs reprises, outre des attaques et menaces sur des membres de la communauté juive en France, des <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20030402.OBS8954/les-derapages-divisent-les-verts.html">« dérapages »</a> parmi certaines formations politiques. C’était le cas notamment en 2003 lorsqu’Aurélie Filippetti, alors porte-parole des Verts, décide de prendre ses distances avec son parti à la suite de <a href="https://www.liberation.fr/evenement/2003/04/02/volee-de-voix-vertes_460391/">propos antisémites</a> lors de manifestations.</p>
<p>De là à leur imputer un antisémitisme flagrant et partagé par tous les sympathisants de ces formations, à l’instar aujourd’hui de La France insoumise (LFI), il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. Cela ne vaut en effet que dans des cas limités, et en tous cas rarement explicites.</p>
<p>Le phénomène existe, pointe extrême de logiques qui, sans témoigner nécessairement d’une haine proprement antisémite, mais n’en étant pas toujours très éloignées, mettent aujourd’hui sur une même balance la barbarie et les crimes de guerre du Hamas, et la politique du gouvernement israélien, que d’ailleurs critique en Israël <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-le-sujet-meme-de-la-paix-a-disparu-215287">même une opposition démocratique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">La démocratie pervertie : un antisémitisme sans antisémites</a>
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<p>Il ne doit pas faire oublier l’antisémitisme d’extrême droite, malgré les efforts de dirigeants du Rassemblement national <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/le-rassemblement-national-est-il-l-ami-des-juifs-3659257">pour s’en démarquer</a>, ni celui qui pénètre certains musulmans avec éventuellement des soutiens idéologiques confusionnistes, d’extrême-gauche comme <a href="https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/extrait-de-lantisemitisme-a-lhomophobie-alain-soral-rattrape-par-la-justice-en-suisse">d’extrême-droite</a>.</p>
<p>Ce « nouvel antisémitisme », dont la dénomination appartient d’ailleurs plutôt au vocabulaire de la droite, est aussi diffus, poreux, flou, et, ainsi que le reflétait une enquête récente parmi les <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-etudiants-sur-lantisemitisme-2/">étudiants</a>, il taraude toute la société.</p>
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<p><em>Publication de l’auteur à paraître : <a href="https://www.librest.com/livres/la-derniere-histoire-juive--age-d-or-et-declin-de-l-humour-juif-michel-wieviorka_0-10266589_9782207179710.html">« La dernière histoire juive »</a> aux édition Denoël le 1<sup>er</sup> novembre 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215459/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’antijudaïsme puis l’antisémitisme ont aussi trouvé un espace de résonance historique au sein de la gauche française.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897312022-09-06T21:40:30Z2022-09-06T21:40:30ZLa France insoumise peut-elle se donner les moyens de ses ambitions ?<p>« Je souhaite être remplacé » : les <a href="https://reporterre.net/Jean-Luc-Melenchon-Je-souhaite-etre-remplace">mots sont ceux de Jean-Luc Mélenchon</a>, lors d’un entretien avec Reporterre, au cours duquel le fondateur de La France insoumise aborde la question sensible de sa succession. Le sujet s’est parfois immiscé dans les conversations pendant l’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat-d-ete/le-temps-du-debat-du-mercredi-24-ao%C3%BBt-2022-8751073">université d’été</a> – les <a href="https://amfis2022.fr/">Amfis</a> – de la France insoumise édition 2022, qui a donné lieu aux traditionnelles discussions sur les « refondations » à engager.</p>
<p>Dans le sillage du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/resultats-presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-termine-troisieme-du-premier-tour-avec-20-1-des-voix-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5063749.html">résultat</a> de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle (21,95 % des voix au premier tour) et des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/resultats-des-legislatives-2022-la-nupes-obtient-149-sieges-et-devient-la-premiere-force-d-opposition-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5201320.html">scores de la Nupes</a> aux élections législatives, les débats ont beaucoup tourné autour de l’électorat cible de la France insoumise et des moyens à mettre en œuvre pour conquérir <a href="https://blogs.mediapart.fr/antoine-sallespapou/blog/170422/lecons-du-10-avril">« ceux qui manquent »</a>, convaincre les « fâchés mais pas fachos » et partir à l’assaut des campagnes populaires, comme le martèle le député de la Somme <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere-des-faches-pas-fachos-20220413_5SLOQ2OMTVDYPG3IPAM5OTXGTA/">François Ruffin</a>.</p>
<p>D’autres enjeux, moins médiatisés, se jouent en interne concernant la structuration organisationnelle du parti, comme en témoignent l’intervention très remarquée de Clémentine Autain sur son <a href="https://clementine-autain.fr/lfi-franchir-un-cap-pour-gagner/">blog personnel</a> ou la récente contribution du sociologue <a href="https://www.contretemps.eu/france-insoumise-construction-mouvement-politique-populaire/">Étienne Pénissat</a>. Tous deux soulignent la nécessité de dépasser la forme originelle <a href="https://le1hebdo.fr/journal/melenchon-dit-tout/174/article/l-insoumission-est-un-nouvel-humanisme-2481.html">« gazeuse »</a> du mouvement pour adapter son organisation à la séquence politique à venir.</p>
<h2>Un cœur battant au Palais Bourbon</h2>
<p>La France insoumise a tiré profit de la nouvelle donne parlementaire. Avec ses 75 élus, le parti a plus que quadruplé son nombre de députés. Surtout, les élections législatives ont propulsé à l’Assemblée nationale des chevilles ouvrières de LFI, à l’image de Clémence Guetté, jusqu’alors secrétaire générale du groupe parlementaire et coordinatrice du programme, ou de Paul Vannier, co-responsable de l’espace élections. Manuel Bompard, l’un des principaux stratèges du parti, a lui aussi migré du Parlement européen vers le Palais Bourbon.</p>
<p>Même en l’absence de Jean-Luc Mélenchon, dont le rôle à venir est encore incertain, le cœur du réacteur insoumis est plus que jamais implanté à l’Assemblée nationale. Cette phase de croissance institutionnelle ouvre de nouvelles perspectives au mouvement créé en 2016 : accès à certains postes clés de l’Assemblée, visibilité médiatique accrue, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/21/comment-les-resultats-des-legislatives-vont-affecter-les-finances-des-partis-politiques_6131386_823448.html">doublement du financement public perçu chaque année</a>, opportunités de professionnalisation pour des militants recrutés en tant qu’assistants parlementaires, etc.</p>
<p>Mais la centralité du groupe parlementaire dans l’ossature du mouvement soulève également nombre de questions quant à l’avenir d’une organisation jusqu’ici très centralisée et conçue sur mesure pour les campagnes électorales nationales.</p>
<h2>Le mouvement « gazeux » à l’épreuve de l’implantation locale</h2>
<p>La France insoumise figure parmi ces nouvelles entreprises politiques, à l’instar de Podemos en Espagne ou du Mouvement cinq étoiles italien, qui ont récusé dans les années 2010 les formes traditionnelles de structuration partisane pour revendiquer l’appellation de « mouvement ». Cela se traduit notamment par l’assouplissement de l’adhésion et l’absence de strates intermédiaires entre le groupe dirigeant et la base militante.</p>
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<p>La France insoumise n’a donc pas mis en place d’instances territoriales ni désigné ou élu des référents locaux. Ce choix tranche avec le fonctionnement d’autres grands partis, organisés en fédérations à l’échelle des départements, ou des régions pour Europe Écologie–Les Verts. À LFI, le maillage territorial repose tout entier sur les groupes d’action (GA) qui réunissent les militants à l’échelle d’une ville ou d’un quartier sans – sur le papier – la possibilité de mettre en place des coordinations à un échelon supérieur.</p>
<p>Élaboré pour concentrer les efforts sur le scrutin présidentiel, limiter la bureaucratisation du parti et prévenir l’apparition de baronnies locales, comme l’a bien expliqué le politiste <a href="https://journals.openedition.org/crdf/301">Rémi Lefebvre</a>, ce modèle peut-il perdurer dans les prochaines années ?</p>
<p>Jusqu’ici, la France insoumise s’est accommodée de cette structure souple et d’une base militante en grande partie évanescente, caractérisée par des engagements intermittents, affluant et refluant au gré des séquences de mobilisation électorale. La pérennité de ce modèle au cours des cinq dernières années tient en partie à son intériorisation par des militants pétris par la culture de l’action dispensée par le groupe dirigeant, constitué autour du groupe parlementaire et des quelques permanents au siège parisien du parti.</p>
<h2>La primauté à l’action de terrain</h2>
<p>Qu’ils soient novices ou qu’ils conçoivent leur militantisme insoumis comme le complément d’un engagement associatif ou syndical, ceux-ci, lors de mes entretiens, décrivent volontiers leur investissement comme exclusivement tourné vers l’action de terrain – à savoir le travail de mobilisation électorale – et désencombré des querelles intestines et des rigidités bureaucratiques qui caractérisent selon eux les partis traditionnels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">LFI : du pari à la mutation ?</a>
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<p>Cette culture partisane a toutefois été mise à l’épreuve par les dernières élections territoriales. En « enjambant » les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/10/21/la-france-insoumise-veut-enjamber-les-elections-municipales_6016317_823448.html">élections municipales de 2020</a> et en plaçant au second plan les élections départementales et régionales en 2021, la direction de la France insoumise a pu susciter un sentiment d’abandon chez une partie des militants impliqués localement dans ces séquences électorales, qui s’est traduit par une certaine lassitude et par le désir d’une structure plus formalisée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiches réalisées par le Discord insoumis, à l’université d’été de la France insoumise, 27 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La croyance dans l’efficacité du « gazeux » s’est parfois effritée devant l’improvisation, la difficulté à coordonner les équipes militantes et à faire émerger des cadres clairement identifiés localement. Ces doutes ont pu être accentués par le contraste avec les partis rivaux à gauche qui, du fait d’une implantation ancienne et d’une organisation locale plus rodée, apparaissaient mieux armés pour affronter ce type de scrutins.</p>
<p>Cet enjeu de la structuration territoriale pourrait s’accentuer en préparation des futurs scrutins locaux. La conquête du pouvoir local est un défi que la France insoumise partage d’ailleurs avec la République en marche : les deux partis sont devenus incontournables au niveau national sans parvenir – sans chercher ? – à détrôner de leurs bastions institutionnels locaux des partis plus solidement ancrés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon : l’arme du charisme en politique</a>
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<h2>Concrétiser le « parti-mouvement » ?</h2>
<p>La culture de l’action professée par LFI est aussi éprouvée par le décalage entre l’autonomie théoriquement accordée aux groupes d’action et la faiblesse des moyens qui leur sont effectivement octroyés. Les militants sont nombreux à demander la mise en place d’un véritable mécanisme de financement des « GA » afin que ces derniers puissent louer des salles, organiser des formations, mener des actions sur leurs territoires, sans avoir à recourir, comme la plupart du temps aujourd’hui, à l’autofinancement.</p>
<p>Si ces demandes ne sont pas nouvelles, elles rencontrent davantage d’écho depuis le relatif succès du parti aux élections législatives, qui pose avec une acuité nouvelle la question du ruissellement des fonds partisans, et compte tenu de la volonté affichée par la France insoumise de <a href="http://www.regards.fr/actu/article/manuel-bompard-une-force-d-alternative-prete-a-gouverner-demain">« favoriser les dynamiques d’auto-organisation populaire »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les cadres LFI : Adrien Quattenens,Manuel Bompard et Jean-Luc Mélenchon, université d’été de la France insoumise, 28 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La France insoumise a-t-elle l’ambition et les moyens de se constituer en un véritable « parti-mouvement » ? Pour le politiste <a href="https://sk.sagepub.com/reference/hdbk_partypol/n24.xml">Herbert Kitschelt</a>, le parti-mouvement désigne une organisation souple et peu formalisée qui importe dans la compétition partisane le répertoire d’action des mouvements sociaux, conjuguant activité parlementaire et mobilisations extra-institutionnelles.</p>
<p>LFI correspond déjà partiellement à cette formule. <a href="https://populisme.be/articles_sc/le-local-desinvesti-une-analyse-de-lancrage-territorial-de-podemos-et-de-la-france-insoumise/">Ses militants</a> participent de multiples mobilisations collectives et ont souvent pied dans le milieu associatif.</p>
<h2>Des engagements ambitieux mais à faible portée</h2>
<p>À ces multi-engagements (associatifs, syndicaux, au sein d’organisations contestataires) à la base s’ajoutent quelques initiatives portées par le groupe dirigeant, à l’image de la « marche contre le coup d’État social » au tout début du précédent quinquennat, et des votations citoyennes organisées sur le nucléaire ou sur <a href="https://eau.vote/">l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution</a>.</p>
<p>Toutefois, les projets les plus ambitieux sur le papier n’ont pas eu la portée escomptée. Les pratiques de « community organizing », à l’image de la <a href="https://alliancecitoyenne.org/wp-content/uploads/2016/08/la_traverse_Alinsky_article.pdf">méthode Alinsky</a>, portées par le « pôle auto-organisation » de LFI, n’ont pas essaimé sur l’ensemble du territoire. À l’heure actuelle, la France insoumise est loin d’être parvenue à « se glisser dans tous les interstices de la société », comme le préconisait <a href="https://lvsl.fr/entretien-avec-manuel-bompard/">Manuel Bompard en 2017</a>.</p>
<p>LFI renouera-t-elle avec cette ambition mouvementiste dans les mois et les années à venir ou le parti empruntera-t-il une trajectoire similaire à celle de <a href="http://arbre-bleu-editions.com/podemos-par-le-bas.html">Podemos</a> ? Chez l’allié espagnol, les projets relatifs à l’auto-organisation populaire ont disparu de l’agenda partisan à mesure que le parti engrangeait des positions institutionnelles de premier plan.</p>
<p>En conséquence, les cercles de base se sont peu à peu vidés – ils comptaient, en 2020, 18 791 militants à jour de cotisation – et la capacité de mobilisation qui faisait à l’origine la force du parti s’est considérablement affaiblie.</p>
<p>Dans son discours de clôture des « Amfis », Jean-Luc Mélenchon exhortait les insoumis à lancer des collectes de fournitures scolaires pour la rentrée et à constituer des « escouades citoyennes » pour organiser la solidarité face aux conséquences du dérèglement climatique, en référence aux pluies diluviennes et aux inondations qui pourraient survenir à l’automne. Les propos du candidat insoumis à l’élection présidentielle sonnent comme une nouvelle réaffirmation de cette prétention mouvementiste, reste à voir dans quelle mesure ils seront traduits par l’organisation en des moyens et des dispositifs concrets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Dain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du mouvement La France Insoumise, plusieurs débats concernant la structuration organisationnelle du parti et sa capacité à dépasser sa forme actuelle. Vers quoi ?Vincent Dain, Doctorant en science politique au Laboratoire Arènes, Université Rennes 1, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1857912022-07-07T18:11:51Z2022-07-07T18:11:51ZLa nouvelle Assemblée nationale française va-t-elle devenir une caisse de résonance pour les voix pro-russes ?<p>La forte diversité des opinions représentées à la nouvelle Assemblée parlementaire française – et avec elle la multiplicité des partis présents dans l’hémicycle – est un bon signe pour le renouvellement de la démocratie, même si elle comporte également des risques étant donné la présence de forces d’extrême droite.</p>
<p>L’hémicycle va se transformer en champ de bataille sur des enjeux de politique intérieure, principalement les questions sociales liées aux retraites, salaires et pouvoir d’achat.</p>
<p>Mais on ne saurait oublier les questions de politique étrangère : en effet, entre le Rassemblement national (RN) et La France Insoumise (LFI), l’Assemblée pourrait s’ouvrir à des voix bien plus favorables à la Russie que ce que l’Élysée et l’administration macronienne prônent. La décision française de continuer un dialogue <em>a minima</em> avec Moscou est critiquée par certains partenaires européens bien plus virulents dans leur dénonciation de la Russie, comme la <a href="https://www.aa.com.tr/en/politics/nobody-negotiated-with-hitler-poland-rebukes-frances-macron-for-talks-with-putin/2555754">Pologne</a> ou la <a href="https://www.mirror.co.uk/news/politics/liz-truss-warns-west-against-27071437">Grande-Bretagne</a>. Cependant, elle reste modérée et en accord avec le <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2022/05/20/the-franco-german-tandem-s-struggle-over-war-in-ukraine-raises-questions-for-eu-foreign-policy_5984115_4.html">consensus ouest-européen global</a> en comparaison de certaines voix qui vont dorénavant émerger de l’hémicycle.</p>
<h2>Une gauche divisée sur la question russe</h2>
<p>À gauche, les opinions sont divisées. La coalition Nupes pourrait rapidement se trouver en difficulté sur son positionnement envers Moscou et la guerre en Ukraine. En effet, les écologistes et les socialistes sont bien plus négatifs sur la Russie que ne l’est LFI et en particulier son leader Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a, à plusieurs reprises, <a href="https://www.marianne.net/politique/jean-luc-melenchon-ce-qu-il-vraiment-dit-sur-la-russie-poutine-et-la-syrie">critiqué</a> la politique de sanctions mise en place depuis 2014 contre la Russie et incriminé l’OTAN, qu’il considère comme l’agresseur dans la guerre russo-ukrainienne actuelle, tout en soutenant l’Ukraine dans son droit à défendre sa souveraineté.</p>
<p>La supposée « russophilie » de certains des dirigeants de LFI est en réalité très circonscrite et ponctuelle : elle est dictée par la volonté de prendre ses distances envers les États-Unis, l’OTAN et le poids des complexes militaro-industriels sur la politique étrangère. Cependant, LFI, y compris son leader, se trouvent en désaccord avec Moscou sur les questions relatives aux valeurs de société : le positionnement de Moscou comme héraut des valeurs conservatrices chrétiennes, sa politisation de l’homophobie et son antimulticulturalisme contredisent directement LFI sur la question du <a href="https://laec.fr/section/5/une-republique-laique?q=la%C3%AFcit%C3%A9">sécularisme</a>, de la défense des <a href="https://laec.fr/section/56/une-nouvelle-etape-des-libertes-et-de-lemancipation-individuelle?q=LGBTI">droits des homosexuels</a> et de la célébration de la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/notre-peuple-s-est-creolise-5-questions-autour-de-ce-concept-repris-par-jean-luc-melenchon-3633660">« créolisation »</a> de la France.</p>
<h2>À droite, une russophilie nuancée par la guerre, mais bien présente</h2>
<p>Chez Les Républicains, les voix pro-russes qui s’étaient fait entendre autour de François Fillon en 2017 se sont mises en sourdine avec la guerre. Vingt-quatre députés LR sur les 62 de leur nouveau groupe sont membres du <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/tableau/OMC_PO733412/2022-06-21">groupe d’amitié France-Russie</a>, dont plusieurs avec des positions plutôt favorables à Moscou. Certains ont par exemple <a href="https://www.europe1.fr/politique/russie-pecresse-devrait-balayer-dans-son-propre-camp-juge-un-depute-allie-de-la-majorite-4096336">participé</a> à des délégations parlementaires en Russie ou en Crimée (Eric Ciotti, Olivier Marleix, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/une-elue-les-republicains-du-jura-poursuivie-par-la-justice-ukrainienne-02-10-2015-1970247_20.php">Marie-Christine Dalloz</a>). Si les LR divergent sur la question de leur orientation géopolitique (Eric Ciotti était pour sortir du commandement intégré de l’OTAN, Valérie Pécresse était bien plus atlantiste), ils partagent largement le discours russe sur les <a href="https://www.cnews.fr/france/2021-12-23/presidentielle-2022-valerie-pecresse-defend-les-racines-chretiennes-de-leurope">valeurs chrétiennes</a>.</p>
<p>À l’extrême droite également, les voix prorusses se sont tassées depuis l’invasion de l’Ukraine : le RN a voté les sanctions contre la Russie mais propose de ne pas en ajouter de nouvelles, souhaite limiter le soutien militaire à l’Ukraine, quitter le commandement intégré de l’OTAN, et dès que la paix est possible entre Moscou et Kiev, relancer un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MX59QEqsVDk">« rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie »</a>. Les convergences idéologiques et d’intérêts avec Moscou existent toujours et pourraient réapparaître progressivement une fois la vague d’émotions pro-ukrainiennes passée.</p>
<p>En effet, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les députés européens RN ont <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/20/quels-sont-les-liens-de-marine-le-pen-avec-la-russie-de-vladimir-poutine_6122903_4355770.html">défendu</a> le régime russe en votant presque systématiquement contre les résolutions du Parlement européen condamnant les violations du droit international par Moscou.</p>
<p>Idéologiquement, rien ne vient freiner le soutien à la Russie : l’alliance géopolitique (anti-atlanticisme, critique de l’OTAN) se trouve démultipliée par l’alliance de valeurs (l’héritage chrétien de l’Europe, la défense de la famille hétérosexuelle, une politique antimigratoire, etc.).</p>
<p>À cela s’ajoute des liens personnels d’amitié : la famille Le Pen est très bien <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/pas-de-region-pour-la-famille-le-pen-grande-amie-de-la-russie-de-poutine_3066301.html">connectée</a> à la droite russe depuis les années 1960 et toutes les générations sont concernées, de Jean-Marie à Marion Maréchal via Marine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">Entre le Rassemblement national et la Russie, une longue lune de miel</a>
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<h2>Relations de dépendance</h2>
<p>Il existe également des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/20/quels-sont-les-liens-de-marine-le-pen-avec-la-russie-de-vladimir-poutine_6122903_4355770.html">relations de dépendance</a>, principalement financières : le RN doit encore rembourser le prêt russe pour les élections de 2017, ce qu’il pourra dorénavant faire étant donné les sommes qui vont lui être versés par l’État, proportionnelles à ses résultats. Les contacts d’affaires sont tout aussi importants : de nombreuses figures proches des Le Pen ou membres du RN mènent des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">activités commerciales ou de conseil en Russie</a>. Ces liens d’amitiés et d’affaires laissent présager une position politique plus favorable à la Russie, en particulier sur la question sensible de la levée des sanctions.</p>
<p>Certains députés RN comme <a href="https://desk-russie.eu/2021/05/12/voyage-organise-en-crimee.html">Hélène Laporte</a>, la nouvelle vice-présidente de l’Assemblée, <a href="https://desk-russie.eu/2021/10/08/de-faux-observateurs-inernationaux.html">Frédéric Boccaletti</a>, Julie Lechanteux, ou encore <a href="https://www.liberation.fr/politique/thierry-mariani-tres-amical-observateur-des-elections-a-letranger-20210702_TWBQAKXZJVBR5BXOI4UH462BWM/">Bruno Bilde</a>, ont été invités en Russie pour observer des élections ou le référendum de 2020, et plusieurs sont membres des groupes de collaboration France-Russie (Alexandra Masson au Bureau du business club France-Russie, Nicolas Meizonnet au groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée).</p>
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<h2>Quel impact réel sur la prise de décision ?</h2>
<p>Quelles seront les conséquences pour l’Assemblée nationale ? On peut bien évidemment s’attendre à des discours plus nuancés sur la Russie au sein de l’hémicycle dans les mois à venir, d’autant plus que le conflit s’installe dans la durée. Mais quelles répercussions en termes de décision politique ? La politique étrangère reste le domaine réservé du président. Au quotidien, les choix sont faits par les conseillers de l’Élysée, le cabinet du ministre des Affaires étrangères, le Quai d’Orsay.</p>
<p>À défaut d’influencer directement la politique étrangère française au plus haut niveau, certaines des nouvelles voix pro-russes de l’Assemblée vont se recentrer sur les institutions clés que sont la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée et celle de la Défense, les groupes parlementaires et autres structures d’amitié francorusses, et la diplomatie parlementaire.</p>
<p>On risque ainsi de voir émerger des dissonances sur les questions russes entre l’Élysée et le Palais Bourbon, dans un style similaire (avec des rôles renversés) aux <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13569775.2019.1617655">disparités</a> de l’administration américaine et de la Maison Blanche durant la présidence de Donald Trump.</p>
<p>Le nouveau visage de l’Assemblée représente le choix légitime des Françaises et des Français. En outre, la plupart des entreprises du CAC40 souhaite retourner sur le marché russe dès qu’elles auront une meilleure visibilité de la situation politique et du climat d’investissements. La présidence Macron va donc devoir trouver un difficile équilibre entre de multiples voix demandant à revisiter les sanctions contre Moscou et rétablir le dialogue avec le Kremlin et le maintien du cap décidé à l’Élysée et à Bruxelles d’un soutien politique et militaire à Kiev inscrit dans la longue durée.</p>
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<p><em>Périne Schir effectue <a href="http://www.theses.fr/s300079">sa thèse</a> sous la direction d’Emmanuel Faye (Université de Rouen) et Marlene Laruelle (George Washington University).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185791/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’Assemblée nationale pourrait s’ouvrir à des voix bien plus favorables à la Russie que ce que l’Élysée et l’administration macronienne prônent.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityPérine Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821772022-05-23T19:59:02Z2022-05-23T19:59:02ZL’élite « de l’anti-élitisme », un paradoxe français<p>Les résultats de l’élection présidentielle ont amené de <a href="https://theconversation.com/la-reelection-demmanuel-macron-une-victoire-en-trompe-loeil-181841">nombreux observateurs</a> à penser que la France serait divisée en trois pôles : un centre de gouvernement, une droite regroupant ses courants conservateurs et extrémistes et une gauche majoritairement ralliée à son pôle radical.</p>
<p>Les variables de la sociologie électorale, l’abstentionnisme, le clivage entre générations ou <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-campagnes-en-tension-170041">modes de vie</a> expliquent qu’il ne s’agit pas d’une simple répétition du scénario de 2017. En effet, la crise des « gilets jaunes » et celle du Covid-19 ont accentué le <a href="https://www.cairn.info/pourquoi-detestons-nous-autant-nos-politiques--9782724620108.htm">sentiment de « détestation »</a> des hommes et des femmes politiques représentant les partis de gouvernement. <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-adorent-detester-emmanuel-macron-178665">Emmanuel Macron</a> incarne particulièrement bien cette détestation.</p>
<h2>Vers un alignement des discours contre les « élites » ?</h2>
<p>Peu parmi ces analystes ont cependant souligné la victoire sans précédent des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">candidatures se revendiquant comme anti-élitiste</a>.</p>
<p>Le terme « élite » vient du verbe <em>eligere</em> (« choisir »), terme latin en usage en France dès le XII<sup>e</sup> siècle. À l’époque contemporaine, « élite » et « élitisme » désignent dans la communauté des hommes un certain nombre de personnes « élues » destinées à diriger les non-« élues » en y associant la notion de mérite. Par opposition à l’aristocratisme, l’élitisme a une <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">connotation sociale et politique positive</a>. L’anti-élitisme est une critique radicale de cette conception. Aujourd’hui appliqué à la vie politique, il se traduit par une remise en question du caractère « méritocratique » de la compétence donc la légitimité des <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">élites de la démocratie représentative</a>.</p>
<p>Nous qualifions ainsi les candidats ayant mobilisé durant la campagne la rhétorique de l’anti-élitisme. L’extrême droite, <a href="https://twitter.com/ZemmourEric/status/1483899993530552322">Éric Zemmour</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9HZylDRkqsc">Marine Le Pen</a>, la droite souverainiste, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TgR2vV2-PrA">Nicolas Dupont-Aignan</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/politique/vaccin-cia-ombres-au-pouvoir-la-facette-conspirationniste-du-candidat-jean-lassalle">Jean Lassalle</a> mais aussi les candidats de la gauche radicale, <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.cultura.com/p-un-ouvrier-c-est-la-pour-fermer-sa-gueule-interdit-d-election-presidentielle-9782845974418.html">Philippe Poutou</a> ou encore <a href="https://www.bienpublic.com/elections/2022/04/10/nathalie-arthaud-votera-blanc-au-second-tour-fustigeant-deux-ennemis-mortels-pour-les-travailleurs">Nathalie Artaud</a> ont vilipendé le pouvoir de « l’oligarchie », des « puissants », de la « finance », de la « caste », de « ceux d’en haut », etc.</p>
<p>Les candidats ayant mobilisée cette rhétorique au premier tour des élections présidentielles entre 2012 et 2022 ont obtenu un nombre de voix en constante progression : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">33 % en 2012 ; 49,8 % : 2017 ; 61,1 % en 2022</a>. Si on ne peut pas vraiment faire de lien de causalité entre cette rhétorique et ces scores, on peut supposer que cette rhétorique n’a pas choqué les électeurs au point de les dissuader de porter leur voix sur ces candidats.</p>
<h2>Une rhétorique contre la démocratie représentative</h2>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">rhétorique anti-élitiste</a> – relayée par les leaders populistes depuis plus d’une décennie – transcende le clivage droite-gauche.</p>
<p>Comme souligne <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070749690-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/">Jacques Julliard</a> le mouvement social de 1995 a été le moment historique qui a fait de la rhétorique anti-élitiste « l’un des topos obligatoires du discours politique ». Il n’a cessé depuis de devenir central pour les styles discursifs les plus radicaux de droite mais aussi de plus en plus de gauche, en particulier de <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm"><em>La France insoumise</em></a>. <a href="https://www.puf.com/content/Cabinet_de_curiosit%C3%A9s_sociales_0">Gérald Bronner</a> rappelle que même des professionnels de la politique pourtant plus modérés ne rechignent pas à faire usage de cette figure de la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/gerald-bronner/demagogie-cognitive-information_b_6089800.html">« démagogie cognitive »</a>. Chacun se souviendra du « mon adversaire c’est le monde de la finance ! » <a href="https://www.lemonde.fr/blog/luipresident/2017/05/13/mon-adversaire-cest-le-monde-de-la-finance-quel-bilan-pour-francois-hollande/">lancé</a> par François Hollande lors de la campagne électorale de 2012. Dans ce contexte, les arguments rationnels perdent droit de cité puisque même ceux qui doivent les porter s’en débarrassent au nom de la rentabilité électorale.</p>
<p>Dans cette perspective, l’oligarchie <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">« des riches, la caste des politiciens »</a> et les technocrates de <a href="https://frontpopulaire.fr/p/revue%20N%C2%B02">« l’État profond (français ou bruxellois) »</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-110.htm">doivent partir</a>. Cet appel à se débarrasser de l’élite est consubstantiel à la division du monde entre le (bon) peuple et la (méchante) élite. Le bien ne doit-il pas naturellement chasser le mal. Relevant habituellement du bagage conceptuel de l’extrême droite, cette réduction du combat politique à des catégories religieuses a aussi été théorisée par la gauche dite « radicale ».</p>
<p>La philosophe Chantal Mouffe appelle, ainsi, à la répudiation de la raison, fondement de la démocratie libérale, au profit de l’<a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">« énergie libidinale »</a>. Elle propose de « mobiliser » cette énergie « malléable » contre l’oligarchie afin de « construire » le « peuple ». Dans cette perspective, les émotions et les affects devront se traduire par le rejet, comme le suggère le député François Ruffin, <a href="https://www.courrier-picard.fr/art/167978/article/2019-02-24/ruffin-lanti-macron-ce-rejet-physique-visceral-nous-sommes-des-millions">« physique et viscéral »</a> de l’élite.</p>
<p>De surcroît, l’anti-élitisme est présenté comme discours politique permettant de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">« sauver » la démocratie</a>. Pour ses promoteurs, l’élitisme contemporain contrarierait l’imaginaire égalitaire et occulterait les grands projets d’émancipation au profit de la mondialisation néolibérale.</p>
<h2>La mobilisation du déclin des « grands récits »</h2>
<p>Cet anti-élitisme puise sa force dans un contexte de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-faute-aux-elites-9782070407569.html">déclin des « grands récits »</a> (libéralisme, socialisme, etc.) et est aujourd’hui aisément récupéré par les tenants d’une critique de la démocratie représentative. Ce carburant idéologique des mouvements sociaux étêtés, tels que celui des « gilets jaunes », permet de mobiliser un électorat toujours plus large autour d’un prétendu clivage entre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18867/bloc-contre-bloc">« bloc élitaire » et « bloc populaire »</a>.</p>
<p>Le raisonnement de ces pourfendeurs de « l’oligarchie » repose sur une « terrible simplification » : le mythe de l’existence d’une élite « Consciente, Cohérente et Conspirante » (<a href="https://www.goodreads.com/book/show/3917666-the-myth-of-the-ruling-class">modèle de « 3 C</a> ») critiqué par James Meisel en raison de la déformation de la théorie de <a href="http://davidmhart.com/liberty/ClassAnalysis/Books/Mosca_RulingClass1939.pdf"><em>la classe dirigeante</em></a> de Gaetano Mosca. En effet, ce raccourci facilite l’association de tout type de médiation élitaire avec les théories complotistes.</p>
<p>Dans la stratégie discursive populiste, l’idée d’une élite unifiée maximisant ses intérêts concurrence fortement celle – plus en cohérence avec le pluralisme démocratique – d’une multiplicité de groupes élitaires en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0010414013512600">compétition pour le pouvoir politique, religieux social et économique</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, depuis l’administration de Georges Bush jr., des travaux ont évoqué le rôle d’une <a href="https://www.basicbooks.com/titles/janine-r-wedel/shadow-elite/9780465020843/">« élite de l’ombre »</a> (<em>shadow elite</em>) qui aurait favorisé la deuxième guerre du Golfe. Toutefois, la démonstration de l’interpénétration des réseaux néoconservateurs et l’administration des affaires étrangères, repose sur un travail dont la <a href="https://www.jstor.org/stable/41275203 ?seq=1">scientificité est discutable</a>. Une recherche, plus solide empiriquement, a ainsi démontré que, dans le cas de la <a href="https://www.cairn.info/gouverner-a-l-abri-des-regards%20--%209782724626254.htm">réforme de l’assurance maladie</a>, les groupes d’intérêts (<em>big pharma</em>, compagnies d’assurance, etc.) n’ont pas joué un tel rôle auprès de l’administration Obama. Pourtant, malgré le déficit de preuve, le mythe d’une élite omnipotente influençant l’ensemble des décisions démocratiques persiste. Dans un contexte de crise de confiance <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">à l’égard des gouvernants</a>, il renforce la croyance dans l’antiélitisme.</p>
<h2>L’élite de l’anti-élitisme : une autre oligarchie ?</h2>
<p>En poussant ce raisonnement sociologique, on pourrait établir que certains leaders mobilisant la rhétorique antiélitiste forment aussi une élite. Le diplomate britannique et ancien ministre conservateur, Georges Walden, la naissance d’une « caste supérieure de l’élite anti-élite » <a href="https://www.newstatesman.com/uncategorized/2020/09/boris-johnson-dominic-cummings-anti-elite-populists-power">(upper-caste elite of anti-elitists</a>) composée d’individus issus de milieux sociaux très privilégiés à l’image des premiers ministres David Cameron et de Boris Johnson. Tous deux issus sont les produits du cursus élitiste <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/international/etudier-a-l-etranger/detail/article/a-eton-sont-forgees-les-elites-britanniques0-3814/">Eton</a>-Oxford.</p>
<p>En France, l’élite anti-élite se caractérise par son profil de <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_professionnels_de_la_politique.html ?id=27YgAQAAMAAJ&redir_esc=y"><em>professionnel de la politique</em></a>. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en constituent des exemples emblématiques comme le montrent leur carrière et leur leadership partisan. La première est une « héritière politique » entrée dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_Le_Pen">carrière</a> dès l’âge de 18 ans, avant de gravir tous les échelons du <em>Front national</em> avant de se présenter aux élections présidentielles depuis 2012. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_M %C3 %A9lenchon">Le second</a> est un « produit de la méritocratie » à la française, obtenant son CAPES en lettres modernes et intégrant en même temps le Parti socialiste en 1976.</p>
<p>Il a cumulé au cours de sa longue carrière politique les fonctions électives entre autres de député, de sénateur, de député européen et la fonction exécutive de ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002). Depuis la création de son propre parti (Le Parti de Gauche en 2008 devenu en 2016 la France insoumise), il s’est lui aussi présenté à trois reprises aux élections présidentielles. Par ailleurs, tous deux ont imposé un leadership incontesté sur leur parti politique comme en témoignent leur réélection continue à la direction. Cette main de fer sur l’organisation illustre la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2015/07/02/politique-la-loi-d-airain-de-l-oligarchie_4667090_3260.html">loi d’airain de l’oligarchie</a> chère à Roberto Michels.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/qui-sont-les-deputes-francais%20--%209782724610307.htm">Les critères de la sociologie des élites</a>, à savoir l’origine sociale, la formation, la trajectoire professionnelle, la durée de la carrière politique, cumul et le type des mandats, montrent, sans surprise, le peu de distance les séparant de celles et ceux qu’ils dénoncent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182177/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Saïd Darviche est membre de l'Association française de science politique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire sans précédent des candidatures se revendiquant comme anti-élitiste ?William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Mohammad-Saïd Darviche, Maître de conférences, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1823432022-05-04T18:42:26Z2022-05-04T18:42:26ZUnion des gauches : retour sur 50 ans d’alliances et de déchirements<p>En 2022, le printemps des gauches françaises a des allures de tempête. Si cette saison est difficile pour une partie de la classe politique, elle s’inscrit cependant à l’intérieur d’un cycle et la tempête n’a rien d’accidentel.</p>
<p>Les origines en sont connues. Vu la violence de l’orage, l’issue reste toutefois indéterminée et un naufrage toujours possible.</p>
<p>Alors que des coalitions se forment avant les législatives sans savoir ce que cela préfigure sur le long terme, quatre temps peuvent être distingués à l’intérieur de l’histoire de la gauche française au cours des cinquante dernières années.</p>
<h2>De l’union des gauches à la « gauche plurielle »</h2>
<p>Le premier temps fut celui de l’union de ses principales organisations politiques traditionnelles, socialiste, communiste et radicale. François Mitterrand et Georges Marchais mais aussi Robert Fabre, en furent les artisans en tant que signataires, en 1972, d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_commun">« programme commun »</a>. Les formations d’extrême gauche de même que la mouvance écologiste incarnée par René Dumont restaient exclues de cette association fragile qui permit à la descendance de la SFIO, Le Parti socialiste, de s’imposer sur ses partenaires comme parti à vocation présidentielle entre 1974 et 1995.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Yzk2TyBuD1M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En juin 1972, c’est la naissance de l’union de la gauche qui adopte un programme commun pour les élections présidentielles de 1974.</span></figcaption>
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<p>Le deuxième temps fut celui de la reconnaissance de l’irréductibilité du caractère pluriel de la gauche française. Les différentes composantes de celle-ci se rejoignent à la fin du siècle dernier a minima dans un attachement à des politiques redistributives et la recherche de la définition d’une qualité de vie en Europe que la seule liberté économique de produire et de consommer ne garantit pas.</p>
<p>La notion de « gauche plurielle » occupe alors une place centrale dans le vocabulaire de Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Le gouvernement dont il est le Premier ministre, alors que Jacques Chirac a accédé à la présidence de la république en 1995, ne bénéficie pas au Parlement que du soutien des partis socialiste et communiste ainsi que des radicaux de gauche. Il peut également s’appuyer sur les écologistes et le « mouvement des citoyens » inspiré par Jean-Pierre Chevènement.</p>
<p>L’alliance des composantes de la « gauche plurielle » ne résiste pas en 2002 à la consolidation, patiemment réalisée par Jean-Marie Le Pen, de l’implantation du Front national dans la plupart des régions du pays. La séduction d’un discours nationaliste, devenu également social, l’emporte sur une rhétorique progressiste, traditionnelle et essoufflée.</p>
<p>Bâtie comme un cartel d’organisations politiques, la « gauche plurielle » néglige la construction d’une assise sociologique, c’est-à-dire les catégories sociales et professionnelles dont elle vise la représentation. Selon les termes du politologue <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070136407-le-sens-du-peuple-la-gauche-la-democratie-et-le-populisme-laurent-bouvet/">Laurent Bouvet</a>, elle tend à perdre le « sens du peuple ».</p>
<p>En outre, le Parti socialiste qui en demeurait le pôle principal échoue à convaincre que la méthode européenne est le seul choix politique réaliste pour réguler et dynamiser une économie de marché qui était minée par la stagflation avant la relance continentale favorisée par l’Acte unique en 1983 et le Traité de Maastricht en 1991.</p>
<h2>De la fracture à la recomposition/décomposition ?</h2>
<p>Le néo gaullisme de Jacques Chirac auquel succède Nicolas Sarkozy en 2007 rassure en même temps qu’il peut paraître plus cohérent dans l’articulation qu’il propose entre libéralisme et européisme. Le mandat de François Hollande est un sursaut entre 2012 et 2017, mais il n’inverse pas une tendance. La gauche plurielle se délite et le PS se divise.</p>
<p>Le troisième temps de la valse des gauches est donc celui de la fracture. Entre 2017 et avril 2022, les gauches françaises ne sont plus définies par leur pluralité mais par une double rupture. D’une part, Jean-Luc Mélenchon a confirmé son ambition d’incarner une stratégie alternative à l’européisme social-démocrate en bâtissant, à partir d’un Front de Gauche, le mouvement dit de la France Insoumise qui deviendra celui de l’Union populaire.</p>
<p>D’autre part, le ministre de l’Économie de François Hollande a misé sur l’obsolescence du parti socialiste pour lancer une entreprise social-libérale qui comprend l’avenir du pays dans les termes d’une modernisation fondée sur des politiques de l’offre et d’une participation à une Union européenne renforcée. En 2017, la victoire d’Emmanuel Macron est totale. À gauche, le Parti socialiste et la France Insoumise totalisent moins de 10 % des sièges de l’Assemblée nationale dans laquelle aucun élu d’une liste écologiste n’est présent.</p>
<p>Les tractations lancées en avril 2022 laissent présager un quatrième temps, celui d’une composition. Reste à voir, au fil du second mandat d’Emmanuel Macron, s’il s’agira d’une recomposition ou d’une décomposition.</p>
<h2>État des lieux provisoire</h2>
<p>À la veille des élections législatives du mois de juin, les débats au sein d’une gauche nationale fragmentée sont le produit d’une histoire d’au moins cinquante ans et non d’accidents récents.</p>
<p>La faiblesse, en avril, du mouvement écologiste dans lequel Olivier Faure voyait l’avenir du Parti socialiste confirme à la fois la centralité conservée par les préoccupations matérielles des citoyens et le peu de crédibilité depuis les années 1970, hormis en Allemagne, des Verts pour assurer la transition énergétique. Ce déficit de crédibilité et de représentation à l’échelle nationale contraste avec le statut de force politique de premier plan dans plusieurs grandes villes depuis les élections municipales de 2020. Dans la nuit du 1<sup>er</sup> au 2 mai, EELV a pourtant misé sur une alliance avec la France Insoumise dans une « Nouvelle union populaire écologique et sociale » plutôt que sur une lente conquête nationale basée sur ses bilans municipaux et la stimulation d’une « économie sociale » post-capitaliste dans les territoires.</p>
<p>Ensuite, les débats internes du PS rendent compte de la permanence d’un attachement à la contestation du bien-fondé du projet européen jalonné par les traités de Rome, Paris et Lisbonne. D’essence jacobine et notamment défendue par Jean-Luc Mélenchon avant qu’il ne quitte le parti, ses tenants prétendent pouvoir négocier d’autres traités que ceux qui ont été conclus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-socialisme-est-il-mort-181209">Le socialisme est-il mort ?</a>
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<p>Enfin, une partie des orientations de la République en Marche reproduit les contenus du « socialisme de l’offre », dont il existe des variantes germaniques, anglo-saxonnes et scandinaves qui avaient déjà séduit une partie de l’électorat du PS en 2017. La question ouverte est de savoir dans quelle mesure Emmanuel Macron réussira en juin à conserver cet électorat, voire à l’étendre dans l’hypothèse d’une fédération de gauches par Jean-Luc Mélenchon. Le ralliement au Président de la République de Jean-Pierre Chevènement est un indice. Le choix des électeurs est toutefois plus incertain que celui des leaders. Et cette incertitude concerne notamment la proportion dans laquelle Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon réussiront respectivement à canaliser le mécontentement social. Car, de l’opposition à l’extension aux couples homosexuels du droit au mariage aux manifestations des « gilets jaunes », ce mécontentement frappe par son caractère pluriel.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, les élections législatives de juin 2022 ne seront qu’une étape dans la restructuration du paysage politique français et européen.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-pourra-t-elle-sinscrire-dans-la-duree-180978">La France insoumise pourra-t-elle s’inscrire dans la durée ?</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente contribue à différentes revues européennes et fondations, parmi lesquelles la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).</span></em></p>Avec l’union des gauches sous la banderole de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) assiste-t-on à une nouvelle étape dans la restructuration du paysage politique français ?Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819082022-04-27T18:19:43Z2022-04-27T18:19:43ZLes citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460044/original/file-20220427-12-v2t50v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1440&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet présentent différentes caractéristiques : ils sont plus intéressés par la politique, plus diplômés, et plus jeunes que la moyenne. Sont-ils plus radicaux ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/m%c3%a2le-nuit-t%c3%a9n%c3%a8bres-l%c3%a9ger-t%c3%a9l%c3%a9phone-2013929/">KristopherK/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les usages électoraux d’Internet et des réseaux sociaux ont été particulièrement scrutés lors de la campagne <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/il-ne-faut-pas-reduire-l-adhesion-pour-un-candidat-a-des-chiffres-d-engagement-marketing-sur-tiktok">d’avant premier tour</a>. De nouvelles plates-formes, telles que TikTok ou Twitch, ont été fortement investies afin de toucher les plus jeunes, et certains candidats semblent y avoir été plus performants que d’autres – notamment <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/29/sur-youtube-et-twitch-jean-luc-melenchon-et-eric-zemmour-parlent-plus-que-les-autres_6119618_4355770.html">Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour</a>. À cet égard, des études montrent que l’activisme sur Internet se structure souvent sur des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=-FWO0puw3nYC">bases idéologiques</a> et est plus élevé aux <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=BBH7DAAAQBAJ">extrêmes de l’échiquier politique</a>. D’où une question : les citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux que l’ensemble des électeurs ?</p>
<h2>Les citoyens actifs sur Internet sont-ils plus radicaux ?</h2>
<p>En France, les usages électoraux d’Internet et des réseaux sociaux se sont développés depuis la présidentielle de 2012. Ils restent cependant relativement minoritaires. En témoignent les chiffres présentés en Figure 1 ci-dessous et récoltés lors de la première semaine de janvier :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Nombre de likes et de commentaires sur les publications Twitter et.
Facebook des candidats durant la première semaine de janvier 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Les commentaires à la suite de messages de candidats restent relativement peu nombreux tant sur Twitter que sur Facebook. Ainsi, si Jean-Luc Mélenchon récolte respectivement 23 491 et 126 465 commentaires, ce qui en fait le candidat le plus commenté, ces chiffres restent relativement modestes si on les rapporte au nombre d’inscrits sur les listes électorales, ou même au nombre de personnes inscrites sur les réseaux sociaux en France (40 millions d’utilisateurs mensuels de Facebook, 8 sur Twitter, 22 sur Instagram, 50 sur YouTube).</p>
<p>Surtout, certains candidats ne récoltent que quelques centaines de commentaires – ou même moins. Même si l’on regarde le nombre de likes, pratique moins coûteuse pour les internautes que le commentaire, les réactions aux messages des candidats restent relativement rares, a fortiori lorsqu’on les compare à leurs nombres d’abonnés. Pour ne prendre que quelques exemples, les likes recueillis par Emmanuel Macron sur Twitter durant la première semaine de janvier ne représentent que 2,6 % de ses abonnés, ceux reçus par Jean-Luc Mélenchon 4,4 %, ceux reçus par Marine Le Pen 1,8 %, et ceux reçus par Anne Hidalgo 0,8 %.</p>
<p>Reste que certains candidats suscitent plus de réactions que d’autres, et qu’à l’exception du cas particulier du président sortant, les candidats recueillant le plus d’interactions (likes et commentaires) sont les candidats d’extrême droite (Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan) et Jean-Luc Mélenchon, ce qui tend à accréditer l’idée que les citoyens mobilisés sur Internet exprimeraient des choix électoraux plus radicaux et plus polarisés que la population électorale générale.</p>
<h2>Pourquoi de telles différences d’activité sur Internet ?</h2>
<p>On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet présentent différentes caractéristiques : ils sont plus intéressés par la politique, plus diplômés, et plus jeunes que la moyenne. Hormis en termes d’âge, ils ressemblent en réalité beaucoup aux citoyens actifs « hors ligne ». Ces pratiques politiques s’imbriquent d’ailleurs fortement : en 2012, par exemple, les électeurs ayant participé à un meeting étaient aussi parmi les plus actifs sur Internet.</p>
<p>Mais l’on sait aussi – et surtout – que, après avoir contrôlé par le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, la situation professionnelle et l’intérêt pour la politique, les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-00973133">individus politiquement actifs sur Internet en 2012</a>, ceux qui ont consulté le site ou la page Facebook d’un candidat lors des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-elections/Elections-regionales-2015">élections régionales de 2015</a>, ou encore ceux qui ont suivi un candidat sur Internet lors de la <a href="https://cdsp.sciences-po.fr/fr/ressources-en-ligne/ressource/fr.cdsp.ddi.FES2017/">campagne présidentielle de 2017</a>, sont soit sensiblement plus à gauche, soit, pour une part plus faible, plus à droite, que le reste des citoyens. C’est en particulier le cas lorsque l’intensité de l’activisme sur Internet est plus faible, comme lors des régionales de 2015.</p>
<p>Le Tableau 1 ci-dessous complète ce portrait en montrant que, entre ceux qui se déclarent très à gauche et ceux qui se déclarent très à droite sur l’échiquier politique, des différences existent toutefois quant aux réseaux sur lesquelles ils choisissent d’être actifs :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tableau 1. A consulté, partagé, « liké » ou commenté un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur les réseaux sociaux ces 7 derniers jours (en %). Dans les 7 derniers jours avant la passation du questionnaire, 9,4 % des individus se déclarant au centre ont consulté, « liké » ou partagé un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur un réseau privé (WhatsApp, par exemple).
Champ : ensemble des répondants (N = 1619)</span>
<span class="attribution"><span class="source">French Election Study 2022, vague 1 (novembre-décembre 2021), CDS</span></span>
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</figure>
<p>Si Facebook semble autant mobilisé à l’extrême droite que par les individus se déclarant très à gauche, on note cependant des différences concernant tous les autres réseaux sociaux, qui sont bien plus utilisés à l’extrême droite.</p>
<p>L’écart est très important sur Twitter : seuls 2,5 % des individus se déclarant très à gauche affirment avoir consulté, partagé, « liké » ou commenté du contenu sur cette plate-forme dans les sept jours précédant l’enquête. Ce chiffre est quatre fois plus élevé chez ceux qui se positionnent très à droite (12 %), soulignant possiblement en miroir l’activisme intense des soutiens d’Éric Zemmour sur cette plate-forme.</p>
<p>Notons, enfin, que la <a href="http://www.afsp.info/archives/congres/congres2009/sectionsthematiques/st7/st7.html">sociologie des organisations partisanes</a> offre une piste d’explication complémentaire à celle esquissée ci-dessus : contrairement aux partis structurés en courants ou tendances, les partis d’extrême droite, plus centralisés et constitués autour d’un leader charismatique, ont peut-être moins de difficulté à concevoir un discours unitaire et à le faire diffuser sur Internet par leurs bases militantes.</p>
<p>Sur la base de ces résultats, et bien qu’il faille relativiser l’influence des réseaux sociaux sur le résultat final d’une élection, on peut s’attendre à ce que les électeurs soutiens d’Emmanuel Macron se mobilisent moins fortement sur Internet que les électeurs d’extrême droite – alors même qu’il est le président sortant et que sa stratégie numérique tiendra compte de ce paramètre. De même, lors des élections législatives, on peut s’attendre à nouveau à un sur-investissement des réseaux sociaux par les citoyens exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.</p>
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<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Neihouser a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Felix-Christopher von Nostitz a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François Briatte a reçu, dans le cadre du projet de recherche PEOPLE2022, des financements de l'Université Catholique de Lille et de l'Université de Lille.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Giulia Sandri a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p>On note un surinvestissement sur les réseaux sociaux de citoyens s’exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.Marie Neihouser, Chercheuse en science politique, Université Fédérale Toulouse Midi-PyrénéesFelix-Christopher von Nostitz, Research and Teaching Assistant in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)François Briatte, Assistant Lecturer in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)Giulia Sandri, Professeur en science politique, ESPOL, Université Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813112022-04-18T15:52:23Z2022-04-18T15:52:23ZÉlection présidentielle : la défiance de la population catalyse un vote de sécession<p>Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle peut être lu de deux manières. Si l’on suit une <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">grille de lecture politique</a>, on peut comptabiliser trois blocs idéologiquement cohérents et de force comparable. La droite néolibérale rassemble 32,63 % des voix autour des candidatures d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse ; l’extrême droite identitaire (Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan) constitue un deuxième bloc qui pèse 32,28 % des suffrages ; enfin, le total des voix de gauche et d’extrême gauche représente un dernier bloc rassemblant 31,94 % de l’électorat. Reste les 3,13 % des électeurs de Jean Lassalle, inclassable politiquement.</p>
<p>Une telle analyse du scrutin conduit à minimiser les risques d’une accession de Marine Le Pen à la présidence. Non seulement Emmanuel Macron parviendrait facilement à rassembler son bloc (légèrement plus important numériquement que celui de l’extrême droite) mais de plus il bénéficierait de l’appui d’une partie importante de la gauche dont les responsables sont unanimes dans leurs appels à faire « barrage » à l’extrême droite. Ainsi, sans trop prendre de risque, on pourrait pronostiquer une facile réélection du Président.</p>
<p>Mais si c’est ainsi qu’il faut interpréter le scrutin, pourquoi sent-on une <a href="https://www.challenges.fr/france/pour-emmanuel-macron-rien-n-est-joue-et-il-a-raison_808730">telle fébrilité</a> dans le camp macroniste ? Pourquoi les sondages annoncent-ils un score serré entre les deux finalistes ? C’est qu’il existe une autre manière d’interpréter le vote de dimanche.</p>
<h2>Une autre grille de lecture</h2>
<p>Si l’on adopte une grille de lecture sociologique, il n’y a pas trois blocs mais deux camps. Le premier, le camp conservateur, représente les gagnants de la mondialisation. Il rassemble ceux qui défendent plus ou moins l’ordre établi et qui s’accommodent, sans toujours l’approuver, de la politique actuelle. Ses électeurs sont des personnes âgées qui n’ont pas connu la précarité au travail. Ils ont confiance dans les institutions, dans la presse et sont bien insérés socialement. Ils sont de droite et de gauche, d’un niveau socio-éducatif élevé et vivent majoritairement dans les banlieues aisées, en centre-ville et dans les <a href="https://theconversation.com/le-vote-metropolitain-et-ses-fractures-lexemple-de-montpellier-181188">métropoles</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/13/presidentielle-2022-ralliements-programme-emmanuel-macron-contraint-au-grand-ecart-en-vue-du-second-tour_6121903_6059010.html">Ce camp agrège</a> aux néolibéraux les partis pro-européens de gauche (Hidalgo et Jadot) ainsi qu’une bonne moitié de l’électorat d’Éric Zemmour et une partie de l’électorat de Mélenchon ou de Fabien Roussel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514338863145226250"}"></div></p>
<p>En face de ce camp se trouve la France des ronds points, des « gilets jaunes », celle qui manifestait contre le passe sanitaire et la vaccination. Cette France, peu sensible à la politique institutionnelle, rassemble les précaires et les classes populaires. Politiquement, <a href="https://metropolitiques.eu/Loin-des-urnes-L-exclusion-politique-des-classes-populaires.html">elle est le plus souvent abstentionniste</a>, même si elle s’exprime davantage à l’occasion des élections présidentielles.</p>
<p>C’est à cette France que Marine Le Pen doit pratiquement <a href="https://theconversation.com/et-si-le-second-tour-se-jouait-sur-le-social-181271">tous ses suffrages</a>, mais cet électorat s’est aussi porté électoralement sur Mélenchon, notamment dans les banlieues et les Antilles, et sur Dupont-Aignan, Lassalle et Zemmour. Cette France déclassée tient les clés du second tour. Selon la dynamique de campagne, elle pourrait soit retourner à son abstention habituelle, soit voter Marine Le Pen. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est potentiellement majoritaire.</p>
<h2>La force des mouvements antisystèmes</h2>
<p>D’une manière plus triviale, ce qui frappe dans cette élection c’est la force des partis antisystèmes. Pour la première fois depuis le début de la V<sup>e</sup> République, les électeurs ont voté à une très large majorité pour des candidats porteurs d’un discours de rupture.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-origines-du-populisme-yann-algan/9782021428582">ouvrage</a> paru en 2019, les chercheurs Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen et Martial Foucault proposent une explication quant à l’émergence des mouvements antisystèmes. Selon eux, le populisme émerge lorsque la défiance s’accroît au sein de la société.</p>
<p>Ils distinguent deux sortes de défiance et donc deux sortes de populisme : d’abord, une défiance purement institutionnelle qui fait le lit d’un populisme de gauche qu’incarnerait par exemple <a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">Jean-Luc Mélenchon</a> ou le mouvement des « gilets jaunes ». Ce populisme croit en l’action collective mais ne croit plus aux institutions actuelles qu’il souhaite transformer en profondeur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-marc-lazar-le-populisme-est-une-menace-pour-la-democratie-mais-aussi-une-opportunite-170136">Conversation avec Marc Lazar : « Le populisme est une menace pour la démocratie mais aussi une opportunité »</a>
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<p>À l’inverse, pour les auteurs, les populistes de droite seraient le produit d’une défiance généralisée qui s’adresse autant aux personnes qu’aux institutions sociales. On retrouve cette forme de populisme dans l’électorat de Marine Le Pen, chez les abstentionnistes et au sein des mouvements « antivax ».</p>
<p>Il est la conséquence d’une société <a href="https://www.nouvelobs.com/chroniques/20210621.OBS45568/l-anomie-sociale-ce-sentiment-grandissant-qui-explique-l-abstention-massive.html">marquée par l’individualisme et une forme d’anomie</a>. Il se nourrit parfois d’une paranoïa qui rend sensible les personnes concernées aux thèses du grand remplacement et au complotisme. C’est une population qui a tendance à se replier sur sa sphère privée ou familiale.</p>
<p><a href="https://agone.org/livres/pourquoilespauvresvotentadroite">Les ouvrages du journaliste américain Thomas Frank</a> décrivent assez justement les sociétés « anomiques » (« sans loi ») au sein desquelles prospère le populisme de droite. Dans ces quartiers résidentiels américains, souvent marqués par la désindustrialisation et la dégradation des services publics, la haine contre le « progressisme » tient lieu de ciment social.</p>
<p>Si les causes des populismes sont assez claires, les raisons pour lesquelles la défiance s’accroît au sein d’une société le sont moins. Dans <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807328846-populisme-et-neoliberalisme-il-est-urgent-de-tout-repenser"><em>Populisme et néolibéralisme</em></a>, j’ai avancé une explication.</p>
<p>La population perd confiance envers ses institutions lorsque ces dernières ne jouent plus leur rôle qui consiste à tisser des liens et à construire la vie sociale. Ainsi, la première des institutions est l’État, et le premier rôle de l’État est de protéger ses propres citoyens. Or, en choisissant d’insérer la France dans la mondialisation, les gouvernements, depuis quarante ans, ont réduit le champ de l’action politique à des logiques d’attractivité et de compétitivité.</p>
<p>La règle de la « bonne gestion » est devenue d’arbitrer systématiquement en faveur des capitaux et des classes supérieures, qui sont mobiles et s’installent là où la fiscalité est la plus douce, contre le travail et les classes populaires et moyennes qui elles sont immobiles et doivent supporter l’essentiel de la charge fiscale.</p>
<h2>Une clarification néolibérale</h2>
<p>Vu sous cet angle, le quinquennat qui s’achève fut celui d’une clarification néolibérale, c’est-à-dire qu’il a pris un parti pris clair : celui de mettre l’État au service d’une adaptation de la société aux marchés.</p>
<p>Ce parti pris se retrouve dans la politique fiscale : suppression de l’impôt sur la fortune, baisse de la taxation du capital et de l’impôt sur les sociétés, hausse les taxes sur la consommation. Il se retrouve aussi dans une conception des services publics marquée par la réduction des coûts (fermeture des lits dans les hôpitaux, gel des salaires dans la fonction publique, réduction des dotations aux collectivités territoriales).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458361/original/file-20220416-22-uiv52u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pression fiscale des ménages et des entreprises 1980-2019.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, la gestion du Covid a donné l’impression que <a href="https://atlantico.fr/article/video/-il-n-y-a-pas-d-argent-magique-repond-le-president-a-une-salariee-qui-deplore-le-manque-de-moyens-des-hopitaux">« l’argent magique »</a> qui n’existait pas pour répondre aux besoins des soignants de l’hôpital de Rouen pouvait soudainement affluer pour compenser les pertes des entreprises liées à la crise sanitaire.</p>
<p>Cette politique publique orientée vers le soutien prioritaire au secteur privé, au détriment des besoins sociaux a nourri et entretenu une défiance au sein de l’électorat. Les politiques gouvernementales sont-elles au service de l’intérêt général et du plus grand nombre, ou répondent-elles aux pressions des lobbies et des grandes entreprises ? Cette défiance qui s’est révélée lors du mouvement des « gilets jaunes » s’est ensuite cristallisée au moment de la crise sanitaire durant laquelle les théories les plus folles ont circulé sur l’innocuité des vaccins ou sur la pertinence des confinements.</p>
<p>Plus généralement, ce qui est apparu aux yeux d’une partie de l’opinion, c’est que l’État n’était pas là pour protéger la population, mais <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/barbara-stiegler">pour la punir ou la manipuler</a>. C’est cette thèse teintée de paranoïa que défend la philosophe Barbara Stiegler. Les conséquences de cette défiance ont pu être mesurées par le taux de vaccination, beaucoup plus faible dans les territoires populaires et les départements d’outre-mer que dans les quartiers favorisés.</p>
<p>Le résultat du 10 avril semble exprimer la même défiance. Si les institutions ne sont pas remises à l’endroit, si les politiques menées continuent de donner l’impression de servir des intérêts qui ne sont pas ceux de la majorité, il est clair qu’une partie grandissante de la population sera tentée par le vote de sécession.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Cayla est membre du collectif des Économistes atterrés.</span></em></p>Pourquoi sent-on une certaine fébrilité dans le camp macroniste ? Pourquoi les sondages annoncent-ils un score serré entre les deux finalistes ? Un autre manière d’interpréter le vote de dimanche.David Cayla, Enseignant-chercheur en économie, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1812092022-04-13T18:37:08Z2022-04-13T18:37:08ZLe socialisme est-il mort ?<p>Le socialisme semble à l’agonie. Après le <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">premier tour de l’élection présidentielle</a> française du 10 avril, si l’on s’en tient au score du parti qui porte encore son nom, on peut même le considérer en voie de disparition. Et le faible score du Parti communiste français semble conforter la marginalisation des courants issus du « socialisme historique ».</p>
<p>Ce « socialisme historique », <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-pourra-t-elle-sinscrire-dans-la-duree-180978">Jean-Luc Mélenchon</a> s’en réclamait lorsqu’il a quitté le Parti socialiste en 2008 pour fonder le Parti de gauche.</p>
<p>Il a ensuite pris radicalement ses distances avec le clivage gauche/droite et l’adjectif socialiste en fondant la « France insoumise » en 2016. Jean-Luc Mélenchon et ses proches théorisent alors sa disparition : seul importe désormais le clivage populiste entre « élites » et « peuple ».</p>
<p>Pourtant, alors que le candidat de la « France insoumise » répétait en 2017 qu’il ne fallait plus se réclamer de la gauche pour parler au « peuple » et élargir son assise, les raisons de son succès en 2022 semblent résulter de son appel au « vote efficace » avec une référence appuyée à la « gauche » dans la dernière ligne droite.</p>
<h2>L’envers du capitalisme</h2>
<p>Le référent de gauche a refait ainsi spectaculairement surface chez ceux qui le conspuaient encore quelques mois plus tôt. La gauche existerait-elle finalement, même affaiblie ? Nous faisons le pari que le « socialisme » et ses héritages, même lorsqu’il est nommé autrement, constitue l’envers du capitalisme.</p>
<p>L’exploitation capitaliste et les différents modes de domination qu’elle implique provoquent nécessairement des conflits, des luttes, et donc l’émergence de projets alternatifs, <a href="https://www.puf.com/content/Histoire_globale_des_socialismes_XIXe-XXIe_si%C3%A8cle">qu’ils soient modérés ou radicaux</a>.</p>
<p>En ce sens continuera à exister un socialisme, plus ou moins nourri des expériences passées, porté par des courants politiques divers, tant que le capitalisme existera. C’est une des thèses centrales qui traverse notre ouvrage collectif, co-dirigé avec Stéphanie Roza et Razmig Keucheyan, <a href="https://www.puf.com/content/Histoire_globale_des_socialismes_XIXe-XXIe_si%C3%A8cle"><em>Histoire globale des socialismes</em></a>.</p>
<p>Mais comment expliquer un tel effondrement du « socialisme » sous la forme du parti qui porte son nom ? Sortons un instant de France ; les choses sont alors autrement plus complexes.</p>
<p>Il y a 20 ans, les partis socialistes ou sociaux-démocrates <a href="https://journals.openedition.org/lectures/13432">gouvernaient la majorité des pays de l’Union européenne</a>. Puis ils ont presque tous traversé de profondes crises. Leur affaiblissement a donné lieu à des pronostics de disparition à plus ou moins court terme. La mort annoncée n’a pourtant pas eu lieu.</p>
<p>On peut certes discuter de l’orientation politique de ces partis par rapport à ce qu’ils défendaient il y a encore une trentaine d’années. Ainsi du SPD en Allemagne qui a vu sa base sociale, notamment ouvrière, s’éroder avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2005-1-page-155.htm">réformes libérales de Schröder</a>.</p>
<p>L’émergence d’une gauche radicale autour de <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2008-1-page-129.htm">« Die Linke »</a> puis la montée en puissance des écologistes avait un temps semblé sortir de l’histoire le plus vieux parti ouvrier d’Europe.</p>
<p>Celui-ci est finalement revenu au pouvoir récemment, à la tête d’une coalition nouée fin 2021 entre le parti social-démocrate (SPD), les Verts et les libéraux, rassemblée autour du chancelier <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/olaf-scholz-le-chancelier-allemand-a-la-tete-d-8217-une-coalition-inedite_2165225.html">Olaf Scholz</a>, successeur d’Angela Merkel.</p>
<p>En Espagne et au Portugal, le Parti socialiste gouverne également en position dominante. Dans ces trois pays, la gauche radicale était forte, tout particulièrement en Espagne. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_alternative__podemos_mouvements_sociaux_et_renouveau_politique_en_espagne-9782348036125">Podemos</a> fut longtemps le modèle revendiqué de la « France insoumise »… tant que l’organisation remportait des succès éclatants.</p>
<p>Mais Podemos n’a pas réussi à briser l’hégémonie du Parti socialiste espagnol. À Lisbonne, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">socialistes ont remporté triomphalement les élections</a>, faisant tomber les formations de gauche radicale à un niveau historiquement bas.</p>
<p>En Allemagne, suite à une crise interne de Die Linke, le bastion ouvrier de la Sarre leur a complètement échappé à des élections intermédiaires : le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/allemagne-le-spd-de-scholz-remporte-largement-son-premier-test-lors-d-une-election-regionale_5048122.html">SPD a remporté triomphalement les élections régionales</a>, avec 43 % des suffrages.</p>
<p>Enfin, si le Parti travailliste britannique est largement en crise, il est loin d’avoir atteint à des élections nationales des scores aussi bas que son alter ego en France.</p>
<p>Ajoutons que l’adjectif socialiste lui-même peut connaître des fortunes étonnantes comme aux États-Unis où, quasiment tabou depuis la guerre froide, il est devenu à la mode dans l’aile gauche des démocrates autour de Bernie Sanders depuis une dizaine d’années.</p>
<h2>L’exception française ?</h2>
<p>Le socialisme existe donc encore. Dans ce contexte, l’élection présidentielle française fait presque figure d’anomalie. La différence clef – même si elle n’explique pas tout – réside dans un <a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">mode de scrutin</a> très particulier.</p>
<p>L’élection présidentielle favorise à l’extrême la personnalisation, bien plus que dans la quasi-totalité des autres pays du continent. À l’heure de la crise des partis politiques, ce scrutin accroît encore le fossé entre les élections intermédiaires et locales – où les partis parviennent toujours à tirer leur épingle du jeu – et l’élection à la fonction suprême.</p>
<p>Le résultat apparaît en effet déformant, avec de grands partis totalement laminés. À gauche, il est frappant de constater que, depuis 2017, LFI n’a réussi nulle part à s’imposer, à aucune élection intermédiaire locale, même lorsqu’il y avait une portée nationale comme aux élections européennes.</p>
<p>Qui plus est l’organisation a été traversée par des crises fortes, a changé de paradigme sur des questions essentielles (notamment sur la laïcité) à distance de la campagne de 2017.</p>
<p>Parallèlement, là où LFI a pu obtenir des élus et un score honorable, comme aux élections régionales en Île-de-France, on constate qu’il s’agit d’une très classique union de la gauche qui lui a permis d’avoir des élus.</p>
<p>La personnalité de Jean-Luc Mélenchon, ses talents oratoires et la véritable « machine de guerre » construite habilement par des cadres maîtrisant parfaitement tous les codes de la présidentialisation à outrance (en mobilisant dans la dernière ligne droite le vote « utile » ou « efficace ») a permis d’écraser, comme en 2017, la totalité de ses concurrents de gauche.</p>
<p>Cela donne l’impression – et la probable illusion – que vient de se former un « bloc populaire » puissant. Sera-t-il en capacité de structurer une alternative durable ?</p>
<p>Si se répète un processus similaire avec les mêmes acteurs de ces dernières années, on peut légitimement en douter. Certes, on ne manquera pas d’arguments en soulignant que les deux autres grands blocs, autour de LREM et du RN, parviennent à dominer la vie politique malgré leur déficit d’implantation.</p>
<p>Mais la comparaison trouve vite ses limites, car le libéralisme politique et élitiste d’un Macron n’a pas besoin d’une importante base militante pour s’imposer, à la différence de la gauche et des formations issues des idéaux du mouvement ouvrier. Défendre les dominés implique une structure pérenne et démocratique pour pouvoir s’affronter aux puissants.</p>
<p>Une gauche devient forte lorsqu’elle a acquis une implantation, qu’elle a mené une guerre de positions durable. Si les modalités de la vie politique ont assurément changé, rien n’indique que l’on puisse définitivement se passer de ce lent travail de structuration, qui permit par le passé d’importantes victoires pour les partisans du socialisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Numa Ducange a reçu des financements pour des publications scientifiques des Fondations Jean-Jaurès et Gabriel-Péri. Il est expert en histoire pour la Fondation Jean-Jaurès et membre du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri. Il a apporté son soutien à Fabien Roussel lors de la campagne présidentielle.
</span></em></p>Les partis issus de la gauche historique se sont effondrés au premier tour de la présidentielle. Mais le socialisme est-il mort pour autant ?Jean-Numa Ducange, Professeur des Universités, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1805192022-04-03T16:16:00Z2022-04-03T16:16:00ZComment les candidats se positionnent au sujet des énergies renouvelables ?<p>Conformément aux engagements internationaux (<a href="https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/l-accord-de-paris/l-accord-de-paris">Accord de Paris sur le climat, 2015</a>) et européens (<a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr">Pacte vert pour l’Europe, 2019</a>), la France affiche de fortes ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre exigeant une action rapide pour décarboner les modes de production et de consommation de l’énergie. Bien que la <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/t2020_rd330/default/table?lang=fr">part de renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie</a> (2020) soit inférieure (19 %) à celle de la moyenne de l’Union européenne (22,1 %), le déploiement des sources d’énergies renouvelables constitue aujourd’hui un enjeu fondamental de la transition énergétique française tels qu’en témoignent les éléments chiffrés de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/20200422%20Programmation%20pluriannuelle%20de%20l%27e%CC%81nergie.pdf">programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), 2019-2028</a>.</p>
<p>Face à ce constat, les candidats à l’élection présidentielle (sauf <a href="https://www.nathalie-arthaud.info/">Nathalie Arthaud</a> qui n’a aucune proposition à ce sujet) ont des propositions très variées, certains proposant un mix énergétique 100 % renouvelable quand d’autres proposent l’arrêt, voire le démantèlement des parcs éoliens existants.</p>
<p>Bien que clivant, le débat semble aujourd’hui dépasser la simple question d’un choix entre les énergies renouvelables ou non.</p>
<h2>Une transition énergétique avec ou sans nucléaire</h2>
<p>La position politique pour un mix énergétique 100 % renouvelable semble trancher l’épineux débat sur la sortie ou la relance de l’énergie nucléaire. La sortie du nucléaire est envisagée de manière consensuelle à l’horizon 2050, mais à différentes vitesses : <a href="https://poutou2022.org/programme">sortir en 10 ans maximum</a> pour Philippe Poutou (NPA) ; <a href="https://www.jadot2022.fr/programme">sortir de manière « responsable »</a> en arrêtant 10 réacteurs d’ici 2035 pour Yannick Jadot (EELV) ; ne pas sortir avant 2050 comme il s’agit d’une « <a href="https://www.2022avechidalgo.fr/notre_programme">énergie de transition</a> pour Anne Hidalgo (PS). Sa mise en œuvre est prévue notamment par le développement plus ou moins massif des technologies renouvelables.</p>
<p>À titre d’exemple, le programme de <a href="https://www.jadot2022.fr/programme">Yannick Jadot</a> annonce l’installation de 3 000 mâts d’éoliennes supplémentaires et de 25 GW de photovoltaïque en plus sur le quinquennat. Pour la faisabilité de la sortie, les programmes de <a href="https://melenchon2022.fr/">Jean‑Luc Mélenchon</a> (La France Insoumise), de Yannick Jadot et de Philippe Poutou insistent aussi sur la nécessaire réduction de la consommation d’énergie par la <a href="https://theconversation.com/une-france-zero-carbone-en-2050-pourquoi-le-debat-sur-la-sobriete-est-incontournable-172185">sobriété</a> et l’<a href="https://theconversation.com/efficacite-energetique-est-il-vraiment-possible-de-faire-mieux-avec-moins-113796">efficacité énergétique</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1-28-grEZjk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les candidats (sauf ceux de l’extrême droite) étaient invités dans l’émission <em>Le Débat du siècle</em> (Jean Massiet, Paloma Moritz, sur Twitch) pour évoquer l’écologie dans leur programme.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Des propositions imaginées par la société civile</h2>
<p>Les candidats se réfèrent également aux scénarios imaginés par différentes associations. Ainsi <a href="https://negawatt.org/index.php">négaWatt 2022</a> vise la neutralité carbone en 2050 ainsi qu’un mix énergétique 96 % renouvelable. <a href="https://afterres2050.solagro.org/decouvrir/scenario/">Afterres2050</a> souligne la possibilité de diviser par 2 nos consommations finales d’énergie, par 16 nos émissions de CO<sub>2</sub> d’origine énergétique, et de réduire radicalement notre dépendance aux énergies fossiles d’ici 2050 en mobilisant fortement les énergies renouvelables. Enfin ils s’appuient aussi sur ceux de l’<a href="https://www.ademe.fr/les-futurs-en-transition/les-scenarios/">Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie</a> qui propose, entre autres, la décarbonation de l’énergie dans l’industrie.</p>
<p>Cependant, les programmes manquent de précisions relatives aux financements des investissements dans les énergies renouvelables (notamment ceux d’<a href="https://www.2022avechidalgo.fr/notre_programme">Anne Hidalgo</a> et de Philippe Poutou), et à l’impact sur les consommateurs de la sortie du nucléaire (ceux de Philippe Poutou, de Jean‑Luc Mélenchon et de Yannick Jadot). Dans les programmes de Jean‑Luc Mélenchon et de Yannick Jadot, les citoyens-consommateurs d’énergie sont mentionnés uniquement pour la reconnaissance de leur rôle actif dans la transition énergétique à travers leur participation à la sobriété énergétique et aux projets d’énergies renouvelables.</p>
<p>La transition énergétique avec nucléaire, quant à elle, est présentée comme une orientation stratégique fondée sur la constitution d’un mix énergétique 100 % décarboné et national pour répondre aux objectifs climatiques et garantir une indépendance de l’approvisionnement en énergie, c’est-à-dire une souveraineté énergétique.</p>
<p>En ce qui concerne le couplage avec les énergies renouvelables, l’hydro-électricité demeure l’énergie renouvelable « préférée » des programmes pro nucléaires, notamment du fait de son ancrage national et de son caractère pilotable et flexible.</p>
<p>La relance de cette énergie est également envisagée dans les programmes de <a href="https://mlafrance.fr/programme">Marine Le Pen (RN)</a>, de <a href="https://valeriepecresse.fr/projet/energie/">Valérie Pécresse (LR)</a> et d’<a href="https://programme.zemmour2022.fr/">Éric Zemmour (Reconquête !)</a>. Les programmes de <a href="https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/fabienroussel2022/pages/217/attachments/original/1643038967/exe_la_france_des_jours_heureux_LIVRE_stc.pdf">Fabien Roussel (PCF)</a> et d’<a href="https://avecvous.fr/wp-content/uploads/2022/03/Emmanuel-Macron-Avec-Vous-24-pages.pdf">Emmanuel Macron (LREM)</a> présentent un couplage nucléaire-renouvelable plutôt harmonieux sans exclure aucune option énergétique.</p>
<p>À titre d’exemple, Emmanuel Macron souhaite poursuivre la construction de 6 centrales nucléaires (nouvelle génération), tout en multipliant par 10 la puissance solaire actuelle et implantant 50 parcs éoliens en mer d’ici 2050.</p>
<h2>Les éoliennes terrestres écartées de la plupart des programmes</h2>
<p>Les éoliennes terrestres sont écartées de la plupart des programmes soutenant l’énergie nucléaire, comme ceux de <a href="https://www.debout-la-france.fr/">Nicolas Dupont-Aignan</a>, d’Éric Zemmour, de <a href="https://jl2022.fr/">Jean Lassalle</a> et de Marine Le Pen, en raison de leur <a href="https://theconversation.com/energie-climat-la-transition-est-elle-vraiment-en-panne-en-france-154963">intermittence</a>, de leur coût, et surtout de leur <a href="https://theconversation.com/les-energies-renouvelables-un-secteur-aux-contours-trop-flous-109961">mauvaise acceptabilité</a> par les citoyens.</p>
<p>Ils se réfèrent également aux arguments écologiques et anthropocentriques relatifs à la protection de la <a href="https://theconversation.com/energies-renouvelables-et-biodiversite-les-liaisons-dangereuses-88489?utm_term=Autofeed&utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#link_time=1512970393">biodiversité</a> et des paysages (y compris celle des cadres de vie). Considéré intermittent et non rentable en raison du problème de dépendance de la filière française, le <a href="https://theconversation.com/et-si-les-artisans-semparaient-du-photovolta-que-139889">photovoltaïque</a> semble également générer de larges questionnements.</p>
<p>Certaines réticences sont présentes notamment dans les programmes d’Éric Zemmour, de Jean Lassalle et de Marine Le Pen. Cependant, ici encore, les programmes ne détaillent pas la « sortie » des « énergies intermittentes », éolienne et photovoltaïque – pourtant deux filières énergétiques recevant l’essentiel du soutien public actuel –, et ne précisent pas comment ils comptent renégocier les contrats en cours avec les porteurs de projet.</p>
<h2>Entre souveraineté nationale et coopération européenne</h2>
<p>L’élection présidentielle aurait également des impacts dans le choix de la mise en œuvre de la transition énergétique dans un contexte plutôt national ou de coopération européenne. Certaines propositions énergétiques relatives au nucléaire, à l’hydro-électricité, ou plus globalement, au marché européen de l’énergie, risquent en effet de heurter l’approche européenne. Bien que la <a href="https://theconversation.com/nucleaire-retour-sur-le-debat-autour-de-la-nouvelle-taxonomie-europeenne-176733">nouvelle taxonomie européenne</a>, créant un label « vert » pour l’électricité produite à partir des centrales nucléaires, contribue à la consolidation de la place du nucléaire dans le mix électrique français, certains candidats vont plus loin en proposant par exemple d’« imposer le nucléaire à l’échelle européenne comme étant le principal outil dans la <a href="https://programme.zemmour2022.fr/">lutte contre le réchauffement climatique</a> ».</p>
<p>Au-delà du clivage gauche-droite, d’autres candidats s’accordent plus ou moins au sujet de la (re)nationalisation complète de l’Électricité de France (Nicolas Dupont-Aignan, Yannick Jadot, Jean Lassalle, ainsi que celle d’Engie pour Jean‑Luc Mélenchon, Fabien Roussel). Dans cette perspective, il est envisagé de financer les investissements en énergies renouvelables par la création d’un <a href="https://melenchon2022.fr/">pôle public de l’énergie</a>, ou de recréer une <a href="https://www.debout-la-france.fr/">filière indépendante et d’excellence nucléaire</a>, ou de <a href="https://jl2022.fr/">redonner à la France l’initiative dans les secteurs clefs de l’économie</a>, ou encore d’<a href="https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/fabienroussel2022/pages/217/attachments/original/1643038967/exe_la_france_des_jours_heureux_LIVRE_stc.pdf">engager une réappropriation publique et sociale pour un service public de l’énergie puissant</a>. Certains candidats souhaitent également revenir sur la libéralisation du secteur énergétique en <a href="https://programme.zemmour2022.fr/">s’opposant à la mise en concurrence des barrages hydroélectriques</a> et en proposant la <a href="https://melenchon2022.fr/">suppression de la libéralisation du marché de l’électricité</a>, voire d’en <a href="https://mlafrance.fr/programme">sortir sans délais</a>.</p>
<h2>Une transition énergétique ou écologique ?</h2>
<p>Enfin, s’il existe plus ou moins un accord sur l’évolution nécessaire et actuelle vers les énergies renouvelables, il n’existe pas d’une analyse politique holistique sur <a href="https://theconversation.com/energies-renouvelables-et-biodiversite-les-liaisons-dangereuses-88489">l’impact potentiel et les externalités négatives</a> que le développement croissant des technologies renouvelables pourrait provoquer sur les écosystèmes.</p>
<p>Une politique écologique globale et cohérente pour développer des sources d’énergies renouvelables – prenant en compte l’ensemble du cycle de vie (de l’extraction des matériaux/production industrielle aux processus de démantèlement, de reconversion et de recyclage) et leurs impacts transgénérationnels, n’est pas suffisamment développée par les candidats à la présidentielle (sauf quelques lignes dans les programmes de Yannick Jadot et Jean‑Luc Mélenchon).</p>
<p>En outre, compte tenu de l’expansion mondiale de la capacité de production d’énergies renouvelables et de la dépendance géographique de chaque source d’énergies renouvelables, les inconvénients peuvent être décuplés dans un contexte transfrontalier et international, car le droit, en particulier le droit de l’environnement, ne permet pas d’évaluer l’empreinte environnementale complète de la production des sources d’énergies renouvelables.</p>
<h2>Mieux tracer les énergies renouvelables</h2>
<p>Face aux enjeux écologiques et climatiques et à la complexité des problèmes sociétaux et environnementaux, une innovation systémique pour la traçabilité des énergies renouvelables est nécessaire dans une perspective de durabilité. D’un point de vue juridique, certaines démarches ont été initiées afin de parvenir à une cohérence significative du lien énergie-écologie, à l’instar des <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=celex :32018L2001">critères de durabilité pour la biomasse</a> s’appliquant à la biomasse consommée en France et aux matières premières utilisées pour leur production cultivées ou extraites en France ou à l’étranger, et de l’<a href="https://ec.europa.eu/environment/eussd/smgp/PEFCR_OEFSR_en.htm">empreinte environnementale des panneaux photovoltaïques</a> visant à réduire, par le biais de l’inventaire du cycle de vie, l’impact environnemental de la production d’électricité à partir des panneaux photovoltaïque. Cependant, la réglementation reste fragmentée et lacunaire.</p>
<p>Aussi, la question qui se pose est de savoir comment réglementer au mieux la traçabilité des énergies renouvelables pour la transition vers des systèmes durables. Comment encadrer la traçabilité comme outil de transition écologique ? Ces questions recouvrent inévitablement les problématiques relatives à la gouvernance, à la transparence et à l’information et à la participation du public/usager/consommateur, qui semblent pour l’heure, avoir été omises par les candidats à l’élection présidentielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180519/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Melis Aras est membre de Société Française pour le Droit de l'Environnement (SFDE).
Elle a reçu des financements pour conduire ses recherches postdoctorales (dans le cadre des projets : Interreg RES-TMO (2019-2021) : <a href="https://www.res-tmo.com/fr/">https://www.res-tmo.com/fr/</a> ; et par EUCOR Seed Money (2021-2022) : <a href="https://www.eucor-uni.org/recherche/reseaux-et-projets/landscape-and-sustainable-energy-transition-the-legal-protection-of-landscapes-through-the-prism-of-the-energy-transition/">https://www.eucor-uni.org/recherche/reseaux-et-projets/landscape-and-sustainable-energy-transition-the-legal-protection-of-landscapes-through-the-prism-of-the-energy-transition/</a>). </span></em></p>Bien que clivant, le débat sur l’énergie semble aujourd’hui dépasser la simple question d’un choix entre les énergies renouvelables ou non.Melis Aras, Postdoctoral Researcher, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789192022-03-15T18:44:24Z2022-03-15T18:44:24ZLes mouvements sociaux peuvent-ils porter Jean-Luc Mélenchon jusqu’au second tour ?<p>Au vu des <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/enquete-electorale-vague-6">derniers sondages</a>, Jean-Luc Mélenchon semble être le seul candidat de gauche à pouvoir accéder au second tour de l’élection présidentielle. Malgré les <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/07/guerre-en-ukraine-yannick-jadot-critique-la-capitulation-de-jean-luc-melenchon-vis-a-vis-de-la-russie_6116455_6059010.html">critiques</a> de Yannick Jadot et d’Anne Hidalgo vis-à-vis de sa position non alignée dans la guerre en Ukraine, le leader de la France Insoumise reste stable dans les enquêtes. Pour le moment, sa proposition de sortir de l’OTAN et <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/260222/ukraine-melenchon-aux-prises-avec-son-passe">son léger changement de ton</a> sur le sujet n’affectent pas les intentions de vote en sa faveur.</p>
<p>Pour ce qui est sans doute sa dernière campagne, l’ex-socialiste, 70 ans, cherche à rassembler par le bas et à incarner la gauche des mouvements sociaux. Il se présente ainsi sous l’étiquette de l’Union Populaire, structure créée ex nihilo ayant vocation à regrouper une série d’acteurs issus de la société civile et représentatifs des causes féministes, antiracistes, sociales et écologistes.</p>
<p>L’<a href="https://parlement.lunionpopulaire.fr/la-declaration-du-parlement/">objectif affiché</a> est de « créer des passerelles » entre la politique partisane et les mouvements sociaux afin que ces derniers trouvent une « traduction politique ». Le Parlement de l’Union Populaire est présidé par Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, et on y retrouve notamment Aymeric Caron et Alma Dufour, deux figures de la cause écologiste, Thomas Portes, ex-cheminot et syndicaliste, ou encore des intellectuels engagés tels que <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/8-mars-le-feminisme-devient-une-force-politique-majeure-accordons-lui-la-place-quil-merite_fr_622628e8e4b04a0545da44d6">l’écrivaine Annie Ernaux</a>, figure du féminisme en France.</p>
<p>Faut-il y voir une stratégie électorale éphémère ou une réelle voie de refondation de la gauche partisane ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais on peut déjà constater que face à la crise que traverse la gauche, les mouvements sociaux sont amenés à peser sur les partis politiques, aussi bien au niveau organisationnel que sur la ligne politique.</p>
<h2>Partis et mouvements : une séparation hermétique ?</h2>
<p>Dans son essai <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_bloc_arc_en_ciel-9782348068713"><em>Le bloc arc-en-ciel</em></a> (2021), Aurélie Trouvé défend cette alliance des mouvements, syndicats, associations d’un côté et partis de l’autre : si les mouvements sont indispensables au renouvellement de la gauche, ils ne doivent pas négliger la conquête du pouvoir par les urnes. Néanmoins précise-t-elle, le parti politique ne devrait plus avoir le rôle central qu’il avait auparavant mais plutôt devenir un « instrument politique permettant de représenter, entre autres, les mouvements sociaux lors des périodes électorales mais sans hégémonie sur eux ».</p>
<p>À ce jour, le Parlement de l’Union Populaire <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/040222/comment-le-parlement-de-l-union-populaire-dynamise-la-campagne-de-melenchon">n’a pas le pouvoir</a> d’infléchir significativement la campagne de Jean-Luc Mélenchon, il l’alimente en propositions et prête main-forte sur le terrain mais c’est bien l’entourage proche du candidat qui tranche les questions stratégiques. Si alliance entre parti et mouvements il y a, elle reste asymétrique et à l’avantage du premier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501087859348066306"}"></div></p>
<p>Les partis politiques et les mouvements sociaux ont longtemps constitué deux univers à part, poursuivant des buts différents et fonctionnant selon des logiques propres. Mais aujourd’hui, comme l’a montré le politiste Peter Mair, les partis politiques <a href="https://www.versobooks.com/books/1447-ruling-the-void">se sont vidés de leurs militants</a> et connaissent une véritable crise de légitimité. Les militants sont non seulement moins nombreux que par le passé, mais également plus homogènes socialement et plus âgés. Alors qu’ils faisaient autrefois le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/01/l-ineluctable-mutation-des-partis-politiques_6096688_3232.html">lien</a> entre la société et les institutions étatiques, les partis fonctionnent désormais en vase clos et sont avant tout animés par des professionnels de la politique. Résultat, seulement 9 % des Français leur feraient confiance indique le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">dernier baromètre du CEVIPOF</a>.</p>
<h2>Une conjoncture favorable</h2>
<p>Dans le même temps, <a href="https://rowman.com/ISBN/9780847685400/The-Social-Movement-Society-Contentious-Politics-for-a-New-Century">selon David Meyer et Sidney Tarrow</a>, les mouvements sociaux se sont routinisés, c’est-à-dire que l’engagement protestataire est rentré dans les normes des sociétés démocratiques. En conséquence, l’éventail des intérêts portés par les mouvements ainsi que leur répertoire d’action se sont élargis.</p>
<p>Il suffit de jeter un œil aux cinq dernières années pour s’en convaincre. Le quinquennat d’Emmanuel Macron a été riche en contestation de la part de groupes sociaux divers – « gilets jaunes », mouvement contre la réforme des retraites, manifestations lycéennes pour le climat et mobilisations contre le racisme et les violences policières – il existe bel et bien un terreau fertile à un renouvellement de la gauche par le bas.</p>
<p>La conjoncture serait donc propice à un rapprochement entre partis et mouvements, mais cela implique nécessairement une évolution de la ligne politique défendue et nécessite d’actualiser ce qu’on entend par « gauche » car la coagulation de toutes ces revendications <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elle-encore-sens-en-france-178181">ne va pas de soi</a>.</p>
<h2>Un programme plus sensible aux minorités</h2>
<p>Sur le fond, la volonté de la France Insoumise d’incarner la gauche des mouvements sociaux se traduit par des prises de position qui tranchent, non seulement avec celles d’autres candidats de gauche mais aussi avec les positions antérieures du parti et de son leader. Cette évolution est très nette sur les questions d’antiracisme et de lutte contre les discriminations.</p>
<p>Comme la grande majorité des acteurs politiques français, Jean-Luc Mélenchon a longtemps <a href="https://theconversation.com/la-republique-la-que-de-jean-luc-melenchon-un-debat-qui-fracture-la-gauche-et-bien-plus-encore-151955">récusé l’utilisation du terme d’islamophobie</a>. Désormais, il le reprend à son compte et reconnaît sa pertinence pour analyser les discriminations et le racisme dont sont victimes les personnes de confession musulmane. Les Insoumis ont également pris part aux manifestations du comité Adama en juin 2020 et ils proposent à ce titre de mettre en place un récépissé lors des contrôles d’identité pour lutter contre les discriminations.</p>
<p>En phase avec les « gilets jaunes » et le mouvement de l’automne 2020 contre la loi sécurité globale, le <a href="https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/securite/">programme</a> de l’Union Populaire promet une vaste réforme de l’institution policière et dénonce « les 2 500 blessé·e·s dont 353 à la tête, 30 éborgné·e·s, la mort de Zineb Redouane à cause d’une grenade lacrymogène lors de l’acte 3 des « gilets jaunes », une politique répressive brutale et légitimée par l’exécutif » ; il propose aussi de supprimer l’usage des LBD 40 (les flash-ball) et de démanteler les BRAV-M, ces unités de maintien de l’ordre créées au printemps 2019 et opérant à moto.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean-Luc Mélenchon s’exprime à propos de la marche en soutien au comité Adama, juin 2020.</span></figcaption>
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<p>En matière <a href="https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/egalite-femmes-hommes/">d’égalité femmes-hommes</a>, le programme avance notamment un milliard d’euros pour lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes, mais plus généralement, il traduit une réelle prise en compte des avancées de la cause féministe. Il aborde en effet la domination masculine comme résultat d’un système global d’oppression patriarcale et en appelle donc à la combattre de manière transversale en s’attaquant à ses origines sociales et économiques et en agissant en matière d’éducation.</p>
<h2>Une ouverture en demi-teinte</h2>
<p>On le voit, ces propositions inscrites au programme de l’Union populaire font écho à un certain nombre de revendications portées par des mouvements sociaux. Ceux-ci politisent de nouvelles fractions de la population, notamment parmi la jeunesse et les habitants des quartiers populaires, et ils enrichissent la grille de lecture du monde social de la gauche. Alors qu’on oppose parfois – <a href="https://mouvements.info/la-gauche-sans-les-minorites/">à tort</a> – gauche des minorités et gauche des classes populaires, le programme l’Avenir en Commun tente de jeter un pont entre les deux et participe à la construction d’une nouvelle offre politique cohérente. Comme le rappelle le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/faut-il_desesperer_de_la_gauche">politiste Rémi Lefebvre</a> :</p>
<blockquote>
<p>« C’est à la gauche intellectuelle, militante et partidaire de produire de nouvelles représentations de la société et une proposition politique autour de l’égalité qui puisse fédérer ces divers intérêts »</p>
</blockquote>
<p>En cas de défaite à l’élection présidentielle – ce qui reste le scénario le plus probable – nous verrons si l’Union Populaire n’était qu’une machine électorale ou si elle permet d’enclencher une dynamique de rassemblement pour recomposer la gauche sur de nouvelles bases. Au vu de la forte verticalité qui prévaut à la France Insoumise et de <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2022-1-page-167.html">l’absence d’espaces de débats et de vote</a> en interne, rien n’est moins sûr. La définition de la ligne du parti et de la stratégie politique reste l’apanage du sommet de la hiérarchie. L’ouverture aux mouvements sociaux est donc manifeste en termes de positionnement politique et de sensibilité à des causes nouvelles mais moins au niveau organisationnel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Salomon a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. </span></em></p>La gauche au prisme de l’Union populaire : stratégie électorale éphémère ou réelle voie de refondation de la gauche partisane ?Olivier Salomon, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781812022-03-08T19:33:06Z2022-03-08T19:33:06ZLa « gauche » et la « droite » font-elles encore sens en France ?<p>Au cœur de cette <a href="https://www.pug.fr/produit/1966/9782706152337/les-elections-presidentielles-francaises">campagne présidentielle</a>, complexifiée par l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences géopolitiques, de très nombreux articles et commentaires évoquent le brouillage des courants idéologiques au sein des forces politiques françaises. </p>
<p>Ils n’en utilisent pas moins des vocables traditionnels tels que centre gauche, centre droit, gauche modérée ou radicale,ou encore à la « droite » des socialistes ou la « gauche » des Républicains. </p>
<p>Que comprendre dans cette confusion à la fois sémantique mais aussi, parfois, idéologique ? Surtout alors que le premier tour du scrutin présidentiel traduit un effondrement du PS et de LR. </p>
<p>L’emploi généralisé – et pratique – des vocables de gauche et de droite remonte à un siècle ou deux, comme expliqué dans deux articles pour The Conversation, le premier <a href="https://theconversation.com/valeurs-de-droite-et-valeurs-de-gauche-de-la-revolution-francaise-aux-elections-de-2017-75655">juste avant</a> l’élection présidentielle de 2017 pour rappeler cette histoire depuis la Révolution française, le <a href="https://theconversation.com/paysage-apres-la-bataille-presidentielle-la-gauche-et-la-droite-meme-pas-mortes-84191">second</a> pour montrer que le vocabulaire fonctionnait toujours après l’élection, même si le nouveau président se voulait « ni gauche, ni droite » ou parfois « en même temps » de gauche et de droite.</p>
<p>D’après les enquêtes, les Français pouvaient toujours identifier le positionnement des hommes politiques en utilisant les critères de la gauche et de la droite, et qu’on observait toujours dans l’opinion de forts liens entre les valeurs des citoyens et leur positionnement sur une échelle gauche droite. Par ailleurs, les préférences en termes de politiques publiques sont, elles aussi, fortement marquées par la dimension gauche-droite : les citoyens qui veulent plus de dépenses publiques pour la santé et l’éducation ou qui ne souhaitent pas la réduction du nombre de fonctionnaires sont généralement plus à gauche, et ceux qui veulent plus de dépenses publiques et de moyens pour les politiques de sécurité ou plus de liberté pour les entreprises sont davantage à droite, comme l’ont montré plusieurs vagues l’enquête électorale 2017 du CEVIPOF, notamment les <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/lenquete-electorale-francaise-2017.html">vagues 1 et 12</a>.</p>
<p>Or, dans le même temps, depuis plusieurs décennies, un certain nombre d’observateurs critiquent ce <a href="https://www.amazon.fr/Droite-Gauche-Clivage-Depasse-Schweisguth/dp/B00008D2OG">vocabulaire</a> qui, à leurs yeux, ne voudrait plus rien dire. Le sentiment d’une disparition du clivage gauche-droite est renforcé par le fait qu’une partie des électeurs est elle aussi dubitative à l’égard de notions dont elle ne perçoit plus véritablement le sens. Ce paradoxe s’explique assez bien : beaucoup de citoyennes et de citoyens ont l’impression que les gouvernants de droite et de gauche font à peu près les mêmes politiques, alors qu’eux même ont des valeurs assez marquées, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-3-page-371.htm">soit à droite, soit à gauche</a>.</p>
<p>Qu’en est-il en 2022, à la veille d’une nouvelle élection présidentielle complexifiée par la guerre en Ukraine ? Emmmanuel Macron vient juste d’officialiser sa candidature. Sa lettre aux Français dresse les grandes orientations de sa campagne, sans référence directe à la gauche et à la droite mais en utilisant discrètement des thématiques issues des deux camps, par exemple la lutte contre les inégalités ou l’invitation à la participation citoyenne pour la gauche, travailler plus et continuer la baisse des impôts pour la droite.</p>
<p>Les Français ont-ils toujours des valeurs politiques très clivées ? Quel impact peut avoir le fait que certains candidats, pour attirer davantage d’électeurs, peuvent parfois « brouiller les cartes » en retenant dans leur programme des positions nuancées, les unes renvoyant à des valeurs de droite, les autres à des valeurs de gauche ? L’importance du clivage de valeurs parmi les électeurs peut être analysée grâce aux résultats de deux enquêtes très récentes du Cevipof, le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/BONNE%20VERSION%20FINALE-1.pdf">Baromètre de la confiance politique</a> et <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/resultats-et-decryptage-par-vague.html">l’Enquête électorale française</a>.</p>
<h2>Le positionnement de chacun sur l’échelle d’orientation politique</h2>
<p>Tout d’abord, l’enquête électorale mesure le positionnement de chacun sur l’échelle d’orientation politique, qu’on peut comparer aux résultats obtenus en décembre 2016. Dans les deux cas, seule une très faible minorité refuse de se positionner sur l’échelle gauche droite : 7 % en 2022 contre 4 % cinq ans avant. Les référentiels de la gauche et de la droite continuent donc de faire sens pour la très grande majorité des Françaises et des Français.</p>
<p>Le graphique 1 montre une relative droitisation de l’électorat entre les deux dates : le choix de la droite modérée a progressé de 4 points sur la période, au détriment de la gauche. Plus fondamentalement, cependant, nos données témoignent d’une stabilité des identités de gauche et de droite depuis 2017.</p>
<p><strong>Graphique 1. Orientation politique des Français en 2022 comparée à 2017</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Orientation politique des Français en 2022 comparée à 2017" src="https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450153/original/file-20220305-21-jwat55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Enquête électorale ENEF,vague 9, décembre 2016 et vague 4, janvier 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ENEF, calculs de Flora Chanvril (CEVIPOF)</span></span>
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</figure>
<p>Le questionnaire du Baromètre de la Confiance politique récent énonce pour sa part des affirmations politiques renvoyant à des valeurs habituellement clivées entre gauche et droite dans trois domaines privilégiés : l’économie, l’immigration et l’islam, les questions de société. Qu’observe-t-on lorsqu’on considère les réponses de chaque groupe d’identité politique dans chacun de ces domaines ?</p>
<p>Pour l’économie tout d’abord (tableau 1), on voit que certaines affirmations, habituellement considérées comme de gauche – évoquant avec des termes nouveaux des opinions qui rappellent les discours de lutte des classes –, sont largement majoritaires dans l’opinion : pour 73 % des répondants, l’économie fonctionne au bénéfice des patrons qui « exploitent » les travailleurs ; pour plus de la moitié (57 %) des interviewés, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres pour établir la justice sociale. </p>
<p>Mais on trouve aussi des majorités conséquentes pour soutenir des idées économiques libérales, traditionnellement considérées comme de droite : les chômeurs sont suspectés de ne pas véritablement beaucoup chercher du travail par 61 % des enquêtés ; il faudrait également réduire le nombre de fonctionnaires pour la moitié des répondants ; il faudrait aussi donner davantage de libertés aux entreprises (58 %). La nécessité de se protéger dans un monde incertain et très concurrentiel est, elle, plus disputée – 43 % pensent que la France devrait se protéger davantage –, de même que le jugement sur l’appartenance de la France à l’Union européenne, qui est jugée positive par 43 % des interviewés.</p>
<p><strong>Tableau 1. Affirmations sur l’économie croisées avec le positionnement sur l’échelle gauche droite</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Affirmations sur l’économie croisées avec le positionnement sur l’échelle gauche droite" src="https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450152/original/file-20220305-21-111exrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">*Tout à fait et plutôt d’accord avec chacune de ces affirmations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Baromètre de la confiance politique, janvier 2022, vague 13</span></span>
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</figure>
<p>On peut en conclure qu’un certain nombre de Français, tout en étant très critique sur le fonctionnement d’une économie capitaliste, n’en accepte pas moins certains de ses fondements, manifestant non pas des incohérences mais des positions nuancées. On peut vouloir davantage de redistribution sociale tout en acceptant un système libéral.</p>
<p>Cela dit, pour chaque affirmation, on trouve de très fortes différences d’appréciation selon qu’on s’identifie à la gauche ou à la droite de l’échiquier politique, les opinions publiques montrant une certaine proximité avec les idées des candidats. La nécessité de se protéger avec des mesures de préférence nationale et de protectionnisme économique est au cœur des propositions des candidats d’extrême droite, Marine Le Pen et Éric Zemmour ; le discours de type anticapitaliste fait écho aux positions défendues par la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel ; le discours assez disqualifiant sur les chômeurs renvoie à certains propos polémiques d’Emmanuel Macron, <a href="https://www.pug.fr/produit/1969/9782706151613/l-entreprise-macron-a-l-epreuve-du-pouvoir">dont le quinquennat a été marqué par la droitisation</a> et par la mise en œuvre de politiques sociales incitatives de <a href="https://www.pug.fr/produit/1968/9782706151668/les-politiques-sociales-sous-macron">teneur libérale</a>.</p>
<h2>Des tendances peu linéaires</h2>
<p>Ces tendances en fonction de l’échelle gauche droite ne sont cependant pas toujours linéaires. On voit notamment que la droite radicale a des idées parfois plus sociales que la droite modérée, traduisant l’ancrage populaire de son électorat, en particulier celui de Marine Le Pen, par exemple sur le retour à la retraire à 60 ans.</p>
<p>Les affirmations sur l’immigration et l’islam aboutissent à des conclusions semblables (tableau 2). Près de deux tiers des Français jugent qu’il y a trop d’immigrés en France et ont peur de l’islam qui mettrait en danger les valeurs de la République. Dans le même temps, la moitié de la population juge que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel, ce qui montre là encore des nuances dans le discours majoritaire.</p>
<p>Ici, le clivage gauche-droite est particulièrement saillant : pour chaque affirmation, les écarts entre gauche et droite sont très importants, montrant que ces questions polarisent fortement les opinions publiques, probablement plus fortement qu’autrefois.</p>
<p><strong>Tableau 2. Affirmations sur l’immigration et l’islam croisées avec le positionnement sur l’échelle gauche droite</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Affirmations sur l’immigration et l’islam croisées avec le positionnement sur l’échelle gauche droite" src="https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=185&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=185&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450150/original/file-20220305-23-1o49dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=185&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">*Tout à fait et plutôt d’accord avec chacune de ces affirmations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Baromètre de la confiance politique, janvier 2022, vague 13</span></span>
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<h2>Un clivage qui structure encore durablement la société</h2>
<p>Enfin, sur les questions concernant les problèmes de société (tableau 3), le sentiment général de ne plus se reconnaître dans les valeurs de la société française est majoritaire dans les cinq groupes de positionnement politique, mais cependant beaucoup plus marqué chez les Français s’identifiant à la droite et à l’extrême droite, adeptes des valeurs traditionnelles. Le recours à la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et homosexuelles est, on le voit, largement accepté, mais beaucoup plus à gauche qu’à droite. Les réponses sur le rétablissement de la peine de mort sont très partagées mais fortement dépendantes de l’orientation politique des individus (de 26 % dans la gauche radicale à 77 % à l’autre extrémité de l’axe politique).</p>
<p><strong>Tableau 3. Affirmations sur la société croisées avec le positionnement sur l’échelle gauche droite</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Affirmations sur la société croisées avec le positionnement sur l’échelle gauche droite" src="https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=146&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=146&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=146&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450151/original/file-20220305-15-eb6nhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">*Tout à fait et plutôt d’accord avec chacune de ces affirmations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Baromètre de la confiance politique, janvier 2022, vague 13</span></span>
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</figure>
<p>Au final, les données montrent que le clivage gauche-droite, s’il s’est affaibli au fil du temps et a perdu de sa signification aux yeux d’un nombre important de citoyens, continue de structurer de manière significative les attitudes et les valeurs des Françaises et des Français, dans le domaine économique comme sur les questions culturelles ou les grands enjeux de société.</p>
<p>Pour autant, les marqueurs de gauche et de droite ont évolué et ne recoupent plus nécessairement aujourd’hui les contours de groupes sociaux homogènes, de classe ou de pratique religieuse. Ces évolutions reflètent les changements qui se sont opérés dans les grandes valeurs des Françaises et des Français depuis le début des années 1980 <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-020-00139-1">l’individualisation de ces valeurs</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178181/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Brechon dirige les collections Politique + et Libres cours politique aux Presses Universitaires de Grenoble </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bruno Cautrès a reçu des financements de l'ANR, de l'UE et de Sciences Po. Ses recherches sont également soutenues par des think tanks ou des fondations. Il collabore, dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022, avec l'institut de sondage BVA. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gilles Ivaldi a reçu des financements de l'agence nationale de la Recherche (ANR). </span></em></p>À la veille d’une nouvelle élection présidentielle, les Français ont-ils toujours des valeurs politiques très clivées ?Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceBruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1758502022-01-30T19:10:25Z2022-01-30T19:10:25ZPrésidentielle 2022 : et si la gauche était au second tour ?<p>Les organisateurs de la Primaire populaire visant à déboucher sur une candidature de gauche commune lors de l’élection présidentielle 2022 ont annoncé avoir rassemblé <a href="https://twitter.com/PrimairePop/status/1485390877170319369">467 000 inscrits</a>.</p>
<p>Même si les conditions et les périmètres d’inscriptions diffèrent, ce chiffre est très supérieur aux nombres de personnes inscrites aux votes organisés par Europe Ecologie Les Verts (<a href="https://www.eelv.fr/resultats-du-premier-tour-de-la-primaire-ecologiste/">122 670 votants avec un taux de participation de 86,91 %</a>) ou par Les Républicains (<a href="https://www.linternaute.fr/actualite/politique/2570372-primaire-lr-victoire-de-valerie-pecresse-premiere-femme-a-representer-la-droite-a-la-presidentielle/#quels-sont-les-resultats-du-premier-tour-de-la-primaire-lr--">113 038 votants pour 140 000 adhérents</a>) et semble témoigner d’un intérêt certain pour l’idée d’une candidature de gauche unique et unifiée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485390877170319369"}"></div></p>
<p>En dehors de Christine Taubira, les trois principaux candidats (Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon) ont annoncé qu’ils ne reconnaîtraient pas ce vote bien que leur nom fasse partie, contre leur volonté, des choix possibles.</p>
<p>Alors que les <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/tous-les-sondages-de-l-election-presidentielle-2022_GN-202110220314.html">sondages semblent condamner</a> l’ensemble de ces candidats à une élimination au 1<sup>er</sup> tour de l’élection présidentielle de 2022, un tel positionnement ne manque pas d’interroger.</p>
<p>Le concept de « coopétition », issu de la recherche en stratégie, et une perspective historique peuvent-ils nous aider à mieux comprendre ces stratégies, à priori vouées à l’échec ?</p>
<h2>La coopétition, une alliance entre concurrents</h2>
<p>Le terme de coopétition est un néologisme issu de la combinaison des mots coopération et compétition et renvoie aux formes de collaboration entre entreprises concurrentes.</p>
<p>Si les recherches ont montré que ce phénomène n’est pas <a href="https://theconversation.com/la-coopetition-moteur-de-levolution-des-especes-106264">spécifique à la stratégie d’entreprise</a> et que l’on en trouve des <a href="https://www.strategie-aims.com/events/conferences/29-xxviieme-conference-de-l-aims/communications/5021-looking-for-the-historical-origins-of-coopetition-back-to-antique-romans-traders/download">traces dès l’Antiquité</a>, c’est Ray Noorda, le fondateur de l’entreprise informatique Novell, qui utilise pour la première fois cette expression au milieu des années 80 pour décrire les échanges entre son entreprise et ses concurrents pour élaborer des standards et des référentiels communs.</p>
<p>L’ouvrage de Brandenburger et Nalebuff, <a href="https://public.summaries.com/files/8-page-summary/co-opetition.pdf"><em>Co-opetition</em></a>, théorise et popularise le concept en 1996. Les entreprises peuvent être à la fois des <a href="https://www.deepdyve.com/lp/emerald-publishing/cooperation-and-competition-in-relationships-between-competitors-in-ZeFswjs42u">concurrents et des partenaires dans le cadre de projets de coopération</a> et la coopétition peut représenter une solution pour <a href="https://www.jstor.org/stable/259226">faire face à la concurrence et/ou pour mutualiser et partager des ressources et des connaissances</a>.</p>
<h2>Un concept paradoxal</h2>
<p>L’idée de coopétition peut sembler paradoxale et contre-intuitive dans une économie capitaliste dominée par une logique concurrentielle mettant principalement l’accent sur la <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/choix-strategiques-et-concurrence-techniques-d%27analyse-des-secteurs-et-de-la-concurrence-dans-l%27industrie/">rivalité entre les entreprises</a>.</p>
<p>Force est pourtant de constater que le phénomène s’est fortement développé depuis plus de trente ans. Il est de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0019850121000857">plus en plus étudié et analysé par les chercheurs</a> qui ont mis en lumière différentes formes de coopétition (<a href="https://www.cairn.info/revue-management-2018-1-page-574.htm">technologique, de marché</a>, horizontale, verticale, intra-organisationnelle…) et qui ont constaté l’existence d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-7-page-87.htm">logique relationnelle</a> privilégiant désormais la coopération à l’affrontement en matière de stratégie d’entreprise.</p>
<p>Appliqué au champ politique, la coopétition peut concerner une collaboration entre formations de droite et de gauche comme dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale ou lors d’un épisode de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=TDxYDwAAQBAJ">cohabitation</a>.</p>
<p>Il peut aussi s’agir d’une alliance entre partis d’un même bord politique dans le cadre d’un programme commun ou de candidatures communes pour une élection.</p>
<p>Enfin, il peut concerner des coopérations entre membres d’un même parti défendant des positions antagonistes et s’apparente alors à de la coopétition <a href="https://www.coopetitionlab.com/internal-coopetition/">intra-organisationnelle</a>.</p>
<p>Au-delà des formes possibles que peut prendre cette coopétition, la majorité des recherches s’interroge sur les <a href="https://www.researchgate.net/profile/Viktor-Fredrich/publication/263904244_Coopetition_Performance_implications_and_management_antecedents/links/53fb6a5b0cf2dca8fffe6bea/Coopetition-Performance-implications-and-management-antecedents.pdf">liens entre coopétition et performance</a> et se demande dans quelle mesure une telle stratégie s’avère payante pour les organisations qui y participent.</p>
<p>Dans le cas spécifique de la gauche française, un retour sur les élections présidentielles passées permet de mieux comprendre les avantages et les inconvénients que porteraient une telle stratégie en 2022.</p>
<h2>La gauche à l’élection présidentielle : entre union et désunion</h2>
<p>En 1969, l’absence de stratégie de coopétition entre les cinq candidats de gauche (sur un total de sept candidats) débouche sur un second tour entre le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1970_num_20_2_393223">gaulliste Georges Pompidou et le président du Sénat, le centriste Alain Poher</a>.</p>
<p>En 2002, les cinq candidatures de gauche, qui s’ajoutent aux scores des candidats d’extrême gauche Arlette Laguiller et Olivier Besancenot (qui obtiennent respectivement 5,72 % et 4,25 %) contribuent à nouveau fortement à <a href="https://academic.oup.com/poq/article-abstract/68/4/602/1884181">l’absence du candidat de gauche Lionel Jospin au second tour et à la qualification surprise du candidat de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen</a>.</p>
<p>À l’inverse, le <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-programme-commun-de-la-gauche-1972-1977-cetait-le-temps-des-programmes/?post_id=16789&export_pdf=1">Programme commun</a> de 1972 entre le Parti communiste, le Parti socialiste et les Radicaux de gauche servira de socle à l’élection de 1981 de François Mitterrand, premier président de gauche de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>La coalition de gouvernement de la <a href="http://www.slate.fr/story/178563/gauche-plurielle-unite-presidentielle-2022-ps-lfi-eelv-pc">Gauche plurielle de 1997</a> permettra aussi à Lionel Jospin de remporter les élections législatives suite à la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Jacques Chirac et d’être nommé premier ministre.</p>
<p>Ces exemples semblent légitimer l’idée qu’une coopétition entre forces de gauche concurrentes garantit de remporter une élection présidentielle ou une élection législative sous la V<sup>e</sup> République. Elle doit pourtant être mise en perspective.</p>
<h2>Gagner sans union</h2>
<p>L’histoire a montré que la gauche est capable de l’emporter sans passer par une stratégie d’union dès le 1<sup>er</sup> tour. Ce fut le cas en 2012 avec <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=_NlNktQGlMQC">l’élection de François Hollande</a>. Et il faut également se souvenir que le Programme commun n’était plus officiellement en vigueur (il est abandonné en 1977) quand François Mitterrand fut élu en 1981.</p>
<p>L’époque où le clivage droite/gauche structurait à lui seul les affrontements politiques et renvoyait à une lutte entre deux modèles de sociétés, l’une capitaliste et libérale et l’autre régulée et sociale, est désormais lointaine.</p>
<p>Les divisions sur l’Europe, la laïcité, l’écologie ou la Nation, pour ne citer que quelques thèmes, constituent désormais des <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/gauche-droite-la-fin-dun-clivage-sociologie-dune-revolution-symbolique">lignes de fracture à priori plus marquées que le clivage droite/gauche</a> et rendent plus difficiles, au-delà des problèmes de personnes, les rapprochements.</p>
<h2>Mutualisation d’idées et rapport de forces</h2>
<p>Une stratégie de coopétition sous-entend une mutualisation des idées et des forces qui semble par conséquent compliquée à mettre en place et qui ne peut se résumer à une simple alliance politique de circonstances.</p>
<p>L’idée que l’union fait la force se heurte aussi à la crainte de savoir qui sortira gagnant ou perdant d’une telle entente, notamment en vue des élections législatives à venir dans ce cas précis. À gauche, cette question renvoie au souvenir du Programme commun de 1972 qui aurait, pour beaucoup, fortement contribué à <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000137/la-rupture-du-programme-commun-declaration-a-la-presse-de-marchais-et-fabre.html">modifier le rapport de force entre le Parti communiste et le Parti socialiste en faveur de ce dernier</a>.</p>
<p>Les temps changent et, aujourd’hui, ce même Parti socialiste n’est plus la formation dominante de la gauche française. Aucune autre formation n’a pour le moment réussi à le remplacer. Ni La France Insoumise malgré les <a href="https://www.lesechos.fr/2017/04/jean-luc-melenchon-son-resultat-a-la-presidentielle-son-parcours-son-programme-165590">19,56 % de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017</a>, ni Europe Ecologie Les Verts après les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/06/22/l-assurance-de-yannick-jadot-apres-les-elections-europeennes-irrite-la-gauche_5480058_823448.html">13,5 % de la liste de Yannick Jadot aux élections européennes de 2019</a> et le succès de leurs candidats aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/municipales/resultats-des-municipales-2020-lyon-bordeaux-strasbourg-une-vague-ecologiste-deferle-sur-les-grandes-villes_4019095.html">élections municipales de 2020</a> n’ont réussi à imposer un leadership leur permettant de forcer un rassemblement autour de leurs idées.</p>
<h2>Même désunie la gauche au 2ᵉ tour n’est pas à exclure</h2>
<p>Finalement, la réponse à la question « La gauche doit-elle s’appuyer sur une stratégie de coopétition pour accéder au second tour de l’élection présidentielle 2022 et éventuellement l’emporter ? » n’est pas aussi évidente qu’elle n’y parait au premier abord.</p>
<p>Derrière Emmanuel Macron, pour le moment crédité de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/tous-les-sondages-de-l-election-presidentielle-2022_GN-202110220314.html">24 % en moyenne</a> des intentions de vote au 1<sup>er</sup> tour, aucun candidat ne parvient aujourd’hui à dépasser les <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/tous-les-sondages-de-l-election-presidentielle-2022_GN-202110220314.html">18 % des intentions</a>.</p>
<p>Il n’est donc pas impossible que la qualification pour le second tour se joue, comme lors des élections présidentielles de 2002, autour de 16 %/17 %. Si un candidat de gauche prenait finalement l’ascendant sur les autres dans les semaines qui viennent et bénéficiait d’une dynamique nouvelle, il serait vraisemblablement très proche d’un tel score…</p>
<p>Vingt ans après l’élimination de Lionel Jospin par Jean-Marie Le Pen, le scénario d’un candidat de gauche profitant cette fois de la division de l’extrême droite (même si à ce stade, Valérie Pécresse parait la plus à même de tirer son épingle du jeu) et de la faiblesse relative des forces en présence pour se qualifier pour le second tour n’est donc pas totalement à exclure. Et explique peut-être aussi en partie la position des principaux candidats de gauche déjà déclarés vis-à-vis de la stratégie de coopétition que tente d’imposer la Primaire populaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À gauche, de nombreuses voix appellent à l’union derrière un seul candidat. Malgré les multiples prétendants, serait-il possible qu’un candidat de gauche se qualifie pour le second tour ?Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738832022-01-02T17:26:28Z2022-01-02T17:26:28Z2022 : un contexte politique original ?<p>À quatre mois du premier scrutin de l’élection présidentielle de 2022, les candidats des principaux partis sont déjà en campagne et le président de la République lui-même, non officiellement candidat, multiplie les interventions publiques pour mettre en valeur son bilan et souligner la nécessité de poursuivre son action, comme ce fut notamment le cas dans <a href="https://www.lci.fr/replay-lci/video-l-instant-pol-du-15-decembre-interview-d-emmanuel-macron-ou-en-etaient-les-autres-presidents-le-15-decembre-avant-leur-candidature-2204697.html">l’entretien télévisé du 15 décembre 2020</a>. Pourtant, la situation politique reste beaucoup plus confuse qu’elle ne pouvait l’être au même moment lors des scrutins antérieurs.</p>
<p>L’élection de 2017 avait été atypique, en permettant la victoire d’un candidat qui n’était issu d’aucun des grands partis qui s’étaient partagé le pouvoir depuis les années 1960. Le scrutin qui s’annonce s’inscrit également dans un contexte politique original, marqué par l’éclatement de l’offre politique, la persistance d’une crise politique structurelle et les incertitudes liées à la crise sanitaire.</p>
<h2>Une offre politique éclatée…</h2>
<p>L’élection présidentielle de 2017 a marqué une rupture majeure dans l’histoire électorale de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100505760">façonnée jusqu’alors par le clivage gauche-droite</a>.</p>
<p>Pour la troisième fois seulement, sur dix scrutins de ce type, le second tour n’a pas mis aux prises un candidat de la droite gouvernementale et un représentant de la gauche socialiste : les deux précédents avaient eu lieu en 1969 (avec un second tour opposant le centriste <a href="https://www.elysee.fr/alain-poher">Alain Poher</a> au gaulliste Georges Pompidou) et en 2002 (où Jacques Chirac s’était fait le défenseur de la République face à Jean‑Marie Le Pen).</p>
<p>Mais surtout les deux grands partis de gouvernement, le Parti socialiste (PS) et l’Union pour un mouvement populaire (UMP), se sont alors retrouvés marginalisés en raison de l’éclatement d’une offre politique où les propositions nouvelles (Emmanuel Macron) ou les discours protestataires (Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon) ont été plus attractifs. Cet éclatement explique que, pour la première fois depuis 2002, aucun des deux candidats présents au premier tour n’a dépassé 25 % des voix au premier tour. Or, cet affaiblissement des grands partis qui structuraient la vie politique française depuis les années 1980 a favorisé, lors des élections législatives qui ont suivi, la victoire d’une majorité nouvelle, constituée autour du nouveau président Emmanuel Macron.</p>
<p>Certains observateurs pouvaient alors penser que le paysage politique se réorganiserait autour de cette majorité « <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/macron-et-en-meme-temps-trois-questions-alice-baudry-laurent-bigorgne-et-olivier-duhamel">et de droite et de gauche</a> ».</p>
<h2>… et toujours plus fragmentée</h2>
<p>Cinq ans plus tard, on ne peut que constater qu’il n’en est rien et que l’offre politique proposée aux électeurs s’est encore davantage fragmentée. Au cours de son mandat, le président n’a pas réussi à élargir son socle électoral, qui se situe toujours entre 20 et 25 % des voix : aux élections européennes de juin 2019, la liste qui se réclamait de son action a obtenu 22,5 % ; et en décembre 2021, les instituts de sondage lui attribuent en moyenne 24 % d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/derniers-sondages-sur-election-presidentielle-2022-en-france-infographies-explorez-les-tendances-visualisez-les-marges-d-erreur-agregateur_4879975.html">intentions de vote</a>. Il a donc simplement consolidé son électorat, en le positionnant davantage au centre-droit, ce qui libère potentiellement un espace à gauche que personne n’est aujourd’hui en mesure de prendre.</p>
<p>La gauche n’a en effet pas réussi à dépasser les divisions qui séparent ses organisations partisanes. Même la gauche contestataire, qui s’était réunie autour de Jean‑Luc Mélenchon en 2012 et 2017, présente aujourd’hui deux candidats, l’un issu de la France insoumise, l’autre du Parti communiste. Et si la droite de gouvernement réussit à présenter une candidature unique (avec Valérie Pécresse), comme cela a été le cas au cours des trois précédents scrutins (avec Nicolas Sarkozy et François Fillon), l’extrême droite est, pour la première fois depuis 2002 (avec la candidature de Brunot Mégret), représentée par deux candidats, Marine Le Pen et Eric Zemmour.</p>
<p>Comme en 2017 ou en 2002, cette dispersion des candidatures rend plus incertain le résultat du scrutin, puisque le seuil d’accès au second tour est réduit. Si le président sortant est seul à occuper l’espace politique qu’il revendique, au centre, sa position est plus inconfortable que celle de ses prédécesseurs qui briguaient une réélection (Nicolas Sarkozy en 2012, Jacques Chirac en 2002, François Mitterrand en 1988 ou même Valéry Giscard d’Estaing en 1981) dans la mesure où il doit subir les attaques des forces politiques gouvernementales de gauche comme de droite. Son statut de favori, que lui octroient les sondages de l’automne 2021, reste donc très fragile.</p>
<h2>Une crise persistante</h2>
<p>Cet éclatement de l’offre politique est un des symptômes d’un mal plus profond qui ronge la démocratie française depuis les années 1980 : la crise de la représentation politique. Les Français se sont peu à peu éloignés de la vie politique telle qu’elle était organisée depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, autour des partis de masse et des élections au suffrage universel. Les militants se font plus rares, les électeurs aussi. Analysée dans un rapport remis en novembre 2021 au président de l’Assemblée nationale par la <a href="https://www.fondapol.org/etude/rapport-pour-lassemblee-nationale/">Fondation pour l’innovation politique</a>, l’abstention progresse à chaque scrutin, même si elle affecte moins les élections présidentielles (en 1981, elle était de 19 % au premier tour ; en 2017, elle s’élevait à 21 %) que les municipales (21 % en 1983, 36 % en 2014) ou, pire encore, les législatives (29 % en 1981, 51 % en 2017).</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent cette crise : la <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/plus-rien-faire-plus-rien-foutre-la-vraie-crise-de-la-democratie">déception de l’opinion</a> face à l’échec des alternances qui se sont succédé depuis 1981 ; les « affaires » qui ont affecté l’image des hommes politiques, suspectés au mieux de ne pas tenir leurs promesses, au pire d’être corrompus ; et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/notre-histoire-intellectuelle-et-politique-pierre-rosanvallon/9782021351255">l’avènement d’une société individualiste</a>, qui préfère aux mobilisations collectives les engagements individuels et ponctuels.</p>
<h2>La fin de la disruption ?</h2>
<p>L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 était une conséquence de cette crise de la représentation politique traditionnelle. C’est bien parce qu’il apparaissait comme un candidat nouveau, étranger au « système » – notamment à celui des partis – et chantre de la « disruption » qu’il a supplanté les tenants de ce qu’on a alors significativement appelé « l’ancien monde ». Mais son incapacité à restructurer durablement l’offre politique, le discours et les pratiques politiques ont renforcé encore davantage ce sentiment de crise. Le fossé se creuse sans cesse davantage entre le peuple et des élites jugées arrogantes et coupées des <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/une-crise-de-la-representation-politique-plus-forte-que-jamais">réalités du Français</a>. Et Emmanuel Macron est justement considéré comme l’archétype de cette élite.</p>
<p>Comme leurs prédécesseurs, le Président et les membres du gouvernement ont été confrontés à une impopularité durable ; une fois passés les premières semaines de leur mandat, ils ne recueillent que très rarement plus de <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/10/117823-Indices-de-popularite-Octobre-2021.pdf">40 % d’opinions favorables</a>.</p>
<p>Le mécontentement qui parcourt la société française s’est également traduit par une succession de mouvements sociaux, qui expriment à la fois le rejet des médiations politiques traditionnelles, l’exaspération face à des décisions politiques jugées déconnectées des attentes des Français anonymes et parfois même la tentation du recours à la violence.</p>
<p>En 2016, François Hollande avait dû faire face au mouvement « Nuit debout » et, plus largement, à une mobilisation de rue contre la « loi Travail ». En novembre-décembre 2018, son successeur a été confronté à un mouvement d’une toute autre ampleur, celui des « gilets jaunes », qui a révélé la fracture entre le pouvoir politique et la « France des ronds-points », celle des territoires périurbains <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-fond-de-l-air-est-jaune-collectif/9782021426205">hantés par le déclassement</a>. Cette contestation l’a poussé à renouer un contact direct avec les Français et à susciter une nouvelle forme de participation citoyenne, par l’organisation d’un « grand débat national » au premier semestre 2019. Mais cette tentative n’a pas eu de réel débouché politique et est restée sans lendemain.</p>
<h2>L’abstention, donnée majeure de l’élection à venir</h2>
<p>L’irruption d’une crise sanitaire sans précédent n’a pas enrayé cette crise du politique, même si, sur le long terme, elle a contribué à renforcer la légitimité de l’exécutif. À l’automne 2021, les mouvements d’opposition au passe-sanitaire ont emprunté aux Gilets Jaunes une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/de-l-essence-au-passe-sanitaire-la-mutation-des-groupes-de-gilets-jaunes-sur-facebook_2162504.html">partie de leur discours et de leur mode de mobilisation</a>.</p>
<p>Et les scrutins qui se sont déroulés au cours de cette période particulière ont été sanctionnés par une <a href="https://theconversation.com/la-democratie-de-labstention-ou-les-defis-demmanuel-macron-163478">abstention sans précédent</a> : plus de 55 % pour les élections municipales de mars-juin 2020, plus de 66 % pour les élections régionales et départementales de juin 2021.</p>
<p>Le niveau de l’abstention est d’ailleurs l’une des clefs de la prochaine élection présidentielle, qui se déroulera dans ce même contexte de crise sanitaire, au cours duquel il est plus difficile de mobiliser directement les militants et les électeurs. Le renforcement des tensions qui parcourent la société française est ainsi l’un des éléments essentiels du contexte de l’élection présidentielle de 2022. Cette crise se traduit, au cours de ces premiers mois de campagne, aussi bien par la multiplication des candidatures qui entendent refuser le « système » (Eric Zemmour, Arnaud Montebourg) que par l’omniprésence des thématiques identitaires dans le débat public.</p>
<p>Mais le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont Auvergne.</span></em></p>Le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740652021-12-21T19:07:27Z2021-12-21T19:07:27ZLa gauche française vit-elle son tournant américain ?<p>Appréhendée au jour le jour, la difficulté des partis qui forment la gauche française à désigner un candidat unique est peu compréhensible. Le choix du grand angle et, plus particulièrement, la comparaison de modalités des élections française et américaine permettent de montrer que les obstacles rencontrés par <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-2022-anne-hidalgo-dans-le-piege-des-sables-mouvants-20211210">Anne Hidalgo</a> tiennent au moins autant à une crise du parti socialiste en tant qu’organisation qu’au peu d’audience d’un projet de gouvernement dont la facture est, cette fois, très classique. Et la candidature de Christiane Taubira ne permet pas de clarifier les choses. </p>
<p>Tout cela confirme une hypothèse qui pouvait déjà être posée au lendemain de <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/04/23/35003-20170423ARTFIG00184-benoit-hamon-autopsie-d-un-echec-programme.php">l’échec</a> de Benoît Hamon en 2017. La rénovation du programme par l’introduction de la revendication du <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/linvention-du-revenu-de-base/">revenu universel</a> n’avait pas suffi, ni pour imposer Hamon comme le candidat unique de la gauche ni pour lui assurer un score très supérieur à celui promis en 2021 par les sondages à la maire de Paris, soit de l’ordre de 6 %.</p>
<p>Les candidats progressistes qui, sortis des rangs de gouvernements socialistes, ont réussi à obtenir la confiance d’une part importante de l’électorat traditionnel du PS, sont Emmanuel Macron et <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">Jean-Luc Mélenchon</a>.</p>
<p>Si les contenus de leurs programmes respectifs les distinguent, ils partagent le fait d’avoir renoncé à s’appuyer sur une construction traditionnelle de fédérations et de sections à laquelle ils ont préféré la fluidité et l’agilité de mouvements recourant au porte à porte, à des formes de mobilisation spontanée, à la participation locale comme aux derniers produits de la technologie électorale.</p>
<h2>Une évolution des organisations progressistes françaises</h2>
<p>Une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/abs/organizational-and-ideological-strategies-for-nationalization-evidence-from-european-parties/4F10C959DCBC194D3FF0949373F5C6E6">telle évolution</a> dans le <em>business model</em> des organisations progressistes françaises n’est pas sans rappeler la modernisation des campagnes américaines impulsées sous la présidence du Parti démocrate par Howard Dean avant l’élection de Barack Obama.</p>
<p>Les instituts de sondages n’envisagent pas une victoire de la France insoumise, <a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-semploie-a-relancer-sa-campagne-1364399">créditée de 8 à 10 % des intentions</a> de vote en novembre 2021. Par contre, si le président de la République française conserve en 2022 la confiance d’un nombre suffisants d’électeurs socialistes, le paysage politique national pourrait ressembler un peu plus à celui des États-Unis.</p>
<p>Il serait alors probablement dominé par l’opposition entre une force progressiste libérale qui succéderait, conformément à l’un des scénarios décrits par <a href="https://www.laprocure.com/presidence-anormale-racines-election-emmanuel-macron-essai-bruno-jeanbart/9791097455248.html">Bruno Jeanbart</a>, au PS, et un parti républicain éprouvant des difficultés à convaincre les franges les plus radicales de la droite. La pièce n’est toutefois pas jouée comme en témoigne l’impact de la candidature de Valérie Pécresse sur la répartition des rôles.</p>
<h2>La personnalisation du pouvoir</h2>
<p>La France et les USA sont, à l’évidence, des pays dont la culture est différente. Cependant, saisir leurs convergences importe pour comprendre les contraintes de leur fonctionnement politique et l’état de la conjoncture.</p>
<p>La fondation de ces deux nations sur un moment révolutionnaire au XVIII<sup>e</sup> siècle ne résume en effet pas leurs similitudes. Parmi celles-ci, l’institution d’une présidence de la république, caractérisée par une élection au suffrage universel, a une influence déterminante sur l’organisation des partis politiques bien que ceux-ci n’existent pas pour cette seule élection et interviennent aussi dans le cadre de structures parlementaires nationales et régionales. La fonction présidentielle était secondaire sous la IV<sup>e</sup> république comme pour nombre de constituants américains au lendemain de la <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780197546918.001.0001/oso-9780197546918">révolution</a>.</p>
<p>Son renforcement a induit une personnalisation du pouvoir en même temps qu’une bipolarisation du champ partisan que les organisations doivent maîtriser pour réaliser le score électoral requis. C’est cette capacité qui est aujourd’hui mise à l’épreuve en France. Aux USA, les partis démocrate et républicain connaissent d’importantes divisions, mais celles-ci ne remettent pas en cause leur existence.</p>
<p>En France, la disparition de Charles de Gaulle, qui fut à même de rassembler une majorité par delà les frontières de la gauche et de la droite, a favorisé dans les années 1970 l’imitation du modèle américain d’organisation et la construction, en vue de la course à la présidence, de deux alliances à vocation majoritaire, dominées par une figure charismatique.</p>
<h2>L’avènement des partis présidentiels</h2>
<p>L’établissement, en 1972, d’un « programme commun » à trois formations ainsi que l’évolution de la composition sociologique du salariat au détriment du mouvement ouvrier communiste permirent l’élection de François Mitterrand en 1981. Elle assura l’installation – au moins jusqu’en 2002, sinon 2012 – du PS dans le rôle de « parti présidentiel » de gauche. Parallèlement, l’affirmation du mouvement néogaulliste dominé par la figure de Jacques Chirac sur l’UDF, inspirée par la démocratie-chrétienne de Valery Giscard d’Estaing, fédéra un nombre suffisant d’électeurs de droite pour constituer un autre grand parti présidentiel.</p>
<p>Ce dernier se montra capable de surmonter les défaites de 1981 et 1988 avant de remporter une succession de victoires entre 1995 et 2012. Il se maintient aujourd’hui sous le nom des « Républicains » à l’intérieur d’une compétition qui l’oppose au « Rassemblement national » de Marine Le Pen, voire à l’initiative d’Eric Zemmour.</p>
<p>Contrairement au cas américain, l’existence de deux formations capables de rassembler, chacune sur son nom, un peu plus ou un peu moins de la moitié des électeurs n’a pas été accompagnée en France par la disparition d’organisations concurrentes. Aux USA, rare est la posture du « troisième homme ». Récemment adoptée par Donald Trump, elle a abouti à l’adoubement par le parti républicain du célèbre homme d’affaires.</p>
<h2>Des usages électoraux bouleversés</h2>
<p>La différence entre la France et les États-Unis trouve différentes explications qui se complètent. La question financière constitue un premier élément : une élection à l’échelle d’un continent suppose des ressources importantes et par conséquent la concentration de celles-ci au service d’un petit nombre de participants à la compétition.</p>
<p>Les usages institutionnels en sont un autre. La tradition américaine d’une « primaire » à laquelle les candidats acceptent de se soumettre contribue à la limitation du nombre des formations en lice à l’élection présidentielle proprement dite en même temps qu’elle assure l’expression comme la mesure des divergences. Elle est également une occasion de tester le talent de personnalités qui peuvent déjà présenter une expérience en tant que gouverneurs, de chefs d’État.</p>
<p>En France, la difficulté de l’enracinement des « primaires » dans les usages électoraux et le <a href="https://journals.openedition.org/lectures/51473">pluralisme historique de la gauche</a> ne <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ae/2008-v84-n2-ae2867/000376ar/">suffisent pas</a> à expliquer le nombre des candidatures.</p>
<p>La garantie d’un remboursement par l’État des frais de campagne dès qu’un score minimum relativement faible est atteint contribue à l’explication. Il en sera sans doute ainsi tant qu’un mode de financement, inspiré des propositions de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-prix-de-la-democratie-9782213704616">l’économiste Julia Cagé</a>, ne réservera pas aux contribuables la responsabilité de la répartition des moyens financiers entre les candidats en amont de l’élection.</p>
<p>Mais plus fondamentalement, le nombre actuel des candidatures françaises communément cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques qui, bien que partageant une sensibilité sociale et écologique, à s’agréger et à s’adresser d’une seule voix et de façon intelligible aux citoyens. Cette faiblesse de l’esprit d’entreprise de la gauche rompt avec un passé qui vit la construction, au XIX<sup>e</sup> siècle, par une « social-démocratie » unitaire d’organisations internationales mettant en réseau les partis ouvriers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174065/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L'auteur contribue à différentes revues européennes et fondations, parmi lesquelles la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).</span></em></p>Le nombre actuel des candidatures cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques à s’adresser d’une seule voix intelligible aux citoyens.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1728032021-12-08T09:56:57Z2021-12-08T09:56:57ZLe « wokisme » ou l’import des paniques morales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435843/original/file-20211206-15-4w53l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1599%2C1056&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans la série Netflix _La directrice_, la protagoniste jouée par Sandra Oh se retrouve confrontée à un déferlement de panique morale au sein de son université. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-26267/photos/detail ">Eliza Morse/Netflix</a></span></figcaption></figure><p>Omniprésent dans les médias, utilisé par une certaine élite politique et intellectuelle, le « wokisme » s’est imposé comme une catégorie lexicale commode pour désigner une grande variété de faits sociaux.</p>
<p>Du point de vue linguistique, le mot <em>wokisme</em> est facile à analyser et à comprendre : contraction de l’emprunt à l’anglais <em>woke</em> (participe passé du verbe <em>wake</em>, pour « éveiller ») et du suffixe <em>-isme</em> (toujours aisé à utiliser pour substantiver une <a href="https://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2019-2-page-43.htm">manière de penser</a>, il constitue un anglicisme qui a réussi à s’imposer dans le champ médiatique et politique, des deux côtés de l’Atlantique. De surcroît, du point de vue énonciatif, il est important de préciser que ce terme est avant tout utilisé par ceux qui se présentent comme ses détracteurs.</p>
<p>Toutefois, il est important de séparer le mouvement « woke », qui définit les mouvements de libération des minorités afro-américaines <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/08/les-militants-woke-s-inscrivent-dans-une-histoire-longue-de-mobilisation-politique-de-la-jeunesse_6069230_3210.html">dans les années 60</a> aux États-Unis, du « wokisme », principalement utilisé par les milieux conservateurs pour (dis)qualifier les mouvements progressistes, dans leur diversité.</p>
<h2>Caricatures</h2>
<p>Souvent, les deux mouvements que sont le progressisme et le conservatisme, sont utilisés pour décrire les tendances antagonistes qui animent la <a href="https://www.revuepolitique.fr/%E2%80%AFwokisme%E2%80%AF-contre-conservatisme%E2%80%AFou-le-conflit-des-deux-cultures-dans-lamerique-actuelle/">vie politique états-unienne</a>. En France, ce progressisme, caricaturé en « wokisme », a bénéficié d’une entrée remarquable dans l’environnement médiatique suite aux prises de <a href="https://www.melty.fr/ideologie-woke-jean-michel-blanquer-veut-lutter-contre-le-wokisme-et-la-cancel-culture-a775284.html">position de Jean-Michel Blanquer</a>, ministre de l’Éducation nationale qui avait marqué les esprits au moment de la polémique autour de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/pour-jean-michel-blanquer-l-islamo-gauchisme-est-un-fait-social-indubitable_4304631.html">« l’islamo-gauchisme »</a>.</p>
<p>On remarque aussi que la polémique sur ce que l’on résume sous le terme <em>wokisme</em> a totalement écrasé celle de l’islamo-gauchisme en termes de popularité et d’étendue sur les deux dernières années</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comparaison par Google Trends entre les recherches concernant « wokisme » et « islamo-gauchisme » (pour la France, sur les douze derniers mois).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, alors que l’islamo-gauchisme semblait décrire une collusion suspecte entre ce que l’on appelle « une certaine gauche », <a href="https://sysdiscours.hypotheses.org/352">notamment universitaire</a> et l’islamisme (même si l’utilisation du préfixe « islamo » laissait penser que l’islam dans son intégralité pouvait être visé), le « wokisme » dispose d’une forme de lâcheté polysémique particulièrement arrangeante : en d’autres termes, cette dernière a la particularité d’embrasser un ensemble très étendu de pratiques, de mouvements et de faits sociaux.</p>
<p>En effet, tout mouvement qui lutte pour le progrès social peut être qualifié de « woke », ce qui est commode, notamment pour les think tanks conservateurs comme Fondapol par exemple, qui, à travers une note de recherche aux prétentions objectives mais à la grille de lecture <a href="https://www.fondapol.org/etude/lideologie-woke-1-anatomie-du-wokisme">particulièrement discutable</a> – comme le rappelle par ailleurs Réjane Sénac, <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/le-wokisme-nexiste-pas-mais-il-parle-20211028_B6E7QRI5LZFN7DYULYUXV7AO7Y/">directrice de recherche au CNRS</a>, évoquant ainsi le fait que cette note de recherche participe à la construction d’une « croisade » contre un « ennemi de la République ».</p>
<h2>L’importation de la panique</h2>
<p>Ces think tanks organisent une importation des paniques morales conservatrices américaines dans l’espace politique français, afin de contrer le <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/1277">progressisme politique</a> grâce à des présupposés typiques des cercles de réflexion de la droite républicaine nord-américaine. Ce faisant, ils installent une vision conservatrice de la société et la présentation des mouvements de reconnaissance et de justice sociale comme dangereux pour l’équilibre démocratique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2cMYfxOFBBM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un reportage de Vice News (en anglais) revient sur l’affaire ayant défrayé le campus d’Evergreen.</span></figcaption>
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<p>Il y a en effet, une exception française à l’importation de la panique « wokiste », qui est calquée sur la situation politique américaine : on parle souvent du cas de <a href="https://www.marianne.net/monde/ameriques/se-soumettre-ou-etre-detruit-le-temoignage-dun-chercheur-americain-victime-du-mouvement-woke-a-luniversite-devergreen">l’université Evergreen</a> comme emblème de la prétendue menace « wokiste », ce qui permet d’utiliser un stratagème efficace de peur panique – pour le dire autrement, si cela arrive aux États-Unis (pays pourtant fort différent), cela pourrait arriver en France.</p>
<h2>Une fracture politique</h2>
<p>Le mot <em>wokisme</em> est, de manière quasiment systématique, utilisé par un spectre politique qui va de la gauche républicaine conservatrice à l’extrême droite, avec des <a href="https://aoc.media/opinion/2021/11/25/lagitation-de-la-chimere-wokisme-ou-lempechement-du-debat/">nuances diverses</a>, mais un but qui ne varie jamais : qualifier les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/decoloniaux-obsedes-de-la-race-woke-enquete-sur-les-nouveaux-censeurs_2145919.html">mouvements d’émancipation sociale</a>, de lutte pour la <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/613869/point-de-vue-rapports-interculturels-et-tyrannie-des-minorites">reconnaissance des minorités</a> ou de <a href="https://b-mag.news/cop26-glasgow-clap-de-fin-pour-la-grande-messe-du-wokisme-climatique">justice climatique</a> de ridicules, inadaptés, voire dangereux pour la République française en tant que régime politique.</p>
<p>En creux se dessine également une fracture qui n’est pas seulement générationnelle, mais politique ; c’est la manière de faire du militantisme et de lutter pour la justice sociale qui se retrouve disqualifiée par celles et ceux qui ont connu d’autres manières de porter ces combats et préfèrent les matérialiser d’abord sur le terrain purement intellectuel et médiatique, comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/franc-tireur-des-obsessions-a-perdre-la-raison-20211117_6IU5RFOK2VBCLIVGRIVU6DLTWM/">l’illustre la revue Franc-Tireur</a>.</p>
<p>Cette dichotomie illustre par ailleurs particulièrement bien une chose : si l’on comprend bien qui sont les « anti-wokistes », on ne sait jamais vraiment qui sont les « wokistes », puisque tout le monde peut l’être a priori.</p>
<h2>Une forme de gentrification des luttes sociales</h2>
<p>De ce point de vue, les « anti-wokistes » ont en fait succombé à une forme de gentrification des luttes sociales, pour reprendre ce concept hérité de la <a href="https://laviedesidees.fr/Mixite-controle-social-et-gentrification.html">géographie urbaine</a> : tout comme des quartiers populaires se retrouvent mis aux normes des classes sociales plus aisées dans l’espace urbain, les luttes populaires subissent le même sort sur le terrain intellectuel et médiatique, ce qui conduit certaines personnalités à délégitimer les combats « woke » au seul motif que la forme leur déplairait, et qu’elle ne correspondrait pas à leur modèle intellectuel de lutte sociale.</p>
<p>En France, si le « wokisme » excite les passions et stimule autant de discours alarmistes, c’est parce que ces mouvements pour le progrès social auraient pour ambition de détruire le modèle républicain – alors qu’ils ne font pas autre chose que de réclamer, au contraire, l’application de ses principes fondamentaux que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Mais il faut croire que pour certain·e·s, ces principes paraissent plus confortables dans les discours que dans les actes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172803/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le « wokisme » dispose d’une forme de lâcheté polysémique particulièrement arrangeante : la particularité d’embrasser un ensemble très étendu de pratiques, de mouvements et de faits sociaux.Albin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1712582021-11-11T16:23:06Z2021-11-11T16:23:06ZL’électorat senior : une terre de mission pour Jean-Luc Mélenchon<p>Se voulant fidèle à la mémoire de celui qu’il <a href="https://www.dailymotion.com/video/x2hci11">aimait appeler affectueusement « le vieux »</a>, en référence à la façon dont les partisans de <a href="https://www.fayard.fr/histoire/trotsky-9782213022123">Léon Trotski</a> nommaient ce dernier, Jean-Luc Mélenchon demeure persuadé, dans ce contexte de multiplicité des candidatures à gauche dont le total des intentions de vote se situe à un niveau historiquement bas, <a href="https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20211013.OBS49814/jean-luc-melenchon-je-ne-plaisante-pas-je-vais-etre-elu.html">qu’il est le seul de son camp à pouvoir accéder à la présidence de la République</a>, et cela à sa troisième tentative, comme François Mitterrand avant lui.</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=cqSkARumJqQ">« La victoire est possible »</a>, voilà quels furent ses mots pleins d’optimisme, le 17 octobre 2021 à Reims, à l’occasion de son discours de clôture de la Convention de « l’Union populaire », qui devait marquer le début d’une étape nouvelle dans la longue vie politique du <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages-2020-1-page-45.htm">« tribun-poète »</a>, qui aura 71 ans en 2022.</p>
<p>Pour réussir là où il échoua en 2017, il a été décidé de s’émanciper de « la France insoumise », le « parti-mouvement » créé le 10 février 2016, jugé aujourd’hui inadapté pour permettre le nécessaire « élargissement » de sa base électorale.</p>
<h2>Une « nouvelle stratégie » pour être compétitif sur le marché électoral</h2>
<p>Une <a href="https://melenchon.fr/2021/06/06/lunion-populaire-une-strategie-globale/">« nouvelle stratégie globale »</a> serait donc née en cette année 2021 pour tenter de conférer une majorité électorale à <a href="https://www.ledauphine.com/politique/2021/08/26/le-sondage-qui-donne-le-sourire-aux-insoumis">ses solutions qu’il présente comme majoritaires en France</a>. Elle a été baptisée « l’Union populaire ».</p>
<p>Celle-ci ne veut en aucun cas s’apparenter à une tactique de <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-2022-allez-vous-faire-voir-repond-melenchon-aux-socialistes-qui-lui-demandent-de-se-rallier-20211007">« front unique » d’organisations</a>.</p>
<p>Pour Jean-Luc Mélenchon, crédité entre 8,5 et 10 % selon les enquêtes, « l’unité », aussi désirable soit-elle, ne se fera pas « par en haut » suite à un compromis programmatique audacieux entre les gauches, comme ce fut le cas en juin 1972 avec cette fameuse <a href="https://melenchon.fr/2021/06/06/lunion-populaire-une-strategie-globale/">« union sans unité »</a> autour du <a href="https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/actualites/nouvelles-publications/le-programme-commun-de-la-gauche.html">« Programme commun de gouvernement »</a>. Elle se fera à la base, autour de la personne du leader charismatique et <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753543027/les-programmes-politiques">d’un programme politique</a>, le sien, « l’Avenir en commun », objet incontournable de la transaction entre un candidat et ses électeurs.</p>
<p>En ce sens, si Jean-Luc Mélenchon et les insoumis ont fait le choix souverain de changer de structure organisationnelle, en délaissant la <a href="https://www.cairn.info/le-populisme-de-gauche--9782348054921-page-11.htm">France insoumise</a> au profit d’une « Union populaire » aux contours encore flous, la stratégie demeure en réalité inchangée. Il s’agit en effet de reprendre, en l’actualisant, la stratégie populiste de gauche qui permit de réunir <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle-2017/(path)/presidentielle-2017/FE.html">sept millions de voix il y a cinq ans</a>.</p>
<h2>Sans le vote des jeunes, point de salut</h2>
<p>En prenant ces dernières semaines longuement la parole devant <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2016-4-page-20.htm?contenu=article">cette jeunesse dite « qualifiée »</a>, que ce soit à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3C9v0fPLKwE">l’ESCP Business School</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UNV272clOLY&t=4493s">à Sciences Po Paris</a>, ou en défendant récemment la proposition d’une allocation d’autonomie de 1,063 euros pour les jeunes qui étudient à la faculté et en lycée professionnel, le tribun populiste de gauche s’évertue à (re)mobiliser ceux qui avaient largement contribué à <a href="https://www.cairn.info/le-vote-disruptif--9782724621655-page-175.htm?contenu=article">sa performance historique</a> au premier tour de la dernière élection présidentielle où « le destin lui passa entre les doigts » <a href="https://www.youtube.com/watch?v=59c8GRknFY0">à 600 000 voix près</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wG2IcNFgPo8)?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean-Luc Mélenchon propose une allocation jeunesse de 1,063 euros.</span></figcaption>
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<p>Pour espérer créer la surprise le 10 avril prochain, et <em>ipso facto</em> se qualifier au second tour, Jean-Luc Mélenchon entend de nouveau s’appuyer sur le vote des jeunes, sur les cinq millions de primo-votants, et plus particulièrement sur la jeunesse étudiante qui n’a jamais été aussi nombreuse <a href="https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2021/22/9/Projections_etudiants_1404229.pdf">qu’en cette rentrée 2021</a> avec plus de 2 816 000 d’inscrits à l’Université.</p>
<p>En 2017, <a href="https://www.cairn.info/le-vote-disruptif--9782724621655-page-153.htm?contenu=article">dans un contexte de forte abstention</a>, Jean-Luc Mélenchon pu se réconforter en ce soir de défaite d’avoir progressé de 10 points chez les moins de 35 ans par rapport à 2012 où il avait déjà obtenu des scores significatifs dans ces tranches d’âges : 16 % des 18-24 ans avaient voté pour lui en 2012 contre 11 % des 25-34 ans.</p>
<p>La catégorie des 18-34 ans constitua 54 % de son électorat, <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/1er-tour-presidentielle-2017-sociologie-de-lelectorat">soit plus de 3,5 millions de voix</a>. Il obtient 24 % chez les 25-34 ans et une percée remarquable dans la catégorie des primo-votants (18-24 ans) où il atteignit la barre des 30 %, devançant tous ses rivaux, aussi bien Emmanuel Macron (18 %) que Marine Le Pen (21 %), pourtant longtemps présentée <a href="https://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-2017-un-tiers-des-jeunes-prets-a-voter-marine-le-pen-03-05-2016-2036828_20.php">comme « la candidate favorite des jeunes »</a>.</p>
<h2>Les jeunes, une condition pour la suite</h2>
<p>Comme le <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/politiquement-jeune">démontre la sociologue Anne Muxel</a>, il n’y avait pas d’écart significatif, en 2017, selon le statut social et le niveau de diplôme des jeunes qui se sont tournés vers le candidat de la France insoumise. Si des zones de faiblesse persistent, notamment auprès des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">jeunes ruraux de classes populaires</a>, cette « jeunesse peu visible » dont le <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/les-jeunes-et-le-vote-fn-de-la-voix-de-la-protesta.html">vote reste davantage orienté vers la droite nationaliste</a>, il n’en demeure pas moins que ce fut sa force d’avoir su rassembler des électeurs jeunes issus de tous les milieux sociaux, ceux-là même qui, habituellement, ne se croisent pas, ne se côtoient pas, ne se fréquentent pas.</p>
<p>Ainsi, la capacité de Jean-Luc Mélenchon à convaincre, autant par son programme que par la <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2018-2-page-117.htm?contenu=article">restauration de son image</a> aujourd’hui <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/presidentielle-2022-macron-progresse-melenchon-en-chute-libre-selon-un-sondage-20210609">à nouveau abîmée</a>, des pans entiers de cette classe d’âge (les 18-34 ans), qui avait largement contribué aux performances électorales <a href="https://journals.openedition.org/lectures/45562">du Parti communiste français dans les années 1970</a>, sera-t-elle <em>a priori</em> une condition nécessaire pour espérer accéder au second tour de l’élection présidentielle de 2022.</p>
<h2>Le vote des retraités : un constat éloquent</h2>
<p>Si en 2017, au premier tour, <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/3749-1-study_file.pdf">il apparaissait clairement que plus on était jeune, plus on avait de probabilité d’accorder sa voix à Jean-Luc Mélenchon</a>, le constat, en revanche, était <em>éloquent</em> en ce qui concerne le vote des seniors. En effet, parmi les plus de 65 ans ayant voté au premier tour de la présidentielle de 2017, <a href="https://www.ifop.com/publication/le-profil-des-electeurs-et-les-clefs-du-premier-tour-de-lelection-presidentielle/">seuls 12 % plébiscitèrent le candidat de la France insoumise</a>, bien que cela représentât quatre points supplémentaires par rapport à 2012.</p>
<p>Le déséquilibre générationnel au sein de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon n’est pas spécifique à ce dernier. Un phénomène comparable se retrouve dans l’électorat des autres membres de sa famille politique, que ce soit celui de Jeremy Corbyn, de <a href="https://www.catarata.org/libro/los-votantes-de-podemos_45736/">Podemos</a> ou de <a href="https://www.cairn.info/revue-ballast-2016-2-page-68.htm ?contenu=article">Bernie Sanders</a>.</p>
<p>La structure générationnelle de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon en 2017 se rapproche par ailleurs sensiblement de celui de Marine Le Pen, qui atteignit 14 % des suffrages chez les plus de 65 ans grâce aux suffrages des plus modestes d’entre eux. <em>A contrario</em>, François Fillon dût ses 19,7 % de suffrages exprimés, en <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2018-2-page-39.htm">dépit de « ses affaires »</a>, à la surmobilisation d’un électorat du troisième et du quatrième âge <a href="https://www.cairn.info/la-politique-au-fil-de-l-age%20--%209782724612356-page-113.htm">dont le tropisme droitier, établi depuis longtemps par les études</a>, se trouva confirmé à cette occasion.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2009-2-page-18.htm">Le pronostic optimiste</a> de ceux qui postulaient que <em>le renouvellement générationnel</em>, autrement dit que l’arrivée progressive à la retraite des cohortes appartenant à la « génération 68 » entraîne un gauchissement profond et durable du vote des seniors semble avoir été infirmé, cette fois-ci.</p>
<p>Pourtant, en 2012, comme François Mitterrand en 1988, le <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2012-4-page-39.htm ?contenu=article#no13">candidat socialiste François Hollande était parvenu à réaliser des performances notables</a>, en se classant deuxième chez les plus de 65 ans avec 30 % des voix au premier tour et <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/1859-1-study_file.pdf">45 % au second</a>, ce qui contribua à faire battre Nicolas Sarkozy, le même, qui, cinq ans auparavant, l’avait largement emporté face à Ségolène Royale grâce à la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-3-page-459.htm">mobilisation massive</a> en sa faveur des seniors (2 électeurs sur trois parmi les plus de 60 ans s’étaient portés sur son nom).</p>
<h2>L’impossibilité de gagner sans « le pouvoir gris »</h2>
<p>Il semblerait qu’il devenu presque impossible d’espérer triompher de la règle majoritaire, et par là même de remporter une élection présidentielle, sans convaincre, sinon la majorité des retraités, au moins une minorité importante d’entre eux. En effet, le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303333 ?sommaire=3353488">poids démographique des seniors</a> n’a cessé de s’accroître depuis vingt ans autant du fait de l’allongement de l’espérance de vie à la naissance et en bonne santé, que de l’arrivée dans cette classe d’âge des générations issues du « baby-boom ». Ainsi, les personnes âgées d’au moins 65 ans représentaient-elles 20,5 % de la population française au 1<sup>er</sup> janvier 2020. Et cela ne va pas s’arrêter : en 2027, les seniors représenteront 22,5 % de la population, et 25 % en 2040, tandis qu’ils constituent déjà présentement un tiers des votants.</p>
<p>En s’appuyant prioritairement sur le vote des jeunes gens, Jean-Luc Mélenchon peut, certes, espérer se qualifier pour le second tour (le seuil de qualification risque d’être abaissé du fait de la concurrence entre les deux candidats de la droite nationaliste, <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2021/10/Vague-2-panel-2021-Fondation-Jean-Jaure %CC %80s.pdf">Éric Zemmour</a> et <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-marine-le-pen-revient-aux-fondamentaux-avec-ses-nouvelles-affiches-05-11-2021-KJ4JRXQA35GFVNQGECM3ORUYMU.php">Marine Le Pen</a>), mais celui-ci ne saurait suffire pour l’emporter.</p>
<p>S’il décide de poursuivre ses efforts pour rallier à lui cette « plaque sensible de la société », la jeunesse étudiante et diplômée, il devrait, afin d’élargir de façon décisive sa base électorale, s’adresser également aux 60–85 ans, qui, de plus en plus nombreux, <a href="https://www.cairn.info/la-politique-au-fil-de-l-age%20--%209782724612356-page-91.htm">constituent la classe d’âge la moins abstentionniste à chaque élection</a>. En 2017, près de 30 % des moins de 35 ans ne s’étaient pas déplacés au 1<sup>er</sup> tour, contre « seulement » 16 % des 60-69 ans et 12 % des plus de 70 ans.</p>
<p>Bien que le vote senior soit souvent synonyme de vote conservateur, de vote <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl :/2441/4919t6bh79j880ue9mpkmhhe1/resources/la-note-17-vague3.pdf">« libéral-autoritaire »</a>, Jean-Luc Mélenchon perdrait énormément à se résigner à cette tendance à <a href="https://www.cairn.info/la-politique-au-fil-de-l-age%20--%209782724612356-page-113.htm">« la droitisation des attitudes politiques au fil de l’âge »</a>. En dépit de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-4-page-659.htm ?contenu=article">l’existence persistante d’un « effet patrimoine »</a> qui demeure un des facteurs explicatifs du vote à droite, tandis qu’en moyenne le niveau de vie et de patrimoine des seniors a considérablement augmenté depuis 1965, pourquoi une partie significative de ces électeurs âgés et très âgés, serait-elle <em>a priori</em> imperméable aux grilles de lectures du réel et aux propositions réformatrices de Jean-Luc Mélenchon ?</p>
<h2>Être capable de parler de la vieillesse dans notre société pétrie d’âgisme</h2>
<p>Outre sa défense en faveur de l’inscription dans la Constitution <a href="https://www.dailymotion.com/video/x80hdzs">« du droit à mourir dans la dignité »</a>, le candidat Jean-Luc Mélenchon a manifesté récemment son vif intérêt pour ceux qu’il évoque d’ordinaire si peu en tant que tels dans ses nombreuses prises de parole, en se rendant, suite à un <a href="https://linsoumission.fr/2021/09/17/je-ny-croyais-pas-la-rencontre-entre-jean-luc-melenchon-et-celine-guillon-95-ans/">courrier d’une pensionnaire de 95 ans, à l’Ehpad de Jarny</a>.</p>
<p>Celui qui a toujours voulu assumer le <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=7lMFk9vMoHY">rôle de passeur</a> en s’entourant de jeunes gens, que se soit au temps où il était dirigeant au Parti socialiste, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/08/22/generations-melenchon-la-releve-a-t-elle-sonne_5344811_823448.html">et à présent au sein de la France insoumise</a>, pour s’assurer que le fil de l’histoire ne sera pas rompu une fois son retrait de la vie partisane intervenu, serait sans doute inspiré de s’adresser directement aux femmes et aux hommes de sa génération dans le cadre d’un discours fondateur, comme le fit en son temps le dirigeant socialiste, <a href="https://www.fondationvarenne.fr/wp-content/uploads/2019/09/doc_pdf_fr_le.discours.la_.jeunesse.jean_.jaur_.s.pdf">Jean Jaurès, à destination de la jeunesse</a>.</p>
<p>En se rendant davantage visible, en popularisant des propositions ambitieuses qui viseraient autant à diminuer les <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2020-2-page-19.htm">inégalités sociales dans la vieillesse</a>) que de transformer les conditions de travail et d’existence des <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=Ik-Mfy9F98Y">centaines de milliers de femmes</a> qui prennent soin des personnes âgées en perte d’autonomie chez elles (auxiliaires de vie sociale, aides à domicile, aides-ménagères), tout en déconstruisant les <a href="https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2007-4-page-263.htm">nombreux stéréotypes à visée régressive sur les « vieux »</a>, le candidat de la gauche radicale pourrait possiblement se rendre davantage audible auprès d’une partie de cet électorat clé.</p>
<p>Il s’agirait, enfin, comme l’énonçait l’intellectuelle et militante féministe Simone de Beauvoir dans son essai sur <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-Vieillesse"><em>La vieillesse</em></a>(1970), de « briser la conspiration du silence » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/vieillir-24-la-vieillesse-de-simone-de-beauvoir">autour de « la situation scandaleuse des vieux dans la société »</a>, afin qu’un grand débat s’ouvre à l’occasion de cette campagne présidentielle au sujet des nombreuses conséquences économiques et sociales du fait de la <a href="https://www.cairn.info/revue-constructif-2019-2-page-75.htm ?contenu=article">seniorisation accélérée de nos sociétés modernes</a>, et <em>de facto</em> aux besoins humains et matériels qui seraient nécessaires de mobiliser pour répondre, enfin, de façon satisfaisante, juste et humaine à <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2009-10-page-75.htm ?contenu=article">« l’un des changements sociaux les plus importants du XXI<sup>e</sup> siècle »</a>.</p>
<hr>
<p><em>Co-auteur de cet article, Hugo Melchior est chercheur indépendant en histoire politique contemporaine, auteur de plusieurs articles sur la France insoumise et <a href="https://theconversation.com/siphonner-les-voix-des-faches-pas-fachos-le-pari-perdu-de-melenchon-120143">Jean-Luc Mélenchon</a>.</em></p>
<p><em>Manuel Cervera-Marzal vient de publier <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">« Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise »</a> (éditions La Découverte)</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171258/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manuel Cervera-Marzal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une nouvelle stratégie électorale est née en cette année 2021 chez La France Insoumise. Baptisée « L’union populaire », elle ne pourra pas faire l’économie de la prise en compte du vote des seniors.Manuel Cervera-Marzal, chargé de recherche au FNRS (Université de Liège / PragmaPolis), Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694822021-10-24T15:25:32Z2021-10-24T15:25:32ZFrance insoumise : un César à la tête d’un mouvement anarchique ?<p>Jean-Luc Mélenchon, qui réunissait ses troupes <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-melenchon-place-son-salut-dans-la-mobilisation-des-abstentionnistes-16-10-2021-VCAM4SDTCBBZRGR7BPUUIGEU2E.php">à Reims</a> le week-end dernier, s’apprête à briguer la magistrature suprême pour la troisième fois consécutive.</p>
<p>Entre sa première et sa deuxième tentative, il a amélioré son score de 8,5 points et a conquis trois millions de voix supplémentaires. Cette progression tient en partie au contexte – en 2017, le <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/08/25/a-l-abri-des-regards-les-socialistes-pansent-difficilement-leurs-plaies_1592051/">Parti socialiste</a> sort affaibli du quinquennat Hollande – et en partie à la stratégie mise en œuvre par l’intéressé.</p>
<p>Entre 2012 et 2017, on assiste en effet à une mise à distance des symboles traditionnels du mouvement ouvrier : le rouge disparaît des affiches de campagne et, à la fin des meetings, L’Internationale est remplacée par La Marseillaise. En 2017, dans son discours public, Jean-Luc Mélenchon retraduit le clivage « gauche »/« droite » dans une <a href="https://www.cairn.info/le-vote-disruptif--9782724621655-page-129.htm">grammaire opposant désormais le « peuple » à l’« oligarchie »</a>.</p>
<h2>Du parti au mouvement</h2>
<p>Ce tournant populiste – de la gauche au peuple – s’est accompagné d’un tournant mouvementiste – du <a href="https://www.wiley.com/en-us/Movement+Parties+Against+Austerity-p-9781509511457">parti au mouvement</a>.</p>
<p>En 2012, il faut le rappeler, Jean-Luc Mélenchon est le candidat d’un cartel de partis politiques – le Front de gauche – réunissant notamment le Parti de gauche (créé en 2009 après que Mélenchon a quitté le PS) et le Parti communiste français. Cinq ans plus tard, le parti de gauche a cédé sa place à un <a href="https://www.liberation.fr/france/2016/10/14/jean-luc-melenchon-le-vent-dans-le-dos_1521979/">mouvement qui se veut citoyen</a>. Le label partisan est mis à distance en raison de la méfiance qu’il suscite chez les électeurs.</p>
<p>À en croire le baromètre de la confiance politique actualisé chaque année par le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">CEVIPOF</a>, moins d’un Français sur cinq fait désormais confiance aux partis politiques. Ils sont perçus comme des machines bureaucratiques et pyramidales, des organes d’embrigadement et d’endoctrinement et des fabricants de fausses promesses. Leur image est durablement écornée et l’on comprend qu’en 2017, Jean-Luc Mélenchon comme d’ailleurs Emmanuel Macron, aient cherché à s’en émanciper en prenant la tête d’un « mouvement ».</p>
<p>Mais la transition de la forme-parti à la forme-mouvement ne se réduit pas à une affaire d’image ou d’étiquette. Il en va, plus profondément, d’une série de transformations matérielles qui tiennent à la fois au mode d’adhésion et au fonctionnement interne de l’organisation. En ce sens, en lançant la France insoumise en 2016, deux ans après son premier ballon d’essai – le <a href="https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-lance-son-mouvement-pour-une-vie-republique-sur-internet-11-09-2014-1862471_20.php">Mouvement pour la VIᵉ République</a> créé en 2014 –, Jean-Luc Mélenchon a grandement contribué au renouvellement du modèle partisan.</p>
<h2>De nouvelles formes d’adhésion ?</h2>
<p>La façon dont on adhère à la France insoumise n’a plus grand-chose en commun avec l’adhésion aux partis politiques (PS, PCF, PG, etc.). <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/01/l-ineluctable-mutation-des-partis-politiques_6096688_3232.html">La carte d’adhérent disparaît</a>. Quelques clics sur une plate-forme numérique suffisent à s’inscrire. Les cotisations disparaissent également, ce qui allège le coût d’entrée et favorise l’arrivée de novices.</p>
<p>Ceux qu’on appelait autrefois des sympathisants sont désormais des membres. La France insoumise, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-choix-de-l-insoumission-jean-luc-melenchon/9782021326543">explique son leader</a>, ne demande pas à ses membres « un ticket d’entrée, un certificat de baptême, ou je ne sais quel brevet d’appartenance aux bonnes idées ». <a href="https://lafranceinsoumise.fr/rejoindre/">Adhérer</a> ne comporte pas d’obligation à s’engager sur le terrain ni à contribuer financièrement. Cela signifie simplement qu’on soutient la démarche, et permet au dirigeant de <a href="https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2019/02/ProgrammeEurope-A5.pdf">revendiquer</a> plusieurs centaines de milliers de membres, un chiffre à faire pâlir de jalousie les partis rivaux.</p>
<p>Ceux qui le souhaitent sont libres d’aller plus loin, via des dons défiscalisés ou la participation à des groupes locaux. Mais la majorité des membres ne franchissent pas ces étapes. La frontière entre sympathisants et militants est brouillée, voire éliminée. Les militants sont privés de leurs anciennes prérogatives : possession d’un local, contrôle des finances, élection de délégués, autorisation à parler au nom de l’organisation, droit de tendances, représentation proportionnelle des courants au sein de la direction.</p>
<p>Dans le mouvement, le droit de vote aux consultations internes étant indistinctement accordé aux simples « cliqueurs » et aux militants présents sur le marché tous les dimanches matins, les seconds voient leur pouvoir dilué. Beaucoup s’en plaignent. Mais la dépossession des militants au profit des simples adhérents n’est pas totalement neuve puisque, depuis une décennie, sous l’influence du Parti démocrate états-unien, la mise en place de <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100039680">« primaires ouvertes »</a> (au PS en 2011, chez LR en 2016) confère au sympathisant qui s’acquitte d’une modique somme le même pouvoir qu’au militant.</p>
<h2>Anarcho-césarisme</h2>
<p>La grande liberté dont disposent les groupes d’action de la FI semble constituer le miroir inversé de la toute aussi grande liberté dont jouit le leader, qui n’est pas contrôlé par son organisation, ni même par sa garde rapprochée, comme j’ai pu le constater au cours de mon enquête de terrain. On est ainsi en présence d’une configuration étrange, que je qualifie d’<a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921"><em>anarcho-césarisme</em></a>.</p>
<p>Anarchisme car la base dispose d’une forte autonomie d’initiative. L’inventivité et l’<a href="https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/espace-auto-organisation-et-desobeissance-populaire/">auto-organisation</a> sont valorisées, au moins en paroles. Il existe bien une <a href="https://lafranceinsoumise.fr/groupes-action/charte-groupes-dappui-de-france-insoumise/">charte des groupes d’action</a> (qui fixe un nombre maximal de membres par groupe et qui interdit de former des instances intermédiaires) mais, en pratique, les statuts sont souvent enfreints et chaque groupe local s’organise comme bon lui semble. La charte de la France insoumise tient sur une page, ce qui est léger en comparaison de celles du Parti socialiste (27 pages) et des Républicains (47 pages).</p>
<p>Césarisme, car, si la base a une très grande liberté d’action et d’organisation, elle a revanche une capacité de décision proche du néant. L’accès à la sphère dirigeante nationale s’opère par cooptation, voire par népotisme, c’est-à-dire qu’il dépend de la volonté du chef.</p>
<p>Les grandes orientations ne sont pas définies par les groupes d’action mais par un individu souverain, qui se fait conseiller par un noyau affinitaire, composé d’élus et de permanents. Le leader fait approuver ses choix par le vote en ligne sur des textes cadenassés. Les votes ont pour fonction de légitimer le choix effectué en amont, et non de trancher entre des options contradictoires.</p>
<p>Il n’y a d’ailleurs plus de congrès et d’élection de délégués, alors que ces dispositifs constituaient autrefois la <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199661879.001.0001/acprof-9780199661879">garantie du pluralisme</a> interne au parti.</p>
<p>La France insoumise a fait disparaître les cadres intermédiaires dans les instances locales, de sorte que le leader se retrouve dans un face-à-face direct avec une masse de supporters acquis à sa personne. La <em>voice</em> (prise de parole critique) n’est pas possible ; il ne reste qu’<em>exit</em> (départ) ou <em>loyalty</em> (loyauté), pour reprendre le fameux triptyque du sociologue <a href="https://www.editions-ulb.be/fr/book/?gcoi=74530100646020">Albert Hirschmann</a>.</p>
<h2>Un engagement à la carte</h2>
<p>Par ailleurs, le mouvement organise sa propre désorganisation. En l’absence de règles claires et publiques, les militants sont livrés à l’arbitraire de la direction. Ils sont donc dépossédés des prérogatives qu’ils détenaient au sein du Parti socialiste, du Parti communiste, du Parti de Gauche ou d’Ensemble.</p>
<p>Cette démonétisation du militantisme s’opère par le haut, au bénéfice d’un leader omnipotent, et par le bas, au bénéfice des centaines de milliers de membres dont la voix, lors des consultations internes, pèse autant que celle des militants de terrain.</p>
<p>En 2015, François Delapierre, bras droit de Jean-Luc Mélenchon, convainc ce dernier de fonder un « parti sans les murs ». Chaque militant va et vient à sa guise. « Le souci du mouvement […] c’est d’être aussi poreux que possible », écrit <a href="https://melenchon.fr/2016/11/02/le-peuple-et-le-mouvement/">Jean Luc Mélenchon</a>.</p>
<p>Ces nouvelles modalités du militantisme – individualisé, à faible coût et à faible pouvoir sur la marche du mouvement – sont perçues différemment par chaque insoumis, en fonction de son parcours militant et de ses attentes. Certains y voient une forme de liberté particulièrement appréciable, d’autres (parfois les mêmes, mais plus tard) se plaignent de l’incapacité du mouvement à s’inscrire dans la durée, à se structurer et à faire émerger une culture commune. Quoiqu’il en soit, on constate une faible fidélité au mouvement. Les militants s’en vont aussi facilement qu’ils sont arrivés. L’organisation peine à les fidéliser. Mais en a-t-elle seulement la volonté ?</p>
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<p><em>L’auteur de cet article s’est immergé trois ans durant au sein du parti la France insoumise. Il en aborde toutes les facettes (genèse, programme, stratégie, discours, idéologie, fonctionnement interne, base militante, direction et électorat), dans son ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">« Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise »</a> paru récemment aux éditions La Découverte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manuel Cervera-Marzal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La grande liberté dont disposent les groupes d’action de la France Insoumise semble constituer le miroir inversé de la tout aussi grande liberté dont jouit le leader.Manuel Cervera-Marzal, chargé de recherche au FNRS (Université de Liège / PragmaPolis), Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701362021-10-19T18:39:41Z2021-10-19T18:39:41ZConversation avec Marc Lazar : « Le populisme est une menace pour la démocratie mais aussi une opportunité »<p><em>Professeur d’histoire et de sociologie politique et directeur du centre d’histoire de Sciences Po à Paris, Marc Lazar, présent aux <a href="https://www.tribunesdelapresse.org/">Tribunes de la presse 2021</a> à Bordeaux, revient sur l’ascension des populismes en Europe. Pour lui, si ces mouvements menacent nos démocraties, ils disent aussi l’urgence de les rénover en profondeur.</em></p>
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<p><strong>Dans votre ouvrage <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Peuplecratie"><em>Peuplecratie, la métamorphose de nos démocraties</em></a> (Gallimard), vous traitez du populisme aujourd’hui et des mouvements politiques qui se fondent sur le peuple. Selon vous, ces mouvements déforment ce concept. Quelle serait alors une définition simple et objective du peuple ?</strong></p>
<p><strong>Marc Lazar</strong> : Les populismes ont en commun une vision d’un peuple bon et vertueux en lui-même qui s’oppose à̀ une minorité composée par les élites. Mais chaque populisme a sa propre conception du peuple. À droite, presque toujours, il porte une dimension ethnoculturelle et exclusive. L’appartenance se fait par la filiation et la reconnaissance d’une culture commune, le plus souvent marquée par une référence à la religion catholique. À l’inverse, le populisme de gauche a une définition plus inclusive du peuple, considéré comme un ensemble de citoyens actifs. Dans une démocratie moderne, le peuple est une communauté politique, en général dans le cadre d’une nation, qui a le pouvoir d’élire ses dirigeants, qui affirme son unité tout en acceptant l’existence de divisions en son sein, divisions qui sont régulées et institutionnalisées.</p>
<p><strong>Avec le concept de « peuplecratie », vous évoquez un phénomène latent qui gagne la vie politique. Comment cela se manifeste-t-il ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : La peuplecratie est l’idée d’une souveraineté du peuple sans limites et d’une démocratie immédiate, sans médiation. C’est une potentialité, une dynamique qui travaille certains pays comme la France ou l’Italie.</p>
<p>Concrètement, les populistes imposent leurs règles et leur style. Ils instaurent la temporalité de l’urgence et placent leurs thématiques au cœur de l’agenda politique. Ce sont eux qui déterminent les solutions et mettent les autres formations politiques sur la défensive. L’élection présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017 est un exemple concret de cette lame de fond qui gagne toute la vie politique. Emmanuel Macron, tout en combattant les populistes, se présentait lui aussi comme le candidat antisystème, comme un outsider complet, alors qu’il a fait Sciences Po et l’ENA, qu’il a été haut fonctionnaire, puis banquier et ministre de François Hollande.</p>
<p><strong>Vous distinguez le populisme du XXI<sup>e</sup> siècle de ceux du XIX<sup>e</sup> et du XX<sup>e</sup> siècle. Qu’entendez-vous par néo-populisme ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : <a href="https://www.cairn.info/un-neo-populisme-a-la-francaise--9782707139313.htm">Les néo-populismes</a> ont toujours un lien avec le populisme classique. L’opposition entre peuple et élites ou l’usage d’un langage simple et démagogique en sont des exemples. Mais les néo-populismes comportent aussi des nouveautés. Avant, ces mouvements étaient des moments politiques particuliers, intenses et courts. Ils perturbaient vivement la vie politique d’un pays, mais s’estompaient assez vite. Autre différence : ces formations critiquaient la démocratie libérale et représentative. Toutes, ou presque, voulaient un régime d’autorité ou autoritaire. Aujourd’hui, ces mouvements se présentent comme les plus grands défenseurs de la démocratie mais ne sont pas des libéraux. Ils disent : « On n a pas peur du peuple. On veut des référendums alors que vous, partis traditionnels, vous les craignez ». Enfin, ces néo-populismes bénéficient d’une transformation technologique fondamentale avec les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu.</p>
<p><strong>La politologue Chantal Mouffe et Jean-Luc Mélenchon revendiquent le populisme comme un <a href="https://laviedesidees.fr/Peut-on-defendre-le-populisme.html">moyen d’action politique légitime</a> pour la gauche. Pensez-vous que cette posture puisse être dangereuse ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : Avec Jean-Luc Mélenchon en France, Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce, les populismes de gauche présentent de réelles variantes mais aussi des points communs. L’idée commune est la suivante : le clivage n’est plus entre la gauche et la droite mais entre peuple et élites. Ils partagent une vision d’un peuple ouvert et n’ont pas peur de l’immigration. En ce sens, ils sont bien distincts des autres populismes d’autant qu’ils entendent rénover la démocratie. Néanmoins, comme les autres, les populismes de gauche représentent une menace car ils sont porteurs d’une dimension potentiellement autoritaire : « J’incarne le peuple, donc les autres ne sont pas légitimes pour s’opposer ».</p>
<p>En même temps, ces revendications pour obtenir davantage de démocratie représentent une opportunité : celle de réformer les démocraties libérales et représentatives. Selon moi, le populisme est une menace, certes, mais il est aussi une opportunité.</p>
<p><strong>Dans ce contexte, les nouvelles revendications citoyennes pour plus de démocratie participative comme celles des « gilets jaunes » ou de « nuit debout » sont-elles un moyen de rénover nos démocraties ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : La démocratie libérale et représentative est à bout de souffle. Sinon, on ne comprendrait pas la défiance politique qui traverse nos sociétés. La représentation donne l’impression d’une captation du pouvoir et de la constitution d’une classe politique qui se sépare de la population. Ces revendications sont donc normales et nécessaires. La question est de savoir comment nous rénovons la démocratie. « Nuit debout » a été une expérience de démocratie participative. Aujourd’hui, des réunions et des débats s’organisent pour la <a href="https://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-lgvpaca/docs/pdf/etudes/ins_lgvmed/ImpactsLGVMeddec2004.pdf">création d’une ligne TGV</a> par exemple, et c’est très bien !</p>
<p>Cela s’inscrit tout à fait dans cette démarche de démocratie participative. Pour les « gilets jaunes », tout est plus compliqué car il s’agit d’un mouvement très composite, une forme de populisme sociétal marqué notamment par l’absence de leader. Une partie des manifestants demandait plus d’autorité́, et une autre composante plus démocratique exigeait par exemple le référendum d’initiative populaire. Le référendum est-il la clé de tout ? Je n’en suis pas certain, car tout ne se règle pas par le oui ou par le non. Mais il s’agit très certainement d’un mode de participation sur lequel, pour certains sujets, il faut s’appuyer. Il est nécessaire de multiplier ces formes de démocratie participative, conçue comme un complément de la démocratie libérale et représentative. Cette aspiration à plus de participation doit être entendue. D’autant que le mouvement des « gilets jaunes » devrait continuer à faire parler de lui. Je ne crois pas qu’une telle mobilisation puisse disparaître sans laisser des traces.</p>
<p><strong>Le second tour de l’élection présidentielle se tiendra dans six mois. Les Français aujourd’hui ne semblent plus guère se reconnaître dans les candidats. Peut-on voir dans l’abstention électorale une pensée populiste ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : Non je ne crois pas. On distingue plusieurs formes d’abstentionnisme. Il y a par exemple un abstentionnisme intermittent où l’on vote selon le scrutin, et un abstentionnisme structurel. Pour autant, cela ne veut pas dire que ces abstentionnistes sont prêts à suivre un mouvement populiste. Mais par ailleurs, une transformation de la classe politique s’impose. La politique est un métier pour lequel de réelles compétences sont nécessaires. Ce ne peut pas être une carrière à vie. Diversifier la représentation est primordial. Je le dis sans démagogie : il faut des jeunes, des femmes, des gens qui ont eu d’autres parcours que Sciences Po et l’ENA.</p>
<p><strong>La Pologne vient de donner la priorité de son droit national sur le droit européen, une revendication qui unit à peu près tous les populistes en Europe. Comment l’Europe peut-elle résister à toutes ces prises de position nationales ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : L’Europe est à la croisée des chemins sur la question polonaise ou hongroise. Si les populistes qui sont au pouvoir ne respectent pas les valeurs européennes ou tout ce qui relève du droit européen, l’Union européenne doit avoir une attitude ferme, sinon elle sera en danger. Mais le défi est redoutable et, malheureusement, il sera difficile à relever. Cela implique de passer outre les divisions pour prendre des décisions. Je suis inquiet pour l’Europe à cet égard.</p>
<p><strong>D’après vous, la vie politique italienne a plusieurs fois joué le rôle de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/04/PALOMBARINI/63011">laboratoire de l’Europe</a>. Mario Draghi vient de succéder à l’alliance populiste de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles. Doit-on alors s’attendre à un recul des populistes ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : Je suis très dubitatif. D’un côté́, c’est vrai, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/nouvelle-donne-politique-en-italie">Mario Draghi</a> bénéficie d’une cote de popularité́ exceptionnelle. Sans doute, parce qu’il symbolise pour l’Italie la compétence et la bonne gestion du plan de relance européen dont le pays est le premier bénéficiaire. Les populistes ont certes perdu les élections municipales dans les grandes villes, mais ils bénéficient de plus de 40 % d’intentions de vote en vue des prochaines élections politiques. Ils restent donc très présents. Même si la question de l’immigration, sur laquelle ils fondent leur politique, n’est plus la priorité des Italiens, ce point demeure encore important. L’Italie compte cinq millions d’immigrés et ce n’est pas un pays habitué à l’immigration. Les populistes jouent sur les peurs et je pense que c’est loin d’être terminé, en Italie comme ailleurs.</p>
<p><strong>En tant qu’universitaire, vous faites partie des élites. Celles-ci sont souvent prises à partie par les mouvements populistes. Comment réagissez-vous à cela ?</strong></p>
<p><strong>M.L.</strong> : Je suis moins gêné par l’interpellation des populistes que par leur effet généré auprès des populations. En tant qu’universitaires, nous devons faire très attention à nos propos en évitant le dénigrement et apporter des éléments de compréhension aux enjeux de société. Si des gens votent pour des formations populistes comme le Rassemblement national, cela signifie qu’il y a un problème et il ne s’agit pas de le contourner. Les élites, en Europe, ont incontestablement peur du peuple. Nous devons renouer le lien en démocratisant davantage. Les médias ont aussi une grande responsabilité. Il ne faut pas utiliser le terme populisme à tout-va, mais aussi s’éviter toute suffisance qui alimente, entre autres, la défiance d’une grande partie de ces populations à l’égard des médias.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Salomé Chergui et Louis Faurent, étudiants en master professionnel de journalisme à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) dans le cadre des Tribunes de la Presse dont The Conversation France est partenaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170136/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Conversation avec Marc Lazar autour du concept de « peuplecratie », l’idée d’une souveraineté du peuple sans limites et d’une démocratie immédiate, sans médiation.Marc Lazar, Directeur du Centre d’Histoire de Sciences Po et Président de la School of government de l’Université Luiss (Rome), Sciences Po Marie-Christine Lipani, Maitre de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication habilitée à diriger des recherches à l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1682032021-09-20T20:44:22Z2021-09-20T20:44:22ZLa gauche dans un paysage politique fragmenté<p>À l’heure où, en France, le Congrès du Parti socialiste vient de ratifier la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/olivier-faure-reelu-a-la-tete-du-parti-socialiste-1631967467">réélection à sa tête d’Olivier Faure</a>, et où près de <a href="https://www.la-croix.com/France/presidentielle-2022-candidats-gauche-deja-declares-verts-lfi-2021-09-15-1201175619">sept candidats</a> se revendiquant de gauche devraient se présenter à l’élection présidentielle de 2022, ce camp politique ne paraît guère capable d’unité. La gauche est éclatée et le paysage politique est lui-même fragmenté.</p>
<p>La fragmentation est sans doute le terme qui caractérise le mieux les systèmes politiques occidentaux contemporains depuis la disparition de l’Union soviétique.</p>
<p>L’Europe est particulièrement représentative du phénomène bien que celui-ci ne s’y cantonne pas. Révélatrices d’un cadre bipartisan sous tension, les divergences des républicains américains comme la difficulté de <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/22/us/politics/democrats-divisions-infrastructure.html">Joe Biden</a> à bénéficier d’une discipline électorale démocrate au Congrès montrent combien la tendance à la fragmentation est répandue dans les démocraties libérales du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Superficiellement présentée dans les termes d’une crise, cette transformation des systèmes politiques affecte en particulier, comme l’illustre le cas français, ce qu’il reste convenu d’appeler « la gauche » européenne malgré le <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2013-8-page-74.html">flou de ses contours</a>.</p>
<h2>Une fragmentation décuplée par les crises</h2>
<p>D’une part, la disparition des partis communistes n’a pas signifié la consolidation d’une hégémonie « social-démocrate » ou « socialiste », notions devenues synonymes et renvoyant à la défense de la Sécurité sociale et de la négociation collective par des <a href="https://www.bloomsbury.com/us/one-hundred-years-of-socialism-9781780767611/">partis d’origine ouvrière</a>. D’autre part, l’acuité de la perception collective de l’existence d’inégalités au sein des sociétés prospères de l’hémisphère nord a moins bénéficié à la « gauche » qu’à une nouvelle génération de partis dits <a href="http://cup.columbia.edu/book/populocracy/9781788210256">« populistes »</a>, de droite, voire d’extrême droite.</p>
<p>Un coup d’œil sur les résultats électoraux récents en Europe gagne à s’arrêter sur la <a href="https://searchworks.stanford.edu/view/1667069">situation des Pays-Bas</a>. Là où une société politique a reposé sur les piliers constitués par les familles chrétiennes, socialistes et libérales, plus de 10 partis se partagent actuellement les préférences des électeurs. Le PVDA, longtemps navire amiral du mouvement ouvrier, s’est <a href="https://progressivepost.eu/dutch-elections-2021-no-recovery-of-social-democracy/">effondré</a> tandis que se sont affirmés, en partie sur ses décombres, des formations représentatives de la gauche radicale, d’un libéralisme social, de l’écologie politique ou encore d’un vote protestataire, hostile à l’islam.</p>
<p>Ce paysage défini par la fragmentation – voire la disparition comme en Italie – des organisations traditionnelles communiste, socialiste et démocrate-chrétienne ainsi que par le surgissement de nouvelles formations qui peuvent sembler issues de nulle part a un précédent déjà historique.</p>
<h2>Un puissant entrepreneuriat politique</h2>
<p>En effet, dans les pays de l’ancienne Europe centrale et orientale, notamment en Pologne ou dans l’ancienne Tchécoslovaquie, on a vu émerger et s’affirmer, dès les premiers instants de la libéralisation constitutionnelle et économique, un puissant <a href="https://www.routledge.com/The-Routledge-Handbook-of-East-European-Politics/Fagan-Kopecky/p/book/9780367500092#">entrepreneuriat politique</a> ou autrement dit une capacité de citoyens à créer de nouveaux partis.</p>
<p>La comparaison est utile parce qu’elle elle montre qu’il convient de distinguer entre une crise et l’apocalypse. La fragmentation politique n’est pas nécessairement le prélude d’un chaos. Elle peut constituer le moment d’un processus de destruction créatrice au fil duquel l’offre politique s’adapte à l’évolution d’une demande sociale.</p>
<p>Aussi, une trentaine d’années après la chute du Mur de Berlin, les anciennes « démocraties populaires » satellisées par l’URSS ne sont-elles pas moins gouvernables que les pays qui appartenaient à la « Communauté européenne » instituée par le Traité de Rome en 1957 ? L’évolution des pays de l’Est tend également à indiquer, notamment en Pologne, que l’existence de partis socialistes n’est pas, ou plus, nécessaire à la satisfaction des <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9781137293794">attentes populaires</a>.</p>
<p>Tirer des enseignements de l’évolution est-européenne n’est cependant pas suffisant pour comprendre les ressorts de la fragmentation des systèmes partisans et les difficultés de la gauche dans ce nouvel environnement.</p>
<h2>Leçons d’Israël</h2>
<p>À cet égard, Israël constitue un autre laboratoire très intéressant. D’abord, parce qu’il illustre, comme en France, une évolution du système politique caractérisée par la disparition de la domination du Likoud et du Parti travailliste et ainsi que par l’<a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2009-3-page-83.htm">effondrement</a> de ce dernier depuis le début des années 2000.</p>
<p>Ensuite, et c’est là un trait plus original bien qu’il se manifeste dans d’autres États comme l’Italie à l’occasion de la constitution des gouvernements successivement dirigés par Giuseppe Conte et Mario Draghi, dans le cadre de la fragmentation du système, la composition des gouvernements est désormais régie moins par des convergences idéologiques que par les contraintes de la constitution mathématique d’une majorité parlementaire.</p>
<p>Cette évolution s’accomplit selon un schéma conforme à la théorie de la démocratie qui, défendue par <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/capitalisme-socialisme-et-d%C3%A9mocratie-9782228883177">Joseph Schumpeter</a>, réduisait celle-ci à une technique et une logique économique.</p>
<p>Autrement dit, la diversification des mouvements politiques favorise la constitution de majorités techniques plutôt que la réalisation d’un programme commun.</p>
<p>Ramenés à leur quintessence et considérés en tant que laboratoires, l’Europe de l’Est et Israël enseignent que l’issue de la fragmentation des systèmes politiques est indéterminée et peut aboutir à des résultats tout à fait contradictoires. Soit un renouvellement idéologique dont la Hongrie et la Pologne offrent des illustrations très radicales puisque l’évolution pourrait atteindre la nature même du régime politique. Soit une réduction de la politique à l’arithmétique.</p>
<h2>Quelques scénarios</h2>
<p>Appliquées au cas de la France, ces leçons permettent d’élaborer les scénarios suivants.</p>
<p>Selon un premier scénario, les résultats des prochaines élections présidentielles et législatives pourraient converger, comme ils l’ont encore fait en 2017. De la sorte, serait favorisée la perpétuation de la tendance dominante de la <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-4-page-101.htm">Vᵉ république</a> qui permet d’associer à un gouvernement et une présidence des choix politiques clairs, inspirés par un programme et une idéologie.</p>
<p>Selon un second scénario, les difficultés de la « cohabitation » qu’ont déjà connues les institutions françaises pourraient être augmentées par l’estompement de partis dit présidentiels, c’est-à-dire à vocation majoritaire et l’impossibilité pour le parti qui a remporté l’élection présidentielle de bâtir une majorité parlementaire à partir de la seule alliance avec un parti nettement plus faible.</p>
<p>Dans un tel environnement, les perspectives ouvertes aux partis de la gauche française paraissent maigres à moins que les résultats engrangés dans les urnes diffèrent des estimations proposées par les sondages. Ils n’en sont pas moins confrontés au choix suivant.</p>
<h2>Un choix drastique</h2>
<p>La première option consiste à parier sur les chances de l’entrepreneuriat en adaptant l’offre politique à une demande sociale.</p>
<p>Cette évolution a été jusqu’à présent accomplie sous la direction de Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas permis aux formations qu’il a créées et aux programmes qu’il a défendus d’approcher une majorité parlementaire nationale ou législative comme avait pu le faire <a href="https://searchworks.stanford.edu/view/6005376">François Mitterrand</a> en liquidant la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/congres-d-epinay-il-y-a-50-ans-les-socialistes-s-unissent-derriere-francois-mitterrand">SFIO</a>.</p>
<p>Elle avait également été tentée au parti socialiste à partir de la mise en avant par Benoît Hamon d’une revendication de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/28190?lang=es">revenu universel</a> mais s’était soldée par un échec.</p>
<p>Aujourd’hui, la plausibilité d’un renouvellement sous la forme d’une union de la gauche, d’une extension de celle-ci aux écologistes et d’un programme écosocialiste paraît écartée comme l’a été l’organisation d’une « primaire » des candidats des différentes formations.</p>
<p>L’option qui consiste à parier sur la mathématique électorale ne devrait permettre ni au PS, ni à la France Insoumise, ni aux formations écologistes et encore moins à l’extrême gauche de participer à une majorité nationale.</p>
<p>Elle n’autorise que l’accès à des coalitions dans d’autres niveaux de pouvoir, ouvrant peut-être la voie à la refondation d’une alliance progressiste à partir des succès d’une gestion municipale ou départementale.</p>
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<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-gauche-entre-la-vie-et-la-mort/">« La gauche entre la vie et la mort. Une histoire des idées au sein de la social-démocratie européenne »</a>, éditions Bord de l’eau, septembre 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente est membre du conseil scientifique de la Feps et du Cevipol (Université Libre de Bruxelles). </span></em></p>Parier sur la mathématique électorale ne devrait permettre ni au PS, ni à la France Insoumise, ni aux formations écologistes et encore moins à l’extrême gauche de participer à une majorité nationale.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1592722021-08-29T17:50:04Z2021-08-29T17:50:04ZIntelligence punk et innovations sociales : l’art de faire autrement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/418104/original/file-20210826-23-1reua38.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1159%2C729&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La musique punk est animée par une forte esthétique « DIY » (_do it yourself_). </span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Lors d’une première tournée des squats allemands en 2014 avec notre groupe <a href="https://youtu.be/XljMGIM7zkM">PVST</a>, nous avons été frappés par l’implication des organisatrices et des organisateurs que nous connaissions à peine, et qui pourtant ont donné de leurs temps et de leur énergie. Sans leur aide, nous n’aurions pu mener à bien et à moindres frais notre série de concerts à l’étranger. </p>
<p>Leur militantisme culturel semble régi par des conventions implicites qu’un ami traduit d’ailleurs non sans humour par l’appellation « le package allemand ». Car leur engagement va bien au-delà de l’aspect strictement musical. Partout où nous étions accueillis, de la nourriture exclusivement <em>végane</em> nous était proposée. Lors d’une autre tournée en 2019, un des squats près de Francfort accueillait même un « dojo Do It Yourself (DIY) » pour les punks voulant s’essayer à la <em>self-défense</em> contre de potentielles agressions, qu’elles soient sexuelles ou motivées par des raisons politiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411026/original/file-20210713-19-1wr2kwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Journal ethnographique : Tournée européenne jour 6, 17/04/2019, Squat Haus Mainusch, Mainz, Allemagne. Lieu de réunion pour gérer les affaires courantes du squat servant également de dojo DIY.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour contrecarrer toutes formes de domination et afin de masquer ce qui pourrait apparaître comme un privilège masculin, les batteurs devaient jouer en soutien-gorge s’ils étaient tentés de se dénuder pour avoir moins chaud lors du concert !</p>
<p>S’affichaient également des drapeaux « Welcome refugees » et des logos « Good night white pride » représentant un punk tabassant un nazi à terre : quelques jours auparavant, un squat avait été incendié par un groupuscule d’extrême droite. Ces punks-là vivaient une tout autre réalité que la nôtre en France, bien avant les évènements de Charlottesville et l’alerte faite par l’ONU au sujet du risque accru d’attentats terroristes d’extrême droite en occident, et avant ##MeToo.</p>
<p>Sept ans plus tard, tout se déroule comme si les punks avaient préparé en amont le monde d’après.</p>
<h2>Organisation du travail contributive et en réseau</h2>
<p>L’expérience de ces tournées a été le socle de nos questionnements pour penser les innovations punk. Les comprendre demande cependant l’adhésion à un prérequis important et contre-intuitif : être un punk, c’est du travail. Le sociologue Fabien Hein a bien décrit la multiactivité des groupes de musique dans son livre <em>Ma petite entreprise punk</em>.</p>
<p>Composer sa musique en salle de répétition, apprendre à l’enregistrer, réaliser son propre merchandising à l’aide d’une machine à sérigraphie, monter son label pour diffuser ses œuvres et planifier ses tournées… L’ensemble de ces tâches demande du temps, beaucoup de temps. Certes, ce principe de la « débrouille » est observé pour d’autres phénomènes culturels émergents, mais c’est bien le punk qui l’a institué en règle, sinon en convention devant régir le travail de production de ses œuvres à l’intérieur de la scène. Cette organisation guidée par l’éthique DIY vise l’<a href="https://journals.openedition.org/volume/4998">affaiblissement radical de la division du travail</a> puisqu’elle consiste à se couper de certains maillons de la chaîne de production structurant les mondes de l’art en faisant tout soi-même, mais avec les autres.</p>
<p>Souhaitant sortir des logiques marchandes et dans une volonté d’inclusion, c’est par le recours au prix libre que toute personne est invitée à participer à hauteur de ses moyens pour financer ces activités, tant qu’elle n’affiche pas publiquement des idées et comportements oppressifs (sexistes, racistes, homophobes, etc.).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=998&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=998&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=998&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1254&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1254&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411035/original/file-20210713-21-2a7d07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1254&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Journal ethnographique : Tournée Européenne jour 6, 17/04/2019, Squat Haus Mainusch, Mainz, Allemagne. Panneau d’affichage à l’entrée du squat montrant les valeurs défendues du lieu.</span>
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<p>Ainsi, tout le monde est logé à la même enseigne puisque les artistes acceptent d’être payés en fonction des entrées vendues. La confiance règne : envers l’organisation, qui doit attirer suffisamment de punks, mais aussi envers le public dont on espère le soutien. Pour que ces artistes puissent espérer rembourser leurs frais de route, le public est invité à payer un prix libre. La forme musicale sert d’ailleurs cette raison démocratique, puisqu’il n’est pas nécessaire d’être virtuose pour se produire sur scène. Il faut seulement avoir la volonté de partager sa passion pour le punk avec son entourage. <em>Do it with your friends</em> donc. La musique se veut alors – en apparence – simple et directe afin que n’importe qui puisse s’y essayer sans craindre un manque de compétence musicale.</p>
<p>La scène punk DIY comprend tout un réseau de scènes locales auto-organisées dans le but de s’extraire du pouvoir des industries musicales. Cette organisation a permis le développement de ses propres canaux de diffusion d’œuvres artistiques, en profitant de l’avènement d’internet pour les étendre mondialement. Des groupes de punk hardcore français comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1xrwlBftrMY">Birds in Row</a>, <a href="https://youtu.be/G7rAFXaxvq0">The Prestige</a> ou <a href="https://youtu.be/J3O1E5o3Fe4">Wank For Peace</a> ont ainsi eu l’occasion de parcourir les routes d’Asie, de Russie tout en passant par Cuba ou Israël sans avoir recours à des promoteurs, mais en faisant seulement appel à la solidarité des punks. Ce mode d’auto-organisation rappelle celui du « travail contributif » développé par <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-bernard-stiegler-faire-de-plaine-commune-en-seine-saint-denis-le-premier-territoire-contributif-de-france-65931">Bernard Stiegler</a> où il s’agit d’abolir les barrières entre public et rock-stars : la scène punk appartient à tous.</p>
<h2>L’inversion du mérite</h2>
<p>La scène punk repose sur un modèle de réussite singulier modélisé par ce que l’on pourrait appeler un capital contre-culturel fondé sur un renversement idéologique de la réussite : celui ou celle qui réussit dans le punk est la personne qui passe l’épreuve du don de soi. Car c’est en faisant passer son intérêt personnel après celui du collectif que l’on gagne en notoriété tout en évitant d’être taxé·e d’opportuniste. Paradoxalement, pour que soit rendu visible aux yeux des punks le choix de l’opposition à l’<em>establishement</em>, il faut être suffisamment reconnu par la presse <em>mainstream</em> et jouer dans des lieux institutionnalisés. </p>
<p>Un accès à ces espaces ouvre à la possibilité de faire le choix de refuser de se soumettre à leurs règles, et ainsi ne pas trahir l’intégrité punk. Il y aurait par conséquent un intérêt au <a href="https://theconversation.com/punk-is-not-dead-mais-alors-ou-est-il-159273">désintéressement</a> : ce n’est pas la logique économique qui guide l’action, ni celle de l’art pour l’art, mais la recherche d’une pureté de l’engagement dont les pratiques d’auto-organisation nécessaires à la production et la diffusion de la musique, doivent être comprises comme parties intégrantes de l’œuvre elle-même.</p>
<h2>L’outillage punk : subversion, éthique et débrouille</h2>
<p>L’outil premier du punk consiste à subvertir l’ordre en place, de manière parfois illégale lorsqu’il s’agit de squatter un lieu, afin d’imposer sa vision du monde. Musiciennes et musiciens détournent par exemple l’argent obtenu des concerts dans des salles subventionnées, ou profitent d’une tribune pour transmettre ses valeurs de solidarité et d’égalité. Cet argent est tantôt reversé à des associations menant des actions militantes ou peut être réinvesti directement dans la scène DIY pour garantir son autonomie.</p>
<p>Et suivant l’héritage des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/riot_grrrls-9782355221057">Riot Grrrl</a>, ce mouvement féministe des années 1990 dénonçant la part essentiellement masculine des musiciens de la scène punk, les problèmes de violences sexistes sont pris à bras le corps. Les femmes s’auto-organisent en s’armant d’outils pédagogiques de l’éducation populaire et de l’<em>empowerment</em>. Des ateliers d’apprentissage musical sont proposés par exemple par <a href="https://youtu.be/e7hBXtnLZW4">Salut Les Zikettes</a>, doublés par la promotion des figures féminines et activistes sont relayés dans des fanzines comme <em>Big Up Girls</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1074&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1074&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411036/original/file-20210713-27-q2z7x6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1074&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cinquième couverture du fanzine Big Up Girls.</span>
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<p>Ces initiatives sont aussi l’occasion d’ouvrir des espaces de discussions en non-mixité nécessaires pour que des témoignages d’abus soient d’abord partagés, puis éventuellement rendus visibles. Ce fut le cas notamment à travers l’<a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/220521/violences-sexuelles-les-musiques-extremes-face-leurs-demons">enquête récente de Mediapart</a> relatant des témoignages de violences sexuelles au sein des musiques extrêmes.</p>
<p>Sans oublier l’aspect le plus important au cœur de l’idéologie punk, celle de la débrouille : lorsque l’on n’a pas les moyens de s’offrir un instrument ou des outils pour réaliser son propre merchandising, il faut les créer soi-même. Tout devient possible avec une connexion Internet et des poubelles bien remplies, surtout lorsque l’on a l’opportunité de se former à la débrouille lors de ces ateliers DIY.</p>
<p>Nous voyons ainsi s’articuler ce que l’on pourrait appeler un art total, mais qui pourtant se dénie souvent comme tel : il se fond presque entièrement dans les conditions de sa réalisation, c’est-à-dire comme étant autant un moyen qu’une fin en soi puisqu’il débouche rarement sur une carrière artistique classique. Un débat entre punks et scientifiques est d’ailleurs ouvert pour savoir si l’aspect éphémère de l’action DIY marque la faiblesse de la scène punk ou représente une réelle arme politique. Mais il ne pose pas la question de l’autonomie de ses valeurs ainsi que celle relative à ses propres moyens de production en <a href="https://www.cairn.info/journal-reseaux-2012-2-page-66.htm">régime numérique</a>. </p>
<p>Il ne questionne d’ailleurs que trop peu les liens ambigus, parfois nécessairement tissés avec les pouvoirs publics. Enfin, il écarte selon nous rapidement un point crucial qui pourtant lient les punks : toutes et tous partagent un affect commun pourtant déterminant dans leur trajectoire de vie, celui du même attachement à la musique punk bien avant qu’il soit traduit en discours militant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manuel Roux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La débrouille se trouve au cœur de l’idéologie punk.Manuel Roux, Doctorant en Sciences de l'Éducation (CeDS) - Chercheur au sein du projet d'étude PIND (ANR), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635982021-08-01T16:30:42Z2021-08-01T16:30:42ZEn Espagne, Podemos se prépare à l’après-Pablo Iglesias<p>Le 4 mai 2021, Pablo Iglesias, secrétaire général de Podemos depuis sept ans et ancien vice-président du gouvernement espagnol (janvier 2020-mars 2021), a mis un terme à sa carrière politique à l’issue de la <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/espagne/espagne-la-droite-triomphe-aux-elections-regionales-a-madrid-2393727.php">défaite cinglante</a> subie par son parti aux élections régionales dans la Communauté de Madrid.</p>
<p>Quelques jours avant le <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/anniversaire-dix-ans-apres-que-reste-t-il-du-mouvement-des-indignes-en-espagne">dixième anniversaire du mouvement des Indignés</a>, le départ de l’emblématique dirigeant de gauche radicale prenait des airs de fin de cycle, tant sa figure est associée à l’ascension fulgurante du parti anti-austérité, depuis la percée aux élections européennes de 2014 jusqu’à l’entrée au gouvernement début 2020.</p>
<p>Iglesias laisse derrière lui un parti positionné dans presque toutes les arènes institutionnelles du pays mais électoralement affaibli. Aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/referendum-en-catalogne/elections-legislatives-en-espagne-le-parti-socialiste-arrive-en-tete-mais-aucune-majorite-ne-se-degage_3697305.html">élections générales de novembre 2019</a>, Unidas Podemos (UP), la coalition regroupant Podemos et les communistes d’Izquierda Unida, a rassemblé 12,8 % des suffrages, bien loin des 21,1 % recueillis en 2016.</p>
<h2>Une succession sans embûches</h2>
<p>La démission de Pablo Iglesias avait de quoi semer le doute quant à l’avenir d’un parti jusqu’alors dépendant de son leader charismatique. Pour balayer les points d’interrogation, la transition à la tête de Podemos s’est opérée sans attendre : le 13 juin, au terme d’un congrès mené tambour battant et sans véritable concurrence, <a href="https://www.humanite.fr/espagne-ione-belarra-cette-trentenaire-la-tete-de-podemos-710812">Ione Belarra</a>, 33 ans, originaire de Navarre et actuelle ministre des Droits sociaux, est élue secrétaire générale avec 88,69 % des 53 443 voix exprimées sur la plate-forme numérique de Podemos.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uMwqr3_LhzA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ione Belarra a constitué dans la foulée son conseil de coordination, le principal organe exécutif de Podemos. La nouvelle secrétaire générale l’a martelé : la prochaine direction devra être plus collégiale et, surtout, plus féminine. Le nouvel organigramme du parti confirme cette inflexion : les trois principales fonctions à la tête de Podemos sont désormais occupées par des femmes. La féminisation des instances dirigeantes est une manière d’inscrire le parti dans le sillage de la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/06/23/l-espagne-terre-feministe-au-grand-dam-des-machistes_1735711/?redirected=1&redirected=1">vague féministe</a> qui traverse l’Espagne depuis plusieurs années.</p>
<p>Malgré ces évolutions au sommet, la nouvelle direction est avant tout <a href="https://www.eldiario.es/politica/nueva-direccion-liderada-ione-belarra_1_8054071.html">marquée du sceau de la continuité</a>. On retrouve au sein de l’exécutif formé par Belarra des figures bien connues – membres du gouvernement et des cabinets ministériels, députés – qui ont été les chevilles ouvrières de Podemos ces dernières années. Les profils très institutionnels et expérimentés qui composent cette direction témoignent par ailleurs de la professionnalisation grandissante de l’élite partisane. Celle-ci peut désormais difficilement se prévaloir de la fraîcheur et du renouvellement qui ont imprégné les débuts de Podemos, du temps où le parti pouvait se présenter comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-2-page-53.htm">parti de « non professionnels »</a>.</p>
<h2>De l’entreprise personnalisée au parti enraciné dans les territoires ?</h2>
<p>Bien que l’héritage de Pablo Iglesias pèse encore sur l’appareil, Podemos dispose d’une armature suffisamment solide pour survivre à son départ. La pérennisation de l’organisation par-delà les aléas politiques de son dirigeant charismatique constitue un marqueur indéniable d’institutionnalisation. Néanmoins, tourner la page du leadership de Pablo Iglesias nécessitera bien plus qu’une succession sereine.</p>
<p>Dès l’origine, Podemos est apparu comme une entreprise politique hautement personnalisée. Les premiers succès du parti sont indissociables de l’aura médiatique et des aptitudes de tribun de Pablo Iglesias. Sans son leader autrefois omniprésent, Podemos entame donc une nouvelle phase, que résume le mot d’ordre de Ione Belarra : <em>crecer</em> (grandir, croître).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1404122208432230402"}"></div></p>
<p>À la « machine de guerre électorale » mise en place par Pablo Iglesias, la nouvelle direction se propose de substituer une organisation ajustée aux séquences politiques plus « froides ». Entre 2015 et 2019, Podemos a participé à pas moins de quatre élections générales ainsi qu’à de multiples scrutins territoriaux. Le rythme effréné imposé par la succession des échéances électorales a aspiré les énergies et retardé le patient travail d’affermissement organisationnel que les dirigeants appellent aujourd’hui de leurs vœux.</p>
<p>Pour débuter ce nouveau cycle, Ione Belarra s’est fixée pour objectif de renforcer l’assise territoriale du parti. La tâche est d’autant plus impérieuse qu’UP a connu une véritable débâcle lors des dernières élections municipales et régionales en 2019.</p>
<p>Parmi les mairies conquises en 2015 par les <a href="https://theconversation.com/le-bilan-des-mairies-du-changement-en-espagne-131127">candidatures du « changement »</a> – Madrid, Barcelone, Saragosse, La Corogne, Saint-Jacques de Compostelle, Cadix –, seule Barcelone demeure aujourd’hui dans l’orbite de Podemos, Cadix étant dirigée par un maire anticapitaliste désormais dissident.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1229256333179965443"}"></div></p>
<p>Tout aussi préoccupant : après avoir obtenu des résultats prometteurs aux élections régionales de 2015, le parti accuse des pertes significatives en 2019 et voit son nombre d’élus divisé par deux, voire par trois, dans la plupart des communautés autonomes. En Galice, en Cantabrie et en Castille-La Manche, Podemos est même rayé de la carte parlementaire régionale. La candidature de Pablo Iglesias aux élections régionales à Madrid, présentée comme une nécessité pour fortifier le bloc des gauches devant l’essor de la droite ultraconservatrice, visait aussi à assurer à UP un score supérieur à 5 %, seuil fatidique en dessous duquel le parti aurait été privé de représentation.</p>
<p>L’enjeu consiste donc bien à bâtir une organisation moins centrée sur le leader et capable de s’ancrer durablement dans les territoires. Contrairement à la France insoumise, son allié de l’autre côté des Pyrénées, Podemos a adopté très tôt une organisation stratifiée, avec des structures partisanes territorialisées ainsi que des représentants élus par les membres du parti. Jusqu’ici, l’implantation territoriale de Podemos a toutefois été chaotique, ponctuée d’innombrables tensions au sein des instances locales et d’interminables conflits entre la direction nationale et plusieurs branches régionales, désireuses de s’autonomiser des directives madrilènes, comme en Catalogne ou en Andalousie.</p>
<p>Mais cette période de turbulences est pour le moment révolue : en 2020, les candidats parrainés par Pablo Iglesias ont pris les rênes du parti dans les onze communautés autonomes où Podemos renouvelait ses directions. Ione Belarra peut donc dorénavant s’appuyer sur un réseau de coordinateurs régionaux loyaux et intégrés à son exécutif. Jamais dans sa courte histoire Podemos n’aura présenté un visage aussi homogène.</p>
<h2>Des recompositions à venir à la gauche du Parti socialiste</h2>
<p>Le déroulement de la succession de Pablo Iglesias atteste de la fluidité des rouages partisans mais reflète aussi l’absence de compétition intra-partisane pour le leadership. Et pour cause : ceux qui furent un temps les rivaux de Pablo Iglesias à l’intérieur du parti font désormais chemin à part. Des trois sensibilités qui se sont affrontées lors du deuxième congrès du parti en 2017 – les « pablistes », les « errejonistes », du nom de l’ancien n°2 de Podemos Íñigo Errejón, et les « anticapitalistes » – seul subsiste le courant représenté par les héritiers d’Iglesias.</p>
<p>Les partisans d’Íñigo Errejón, hostiles à l’alliance avec les communistes et chantres d’un <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/22/europe-les-courants-populistes-ont-cesse-d-etre-des-exceptions-pour-devenir-la-regle_5274743_3214.html">populisme transversal</a>, œuvrent désormais au déploiement de <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/01/18/mas-pais-et-le-fletrissement-du-parti-vert-espagnol/">Más País</a>. Cette nouvelle force politique, solidement implantée à Madrid mais peu structurée dans le reste du pays, souhaite incarner une alternative écologiste à l’échelle de l’Espagne.</p>
<p>Quant aux anticapitalistes, qui ont claqué la porte de Podemos en réaction à l’alliance avec les socialistes, ils s’attellent depuis l’Andalousie à la construction d’une organisation d’envergure régionale, <a href="https://wynwood.paris/le-dernier-echec-de-la-gauche-andalouse-cest-ainsi-que-sest-lancee-lopa-hostile-qui-a-detruit-adelante-andalucia">Adelante Andalucía</a>.</p>
<p>Podemos devra s’adapter à ces recompositions encore incertaines à la gauche du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). UP compte d’ailleurs depuis quelques jours une nouvelle composante, Alianza Verde (Alliance verte), lancée par des cadres écologistes de la coalition. Une manière d’incarner davantage les aspirations écologiques et de couper l’herbe sous le pied à Más País.</p>
<p>Les recompositions les plus significatives devraient toutefois s’opérer au sein même de la coalition. Le départ de Pablo Iglesias laisse présager un positionnement moins hégémonique de Podemos et des relations probablement plus équilibrées avec son principal partenaire, Izquierda Unida.</p>
<p>Fait marquant, pour la première fois le candidat aux élections générales en 2023 ne devrait pas être issu des rangs de Podemos. Il s’agit de l’actuelle ministre du Travail, Yolanda Díaz, figure de la gauche communiste en Galice, à qui Pablo Iglesias a transmis le flambeau dès sa démission du gouvernement. Comme le souligne le politiste <a href="https://lwbooks.co.uk/podemos-beyond-the-populist-movement">Óscar García Agustín</a>, Ione Belarra et Yolanda Díaz devraient ainsi former un tandem avec des rôles bien définis : à Ione Belarra le travail de consolidation territoriale de Podemos ; à Yolanda Díaz, ministre populaire aux facultés de négociation unanimement saluées, le défi de donner un second souffle électoral à UP, après des échecs à répétition depuis 2019.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163598/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Dain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pablo Iglesias vient d’annoncer qu’il quittait la vie politique. Il laisse derrière lui une formation qui, en quelques années d’existence, s’est largement professionnalisée.Vincent Dain, Doctorant en science politique au Laboratoire Arènes, Université Rennes 1, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1567292021-03-11T17:53:41Z2021-03-11T17:53:41ZLa liberté académique des enseignants est-elle en danger sur les campus américains ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/389113/original/file-20210311-15-4lfi59.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C4%2C2841%2C2134&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'université de Californie du Sud, à Los Angeles.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_de_Californie_du_Sud#/media/Fichier:052607-016-BovardHall-USC.jpg">Bobak Ha'Eri/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Jamais les universités américaines n’avaient été autant prises à partie dans les débats publics français. Rares ont été les prises de parole, au cours de la polémique générée par les propos récents de la ministre de l’Enseignement supérieur sur les courants de recherche radicaux dans l’université française, qui ne se sont pas référées aux États-Unis en les « <a href="https://aoc.media/analyse/2021/02/22/un-vent-de-reaction-souffle-sur-la-vie-intellectuelle/?loggedin=true">diabolisant</a> ». En effet, selon bon nombre d’analyses, c’est d’outre-Atlantique que viendrait l’une des plus graves atteintes contemporaines à la liberté académique.</p>
<p>Cancel culture, Wokeness, Triggers warnings, Safe spaces… autant de concepts dont les médias se sont emparés pour décrire des campus américains qui seraient depuis quelques années les théâtres d’une restriction sans précédent de la liberté d’expression, au nom de la défense des minorités et d’un nouveau « droit à ne pas être offensés ». Nos universités françaises seraient, presque par contagion, elles aussi désormais menacées puisque, <a href="https://www.20minutes.fr/politique/2978507-20210216-universites-frederique-vidal-va-commander-enquete-cnrs-islamo-gauchisme">selon la ministre</a>, « des universitaires se disent eux-mêmes empêchés par d’autres de mener leurs recherches, leurs études ».</p>
<h2>La liberté académique, principe historique des universités américaines</h2>
<p>Pourtant, s’il est une pierre angulaire de l’espace académique et de recherche américain, c’est bien la liberté académique. Son fondement juridique est le premier amendement de la Constitution américaine de 1791, celui qui garantit la <a href="https://theconversation.com/le-culte-de-la-liberte-dexpression-aux-etats-unis-155577">liberté d’expression</a>, principe fondateur de l’identité nationale, contre toute restriction, notamment venant du pouvoir politique. Rappelons qu’en France, la liberté académique, au sens de l’indépendance et de la libre expression des enseignants et des chercheurs, est <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1984/83165DC.htm">garantie au niveau constitutionnel depuis 1984</a>.</p>
<p>Même si la jurisprudence constante de la Cour suprême rattache la liberté académique à ce premier amendement, la Constitution américaine ne mentionne toutefois pas explicitement la liberté d’enseignement et de recherche, ni le contexte spécifique des universités. Ce sont donc les universitaires eux-mêmes qui se sont donné les moyens de définir et de garantir l’exercice de cette liberté.</p>
<p>L’occasion leur en est donnée au début du XX<sup>e</sup> siècle par la mobilisation massive contre le licenciement jugé abusif car fondé sur un motif idéologique d’<a href="https://academeblog.org/2014/04/24/the-ross-case/">Edward Ross</a>, professeur d’économie à l’université Stanford. En 1915, un grand nombre d’universitaires se constituent alors en Association américaine des professeurs d’université (<em><a href="https://www.aaup.org/">American Association of University Professors</a>, AAUP</em>) et, sous l’impulsion du philosophe John Dewey, rédigent la première déclaration sur la liberté académique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1109095909013573632"}"></div></p>
<p>L’enjeu, pour ces universitaires, est une double émancipation. Il s’agit de réaffirmer la liberté académique comme une composante fondamentale de la liberté intellectuelle, à côté de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et de la liberté de religion. Mais il s’agit aussi de définir la nature de la liberté académique comme « la liberté de poursuivre la profession de savant selon les standards de cette profession » (<a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2010-4-page-291.htm">Finkin et Post, 2009</a>), c’est-à-dire une liberté dont les contours, les évolutions et le sens appartiennent aux universitaires eux-mêmes.</p>
<p>En plus d’un siècle, les principes de la charte de l’AAUP, réaffirmés en 1940 (liberté de recherche et de publication, liberté d’enseignement, liberté d’expression dans les murs de l’Université et en dehors) ont fait l’objet de révisions et interprétations successives, s’imposant aujourd’hui comme le texte de référence qui permet aux universités de remplir leur mission sociale fondamentale, c’est-à-dire la poursuite de la connaissance, en tant que « bien commun ». En effet, c’est par la garantie de la liberté académique que les enseignants et les chercheurs peuvent contribuer à l’avancée de la science et donc au progrès de la société (<a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2010-4-page-291.htm">Beaud, 2010</a>).</p>
<p>Ce sont donc les universités, dans une logique d’autorégulation et de contrôle par les pairs, qui gouvernent et défendent l’exercice de la liberté académique aux États-Unis. Contrairement aux Français, les Américains n’attendent pas du législateur qu’il encadre cette liberté par des interdictions et des sanctions pénales, car c’est la gouvernance même des universités qui est organisée en fonction de la préservation de la liberté fondamentale de chercher, dire, enseigner, débattre par-delà les orientations politiques, les idées, la confession religieuse, l’appartenance ethnique, le genre, et de ne pouvoir être jugé que par ses pairs sur un plan purement scientifique (<a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2009-4-page-99.htm">Compagnon, 2009</a>).</p>
<h2>Les universités comme lieu du débat démocratique</h2>
<p>Les campus américains, en dépit de la grande hétérogénéité du système, sont dans les faits des lieux de débat démocratique et de pluralité d’opinions.</p>
<p>Pour les quelque 16 millions d’étudiants inscrits en premier cycle, la formation, surtout dans les grandes universités de recherche, offre une palette de choix de cours et de disciplines sans commune mesure avec celle des universités françaises. La liberté de choisir, de tester et tâtonner, de changer d’avis, d’explorer différents champs du savoir et manières de voir pendant les quatre années du bachelor – la licence américaine – fait partie de la formation intellectuelle.</p>
<p>L’éclectisme des points de vue se reflète également dans la vie associative qui doit permettre à chaque groupe, à chaque minorité, à chaque communauté de promouvoir ses valeurs et ses intérêts à côté de ceux des autres. Car les universités considèrent que le pluralisme, le débat contradictoire, la confrontation entre écoles de pensées est ce qui les caractérise et les distingue d’autres organisations. Même des idées potentiellement dérangeantes doivent être présentées et débattues en classe et partout sur le campus à condition de garantir la même possibilité d’expression à tous.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rRPgclaQRRk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pourtant, depuis une dizaine d’années, le maintien de la liberté académique, notamment dans sa dimension de liberté d’expression, est devenu un <a href="https://www.lopinion.fr/edition/politique/maintenir-free-speech-dans-universites-americaines-est-combat-201770">combat permanent</a> dans presque toutes les universités américaines.</p>
<h2>Le mouvement « woke » et les restrictions à la liberté d’expression</h2>
<p>La menace ne provient pas de l’ingérence des pouvoirs publics ni, comme autrefois, d’une quelconque autorité religieuse (<a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-1-page-7.htm">McCarthy, 2018</a>). Elle semble plutôt venir de l’intérieur même des campus, à savoir de la communauté étudiante.</p>
<p>Depuis les années 1970, afin de mieux refléter la composition de la société américaine, les universités ont progressivement instauré des <a href="https://theconversation.com/universites-vers-un-declin-de-lempire-americain-153215">« politiques de diversité »</a>. Sur chaque campus, les groupes historiquement sous-représentés, comme certaines minorités ethniques ou de genre, ou encore les anciens combattants, ont poussé vers davantage de pluralisme en exigeant une plus grande prise en compte de leur histoire et de leur singularité dans les programmes d’enseignement et les contenus des cours. C’est ainsi que beaucoup d’universités ont introduit des études dites « globales », indiquant par là des approches enfin non centrées sur l’Europe, prenant en compte des auteurs et des œuvres d’autres traditions culturelles que celles du monde occidental considéré comme historiquement dominant.</p>
<p>Paradoxalement, l’attention portée à la représentation de toutes les voix et cultures a fini par se retourner contre le principe même qui l’avait soutenue. Le respect du pluralisme, qui exige que tous les points de vue puissent être exprimés, étudiés et débattus, est entré en conflit avec le respect des sensibilités individuelles. Ainsi, la liberté académique, pourtant garantie par les institutions et bien vivante sur les campus, se heurte dans la pratique à la capacité des étudiants de la nouvelle génération des « éveillés » (en référence au <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-mercredi-10-fevrier-2021">« <em>Woke</em> »</a>, état d’esprit d’éveil face à l’injustice) à entendre des opinons ou des récits contraires à leur système de valeurs ou jugés dépréciatifs envers l’identité qui les définit.</p>
<p>Au cours de la dernière décennie, de nombreux campus, tels que Chicago, Harvard, Pittsburgh, Brown, Georgia Tech, Michigan, Penn, ont été secoués par des affaires liées à la réaction de groupes d’étudiants, parfois encouragés par des professeurs, face à des propos jugés offensants, colonialistes ou blessants pour telle ou telle minorité. Ces réactions peuvent conduire au refus du débat sous toutes ces formes – d’où l’appellation de « cancel culture » ou culture de l’annulation – ou à l’introduction de messages préventifs (les « triggers warnings », qui visent à prévenir le public qu’il doit se préparer psychologiquement à ce que des sujets potentiellement dérangeants soient abordés).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1311608178841399298"}"></div></p>
<p>Elle peut aller parfois jusqu’à des demandes de licenciement, voire à de véritables lynchages médiatiques des enseignants, amplifiés par les réseaux sociaux. En juillet 2020, le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/retour-sur-le-suicide-dun-professeur">suicide d’un professeur de droit à l’Université de Wilmington, en Caroline du Nord</a>, a été interprété comme la conséquence directe du harcèlement dont il était la cible du fait de ses propos conservateurs et provocateurs sur des sujets sensibles comme l’avortement, la peine de mort et l’égalité des genres. L’ONG américaine Fire (<em>Foundation for Individual Rights in Education</em>), qui a pour mission la protection de la liberté d’expression sur les campus universitaires, a constaté une <a href="https://www.thefire.org/this-has-been-fires-busiest-summer-ever-what-happened/">augmentation sans précédent</a> du nombre de signalements de violations depuis l’été 2020.</p>
<p>Confrontées à une telle dérive du principe du « politiquement correct », certaines universités ont cherché une solution en créant des espaces de parole spécifiques, au sein desquels on consent à limiter la liberté d’expression pour que les personnes sensibles puissent se sentir « en sécurité ». L’utilité et la pertinence de ces espaces sûrs (<em>safe spaces</em>) ont fait l’objet de nombreux débats dans les enceintes universitaires et les médias. Pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/fare.12233">certains</a>, ces lieux doivent permettre l’expression de groupes historiquement dominés, puisqu’ils seraient exempts de discrimination, de racisme, de sexisme ou de tout autre comportement haineux ; pour <a href="https://www.psychologytoday.com/us/blog/college-confidential/201703/safe-spaces-can-be-dangerous">d’autres</a>, ils marginalisent davantage les opinions minoritaires car ils les <a href="http://features.columbiaspectator.com/eye/2015/09/29/what-are-you-afraid-of/">isolent</a> et les écartent des arènes du débat.</p>
<h2>L’argent, nerf de la guerre</h2>
<p>Au-delà de ces situations qui peuvent paraître extrêmes, l’aseptisation du discours public sur les campus est une tendance de fond qui est également liée à l’évolution plus générale de l’enseignement supérieur américain et de son modèle économique. Les universités, qu’elles soient privées ou publiques, dépendent aujourd’hui bien plus des frais de scolarité, voire de la générosité des bienfaiteurs individuels (anciens diplômés ou parents d’élèves), que des financements publics. Les étudiants, aujourd’hui des clients, sont les prescripteurs et les mécènes de demain. Ne pas froisser leur sensibilité est ainsi un enjeu de taille pour l’administration des universités. L’image des plus anciennes et prestigieuses d’entre elles peut être durablement ternie par des affaires liées à la liberté d’expression des enseignants, avec des conséquences non négligeables sur leurs capacités de financement. Le risque est d’autant plus élevé que l’établissement est réputé.</p>
<p>Dans une célèbre <a href="https://chomsky.info/20110406/">allocution</a> prononcée à l’université de Toronto en 2011, Noam Chomsky, professeur de linguistique au MIT et intellectuel engagé, alertait sur les effets que le « business model » des universités pourrait avoir sur la capacité de celles-ci à se maintenir en tant que lieux de réflexion et d’enquête créatifs et indépendants. Il disait à l’époque que la meilleure manière de résister aux pressions des financeurs serait de « simplement les reconnaître comme une réalité de la vie » pour les « combattre catégoriquement, à n’importe quel prix ». Un remède qui pourrait s’appliquer également aux dérives actuelles en matière de liberté d’expression…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, certains mouvements cherchent à encadrer la liberté d’expression dans le cadre universitaire, au nom de la protection des minorités.Alessia Lefébure, Directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519552021-02-16T19:26:20Z2021-02-16T19:26:20ZLa République laïque de Jean‑Luc Mélenchon : un débat qui fracture la gauche et bien plus encore<p>Le président du groupe parlementaire La France insoumise mène actuellement une fronde, sur les bancs de l’Assemblée nationale, contre le projet de loi « séparatisme », finalement rebaptisé « <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi">projet de loi</a> confortant le respect des principes de la République ».</p>
<p>Dans son <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ydx7c_iMOQg">discours du 1ᵉʳ février</a>, Jean‑Luc Mélenchon juge « inutile » et « dangereuse » une loi qui selon lui demanderait aux associations musulmanes de prêter des « serments d’allégeance » à la République.</p>
<blockquote>
<p>« Non, les chemins de la raison ne s’ouvrent pas à la faux. Non, la porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied. Non, l’amour de la République, comme tout amour, ne vaut rien sous la menace. »</p>
</blockquote>
<p>Jean‑Luc Mélenchon réaffirme ainsi une conception de la laïcité qui ne doit pas être un « athéisme d’État », imposé par la contrainte, mais une séparation stricte où l’État, « indifférent » à la religion, garantit à chacun une liberté absolue de conscience.</p>
<p>La laïcité a selon lui apporté une contribution historique essentielle à la sortie des guerres de religion en France et son enjeu principal est aujourd’hui encore de garantir « l’unité du pays ».</p>
<p>Or, le député considère que ce projet de loi ouvre au contraire « la porte à un déferlement » contre les musulmans.</p>
<p>Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/religion-laicite/video-separatismes-eric-dupond-moretti-tres-a-l-aise-avec-un-grand-texte-de-liberte-scandalise-par-jean-luc-melenchon_4284797.html">a réagi en dénonçant un propos</a> « inadmissible » qui, en laissant entendre que le gouvernement « stigmatise » les musulmans, risque de « renforcer l’attraction » exercée sur eux par l’islamisme, ce qui fait « incontestablement » le jeu du « séparatisme ».</p>
<p>Comment cette critique d’une complicité avec l’islamisme s’est-elle imposée et banalisée à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon, alors même que, pendant la plus grande partie de sa vie politique, celui-ci était identifié comme un laïcard républicain virulent et intransigeant ?</p>
<p>Sa rupture avec le journal satirique <em>Charlie Hebdo</em>, parce que ce dernier a été la victime et le symbole du fanatisme abject des djihadistes, est un facteur de poids qui a favorisé ce retournement de sens.</p>
<h2>Charlie Hebdo : Je t’aime… moi non plus</h2>
<p>Le 16 janvier 2015, Jean‑Luc Mélenchon prononce une <a href="https://youtu.be/YhoTiJO55Ew?list=PLnAm9o_Xn_3DIOQdk_pb96lMZL4dWXsBt">oraison funèbre</a> à la mémoire d’un « camarade » qu’il désigne comme un « héros » de la laïcité :</p>
<blockquote>
<p>« Charb, tu as été assassiné par nos plus anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis, les fanatiques religieux ».</p>
</blockquote>
<p>Devant les proches du dessinateur, le tribun adjoint à son propos une promesse : « Charb, ils n’auront jamais le dernier mot ».</p>
<p>Cinq ans plus tard, Charlie Hebdo n’a pas de <a href="https://charliehebdo.fr/2020/11/politique/et-melenchon-inventa-la-machine-a-perdre/">mots assez durs</a> pour accuser le dirigeant insoumis d’avoir <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BGNVKHaZAzc">renoncé</a> à ses « positions intransigeantes » sur la laïcité :</p>
<blockquote>
<p>« On est passé de la République à l’indigénisme ».</p>
</blockquote>
<p>En cause : la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 jugée « nauséabonde » et la participation du député des Bouches-du-Rhône qualifiée de <a href="https://charliehebdo.fr/2020/08/actualite/message-a-m-melenchon/">« compromission odieuse »</a> avec l’islamisme du fait de la présence de représentants d’associations accusés d’être proches des Frères musulmans.</p>
<p>Le leader insoumis a-t-il vraiment <a href="https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/marche-contre-islamophobie-melenchon-trahit-charb">« trahi »</a> Charlie et ses propres convictions républicaines ?</p>
<p>Comment comprendre cette polémique autour du candidat à la présidentielle 2022 ?</p>
<h2>Deux gauches irréconciliables sur la laïcité</h2>
<p>Suite à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et à l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, à la faveur d’un climat de recherche de coupables politiques, voire de <a href="https://www.acrimed.org/Islamo-gauchistes-une-chasse-aux-sorcieres">« chasse aux sorcières »</a> selon certains, d’autres acteurs se sont engouffrés dans cette fenêtre d’opportunité pour alimenter la même thèse.</p>
<p>Le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesures-pour-la-rentree-scolaire-4000971%5D">affirme</a> alors que « Jean‑Luc Mélenchon est un jour républicain et le lendemain islamo-gauchiste ! » et qu’il restera « dans l’Histoire […] pour cette trahison ».</p>
<p>La maire de Paris Anne Hidalgo fait alors de ces <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7xmgrf">« ambiguïtés »</a> avec le cadre républicain son principal argument pour rejeter la candidature de Jean‑Luc Mélenchon en 2022.</p>
<p>La virulence et la gravité de ces accusations ne doivent pas faire oublier que le dirigeant insoumis est loin d’être le seul à avoir soutenu la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019.</p>
<p>L’appel <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/11/01/le-10-novembre-a-paris-nous-dirons-stop-a-l-islamophobie_1760768">a été signé</a> par une très vaste palette d’organisations et de figures de la gauche politique, syndicale, associative et médiatique.</p>
<p>Le Parti socialiste (PS) est en fait le seul parti de gauche notable qui n’ait ni appelé ni participé à cette manifestation. C’est dire que les attaques à l’encontre de Jean‑Luc Mélenchon participent en fait surtout d’une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/07/islamisme-separatisme-l-offensive-payante-des-laicards_6062429_3224.html">« offensive payante des “laïcards” »</a>, comme l’écrit le journal <em>Le Monde</em>, et du creusement d’un fossé de plus en plus abyssal entre deux gauches irréconciliables : l’une est accusée d’avoir transformé le combat laïc en cheval de Troie de la haine des musulmans et elle désigne l’autre comme la complice de réactionnaires religieux voire du terrorisme djihadiste lui-même.</p>
<h2>Laïcité et défense des musulmans : une étroite ligne de crête</h2>
<p>Jean‑Luc Mélenchon, dont l’ambition politique affichée <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/11/07/jean-luc-melenchon-quitte-le-ps_1115955_823448.html">depuis qu’il a quitté le PS en 2008</a> est de refonder politiquement la gauche et le peuple, dit vouloir éviter le piège de cette opposition stérile.</p>
<p>Il affirme vouloir ouvrir la voie d’une ligne de crête entre les deux « camps » de cette « guerre des gauches ».</p>
<p>Une démarche que ne renierait pas le député européen <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/10/23/la-gauche-face-a-l-islam-trente-ans-de-divisions_18033601">Raphaël Glucksmann</a> quand celui-ci déclare que la gauche doit cesser d’être « borgne » :</p>
<blockquote>
<p>« Elle doit être radicalement anti-intégriste et antiraciste. La gauche doit voir le problème avec ses deux yeux. »</p>
</blockquote>
<p>Cette double préoccupation est déjà présente en 2004 chez Jean‑Luc Mélenchon. Au nom de la lutte contre le « communautarisme », le sénateur finit par trancher pour l’interdiction du voile à l’école (et 10 ans plus tard, il considère encore qu’il s’agit d’un <a href="https://www.ktotv.com/video/00092690/jean-luc-melenchon">« signe de soumission »</a> des femmes).</p>
<p>Pourtant, celui qui est alors identifié comme un « laïcard » virulent rencontre déjà des difficultés à se positionner dans un débat dès 2004 <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/causes-republicaines-jean-luc-melenchon/9782020631518">dans l'ouvrage <em>Causes républicaines</em> paru au Seuil</a> « piégé » par les « instrumentalisations racistes » de la laïcité. Dès 2004, il écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Pour être franc, je n’aimais pas l’idée d’une loi contre le port du voile à l’école […], je sentais autour du débat la présence répugnante des arabophobes, cohorte sournoise de la haine. »</p>
</blockquote>
<p>De même, lors de la <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/clichy-92110/prieres-de-rue-a-clichy-15-ans-de-polemique-locale-devenue-affaire-nationale-23-11-2017-7410858.php">polémique</a> autour des « prières de rue musulmanes » en 2010, expression fortement médiatisée <a href="https://www.liberation.fr/societe/2010/12/22/prieres-de-rue-les-fideles-dans-l-impasse_702363/">à l’époque</a>, le dirigeant du Parti de gauche (PG) s’en prend à la présidente du FN qui compare le phénomène à l’occupation nazie mais il affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Pour autant, condamner les délires de Le Pen ce n’est pas s’accommoder des prières dans la rue. »</p>
</blockquote>
<p>Le combat antiraciste ne doit pas introduire, par un effet de compensation et de « façon insidieuse », l’idée que « l’intransigeance laïque » conduirait « au racisme ou à “l’islamophobie” ».</p>
<h2>La défense d’une « laïcité étendue »</h2>
<p>On peut observer une constance dans le parcours politique de Jean‑Luc Mélenchon : il ne considère pas « que le problème essentiel de la France ce soit <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/03/04/avant-lorage">l’antisémitisme et l’islamisme »</a>, auxquels on consacre des « émissions non-stop » dans <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/02/17/censurer-le-chantage/">« un gavage sans fin »</a>.</p>
<p>En 2004, la principale menace n’émane pas selon lui du voile islamique mais des régionalistes corses et bretons qui revendiquent un droit « communautariste » dérogatoire.</p>
<p>Le sénateur prône alors une « laïcité étendue » contre ces « nouveaux fronts » prioritaires. Il se dit même excédé « de voir la seule vindicte antireligieuse tenir lieu de discours de référence laïque. »</p>
<p>Il affirme aussi que l’Église catholique, du fait de l’histoire, du concordat, et de son influence politique, représente une <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2010/12/14/madame-le-pen-est-le-diable-de-confort-du-systeme/">menace bien plus sérieuse</a> pour la laïcité que le culte musulman.</p>
<p>En 2020, il n’existe <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0Ve_Sh3BtQE">selon lui</a> en France aucun « parti de masse qui serait le djihadisme terroriste ou bien même l’islamisme politique ».</p>
<p>Il juge ces phénomènes très minoritaires, privés de représentation électorale et donc loin de représenter une menace sérieuse pour la laïcité.</p>
<p>Ces prises de position tendent à rejoindre Olivier Roy quand le politiste souligne qu’il n’y a jamais eu en France un <a href="https://www.sciencespo.fr/evenements/?event=chaire-louis-massignon-la-foi-contre-lidentite-le-religieux-dans-les-guerres-culturelles">degré de consensus aussi élevé qu’aujourd’hui</a> sur la laïcité, puisqu’elle est défendue d’un bout à l’autre du champ partisan.</p>
<h2>Antiracisme, islamophobie : le pouvoir des mots</h2>
<p>Les propos de Jean‑Luc Mélenchon témoignent en fait d’une cohérence de long cours quand il affirme :</p>
<blockquote>
<p>« La laïcité, ce n’est pas la haine d’une religion. L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce qui a évolué en revanche est son rapport à un ensemble de mots et concepts antiracistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’État laïc, ce n’est pas un athéisme d’État.</span></figcaption>
</figure>
<p>En mars 2015, le PG ne participe pas à un meeting à Saint-Denis (co-organisé entre autres par le NPA, le PCF, EELV, mais aussi par le PIR, le CCIF et l’UOIF) contre « l’islamophobie », car comme <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/ce-meeting-contre-l-islamophobie-qui-divise-la-gauche_1658750.html">l’explique</a> le communicant et coordinateur du PG Eric Coquerel : Avec ce terme, il « est difficile en effet de faire la part entre la libre critique de la religion et le racisme ».</p>
<p>Jean‑Luc Mélenchon confirme ce point de vue huit mois plus tard.</p>
<p></p><blockquote><p>Je conteste le terme d'islamophobie. On a le droit de ne pas aimer l'islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme. <a href="https://twitter.com/hashtag/SLT?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#SLT</a></p>— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) <a href="https://twitter.com/JLMelenchon/status/668138652552331264?ref_src=twsrc%5Etfw">November 21, 2015</a></blockquote> <p></p>
<p>En novembre 2020, le député insoumis préfère toujours parler de « haine des musulmans » plutôt que d’islamophobie mais cette préférence lexicale ne justifie plus, à elle seule, une absence de soutien aux militants qui combattent le racisme en employant le terme « islamophobie » :</p>
<blockquote>
<p>« La vie n’est pas une partie de Scrabble » et « ceux qui font des pinailles sur les mots offrent des diversions, c’est tout, et rien d’autre. »</p>
</blockquote>
<p>La défense des victimes du racisme est désormais jugée prioritaire sur le choix des concepts qui servent à désigner ce combat. Le terme d’ailleurs ne serait finalement « pas si inadapté que ça » pour décrire</p>
<blockquote>
<p>« la phobie […] des gens qui deviennent fous quand ils voient des musulmans ou qu’ils voient une mosquée ».</p>
</blockquote>
<p>Jean‑Luc Mélenchon <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3qHqPceAbrs">affirme</a> avoir évolué en constatant que les musulmans ne considéraient pas le terme islamophobie comme une tentative d’interdire la critique de l’islam mais comme un moyen de les stigmatiser.</p>
<h2>Une prise de conscience d’un décalage avec les musulmans</h2>
<p>C’est donc la prise de conscience de son décalage vis-à-vis d’« opprimés » que le « tribun du peuple » se devrait de représenter, qui justifie ce revirement chez Jean‑Luc Mélenchon.</p>
<p>À l’encontre d’une vision nominaliste qui voudrait que la vérité d’un mot soit inscrite objectivement en lui, c’est ici une conception privilégiant ses usages sociaux qui l’emporte : le terme « islamophobie » serait essentiellement devenu un objet de conflit entre ceux qui stigmatisent les musulmans et ceux qui leur résistent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TUDBEWk8lTM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une conférence du philosophe Henri Peña-Ruiz proche de Jean‑Luc Melenchon en 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette conception est dénoncée comme relativiste et <a href="https://www.marianne.net/agora/humeurs/l-universalisme-seule-boussole-de-l-antiracisme-le-philosophe-henri-pena-ruiz">contestée</a> par Henri Peña-Ruiz, le philosophe qui faisait anciennement autorité au sein du PG sur la question de la laïcité (et qui se retrouve aujourd’hui désavoué par le leader insoumis) :</p>
<blockquote>
<p>« S’incliner devant une expression partisane et fausse sous prétexte qu’elle est répandue c’est renoncer à une clarification idéologique nécessaire ».</p>
</blockquote>
<p>Pour le philosophe, admettre le concept d’islamophobie, c’est accepter un glissement du combat antiraciste sur un terrain religieux qui lui est étranger et qui le défigure.</p>
<p>Il est certain que, malgré la participation de nombreuses organisations progressistes à la marche du 10 novembre 2019, le dirigeant insoumis n’est pas parvenu à imposer dans le débat public <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ydx7c_iMOQg">sa propre définition de l’événement</a> : une « manifestation de fraternité du peuple français qui s’est achevée par une Marseillaise vibrante ».</p>
<p>L’attaque de la mosquée de Bayonne est restée absente des débats et le thème de la trahison « islamo-gauchiste », jusque-là cantonné à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2012/05/30/faux-tracts-de-melenchon-arabe-double-plainte-fn-fg_n_1554942.html">l’extrême droite</a>, a fait une percée inédite au sein de la majorité, de ses alliés et de nombreux acteurs médiatiques légitimes.</p>
<p>Le politiste Samuel Hayat <a href="https://www.nouvelobs.com/idees/20201027.OBS35262/l-islamo-gauchisme-comment-ne-nait-pas-une-ideologie.html">compare</a> ce phénomène à la rhétorique du « judéo-bolchévisme » qui a consisté au début du XX<sup>e</sup> siècle à « utiliser le climat antisémite très répandu » pour attaquer la gauche.</p>
<h2>Le multiculturalisme est un fait</h2>
<p>Dans l’idéal mélenchonien, la laïcité à la française ne doit pas s’opposer au multiculturalisme.</p>
<p>La laïcité n’y est pas considérée comme l’élément d’un modèle <em>culturel</em> assimilationniste mais comme un principe d’unité <em>politique</em> de la communauté souveraine, reposant sur l’égalité absolue de tous les citoyens devant une loi indivisible.</p>
<p>La République laïque doit assurer une protection des individus en situation minoritaire. Dès 2000, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/144842-tribune-de-m-jean-luc-melenchon-ministre-delegue-lenseignement-prof">le sénateur écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit à une identité culturelle personnelle a un préalable : la laïcité absolue de l’État. »</p>
</blockquote>
<p>Dans cette perspective, la République laïque est le bien de ceux qui n’en ont aucun autre, qui sont exclus de la propriété matérielle comme de l’appartenance ethnique au « clan » ou à la « race » majoritaire.</p>
<p>Cette dimension est fondamentale pour ce pied-noir né à Tanger qui se considère comme un immigré maghrébin déraciné et privé de tout terroir. Ce raisonnement est explicité par Raquel Garrido :</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu es immigré, il n’y a rien de plus solide que l’histoire républicaine des Français pour faire corps avec le reste de [la population]. »</p>
</blockquote>
<p>(Entretien avec l’auteur du présent article, 12 août 2020)</p>
<p>En 2011, <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2011/02/20/hallucinations/">Mélenchon affirme</a> à l’encontre du président Nicolas Sarkozy : </p>
<blockquote>
<p>« De toute façon le multiculturalisme est un fait. […] Ce qui n’est pas un fait c’est que cela fonde des droits politiques. »</p>
</blockquote>
<p>Voici comment le propos <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=OH2wsQQKDlA">est reformulé</a> en 2020 dans une critique destinée cette fois-ci à Emmanuel Macron :</p>
<blockquote>
<p>« Le communautarisme, ce n’est pas la pratique d’une communauté […]. Nombre de Français participent à des communautés de toutes sortes et pas seulement religieuses […]. Le communautarisme c’est précisément quand une communauté décide que les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même s’appliquent contre les lois et en dépit de ce qu’en pensent les membres de cette communauté. […] Le communautarisme est notre adversaire en toutes circonstances. »</p>
</blockquote>
<p>On retrouve dans cette citation l’idée qu’il faut protéger les individus contre des communautés qui voudraient de force les embrigader juridiquement comme leurs « membres ».</p>
<h2>Du particulier à l’universel : la « créolisation »</h2>
<p>En septembre 2020, Jean‑Luc Mélenchon emprunte le concept de « créolisation » au philosophe martiniquais <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Traite-du-Tout-Monde">Édouard Glissant</a>.</p>
<p>Il cherche ainsi à décrire un fait sociologique objectif résultant du « métissage » des arts et des langages, un choc permanent des cultures dans une société qui ne peut jamais connaître d’état stationnaire.</p>
<p>Ce qui est <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20200925.OBS33823/tribune-jean-luc-melenchon-la-creolisation-n-est-pas-un-projet-ou-un-programme-c-est-un-fait.html">nouveau</a> chez le dirigeant insoumis, outre l’emploi du mot, est que cette « créolisation » sert à désigner « le chaînon manquant entre l’universalisme dont [il se] réclame et la réalité vécue qui le dément ».</p>
<p>Ce n’est donc pas l’assimilation à une norme dominante donnée <em>a priori</em> mais le mouvement historique de créolisation entre différents groupes humains qui constitue le processus réel de progression vers « l’homme universel qui peut-être bien n’existera jamais, mais qui est un point d’horizon vers lequel il est possible de se diriger, de cœur et d’esprit »</p>
<p>L’universalisme abstrait dont le député insoumis est depuis longtemps le défenseur ne doit plus occulter la réalité des différences ni invisibiliser le tort subi par les dominés qui en sont exclus.</p>
<p>Mais si Jean‑Luc Mélenchon a conscience que l’existence d’inégalités et de discriminations contredit constamment l’universalisme, cela ne doit jamais conduire à abandonner ce dernier au motif qu’il serait un mythe.</p>
<p>En 2012, il <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/09/29/le-populisme-conversations-politiques-entre-laclaud-mouffe-et-melenchon/">affirme</a> déjà que la devise républicaine est « un mensonge, car il n’y a pas de liberté, ni d’égalité ni de fraternité dans cette société. »</p>
<p>Pour autant, elle ne doit pas être abandonnée, au contraire, elle est le symbole qui doit être constamment brandi pour chercher à en rapprocher le plus possible la réalité.</p>
<p>Au Karl Marx de <em>La Question juive</em> qui rejette les droits de l’Homme comme une mystification bourgeoise dissimulant l’exploitation, Jean‑Luc Mélenchon semble alors préférer le philosophe <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Aux-bords-du-politique">Jacques Rancière</a> qui souligne l’efficacité et la performativité de la « phrase égalitaire » : affirmer et croire en une égalité qui n’existe pas encore est le seul moyen de la faire progresser dans la réalité.</p>
<hr>
<p><em>L'auteur réalise sa thèse sous la direction de Frédéric Sawicki.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151955/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentin Soubise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Jean‑Luc Mélenchon se positionne-t-il sur la laïcité ? Et pourquoi certains le jugent-ils polémique ?Valentin Soubise, Doctorant en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1509772020-11-26T13:01:31Z2020-11-26T13:01:31ZMaradona, l’éternel adolescent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/371527/original/file-20201126-19-spnpq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3770%2C2509&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait représentant Diego Maradona avec le maillot de l'équipe nationale argentine lors de la Coupe du monde 1986, photographié à Naples en mai 2017.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Julian Schlaen/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://sport.francetvinfo.fr/football/ca-sest-passe-un-26-avril-1991-la-chute-de-maradona-arrete-en-possession-de-cocaine">26 avril 1991</a>, il entamait une descente aux enfers. Pour la première fois, la police argentine l’arrêtait en possession de cocaïne dans un appartement du quartier de Caballito. Les trottoirs étaient bondés. La foule sautait en scandant : « Maradó ! Maradó ! » C’étaient, pour la plupart, des adolescents accourus depuis un collège des environs, presque aussi rebelles que l’idole qu’ils étaient venus soutenir contre vents et marées.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371373/original/file-20201125-19-1ezfo7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Maradona porte la Coupe du Monde au Mexique en 1986.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Maradona-Mundial_86_con_la_copa.JPG">Revista El Gráfico/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>La vie de Diego Maradona, rongée par la drogue et pleine de contradictions, laisse cependant apparaître un fil conducteur : la rébellion typique d’un adolescent. Plus précisément, celle d’un homme né dans un quartier très modeste qui conquit le monde avec ses buts inoubliables, comme les deux qu’il infligea aux Anglais en quart de finale du Mondial de 1986 : le « but du siècle » et la non moins fameuse « main de Dieu ».</p>
<p>Sa rébellion n’épargnait quasiment rien. En Italie, avant sa brève détention pour possession de drogue (il a passé une nuit en prison, payé une caution de 20 000 dollars et n’a été contraint qu’à suivre une cure de désintoxication), il avait déjà refusé de payer ses impôts. Le fisc lui réclamait près de 40 millions d’euros.</p>
<p>Lors du Mondial de 1994, sous les yeux du monde entier, il a été <a href="https://www.lesoir.be/art/diego-maradona-convaincu-de-dopage-et-exclu-de-la-coupe_t-19940701-Z0887Z.html">contrôlé positif après le match Argentine-Nigeria</a>. Une fois de plus, la drogue, en l’occurrence l’éphédrine ; et, une fois de plus, la rébellion, digne d’un jeune de 19 ans. Comme celui qui avait gagné la Coupe du monde de football des moins de 20 ans en 1979 et fut félicité par <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Emoh1Y9F2M0">Jorge Rafael Videla</a> en pleine dictature militaire.</p>
<h2>La politique le prenait par la main</h2>
<p>En matière de politique, Maradona a toujours louvoyé. Certes, Videla l’a appelé mais le footballeur n’a pas fait preuve de constance dans ses sympathies pour le régime dictatorial. En 1986, après le triomphe argentin lors du Mondial au Mexique, il est <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4PRwbFK-PuM">apparu sur le balcon de la Casa Rosada</a> au côté du président Raúl Alfonsín. La politique le prenait de nouveau par la main.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4PRwbFK-PuM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le président Raúl Alfonsín invite les champions de la Coupe du monde de 1986 à venir saluer la foule depuis le balcon de la Casa Rosada.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’année suivante, il fit la connaissance de Fidel Castro à Cuba. Le joueur apparaissait comme un personnage de plus en plus rebelle, au sens latino-américain du terme, c’est-à-dire révolutionnaire. Il exprima son admiration pour Che Guevara, dont il se fit tatouer le visage. Mais, en 1989, la rébellion revint, au sens courant cette fois. Maradona manifesta son soutien à Carlos Menem, un péroniste néolibéral qui le déclara ambassadeur sportif de l’Argentine. L’idylle ne dura pas, car le joueur alla jusqu’à accuser le péronisme d’avoir organisé la perquisition de 1991.</p>
<p>En 2000, il afficha ses sympathies pour le président Fernando de la Rúa. Une fois encore, l’idylle fut brève. Maradona ne tarda pas à le critiquer. Un président plus rebelle, du moins en public, ne tarderait pas à arriver au pouvoir. Cette fois, Maradona serait enfin cohérent avec lui-même.</p>
<h2>L’éternel adolescent idéaliste</h2>
<p>En 2005, lors du Sommet des Amériques, Maradona s’illustra par son soutien actif à Néstor Kirchner et <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20201125-de-castro-%C3%A0-chavez-en-passant-par-morales-le-c%C5%93ur-%C3%A0-gauche-de-maradona">Hugo Chávez</a>. Son tatouage du Che sur le bras le montrait, une fois encore, sous un jour d’adolescent idéaliste. Politiquement, en revanche, il avait mûri. Il s’engagea ainsi publiquement en faveur de Cristina Kirchner (présidente de 2007 à 2015) et critiqua sévèrement son successeur Mauricio Macri. Les derniers mois, il portait aux nues Alberto Fernández, qui l’avait reçu à la Casa Rosada pour rejouer le salut au balcon de 1986.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ayDJBtbA1x0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 2019 Maradona rejoue le salut au balcon de 1986 à la Casa Rosada.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le joueur expliqua un jour ses sympathies politiques :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux qui ne m’aiment pas répètent à qui veut l’entendre que j’ai soutenu tous les partis politiques au pouvoir en Argentine. […] Mais ce n’est pas moi qui ai frappé à leur porte pour leur demander de poser pour une photo. C’est eux qui m’ont invité. »</p>
</blockquote>
<h2>Une vie privée mouvementée</h2>
<p>En plus d’une vie marquée par la drogue et les internements successifs, le rebelle, le transgresseur permanent, eut aussi une vie privée assez mouvementée. Il divorça de son amour de jeunesse, Claudia Villafañe, puis s’installa avec Verónica Ojeda, puis Rocío Oliva. Quoi qu’il en soit, les séparations et les réconciliations confirmèrent son incapacité à se stabiliser bien que, dans les pires moments, il a toujours pu compter sur l’aide des femmes de sa vie. Il était célibataire depuis 2018.</p>
<p>Sa rébellion, qui se manifestait par une transgression quasi permanente, était une vertu autant qu’une souffrance, écrit Carlos Gustavo Motta dans un article intitulé <a href="http://www.revistavirtualia.com/articulos/512/miscelaneas-ii/que-es-realmente-la-rebeldia">« Qu’est-ce que la rébellion ? »</a>, qui la considère comme un feu intérieur, une constante explosion, dont le combustible serait la drogue. Shakespeare disait que la jeunesse trouve la révolte en elle-même, quand elle ne la trouve pas près d’elle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371371/original/file-20201125-13-1m5avmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Maradona juste avant de marquer le deuxième but contre l’Angleterre lors du Mondial de Mexico en 1986.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Maradona_gol_a_inglaterra.jpg">Revista El Gráfico/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La rébellion arrête le temps</h2>
<p>Carlos Motta ajoute que la souffrance peut intervenir « lorsqu’on tente d’imposer un nouvel ordre construit sur des promesses et porté par un discours monolithique, hostile, insupportable, intolérable et odieux. Une voix unique et tyrannique qui ne gouverne qu’au travers de ses caprices inaltérables à long terme ».</p>
<p>J.A. Miller explique dans <a href="http://espaciorosarinoerinda.blogspot.com/2019/02/como-rebelarse-texto-j-miller.html"><em>Comment se rebeller</em></a> que « la rébellion, en tant que telle, n’a pas de foi, ne spécule pas sur l’avenir, et ne brille que dans le moment présent. Elle se livre intégralement dans la rencontre de ce qui nous est insupportable et dans la décision, l’acte qui suit immédiatement, sans temps mort. […] Ce voyage de l’extase vous saisit comme un tout condensé dans l’unité de votre être et de celui-ci, vers et pour la mort ».</p>
<p>Mais, dans le cas de Maradona, cette rébellion, cette transgression quasi constante nous ramène encore à Shakespeare, qui disait que celui qui se révolte reste jeune toute sa vie. Comme l’explique Carlos Motta, la rébellion arrête le temps. Comme cela arrive aujourd’hui à beaucoup de gens dans le monde.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’espagnol par Anne-Laure Martin et M. André pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150977/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fernando Arturo Muñoz Pace ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi certains prodiges mènent-ils une vie désordonnée ? Diego Maradona a toujours été un adolescent rebelle et transgressif.Fernando Arturo Muñoz Pace, Profesor de Periodismo, Universidad de PalermoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1492002020-11-01T16:57:14Z2020-11-01T16:57:14ZFact check US : Existe-t-il une « menace antifa » aux États-Unis, comme l’affirme Donald Trump ?<p>C’est devenu une habitude au cours de l’année passée, plus vive encore après le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/03/mort-de-george-floyd-de-nouvelles-manifestations-pacifiques-aux-etats-unis_6041569_3210.html">meurtre de George Floyd</a> par des policiers de Minneapolis et la vague de manifestations antiracistes qui s’en est suivie : Donald Trump désigne les « antifas » (abréviation d’« antifascistes ») comme une organisation terroriste et une menace pour la démocratie américaine. Les « antifas », le président l’a encore récemment déclaré dans sa prose habituelle, constituent <a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-marine-one-departure-093020/">« un très mauvais groupe »</a> qui devrait selon lui être qualifié d’« organisation terroriste ».</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=115&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=115&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=115&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/366706/original/file-20201030-15-4j7fci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
</figcaption>
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<h2>Le terme anfifa</h2>
<p>Examinons ces propos de plus près. Avant toute chose, qu’est-ce que le terme antifa désigne dans le contexte américain ? Si l’on veut aller au bout de la logique du président, est-ce une organisation clairement identifiable, avec une structure qui pourrait être démantelée ?</p>
<p>La réponse est un non catégorique. À bien des égards, l’étiquette « antifa » désigne une idéologie ou, si l’on préfère, une marque plus qu’un groupe politique. Les antifas sont très peu structurés, sans hiérarchie, statut ou organisation précise. Le terme renvoie plus à une nébuleuse qu’à une association : un <a href="https://www.nytimes.com/article/what-antifa-trump.html">réseau souple de militants</a>, partageant une philosophie générale, essayant parfois de coordonner leurs activités, mais opérant généralement de manière spontanée, réactive et à un niveau très local.</p>
<p>Les cellules locales sont autonomes, ont tendance à agir de manière secrète et le nombre de leurs membres varie, peuvent s’étendre ou se réduire selon les circonstances. Parfois, les antifas s’associent à d’autres organisations peu structurées, Black Lives Matter vient immédiatement à l’esprit. Dans d’autres cas, elles agissent de manière isolée, même si leurs techniques radicales et parfois violentes sont rejetées par une majorité de ceux qui organisent des manifestations et des protestations sur des sujets chers aux antifas : autoritarisme et antifascisme, racisme, homophobie ou xénophobie.</p>
<p>Pour toutes ces raisons, il est difficile d’identifier une généalogie précise du mouvement antifa ou de fournir une définition sociologique et démographique de ses militants. Nous savons que la plus ancienne cellule antifa encore active, dénommée <a href="https://rosecityantifa.org/">Rose City Antifa</a>, a été créée à Portland, Oregon, en 2007, dans le but de mettre fin à un festival néo-nazi organisé par des skinheads. Mais le mouvement, et la marque, n’ont vraiment pris leur essor que ces dernières années, en réponse à l’élection de Donald Trump et plus encore lors de manifestations contre le <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/13/us/far-right-groups-blaze-into-national-view-in-charlottesville.html">rassemblement des nationalistes et suprémacistes blancs à Charlottesville</a>, en Virginie, en août 2017.</p>
<h2>Une menace ?</h2>
<p>Faut-il donc considérer qu’ils représentent une menace ? Nous disposons de <a href="https://www.csis.org/analysis/who-are-antifa-and-are-they-threat">données</a> prouvant que les militants antifas ont été impliqués dans un nombre relativement faible d’incidents et d’épisodes de violence. </p>
<p>Aux accusations de Donald Trump et de son procureur général William Barr selon lesquelles ils sont les principaux instigateurs de la violence, du pillage et des troubles à l’ordre public, ce qui justifierait qu’ils soient qualifiés d’« organisation terroriste nationale », on ne peut que répondre avec scepticisme et de façon critique, tant pour des raisons juridiques que politiques.</p>
<p>Tout d’abord, il n’existe pas de <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/07/us/domestic-terror-law.html">loi sur le terrorisme intérieur</a> aux États-Unis, des élus venant à la fois de la gauche et de la droite s’y opposent. Afin de placer le mouvement antifa sur la seule liste officielle d’organisations terroristes (la liste <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations/">Foreign Terrorist Organizations</a>), il faudrait prouver ses liens et ses connexions avec les branches non américaines de l’organisation. Ce qui est difficile, voire impossible, à établir. </p>
<p>L’alternative serait de poursuivre un par un ses milliers de militants (dont beaucoup ne sont peut-être que des militants d’un jour, à l’occasion d’une manifestation), en criminalisant leurs convictions politiques et en violant leurs droits fondamentaux inscrits dans la Constitution.</p>
<h2>Une polarisation de la vie politique</h2>
<p>Alors, comment évaluer le danger que ferait peser cet activisme sur la démocratie américaine ? Pour répondre à cette question, il est pertinent d’observer plus largement le conflit partisan et politique qui s’exprime de plus en plus violemment dans le pays. La mouvance antifa participe d’une polarisation de la lutte politique qui érode les fondements mêmes de la République, à savoir la reconnaissance réciproque de la légitimité des deux camps politiques, la droite et la gauche. </p>
<p>Il faut donc l’examiner en parallèle avec d’autres groupes de gauche et de droite qui emmènent la lutte politique dans la rue, qui pensent nécessaire de déployer la violence contre leurs adversaires. Dans le cas des antifas, l’adversaire est le suprémacisme blanc, le néofascisme, le nationalisme de droite mais aussi, parfois, les <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/five-myths/five-myths-about-antifa/2020/09/11/527071ac-f37b-11ea-bc45-e5d48ab44b9f_story.html">grandes entreprises</a> qu’ils considèrent plus ou moins explicitement comme « fascistes », comme un danger pour les couches opprimées que compte la société américaine.</p>
<p>Une partie de la mouvance antifa concourt ainsi à une légitimation de la violence. Ce faisant, elle joue un rôle dans l’escalade de la conflictualité qui a marqué ces derniers mois de manifestations. </p>
<p>En outre, elle expose les manifestants pacifiques au danger et à la possibilité d’être injustement qualifiés de violents par l’autre partie. Cette légitimation de la violence – et, souvent, <a href="https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/10076/2533">l’engouement pour celle-ci</a> – crée un environnement idéal pour les désordres et les pillages. Cela favorise aussi, comme le montre <a href="https://www.salon.com/2020/06/02/twitter-shuts-down-white-nationalist-group-posing-as-antifa-after-donald-trump-jr-shares-its-tweet/">cet exemple</a> d’un faux compte Twitter étiqueté antifa, l’infiltration des rangs antifas par des extrémistes de droite voulant jouer les agents provocateurs. Au bout du compte, comme l’a <a href="https://www.salon.com/2020/06/03/fbi-finds-no-evidence-indicating-antifa-involvement-in-dc-protest-despite-trumps-claims-document/">admis le FBI lui-même</a>, les antifas planifient rarement – et encore moins maîtrisent – la violence qui éclate parfois au cours des grandes manifestations ; mais ils contribuent à créer un environnement propice à cette violence.</p>
<h2>L'une des variables d'une équation complexe</h2>
<p>En conclusion, la mouvance antifa constitue bien un danger au sens où elle justifie le recours éventuel à la violence. Cette attitude exacerbe un conflit politique déjà très inflammable, elle empêche parfois les manifestants de préserver le caractère pacifique de leur action et les expose aux infiltrations d’agents provocateurs. </p>
<p>Mais dans cette optique, les antifas ne représentent que l’une des variables d’une équation impliquant de nombreux autres acteurs, dans un contexte propice à de violentes interactions entre différentes factions, notamment dans les espaces urbains. </p>
<p>En revanche, la mouvance antifa ne peut être appréhendée comme un danger au sens d’une organisation terroriste : elle n’a ni structure ni hiérarchie centralisées, elle ne vise pas à subvertir l’ordre démocratique, et elle n’est certainement pas la source première de la violence politique aux États-Unis. </p>
<hr>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149200/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mario Del Pero ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mouvance antifa a pris de l’ampleur aux États-Unis suite à l’élection de Donald Trump. Ses membres ne constituent toutefois pas une menace au sens où l’entend le président américain.Mario Del Pero, Professeur d’histoire internationale, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.